Le neutralité du Net – Un débat public sur l`avenir de l`Internet au

Transcription

Le neutralité du Net – Un débat public sur l`avenir de l`Internet au
La neutralité du réseau
Un débat public sur l’avenir de l’Internet au Canada
6 février 2007, 19h, Auditorium de la Bibliothèque Publique d’Ottawa
Animatrice : Pippa Lawson
Panélistes : Ren Bucholz
Andrew Clement
Michael Geist
(Bill St. Arnaud absent)
Merci aux commanditaires:
Ontario Library Association
Bibliothèque Publique d'Ottawa
Association des bibliothèques de recherche du Canada
Canadian Centre for Policy Alternatives
***
Sabina Iseli-Otto
Mon nom est Sabina Iseli-Otto. Je suis l’une des organisatrices de cet évènement, l’autre
étant Danielle Dennie. Peux-tu te lever, s’il te plaît, Danielle?
Donc, nous avons organisé cet évènement. Nous avons commencé sa planification il y a
quelques mois en examinant les articles traitant de la neutralité du Réseau au États-Unis.
Nous avons alors réalisé que la couverture médiatique de ce sujet était nettement
inférieure au Canada. Nous avons voulu corriger la situation. Nous sommes donc réunis
ce soir dans ce but. Merci d’être venus, en cette froide soirée, à Ottawa. Je sais que ça a
dû être difficile de sortir et je suis bien contente que vous soyez là.
Au cours de la soirée, il y aura trois conférenciers qui prendront la parole. L’un d’eux,
Bill St-Arnaud, est resté coincé à l’aéroport de Chicago et ne pourra malheureusement
pas être des nôtres ce soir. Alors, quand les trois conférenciers auront terminé, nous
aurons beaucoup de temps pour les questions et les commentaires du public. Nous
n’avons pas de micro, alors quand viendra la période de questions, nous l’enregistrerons
sur vidéo. Nous mettrons cette vidéo en ligne, alors si vous êtes intéressés, veuillez nous
en faire part, à Danielle ou à moi et nous vous dirons où vous pourrez la trouver. Nous
n’avons pas encore prévu tous les détails mais si vous êtes intéressés, faites-nous-le
savoir.
De plus, nous avons mis des feuilles sur lesquels vous pouvez inscrire vos noms à la
sortie. Ce ne sont pas des feuilles d’inscription mais si vous êtes intéressés à vous tenir au
courant sur la neutralité du Réseau ou que vous voulez organiser d’autres évènement
concernant la neutralité du Réseau, inscrivez vos noms et vos coordonnées et nous vous
enverrons des renseignements sur les prochains évènements. Nous pourrons essayer
ensemble d’entretenir les discussions sur ce sujet.
Donc, notre animatrice aujourd’hui est Pippa Lawson, directrice de la Clinique d'intérêt
public et de politique d'Internet du Canada (CIPPIC), à l’université d’Ottawa. Avant
d’accéder à ce poste, elle a été pendant 12 ans avocate attachée à la défense des droits des
consommateurs pour le Centre pour la Défense de l’Intérêt Public, où elle a organisé des
interventions pour la protection des consommateurs dans tous les débats sur les
règlements de télécommunication, de 1991 à 2003. Elle est donc très informée sur le
sujet. Elle a collaboré, avec d’autres groupes d’intérêt public, au Groupe d’étude sur le
cadre réglementaire des télécommunications. Son soutien a été très précieux pour
l’évènement de ce soir. Veuillez l’applaudir. Merci.
Pippa Lawson
Merci. Merci aussi pour cette présentation, Sabina. Et merci à tous d’être venu ce soir. Je
suis heureuse de faire partie de cet évènement et de vous présenter un comité d’experts,
composé de militants et d’universitaires ayant vraiment à cœur l’intérêt public à ce sujet.
Nous avions également invité un ingénieur mais il est malheureusement coincé à Chicago
ce soir, comme vous le savez. J’aimerais aussi (?) et remercier Sabina et Danielle d’avoir
organisé cet évènement, parce que je crois qu’il existe un besoin réel et un vif intérêt pour
les discussions publiques crédibles sur ce sujet. Je crois que plusieurs d’entre nous ont
senti qu’il y a quelque chose de très important que nous risquons de perdre si le
gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires à ce propos. Nous voulons mieux
comprendre ce sujet pour pouvoir poser, en tant que citoyen, des gestes qui amèneront le
gouvernement à mettre en place de bonnes politiques.
Avant de vous présenter les membres du comité, chaque conférencier viendra parler
durant 15-20 minutes et je vous les présenterai juste avant qu’ils prennent la parole.
J’aimerais d’abord prendre quelques minutes pour présenter le sujet lui-même, en
espérant que je n’enlèverai pas les mots de la bouche de ceux qui parleront ensuite. La
neutralité du Réseau signifie différentes choses pour différentes personnes. J’ai remarqué
que certaines personnes utilisaient le terme pour désigner la « neutralité du réseau », qui
implique un sens plus large de la neutralité, applicable à tous les réseaux de
télécommunication. D’autres utilisent le terme pour désigner la neutralité de l’Internet,
plus spécifiquement. En fait, ceux-là sont très spécifiques : « nous voulons parler d’accès
Internet à haute vitesse, rien d’autre ». Il me semble que ce soit cette signification qui
prime, aux États-Unis. Pourtant, ce sujet, ou ce terme, couvre plusieurs sujets différents,
allant de la discrimination basée sur le contenu, à la discrimination basée sur le montant
d’argent investi. Je crois qu’il est important de séparer ces différents sujets de façon
claire, afin pouvoir s’entendre. Puisque Bill ne peut être ici, je vais m’approprier une
partie de sa présentation. Je pense qu’il a une bonne définition du terme « neutralité du
réseau », qui selon lui signifie « le désir d’empêcher les fournisseurs d’accès Internet à
haute vitesse d’offrir un service différentiel à des clients qu’ils ont sélectionné ou de
limiter l’accès à certains services ou sites Web par leurs propres clients. »
Une autre question que je me pose, un problème que j’ai avec ce sujet, c’est que
beaucoup de gens comprennent la neutralité du réseau de façon très superficielle.
Beaucoup d’entre nous la comprennent selon l’analogie voie rapide/voie lente qui est
souvent utilisée et je crois que c’est une bonne analogie. Elle est fréquemment utilisée
pour décrire les résultats que nous obtiendrons si nous ne protégeons pas la neutralité du
Réseau. J’espère que nous pourrons ce soir aller au-delà de cette rhétorique et parler des
éléments de base de ce thème, en des termes que nous pourrons tous comprendre, sans
trop simplifier. Alors, c’est ce que je vous demande ce soir, à vous et aux conférenciers :
essayons de décortiquer ces problèmes et de les aborder de manière équitable. Ainsi, il
n’y a personne parmi le comité qui fasse partie d’une compagnie fournissant des services
de télécommunication ou d’une société exploitante de télécommunication et qui serait
partisan d’un aspect particulier de la question, quoique qu’il y en a peut-être dans
l’assistance. C’est pourquoi je crois qu’il faut aborder ces questions de manière équitable.
Je peux reprendre un peu de l’historique que Bill a donné dans l’une de ses présentations
antérieures sur le sujet. La neutralité du réseau n’est pas une question nouvelle. C’est un
sujet vieux de 200 ans, à tout le moins en ce qui a trait à l’un de ses aspects. À cette
époque, les exploitants de canaux en Angleterre voulaient exiger un tarif différentiel,
pour différents types de cargaison. Le charbon des mines appartenant aux exploitants des
canaux aurait ainsi eu une plus haute priorité cargo, tout en bénéficiant de tarifs
préférentiels. Au 19e siècle, le chemin de fer était le mode principal de transport. Les
compagnies de chemins de fer exigeaient des tarifs différentiels selon le type de
cargaison transportée. Elles ont suggéré que les fermiers paient plus par volume et poids
de blé transporté que ce qui était exigé pour le minerai de fer. Puis, au début du 20e
siècle, les compagnies de télégramme voulaient octroyer une meilleure priorité aux
agences de transmission avec lesquelles elles entretenaient des relations d’affaire
préférentielles. Le résultat de cette volonté de tarification différentielle a été les lois,
toujours en vigueur, basées sur le concept de transporteur public et de droit souverain de
l’État. Le concept est que si vous êtes un transporteur public, vous devez vous contenter
de transporter l’information ou les marchandises, sans vous ingérer dans le contenu.
La section 36 de la Telecommunication Act a déterminé que les entreprises de
télécommunication ne doivent pas intervenir au niveau du contenu des communications
et la section 27, sous-section 2, interdit la discrimination faite par les entreprises de
télécommunication. Elles ne peuvent donner la préférence à leurs propres informations ou
à celles d’une autre partie, d’une manière injustifiée. Certains des sujets que nous
aborderons ce soir ont été amenés devant le CRTC et je crois que d’autres se retrouveront
également devant le CRTC, pour être jugés selon ces stipulations, la question étant : estce que cela constitue de la discrimination injustifiée? Je crois qu’il s’agit bien de ce dont
nous voulons parler : la neutralité du réseau ou la discrimination injustifiée.
Avant de laisser la parole au premier conférencier et pour décortiquer le sujet, j’aimerais
souligner qu’il existe au moins quatre pratiques ou politiques distinctes qui ont fait l’objet
de critiques quant à leur manquement au principe de neutralité du réseau. Une politique
particulière concerne l’accès aux informations. Le cas classique est celui de Telus, qui
voulait bloquer le site Web d’un syndicat, bloquant également, par inadvertance, 766
autres sites Web, ou je ne sais quoi. Ainsi, nous, les utilisateurs, ne pouvions plus avoir
accès à ce contenu et les parties opérant ces sites Web ne pouvaient en avertir le public.
Plusieurs en conviennent et bien que Telus n’en aie jamais parlé publiquement, je crois
qu’ils ont un peu honte de ce qu’ils ont fait. D’ailleurs, il s’agit clairement d’une
violation du principe fondamental d’ingérence au niveau des informations.
L’attention du public s’est concentrée sur un autre aspect de la neutralité du Réseau,
complètement différent de ceux que j’ai abordés jusqu’à présent. Il s’agit de la question
des « voies rapides/voies lentes » et de la proposition de certaines compagnies, comme
Vidéotron au Canada et Verizon aux États-Unis, de faire payer les riches fournisseurs
d’informations, comme Google et Yahoo, puis d’utiliser l’argent perçu pour défrayer les
coûteux aménagements qu’ils créeront. Cette idée est totalement nouvelle, puisqu’en ce
moment, pour mettre en ligne un site ou pour publier des informations sur Internet, il n’y
a qu’à payer pour un accès Internet, au même titre que les utilisateurs finals. Il n’y a
aucun autre frais. Les producteurs ne paient pas plus cher selon leur niveau de services.
Nous, les utilisateurs finals, pouvons payer plus cher pour avoir un service plus rapide ou
moins cher pour un service minable. Par contre, les producteurs sont tous sur la même
« voie » de l’autoroute de l’information, ce qui fait que les sites Web, les informations,
sont mis en ligne sur une base égale. Il se peut que les choses changent bientôt.
Une troisième question, encore une fois tout à fait distincte, qui se rapporte à la neutralité
du Réseau, est celle de cette pratique dans laquelle Rogers s’est engagée, qu’ils appellent
la mise en forme du trafic. En peu de mots, c’est l’étranglement du service à haute vitesse
des plus gros utilisateurs. Rogers dit : « Nous ne pouvons laisser circuler tout ce trafic.
Afin que l’ensemble des abonnés puisse bénéficier d’une bonne qualité, nous devrons
parfois retenir quelques-uns des plus gros utilisateurs. » Il s’agit donc de ralentir certains
types de trafic, ceux des plus gros utilisateurs, afin de faciliter le service et d’offrir une
meilleure qualité à tous les autres. Il y a plusieurs aspects importants à cette question.
Autant que je sache, la question de savoir si ça constitue une discrimination injustifiée
n’a pas encore été abordée par le CRTC et les instances décisionnelles.
Une dernière question, la quatrième, qui a été amenée devant le CRTC, est celle des
entreprises de télécommunication, comme Shaw, Telus ou d’autres, qui chargeraient plus
cher aux consommateurs lorsqu’ils utilisent les services d’un concurrent que lorsqu’ils
utilisent leurs propres services. Par exemple, une entreprise pourrait offrir une mise à
niveau automatique de la qualité du service pour la voix sur IP à leurs propres clients,
puis exiger 10$ de plus pour la même qualité de service aux clients des autres
compagnies, s’ils utilisent le service de voix sur IP d’une autre compagnie. Désolée si
cette explication n’est pas très claire. Tout ça pour dire qu’il existe plusieurs facettes très
distinctes à la question de la neutralité du Réseau. Lorsque nous en parlerons et que nous
nous poserons des questions, disons clairement quels sont les enjeux que nous évoquons
et nous verrons bien où ça va nous mener. Je suis donc très intéressée à connaître les
opinions de notre comité et j’aimerais leur laisser au plus vite la parole.
Je commencerai par présenter notre premier conférencier, Ren Bucholz, tout au bout de la
table. Ren est originaire de Toronto. Il est le coordonnateur des cadres réglementaires
chez EFF (Electronic Frontier Foundation) pour l’Amérique. Il se concentre sur le
Canada et l’Amérique du Sud mais il travaille également au niveau international, en
Europe, à l’OMPI et un peu partout. Avant de se joindre à l’EFF, Ren a dirigé une
station de radio non commerciale et a travaillé pour l’un des premiers diffuseurs Internet.
Il a également aidé à organiser un comité d’action politique qui travaille sur plusieurs des
sujets intéressant le EFF et une soirée de rencontre mensuelle pour les Copy Fighters.
Ren a un diplôme en journalisme de l’Université du Colorado et il a déjà gagné un
important pari, en trouvant la définition correcte de « narcolepsie ». Ren, je te laisse la
parole.
Ren Bucholz
Merci beaucoup pour cette présentation élogieuse, de moi et de notre sujet. J’aimerais
simplement rappeler que je suis basé à Toronto mais qu’EFF est basée aux États-Unis, et
puisque la plus grande partie de (?) concernant la neutralité du Réseau provient de ce
contexte, je vais me concentrer sur l’émergence de ce débat aux États-Unis, sur les
conditions actuelles de ce débat et sur les aspects exceptionnels des problèmes que nous
rencontrerons pour défendre la neutralité du Réseau. Certains des prochains conférenciers
parleront plus spécifiquement du Canada. J’aimerais aussi remercier les organisatrices de
ce comité. C’est formidable d’avoir trouvé au moins deux conférenciers intéressants. Les
voici! [il fait un signe de la main en direction de Clement et de Geist]. C’est aussi
fantastique d’avoir attiré autant de gens par une nuit aussi froide!
Comme Pippa l’a mentionné, mon nom est Ren Bucholz et je travaille pour l’Electronic
Frontier Foundation, qui est un organisme sans but lucratif basé aux États-Unis et dont
les bureaux sont situés à San Francisco, à Washington DC, Toronto, et depuis hier, à
Bruxelles. Nous oeuvrons depuis 16 ans à l’intersection des technologies et des libertés
civiles. En d’autres mots, nous travaillons à des causes telles que la liberté d’expression
sur Internet, la diffusion de nouvelles technologies qui renforcent la démocratie et le
combat contre la surveillance gouvernementale.
Bien que l’organisme ait été créé avant que le Web soit vraiment populaire, ses
fondateurs ont mis sur pied l’EFF parce qu’ils étaient impressionnés par le potentiel de
l’Internet. De façon plus précise, ils étaient enthousiasmés par le principe d’égalité
qu’incarnait Internet; avec l’accès à un ordinateur et à une connexion, les idées
devenaient accessibles n’importe où dans le monde, grâce à Internet. De plus, n’importe
qui possédant des ceux choses (un ordinateur et une connexion) peut fabriquer des outils
qui aideront les gens à utiliser le réseau de façon plus efficace et à s’exprimer de façon
plus efficace.
L’aspect le plus important est que cette liberté d’expression et ces inventions ne
dépendent de la permission de personne. Pour parler comme les maniaques d’Internet,
cette activité a lieu « aux extrémités » du réseau, ou « en périphérie ». Plutôt qu’attendre
qu’un opérateur de réseau central, telle une compagnie de téléphone, invente une
nouvelle application ou approuve la diffusion d’une opinion particulière, quiconque sur le
réseau est libre d’exprimer cette opinion ou de mettre au point cette invention.
Ce n’est pas un accident. C’est un principe de design qui est au cœur de ce qui fait
qu’Internet est si puissant. C’est aussi ce que nous désignons maintenant comme la
neutralité du réseau. Je dois faire un peu de mélange des définitions, ce contre quoi Pippa
vous a mis en garde, alors suivez-moi bien. Tim Wu, l’un des savants prééminent de la
neutralité du Réseau, y réfère de la façon suivante :
« L’idée est qu’un réseau public d’informations d’utilité maximale aspire à traiter
équitablement tous les sites, toutes les plateformes et toutes les informations. Ceci permet
au réseau de porter toutes les formes d’information et de supporter tous les types
d’application. Ce principe suggère que les réseaux d’information sont souvent plus
précieux lorsqu’ils sont moins spécialisés. »
Maintenant, ce choix de design a permis des innovations et une croissance économique
inouïes. Si vous regardez la manière dont Internet a progressé depuis les 15 dernières
années, je crois qu’il est évident qu’il y a eu une explosion d’idées exprimées, de
différents types de technologies, ainsi que beaucoup d’investissements et beaucoup
d’activités commerciales. En abaissant les barrières d’entrée et en créant un terrain
propice au développement technologique, des technologies telles que le courriel, le Web,
la messagerie instantanée, le partage de fichier d’égal à égal (P2P) et la voix sur IP ont pu
voir le jour. Le plus beau, c’est que ces choses ont été créées sans avoir d’abord demandé
aux opérateurs de réseau s’ils pouvaient ou non fournir ces services. Ces technologies se
sont lancées sur le marché et ont été jugées selon leurs mérites; si les utilisateurs s’en
servaient et les aimaient, ils pouvaient les adopter et aider à leur diffusion, etc.
C’est la même chose pour la liberté d’expression en ligne, qui n’a jamais rencontré les
mêmes barrières que dans les vieux média, avec leurs gardiens traditionnels. Des
myriades d’innovations ont rendu facile et peu coûteux de communiquer entre nous,
puisque les plateformes sont non discriminatoires. On peut accéder à votre blogue ou à
celui de Michael tout aussi facilement qu’on peut accéder au New York Times, ce qui
donne lieu à une grande diversité de points de vue.
Alors, si c’est là le contexte de construction de l’Internet et que ça décrit sa façon de
fonctionner aujourd’hui, pourquoi sommes-nous préoccupés par la neutralité du Réseau?
Et, d’où viennent les récentes menaces contre elle?
Je crois que Pippa a raison. Cette volonté de contrôler les réseaux vient de très, très loin
dans le temps. Ce que nous avons vu récemment aux États-Unis constitue ce qu’on
pourrait appeler le « récidivisme de monopole », où les monopoles qui ont été démantelés
par le passé pour avoir mal agi ont repris leurs déplorables agissements. Je crois que ce
point de vue est bien englobé dans cette déclaration, dans le numéro de novembre 2005
de Business Week, où le chef de la direction d’AT&T, Ed Whiteacre, avait ceci à dire à
propos des compagnies telles que Google, MSN et Vonage. Vous savez, je ne sais pas s’il
a l’accent du Sud des États-Unis mais imaginons qu’il l’a. [rires] Donc, je le cite :
« Alors, ce qu’ils veulent faire, c’est utiliser mes tuyaux gratuitement mais je ne me
laisserai pas faire, parce que nous avons investi de l’argent et que nous devons en
recevoir des bénéfices. Donc, il devra y avoir certains mécanismes, afin que ces gens qui
utilisent mes tuyaux paient pour la portion qu’ils utilisent. Pourquoi devraient-ils être
autorisés à utiliser mes tuyaux? » Voilà l’attitude de l’ascendant monopolistique : l’idée
que même si vous avez des actionnaires, vous fournissez un service public, couplée à
l’idée que vous avez un contrôle complet et absolu sur ce réseau. Ce sont des idées très
particulières aux monopoles. Ne vous y trompez pas : les compagnies de téléphone, aux
États-Unis, sont bien des monopoles.
Aujourd’hui, ils sont plus puissants qu’ils ne l’ont jamais été depuis 1984, alors que la
Federal Communications Commission (FCC) a divisé Ma Bell en plusieurs Baby Bells.
Whiteacre, qui a déjà été chef de la direction de la SBC Communications avant sa fusionabsorption avec AT&T, a supervisé récemment la fusion de 85 milliards $ de AT&T et
Bellsouth, ce qui recrée en grande partie la forme et la topographie du réseau que la
commission fédérale des communications avait séparé il y a 20 ans. L’industrie de la
câblodistribution suit également une tendance centralisatrice depuis les 20 dernières
années.
Ces deux industries fournissent à elles seules différents services mais ensemble, elles
fournissent la plus grande partie du service Internet à haute vitesse aux États-Unis. Selon
les données de la commission fédérale des communications, 94% des utilisateurs
n’avaient accès qu’à deux fournisseurs, presque toujours le câble et/ou la ligne d'abonné
numérique (service DSL). En fait, aux États-Unis, le câble et les lignes d’abonné
numériques constituent 98% du marché d’Internet à haute vitesse. Autrement dit, les
utilisateurs n’ont qu’un choix limité dans le marché actuel d’Internet à haute vitesse.
Alors qu’on peut entendre que le marché saura corriger toutes les sortes de vilains gènes
que le duopole créera par mutation, je crois qu’il est très important de comprendre que ce
n’est pas le cas. Même lorsqu’il existe différentes marques de commerce dans les
différents marchés, quand on regarde au niveau supérieur, on y voit une grande
concentration de propriétaires.
De plus, les fournisseurs d’accès Internet stimulent de manière bien particulière la
répression de certaines innovations. Ce n’est pas seulement qu’ils en sont capables, c’est
qu’ils incitent à la faire. Par exemple, la voix sur IP (VoIP) menace les services
téléphoniques traditionnels. Dans un monde où la discrimination est normale, sur
Internet, ils auraient simplement pu ne pas admettre le développement de cette
technologie dès le départ. S’ils adoptaient cette pratique dès aujourd’hui, ils pourraient
simplement faire de la discrimination contre les compagnies dans lesquelles ils n’ont pas
d’intérêt. Par exemple, AT&T pourrait faire de la discrimination entre [?] et Vonage, tout
en gardant ces propres services à un niveau stable. De même, les compagnies de
câblodistribution pourraient choisir de favoriser leur propre contenu vidéo plutôt que
celui des sites comme YouTube. Je crois donc qu’il existe une grande concentration des
pouvoirs et une grande motivation à combattre la venue de ces nouveaux services qui
s’accaparent une partie des revenus des compagnies de téléphone et de câblodistribution.
Pour défendre ces comportements, on doit faire un peu de judo linguistique. Plutôt que de
parler de discrimination, les compagnies de téléphone et de câblodistribution parlent de
créer des « voies rapides » pour leurs nouveaux services. Pour être juste, il existe de
nouveaux services qui ne vont pas bien avec l’Internet actuel et qui bénéficieraient d’un
accès réseau d’une plus grande fiabilité, d’un temps d’attente raccourci et d’une plus
grande qualité de services ne n’offre Internet. La télémédecine (telemedicine) et la vidéo
en haute définition nécessitent des canalisations très larges, très fiables et de très haute
vitesse, afin d’atteindre les utilisateurs finals.
Par contre, je crois que d’amener ces services dans le débat de la neutralité du Réseau est
une fausse nouvelle, pour plusieurs raisons. D’abord, la différence entre la voie rapide et
la discrimination est purement sémantique. Comme le dit Tim Wu : « si l’espace est
limité sur le réseau, quiconque n’est pas prioritaire est implicitement rétrogradé. »
Autrement dit, il n’y a qu’un espace limité sur le réseau, alors, si vous créez une voie
rapide, ça laisse une bien plus petite partie de la bande passante pour les applications qui
ne sont pas favorisées.
Deuxièmement, je crois qu’il est important de préciser que si on parle de télémédecine et
de vidéo en haute définition, on doit reconnaître que cette division, ou discrimination,
n’est pas la seule façon de fournir ces services. Ce n’est même pas la meilleure. En fait, le
projet Internet2 a songé à implanter des technologies pour établir la priorité sur le réseau,
comme ça a été présenté devant le Congrès : « Toutes nos recherches et notre expérience
pratique concluent qu’il serait beaucoup plus économique de simplement fournir plus de
bande passante. » Alors, au lieu d’utiliser les canalisations déjà en place et de prendre des
arrangements financiers, ou d’en rediviser certaines parties en morceaux, il vaudrait
mieux faire passer plus de fibre optique et améliorer l’infrastructure, ce qui est toujours
plus économique à long terme.
Certaines personnes préfèrent les nouvelles technologies comme ViMAX et les réseaux
haut-débit (broadband) aux courants porteurs en ligne et à toute une gamme de
technologies de bande large nouvelles ou émergentes, disant : « Écoutez, nous sommes
peut-être présentement en face d’un duopole mais peut-être que demain, nous aurons un
marché fonctionnel. Qui sait? » Je crois que c’est exagérer les faits, puisque actuellement
le marché est tellement concentré entre les mains de ce duopole qu’il est irréaliste de
croire qu’à court terme, ces problèmes se règleront d’eux-mêmes. Donc, il n’y a aucune
raison de croire que les compagnies derrière ViMAX et les bandes larges agiraient
différemment que les compagnies de téléphone titulaires.
En somme, à brève échéance, nous sommes en face d’un duopole, la concurrence semble
peu probable et les consommateurs ne peuvent pas voter pour la non-discrimination avec
leurs dollars, car elle n’est offerte nulle part. Le tableau est plutôt lugubre; ça donne envie
de souscrire à un réseau sans fil comme ceux qui existent à Montréal et à Toronto.
Auditoire 1
Nous en avons un à Ottawa, également.
Ren Bucholz
À Ottawa, également?
Auditoire 2
Un petit, tout petit.
Ren Bucholz
Nous parlerons un peu de ça plus tard. Je vois des gens dans la salle qui sont impliqués
dans les affaires de réseau sans-fil. Nous en reparlerons.
Alors, une question s’impose : qu’est-ce qu’on fait, maintenant?
La première chose à faire, c’est de faire la distinction entre la neutralité du Réseau et les
propositions censées la défendre. Pour ce que j’en comprends, pour ce que nous en avons
dit aujourd’hui, pour ce que le public en comprend, le principe de la neutralité du Réseau
est inattaquable. D’après moi, les arguments apportés pas les compagnies de téléphone et
de câblodistribution ne sont pas très probants. Il est important de séparer les choses de
façon à ce que les propositions de réglementations qui ont été apportées afin défendre la
neutralité du réseau. Pour ce qui est de ces propositions, le diable se cache dans les
détails. Tout d’abord, qu’est-ce qui constitue au juste une violation de la neutralité, par
opposition à une décision de gestion de réseau légitime? Par exemple, il y a des décisions
prises tous les jours à propos de quel trafic aura la priorité sur l’Internet public et ces
choses ont généralement un [?] non politique ou apolitique. Elles ne réussissent pas parce
qu’elles proviennent d’un bloc IP particulier. C’est plutôt une situation où ils veulent
maintenir un bon environnement réseau, en général.
Alors, puisque la distinction entre les décisions légitimes ou discriminatoires de gestion
de réseau est si difficile à faire, je crois que nous sommes en face de problèmes de
réglementation uniques.
De plus, la plupart des propositions de neutralité du Réseau provenant de États-Unis se
basent sur la capacité de la commission fédérale des communications à définir cette
distinction de façon appropriée. C’est là que mon expérience avec la situation aux ÉtatsUnis peut s’avérer utile. Au Canada, il n’y a pas de commission fédérale des
communications, il y a le CRTC, qui est un peu son cousin; ils sont apparentés tout en
étant des entités séparées. Donc, bien des choses que je mentionne au sujet des problèmes
que comporte cette remise du contrôle de l’Internet à la commission fédérale des
communications sont spécifiques à la commission fédérale des communications. Je suis
donc impatient de connaître la position du CRTC et sa façon de [?].
Selon plusieurs de ces propositions, la Federal Communications Commission aurait le
pouvoir de déterminer s’il est acceptable : de restreindre la portée des serveurs, de
bloquer les points d’accès (ports) afin de s’occuper du pollupostage (spam) ou des
menaces informatiques, de régir la mise en forme du trafic des logiciels consommant
beaucoup de bande passante, etc. Ces réglementations comprendront sans doute trop ou
pas suffisamment de clauses, en plus d’être très difficiles à faire respecter. Le processus
de réglementation risque d’être systématiquement défavorable aux intérêts des jeunes
entreprises Internet innovatrices, aux nouveaux fournisseurs de service Internet et au
grand public.
De plus, les grandes entreprises technologiques et les fournisseurs d’accès Internet bien
établis exerceront probablement une influence injustifiée quant à ces décisions de
réglementation, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise affaire. En disant ça, je
m’imagine un monde [?] où il y aurait les grandes méchantes compagnies de téléphone et
de câblodistribution d’un côté et d’un autre côté, les fournisseurs d’information (content
providers) aux nobles sentiments, comme Google et Yahoo. Ce serait formidable si les
intérêts des fournisseurs d’information s’alignaient parfaitement sur ceux du public pour
produire une saine réglementation. C’est un peu « le miel de l’autre monde ». Il y a peu
de chances que ça arrive dans la plupart des cas. Ce que je veux dire, c’est que s’il
n’existe pas d’alternatives plausibles, alors la réglementation est préférable au
déchaînement des duopoles. C’est préférable, plutôt que de laisser un marché non existant
se replacer de lui-même. Je crois qu’on doit chercher très activement d’autres types de
solutions, que nous aborderons à la fin.
D’autre part, l’Histoire et la commission fédérale des communications nous apprennent
que les grands groupes en place s’avèreraient des mandataires inefficaces ou pires, qu’ils
pourraient influencer la réglementation de manière à nuire intentionnellement aux petits
acteurs et à l’intérêt public. On ne peut compter sur les grandes entreprises
technologiques pour qu’elles se battent ardemment pour la cause des jeunes entreprises
compétitrices devant la commission fédérale des communications. Alors, bien que leurs
intérêts rencontrent ceux du public, ils ne rencontrent pas nécessairement ceux des jeunes
entreprises. Les besoins du public peuvent occasionnellement s’associer aux intérêts
importants des grandes sociétés mais il n’y a aucune garantie que les citoyens moyens et
les consommateurs auront voix au chapitre lorsque des décisions importantes seront
prises à propos de la neutralité du réseau.
Une autre raison de se méfier des réglementations sur la neutralité du Réseau, c’est
qu’elles seront techniquement difficiles à faire respecter parce que les effets des
violations de la neutralité et la gestion légitime des réseaux peuvent être difficiles à
distinguer. Considérez l’hypothèse suivante, émise par l’informaticien Ed Felten.
Lorsqu’un fournisseur de réseau fait face à un trafic important, certains paquets de
données sont souvent retardés afin de donner priorité à d’autres paquets. Ce processus est
connu sous le nom de « gigue » (jitter). C’est inhérent aux réseaux [?] mais c’est
particulièrement nuisible aux applications à traitement en temps réel, comme… Cette
gigue est un problème surtout pour les services de communication en temps réel, comme
la voix sur IP ou la vidéo en haute définition. Imaginez que le réseau d’un fournisseur de
bande large fasse giguer le service de voix sur IP d’un concurrent mais pas le sien. L’une
des raisons de cette gigue pourrait être que le fournisseur crée intentionnellement des
délais pour le trafic de ses concurrents mais une autre raison pourrait être que la topologie
du réseau du fournisseur crée de la gigue par accident.
Seule une analyse vraiment substantielle pourra déterminer s’il y a ou non des intentions
malveillantes dans un tel cas, puisque, pour pourvoir faire une plainte contre un
fournisseur de réseau, vous devrez faire beaucoup de recherches… Et la commission
fédérale des communications, en fin de compte, comment pourra-t-elle vraiment
déterminer si oui ou non l’opérateur de réseau était de mauvaise foi?
Les compagnies de télécommunications influentes seront en bonne position pour truffer
le système de ces petites discriminations. Ce sont ces petites discriminations qui font que
les relations entre les fournisseurs de services Internet indépendants et les grands
fournisseurs sont difficiles, même s’il existe un cadre réglementaire, ce qui était le cas
aux États-Unis et qui était en partie le cas au Canada. Si vous parlez à n’importe quel
petit fournisseur de services Internet, il vous dira qu’il est en fait très difficile de gérer
ces relations tout en ayant un bon service de compagnies comme Bell et Verizon.
Comme Felten le mentionne en décrivant l’hypothèse de la gigue : « la possibilité la plus
stimulante du point de vue des politiques est que le [fournisseur de bande large] n’a pas
pris de mesure particulière pour causer ce problème mais est bien content qu’il existe. Il
gère donc subtilement son réseau de façon à permettre la gigue. » D’une certain manière,
les réglementations de neutralité du Réseau ne feraient pas complètement disparaître la
tentation de faire de la discrimination. Elles créeraient plutôt la tentation de faire de la
discrimination secrètement. Je ne dis pas ça pour être défaitiste mais simplement pour
dire que si nous mettons toutes nos énergies dans la lutte pour la réglementation, il faut
savoir qu’il y aura de sérieux obstacles à faire respecter cette réglementation, qui
pourront amoindrir l’efficacité de nos efforts. Nous devons donc nous demander si la
réglementation est la meilleure façon de dépenser notre énergie. Devrions-nous plutôt
exiger des types différents de réglementation ou d’autres solutions technologiques?
Ceci étant dit, ça vaut la peine de souligner que je ne pense pas que la réglementation soit
une mauvaise chose en soi. Elle doit simplement être examinée plus attentivement. Je
crois qu’en fin de compte – et j’arrive tout près de la fin de ce discours – ce que j’espérais
faire ce soir était de vous décrire les grandes lignes du problème, spécialement parce qu’il
nous vient des États-Unis et de l’utiliser comme point de départ pour parler de ce que
vous feriez, vous, pour protéger la neutralité du Réseau.
En fin de compte, nous devons décider comment notre énergie sera le mieux dépensée. Je
pense encore que le maintien d’une saine concurrence est la meilleure manière d’investir
nos efforts, à trouver des façons d’encourager les grandes entreprises de
télécommunication à partager efficacement leurs réseaux avec les fournisseurs locaux. Je
pense que c’est une façon plus élégante de défendre la neutralité du réseau.
Il y a aussi de nouvelles technologies qui pourraient être prêtes à temps pour offrir une
alternative viable aux compagnies de téléphone et de câblodistribution. Finalement, je
crois qu’il est important de continuer à essayer différents modèles d’entreprises pour
l’approvisionnement des services. J’utilise le terme « modèle d’entreprise » très
librement, car j’y inclus les expériences de réseaux locaux sans-fil WiFi en tous genres.
Certains proposent des services gratuits, d’autres des services payants; certains sont
dirigés par des bénévoles, d’autres par des municipalités, d’autres par des grandes
sociétés qui fournissent gratuitement le service. Je crois qu’en continuant d’explorer ce
monde, nous pourrons peut-être chercher puis trouver des modèles qui donnent lieu à une
saine concurrence pour les instances concernées.
Alors que les solutions ne sont pas claires, notre mandat l’est. L’Internet a eu un profond
effet de démocratisation sur notre société et nous ne pouvons pas laisser les monopoles
l’aliéner. C’est pourquoi je suis très heureux qu’on commence à en parler.
Merci beaucoup.
Pippa Lawson
Et merci beaucoup, Ren. Notre prochain invité est Andrew Clement, professeur à
l’Université de Toronto, dans la Faculty of Information Studies, où il coordonne
l’Information Policy Research Program et dirige le collaborative graduate program in
Knowledge Media Design. Ces intérêts de recherche, d’enseignement et de consultation
concernent les implications sociales de la technologie de l’information et le
développement de système centré sur l’humain. Il est aussi informaticien, devrais-je
ajouter. Il a écrit des articles et coédité des livres sur des sujets tels que le design
participatif assisté par ordinateur, la surveillance en milieu de travail, l’informatique des
utilisateurs finals et la société d’information, en général. Ses plus récentes recherches se
sont concentrées sur les politiques d’information publiques, l’utilisation de l’Internet dans
la vie de tous les jours, la construction d’identités numériques, la participation du public
dans le développement d’infrastructures de communication d’informations, ce qui est, je
pense, le sujet de la soirée, ainsi que le réseautage communautaire. À toi, Andrew.
Andrew Clement
Merci Pippa, et merci à tous d’être venus ce soir, surtout que je vois des gens qui sont
venus de Montréal, alors, heureux de vous voir. Je crois que c’est une soirée importante
et intéressante, car le débat sur la neutralité du réseau au Canada est particulièrement
invisible et silencieux. Je voudrais remercier Ren pour cet aperçu du débat, plus
mouvementé, qui a lieu aux États-Unis. En fait, il y a eu là-bas une mobilisation de base
très active, des millions de courriels ont été envoyés aux membres du Congrès. C’est
maintenant le sujet de vigoureuses discussions et de débats au Congrès. Il y a quelques
semaines, la commission fédérale des communications a accepté la fusion d’AT&T avec
Bellsouth et a instauré dans cet accord une disposition à propos de la neutralité du réseau,
ce que les partisans de la neutralité du réseau considèrent comme une victoire –
malheureusement, elle ne dure que deux ans et elle comporte toutes sortes de problèmes.
Je serai intéressé à entendre Ren et Michael là-dessus.
Toutefois, aux États-Unis, il y a un débat vigoureux, actif et dans un certain sens,
efficace. Au Canada, le débat est très discret et on pourrait penser que c’est parce que la
situation est meilleure ici, que nous ne sommes pas dirigés par les monopoles, ou que
nous n’avons pas de stimulants aussi puissants mais je soutiendrai, en fait, le contraire. Je
dirai que la situation est pire au Canada, au moins sur deux aspects majeurs.
Premièrement, l’industrie du téléphone et de la câblodistribution d’ici est plus concentrée
et intégrée verticalement que celle des États-Unis, ce qui pose la menace de l’exploitation
du contrôle des réseaux afin de bloquer ou de favoriser des informations ou des services.
Deuxièmement, une autre faille qui existe au Canada, c’est que nous n’avons pas
présentement la capacité de faire des politiques pouvant s’attaquer à cette discussion.
C’est pourquoi les choses sont silencieuses, comparé aux -Unis. Le fait qu’il n’y ait
actuellement pas de force au Canada pouvant s’opposer aux entreprises de
télécommunication et de câblodistribution, quelque chose qui pourrait en faire un débat
où elles devraient se défendre de leurs agissements - elles ont la partie trop facile. Alors,
je crois que la conférence de ce soir est importante parce qu’elle nous donne la possibilité
de relever ces questions et de révéler un peu de ce qui ce passe ici, de se demander
pourquoi les Canadiens devraient se sentir concerné par ce qui est un sujet plutôt
mystérieux et compliqué.
J’aimerais parler de la structure de l’Internet et de la structure de propriété au Canada, des
raisons qui font que c’est un problème. Regardons ensemble les discussions de
réglementation et soulevons ce que je crois être ses aspects problématiques. Enfin,
posons-nous la question : qu’est-ce qu’on peut faire, puisqu’on ne peut pas accepter que
la seule l’alternative soit le désespoir.
Donc, premièrement, Pippa nous a fait faire un très bon survol des notions de neutralité
du réseau. J’en prendrai une version simplifiée et je pourrai y ajouter en cours de route
mais enfin je crois que la neutralité du réseau est essentiellement le principe selon lequel
chaque élément du trafic Internet doit être traité de la même manière, sans égard à sa
provenance, sa destination ou au type d’informations. Ça n’empêche pas nécessairement
toutes les formes de gestion d’efficacité de réseau et de débit, comme le disait Ren. Ça
veut par contre dire que qu’il ne peut y avoir de discrimination selon l’utilisateur. Il peut
y avoir des traitements préférentiels pour des besoins de gestion de réseau efficace. Il
existe des variations. C’est important parce que l’Internet est devenu une infrastructure
essentielle dans la société contemporaine, qui a des implications pour notre société, pour
notre économie, pour notre culture, pour notre scène politique. De plus en plus, les
différents média, que nous avions toujours considérés comme séparés, sont en train de se
regrouper dans l’Internet, par la commutation de paquets (packet switching). Alors,
quiconque peut réglementer Internet aura, de bien des manières, d’extraordinaires
pouvoirs sur la vie contemporaine et sur la société démocratique. Nous pensons qu’il
devrait être responsable devant l’intérêt public et collectif. Récemment, Al Gore, qui
commentait les limites du pouvoir exécutif, avait ceci à dire : « La liberté de
communication est un prérequis essentiel à l’amélioration de la santé de notre
démocratie. » Il parle bien sûr de la démocratie étasunienne. « C’est particulièrement
important que la liberté de l’Internet soit protégée contre l’empiétement du gouvernement
et contre les tentatives de contrôles par les grands conglomérats médiatiques. L’avenir de
notre démocratie en dépend. » Je crois que cette déclaration s’adresse au cœur des sujets
dont nous devons nous préoccuper. Bien sûr, c’est très compliqué techniquement mais je
crois que si nous pouvons y jeter un coup d’œil et nous rendre compte de ce qui se passe,
nous pourrons voir comment ces questions viennent au premier plan.
En ce moment, des aspects des structures techniques et organisationnelles de l’Internet,
qui étaient auparavant plus fluides, se solidifient. C’est une époque critique, où la mise en
forme à long terme de l’Internet [?] sera plus ou moins décidée. Dans 10 ou 15 ans, ce
sera beaucoup plus difficile d’arranger les choses si nous nous trompons. Alors, nous
avons ici la possibilité de nous exprimer et [?] une fenêtre. Une petite introduction d’une
très simple mais très utile analyse de l’Internet et de sa façon de fonctionner. Je ferai la
distinction entre ses deux parties principales; l’une est ce qu’on pourrait appeler le réseau
local en anneau (local loop), le dernier kilomètre ( the last mile), qui inclus le milieu (the
middle mile) ou la liaison (back haul). Considérons le point de vue de l’utilisateur
résidentiel ou domestique, de votre équipement, que ce soit une ligne téléphonique ou le
câble et le point de connexion avec l’Internet générique. En plus, il y a le grand Internet
amorphe qui est considéré comme un espace magique qui livre ou collecte des paquets de
données des autres utilisateurs ou des fournisseurs, qui sont éparpillés en périphérie du
réseau. Au centre, il y a le noyau, ou le réseau fédérateur (backbone). Ce lien, que ce soit
un câble coaxial ou une d’abonné numérique, est le point d’étranglement critique qui
détermine ce que vous serez capable de faire et d’expérimenter sur Internet. Alors, le
contrôle et ceux qui l’exercent, ceux qui peuvent veiller à la mise en forme, sont vitaux.
Aux États-Unis, le débat s’est concentré sur cette section du dernier kilomètre et pas
tellement sur le noyau d’Internet.
Si on regarde plutôt le premier kilomètre au Canada, à qui appartiennent ces moyens de
transmission et qui les contrôlent? Eh bien, il y a les habituels, Rogers, Bell, Shaw,
Vidéotron et Telus. Ensemble, ces seules cinq compagnies de téléphone et de
câblodistribution contrôlent 84% de toutes les connexions Internet domestiques. De plus,
les grandes entreprises en particulier, comme Bell et Rogers, sont très intégrées
verticalement, c.-à-d. qu’elles fournissent à la fois les fils, la capacité de transmission, le
stockage et aussi un éventail toujours plus large de services et d’informations, des choses
qu’elles veulent vous vendre sous toutes sortes de formes. Elles ont donc intérêt à diriger
leurs investissements, comme le disait Ren, vers les infrastructures locales et l’Internet au
sens large, de façon à avoir un effet multiplicateur sur leurs autres actifs. Elles ont
visiblement intérêt à ne pas laisser le même accès aux autres. Comparé aux États-Unis,
cette concentration, à cause de sa verticalité et en termes de nombre réduit de
propriétaires, est plus inquiétante, je dirais. En ce moment, aux États-Unis, les
inquiétudes ne concernent pas le réseau fédérateur ou le noyau d’Internet. Comme le
mentionnent les gens comme Tim Wu, déjà cité, il y a une neutralité de facto dans ce
réseau fédérateur, puisqu’il est garanti par les divers arrangements d’échange de trafic
(peering) que les fournisseurs de réseau fédérateur doivent passer entre eux afin de faire
passer un paquet de données. Ça se fait d’une façon très dynamique et flexible, puisqu’ils
ont un genre d’accord général et qu’il est très difficile pour un des acteurs de le changer
sans que les autres le sachent. Bien sûr, nous ne savons pas ce que contiennent ces
arrangements d’échange de trafic et il serait intéressant de rendre publics ces
arrangements d’échange de trafic. Je dirais qu’au Canada, nous ne pouvons présumer de
ce résultat assez bénin à cause de la très grande concentration de la propriété du réseau
fédérateur. Je vais simplement vous montrer quelques diapos pour illustrer cette notion et
j’ai ici un petit feuillet, car c’est un peu difficile à lire. J’en ai apporté 30 mais nous avons
une grosse assistance.
[en parlant des diapos] Cette empreinte de patte, là, vous verrez d’où elle vient. C’est très
difficile à voir mais c’est le noyau d’Internet en Amérique du Nord. Il y a 134 000
routeurs. On ne voit pas la périphérie du réseau, ce n’est que le noyau d’Internet. Ça a été
fait il y a quelques temps, en 2006. Ça retrace 134 000 routeurs et ils sont identifiés par
différentes couleurs, selon leurs propriétaires, bleu pour AT&T, rouge pour Verizon. Ce
sont les deux principaux fournisseurs de réseaux fédérateurs aux États-Unis. Il y a un peu
de jaune pour représenter Quest. Le vert représente les autres grands fournisseurs de
réseau fédérateur. Il se peut que vous ne voyiez que de grosses masses vertes. Il y a en
quatre, ici, comme ça, une empreinte de patte, il y en a une autre à droite. Bien, j’ai été
étonné de voir que ces masses vertes sont Bell Canada. Alors, bien que le Canada ne
compte que pour 10% des États-Unis, en termes d’Internet en Amérique du Nord, Bell
occupe une position très proéminente. Au Canada, j’ai cherché très fort les autres
fournisseurs, Shaw, Rogers, etc. Ils sont minuscules, en comparaison. Il en existe bien
peu et ils sont éparpillés. Ce qui nous apprend, simplement par la concentration de la
représentation, que ce n’est pas une question de géographie. Il n’y a pas de nord, de sud,
d’est et d’ouest. Vous ne pouvez rassembler ces informations de cette façon, puisqu’elles
s’arrangent selon la topographie des connexions. Ce que cette carte illustre est qu’au
Canada et chez Bell, il n’existe pas beaucoup de connexions à l’extérieur, que c’est un
système plutôt fermé. Alors, les garanties que les militants américains de la neutralité du
réseau trouvent dans les arrangements d’échange de trafic dans leur part de l’Internet,
censées protéger la neutralité de facto, ne sont pas présentes au Canada. Je crois que nous
devons le savoir. Ainsi, Bell Canada possède le réseau fédérateur au Canada et je crois
que c’est quelque chose à considérer, si ça devient une question de contrôle exercé par
Bell sur ce qui se fait dans cette infrastructure vitale.
Donc, voilà l’introduction sur la propriété sur Internet et la [?] structure. Qu’en est-il des
déclarations à propos des abus de cette position? Jusqu’à maintenant, il y en a eu
relativement peu mais chacun de ces acteurs, Telus, Shaw, Verizon – non, pas Verizon,
c’est étasunien– Vidéotron, Bell et [Rogers], ont fait l’objet de plaintes à propos de la
façon dont ils ont utilisé leurs positions. Pippa a parlé de quatre façons différentes. Je me
contenterai de faire la distinction entre ce qu’on pourrait appeler « la censure » ou « le
blocage d’informations», où une information particulière, que les entreprises de
télécommunication trouveraient répréhensible, pourrait être retirée par elles sans
autorisation légale. Ce sont des informations légales et elles ont pris la décision ellesmêmes, le cas de Telus est bien connu et Vidéotron l’a fait également. L’autre aspect est
ce qu’on pourrait appeler la « discrimination économique », où elles traitent de façon
préférentielle leurs propres services. Rogers est accusé d’une telle pratique, ainsi que
Shaw et plus particulièrement Bell, avec son partenariat avec Clearwire, dans le domaine
de la voix sur IP. Commentant la neutralité du réseau et prenant Bell comme exemple,
Jacqueline Michelis a dit : « Notre opinion de la neutralité/diversité du Net est qu’elle
devrait être déterminée par les tendances du marché et non par la réglementation. » C’est
en partie une affirmation médiocre, puisque c’est le régime standard dans cette zone mais
je la trouve extraordinaire pas bien des aspects. D’abord, s’il existe un sujet clé du
contrôle démocratique des média vitaux, alors, de le laisser simplement à la tendance du
marché ne constitue pas une réponse adéquate. Elle aurait pu dire : « Oui, Bell ne fait pas
de discrimination de cette façon » mais [?] simplement pour elle-même. De plus, l’idée
que Bell représente une tendance du marché dans un marché si large est une invention
commode. C’est même risible, que cette entreprise de télécommunication dominante
puisse affirmer qu’il s’agit du résultat de la tendance du marché. Je crois que nous devons
être très sceptique à ce propos. C’est la première partie des raisons qui font que je crois
que le problème est pire au Canada; c’est à cause du haut degré de concentration et de
l’intégration verticale.
La seconde partie concerne l’arène de la création d’une réglementation au Canada. Nous
avons entendu parler du point de vue des entreprises de télécommunication là-dessus.
J’aimerais examiner avec vous les autres acteurs et leurs activités récentes, en me
concentrant particulièrement sur le rôle que le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire
des télécommunications (Telecom Policy Review Panel : telecomreview.ca) a joué,
lequel, durant la dernière année du gouvernement libéral, a été mis en place par le
ministre de l’industrie, afin d’examiner le Telecom Act et d’y proposer des changements.
Le résultat de cet examen est un rapport plutôt long, alors je n’entrerai pas dans les
détails. La conclusion en était qu’elles mettaient les tendances du marché de l’avant pas
seulement pour arriver à leurs fins mais également pour atteindre un objectif de
télécommunication en soi. Il y a eu des changements à la section 7 du Telecom Act, en
termes de … J’aimerais attirer votre attention sur ça : ce sont celles de Bell. Si vous
regardez plus attentivement, vous pourrez voir les noms des routeurs et le rôle joué par
Bell.
Donc, elles avaient, durant la dernière année, le Groupe d’étude sur le cadre
réglementaire des télécommunications. Alors qu’il proposait les tendances du marché
comme principe directeur, il comprenait également d’autres mesures pour l’équilibrer et
en adoucir certains côtés. Ceux d’entre nous qui l’avons suivi en ont conçu quelques
oppositions mais on peut dire qu’il recherchait un équilibre. Ce qui est arrivé depuis, avec
l’avènement du nouveau gouvernement, c’est qu’Industrie Canada, plus particulièrement
le ministre de l’industrie Maxime Bernier, a donnée une directive au CRTC qui ne prend
en considération que les tendances du marché, les tendances maximisantes du marché,
comme objectif et pour principe directeur. Rien n’a été mentionné à propos de l’adoption
de d’autres mesures, prévues selon le rapport du Groupe d’étude sur le cadre
réglementaire des télécommunications. Nous constatons donc plusieurs déséquilibres
considérables. Si nous cherchons où se trouvent les autres acteurs qui pourraient
contribuer à ce débat au Canada, nous trouverons un certain nombre d’entre nous qui ont
adopté ce qu’on pourrait appeler la « perspective de l’utilisateur et de la communauté ».
Nous avons essayé par différents moyens de contribuer à la discussion en soumettant des
dossiers au groupe d’étude originel et en participant à un forum. Je dois dire qu’au moins
la moitié des Canadiens qui s’y sont impliqués se trouvent dans la salle ce soir. CIPPIC
est un chef de file en la matière. L’EFF, ainsi que plusieurs des groupes soutenus par
Industrie Canada lors des premières étapes – le Programme d'accès communautaire
(Community Access Program; cap.ic.gc.ca) – y ont contribué mais c’était marginal. Cette
directive, ou le rapport lui-même, a largement ignoré les aspects sociaux plus vastes de la
télécommunication et de son rôle au Canada. Nous étions donc les voix de l’extérieur. Je
crois que c’est là qu’il y a un grand manque au Canada, à comparé aux États-Unis, où le
débat est beaucoup plus mouvementé et où il y a des [?] plus ouvertes et une mobilisation
beaucoup plus importante.
Alors, que devons-nous faire? Comment pouvons-nous nous attaquer à cette situation de
propriété concentrée et de discussions insuffisantes du cadre réglementaire? D’abord,
bien évidemment, nous pouvons faire de la neutralité du réseau, des possibilités et des
visions associées à l’Internet et aux télécommunications en général, un réel sujet de
discussion au Canada. C’est pourquoi je pense que la conférence de ce soir est si
importante et si intéressante. Nous pouvons chercher d’autres alliés, pour ce combat. Aux
États-Unis, une très grande coalition a été créée, qui a donné lieu a des associations
inattendues, en termes des différentes allégeances politiques reflétées, allant d’extrême
gauche à l’extrême droite. La coalition a attiré plusieurs des éléments du monde des
affaires qui ne sont pas bien servis par une industrie des télécommunications très
concentrée, comme les petites entreprises de télécommunication et plusieurs entreprises
qui ont un besoin crucial de la télécommunication, qui paient des prix plus élevés, qui
obtiennent une flexibilité moindre, qui dépendent des fournisseurs existants et qui ont un
pouvoir de négociation diminué. La même chose pourrait se produire au Canada.
Je pense que nous devons mettre à jour le mythe des tendances du marché. C’est presque
une croyance religieuse, puisque, d’une manière presque magique, des avantages sociaux
pourraient découler de ce qui est essentiellement une situation d’oligopole, où seulement
quelques éléments contrôlent beaucoup de choses et ne sont pas sujet à la concurrence. Ils
ne se livrent pas à une guerre de prix entre eux, parce qu’elle ferait du tord à chacun. Ils
préfèrent créer un marché artificiel et le défendre ardemment. Je crois qu’Industrie
Canada pourrait tenir un rôle important, en tant qu’arbitre de l’intérêt public. Il semble
qu’ils ont adopté une vision très restreinte de leur mandat.
Le CRTC continue de jouer un rôle. Il voudra être associé au bureau de la concurrence,
ou traité comme l’un de ses prolongements et pourra ne considérer que les aspects de
concurrence du marché, sans se préoccuper des autres rôles sociaux que les
télécommunications peuvent jouer au Canada. Je pense que (cet organisme) doit être
revivifié, au Canada et qu’on doit lui conférer un mandat approprié à la société
numérique contemporaine, pour ne plus avoir à dépendre seulement des Telecom Act et
Broadcasting Act.
Nous pourrions forcer les compagnies de téléphone et de câblodistribution à se prononcer
sur la neutralité du réseau et les rendre responsables en les rendant plus ouverts. Nous
pourrions renforcer l’idée de la séparation des moyens de transmission, l’envoi et
l’émission des paquets de données, d’une part et des informations, d’autre part. Cette idée
fait partie de la tradition de réglementation des télécommunications et de d’autres
domaines. Ce n’est pas une idée désuète, elle est plus vitale que jamais.
Nous pourrions également penser à bâtir nos propres infrastructures, comme plusieurs
villes songent à faire, avec des réseaux sans fils et leurs propres câbles à fibres optiques.
C’est probablement la meilleure des nouvelles initiatives capables d’offrir une alternative
de télécommunication, puisque les villes ont intérêt à maintenir de bonnes infrastructures
de télécommunication, là où la densité permet de le faire efficacement.
J’aimerais aussi vous rappeler ce compte reporté de 650 millions $ que détient le CRTC
présentement, qui appartient aux utilisateurs de télécommunication du Canada et qui
pourrait être mieux utilisé à servir leurs intérêts à ce sujet, plutôt que de le renvoyer, par
petits montants, sous forme de chèques, à chaque individu ou que de laisser les
entreprises de télécommunications agrandir leur infrastructures.
Alors, j’espère vous avoir amené à réfléchir à la direction que nous prendrons et je serai
très intéressé à en discuter avec vous. Merci.
Pippa Lawson
Merci beaucoup Andrew. Ça nous a donné beaucoup à réfléchir. Notre prochain
conférencier, le dernier du comité de ce soir, est Michael Geist, le Chaire de recherche du
Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, à l’Université d’Ottawa. Il a
écrit plusieurs articles universitaires et des rapports gouvernementaux sur la loi sur
Internet. Il est chroniqueur sur les sujets de droit et technologies, comme beaucoup
d’entre vous le savent. Il s’exprime régulièrement par les média des cinq continents. Son
travail a été récompensé par plusieurs bourses et prix importants – je n’en ferai pas la
liste. Il fait partie des conseils de direction et des commissions consultatives de plusieurs
organisations pour la loi en ligne et les technologies de l’information – je n’élaborerai
pas. Il est souvent cité dans les média, au sujet de droit d’Internet. Il est un des rares
Canadiens à se prononcer publiquement sur la neutralité du réseau.
Michael Geist
Merci Pippa et merci aussi aux organisatrices, pour l’invitation. Je dois admettre que
quand j’ai appris que je devrais parler le troisième, sachant qui je suivrais, je n’étais pas
certain d’avoir quoi que ce soit de nouveau à apporter. Maintenant que j’ai entendu les
deux premiers conférenciers, je me dis que si quelque chose qui est survenu cet aprèsmidi n’était pas arrivé, je n’aurais plus rien eu à ajouter. Mais ce quelque chose est arrivé
et j’ai donc quelque chose à dire. Alors, cette présentation sera un peu différente de celles
que je donne habituellement. Il n’y a pas de diapos Powerpoint et je vais lire beaucoup
plus que je ne le fais normalement mais je crois que ce que je vais lire vaut la peine d’être
entendu.
Alors, il y a environ cinq ou six heures, j’ai été contacté par un journaliste de la Presse
canadienne, qui disait avoir obtenu accès à une requête d’information émanant
d’Industrie Canada et à des fiches pour la période des questions, des documents préparés
par le personnel du ministère, destinés au ministre Bernier, au sujet de la neutralité du
réseau. Quel bon moment pour recevoir cette information! Alors, il y a environ une heure
et demie, la nouvelle est sortie en ligne et on s’est mis à parler de ce que le gouvernement
dit à propos de la neutralité du réseau ou du moins de ce qu’il prévoit dire si la question
est soulevée durant [?] la période des questions, à la Chambre des Communes et des
choses qui ont été conseillées au Ministre Bernier par ses concepteurs de réglementation.
Je crois que ça peut être un sujet de lecture valable. Je dois dire que la documentation de
la période des questions se rapporte à l’épisode Vidéotron et ce n’est pas moi qui l’ai
obtenue, c’est ce journaliste qui me l’a envoyé.
Vidéotron est à l’origine d’un incident mentionné par Pippa et par d’autres. Si vous vous
rappelez, en novembre dernier, Robert Depatie, le président de Vidéotron a été cité dans
les média alors qu’il s’interrogeait sur la perspective de l’épouvante renouvelée quant aux
moyens de transmission d’informations qui pourraient affecter Vidéotron. Il y a des gens
au gouvernement qui ont pensé que ça pourrait faire l’objet de questions devant la
Chambre des Communes.
Voici d’abord la fiche pour la période des questions. Le plus intéressant est la
documentation sur le contexte. Une proposition de questions et réponses a aussi été
préparée pour le ministre. Alors, une question que les autorités gouvernementales
pensaient se faire poser est : est-ce que le ministre a l’intention de permettre aux
entreprises de télécommunications de déterminer le contenu auquel leurs clients peuvent
ou ne peuvent pas accéder en imposant des frais spéciaux, ce qui porterait atteinte à la
neutralité du réseau? Voilà la question. La réponse du ministère – et je vous donnerai [?]
– est : « l’Internet n’est pas réglementé au Canada. Il n’y a pas de réglementation qui
régisse la relation entre les fournisseurs de services Internet et les fournisseurs
d’information sur Internet. Il existe actuellement un débat considérable au sein de
l’Industrie à propos de ce qu’implique le plus grand rôle que joueront les entreprises de
télécommunication qui fournissent le réseau et les services Internet dans la détermination
du mode de livraison des informations sur Internet et des coûts ainsi engendrés, s’il y a
lieu. Le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications a traité de ce
sujet dans son rapport de mars 2006. Mon ministère continue d’examiner et d’évaluer les
recommandations qui ont été faites dans ce rapport, incluant celles au sujet de la
neutralité du réseau. » La réponse standard de la Chambre des Communes, qui ne dit pas
grand’chose.
La documentation qui a été incluse sur la fiche pour la période de questions contient
l’énoncé suivant : « Les entreprises canadiennes de télécommunication, comme Bell et
Telus, sont de plus en plus déterminées à jouer un plus grand rôle dans le mode de
transmission d’information sur Internet. En tant que transmetteur d’informations, ils
croient qu’ils devraient agir comme gardien de l’information, avec la liberté d’imposer
des frais en échange de ce rôle. » Voilà un ministre qui a été breffé précisément sur ce
sujet. La fiche note également que « il y a un débat important aux États-Unis à propos de
la relation entre les fournisseurs d’information et les fournisseurs de services Internet.
L’été dernier, les entreprises de télécommunication ont réussi à démanteler une loi sur la
neutralité du réseau, qui spécifiait que les fournisseurs d’infrastructures matérielles ne
pourraient influencer les informations et les services qui circulent sur leurs réseaux. Le
Congrès travaille présentement à revoir cette décision. Cette question soulève le
problème complexe de l’intérêt et des avantages, pour les consommateurs et les
entreprises. Ce serait prématuré de tirer des conclusions, à ce moment. » Alors, même
pendant la période de questions, il est certain que le ministre est breffé très clairement sur
ce que pourrait être les intentions de joueurs tels que Bell et Telus.
Je crois que les deux autres documents sont encore plus intéressants : un document de
breffage intitulé : « The Net Neutrality Debate » et un document de question et réponses
qui a été remis au ministre et duquel je parlerai dans quelques minutes. D’abord, je dois
le dire, le « Net Neutrality Debate » contient, selon moi, des nouvelles décourageantes, en
ce qui concerne la présentation des choses par certains, au gouvernement. Le document
est présenté comme capable de fournir ce que j’aurais pensé être une approche équilibrée
ou égalitaire du sujet du débat. Il comprend plusieurs manchettes : « La neutralité du
réseau selon le cadre réglementaire public », « le point de vue des fournisseurs de
services Internet et des entreprises de télécommunication », « le point de vue des
militants pour la neutralité du réseau ». Il donne l’opinion du Groupe d’étude sur le cadre
réglementaire des télécommunications, puis ce sont les « Recommandations et prochaines
étapes ». Je crois que c’est la « Neutralité du réseau selon de cadre réglementaire public »
qui est la plus révélatrice, car c’est là qu’on s’attendrait à voir mis en évidence toute une
panoplie de points de vue, avec les cadres réglementaires en perspective. Je vous lirai
seulement un paragraphe et je crois qu’il deviendra apparent que ce n’est pas le cas. Ça
dit : « Il a été soutenu que la création d’une réglementation de l’Internet qui maintiendrait
l’égalité dans la transmission de données pourrait contrarier le marché de la concurrence.
Si les consommateurs préfèrent des applications Internet qui demandent une plus haute
qualité de transmission de données et une plus grande fiabilité, des législations rigides de
neutralité du réseau pourraient empêcher ses innovations de voir le jour. De plus, les
fournisseurs d’information pourraient vouloir négocier des arrangements avec les
entreprises de télécommunication afin de s’assurer qu’une quantité appropriée de bande
passante est disponible pour les applications qu’ils souhaitent offrir, comme des
applications médicales, la télévision à haute définition, etc.
L’autre côté de la médaille est que de donner la priorité à certaines informations risque de
créer de la discrimination envers les petits fournisseurs d’informations et de mener à un
Internet à plusieurs niveaux. Notez également que des modèles d’entreprises ont déjà
essayé de limiter l’accès du consommateur à de l’information et ont échoué, par exemple
AOL, Compuserve, connus comme des « jardins clos » (walled gardens), alors les
fournisseurs de services Internet sont peu enclins à le faire. Enfin, le débat soulève la
question du modèle d’entreprises pour l’investissement dans les infrastructures de réseau.
Certains disent que, sans traitement préférentiel, il n’y aurait pas d’incitation à défrayer
les véritables coûts, ce qui amènera une situation de sous-investissements. » Ça ne fait
pas partie des manchettes de ce que les entreprises de télécommunication… [changement
de batterie dans la caméra] ont présenté. Pourtant, les entreprises de télécommunication et
les fournisseurs de services Internet seraient clairement enchantés de cette discussion.
D’ailleurs, juste en dessous se trouve une discussion du point de vue des fournisseurs de
services Internet et des entreprises de télécommunication, et juste après, ce que disent les
militants de la neutralité du réseau. Mais aucun d’eux ne dit quoi que ce soit de
surprenant, à part le fait que, si on exclu l’incident Telus, il n’y a aucun autre incident que
Pippa a souligné et que d’autres ont souligné, qui a été soumis à l’attention du ministre à
ce sujet. Alors, Telus est désigné comme un exemple de discrimination de contenu; rien
n’est mentionné à propos de la discrimination des applications, ni à propos de la
discrimination économique, ni à propos des autres gammes de sujets.
Il y a une note à propos de la position du Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des
télécommunications, qui cite directement l’opinion de ce groupe, et je crois que ça vaut la
peine de la citer ici. Nous y avons fait référence mais nous n’avons pas dit
spécifiquement ce qu’il recommandait. « Le Telecommunication Act devrait être modifié
selon leur choix par tous les réseaux publics de télécommunication qui fournissent un
accès à Internet. Cet amendement devrait, avec des clauses conditionnelles, (a) autoriser
le CRTC à administrer et à faire respecter ces droits d’accès des consommateurs, (b)
prendre en considération toute contrainte technique raisonnable et toute considération
d’efficacité reliée à l’obtention de cet accès et (c) être sujet à des contraintes légales
quant à un tel accès, comme celles établies dans les lois de télédiffusion, de droit d’auteur
et de droit criminel. »
Finalement, les recommandations et les prochaines étapes : « Il serait prématuré
d’adopter une position sur la neutralité du réseau ou même sur sa définition, en ce
moment. Nous devrions simplement continuer de surveiller les développements
domestiques et internationaux. L’Internet évolue si rapidement qu’il faut faire preuve de
prudence dans toute intervention. Comme avec les autres sujets reliés au cadre
réglementaire d’Internet, le principe premier devrait être de ne pas nuire. » Il y a une
deuxième référence au fait que le gouvernement travaille à produire un article qui
examinera un registre des sujets possibles et des différents scénarios, qui sont [?]. Ça fait
partie du document sur le contexte.
Le plus révélateur, peut-être, est un document sur les « questions et réponses sur la
neutralité du réseau », daté du 16 novembre 2006. Il y a quatre questions et j’en lirai trois
des quatre. La première : « Prévoyez-vous permettre aux entreprises de
télécommunication [et ceci provient directement de l’histoire de Vidéotron] de
déterminer les informations auxquelles les consommateurs peuvent ou ne peuvent pas
accéder, en imposant des tarifs spéciaux qui saperaient la neutralité du réseau? » La
réponse est exactement la même que celle présentée dans la fiche de la période des
questions, que j’ai lu il y a un instant, alors je ne la répéterai pas. Je crois que les trois
autres sont intéressantes.
« Que répondez-vous aux commentaires des fournisseurs de services Internet, comme
Robert Depatie, de Vidéotron, qui avancent que la capacité de contrôler, de prioriser ou
de bloquer des transmissions spécifiques de données est nécessaire, afin d’assurer la
qualité du service et d’encourager les investissements dans les réseaux à bande large et
dans le déploiement d’informations? » La réponse fournie au ministre est la
suivante : « En ce moment, il existe un large éventail d’arrangements contractuels entre
les fournisseurs de services Internet et les fournisseurs de services en ligne et toutes
sortes de mesures techniques qui affectent la forme du trafic sur Internet ont été mises en
place par les fournisseurs de services Internet. Certaines de ces mesures techniques
servent à s’assurer que l’utilisation intense faite par certains utilisateurs ne limite pas
injustement l’accès des autres utilisateurs. D’autres mesures font en sorte que la capacité
appropriée reste disponible pour supporter la vidéo et d’autres applications qui accaparent
l’infrastructure du réseau. À plusieurs égards, ces mesures répondent aux demandes du
marché. Le gouvernement suit les discussions actuelles dans l’industrie, à propos de la
neutralité du réseau. Il ne serait pas approprié de commenter le point de vue d’une
compagnie en particulier. »
« Est-ce conséquent [ou du moins, les actions de Vidéotron] avec les recommandations
faites par le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications? » La
réponse : « le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications a
considéré cet aspect dans son rapport de mars 2006. Ses recommandations favorisaient le
maintien de l’accès des consommateurs aux applications Internet publiquement
accessibles et aux informations de leurs choix à travers tous les réseaux de
télécommunication publics qui fournissent un accès à Internet. Mon ministère continue
d’examiner et d’évaluer les recommandations qui ont été faites dans ce rapport, incluant
celles au sujet de la neutralité du réseau. »
Alors, « quelle est votre position quant à la neutralité du réseau? » - la dernière question,
la dernière que je lirai. Ils entrent enfin dans le vif du sujet. « Il y a beaucoup de
discussions à propos de la neutralité du réseau mais personne ne s’accorde sur ce que ça
veut vraiment dire, ni sur les actions que le gouvernement devrait poser en ce sens, ni
même s’il devrait agir en ce sens. Les tendances du marché ont bien servi les canadiens
quant à l’Internet. Les cadres réglementaires publics doivent considérer plusieurs aspects
de ce vaste sujet, incluant : (a) le choix et la protection du consommateur, (b) la
possibilité pour les tendances du marché de continuer à façonner le plus possible
l’évolution de l’infrastructure Internet, de ses investissements et de ses innovations. En ce
moment, il serait prématuré d’adopter une position sur la neutralité du réseau [même si,
franchement, on dirait bien qu’ils viennent de le faire!]. L’Internet évolue si rapidement
qu’il faut exercer une grande prudence avant d’interférer avec les tendances du marché. »
C’est la documentation gouvernementale que cet (ATIP) a trouvée et, de mon point de
vue, quand on parle de ce qu’on devrait faire, une partie de l’équation doit comprendre la
position de ce ministre et de certains membres du gouvernement, qui est de ne pas bouger
en ce sens. Si c’est là la position du nouveau gouvernement du Canada, nous devrions y
penser un peu et être prêt à donner des réponses très directes. Pippa a souligné que ce
comité n’est pas bien équilibré. Il me semble que si on regarde ce qui se passe au
gouvernement, on voit bien que ce n’est pas un gouvernement bien équilibré pour juger
de ce sujet et que ce n’est pas un débat équilibré. Nous ne devrions pas regretter que notre
comité ne représente pas tous les points de vue de toutes les parties prenantes. Il m’est
apparent que certaines parties prenantes ont très bien réussi à faire valoir leurs points de
vue devant le gouvernement et que la politique gouvernementale interne les reflète.
En ce qui concerne l’attitude « attendons et nous verrons » du ministre, elle semble
clairement inutile, en ce moment. Il existe, en considérant ce que disait Ren, un besoin de
considérer ce qui serait le plus approprié en termes d’actions à poser. Mais de dire
« attendons et nous verrons », c’est de nier ce que Pippa et Andrew et tant d’autres ont
déjà décrit. C’est très clair, d’après ces incidents, qu’il y a plus d’incidents dans ce pays
qu’il n’y en a aux États-Unis.
J’aimerais aussi vous présenter la possibilité d’agir maintenant, en dépit de ce que je
viens de vous lire. Si on regarde la fusion d’AT&T/BellSouth, on voit que la commission
fédérale des communications a été capable d’en tirer certaines conditions concernant la
neutralité du réseau, bien qu’elles soient relativement faibles et limitées dans le temps. La
réalité est que, du point de vue d’AT&T, une fusion de plusieurs milliards de dollars ne
devrait pas être empêchée pour des raisons de neutralité du réseau. Pensez à ce qui arrive
maintenant, avec le présent gouvernement, où il y a un ministre de l’industrie qui est
étrangement concentré sur la réforme des télécommunications ou plutôt sur ce qu’on
devrait appeler la déréglementation dans les télécommunications. C’est la médaille d’or
pour Bell et Telus. La possibilité d’atteindre ce niveau de déréglementation ne sera pas
anéantie par l’arrivée de conditions de neutralité du réseau. La possibilité de renforcer ces
conditions n’a jamais été aussi bonne, puisque nous allons bientôt déréglementer et elle
n’a jamais été aussi importante, puisqu’une fois que nous aurons déréglementé, la
possibilité d’amener ces conditions sera perdue pour de bon.
L’argument voulant que le marché va régler cette question a été démoli par Andrew, qui a
démontré qu’il n’y a pas de véritable concurrence. Vous n’avez pas besoin de ses
somptueux graphiques pour le réaliser, nous le savions tous. Pour ceux qui ont adopté
Rogers comme fournisseur, vous avez reçu une note au cours des dernières semaines,
disant que les prix pour l’accès Internet haute vitesse vont encore augmenter, pour la
seconde fois de l’année. En fait, c’est ce qu’avait dit Rogers à une conférence
d’investissements et à un groupe d’experts investisseurs il y a juste un peu plus d’un an –
qu’ils avaient une grande « élasticité au niveau des prix » qui faisait qu’ils pouvaient
augmenter leurs prix sans grandes difficultés et c’est justement ce qu’ils ont fait.
Une chose dont nous n’avons pas parlé ce soir va au-delà de la saine concurrence. C’est
le déplorable manque de transparence, qui est aussi grave que l’absence de concurrence.
Je suis un client de Rogers et je ne sais pas s’ils font du paquetage (package-shape) – ou
plutôt, je sais qu’ils font du paquetage mais je ne le saurais pas si je ne me basais que sur
la documentation qu’ils fournissent. En fait, depuis très longtemps, Rogers a nié se livrer
à ces agissements et ce n’est qu’après une période de temps considérable qu’ils ont
finalement admis avoir adopté cette pratique. Alors, s’ils veulent annoncer leur
formidable accès à haute vitesse et leurs services extrêmes, ils devraient également se
soumettre à des exigences de transparence et dévoiler précisément quelles seront les
limites du type de services fournis.
Enfin, cette idée que nous ne pouvons pas définir ce qu’est la neutralité du réseau est
fausse. Nous avons déjà entendu quelques définitions de la neutralité du réseau et bien
qu’elles varient un peu, le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des
télécommunications nous en fourni une autre. Les conditions d’AT&T nous en
fournissent aussi une autre : « AT&T/BellSouth s’engage à maintenir un réseau neutre et
un routage neutre dans son service de lignes d’accès Internet à large bande. Cet
engagement sera respecté par l’accord d’AT&T/BellSouth de ne pas fournir ou vendre à
des fournisseurs Internet d’informations, d’applications ou de services, incluant ceux
affiliés à AT&T/BellSouth, quelque service que ce soit qui privilégierait, dégraderait ou
donnerait la priorité à quelque paquet de données que ce soit, transmis à travers le service
de lignes à large bande d’accès Internet d’AT&T/BellSouth, quant à sa source, son
appartenance ou sa destination. » Il existe donc des définitions avec lesquelles nous
pouvons travailler. Il y a des inquiétudes actuellement, comme nous l’avons vu et il
semble que le gouvernement ne les écoute pas.
Je crois qu’il est temps que la communauté commence à s’exprimer sur ce sujet, pour que
le gouvernement se mette à écouter. Si ce n’est pas le nouveau gouvernement qui s’y met,
au moins les partis d’opposition pourraient le faire, car ils formeront peut-être, un jour, le
nouveau gouvernement du Canada - ou l’ancien gouvernement du Canada, selon le
slogan qu’ils adopteront. Merci beaucoup.
Pippa Lawson
Merci pour cet appel enthousiaste à l’action, Michael! Je regarde dans l’assistance et je
peux voir plusieurs personnes qui pourraient facilement s’adresser à l’auditoire avec le
reste du comité de ce soir, car elles ont l’expertise et les connaissances nécessaires et
qu’elles ont beaucoup réfléchi à se sujet. Je veux leur donner la parole. Est-ce que nous
avons un micro? Seulement celui-là?
Oui, Russell?
Auditoire 3
Je parlerai suffisamment fort sans microphone. Trois questions très rapides qui appellent
de longues réponses. Bill [St-Arnaud] n’est pas ici, alors j’espère que l’un de vous trois,
ou même tous les trois, pourra dire ce que Bill aurait dit. Il y a bien des conversations qui
concernent le « dernier kilomètre » et il parle beaucoup de « fibre optique à domicile »
(fibre to the home), des condos nouvellement construits et plus récemment, du concept de
« réseaux à haut-débit verts ». Alors, si c’était possible d’en parler, ce serait de bons
sujets.
Chaque fois qu’il y a une alternative qui se présente, par exemple le réseau municipal
sans fil, automatiquement, les géants de la télécommunication essaient de traîner les
municipalités devant la justice, en disant : « vous ne pouvez concurrencer le secteur
privé ». Alors, soit qu’on est en face de monopoles, soit que les alternatives se retrouvent
devant les tribunaux. Comment allons-nous régler ces problèmes d’action en justice?
J’aimerais savoir qui sont les auteurs des notes de breffage d’Industrie Canada, parce
qu’il serait intéressant de connaître le nom de ses personnes, afin de trouver d’où ils
viennent, dans [?] Industrie Canada.
Pippa Lawson
Bill nous a envoyé un court courriel que je vais vous lire. Bill devait être notre quatrième
conférencier ce soir. Il est le directeur principal du département Advanced Networks de
CANARIE, qui, comme le savent plusieurs d’entre vous, est l’organisation canadien pour
le développement de l’avant-garde d’Internet. Il agit comme responsable de la
coordination et de l’implémentation au Canada de la prochaine génération de fibres
optiques pour Internet, appelé CA Net 4. Il est ingénieur et un expert international
reconnu. Il n’a pas pu venir ce soir car il est coincé à Chicago, où il a donné une
conférence.
Alors, si vous me le permettez, je vous lirai ce qu’il avait à dire. Russell a raison, c’est
dommage qu’il ne soit pas là, parce qu’il a de bonnes idées, qui sont présentement en
train de se réaliser, à Ottawa.
« Quels sont les vrais enjeux de la neutralité du réseau?
C’est construire et payer pour la prochaine génération de réseau du dernier kilomètre , ce
qu’on considère être la fibre optique à domicile [FTTh]. Les entreprises de
télécommunication déclarent avoir besoin d’un assouplissement réglementaire, afin de
justifier le dossier commercial qui prévoit la construction de tels types de réseaux. Ils
espèrent surtout augmenter leurs revenus en offrant des services non neutres de qualité
supérieure, soit d’eux-mêmes, soit en exigeant paiement d’un tiers.
Plusieurs personnes se questionnent quant à savoir si c’est un dossier commercial viable,
qu’il y ait ou non une législation sur la neutralité du réseau. Plusieurs analystes de Wall
Street ont dit que les entreprises de télécommunication devraient oublier l’idée de faire de
l’argent avec les services de qualité supérieure. Leurs actionnaires obtiendraient un
meilleur rendement si les entreprises de télécommunication se concentraient sur la
réglementation. L’orgueil des gestionnaires de télécommunication ne connaît pas de
bornes et les actionnaires ont plus d’influence qu’un organisme de réglementation ou une
agence gouvernementale.
À mon avis, le défi est de trouver de nouveaux modèles d’entreprises, qui encouragent le
secteur privé à construire la prochaine génération de réseaux du dernier kilomètre, qui ne
seront pas encombrés par tous les services et fonctions ridicules des télécommunications.
Nous avons proposé quelques modèles. Ce n’est peut-être pas la bonne réponse mais
l’important est que les gouvernements et les organismes de régulation facilitent l’entrée
sur le marché d’entreprises débutantes, afin d’explorer de nouveaux modèles d’entreprise.
Nous avons proposé deux modèles possibles : le dernier kilomètre appartenant au
consommateur et la bande large verte [que Russell mentionnait], où les coûts de
l’infrastructure du dernier kilomètre passent dans la facture d’électricité/gaz [ et
j’imagine, de telle façon que vous pourrez trouver avantageuse pour l’environnement].
Nous proposons de piloter ces concepts à Ottawa, c’est pourquoi nous avons besoin du
support et de l’intérêt de la communauté. Ce serait une première mondiale et ferait
d’Ottawa le chef de file en la matière. »
Alors, c’était Bill St-Arnaud, de CANARIE. Peut-être y a-t-il des gens dans la salle qui
pourraient parler de ces sujets plus en détails et répondre à la question de Russell plus
longuement. Chers conférenciers, avez-vous autre chose à répondre à Russell?
Andrew Clement
C’est dommage que Bill ne soit pas là, car c’est un expert merveilleux sur ce sujet, qui
fait depuis longtemps la promotion de l’idée de la « fibre condominium », par exemple,
pour une ville, de fournir de la fibre optique aux écoles et aux autres installations
publiques et grâce aux immenses capacités des fibres optiques et parce qu’elles
passeraient à proximité dans la communauté, une bonne partie de la population pourrait
avoir accès à une alternative, avec un réseau fédérateur de très grande capacité qui
durerait des décennies et ferait avancer les choses. La notion de bande large verte, je ne
peux qu’en dire ce que j’en ai lu sur ses diapos, qui sont sur le site de CANARIE.
Pippa Lawson
Il a son propre site. Si vous entrez « Bill St-Arnaud » dans un moteur de recherches, vous
trouverez son site. Toutes ses présentations y sont.
Andrew Clement
Ce que j’en ai compris, c’est qu’il a perdu espoir que les entreprises de
télécommunication s’en chargent. Par contre, les services publics, le gaz et l’hydro en
particulier, comme ils possèdent déjà leurs équipes de travailleurs, qui doivent pouvoir se
rendre à chaque domicile, pourraient installer de la fibre optique et l’inclure dans leurs
facturations. Il a des projets délirants d’arbitrage dans la fixation à l’avance des prix de
l’énergie et [?] le coût marginal de la fibre optique intégrée, particulièrement en Ontario,
grâce au programme Smart, qui a reçu du gouvernement provincial le mandat de
remplacer d’ici 2010 tous les compteurs d’électricité domestiques par des compteurs
intelligents, qui peuvent enregistrer la quantité d’énergie consommée en fonction de
l’heure. L’une des façons de s’en charger est d’utiliser efficacement différents types de
liaisons, qui pourraient également se charger d’aller installer la fibre optique. Bien sûr,
c’est beaucoup plus exigeant que de simplement relever un compteur mais ce serait tout
de même possible. Bill pense que c’est quelque chose de très compliqué; ils n’ont pas
encore trouvé le moyen et il se peut qu’il ait raison. Je crois qu’il existe plusieurs options
et que les gouvernements municipaux et les municipalités, qui y ont tout intérêt,
pourraient y jouer un rôle majeur. Ils peuvent faire beaucoup de choses. Contrairement
aux États-Unis, où il y a des interdictions légales, dans certains états, à propos des
édifices municipaux, surtout pour le sans-fil, au Canada, il n’existe (au moins) pas de
telles restrictions légales, bien que les avocats soient toujours là, dans le portrait. Des
villes courageuses, comme Fredericton, l’ont fait et elles ont réussi à plusieurs égards.
Michael Geist
[après le changement de vidéocassette, Geist dit tout simplement que ce n’est pas
important de savoir qui a écrit les notes de breffage]
… mais je dirais que les documents eux-mêmes proviennent de la Direction générale de
la politique des télécommunications d'Industrie Canada
Ren Bucholz
Je crois que la seconde question était sur ce qu’il faut faire avec les entreprises de
télécommunication ou les fournisseurs de services Internet qui veulent poursuivre devant
les tribunaux les municipalités qui déploient leur propre réseau local sans-fil WiFi. Ça
dépend beaucoup du type de déploiement. Ça dépend des titres juridiques (legal claims)
et de la juridiction dont on parle. C’est vrai qu’au Canada, nous n’avons pas le même
type de barrières mais aux États-Unis, ça dépend de si c’est la municipalité elle-même qui
fait de la concurrence en déployant un service, ou si c’est un groupe communautaire, par
exemple, qui déploie un service pour concurrencer les entreprises de télécommunication.
Je crois que la façon de combattre ce phénomène, ce sera de se battre dans l’arène de la
perception du public. Ça paraît mal d’agir comme ça, de la part des entreprises de
télécommunication. En fait, ça a l’air de ce que c’est : une tentative effrontée de défendre
un monopole. Alors, je crois que si les gens … [coupé]
Pippa Lawson
Prochaine question.
Auditoire 4
Je travaille pour Industrie Canada et vous pouvez croire ce que vous voulez à propos de
ça. Je veux juste renchérir sur ce dernier point. Au Canada, nous avons juridiction au
niveau national, par opposition aux réglementations à deux niveaux des États-Unis.
Alors, une province comme l’Ontario ou le Québec ne peut promulguer une loi qui
interdirait à une municipalité de faire ça, du moins c’est ce que j’en comprends. Je n’ai
jamais entendu parler d’une telle poursuite au Canada. Le problème qui pourrait survenir,
au bout du compte, est que si une municipalité, ou une entreprise de services publics
comme une compagnie de gaz ou d’électricité, fini par se lancer dans le déploiement de
fibre optique, est-ce qu’elle tiendra en ligne de compte [?] entreprises de
télécommunication, telles que définies dans le Telecommunications Act et doit-elle avoir
son propre cadre réglementaire? Si c’est trop ésotérique pour cet auditoire, je serais
heureux (se) de discuter de ce sujet « hors ligne ». Je n’ai pas la bonne réponse.
Heureusement, le problème ne s’est pas encore présenté. Michael, tu veux commenter?
Pippa Lawson
Je crois que nous avons une réponse, là, derrière.
Auditoire 5
La réponse est oui. [rires] Ce qu’ils ont fait est qu’ils ont mis sur pied des compagnies
séparées pour faire leurs opérations de télécommunication.
Auditoire 4
Mais le CRTC peut choisir de s’abstenir.
Auditoire 5
Ils l’ont fait.
Auditoire 4
Ils ont toujours le choix de le faire.
Auditoire 5
Oui, ils l’ont déjà fait.
Pippa Lawson
Il y a une question là, derrière Russell.
Auditoire 6
Je n’ai rien entendu sur le Libertel de la Capitale nationale. Je sais qu’il est petit mais
plus ils offriront de services, plus nous aurons de chances d’avoir une alternative aux
grosses sociétés. Moi, comme vous, j’étais cliente de Rogers, à 49$ pour mon service
Internet. J’en suis maintenant à 31$ avec le Libertel de la Capitale nationale, alors, plus
ils seront enfoncés dans la tête du public, le mieux ce sera.
Pippa Lawson
Et leur vitesse est bonne, je crois. [des personnes dans l’auditoire acquiescent] Quelqu’un
veut donner des détails sur ce qu’on peut bénéficier du Libertel de la Capitale nationale?
Auditoire 3
Ce sont les lignes de Bell, par contre. Ils sont tributaires des même lignes que Bell. C’est
toujours Bell/Rogers/Ottawa Telecom, vous savez…
Auditoire 5
J’ai une opinion, puis une question à formuler. L’opinion, c’est un peu plus tôt, à propos
des raisons qui font que nous n’avons pas de débat au Canada. Je crois qu’une des raisons
qui font que nous n’avons pas ce débat au Canada, c’est parce que Google n’est pas ici
pour en débattre et que Microsoft n’est pas ici pour en débattre. Nous devrons être
réalistes en considérant qui sont les joueurs et quels sont leurs intérêts. Ici, au Canada, ces
grosses banques d’informations, vous savez, les gens qui ont des intérêts à considérer le
côté « neutralité du réseau » des choses, ils n’ont pas de présence. Alors, il ne reste que
les autres, qui ont grand intérêt à en faire un cas. Nous n’avons pas les intérêts de ces
grosses sociétés pour en faire un cas.
L’autre chose, c’est que, tout en croyant sincèrement que la neutralité du réseau est une
chose très importante, je serais intéressé(e) d’entendre les opinions ou les points de vue
sur le fait qu’on se concentre sur l’Internet et non sur les infrastructures. Ou plutôt, c’est
un peu sur les infrastructures mais quand je parle de ça, je pense à quand Shaw offre un
service téléphonique, qui utilise la voix sur protocole IP, un service téléphonique avec
voix sur IP, ça ne touche pas l’Internet. Lorsque Rogers le fait, ça ne touche pas
l’Internet. Les compagnies offrent des choses qui se basent sur le protocole IP mais elles
n’utilisent pas Internet. Alors, de plusieurs façons, ils ne concurrencent pas Vonage, au
sens où ils ne concurrencent pas avec un service sur Internet. L’autre aspect de ça est
aussi en rapport avec leur infrastructure. Lorsque Rogers offre un service de vidéo à la
demande (VOD), il ne le fait pas par Internet. Lorsque Rogers offre son service de
câblodistribution, il ne le fait pas sur Internet. Alors, je crois qu’il est important de
comprendre de quoi on parle, on parle d’infrastructures qui sont subdivisées et dont
seulement une partie de la capacité est vouée à Internet. La question devient alors plus
large, puisque les propriétaires de l’infrastructure ont le droit de le faire et qu’ils le font.
Nous devons nous demander si la solution à ces problèmes passe par la réglementation
sur la neutralité du réseau ou si une approche plus fondamentale est nécessaire, qui
reviendrait à diversifier les infrastructures. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est
plus d’infrastructures. À cet égard, je crois que nous devons nous demander à qui
appartient la gamme? Qui achète la gamme qui pourrait concurrencer le câble fixe
(wireline)? Je crois que nous connaissons tous la réponse. Ce n’est pas un troisième
joueur nouveau dans le paysage. [pause] Je crois que c’était une question. [rires]
Andrew Clement
Sur ce dernier point, l’achat de la gamme, plusieurs municipalités se plaignent que
lorsqu’elles essaient de fournir des services Internet au niveau municipal, même pour la
sécurité publique et pour leurs propres opérations, elles ne le peuvent pas, surtout parce
que les entreprises de télécommunication ont acheté toute la gamme de technologies
d’accès WiMAX disponibles qu’elles n’utilisent pas toute pour offrir leurs services.
D’une certaine façon, elles font ce qu’on appelle de l’occupation illégale de gamme
(spectrum squatting) puisque si elles la développaient, ça saperait leurs affaires mais elles
veulent garder les autres joueurs hors du coup. Voilà une autre chose dont Industrie
Canada devrait s’occuper, puisque Industrie Canada les réglemente. En élargissant la
gamme et en s’assurant que ceux qui la possèdent l’utilisent de façon efficace, ça
donnerait un bon coup de main pour la construction des autres aspects de l’infrastructure.
Vous marquez un bon point quand vous dites que ce n’est pas simplement l’Internet en
soi que nous devons examiner mais tout l’éventail de composantes de cette infrastructure.
On doit les considérer conjointement, comme quelque chose de vital pour l’intérêt public.
Michael Geist
En fait, je voulais faire écho à votre premier point. Lorsqu’on a parlé du manque de
réglementations au niveau de l’infrastructure, je me suis dit que ça s’étendait au-delà de
la capacité à réglementer. Ça touche au fait que plusieurs des compagnies que vous avez
mentionnées et qui ont joué un rôle aux Etats-Unis ne sont pas présentes au Canada, ce
qui pose un gros problème, pas simplement pour la neutralité du réseau mais sur les droits
d’auteur, un autre domaine où certaines des entreprises électroniques qui sont très actives
aux États-Unis le sont beaucoup moins ici. En ce sens, c’est triste d’être Canadien. Nous
n’avons pas ici d’entreprises qui soient très actives. En même temps, si on regarde les
coalitions de neutralité du réseau, bien que Google joue un rôle clé dans le financement
de cette lutte, ils ne sont pas les seuls. Des associations de bibliothèques et d’autres
organismes jouent également un rôle. Je crois qu’il est important pour les associations
canadiennes qui sont ici de commencer à s’exprimer, parce que je crois qu’elles font
partie de ceux qui devraient démontrer un vif intérêt pour le sujet et qui ont la capacité
d’essayer d’entrer dans la bataille. En parlant avec plusieurs des grands joueurs des ÉtatsUnis de la possibilité qu’ils percent le marché canadien, j’ai cru comprendre qu’ils étaient
ouverts à l’idée, particulièrement s’il y a possibilité de faire avancer la cause de la
réglementation au pays, même si ce n’est que pour donner un exemple qui pourrait être
suivi dans d’autres juridictions. Alors, pour citer Kevin Costner dans le film « Field of
dreams » : « si nous le bâtissons, ils viendront. » Je crois que nous devons d’abord le
bâtir.
Ren Bucholz
J’allais dire qu’on a beaucoup parlé de l’intérêt des grandes sociétés, des fournisseurs
d’information d’un côté et des propriétaires de l’infrastructure Internet de l’autre et pour
donner une meilleure vue d’ensemble des actions militantes aux États-Unis, dans les
dernières années. Je crois qu’il est très important de noter qu’ils ont une grande
composante de base qui reçoit beaucoup de fonds et beaucoup d’énergie. Alors, bien que
nous n’ayons pas autant de sociétés domestiques qui fournissent de l’information, nous
avons les ressources nécessaires pour mettre sur pied des groupes dans le genre des
« FreePresses » et des « MoveOns » et des autres types d’ONG et d’organisations
politiques étasuniennes qui ont grandement contribué à amener le débat au niveau
populaire. J’aimerais donc soulever ce point; nous avons tout ce qu’il faut pour amorcer
ce mouvement, dans une salle comme celle-ci, ce soir.
Pippa Lawson
Je peux peut-être répéter ce que Sabina a dit, au début de la soirée. Il y a des feuilles, à
l’arrière et s’il y a des gens, dans la salle ce soir, qui sont intéressés à travailler sur le
sujet, du point de vue du public, ils peuvent les signer. Certains d’entre nous
rassembleront ces noms et coordonnées et nous essaierons d’organiser quelque chose.
Andrew Clement
J’ai oublié de parler un peu de l’Alternative Telecom Policy Forum. Ma collègue Marita
Moll, qui a agit comme secrétaire de cette séance, à laquelle plusieurs d’entre vous ont
participé, a examiné les recommandations du Groupe d’étude sur le cadre réglementaire
des télécommunications et nous en avons fait quelques-unes de notre cru. Aujourd’hui,
nous avons envoyé une lettre au ministre de l’Industrie, dont nous avons apporté quelques
copies. Alors, Marita, si tu veux les distribuer… ou préfères-tu en parler?
Marita Moll
Je crois que je vais simplement les laisser sur la table, à l’arrière et les gens pourront les
prendre en sortant. C’est une lettre adressée à Bernier, à propos des recommandations de
l’Alternative Telecom Policy Forum et qui contient des recommandations au sujet de la
neutralité du réseau.
Auditoire 7
Premièrement, si vous êtes vraiment inquiets à propos de l’accès des consommateurs aux
informations de leur choix, il me semble que la plus grande barrière, au Canada, n’est pas
les entreprises de télécommunication ou les compagnies de téléphone et de
câblodistribution mais le CRTC. Le CRTC détermine ce que nous pouvons regarder et ce
que nous ne pouvons pas regarder en imposant des limites à certaines informations.
Alors, si vous pensez que les tendances du marché vont bloquer l’accès à certaines
informations, vous devriez voir ce dont la réglementation est capable. Deuxièmement (et
j’aurai deux autres opinions à formuler), j’ai souvent entendu que les innovations
concernent la périphérie du réseau et non le réseau lui-même. Durant les derniers 25 ans,
si on regarde les innovations majeures, la digitalisation, les fibres optiques et le
multiplexage de ces fibres, les cellulaires et l’utilisation de la bande sans-fil, ce sont
toutes des choses qui ont lieu sur le réseau. Nous ne savons pas ce que seront les
innovations de demain. Concerneront-elles la périphérie ou le réseau lui-même? Ne
croyez pas qu’elles concerneront nécessairement la périphérie. Elles pourraient concerner
le réseau. Rapidement, le troisième point est que Pippa, tu as parlé du modèle des
entreprises de télécommunication. Au cours des années, le modèle des entreprises de
télécommunication a été marqué par les discriminations tarifaires, par le traitement
discriminatoire des agences de transmission et des utilisateurs. C’était le seul moyen de
compenser pour les frais fixes. Les chemins de fer avaient une échelle de classification de
la marchandise. Les tarifs étaient très différents, selon le type de marchandise. Les
compagnies de chemin de fer et les organismes de réglementation surveillaient
étroitement le contenu des wagons. Et si vous examinez le passé des entreprises de
télécommunication, la discrimination, pour le même service, selon le milieu, rural ou
urbain, commercial ou résidentiel, est toujours là. Citez une discrimination et vous verrez,
elle est là. Si vous pensez qu’en créant une réglementation, vous éliminerez la
discrimination, je crois que vous avez tord, parce que vous créerez la tendance inverse.
Michael Geist
J’aimerais répondre à votre avis sur le CRTC. Le CRTC est peut-être bon pour jouer le
rôle du Bonhomme Sept-heure mais je crois que ce n’est pas la bonne cible, dans ce casci. La décision « New Media » nous a bien très servi, en particulier lorsqu’on parle des
informations sur Internet. Ça vaut la peine de regarder le rapport de diffusion, remis par
le CRTC à la fin décembre, en réponse à demande de Bev Oda. En fait, ce qu’on trouve
quand on regarde les différentes soumissions, c’est qu’il y a une très forte pression sur le
CRTC pour qu’ils repensent la décision « New Media », pression exercée d’une part par
des groupes comme la SOCAN et d’autres, qui voudraient trouver des façons de
réglementer la quantité d’informations en ligne au Canada, et d’autre part, par les
diffuseurs eux-mêmes, qui voudraient également la repenser, puisqu’ils sont de plus en
plus inquiets de la lecture en transit (streaming) d’émissions de télévision en provenance
des États-Unis et de ce que ça risque de signifier pour leur capacité à en acheter le
contenu légal et de le remplacer avec des publicités canadiennes. Alors, je crois que le
CRTC, au cours des dernières années, nous a plutôt bien servi, en termes de traitement de
l’information qui arrive par Internet d’une façon égale, sans y mettre les exigences qu’il y
a dans les autres média. Il faut noter que cette décision est remise en question par bien
des parties différentes.
Ren Bucholz
Je voudrais brièvement répondre à l’interrogation d’où se situe l’innovation. J’aurais dû
faire des commentaires plus spécifiques, plus tôt. Je ne voulais pas présenter les grandes
entreprises comme des déserts de créativité industrielle. Ce n’est évidemment pas le cas
et il y a beaucoup de bonnes choses qui s’y passent. Je crois qu’il aurait été plus juste de
dire qu’une nouvelle forme, une nouvelle échelle d’innovations et d’inventivité devient
accessible lorsque vous donnez les outils de la création aux gens situés en périphérie du
réseau. Au lieu d’avoir des innovations planifiées, mises en scène et appliquées au
rouleau, du genre de celles qui viennent d’un département marketing ou « recherche et
développement », qui sont déjà toutes ridées, nous aurions des innovations en provenance
d’une panoplie de sources, ce qui est une chose très utile, très puissante et d’une grande
valeur, qu’on devrait essayer de maintenir dans toute réglementation du Net que nous
ferons. Merci pour cette clarification.
Auditoire 8
Deux points; d’abord, je comprends complètement et totalement tout ce que tout le
monde dans cette salle sait d’instinct, quant au World Wide Web et à Google par-dessus
le marché, les vraies innovations importantes qui ont changé la façon dont la
connaissance est disséminée, rassemblée et redistribuée ne sont pas venues des
organisateurs de réseau. Je crois que George et moi allons nous chamailler là-dessus
jusqu’à la fin des temps. L’autre chose, c’est que je voulais souligner que le ministère
enquêtera, ce printemps, sur les enchères du spectre des radiofréquences. Je crois que ce
sera une autre possibilité…
Pippa Lawson
Industrie Canada?
Auditoire 8
Oui. Nous devons donc être conscients du type de cadre réglementaire; il pourrait être
très progressiste. Ça pourrait donner de bonnes possibilités pour les entreprises de
télécommunication d’acheter plus. C’est quelque chose à surveiller, en termes de
possibilités d’infrastructures rivales.
Ren Bucholz
Il y a une question, là derrière ou préfères-tu répondre, George?
Auditoire7
Je n’ai jamais dit que c’était les entreprises de télécommunication qui envahissaient le
réseau. Ce ne sont pas elles. Ce sont les fabricants d’équipement et c’est par le réseau,
plutôt que par la périphérie. Ça résume mon opinion.
Ren Bucholz
Je vois, oui.
Auditoire 6
Je n’ai jamais dit que c’était les entreprises de télécommunication.
Ren Bucholz
Je comprends. OK, ça fait un moment que vous attendez, là derrière.
Auditoire 9
Mon nom est Stéphane Couture. Je viens de Montréal, UQAM. La façon dont je
comprends la campagne pour la neutralité du réseau aux Etats-Unis, c’est que ça a été un
débat clé, où plusieurs acteurs se sont regroupés. C’est donc un débat central, qui a réussi
à rassembler les gens. Je crois qu’au Canada, de ce que j’en comprends, il y a beaucoup
matière à débat, les plus grandes questions demeurant la concentration de la propriété et
l’intégration verticale des entreprises de télécommunication, ainsi que le peu de
mobilisation face au cadre réglementaire. Je comprends aussi qu’il y a d’autres aspects de
la question de la neutralité du réseau, par exemple, il y a la question des droits d’auteur et
tout. Alors, ma question au comité est une question stratégique : devrions-nous nous
concentrer sur le sujet ou sur la métaphore de la neutralité du réseau, à ce moment? Si
nous voulons faire un travail concerté? Ou, devrions-nous considérer les aspects plus
larges et penser davantage le rapport DRP et tout?
Ren Bucholz
Excellente question. Stratégiquement, comment conduire le militantisme sur ce sujet,
sachant qu’il y a toute une gamme de sujets qui se touchent… Je crois que la question
est : sur quoi se concentre-t-on? Je dirai rapidement de l’EFF, l’organisation pour laquelle
je travaille, aux États-Unis, a un réseau militant plutôt bien développé, qui est parti de
rien, ou presque, qui est parti de gens qui étaient intéressés à toutes sortes de sujets et qui
venaient chercher de l’information à l’EFF. Nous avons éventuellement déployé des
outils qui leur ont permis d’écrire au Congrès, qui leur ont permis d’être informé, sur ces
questions techniques et légales, sur une base régulière, grâce à du matériel
compréhensible du point de vue de [?]. Nous commençons la même chose ici au Canada,
avec l’aide de la CIPPIC mais si vous allez sur onlinerights.ca… C’était à l’origine un
site que nous avons mis en ligne pour se préparer à la bataille des droits d’auteur sur le
projet de loi C60, en 2005 et début 2006. Il possède plusieurs de ces mêmes outils et nous
prévoyons le rendre beaucoup plus efficace, alors que nous aurons affaire avec les
questions de neutralité du réseau et la réforme des droits d’auteur, juste comme une
nouvelle législation devrait nous arriver, cette année. Alors, si vous allez sur
onlinerights.ca et que vous mettez votre nom sur notre liste d’envoi, nous vous enverrons
des informations à ce sujet. Je crois que la réponse la plus courte à votre question est que
vous n’êtes pas obligé de choisir. Je crois que vous avez raison quand vous dites que ces
questions sont reliées et que plus les informations seront accessibles, que plus nous seront
organisés, plus nous pourrons nous pourrons combattre de choses. Si ce n’est pas une
situation de choix mutuellement exclusifs.
Michael Geist
Mon point de vue, c’est que nous ferions mieux, au Canada, de parler davantage de
l’aspect « à deux vitesses» de l’Internet plutôt que de la neutralité du réseau. Je dis ça
parce que la notion des deux vitesses dans le débat sur les soins de santé est bien connue
des Canadiens - puisque tout le monde, dans l’auditoire, hoche la tête, c’est évident. Par
contre, aux États-Unis, la neutralité du réseau a connu un certain succès, en partie à cause
de certaines des généralités concernant le besoin d’être juste et neutre. Ici, au Canada,
décrire la situation comme un Internet « à deux vitesses », un pour certains joueurs et tout
ce qui reste pour les autres, sonne mieux pour plusieurs Canadiens, parce que ça demeure
un sujet difficile d’approche pour beaucoup de gens (NdT : y compris la traductrice!). Je
crois que c’est une situation facile à visualiser, bien que ce ne soit rien de bien visuel.
[rires] En tout cas, je crois qu’il y a des possibilité de…
Auditoire 4
Un commentaire et une question. Pour ceux qui ne connaissaient pas le Dr George
Haritan, il a été directeur des réseaux de recherche pour la Commission canadienne des
transports, ainsi que consultant pour le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des
télécommunications, alors il sait de quoi il parle. La question, maintenant. Les concepts
de discrimination et de différentiation sont tout à fait pertinents dans la réglementation
sur les entreprises de télécommunication. Si vous voulez que les fournisseurs de services
réseau et les fournisseurs de services Internet soient réglementés comme les entreprises
de télécommunication, comment pourrez-vous vous opposer à la discrimination sur la
base des services et aux moyens de transmissions faisant l’objet de services différentiés?
Ce que je veux dire, c’est qu’après tout, on voyage en première classe ou en classe
économique dans les avions et en Inde, il y avait cinq classes différentes, à bord des
trains. Ils étaient tous réglementés en tant qu’entreprise de communication. D’ailleurs,
George a rédigé un article, il y a bien des années, qui donnait un exemple devenu célèbre.
À une certaine époque, tous les sièges sur un vol transcanadien, de Toronto à Vancouver,
avaient le même prix. Il espérait qu’un jour, tous les sièges auraient un prix différent,
puisque c’est ce que font les systèmes de réservation informatisés. Nous y arriverons
peut-être.
Pippa Lawson
Merci. Nous devons être sorti d’ici pour 21h, alors y a-t-il une réponse rapide à cette
question? Et, il y a là quelqu’un qui se meure de poser une question. Je suis désolée de ne
pouvoir donner la parole aux autres. Ensuite, notre comité vous donnera le mot de la fin.
Ren Bucholz
Rapidement, je crois que la différence entre une situation où, par exemple, vous payez le
montant économiquement optimal pour un siège particulier, est très différente d’une
situation où un fournisseur de services décide si oui ou non vous pouvez monter dans le
train, si oui ou non vous pouvez visiter une destination particulière, ou si d’autres sortes
de services vous seront généralement disponibles, selon la décision de l’opérateur du
réseau. Je crois que c’est là la différence. Je suis d’accord avec vous, il y a beaucoup de
possibilités d’utiliser cette technologie pour développer des modèles économiquement
exacts en soi, qui pourraient défrayer les informations. Je crois que c’est un sujet différent
d’une discrimination ou d’une différentiation basées sur les services rendus disponibles
pour ce réseau.
Auditoire 9
Je suis très découragé(e) par toute l’histoire de la technologie d’accès WiMAX et la façon
dont c’est arrivé. Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer comment on peut faire
confiance au CRTC après ça… et cette gamme s’est retrouvée chez les deux plus gros
acheteurs. Je ne comprends pas bien mais je serais très content(e) d’en savoir plus.
Pippa Lawson
Y a-t-il quelqu’un dans l’auditoire qui puisse répondre?
Auditoire 5
Ce sont ceux qui ont le plus d’argent. [rires]
Auditoire 9
C’est ce que je craignais. Pour souligner ce que disait Andrew : les gens qui étaient il y a
quelques semaines à la conférence Municipal Wireless, à Toronto et les gens des
municipalités pourraient devenir la force qui mettra cette idée de l’avant. Les maires
comprennent que l’infrastructure de télécommunication est vitale pour eux. Je sais que
nous allons tous nous rencontrer de nouveau pour en parler. Je me demande si on devrait
les considérer comme des alliés, puisqu’ils ont de plus en plus de pouvoir politique.
Pradir a parlé d’un train. C’est un très bon exemple, je crois que si vous voulez une
réglementation, vous cherchez où vous voulez aller. Les tendances du marché? Les
tendances du marché sont bien bonnes pour servir un but et je ne crois pas que nous
ayons une idée claire de ce qu’est notre but au Canada, en terme de pénétration de la
bande large. Je ne sais pas s’il y en a un, nous avons vu que nous avons rencontré le
dernier objectif et nous avons fait tout ce travail et [?]. Alors, si la réglementation du
marché joue un rôle dans tout ça, tant mieux. Nous pourrons alors examiner si les
tendances du marché nous amènent vers ce but.
Ren Bucholz
Bien dit.
Pippa Lawson
J’aimerais souligner que la discussion de ce soir a été excellente. Je suis désolée que nous
n’ayons pas plus de temps. Je vais redonner la parole à Sabina, pour le mot de la fin. Je
suis particulièrement désolée que nous n’ayons pas parlé des bibliothèques et de leurs
rôles.
Sabina Iseli-Otto
Je n’ai que quelques petites choses à dire. D’abord, merci beaucoup à nos
commanditaires : l’Association des bibliothèques de recherche du Canada, l’Ontario
Library Association, la Bibliothèque publique d’Ottawa, le Canadian Centre for Policy
Alternatives, qui ont rendu cet évènement possible. Nos conférenciers sont en fait aussi
nos commanditaires, puisqu’ils ont agi à titre bénévole. Alors, merci beaucoup à tous. Je
vous invite tous au Parliament Pub, si vous savez où c’est. Nous pourrons terminer la
discussion là-bas. Merci beaucoup à tous d’être venus. Une dernière chose : si vous
voulez une copie de la vidéo, nous n’aurons pas le temps de traîner ici pour que je puisse
vous dire où elle sera disponible, alors vous pouvez m’envoyer un courriel à
[email protected]. Si vous n’avez pas entendu, venez me voir. Merci beaucoup à
tous d’être venus.
Fin.