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l`isthmolyse chez le sportif de haut niveau apport des techniques d
L'isthmolyse chez le sportif de haut niveau. Apport des techniques d'imagerie médicale
L’ISTHMOLYSE CHEZ LE SPORTIF DE HAUT NIVEAU
APPORT DES TECHNIQUES D’IMAGERIE MÉDICALE
J. SIMON, E. OUHAYOUN, P. PAYOUX
Service Central de Médecine Nucléaire, Hôpital Purpan
- Toulouse -
L’isthmolyse ou spondylolyse se définit comme l’apparition d’une solution de continuité sur la "pars interarticularis" ou isthme du processus articulaire de l’arc postérieur vertébral [1].
L’isthmolyse est une affection fréquente. Elle reste souvent méconnue et ce n’est que devant des complications
(spondylolisthésis et troubles neurologiques) qu’elle est
habituellement recherchée et découverte.
vie au plan médical, la prévalence de l’affection est de
l’ordre de 20 %, tous sports confondus.
Pour mémoire, mentionnons que le déplacement en
spondylolisthésis touche 5 % environ de la population
des athlètes de haut niveau, soit 25 % des individus présentant une isthmolyse.
En fonction du sport pratiqué, la survenue de l’isthmolyse
est très variable, comme l’illustre le Tableau I.
Dans 95 % des cas, l’isthmolyse est localisée à la 5ème
vertèbre lombaire L5. Elle est bilatérale dans 85 % des cas,
ce qui rend éventuellement possible le glissement en ventral du rachis mobile poly-articulé sus-jacent par rapport
au rachis fixe ou mobile en monobloc qu’est le sacrum, lors
du phénomène de spondylolisthésis.
- TABLEAU I Fréquence de l’isthmolyse chez les sportifs en fonction
de leur spécialité. D’après Rossi [4] et Hoshina [6]
Is thmolys e obs e rvé e (%)
Sport
Dans de rares cas, l’isthmolyse siège sur une vertèbre lombaire sus-jacente ou intéresse 1, 2, voire 3 étages lombaires (cas très particulier des pratiquants de la gymnastique
rythmique au sol ou GRS) [2].
Plongeon
Lutte
Haltérophilie
Gymnastique
Parachutisme
Ski
Athlétisme
Football
Yachting
Judo
Tennis
Escrime
Canoë
Rugby
Basket
Natation
Equitation
Volley- ball
Cyclisme
L’existence d’une lyse isthmique ou d’un spondylolisthésis
lombaire est d’une importance telle en pratique du sport
que la règlementation française l’a inscrite dans l’arrêté
concernant le recrutement des professeurs d’éducation
physique, comme cause de récusation.
1. Epidémiologie de l’isthmolyse
L’isthmolyse est toujours une affection acquise dont la
prévalence dans la population générale est de l’ordre de
5%.
Valeur moyenne
Parmi les facteurs épidémiologiques classiques, on doit
mentionner : le facteur racial, le facteur familial, le facteur
âge, le facteur sexe et surtout le facteur activité sportive.
De nombreuses études [3,4,5,6] montrent que la fréquence
de l’isthmolyse s’élève de façon notoire chez les sportifs,
chez les sportifs de haut niveau tout particulièrement. Dans
cette population bien particulière et très régulièrement sui-
Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1
D'après Hoshina [6]
sur 390 athlètes
D'après Rossi [4]
sur 1430 athlètes
63,4
30
30,7
32
25
20
43,14
29,82
22,68
16,31
15
2,4
11
0
17 , 3 2
16,23
16,39
16 , 3 6
12 , 7 7
8,57
8,11
12,50
11,54
8,97
7,41
6,34
6,09
15 , 19
20,68 %
16,71 %
20
19 , 5
14
20
Il apparaît clairement que les sports grands pourvoyeurs
d’isthmolyse sont des sports nécessitant des mouvements
fréquents d’hyperextension ou d’hyperlordose lombaire.
Cette constatation n’est pas sans conséquence sur la compréhension de la physio-pathologie de l’affection.
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J. SIMON, E. OUHAYOUN, P. PAYOUX
Il s’agit de mouvements répétitifs faisant partie du geste
technique sportif. L’hyperlordose pure intervient notamment dans la gymnastique au sol, le plongeon de haut vol
et le saut en hauteur (Fosbury flop). Elle peut être associée
à une compression axiale (haltérophilie, judo) ou à une
rotation (tennis, javelot). Dans ce dernier cas, on peut observer des isthmolyses unilatérales.
2. Physiopathologie de l’isthmolyse
Plusieurs éléments interviennent dans la pathogénie et
dans la physiopathologie de l’isthmolyse, notamment l’apparition de l’orthostatisme, la conformation de la jonction
lombo-sacrée et la pratique sportive.
2.1. Rôle de l’orthostatisme
L’isthmolyse est liée à l’apparition et au maintien de la
verticalisation. Cet élément relève d’observations humaines et animales.
Concernant les observations humaines, il n’a jamais été
trouvé d’isthmolyse sur des séries importantes d’enfants
ou d’adultes n’ayant jamais acquis la verticalisation pour
des raisons pathologiques diverses.
Concernant les observations animales, il apparaît que les
grands singes et les chiens savants qui maintiennent fréquemment la position érigée mais qui n’ont pas acquis la
lordose lombaire ne développent pas ce type de pathologie.
L’isthmolyse est donc une conséquence de l’adaptation
anthropologique définitive à la bipédie et de l’apparition
des courbures rachidiennes.
2.2. Rôle de la conformation particulière
de la jonction lombo-sacrée :
mécanisme direct de l’isthmolyse
Par mécanisme direct, on entend le mécanisme dit du
"coupe-cigare" ou de la "guillotine", décrit par Roy-Camille et Saillant [3]. Lors des mouvements d’hyperextension
ou d’hyperlordose, l’isthme de L5 se trouve pris en tenaille entre l’apophyse articulaire inférieure de L4 et l’apophyse articulaire supérieure de S1. L’action de martèlement ou de cisaillement répété des articulaires sur l’isthme
entraîne l’isthmolyse (Figure 1) qui est alors classiquement considérée comme une fracture de fatigue. Il s’agit
en fait d’une fracture de contrainte par micro-traumatismes répétés, d’origine "interne", touchant les structures
osseuses mais aussi leurs pédicules vasculaires.
- FIGURE 1 Le mécanisme direct de l'isthmolyse.
Mécanisme du "coupe-cigare" ou de la "guillotine"
2.3. Rôle de la pratique sportive
La pratique sportive majore les contraintes et le martèlement subis par l’isthme. Elle accroît donc le risque
d’isthmolyse, en particulier chez l’enfant ayant une pratique sportive normale et chez l’adulte ayant une pratique
sportive intensive. Par ailleurs, à l’heure actuelle dans certains sports, telle la gymnastique féminine, les athlètes de
haut niveau sont encore des enfants ou de toutes jeunes
filles.
2.4 . Au total, l’isthmolyse est une fracture
de fatigue ou une fracture de contrainte
Cet élément physiopathologique rend compte de la place
de la scintigraphie osseuse dans les techniques d’imagerie diagnostique de l’affection.
3. L’imagerie diagnostique de
l’isthmolyse
3.1. La radiologie conventionnelle
L’imagerie de référence de l’isthmolyse reste, en 1998, la
radiologie conventionnelle au travers de l’image classique
du petit chien de Lachapelle [7], décrite par l’auteur en
1951. Il s’agit d’un cliché pratiqué en incidence oblique
postérieure, l’obliquité idéale étant de 45° par rapport à
l’axe sagittal médian.
L’image du petit chien (Figure 2) répond à la description
suivante : le museau correspond au processus transverse,
l’oeil au pédicule, l’oreille à la partie supérieure du processus articulaire, la patte antérieure à la partie inférieure du
processus articulaire, le corps à la lame et le cou à l’isthme
ou pars interarticularis.
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Lors d’une isthmolyse réelle, constituée, intéressant
l’isthme de part en part avec rupture des deux corticales, le
petit chien se présente avec une image claire au niveau du
cou, comme porteur d’un collier ou comme ayant le cou
rompu. L’analyse des berges de la solution de continuité
et des régions immédiatement avoisinantes montre de nombreuses images dystrophiques, condensantes, traduisant
la souffrance ancienne de la région isthmique.
Concernant le diagnostic précoce, le remaniement osseux
avec ostéoblastose réactionnelle induit l’apparition d’une
hyperfixation nette, bien localisée du radiopharmaceutique
pouvant précéder de plusieurs mois l’apparition des signes radiologiques de dystrophie. Cette qualité de sensibilité très importante de l’examen scintigraphique est bien
connue, en particulier dans le cadre de la pathologie osseuse de fatigue ou de contrainte, cas de l’isthmolyse.
Lors d’une souffrance isthmique, sans lyse totale, réelle,
constituée (état de prélyse), la présence d’images condensantes sur les corticales supérieure et surtout inférieure
témoigne du mécanisme de cisaillement et d’un remaniement pathologique osseux à ce niveau.
Ces foyers hyperfixateurs latéro-vertébraux sont identifiables sur des clichés planaires corps entier ainsi que sur
des clichés centrés. Leur affecter de façon formelle une
origine liée à l’isthmolyse est chose difficile, compte-tenu
de la complexité anatomique de la région et du manque de
spécificité de la réponse hyperfixatrice de l’os.
Ainsi, sont diagnostiquées 85 % environ des lyses isthmiques.
- FIGURE 2 L'image radiologique du petit chien de Lachapelle
a : schéma avec isthme intact - b : schéma avec isthmolyse
c : image radiologique avec isthme intact
3.2. La tomo-densitométrie (TDM)
L’examen TDM de l’isthme est difficile. Un observateur
non entraîné peut ne pas mettre en évidence une lyse isthmique réelle sur l’examen scannographique, celle-ci pouvant être confondue avec l’interligne articulaire [8].
La tomographie d’émission monophotonique (TEMP) est
actuellement de plus en plus utilisée en scintigraphie osseuse, en particulier dans l’exploration de la pathologie de
l’axe pelvi-rachidien. Dans le cadre de l’isthmolyse, pratiquée dans de bonnes conditions, elle n’est pas sans intérêt, permettant en particulier un meilleur repérage anatomique et fournissant un meilleur contraste lésion/os sain
avoisinant que les images planaires [9,10].
Concernant l’appréciation de l’ancienneté de la lyse, l’apport de la scintigraphie osseuse est important, sinon irremplaçable [13]. Un état de prélyse est modérément
hyperfixant, une lyse réelle récente est franchement
hyperfixante, une lyse réelle, ancienne, stabilisée, ne présentant plus de phénomènes de remaniements osseux, est
normofixante.
3.5. Stratégie diagnostique de l’isthmolyse.
Place de la scintigraphie osseuse
Forts d’une expérience concernant une population de 18
athlètes de haut niveau national, au sens que lui accorde
en France le Ministère de la Jeunesse et des Sports, nous
proposons la stratégie diagnostique suivante [17] :
- soit l’isthmolyse est réelle, constituée, documentée par
l’image du petit chien : la scintigraphie osseuse intervient comme élément complémentaire de datation et l’examen planaire est suffisant (Figure 3 : isthmolyse réelle,
unilatérale, récente ; Figure 4 : isthmolyse réelle, bilatérale, ancienne),
3.3. L’imagerie par résonance magnétique
(IRM)
Elle n’est pratiquement pas utilisée, à l’heure actuelle, dans
le cadre du diagnostic d’isthmolyse. Elle peut par contre
s’avérer utile en pré-opératoire, pour apprécier l’état du
disque L5-S1.
- soit l’isthmolyse est en voie de constitution (état de
prélyse), mal ou non documentée par les autres modalités d’imagerie : la scintigraphie osseuse intervient comme
élément essentiel du diagnostic précoce d’une fracture
de contrainte et l’examen tomoscintigraphique devient
alors nécessaire (Figure 5 : isthmolyse unilatérale, au
stade de prélyse).
3.4. La scintigraphie osseuse
Tous les auteurs s’accordent à reconnaître l’utilité de cet
examen pour le diagnostic précoce des états de prélyse
ainsi que pour apprécier l’ancienneté d’une lyse réelle,
constituée, prouvée par ailleurs [9,10,11,12,13,14,15,16].
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- FIGURE 3 Isthmolyse constituée, L5, droite, (fracture de fatigue), chez un skieur.
- FIGURE 4 Isthmolyse constituée, ancienne, L5, bilatérale, avec spondylolisthésis, chez une gymnaste.
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- FIGURE 5 Pré-isthmolyse, L5, gauche, (fracture de fatigue), chez un skieur.
4. Conclusion
Références bibliographiques
L’isthmolyse est une affection anciennement connue. Cependant, de nos jours, son diagnostic reste souvent méconnu, avant que n’apparaisse son éventuelle complication qu’est le spondylolisthésis.
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L’isthmolyse, qu’elle soit au stade de prélyse ou de lyse
réelle constituée, est une authentique fracture de contrainte.
A l’heure actuelle, sa prévalence augmente significativement dans une population bien particulière : les athlètes
de haut niveau, compte-tenu de l’amélioration incessante
des performances et des charges d’entraînement que cela
exige.
Dans la population exposée des sportifs de haut niveau, le
diagnostic doit être aussi précoce que possible, au stade
de prélyse. La scintigraphie osseuse, très sensible pour
déceler les fractures de contrainte, occupe donc une place
de choix dans la stratégie diagnostique, à côté de la radiologie conventionnelle qui révèle plus tardivement la lyse
réelle constituée.
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