Karim et Steven 12 p
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Karim et Steven 12 p
Karim et Steven Êtres humains, maraîchers associés en agriculture biologique, 29 et 35 ans, Sumène, octobre 2010. Je connais Steven depuis longtemps, nous avons habité ensemble lors de mon arrivée à Sumène dans une grande colocation de Normands. À l’époque, il était loin de s’intéresser à l’agriculture, il avait fait « péter » la vigne vierge de la terrasse en la taillant à la mauvaise période de l’année et disait lui-même qu’il n’avait pas la main verte. Comment en est-il arrivé à passer maître dans l’art de tailler les kiwis ? Comment êtes-vous Cévennes ? arrivés dans les Steven : Je suis arrivé il y a six ans complètement par hasard, à l'époque je suivais des études de cinéma à Paris. Suite à un voyage après mes études, en Afrique, je suis revenu ici, parce que j'avais des copains qui avaient acheté une maison à Sumène, dans les Cévennes Libres. Donc je suis venu deux semaines comme ça. J'ai commencé à faire un boulot de saisonnier agricole et je suis vraiment tombé amoureux de la région, des paysages, des relations qu'on peut se faire assez facilement. J'habite toujours à Sumène, un peu à l'extérieur maintenant parce que c'est un village où on a l'impression qu'il n'y a rien, mais finalement il y a beaucoup de monde ! Et du coup j'ai besoin d'être à l'extérieur du centre pour avoir un peu plus de solitude, ce qui peut paraître assez paradoxal. Karim : Moi, j'ai toujours été dans les Cévennes, dans le sens où, là où j'ai vécu ça ressemblait un peu à ici, que ce soit en Ariège ou dans l'Ain, dans le Jura, j'ai toujours vécu dans des montagnes un peu perdues. Je suis venu faire mes études à Montpellier, j'avais déjà repéré la région, je venais passer des journées ici à vélo. Quand j'ai fini mes études j'ai suivi ma copine. J'avais des repères, mes amis de Montpellier, mon pote Clément qui dirige la batucada (fanfare brésilienne). Je suis arrivé à la Cadière en premier puis j'ai atterri à Sumène. Je suis dans la Région depuis 2005. Steven : Moi aussi depuis 2004. Avec Karim on s'est rencontré parce qu'on faisait les saisons tous les deux. Karim : Non, ça ne s'est pas passé comme ça, j'ai débarqué chez toi parce que je cherchais un jardin... 1 Steven : Ah oui ! Et il se trouvait que j'avais un jardin collectif. Donc Karim est venu en force et s'est imposé dans le jardin collectif (Rires). Karim : Oui mais bon il s'est avéré que j'étais le seul apte à faire du jardinage dans l'équipe ! Steven : Donc on avait déjà un jardin juste pour nous et comme Karim a un diplôme agricole, on s'est proposé de monter un projet de maraîchage ensemble, en bio parce qu'on estime que c'est presque politique de faire un jardin comme dirait l'ami Pierre Rabhi. Ensuite, j'ai récupéré une exploitation de kiwis dans laquelle j'étais ouvrier agricole. On fait à la fois exploitation de kiwis et les paniers de légumes bios l'été. C'est une petite exploitation, on aimerait bien acquérir un mas avec du terrain quelque part dans les Cévennes. ma vie, d'être au milieu de la terre et en pleine nature, cela m'a aidé à être plus calme, plus serein. Arriver à avoir un contact direct avec mon environnement. Avant j'étais plutôt dans une ambiance urbaine. Et maintenant je suis bien heureux de faire cela. Karim : La moitié de mon gagne-pain est quand même la musique. Je donne des ateliers de samba, tous niveaux, ce qu'on appelle la batucada. L'agriculture c'est proche de mon milieu au départ, j'ai toujours vu ça dans ma famille, j'ai fait un BTS horticulture à Uzès. J''avais envie de me recycler un peu dans autre chose que dans la musique. C'était cohérent par rapport à ce que je faisais jusque-là et ce que j'ai fait par la suite. Ah oui, nous n'avons pas parlé du fait que je suis arrivé ici en enseignant, j'ai fait une licence de philosophie qui était un peu un prétexte à ma grande époque folle un peu étudiant, un peu musicien et beaucoup jeune. J'avais enseigné le français et la communication au collège. N'avais-tu pas commencé par des études de cinéma ? Steven : C'est vrai que je n'avais jamais pensé à faire ça. Je n'avais quasiment jamais mis les pieds dans un jardin et en venant là, le travail le plus accessible c'était dans l'agriculture. Je me suis ouvert à ce métier. Cela m'a aidé personnellement, dans A propos du Bio, c'est un discours qui est omniprésent chez mes parents qui sont toujours très en avance sur l'histoire. C'est très très présent autour de moi, cela ne me serait pas venu à l'idée de faire de l'agriculture bourrine. Même si avec mon diplôme, j'ai fait différents stages dans des grosses boîtes avec usage de pesticides. De moi-même sur une terre, je ne me serais pas vu faire le gros dégueulasse. Karim : D'ailleurs c'est l'expression de Steven : les Cévennes Libres! (Rires) Après je me méfie des labels ou des contenus. Donc pour l'instant, on ne cherche pas à se calquer sur un label quelconque, plutôt à définir nous-mêmes une éthique de travail. Sachant que cela nous est arrivé de déroger aux règles du bio, quelquefois. Notamment en recyclant quelques vieux sacs d'engrais. Après on ne travaille pas toujours de manière aussi stricte que ce qu'indique le cahier des charges. On travaille par conscience et j'ai quand même des outils pour bien réfléchir et rationaliser notre technique. On essaye de réfléchir à l'avance sur ce que l'on fait. Steven : Parce qu'il y a des endroits comme Sumène qui peuvent paraître enclavés dans les montagnes mais sur moi cela a un effet contraire... Cévennes, territoire géographique et/ou imaginaire ? Steven : Au niveau de l'imaginaire, je n'avais pas d'a priori parce que je ne connaissais pas du tout la région avant de venir. Mais quand je suis arrivé là, ça m'est apparu assez idyllique et paradisiaque en venant du nord même en venant de Normandie qui est une belle région aussi. La montagne, les rivières. Je trouvais cela extrêmement beau et j'ai trouvé une notion de liberté assez grande. On se sent libre dans les Cévennes. Karim : Les montagnes ont toujours été des lieux de résistance... Steven : Oui j'ai plutôt l'impression d'être protégé. J'ai fui un certain type de société qui ne me convenait pas et là, j'ai trouvé quelque chose... Un refuge, je sens moins d'oppression. Dans la réalité c'est un endroit un peu comme les autres mais il y a aussi une population de gens de l'extérieur qui veulent apporter des choses nouvelles... Moi je me suis retrouvé làdedans. Et les liens avec les gens du coin, est-ce que tu en as ? Estce que cela s'étoffe au fur et à mesure des années ? J'ai senti une méfiance au départ que je comprends par rapport à tous les gens qui viennent de régions extérieures ou de l'étranger... 3 Karim : Moi je te dis que les brésiliennes, on les aime bien dans les Cévennes (accent du Sud). (Il y a effectivement plusieurs brésiliennes récemment arrivées dans le coin). côté tranquille qui permettent des alternatives et en même temps la facilité d'accéder à la plaine et à la ville. Donc il y a un brassage énorme surtout à Sumène. Steven : Il y a une petite méfiance, mais je n'ai pas senti d'agressivité et j'ai pu faire des rencontres au fil du temps. Je trouve qu'il y a plutôt une bonne mentalité malgré que l'on retrouve les mêmes schémas sociaux qu'un peu partout en France. Je suis plutôt content de l'accueil que l'on m'a fait sachant qu'un accueil c'est donnant-donnant. C'est toi aussi qui va vers les autres et les gens reconnaissent l'effort que tu fais. Ça peut même paraître trop... Karim : Le territoire imaginaire... J'ai démarré en disant que j'étais des Cévennes parce que pour moi l'imaginaire cévenol j'ai été baigné dedans d'une certaine manière. On avait déjà nos hippies dans l'Ariège. Je le voyais déjà autour de moi dans les Pyrénées. Plutôt du côté néo-rural, des gens qui viennent développer des projets alternatifs, un développement de marginalité, etc... En réalité ce qui m'intéresse ici, c'est que quelque part on est dans une zone plus urbaine pour moi. En réalité, on n’est pas encore chez les babas cool. Dans la vallée française ou à Florac cela y ressemble franchement plus, mais ici on est quand même très proche de la ville donc dans un espèce d'intermédiaire. Nous avons à la fois le paysage et le Oui pour certaines personnes cela peut paraître très dynamique mais trop urbain, trop encore dans Babylone, pour utiliser les expressions à la con ! Après, les Cévennes géographiques, j'avais fait des petits articles à l'époque dans le journal l'Aigoualité. C'est vrai qu'en fait on est sur des zones de moins en moins rurales. En réalité, c'est plutôt du citadin excentré. Le rapport à la paysannerie a beaucoup diminué. On se retrouve dans une configuration qui ressemble à la plupart des campagnes françaises, c'est-à-dire rassemblements de petites parcelles en terrasses. Avec des familles qui détiennent l'ensemble des vallées. Disons qu'au niveau humain les échanges ont été sympathiques, mais ce n'est pas simple, et au final, quand tu ne viens pas d'ici, il s'avère que tu as vachement de mal à accéder à la terre. Sinon il y a beaucoup de terres abandonnées. Donc les bonnes volontés sont bienvenues, tant que tu travailles dans le coin, les gens sont contents, de toute façon c'est la meilleure reconnaissance ici : la valeur du travail. Après, pour réussir un accès légal à la terre, il faut aussi un lien affectif avec les gens. Le dernier petit pas pour concilier l'administratif et l'affectif ne se fait pas. Pour l'accès aux terres et aussi pour le logement, c'est d'abord le 'non'. Nos cheminements sont des cheminements de vie. Nous, ce n'est pas forcément l'administratif qui nous intéresse. Le côté affectif, on le développe au maximum (Rires). Et voilà, on espère avancer comme ça, en tout cas on y est arrivé jusque-là. Karim : Par rapport à l'imaginaire, c'est sur que les Cévennes ça évoque pour moi les communautés de baba cool, mai soixantehuit et compagnie, mais c'est la traînée de la légende. Dans les pyrénéens, on parlait déjà suffisamment des villages qui étaient autour de chez moi, des noms de patelins que tout le monde connait là-bas. Et ces histoires-là ? Que l'on traîne des années soixantedix, parmi notre génération, est-ce que ce n'est plus qu'une idée ? C'est loin quand même, c'était il y a quarante ans ! Non mais je crois que ce sont les mêmes personnes qui n'ont plus tout à fait la même allure. Il y a quarante ans, nous aurions certainement porté des pantalons à fleurs. Ce sont des gens qui sont à la recherche de la campagne et pour le coup on est vraiment dans l'imaginaire parce qu'ils ne la connaissent pas ! On n'est plus des babas cool, on nous appelle : les margouls (patois cévenol), ou tout ce que tu veux. On est plus vraiment des babas cool surtout étant nés dans les années quatre-vingt et l'ultra-capitalisme... Ça dépend qui tu appelles 'on'. Dans le coin quand même, tu as une partie des gens qui ont des traits de caractère qui ressemblent bien à ce qui se faisait dans le mouvement flower power et compagnie. Après, ici, puisqu'on est dans une zone plus urbanisée, la proximité avec la ville fait qu'on a un relent plus anarcho-urbain. Surtout sur Sumène et Ganges ! Parce que Le Vigan c'est déjà différent. Oui après tu arrives sur l'intermédiaire. Quand tu vas à SaintAffrique ou Saint-Etienne-Vallée-Française, il y a moins le côté anar et compagnie. Vous aviez un projet d'installation ? 5 Oui mais ce n'est pas forcément dans le coin quand on voit le budget qu'il faut. Karim : On s'en fout, on ne va pas parler de ça... un projet on va dire carriériste. Ce n'est pas vraiment commercial. Et j'ai encore besoin d'être excité un peu. Il me faut encore un peu d'adrénaline pour avancer dans la vie. Même le projet de maraîchage correspond à un mi-temps de travail, après chacun fait ce qu'il veut. Tout ça c'est un peu du self made man. Je n'ai pas des ambitions extraordinaires, fonctionner dans le coin déjà. Non on ne va pas commencer ! Ça rejoint la micro-politique... Steven : Non mais moi, je suis vraiment attaché aux Cévennes Méridionales parce que j'ai beaucoup déménagé, plus jeune, avec mes parents du fait de leur travail. Je ne pense pas que j'irai en Lozère ou en Ardèche parce que pour une fois j'ai réussi à rester au même endroit quelques années et j'ai commencé à construire un tissu social. Que ce soit faire partie d'associations ou de trucs comme ça. J'y ai trouvé un certain équilibre et j'ai envie de continuer à construire ma vie ici. Tout à fait, et l'adage penser globalement et agir localement. Tout cela va avec des histoires de vies affectives, je me retrouve là, un peu en attente parce que je suis avec mon gamin. Steven : Moi j'ai une vue divergente là-dessus. Peut-être que c'est à cause de ça que notre histoire s'arrêtera dans le futur. Karim : Par rapport à mes projets de vie, je crois que j'ai à peine trente ans et je parle de vagabondage parce que je ne suis pas encore posé dans ma tête. Le choix de vie ce n'est pas un grand projet super profond, c'est plutôt un cheminement, quelque part accidentel, même si cela reste cohérent, ça aurait pu être ici ou ailleurs. De toute façon, j'ai vachement de mal à me situer dans Est-ce que tu penses à cette trajectoire en toile de fond du quotidien ? Ah oui oui, il y a plein de choses sur lesquelles je me suis planté, plein de choses sur lesquelles je ne suis pas certain. Je suis loin d'être quelqu'un de mature et de serein. En fait, de tout temps, je suis hyper torturé par des questions d'ordre philosophique ou métaphysique, appelle cela comme tu veux. Ce n'est pas pour rien que j'ai fait des études de philo. Donc oui, quelquefois, cela m'empêche d'avancer. Pour l'instant ma vie c'est une recherche d'éthique et en même temps je suis insatisfait tout le temps. Du coup il s'agit de concilier des impératifs théoriques dont j'ai du mal à me départir et puis une observation du quotidien, plus pointue, et de faire attention aux gens autour de moi. Insérer toutes mes actions dans ce qui m'importe, c'est-à-dire du dynamisme local et une sensibilité extrême à l'écologie. Alors pourquoi être insatisfait ? Ouais mais raconté comme ça c'est joli ! C'est sûr, je suis avec mon gamin, j'ai une amoureuse, je fais de la musique et de l'agriculture, on est beau et la région est jolie et tout va bien quoi. Après c'est jamais si simple, c'est plein de galères au quotidien et puis des fois on rêve d'autre chose et de grandeur... Disons qu'il faut toujours rester méfiant. La critique c'est quand même la base de l'émancipation et il faut s'en servir. Faut toujours se méfier de ce que l'on vit. Se méfier, ça fait un peu parano, non ? Ça ne serait pas plutôt remettre en question ce qu'on fait ? l'intello qui n'arrive pas à faire. Moi, j'ai ce problème-là, ceci dit, je pense toujours que l'outil critique c'est quand même notre meilleure défense aujourd'hui, plus que nos dents et nos ongles. On a passé pas mal de temps à s'en méfier, certainement parce que la culture occidentale en a trop usé et c'est un peu redoutable. Mais si on l'abandonne, il ne nous reste plus rien pour nous défendre. Pour ne pas devenir des crétins manipulés à tout va, donc il faut être super attentif. Il y a aussi des intuitions que nous développons, différentes de l'esprit critique, qui font qu'au bout d'un moment nous comprenons tellement les choses qui nous entourent qu'on ne peut pas se faire manipuler. Justement ce n'est pas qu'une simple remise en cause, il faut être actif, il faut aller la chercher. Il ne faut pas attendre que le doute vienne pour se mettre en route. Je n'ai pas d'outil assez performant pour ça, si tu as des outils qui permettent de te sentir à l'aise face au monde et au quotidien, c'est bien, mais moi je n'ai pas trouvé quelque chose de plus fort que l'esprit critique. En réalité l'outil que j'ai trouvé pour ne pas stresser c'est de passer la journée derrière une hache ou un sécateur et quand tu passes la journée à tailler dans ton champ par exemple, il y a une forme d'évidence dans ce que tu fais. D'un autre côté le doute ça peut être aussi le problème de Donc c'est quand même l'action... 7 Oui mais c'est une action par l'oubli, ce n'est pas en me précipitant chez Amnesty International que je vais aller bien, ça aura tendance à relancer mes doutes. Mais au contraire, plutôt le faire, produire, l'agriculture c'est vraiment très bien. Comme dans la musique, il n'y a pas de doute dans la pertinence de ce que tu es en train de faire. Steven : Je rebondis par rapport à ce que vient de dire Karim, moi j'ai trente-cinq ans. Malgré qu'il ait une forte maturité, effectivement je suis passé par ce qu'il a vécu à son âge. Je pense qu'on a beaucoup d'envies, on est très insatisfait et on a du mal à aller au bout des choses parce qu'on se cherche. Disons que cinq ans plus tard au lieu de chercher l'adrénaline, je recherche le contraire : une espèce de paix, le calme, la sérénité. C'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure que j'ai envie de construire pour une fois dans le temps et la longueur. Ce choix de vie je ne l'avais pas fait avant. J'étais dans un milieu urbain qui tournait autour de la culture, des sorties et des rapports complètement superficiels avec les gens. J'étais assez mondain et quand je suis arrivé ici je savais que j'avais cela de sous-jacent en moi. Et même si c'est loin d'être gagné - le doute m'habite également - j'ai enfin réussi à construire. Je me sens mieux dans mes baskets à trente-cinq ans. Enfin ce que je dis c'est ce que je souhaite. Oui bien sûr on a des contradictions, c'est bien aussi de le reconnaître mais cela ne veut pas dire qu'on vient de raconter n'importe quoi. Karim : C'est sûr que parler de notre personne, c'est dire ce que l'on espère de nous-mêmes et pas forcément ce que l'on est au présent. Steven : Donc mon projet de vie, ce serait une recherche de calme, de sérénité et dans le cadre de l'acquisition de terres, j'espère qu'on arrivera à travailler à notre niveau. De réussir à s'accomplir dans notre travail en étant le plus autonome possible, sachant que l'on a très peu de besoins matériels. En fait, je chercherais... c'est peut être un peu fort comme mot quelque part à me soustraire à la société dans laquelle je ne me reconnais pas ou de moins en moins. Et ton côté rock'n'roll, tu le gardes pour ton groupe de musique ? Pour la scène, oui, pour le donner aux autres. Pour l'énergie qui me reste après douze heures de labeur dans un champ de patates. C'est redonner la patate sur scène que j'ai ramassée de mes mains. (Rires) Pour faire un lien entre mon ancienne vie et ma nouvelle. J'avais un peu abandonné la musique et le fait de monter sur scène aussi. J'ai repris un groupe depuis un an qui s'appelle Harry Cover et John Duff (jeu de mot : haricot vert et jaune d'œuf). Donc c'est bien dans cette recherche d'équilibre de ne pas faire fi du passé. Comment canaliser toutes vos expériences ? Comment gérez-vous la mondialisation de votre personne ? Steven : Moi je me dé-mondialise, je dirais que je me localise. Tout en étant conscient des enjeux mondiaux. Peut-être que les grandes luttes me déçoivent un peu, peut-être que je n'y crois pas vraiment, même si j'ai tort. Je préfère dans mon quotidien faire le jardin. C'est peut-être un acte politique à l'heure actuelle ? Donc voilà ça serait mon créneau. Et puis aussi s'investir dans des réseaux sociaux locaux pour garder une certaine cohérence dans son discours. J'ai l'impression qu'à mon niveau je ne détiens pas toutes les clefs pour comprendre, juger ou avoir un discours politique globaliste. Je ne me sens pas les épaules pour ça. C'est compliqué d'avoir tous les tenants et les aboutissants de l'histoire. Il y en a d'autres qui le font sûrement mieux. C'est pas mon truc, mais je reste à l'écoute du monde. J'ai envie de me soustraire à la société mais pas au monde et à son devenir. J'en fais partie intégrante. Je n'ai pas envie d'habiter dans un tipi et ne plus voir personne. Te sens-tu marginal ? Je me sens dans le monde et solidaire par rapport à des minorités ou des hommes qui peuvent vivre des expériences plus dures que nous, parce qu'ils subissent la mondialisation de manière plus frontale. Je me sens marginal par rapport au modèle de société mondiale qu'on nous propose. Mais complètement intégré et partie prenante de l'évolution du monde et des Hommes. Karim : Alors que dire ? Je dirais plutôt qu'au contraire je suis en train de me re-mondialiser. Dans le sens où, adolescent et préadulte je n'ai plus eu confiance dans une quelconque possibilité d'améliorer le monde ou dans une grande théorie qui permettrait d'avancer clairement. Donc je suis parti dans tous les sens. Je n'en avais plus rien à foutre, c'est peut-être cette période de ma vie qui voulait ça. Maintenant je suis en train de revenir un peu dessus. J'ai repris le voyage après avoir arrêté quelques années. Du coup je me reconnecte à des problèmes globaux. Je me sens plus sensible à ce qui se passe au niveau des manifestations, etc, parce que 9 je m'en fichais un peu. Karim : Oui, non, peut-être... Je vois que dans mon fonctionnement idéologique je me remets à avoir besoin d'une théorie de fond un peu systémique, d'une pensée qui engloberait tout. J'essaye de nouveau de me coller à des idées comme ça, parce que ça aide à avancer, parce que c'est peut-être quelque chose qu'il faut que je montre à mon gamin. Et aussi les urgences aidant, urgence écologique par exemple, je me remets à être extrêmement économe, donc je harcèle les gens autour de moi : mon collègue de travail, mon colocataire, ma meuf, je les harcèle (Rires). Je suis capable de tout calculer, cela paraît hyper radin mais j'ai été élevé comme ça, avec une conscience militaro-religieuse ! Dans laquelle on apprend que la vie c'est dur et que c'est à force de travail que s'obtiennent les choses. Avec l'avantage que cette théorie pourrait peut-être permettre d'assumer le nombre de personnes sur cette terre. C'est tellement chiant pour les autres que tu as intérêt de te justifier en prétextant que tu sauves la planète sinon, ils ne comprennent pas pourquoi t'es comme ça !! Steven : Je suis vraiment en train de réaliser quelque chose. Cela me manquait, me rongeait de ne pas réussir à aller jusqu'au bout. C'est vrai que dans notre société on a un tel panel de choix, d'activités que j'allais un peu dans tous les sens. Je me sens plus en accord avec moi-même donc plus apte à rencontrer d'autres personnes. Je suis sur un chemin qui me convient bien et pour ça les Cévennes m'ont énormément servi parce qu'elles m'ont sorti de mon milieu et il ne m'aurait pas comblé. J'assume ce que je dis, voilà c'est tout, je remercie les Cévennes ! Où en êtes-vous de la réalisation de vos rêves concrètement ? Est-ce que vous sentez-vous libres ? Karim : Moi je suis encore instable : réalisation ? Non je risque de ne pas avoir la bonne configuration psychologique, je pense que je vais rester cheminant. Donc pour l'instant je vais un peu de Cévennes en Cévennes. C'est le cadre de base, le leitmotiv de ma vie cet imaginaire cévenol. Je le retrouverai ailleurs. Ici la grosse surprise c'est le dynamisme de cette petite campagne qui est quand même assez 'classe'. Est-ce que je me sens libre pour autant ? Je ne sais pas, je me verrais mal revenir au salariat, c'est quand même bien d'avoir son quotidien dans la main. Je pense que je m'en sors bien, il y a des jours où tu me demanderais et je serais totalement négatif, mais aujourd'hui ça me paraît pas mal... après avoir dit tout ça. Quelles sont vos impressions sur le monde contemporain et futur ? Steven : Je suis plutôt pessimiste, je ne crois pas qu'on se réveillera à temps. Mais on peut sauver des choses si on change notre façon de vivre, de voir. Donc je veux rester positif mais j'ai une crainte. Est-ce que tu penses qu'il y a beaucoup de personnes qui mènent votre style de vie ? Steven : On s'est déjà posé cette question-là. Nous avons l'impression que les gens se posent des questions ici ou dans d'autres régions rurales, mais quand on bouge un peu, des fois, on se rend compte que les gens n'en ont rien à faire. C'est partagé, je crois que la culture et l'anti-culture vont ensemble. Plus la société productiviste de l'hyperconsommation se développe plus du côté de l'anti-culture, il y a des gens qui choisissent de se battre, de résister ou de faire leur révolution individuelle. C'est ce que j'essaye de faire, bien qu'il y ait encore du chemin à faire, me concernant ! Karim : Je suis très pessimiste, je pense qu'on est allé trop loin. Je ne trouve pas que les consciences s'éveillent, on va passer par une phase de violence. Ceci dit, l'Histoire a toujours marché comme ça. On a énormément avancé d'un point de vue technologique mais très peu d'un point de vue spirituel. Nous ne sommes pas capables de nous prendre en main, ni l'avenir de l'humanité. Je pense que nous allons passer par des phases violentes et des bains de sang qui vont déboucher sur autre chose bien sûr. Le pouvoir n'est pas entre nos mains, concrètement ce n'est pas nous qui avons les armes ni le pouvoir. Nous avons en face de nous des gens hyper équipés avec une capacité de réflexion et d'actions énorme. Même un peuple aujourd'hui n'est pas assez fort pour lutter contre une armée. Au-delà de cette opinion très pessimiste sur l'avenir, j'essaye de véhiculer des idées optimistes au quotidien, j'ai un enfant, il faut avancer, il faut se battre localement. Il y a plein de bonnes choses chez les gens, dans toutes les vies que je vois ici, je trouve des idées sympas, mais il manque la capacité de s'organiser. De prendre le problème à bras le corps, de générer des idées, d'assumer les efforts que cela va demander en termes d'organisation, du danger qu'il y a devant nous, je ne vois personne prêt à ça. Je ne sens pas quelque chose qui me porte espoir même ici autour de moi. Même au sein de projets alternatifs je vois des gens qui souffrent 11 beaucoup et qui sont mal organisés dans leur vie. demander en termes d'organisation, du danger qu'il y a devant nous, je ne vois personne prêt à ça. Je ne sens pas quelque chose qui me porte espoir même ici autour de moi. Même au sein de projets alternatifs je vois des gens qui souffrent beaucoup et qui sont mal organisés dans leur vie.