Je me souviens 1939-1945 Récit de Michel Muyls Ancien jardinier à

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Je me souviens 1939-1945 Récit de Michel Muyls Ancien jardinier à
Je me souviens 1939-1945
Récit de Michel Muyls
Ancien jardinier à Grande-Synthe
Transcrit, illustré et mis en page par Jean-Marie Muyls
Je vais raconter ce que j’ai vu et entendu pendant la drôle de guerre 1939-1945.
Tout d’abord, on écrivait dans les journaux de l’époque tel que « Le Nord Maritime » de Dunkerque
auquel on était abonné pour l’année et que le facteur nous amenait tous les jours, sauf le dimanche. Bien
que nous ne possédions pas de poste radio, nous étions quand même au courant de l’actualité. Venons en au
fait qui préparait la venue de la prochaine guerre 1939-1945.
Année 1938
Hitler prend le pouvoir le 30 janvier 1938, annule le Traité de Versailles, occupe la Rhénanie et
annexe l’Autriche. Puis vient l’affaire des sudètes qui trouble la Tchécoslovaquie. En septembre, première
mobilisation de ceux qui possèdent le fascicule bleu, dont mon frère Raymond qui en faisait partie. Il doit
rejoindre son unité le 146eme régiment d’Infanterie cantonné dans la ligne Maginot près de Metz. Fin
septembre, démobilisation et à la fin de l’année, démantèlement de la Tchécoslovaquie, accord de Munich.
Source Internet
Les accords de Munich sont signés le 30 septembre 1938.
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Entre temps dans le journal et en première page, apparaissaient des photos montrant la parade de
l’armée allemande défilant à Berlin. Puis dans les pages suivantes étaient décrites les restrictions que
subissait la population allemande, nourrie soit disant aux ersatz et rationnée sur toutes sortes de produits
alimentaires, notamment le beurre puisque Hitler dans son slogan de propagande préférait plutôt les
canons que le beurre. Voilà l’ambiance que l’on nous faisait vivre à l’époque.
Occupation définitive de la Tchécoslovaquie. Bataille de communiqués au sujet du Couloir de
Dantzig, menaces sur la Pologne. L’Italie met la main sur l’Albanie du 6 au 8 avril. C’est à ce moment que
j’ai dit à mon père « Nous allons vers une nouvelle guerre !»
A ce moment, mon oncle Rémi Nave qui habitait Rosendaël, venait tous les dimanches avec ma tante
Hélène en vélo, pour dîner et passer une journée en famille. Ils apportaient l’hebdomadaire « ParisMatch » que je lisais avec avidité d’un bout à l’autre. Dans cette revue il y avait des articles détaillant les
forces en présence, telles que les deux forces navales de l’Angleterre et de la France, réunies qui étaient
largement plus puissantes que les forces de l’Axe. Il y avait aussi des articles décrivant les nouveaux avions
de guerre français tels que le Potez 63, Bréguet, Dewatine, Morane, Bloch et encore d’autres appareils qui
auraient pu rivaliser contre les allemands et les italiens. Mais malheureusement insuffisants en nombre.
Source Internet
Potez 63.
1939 La deuxième mobilisation
Au mois d’août, nous étions mon frère Raymond et moi occupés de faucarder le watergang des
Vieilles Salines, lorsqu’un retraité pêcheur de Fort-Mardyck, revenant de ramasser ses poissons des filets à
marée basse, nous avertit qu’en mairie de Fort-Mardyck était affiché l’ordre de mobilisation des fascicules
bleus dont mon frère faisait partie. Du coup, cessant tous travaux, nous sommes partis prendre
connaissance à la mairie, et là !......Hélas, nous avons dû nous rendre à l’évidence que cela était exact….
Mon frère était bouleversé, étant juste marié en février 1938 et il avait repris une petite exploitation que
mon père Amédée avait acheté en 1919 et située rue du Comte Jean à Grande-Synthe.
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Devoir abandonner sa femme Marie et sa petite fille Raymonde âgée de quelques mois………..
Je ne l’ai revu qu’en février 1940 lors de sa première permission. Puis la dernière fois au début de mai
1940 puis il a été prisonnier jusqu’en juin 1945.
Source BNF
La guerre est déclarée.
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1er septembre 1939, Hitler envahi la Pologne. Mon oncle et ma tante de Rosendaël qui venaient nous
rendre visite le dimanche 3 septembre, m’ont appris que la France et l’Angleterre avaient déclarées la
guerre à l’Allemagne suivant le Pacte d’assistance qui avait été signé avec la Pologne en cas d’agression
par l’Allemagne. Malheureusement ce ne fut d’aucun effet puisque les hordes nazies avaient vaincu les
polonais en quelques semaines malgré une résistance héroïque. Et depuis ce temps là, la drôle de guerre
commençait sous forme de communiqués militaires sans importance, ainsi que toutes sortes de bobards,
telle que l’assimilation de la 5eme colonne parmi la population.
Source Internet
Au début de la guerre, mon père, mon frère et moi, avons creusé une tranchée abri dans la digue,
comme mon père l’avait fait en 1914-1918 pour se protéger des « Taubes » allemands qui venaient
bombarder Dunkerque en ce temps là. L’abri que nous avons construit servait surtout à nous protéger des
éclats d’obus de D.C.A. et aurait été dérisoire contre les bombes.
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Et depuis ce jour là, on assistait à des mouvements de troupes sous formes de camions qui roulaient
en convois, espacés entre eux de 50 mètres, aussi bien le jour que la nuit et se dirigeant vers la frontière
belge. Certains de ces camions tractaient de vieux canons de 75 de la guerre 14-18, montés sur des châssis
équipés de deux petites roues pleines en caoutchouc. Ils circulaient sur la Nationale 40 qui va de
Dunkerque à Calais et également sur la route de Mardyck à Fort-Mardyck. Quelques fois ils restaient
plusieurs jours en stationnement puis repartaient je ne sais où.
Collection Pierre Metsu
Canon de 75 modèle 1897 modifié.
Au début de novembre 1939, une compagnie du 225eme Régiment d’Infanterie, commandée par le
capitaine Marius Weber, s’installait à la ferme Smagghe qui était à côté de chez nous dans les Salines de
Grande-Synthe. Pendant le jour, les soldats faisaient des exercices dans les dunes et des essais
d’embarquement dans un avion de transport basé sur le Champ d’Aviation ou des randonnées en vélos avec
tout leur barda.
Collection Pierre Metsu
Potez 63/11 du GAD 501 à Mardyck.
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Collection Pierre Metsu
Curtis P36 accidenté, laissé sur le terrain en juin 1940.
Etant donné que l’on était dans un trou perdu, n’ayant pas d’estaminet dans le coin, une dizaine
d’entre eux venaient le soir boire une bistouille et écoutaient les récits que mon père faisait de la guerre 14,
sans savoir que celle de 40 aurait été si vite terminée. A partir de novembre l’armée construisit une baraque
en planches devant notre maison pour abriter les soldats. A cette époque, presque toutes les semaines un
avion ennemi venait faire une reconnaissance au dessus de la Flandre en passant à chaque fois entre le
Westhoek de Mardyck et le Clipon de Loon-Plage à environ une altitude de700 mètres. Et bien sûr la
D.C.A. qui était basé dans la digue au nord de Fort-Mardyck tirait des obus shrapnells sans l’atteindre
évidemment. Lorsque j’étais dehors je l’entendais venir de la mer en faisant un ronronnement particulier
bien avant que n’éclatent les obus de D.C.A.. Sa direction était toujours la même, il venait toujours du nord
au Sud et vice-versa. Les allemands devaient être bien renseignés car à cet endroit là il n’y avait pas de
défense aérienne, les autres Batteries de D.C.A. étaient basées à Gravelines. En novembre 1939 une
escadrille de Curtis P36 de construction américaine fut basée à l’aérodrome de Dunkerque-Mardyck, ainsi
appelé, bien qu’il soit en partie sur le territoire de Grande-Synthe.
Collection Pierre Metsu
Vue aérienne du Champ d’aviation de Mardyck en 1939.
La flèche rouge indique la ferme d’Amédée Muyls.
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Collection Pierre Metsu
Chasseur britannique « Hurricane ».
Lorsqu’il y avait une alerte, les avions s’envolaient pour intercepter les avions ennemis du côté de la
Belgique et lorsque l’un d’entre eux avait descendu un avion ennemi, il passait en rase-motte au dessus des
hangars en se balançant de droite à gauche. Puis après les pluies diluviennes de fin octobre jusqu’au début
décembre, brusquement le vent tourna au nord-est, apportant de nombreux vols de migrateurs annonçant un
dur hiver qui commença effectivement début décembre jusque début mars 1940 avec de fortes chutes de
neige fin décembre. La circulation était difficile sur les routes et pendant cette période il n’y eut pas
d’incidents majeurs du fait de la guerre, si ce n’est que l’apparition d’avions de chasse anglais
« Hurricane » passant haut dans le ciel et reconnaissables au ronronnement doux de leur moteur et peint au
dessous des ailes en blanc d’un côté et noir de l’autre.
Collection Pierre Metsu
Hydravion allemand Heinkel He 59, venu larguer des mines magnétiques
à l’entrée du port de Dunkerque le 22 novembre 1939.
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Année 1940
Le printemps arriva après le dégel, nous remettant à travailler la terre pour ensemencer la nouvelle
récolte. Au moment de la levée de toutes les semences, donnant à la campagne un air de renouveau, de
graves événements se préparaient au-delà de nos frontières.
Au début de mai 1940 quelques avions ennemis venaient pendant la nuit faire une incursion au dessus
de Dunkerque pour jeter sans doute des mines sous-marines. Cela faisait un joli feu d’artifice qui
déclenchait des tirs de D.C.A., sans nous alarmer outre mesure, en attendant le pire !.
Puis le 10 mai 1940 les journaux annonçaient l’invasion de la Belgique et de la Hollande. La vraie
guerre commençait avec tout son cortège d’horreurs et de misères.
Le 15 mai un premier bombardement de nuit eut lieu, quelques bombes tombèrent, dont une près de la
maison de mon frère rue du Comte Jean, à environ 50 mètres de distance, une autre sur l’écurie des
grands-parents de ma femme et parmi les décombres, son cheval était miraculeusement indemne ainsi que le
Christ qui restait accroché à un pan de mur (voir photo).
Collection Pierre Metsu
Bombardier allemand Heinkel He 111 au dessus de Dunkerque.
Plusieurs bombes tombèrent le même soir sur la commune de Fort-Mardyck. Heureusement elles ne
firent pas de victimes et quelques autres à proximité de la Batterie de D.C.A.. Un navire pétrolier fut
également touché dans la passe ouest, à hauteur du méridien de Mardyck, et prit feu.
Quelques jours plus tard deux escadrilles de la Luftwaffe, venant du sud et se dirigeant vers la mer,
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larguèrent des bombes sur l’aérodrome. Ils avaient comme point de repère le clocher de l’église de
Mardyck. La deuxième escadrille prit comme point d’amer le clocher de l’église de Grande-Synthe, la
première bombe tomba sur une maison sise rue du Comte Jean et ne fit heureusement pas de victime. Les
autres bombes tombèrent dans les champs.
Destructions à Fort-Mardyck.
Collection Pierre Metsu
Entre temps la compagnie du 225eme Régiment d’Infanterie partit prendre position à Spycker et un
détachement de la marine, commandé par le capitaine Kervelin, natif de Bretagne s’installa chez nous. Il
disposa ses hommes dans la dune qui longeait la plage. N’ayant aucun moyen pour faire la cuisine, il a dû
détacher un cuistot pour préparer les repas sur un petit feu à trois pieds qui servait à chauffer l’eau pour la
lessive. Du fait qu’il n’y avait plus de moyens de locomotion pour aller à Dunkerque, ma mère ne pouvait
plus amener au marché les quelques produits de la ferme pour les vendre. Cela tombait à point pour nos
marins, le cuisinier utilisait le beurre pour faire cuire les frites, et les légumes du jardin pour la soupe. Cela
dura quelques jours et bien sûr on ne produisait pas assez pour nourrir une trentaine d’hommes. Donc le
capitaine récupéra un side-car et alla au ravitaillement, aidé de son chauffeur ainsi que mon frère Lucien
qui était assis à l’arrière du conducteur. Tous les jours ils allaient récupérer à la Gare de Triage de Saint
Pol sur Mer des boites de conserves, des bidons de Végétaline pour faire les frites, des carcasses de
moutons congelés et autres produits nécessaires à la vie des militaires. La vie s’organisa tant bien que mal
pendant cette période qui dura jusqu’au cessez-le-feu du 4 juin.
Pendant ce temps là, la Luftwaffe commença à bombarder la ville de Dunkerque avec une escadrille
d’une douzaine d’avions « Henkel » venant de l’ouest et passant à la verticale du champ d’aviation près de
notre ferme, à une hauteur de mille mètres environ, et cela pendant plusieurs jours, se dirigeant sur le
Beffroi de l’Hôtel de Ville et la Tour de Dunkerque comme points de repères. Je me souviens avoir vu
toutes ces bombes exploser dans un grondement de tonnerre. Elles allumaient des incendies. Etant éloignés
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d’une dizaine de kilomètres du centre ville, l’on ne se rendait pas compte du désastre et des souffrances des
habitants dans les bombardements. Il y eut de nombreuses victimes parmi la population. Après le premier
raid les habitants évacuèrent vers les communes voisines.
Collection Pierre Metsu
Destruction de la raffinerie de Saint-Pol-sur-Mer.
Malgré les tirs instantanés de la D.C.A., accompagnés des mitrailleuses, canons révolvers, fusilsmitrailleurs et fusils, aucun bombardier ne fût atteint, du moins du côté ouest, peut être quelques uns
auraient été abattus à l’est de la ville, mais je ne pouvais pas le voir car ils disparaissaient derrière les
volutes de fumée des incendies.
Entre temps les Stukas attaquaient les citernes de la raffinerie pétrolière de Saint Pol sur Mer. J’en
ai vu un, une fois, qui descendit en piqué en lâchant ses bombes en plein sur un réservoir qui explosa et prit
feu, projetant le dôme de la citerne à plus de 150 mètres de hauteur, virevoltant comme une feuille de
papier. La fumée qui se dégageait monta à environ 4000 mètres, laissant apparaître au sommet un
champignon rosé, imitant un cumulo-nimbus par temps d’orage.
Cela dura plusieurs jours, puis une Batterie de canons de 88 stationnés au Clipon (d’après mon
estimation) tirait des obus sur le port de Dunkerque, sur le Fort-Ouest de Saint Pol sur Mer et la Batterie
de gros canons de marine installée au Nord de Fort-Mardyck. Notre capitaine Kervelin téléphonait au
commandant de la Batterie lui disant qu’il en tombait également près de chez lui. Puis sans doute, sentant la
fin des combats, l’Etat major installa plusieurs dizaines de camions sur l’aérodrome pour éviter que les
allemands puissent l’utiliser. Certains camions étaient chargés de réservoirs d’essence, lesquels furent
percés par les soldats et le liquide s’écoula dans le terrain et les fossés.
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Gare de Triage
de
Saint-Pol-sur-Mer.
Collection Pierre Metsu
Pendant la même période, des appareils ennemis attaquaient ça et là, tels que les bateaux faisant la
navette pour évacuer l’armée anglaise. J’ai vu un ferry-boat transformé en navire hôpital qui fut attaqué
par un bombardier allemand, un « Henkel » à environ 6 miles au Nord de notre petite ferme. Je l’observais
aux jumelles. Peu avant un avion militaire français de type « Potez 63 », un bimoteur, l’un des deux basés
sur le Champ d’aviation depuis le début de l’hiver et qui n’avaient plus jamais pris leur envol, alla à sa
rencontre et j’entendis le crépitement des mitrailleuses de l’avion français ou allemand ? Entre temps deux
escadrilles de la Luftwaffe bombardaient le Champ d’aviation, une bombe tomba sur la digue près de chez
nous. Le Potez 63 retourna pour atterrir face au vent d’ouest et tomba dans un trou de bombe…..ce qui
termina sa carrière tout de suite !
Au mois de mai les allemands bombardaient également la Gare de Triage de Saint Pol sur Mer,
faisant sauter les wagons remplis de munitions qui projetaient dans le ciel toutes sortes d’obus, imitant un
feu d’artifice. Dans la même période quelques soldats prirent position avec un canon anti-char dirigé vers
l’ouest près du pignon de la maison. Il y eu quelques anglais qui s’installèrent avec une mitrailleuse sur la
digue et un va et vient de soldats de divers unités. Un jour je suis allé voir ce qui se passait rue du Comte
Jean chez mon frère. Et là…… !! Il ya avait une compagnie de soldats belges qui se reposaient en désordre,
étant épuisés sans doute par la longue marche occasionnée par la retraite.
Dans les derniers jours de mai, la pression ennemie se faisait de plus en plus forte et l’on entendait
des explosions d’obus du côté de Mardyck et Grande-Synthe faisant plusieurs victimes, ainsi que le
tac..tac.. des mitrailleuses qui ne nous rassuraient pas du tout. Maurice Calcoen qui habitait la ferme
Smagghe est venu nous dire que tous les jeunes âgés de 18 à 21 ans devaient se rendre à la mairie. Ma
mère, épouvantée, n’a pas voulu que nous y allions. Bien lui en pris car c’était une fausse information.
D’autres bobards disaient que nous devions évacuer et ma mère disait alors : « Vas où tu veux, meurs où
tu dois ». Cette maxime se révéla exacte car ma belle-sœur Marie venait tous les soirs avec sa petite fille
pour passer la nuit en notre compagnie. Suite au premier bombardement (cité plus haut) elle partit chez ses
parents à Spycker, une petite maison située au milieu des champs et loin des points stratégiques où nous
étions. Mal lui a pris, car lors de la bataille de Spycker, voyant pleuvoir les obus près de chez eux, ils
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partirent au café « La Maison Blanche » à Spycker également le long du canal de Bourbourg près de
l’Usine des Deux-Synthe appartenant à mon oncle Lucien Lecaillez. A ce moment le café était habité par
plusieurs dizaines de réfugiés de Dunkerque, il y en avait dans la grange, dans la cuisine, dans la salle du
café et dans la chambre de mon oncle. Là, parmi plusieurs personnes, jouaient sa petite fille Raymonde et
les deux fils de mon oncle, âgés de 2 ans pour Henri et 4 ans pour Roger. Lorsqu’un obus tomba au milieu
des enfants, tuant ma petite nièce et un de mes deux cousins, blessant grièvement le plus jeune qui mourut
15 jours plus tard. Si ma belle-sœur était restée près de nous, sa petite fille serait peut être encore parmi
nous, Dieu seul le sait. La même chose se produisit avec les deux fils de M. et Mme Paul Calcoen demeurant
rue du Comte Jean. Toute la famille partit chez M. Fernand Meesemaecker, route Nationale au village de
Grande-Synthe. Les deux enfants se mirent dans l’abri construit avec des ballots de paille, lorsqu’un obus
tomba sur eux de plein fouet, tuant les deux garçons.
Collection Pierre Metsu
Canon de DCA français de 25mm.
Toujours pendant cette période, un Stuka fut abattu et tomba à environ 400 mètre au sud de l’église
de Mardyck. Le pilote avait pu sauter en parachute. Un autre Stuka tomba sur l’église de Bourbourg et
brûla. Ce sont les deux seuls avions abattus que j’ai vu.
Une escadrille anglaise de type « Hurricane » d’une trentaine d’appareils environ passa en rase
motte près de notre maison, se dirigeant au sud-ouest vers les lignes ennemies.
Puis arrivèrent les derniers jours les plus angoissants, avec les bombardements aériens plus fréquents
ainsi que les tirs d’obus de la Batterie du Clipon. En même temps la Batterie de Fort-Mardyck tira des
salves vers l’ouest en faisant un vacarme épouvantable à faire éclater les tympans. L’avant dernier jour de
la fin des combats, la Batterie du Clipon tira de nombreux projectiles de chaque côté de la route des
Salines. Et moi, avec mes jumelles, juché dans l’ouverture de la porte gerbière située sur le pignon Est de la
maison, voyant que le tir se rapprochait de plus en plus, j’avertis ma mère (qui ne se mettait jamais à l’abri)
en lui criant de courir avec nous vers la tranchée dans la digue. Et, heureusement, car lorsque le tir
s’arrêta, on a constaté qu’un culot d’obus était tombé à l’endroit où ma mère lavait tous les matins son
écrémeuse, une solive l’avait arrêté. Un obus traversa un pilier du berck et éclata dans le potager. Un autre
blessa grièvement un servant du canon antichar et un troisième éclata derrière le baraquement édifié devant
chez nous, blessant gravement une vache de notre voisine dont le mari était mobilisé dans la ligne Maginot.
4 juin 1940 Arrêt des combats
Etant privé d’information par suite de manque de journaux, des bruits circulaient disant que les
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allemands avait pris Calais, ensuite Gravelines, Saint-Omer, Lille et plus près de nous Wormhout.
Brusquement les combats cessèrent. Averti par le capitaine de marine Kervelin qui avait reçu l’ordre de
partir avec ses hommes, pour rejoindre Dunkerque et y être embarqués pour l’Angleterre. Ils partirent
pendant la nuit.
Collection Pierre Metsu
Canon de DCA français de 75mm.
Collection Pierre Metsu
Batterie de canons de la Batterie de Fort-Mardyck et de l’Ouvrage Ouest.
Le lendemain matin, nous vîmes avec angoisse, l’arrivée de la horde de Wehrmacht au sud-ouest du
terrain d’aviation, marchant avec précaution à la queue-leu-leu. Vers midi, une compagnie équipée de vélos
pris probablement à l’armée française, stationne un moment à l’angle de la rue des Salines et de la
nouvelle route près de chez nous. Ils partirent vers Fort-Mardyck sans nous inquiéter. Plus loin au sud-est à
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un kilomètre environ, d’autres soldats montés sur des side-cars traversaient le watergang. Le jour suivant,
voyant que l’on n’était pas inquiété, je pris le parti d’aller voir sur la plage à la laisse de basse mer. Car en
montant au haut de la dune je voyais de nombreuses épaves et c’est là que je vis le premier cadavre habillé
seulement d’un caleçon et d’une chemise. Le jour de leur arrivée, j’étais allé sur la dune et là un spectacle
navrant s’offrit à ma vue, des milliers de malheureux soldats français marchant sur la plage, venant de
Dunkerque et n’ayant pu être embarqués se dirigeant vers l’ouest pour y être fait prisonniers. Un de ceux
qui avait cantonné dans la ferme près de chez nous, est venu nous dire bonjour. Nous lui avons offert des
vêtements civils. Il n’a pas osé les prendre et il est parti, se faisant probablement prisonnier un peu plus
loin. Les jours suivant les allemands ramassaient toutes les armes et fournitures militaires de l’armée
française en stockant derrière la digue. Ils firent de même avec tous les sous-vêtements abandonnés par les
prisonniers et qui furent entreposés dans notre berk. Tous les jours les allemands faisaient un va et vient
pour choisir le meilleur. Entre temps ils venaient fouiller de la cave au grenier pour voir si nous ne cachions
pas des soldats français ainsi que des fournitures militaires. Un jour, un jeune fritz entra dans la maison
visitant toutes les pièces et tomba en arrêt sur les souliers de travail que l’on faisait confectionner chez un
cordonnier habitant à Mardyck et qui étaient alignés près d’une petite armoire. Croyant que c’était des
souliers militaires car ils étaient fait de bon cuir et mon père connaissant un peu le flamand lui expliqua que
ces chaussures appartenaient à ses fils et il partit sans nous inquiéter. Les jours suivant nous avons été
avertis qu’un avis affiché en mairie par les allemands stipulait que tous ceux qui possédaient des armes de
chasse, devaient les amener à la maison communale. Mon père ayant fait la guerre 14-18 n’a pas voulu
qu’on les apporte, donc nous les avons cachées dans le jardin.
Un jour, un capitaine SS vêtu d’une grande cape grise est venu inspecter les alentours de la maison
s’est aperçu que le canon antichar était encore à sa place et constata que les obus gisaient dans le
watergang. Il appela mon père, le fit descendre le talus pour les ramasser en le menaçant de sa cravache et
le traitant de canaille, alors que c’était un homme de caractère sage et doux. Pensez un peu le supplice qu’il
endura, humilié de la sorte, et c’est lui et non pas l’un de nous qui a du les amener dans un petit chariot
attelé à notre cheval « Fanny » jusqu’à un dépôt chez Janssoone, le garde-chasse à Mardyck.
Collection Pierre Metsu
Potez 63/11 accidenté sur le terrain de Mardyck.
Quelques jours plus tard, les allemands amenèrent une cinquantaine de chevaux qu’ils avaient
réquisitionnés ou récupérés çà et là en les dirigeants vers l’entrée de la pâture en compagnie du cheval et
de nos deux vaches. Inutile de dire l’état de la pâture d’une superficie de 7000 m2 avec un tel cheptel.
Heureusement les animaux ne restèrent qu’une nuit et le lendemain les bêtes furent déplacées chez le voisin
car elles avaient fait table rase de l’herbe.
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Bombardiers en piqué allemands Junkers Ju87 ‘Stuka ».
Pendant tout ce temps, les récoltes poussaient, faisant fis de la folie des hommes. Nous avons du
prendre notre courage à deux mains pour biner, nettoyer les mauvaises herbes, caper et démarier les
betteraves, chicorées etc…
Il fallait aussi ramasser les cadavres échoués sur la plage. Cette tâche incombait au garde champêtre
de Grande-Synthe, Julien Vandenbroucke, aidé par les employés et un cheval tirant un tombereau et
enterrant les corps provisoirement dans les dunes en ayant soin de leur enlever les objets de valeurs, les
pièces d’identité, les plaques d’immatriculation fixées au poignet. Tous ces objets furent déposés en mairie.
Un jour je fis un tour dans les dunes pour identifier l’emplacement des tombes et je vis avec colère qu’un
fritz avait planté une baïonnette sur la sépulture d’un pilote de la R.A.F. Je m’empressais d’ôter cette arme
et la jetait dans un trou de bombe. Ces gens là, non content de nous avoir vaincus, profanaient jusque dans
leur dernier sommeil.
Puis vint le jour où une compagnie d’une trentaine d’hommes âgés entre quarante et cinquante ans,
commandés par un jeune gringalet d’une vingtaine d’années qui les faisait marcher à la baguette. Ces
soldats avaient pourtant l’air d’être correct, sans doute ayant souffert, eux comme mon père lors de la
première guerre mondiale. Ils étaient logés dans le baraquement que les français avaient édifié devant la
maison dans la pâture. Pendant le temps qu’ils logèrent là-dedans, ils venaient chez nous pour laver leurs
gamelles et c’est mon frère et moi qui devions aller chercher de l’eau que l’on puisait dans un trou à l’air
libre, creusé à environ une trentaine de mètres derrière la maison. Comme nous habitions près de la mer, on
ne pouvait pas faire de puits car l’eau devenait saumâtre, alors que dans ce trou lorsqu’il pleuvait, l’eau qui
tombait du ciel l’adoucissait.
En fin de journée, quelques soldats venaient bavarder avec mon père qui parlait un peu le flamand.
Ils s’expliquaient tant bien que mal et à la stupéfaction de nous tous, l’un d’entre eux se nommait comme
notre nom « Muyls » et d’après lui, il était originaire de la frontière germano-hollandaise. Moralité : On
voit par là qu’il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas !
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Collection Pierre Metsu
Crash d’un « Stuka » à Mardyck.
Collection Pierre Metsu
Arrivée des premiers éléments de la Wehrmacht à Mardyck.
Cette compagnie là était chargée de remettre le champ d’aviation en état, ils faisaient parti des
rampants de la Luftwaffe, étant vêtus d’uniformes de couleur bleue. Chaque jour et après chaque repas ils
devaient se mettre en rangs par trois, en attendant que ce petit gringalet les passe en revue pour voir s’ils
avaient bien lavé leurs gamelles. Un jour, l’un de ceux-ci n’avait pas bien lavé la sienne, il le fit courir au
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pas de charge à notre maison pour la nettoyer correctement. A chaque repas c’était un camion qui apportait
la soupe dans des grands bidons. Une fois ce paltoquet en compagnie d’un autre de la même espèce sont
venus avec une poule et ordonnent à ma mère de la plumer puis de la faire cuire dans une marmite d’eau.
Puis après avoir bouffé cette volaille, ils dirent à ma mère qu’elle pouvait consommer l’eau de cuisson.
Nous étions outrés devant ces cyniques et ne rien pouvoir leur dire. Le jour suivant ils ont volé des fraises
dans le jardin potager et ont ordonné à ma mère de les accommoder avec de la crème, chose que nous ne
faisions jamais car on les préparait avec du vin rouge et du sucre cristallisé. Heureusement qu’ils ne
restèrent pas trop longtemps.
Pendant ce temps là, la troupe s’installa dans les dunes et construisit des abris en prévision de rester
éternellement. On possédait deux petits chiens que l’on avait dressés pour la chasse aux lapins. Un jour nos
deux chiens sont partis rejoindre les soldats qui étaient de faction dans les dunes, et on ne les a plus jamais
revus. C’était naturel car de tout temps les chiens sont attirés par les hommes de guerre qui leur donnaient
les restes de leur pitance.
Collection Pierre Metsu
Arrivée des premiers éléments de la Wehrmacht à Fort-Mardyck.
Vers le début juillet, j’ai vu un premier avion anglais faisant une incursion en rase motte au dessus du
Clipon en se dirigeant vers le sud, sans doute pour faire une reconnaissance. Cela nous donna du baume au
cœur, sans savoir que nous attendrons quatre ans pour être libérés. J’ai vu aussi une escadrille de cinq
avions anglais venant du sud en passant en rase motte au dessus de la maison, c’était des bombardiers
« Bristol-Blenheim » bimoteurs anglais.
Expulsion et évacuation
Le soir du 12 juillet 1940, la mauvaise nouvelle arriva par la voie d’un officier allemand nous
avertissant qu’il fallait partir le plus rapidement possible. Mon père lui demanda la raison, et c’était soit
disant pour notre sécurité et parce que nous étions à l’intérieur du périmètre du champ d’aviation. Nous
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étions quatre exploitations bâties à proximité les uns des autres et tous dans le même cas. Heureusement que
nous avons pu nous loger chez mon frère Raymond, rue du Comte Jean, exploitation que mon père avait
acquit en 1919. Ainsi nous n’étions pas à la rue. C’était différent pour nos voisins, surtout la grande ferme
de Maurice Calcoen avec tout son bétail et son matériel. Heureusement pour lui, il a pu s’installer un peu
plus loin près de la Batterie de Fort-Mardyck, dans une petite ferme exploitée par un de ses neveux peu de
temps avant la déclaration de la guerre. Le neveu venait d’être mobilisé dans la ligne Maginot comme mon
frère Raymond et tous les deux furent prisonniers jusque juin 1945. Je vois encore ma pauvre mère
marchant derrière le dernier chargement du déménagement, avec les deux vaches attachées derrière le
charriot en compagnie de mon père et moi assis devant, conduisant le cheval. Mon frère Lucien fit le
chemin en vélo.
Collection Pierre Metsu
Cadavres de soldats anglais noyés, sur la plage.
Après cela il fallait ramasser la récolte de pommes de terre. Les allemands nous ont autorisés à les
enlever, mais pour cela il fallait un laissez-passer qu’on devait aller chercher à la Kommandantur logée
dans la ferme du Petit Prédembourg. Au mois d’août on a fait la moisson avec notre voisin Léon Quilliot
dans la partie intérieure du pourtour de l’aérodrome, car les allemands avaient installé une clôture bien audelà de l’ancien périmètre du terrain. Une anecdote : On finissait de ramasser les gerbes d’orge de Léon,
avec l’oncle de ma mère, le fils de Léon et moi-même. Entre temps les allemands commençaient à aménager
l’aérodrome en faisant du terrassement pour construire les pistes d’accès aux hangars qu’ils construisirent
par la suite. En face de la maison de Léon ils avaient creusé un encuvement à côté de la route, et pour
rentrer dans le champ avec un charriot vide il n’y avait pas de problème, mais lorsqu’il était chargé on ne
pouvait plus sortir sauf à un endroit qui était gardé par une sentinelle allemande qui nous interdisait le
passage. L’oncle de ma mère qui fut prisonnier en 14-18 et sachant parler allemand alla au devant du
soldat, se mettant au garde à vous à une distance de six pas, lui parla d’un ton brutal comme le faisait le
supérieur du soldat. La sentinelle dans un maintient rigide et n’osant pas broncher nous laissa passer. Ce
qui nous faisait rire sous cape !
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Collection Pierre Metsu
Tombes provisoires dans les dunes et sur la plage.
Collection Pierre Metsu
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Collection Pierre Metsu
Cadavre de soldat belge sur la plage.
Août 1940
Occupation et aménagement de l’aérodrome par l’armée allemande
Ce fut un va et vient incessant des troupes d’occupation, prenant position un peu partout dans nos
villes et villages, nos fermes et les plus belles maisons pour les officiers. Ces troupes étaient équipées de
matériel moderne, à notre grand étonnement, puisque d’après les journaux de l’époque, c’était nous les plus
forts, aussi, grande fut notre désillusion. Tout de suite ils prirent position en aménageant le champ
d’aviation, et, en premier lieu ils drainèrent le terrain en employant une nombreuse main-d’œuvre, facile à
trouver du fait des destructions occasionnées au port de Dunkerque. Tous ces ouvriers étaient acheminés
par un tracteur et remorque dans laquelle ils étaient entassés comme des bêtes. Ils construisirent une piste
en béton autour du périmètre du terrain, reliée par de nombreuses pistes secondaires au bout desquelles ils
édifièrent des hangars en briques rouges ayant la forme d’un avion, ainsi que des abris de même forme mais
en ballots de paille recouverts de filets de camouflage. Pour le transport du matériel, ils nous ont
réquisitionnés avec chevaux et tombereaux pour transporter la terre sortie des tranchées devant recevoir
des drains en terre cuite. Les drains étaient recouverts de scories sur une épaisseur de 10 centimètres, puis
un lit de briquaillons d’environ 40 centimètres et enfin une couche de terre qui permettait la reprise du
gazon. Ces déblais venaient de la ville de Dunkerque et étaient transportés par un entrepreneur belge
équipé d’un tracteur Law et de deux remorques de 5 tonnes chacune. Tout ce travail s’est fait assez
rapidement malgré le peu de motivation qui nous animait et j’ai du travailler pour eux également. Bien sûr
ils nous payaient convenablement et c’était facile pour les allemands car ils n’avaient qu’à faire tourner la
planche à billets de la Banque de France. Il faut reconnaître que ce travail a donné un bon résultat, plus
une seule goutte d’eau ne stagnait sur le terrain, contrairement à l’année précédente avec les pluies
incessantes d’octobre et novembre. A cette époque les avions français décollaient dans des gerbes d’eau qui
passaient au dessus des appareils.
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Collection Pierre Metsu
Regroupement des chevaux par l’armée allemande.
Ces travaux effectués, la Lufftwaffe détacha une escadrille d’une trentaine de Messerschmitt 109.
Cette escadrille était chargée de convoyer les bombardiers qui attaquaient les villes anglaises lors de la
Bataille d’Angleterre. Tous les appareils ne revenaient pas et parfois certains avions atterrissaient sur le
ventre ou se vautraient dans les champs voisins à la satisfaction générale des français !
Collection Pierre Metsu
Construction d’abris provisoires réalisés avec des ballots de paille.
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Collection Pierre Metsu
Construction de baraquements définitifs.
Collection Pierre Metsu
Sentinelle allemande à l’entrée du camp.
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Année 1941
Consolidation de l’armée d’occupation supposée définitive
Collection Pierre Metsu
Vue aérienne du terrain avec alignement de Messerschmitt Bf109.
Collection Pierre Metsu
Vue aérienne du terrain avec les nouvelles pistes bétonnées.
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Réalisation des travaux de terrassement sur le Champ d’aviation
Collection Pierre Metsu
Dès cette année là, les allemands s’organisaient en prévision de rester définitivement en France, en
consolidant les défenses existantes telles la Batterie de Fort-Mardyck, l’Ouvrage Ouest de Saint Pol sur
Mer, le Fort de Petite-Synthe, le Fort des Dunes à Leffrinckoucke. En construisant des blockhaus un peu
partout dans les dunes et des nids de D.C.A. autour de Dunkerque, un à l’ouest du Fort-Ouest près du front
de mer et un autre au lieu dit « Le Torpilleur » à Petite-Synthe à l’Est du Fort du même nom. Des postes
d’écoutes contre les avions avec projecteurs et canons-révolvers et mitrailleuses. Dans les fermes
importantes, ils entreposaient du ravitaillement tel que charbon, bois de construction, munitions, matériels
automobiles et hippomobiles et cantonnement pour la troupe. Une chose m’a particulièrement frappé : c’est
que l’armée française possédait encore des fourragères roues ferrées alors que celles des allemands étaient
équipées de pneus et attelées seulement de deux chevaux. Ces charriots servaient au transport du
ravitaillement et équipements des soldats lors de leurs déplacements. Ils aménagèrent de ci de là dans des
locaux existants des cuisines dans lesquelles ils employaient des civils. Malheureusement il faut dire que le
chômage n’existait presque plus, car avec les défenses de toutes sortes qu’ils construisaient tels les poses de
réseaux de barbelés, lignes téléphoniques sous-terraines et aériennes. La ligne téléphonique qui reliait
Bruxelles à Calais, passait à quelques centaines de mètres au sud de la route Dunkerque-Calais, fut posée
par des équipes belges. Chaque homme de cette équipe devait faire une portion de plusieurs mètres par jour
ainsi que des gardes-fils et de la main-d’œuvre pour déblayer les décombres. Il y avait aussi des
débrouillards qui faisaient du marché-noir. On pouvait acheter de la viande chez le coiffeur, de l’épicerie
chez le boucher et dans les bistrots c’était les rendez-vous pour faire du troc. Parce que dès le début de
l’occupation, l’autorité française instaura la carte de pain, de vin, de viande, de vêtements etc… Celui qui
ne fumait pas où ne buvait pas de vin pouvait échanger les points pour un autre produit, soit des tickets de
pain, de café, chocolat ou huile. Voilà comment s’organisa petit à petit la vie de la population avec plus ou
moins de chance selon que l’on était commerçant, ouvrier ou cultivateur. C’était surtout les gens des villes
qui souffraient le plus de cette situation, car ils ne possédaient pas de jardin potager qui était d’un apport
non négligeable pour la récolte des légumes.
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Collection Pierre Metsu
Chasseur allemand Messerschmitt Bf109.
Collection Pierre Metsu
Pilote aviateur du Jagdeschwader 2.
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Collection Pierre Metsu
Projecteur allemand de la DCA.
Collection Pierre Metsu
Canon allemand de la Flak 2cm.
En juin, après l’offensive des divisions germaniques contre la Russie, les choses changeaient
imperceptiblement. Le nombre de soldats commençait à diminuer. L’armée déclara la bande côtière en
Zone Rouge où il était interdit de circuler au delà du lieu de l’habitation d’au moins cinq kilomètres. Pour
se déplacer il fallait un laissez-passer. Pour aller un peu plus loin, nous devions le faire en vélo, mais
comme c’était la restriction pour les pneus, on employait la bicyclette que pour le travail. Par exemple, pour
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nous qui cultivions encore trois hectares dans les Salines et distants d’environ trois kilomètres, nous avions
droit à des bons de pneus. Bien sûr on trichait un peu sur la demande, on écrivait cinq kilomètres parce
qu’en dessous de cette distance on n’y avait pas droit.
Collection Pierre Metsu
Pose de lignes téléphoniques souterraines.
Dans le courant de l’année, les incursions de l’aviation alliée se faisaient de plus en plus nombreuses,
lâchant quelques bombes par ci par là. Des chasseurs passaient en rase-motte et mitraillaient parfois les
positions adverses. Quelque fois des appareils étaient abattus et le premier que j’ai vu descendre, tomba
près du Fort Ouest dans le dépôts d’ordures ménagères de l’agglomération. C’était un chasseur anglais
« Spitfire ».
Pendant cette année, les restrictions se faisaient de plus en plus sentir, telle celle sur le charbon, mais
comme je travaillais au champ d’aviation, je récupérais tous les morceaux de bois qui traînaient et qu’on
partageait avec les ouvriers qui faisaient la route avec moi lors du retour à la maison le soir. Je n’allais pas
tous les jours, n’y étant pas obligé parce qu’il y avait suffisamment d’attelages.
Entre temps je faisais les travaux des champs avec mon père Amédée, ma belle-sœurMarie et mon
frère Lucien, ce qui nous permettait de ne pas trop souffrir de la faim. Possédant deux vaches et élevant
chaque année un cochon nourri avec les déchets ménagers et l’orge que nous cultivions aux Salines, des
poules nous pondaient des œufs bien sûr, des lapins, des légumes du potager et les pommes de terre nous
servaient à l’alimentation. On récoltait des betteraves fourragères pour les vaches et des sucrières nous
donnant droit à la pulpe pour les vaches ainsi qu’un contingent de quelques kilos de sucre, de la chicorée à
café qui donnait droit à quelques kilos de chicorées torréfiées. Cela suffisait pour l’année sans toutefois
faire d’excès dans la consommation.
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Collection Pierre Metsu
Pose de lignes téléphoniques aériennes.
Ne cultivant que sept hectares dont trois où nous demeurions rue du Comte Jean, cela nous mettait à
l’abri de la faim. Le surplus était vendu à nos anciens clients de Fort-Mardyck à un prix raisonnable car
mes parents n’étaient pas des profiteurs. Il fallait aussi livrer au ravitaillement le peu de blé que l’on
récoltait et on s’arrangeait avec l’entrepreneur de battage pour qu’il ne déclarait pas tout, de cette façon on
avait quelques hectolitres de blé qui nous restaient et que l’on amenait au moulin à vent de François
Ropital pour la farine. C’était délicat car l’artisan possédant la batteuse, pour avoir du combustible servant
à faire fonctionner le tracteur, recevait un contingent de gas-oil selon le tonnage qu’il déclarait avoir battu.
L’aviation alliée fut particulièrement active du 9 juillet au 28 décembre 1941.
Année 1942
Peu d’évènements importants, même train-train de vie
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Collection Pierre Metsu
Chasseur britannique « Spitfire » abattu près de l’Ouvrage Ouest.
Peu de souvenirs me sont restés, sans doute que cette année là fut particulièrement calme, car les
allemands étaient trop occupés en Russie ; Il y avait quand même des escadrilles de quelques avions
« Messerschmitt 109 » qui patrouillaient le long de la côte à basse altitude, cherchant d’éventuels appareils
alliés.
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Dans la nuit de vendredi 24 avril au samedi 25 avril, Effroyable bombardement sur Dunkerque et ses
environs pendant presque deux heures.
Dans la nuit du 25 au dimanche 26 avril, bombardement moins fort pendant une heure quarante cinq
minutes.
Dans la nuit du 26 au lundi 27 avril, bombardement pendant une heure et demi.
Dans la nuit du 27 au mardi 28 avril, bombardement pendant plus d’une heure et demie. Un
bombardier a été descendu par la Flak à Saint Pol sur Mer au lieu dit « Les Glacis » en flammes sur une
petite baraque habitée par une personne.
Dans la journée du mercredi 29 avril, attaque des bombardiers sur Dunkerque et sur le port, il parait
qu’il y a beaucoup de blessés.
Du 29 au jeudi 30 avril, attaque sur Dunkerque pendant une demi-heure. Un quadrimoteur abattu en
flammes du côté de la Batterie de Mardyck. Il parait qu’il y a sept occupants carbonisés.
Jeudi 30 avril, passage d’avions dans les environs de Gravelines, un appareil descendu en flammes.
Vendredi 1er mai, passage de chasseurs au dessus de Dunkerque le matin de bonne heure. Le soir
attaque par six quadrimoteurs du côté de Wormhout escortés de nombreux chasseurs.
Collection Pierre Metsu
Bombardement intensif sur le secteur de Dunkerque.
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Soudainement une alerte eu lieu au milieu du mois d’août, les allemands devenaient nerveux,
demandaient plus souvent à contrôler les papiers d’identité. Un jour ils mirent des chevaux de frise en
travers des routes stratégiques. On apprit un peu plus tard que les alliés avaient tenté un débarquement le
19 août à Dieppe. Tentative avorté, faisant plusieurs centaines de victimes et abandonnant un important
matériel, ce qui était une expérience pour tester les défenses ennemies, devenant un succès en juin 1944.
En cours d’année les avions alliés faisaient quelques nouvelles incursions en jetant quelques bombes
par ci par là. Pendant cette période, de temps en temps, un chasseur allié venait en reconnaissance à haute
altitude pour photographier la Zone Rouge.
A l’époque nous pouvions toujours cultiver les trois hectares des Salines malgré les allemands qui
avaient installé un groupe d’écoute aérienne et un projecteur, protégés par un canon révolver et une
mitrailleuse anti-aérienne. Ils avaient construit des baraquements le long de la digue pour abriter les
soldats qui étaient relevés périodiquement par d’autres unités. Il faut reconnaître que ceux là étaient
corrects, ils faisaient attention pour ne pas abîmer les récoltes près de leur baraque. Le soir, avec leur fusil
Mauser, ils tiraient les perdrix très nombreuses, car depuis deux ans elles n’étaient plus chassées.
Parfois pendant certaines nuits les avions alliés venaient en reconnaissance en larguant des fusées
éclairantes afin de mieux repérer les défenses ennemies. Quelque fois l’un des leurs était pris dans les
faisceaux des projecteurs et les tirs de la Flak sans être autrement inquiétés car ils évoluaient à une altitude
respectable.
Année 1943
Abandon du terrain d’aviation par la Luftwaffe
Avion britannique « Bristol Blenheim » abattu par la DCA allemande.
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Collection Pierre Metsu
Après la reddition de Von Paulus à Stalingrad, les allemands au début de l’année ont abandonné le
Champ d’aviation, non sans démonter tous les hangars, tout ce qui était récupérable. Puis avec plusieurs
équipes de terrassiers, ils ont fait creuser des tranchées en long et en large en quadrillant le terrain. Ils ont
également posé toutes sortes d’obstacles tels que rails, grilles servant aux avions pour se garer dans l’herbe
autour du terrain, fil de fer barbelés, chevaux de frise venant de la ligne Maginot pour empêcher sans doute
l’atterrissage des avions alliés.
Pendant ce temps, la vie continuait plus ou moins difficilement en effectuant les travaux des champs
pour semer, planter, récolter. Mais les rendements s’en ressentaient du fait de la restriction des engrais.
Ainsi pour le blé, on arrivait péniblement à trente quintaux à l’hectare, pour l’avoine à peu près la même
chose et pour l’orge environ vingt deux quintaux à l’hectare. Lors de la moisson, c’était la restriction de la
ficelle qui était utilisée sur les moissonneuses lieuses. On recevait une partie en Sisal et l’autre en ficelle de
papier, à tel point, nous ne possédions pas de moissonneuse car notre exploitation était trop petite, alors on
s’arrangeait avec un voisin qui venait couper le blé et l’orge. Mon père et moi, nous coupions l’avoine à la
main avec une sape, comme cela on épargnait de la ficelle qu’on cédait à celui qui venait faucher
mécaniquement le blé et l’orge.
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Collection Pierre Metsu
Bombardier américain Martin B-26 « Marauder » attaquant la Batterie de Mardyck.
Le mardi 27 avril, bombardement de deux escadrilles américaines de bimoteurs « Marauder » au lieu
dit « Les Salines » sur la Batterie de Mardyck, située au Nord de Fort-Mardyck. Les avions lâchèrent une
centaine de torpilles faisant une victime civile travaillant au Fort. Deux appareils sont tombés et
explosèrent au sol dans un énorme nuage de fumée. Trois aviateurs ont pu sauter en parachutes et sont pris
par les allemands. Le premier avion est tombé sur une parcelle de terrain que nous avons cultivée jusque
décembre 1942. Le deuxième tomba dans les dunes au nord de notre ancienne maison détruite entre 1942 et
1944 et située près du Champ d’aviation de Dunkerque-Mardyck. Parmi les bombes, certaines étaient de
gros calibre et faisait d’énormes entonnoirs pouvant contenir une maison.
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Collection Pierre Metsu
Les soldats allemands posent des mines.
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Au printemps, les évènements se précipitaient. Informés par le journal qui était moins censuré, ne
possédant pas de poste radio, on allait écouter la BBC chez un voisin le soir à 20h et là, les informations
étaient les plus exactes, seulement on devait se méfier car c’était interdit. Une date que je ne vais jamais
oublier, ce fut le jour de mes vingt ans que les alliés débarquaient en Sicile, c’est-à-dire le 10 juillet 1943.
Ce qui nous donnait espoir, voyant enfin la suite de cette guerre et comme Churchill disait le 23 octobre
1942 « Ce n’est pas la fin ni même le commencement de la fin, mais c’est la fin du commencement ».
Lundi 2 août, des avions alliés lâchèrent des bombes sur l’emplacement des exploitations agricoles
de Maurice Calcoen, Léon Quilliot et Amédée Muyls près de l’aérodrome. Heureusement qu’elles n’étaient
plus habitées depuis 1940 car les allemands nous en avaient chassés, soit disant pour notre sécurité.
Dimanche 29 août, des avions de nationalité anglaise, volant en piqué, ont jeté cinq bombes sur le
territoire de Grande-Synthe dans « les Salines ».
En octobre, les allemands qui étaient cantonnés à la lisière de nos terres, près de la digue des
Salines, installèrent un réseau de fils de fer barbelés dans un rayon de quatre vingt mètres environ du
centre de leur cabane et à l’extérieur, tout autour sur vingt mètres de largeur. Dans ce périmètre ils
posèrent des mines à intervalles réguliers. Chose curieuse, l’année suivante à l’emplacement des mines j’ai
remarqué où il y avait une récolte d’avoine, que celle-ci avait le double de hauteur et d’un vert foncé et les
tiges étaient grosses comme le doigt ? J’ai appris un peu plus tard que c’était l’azote contenu d’ans
l’explosif.
Année 1944
Collection Pierre Metsu
Utilisation des pompes à incendie pour la pose des pieux « Rommel ».
En cette année là, les pays de l’Axe reculaient sur tous les fronts, les allemands, sans doute en
prévision du débarquement, minèrent toute la bande côtière, en particulier sur le territoire de GrandeSynthe à partir de la laisse de haute mer jusqu’à la limite de la route de Fort-Mardyck à Mardyck sur une
distance d’à peu près un kilomètre de large. Ils les enterraient suivant des plans, soit en quinconce soit en
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ligne droite. Des bornes faites de piquets de béton servaient de points de repères. Les champs de mines
étaient protégés par une clôture de fils de fer soutenue par des poteaux de bois sur lesquels à intervalles
réguliers étaient clouées des plaques avec une inscription « Achtung Minen ».
Il y en avait divers modèles, les unes enterrées et invisibles et d’autres en particulier les « Mines
S » sortant de terre et visibles par trois petites antennes. Ces dernières étaient les plus dangereuses car si
l’on marchait dessus, dès qu’on enlevait le pied, elles étaient projetées en l’air et explosaient en projetant
de multiples éclats qui pouvaient tuer jusqu’à une distance de cent mètres. Il y avait aussi les mines en
béton, de la grosseur d’un demi litre, fixées sur une tige de bois au dessus du sol et reliées entre elles par
des fils de fer. Leurs explosions accidentelles étaient provoquées par des chiens ou des lièvres lorsqu’ils
touchaient les fils. A partir de ce moment avec la présence des mines, l’exploitation des trois hectares des
Salines fut définitivement terminée.
Source Internet
Pieux Rommel à marée basse.
Sans doute les services secrets allemands, pressentant le débarquement, la Kommandantur reçu
l’ordre de réquisitionner tous les hommes valides, même le curé de Mardyck. Cela se passait début avril,
pour planter des pieux, des pièces de béton en forme de tétraèdre, des arbres et autres matériaux sur la
plage en bordure de la laisse de basse mer. Des équipes coupaient les arbres dans la campagne, des
cultivateurs réquisitionnés transportaient les arbres depuis les villages des Flandres et les amenaient dans
des dépôts le plus près possibles de la côte. Là d’autres attelages étaient chargés de traîner ces arbres au
bord de la mer. Entre temps les allemands avaient réquisitionné toutes les petites pompes à incendie des
villages qui servaient à faire des souilles à l’aide des lances à incendie. Dès que la souille était effectuée,
sept ou huit hommes soulevaient un arbre de trois à quatre mètres qui était enfoncé dans le trou. Ces piquets
« Rommel » ainsi appelés, on les descendait à environ deux mètres de profondeur et on les maintenait
jusqu’à ce que le sable se referme sur eux, sinon les troncs d’arbres remontaient en flottant.
Cela se faisait tous les jours à marée basse, il fallait attendre le reflux, et comme il faisait beau temps, on
s’allongeait dans la dune en attendant le travail.
On était commandé par un sous-officier fritz surnommé « La Pipe ».
Avril 1944
Le 19 avril 1944, nous étions occupé de planter des pieux « Rommel » en bordure de la laisse de
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basse mer en compagnie de Paul Calcoen, Alfred Grujon, Sylvain Lecailliez, Jean Labyt, Raymond
Evrard et plusieurs autres habitants de Fort-Mardyck lorsque soudainement la Flak entra en action. Nous
vîmes arriver venant du sud, une escadrille de bombardiers américains, des bi moteurs de type « Martin B
26 Marauder » à une altitude d’environ mille cinq cent mètres se dirigeant sur nous en direction de la
Batterie de Fort-Mardyck. Tout à coup, deux appareils furent touchés et piquèrent vers le sol. L’un des
avions tomba dans les terrains minés qu’on cultivait précédemment aux Salines et explosa dans un nuage de
fumée et brûla longtemps, l’autre tomba dans les dunes derrière notre maison près du champ d’aviation.
Pendant sa chute une partie du fuselage, la queue s’écrasa sur la plage au milieu des attelages qui
remorquaient les arbres, semant l’épouvante et la panique parmi les chevaux amis ne faisant aucune victime
humaine. Dans les carcasses des appareils, il n’y eu aucun de survivant.
Collection Pierre Metsu
Bombardiers en mission de bombardement.
Quelques secondes plus tard, le reste des avions larguèrent leurs bombes sur la Batterie, la dernière
tomba sur la plage à environ cinq cent mètres de nous. On pouvait distinguer nettement les étoiles peintes
en bout d’ailes des avions. Inutile de dire qu’on a été quitte pour une belle peur. Dix minutes plus tard une
deuxième vague d’une centaine d’appareils arriva un peu plus à l’ouest venant de la même direction et
largua ses bombes au dessus des terrains minés exploités par Samuel Desaegher à environ trois cent mètres
de la Batterie. Nous avons vu une équipe de belges qui construisait un blockhaus dans les dunes au bord de
la contre digue longeant le Fort qui, croyant que les avions se dirigeaient sur la Batterie se mit à courir en
direction de l’ouest, c’est-à-dire en pleine trajectoire du bombardement. Heureusement pour eux, les
dernières bombes tombèrent un peu devant eux et il n’y eu pas de victime.
Le même jour nous n’avons pas pu rentrer dans la Batterie rendre nos outils comme cela se faisait
tous les jours. Le lendemain en retournant à notre tâche une vision dantesque s’offrit à nos yeux, plusieurs
bombes avaient détruit les canons, les anciens abris construits en briques étaient effondrés. Une cantine qui
avait été installée dans la cour intérieure était pulvérisée. Parmi le personnel civil qui travaillait à la
cuisine et autres travaux ménagers, il y eu une femme domiciliée à Fort-Mardyck qui fut tuée. Nous n’avons
pas su s’il y avait eu des victimes allemandes. Ce jour là, mon camarade Raymond Evrard et moi, en
compagnie de plusieurs prisonniers italiens qui logeaient dans le Fort, nous fûmes détachés pour enlever les
décombres qu’on déversait dans le canal, ainsi que les débris de la cantine en dessous desquels nous
trouvions des pièces de monnaie qu’on s’empressait de mettre dans nos poches bien sûr. C’est là aussi que
j’ai appris avec les italiens, qu’en frappant à deux, avec chacun une masse, sur le même poinçon pour
diviser les blocs de briques c’était plus facile de soulever les blocs. Quelques jours plus tard, nous étions
toujours occupés à déblayer les gravats, lorsqu’une nouvelle alerte fut donnée par un fritz perché sur le
blockhaus qui dominait la Batterie. Il criait dans un porte-voix « Flegz Alarm ». Dès qu’il fut descendu, on
quitta les lieux, détalant à toutes jambes en s’éloignant le plus possible de la cible. Bien nous en a pris car
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quelques minutes plus tard, une forteresse quadrimoteur volant à haute altitude laissa tomber son chapelet
de bombes, dont une qui atteignit de plein fouet un petit camion sur lequel était arrimé un petit tracteur
servant à remorquer les wagons Decauville. Une seconde bombe tomba sur l’écurie de la Batterie où les
allemands étaient occupés de dépiauter un veau qui fut pulvérisé. Une troisième bombe termina sa course à
cinquante mètres de la ferme de Joseph Calcoen et à cinq mètres d’un fossé dans lequel était allongé un
homme, tué sans doute par la déflagration car du sang lui sortait de la bouche et des oreilles. Une deuxième
forteresse largua ses bombes plus à l’ouest à environ huit cent mètres dans les champs de mines.
Source Internet
Appareil britannique de type « Hawker Typhoon »
C’était vers onze heures du matin et nous ne sommes plus retournés au travail, nous enfuyant par la
route des Salines et suivant un chemin que les allemands avaient laissé dans les champs de mines, pour
rejoindre la route de Fort-Mardyck. Nous ne sommes pas retournés travailler l’après midi. Le jour suivant
nous sommes retournés à la Batterie sur notre lieu de travail et recevoir l’ordre de faire des recherches
pour retrouver le chauffeur du camion. Au bout d’un moment, après avoir remué une partie de la terre, nous
trouvons son bras habillé d’une partie de son blouson dans lequel était son portefeuille. Il était de
Rosendaël et le reste de son corps n’a pas été trouvé, aucune trace.
A partir de ce moment, chaque fois qu’il y avait des avions qui venaient bombarder dans les environs,
j’avais une peur bleue, alors que cela ne me faisait aucun effet au par avant. Il faut être dans la situation
pour constater l’effroi que cela produit. Par la suite, en allant chercher l’avoine que j’avais amener au
moulin chez Coloos à Petite-Synthe pour la concasser et servir d’aliments pour les chevaux et avoir chargé
les sacs sur le charriot j’entendis les tirs de la Flak près du Fort de Petite-Synthe. Mon cheval, pris de peur
se cabra et me fit tomber en me blessant aux genoux. Cela me permis de me « porter malade » et ayant
averti les allemands de la Batterie, ils m’ordonnèrent de passer une visite chez un médecin logé au Château
Rose situé au lieu dit « La Campagne » à Saint Pol sur Mer. Suite à cette visite, il donna plusieurs jours de
repos et m’ordonnait de faire une deuxième visite un peu plus tard. N’ayant nullement l’intention de
retourner travailler au Fort, je m’ingéniais à ce que ma plaie ne cicatrise pas trop vite. Après la seconde
visite je n’ai plus travaillé au Fort et ne fut pas inquiété.
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1944, le débarquement des alliés en Normandie
Au milieu du printemps, le garde champêtre de Grande-Synthe nous a apporté un ordre émanant de
la kommandantur, ordonnant d’amener les chevaux passer une visite devant un vétérinaire de l’armée. J’ai
dû amener l’un des nôtres, une jument de trois ans. Naturellement elle fut prise bonne pour le service et tout
de suite, l’un des soldats à inscrit à l’aide d’un fer rouge sur le sabot de devant le numéro
d’immatriculation.
Dès le mois de juin, de plus en plus d’incursions de l’aviation alliée, venant bombarder ou mitrailler
le long de la côte et à l’intérieur des terres, en particulier plusieurs nuits de suite au Clipon et au Westhoek.
Les allemands y avaient construit beaucoup de blockhaus avec de nombreuses pièces d’artillerie de gros
calibre. Lorsque les forteresses arrivaient une à une, faisant un bruit d’enfer émanant de leurs quatre
moteurs, on était atterré. Puis lorsque les bombes éclataient, la maison tremblait sur ses fondations à tel
point qu’on craignait qu’elle s’effondre, et pourtant le bombardement se passait à un peu près six
kilomètres. Il y a eu de nombreuses petites fermes qui furent atteintes avec plusieurs victimes civiles. Un
dimanche, les forteresses bombardèrent les blockhaus près d’Eperlecques abritant les fusées V1. Lorsque
les bombes explosaient, on entendait un bruit sourd en sous sol et pourtant c’était à plus de vingt cinq
kilomètres.
Un convoi bien singulier
Vu l’avance des alliés sur le sol de France, et prenant définitivement pied, les allemands ordonnèrent
à la mairie de rassembler tous les chevaux qui avaient été immatriculés et de les rassembler en face de la
mairie et j’étais du nombre. Il y avait Paul Calcoen avec cheval et charriot ; Jean Labyt et sa belle jument
boulonnaise « Fanny » ; Sylvain Lecailliez avec les deux chevaux de la ferme Fonteyne du village et moimême avec notre jument « Charmante ».
Source Internet
Un attelage singulier.
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Ordre de réquisition de janvier 1944.
Les officiers nous ont dirigés vers la ferme d’Eugène Deram où nous sommes arrivés en fin de soirée
pour y passer la nuit dans la grange et dormir fans le foin en attendant la suite ; Dans l’ordre de réquisition
il était noté que nous devions prendre de la nourriture pour les chevaux et pour nous pour plusieurs jours
ainsi qu’un seau, un nécessaire de toilette et une paire de couvertures.
Le jour suivant ils nous ont dirigés vers la ferme de Marius Top au Pont à Roseaux à la limite de
Grande-Synthe et de Loon-Plage. Près de cette ferme était installée une batterie de canons dans des
blockhaus qui existent encore. J’avais attelé mon cheval avec celui de Jean Labyt dans un charriot
réquisitionné dans une ferme à proximité. Les allemands avaient chargé les charriots d’obus et leurs
équipements. Un peu avant midi nous partîmes vers Craywick, Coppenaxfort, Brouckerque, Pont du
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Grand-Millebrugghe, Steene, Crochte. Dans cette dernière station, le 15 août, nous avons passé une partie
de la nuit dans une ferme pour nous reposer ainsi que nos attelages.
Fiche de renseignements.
De bon matin nous partîmes en direction de Zégerscappel via la route de Bollezeele. Au croisement
du lieu dit l’Erkelsbrugghe nous nous dirigeâmes vers Rubrouck. Entre Rubrouck et Noordpeene, dans
une descente par un petit chemin de campagne, brusquement nous avons dû nous arrêter car un avion allié
faisait une reconnaissance à haute altitude. Nous avons abandonné les chevaux et charriots pour nous
éloigner du convoi et nous mettre à couvert, craignant une attaque par d’autres avions. Mais heureusement
rien ne se passa et nous continuâmes notre route. Peu avant Noordpeene, sur notre gauche il y avait une
petite colline boisée dans laquelle était installée une rampe de lancement de V1. Ensuite nous rejoignîmes la
route de Cassel à Saint-Omer. En arrivant au carrefour, direction Saint-Omer puis après quelques
kilomètres direction Renescure. Peu de temps après avoir quitté la grand route, dans une descente, Jean
Labyt croyant bien faire me dit « Je ne vais pas plus loin » et il poussa le timon du charriot qui bascula
dans le fossé. Au lieu de gagner du temps, mal nous a pris, car les allemands ont réquisitionné un charriot
équipé de freins. Nous avons dû décharger le chargement et mettre les obus et le matériel sur le nouveau
charriot ; Pendant ce temps, tout le convoi était arrivé dans une pâture à Renescure et nous, nous sommes
arrivés un peu avant la nuit. Nous avons dételer les chevaux, leur avons donné à boire et à manger. Nous
nous sommes restaurés dans l’habitation en compagnie des propriétaires. Les allemands nous ont donné un
peu de beurre de la valeur de deux cubes de bouillon et à chacun un quignon de pain «K.K.»(Kleie und
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Kartoffein) . Nous nous sommes bien reposés toute la nuit et de bon matin nous repartîmes en direction de
Blaringhem puis Quiestède.
Peu avant midi nous devons descendre une petite côte, notre charriot équipé de freins descendit sans
problème. Par contre avec le charriot non équipé de freins de Paul Calcoen, ce fut une expédition. Nous
avons attaché un comble aux rayons d’une roue pour l’empêcher de tourner. Le frottement du bandage de
fer de la roue sur le macadam provoquait un échauffement et on devait bloquer la roue avec une grosse
branche, stationner un moment, attendre que ça refroidisse, puis repartir à nouveau. Arrivés en bas de la
côte le bandage de fer était diminué de plus d’un centimètre.
A quelques kilomètre de Quiestède, le cheval de Jean se mit à boiter, c’est-à-dire qu’elle était
fourbue. On s’est donc arrêté, les allemands ont réquisitionné un cheval ainsi que le fils des fermiers qui
partit avec nous. Quand à « Fanny », on l’a laissée dans la ferme et Jean la récupérée peu après la trêve
étant donné que toute cette région a été libérée avant nous. Lorsque ces incidents furent terminés, on passa
par des petits chemins ruraux étroits et encaissés en direction de Thérouanne puis vers Estrée-Blanche
pour arriver enfin à Fléchin dans le Pas de Calais à la tombée de la nuit et prendre un repos bien mérité.
En cours de route, nous avons eu quelques charriots qui se sont écrasés au fond des cuvettes car tous ne
possédaient pas de freins. On passa la nuit à la belle étoile, allongés côte à côte, recouverts de nos
couvertures et surveillés par notre sentinelle. Lors du périple entre Crochte et Fléchin, lorsque l’on
circulait la nuit, on voyait de nombreux V1 qui partaient en direction de l’Angleterre et reconnaissables par
l’éclat d’une petite lumière de la grandeur d’une étoile moyenne.
Le retour au bercail
Le lendemain matin au petit jour, on abreuva et donna à manger aux chevaux, puis après un brin de
toilette au bord d’un petit ruisseau à l’eau vive et claire. Ensuite Jean est parti en quête de nourriture afin
de manger un morceau comme l’on dit. Il en trouva à proximité dans une ferme où une femme nous
accueillit gentiment. Elle nous offrit du lait et du pain. Après nous être restaurés nous retournâmes à nos
équipages. Entre temps au cours de notre voyage, nous parlâmes avec des gens du pays, nous avertissant
qu’il y avait des partisans cachés dans les forêts. Ayant appris que certains responsables des communes
limitrophes de Grande-Synthe étaient venus chercher leurs concitoyens, on devenait inquiet. Nous avons
pris la décision de tout abandonner, songeant à sauver notre peau.
Nous sommes donc retournés chez la fermière pour qu’elle nous indique le chemin le moins risqué.
Elle nous indiqua que l’on devait passer par la pâture attenante à son exploitation, puis regagner une forêt,
ce qui fut fait promptement malgré la présence du papy Paul Calcoen avec nous. A quelques kilomètres du
lieu de départ, on aperçoit une ferme où l’on demanda de nous indiquer le chemin pour retourner chez nous.
Ils nous accueillirent cordialement, nous offrant du pain et quelques morceaux de lard pour faire la route.
Je leur ai demandé une carte du calendrier des Postes du Pas de calais afin de repérer notre itinéraire.
Suivant leurs conseils, on se dirigea vers la route qui mène vers Aire sur la Lys que l’on rejoignit assez vite.
Chemin faisant, on aperçut un V1 qui était tombé à environ une centaine de mètres de la route d’où sortait
de la fumée. Inutile de dire qu’on ne s’est pas attardé et pressant le pas, craignant à tout instant qu’il
n’explose. Arrivant à Aire sur la Lys, nous prîmes la décision de nous diriger vers Hazebrouck. Nous
n’étions pas habitués à marcher sur du macadam et on sentait venir la fatigue, surtout Paul Calcoen le plus
âgé et d’un bon poids. Il était de plus en plus fatigué et on l’encourageait sans cesse car on avait fait plus de
trente cinq kilomètres.
Enfin on arriva à Hazebrouck non sans admirer le paysage qui était tout autre que notre plat pays.
De ci de là, les cultivateurs avaient fait la moisson et partout à proximité des fermes il y avait des meules de
grains. Vers la fin de la journée nous entrâmes dans la gare d’Hazebrouck, toutefois sans être inquiétés, on
demanda chacun un billet pour Dunkerque. Nous avons attendu un peu pour avoir une correspondance et
nous sommes arrivés en vue de Dunkerque au milieu de la nuit. Nous prîmes la précaution de descendre à
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la gare de Coudekerque-Branche afin d’éviter un éventuel contrôle en gare de Dunkerque. De là on refit
le chemin à pied jusqu’à notre maison et ainsi finit notre expédition, nous étions tous sains et saufs.
Etat des habitations de Grande-Synthe dans Les Salines après la guerre.
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2012
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