La France, l`Europe et le monde depuis 1939 (J.-P

Transcription

La France, l`Europe et le monde depuis 1939 (J.-P
1 – LA FRANCE DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE
(8 HEURES)
N.B. : ce cours introductif rappelle un certain nombre d’éléments de culture historique,
supposés connus, sur les grandes lignes de la Seconde Guerre mondiale, mais sera principalement
centré sur la France. Il fait partie de l’actuel programme des classes de Première S, ES, L.
Aux origines de la Seconde Guerre mondiale
Si les responsabilités du déclenchement de la Première Guerre mondiale demeurent assez
partagées entre les différentes puissances européennes, le rôle de l’Allemagne nazie et du Japon est
incontestable pour expliquer dans les années 1930 la marche au second conflit mondial. Ses
origines sont liées aux coups de force des régimes autoritaires*, voire totalitaires*, européens et
japonais dans un atmosphère de tensions et de frustrations internationales, où le pacifisme
longtemps dominant des opinions publiques et des gouvernements des pays démocratiques
européens se nourrit des souvenirs douloureux du premier conflit mondial. En voici les principales
étapes.
Les tensions internationales
La fin des espoirs de paix
La crise économique qui débute en 1929 aux États-Unis remet en question la détente
internationale perceptible durant les années 1920 : chaque pays se replie sur lui-même et entend
résoudre ses problèmes économiques et sociaux aux dépens des autres (protectionnisme, guerre
économique).
La production d’armement et l’expansion extérieure, voire la guerre (après 1936), sont
parfois envisagées comme des solutions pour ouvrir les marchés étrangers et rassembler les
populations autour d’un but précis en encourageant un nationalisme agressif et fortement
xénophobe* (hostile aux étrangers).
Cette instabilité met à mal les équilibres précaires issus des traités qui ont clos la Première
Guerre mondiale, dont celui de Versailles* imposé en 1919 à l’Allemagne vaincue, accusée, non
sans excès, d’être responsable de la Première Guerre mondiale. Ainsi, la République de Weimar*
née en 1918 et fragilisée par une crise économique, sociale et politique cède-t-elle la place au
régime nazi* après la prise du pouvoir par Adolf Hitler* (30 janvier 1933).
Dans toute l’Europe centrale et orientale remodelée par les traités de 1919, les fragiles
régimes démocratiques sont rapidement remplacés par des dictatures nationalistes, souvent
militaires (Hongrie, Pologne, Yougoslavie, États baltes, Bulgarie, Grèce, Roumanie…) [carte de
l’Europe en 1938].
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
L’agressivité des régimes fascistes ou autoritaires
Dès 1931, le Japon attaque la Manchourie (nord-est de la Chine) : la SDN* (Société des
Nations) ne réagit pas. Il attaque ensuite la République de Chine en 1937, ce qui marque le début
réel de la Seconde Guerre mondiale.
En 1934, l’Allemagne quitte la SDN* et dénonce le Traité de Versailles* : Hitler veut
agrandir l’« espace vital » (Lebensraum*) du pays pour créer une « Grande Allemagne »,
notamment vers l’Est majoritairement peuplé de Slaves (Pologne) et vers l’Autriche (Anschluss*)
[carte de l’Europe en 1938].
L’Italie du dictateur Mussolini*, au pouvoir depuis 1922, prétend dominer la Méditerranée et
se lance à la conquête de colonies en Afrique (elle annexe par la force l’Ethiopie en 1935) : elle
s’éloigne de la France et du Royaume-Uni pour se rapprocher de l’Allemagne (1936 : « axe RomeBerlin »*).
Les coups de force des dictatures (1936-1939)
La remise en cause du Traité de Versailles par l’Allemagne
Hitler réorganise l’armée pour en faire un instrument docile et puissant, développe l’industrie
d’armement et l’aviation (Luftwaffe*). En mars 1936, l’armée allemande occupe la Rhénanie* en
principe démilitarisée depuis le traité de Versailles* : bien que supérieurs militairement, la France,
en pleine période électorale, et le Royaume-Uni, ne souhaitant pas s’engager dans un nouveau
conflit, ne bougent pas ; le coup de bluff nazi a réussi.
La guerre d’Espagne (1936-1939)
Après le succès de la gauche (Front populaire*) aux élections législatives de 1936 en
Espagne, les militaires (général Franco*) associé aux conservateurs se soulèvent contre le
gouvernement légal républicain. Les grandes puissances décident de ne pas intervenir (non
intervention*). En réalité, Italie et Allemagne appuient militairement Franco et testent les armes et
les tactiques de la guerre à venir (bombardement aérien de Guernica* en 1937). La France laisse
transiter des armes destinées aux Républicains.
L’aide de l’URSS de Staline* (très mesurée) et des combattants volontaires étrangers (les
« Brigades internationales »*) au gouvernement républicain, par ailleurs divisé, ne suffisent pas :
après de violents combats, la guerre civile se solde par l’installation de la dictature conservatrice
franquiste en 1939 et l’exil d’une partie des combattants et dirigeants républicains espagnols,
notamment en France.
L’annexion de l’Autriche (mars 1938)
Ayant poussé par ses menaces le chancelier autrichien à la démission au profit du parti pronazi, Hitler réalise l’Anschluss* en mars 1938 et se fait acclamer à Vienne. Le Royaume-Uni,
favorable à une révision partielle du traité de Versailles* en faveur de l’Allemagne, réagit peu et la
France ne peut que s’incliner : le rapport de forces leur est devenu défavorable.
2
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
L’abandon de la Tchécoslovaquie par le Royaume-Uni et la France (septembre
1938)
Hitler prétend annexer en septembre 1938 le territoire tchécoslovaque des Sudètes, peuplé en
majorité de personnes de langue allemande travaillées par les nazis [carte de l’Europe en 1938].
Les Tchèques mobilisent leurs soldats, soutenus par leur allié français. Pour éviter de déclencher la
guerre, le Premier ministre anglais Chamberlain suggère à Mussolini* de proposer une conférence
internationale sur la Tchécoslovaquie. Elle réunit à Munich les 29 et 30 septembre 1938 Hitler,
Mussolini, Chamberlain et le président du Conseil français Edouard Daladier* (mais ni les
Tchèques, ni l’URSS de Staline*) : pour éviter une guerre qu’ils savent mal préparée et en partie
refusée par leurs opinions publiques, Anglais et Français cèdent à nouveau à Hitler, qui peut
annexer le territoire des Sudètes. La Tchécoslovaquie perd ses défenses et ne va pas tarder à être
démembrée sans combat par l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie. L’opinion est majoritairement
soulagée, mais une partie d’entre elle critique l’abandon de Munich qui ôte tout crédit aux alliances
françaises et anglaises.
Une dernière série d’annexions conduit à la guerre
La Tchécoslovaquie disparaît rapidement de la carte [carte de l’Europe en 1938] après
l’indépendance de la Slovaquie (mars 1939) qui passe sous influence allemande et la transformation
par la menace de ce qui reste de l’État tchèque en protectorat de Bohême-Moravie rattaché à
l’Allemagne. Mussolini en profite pour envahir l’Albanie (avril 1939) et s’allier militairement à
Hitler (le « Pacte d’acier »).
Conscients que la politique d’apaisement* (appeasement) a échoué, les dirigeants français
et anglais décident de garantir les frontières de la Pologne, prochaine victime des ambitions
hitlériennes [carte de l’Europe en 1938]. Hitler revendique la ville-libre de Dantzig pour réunir la
Prusse orientale au reste de l’Allemagne, dont elle est séparée par le « corridor de Dantzig », et
empêcher tout accès de la Pologne à la mer . À la surprise générale compte tenu des oppositions
idéologiques jugées irréductibles entre les deux systèmes politiques, l’Allemagne parvient à signer
avec l’URSS de Staline un pacte de non-agression (23 août 1939) : Hitler n’aura pas à se battre sur
deux fronts, Staline gagne du temps et un protocole secret annexé au pacte prévoit le partage de la
Pologne et des États baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) entre les deux puissances [carte de
l’Europe en 1938].
Lorque l’Allemagne attaque la Pologne le 1er septembre 1939 après une provocation nazie,
France et Royaume-Uni lui déclarent la guerre le 3 septembre : la Seconde Guerre mondiale débute
officiellement en Europe.
3
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
Les grandes phases de la guerre dans le monde (1939-1945)
Les succès de l’Axe (1939-1941)
Les forces en présence
France et Royaume-Uni disposent à moyen terme de la supériorité économique (industrie,
flotte de guerre, approvisionnements, empires coloniaux) et démographique (réserves de soldats).
L’Allemagne a une supériorité militaire à court terme sur ses adversaires, qui ont engagé plus
tard leur réarmement : pas pour l’effectif ou le matériel (sauf pour certains types d’avions, comme
les bombardiers en piqué Stuka), mais dans la manière d’utiliser ses forces.
Français et Anglais veulent gagner du temps et adoptent des stratégies défensives (ligne
Maginot*) pour limiter les pertes humaines. Hitler, qui a peu de réserves et entend éviter de faire
subir aux Allemands les effets directs d’un conflit, veut une guerre courte et choisit la tactique de la
« guerre-éclair » (Blitzkrieg*), qui consiste à utiliser massivement des chars et des troupes
motorisées et cuirassées (Panzerdivisionen) pour percer rapidement le front et désorganiser
l’ennemi.
Vers la défaite française (1939-1940)
L’élimination de la Pologne (septembre 1939)
Les forces sont disproportionnées entre les 63 divisions allemandes, techniquement
supérieures, et les 40 divisions polonaises, prises en tenaille : malgré une vive résistance, les
Allemands occupent Varsovie et la Pologne capitule le 6 octobre. Entre temps, le 17 septembre,
conformément au pacte germano-soviétique, l’URSS attaque la Pologne et récupère certains
territoires perdus en 1921 [carte de l’Europe en 1942]. L’Allemagne occupe le reste et conserve un
« gouvernement général de Pologne » (Cracovie et Varsovie) dirigé par un nazi qui instaure un
régime de terreur : les élites polonaises sont systématiquement éliminées par Allemands et Russes.
La « drôle de guerre » à l’Ouest (septembre 1939-mai 1940)
La période s’étendant de la déclaration de guerre à l’attaque allemande à l’Ouest, connue sous
le nom de « drôle de guerre »*, se révèle pleine d’ambiguïtés : l’adversaire n’apparaît pas aussi
nettement qu’en 1914. Le pacte germano-soviétique* trouble l’opinion, dont une partie voit
ressurgir le spectre du bolchevisme* ennemi des démocraties, et le parti communiste*, dissous
depuis le 26 septembre, désorganisé par la répression, mais dont maints militants sont pris à rebours
dans leurs convictions antinazies par la nouvelle ligne politique du PC qui ne fait plus de différence
entre Daladier et Hitler. Les prises de position des hommes politiques “munichois”, la force du
courant pacifiste, l’ampleur des crises politiques des années trente brouillent la perception du
danger immédiat. Ces divisions ne cessent pas après l’entrée en guerre, y compris au sein du
gouvernement ; l’inaction forcée imposée aux troupes par l’absence d’initiatives hitlériennes
directes contre la France jusqu’au printemps 1940 (pour des raisons météorologiques) et les
proclamations rassurantes de Daladier anesthésient encore davantage les Français. Les
Britanniques, eux, sont à présent résolus à la lutte.
4
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
Les dirigeants alliés, traumatisés par les hécatombes de l’été 1914, attendent que leur effort
de réarmement, la mise sur pied de l’armée de terre anglaise et leur supériorité à long terme portent
leurs fruits. Hitler, débarrassé de tout ennemi de revers à l’Est, a le temps de ramener ses troupes
vers l’Ouest pour préparer ses offensives. Faute de l’attaquer de front, les franco-britanniques,
financièrement solidaires, cherchent à affaiblir le IIIe Reich* par des stratégies périphériques [carte
de l’Europe en 1938] : soutien enthousiaste à la Finlande qui tient tête à l’URSS (décembre 1939mars 1940), volonté de couper la “route du fer” suédois vers l’Allemagne en débarquant un corps
expéditionnaire dans le port norvégien de Narvik (avril-mai 1940). Mais la défaite finlandaise et la
rapide occupation par l’Allemagne du Danemark, puis de la Norvège (avril 1940), et des États
baltes par l’URSS (juin 1940), ruinent ces espoirs. Les critiques s’amplifient contre Daladier : la
Chambre des Députés* s’abstient massivement lors du vote d’un ordre du jour de confiance* le
20 mars 1940. Paul Reynaud*, jugé plus énergique, le remplace le lendemain, mais son
gouvernement, toujours partagé entre partisans d’une paix de compromis et bellicistes, ne dispose
que d’une étroite majorité au Parlement. Rien ne change, sinon l’engagement réciproque avec le
Royaume-Uni de ne pas conclure d’armistice séparé avec l’Allemagne. Contrairement à la
Wehrmacht*, les forces franco-anglaises manquent d’unité de commandement ; même dans l’armée
française, des divergences existent, notamment entre son commandant en chef, le général
Gamelin*, partisan de la défensive, et le général Georges, dirigeant les armées du Nord-Est. De fait,
le potentiel de résolution, perceptible chez les Français à l’automne 1939, a été gaspillé.
L’effondrement français (10 mai – 22 juin 1940)
Le 10 mai, Hitler lance une offensive générale sur les Pays-Bas et la Belgique neutres,
mettant l’accent sur les nœuds de communication. Comme prévu, croyant y voir une répétition
élargie du plan Schlieffen* de 1914, les Alliés viennent au secours des Belges et des Néerlandais.
Mais, simultanément, conformément au plan Manstein*, Hitler concentre 9 divisions blindées dans
les Ardennes (réputées “infranchissables” par le maréchal Pétain*), à la charnière du dispositif
français, entre les troupes montées vers le Nord-Ouest et la ligne Maginot. Mal protégée, la Meuse
est franchie le 13 près de Sedan et, le 15, les blindés de Guderian*, appuyés par des
bombardements aériens, réalisent une percée qui s’élargit rapidement. Obliquant vers l’Ouest dans
un mouvement tournant, les divisions allemandes, dont la vitesse de déplacement et la
concentration créent la panique dans les rangs français, atteignent la Manche le 20 mai. Deux jours
auparavant, Reynaud* avait renforcé ses pouvoirs, mais confié à Pétain* la vice-présidence du
Conseil. Dès le 10 mai, Winston Churchill* avait remplacé Chamberlain* dans ses fonctions de
Premier ministre britannique.
Les contre-offensives lancées du 21 au 25 mai par le nouveau généralissime Weygand*
échouent, faute de coordination et de tactique adaptée : le 28, les Belges capitulent. Profitant d’une
erreur de Hitler qui freine ses troupes, les armées franco-anglaises du Nord, encerclées, peuvent se
replier sur Dunkerque pour évacuer ce qui peut l’être : jusqu’au 3 juin, dans des conditions
épouvantables, 350 000 hommes (dont plus de 100 000 Français) gagnent l’Angleterre.
5
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
S’engage alors la « bataille de France ». Le 4 juin, Weygand reconstitue une ligne de
défense s’étirant de la Somme à l’Aisne, dans un état d’infériorité numérique (de un à deux) et de
désorganisation tels que le front craque dès le 6. Le surlendemain, la situation est devenue
désespérée et le haut commandement, pris de vitesse, apparaît totalement dépassé : le 10 juin, le
gouvernement quitte Paris pour la Loire, puis Bordeaux, tandis que Weygand* donne l’ordre de
repli général le 12 ; Paris, « ville ouverte », est occupée le 14. Dans cette atmosphère où règnent
rumeurs et confusions, certaines unités résistent héroïquement alors que d’autres, toutes proches,
s’évanouissent avec leurs officiers. Les mouvements de troupes sont gênés par “l’exode” devenu
massif de 7 à 8 millions de civils bombardés, en détresse sur les routes, fuyant la Belgique, le nord
de la France et Paris devant l’avancée des Allemands. Ces derniers s’enfoncent dans le territoire
français, vers l’Ouest, le long de l’axe rhodanien et du littoral atlantique, d’autant plus facilement
que le nouveau président du Conseil Pétain annonce le 17 juin, avant d’avoir discuté de
l’armistice*, qu’il faut « cesser le combat »[texte 1], multipliant ainsi le nombre des prisonniers.
La question de l’armistice*
Le gouvernement français, peu à la hauteur de la situation, était violemment partagé entre les
tenants de la capitulation*, qui engage la seule armée, et ceux de l’armistice*, que devraient
assumer les responsables politiques. Les premiers (Reynaud*, le ministre de l’Intérieur Georges
Mandel*, le tout récemment promu général Charles De Gaulle*, sous-secrétaire d’État à la Guerre
depuis le 6 juin) veulent continuer le combat aux côtés de l’Angleterre, depuis l’Afrique du Nord,
appuyés sur l’Empire* et la flotte. Les seconds (Pétain*, Weygand*) souhaitent éviter le
déshonneur militaire d’une capitulation* et protéger la population en négociant les conditions d’un
armistice. Autour de Pierre Laval* et de Marquet*, un groupe de parlementaires fait pression en ce
sens. Churchill* a beau assurer la France de son total soutien, les partisans de cette solution
semblent les plus nombreux. Gagné par le défaitisme, se croyant minoritaire, Reynaud
démissionne le 16 juin : Pétain le remplace immédiatement. Pourtant, certains hauts responsables
politiques pensent gagner l’Afrique du Nord : en fin de compte, 27 parlementaires seulement
(Daladier, Mandel, Pierre Mendès France*, Jean Zay*) quittent Bordeaux à bord du Massilia le 21
juin ; ils seront arrêtés à leur arrivée et accusés d’avoir pris la fuite… Depuis Londres, De Gaulle*
prononce le 18 juin à la radio un “appel”, sur le moment peu entendu, mais destiné à passer à la
postérité comme le geste fondateur de la résistance française : convaincu que la bataille de France
ne met pas fin à une guerre d’ampleur mondiale, il invite militaires et techniciens à le rejoindre
[texte 2]. Pour l’heure, en dépit de la pertinence de l’analyse, une telle position ne semble guère
réaliste ; rares sont les Français, dans l’ensemble abasourdis par la déroute, désireux de poursuivre
les combats.
Ils écoutent davantage Pétain*, nom glorieux et rassurant auquel ils se raccrochent. Son
message du 20 juin désigne les motifs de la défaite : « trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop
peu d’alliés » – affirmations largement erronées ; selon lui, « l’esprit de jouissance l’a emporté sur
l’esprit de sacrifice » : c’est insister sur la responsabilité, non seulement des dirigeants de la
IIIe République*, mais aussi de la population gagnée par le désordre moral. Soucieux de conforter
6
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
les hiérarchies traditionnelles, hostile au communisme* et au Front populaire*,
antiparlementariste*, Pétain* était resté prudent depuis 1918 ; il entend bien profiter de la situation
pour imposer un nouveau régime qui jetterait les bases du « redressement français ». Auparavant, il
lui faut régler la question de l’armistice.
Entrant en contact immédiatement avec les Allemands, le Maréchal charge une commission
de négocier les conditions de l’armistice, prélude à la conclusion d’une paix avec l’Allemagne.
L’accord, finalement conclu le 22 juin dans le wagon de Rethondes où avait été signé celui du
11 novembre 1918*, entre en vigueur le 25. Entre temps, un autre armistice a été négocié avec
l’Italie, entrée en guerre contre la France le 10 juin sans succès militaire. Les conditions,
savamment dosées par Hitler pour éviter que ne repose sur l’Allemagne le poids d’une
administration totale du pays, se révèlent très dures, même si demeure la fiction d’une
souveraineté du gouvernement français sur l’ensemble du territoire.
L’armée d’armistice, réduite à 100 000 hommes, sert à maintenir l’ordre. 1,8 million de
soldats français demeurent prisonniers de guerre en Allemagne. Le matériel militaire doit être
donné à l’Allemagne sans pouvoir être reconstitué par la France. Sa flotte, désarmée, rejoindra ses
ports d’attache, sans que (concession) le Reich puisse l’utiliser. L’armée allemande occupe les 3/5e
de la France (la partie la plus industrielle et urbanisée), dans lesquels l’administration française
s’engage à collaborer avec la puissance occupante en se conformant à ses réglementations. Point
infamant, Vichy doit livrer les ressortissants allemands réfugiés que l’occupant lui désignera. De
plus, une indemnité d’occupation quotidienne de vingt millions de Reichsmark est versée au titre
des frais d’entretien de la Wehrmacht en France ; qui plus est, le mark, surévalué de 20 % par
rapport au franc, bénéficie d’un taux de change particulièrement avantageux.
En outre, la division du territoire en deux zones, occupée et libre, ne résiste pas à l’épreuve
des faits [Carte : La France occupée (1940-1944)]. En réalité, la France métropolitaine est
découpée en cinq : une zone “rattachée” au commandement militaire allemand de Bruxelles (Nord),
une “annexée” au Reich, au mépris des conventions d’armistice (Alsace-Moselle), une “interdite”
au retour des réfugiés ou “réservée” pour une éventuelle colonisation “aryenne”* (Nord-Est et
bande littorale), le reste de la zone “occupée”* et enfin la zone “libre”* au sud de la « ligne de
démarcation »*. Leurs limites, contrôlées par les Allemands, constituent autant de moyens de
pression sur Vichy : restreindre l’accès à chacune d’entre elles permet de décourager toute velléité
d’opposition, voire de restreindre les approvisionnements. Perçu alors par beaucoup de Français
comme un moyen de temporiser ou de retrouver un semblant de vie normale, l’armistice se révèle
un piège redoutable.
Une fois la France vaincue, reste à neutraliser le Royaume-Uni, qu’Hitler espère contraindre à
la paix.
La « bataille d’Angleterre » (été 1940)
Le Royaume-Uni refuse de cesser le combat en dépit de la disproportion des forces. Hitler ne
peut le battre que par un débarquement. Mais il doit auparavant détruire l’aviation britannique (la
RAF*, Royal Air Force), ce que promet non sans forfanterie le dirigeant nazi Hermann Goering*,
7
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
chef de la Luftwaffe*. Ces raids aériens visaient aussi à toucher l’industrie et terrroriser la
population.
Les bombardements commencent début août 1940 contre les côtes anglaises, puis contre les
aérodromes ; mais la Luftwaffe*, bien que supérieure en nombre, essuie de lourdes pertes et ne
remporte pas de victoire décisive : loin de leurs bases, les avions allemands subissent la réplique
des britanniques (Spitfire, Hurricane) et ne bénéficient plus de l’effet de surprise car la découverte
du radar* permet aux Anglais de les repérer.
Début septembre, la nouvelle tactique allemande, aveu d’impuissance, consiste à bombarder
systématiquement les grandes villes anglaises comme Londres ou Coventry (le “blitz”) en espérant
que les civils feront céder leur gouvernement. En vain, car le Royaume-Uni garde la maîtrise des
airs et Hitler, devant la lourdeur des pertes (de part et d’autre), doit remettre le débarquement, puis
cesser les bombardements mi-octobre. Modifiant sa stratégie, il décide de couper les routes
d’approvisionnement maritime britannique en Méditerranée et dans l’Atlantique en utilisant ses
sous-marins. Mais le Royaume-Uni, bien que soumis au blocus* et très affaibli, demeure une terre
d’accueil pour les opposants au nazisme et les gouvernements en exil (Belgique, Pays-Bas,
Norvège, Pologne…).
L’extension de la guerre au monde entier (1941-1942)
Dans les Balkans
L’Italie attaque la Grèce en octobre 1940, mais la résistance grecque malmène les troupes de
Mussolini, qui doit se résoudre à demander l’aide allemande au printemps 1941. En outre, le
nouveau roi yougoslave semble se détacher de l’Allemagne au profit de l’URSS : Hitler mène une
nouvelle guerre-éclair (avril 1941) et occupe la Yougoslavie (démembrée), la Grèce et la Crète, ce
qui lui permet de menacer les convois maritimes britanniques passant par le canal de Suez, mais
retarde ses préparatifs.
En mer Méditerranée
Elle devient un enjeu essentiel, en particulier la route du canal de Suez (pétrole) [carte de la
Méditerranée 1939-1945]. Déjà, en juillet 1940, la flotte anglaise tire sur des bateaux de guerre
français à Mers-el-Kébir* (Tunisie) pour éviter qu’ils ne viennent renforcer la marine allemande.
Ensuite, une attaque italienne contre l’Egypte échoue, ce qui contraint Hitler à soutenir son allié en
envoyant des blindés dirigés par Erwin Rommel* (l’Afrika Korps). Cette « guerre du désert »,
alternant offensives et contre-offensives, où s’llustrent des FFL* à Bir-Hakeim, mène Rommel aux
portes d’Alexandrie* durant l’été 1942.
Au Moyen Orient
Les nazis provoquent une révolte contre les Anglais en Irak mais, malgré l’appui donné par le
régime de Vichy aux Allemands (autorisés à utiliser les bases aériennes des mandats français en
Syrie et au Liban), le gouvernement britannique aidé par les Forces françaises libres* (FFL) de De
Gaulle maîtrisent la situation.
8
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
En URSS
Pourquoi l’attaque allemande ? Depuis le XIXe s., les deux puissances luttent
traditionnellement d’influence dans les Balkans (Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie). De plus, la
théorie raciste d’Hitler fait des Slaves des « sous-hommes » qu’il faudrait asservir pour garantir
« l’espace vital »* de l’Allemagne dans son expansion vers l’Est. En outre, les oppositions
idéologiques demeurent fortes : les nazis voient le bolchevisme comme une « tumeur morbide
juive », dont la destruction répondrait à l’accomplissement d’une « mission historique ». Dès
septembre 1940, le rapprochement diplomatique entre Allemagne, Italie et Japon inquiète Staline :
le « plan Barbarossa »* d’invasion de l’URSS est prêt depuis la fin de 1940.
L’attaque de l’URSS*, retardée par l’intervention balkanique, a lieu le 22 juin 1941 : cette
« croisade » européenne antibolchevique mène 235 divisions (en partie non allemandes) aux portes
de Moscou et de Léningrad, assiégées [carte de l’Europe en 1942], tandis que toute l’Ukraine est
prise : 2,5 millions de Russes sont morts, blessés ou prisonniers. L’Armée rouge*, désorganisée par
les grandes purges staliniennes* des années 1930 et par l’inaction de leur chef un temps incrédule,
doit battre en retraite. Une contre-offensive désespérée menée par le général Joukov*, aidé par
l’hiver russe, bloque l’avancée allemande devant Moscou : mal équipés contre le froid, les
Allemands reculent un peu. Mais, au printemps, leur avancée reprend vers le Sud, en direction du
Caucase (blé et pétrole de Bakou), jusqu’à Stalingrad*. À l’été 1942, Hitler semble maître de la
quasi-totalité du continent européen.
Cependant, le front* est étiré, difficile à défendre et à ravitailler : la guerre-éclair* cède la
place à une guerre d’usure* à laquelle l’Allemagne est mal préparée. De plus, les Soviétiques ont
préservé une partie de leur potentiel industriel en démontant des milliers d’usines pour les placer à
l’est de l’Oural : la production d’armements, aidée par les Occidentaux, peut se développer.
Les États-Unis en guerre (décembre 1941)
Discrètement, compte tenu d’une opinion américaine isolationniste* qui ne souhaite pas
s’engager à nouveau dans les conflits européens, le président Franklin Delano Roosevelt* soutient
les démocraties européennes. Son discours vise à « mettre en quarantaine » les dictatures (1937) et
à accorder à la France et au Royaume-Uni (puis à ce dernier seul) une aide matérielle : en mars
1941, la loi « prêt-bail » autorise le président américain à « prêter » du matériel de guerre à un
pays dont la défense « garantirait la sécurité » des États-Unis (Royaume-Uni, Chine, puis URSS).
Ces derniers se rapprochent du gouvernement britannique : Roosevelt* et Churchill* signent en
août 1941 la Charte de l’Atlantique* contre le nazisme et pour la démocratie, qui servira plus tard
de base à l’ONU* (Organisation des Nations Unies).
Mais l’intervention américaine est précipitée par l’attitude japonaise en Extrême-Orient et
dans l’océan Pacifique : ayant partiellement soumis la Chine, les dirigeants japonais, qui veulent
dominer toute l’Asie du Sud-Est, demeurent prudents. L’échec des négociations nippo-américaines
conduit les deux gouvernements à durcir leur attitude : en réplique aux sanctions économiques
américaines contre le Japon, le général Tojo* engage l’épreuve de force : sans déclarer la guerre, il
attaque la base navale américaine de Pearl Harbor (îles Hawaï) le 7 décembre 1941, détruisant
9
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
une bonne partie de la flotte américaine dans le Pacifique [carte de l’Asie du Sud-Est 1937-1945].
Les États-Unis entrent résolument en guerre contre le Japon, l’Allemagne et leurs alliés.
À court terme, le Japon profite de sa supériorité face à des États-Unis mal préparés, presque
sans troupes ni marine de guerre. Mais, à moyen terme, ces derniers bénéficient de leur énorme
puissance économique (la première au monde depuis le début du XXe s.) orientée dans un sens
dirigiste vers l’économie de guerre*, de leur réservoir en soldats (la conscription devenue
obligatoire en février 1942 fournit 16 millions de mobilisés) et de la fragilité des
approvisionnements japonais (doit importer les 2/3 de ses matières premières).
Le Japon doit mener une guerre aéro-navale dans le Pacifique pour contrôler ses routes
maritimes : en quelques mois, il occupe presque toute l’Asie du Sud-Est (colonies françaises,
anglaises et hollandaises), menace l’Inde anglaise et l’Australie. La suprématie des forces de
l’Axe* durant l’été 1942 est incontestable, mais elles n’ont pas remporté de victoires décisives.
1942 : une année-charnière
Des batailles aéronavales décisives
La « bataille de l’Atlantique »* (1941-1942)
À la fin de 1942, les sous-marins et la flotte de surface allemands subissent de lourdes pertes
face aux Anglo-Américains (utilisation du sonar pour les repérer et des porte-avions) : la
Kriegsmarine se replie vers le Nord, hommes et matériel passent plus facilement vers le RoyaumeUni et l’URSS. Il s’agit d’une victoire importante pour les Alliés*.
L’échec japonais de Midway (juin 1942)
L’expansion japonaise subit un coup d’arrêt dans la mer de Corail (mai 1942), puis devant
l’île de Midway dans le Pacifique-Est [carte de l’Asie du Sud-Est 1937-1945] ; avec le temps, les
forces aéro-navales se sont équilibrées : les Américains ont organisé des « task forces »* (« forces
combinées ») autour de porte-avions géants accompagnés de navires et de péniches de
débarquement destinées à des opérations amphibies. Leur supériorité matérielle et logistique fin
1942 leur permet d’envisager une reconquête progressive des territoires perdus par des « sauts d’île
en île », pour s’approcher du Japon et pouvoir le bombarder ; mais ce ne peut qu’être long et
difficile (cf. la féroce bataille de Guadalcanal aux îles Salomon).
La maîtrise alliée sur l’Afrique du Nord (automne 1942-printemps 1943)
La défaite de l’Afrika Korps*
Peu soutenu par Hitler qui accorde la priorité à l’URSS, Rommel* ne peut profiter de ses
victoires : malgré son génie militaire, il est battu par une contre-offensive menée par le général
anglais Montgomery*, victorieux en octobre 1942 à El-Alamein : les Allemands doivent se replier
sur la Tunisie.
Le débarquement allié en Afrique du Nord (novembre 1942)
« L’opération Torch » dirigée par le général américain Eisenhower* permet à 100 000
soldats de débarquer au Maroc et en Algérie, en dépit de la résistance opposée dans un premier
10
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
temps par les troupes françaises aux ordres du régime de Vichy*. Rapidement, l’amiral Darlan*,
successeur désigné de Pétain et présent sur place, doit rejoindre les Alliés avec les troupes
françaises d’Afrique du Nord. Encerclées, les forces germano-italiennes de Tunisie capitulent (mai
1943).
En représailles, Hitler fait occuper la « zone libre » par la Wehrmacht* le 11 novembre 1942,
veut contrôler la flotte française qui choisit de se saborder à Toulon et durcit la répression : le
régime de Vichy est totalement soumis à l’Allemagne.
La contre-offensive soviétique : Stalingrad
L’Armée rouge* défend Stalingrad avec acharnement pendant plus de deux mois. Le
19 novembre 1942, elle passe à l’offensive, encerclant la VIe Armée allemande de Von Paulus*, à
qui Hitler, comptant apporter des secours, interdit de se replier. Mais l’encerclement total conduit
Von Paulus à la capitulation en février 1943 dans des conditions dramatiques : sur 300 000
Allemands, il demeure 90 000 survivants, faits prisonniers. Cette première grande défaite
allemande a en Europe un important impact psychologique qui renforce la popularité de l’Armée
rouge*. Même si Hitler est encore loin d’être battu, son prestige est atteint et certains de ses alliés
(Italie, Hongrie, Roumanie) envisagent des négociations.
Au début de l’année 1943, les forces de l’Axe ont donc perdu l’initiative des opérations.
La victoire alliée (1943-1945)
De nouvelles stratégies
Les conceptions des Alliés
Les Anglo-Américains coopèrent étroitement depuis la Charte de l’Atlantique*, reprise par
la Déclaration des Nations-Unies* (1er janvier 1942) : pour coupere court à toute tentative de
négociation séparée, ils exigent la capitulation sans condition de l’Allemagne et du Japon (janvier
1943). Mais leurs stratégies divergent : le Royaume-Uni, favorable à une stratégie “périphérique”,
souhaite frapper l’ennemi où il est le plus faible, en particulier en Méditerranée ; Roosevelt préfère
une stratégie “frontale”, afin de profiter de la supériorité en moyens matériels et humains des Alliés
pour faire plier l’ennemi de manière décisive. Ils s’accordent pour abattre l’Allemagne avant le
Japon – ce qui n’allait pas de soi –, unifier le commandement interallié en Europe sous l’autorité de
l’américain Eisenhower*, mais prévoient de commencer les opérations de débarquement en
Méditerranée, sous direction anglaise.
Les Soviétiques conduisent la guerre de manière autonome, mais ont besoin du matériel allié
(vivres, vêtements, machines) : dès 1942, ils produisent autant d’armes que l’Allemagne. Toutefois,
Staline réclame depuis 1941 l’ouverture d’un « second front »* pour soulager l’URSS : il est prévu
par la conférence de Téhéran* réunissant les « trois Grands », Roosevelt*, Churchill* et Staline*
(28/11 au 1/12/1943) ; en contrepartie, Staline promet d’entrer en guerre contre le Japon après la
défaite nazie. La concertation s’améliore entre les Alliés, en dépit d’inquiétudes et d’arrièrepensées, chacun redoutant que l’autre ne conclue une paix séparée.
11
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
L’adaptation des Allemands à la guerre d’usure*
Il n’existe aucune concertation en revanche entre Japon et Allemagne, chacun menant des
opérations séparément. Hitler, encore confiant début 1943, espère une mésentente entre Russes et
Anglo-Saxons. Il fait de l’Europe une « forteresse » : il édifie une ligne de défense bétonnée le long
des côtes, de la Norvège à la France, le « Mur de l’Atlantique »* et il s’estime protégé par
l’ampleur de ses conquêtes soviétiques. Il compte sur la découverte d’armes nouvelles (V1, fusées
V2, avions à réaction, voire bombe atomique) dont la mise au point a pris du retard car il ne les
avait pas jusque là jugées prioritaires. Enfin, il renforce l’exploitation systématique des territoires
occupés, tout en répugnant encore à infliger aux Allemands une véritable mobilisation dans
l’économie de guerre*.
Cependant, en 1943, les Alliés ont définitivement acquis une supériorité dans les fabrications
d’armement, qui ne peut manquer à terme de submerger les forces de l’Axe*, d’autant qu’ils
maîtrisent la logistique* (utilisation des ordinateurs*), notamment pour les grandes opérations
amphibies de débarquement, importante nouveauté de la deuxième partie de la guerre.
La chute de l’Allemagne (1943-1945)
Les débarquements de 1943-1944
L’effondrement du fascisme* italien
En juillet 1943, les Alliés débarquent en Sicile, puis en Italie du Sud : Mussolini*
démissionne, est emprisonné, puis délivré par un commando parachutiste allemand. Son successeur,
le maréchal Badoglio*, déclare la guerre à l’Allemagne. Hitler réagit vite en occupant l’Italie et en
faisant Mussolini chef d’une éphémère « République italienne de Salo », auxiliaire des nazis. Mais
les Alliés avancent très lentement en Italie : ils ne pénètrent à Rome qu’en juin 1944, après la
percée réalisée au Mont-Cassin par le général français Juin ; le nord de l’Italie, lui, tient jusqu’en
1945 [carte de la Méditerranée 1939-1945].
Les deux débarquements en France (1944)
Voulus par les États-Unis et l’URSS, ils sont délicats à mener car une précédente tentative sur
Dieppe en août 1942 s’était soldée par de lourdes pertes : Eisenhower décide de ne pas s’emparer
d’un port et d’éviter le nord de la France, trop bien défendu.
Le premier débarquement a lieu le 6 juin 1944 (le « jour J ») en Normandie.
Soigneusement préparé par des bombardements massifs sur les villes françaises, il joue sur l’effet
de surprise en prévoyant d’installer deux ports artificiels afin d’acheminer jusqu’aux plages
normandes les quatre millions d’hommes et le gigantesque matériel rassemblés en secret en
Angleterre : profitant du brouillard et de l’écrasante supériorité aérienne, l’opération « Overlord »
réussit, au prix de très lourdes pertes, à implanter quatre « têtes de pont » en Normandie et 150 000
hommes, alors qu’Hitler croit encore à une diversion et n’engage pas toutes ses troupes pour rejeter
les Alliés à la mer, contrairement à ce que souhaitait le maréchal Rommel*. Mais, malgré la prise
du port de Cherbourg, les Alliés ont du mal à avancer en raison de la forte résistance allemande. Il
faut la percée réussie fin juillet à Avranches par le général Patton* pour progresser vers la vallée de
la Seine et la Bretagne.
12
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
Un second débarquement se déroule en Provence le 15 août 1944 avec des troupes
américaines appuyées par les Français du général de Lattre de Tassigny*, qui remontent le long de
la vallée du Rhône.
Les Allemands doivent se replier vers le Nord-Est, non sans que certaines unités SS*,
harcelées par les résistants français, perpètrent des massacres d’otages (Oradour/Glane, Tulle,
Ascq…). Paris est libérée par une insurrection des FFI* de la résistance intérieure appuyés par la
2e Division blindée du général Leclerc* (19-25 août 1944). Fin octobre, presque toute la France
est libérée, sinon quelques “poches” allemandes dans les ports atlantiques et l’Alsace.
Vers la capitulation allemande (7-8 mai 1945)
La supériorité soviétique à l’Est
Staline, mettant l’accent sur le patriotisme russe plus que sur la propagande communiste,
parvient à mobiliser la population, qui consent d’énormes sacrifices. Sa stratégie inspirée par
Joukov* consiste à concentrer une masse d’hommes, d’artillerie (les « orgues de Staline »),
d’avions et de chars pour écraser les points faibles des Allemands et renouveler plusieurs fois
l’opération sans leur laisser de répit. La Wehrmacht* lance encore des offensives en juillet 1943
dans la région de Koursk [carte Europe 1942], mais cette gigantesque bataille de chars tourne à
l’avantage des Soviétiques : la Blitzkrieg* échoue devant la supériorité quantitative et qualitative de
l’armement russe, disposé en profondeur.
En fait, malgré une résistance acharnée, les armées allemandes ne cesseront de reculer devant
le « rouleau compresseur » russe… : à l’été 1944, presque tout le territoire soviétique est libéré ; fin
1944, l’Armée rouge* chasse les Allemands de Bulgarie et de Roumanie, qui deviennent alliées de
l’URSS et intègrent des ministres communistes à leurs gouvernements. La résistance communiste
dirigée par Tito* libère quasi-seule la Yougoslavie. Toutefois, Staline laisse réprimer en septembre
1944 l’insurrection de Varsovie sans intervenir alors que ses troupes sont aux portes de la capitale
polonaise… Au printemps 1945, les Soviétiques progressent vers Berlin, qui se rend le 2 mai après
le suicide de Hitler* dans son bunker le 30 avril.
Sur le front Ouest
Hitler voit son pouvoir contesté en Allemagne, au sein même de l’appareil nazi et de la
hiérarchie militaire : il échappe de peu à un attentat organisé par un officier allemand le 20 juillet
1944. Mais la brutale reprise en mains par les nazis conduit à mener la guerre jusqu’au bout.
Pourtant, les villes allemandes sont continuellement bombardées (Dresde en février 1945), pour
faire pression sur les civils allemands, sans succès – ce qui consiste à reproduire la même erreur que
celle de Hitler contre l’Angleterre en 1940. Les usines allemandes, souvent enterrées, souffrent
moins que les voies de communication dont la coupure perturbe les approvisionnements (pétrole,
matières premières) ; la main-d’œuvre manque et la production diminue fin 1944. Les nouvelles
armes, dont les installations ont été détruites, ne peuvent inverser la tendance. Hitler utilise les
dernières forces disponibles, enrôlant jeunes et vieux dans le Volksturm*. Une ultime contreoffensive dans les Ardennes en décembre 1944, un temps victorieuse, échoue faute de carburants
et de matériel. C’est l’assaut final : en mars 1945, les Alliés franchissent le Rhin et effectuent leur
13
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
jonction sur l’Elbe avec les troupes soviétiques venues de l’Est. La capitulation allemande sans
conditions est signée les 7 mai (quartier général d’Eisenhower à Reims) et 8 mai 1945 (quartier
général de Joukov à Berlin).
La défaite japonaise (1943-1945)
Elle est surtout l’œuvre des Américains, secondés par les Anglais sur le continent asiatique.
Les troupes progressent selon deux axes [carte Pacifique 1937-1945] :
- dans le Pacifique central (amiral Nimitz*), vers les îles Mariannes (juin 1944)
- dans le Pacifique sud (général Mac Arthur*), par les Philippines (octobre 1944-février
1945)
Les États-Unis utilisent la tactique des commandos de marines appuyés par l’aviation et
contrôlent difficilement l’île d’Okinawa en juin 1945, à partir de laquelle ils peuvent bombarder
l’archipel nippon. Harcelés par les pilotes kamikaze* (avions-suicide) et par la résistance
désespérée des Japonais qui n’ont plus de marine de guerre, les Américains bombardent les villes
japonaises (Tokyo). Le Japon, aux ressources encore importantes, refuse de se rendre en dépit
d’une défaite inévitable. Or, le nouveau président américain Harry Truman*, qui vient de remplacer
Roosevelt décédé, sait qu’il dispose depuis juillet de l’arme nucléaire. Pour éviter les lourdes pertes
que nécessiterait un débarquement – et, autre raison, finir la guerre avant que l’URSS n’attaque le
Japon le 8 août 1945 comme convenu –, il ordonne le lancement depuis un avion de deux bombes
atomiques les 6 et 9 août 1945, respectivement sur les villes d’Hiroshima et Nagasaki, quasiment
rasées (plusieurs dizaines de milliers de morts immédiates) : plutôt que d’atteindre des objectifs
militaires, il s’agit d’impressionner les civils et de faire céder le gouvernement nippon. L’Empereur
Hiro-Hito exige à la radio que les militaires cessent une résistance devenue inutile, d’autant que
l’URSS occupe rapidement la Mandchourie et les îles Sakhaline. Le Japon signe sa capitulation le
2 septembre 1945, date véritable de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le monde est entré dans
l’ère atomique…
Occupations et résistances dans le monde (1939-1945)
L’édification d’un « ordre nouveau » ?
Dans l’Europe hitlérienne
La domination politique
Les idées racistes de Hitler
Les idées du dirigeant nazi, assez confuses, ne suivent pas un plan précis, sinon en matière de
préjugés raciaux. Exprimés dans son ouvrage Mein Kampf (Mon combat), ils reprennent le vieux
fonds antisémite auquel ils mêlent les fantasmes d’une « race aryenne » dite « supérieure »
incarnée par les Allemands, qu’il faudrait améliorer en la débarrassant des supposés incapables ou
« dégénérés » (eugénisme*) et des mélanges de population, en la préservant des contacts avec les
14
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
« races inférieures », qu’il faudrait dominer, isoler, voire détruire (pour les Juifs ou les Tsiganes,
qualifiés de « parasites »).
Hitler pense donc intégrer au « Reich de mille ans » les populations jugées proches des
« aryens » (Scandinaves, Alsaciens, Flamands, Hollandais…), moyennant une « rééducation ». Les
autres pays d’Europe de l’Ouest (dont la France), jugés irrécupérables car trop métissés, doivent
servir le Reich. En revanche, il envisage dès avant la guerre d’éliminer, après les avoir mis à l’écart
de la société (ségrégation* dans des ghettos*), ceux dénommés « parasites », soit en raison de leur
origine ethnique (Juifs, Tsiganes), soit de leurs « déviations » (homosexuels, opposants
politiques…). Entre les deux, des « sous-hommes » que les nazis peuvent asservir à loisir ou laisser
mourir (Slaves par exemple), souvent au mépris d’ailleurs de toute rationalité économique.
D’où une série de cercles concentriques autour de l’Allemagne suivant la hiérarchie supposée
de leurs peuples, mais aussi selon les circonstances et les alliances afin de gagner la guerre en
exploitant l’Europe.
Une hiérarchie d’États dominés par la « Grande Allemagne »
Les États européens sous influence allemande connaissent des statuts variables [carte Europe
1942] :
- au cœur du système, le « Grand Reich » allemand, agrandi des régions annexées
(Alsace…)
- les « protectorats », peuplés de Slaves jugés indignes d’appartenir au Reich (Pologne,
Bohême, Ukraine…)
- les « territoires occupés » directement dirigés par la Wehrmacht (Belgique, Pays-Bas,
nord de la France, partie de l’URSS envahie…)
- les « États vassaux », dotés de gouvernements, mais peu ou prou aux ordres de
l’Allemagne (Norvègge, Croatie, voire France de Vichy, surtout après 1942)
- les « États alliés », engagés volontairement aux côtés de l’Allemagne, surtout contre
l’URSS « bolchevique », mais disposant de moins en moins de marge de manœuvre
(Italie, Bulgarie, Hongrie, Roumanie…)
Le pillage économique
La difficile conversion allemande à l’économie de guerre
Convaincu jusqu’en 1942 d’une guerre rapide, Hitler répugne à engager l’Allemagne dans
une économie de guerre* [= moyens rassemblés pour utiliser l’économie intérieure du pays au
service de la guerre : reconversion de l’industrie vers la production d’armes ou de fournitures,
mobilisation de la main-d’œuvre, financement de ces efforts] totale : il fait peu de stocks et ne
convertit pas son industrie avant 1942. Pour éviter à son régime l’impopularité, il organise la
stabilité économique et la croissance des biens de consommation. Il ne veut pas faire subir aux
Allemands le poids de la guerre (ce que n’hésitent pas à faire Anglais ou Américains) et souhaite
maintenir les femmes allemandes dans leur foyer.
Mais l’engagement massif dans la guerre contraint Hitler à infléchir sa position. Il
nomme ministre de l’armement F. Todt* qui souhaite rationaliser la production d’armes ; mais les
15
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
militaires sont hostiles au contrôle des civils sur l’industrie de guerre, d’où maints gaspillages. À la
mort de Todt en 1942, son remplaçant Albert Speer* s’impose peu à peu : un conseil de
planification répartit les matières premières et standardise les modèles ; mais il se heurte à
Goering*, à l’organisation SS* (à part, formant un véritable empire économique) et à son collègue
Fritz Sauckel* qui veut faire venir de gré ou de force la main-d’œuvre étrangère en Allemagne alors
que Speer voudrait l’utiliser sur place.
L’Allemagne s’adapte donc tardivement et moins bien que ses adversaires à l’économie de
guerre, ce qui l’oblige à reporter le poids de l’effort de guerre sur les autres pays européens. En
revanche, la guerre économique* [= l’effort pour utiliser l’arme économique : blocus,
bombardements ou sabotages industriels] connaît de part et d’autre un échec relatif.
Les prélèvements allemands
Ils sont de plusieurs ordres :
- financiers : indemnités versées pour « l’entretien » des troupes d’occupation (400
millions de francs par jour pour la seule France, soit plus de 700 milliards entre 1940 et
1944) ; taux de change monétaires favorables au mark allemand…
- agricoles : pillage de blé (Pologne, URSS), de lait et de viande (France) ; réquisitions*…
- industriels : démontage d’usines (Pologne, URSS) ; livraison de matériel civil ou
militaire et de matières premières ; prise de contrôle d’entreprises par les firmes
allemandes…
- raciaux : spoliation* [= expropriation] des biens des familles ou entreprises juives
(« aryanisation »*) et des personnes déportées
En conséquence, les populations européennes subissent pénuries et rationnement des biens
de première nécessité (alimentation, vêtements…), source de sous-alimentation et de maladies de
carence. Le « marché noir »* se développe, entretenu par l’occupant qui revend une partie des
denrées fournies par le pays.
Ces divers prélèvements assurent 1/5e des dépenses allemandes, sous prétexte « d’unification
économique de l’Europe » ; mais leur rendement est meilleur à l’Ouest qu’à l’Est car ils sont moins
brutaux.
L’exploitation de la main-d’œuvre
Jusqu’en 1942, les besoins allemands sont asurés par les prisonniers de guerre (PG) français,
polonais ou russes et par les rares volontaires attirés en Allemagne par l’assurance de hauts salaires
ou par les opérations de retour de prisonniers (la « relève » organisée par Laval*).
Après 1942, deux politiques successives menées par :
- Sauckel* (le « négrier de l’Europe ») qui organise le STO* (Service du Travail
obligatoire) pour les jeunes hommes de 18-35 ans, puis au-delà contraints de travailler en
Allemagne (6 millions en 1943) ; mais c’est assez inefficace en raison de la faible
productivité de ces travailleurs forcés et des nombreux réfractaires qui vont alimenter les
maquis de résistants ;
16
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
-
Speer*, qui utilise la main-d’œuvre sur place pour l’organisation Todt ou les usines
travaillant pour l’Allemagne (7 millions en 1943) – sans compter bien sûr la maind’œuvre gratuite fournie par les camps de concentration ; cela vient toutefois trop tard.
On compte pour la seule France début 1944 : 40 000 volontaires, 0,6 million au titre du STO,
1 million de PG, 2 millions dans des entreprises travaillant entièrement en France pour le Reich.
L’organisation de la terreur nazie
Une répression systématique
Elle frappe les opposants (suspectés ou réels), les « races inférieures » (et souvent leurs
élites). Elle est entreprise par de multiples organismes, pas toujours coordonnés : la Gestapo*
(police secrète d’État dépendant de la SS*) ; l’Abwehr* (la police militaire) ; la SS* (Schutzstaffeln
ou « échelon de protection », sorte de milice nazie), très diversifiée suivant ses tâches répressives.
Elle combine de nombreux moyens interdits par les conventions de Genève sur la guerre :
arrestations arbitraires, tortures, déportations dans les camps, exécution d’otages (comme le 27 mai
1942 à Lidice en Tchécoslovaquie) ou représailles contre les proches… Cette répression, plus
violente à l’est qu’à l’ouest de l’Europe, joue sur la terreur de masse : responsabilité collective des
familles des suspects, décret « Nuit et brouillard » (1941) qui interdit de fournir tout renseignement
à la famille du disparu…
L’univers concentrationnaire
Les objectifs des nazis évoluent [carte des camps nazis] :
- dès 1933, les opposants à Hitler (communistes, socialistes, chrétiens…) sont expédiés
dans des camps de « rééducation » (Dachau)
- après 1939, les camps se multiplient, de plus en plus spécialisés : soit à partir de ceux
existant en Allemagne même, tels Oranienburg (centre de tous les camps), Ravensbrück
(1934, pour les femmes surtout), Buchenwald (1937)…, soit créés dans les territoires
occupés (Pologne, Autriche, Alsace)
- ils comprennent différents types, parfois juxtaposés sur un site sans que les déportés le
sachent : la plupart sont des « camps de concentration » (internement des suspects et
utilisation de leur travail forcé) ; il existe des camps de passage et d’internement pour
trier les déportés (ex. : Drancy au nord de Paris) ; enfin, les plus monstrueux, les « camps
d’extermination » pour les « races inférieures », souvent près des ghettos juifs de
Pologne (Auschwitz, Treblinka…).
L’organisation des camps :
À leur direction, les SS* dits « à tête de mort », commandés par Himmler*, qui ont droit de
vie et de mort sur les déportés ; ils sont aidés dans leurs tâches de surveillance par les prisonniers de
droit commun, les redoutés « kapos ».
Les conditions de vie épouvantables transforment les camps de déportation en « camps de la
mort lente » (épidémies, sous-alimentation, brimades, “expériences” médicales, travail forcé…),
même si des signes d’entraide, voire de résistance, existent, peu efficaces.
Le travail forcé :
17
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
Hitler mène une politique contradictoire, laissant mourir 2 millions de PG russes (sur 5), puis
les utilisant mais sans les nourrir suffisamment… Le besoin croissant de main-d’œuvre le conduit à
créer l’Office central de l’économie et de l’administration (SS*) : des détenus sont loués pour de
faibles salaires à de grandes firmes industrielles (chimie, fournitures…) ou directement utilisés par
la SS* qui devient une grande entreprise (carrières, ciment, peaux…). L’absence de limite au temps
de travail et de nourriture reconstituante provoquent de nombreux décès d’épuisement.
La Shoah* (le génocide juif ou l’« holocauste »)
Dénommée « Solution finale » (sous-entendu : « de la question juive ») par Hitler, ce dernier
prévoit dès 1939 l’extermination des Juifs et des Tsiganes. Le processus suit plusieurs étapes :
- de 1933 à 1939, il adopte une série de mesures discriminatoires contre les Juifs ;
- de 1939 à 1942, il isole les Juifs dans des ghettos*, coupés de l’extérieur, maltraités et
affamés : sur 450 000 personnes vivant dans le ghetto de Varsovie en 1939, il reste
40 000 survivants en avril 1943, au moment de l’insurrection du ghetto contre les nazis ;
- après la conférence de Wansee en janvier 1942, un plan d’extermination systématique
confié à Heydrich* se développe, d’abord dans des unités mobiles, puis par des
déportations en masse par voie ferrée vers les « camps de la mort », où les victimes
entassées dans des « chambres à gaz » sont asphyxiées (gaz « Zyklon B »), puis leurs
corps incinérés (Auschwitz compte jusqu’à 12 000 morts par jour, sur 100 000 déportés),
tandis que les plus valides sont soumis aux travaux forcés.
Un bilan tragique
La barbarie nazie fait – en plus des décès liés aux opérations militaires – 9 à 10 millions de
morts directes ou indirectes, dont environ 6 millions de Juifs (sur les 8,5 millions environ que
comptait l’Europe en 1939, soit les 3/4 de tués). Le monde, qui connaît évidemment l’existence de
la déportation, ne mesure vraiment l’étendue de l’horreur des camps qu’à leur ouverture par les
Alliés en 1945, même si des informations ont filtré, notamment parmi les gouvernements alliés, dès
1942. La rareté des réactions pendant la guerre, y compris de la part des victimes, devant un
phénomène aussi massif peut étonner. Cela s’explique par le secret absolu gardé par les nazis sur la
destination des déportés, l’organisation quasi “scientifique” de l’élimination, la volonté de réaliser
une extermination rapide et l’incrédulité des victimes (et de la population) devant une telle
aberration. Ajoutons que le bilan aurait pu être encore plus terrible si certains suspects ou familles
n’avaient pas bénéficié d’une entraide de la part de personnes qui les ont avertis, voire cachés, au
péril de leur vie.
En Asie orientale
La « sphère de coprospérité » asiatique
En 1942, le Japon peut imposer sa volonté à plus de 700 millions d’habitants [carte du
Pacifique 1937-1945] :
- au cœur du dispositif, le « Grand Japon (« Dai Nippon »), composé de l’archipel
japonais, de l’île de Formose et de la Corée ;
18
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
-
les « pays protégés » (en fait soumis), signataires d’alliances avec le Japon :
Mandchoukuo (Mandchourie), Mongolie intérieure, Siam, Birmanie, Philippines et une
partie de la Chine (Nankin), le reste étant encore contrôlé par les Chinois nationalistes et
communistes ;
- les anciennes colonies occidentales occupées, auxquelles le Japon promet
l’indépendance : Malaisie, Indonésie, puis l’Indochine française occupée en 1941.
Partout, les Japonais essaient d’apparaître comme des “libérateurs” jaunes contre les colons
blancs, mais leur succès est très partiel, sauf en Indonésie* (rôle de Soekarno*) ou au Vietnam*
(empereur Bao-Daï*), et l’ensemble est dirigé depuis Tokyo par le « ministère de la Grande Asie ».
L’exploitation économique
L’économie de guerre* nippone est consolidée par une zone d’échanges complémentaires :
les pays conquis fournissent matières premières (pétrole, caoutchouc), produits textiles et
métallurgiques légers ; le Japon, dépourvu de ressources naturelles, se consacre à l’industrie lourde
et aux produits finis. Cela suppose le contrôle des routes maritimes du Pacifique, qui n’est plus
assuré après 1943.
Mais les différentes armes et groupes industriels (zaïbatsu*) s’entendent peu : la production
d’armement manque de cohérence et de main-d’œuvre qualifiée. Les populations d’Asie du Sud-Est
souffrent des pillages/réquisitions*, du simple remplacement des colons européens par les élites
japonaises et de la brutalité de l’armée nippone qui manifeste sa supériorité – sans toutefois
pratiquer d’extermination systématique comme les nazis, même si des dizaines de milliers
d’opposants sont exécutés par la gendarmerie (surtout en Chine ), si des milliers de femmes servent
de prostituées forcées aux soldats japonais et si beaucoup sont astreints aux travaux forcés (cf., pour
les prisonniers européens, le fameux Pont de la rivière Kwaï). L’occupation japonaise a donc des
effets catastrophiques (épidémies, famines) et « l’ordre nouveau » consiste en un vaste pillage plus
ou moins camouflé…
Les réactions des populations
De manière générale, la majorité demeure attentiste, sauf dans quelques régions spécifiques et
vers la fin de la guerre, lorsque l’issue du conflit se dessine : on compte une minorité de
collaborateurs et de résistants.
La collaboration : pourquoi ?
Les sympathies idéologiques
C’est le cas le plus simple : membres des nombreux petits groupes fascistes des années 1930,
antibolcheviques viscéraux, ils sont utilisés par Hitler comme moyen de pression, mais portés au
pouvoir quand il ne peut faire autrement en raison du rejet dont ils font l’objet dans la population
(Quisling* en Norvège).
En France, les collaborationnistes* se rencontrent surtout à Paris, parmi certains intellectuels
(écrivains et journalistes), comme Brasillac* (journal Je suis partout) ou Pierre Drieu la Rochelle*,
et politiciens, tels Marcel Déat* (fondateur du RNP*, Rassemblement national populaire) et
19
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
Jacques Doriot (chef du PPF*, Parti populaire français). Certains iront jusquà s’engager dans les
Waffen SS.
Ils n’en demeurent pas moins minoritaires, même au sein de la collaboration : la plupart
agissent par intérêt.
L’intérêt
Beaucoup partent du postulat de la victoire allemande et souhaitent, sans être nazis, avoir la
meilleure place dans « l’Europe allemande ». Ils ont plusieurs objectifs :
- la collaboration économique : vendre des fournitures à l’Allemagne ou à l’armée
d’occupation
- pour des minorités nationales, satisfaire leurs revendications d’indépendance au
détriment de l’État d’origine en s’appuyant sur l’Allemagne ou l’Italie (Ex. : la Croatie au
dé
Résister à l’occupant ?
Les origines du refus
L’organisation
Les aspects nationaux des résistances
La portée de la Résistance
France et Allemagne, de l'armistice à la capitulation (1940-1945)
Régime de Vichy et « Révolution Nationale »
La mise à mort de la IIIe République
Une fois que le camp des “défaitistes” est parvenu à faire accepter l’armistice, il reste à Pétain
et Laval (vice-Président du Conseil depuis le 26 juin) à abattre une IIIe République qu’ils jugent
responsable de la débâcle. Le gouvernement Pétain, qui confirme l’armistice, comprend
apparemment tous les partis politiques, communistes exclus, mais sa majorité glisse vers la droite
(présence de Raphaël Alibert, proche de l’Action française) et les non-parlementaires affluent. Il
s’installe le 1er juillet, avec la plupart des membres des Assemblées, dans la station thermale de
Vichy, pour des raisons pratiques (nombreux hôtels, à côté de la ligne de démarcation) et
idéologiques (éloignement des grandes villes radicales comme Lyon, proximité du centre de gravité
de la France). Ce choix, provisoire, dure après l’échec des tentatives pour retrouver la capitale
parisienne. Tirant parti de sa popularité, le Maréchal entend, à l’instigation de Laval, profiter de la
situation pour que les élus de la IIIe République eux-mêmes lui offrent le pouvoir de rédiger une
nouvelle Constitution. Proposé au gouvernement le 4 juillet, ce texte relie habilement l’octroi des
pleins pouvoirs au Maréchal, largement approuvé, et le changement de régime, plus contesté. Le
projet (amendé) est finalement voté le 10 par 569 députés et sénateurs réunis, seuls 20 s’abstiennent
et 80 le rejettent : les parlementaires présents (communistes et passagers du Massilia exclus) ont
20
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
cédé aux manœuvres de Laval, à la peur et aux effets de la déroute, dont ils se sentent confusément
coupables.
Un nouveau régime
À 84 ans, Pétain dispose de tous les pouvoirs ; même si son grand âge ne lui permet pas
d’exercer une activité soutenue et si ses décisions manquent parfois de cohérence, il contrôle les
décisions essentielles : l’on ne saurait voir en lui le simple objet des manipulations de son
entourage. Sa dictature s’exprime, après l’ajournement du Parlement, qui n’est plus réuni, par des
actes constitutionnels. Le chef de “l’État français” (le mot de République et ses symboles sont
honnis), également chef du gouvernement, nomme à tous les emplois publics, dirige l’armée et la
justice, choisit les ministres (responsables devant lui seul) et gouverne par décret. Il peut même
désigner son successeur : Laval le 12 juillet 1940 puis, après sa disgrâce et son arrestation le 13
décembre 1940, le munichois Pierre-Étienne Flandin, puis l’amiral Darlan le 9 février 1941 et enfin
Laval à nouveau le 17 avril 1942, sous la pression des Allemands.
Le culte voué au Maréchal, au demeurant souvent sincère au départ, est systématiquement
encouragé (discours, effigies, chanson « Maréchal, nous voilà… »). Les associations de “Poilus”,
fidèles au “vainqueur de Verdun”, regroupées en une Légion française des Combattants (août
1940), doivent former l’ossature du renouveau du pays. Les fonctionnaires ont l’obligation de
prêter serment à sa personne.
La « Révolution nationale » : principes, pratique, échec
Les principes
Cette formule illustrant l’idéologie de Vichy rassemble une série d’idées parfois
contradictoires ; la trilogie « Travail, Famille, Patrie », qui remplace aux frontons des mairies et
des écoles la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité », la résume. Dans une perspective
traditionaliste, il s’agit de restaurer les valeurs chrétiennes et de soutenir l’Église catholique
(enseignement, cérémonies, cultes). L’État français encourage le retour aux formes de travail
préindustrielles (artisanat, boutique, petite paysannerie) pour lutter à la fois contre le socialisme et,
en théorie du moins, le capitalisme anonyme des grandes firmes. Opposé à la vision marxiste de
l’histoire, le régime prône le rapprochement des classes dans les corporations — sans aller jusqu’au
corporatisme intégral. Le monde rural, et surtout agricole, est exalté (« La Terre ne ment pas », a dit
Pétain). La famille, voulue nombreuse, doit redevenir la base du corps social. Le nationalisme de
Vichy, passéiste et exclusif, vise à renforcer la patrie en luttant contre les éléments susceptibles de
faire disparaître ses racines (“l’anti-France”). C’est la société issue de la Révolution française qui
est avant tout visée, quitte à nier les droits de l’individu.
La mise en pratique (1940-1942)
Dans les faits, l’État français va tenter, d’une part de supprimer les fondements de la
République et, d’autre part, de restaurer les valeurs supposées menacées.
Lutter contre la République revient d’abord à épurer soigneusement l’administration de ses
membres trop liés à la gauche ou à la franc-maçonnerie. Plus discrètement, le nouveau régime
21
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
élimine progressivement les traces du système électif, remplaçant les conseils généraux élus par des
commissions administratives nommées, désignant les maires des villes ou suspendant les conseils
municipaux urbains dont il écarte les personnalités “indésirables”. Les résistants, tels De Gaulle dès
août 1940, sont pourchassés, voire condamnés à mort. Certains des dirigeants de la IIIe République
(Blum, Daladier, Reynaud), jugés « responsables de la défaite », sont arrêtés et subissent un procès
à Riom en février 1942, bientôt stoppé par les Allemands car il tournait à la confusion des
accusateurs… Vichy dissout les sociétés secrètes (francs-maçons), ainsi que les confédérations
syndicales ouvrières et patronales (novembre 1940) : grèves et “lock-outs” sont interdits. La presse
est soumise à la censure et au Secrétariat général à l’Information. Les partis politiques se voient
interdits d’expression publique, puis de réunions privées (1941). Mais Pétain ne crée pas de parti
unique comme en Italie ou en Allemagne ; il préfère encourager son propre culte : la Légion
française des combattants, forte d’un demi-million de membres, doit promouvoir la « Révolution
nationale » et signaler les réfractaires aux autorités — source évidente de dérives dénonciatrices.
Elle se dote même d’une milice paramilitaire dirigée par Joseph Darnand, le service d’ordre
légionnaire.
Pétain porte atteinte aux principes fondamentaux de la République en rejetant certaines
catégories de la population. Les réfugiés politiques espagnols ou allemands, déjà internés dans des
camps depuis plusieurs années, subissent les effets de la convention d’armistice. Plus gravement,
15 000 Français naturalisés depuis 1927 — dont 6 000 juifs — sont déchus de leur nationalité :
beaucoup, avec d’autres juifs étrangers, seront internés sans jugement dans des « camps spéciaux »
de sinistre mémoire. Le garde des Sceaux Alibert promulgue le 3 octobre 1940 un « statut des
Juifs » de nationalité française, sans que les Allemands l’aient demandé. Définissant les personnes
« juives » par la présence de trois grands-parents « de race juive », il les écarte — sauf les anciens
combattants — de l’administration (armée, justice, enseignement…), des médias et des métiers
culturels, ainsi que des élections. Darlan crée en mars 1941 un Commissariat aux questions juives,
dirigé par Xavier Vallat, puis par un antisémite forcené, Louis Darquier de Pellepoix. En juin-juillet
1941, un numerus clausus leur limite l’accès au lycée et à l’Université, ainsi qu’aux professions
libérales et commerciales. Loin d’accroître la cohésion nationale, ces exclusions, bien que
répondant parfois aux souhaits de certaines catégories professionnelles, finissent par jeter le trouble
dans l’opinion.
La volonté de forger un ordre nouveau, combinée aux nostalgies passéistes, sous-tend
d’autres projets du régime. Promouvant la « mère au foyer » (allocation de salaire unique, octobre
1940), il encourage la famille nombreuse ; tout ce qui la perturbe est poursuivi : l’avortement est
très sévèrement puni et le divorce restreint (avril 1941). L’activité productive est remodelée grâce
aux Comités d’organisation (août 1940), animés par René Belin (ancien dirigeant de la CGT
confédérée devenu ministre du Travail), mais largement sous influence patronale. Émerge ensuite
une Corporation paysanne (décembre 1940), à l’avantage de fait des gros exploitants. Une Charte
du Travail d’inspiration corporatiste crée les comités sociaux d’entreprise (octobre 1941), sans
grande portée. Encadrer la jeunesse, c’est selon Pétain préparer les sources du renouveau national :
22
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
l’enseignement est épuré (fermeture des écoles normales d’instituteurs supposées révolutionnaires,
restriction de l’accès aux grandes classes de lycée, encouragements matériels à l’école privée,
révision des manuels scolaires) ; plus largement, Vichy développe des organisations pour les jeunes
(proches du scoutisme), en particulier les Chantiers de jeunesse, substituts en janvier 1941 d’un
service militaire interdit (travaux à la campagne pour 9 mois). Enfin, il crée à Uriage une « École de
cadres » afin de susciter une nouvelle élite … qui basculera dans la Résistance en 1942. Toute une
propagande martèle ces thèmes à l’envi et sous tous les supports médiatiques
L’échec
Pourtant, dès 1941, la « Révolution nationale » fait long feu : Pétain lui-même, dans son
discours du 12 août 1941 « sent se lever depuis quelques semaines un vent mauvais » . Cela tient à
des raisons internes et externes. D’abord, le personnel dirigeant de Vichy est mû par des aspirations
contradictoires. Une partie (Alibert, Weygand) est issue du courant réactionnaire proche de l’Action
française, dont le dirigeant C. Maurras voyait dans les événements de 1940 une « divine surprise »,
et de la droite traditionaliste. Une autre provient de la gauche pacifiste et des courants syndicalistes
(Belin). Certains, frustrés d’avoir été écartés du pouvoir lors de l’avènement du Front populaire, se
rallient à Vichy par arrivisme (Laval). Le courant le plus important, soutenu par Darlan, groupe des
« technocrates » soucieux de moderniser l’économie et la société françaises sous leur direction
(P. Pucheu, J. Bichelonne, F. Lehideux). Les directives manquent souvent de cohérence. Le
décalage est grand, par exemple, entre une idéologie décentralisatrice promouvant les provinces et
une pratique autoritaire où les hauts fonctionnaires, notamment les préfets, dirigent l’essentiel.
Par ailleurs, la structure du pouvoir est dédoublée entre, d’un côté, le Maréchal et d’un autre
son dauphin, vice-président du Conseil. En outre, des dissensions opposent les membres du
gouvernement, que Pétain n’aime pas réunir en entier, préférant recourir à des Conseils plus
restreints en fonction des sujets. Mais son activité réduite par l’âge ne peut prétendre trancher toutes
les questions, d’où un certain engorgement et des contrordres. Enfin maintes rivalités existent avec
l’entourage immédiat du Maréchal (son médecin, son directeur de cabinet Du Moulin de la
Barthète…) et les coteries abondent à Vichy.
En fait, la « Révolution nationale » passe au second plan, tandis que la question des rapports
avec l’Allemagne l’emporte progressivement : il est vain, sinon dangereux, de prétendre instaurer
un nouveau régime comme si guerre et Occupation n’existaient pas…
La collaboration
Multiforme, la collaboration qualifie la position de ceux qui prônent des contacts avec
l’occupant, en fonction d’objectifs très divers. L’on distingue habituellement la collaboration
d’État, pratiquée à Vichy par un gouvernement français soucieux d’obtenir par la diplomatie des
aménagements aux conventions d’armistice, du collaborationnisme, attitude idéologique consistant
à souhaiter la victoire du modèle nazi en France. Mais il existe des degrés dans la collaboration,
entre celle recherchée et subie, entre plein accord idéologique et nécessité professionnelle.
23
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
La collaboration d’État
Scellée par la spectaculaire poignée de mains entre Hitler et Pétain à Montoire le 24
octobre 1940, la collaboration avec l’Allemagne que Laval et le Maréchal sollicitent repose sur un
espoir et une illusion. D’une part, Vichy pense obtenir des concessions allemandes et éviter la
“polonisation” du pays en échange d’une aide à Hitler, sans toutefois s’engager ouvertement dans la
guerre aux côtés des nazis. Estimant inévitable la victoire allemande, les dirigeants français croient
pouvoir marchander leurs atouts (la flotte, l’Empire, l’administration) pour atténuer les rigueurs de
l’occupation, comme ils s’y emploient dans la commission d’armistice de Wiesbaden, voire
occuper une meilleure place dans l’Europe allemande. Ainsi pensent-ils alléger le fardeau des frais
d’occupation, amorcer le retour des prisonniers et récupérer une partie de la souveraineté
territoriale. D’autre part, contrairement aux souhaits de son ambassadeur à Paris, Otto Abetz, le
Führer ne veut pas d’une collaboration d’égal à égal avec un vaincu : il entend seulement éviter que
les colonies et la Marine de guerre françaises ne tombent aux mains des Anglo-Saxons et limiter le
coût d’une administration directe de la France. Le reste n’est que mirage.
De fait, les relations franco-allemandes connaissent plusieurs phases en fonction de
l’évolution du conflit et, secondairement, des nuances apportées par Laval, Pétain ou Darlan :
- de juillet à décembre 1940, Laval s’engage pleinement dans la voie d’une collaboration
économique, mais l’absence de résultats tangibles, les jalousies de Pétain et l’opposition d’une
partie des responsables de Vichy, autour du maréchal Weygand, provoquent son renvoi :
l’intermède Flandin met la collaboration en veilleuse.
- de février 1941 à avril 1942, l’amiral Darlan tente de restaurer la puissance maritime et
impériale française au détriment de l’Angleterre, en envisageant une collaboration militaire avec
l’Allemagne. Il accorde à cette dernière de fortes concessions dans les protocoles de Paris (28 mai
1941) : ainsi la possibilité d’utiliser des bases aériennes et maritimes dans l’Empire, ce qui l’expose
aux représailles britanniques. Ces conventions sont en partie appliqués en Syrie, mais le
gouvernement de Vichy ne les ratifie pas. Hitler, pour qui le champ de bataille méditerranéen
devient secondaire après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht le 22 juin 1941, entend seulement
que la France soutienne son immense effort de guerre. D’ailleurs, la victoire des Français libres
appuyés par les Anglais en Syrie contre les forces de Vichy rend caduque une telle politique. La
collaboration s’enlise, Darlan ne peut plus conduire les négociations avec les Allemands. Sous leur
pression, Pétain, afin de poursuivre le chemin qu’il s’était tracé, se voit contraint de rappeler Laval.
- d’avril à novembre 1942, l’influence de Pétain décline. Laval, promu « chef du
gouvernement », relance la collaboration en proclamant son anticommunisme (discours du 22 juin
1942 : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme s’installerait
partout »). De fait, les négociations menées par Laval le conduisent à devancer tous les désirs nazis
et à faire assumer par l’administration française les conséquences de ses décisions. Il contribue à
l’effort de guerre allemand, devenu total après l’échec de la guerre-éclair en URSS : l’envoi de
travailleurs volontaires français en Allemagne se révélant insuffisant (moins de 100 000), Fritz
Sauckel en exige 250 000 ; Laval imagine en juin 1942 le mécanisme de la “relève”, libérant un
24
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
prisonnier français pour trois travailleurs envoyés. En septembre, une loi facilite la mobilisation de
la main-d’œuvre. Pire, il organise avec le secrétaire général de la police René Bousquet la
déportation des juifs étrangers (y compris les enfants, ce que ne demandaient pas les nazis). En
zone occupée, à compter de juillet 1942, la police française elle-même les arrête en masse (13 000
lors de la “rafle du Vél d’Hiv” à Paris les 16-17 juillet 1942), avant de les regrouper dans le camp
de Drancy près de Paris, prélude à la déportation vers les camps d’extermination (Auschwitz). Ils
sont rejoints peu après par ceux déjà internés en zone “libre”. Même si la “solution finale” (janvier
1942) conduisant à l’extermination systématique des juifs d’Europe demeure alors secrète et si ceux
de nationalité française sont en principe épargnés, le gouvernement ne peut ignorer le sort
misérable qui attend, au mieux, les déportés raciaux. Au total, un quart des 300 000 juifs présents
en France en 1940 périt ainsi (dont les deux tiers d’étrangers) : sur ces 75 000 déportés, à peine
2 500 survécurent. Cependant, nombre de juifs parviennent à se dissimuler ou à fuir, avec l’aide
d’organisations de résistance ou de complicités : dès l’été 1942, une partie de l’opinion s’indigne
d’ailleurs des rafles (condamnées par certains archevêques, tels monseigneur Saliège à Toulouse).
N’en demeure pas moins la coopération active des autorités françaises à la “Shoah”.
- après novembre 1942, Vichy apparaît comme de plus en plus soumis aux volontés de
l’occupant. En effet, la Wehrmacht envahit la zone sud le 11 novembre 1942 après le débarquement
allié au Maroc pour prévenir toute tentative sur le sol français. Après avoir un temps résisté aux
Anglo-Saxons sur ordre de Pétain, les troupes d’Afrique du Nord se rendent ; Darlan, présent par
hasard, se rallie et en devient le gouverneur, tandis que les Allemands débarquent en Tunisie. Le
27, la flotte de guerre se saborde à Toulon plutôt que de tomber entre les mains d’Hitler (mais pas
l’arme aérienne…). D’un coup, l’État français a perdu presque tous les atouts qui lui restaient. Il ne
peut plus guère espérer jouer de rôle, sinon celui d’un régime policier auxiliaire des nazis dans leur
chasse aux résistants. La livraison à l’Allemagne de biens agricoles et industriels (automobiles,
avions) s’intensifie et les frais d’occupation sont alourdis. La « Relève » — au demeurant plus
assurée par la contrainte que par le volontariat — se révélant insuffisante aux yeux de Sauckel,
Laval met en place le 16 février 1943 le Service du Travail obligatoire (STO) : les jeunes nés en
1920-1922 doivent partir travailler deux ans en Allemagne. Près de 250 000 s’y résoudront, portant
à 700 000 le nombre des ouvriers français travaillant en Allemagne en 1944, auxquels il faut ajouter
le million de prisonniers restants. Devant la multiplication des refus (les “réfractaires”) et la relative
inefficacité de ces recrues, le ministre de l’Armement Albert Speer trouve plus judicieux de les
laisser travailler en France, en dispensant du STO tous ceux qui œuvrent dans des entreprises
produisant pour l’essentiel à destination de l’Allemagne. Selon A. Sauvy, ces derniers sont environ
un million, plus un autre million employé dans des usines non “protégées” mais livrant à l’ennemi :
au total, plus de 3,5 millions de Français travailleraient pour l’Allemagne en 1944. Enfin, la
collaboration s’accentue entre la police française, bientôt appuyée par les 10 000 à 20 000 hommes
de la Milice (créée en 1943 par Darnand à partir du service d’ordre légionnaire), et les forces de
répression allemandes (l’Abwehr, service de renseignements militaire, la Gestapo, police secrète
d’État, et les SS, troupes de choc des nazis) : la traque des résistants s’amplifie. Priorité est donnée
25
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
à la lutte contre les « dissidences ». Les “figures” de la IIIe République (Blum, Reynaud…) sont
déportées. Les miliciens multiplient les assassinats politiques (M. Sarraut, J. Zay, G. Mandel), et la
répression la plus brutale (tortures, coups de main), avant que certains ne finissent dans la division
SS Charlemagne sur le front de l’Est.
La dérive policière de Vichy s’accélère après l’épisode du 13 novembre 1943, où un discours
de Pétain visant à redonner à l’Assemblée un pouvoir constituant est interdit par les Allemands,
maîtres du jeu. Laval doit prendre dans son gouvernement trois collaborationnistes parisiens
notoires : Darnand, chef de la Milice (Maintien de l’ordre), Henriot (Information), puis Déat
(Travail). Les collaborationnistes infiltrent ce qu’il reste de l’appareil d’État. Après les
débarquements de Normandie (6 juin 1944) et de Provence (15 août), la progression des armées
alliées et l’action de la résistance dissolvent le régime : Pétain et Laval, se considérant prisonniers,
sont emmenés par les Allemands à Sigmaringen en août 1944, puis arrêtés en 1945 après la défaite
d’Hitler. La collaboration, voulue par l’État français mais non par les nazis, s’est révélée un marché
de dupes.
Les divers degrés de la collaboration
Par sympathie idéologique, les groupes fascistes des années trente ou certaines individualités
anticommunistes ralliées à l’ordre nouveau manifestent bruyamment leur enthousiasme pour la
victoire allemande. Installés à Paris où ils jouissent du soutien financier d’Otto Abetz, ils critiquent
le régime de Vichy, jugé trop tiède. Ces “collaborationnistes”, intellectuels comme Robert
Brasillach, Lucien Rebatet (journal Je suis partout) ou Pierre Drieu la Rochelle, et chefs de parti
comme Déat (Rassemblement national populaire) ou Doriot (Parti populaire français), sont en proie
à d’intenses rivalités personnelles. Ces derniers partis ne comptent guère plus de 20 000 membres
chacun à leur apogée, sans compter une poussière de groupuscules rivaux. Hitler les utilise surtout
comme propagande et moyen de pression sur Pétain, sans souhaiter les voir directement au pouvoir
— sauf à la fin. Certains pratiquent la collaboration militaire en s’engageant dans les Waffen SS
(Doriot). Ainsi, les collaborationnistes suscitent une initiative commune, la Légion des volontaires
français contre le bolchevisme (LVF) qui reçoit l’appui de Pétain en 1943, et part lutter sur le front
de l’Est, forte d’à peine 3 000 hommes.
Outre cette infime minorité activiste, la collaboration est affaire d’opportunisme politique,
social ou économique : partant du postulat de la victoire allemande ou du simple constat de la
présence de l’occupant, certains veulent en tirer parti pour satisfaire leurs objectifs politiques
(certains autonomistes bretons) ou leurs intérêts (trafiquants). Une large part du Paris des spectacles
continue à se produire devant des parterres d’officiers allemands et certains artistes célèbres vont
saluer les hiérarques nazis outre-Rhin. Beaucoup font comme si l’Occupation n’existait pas.
Cependant, la marge n’est pas si grande entre le chef d’entreprise soucieux de maintenir son activité
dans des conditions difficiles et celui orientant délibérément toute sa production vers les fournitures
à l’armée allemande, puisque cette dernière demeure le principal client solvable et contrôle l’accès
aux matières premières. Que dire du fonctionnaire appliquant des consignes iniques ? En outre, les
positions évoluent souvent au fil du conflit : on peut être vichyste et germanophobe, voire résistant ;
26
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
bon nombre de cadres du gaullisme appartiennent initialement à la haute fonction publique sous
Vichy. À quel niveau situer la responsabilité individuelle ? Il sera de fait délicat d’estimer le degré
de collaboration après guerre.
Des résistants à la Résistance
L’existence d’un gouvernement à Vichy (reconnu par les Américains) et la popularité
rassurante de Pétain (le “maréchalisme”) brouillent les cartes : ceux qui refusent la défaite, où qu’ils
se trouvent, doivent compter avec ces données. Leurs motivations apparaissent multiples : sursaut
patriotique rejetant l’humiliation de la déroute pour les premiers, révolte idéologique et humaniste
contre les fascismes de la part de communistes, de socialistes, de libéraux ou de chrétiens, refus de
travailler pour l’Allemagne ou de s’y rendre (réfractaires au STO), indignation devant la répression
de l’occupant et de ses sbires (représailles)… Ceci explique que les résistants appartiennent à toutes
les catégories sociales, à tous les partis démocratiques ou toutes les confessions, même si les ruraux
y sont proportionnellement moins nombreux que les citadins, les paysans que les ouvriers.
Globalement, l’on peut considérer que la masse des résistants penche plutôt à gauche, tandis que
leurs cadres appartiennent aux classes dirigeantes, dans un large spectre politique allant des
nationalistes conservateurs aux communistes ; les notables traditionnels font largement confiance à
Vichy, ce qui déconsidèrera après guerre les “modérés”.
Le passage du refus individuel à l’organisation collective de l’activité résistante prend du
temps et se pose en termes différents selon que l’on se trouve ou non sur le sol français, et à quel
endroit. Naissent ainsi au moins deux grands courants, l’un à l’extérieur, la “France libre”, l’autre à
l’intérieur du territoire, qui ne se reconnaissent que fort lentement.
De Gaulle et la “France libre” (1940-1944)
Légitimé par les Britanniques mais pas par les Américains, pour qui De Gaulle est un
ambitieux ne représentant pas le gouvernement légal de la France, le « premier des résistants »
manque singulièrement de moyens. Seuls quelques hommes l’entourent, souvent inconnus (à
l’exception du juriste René Cassin). L’appel du 18 juin, peu entendu, était avant tout destiné aux
militaires français. Or, sur les dizaines de milliers encore présents en Angleterre, seuls moins de
10 000 répondent favorablement durant l’été 1940. Pourtant, Churchill, reconnaissant De Gaulle
« chef des Français libres », lui donne la possibilité de disposer de troupes autonomes : les FFL
(Forces françaises libres, plus tard la « France combattante »), fortes de 40 000 hommes début
1941, sont engagées en Libye au printemps 1941 (général Leclerc) ; le général Kœnig parvient à
retarder victorieusement l’Afrika Korps de Rommel en juin 1942 à Bir-Hakeim. Le capitaine Passy
organise un 2e Bureau (futur BCRA, Bureau central de renseignement et d’action, aux compétences
élargies) unifiant depuis Londres les services d’espionnage de la dissidence gaulliste. Maurice
Schumann anime avec talent une émission de radio à la BBC intitulée « Honneur et Patrie ».
Toutefois, cela ne saurait suffire. Peu à peu, certaines colonies d’Afrique noire (Tchad, Cameroun,
Congo…) se rallient, mais pas toutes (Sénégal). L’impulsion décisive est donnée par le
débarquement allié en Afrique du Nord. Pourtant, c’est le général Giraud, fidèle à Vichy mais
27
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
résistant, que mettent en avant les Américains, après l’assassinat inexpliqué fin 1942 de Darlan,
devenu pour quelques mois responsable de cette partie de l’Empire dans une grande ambiguïté. Il
faut toute l’énergie de De Gaulle pour que ce dernier sorte vainqueur de son bras de fer avec Giraud
(rencontre d’Anfa en janvier 1943), grâce au ralliement progressif des troupes coloniales et à
l’appui clair qu’il obtient au printemps 1943 de la Résistance intérieure non communiste.
Effectivement, sur le terrain politique, contrairement à Giraud, De Gaulle s’affirme alors
nettement républicain. Cependant, il dirige fermement le Conseil de défense de l’Empire, devenu
le Conseil national français en 1941. Il condamne également la IIIe République et l’État français. Sa
prétention à incarner seul la légitimité du pays et son caractère autoritaire et initialement
conservateur suscitent maintes difficultés, non seulement avec les Alliés, mais aussi avec la
Résistance intérieure, qu’il méconnaît. Il faut attendre le début de 1942 pour que des contacts, par
l’intermédiaire de l’ancien préfet Jean Moulin, soient établis avec cette dernière. En effet, la
résistance en métropole a besoin de l’aide, jusque-là parcimonieuse, des Alliés et d’un interlocuteur
privilégié avec eux, qui ne saurait être que le “premier résistant”. Symétriquement, De Gaulle doit
jouer de cette reconnaissance pour peser sur Roosevelt et écarter Giraud, ce qui le conduit à
promouvoir la démocratie, à accepter des réformes économiques et sociales et à intégrer les
mouvements de résistants et les partis dans sa perspective politique. Afin d’éviter une
administration américaine directe des territoires libérés (AMGOT), il lui appartient de jeter les
bases d’un nouvel État depuis Londres, puis Alger. Là naît le 3 juin 1943 le Comité français de
Libération nationale (CFLN), incarnation de la souveraineté française, doté de deux présidents
progressivement pourvus d’attributions différenciées, militaire et politique (respectivement Giraud
et De Gaulle). Ce dernier écarte définitivement fin 1943 son adversaire — qui a longtemps
maintenu la législation antirépublicaine de Vichy — avec l’appui des mouvements de résistance,
représentés ensuite au CFLN. Le Comité s’entoure d’une Assemblée consultative ; il dispose, à
partir des troupes d’Afrique, des FFL, d’évadés et de volontaires en nombre croissant, d’une
véritable armée symbolisée par la croix de Lorraine, engagée par exemple en Italie (général Juin).
Le 3 juin 1944, le CFLN devient le Gouvernement provisoire de la République française
(GPRF), présidé par De Gaulle, qui rétablit la légalité républicaine le 9 août 1944.
La lente unification de la Résistance intérieure (1940-1944)
Actes isolés au départ en raison du choc de la défaite et de la désorganisation sociale, les
protestations et l’action contre l’occupant se structurent progressivement sous diverses formes, qu’il
faut inventer et qui gagnent en efficacité : filières d’évasion (Espagne, Bretagne) pour les
prisonniers de guerre en fuite, les aviateurs tombés lors des opérations de parachutage d’armes, les
résistants “brûlés”, les suspects, les juifs ou les réfractaires, fourniture de faux papiers, opérations
de renseignement et de transmission d’informations (radio), propagande patriotique ou politique,
sabotages des moyens de communication, voire attentats et actions armées contre les troupes ou
personnalités allemandes…
Le résistant C. Bourdet distingue trois grands types d’organisations :
28
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
- le réseau, groupement secret et cloisonné d’un nombre restreint, du moins au départ, de
membres ayant des objectifs précis : renseignement pour Londres sur les plans de défense
allemands (Confrérie Notre-Dame du colonel Rémy), sabotages professionnels (cheminots de
Résistance Fer), etc.
- le mouvement, association plus large visant à conquérir l’opinion par la distribution de
tracts ou de journaux clandestins, l’organisation de manifestations publiques (commémoration de
fêtes nationales telles les 11 novembre, 14 juillet ou 1er mai)… Ainsi sont fondés fin 1940 en zone
occupée Défense de la France (Philippe Viannay), Libération-Nord (Christian Pineau, Robert
Lacoste), l’Organisation civile et militaire (OCM), Ceux de la Libération (CDLL) ou Ceux de la
Résistance (CDLR) ; pour la zone “libre”, naissent en 1941 Combat (Henry Frenay), LibérationSud (Emmanuel d’Astier de la Vigerie), Franc-Tireur (Jean-Pierre Lévy).
- le maquis, regroupement militaire dans des zones reculées (forêts, massifs montagneux)
destiné à abriter les réfractaires du STO et, éventuellement, livrer des combats ; ces derniers
tournent quelquefois au désastre devant l’action conjointe de l’armée allemande et de la Milice (aux
plateaux des Glières et du Vercors, en mars et juin 1944), mais contribuent parfois, lorsque les
rapports de force s’avèrent plus favorables, à la libération de régions entières avant la venue
effective des Alliés, comme dans le Limousin (G. Guingouin) ou la Bretagne intérieure.
Mais il existe bien d’autres modalités de résistance : depuis la complicité plus ou moins
active, jamais anodine (ignorer, prévenir, transporter, nourrir, recueillir…), jusqu’à la reconstitution
d’une force militaire à partir du reste des troupes d’armistice (ORA, Organisation de résistance de
l’armée), en passant par une opposition “intellectuelle” qui s’exprime par exemple dans la revue les
Cahiers du Témoignage chrétien (novembre 1941) ou dans la publication d’œuvres dissidentes (Le
silence de la mer en 1942 aux Éditions de Minuit). Les femmes, bien que très minoritaires dans
l’effectif (guère plus de 15 %) et surtout la direction des mouvements, jouent un rôle aujourd’hui
reconnu dans la résistance, notamment par leur activité quotidienne — en dehors des figures
remarquables de Lucie Aubrac (Libération-Sud ) ou Bertie Albrecht (Combat).
Enfin, il convient de faire un sort particulier à la position des communistes, qui ont
contribué avec les gaullistes à forger la geste résistante, non sans brouiller une réalité mouvante. Il
faut distinguer la ligne proclamée par le PCF dans l’Humanité clandestine (après l’échec d’une
demande de reparution auprès des autorités allemandes en 1940), des positions effectives, plus
variées. La première (Jacques Duclos), fidèle au pacte germano-soviétique et aux ordres de Staline,
critique les dirigeants de la IIIe République, condamne également Vichy et Londres, et souhaite la
paix, sans évoquer l’Allemagne : cette ligne “neutre”, de plus en plus délicate à tenir, dure jusqu’à
l’invasion de l’URSS en juin 1941. Une deuxième position, accordant la priorité à la lutte antinazie,
s’exprime à travers des voix d’abord clairsemées (Charles Tillon), puis prenant de l’ampleur au
printemps 1941 (« grève patriotique » des mineurs du Pas-de-Calais en mai 1941) dans un parti
divisé qui règle encore des comptes. L’attaque allemande contre l’URSS lève ces ambiguïtés : le
PCF, accoutumé à une certaine clandestinité, disposant de militants dévoués et efficaces, parfois
aguerris dans les Brigades internationales, contribue à renforcer la résistance. Retrouvant les
29
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
accents des patriotes jacobins de l’an II, il met en place en mai 1941 un Front national de lutte pour
l’indépendance de la France destiné à regrouper tous les résistants de l’intérieur, sans distinction de
couleur politique — mais contrôlé par l’appareil du PCF. Son bras armé est constitué des Francstireurs et partisans français (FTPF), créés en février 1942. Le PCF est plus enclin à une action
urbaine immédiate (assassinats de militaires allemands — tel celui perpétré dans le métro en août
1941 par Pierre Georges, futur colonel Fabien —, sabotages) ; mais cette stratégie, au demeurant
peu efficace à court terme, trouble l’opinion qui a peur des représailles nazies (exécution de 27
otages à Châteaubriant en octobre 1941) et inquiète aussi les autres mouvements, qui préfèrent
rester autonomes. Il n’empêche que, localement, l’influence communiste grandit dans la résistance
intérieure, surtout après 1942, ce qui suscite des craintes.
Les difficultés extrêmes rencontrées par les résistants métropolitains ont des causes
externes (isolement, faiblesse des moyens, écran trompeur formé par Vichy, délation, persécution
menée par la Gestapo, la SS ou la Milice, aveux sous la torture), comme internes (inexpérience de
la clandestinité, imprudences, trahisons, inimitiés personnelles ou politiques, surtout parmi la
première génération de résistants, divergences tactiques). Ainsi, certains privilégient la propagande
destinée à informer et encourager la population (Défense de la France) tandis que d’autres (CDLL)
estiment ce point secondaire, préférant contribuer à nourrir la lutte des armées alliées. Mais, de fait,
les grands mouvements sont progressivement contraints de jouer sur tous les fronts et de se doter
aussi d’une organisation militaire ou d’action spécialisée. Un autre clivage sépare ceux, vite
accusés de mollesse (l’ORA), qui préfèrent attendre le débarquement allié, de ceux (communistes
notamment) qui souhaitent en découdre plus vite avec l’ennemi et ses auxiliaires français, actions
préparant une grande mobilisation populaire le jour venu. Il existe également des querelles de
pouvoir entre les différents chefs de la Résistance intérieure, à l’ombrageuse susceptibilité ; en
outre, ils admettent fort bien De Gaulle en tant que « symbole », mais refusent de lui être
subordonnés. Enfin, l’évolution du conflit (invasion de la zone sud, renforcement des exigences
allemandes dans la guerre totale engagée en 1943) met fin à la fiction du “bouclier” que pouvait
représenter Vichy, d’autant que Pétain reste dans la métropole. Le jeu apparaît alors plus clair. Une
partie des cadres ou des soutiens du régime, comme Maurice Couve de Murville ou François
Mitterrand, bascule dans la résistance (les “vichysto-résistants” selon J.-P. Azéma) : ceux qui, au
départ, notamment à droite, étaient d’accord avec certains objectifs de la “Révolution nationale” ne
peuvent plus considérer en 1942 que Pétain protège les Français ou prépare la revanche. Le STO,
largement condamné par l’opinion, fournit des troupes de réfractaires que les mouvements ont du
mal à encadrer, sinon protéger, faute d’armes. Les réquisitions qu’ils mènent provoquent des
tensions avec les habitants : l’hiver1943-1944 est d’ailleurs difficile pour ces hommes, parfois
gagnés par le découragement ou l’indiscipline, fragiles lorsque, trop voyants, ils dépassent la
cinquantaine. En ville aussi, une impitoyable répression (arrestations, déportations, exécutions) fait
alors des ravages : le groupe Manouchian de FTP-MOI (main-d’œuvre immigrée), recherché sur la
célèbre Affiche rouge, est éliminé fin 1943. Se développe ainsi une féroce guerre civile francofrançaise, qui laissera des traces durables dans le pays.
30
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
Il reste que les divergences de vues et de sensibilités ne vont pas bloquer le processus
d’unification de la Résistance intérieure, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays
(Yougoslavie, Grèce), source de guerres civiles. Bon gré, mal gré, l’accord se fait peu à peu autour
de la lutte contre l’occupant et d’un humanisme progressiste (“l’esprit de la résistance”), en dépit de
sensibilités politiques diverses (communistes et sympathisants au Front national, syndicalistes ou
socialistes à Libération-Nord et Sud, conservateurs et démocrates-chrétiens dans Combat ou CDLL,
officiers et hauts fonctionnaires de droite dans l’OCM, etc.).
L’impulsion décisive vient de Jean Moulin, envoyé clandestinement par De Gaulle en
France (janvier 1942). Délégué général du chef de la « France libre », il unifie les trois mouvements
de la zone sud en janvier 1943 dans les MUR (Mouvements unis de résistance), qui fusionnent leurs
troupes dans l’Armée secrète, commandée par le général Delestraint. Au Nord, le processus échoue,
même si l’envoyé de Londres, Pierre Brossolette, anime un comité de coordination (mars 1943)
réduit à cette zone. Toutefois, les mouvements parviennent difficilement à accepter que les
anciennes formations politiques jugées faillies, réduites au silence par Vichy, réintègrent les
organes de décision. Ainsi les MUR s’élargissent-ils à des groupements de la zone nord en janvier
1944 pour former le Mouvement de libération nationale (MLN), afin de renforcer le poids politique
des résistants. Si SFIO, PCF et le petit PDP démocrate-chrétien prennent une part active à la lutte,
les autres partis ne brillent guère par leur engagement. Or, De Gaulle a besoin de ces organisations
connues des Alliés pour consolider sa légitimité. L’action inlassable de J. Moulin aboutit à un
compromis : le Conseil national de la Résistance (CNR), fondé le 27 mai 1943, comprend un
représentant des principaux mouvements de chaque zone, — y compris le Front national, des partis
(PCF, SFIO, radicaux, PDP, Alliance démocratique et Fédération républicaine) et des syndicats
(CGT, réunifiée grâce à l’accord du Perreux, et CFTC). Organe de coordination et non de décision,
il reconnaît De Gaulle comme chef politique et Giraud comme commandant militaire. L’arrestation
de J. Moulin, trahi lors de la rencontre de Caluire le 21 juin 1943, puis torturé par Klaus Barbie
(chef de la Gestapo de Lyon), ne remet pas en cause l’homogénéisation de la Résistance : il est
remplacé à la tête du CNR par le militant catholique Georges Bidault. Le CNR établit le 15 mars
1944 un plan d’action immédiate, mais aussi un programme pour la paix future, dont le contenu
ouvre de larges perspectives de réformes économiques et sociales allant bien au-delà de la
reconstruction du pays. Il se dote d’une sorte d’état-major, le COMAC (Commission d’action
militaire).
D’ailleurs, la Résistance intérieure, avec près de 300 000 membres actifs, accroît son
audience et son efficacité au printemps 1944 : la presse clandestine se diffuse largement (400 000
exemplaires pour Défense de la France, plus de 100 000 pour Combat ou Franc-Tireur, ce qui
constitue un exploit vu les pénuries de papier et la répression). Sabotages et renseignements
gagnent en nombre et en précision. L’“armée des ombres” grossit, menant plus des opérations de
guérilla urbaine ou rurale que des combats d’ampleur, faute d’armement lourd. Les groupes
militaires se fédèrent partiellement en février 1944 dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI)
dirigées par le général Kœnig depuis Londres, dotées de commandements régionaux et locaux à la
31
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
large autonomie. Enfin, De Gaulle prépare soigneusement la Libération en choisissant les cadres de
la relève politique ; mais il ne peut toujours faire valoir ses vues ni prévaloir ses fidèles, car les
Comités départementaux de libération, chapeautés par le CNR, promeuvent des hommes souvent
issus des mouvements. Retenons que les conflits majeurs entre deux légitimités, celles de la France
dissidente et de la France résistante, ont pu être évités, grâce à leur pragmatisme et aux
contradictions des partisans de Vichy. Toutefois, de grandes incertitudes demeurent sur le statut de
la France à libérer, qui dépendra largement de l’attitude des populations devant le chef de la
« France combattante » et de l’intelligence politique de ce dernier.
Organigramme des composantes de la Résistance et de leur unification
Les Français sous l’Occupation
L’exode durable, le morcellement du territoire, les difficultés pour franchir la ligne de
démarcation ou correspondre, l’absence des prisonniers, la désorganisation des circuits
économiques et les retombées de la guerre conduisent durant quatre ans les Français à se
préoccuper avant tout de leur survie. Si l’on excepte une minorité de privilégiés, notamment à Paris,
pouvant acheter très cher les denrées, le souci du ravitaillement demeure le lot commun, surtout
en ville, et absorbe toutes les énergies. En effet, le blocus naval des Alliés, la coupure avec
l’Empire colonial et, surtout, la massivité des prélèvements allemands (eux aussi acteurs et
bénéficiaires du “marché noir” grâce aux transferts financiers) s’ajoutent à la diminution des
productions (d’un quart au moins pour l’agriculture et de moitié pour l’industrie en 1943-44) pour
expliquer les pénuries.
L’intervention nécessaire des pouvoirs publics, à travers le ministère du Ravitaillement, les
Comités d’organisation… consiste à taxer les prix et répartir les contingents. Le rationnement
introduit dès août 1940 est progressivement étendu à toutes les denrées de première nécessité,
alimentaires ou non (charbon, vêtements, chaussures…), parfois remplacés par des ersatz. Ainsi les
cartes d’alimentation, attribuées selon huit catégories en fonction de l’âge, du sexe ou du travail
(“J3” pour les adolescents), donnent des rations très insuffisantes — guère plus de 1 200 calories
par jour : la croissance des enfants en est gravement affectée. Les queues se multiplient devant des
magasins presque vides et le rutabaga (chou-navet) symbolise la nourriture des années sombres.
Maintes familles se privent pour envoyer des colis aux prisonniers en Allemagne. Beaucoup de
citadins (ouvriers, petits fonctionnaires, personnes âgées ou isolées) qui n’ont pas conservé des
parents à la campagne ont faim, froid, et doivent recourir à des palliatifs (le « système D »). Les
agriculteurs, plus avantagés, accroissent leur autoconsommation pour ne pas livrer des produits
requis à bas prix par l’administration, ou en conservent pour le “marché gris” une part destinée aux
achats individuels à des tarifs un peu plus élevés que les prix officiels, tout comme certains
commerçants. Mais les exploitations souffrent du manque de main-d’œuvre agricole, d’outils et
d’engrais. Certains, servant d’intermédiaires en gros avec les Allemands, s’enrichissent
scandaleusement par le “marché noir”, qui implique un changement d’échelle du trafic. Cependant,
32
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
si les Français souffrent inégalement de l’Occupation, tous voient leurs conditions de vie s’aggraver
nettement dès 1941, ce qui rejaillit de fait sur la popularité du régime.
Les préoccupations de tous les jours encouragent au repli sur soi ou au recours aux
distractions de masse : le sport, la radio et surtout le cinéma connaissent un succès certain, qui
prolonge l’action culturelle du Front populaire. Œuvres d’évasion certes pour l’essentiel, mais aussi
créations de qualité jalonnent les Années noires, qu’il s’agisse d’auteurs connus — films de Marcel
Carné (Les Visiteurs du soir 1942, Les Enfants du Paradis), pièces de Claudel (Le Soulier de satin,
1943) et Montherlant (La Reine Morte, 1944) — ou de jeunes talents (cinéastes comme
H.-G. Clouzot, R. Bresson, J. Becker, écrivains tels Sartre et Camus). Comme beaucoup de leurs
compatriotes, rares pourtant sont ceux qui s’engagent dans la résistance active.
Les Français, très majoritairement attentistes, glissent progressivement d’un maréchalisme
diffus — plus sensible à la personne de Pétain protecteur qu’à sa politique, plus indulgent pour le
Maréchal que pour son entourage — à l’espoir d’une Libération, qui serait pour l’essentiel l’œuvre
des Alliés. Même si le thème du « double jeu » de Pétain rencontre un certain écho, l’Occupation et
la Collaboration sont globalement condamnées, surtout après 1941. Mais la résistance intérieure fait
l’objet de jugements contradictoires : son activité militaire, estimée peu efficace voire dangereuse
pour les populations, semble plutôt crainte (d’autant que s’y mêlent des sentiments
anticommunistes, en particulier dans les campagnes), bien que les résistants eux-mêmes bénéficient
de larges complicités. Multiplication des tracasseries administratives ou policières, couvre-feu,
extinction des lumières pour éviter les repérages aériens, perquisitions et rafles, inquiétude des
représailles diffusent l’angoisse, qu’attise la proximité accrue du conflit.
L’intensification des bombardements alliés au printemps 1944 vise avant tout à préparer
l’opération “Overlord”, sans la laisser deviner. Les raids aériens touchent surtout le littoral de la
Manche et de l’Atlantique (ports du Havre, de Rouen, Brest, Saint-Nazaire, Nantes…), les
agglomérations du Nord et de l’Ouest (Paris, Orléans), puis plus méridionales (Lyon) et les nœuds
de communication. Mais ils font près de 50 000 victimes et ne sont guère sélectifs, détruisant au
moins autant les habitations que les usines ou les gares. Ceci crée une psychose certaine (alertes
multiples, nuits dans les abris ou les caves, deuils), voire un malaise vis-à-vis des Anglo-Saxons.
L’on espère et l’on craint tout à la fois le débarquement, qui ramènera les batailles sur le sol
métropolitain.
33
La France, l’Europe et le monde depuis 1939 (J.-P. Barrière)
La Libération du territoire et les défis à relever
Libérer le territoire
Reconquérir la souveraineté nationale
Panser les plaies
Épurer : comment ? jusqu’où ?
Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale
34