Colombie Enquête chez les paramilitaires
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Colombie Enquête chez les paramilitaires
816-UNe OK 20/06/06 17:50 Page 1 Colombie Enquête chez les paramilitaires POLOGNE La dernière châtelaine MÉDIA Vive le livre électronique FOOT Arbitre, mission impossible www.courrierinternational.com N° 816 du 22 au 28 juin 2006 - 3 € Vers une révolution conservatrice La famille revient ! AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU M 03183 - 816 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@i@l@g@k; 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 20/06/06 20:20 Page 3 s o m m a i re ● e n c o u ve r t u re ● LA FAMILLE REVIENT ! 24 ■ asie T I M O R - O R I E N TA L Division au sommet de l’Etat INDONÉSIE Bashir prêche, les Occidentaux protestent S R I LANKA “Maintenant, on ne sait même plus qui tue qui” A S I E C E N T R A L E L’OCS, un bloc qui se construit N É PA L Les rebelles maoïstes prêts à jouer le jeu 28 ■ moyen-orient ISRAËL Mais qui a commis le carnage sur la plage de Gaza ? T U R Q U I E Les Turcs ont aussi inventé le pantalon I R A N La troublante beauté du Prophète BAHREÏN “Faites donc taire ce muezzin qui hurle !” Dénatalité oblige, l’Europe aura perdu 10 % de sa population en 2050. La tendance est particulièrement marquée en Allemagne, suscitant la publication de maints livres et articles vantant les vertus de la famille. Le démographe américain Phillip Longman prédit, lui, un retour en force de la famille patriarcale. Car l’Histoire, dit-il, montre que c’est le mode d’organisation permettant de produire le plus d’enfants. pp. 32 à 38 Raphael Demaret/ REA 816p3 Initiation au milieu aquatique en famille, Créteil, 2006. 30 ■ Afrique O U G A N D A Visite au rebelle le plus recherché d’Afrique LIBÉRIA Une présidente qui protège les femmes E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S 32 ■ en couverture La famille revient ! La “vraie” famille patriarcale serait, au regard de l’Histoire, le mode d’organisation permettant de produire le plus d’enfants. Débat. 40 ■ portrait La châtelaine de Varsovie Anna Wolska est une charmante vieille dame polonaise. Elle est aussi la dernière de ceux qui ont habité le palais royal de Wilanow, à Varsovie. RUBRIQUES 4 ■ les sources de cette semaine 6 ■ l’éditorial Pas de répit pour les médiateurs 42 ■ e n q u ê t e S a n g l a n t s s e c r e t s d e paramilitaires Depuis cinq ans, des opérations de “nettoyage politique” ont fait plus de 11 000 morts à la frontière vénézuélo-colombienne. par Philippe Thureau-Dangin 6 ■ l’invité Timothy Garton Ash, The Guardian, Londres 44 ■ reportage Toute une culture à sauver 9 ■ à l’affiche 9 ■ ils et elles ont dit 52 ■ voyage Les mille et une utopies de Joshua La modernisation accélérée de la Chine met en péril de nombreux arts et traditions populaires. Quelques passionnés tentent de les sauvegarder. Tree 58 ■ le livre Svinalängorna, de Susanna Alakoski 58 ■ épices et saveurs Irak : les falafels hors la loi INTELLIGENCES Petit précis de ségolisme p. 11 59 ■ insolites Dieu banni des terrains de foot 46 ■ économie EMPLOI Des salariés payés à ne rien faire AUTOMOBILE Detroit se met au régime 48 ■ sciences NEUROSCIENCES Aide-toi, ton cer veau t’aidera 49 ■ technologie P H Y S I Q U E Le plus petit frigo D’UN CONTINENT À L’AUTRE du monde BIO - INFORMATIQUE Des ordinateurs à enzymes dans notre corps 11 ■ france DOSSIER Ségolène est-elle de gauche ? 50 ■ écologie Du neuf avec du vieux • Público n’a rien compris • Entre valeurs de gauche et blairisme, le dilemme socialiste • Une cible mouvante, donc difficile à abattre • Etrange phénomène • Dans ségolisme, il y a bien gaullisme, non ? C O N S O M M AT I O N Des légumes et des fleurs qui nous mettent à sec GASPILLAGES Un phénomène mondial 14 ■ europe aiguise les appétits U N I O N E U R O P É E N N E Les Vingt-Cinq peinent mais ne calent pas C O M M E R C E Vers un marché transatlantique ? C O O P É R AT I O N L’Italie relance la politique méditerranéenne ROYAUME - UNI La “question anglaise” est de retour E S PA G N E La Catalogne ouvre la voie au “pays pluriel” S U È D E Les pirates de la Toile à l’assaut du Parlement B O S N I E - H E R Z É G O V I N E Un référendum pour l’indépendance de la République serbe ? V U D E S A R A J E V O Un simple stratagème S L O VA Q U I E Les raisons d’une dangereuse défaite TCHÉTCHÉNIE Un “ennemi d’envergure” de moins POLOGNE L’homophobie se porte bien, merci 20 ■ amériques URUGUAY La gauche déchirée par les questions économiques BRÉSIL Davantage de politique, moins de spectacle ÉTATS-UNIS Une bouffée d’oxygène pour l’équipe présidentielle CANADA Opération de séduction au Québec ÉTATS-UNIS Le petit frère privé de Maison-Blanche ÉTATSUNIS En Floride, plus question de critiquer l’histoire officielle W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com 51 ■ multimédia ÉDITION Le livre électronique FOOT De l’art dans le désert Mojave p. 52 54 ■ Le journal du Mondial (2) LA SEMAINE PROCHAINE mexique Présidentielles à suspense média L’avenir de l’empire Murdoch sexualité Les animaux gays contre Darwin ET AUSSI ... Le journal du Mondial (3) COURRIER INTERNATIONAL N° 816 3 DU 22 AU 28 JUIN 2006 20/06/06 20:12 Page 4 l e s s o u rc e s ● CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL L’ACTUALITÉ 200 000 ex., Canada, bimensuel. “Le plus grand magazine d’information francophone hors de France”, libéral et international, toujours original, est lu par un Canadien francophone sur cinq. LA LIBRE BELGIQUE 60 900 ex., Belgique, quotidien. Ce titre de qualité des francophones s’est ouvert à de nouvelles thématiques sans renier ses origines catholiques. Edité par Informations et productions multimédias (IPM), qui détiennent également La Dernière Heure-Les Sports, la “Libre” a modifié l’organisation de ses rubriques, en 1999, puis son format, en 2002. THE AGE 230 000 ex., Australie, quotidien. Fondé en 1854 et toutes ses dents, dures de préférence. A Melbourne, rivale intellectuelle, artistique et financière de Sydney, The Age fait autorité.Très australoaustralien, plutôt culturel, il s’aventure parfois sur le terrain international, sans perdre de son mordant ni de son ironie. HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens. DAGENS NYHETER 360 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1864, c’est le grand quotidien libéral du matin. Sa page 6 est célèbre pour les grands débats d’actualité. “Les Nouvelles du jour” appartient au groupe Bonnier, le plus grand éditeur et propriétaire de journaux en Suède. Le titre est passé en format tabloïd en 2004. DAILY GRAPHIC 100 000 ex., Ghana, quotidien. Fondé en 1950 et propriété de l’Etat, ce quotidien a longtemps bénéficié d’un quasimonopole dans le pays. Depuis la révision constitutionnelle de 1992, qui garantit la liberté des médias, il doit faire face à une concurrence importante. Une nouvelle donne qui l’a conduit à améliorer son contenu et à offrir un contenu plus diversifié. DIÁRIO DE NOTÍCIAS 75 000 ex., Portugal, quotidien. Fondé en 1864, le “Quotidien des nouvelles” fut l’organe officieux du salazarisme. Grâce au renouvellement de sa maquette et à ses efforts pour divulguer une information complète, le titre voit son public rajeunir. EKANTIPUR.COM <http ://www.kantipuronline.com>, Népal. Ce webzine d’information lancé en 2005 permet aux lecteurs d’accéder à des analyses sans concessions écrites par des journalistes indépendants à un moment où le pays traverse de profonds bouleversements politiques. EMMA 40 000 ex., Allemagne, bimestriel. Fondé en 1977 par Alice Schwarzer, son actuelle directrice et éditorialiste, le titre est “plus qu’un simple magazine” : une revue féministe, engagée pour l’égalité des droits hommes-femmes. “Le magazine politique fait par des femmes” a soutenu la candidature d’Angela Merkel aux législatives de 2005. (<emma.de> et <aliceschwarzer.de>) L’ESPRESSO 430 000 ex., Italie, quotidien. Fondé en 1955 par Eugenio Scalfari, qui créera ensuite La Repubblica, le titre s’est vite imposé comme le grand hebdomadaire du centre gauche. Comme La Repubblica, il appartient à l’industriel piémontais Carlo De Benedetti. Il mène une lutte acharnée contre la politique de Silvio Berlusconi. O ESTADO DE SÃO PAULO 350 000 ex., Brésil, quotidien. Fondé en 1891, le plus traditionnel des quatre grands quotidiens brésiliens appartient à O Estado, l’un des plus importants groupes de presse du Brésil. Plutôt conservateur et austère, il bénéficie d’un vaste réseau de correspondants à l’étranger, et depuis 1997 publie une sélection hebdomadaire d’articles du Wall Street Journal. FOLHA DE SÃO PAULO 420 000 ex., Brésil, quotidien. Née en 1921, la “Feuille de São Paulo” a fait, au début des années 80, une cure de jouvence ayant pour maîtres mots : objectivité, modernité, ouverture. Le quotidien est devenu ensuite le plus influent journal du pays, attirant l’intérêt, entre autres, d’une jeune élite qui se bat pour la consolidation de la démocratie. FOREIGN POLICY Etats-Unis, bimestriel. Fondé en 1970, Foreign Policy, créé pour “stimuler le débat sur les questions essentielles de la politique étrangère américaine”, est publié par la Fondation Carnegie pour la paix internationale. FRANKFURTER RUNDSCHAU 189 000 ex., Allemagne, quotidien. Le plus ancien des quotidiens nationaux allemands a un public un peu plus jeune que ses concurrents. Engagé à gauche, dans la défense des droits de l’homme et de l’environnement. GAZETA WYBORCZA 500 000 ex. en semaine et 1 000 000 ex. le week-end, Pologne, quotidien. “La Gazette électorale”, fondée par Adam Michnik en mai 1989, est devenue un grand journal malgré de faibles moyens. Et avec une immense ambition journalistique : celle d’être laïque, informative, concise. Son supplément culturel du vendredi, Magazyn-Gazeta Wyborcza, est devenu un rendez-vous incontournable. THE HINDU 700 000 ex., Inde, quotidien. Hebdomadaire fondé en 1878, puis quotidien à partir de 1889. Publié à Madras et diffusé essentiellement dans le sud du pays, ce journal indépendant est connu pour sa tendance politique de centre gauche. ISIM (International Institute for the Study of Islam in the Modern World), 8 000 ex., Pays-Bas, trimestriel. D’expression anglaise et d’un très bon niveau, ce journal est édité à Leyde (Pays-Bas) depuis 1999. Rédigé par un groupe d’universitaires spécialistes du monde musulman, il traite de sujets politiques, sociologiques et culturels. Offre spéciale d’abonnement Bulletin à retourner sans affranchir à : LONDON REVIEW OF BOOKS 26 000 ex., Royaume-Uni, bimensuel. Née en 1979, cette “Revue londonienne des livres” traite tout autant de littérature que de politique, à l’instar de la prestigieuse NewYork Review of Books. Elle offre un excellent moyen de se tenir au courant de l’actualité éditoriale anglo-saxonne. LOS ANGELES TIMES 900 000 ex., EtatsUnis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. MAIL & GUARDIAN 30 000 ex., Afrique du Sud, hebdomadaire. Fondé en 1985, l’ancien Weekly Mail n’a plus d’attache avec le grand patronat libéral, au contraire de la plupart des autres publications anglophones sudafricaines, depuis que le Guardian de Londres est entré dans son capital. Résolument à gauche, il milite pour une Afrique du Sud plus tolérante. NATURE 50 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Depuis 1869, cette revue scientifique au prestige mérité accueille – après plusieurs mois de vérifications – les comptes-rendus des innovations majeures. Son âge ne l’empêche pas de rester d’un étonnant dynamisme. NEW SCIENTIST 140 000 ex., RoyaumeUni, hebdomadaire. Stimulant, soucieux d’écologie, bon vulgarisateur, le New Scientist est l’un des meilleurs magazines d’information scientifique du monde. Créé en 1956, il réalise un tiers de ses ventes à l’étranger. NEZAVISNE NOVINE 10 000 ex., BosnieHerzégovine, quotidien. “Le Journal indépendant” fut fondé en décembre 1995, après la signature des accords de Dayton, dont il défend la mise en application. Publié dans la République serbe de BosnieHerzégovine, il encourage la démocratisation de la région. argentins. Il est le seul quotidien sportif du pays, ce qui lui a permis de s’imposer dans le paysage médiatique. Grâce à sa présentation graphique et son style léger, il a su séduire un lectorat jeune qui s’était détourné de la presse écrite. OSLOBODJENJE 15 000 ex., BosnieHerzégovine, quotidien. “Libération” est un quotidien indépendant qui a résisté à tout nationalisme pendant la guerre et prône toujours une BosnieHerzégovine multiethnique. OUTLOOK 250 000 ex., Inde, hebdomadaire. Créé en octobre 1995, le titre est très vite devenu l’un des hebdos de langue anglaise les plus lus en Inde. Sa diffusion suit de près celle d’India Today, l’autre grand hebdo indien, dont il se démarque par ses positions nettement libérales. L’édition en hindi a été lancée en octobre 2002. PÚBLICO 60 000 ex., Portugal, quotidien. Lancé en 1990, “Public” s’est très vite imposé, dans la grisaille de la presse portugaise, par son originalité et sa modernité. S’inspirant des grands quotidiens européens, il propose une information de qualité sur le monde. RADIKAL 65 000 ex.,Turquie, quotidien. Lancé par le groupe Milliyet en 1996 pour devenir le quotidien des intellectuels. Certains l’appellent “Cumhuriyet light”, en référence au grand journal kémaliste qu’il veut concurrencer. ROSSIISKAÏA GAZETA, Russie, quotidien. Fondée par le gouvernement de Russie, la Rossiiskaïa Gazeta a le statut de publication officielle de documents d’Etat. Diffusé sur l’ensemble du territoire, c’est aussi un quotidien national d’informations générales et politiques. SANLIAN SHENGHUO ZHOUKAN 90 000 ex., Chine, bimensuel.Très lu par les jeunes intellectuels de la capitale, ce magazine d’informations générales, créé en 1996, se veut l’héritier d’une tradition journalistique chinoise remontant aux années 1920. L’une des publications qui reflètent sans doute le mieux l’évolution sociale et culturelle des citadins. NRC HANDELSBLAD 254 000 ex., Pays-Bas, quotidien. Né en 1970, le titre est sans conteste le quotidien de référence de l’intelligentsia néerlandaise. Libéral de tradition, rigoureux par choix, informé sans frontières. EL NUEVO HERALD 90 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Fondé en 1987, en tant que supplément du Miami Herald, “Le Nouveau Herald” est devenu un titre à part entière en 1988.Véritable référence pour la communauté latino-américaine de Miami, il appartient comme son grand frère au groupe Knight Ridder. OLÉ 265 000 ex., Argentine, quotidien. C’est en 1996 qu’Olé fait son apparition dans les kiosques Courrier international SPORT BILD 450 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Numéro un de la presse sportive en Allemagne, ce magazine s’appuie sur un traitement spectaculaire de l’information. SVENSKA DAGBLADET 190 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1884, “Le Quotidien de Suède”, conservateur, a été racheté en l’an 2000 par le groupe norvégien Schibstedt. En grande difficulté financière, il est passé en 2001 en format tabloïd. Il offre de bonnes pages culturelles. RÉDACTION 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) TECHNOLOGY REVIEW 92 000 ex., EtatsUnis, paraît toutes les six semaines. Née en 1899, la revue est installée sur le campus du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). C’est le magazine des ingénieurs, scientifiques et hommes d’affaires soucieux de s’informer des nouvelles tendances technologiques et des décisions politiques en la matière. Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Suzi Vieira (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Miklos Matyassy (chef de service, Hongrie, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal StoreShringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) TEMPO 160 000 ex., Indonésie, hebdomadaire. Publié pour la première fois en avril 1971 par P.T. Grafitti Pers, dans l’intention d’offrir au public indonésien des matériaux nouveaux de lecture de l’information, avec une liberté d’analyse et le respect des divergences d’opinion. THE TORONTO STAR 467 000 ex., Canada (Ontario), quotidien. Créé en 1893, le quotidien le plus lu du pays. De tendance libérale. LA VANGUARDIA 201 500 ex., Espagne, quotidien. “L’Avant-Garde” a été fondée en 1881 à Barcelone par la famille Godó, qui en est toujours propriétaire. Ce quotidien de haute tenue est le quatrième du pays en terme de diffusion, mais il est numéro un en Catalogne, juste devant El Periódico de Catalunya. Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service, 16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661) Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Julien Didelet (chef de projet) AL-WATAN 10 000 ex., Bahreïn, quotidien. “La Patrie”, créé en 2005, s’est fixé comme objectif d’égaler les ventes de ses confrères (sept autres quotidiens arabophones et deux anglophones) dans un pays qui compte 700 000 habitants. Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise EscandeBoggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Marie-Christine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) THE WEEK 200 000 ex., Inde, hebdomadaire. Fondé en 1982, le titre est apprécié pour son choix éditorial, souvent décalé par rapport à l’actualité immédiate et dominante. Il appartient à Malayala Manorama, un groupe de presse régional installé dans l’Etat du Kerala, connu pour son très fort taux d’alphabétisation (91 %). Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684) DIE WELT 202 000 ex., Allemagne, quotidien. “Le Monde”, portedrapeau des éditions Springer, est une sorte de Figaro à l’allemande. Très complet dans le domaine économique, il est aussi lu pour ses pages concernant le tourisme et l’immobilier. SME 80 000 ex., Slovaquie. En 1993, la rédaction du journal Smena (“Le Changement”) s’est scindée en deux, d’où la naissance de Sme. “Nous sommes” est le plus important quotidien slovaque de tendance libérale. WWW Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Marc-Olivier Bherer, Marianne Bonneau, Jean-Baptiste Bor, Olivier Bras, Valérie Brunissen, Simonetta Ciula, Devayani Delfendahl, Eléonore Dermy, Valéria Dias de Abreu, Emma Donau, Marie-Cécile Fauvin, Steve Gregory, Natacha Haut, Douglas Herbert, Gabriela Kukurogyova, Françoise LemoineMinaudier, Françoise Liffran, Benilde Lopes, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Marina Niggli, Hélène Rousselot, Stéphanie Saindon, Isabelle Taudière, Emmanuel Tronquart, Gina Valot, Janine de Waard, Zaplangues ADMINISTRATION - COMMERCIAL Retrouvez nos sources sur Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88 Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Kristine Bergström (16 73) Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard. Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40 Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ; Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97). Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> courrierinternational.com (rubrique Planète presse) ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS ET RÉASSORTS Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger : 33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements, 60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. 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Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président Dépôt légal : juin 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France 60VZ1102 816p04 Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919. Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid at Champlain N. Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER: send address changes to Courrier international, c/o Express Mag., P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S. A. 12901 - 0239. For further information, call at 1 800 363-13-10. Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour la vente au numéro et un encart “Le Monde de Mozart” jeté pour une partie des abonnés. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 816 p6 édito/l'invité 20/06/06 19:43 Page 6 l’invité ÉDITORIAL Pas de répit pour les médiateurs Timothy Garton Ash, D E S S I N D E L A The Guardian, Londres L e 19 juin, Aung San Suu Kyi a fêté son 61e annipas des plus rassurantes –, Nelson Mandela est resté derversaire, seule, sur les rives du lac Inya, dans la villa rière les barreaux pendant vingt-sept ans, mais l’Afrique du délabrée où elle a passé en résidence surveillée dix Sud, au bout du compte, a fini par bouger. des dix-sept dernières années. Elle vit dans un isoEnsuite, tout en respectant les appels que lance régulièrelement presque total. Selon de récentes informament Suu Kyi en faveur de sanctions contre la junte, nous tions, elle ne peut voir que sa femme de ménage et devrions repenser notre politique. Par exemple, ne peut-on sa fille, ainsi que, de temps à autre, son médecin. faire plus pour alléger directement les souffrances de la Je n’oublierai jamais ma rencontre avec Suu Kyi. population, durement touchée par le sida et la drogue, sans C’était à Rangoon, il y a six ans. A l’époque, elle pouvait que cela revienne pour autant à signer un chèque en blanc encore quitter son domicile. J’avais fait un discours sur au régime, ce qui serait inacceptable ? Quel équilibre entre les transitions démocratiques dans le cadre d’une conféla carotte et le bâton permettrait de l’amener à desserrer rence qu’elle présidait et où elle servait d’interprète, devant son étreinte ? Une chose doit être claire au bout de seize un groupe de militants de la Ligue nationale pour la démoannées de répression : aucune politique occidentale, si intelcratie (LND) aussi courageux ligemment conçue soit-elle, ne qu’enthousiastes. J’éprouve un peut fonctionner seule. Si, à profond sentiment de colère l’intérieur des frontières biren écrivant au sujet de ce manes, la clé du changement qu’elle doit endurer, et de ce réside dans la reprise du diaque subit son pays. Que dire logue entre les militaires et la de nouveau ? Qu’Aung San LND, à l’extérieur, il faudrait Suu Kyi est une héroïne de qu’un des pays voisins, sinon notre temps, un Nelson Manplusieurs, change d’approche. dela birman. Que les généraux Par où commencer ? Par ■ Timothy Garton Ash est professeur à du Myanmar gouvernent l’un l’Inde, sans aucun doute. Il ne Oxford, où il dirige le Centre d’études eurodes pires Etats de la planète, faut pas espérer que la Chine péennes du St. Antony’s College. Cet hisqu’ils consacrent près de 40 % communiste fasse pression en torien et politologue tient une chronique de leur budget à l’armée penfaveur de la libéralisation et de hebdomadaire dans The Guardian. Free dant que leur peuple vit dans la démocratie chez son triste World (Penguin, 2004) est son dernier livre le dénuement et la maladie. petit voisin. En revanche, il est paru en anglais. Que la clé du changement déplorable que l’Inde démopolitique réside dans le dialogue avec la LND, laquelle a cratique se soit montrée si timide dans sa politique vis-à-vis remporté haut la main des élections démocratiques en 1990. de la junte. Mais, si nous voulons que les Indiens prennent Tout cela est vrai, et a déjà été répété mille fois. En vain, la tête de ce mouvement, à nous d’entendre ce qu’ils ont apparemment. à nous dire, à savoir que le débat en Inde même devrait être Si Suu Kyi n’abandonne pas, comment le pourrions-nous ? le fait d’intellectuels, de commentateurs et de politiciens Au lieu de lui souhaiter un bon anniversaire, ce qui serait qui affirment que le respect des droits de l’homme et des grotesque en de pareilles circonstances, voici trois modestes libertés fondamentales est une valeur aussi indienne qu’ocréflexions quant aux moyens éventuels de sortir de cette tercidentale. Voilà à quoi devrait ressembler le nouvel ordre rible impasse. Pour commencer, le simple fait de ne pas mondial, si tant est qu’il en faille un. Nous autres interoublier le Myanmar est un acte politique de la première nationalistes libéraux occidentaux, nous n’avons pas à modiimportance. Pour citer la célèbre phrase de l’écrivain tchèque fier nos arguments tant que ça. Mais, si nous voulons Milan Kundera, “la lutte de l’homme contre le pouvoir est celle parvenir à nos fins démocratiques dans un monde de plus de la mémoire contre l’oubli”. Les dirigeants birmans veulent en plus multipolaire, alors nous devons repenser notre façon qu’on les oublie. Pas de nouvelles du Myanmar, c’est une de le dire. En n’oubliant pas le sort d’une femme courabonne nouvelle pour eux, mais une mauvaise nouvelle pour geuse et si seule en ce jour d’anniversaire, peut-être pourleur peuple. Nous devons le marteler encore et encore, même rions-nous envisager le monde où nous vivons sous un si cela nous oblige à répéter les mêmes choses d’année en nouveau jour. Alors, Suu, bon anniversaire malgré tout, en année. Après tout – et bien que cette comparaison ne soit espérant vous en souhaiter bien d’autres, plus joyeux. ■ N’oublions pas le Myanmar Ralph Orlowski/Getty Image/ AFP Œuvrer pour la paix n’est pas une tâche facile. Les belligérants ont parfois tellement envie d’en découdre que le médiateur – ou le “f acilitateur”, comme on l’appelle aussi souvent – a beau en appeler à la raison, à la pitié ou à l’Histoire, rien n’y fait. Pas même la promesse de généreux subsides. On croit tenir un semblant d’accord, transformer le cessez-le-feu en trêve, et puis non, tout est inutile : la mauvaise foi est partagée par les deux parties (comme on le voit en Côted’Ivoire), et les leaders ont trop d’intérêts personnels dans le conflit pour accepter de déposer les armes. Dans le cas du Darfour, les médiateurs américain et britannique pensaient avoir fait le plus dur en faisant signer au gouvernement soudanais un accord avec un chef rebelle. Mais les deux autres mouvements ne veulent toujours pas apposer leurs signatures. Et celui qui a signé, Minni Arcua Minnawi, qui représente la seule tribu des Zaghawas, est un “criminel”, explique Julie Flint dans The New York Times : les exactions de ses troupes font peur aux autres habitants du Darfour… Au Sri Lanka, après trente ans de guerre civile et 60 000 victimes, le négociateur norvégien avait réussi en 2002 l’exploit d’obtenir des Tigres de libération de l’Eelam tamoul un cessez-le-feu. Hélas, après quatre ans de calme relatif, les choses s’enveniment à nouveau entre la rébellion tamoule et les autorités de Colombo. Des milices paramilitaires liquident sans procès les militants tamouls. Et, de l’autre côté, les Tigres ont repris leur politique d’attentats sanglants. Le facilitateur norvégien, Eric Solheim, menace donc de quitter la table si chacune des parties ne cesse pas ses mauvaises manières. Le Sri Lanka n’en est pas moins un véritable paradis pour les yeux et pour l’esprit. Ce mois-ci, le magazine Ulysse (qui est édité par Courrier international SA) vous invite à découvrir ce pays, et notamment la vallée de Bogawantala, où sont cultivées avec passion des plantes d’un vert inoubliable qui donneront les meilleurs thés du monde. Loin des fureurs politiques. Philippe Thureau-Dangin L E ● S E M A I N E ■ Une résolution internationale a été adoptée à l’initiative du Japon, qui propose de mettre fin au moratoire sur la chasse à la baleine. Dessin de Joep Bertrams, paru dans Het Parool, Amsterdam. Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com COURRIER INTERNATIONAL N° 816 6 DU 22 AU 28 JUIN 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 816_pp11-12 20/06/06 19:28 Page 11 f ra n c e DOSSIER SÉGOLÈNE EST-ELLE DE GAUCHE ? ■ Un coup à droite sur la sécurité, un autre à gauche sur les 35 heures : le positionnement politique de Ségolène Royal perturbe le Financial Times. ■ Le quotidien britannique n’est pas le seul à être dérouté : Público est agacé, El País dubitatif mais La Libre Belgique conquise. Du neuf avec du vieux Pour le directeur du grand quotidien portugais Público, les propositions de Ségolène Royal sont purement électoralistes. PÚBLICO Lisbonne e Parti socialiste français vient d’entériner son programme électoral pour la prochaine élection présidentielle en réussissant un véritable miracle : réunir à la fois les éléphants du parti, qui se font une guerre permanente, et la “wonder woman” de la politique française, Ségolène Royal. Or qu’y a-t-il de vraiment nouveau dans ce programme ? Rien en tout cas qui permette aux socialistes français de se rapprocher des politiques réformatrices d’avant-garde qui ont été mises en place par leurs homologues dans d’autres pays. En fait, les socialistes français vont exactement dans la direction opposée à celle qu’ont suivie avec succès le Parti travailliste anglais et Tony Blair. Le plus étonnant est que la seule personnalité du PS qui puisse prétendre à la présidence de la République, Ségolène Royal, déclare approuver ces propositions, tout en affirmant dans le même temps qu’elle porte une grande admiration au Premier ministre britannique. Cela semble contradictoire, et ça l’est en effet, car Mme Royal, L dont la popularité, sondage après sondage, ne cesse de croître, est loin, vraiment très loin, d’une version française et féminine de Blair. Tony Blair est en réalité très différent de beaucoup d’autres dirigeants de l’Internationale socialiste. Non seulement en raison de son charisme, mais également parce qu’il a imaginé et mis en place des politiques qui tranchent radicalement avec les solutions traditionnelles de la gauche sociale-démocrate. Mais, s’il l’a fait, ce n’est pas seulement pour répondre aux difficultés Dessin de Xavier Torcelly paru dans La Libre Belgique, Bruxelles. WEB+ Plus d’infos sur courrierinternational.com Timothy Garton Ash : Ségolène et la banlieue rencontrées par son pays, c’est aussi, et surtout, par intime conviction. Les choses semblent être très différentes pour Ségolène Royal. Pour nous en convaincre, il suffit d’examiner ses deux dernières propositions, qui ont jeté le trouble dans les rangs du PS. Dans la première, elle suggérait de placer les adolescents délinquants dans un environnement militaire, allant ainsi audelà des demandes de la droite traditionnelle. Dans la seconde, elle attaquait la loi sur les 35 heures, non parce que celle-ci n’avait pas créé les emplois promis, mais parce qu’elle avait engendré une plus grande flexibilité salariale. Ségolène Royal a donc donné un petit coup de volant à droite et, immédiatement après, un petit coup à gauche. La méthode semble cependant avoir été bien accueillie par les électeurs, qui, en bons Français, apprécient la sévérité en matière de délinquance, tout en souhaitant plus de protection sociale. De toute évidence, ce type de prise de position ne repose sur aucune conviction solide. Il reflète simplement la volonté de coller au plus près à ce que les électeurs souhaitent entendre. Pis encore : ces propositions montrent que la bouffée d’air frais qu’elle est censée offrir pourrait bien n’être qu’une bouffée d’air recyclé. La seule différence est qu’elle nous est proposée par quelqu’un qui arbore un sourire aimable. Il en faudra donc beaucoup plus à Ségolène pour prouver qu’elle est bien celle qui peut sortir la France de sa dépression et de son actuel déclin. José Manuel Fernandes VU DE BELGIQUE Entre valeurs de gauche et blairisme, le dilemme socialiste assé par les querelles communautaires qui, en Belgique, stérilisent trop de débats, le Belge jette volontiers un œil par-delà la frontière. A tort ou à raison, nous percevons dans le jeu politique hexagonal davantage de couleurs et d’enjeux. Et, comme les problèmes de société sont fort similaires… cela tombe bien. Du sang neuf, un discours autre, c’est apparemment ce que cherchent aussi nos voisins français. Dans un tel contexte, la montée en puissance de Ségolène Royal n’est pas neutre. A dix mois de l’élection présidentielle, cette fausse ingénue est en train de damer le pion dans les sondages aux éléphants du PS. Pourquoi ? Jusqu’à récemment, c’était moins pour son programme que pour son sens de l’image et de la proximité, soigneusement cul- L tivé. Mais, depuis peu, “Ségo” attaque aussi sur le plan des idées. Elle vient de réaliser un doublé remarqué. La voilà, primo, qui plaide en faveur d’un “ordre juste”, plus sévère à l’égard des jeunes délinquants ; et, secundo, qui regrette la semaine des 35 heures, qui a entraîné “une dégradation de la situation des plus fragiles”. Quel grand écart avec le socialisme historique ! Le cas Ségolène dépasse en tout cas la France. Qu’elle soit socialiste ou sociale-démocrate, la gauche européenne connaît partout le même dilemme : comment défendre une universalité de valeurs alors que l’individualisme est la marque de fabrique contemporaine ? Comment, en fait, tenir un discours de gauche dans un monde de droite ? COURRIER INTERNATIONAL N° 816 L’enjeu est simple : ou les socialistes se recentrent sur les valeurs inscrites dans leurs gènes, au risque de perdre une par t croissante de leur électorat, y compris parmi les jeunes, qui se préoccupent moins de la lutte des classes que de leur PC ; ou ils écoutent davantage les préoccupations des citoyens, notamment en matière de sécurité et d’emploi. Ségolène a choisi. Par oppor tunisme ou par sincérité ? Tranchera qui pourra. Mais son projet politique, que l’on aime ou que l’on déteste ses accents blairistes, présente l’intérêt de réduire le simplisme ambiant, qui oppose volontiers la gauche laxiste à la droite musclée. Le temps n’est plus à la caricature. Ségolène Royal pose d’excellentes questions. Stéphane Renard, Le Vif-L’Express, Bruxelles 11 DU 22 AU 28 JUIN 2006 “Público” n’a rien compris DIÁRIO DE NOTÍCIAS Lisbonne e directeur de Público a récemment consacré un éditorial à un sujet inattendu. José Manuel Fernandes a en effet choisi de garder le silence sur des sujets d’actualité brûlants pour concentrer toute son attention sur l’éventuelle candidature de Ségolène Royal à la présidence de la République française. Aussi s’est-il lancé dans l’analyse des contradictions de la socialiste. Fernandes reproche à Ségolène Royal son incohérence et l’inconsistance de ses positions hétérodoxes. Il semble pourtant accepter sans rechigner l’ambivalence calculatrice et cynique de Nicolas Sarkozy, qui se place simultanément à l’intérieur et à l’extérieur du pouvoir, ce qui lui permet de réunir une solide base de soutien pour ses ambitions présidentielles. La candidate qui fait actuellement figure de favorite dans la course à l’Elysée a en effet fait l’objet d’accusations d’opportunisme, et même de populisme, en raison de certaines des positions qu’elle défend. Mais l’irruption de Ségolène Royal dans la bataille présidentielle et sa participation à la modernisation de la gauche française ne peuvent cependant être réduites à quelques détails anecdotiques, même si ceux-ci semblent faire les délices de la francophobie primaire de certains néoconservateurs, parmi lesquels on trouve bien sûr le directeur de Público. La vérité, c’est que Ségolène a osé braver certains des tabous des socialistes français. Elle a en particulier rappelé que les classes populaires étaient celles qui souffraient le plus du laxisme de l’Etat en matière de sécurité, un secteur que la droite et l’extrême droite avaient jusque-là monopolisé. Et, bien que ses positions sur les 35 heures puissent effectivement paraître confuses, le simple fait de remettre en question l’un des credo des socialistes français a ouvert un espace de débat qui était jusqu’à présent inenvisageable. C’est sans doute précisément cela qui perturbe non seulement ceux que l’on appelle les “éléphants” du PS, Sarkozy ou la droite, mais aussi, apparemment, certains éditorialistes portugais. Vicente Jorge Silva L 816_pp11-12 20/06/06 19:29 Page 12 f ra n c e DOSSIER Une cible mouvante, donc difficile à abattre En brouillant les pistes, Ségolène Royal prend le risque de l’inconstance et se rend insaisissable. FINANCIAL TIMES Londres n France, les candidats à l’élection présidentielle doivent séduire au-delà des frontières de leur parti. Rien d’étonnant, dès lors, que Ségolène Royal, la socialiste favorite des sondages pour la candidature à l’élection de l’année prochaine, ait décidé de s’attaquer à la semaine de 35 heures, la mesure phare introduite par son parti lorsque celui-ci était au pouvoir. Il est plus surprenant, en revanche, que Mme Royal ne l’ait pas attaquée depuis le centre, où elle semble s’être positionnée pour l’essentiel des autres thèmes de sa campagne, mais depuis la gauche. La candidate socialiste n’en veut pas aux 35 heures parce qu’elles sont contre-productives d’un point de vue économique, mais pour avoir été un moyen, pour les employeurs, de contraindre les salariés à davantage de flexibilité, notamment en les obligeant à accepter l’annualisation du temps de travail. Ségolène Royal se révèle de plus en plus difficile à classer dans le traditionnel spectre droite-gauche. Réagissant au début du mois de juin, après de nouveaux heurts à Clichysous-Bois et à Montfermeil, en banlieue parisienne, elle a ainsi suggéré que les primodélinquants devaient être encadrés par l’armée, entre autres pour apprendre un métier. La suggestion a même été critiquée par son compagnon, François Hollande, qui E est aussi le premier secrétaire du Parti socialiste. Début juin, Ségolène Royal a formulé une critique d’ailleurs tout à fait “blairienne” du “patriotisme économique” du Premier ministre français, Dominique de Villepin ; mais, là encore, non pour son caractère protectionniste, mais parce qu’il s’agit à ses yeux d’un écran de fumée cachant, entre autres, la privatisation de Gaz de France. Ces prises de position révèlent un manque de cohérence politique que ne manqueront pas d’exploiter les nombreux rivaux qu’a Mme Royal au sein du Parti socialiste, ainsi d’ailleurs que ses ennemis politiques, Nicolas Sarkozy en tête. A moins que l’éclectisme de la très photogénique Ségolène ne lui rende finalement service en faisant d’elle une cible bien difficile à viser. ■ ■ Sexy girl Le magazine FHM fait de Ségolène Royal la sixième femme la plus sexy au monde, et la presse s’enflamme. Le Daily Telegraph, lui, garde son calme. “Tony Blair”, rappelle le quotidien conservateur, “a été lui aussi, en son temps, un sex-symbol. N’avait-il pas été placé au 44e rang des hommes les plus exquis par Cosmopolitan ? Et, récemment, les lectrices de New Woman ont estimé que seuls 91 hommes étaient plus sexy que David Cameron, le leader conservateur. Le problème de ces classements est qu’il précède généralement l’arrivée au pouvoir. On peut donc gager qu’une fois présidente, Mme Royal cessera de figurer à ce genre de hit-parade.” Dessin d’Olivier Jaminon paru dans Luxemburger Wort, Luxembourg. Etrange phénomène Pour l’historien belge Gilles Dal, le “ségolisme” a supprimé le discours politique traditionnel. LA LIBRE BELGIQUE Bruxelles a soudaine popularité de Ségolène Royal, telle qu’en témoignent de nombreux sondages récents, est singulière à plus d’un égard. Elle relance tout d’abord la question des fondements mêmes des sondages : traduisent-ils l’esprit d’une opinion publique qui, sans eux, ne pourrait faire entendre sa voix qu’au moment des élections, ou ne font-ils qu’offrir des contours de légitimité à des partis pris médiatiques ? Mais, dès lors qu’on admet que Ségolène Royal n’est pas qu’une créature médiatique (on sait maintenant qu’un pur matraquage ne suffit pas à créer la popularité), reste à se pencher sur la nature de sa popularité. Celle-ci provient du fait que Mme Royal supprime le discours politique auquel nous sommes habitués depuis plusieurs années, mais ce constat n’est pas pour autant amer ou pessimiste. On accuse depuis longtemps le discours politique de n’être qu’une succession de slogans. Mais, à bien y réfléchir, c’est la règle du jeu politique depuis toujours que de résumer son propos, de grossir les traits et de refuser tout mérite à l’adversaire. Dans la Grèce antique déjà, le débat politique obéissait à ces règles. Ce n’est donc pas de cela qu’il est question à l’évocation de la suppression du discours politique, mais plutôt d’un phénomène entamé lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2002. A l’époque, chaque parti s’est contenté d’un leitmotiv unique, répété sans cesse et supposé se suffire à lui-même : “sauvegarder le régime de protection sociale” pour les L uns, “adapter la France aux contraintes économiques du troisième millénaire” pour les autres, “replacer l’humain au cœur de toute chose” pour d’autres encore… Une série de slogans généraux, de bannières plus ou moins floues derrière lesquelles les électeurs se regroupaient par affinités. Aujourd’hui, nous sommes en train de passer au stade ultérieur de cette logique. Nous connaissions, depuis quelques années déjà, le champion incontesté de la droite, Nicolas Sarkozy, à qui l’on peut faire d’interminables reproches, comme celui d’être inaccessible et huilé tout en prétendant être un champion de la proximité et de l’authenticité. Reste que Sarkozy incarne l’homme de droite tel qu’on se l’imagine en quelques traits : goût pour la responsabilité individuelle, récompense du mérite, répression sans concessions, etc. Ségolène Royal, elle, ne correspond qu’à peu de clichés de la femme de gauche. Certes, elle affirme que son projet sera socialiste, mais dans le même temps elle tient des discours, notamment sur l’encadrement militaire des délinquants, que ne désavoueraient pas les tenants d’une droite musclée. En cela, Ségolène Royal produit un mélange subtil de radicalisation et de nébulosité du discours. On peut évidemment soutenir que punir les délinquants et appliquer une thérapie de choc pour les dissuader de récidiver n’est pas en soi une idée de droite. En fait, par ce type de discours, Ségolène Royal brouille les pistes et, par là, redistribue les cartes du jeu politique. Coup de pied dans la fourmilière, empiétement sur les plates-bandes de l’adversaire ou courage de modifier la donne : on appellera cela comme on veut, mais il n’en reste pas moins vrai que nous assistons en direct à la disparition du discours politique auquel nous avions fini par nous habituer. Et qu’on ne peut que s’en réjouir. Gilles Dal SÉMANTIQUE Dans ségolisme, il y a bien gaullisme, non ? ■ Un nouveau terme vient de faire son entrée dans le vocabulaire politique. Quel nom fautil donner à l’irruption de la nouvelle figure du socialisme français, Ségolène Royal ? Telle est la question que se posait un journal parisien en demandant à l’intéressée s’il y avait une méthode “royaliste”. Dans un pays aussi républicain que la France, c’était un piège. La réponse de l’intéressée – “le ségolisme” – a ouvert de nouveaux horizons sémantiques. On ignore encore comment désigner ce à quoi s’oppose ce nouveau concept. Selon l’hypothèse la plus probable, Nicolas Sarkozy sera le candidat de la droite : ce sera donc “Sarko contre Ségo”. Le nom du fougueux ministre de l’Intérieur suggère évidemment le terme “sarkozysme”. Mais ce néologisme laisse franchement à désirer, évoquant le sarcome, une tumeur maligne aux consonances par trop cancérigènes. Du reste, Sarko est l’arrière-petit-fils spirituel du fondateur de la Ve République, le général de Gaulle, dont la descendance a déjà donné deux présidents à la France et espère en introniser un troisième. Au gaullisme technocrate du président Pompidou succéda le néogaullisme versatile et inconstant des petitsfils Jacques Chirac et Edouard Balladur, qu’aspire aujourd’hui à supplanter le postgaullisme libéral, populiste et atlantiste de l’arrière-petitfils Nicolas. Le sarkozysme n’existe donc pas. Dans son cas, il faudrait plutôt parler d’un postgaullisme qui aurait conser vé peu de chose de l’original, si ce n’est le tempérament bonapartiste du candidat. Et, en face, donc, le “ségolisme”, terme qui renferme malicieu- sement le patronyme du général. Soumis au test de la recherche Google, sarkozysme donne quelques milliers d’occurrences, contre plus de 200 000 pour ségolisme, qui, il y a un mois, ne donnait qu’une vingtaine de résultats. Si Ségolène Royal est loin d’être inconnue des Français, elle était sur tout, il y a quelques mois encore, la “femme du chef”, François Hollande, premier secrétaire du PS. Elle ne manque pas de bonnes idées sur les mêmes questions de société et d’égalité qui ont occupé le gouvernement espagnol de José Luis Rodríguez Zapatero durant les premiers mois de son mandat. Ses détracteurs, à l’inverse, estiment qu’elle n’en a aucune sur les grands enjeux politiques et que son positionnement politique est, ni plus ni moins, celui d’une mère de famille. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 12 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Nicolas Sarkozy, le loup libéral, et Ségolène Royal, la gazelle sociale-démocrate, aspirent à occuper le même territoire, un territoire abandonné par le monde politique traditionnel et livré à l’extrême droite, où sécurité, créations d’emplois et intégration des enfants d’immigrés sont les grands enjeux. Tous deux sont à l’affût, prêts à attaquer les grandes réformes dont a tant besoin cette France déprimée et ankylosée. Elle, c’est une socialiste conservatrice, qui lorgne du côté de Blair et parfois de Zapatero, mais qui cherche à forger son propre style – le ségolisme, donc. Et qui pourrait l’emporter si la question finalement posée aux électeurs se résumait – pour la première fois dans l’histoire de la France – à choisir le sexe du président de la République. Lluís Bassets, El País, Madrid 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 816p14 20/06/06 19:02 Page 14 e u ro p e ● UNION EUROPÉENNE Les Vingt-Cinq peinent mais ne calent pas Malgré la panne constitutionnelle et les incertitudes de l’élargissement, de nouveaux projets concrets prennent forme. C’est le constat optimiste que l’on peut faire du dernier sommet européen. EL PAÍS Madrid va n t d’approfondir sa réflexion, le Conseil européen des 16 et 17 juin s’est accordé une nouvelle pause pour décider de l’avenir du Traité constitutionnel, ratifié par quinze Etats membres mais rejeté lors d’un référendum par la France et les Pays-Bas. Après le camouflet franco-néerlandais, les Vingt-Cinq s’étaient octroyé une année de délai. Et maintenant, même si Angela Merkel doit relancer la réflexion pendant la présidence allemande, au premier semestre 2007, l’Union européenne se donne jusqu’à 2009 pour dénouer l’écheveau [ce sera à la France, qui présidera l’UE au second semestre 2008, de mettre en œuvre les propositions du rapport présenté par l’Allemagne]. Jusqu’à cette date, l’UE observera une pause institutionnelle, tout en continuant à nourrir les pires doutes quant à son identité et à son étendue. Cette pause commence à avoir de graves conséquences sur le plan extérieur. Le Conseil européen a décidé que l’UE n’accueillerait aucun nouveau membre – l’élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie [prévu pour le 1er janvier 2007] restant acquis – tant que l’Union n’aurait pas une “capacité d’absorption” suffisante. L’UE aurait dû y songer il y a des années, avant de donner de faux espoirs, notamment à la Turquie, avec laquelle elle a fini par ouvrir des négo- A ciations d’adhésion le 12 juin. Ce pays clé d’Eurasie, où les partisans de l’Etat laïc et les islamistes modérés au pouvoir se livrent ouvertement à un bras de fer, connaît les premiers symptômes d’une agitation militaire. Dessin de Cummings paru dans le Financial Times, Londres. DEUX TERRAINS D’ACTION : L’IMMIGRATION ET LA DIPLOMATIE De son côté, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan se refuse à assouplir sa position envers Chypre [que la Turquie refuse de reconnaître] tant que l’horizon européen ne sera pas éclairci, la perspective de l’adhé- sion à l’UE étant jusqu’à présent un facteur décisif de démocratisation politique et de modernisation économique de son pays. Pour autant, la pause institutionnelle et la suspension de l’élargissement ne signifient pas que l’Europe est en panne. Le Conseil européen a accordé son soutien à neuf Etats membres qui se sont engagés à freiner l’arrivée d’immigrants illégaux, en décidant la création d’équipes d’intervention frontalière d’urgence, la mise en place d’une surveillance maritime et l’octroi d’une aide à l’Afrique. Il s’agit là d’une avancée manifeste, même si l’on est encore loin d’une véritable politique commune, avec un budget à la mesure du défi [ces actions sont coordonnées par l’Agence pour la coordination des frontières extérieures de l’UE, FRONTEX]. La décision des Vingt-Cinq de financer des programmes dans les Territoires palestiniens sans passer par le gouvernement du Hamas [par le biais d’un fonds spécial] ou la visite à Téhéran [le 6 juin] de Javier Solana, le haut représentant de l’UE pour la politique extérieure, indiquent que la politique étrangère européenne n’est pas bloquée. L’annonce de l’entrée de la Slovénie dans la zone euro en 2007 renforce la monnaie unique. Malgré sa dérive institutionnelle et son manque de leadership politique, voire d’ambition, force est de reconnaître que l’Union européenne continue d’avancer. ■ C O O P É R AT I O N L’Italie relance la politique méditerranéenne ■ Depuis les référendums ratés sur la Constitution européenne, on parle, dans les capitales les plus proeuropéennes, de la nécessité de lancer des coopérations entre des gouvernements volontaires, pour redonner à l’Europe un minimum d’initiative politique. Mais jusqu’à présent il n’y a eu que de belles paroles dans le vent. Dès son retour à la table des dirigeants européens, le président du Conseil italien, Romano Prodi, a été le premier chef de gouvernement à lancer la proposition concrète d’une coopération renforcée. Il l’a fait en prenant soin de choisir un terrain de jeu sur lequel l’Italie se trouve en position privilégiée : la Méditerranée. Et il a reçu le soutien de la France, de l’Espagne, du Por tugal, de la Grèce, de Malte et de Chypre, mais aussi de l’Allemagne et de l’Autriche. Les contacts seront probablement élargis à la Slovénie et à la Hongrie. Et l’Egypte et la Libye ont déjà fait savoir qu’elles étaient intéressées. Les objectifs ne sont modestes qu’en apparence : l’institution d’une Banque de la Méditerranée, au capi- tal de laquelle devront aussi participer les pays de la rive Sud ; la gestion conjointe des flux migratoires ; la création d’instituts universitaires communs à l’Europe, au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord. Avec cette initiative, Prodi reprend sa vieille idée de “politique de voisinage”, grâce à laquelle l’Europe tisserait un réseau serré de relations politiques et économiques avec les pays limitrophes, et il relance celle de redonner à la Méditerranée un rôle central dans le commerce vers les puissances asiatiques émergentes. D’autre part, en mettant pour la première fois sur la table l’idée d’une coopération renforcée, c’est-à-dire d’une initiative politique restreinte aux seuls pays qui la partagent, Prodi envoie un message précis à l’Europe : si les Vingt-Cinq ne sont pas en mesure de marcher tous ensemble, l’Italie est prête à le faire avec qui voudra. Le processus euro-méditerranéen, lancé à Barcelone en 1995, stagnait parce que trop nombreux étaient ceux qui avaient intérêt à ce que l’Europe ne prenne pas d’initiatives politiques COURRIER INTERNATIONAL N° 816 qui auraient pu avoir des retombées sur le Moyen-Orient ou sur une autre région stratégiquement impor tante, comme l’Afrique du Nord [voir CI n° 787, du 1er au 7 décembre 2005]. A présent, la balle passe à un groupe restreint de pays dont la vision politique est plus homogène. Il sera ainsi plus difficile de leur mettre des bâtons dans les roues. L’Europe est depuis longtemps bloquée par deux types de veto – explicite et implicite, ce dernier s’exerçant par iner tie. Si une période de coopérations renforcées s’ouvre, le veto implicite, le plus subtil, finira par s’émousser. L’UE est un terrain insidieux, et aucun homme politique ne peut imaginer relancer seul des processus qui ont été bloqués par un grand nombre de ses collègues. Cette initiative du Professore donne une idée de ce que sera l’approche des questions communautaires par un homme qui connaît vraiment l’Europe, qui sait par expérience directe comment elle fonctionne, et aussi comment elle Andrea Bonanni, ne fonctionne pas. La Repubblica, Rome 14 DU 22 AU 28 JUIN 2006 COMMERCE Vers un marché transatlantique ? ■ PET, NAT, NMT, ALET* – ne vous inquiétez pas si tous ces sigles ne vous disent rien. Ils désignent les propositions qui ont un jour été lancées pour revaloriser les relations entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Matthias Wissmann et Elmar Brok [respectivement président de la Commission Europe au Bundestag et eurodéputé, tous deux chrétiens-démocrates de la CDU], s’y mettent à leur tour et proposent la mise sur pied d’un “par tenariat économique transatlantique” qui devrait probablement déboucher d’ici à dix ans sur un marché commun transatlantique. Encore un document qui finira dans la corbeille à papiers, se dira plus d’un. On ne devrait pourtant pas enterrer le projet trop vite. Car les choses ont fondamentalement changé et ce pour trois raisons. Premièrement, nous avons, avec Angela Merkel, une chancelière aux convictions transatlantiques très affirmées et qui est d’ores et déjà à la recherche de projets pour la présidence allemande du Conseil européen [au premier semestre 2007]. Quoi de mieux qu’un accord de par tenariat avec les Etats-Unis ? Deuxièmement, l’idée semble trouver un écho de plus en plus favorable au niveau européen. Le Parlement européen a déjà approuvé au début du mois de juin une proposition analogue – même si cela est passé quasi inaperçu. Plus impor tant encore, le regard que les Américains portent sur l’Europe a changé : les Européens sont à nouveau courtisés comme des alliés nécessaires. Et le fait que Geor ge W. Bush se soit r endu à Bruxelles pour le premier voyage officiel de son second mandat en est une par faite illustration. Les Etats-Unis veulent s’assurer que les Européens seront de leur côté dans la confrontation économique et politique qui les attend avec la future superpuissance que constitue la Chine. Un accord de partenariat entre les deux plus grands espaces économiques du monde tomberait à pic. Il est donc for t possible cette fois-ci que la proposition se retrouve sur le bureau des chefs de gouvernement et non à la corbeille. Andreas Rinke, Handelsblatt, Düsseldorf * Respectivement : Par tenariat économique transatlantique, Nouvel Agenda transatlantique, Nouveau Marché transatlantique, Accord de libre-échange transatlantique. 816 p.15 20/06/06 18:12 Page 15 e u ro p e R O YAU M E - U N I La “question anglaise” est de retour Les conservateurs proposent que seuls les députés de circonscriptions anglaises votent les lois qui concernent l’Angleterre mais pas l’Ecosse. Ce serait la fin de la Grande-Bretagne, prévient une chroniqueuse du Guardian. Les enthousiastes du drapeau. Dessin de David Simonds paru dans The Observer, Londres. THE GUARDIAN Londres outenue par les croix de Saint-Georges [le drapeau anglais] qui se multiplient aux fenêtres des voitures et tous les “Ingerland” [transcription des syllabes détachées du mot England] scandés dans les pubs du pays, voilà que la “question anglaise” est de retour. Mais cela va bien au-delà de la frénésie de la Coupe du monde : il ne s’agit pas des points forts et des points faibles de la sélection anglaise, mais du retour, sous un autre nom, de la West Lothian Question [du nom de la circonscription de l’élu qui l’a posée, dans les années 1970, lors d’un débat sur la dévolution de l’Ecosse]. Cette question est simple : des compétences ayant été transférées au parlement d’Edimbourg [en 1999, avec l’élection de cette assemblée prévue par la dévolution mise en place par Tony Blair en 1997], notamment en matière de santé et d’éducation, pourquoi les députés de circonscriptions écossaises ont-ils encore le droit de voter sur ces sujets à Westminster ? Car ils participent ainsi à l’élaboration d’une législation qui touche d’autres électeurs que ceux de leur circonscription. N’y a-t-il pas là un manque d’équité ? Les Anglais ne sont-ils pas victimes d’une injustice ? Aux yeux des observateurs de droite, l’injustice est criante et les Anglais ne devraient pas la tolérer plus longtemps. Et il n’y a pas que les observateurs. Le conservateur Ken Clarke, chargé par le chef de son parti, David Cameron, d’élaborer les nouvelles propositions constitutionnelles des tories, a clairement indiqué que les “English votes for English laws” [des voix anglaises pour les lois anglaises] figuraient parmi ses priorités. L’ancien ministre de l’Intérieur lord Baker va dans le même sens en présentant à la Chambre des lords un projet de loi visant à interdire aux parlementaires S ■ représentant des circonscriptions non anglaises de voter sur des sujets dont la compétence a été transférée à d’autres assemblées [la commission des Affaires écossaises à Westminster, dominée par le Labour, vient également de poser la “question”]. Remarquons tout d’abord que cette “question anglaise” est avant tout une question de partis. Si la répartition des parlementaires entre travaillistes, conservateurs et libéraux-démocrates était la même en Ecosse et en Angleterre, personne ne s’en soucierait. Mais les tories ayant la majorité des voix en Angleterre, ils se sentent floués. S’ils avaient la majorité des sièges anglais et qu’un gouvernement travailliste ou de coalition entre le Labour et les libéraux-démocrates était au pouvoir grâce aux parlementaires écossais ou gallois, le charivari actuel se transformerait en véritable tempête constitutionnelle. Il s’agit aussi d’une querelle de personnes. Si Gordon Brown devient Premier ministre et intègre à son équipe John Reid [actuel ministre de l’Intérieur] et Alistair Darling [ministre du Commerce et de l’Industrie], une grande polémique s’engagera autour de cette Angleterre livrée à des étrangers. Car la West Lothian Question est devenue une arme brandie contre un éventuel gouvernement Gordon Brown. Remettrait-on en question l’avenir même de la Grande-Bretagne ? LE PAYS EST BASÉ SUR DES ANOMALIES CONSTITUTIONNELLES On peut souligner plusieurs évidences. Premièrement, personne ne trouvait rien à redire quand les gouvernements conservateurs s’appuyaient sur le vote des unionistes de l’Ulster. Deuxièmement, les travaillistes ont déjà restreint le nombre de parlementaires écossais. Enfin, le Royaume-Uni est depuis ses origines un pot-pourri d’anomalies constitutionnelles, d’autant plus qu’il s’agit d’une union de partenaires très inégaux. Bien que pertinentes, de telles réponses ne suffisent pas. Pas plus que ne suffit la campagne du chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, pour la définition et la diffusion des valeurs de la “britannéité” – on ne peut s’empêcher d’y voir un plaidoyer opportun de la part d’un Ecossais soucieux de son avenir. Car la question anglaise est poli- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 15 Dévolution “Voilà sept ans que les Ecossais ont retrouvé un Parlement à Edimbourg. Ce home rule [cette autonomie] n’a ni accru ni diminué le désir d’indépendance de l’Ecosse, fait remarquer The Economist. Tout au plus a-t-on observé un regain du ‘sentiment national’ chez les Ecossais, hélas accompagné d’une légère poussée d’anglophobie – même si les Anglais ne sont plus accusés de tous les maux.” L’hebdomadaire note que, Londres versant “une dotation annuelle calculée selon une mystérieuse formule”, “les Anglais subventionnent chaque Ecossais à hauteur de 1 000 livres [1 465 euros] par an environ, et ils commencent à s’en apercevoir”. DU 22 AU 28 JUIN 2006 tique et doit recevoir une réponse politique. Si la règle des “voix anglaises pour les lois anglaises” devient un principe constitutionnel, le Royaume-Uni n’a tout simplement plus de raison d’être. On ne peut pas demander que des lois purement anglaises soient votées séparément à la Chambre des communes et faire comme si le gouvernement allait continuer d’exister sous sa forme actuelle. Si les conservateurs étaient majoritaires [et appliquaient ce principe], les rares compétences non transférées et la faiblesse de ce gouvernement de type fédéral entraîneraient, dans l’année, des négociations en vue d’une scission du royaume. Première question à poser aux conservateurs : est-ce bien ce que vous voulez ? Votre agacement est-il tel que vous êtes prêts à voir la Grande-Bretagne disparaître en tant qu’union politique ? Vous satisferiez-vous du poids qu’aurait alors l’Angleterre dans le vote des décisions européennes ? Avez-vous bien pesé les conséquences que cela aurait sur la représentation britannique au Conseil de sécurité des Nations unies ? La seconde question à leur poser est tout aussi politique. Le principe du nationalisme anglais permettrait aux conservateurs, dont l’électorat est concentré dans les régions riches du sud et des Midlands, d’être beaucoup plus souvent au pouvoir. Quelles seraient alors les conséquences pour les villes du Nord, et plus généralement pour l’électorat travailliste, moins favorisé, des zones urbaines ? Avec une amélioration des scores des conservateurs en Angleterre (mais pas en Ecosse) et un gouvernement travailliste en minorité ou dépendant d’un électorat écossais, la situation deviendrait explosive. N’y aurait-il pas ironie du sort à voir les tories, parti censé représenter le pragmatisme, se rendre responsables d’une dissolution de l’Union ? Et si telle n’est pas leur intention, n’est-il pas temps pour eux d’exposer leur plan B ? Jackie Ashley 816 p.16 20/06/06 18:21 Page 16 e u ro p e E S PA G N E La Catalogne ouvre la voie au “pays pluriel” En adoptant par référendum le nouveau statut de leur communauté autonome, les Catalans offrent un succès au Premier ministre Zapatero et à son projet de réorganisation des rapports entre Madrid et les régions. LA VANGUARDIA A N A LY S E Barcelone Un résultat légitime ? e 18 juin, les Catalans ont approuvé [par 73,9 % des voix] le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, fruit d’un pacte laborieux entre le Parlement régional et les Cortes espagnoles. Pour la troisième fois dans l’histoire contemporaine, les Catalans se sont exprimés sur le niveau d’autogouvernement qu’ils désirent pour leur région. Mais, cette fois-ci, les circonstances étaient exceptionnelles. En effet, les statuts de 1932 et de 1979 avaient été votés sur fond de changement de régime – le premier à l’occasion de la proclamation de la République et le deuxième au sortir de quarante années de dictature franquiste. A l’inverse, la consultation de cette année s’est tenue dans le cadre d’un régime démocratique consolidé, dont les institutions fonctionnent bien. Et tandis que les fois précédentes, le peuple catalan avait à choisir entre un statut d’autonomie ou rien, le dilemme consistait cette foisci, du point de vue juridique, à choisir entre le nouveau statut et celui approuvé il y a vingt-sept ans. Ce choix était loin d’être anodin, car le texte soumis au verdict populaire introduit des nouveautés qui, certes, ont été assimilées par l’opinion publique locale mais qui restent singulières en Europe. Par exemple, dans le préambule du statut, un lien est désormais établi entre la Catalogne et le concept de “nation”. C’est une avancée sans précédent dans l’histoire de l’Espagne – et qui incite d’autres L ■ Les Catalans ont tourné le dos au statut qui définit la Catalogne comme une ‘nation’, mais qui a été concocté sans le soutien du second parti d’Espagne, le Parti populaire (PP).” Le commentaire d’El Mundo peut paraître surprenant alors que, le 18 juin, les Catalans ont approuvé à près de 74 % leur nouveau statut d’autonomie. En fait, le quotidien madrilène – opposé au statut – se fonde sur “une participation qui n’a même pas mobilisé la moitié des électeurs catalans (49,3 %). La faiblesse de ce taux de participation démontre que les Catalans ne voulaient pas de ce nouveau texte.” El Mundo rappelle que “l’Union européenne avait fixé à 55 % le taux de participation nécessaire pour valider l’indépendance du Monténégro” et que “politiquement, cette abstention massive doit être ressentie comme un échec” par les tenants du oui, en Catalogne et à Madrid. El País, de son côté, admet que “la participation a été faible”, mais rappelle qu’“elle a été encore plus faible (40,6 %) lors du référendum sur la Constitution européenne [en février 2005]”. De plus, souligne le quotidien madrilène, “les Catalans ont toujours moins voté aux scrutins régionaux qu’à l’échelle nationale”. Enfin, “il sera temps de départager les deux camps à l’automne prochain, lorsque les Catalans retourneront aux urnes pour élire leur Parlement régional”. Sur les panneaux : Plage, montagne, référendum. Dessin de Ventura et Coromina paru dans La Vanguardia, Barcelone. régions, telles l’Andalousie, les Baléares ou la Galice, à suivre le même chemin et à se définir elle-même comme des “communautés nationales”. Ce n’est pas sans raison que les partisans et les adversaires de ce texte s’accordent à dire que l’approbation du nouveau statut changera à jamais ce que l’on entend par “nation espagnole”. UN DÉBAT DOMINÉ PAR LA LUTTE ENTRE PARTIS Comme la consultation n’a pas eu lieu dans un climat de transition entre deux régimes, c’est la lutte entre les partis politiques qui a influencé et déterminé le débat. De ce point de vue, on peut dire que ce référendum a été la première grande épreuve électorale de José Luis Rodríguez Zapatero depuis son arrivée au pouvoir en mars 2004. Artisan indéniable de l’accord gouvernemental qui a permis la naissance du nouveau statut de la Catalogne, le Premier ministre a dû faire face à l’agressivité de l’opposition de droite, à l’incompréhension de certains secteurs de l’administration centrale – notamment l’armée –, réfractaires à toute modification du statu quo et à la partie la plus jacobine de sa propre formation, le Parti socialiste ouvrier espagnol. En permettant au référendum catalan de se tenir, Zapatero ne s’est pas seulement retrouvé opposé dans un duel dangereux à Mariano Rajoy, le chef du principal parti d’opposition, le Parti populaire, il a aussi mis dans la balance son projet politique, connu sous le nom d’“Espagne plurielle”. Un projet ambitieux, qui s’attaque à des questions aussi importantes que le processus de paix au Pays basque et la réforme des statuts d’autonomie des seize autres régions autonomes que compte le pays. Le triomphe du oui va renforcer l’autorité morale du chef du gouvernement et va l’aider à relever les défis qui l’attendent. Jordi Barbeta SUÈDE Les pirates de la Toile à l’assaut du Parlement Un parti d’internautes réclamant la légalisation des échanges de fichiers sur Internet se présente aux élections législatives. ébut juin, la branche politique du mouvement suédois des adeptes du partage de fichiers sur Internet, le Parti des pirates (Piratpartiet), s’est retrouvé propulsé sur le devant de la scène lorsque le site de peerto-peer [échange direct de machine à machine] The Pirate Bay et le site de l’association Piratbyrån [le Bureau des pirates] ont été fermés par la police. Le chef du parti, Rickard Falkvinge, a aussitôt envoyé des communiqués pour informer les internautes du monde entier de l’intervention des autorités suédoises. Après ses nombreuses apparitions à la télévision et dans les journaux, le Parti des pirates a vu ses rangs grossir à vue d’œil. “Au plus fort de la vague, le parti enregistrait deux ou trois nouvelles adhésions à la minute”, se félicite Falkvinge. Les membres D ont versé leur cotisation de 5 couronnes [50 centimes d’euros] par SMS et enregistré leurs données personnelles sur le site du parti. Un peu plus d’une semaine après la perquisition de la police, le nombre d’adhérents dépassait les 6 400, selon le site. Rickard Falkvinge, 34 ans, a créé le portail <piratpartiet.se> le 1er janvier dernier et a fait connaître son parti par le biais d’un site de peer-to-peer. “J’en avais marre de cette chasse aux adeptes du peer-to-peer”, explique-t-il. Le succès a été immédiat. Dès le 15 février, il a remis à la commission électorale les 1 500 signatures nécessaires pour inscrire le Parti des pirates aux élections législatives de septembre prochain. Il a également pu réunir plus de 100 000 couronnes [10 800 euros] pour financer l’impression des bulletins de vote. Les priorités du parti sont la légalisation du partage de fichiers sur Internet, la révision du système de licences et la protection de la vie privée contre une surveillance abusive. Sur les autres questions, il préfère ne pas prendre position. “Nous voulons devenir le parti charnière du Parlement, lance Rickard Falkvinge. Nous appuieront les partis qui nous soutiennent dans nos combats.” Les électeurs n’ont pas besoin de savoir comment le Parti des pirates souhaite réduire le chômage, moderniser l’école ou promouvoir l’intégration des immigrés. Le passé de conseiller municipal conservateur du chef du parti ne doit pas effrayer les internautes qui ont des sympathies pour la gauche. Cela n’empêche pas Rickard Falkvinge de proposer une analyse de la société. “Il y a un fossé entre ceux qui savent se servir d’Internet et ceux qui ne savent pas. Internet a fait disparaître le contrôle central sur la diffusion de l’information. C’est un bouleversement aussi important que la perte par l’Eglise du monopole sur le savoir.” D’une certaine manière, il s’agit d’un conflit de générations. “La plupart d’entre nous sont nés dans les années 1980. Ceux qui disent que cette génération se désintéresse de la politique se trompent. Simplement, il faut parler des questions politiques qui l’intéressent.” COURRIER INTERNATIONAL N° 816 16 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Quel est son argument principal pour demander la légalisation du partage de fichiers ? “La seule alternative est une surveillance de toutes les communications privées. Or nous ne voulons pas d’une telle société.” Est-il luimême adepte du partage de fichiers ? “Vous comprendrez que je ne réponde pas à cette question, le partage de fichiers étant illégal. Mais, s’il était légal, je serais heureux de partager la musique et les films que j’aime. Par exemple mon film préféré, V pour Vendetta – une projection dans une société totalitaire cauchemardesque.” Grâce à l’effervescence médiatique, Rickard Falkvinge est presque certain d’entrer au Parlement lors des prochaines élections. Même si l’un de ses buts a déjà été atteint : la classe politique s’est enfin emparée du thème du téléchargement. Le chef du Parti des pirates s’en félicite, mais rejette la proposition d’introduire une taxe sur les connexions à haut débit afin de dédommager les auteurs. Staffan Olsson, Svenska Dagbladet, Stockholm 816_pp17-18 20/06/06 15:32 Page 17 e u ro p e BOSNIE-HERZÉGOVINE Un référendum pour l’indépendance de la République serbe ? Selon le Premier ministre bosno-serbe Milorad Dodik, la Republika Srpska pourrait suivre l’exemple du Monténégro en organisant une consultation populaire. Une hypothèse qui échauffe les esprits. NEZAVISNE NOVINE l’organiser. Dodik est parfaitement conscient que, au moins pour l’instant, cette idée n’aurait aucune chance d’être approuvée par la communauté internationale. Dodik ne fait que revendiquer le droit à une opinion personnelle : il n’aime pas la pensée unique et est allergique aux tentatives d’intimidation et aux menaces. C’est pourquoi on ne peut nullement le taxer d’extrémisme à cause ses propos sur le référendum. Ce n’est pas le cas, en revanche, de Silajdzic avec ses propos sur la suppression de la RS. Banja Luka eureusement qu’il y a la Coupe du monde pour nous occuper l’esprit ! Le ballon rond nous distrait de nos hommes politiques. Quel soulagement de pouvoir oublier les propos de Haris Silajdzic [Premier ministre bosniaque de l’époque de la guerre, aujourd’hui à la tête du Parti pour la Bosnie-Herzégovine], qui revendique ni plus ni moins la suppression de la république serbe [RS] de Bosnie. La Coupe du monde nous permet également d’oublier l’idée d’un référendum sur l’indépendance de cette même RS, avancée par son Premier ministre, Milorad Dodik. Haris Silajdzic a le droit de penser et d’expliquer avec passion que la RS doit être supprimée “parce que c’est une création génocidaire”. Les sociétés démocratiques tolèrent les opinions divergentes, à condition que ceux qui les défendent assument la responsabilité de leurs paroles et acceptent d’en subir éventuellement les conséquences. Si on applique la même logique, la colère soulevée par les déclarations du Premier ministre bosno-serbe Milorad Dodik au sujet de la possibilité d’un référendum en RS [comme celui organisé récemment au Monténégro] est également exagérée. Dodik n’a fait qu’exprimer l’opinion qu’on trouve dans tous les manuels de démocratie, H Certes, l’évocation du référendum apporte de l’eau au moulin des extrémistes serbes, ceux-là mêmes que Dodik tente d’éliminer de la scène politique. Mais, à l’approche des élections, il serait bien malvenu de traiter Dodik d’extrémiste. Il a réellement prouvé son attachement à la Bosnie-Herzégovine en acceptant les changements constitutionnels, alors que certains de ses critiques les plus virulents, Silajdzic en tête, ne l’ont toujours pas fait. Alors, de quoi parlons-nous ? Pero Simic VU DE SARAJEVO Un simple stratagème à savoir que le référendum est le moyen le plus démocratique pour permettre à un peuple de dire où et de quelle façon il veut vivre. Les hommes politiques et les médias de Sarajevo ont profité de l’occasion pour saper les chances de Dodik aux élections législatives prévues à l’automne prochain. Ils l’ont traité de tous les noms, remettant en question ses orientations démocratiques et européennes à cause de cette proposition qui n’était qu’une hypothèse. Or le Premier ministre bosno-serbe n’a pas annoncé que ce référendum aurait lieu, et a encore moins commencé à Dessin de Tom Janssen paru dans Trouw, Amsterdam. ■ C’est la continuation de la politique des nationalistes serbes, pratiquée depuis 1990 et désormais adaptée à la réalité. Dodik a estimé que le moment était venu pour la RS d’en finir avec la Bosnie-Herzégovine. C’est là son but maximal ; son but minimal est que la RS soit le plus forte possible, afin de tenir dans ses mains le destin de l’Etat bosniaque. L’indépendance du Monténégro et celle, imminente, du Kosovo, ont servi de prétexte idéal à Dodik pour renforcer la position de la RS. Belgrade, de son côté, se ser t de la RS pour faire pression sur l’Union européenne et les Etats-Unis. La fiction du référendum est ainsi devenue un enjeu important des deux côtés de la Drina. Chacun attend le moment propice. Le Premier ministre de la RS est aussi fort que la Bosnie-Herzégovine est faible. Les nationalistes serbes menacent de nouveau les perspectives euroatlantiques de la Bosnie-Herzégovine, l’Etat bosniaque lui-même et, en fin de compte, la paix dans la région. Les EtatsUnis, l’UE, l’OTAN et le haut représentant de la communauté internationale doivent adopter une attitude claire à l’égard de Dodik et de ses alliés, au lieu de faire semblant de les critiquer. Zija Dizdarevic, Oslobodjenje, Sarajevo S L O VA QU I E Les raisons d’une dangereuse défaite Samedi 17 juin, les électeurs slovaques se sont rendus aux urnes. Pour donner une gifle à la coalition de centre droit sortante, au profit des populistes de gauche et des nationalistes. SME Bratislava ues de l’extérieur, les élections législatives anticipées qui viennent de se dérouler en Slovaquie ne semblaient pas avoir de signification forte. Après la chute du gouvernement autoritaire et nationaliste de Vladimir Meciar [ex-Premier ministre, à la tête du Mouvement pour une Slovaquie démocratique, HZDS] et de Jan Slota [ex-ministre de Meciar, président du Parti national slovaque, SNS] en 1998, la Slovaquie a rapidement intégré l’OTAN et l’UE, et elle se trouve aujourd’hui au seuil de l’Union monétaire européenne. La Slovaquie est et reste un Etat libre et souverain. La majorité gouvernementale sortante s’est correctement acquittée de ces premières grandes réformes. Pour un commencement, ce n’est déjà pas si mal, dirait feu le philosophe tchèque V Jan Patocka, pour qui le caractère conflictuel de l’Etat-nation a transformé le XXe siècle en un siècle de guerres mondiales. La Slovaquie de centre droit ressemblait de l’extérieur à un Etat paisible, capable de s’intégrer – ce qui d’ailleurs était le cas. Les doutes venant de l’intérieur étaient suscités par un double radicalisme : celui des réformes économiques et financières, provoquant une multitude d’insécurités existentielles, et celui qui est devenu partie intégrante de l’Etat : une présence virulente de la corruption qui a pénétré le cœur de l’administration, les collectivités, et jusqu’aux services secrets et la justice. Le centre droit slovaque a été désagrégé par les luttes politiques et financières au service d’intérêts personnels. Il est donc légitime qu’il perde vingt sièges face à ces adversaires politiques. Cette défaite est dangereuse, car elle n’est pas gérée par une ■ Résultats Avec 29,14 % des suffrages, le parti Smer de Robert Fico, aux tendances populistes de gauche, est le grand vainqueur du scrutin. Il est suivi par l’Union démocratique et chrétienne slovaque, SDKU, du Premier ministre Mikulas Dzurinda (18,35 %), par le SNS, le Parti national slovaque, xénophobe, (11,76 %) et par le Parti de la coalition hongroise, SMK (11,68 %). Le HZDS, de Vladimir Meciar, n’a obtenu que 8,79 %, devant le chrétien-démocrate, KDH (8,31 %). COURRIER INTERNATIONAL N° 816 17 social- démocratie de niveau européen, capable de renvoyer une image mesurée face au cynisme de la droite. Cette social-démocratie slovaque n’existe pas encore. Les chances de son émergence seront nulles si le Smer (Direction, social-démocrate, le parti victorieux de Robert Fico, fait alliance avec les nationalistes extrêmes [SNS] et les serviteurs de l’autocratie [HZDS]). Un paradoxe, certes, mais une nécessité : seule une alliance avec la droite peut apporter une chance de cultiver cette social-démocratie slovaque. Si c’est le cas, la tâche sera difficile pour les deux parties. D’autant plus que la gifle infligée au centre droit par les camps du populisme social, du nationalisme extrême et des vestiges du parti autoritaire était pleinement méritée… Un gouvernement et son Premier ministre peuvent déterminer l ’ ave n i r d ’ u n p ay s. S avo i r q u i deviendra le Premier ministre en DU 22 AU 28 JUIN 2006 Slovaquie ne m’intéresse pas. Mon indifférence vient du fait qu’aucun des candidats favoris de la gauche ou de la droite ne représente mon idéal vital : la quête de la vérité et le combat contre le mal. J’ajoute, avec la même indifférence, que la politique est comme ça. C’est pour cela que le nombre d’électeurs ne cesse de baisser. La question de la poursuite des réformes – avec une correction, sans doute – et celle du discrédit de la culture politique sont désormais au centre du débat. Mais les résultats électoraux ont fait ressurgir également une autre question, morale : à la base du travail gouvernemental trouverat-on le nationalisme, ou bien le refus de ce nationalisme ? Je me contente de constater que le poste constitutionnellement le plus élevé, celui de président de la République, est occupé par un nationaliste. László Szigeti 816_pp17-18 20/06/06 15:32 Page 18 e u ro p e TCHÉTCHÉNIE Un “ennemi d’envergure” de moins Samedi 17 juin, Abdoul Khalim Sadoulaev, chef de guerre et autorité religieuse, a été abattu par les forces russes. La Rossiiskaïa Gazeta, voix officielle du Kremlin, détaille ses relations avec ses frères d’armes. pas de diriger à Argoun des cercles islamiques à tendance extrémiste. Après la disparition [inexpliquée] de sa femme en 2000, Sadoulaev s’est encore plus engagé dans cette voie. A la différence de Bassaev, il ne participait ni aux tortures ni aux enlèvements et jugeait sévèrement ces agissements au regard de la religion et il n’avait pas de sang sur les mains. C’était un théologien très cultivé. ROSSIISKAÏA GAZETA (extraits) Moscou ucun détail particulier sur le déroulement des opérations des forces spéciales n’a été fourni. Le premier Ministre tchétchène [prorusse] Ramzan Kadyrov s’est contenté de dire que le chef des terroristes avait été dénoncé par l’un des siens en échange d’une dose d’héroïne. A propos de Sadoulaev, Kadyrov a déclaré : “Il est arrivé en Tchétchénie il y a une semaine. Il avait l’intention de mener à Argoun de grosses opérations avec ses hommes de main.” Selon le Premier ministre, il avait prévu de commettre des attentats pendant le sommet du G8 à Saint-Pétersbourg [du 15 au 17 juillet]. Sans vouloir mettre en doute les propos de Kadyrov, on veut bien croire que Sadoulaev a été dénoncé, mais pas pour une simple dose d’héroïne. L’enjeu était probablement plus important. Le nom de Sadoulaev n’était pas, pour employer le langage moderne, médiatisé, mais c’était un ennemi d’envergure, car il était le chef idéologique des terroristes. Il était considéré comme une autorité religieuse et comme un fin analyste, et Bassaev luimême [le principal commandant de la lutte armée contre Moscou] le craignait. C’est la raison pour laquelle son élimination porte un sévère coup à l’extrémisme dans le Caucase. Elle marque une grande victoire du pouvoir fédéral dans la région.Voici la première conséquence à tirer de ce qui vient de se passer à Argoun. Sadoulaev, né en 1966, était issu d’un petit clan tchétchène qui aurait fondé Argoun, et qui serait aujourd’hui composé d’environ 300 personnes. Au milieu des années 1990, des rumeurs persistantes couraient en Tchétchénie A DES DIVERGENCES AU SUJET DE LA PRISE D’OTAGES DE BESLAN Dessin de Jas paru dans The Guardian, Londres. disant que, après ses études en Arabie Saoudite, il s’était lié avec l’organisation des Frères musulmans. Mais, au départ, ce n’était pas le méchant terroriste que l’on décrit aujourd’hui : avant le début de la deuxième campagne de Tchétchénie, lorsqu’il était vice-Premier ministre et président du tribunal islamique de la charia d’Itchkérie [nom donné par les indépendantistes à la Tchétchénie], il avait demandé plusieurs fois à Aslan Maskhadov [ancien président indépendantiste de la Tchétchénie, abattu en 2005] de signer un accord avec la Russie. Il est vrai que cela ne l’empêchait En revanche, il prêchait activement un courant de l’islam agressif, le salafisme, considéré en Arabie Saoudite comme la religion officielle. Il donnait à chaque action armée un fondement idéologique, alimenté par une interprétation du Coran dévoyée et si subtile que n’importe qui, surtout parmi la jeunesse caucasienne, pouvait y voir un argument juste et de poids. Ainsi, contrairement au sanguinaire Bassaev, et au non moins sanguinaire Dokou Oumarov, Sadoulaev était considéré comme le guide idéologique des extrémistes. Mais, d’un autre côté, il embarrassait beaucoup Bassaev, Oumarov et leurs soutiens financiers arabes, car même l’islam extrémiste ne peut accepter le meurtre d’enfants et les prises d’otages innocents. C’est pourquoi il existait entre Sadoulaev et ses “frères maquisards” des désaccords importants, qui apparaissaient même parfois sur les pages du site Internet des combattants. Cette lutte interne est manifeste dans la dernière interview de Sadoulaev parue en ligne, datée du 17 juin. Répondant à une question sur ses rapports avec Bassaev, Sadoulaev s’embrouille et se contredit en essayant de trouver un terrain d’entente fragile avec lui dans leurs divergences au sujet de la prise d’otages de Beslan [en septembre 2004]. Mais le plus important est qu’il reconnaît sans ambages que ces divergences existent. Voici un petit extrait de la longue réponse de Sadoulaev sur ses rapports avec Bassaev : “Depuis le début de cette guerre, nous avons souvent été ensemble et nous nous sommes vus à plusieurs reprises. Il a sa façon de voir certaines choses, et moi la mienne. Ce n’est pas parce que nous nous connaissons que nous devons avoir absolument les mêmes points de vue. Comme dans toute relation normale entre deux personnes.” Cependant, Sadoulaev omet, de façon astucieuse, de dire que les désaccords entre des gens normaux donnent lieu à des disputes dans la cuisine, alors que les litiges entre chefs terroristes se terminent généralement dans un bain de sang. C’est la raison pour laquelle il n’est pas exclu que ce soient Bassaev et Oumarov eux-mêmes qui aient dénoncé Sadoulaev. Ils n’avaient pas intérêt à le tuer tout simplement parce qu’alors Oumarov, le dauphin de Sadoulaev, aurait perdu toute légitimité, si dérisoire fût-elle, en tant que “nouveau président de l’Itchkérie”. En revanche, en faisant éliminer Sadoulaev par les forces fédérales, Oumarov, en tant que vice-Premier ministre selon la Constitution de 1997, mise en place par Maskhadov, aurait reçu tout le pouvoir entre ses mains. Ce qui s’est d’ailleurs passé. Et ces mêmes mains ne sont plus liées aujourd’hui par des dogmes religieux et les paroles d’un prophète. Il est probable qu’une nouvelle ère sanglante de violences sans limites va s’ouvrir dans le Caucase. Cela est la deuxième conséquence importante à tirer, même si elle n’est pas agréable à admettre, du meurtre de Sadoulaev. Timofeï Borissov POLOGNE L’homophobie se porte bien, merci La Parade de l’égalité, qui s’est déroulée le 10 juin à Varsovie, a été perturbée par des contre-manifestants. Les réflexions d’une philosophe. a haine de l’homosexualité, qui exprime avant tout l’angoisse de perdre sa masculinité, se propage comme la grippe espagnole. Si, depuis des siècles, la propor tion entre le nombre d’hétérosexuels et d’homosexuels ne change pas, le nombre d’homophobes va croissant. Après Poznan et Cracovie, cette maladie typiquement polonaise a touché Varsovie. Les premiers cas avaient été recensés il y a quelques années déjà. Mais l’épidémie semble s’étendre et s’institutionnaliser. N’a-t-on pas diagnostiqué plusieurs L cas à la Diète et dans les structures gouvernementales ? Les homophobes s’activent surtout au printemps, au moment où l’ensoleillement pousse les individus des deux sexes à manifester leur désir de liber té et d’égalité, à exprimer leur aversion de tous les autoritarismes. Ils vont donc dehors afin de parader. Les homophobes sont irrités par les couleurs, surtout quand elles forment un arcen-ciel. Ils sont aussi allergiques au soleil, c’est pourquoi ils portent souvent des cagoules. Ils ne supportent pas la diversité, qu’elle concerne le style de vie, les vêtements ou les sentiments. Ils préfèrent l’obéissance à la joie, la “colère des justes” à l’amour et la simplicité d’une pierre à jeter à la caresse amicale. Coincés dans leurs costumes sobres, cheveux courts, yeux fixés sur leur chef, ils manifestent leur attachement à l’ordre, à la discipline et à la famille. Pour eux, les mots “égalité”, “liberté individuelle” et “tolérance” sont des invectives. L’homophobe se nourrit de l’angoisse d’une population qui décline. Il ne s’agit pas de se soucier de la population humaine en général (qui va plutôt bien), mais des Polonais catholiques blancs. Qui va en concevoir de nouveaux si les procréateurs rejoignent la minorité homosexuelle ? Notre patrie, qui soutient avec tant d’attachement une armée de célibataires, ne peut pas se permettre un gaspillage de spermatozoïdes supplémentaire. L’homophobe est moins intéressé par le christianisme que par les travaux d’idéo- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 18 DU 22 AU 28 JUIN 2006 logues qui font la promotion d’un nouveau politiquement correct, selon lequel on peut mentir, calomnier, provoquer ou insinuer. L’homophobe sait qu’en Pologne, à la dif férence d’autres pays européens, on peut continuer à dire d’un homosexuel qu’il est pédophile, criminel, déviant, nécrophile ou juif. Il ne craint nullement le politiquement correct libéral ni les normes du bon sens. Armé d’une pierre, d’un œuf ou d’une batte de base-ball, il n’a peur de rien. Il est au pouvoir, il a accès aux médias et il est persuadé qu’il a raison. C’est son éthique. Magdalena Sroda*, Gazeta Wyborcza (extraits), Varsovie * Philosophe, ancienne ministre de l’Egalité des chances. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 816p20_21_22 SA 20/06/06 15:13 Page 20 amériques ● U R U G U AY La gauche déchirée par les questions économiques La coalition de centre-gauche de Tabaré Vázquez est au bord de la rupture. Son aile gauche s’oppose en effet à la signature annoncée d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. FOLHA DE SÃO PAULO ex-guérillero tupamaro [d’extrême gauche], qui a été détenu pendant dix ans, a rassemblé le plus grand nombre de voix jamais obtenues en Uruguay lors de son élection comme sénateur (son parti a réuni plus de 30 % du total des voix du Front élargi). Mujica ne cache pas son orientation antilibérale en recommandant “moins d’orthodoxie économique”. L’ex-militant bénéficie du soutien du ministre des Affaires étrangères Reinaldo Gargano, qui est membre du Parti socialiste et a été un des fondateurs du Mercosur. Gargano a menacé de démissionner en cas de signature du TLC. Mujica prend la défense des agriculteurs, qu’il estime pénalisés par l’actuelle politique économique, et souhaite refinancer leurs dettes. Le ministre de l’Economie s’y oppose, affirmant que la mesure creuserait un déficit dans les finances publiques. São Paulo e premier président de gauche, Tabaré Vázquez [élu en 2004], semble vouloir démontrer que la gauche de son pays se démarque de ses voisins de gauche et alliés traditionnels du cône Sud [tels que l’Argentine, le Brésil, la Bolivie…]. Cette nouvelle orientation se traduit par une prise de distance avec le Mercosur [marché commun du cône Sud, créé en 1991] et la volonté de signer un accord commercial avec les EtatsUnis. Mais, début juin, des signes de mécontentement se sont manifestés au sein des différentes tendances du Front élargi, la coalition de centre gauche qui gouverne le pays. Début juin, deux ministres jouissant d’une grande popularité ont menacé de démissionner, et le plus grand syndicat du pays, le PIT-CNT, a appelé le 22 juin à une grève générale de protestation contre l’accord commercial avec les Etats-Unis. Le conflit entre les tendances néolibérales et la gauche traditionnelle a déclenché un débat public. La polémique oppose d’un côté le camp du ministre de l’Economie, Danilo Astori, le chef historique de la gauche, allié au ministre (conservateur) de l’Industrie, Jorge Lepra. Ces deux personnalités animent la fraction du gouvernement qui se dit déçue par l’évolution du Mercosur et L Cagle Car toons LE MINISTRE DE L’ÉCONOMIE NE CROIT PLUS AU MERCOSUR qui veut désormais conclure un traité de libre-échange (TLC) avec les Etats-Unis. Ils prônent la rigueur fiscale, le contrôle des dépenses et l’ouverture économique. De l’autre côté, on trouve l’homme politique le plus populaire du pays, l’actuel ministre de l’Agriculture José Mujica. Cet Dessin d’Arcadio paru dans La Prensa, Panamá. La prise de distance avec le Mercosur est due à des raisons diverses. Il y a six ans, l’Uruguay exportait 35 % de ses produits vers le Brésil. Cette proportion est tombée à 13,6 % aujourd’hui. Les exportations vers les Etats-Unis, quant à elles, ont bondi, atteignant 22,5 % et dépassant le total des ventes réalisées au Brésil, en Argentine et au Paraguay. Le ministre de l’Economie considère dès lors le marché commun du Sud comme une “camisole de force” et préconise de signer davantage de traités de libreéchange avec d’autres blocs. De plus, les relations entre Montevideo et Buenos Aires sont au plus mal. L’Argentine s’oppose depuis plus d’un an à la construction de deux usines de cellulose sur la rive uruguayenne du fleuve Uruguay, qui sépare les deux pays, en affirmant que ces usines pollueraient les eaux du fleuve. Le président Néstor Kirchner a fait de ce conflit une cause nationale et a traîné son voisin devant la Cour de justice internationale de La Haye. L’une des routes qui relie les deux pays a été bloquée par des manifestants argentins pendant des mois, affectant l’industrie du tourisme, l’une des principales sources de revenus du pays. “L’absence d’une médiation du Mercosur a encore plus déçu les attentes uruguayennes à l’égard du bloc”, affirme Federico Traversa, professeur à l’Institut de sciences politiques de Montevideo. L’Uruguay doit prochainement signer un acte juridique semblable à un TLC avec les Etats-Unis lors de la prochaine rencontre entre les deux pays. Cet éloignement par rapport au Mercosur et le rapprochement avec les Etats-Unis avaient été l’œuvre du gouvernement conservateur de Jorge Battle, le prédécesseur de Tabaré Vázquez. Le tournant historique que représente l’arrivée de la gauche au pouvoir n’a finalement pas modifié la donne. Raul Juste Lores BRÉSIL Davantage de politique, moins de spectacle Une nouvelle loi oblige les candidats en campagne à renoncer aux grands shows musicaux et à ne plus distribuer de cadeaux aux électeurs. a justice a tranché : la nouvelle législation exige désormais une plus grande rigueur concernant les comptes de campagne. Cette mesure a provoqué la paranoïa des candidats à la présidentielle [d’octobre prochain], qui devront réapprendre à aller à la pêche aux voix sans distribution de cadeaux – tee-shirts et casquettes – et sans showmicios [mélange de meeting politique et de spectacle typique des campagnes brésiliennes]. La précampagne électorale du parti conservateur (PSDB), emmené par Geraldo Alckmin, a commencé, mais le mot d’ordre des festivités est : prudence. Lorsque, le weekend dernier, le président du PSDB, le sénateur Tasso Jereissati, a mis son jet privé à la disposition du candidat pour qu’il se rende L de São Paulo à Navegantes, Alckmin, soucieux d’éviter toute opération susceptible d’être épinglée par les instances de contrôle ou par des adversaires, a demandé à Tasso Jereissati de “légaliser” son prêt. Ce petit service, amicalement pratiqué depuis toujours lors des campagnes, a cette fois fait l’objet d’un document enregistrant “l’offre de services” du jet au prix de l’heure de vol du marché. Comme toute économie est désormais la bienvenue, la location d’un hélicoptère devient impensable. Même dans la ville de São Paulo [congestionnée par les embouteillages], les déplacements du candidat se font désormais en taxi. Et il n’hésite pas à déjeuner au McDonald’s pour gagner du temps ou à manger un hot dog sur le pouce, comme à Navegantes. Ces vertueuses préoccupations n’ont pas encore atteint la campagne du président Lula pour sa réélection. N’ayant pas officialisé sa candidature, il se déplace encore tranquillement et luxueusement dans tout le pays sans aucuns frais comptabilisés pour le Par ti des travailleurs [PT, au pouvoir]. Pour le PT, affaibli par le scandale du mensalão [corruption de députés adverses], il faudra quand même revenir au bon vieux temps de la sobriété et se concentrer sur la promotion du sigle et du symbole du parti. Ce qui n’inquiète pas son service de communication. “Comme le nom et l’étoile du PT sont des emblèmes forts, nous investirons dans la légende. Personne ne connaît le toucan (symbole du PSDB), alors que l’étoile du PT est reconnue”, af firme le secrétaire adjoint à la communication du PT, Francisco Campos. Il ne sera pourtant pas si simple pour le PT de se conformer à la réglementation. “Le PT a toujours eu des campagnes très animées. Alors, ces restrictions le gênent un peu”, consent Campos. Outre l’interdiction des shows électoraux, les artistes, rémunérés ou non, ne peuvent participer à des programmes de télévision COURRIER INTERNATIONAL N° 816 20 DU 22 AU 28 JUIN 2006 dans le seul but de faire gagner des voix aux candidats. “On ne peut pas interdire au candidat d’organiser des meetings. Mais il n’a pas le droit de les transformer en shows”, explique Campos. Le Congrès a considéré les amendements à la législation en vigueur comme une réforme somme toute modeste. Mais les hommes politiques estiment que dans la pratique tout sera différent. En particulier à cause du climat de méfiance qui règne depuis que les commissions d’enquête parlementaires sur la corruption au sein du gouvernement ont mis au jour le système sophistiqué des caisses noires utilisées dans les campagnes du PT. “Nous aurons forcément une campagne beaucoup plus pauvre, mais aussi plus rationnelle et beaucoup plus austère que les précédentes”, résume le coordinateur général de la candidature du PSDB, le sénateur Sérgio Guerra. Christiane Samarco et Luciana Nunes Leal, O Estado de São Paulo (extraits), Brésil 816p20_21_22 SA 20/06/06 15:14 Page 21 amériques É TAT S - U N I S Une bouffée d’oxygène pour l’équipe présidentielle Les dernières semaines ont apporté leur lot de bonnes nouvelles pour le président Bush. De quoi aider les républicains à aborder plus sereinement la campagne pour les élections législatives de mi-mandat. THE ECONOMIST LA FIN DE LA CHUTE ? Londres Le pourcentage d’opinions favorables au président Bush était tombé à son plus bas au début du mois de mai. a Maison-Blanche a reçu à la mi-juin une heureuse succession de bonnes nouvelles, inaugurée par l’élimination du terroriste Abou Moussab Al-Zarqaoui et la constitution du nouveau gouvernement irakien. Le 13 juin, le président Bush a fait une visite spectaculaire à Bagdad, où l’on a pu voir des centaines de soldats acclamer leur commandant en chef. Au même moment, le procureur spécial Patrick Fitzgerald renonçait à poursuivre Karl Rove, le plus proche conseiller politique du président, dans l’affaire Valerie Plame [agent de la CIA dont l’identité aurait été révélée par de hauts responsables du gouvernement en représailles à l’opposition de son mari, l’ancien ambassadeur Joseph Wilson, à la guerre en Irak]. De quoi donner un bon coup de fouet au moral. La mort d’Abou Moussab AlZarqaoui est venue renforcer l’espoir de voir un jour Oussama Ben Laden capturé ou tué par l’armée américaine. L’abandon des poursuites contre Karl Rove ôte une douloureuse épine du pied du gouvernement L 45 43 % 31 % 35 37 % 30 Début janvier 2006 Mi-mars Début mai 11 juin Source : sondages “USA Today”/Gallup 38 % 40 américain : cette menace avait jusqu’à présent empêché le grand “architecte” de la présidence de se consacrer pleinement à l’élaboration d’une stratégie pour les élections de mi-mandat. Dans un entretien accordé au Washington Post, Grover Norquist, un militant conservateur proche de Karl Rove, a comparé le plus proche conseiller politique de George W. Bush à un taureau venant de recevoir une banderille. “Non seulement il est en pleine forme et sort indemne de l’affaire, mais les coups d’aiguillon l’ont mis très en colère”, affirme-t-il. Toutes ces bonnes nouvelles ont, de plus, interrompu la dégringolade de Bush dans les sondages. Selon une enquête de l’institut Gallup pour le quotidien USA Today, la cote de popularité du président est remontée à 38 % à la mi-juin, contre 31 % au mois de mai. Et la disparition d’Abou Moussab Al-Zarqaoui relance l’espoir d’une issue positive du conflit irakien. Un autre sondage de l’institut Gallup, réalisé le week-end qui a suivi cette semaine faste, montrait que, pour 48 % des personnes interrogées, il était “probable”, voire “certain”, que les EtatsUnis sortiraient vainqueurs de la guerre en Irak. Au mois d’avril, elles n’étaient que 39 % à partager ce point de vue. Il ne s’agit pas seulement de chance. Depuis la nomination de Josh Bolten au poste de secrétaire général [fin mars], tout en enregistrant des avancées significatives en Irak, la Maison-Blanche a vu arriver au secrétariat au Trésor un grand patron de Wall Street, Henry Paulson, et comme porte-parole un habile homme de médias,Tony Snow. Certes, Josh Bolten n’a pas fait tout cela tout seul. Mais il a incontestablement insufflé à l’équipe présidentielle un dynamisme nouveau. Sans compter que, pendant ce temps, les démocrates continuent de patauger. Leurs chefs de file au Congrès sont en train de commettre l’une des pires erreurs politiques qui soit : vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Nancy Pelosi, numéro un des démocrates à la Chambre des représentants, vient ainsi d’accorder une série d’entretiens dans lesquels elle explique ce qu’elle fera lorsqu’elle présidera la Chambre, et le député John Murtha a annoncé, avant de se rétracter, qu’il se portait candidat comme chef de file de la majorité. Le Parti démocrate continue de plus d’être traversé par de profondes dissensions sur la question de la guerre en Irak. Une faiblesse que les membres républicains du Congrès ne se privent pas d’exploiter, comme ils l’ont fait la semaine dernière en rouvrant le débat sur la guerre. Un débat qui s’est soldé par le vote d’une résolution rejetant tout calendrier de retrait des troupes américaines d’Irak. Rien de tout cela ne signifie que George Bush soit tiré d’affaire. Le nouveau gouvernement irakien reste fragile. Les deux tiers des Américains estiment que leur pays est sur la mauvaise pente. Des relents de corruption flottent dans l’air. Mais ces soubresauts montrent qu’il y a encore de la vie à la Maison-Blanche. ■ CANADA Opération de séduction au Québec Elu de justesse en janvier dernier, le Premier ministre conservateur Stephen Harper cherche manifestement à conquérir la province francophone. Non sans succès. Montréal n Argentine, lors du Sommet des Amériques, devant u n V i c e n t e Fo x e t u n George W. Bush étonnés, ainsi qu’une presse internationale ébahie, le très albertain Premier ministre du Canada, Stephen Harper, avait entamé son allocution en français. “Par respect pour la langue de ceux qui ont fondé le Canada”, a-t-il élégamment expliqué par la suite. Parce que ça l’“aide à organiser [sa] pensée” et parce qu’il veut pratiquer son français. Les sceptiques ont rapidement crié au calcul politique. Selon eux, Harper parle le français uniquement pour se gagner le cœur des Québécois, qui détiennent les clés du gouvernement majoritaire dont il rêve. Peut-être. Et pourquoi pas ? On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, disait ma mère. Et un brin de respect ne nuit jamais. Calculée ou non, la démarche a du charme. Elle ne suffit évidemment pas à expliquer la popularité de Stephen Harper dans les sondages (qui E Stephen Harper. Dessin de Bateup, Australie. ■ gance de Harper est celle d’un surprenant danseur de tango. Il mène la danse clairement et fermement, ne marche pas sur les pieds de sa partenaire et ne “s’enfarge” pas dans les fleurs du tapis. “L’Actualité” Le grand magazine d’affaires publiques du Québec penche plutôt à droite. Une droite “à la québécoise” : pragmatique, favorable au libre marché et aux libertés individuelles, mais aussi à l’immigration et à la protection de l’environnement. Le magazine se veut avant tout un pisteur de tendances. C’est pourquoi il n’est pas surprenant de le voir prendre la défense du Premier ministre canadien. LES QUÉBÉCOIS NE SONT PAS TOUS DEVENUS CONSERVATEURS CWS L’ACTUALITÉ (extraits) est passée de 23 % à 29 % en quatre mois, selon Léger Marketing). Ce gouvernement minoritaire, qui l’a emporté à l’arraché le 23 janvier grâce à des victoires surprises dans dix circonscriptions québécoises, semble savoir où il va. Et cela plaît. En comparaison avec les maladresses des autres chefs politiques que les Québécois ont sous les yeux, l’élé- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 21 Quatre mois, évidemment, c’est bien peu dans une carrière de danseur. Et rien ne dit que le jeu de pieds sera aussi coulant lorsque le gouvernement s’aventurera dans des terrains minés comme le programme d’assurance emploi. Les Québécois ne sont pas tous devenus des conservateurs, même si la performance de Stephen Harper aiguise leur curiosité. Dans bien des domaines, ils penchent encore à gauche. En matière de protection de l’environnement, par exemple, ils sont bien loin des lobbys pétroliers. Et ne parlons pas des questions de morale comme le mariage gay (que Harper va éviter, on s’en doute). Mais il reste que les conservateurs ont la possibilité de croître. Dans toutes les régions du Québec, des voix s’élèvent pour s’inquiéter de la lourDU 22 AU 28 JUIN 2006 deur de la dette, pour souhaiter que l’on travaille un peu plus à créer de la richesse avant de songer à la redistribuer, pour demander des moyens concrets de contrer l’augmentation des coûts du système de santé. Dans le grand bal de la recherche de solutions, bon nombre de Québécois sont manifestement en mode écoute et ne détesteraient pas être invités à danser… par un bon danseur. Le Bloc québécois [parti indépendantiste, à gauche] risque fort d’y perdre des plumes. Comme le rappelait récemment le politologue JeanHerman Guay, de l’université de Sherbrooke, le séparatisme québécois est beaucoup plus “une réaction défensive qu’un mouvement offensif. Le soutien aux souverainistes augmente lorsque les Québécois perçoivent de l’hostilité de la part du reste du Canada. Ce soutien décline lors de bons moments.” Un Premier ministre du Canada qui permettrait aux Québécois de se sentir canadiens tout en se sentant québécois, qualités et défauts compris, aurait bien des chances de séduire. Carole Beaulieu 816p20_21_22 SA 20/06/06 14:20 Page 22 amériques É TAT S - U N I S Le petit frère privé de Maison-Blanche Très populaire dans son Etat, apprécié des conservateurs, Jeb, le frère cadet de George W., aurait pu être un excellent candidat pour la présidentielle de 2008. Mais le nom de Bush est devenu trop difficile à porter… THE SUNDAY TELEGRAPH Londres ouverneur apprécié d’un Etat du Sud capable de voter aussi bien d’un côté que de l’autre aux élections présidentielles, salué pour la façon dont il a organisé l’aide à la population pendant les ouragans, orateur charismatique et fin politique, partisan d’une version libertarienne du conservatisme : une telle somme de talents et de qualifications devrait normalement valoir à celui qui les possède d’être le favori des républicains pour la course à la présidentielle de 2008. Mais le gouverneur de Floride, qui bénéficie de 63 % d’opinions favorables dans son Etat, a un défaut qui vient ternir ce beau palmarès : il porte le nom de Bush. Beaucoup de républicains craignent que Jeb Bush, le frère cadet du président George W. Bush, dont la cote de popularité est tombée à 31 %, n’accède jamais à la Maison-Blanche à cause d’un patronyme qui, après avoir semblé porter chance, sonne plutôt aujourd’hui comme une malédiction. Les candidats aux élections de mimandat de novembre, où les républicains vont devoir se battre avec acharnement pour conserver leur emprise sur le Sénat et la Chambre des représentants, considèrent apparemment qu’un lien avec le président Bush n’est peut-être pas un atout. Si, pendant la campagne pour les législatives de 2002, G Jeb et George. “Encore huit ans…” Dessin de Vince O’Farrell paru dans The Illawarra Mercury, Australie. ■ Dynastie Pour Elisabeth Bumiller, la correspondante du New York Times à la MaisonBlanche, il y a peu de chances de voir Jeb Bush se présenter à l’élection présidentielle de 2008. En revanche, celui-ci pourrait briguer la présidence en 2012, voire en 2016. Ce faisant, il répéterait ce que George W. Bush a fait avant lui en succédant à son père, après une parenthèse démocrate de huit ans. lorsque George W. Bush caracolait en tête des sondages, même les démocrates disaient être très proches du président sur le sujet de la sécurité nationale, cette année ils accusent leurs adversaires républicains d’être trop proches de lui. Et ces derniers, conscients des dégâts que pourrait leur infliger le fait d’apparaître aux côtés du président – ne serait-ce qu’en photo – font des pieds et des mains pour éviter d’être vus avec le chef suprême des Etats-Unis. Thelma Drake, qui représente Norfolk (en Virginie) au Congrès, a annoncé qu’elle devait rester à Washington pour prendre part à un “vote important” sur le budget de l’armée et, par conséquent, qu’elle manquerait la visite du président Bush dans sa circonscription. La loi a été adoptée par 395 voix contre zéro opposition ! Une assistante de Judy Baar Topinka, candidate au poste de gouverneur de l’Illinois, a fait savoir quant à elle qu’une visite du président serait bienvenue à condition qu’elle ait lieu “à une heure tardive et dans un lieu qui ne serait pas communiqué”. Jeb Bush a toujours été considéré par son père, l’ex-président George H. W. Bush, comme le grand espoir politique de la famille. Mais, selon la rumeur, George W., qui est âgé de 59 ans, s’énerve lorsqu’on laisse entendre que Jeb, 53 ans, réfléchit davantage et domine mieux les subtilités politiques. Lors d’une visite du chef d’Etat américain à Chicago, en mai, quelqu’un dans le public a remarqué que Jeb Bush, qui est beaucoup plus costaud que son frère, avait “beaucoup fait pour le secteur de la restauration”. Le président a répondu par une plaisanterie : “J’ai vu en effet qu’il mangeait beaucoup”, a-t-il lancé. La loi relative au cumul des mandats empêche Jeb Bush, qui quitte ses fonctions en décembre, de se présenter à nouveau au poste de gouverneur. Il a beau avoir affirmé qu’il ne serait pas candidat à la présidentielle en 2008, il reste un objet de spéculation. “Trouver un homme comme Jeb Bush, aussi bien placé sur l’échiquier politique, est chose rare. Il est sur une position unique, à un moment unique, avec un éventail de talents unique”, peut-on lire dans un portrait élogieux publié par le magazine GQ. Les républicains font observer que rien n’empêchera Jeb Bush de se présenter aux présidentielles de 2012 ou 2016, lorsque les mauvais résultats de son frère dans les sondages ne seront plus qu’un lointain souvenir. Mais certains signes donnent à penser que les Américains pourraient finir par se lasser des dynasties politiques, en particulier si elles sont perçues comme des fiascos. Toby Harnden É TAT S - U N I S En Floride, plus question de critiquer l’histoire officielle Le gouverneur Jeb Bush vient de signer une loi interdisant aux professeurs d’expliquer à leurs élèves que la science historique repose nécessairement sur une interprétation des faits. n commençait à peine à se dire que l’histoire américaine était redevenue un champ d’étude sûr que les révisionnistes sont de retour ! Mais si, vous savez bien, ces “relativistes” qui déforment le passé, voire l’inventent de toutes pièces, pour le faire coller à leurs préjugés d’aujourd’hui. Peu après l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, le président Bush s’en est pris aux “historiens révisionnistes” qui remettent en question les justifications qu’il avait invoquées pour recourir à la force contre Saddam Hussein. Il a recommencé en 2005, le jour du Veterans Day [le 11 novembre, jour férié dédié aux anciens combattants], en déclarant qu’il était “profondément irresponsable de récrire la façon dont la guerre a commencé”. O Aujourd’hui, par une initiative sans précédent, le frère du président vient d’approuver une loi interdisant l’histoire révisionniste dans les écoles publiques de Floride. “Les professeurs devront enseigner l’histoire authentique des Etats-Unis et ne devront pas suivre les théories révisionnistes ou postmodernistes sur la relativité de la vérité historique”, affirme la loi sur l’éducation de l’Etat de Floride que vient de signer le gouverneur Jeb Bush. “L’histoire américaine devra être considérée comme factuelle, et non comme une construction.” Mais, ironiquement, cette loi de la Floride est elle-même révisionniste. En d’autres temps, affirme-t-elle, l’histoire – en particulier celle de la fondation du pays – reposait sur des faits. Mais, dans les années 1960, tout aurait changé : les historiens américains auraient alors adopté les théories à la mode du relativisme moral et du postmodernisme français, renonçant à leur quête traditionnelle des faits, de la vérité et des certitudes. Résultat : une foule de réinterprétations auraient jeté le doute sur le passé tel que nous le concevions jusque-là. Toutes les théories se valant, rien n’aurait plus été ni vrai ni faux. Dieu, la nation, la famille, l’école : tout aurait été jeté par-dessus les moulins. Sauf que cette “histoire de notre histoire” est fausse. Loin d’être une invention des hippies des années 1960, le concept d’interprétation a été au centre des préoccuppations des historiens dès les années 1920. Certes, auparavant, certains d’entre eux croyaient pouvoir rendre compte du passé de façon strictement factuelle et objective. Mais, pendant l’entre-deux-guerres, la plupart d’entre eux avaient renoncé à ce que l’historien Charles Beard appelait un “noble rêve”, les universitaires ayant pris conscience que le choix des faits était en lui-même un acte d’interprétation. C’est pourquoi Carl Becker, de l’université Cornell, avait choisi d’intituler son célèbre discours de 1931 “Everyman His Own Historian” [Chacun est son propre historien]. Becker y expliquait pourquoi “chacun” – autrement dit, tout profane moyen – interprétait inévitablement sa propre vie, se souvenant de certains épisodes en en oubliant ou en en déformant d’autres. Essayez par COURRIER INTERNATIONAL N° 816 22 DU 22 AU 28 JUIN 2006 exemple de raconter tout ce que vous avez fait hier. Pas seulement quelques moments, comme votre trajet jusqu’à votre lieu de travail ou votre dîner, ou la lecture du journal. TOUT. C’est impossible. Nous célébrons cette année les 75 ans du célèbre discours de Carl Becker, mais les Américains ne semblent pas mieux comprendre aujourd’hui qu’hier que tous les passés sont des “constructions”, que tous les faits passent par l’interprétation et que toute histoire est “révisionniste”. Les politiciens démagogues ont incontestablement leur part de responsabilité dans cette situation, mais les historiens sont eux aussi fautifs. Contrairement aux universitaires contemporains de Becker, nous n’écrivons plus, pour la plupart, que pour nous-mêmes. Si nous étions plus nombreux à écrire POUR les individus au lieu de nous contenter d’écrire SUR eux, ils seraient peut-être moins réceptifs aux accusations fallacieuses de “révisionnisme” ou de Jonathan Zimmerman*, “constructivisme”. Los Angeles Times, Etats-Unis * L’auteur de cet ar ticle est professeur d’histoire à l’université de New York (NYU). 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 816 p24-25-26 20/06/06 14:30 Page 24 asie ● T I M O R - O R I E N TA L INDONÉSIE Division au sommet de l’Etat Bashir prêche, les Occidentaux protestent Les affrontements récents tiennent à une hostilité ancestrale entre l’est et l’ouest du pays. Le conflit entre le président Gusmão et son Premier ministre Alkatiri n’a rien arrangé. Jakarta DE DILI anana Gusmão pleure. Lui qui, vingt ans durant, a mené dans la jungle la guérilla contre l’Indonésie et a croupi pendant sept ans dans une prison de Jakarta, s’afflige des émeutes qui secouent son pays. Au début de 2006, dans une interview accordée à Tempo, le président du Timor-Oriental reconnaissait qu’il est bien plus difficile de bâtir un pays que de se battre pour son indépendance. Mais, lors de notre entretien, cet homme politique, qui est aussi poète, ne se doutait pas encore que, cinq ans à peine après l’indépendance, un conflit puisse opposer l’ethnie de l’Ouest [les Loromonus] à celle de l’Est [les Lorosaes]. Au terme des émeutes [qui ont éclaté fin avril dans la capitale à la suite d’une manifestation de soldats s’estimant victimes de discrimination], on recense plus de 30 morts et plus de 60 000 réfugiés, sans parler des maisons et des bâtiments publics incendiés et pillés. Xanana Gusmão préfère aujourd’hui se taire. Depuis qu’il a pris en main la sécurité nationale, fin mai, après en avoir dessaisi le Premier ministre Mari Alkatiri, il ne fait plus aucune déclaration publique. Pourtant, ses concitoyens espèrent le voir jouer un rôle important pour mettre fin au désastre politique au Timor-Oriental. X LES CHEFS INDÉPENDANTISTES SE DÉCHIRENT DÈS 1989 Pour sa part, Mari Alkatiri est beaucoup plus bavard. Il a fait plusieurs déclarations, en particulier à propos de sa détermination à ne pas démissionner avant la fin de son mandat, en 2007. Alkatiri est bien obligé de parler, car, outre le fait qu’il soit le chef du gouvernement, c’est principalement sur lui que l’on fait porter la responsabilité de tous ces désordres. En effet, il a donné son accord, en mars dernier, au licenciement de 593 soldats décidé par le commandant en chef de l’armée, lui-même originaire de l’Est. La majorité de ces soldats étaient issus de la région de l’ouest du Timor-Oriental [à majorité loromonue]. Cette décision a été prise un mois après la manifestation de 150 soldats loromonus devant le palais des Cendres, la résidence du président Gusmão – surnommé le palais de la Poussière. Les Loromonus sont considérés comme pro-indonésiens par les Lorosaes, qui sont, eux, plutôt indépendantistes. Le président Gusmão, un Lorosae, exhorte depuis longtemps les Est-Timorais à oublier ces stéréotypes. Sur le plan démographique, les Loromonus représentent la majorité (55 %) et sont répartis sur dix districts, tandis Dessin de Moir paru dans le Sydney Morning Herald, Australie. Les quelque 600 soldats mutinés qui avaient quitté leurs casernes en février dernier ont commencé à déposer leurs armes le 16 juin dernier. Le ministre des Affaires étrangères, José Ramos-Horta, doit convaincre Vicente da Conceição, le chef d’une milice formée sur ordre du Premier ministre Alkatiri, de rendre lui aussi ses armes. Conceição a affirmé à plusieurs reprises que ses hommes et lui ont été recrutés par le Premier ministre pour éliminer les opposants politiques. Lundi, le groupe refusait toujours de se laisser désarmer. Mardi, un rassemblement de grande ampleur demandant la démission du Premier ministre s’est tenu à Dili, sous haute surveillance des forces australiennes et malaisiennes. que les Lorosaes n’occupent que trois districts. Alkatiri a, pour sa part, décidé de modifier le nom officiel de Timor-Lorosae en Timor-Oriental. Mais ce changement de nom n’a pas été d’un grand secours : la discrimination demeure. Le Premier ministre est même accusé de la nourrir et de ne pas être proche du peuple. Il est resté trop longtemps loin son pays natal. En 1970, Alkatiri a quitté la capitale, Dili, afin de poursuivre sa scolarité et ses études supérieures en Angola et au Mozambique. Il est revenu faire un court séjour à Dili, où il a formé le FALINTIL, l’aile militaire du FRETILIN, avant de s’envoler à nouveau pour le Mozambique le 4 décembre 1975, quatre jours avant que l’armée indonésienne ne pénètre au TimorOriental. Il est demeuré en Afrique jusqu’en 1999. Même s’ils ne s’entendent pas, le chef du gouvernement et le président ne se sont bien sûr jamais mis en cause mutuellement en public au sujet des troubles récents. Les germes du désaccord entre ces deux figures du FRETILIN remontent à 1989, date à laquelle Xanana Gusmão réorganise le mouvement de résistance contre l’Indonésie. Se retirant du FRETILIN, il forme le Conseil de résistance du peuple maubere (CNRM). En 2000, lors du premier congrès du Conseil de résistance nationale du peuple du Timor-Oriental (CNRT), aucun chef Dili Enclave d’Oecussi-Ambeno (Timor-Oriental) TIMORORIENTAL INDONÉSIE Timor occidental 10° Sud Kupang 0 50 km e soir même de sa libération, le 14 juin dernier, le prédicateur islamiste Abu Bakar Bashir [Ba’asyir] a regagné le pensionnat coranique Al-Mukim Ngruki (dans la province de Java-Centre), où il enseigne la religion depuis 1975. Dans la cour, sur une estrade spécialement dressée pour l’occasion, il a tenu à ses disciples un discours de vingt minutes. Après quatre années de détention, l’intonation de sa voix est toujours aussi perçante lorsqu’il parle de l’ennemi héréditaire, l’Amérique. Chaque fois que Bashir termine une phrase, ses disciples et ses supporters l’acclament et crient : “Allahu akbar !” Les ennuis du religieux avec la loi commencent le 19 octobre 2002, lorsqu’il devient officiellement suspect d’avoir des relations avec les auteurs de l’attentat de Bali. [L’explosion d’une bombe dans un bar de la cité balnéaire de Kuta, le 12 octobre 2002, a fait 202 morts. C’est l’attentat le plus grave depuis le 11 septembre 2001.] Bashir est en outre inculpé pour s’être rendu clandestinement en Malaisie. Après trois convocations sans comparution, la police l’interpelle. En septembre 2003, il est condamné à quatre ans de prison. En appel, le tribunal réduit sa peine à trois ans d’emprisonnement. Les seules preuves contre Bashir concernent son infraction à la loi sur l’immigration. Lors du jugement en cassation, en mars 2004, la Cour suprême réduit à nouveau sa peine à un an et six mois. Libéré un mois plus tard, il n’a pas le temps de savourer sa liberté et est à nouveau arrêté par la police. Cette foisci, il est interrogé dans le cadre de l’attentat contre l’hôtel Marriott de Jakarta [en août 2003]. Le procureur requiert huit ans de prison, mais la cour le condamne à deux ans et demi de détention, finalement réduits à vingt-six mois. Bien qu’il ait purgé sa peine, les critiques pleuvent de l’étranger. Le gouvernement australien [88 ressortissants australiens sont morts dans l’attaque de Bali] conteste la décision de l’Indonésie de libérer l’émir du Conseil des moudjahidin indonésiens. Les pays occidentaux considèrent Bashir comme un membre important des réseaux terroristes. Il est soupçonné par la CIA d’être le chef spirituel du groupe Jmaah Islamiyah, qui lutte pour établir un grand Etat islamique en Asie du SudEst. L’arrestation à Manille, en 2003, de Gathur Rahman Al-Ghozi, soupçonné d’être membre d’Al-Qaida, a attiré l’attention des enquêteurs sur le pensionnat Al-Mukim. Même si Bashir nie le connaître personnellement, AlGhozi est passé sur les bancs de son institution. Et plusieurs de ses anciens élèves ont été impliqués dans des attentats en Indonésie. Agung Rulianto, avec Imron Rosyid à Solo, Tempo, Jakarta L Désarmement Courrier international d’après <www.ethnologue.com> TEMPO 125° Est MER DE TIMOR Peuples de langues papoues (ou Lorosaes, majoritaires dans 3 districts) Peuples de langues austronésiennes (ou Loromonus, majoritaires dans 10 districts) COURRIER INTERNATIONAL N° 816 24 du FRETILIN n’est nommé dans les instances dirigeantes. Le CNRT, représentant le peuple est-timorais auprès de la communauté internationale, a joué un rôle vital dans les préparatifs de l’indépendance du Timor-Oriental. Mais le FRETILIN d’Alkatiri a fini par lâcher le CNRT. Pendant toute la période qui a précédé l’indépendance, les frictions ont été nombreuses entre Xanana Gusmão et Mari Alkatiri. Le FRETILIN a alors décidé de ne pas soutenir la candidature au poste de président du chef charismatique de la lutte pour l’indépendance. Seuls les petits partis ont milité pour que Gusmão obtienne la position suprême. Cette opposition n’était pas un problème tant qu’il n’y avait pas de conflit ouvert. Mais la pétition lancée par près de 600 soldats pour en finir avec la discrimination au sein de l’armée nationale a porté sur la scène publique la rivalité entre Xanana Gusmão et Mari Alkatiri. Le président a ordonné aux soldats de regagner leurs quartiers et de former une commission d’enquête pour étayer le bien-fondé de leurs plaintes. Mais le commandant en chef, avec le plein accord du Premier ministre – et sans consulter Xanana Gusmão –, a suspendu les soldats contestataires. Les partisans des deux principaux dirigeants du pays ne semblent pas prêts à se rencontrer pour trouver un compromis. Le conciliateur politique Julio Tomas Pinto a proposé que les deux parties se retrouvent pour procéder à un nahe biti bo’o, le rituel que les Timorais utilisent pour mettre fin à un conflit. Selon cette tradition, les groupes rivaux se réunissent pour discuter à cœur ouvert jusqu’à trouver un point d’accord. Puis ils prêtent serment et boivent ensemble du sang. “C’est très efficace, et cela reste gravé dans les mémoires jusqu’aux petits-enfants”, explique Pinto. Un peu de sang bu vaut mieux que tout le sang versé jusqu’à ce jour. Bina Bektiati, Salvador Ximenes Soares, Jems de Fortuna et Jose Sarito Amaral DU 22 AU 28 JUIN 2006 816 p24-25-26 20/06/06 14:31 Page 25 asie SRI LANKA “Maintenant, on ne sait même plus qui tue qui” Faisant fi d’un cessez-le-feu signé en 2002, les Tigres tamouls mettent le pays à feu et à sang. Les attentats suicides se multiplient et la terreur règne à Colombo, la capitale du pays. DE COLOMBO D d Elephant Pass Kilinochchi Trincomalee 8° Nord SRI LANKA Population : tamoule Kandy cinghalaise Colombo mixte Zones actuellement sous le contrôle des Tigres tamouls Foyers de violence récents O CÉAN I NDIEN 80° Est 0 100 km a attaqué un bâtiment de la marine nationale [début mai], déclenchant une bataille navale majeure et tuant 50 Tigres et 17 soldats. Les séparatistes tamouls ont coulé un des navires des forces régulières, et l’armée a répondu en bombardant leurs bases. “Le cessezle-feu n’existe plus que sur le papier. Une guerre larvée s’est installée”, considère Ulf Henricsson, qui dirige la Mission de surveillance du Sri Lanka [SLMM, groupe d’observateurs mis en place après le cessez-le-feu et comprenant la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark et l’Islande]. La rébellion tamoule a même affirmé qu’elle n’hésiterait pas à faire la guerre si le gouvernement interdisait ses activités navales. “Nous continuerons à naviguer dans les eaux du Nord-Est, qui se trouvent dans notre périmètre de contrôle. Nous nous opposerons à toute tentative de nous en empêcher”, a prévenu Soosai, le chef de l’unité navale des Tigres. Dans ce contexte, les médiateurs norvégiens n’ont d’autre choix que de regarder le cessez-le-feu, signé il y a plus de quatre ans, plonger vers l’anéantissement. Source : Perry Castañeda Library (université du Texas). Situation en juin 2006. ans un temple bouddhiste d’une banlieue de Colombo – la capitale de l’île –, la mère d’un soldat célèbre la fête bouddhiste du Vesak. Elle murmure une prière désespérée, en déposant des fleurs devant une statue du Bouddha, pour que son fils, soldat en mission à Jaffna [dans le nord du pays], reste en vie. “Cela fait des années que notre famille ne s’est plus retrouvée au complet pour les fêtes”, raconte-t-elle en serrant dans sa main l’encens et les fleurs qu’elle veut donner en offrande. Son fils unique, qui a rejoint l’armée il y a cinq ans, a déjà survécu à un an de combats. Désormais, il doit survivre à un cessez-le-feu sanglant et non respecté [signé en février 2002]. “Je ne sais pas quand j’apprendrai sa mort. Qui peut appeler ça un cessez-le-feu ?” dit-elle en sanglotant. Des soldats armés patrouillent dans les rues car on craint de plus en plus que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les LTTE, à l’initiative de l’insurrection armée particulièrement active dans le nord et l’est de l’île] commettent des attentats contre des lieux saints. Selon le général Prasad Samarasinghe, porte-parole de l’armée, plus de 100 militaires stationnés dans le nord et l’est du pays ont été abattus depuis la fin des pourparlers de paix, à Genève, en février dernier. Et Colombo a été transformé en ville de garnison après l’attentat commis par une kamikaze enceinte dans les quartiers généraux de l’armée au cours de la dernière semaine du mois d’avril. Les soldats restent sur le qui-vive aux barrages routiers et contrôlent les véhicules et la population. Alors que l’on craint de plus en plus les attentats suicides dans le sud du Sri Lanka, les Tamouls vivant à Colombo [principalement hindous, ils représentent 14 % de la population, les musulmans 7,6 % et les Cinghalais, majoritairement bouddhistes, 78 %] subissent tout le poids de la répression. Plus de 2 000 d’entre eux y ont été arrêtés depuis l’attentat du mois d’avril. Les membres de cette communauté venant du Nord et de l’Est et voyageant à destination de la capitale font l’objet d’une surveillance renforcée. Depuis que les services de renseignements ont rapporté que plus de 200 kamikazes avaient infiltré la ville, tous les bureaux gouvernementaux sont placés sous haute surveillance. “Nous fouillons les maisons une par une, à Colombo et dans les environs”, a annoncé Prasad Samarasinghe, plusieurs jours après que le Parlement eut accordé aux forces armées des pouvoirs considérables. L’inquiétude a encore redoublé depuis que l’unité navale des Tigres ■ Péninsule de Jaffna Jaffna alk eP it Etat du TAMIL NADU tro INDE Cochin Dé THE WEEK Violences Les affrontements s’intensifient depuis le début de l’année, et l’armée a riposté à plusieurs attaques des rebelles en effectuant des bombardements aériens. Les premières victimes sont les civils, pris pour cible par les Tigres lors d’attentats suicides ou frappés au cours de contre-attaques gouvernementales. La moitié des personnes qui ont trouvé la mort depuis le mois d’avril ne sont pas des combattants. tale car je peux prouver que je travaille pour des ONG”, ajoute-t-il. Mais les autres Tamouls ont peur qu’on les arrête et qu’on leur pose des questions. “Nous ne sortons jamais de chez nous sans nos papiers d’identité”, explique Sivamani Thiagaraja, qui vit à Wellawatte, une banlieue de Colombo abritant essentiellement des membres de cette communauté. Selon certains analystes, les divisions au sein même du mouvement séparatiste, secoué par une scission en mars 2004, constituent l’une des raisons principales de la détérioration du processus de paix, une situation dont Dessin de Stephane Peray, Thaïlande. LES TAMOULS NE SE SENTENT PLUS EN SÉCURITÉ DANS LA CAPITALE Dès que le jour baisse, Deyaraja Varani, 60 ans, qui vit au nord de Jaffna, commence à faire des gestes désormais routiniers pour une majorité de familles dans cette partie du pays. Elle emballe un maigre repas et regarde son fils s’éclipser par le portail. Il s’en va passer la nuit ailleurs que chez lui, parfois dans une zone isolée, dans la jungle. “A Jaffna, dormir chez soi n’est plus sûr, surtout si l’on est un homme”, confie Shankar, 28 ans, qui ne se reconnaît dans aucun camp. “Je me sens plus en sécurité à Colombo.” Shankar est traducteur indépendant pour des organisations humanitaires et il est l’un des seuls Tamouls à ne pas craindre les fréquents contrôles de sécurité. “J’ai beaucoup d’amis cinghalais dans l’armée. Je me sens plus en sécurité dans la capiCOURRIER INTERNATIONAL N° 816 25 DU 22 AU 28 JUIN 2006 profiterait le gouvernement pour adopter une ligne dure. Ce que l’on a d’abord vu comme un problème interne à l’organisation rebelle est désormais au cœur de la guerre non déclarée entre les Tigres et l’armée. La faction dissidente est en effet accusée de prendre pour cible les civils tamouls qui soutiennent les Tigres ainsi que d’éliminer les membres du mouvement séparatiste, soi-disant avec le soutien de l’armée. “Nous avons la preuve que le groupe dissident opère à partir du territoire contrôlé par le gouvernement”, soutient justement Ulf Henricsson, alors que le nombre total de victimes depuis le début de l’année s’élève à 700 personnes. “Maintenant, on ne sait même plus qui tue qui”, résume Rohitha Priyadharshana, le chef de la commission des droits de l’homme de Jaffna. “La police n’a rien à se reprocher. Un officier de police a été abattu à la fin de l’année dernière à Jaffna alors qu’il s’apprêtait à enquêter sur une fusillade. Plusieurs policiers ont été tués par les LTTE.” Effectivement, jamais un cessez-le-feu n’aura été aussi sanglant. Frances Bulathsinghala 816 p24-25-26 20/06/06 14:32 Page 26 asie ASIE CENTRALE N É PA L L’OCS, un bloc qui se construit Les rebelles maoïstes prêts à jouer le jeu L’Organisation de coopération de Shanghai, organisée autour de l’Asie centrale, sert avant tout les intérêts russes et chinois. L’Inde, pays observateur, se doit de rester en retrait. New Delhi ’Inde aura été le seul pays, parmi les membres et observateurs de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), à ne pas être représenté par son chef de l’Etat ou du gouvernement au sommet qui se tenait à Shanghai le 15 juin. La réunion marquait le cinquième anniversaire de cette organisation qui regroupe la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. L’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Mongolie ont le statut d’observateur. L’Afghanistan, qui n’est ni membre ni observateur, était un invité spécial. La décision de notre Premier ministre, Manmohan Singh, de ne pas faire le déplacement et de déléguer Shri Murli Deora, le ministre du Pétrole et du Gaz naturel, traduit le dilemme dans lequel se trouve l’Inde, à savoir quelle importance donner à cette organisation et à ses objectifs. Que ce soit le ministre du Pétrole et du Gaz naturel qui le remplace souligne les sentiments positifs de New Delhi à l’égard de l’OCS, considérée comme un instrument de coopération transnationale par le renforcement des économies de la région, de promotion du commerce et d’instauration de la sécurité énergétique. Parallèlement, l’absence du Premier ministre au sommet reflète – sans les exprimer ouvertement – les réticences de l’Inde quant à l’orientation politique prise par l’OCS depuis sa création. A son lancement, en juin 2001 – et même avant, alors qu’il s’agissait d’une réunion non structurée des “cinq de Shanghai” [les mêmes moins l’Ouzbékistan] –, l’OCS avait pour principale mission d’assurer la paix transfrontalière et la sécurité, et de lutter contre le terrorisme. En matière de lutte contre le terrorisme, l’Inde possède une longue expérience de coopération avec de nombreux pays, aux orientations idéologiques et aux régimes politiques très divers, mais la coopération transnationale pour combattre le séparatisme et l’extrémisme lui est complètement étrangère. Comment l’Inde peut-elle se sentir parfaitement à l’aise dans une organisation dont certains Etats membres ou observateurs considèrent comme extrémistes les mouvements qui œuvrent pour une véritable démocratie et dont d’autres emploient le terrorisme d’Etat comme arme stratégique ? Comment l’Inde peut-elle concilier son appartenance à l’OCS avec le fait qu’elle y est la seule véritable démocratie et qu’elle est par ailleurs membre d’organisations qui ont précisément pour vocation de promouvoir la démocratie dans le monde ? Le deuxième dilemme tient à l’orientation politique prise par l’OCS depuis sa formation. Initialement axée sur la lutte contre le terrorisme, le sépa- L Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou. ■ ’accord signé le 16 juin dernier entre la coalition gouvernementale [Alliance des sept partis, ASP] et Prachanda, le chef de la guérilla maoïste [qui secoue le pays depuis 1996], sur huit questions clés est remarquable à tous égards. Prachanda ne donnait pas dans l’hyperbole quand il a déclaré aux médias que “les rebelles en guerre et les partis impliqués dans la politique parlementaire” s’étaient “réunis pour faire l’Histoire”. Le gouvernement a en effet accepté les exigences fondamentales formulées par les insurgés : la dissolution des deux Assemblées, la réforme de la Constitution et la mise en place d’un gouvernement provisoire incluant des maoïstes. Quelques semaines après avoir été rétabli dans ses fonctions, le 24 avril dernier, le Parlement avait entrepris de réduire à néant les pouvoirs du roi [voir CI n° 813, du 1er juin 2006]. Il l’avait privé du contrôle de l’armée, s’était arrogé le droit de décider de la succession à la couronne et avait interdit l’intervention du roi dans les affaires législatives, allant jusqu’à abolir son droit de veto. Mais ce n’était apparemment pas assez. Aujourd’hui, avec cet accord, les maoïstes n’ont plus de raisons de douter des bonnes intentions affichées par leurs partenaires. L’accord n’est cependant pas à sens unique. Les rebelles qui ont mené la lutte armée contre l’Etat s’engagent à participer à “un système de gouvernement multipartite” ouvert à l’alternance démocratique et à respecter l’Etat de droit. En contrepartie de la dissolution du Parlement, ils acceptent de dissoudre les organes de “gouvernement populaire” alternatifs qu’ils avaient mis sur pied [dans les zones qu’ils contrôlent]. Les Nations unies participeront au “contrôle des armes et des forces armées des deux camps” et surveilleront le processus pour que les élections à l’Assemblée constituante puissent se faire “de façon libre et juste”. Une décision saine, compte tenu des circonstances. Plus largement, l’accord du 16 juin vise à transformer en “paix définitive” le cessez-le-feu conclu un mois et demi auparavant entre le gouvernement et les maoïstes, et à résoudre les problèmes politiques du pays en partant d’une “restructuration de l’Etat tournée vers l’avenir”. Il est maintenant clair que la révolution pacifique de ces derniers mois a pris un élan irrésistible et qu’elle a la capacité de déplacer des montagnes. Jusqu’à présent, tout se déroule comme dans un rêve pour la révolution populaire népalaise. Il faut que l’Inde, qui a sagement débloqué des ressources importantes pour permettre à son voisin de faire face à ses obligations économiques immédiates [en lui appor tant 173 000 euros d’aide début juin], soutienne cette révolution jusqu’au bout. The Hindu, Madras L OUTLOOK Coordinations Au lendemain du sommet de Shanghai a eu lieu à Almaty, au Kazakhstan, la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie, à laquelle assistaient une dizaine de chefs d’Etat, y compris chinois, russe et pakistanais. Ils ont indiqué à cette occasion vouloir renforcer la coopération en faveur de la paix et de la stabilité régionale. Le thème de la sécurité énergétique a aussi été abordé. A Shanghai, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad avait proposé la mise en place d’une conférence énergétique incluant les pays membres de l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS) et l’Iran, en vue de la coordination de la production et des exportations gazières. ratisme et l’extrémisme, elle a maintenant pour objectif de favoriser l’instauration d’un système multipolaire. Un euphémisme pour dire qu’il s’agit de contrer l’influence américaine dans la région Asie-Pacifique. Même si la Russie et la Chine nient toute intention dans ce sens et toute arrière-pensée, les Etats-Unis et les pays occidentaux considèrent l’OCS comme une organisation politique visant à permettre à la Chine et à la Russie d’atteindre leurs objectifs stratégiques au détriment de ceux des Etats-Unis et des autres pays occidentaux. LE CONTRÔLE DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES DE LA RÉGION Les autorités chinoises ont beau répéter que l’OCS n’est dirigée contre personne, d’aucuns soupçonnent que l’objectif secret de Pékin et de Moscou est de protéger leurs intérêts en Asie centrale, notamment en y combattant le terrorisme djihadiste et en gardant un certain contrôle sur les ressources énergétiques de la région. “L’évolution [vers une extension du mandat de l’OCS] reflète l’importance croissante de l’Asie centrale comme source de pétrole et de gaz, surtout pour la Chine”, commente David Zweig, professeur de sciences politiques à l’université des sciences et technologies de Hong Kong. “Cela montre, dans une certaine mesure, l’influence grandissante de la Chine dans cette partie du monde – qui revêt pour elle, désormais, une très grande importance pour des raisons liées à l’énergie et à la sécurité.” On peut à juste titre soupçonner l’OCS de n’être rien d’autre qu’une nouvelle version de l’idée chère à l’ancien premier secrétaire du Parti communiste d’Union soviétique Leonid Brejnev : une organisation de coopération asiatique sur la sécurité, qui n’avait à l’époque suscité aucun enthousiasme, même de la part de l’Inde – malgré les craintes qu’inspiraient à celle-ci la politique américaine dans la région et les relations étroites [qu’elle entretenait] avec l’exURSS. La grande différence est que la proposition de Brejnev était dirigée contre les Etats-Unis et la Chine, alors COURRIER INTERNATIONAL N° 816 26 que la Chine et la Russie sont aujourd’hui les locomotives de l’OCS. Le troisième dilemme dans lequel est enfermée l’Inde tient au fait que cette réunion de l’OCS mettait en présence les deux grands responsables de la prolifération nucléaire dans le monde – la Chine et le Pakistan – et l’un des bénéficiaires de cette prolifération, à savoir l’Iran. De plus, le sommet avait lieu à un moment où les projecteurs étaient braqués sur l’Iran à cause de son programme nucléaire clandestin et des déclarations virulentes à l’encontre d’Israël et des Juifs prononcées par son président, Mahmoud Ahmadinejad, qui participait également au sommet. Bien que soucieux de ménager les sensibilités chinoises, Ahmadinejad risquait de se servir du sommet comme d’un forum pour attaquer les Etats-Unis et Israël. L’Inde aurait été bien embarrassée alors que ses relations avec Washington ne cessent de s’améliorer. Avec la bénédiction de la Chine, lourdement tributaire des ressources énergétiques iraniennes, l’Iran aurait pu profiter de l’événement pour se laver de ses supposés péchés d’omission à propos du nucléaire. [L’offre de reprise de négociations sur le nucléaire faite à l’Iran par les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU a été appuyée par la Chine lors du sommet de Shanghai. Cette offre comportait comme préalable la suspension de l’enrichissement d’uranium par l’Iran. Le président iranien a qualifié à Shanghai cette offre de “pas en avant”, mais l’Iran a cependant rejeté toute “condition préalable” au dialogue.] L’Inde devait-elle participer à cet exercice ? Compte tenu de tous ces éléments, on ne peut reprocher à notre Premier ministre sa défection. Cela ne diminue en rien l’importance que nous attachons à l’OCS, ni l’intérêt que nous portons à une appartenance comme membre à part entière. Cela signifie seulement qu’il nous faut faire preuve de prudence. Nous devons soutenir pleinement les projets économiques et commerciaux de l’OCS, mais rester vigilants sur les questions touchant à la sécurité. B. Raman DU 22 AU 28 JUIN 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 816 p.28-29 SA 20/06/06 15:57 Page 28 m oye n - o r i e n t ● ISRAËL Mais qui a commis le carnage sur la plage de Gaza ? Si le gouvernement israélien accuse le Hamas d’être à l’origine de l’explosion, toutes les autres sources contredisent cette version. Et Tsahal, note Ha’Aretz, a trop menti ces dernières années pour qu’on la croie. Sur le panneau : Palestine. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres. HA’ARETZ Tel-Aviv e dimanche 11 décembre 2005, l’attention de Mohammad Hamdan, un habitant d’Oum Touba (un village proche de Jérusalem), est attirée par une mule galopant vers le village. C’est avec horreur qu’il découvre, accroché à la bête par la main gauche, le corps de Mahmoud Shawwara, une connaissance du village voisin, le visage tuméfié. Shawwara décède à l’hôpital universitaire [israélien] Hadassah d’Ein Kerem après cinq jours de coma. Sa famille porte rapidement plainte contre des officiers du Magav [gardes-frontières] qui ont arrêté Shawwara pour présence illégale sur le territoire de Jérusalem. Le ministère de la Justice prétend quant à lui que Shawwara a simplement été victime d’un accident. Sa mule était sauvage ; il se serait attaché à la selle et n’aurait hélas pas réussi à s’en détacher quand elle s’est emballée. Le 23 décembre 2005, Gidéon Lévy relate ce drame, tout en laissant aux lecteurs de Ha’Aretz la liberté de choisir la version qui leur semble la plus crédible : celle de la famille, fondée sur de nombreux précédents de Palestiniens attachés de force à leurs chevaux, ou celle de l’Etat d’Israël, accréditant la thèse de la mort accidentelle. La semaine passée, les correspondants militaires et les spécialistes des Territoires ont également laissé l’opinion publique dans l’expectative. Pour comprendre les circonstances dans lesquelles les sept membres de la famille Ghaliya ont été fauchés sur la plage de Gaza, faut-il croire le Premier ministre L ■ [Ehoud Olmert], le ministre de la Défense [Amir Peretz], le ministre des Affaires étrangères [Tzipi Livni], le chef d’état-major [Dan Halutz] et le général Meir Klifi ? Ou faut-il accréditer la version défendue bec et ongles par [l’organisation américaine des droits de l’homme] Human Rights Watch (HRW) et les témoins palestiniens ? DE NOMBREUX ISRAÉLIENS CROIENT LES PALESTINIENS Si Tsahal affirme, après une reconstitution apparemment méticuleuse des faits, que la famille Ghaliya ne peut en aucun cas avoir été victime de tirs israéliens, les Palestiniens (chirurgiens, ambulanciers et témoins) avancent, quant à eux, des indices contredisant radicalement la version officielle israélienne. Pour couronner le tout, il y a aussi le témoignage de Marc Garlasco, un expert militaire de HRW, qui a mis la main sur un fragment d’obus de 155 de fabrication israélienne recueilli sur les lieux du carnage. Dire que l’opinion publique israélienne reste perplexe devant les contradictions qui opposent les versions israélienne et palestinienne relève du doux euphémisme. Car de nombreux Israéliens sont effectivement enclins à croire les Palestiniens et leurs porte-parole, et cela n’a rien à voir avec de la “haine de soi”. C’est qu’il y a trop d’antécédents d’abus contre des Palestiniens, niés avant d’être reconnus grâce au témoignage des conscrits de [l’organisation pacifiste israélienne] Shovrim Shtika [“Briser le silence”]. Ces morts de Enquête La controverse sur l’origine de l’explosion survenue sur la plage de Gaza bat son plein dans les médias israéliens. Alors que Tel-Aviv affirme toujours qu’aucun obus n’a été lancé le 9 juin sur cette plage, la chaîne de télévision privée israélienne “La 10” a révélé que les éclats extraits du corps d’un jeune Palestinien blessé provenaient d’un projectile israélien. Par ailleurs, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a rejeté les appels demandant la formation d’une commission d’enquête internationale. coopérants étrangers, ignorées avec superbe avant de faire l’objet d’enquêtes militaires à la suite d’intenses pressions internationales. Ces accusations contre les agences humanitaires internationales, ravalées après simple vérification (comme celle accusant l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le ProcheOrient [UNRWA] de transporter des roquettes Qassam jusqu’à ce que des photos authentifiées prouvent qu’il s’agissait de civières…). Ces bombardements de zones construites prétendument non habitées, jusqu’à ce qu’un carnage révèle le contraire (comme à Rafah, en mai 2004). Ces enquêtes internes à l’armée et à la police, qui doivent faire elles-mêmes l’objet d’enquêtes de la part d’organismes parlementaires (comme après la mort de 13 manifestants arabes israéliens, en octobre 2000). Cette fillette palestinienne, Iman Al-Hams, abattue à distance avant d’être achevée par le capitaine R. Cette tradition militaire millésimée qui voit l’armée contourner le pouvoir politique, tradition illustrée encore récemment par l’affaire de la clôture de séparation, dont le tracé est un cadeau aux colonies israéliennes. Les autorités de l’Etat d’Israël, et pas seulement les différentes branches du pouvoir militaire, ont fini par se faire une triste réputation en matière de crédibilité. Il n’est dès lors guère étonnant que non seulement la communauté internationale mais aussi les citoyens israéliens en arrivent à ne plus croire les versions officielles. Ouzi Benziman TURQUIE Les Turcs ont aussi inventé le pantalon Tollé contre la Bulgarie et la Grèce, qui réclament effrontément la paternité du yaourt ou du loukoum. Un billet qui revient avec humour sur quelques disputes diplomatico-économiques avec l’Europe. ’Europe n’arrête pas de nous embêter. A peine terminée la crise avec la France à cause du projet de loi sur le génocide arménien, nous voici plongés dans une nouvelle crise, cette fois avec la Grèce, et à cause du… baklava ! La situation est gravissime. Même s’il n’est pas complètement sûr qu’elle débouche sur une guerre, elle risque d’altérer profondément nos relations avec ce pays. Les Grecs sont d’ailleurs des récidivistes. Ils avaient déjà piqué notre produit national millénaire, le loukoum, pour s’en vanter devant le monde entier comme étant leur propre invention. Ils se préparent main- L tenant à faire la même chose avec notre baklava. Il ne faut pas les laisser faire. Il est vrai que nous n’avons guère de découvertes scientifiques ou techniques à notre actif. Il est vrai que nous n’avons pas eu non plus de grands philosophes dont les idées aient bouleversé le monde. Mais nous avons tout de même contribué au bonheur de l’humanité grâce à quelques petites inventions : le baklava, le loukoum, le yaour t et le pastrami. Les Bulgares et les Grecs nous ont jadis porté des coups très durs en s’appropriant, les premiers notre yaourt, les seconds notre loukoum. A présent, ils vont encore plus loin et exigent que le Parlement français promulgue une loi sur l’appellation d’origine de ces produits. Que ferons-nous si les députés français confirment par leur vote l’identité usurpée de nos produits et prévoient une peine de prison pour ceux qui diraient le contraire ? Bonjour l’angoisse ! “Les Turcs n’ont inventé que des trucs qui se mangent”, ricanent certains, “ils ne pensent qu’à leur panse.” Ignoble calomnie ! Et le pantalon, alors ? Lui aussi a été inventé par nos ancêtres : il était bien plus facile de monter à cheval en pantalon. Dans ce domaine, nous avons heureusement un grand expert : Necmettin Erbakan [leader du Parti islamiste Refah, au pouvoir de 1995 à 1998]. A un moment donné, il était obsédé par le zéro. “La civilisation repose sur le zéro, aimaitil répéter. Or ce sont les musulmans qui l’ont découvert. Les progrès qui ont suivi doivent beaucoup à cette découverte. Maintenant, il est temps de nous récompenser. Si nous percevions un centime sur chaque zéro utilisé par les autres peuples, le monde musulman serait fabuleusement riche.” COURRIER INTERNATIONAL N° 816 28 DU 22 AU 28 JUIN 2006 L’idée est séduisante. Mais le zéro n’est pas une découverte arabe : il nous est venu de l’Inde. Si, en tant que musulmans, nous ne pouvons réclamer des droits sur l’utilisation du zéro, nous pourrions tout de même nous inspirer de l’idée géniale d’Erbakan et taxer tous les hommes qui, de par le monde, portent le pantalon ! Tant pis pour celui qui ne pourra pas payer : il lui faudra sur-lechamp se promener tout nu ! Reste toutefois un point à régler : comment prouver que le pantalon a été inventé et porté pour la première fois par les Turcs ? Rien de plus simple : il suffit de prier le Parlement français de bien vouloir statuer là-dessus et de faire une loi qui dirait quelque chose comme : “Le pantalon est une invention turque, et quiconque refusera de reconnaître ce fait historique sera passible de prison.” Türker Alkan, Radikal, Istanbul 816 p.28-29 SA 20/06/06 15:58 Page 29 m oye n - o r i e n t IRAN La troublante beauté du Prophète Contrairement à l’islam sunnite, le chiisme iranien accepte la représentation des prophètes. Deux ethnologues suisses ont trouvé la photo “coloniale” qui a inspiré l’affiche représentant Mahomet. ISIM (extraits) Leiden e chiisme iranien a une tradition très vivante de représentation des membres de la famille du Prophète, ainsi que du prophète Mahomet lui-même. Depuis la fin des années 1990, on trouve couramment en Iran des posters qui montrent le Prophète sous les traits d’un beau jeune homme coiffé d’un turban, la tunique dévoilant une épaule, l’air langoureux. Ces images pieuses sont imprimées en Iran par des procédés modernes, qui permettent des variations sans fin par l’utilisation de peintures, de photos ou de dessins, ou encore en mélangeant les techniques. Toutefois, la représentation reste traditionnelle : le fond est d’une couleur unie et les couleurs sont juxtaposées. Par leurs traits, leurs postures, leurs attributs stéréotypés – l’épée à deux pointes d’Ali, par exemple –, les figures vénérées sont reconnaissables au premier coup d’œil. Mais le portrait qui nous intéresse ici est très différent des précédentes images : il montre un adolescent très séduisant, au regard tendre et au visage délicat, évoquant le maniérisme de la Renaissance tardive, en particulier les adolescents peints par le Caravage, tels le Jeune garçon à la corbeille de fruits (Rome, galerie Borghèse) ou le Saint Jean-Baptiste (musée du Capitole) : même douceur veloutée des joues, même bouche entrouverte, même regard caressant. Bien qu’il y ait plusieurs variantes de ce même portrait, c’est toujours le même visage jeune qui est représenté, avec généralement l’inscription “Mahomet, messager d’Allah”. En 2004, tout à fait par hasard, nous avons retrouvé l’origine de l’affiche iranienne en visitant à Paris une exposition consacrée aux photographes Lehnert & Landrock. Il s’agissait d’une photo prise par Lehnert à Tunis, sans doute entre 1904 et 1906, avant d’être imprimée et diffusée sous forme de carte postale au début des années 1920. Ayant séjourné en Tunisie l’année précédente, Lehnert avait été sensible au charme de ses paysages et de ses habitants. Originaire de Bohême, Rudolf Franz Lehnert (18781948) s’est associé avec un Allemand, Ernst Heinrich Landrock (18781966). Les deux hommes se sont installés à Tunis en 1904, le premier comme photographe, le second comme directeur et éditeur. La société (L & L) devait se spécialiser dans les vues pittoresques de Tunis, puis du Caire et d’Egypte, après la Première Guerre mondiale, et dans des scènes correspondant à une esthétique exotico-coloniale. Les photos de Lehnert donnent à voir non seulement le désert, les dunes onduleuses, les marchés pittoresques et le vieux Tunis, mais aussi des garçons et des filles, pubères et pré- Pierre Centlivres et Micheline Centlivres-Demont L Portrait de jeune homme par Lehnert (Tunisie 1905) et sa réplique iranienne, présentée comme le portrait de Mahomet (Téhéran 1998). pubères, à demi nus, posant dans le “décor oriental” du vieux palais tunisien où habitait Lehnert. Ces garçons et ces filles ont l’aspect gracieux d’un âge qui hésite entre l’enfance et l’adolescence, entre le féminin et le masculin. Les portraits de Lehnert répondaient aux goûts d’une clientèle européenne sensible aux fantasmes et aux séductions de l’Orient. UN PORTRAIT AMBIGU ET COLONIAL INTITULÉ “MOHAMED” La parution en 1902 de L’Immoraliste d’André Gide est plus qu’une coïncidence. Si Lehnert a joué sur le registre de l’exotisme et de ses fantasmes, il l’a fait avec grand talent. La plupart des cartes postales ont été publiées en Allemagne à partir de 1920 et diffusées depuis Le Caire. A n’en pas douter, la carte postale sépia, numéro 106 suivant la numérotation de L & L, a servi de modèle aux posters iraniens. Des traces de sépia sont encore visibles sur certaines de ces affiches. En outre, la carte postale numéro 106 est la seule à être intitulée “Mohamed”, ce qui est certainement l’une des raisons pour lesquelles elle a été choisie comme prototype des portraits iraniens. De toute évidence, les différentes variantes des posters iraniens viennent toutes de la seule carte numéro 106 ; elles en sont toutes manifestement la reproduction, les premières éditions ressemblant davantage à la carte postale que les suivantes. Bien malgré lui, Lehnert est à l’origine d’une sorte de mystification, fondée sur l’utilisation par les éditeurs iraniens d’un portrait ambigu et colonial à qui l’on avait donné le nom de Mohamed. La question de la correspondance entre les descriptions traditionnelles du Prophète, les traditions écrites ou orales et l’image du jeune Tunisien reste ouverte. Cette carte postale présente le portrait d’un adolescent souriant, aux lèvres entrouvertes, la tête enturbannée et une fleur de jasmin sur l’oreille. Le même jeune garçon apparaît sur d’autres cartes postales en couleur ou sépia, dans des poses légèrement différentes et sous d’autres noms ou appellations :Ahmed, Jeune Arabe, Jeune Arabe nomade… Nous n’avons pas su retrouver le chemin qui mène de la carte postale imprimée dans les années 1920 aux affiches publiées à Téhéran et à Qom depuis le début des années 1990. Mais nous nous sommes demandé à partir de quel élément, ou de quelle idée, les éditeurs iraniens avaient pu conclure à une identité partagée entre le jeune Prophète et l’image de l’adolescent tunisien. Les versions iraniennes actuelles, retouchées, gardent quelque chose du charme de l’adolescent, mais adoucissent son expression excessivement sensuelle, tout en essayant de concilier le caractère sacré du Prophète et la troublante beauté du jeune homme. L’épaule gauche est légèrement recouverte par un drapé ; la bouche et le regard ont été modifiés. Sur plusieurs affiches, les fleurs de l’oreille se fondent dans les plis du turban. A bien des égards, les artistes iraniens ont tendance à effacer les aspects féminins de la photographie de Lehnert ou ce qui donne au jeune homme un caractère trop sensuel. La légende de l’affiche précise : “Portrait béni de Mahomet le Vénéré, à l’âge de 18 ans, pendant son voyage de La Mecque à Damas, alors qu’il accompagnait son oncle vénéré au cours d’une expédition commerciale. Portrait dû au pinceau d’un prêtre chrétien.” Pierre Centlivres et Micheline Centlivres-Demont BAHREÏN “Faites donc taire ce muezzin qui hurle !” l y a des imams qui sont tellement convaincus d’avoir une belle voix qu’ils croient qu’ils doivent en faire profiter tout le monde. C’est contre ceux-là que se bat l’éminent Jassem Mourad [homme politique bahreïnien], dans une guerre non déclarée. Une guerre sans armes contre ses ennemis, qui semblent agir selon la devise : “Avant que vous ne mouriez, nous allons vous rendre la vie impossible”, et le défient en augmentant chaque jour un peu plus le volume de leurs haut-parleurs. Il y a vingt-cinq ans, raconte-t-il, il avait quitté la ville pour trouver un peu de calme. Il avait acheté un terrain dans un coin tranquille en se disant que personne n’aurait l’idée d’y construire quoi que ce soit. Il était convaincu I qu’il allait enfin pouvoir dormir sur ses deux oreilles et trouver la sérénité. Or les environs ont été rapidement envahis par des maisons, des commerces et des édifices divers, de telle sorte que sa maison est aujourd’hui coincée entre une mosquée sunnite à droite et une autre, chiite, à gauche. A peine terminé le sermon de la première, celui de la seconde prend la relève. Heureusement que Jassem Mourad n’habite pas en Irak ! Là-bas, des milices sunnites tuent des imams chiites et vice versa. Mourad y aurait probablement innové en créant une milice “confessionnellement” neutre, qui se serait fixé comme règle l’égalitarisme parfait pour s’en prendre à tous les imams et muezzins quels qu’ils soient. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 29 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Je me rappelle un de mes neveux qui avait fait ses études en Arabie Saoudite avant d’être nommé imam d’une mosquée dans le quartier de Jassem Mourad. Il avait une voix cristalline qui, à grand renfort de haut-parleurs, faisait trembler tout le quartier. Mourad m’avait chargé de lui dire qu’il allait porter l’affaire devant les juges. Dieu avait été clément parce que, peu de temps après, mon neveu avait obtenu une bourse pour faire des études d’informatique en Europe ; à son retour, ne voulant plus être imam, il s’était laissé pousser les cheveux et s’était fait faire des tresses, avec lesquelles il ressemblait à un chanteur Abdallah Al-Abbassi, de reggae. Al-Watan, Manama 20/06/06 13:38 Page 30 afrique ● OUGANDA Visite au rebelle le plus recherché d’Afrique Caché dans la brousse depuis plusieurs décennies, Joseph Kony, le chef de l’Armée de résistance du Seigneur, a accepté pour la première fois de rencontrer un groupe de journalistes. Reportage. NRC HANDELSBLAD Rotterdam e chef rebelle le plus recherché d’Afrique lance un regard craintif autour de lui. Dans les yeux de ses combattants se lit un certain hébétement. “Nous qui sommes de l’Armée de résistance du Seigneur, nous souhaitons la paix”, assure le rebelle ougandais Joseph Kony, “mais nous voulons d’abord une protection. Je veux pouvoir me déplacer partout librement.” Vincent Otti, numéro deux de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), rapproche de Kony sa chaise de jardin en plastique pour lui parler à l’oreille. “Si le président Museveni souhaite vraiment mettre fin à la guerre, demande Kony, pourquoi arrête-t-il mes partisans qui tentent de me rejoindre pour participer à la délégation de paix ?” Nous sommes le 14 juin, quelque part dans la forêt vierge étouffante à la frontière qui sépare le sud du Soudan et la république démocratique du Congo. Riëk Machar Teny, vice-président du gouvernement semi-autonome du Sud-Soudan, est venu rendre visite aux chefs du mouvement rebelle le plus tristement célèbre du continent, en vue d’engager des pourparlers de paix. Ces discussions sont censées mettre fin à la guerre civile qui sévit depuis près de vingt ans dans le nord de l’Ouganda, guerre qui s’est étendue au sud du Soudan et à la RDC. La LRA fait partie des mouvements les plus violents de l’histoire récente de l’Afrique. L’an dernier, la Cour pénale internationale de La Haye a lancé contre les cinq principaux dirigeants de la LRA des mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Pendant vingt ans, Kony est resté invisible. Nous sommes les premiers journalistes à le rencontrer. “La propagande de Museveni, qui affirme vouloir négocier avec nous, est mensongère, éclate Kony. La LRA cherche la paix, mais Museveni veut toujours la guerre.” Il se tourne vers le vice-président du Sud-Soudan, Riëk Machar : “J’attends votre initiative pour engager les pourparlers de paix.” Vincent Otti, stratège militaire de la LRA, prend la parole. “Nous voulons rassembler ici (dans le parc congolais de la Garamba, à dix heures de marche vers le sud) nos troupes dispersées dans le nord de l’Ouganda et le sud du Soudan. Pouvez-vous nous assurer une escorte ?” La réponse de Riëk ne se fait pas attendre : “Je ne peux certainement pas fournir d’escorte. Pour mon gouvernement, ce serait renoncer à son rôle neutre de médiateur.” Kony et Otti font une mine déconfite, mais ne protestent pas. Des partisans de la LRA qui font partie de la diaspora sont venus avec Riëk. Ils n’avaient encore jamais vu L Dessin de Sergueï Pervouchine paru dans les Izvestia, Moscou. leur chef. “Pouvez-vous faire pression sur le président Museveni pour obtenir un cessez-le-feu ? Cela permettrait aux membres de notre future délégation, qui est actuellement dans la brousse ougandaise, de venir ici en toute sécurité”, tente l’un d’eux. Là encore, la réponse de Riëk est immédiate : “On ne peut discuter d’une trêve qu’autour de la table de négociation. Je veux avoir dès à présent la liste des membres de votre délégation. Le gouvernement ougandais est d’accord pour les pourparlers de paix, maintenant la balle est dans votre camp.” Kony et Otti échangent des propos à voix basse, chacun de leurs mouvements est attentivement suivi par leurs partisans. “Pouvez-vous nous accorder un Négociations Le président Yoweri Museveni a approuvé le 15 juin l’initiative des autorités du sud du Soudan, qui ont engagé des discussions avec la rébellion de l’Armée de résistance du seigneur (LRA). Zones où sévit la LRA Juba SOUDAN Région autonome du “SUD-SOUDAN” Parc national de la Garamba R É P. DÉM. DU CONGO Administré par le Kenya 300 km Gulu Lira Nil Lac Albert OUGANDA Kampala 0 Lac Kyoga KENYA Equateur Lac Edouard Courrier international 816 p.30 Lac Victoria RWANDA TANZANIE COURRIER INTERNATIONAL N° 816 30 jour de plus pour que nous en discutions entre nous ?” demande Otti. “OK, répond Riëk. Nous reviendrons ici demain, à 10 heures précises. Vous aurez alors établi la liste définitive des participants à la délégation.” Kony s’en va. Quelques combattants de la LRA scrutent nerveusement la végétation de la jungle toute proche, au cas où des ennemis s’y tiendraient cachés. Ils sont tous jeunes, certains n’ont sûrement pas 12 ans. Leurs visages encadrés de dreadlocks ont une expression indéfinissable. Leurs yeux vagues semblent témoigner de la consommation de drogue, comme c’était le cas, il y a quelques années, de leurs collègues de Sierra Leone et du Liberia. Pourtant, ce n’est pas la drogue qui les soulage de la douleur d’avoir assassiné des civils en Ouganda et au Soudan – mais la religion : les chefs de la LRA obligent leurs combattants à lire et relire la Bible. Joseph Kony a jadis été catéchiste et est resté mystique. Son pouvoir spirituel exerce sur ses combattants une influence implacable. Les enfants-soldats qui ont réussi à s’échapper disent de lui qu’il est possédé par des esprits et qu’il parle au nom de Dieu. Terrifiés, des civils ougandais m’ont recommandé de ne pas regarder le chef de la LRA droit dans les yeux. “IL N’EST PAS QUESTION D’AMNISTIE POUR JOSEPH KONY” Le comportement de ses combattants a provoqué de profonds traumatismes. Pendant la guerre, la LRA a enlevé des milliers d’enfants, les a obligés à tuer leurs parents et leurs amis pour les endurcir, et les a soumis à un lavage de cerveau à base d’oracles de Kony. Lors de leurs pillages dans le nord de l’Ouganda, les enfants-soldats coupent les lèvres des femmes et incendient les villages. Dans le nord de l’Ouganda, de 1,5 million à 2 millions de civils sont venus se réfugier dans des camps pour fuir cette terreur. L’opposition traditionnelle entre le sud et le nord de l’Ouganda constitue le terreau de la rébellion de la LRA. Mais, au lieu de chercher à gagner la sympathie de la population du Nord, Kony a pris les habitants en otages. Le lendemain matin, Riëk et sa délégation se présentent à l’heure et à l’endroit convenus. Le vice-président s’installe confortablement en tailleur sous un arbre immense. Pas la moindre trace de la délégation de la LRA. Après une discussion animée par téléphone cellulaire, les combattants de la LRA surgissent soudain des broussailles. Riëk demande poliment qu’un grand échalas armé d’un lanceroquettes reste à une certaine distance. Otti présente ses excuses : “Désolé, notre chef a mal au ventre. Il ne peut pas venir aujourd’hui.” DU 22 AU 28 JUIN 2006 Il s’avère que la liste des négociateurs de la LRA n’a toujours pas été dressée. “Donnez-nous encore trois heures”, dit Otti. Une femme qui fait partie de la délégation gouvernementale soudanaise de Riëk veut d’abord qu’Otti lui explique pourquoi ses combattants ont enlevé, ces derniers mois, cinq jeunes filles soudanaises et un garçon. “Libérez les jeunes filles, plaide-t-elle. Vos combattants les ont prises pour femmes. Et pourquoi continuez-vous les pillages ? Lors de notre dernière rencontre, nous vous avons pourtant donné de l’argent [20 000 dollars] pour acheter de quoi manger !” Otti secoue violemment la tête à propos des enlèvements, mais reconnaît que ses combattants “ont eu des problèmes” quand ils ont voulu acheter de la nourriture dans le SudSoudan. “L’argent que vous nous avez donné n’est pas suffisant. Les habitants demandent 50 dollars pour une chèvre, c’est bien trop cher.” Une longue discussion s’ensuit, au cours de laquelle Otti montre qu’il connaît parfaitement les prix locaux des pommes de terre et du manioc. Le gouvernement du Sud-Soudan enverra dans les prochains jours trois camions de vivres aux soldats de la LRA. Otti a demandé de quoi nourrir 3 000 hommes. Otti veut parler à Riëk seul à seul. Ils s’isolent dans les broussailles. Le deuxième homme le plus puissant de la LRA lui fait part de ses craintes d’être arrêté par la CPI. Riëk ne peut rien promettre : la semaine précédente, des membres du Conseil de sécurité des Nations unies l’ont prévenu lors d’une visite dans la capitale du Sud-Soudan, Juba : “Il n’est pas question d’une amnistie pour Kony et Otti.” Trois heures plus tard, Riëk est revenu s’asseoir sur un tronc de bambou à l’endroit convenu. Une fois de plus, pas la moindre trace de la LRA. Jusqu’à ce que des membres de la LRA venus de Londres et de Nairobi fassent leur apparition. “Cela ne me vaut rien de dormir dans cette jungle”, se plaint l’un d’eux. Il a sur lui la liste des quatorze membres de la délégation, écrite sur une feuille sale déchirée d’un cahier de classe et signée par Kony et Otti. Deux des membres de la délégation sont de proches collaborateurs de Kony, tandis que les autres viennent de l’étranger. Kony (qui est recherché par la CPI), Otti ainsi que trois autres “généraux” haut placés de la LRA ne font pas partie de la liste. Sous l’égide de la branche néerlandaise de Pax Christi, les pourparlers de paix vont s’engager. Riëk souhaite que les négociations entre la LRA et le gouvernement ougandais commencent la semaine suivante à Juba, la capitale du Sud-Soudan. Koert Lindijer 816 p.31 20/06/06 13:40 Page 31 afrique LIBERIA Une présidente qui protège les femmes Depuis son élection, en novembre 2005, Ellen Johnson-Sirleaf a fait de la défense du sexe faible l’une de ses priorités. Dans un pays où les seigneurs de la guerre pratiquaient l’esclavage sexuel, la tâche est immense. MAIL & GUARDIAN Johannesburg e visage dégoulinant de s u e u r , Pa t r i c i a C l a r k harangue une foule de centaines de Libériens, hurlant dans le mégaphone : “Selon la loi, si vous avez des relations sexuelles avec une femme sans son consentement,c’est un viol. Vous en aurez pour dix années de prison. Si vous violez un enfant, vous écopez de la perpétuité. Si vous décédez derrière les barreaux, on vous enchaînera dans votre tombe.” L’avocate coince le porte-voix sous son bras et, de l’autre, elle brandit un journal annonçant la première peine de prison à vie infligée à un homme qui avait violé un enfant. L’assistance manifeste bruyamment sa joie. Nous sommes à Westpoint, l’un des quartiers les plus pauvres de Monrovia, la capitale du Liberia ravagée par la guerre. Les mouches grouillent autour du poisson qui sèche au soleil ; les étroites ruelles entre les cabanes au toit de tôle charrient les eaux usées qui se mêlent aux pluies torrentielles de l’Afrique de l’Ouest. Le Liberia est privé d’eau courante et d’électricité depuis plus de quinze ans, mais, dans L ■ Procès Le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, le 16 juin, le transfert à La Haye du procès pour crimes de guerre de l’ex-président libérien Charles Taylor. Il sera jugé aux Pays-Bas par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Taylor a dirigé le Liberia de 1997 à 2003. Il porte une très lourde responsabilité dans la guerre civile qui a ensanglanté la Sierra Leone et le Liberia. les quartiers riches, les générateurs ont commencé à éclairer les maisons particulières, qui, vues du ciel, ressemblent à des essaims de lucioles. Mais, à Westpoint, violeurs et assassins rôdent dans le sombre labyrinthe des rues dès la nuit tombée. Même la police a peur de s’y aventurer. DES COMBATTANTS SURNOMMÉS “GÉNERAL BAISE-MOI VITE” Le viol fin mai d’une handicapée mentale de 14 ans a fini par faire basculer la situation. Des mères de famille ont investi les bureaux de l’Association des avocates du Liberia, un groupe de pression qui a rédigé un récent texte de loi visant à durcir les peines à l’encontre des violeurs et, pour la première fois, à faire du viol en réunion ou d’un enfant de moins de 18 ans un délit à part entière. Bien que le coupable ait versé 150 dollars à la famille de l’adolescente pour acheter son silence, les voisins ont demandé aux avocates comme Mme Clark de prendre le dossier en main et de venir dans leurs quartiers expliquer la nouvelle loi aux habitants. L’affaire illustre la nouvelle mobilisation sur le sujet à travers le pays. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 31 “Les femmes du Liberia résistent. Nous nous battons contre ceux qui veulent nous faire du mal”, martèle fièrement Patience Blah, 36 ans, qui vend de l’eau sur le bord de la route. A l’instar de 40 % des femmes de son pays, elle a été agressée au cours de la longue guerre civile de quatorze ans qui a pris fin en 2003. Mais, avec l’élection d’Ellen Johnson-Sirleaf [qui a remporté la présidentielle en novembre 2005, devançant largement au second tour l’ex-footballeur George Weah], la première femme chef d’Etat en Afrique, elle a maintenant confiance. En janvier, dans son discours d’investiture, Mme Johnson-Sirleaf a tenu à rappeler la tentative de viol dont elle avait été elle-même victime en prison, afin de laver l’opprobre jeté sur les victimes. “Je suis une femme présidente et je veux dire sans aucune ambiguïté que la loi sur le viol votée l’année dernière sera strictement appliquée.” Et le message est entendu par tous. Mais la bataille sera rude. Les forces de police ne disposent que de 10 véhicules – et encore, ils ne sont pas tous en état de marche. Il reste plus de 100 000 anciens combattants dans le pays, sous la coupe d’adolescents toxi- DU 22 AU 28 JUIN 2006 comanes qui portent des surnoms comme “Général Baise-moi vite”. Les tribunaux sont engorgés et les prisons surpeuplées. Le pays a toutefois enregistré quelques succès. Mme Johnson-Sirleaf se félicite notamment de la mise en place d’une gestion financière rigoureuse, afin de combattre le mauvais usage des ressources et de mieux les allouer, et pour réduire la corruption. Le budget de l’Etat reflète les progrès réalisés. Ainsi, les recettes publiques ont augmenté de plus de 30 % dans les mois qui ont suivi son arrivée au pouvoir, ce qui a permis, par exemple, de réparer les routes défoncées et de déblayer les montagnes d’ordures qui encombraient les chaussées. Une nouvelle Cour suprême est entrée en fonctions, avec à sa tête une femme. La police voit arriver des centaines de recrues. Plus important encore pour ce pays financièrement aux abois, maintenu sous perfusion par le Fonds des Nations unies pour la population, dans les affaires de viol, l’Etat engage les poursuites en prenant à sa charge les frais judiciaires, et les femmes n’ont rien à payer. Katharine Houreld une famille32-33 20/06/06 16:01 Page 32 Raphael Demaret/ REA e n c o u ve r t u re ● Initiation au milieu aquatique en famille, Créteil, 2006. Vers une révolution conservatrice LA FAMILLE REVIENT ! La dénatalité touche peu ou prou tous les pays riches. En 2050, selon les prévisions de l’ONU, l’Europe aura perdu 10 % de sa population. ■ La tendance est particulièrement marquée en Allemagne, ce qui encourage la publication de livres et d’articles vantant les vertus de la famille. ■ Quant au démographe américain Phillip Longman, il prédit un retour en force de la famille patriarcale. Car l’Histoire, dit-il, montre que c’est le mode d’organisation permettant de produire le plus d’enfants. Repeuplons l’Europe, disent-ils Au cours de ce siècle, notre continent sera le seul à enregistrer une baisse démographique spectaculaire et irréversible. Le démographe allemand Herwig Birg tire la sonnette d’alarme. L’ESPRESSO ardus, aux titres peu engageants, mais qui sont pourtant devenus des best-sellers en Allemagne, comme Die demographische Zeitenwende (2001) [Le tournant démographique] ou, plus récemment, Die ausgefallene Generation (2005) [La génération qui a sauté]. Dans ses écrits, Birg affirme que le XXIe siècle se caractérisera par une “révolution démographique sans précédent pour le Rome L’EUROPE EN RECUL A Famille française modèle, version 1966. Panneau destiné à être affiché dans les salles de classe. La population mondiale par régions Population (en millions) Variation 2005 2050 (de 2005 à 2050) EUROPE (y compris Russie) 728 653 – 10 % AFRIQUE 906 1 937 + 114 % 3 905 5 217 + 34 % OCÉANIE 33 48 + 45 % AMÉRIQUE DU NORD 331 438 + 32 % AMÉRIQUE LATINE et CARAÏBES 561 783 + 40 % ASIE COURRIER INTERNATIONAL N° 816 32 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Source : Perspectives démographiques mondiales (Nations unies, 2005) près des décennies d’économie et de sociologie, avec la psychanalyse en garniture, c’est maintenant aux démographes de révéler les destins et d’émettre des hypothèses sur l’avenir du monde. “Si notre discipline resurgit précisément en Allemagne, ce n’est pas un hasard puisqu’elle est née précisément ici, après la catastrophe de la guerre de Trente Ans”, explique Herwig Birg. La guerre de Trente Ans, qui s’acheva en 1648 par les traités de Westphalie, fut un conflit féroce qui provoqua dans toutes les classes sociales un nombre de victimes sans précédent. Des régions entières furent dépeuplées. Les Allemands (l’Allemagne fut le théâtre principal du conflit) se posèrent alors le problème des flux démographiques. Birg, le plus grand théoricien contemporain de cette discipline, est directeur de l’Institut de recherches démographiques de Bielefeld et auteur de livres genre humain”. Le professeur n’est pas du genre à lancer des jugements apocalyptiques à tort et à travers : chacune de ses affirmations est étayée par des données mathématiques et des variations statistiques. Quand il parle de “révolution du facteur D” – le facteur démographique –, il entend par là quelque chose de très concret : au cours de ce siècle à peine commencé, l’Europe sera le seul continent à enregistrer une baisse démographique non seulement spectaculaire, mais irréversible [voir tableau ci-contre]. Voici les chiffres, égrenés avec un grand souci de la précision : en 1950, la population européenne constituait environ 25 % de la population mondiale ; aujourd’hui, cette part est tombée à 11 % ; et elle ne sera plus que de 7 % en 2050. Les Européens partageront leur maigre destin avec les autres pays industrialisés – à l’exception des Etats-Unis, qui continueront à accroître leur population –, des pays qui, selon les prévisions du professeur allemand, “sont appelés à se transformer d’ici à la fin de ce siècle en nains démographiques”. Une prophétie de Nostradamus ? En réalité, et c’est ce que le nouveau boom de la démographie a de fascinant, les prévisions sur le déclin démographique de l’Europe s’appuient sur des données statistiques irréfutables : les taux de natalité et de fécondité enregistrés depuis des années dans les divers pays du continent. Ainsi, en une famille32-33 20/06/06 16:01 Page 33 Coll. Rossignol/ Kharbine-Tapador ■ Politiques familiales 2003, les Italiennes et les Espagnoles détenaient le record du taux de fécondité le plus faible, avec 1,2 enfant chacune en moyenne. Suivaient les Allemandes, avec un taux de 1,3, et les Britanniques et les Néerlandaises, avec une moyenne de 1,7 enfant. Herwig Birg explique aussi que, parmi les femmes des pays riches, seules les Américaines ont maintenu ce niveau de reproduction que les démographes appellent “l’idéal mathématique”, la moyenne des naissances qui garantit (sans apport d’immigrés) la stabilité démographique d’un pays. EN ALLEMAGNE, PLUS DU TIERS DES MÉNAGES SONT SANS ENFANTS “La tendance négative n’est pas une nouveauté absolue en Europe, explique le démographe. C’est depuis des décennies que nous avons pris le chemin de la catastrophe.” Et il ajoute (voilà la raison de sa popularité en Allemagne) : “L’Allemagne est le pays qui, plus que tous les autres, s’est engagé dans cette voie sans issue.” C’est une analyse intéressante parce qu’elle remet en question quelques paradigmes des sciences économiques et sociales jamais contestés jusqu’ici.Voici les chiffres : en Allemagne, pays qui était autrefois la locomotive du développement de l’Europe, la baisse démographique a commencé en 1972 à l’Ouest et dès 1969 à l’Est – bien avant les autres pays du continent. Les Allemands détiennent aussi un autre record du monde : le plus fort pourcentage de ménages sans enfants (plus d’un tiers par génération). En 2005, à peine 700 000 enfants sont nés en Allemagne : c’est le taux le plus bas jamais enregistré dans l’his- TOUJOURS MOINS D’ENFANTS Indicateur de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme) 1970 2002 2,02* 1,46 ALLEMAGNE 2,03 1,31 ESPAGNE 2,88 1,26 FRANCE 2,47 1,88 IRLANDE 3,85 1,97 ITALIE 2,43 1,26 POLOGNE 2,26 1,24 RÉP. TCHÈQUE 1,90 1,17 ROYAUME-UNI 2,43 1,64 RUSSIE 2,00 1,32 ÉTATS-UNIS 2,43 2,01 JAPON 2,13 1,33** Moyenne UE 25 * Chiffre de 1975. ** Chiffre de 2001. toire démographique du pays. A quoi est due cette érosion continue des naissances ? Selon Herwig Birg, “des historiens et des sociologues nous racontent depuis des années que la chute de la natalité vient de l’invention de la pilule et de la diffusion de la contraception”. Mais ni la pilule ni les tendances culturelles qui font primer l’hédonisme sur la fonction reproductive de la sexualité ne semblent des explications suffisantes du phéno- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 33 Plus de la moitié des Européens souhaitent avoir au minimum deux enfants, mais beaucoup d’entre eux en ont moins en raison du coût que cela suppose et parce qu’ils ont des craintes pour l’avenir. C’est ce qui ressort d’un rapport sur le comportement reproductif des Européens publié en février dernier et réalisé avec le soutien financier de la Commission européenne. L’étude, menée auprès de 30 000 personnes dans 14 pays, montre que les Européens n’ont pas tous les mêmes attentes concernant la politique familiale. “En Europe occidentale, lit-on dans le rapport, les personnes interrogées se montrent plus favorables à des mesures combinant aide financière et aménagement du temps de travail, tandis qu’en Europe centrale et orientale on préfère concilier emploi à temps plein et vie familiale.” Et, dans certains pays (Allemagne et Pays-Bas), “la proportion de personnes ne désirant pas d’enfants est telle qu’on peut douter des effets d’une éventuelle politique de la famille sur la natalité”. DU 22 AU 28 JUIN 2006 mène. “Je me suis posé la question suivante : comment se fait-il que l’Allemagne, qui a inventé le système de protection sociale au XIXe siècle et où les parents reçoivent des allocations importantes pour chaque enfant,soit la nation la moins prolifique d’Europe ?” Voici la réponse : “Cela confirme une des lois fondamentales de notre discipline, que nous appelons le ‘paradoxe économico-démographique’.” Le paradoxe, selon Birg, est le suivant : “Plus la vie d’une société riche est confortable, plus on a de sécurité et de garanties pour l’avenir, moins les individus optent pour des choix qui les engagent sur le long terme, tels que mettre des enfants au monde.” C’EST LA COHÉSION SOCIALE QUI VA ENTRER EN CRISE Mais revenons aux statistiques. Selon les calculs du Pr Birg, l’Allemagne aura en 2050 une population de près de 60 millions de personnes, soit 20 millions de moins qu’aujourd’hui. Les Italiens passeront de 56 à 37 millions. Et, en 2100, les Allemands ne seront plus que 32 millions, les Italiens 15 millions et les Espagnols 11 millions. Mais, si Birg et les experts parlent d’une “révolution démographique”, c’est parce que la bombe à retardement enclenchée avec la baisse de la natalité explosera et inversa la pyramide des âges : c’est ce phénomène de vieillissement progressif que l’on peut déjà constater à l’œil nu dans les sociétés européennes. Si la baisse de la natalité peut être compensée en partie par les nouveau-nés des nouveaux, et inévitables, flux migratoires, “il n’est plus possible de freiner le processus de vieillissement des sociétés européennes dans les cinquante prochaines années”, explique le démographe. En revanche, les conséquences en chaîne que le “facteur D” provoquera en l’espace de quelques décennies sont moins évidentes. “Les couples feront toujours des enfants”, assurait dans les années 1950 le chancelier allemand Konrad Adenauer. Il ne se doutait pas qu’un demisiècle plus tard l’effet combiné de la chute de la natalité et du prolongement de la vie pourrait faire voler en éclats le système de protection sociale. Et il n’y a pas que les mécanismes économiques et productifs qui se heurtent au facteur D. “C’est la cohésion sociale et le tissu géopolitique des pays européens qui vont entrer en crise”, avertit le Pr Birg, qui voit se profiler à l’horizon des fractures de plus en plus nettes entre des régions démographiquement de plus en plus pauvres et des métropoles de plus en plus peuplées. Ce n’est pas de la politique-fiction, mais une réalité de toutes les métropoles, de Berlin à Londres en passant par Paris, où commencent à se faire sentir des conflits politiques et culturels entre les populations autochtones vieillissantes et les jeunes issus des diverses vagues migratoires. Pour le démographe, cela ne fait aucun doute. “Dans quelques années, les étrangers constitueront, dans la tranche d’âge des plus jeunes, c’est-à-dire au-dessous de 40 ans, la majorité absolue dans les métropoles européennes.” Cette prévision équivaut à l’un des défis les plus difficiles de l’avenir : celui d’une politique d’intégration adéquate en vue d’éviter l’éclatement des villes en des myriades de ghettos ou de sociétés parallèles. Mais, à ce stade, avoue Herwig Birg, les démographes ne suffisent pas : il faut aussi l’aide des sociologues. Stefano Bastano une famille34-35 20/06/06 16:03 Page 34 e n c o u ve r t u re Familles nombreuses, je vous aime Face à la baisse de la natalité, intellectuels et médias allemands s’enflamment soudainement pour vanter les vertus de la cellule familiale et la supériorité des mères dans la société. Une approche très controversée. FRANKFURTER RUNDSCHAU Francfort a famille est à la mode. C’est désormais au tour de Frank Schirrmacher, coéditeur du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung [proche des chrétiens-démocrates], d’en vanter les mérites dans son dernier livre, Minimum*. Qu’ils vivent ou non en famille, ils sont nombreux à vouloir défendre cette institution. Ces derniers temps, elle a quitté l’étagère poussiéreuse de la peinture de mœurs conservatrice pour devenir la clé d’un avenir meilleur. La coalition au pouvoir [droite-gauche, dirigée par Angela Merkel] en a fait le premier et le plus petit dénominateur commun de sa politique, et même les Verts, à qui l’on a toujours reproché de sacrifier la famille sur l’autel d’un postmatérialisme permissif, se sont entre-temps réconciliés avec l’idée du foyer et des enfants. Ce glissement officiel de la pensée n’a pas encore eu l’effet escompté, comme le prouvent les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique sur la courbe des naissances. Schirrmacher s’insurge contre ces données avec toute sa verve d’éditorialiste. Comme s’il voulait obliger la tendance à s’inverser sous ses yeux. Comparée à d’autres relations sociales, comme l’amitié, la famille est source d’un potentiel incomparable en termes de solidité des liens. C’est du moins l’une des affirmations de l’auteur. La famille est la seule cellule sociale dans laquelle on donne sans rien demander en contrepartie. C’est ce désintéressement que Schirrmacher décline sur plusieurs modes. Son exemple le plus marquant est celui de l’expédition des frères Donner, aux Etats-Unis. En 1846, piégés par la neige dans la sierra Nevada, un groupe de pionniers a dû hiverner et lutter pour sa survie dans la montagne pendant plusieurs mois. Pour Schirrmacher, le fait que plus la famille était soudée, mieux elle a survécu au froid, à la maladie, à la faim et à la haine est une preuve de la qualité inébranlable de cette structure sociale originelle. Le drame de l’expédition Donner est une parabole sur la supériorité de la famille. Schirrmacher établit un parallèle entre l’individualisme galopant de notre époque et le fait que les cowboys solitaires accompagnant le convoi ont moins bien résisté à cette épreuve. Au XXIe siècle, la cohorte des vachers solitaires s’est multipliée, mais le terrain, lui, est toujours aussi hostile. Plutôt qu’un manque de vivres, c’est aujourd’hui le déficit relationnel familial qui menace. Or ce sont ces relations familiales qui devraient pouvoir accueillir les personnes seules quand la protection sociale s’effrite. Quand les systèmes sociaux L ■ A la une “Chacun pour soi. Comment le manque d’enfants génère une société d’égoïstes”, titrait en mars dernier le magazine Der Spiegel, sur fond de famille désunie et d’enfant solitaire, triste et frustré. Dans le sillage de Frank Schirrmacher et de son livre Minimum, l’hebdo déplore les ravages du mouvement d’émancipation et de libéralisation des mœurs des années 1968-1970, qui a mené quelque 30 % des femmes de formation supérieure à ne pas procréer. “L’Allemagne, c’est MOI.” En mai, Der Spiegel revient sur la famille en détournant un slogan du Mondial de football pour l’appliquer à la ministre de la Famille du gouvernement Merkel. “Ursula von der Leyen part en croisade pour les enfants, l’Eglise et la carrière”, indique le magazine, résumant ainsi les grands points de sa politique : l’allocation parentale comme mesure d’incitation à la procréation, la défense de l’activité professionnelle des mères, et l’alliance passée avec les Eglises pour renforcer les valeurs chrétiennes dans l’éducation. et de retraite sont en panne, l’heure de la famille (ou de ce qu’il en reste) en tant que communauté de destin sonne de nouveau. Rien n’est plus fort que les liens du sang. Evoquant l’incendie d’un hôtel sur l’île de Man en 1973, Schirrmacher nous brosse le tableau de l’abnégation familiale qui, face au danger mortel, fait passer l’inquiétude pour les siens avant sa propre existence. (Que, dans ce cas précis, l’individualisme égoïste de certains célibataires leur ait conféré un avantage décisif ne doit pas venir troubler la démonstration.) Frank Schirrmacher travaille avec le pinceau grossier des certitudes anthropologiques, entre autres pour contrecarrer les déformations imputées à la famille au cours des dernières décennies au nom d’une sociologie et d’une psychologie critiques. D’où le ton acide qui rend la lecture de son ouvrage fort plaisante, mais démontre aussi que l’auteur peine à argumenter quand il serait bon d’indiquer une issue pour sortir du cercle vicieux de la baisse de la natalité et de la hausse des prestations sociales. Pour le sociologue Karl-Otto Hondrich, la faillite des politiques d’aide à la natalité en Europe est liée au fossé profond qui sépare la sphère politique de la sphère familiale. A cause de cette séparation, le couple, libéré du souci de sa survie par l’Etat-providence, pourrait se contenter de vivre sa relation amoureuse sans enfants. Cela ne suffit toutefois pas à expliquer de façon concluante pourquoi l’Allemagne est la lanterne rouge pour ce qui est du taux de natalité en Europe, très loin derrière la France ou la Suède, pays également dotés d’Etats-providence. Ces deux exemples montrent plutôt que le renforcement de la famille tient paradoxalement au développement des structures publiques d’accueil des enfants en bas âge. Cela suppose aussi une intervention accrue de la sphère publique dans la sphère privée, ce qui devrait donner un tour plus politique à cette dernière dans les années à venir. A cela s’oppose le modèle américain d’une famille qui, en raison du manque d’autorité et de soutien de l’Etat, est contrainte de ne compter que sur elle-même et dont les fondations reposent sur l’attachement aux valeurs. Un modèle qui plaît manifestement plus à Schirrmacher, car il est beaucoup plus proche de son idéal. Pour lui, la famille est grande, solidaire, autarcique et dure toute une vie. Or, aujourd’hui, un véritable gouffre sépare la famille allemande moyenne de cet idéal. Pour le surmonter et sortir de la spirale démographique descendante, Schirrmacher invoque le pouvoir bienfaisant de la nature féminine. A en croire la conclusion de l’éditorialiste, la crise annoncée favorisera le désir d’avoir des filles et placera les femmes au centre de la société grâce à leur capacité de travail et à leur compétence sociale supérieure. Une formulation osée qui, comme Schirrmacher lui-même le reconnaît, n’a guère de nécessité. Pourtant, “il y a des rôles que nous ne choisissons pas, mais qui nous choisissent”. Que dire de plus ? Dieter Rulff * Minimum. Vom Vergehen und Neuentstehen unserer Gemeinschaft, éd. Karl Blessing, 2006. LIVRES ■ “Un pays dépeuplé ? Le dilemme allemand”, titre dans son numéro de juin le mensuel littéraire Literaturen. Interloqué par la tournure du débat sur la baisse de la natalité, le magazine passe en revue les nombreux livres parus sur la famille et tente de décrypter les intérêts en jeu. Conclusion : l’absence des pères et les lacunes de la politique de la famille continuent de rendre difficilement compatibles vie professionnelle et vie familiale pour les femmes. Sauf dans les milieux aisés. DROITS Elle a bon dos, Derrière la campagne actuelle, la féministe allemande Alice Schwarzer voit se profiler le travail précaire – et un recul des droits des femmes. ui n’aimerait, sur tout en situation de détresse, être le mari ou l’enfant de ces héroïnes de la sierra Nevada que Frank Schirrmacher cite en modèle dans son livre Minimum ? Le problème est qu’au XXIe siècle, en Europe, les familles ne sont plus ces communautés de production qu’elles étaient pour les pionniers américains du XIXe siècle. Les familles, aujourd’hui, sont des espaces affectifs aux pieds branlants, car les femmes modernes Q COURRIER INTERNATIONAL N° 816 34 ne se marient plus par calcul – pour s’assurer une base matérielle de vie –, mais par amour. Et l’amour est un ciment bien moins solide que la faim. Cette évolution, cher confrère Schirrmacher, est irréversible, même si des petits malins venus d’Amérique – à l’instar du démographe Phillip Longman [voir p. 36] – annoncent que le patriarcat sur vivra, ne serait-ce que parce que les femmes émancipées font moins d’enfants, voire pas du tout. Car, grâce à la contraception, à l’émancipation et à l’argent qu’elles gagnent, même les mères conventionnelles peuvent décider ellesmêmes du nombre d’enfants DU 22 AU 28 JUIN 2006 qu’elles veulent. Quel est donc l’enjeu de cette “campagne pour avoir plus d’enfants” qui, depuis des semaines, mobilise le réseau de nos boys médiatiques, du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) au tabloïd Bild, en passant par le magazine Der Spiegel ? Ce n’est pas le retour de la femme au foyer d’hier. L’enjeu, c’est que les femmes continuent de porter sur leurs épaules l’essentiel des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, et accomplissent un complément d’activité professionnelle, sans faire sérieusement concurrence à ces messieurs, s’entend ! Et, de fait, le nombre de femmes D l une famille34-35 20/06/06 16:03 Page 35 LA FAMILLE REVIENT ! ● Vers le tout-entreprise Nous allons rénover l’ordre social et libérer la famille de la tutelle de l’Etat, proclame un ténor chrétien-démocrate. DIE WELT (extraits) Berlin eu de choses bouleverseront aussi profondément l’ordre socio-économique dans les années à venir que la mutation des rôles de la famille et des ménages. La vision actuelle de l’économie nous divise en producteurs et en consommateurs. Par producteurs, on entend entreprises et entrepreneurs. C’est à eux qu’il revient de produire biens et services. La grande majorité des citoyens se considèrent comme des consommateurs, des salariés et des bénéficiaires de prestations. Dans notre représentation politique dominante, les citoyens sont plutôt définis par P TS leur passivité. En tant que consommateurs, ils sont à la merci des forces du marché ; en tant que salariés, ils sont à la merci des patrons ; et, en tant que bénéficiaires de prestations sociales, ils sont à la merci de la bureaucratie. C’est pourquoi, du point de vue de l’Etat et des groupes d’intérêts organisés [notamment les syndicats], ils doivent être protégés. Mais, à l’avenir, le ménage va de plus en plus se dépouiller de son identité de bénéficiaire de prestations, et va reprendre à son compte de plus en plus de fonctions aujourd’hui dévolues à l’employeur. Le ménage est d’ores et déjà le principal employeur de l’économie souterraine. Dans les conditions actuelles, si les ménages étaient reconnus fiscalement comme des employeurs, on générerait instantanément des centaines de milliers d’emplois à temps partiel supplémentaires. Le fait que les prestations à domicile soient traitées comme des dépenses personnelles est l’un des piliers du travail au noir. Politiquement, cela remonte à une époque où ceux qui avaient le privilège de pouvoir employer d’autres per- DES FEMMES la dénatalité ! qui travaillent à temps partiel est à la hausse. Voilà pourquoi les mères sont magnifiées à si bon marché – et les non-mères diabolisées du même coup. Car le débat sur l’avortement talonne le débat sur les mères. Lorsque, lors d’un récent débat télévisé, un député chrétien-démocrate de Bavière m’a rendue responsable des 300 000 enfants qui manquent chaque année en Allemagne pour cause d’avortement, cela ne m’a pas surprise. Mais, lorsque j’ai lu dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung – encore lui, que se passe-t-il ? – que le responsable des pages Débats, Patrick Bahners (38 ans, célibataire et sans enfants selon le CV officiel), s’enthousiasmait pour le gouverneur américain Mike Rounds, là, j’ai failli m’étrangler. Rounds vient d’interdire l’avortement dans le Dakota du Sud, y compris en cas de viol, parce que “la vie d’un enfant ne doit pas dépendre de l’arbitraire de la mère”, mais de “la volonté du peuple”. Une question encore : qui fait partie de votre “famille”, monsieur Schirrmacher ? Votre ex-épouse en fait-elle encore partie ? Et que se passe-t-il si la relation avec votre actuelle conjointe prend fin et que votre nouvelle femme devient l’ancienne ? Fait-elle encore partie de la “famille” – ou est-ce réservé à l’éventuelle troisième ? Et qu’en est-il des enfants issus des diverses liaisons ? Nous attendons les réponses à toutes ces questions. En attendant, une chose est claire : une femme sur deux parmi ces mères très prisées devra un jour “pérenniser ellemême son statut”. Ou elle relèvera de l’aide sociale. Cela ne se lit pas dans les pages Débats de vos journaux. Cela se lit dans les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Alice Schwarzer*, Emma (extraits), Cologne * Editorialiste et directrice du magazine féministe Emma. Figure de proue du mouvement des femmes dès 1970, elle est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur la situation des femmes. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 35 Couples sans enfants sous pression. “Il y a encore une drôle d’ambiance, dehors ! On pourrait pas vous emprunter votre petit Nils ? C’est juste pour faire les courses.” Dessin paru dans la Frankfurter Rundschau, Allemagne. ■ L’auteur Kurt Biedenkopf, 76 ans, poursuit par ses écrits une longue carrière politique au sein des chrétiensdémocrates (CDU). Député au Bundestag, membre des instances dirigeantes nationales puis régionales de la CDU, il s’est surtout illustré en tant que ministre-président du Land de Saxe, dans l’est du pays, pendant plus d’une décennie (1990-2002). Doté d’une confortable majorité absolue et d’un sens aigu de l’autorité, il a dû quitter ses fonctions de “roi de Saxe” en 2002. Il vient de publier un livre sur la famille, intitulé Die Ausbeutung der Enkel. Plädoyer für die Rückkehr zur Vernunft (L’exploitation de nos petitsenfants. Plaidoyer pour un retour à la raison). DU 22 AU 28 JUIN 2006 sonnes dans leur propre ménage étaient peu nombreux. Cette vision des choses est soigneusement entretenue par les syndicats. Ils ne tiennent pas, en effet, à ce que les ménages se muent en entités économiques indépendantes. Avec la décentralisation croissante de l’emploi, la fonction de ménage-employeur, grâce à ses formes d’organisation de plus en plus autonomes, intégrera l’économie officielle et on assistera à la mise en place autour des ménages de satellites de production répondant à une nouvelle division du travail. Ils n’auront pas grandchose à voir avec le travail à domicile du début de l’industrialisation ni celui de notre époque. En Allemagne, il y a actuellement plus de ménages comptant une ou deux personnes qu’il n’y en a jamais eu dans toute notre histoire. Conséquence de l’individualisation de notre société, la population s’est littéralement atomisée. Or il n’existe pas de mode de vie plus onéreux que le ménage restreint. C’est dans un ménage à un seul membre que les coûts de gestion sont les plus élevés.Tout porte donc à croire que, après une certaine érosion de la tendance à l’autonomie et à l’isolement, on assistera à un nouveau développement de la taille des ménages. D’une part, à terme, il est plus agréable de vivre en communauté, surtout quand on vieillit. D’autre part, la structure actuelle des ménages recèle un potentiel de rationalisation considérable. Quand la population l’aura découvert et qu’elle aura commencé à le mettre en valeur, le pouvoir d’achat se redressera, même s’il n’augmente pas directement. Les gens vivront de façon plus économique, non de façon plus économe. Les ménages du futur ne correspondront pas nécessairement à la famille au sens le plus étroit du terme. Ils pourraient exister en tant qu’entités économiques dépassant les limites de la famille. Un système social libéré du lieu de travail et offrant davantage de possibilités de prise de risque individuelle favorisera un tel développement. Si nous réussissons à renouveler l’ordre social, nous libérons la famille de la tutelle à laquelle notre système social l’a de plus en plus assujettie. Son autonomie s’accroît, ainsi que sa responsabilité sociale. Mais il s’agira d’une responsabilité personnelle, non de la responsabilité collective de structures anonymes. Elle renforcera la disposition à une solidarité entre les personnes, et constituera du même coup un contrepoids à la solidarité collective. Grâce à son rôle de microsociété, la famille tempérera en outre la confrontation directe entre l’individu et l’Etat. Car ses compétences sont régies par le principe de subsidiarité. Ce dernier interdit à l’Etat, donc aussi à l’Etat social, toute intervention dans la vie de la famille, sauf cas de force majeure. La famille et le ménage constituent le dernier espace de protection inviolable où l’être humain peut échapper à la rationalité du marché, de l’emploi et du système social et trouver son intégrité d’individu. Dans les prochaines années, nous comprendrons, contraints par l’urgence, sinon par notre propre jugement, que nous ne pourrons surmonter la crise de la déstructuration qu’avec l’aide de la force structurante de la famille et du cercle social réduit qu’elle représente. C’est pourquoi nous allons lui rendre la place qui est la sienne. Kurt Biedenkopf une famille36-38 20/06/06 15:15 Page 36 e n c o u ve r t u re Pourquoi le patriarcat a de l’avenir Malgré la dénatalité, l’espèce humaine ne va pas s’éteindre. Mais les rejetons de familles conservatrices et religieuses seront surreprésentés dans les prochaines générations, prévient le démographe américain Phillip Longman. FOREIGN POLICY (extraits) Washington epuis maintenant plus d’une génération, des populations bien nourries, en bonne santé et pacifiques font trop peu d’enfants pour éviter un déclin démographique. Et ce malgré le recul spectaculaire de la mortalité néonatale et infantile, qui signifie qu’il faut beaucoup moins d’enfants aujourd’hui pour assurer le remplacement de la population (2,1 enfants par femme seulement dans les sociétés modernes). Les taux de natalité sont en train de dégringoler bien en deçà de ce seuil dans de nombreux pays – en Chine, au Japon, à Singapour, en Corée du Sud, au Canada, dans l’ensemble de l’Europe, en Russie et même dans certaines parties du MoyenOrient [voir CI n° 749,du 10 mars 2005,et n° 767, du 13 juillet 2005]. Craignant un avenir où les vieux seront plus nombreux que les jeunes, beaucoup d’Etats font tout ce qu’ils peuvent pour inciter les gens à procréer. Singapour organise des manifestations de “speed dating”, espérant ainsi permettre à des professionnels débordés de se rencontrer, de se marier et de faire des enfants. La France offre de généreuses incitations fiscales à ceux qui désirent fonder une famille. La Suède finance des crèches pour permettre aux parents de concilier vie professionnelle et vie familiale. Si ces politiques résolument natalistes peuvent pousser les individus à avoir des enfants plus tôt, rien ne prouve qu’elles les encouragent à en avoir davan- D ■ L’auteur Phillip Longman, 50 ans, est chercheur associé à la New America Foundation, un think tank américain qui se réclame du “centre radical”. Ce spécialiste des tendances démographiques mondiales est l’auteur de The Empty Cradle: How Falling Birth Rates Threaten World Prosperity and What to Do About It (Le berceau vide : comment la dénatalité menace la prospérité mondiale et que faire pour y remédier), éd. Basic Books, 2004. tage. Car, comme l’ont compris les pouvoirs publics, lorsque les conditions économiques et culturelles sont défavorables à la procréation, rien ni personne, pas même un dictateur, ne peut obliger les gens à croître et se multiplier. La baisse de la fécondité est une tendance récurrente de la civilisation humaine. Comment se fait-il, dès lors, que notre espèce n’ait pas disparu depuis longtemps ? La réponse tient en un mot : le patriarcat. Le patriarcat ne se résume pas au pouvoir des hommes. Il s’agit d’un système de valeurs particulier, qui impose aux hommes non seulement de se marier, mais aussi d’épouser une femme d’un rang qui leur corresponde. En cela, il se heurte à d’autres conceptions masculines de la belle vie, ce qui explique qu’il tende à être cyclique. C’est pourtant un régime culturel qui, avant de dégénérer, permet de maintenir des taux de natalité élevés chez les riches, tout en optimisant l’investissement parental. Aucune civilisation avancée n’a encore appris à se perpétuer sans lui. LA MENACE N’EST PAS LA SURPOPULATION, MAIS LE SOUS-PEUPLEMENT Par un processus d’évolution culturelle, les sociétés qui ont adopté ce système social particulier ont accru leur population et, partant, leur puissance, tandis que les autres ont été soumises ou absorbées. Pour odieux qu’il puisse paraître aux esprits éclairés, ce cycle de l’histoire humaine est appelé à revenir. Le rapport historique entre patriarcat, population et pouvoir a de profondes implications dans le contexte actuel. Comme le constatent aujourd’hui les Etats-Unis en Irak, la puissance continue d’être fonction de la démographie. Les bombes intelligentes, les missiles à guidage laser et les drones accroissent considérablement la capacité offensive d’une puissance hégémonique ; mais, en dernier ressort, c’est souvent le nombre de soldats sur le terrain qui change l’Histoire. Malgré un taux de fécondité proche du seuil de remplacement, les Etats- Unis ne sont pas assez peuplés pour maintenir leur rôle de superpuissance mondiale, de même que la Grande-Bretagne n’a plus été capable de conserver son statut d’empire à partir du moment où, au début du XXe siècle, son taux de natalité s’est effondré. Des pays comme la Chine, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et l’Espagne, où l’enfant unique est désormais la norme, disposent certes d’un capital humain de qualité, mais il est trop rare pour être exposé au moindre risque. La baisse de la natalité est également à l’origine d’une série de problèmes économiques et financiers qui font aujourd’hui les gros titres de la presse. L’augmentation de la longévité n’a qu’une faible incidence sur le financement à long terme des retraites et des systèmes de santé. L’espérance de vie à un âge avancé a somme toute très faiblement progressé. Si la proportion d’actifs par rapport aux retraités diminue, c’est essentiellement parce que des individus qui devraient être aujourd’hui en âge de travailler ne sont tout bonnement jamais nés. A l’heure où les Etats accroissent la pression fiscale sur des actifs de moins en moins nombreux pour subvenir aux besoins des personnes âgées, les jeunes couples ont toutes les raisons de penser qu’ils ont encore moins les moyens que leurs parents d’avoir des enfants, amorçant du même coup un nouveau cycle de vieillissement et de déclin de la population. La dénatalité modifie également les comportements à l’échelle d’un pays. Aux Etats-Unis, par exemple, près de 10 % des femmes nées à la fin des années 1930 n’ont pas eu d’enfants ; aujourd’hui, ce sont environ 20 % des femmes nées à la fin des années 1950 qui atteignent la fin de leur vie reproductive sans avoir procréé. L’important segment des ménages sans enfants, dont les membres sont issus en grande majorité des mouvements féministes et de la contreculture des années 1960 et 1970, ne laissera aucun héritage génétique. Et ils n’auront pas sur la génération suivante l’influence psychologique et affective qu’ont eue sur eux leurs parents. CONTREPOINT Quoi ? La soumission au père avait cessé ? Le coup de gueule d’une grande chroniqueuse d’El País, atterrée par les propos de Phillip Longman. e lis dans la toujours intéressante revue Foreign Policy une analyse du démographe Phillip Longman au titre franchement optimiste : “Le retour du patriarcat”. Quoi ? J’ai raté un épisode ? Le patriarcat avait disparu ? Parler de réaffirmation ou d’essor aurait été plus conforme à la réalité ambiante. Ne nous laissons aveugler ni par le fait que Michelle Bachelet ait été élue présidente dans un pays aussi orthodoxe que le Chili, ni par la parité en vigueur au sein du gouvernement espagnol, ni par Angela Merkel, Condoleezza ou Hillary. Quand on voit le tour de vis traditionaliste de Benoît XVI ; l’extrémisme musulman galopant ; les nombreuses voix influentes qui, J en Europe, sont prêtes à reprendre à leur compte les valeurs identitaires éternelles du christianisme ; les Etats-Unis, unis dans leur ferveur religieuse ; et, plus généralement, l’attitude réactionnaire des uns pour combattre l’attitude régressive des autres, on a l’impression que l’institution patriarcale, loin d’avoir été détruite – ou neutralisée, comme le souhaitaient les secteurs les plus avancés de la société dans les années 1960 et 1970 –, a le vent en poupe. Longman donne dans son article des arguments de poids qui lui permettent d’estimer que l’avenir démographique de l’humanité fera nettement pencher la balance en faveur du conservatisme (je le soupçonne d’ailleurs de s’en réjouir). Les sociétés dites avancées, celles qui croient à l’égalité des sexes, aux droits des homosexuels, à la légitimité des enfants nés hors mariage, à l’enfant unique ou tout au plus au “un garçon, une fille”, et qui parallèlement se méfient de l’institution militaire, des autorités religieuses et de tous les grands discours patriotiques, sont condamnées à disparaître. Ça alors ! A ce qu’il semble, plus l’individu conquiert de nouveaux droits, plus le groupe est en danger, surtout si l’individu en question est une femme. Que peuvent faire ceux qui ne se sont pas multipliés conformément au commandement divin – et je peux en citer un paquet – face à la poussée nataliste des membres de l’Opus Dei, des Légionnaires du Christ, des multiples groupes de neocons ou des expressions les plus arriérées de l’islam oppresseur des femmes ? A en croire Longman, rien. Et, à en croire la réalité, rien non plus. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 36 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Les impôts pénalisent les célibataires, et même les gouvernements les plus progressistes favorisent les familles. On peut toujours promulguer à tour de bras des lois contre la violence sexiste, la discrimination au travail et autres aberrations et inégalités. Mais, tant que l’idée que la survie de l’espèce dépend du pater familias restera ancrée au plus profond de la conscience sociale, non seulement rien ne changera, mais les choses iront même en s’aggravant. La lutte pour l’émancipation devient de plus en plus complexe. Et l’on entend le chœur des lamentations de doctes mâles blessés dans leur orgueil, qui proclament, à l’instar de Longman, l’irrémédiable nécessité du patriarcat. Maruja Torres, El País Semanal, Madrid une famille36-38 20/06/06 15:15 Page 37 LA FAMILLE REVIENT ! ● Illustration de Polly Becker parue dans Foreign Policy, Washington. ■ Entre-temps, les familles à enfant unique sont exposées au risque d’extinction. L’enfant unique remplace l’un de ses parents, mais pas les deux. Et ces familles ne contribuent guère à renouveler la population de demain : 17,4 % de femmes de la génération du baby-boom n’ont eu qu’un seul enfant, et leurs descendants ne représentent que 7,8 % de la génération suivante. En revanche, près du quart des enfants de babyboomers sont issus des quelque 11 % de femmes qui ont eu quatre enfants ou plus. Cela conduit à l’émergence d’une nouvelle société, dont les membres seront dans leur grande majorité issus de parents ayant tourné le dos aux tendances sociales d’une époque où les familles avec peu ou pas d’enfants étaient la norme. Cela signifie-t-il que les sociétés éclairées mais peu prolifiques d’aujourd’hui sont vouées à l’extinction ? Sans doute pas, et cela n’est dû qu’à la spectaculaire transformation culturelle qui se prépare. Comme cela s’est déjà produit bien des fois au cours de l’Histoire, cette transformation survient au moment où les éléments laïcs et libertaires de la société ne se reproduisent pas, laissant ainsi par défaut les tenants des valeurs traditionnelles et patriarcales dominer la société. A l’époque gréco-romaine déjà, de nombreux citoyens très instruits en étaient arrivés à la conclusion qu’il n’y avait aucun avantage à investir dans les enfants, qui étaient perçus comme un obstacle onéreux à la réussite personnelle et matérielle. Si cette conception a condamné de nombreuses familles à disparaître, elle n’a pas été fatale à la société dans son ensemble. Par un processus d’évolution culturelle, elle a au contraire favorisé la résurgence d’un ensemble de valeurs et de normes que l’on pourrait en gros qualifier de patriarcales. Les sociétés premières n’exerçaient aucune pression sur leurs membres pour les obliger à se reproduire, car elles devaient éviter de se renouveler plus vite que le gibier dont elles se nourrissaient. On retrouve dans quasiment toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs qui ont perduré assez longtemps pour être étudiées par les anthropologues diverses coutumes visant à décourager la procréation : mariage tardif, avortement ou infanticide. Certaines de ces sociétés sont sans doute parvenues à limiter leur croissance démographique en accordant aux femmes des positions sociales élevées : les rôles de prêtresse, de sorcière, d’oracle, d’artistes ou même, parfois, de guerrière auraient offert à certaines d’entre elles des alternatives satisfaisantes à la maternité, contribuant ainsi à maintenir la fécondité globale à des niveaux viables. Les sociétés préagraires n’avaient que pas ou peu de raisons militaires de favoriser une forte natalité : guerres et conquêtes ne présentaient pas grand intérêt – il n’y avait ni greniers à piller, ni bétail à voler.Tout change avec la révolution agricole du néolithique, amorcée il y a environ onze mille ans. La population devient alors un instrument de pouvoir. Avec la relative abondance de denrées alimentaires, de plus en plus de sociétés découvrent que la grande menace démographique pour leur survie n’est plus la surpopulation, mais le sous-peuplement. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 37 Russie En 2005, la population russe (143 millions) a diminué de 750 000 personnes, autant qu’en 2004. Depuis 1993, le pays a perdu près de 6 millions d’habitants. Aujourd’hui, la moitié des 41 millions de ménages russes n’ont pas d’enfants. En mai dernier, Vladimir Poutine a présenté une série de mesures pour résoudre ce problème qu’il juge désormais comme le plus grave du pays. “Les allocations mensuelles pour le premier enfant passeront de 700 [20,50 euros] à 1 500 roubles, et à 3 000 roubles [soit 88 euros] pour le deuxième ; les allocations payées aux femmes en congé de maternité ne devront pas être inférieures à 40 % de leur salaire”, indique l’hebdomadaire Kommersant-Vlast. “Sont également prévus une contribution aux dépenses effectuées durant la période préscolaire de l’enfant et le versement par l’Etat d’un capital d’au moins 250 000 roubles [7 340 euros] à partir du 1er janvier 2007 à la naissance du deuxième enfant.” DU 22 AU 28 JUIN 2006 A partir de ce stade, au lieu de mourir de faim, les sociétés à fort taux de fécondité gagnent en force et en nombre, et commencent à menacer celles qui ont une natalité plus faible. Les peuples qui se reproduisent le plus vite se constituent peu à peu en nations, puis en empires, évinçant les derniers chasseurs-cueilleurs, qui se reproduisent lentement. Il est essentiel que les guerriers se montrent féroces et vaillants au combat. Il est encore plus important qu’ils soient nombreux. C’est la leçon qu’avait apprise le roi Pyrrhus au IIIe siècle av. J.-C., alors qu’il marchait avec ses armées sur la péninsule italienne pour tenter de soumettre les Romains. Dans un premier temps, la bataille d’Ausculum lui donne l’avantage, mais au prix de très lourdes pertes – d’où l’expression de “victoire à la Pyrrhus” –, si bien qu’il en aurait conclu : “Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus.” Les Romains, qui à l’époque se reproduisaient beaucoup plus rapidement que les Grecs, envoyaient inlassablement des renforts. Pyrrhus fut écrasé par la force numérique de l’ennemi, et la Grèce, après une longue période de déclin démographique, finit par être pillée et colonisée par Rome. LES BÂTARDS ET LES MÈRES CÉLIBATAIRES STIGMATISÉS Les sociétés patriarcales présentent des caractères très divers et passent par différents stades. Elles ont toutefois en commun des coutumes et des mentalités qui servent à optimiser la fécondité et l’investissement des parents dans la génération suivante. La stigmatisation des enfants “illégitimes” est l’un des aspects les plus importants. L’acceptation croissante des naissances hors mariage donne bien la mesure du recul du patriarcat dans les sociétés développées. Dans un régime patriarcal, les “bâtards” et les mères célibataires ne peuvent être tolérés car ils sapent l’investissement paternel. Les enfants illégitimes ne prenant pas le nom de leur père, celui-ci a tendance à ne pas assumer ses responsabilités. Les enfants “légitimes” deviennent en revanche objet de fierté ou de honte pour le père et la lignée familiale. L’idée que les enfants légitimes appartiennent à la famille de leur père et non à celle de leur mère n’a aucun fondement biologique, mais donne souvent aux hommes d’excellentes raisons affectives d’avoir des enfants et d’avoir envie de les voir perpétuer leur lignée. Le patriarcat incite par ailleurs les hommes à procréer jusqu’à ce qu’ils aient au moins un fils. Un autre facteur expliquant l’avantage évolutionniste du patriarcat est qu’il pénalise les femmes qui ne se marient pas et n’ont pas d’enfants. Il y a quelques décennies encore, on qualifiait ces femmes de “vieilles filles”, on les plaignait de ne pas pouvoir avoir d’enfants ou on les accusait d’être égoïstes. Le patriarcat, en offrant aux femmes très peu d’alternatives enviables, les poussait ainsi à prendre un époux et à devenir mères à plein temps. Une société organisée selon ces principes peut très facilement tourner à la misogynie et, au bout du compte, se condamner à la stérilité, comme cela s’est passé dans la Grèce et la Rome antiques. Mais, tant que le système patriarcal évite de tomber dans ces travers, il produit davantage d’enfants sans doute mieux élevés que ne le font les sociétés organisées selon d’autres principes – et, en fin de compte, c’est là l’unique préoccupation de l’évolution. une famille36-38 20/06/06 15:16 Page 38 e n c o u ve r t u re Cette thèse prête à controverse. Car nous associons aujourd’hui le patriarcat à l’intolérable exploitation des femmes et des enfants, à la pauvreté et aux Etats en faillite. On songe aux talibans ou aux lapidations de femmes accusées d’adultère au Nigeria. Or ce sont là des exemples de sociétés manquant cruellement d’assurance, qui ont dégénéré en tyrannies masculines et ne sont en rien représentatives de la forme de patriarcat qui, au fil de l’histoire de l’humanité, a acquis un avantage évolutionniste. Dans un véritable régime patriarcal, comme celui de la Rome antique ou de l’Europe protestante du XVIIe siècle, les pères ont toutes les raisons de s’intéresser de très près aux enfants que portent leurs épouses : car, à partir du moment où les hommes se considèrent et sont considérés comme les dépositaires de la lignée patriarcale, le devenir de ces enfants a une incidence directe sur leur propre rang social et sur leur honneur. LES EUROPÉENS DE DEMAIN NE SERONT PAS DES CONTESTATAIRES Dans bien des cas, l’unique chose qui soutient la famille patriarcale est l’idée que ses membres défendent l’honneur d’une longue et noble lignée. Pourtant, lorsqu’une société devient cosmopolite, évolue rapidement et assimile des idées nouvelles, de nouveaux peuples et des luxes inédits, ce sens de l’honneur et du rapport aux ancêtres commence à s’estomper, et avec lui tout sentiment de la nécessité de se reproduire. “A partir du moment où un peuple hautement cultivé commence à envisager le fait d’avoir des enfants en termes d’avantages et d’inconvénients, il amorce un tournant décisif”, notait l’historien et philosophe allemand Oswald Spengler [1880-1936]. Ce tournant ne signifie pas forcément la fin d’une civilisation, mais simplement sa transformation. S’il est vrai que les familles nobles, laïques et infécondes de la Rome impériale ont disparu, et avec elles la conception qu’avaient leurs ancêtres de Rome, l’Empire romain ne s’est pas pour autant dépeuplé. C’est sa composition démographique qui a changé : il s’est retrouvé constitué de nouvelles cellules familiales, très patriarcales, hostiles au monde séculier et portées par leur foi soit à croître et se multiplier, soit à entrer dans les ordres. Ces changements ont ouvert la voie à l’Europe féodale, mais n’ont signé l’arrêt de mort ni de l’Europe ni de la civilisation occidentale. C’est peut-être à une transformation de ce type que nous assisterons au cours de ce siècle. Dans l’Europe d’aujourd’hui, par exemple, le nombre d’enfants que les gens font et les conditions dans lesquelles ils les font est fonction de leurs convictions politiques et culturelles.Vous êtes antimilitariste ? Eh bien, si l’on en croit une étude réalisée par les démographes Ronny Lesthaeghe et Johan Surkyn, vous êtes moins susceptible d’être marié(e) et d’avoir des enfants que quelqu’un qui n’a aucune objection contre l’armée. L’écart considérable entre les taux de fécondité des individualistes laïcs et des conservateurs religieux augure d’un profond bouleversement des sociétés modernes, qui sera d’origine démographique. Beaucoup d’adultes d’âge moyen qui n’ont pas eu d’enfants peuvent regretter d’avoir fait un choix de vie débouchant sur l’extinction de leur lignée fami- ● Illustration de Polly Becker parue dans Foreign Policy, Washington. ■ Ségolène On l’a entendue dire récemment qu’elle était favorable à la mise sous tutelle des allocations familiales “quand les incivilités se multiplient”. Ou qu’elle voulait “épauler les familles” défaillantes à l’aide de “stages dans des écoles de parents”. L’idée de responsabilité est au cœur de la conception qu’a Ségolène Royal de la famille. Ministre de la Famille du gouvernement Jospin de 2000 à 2002, elle a instauré, la résidence alternée pour les enfants de parents séparés, une mesure de plus en plus appliquée (9 % des décisions de justice). Elle a aussi instauré un livret de paternité, mesure symbolique qui accompagnera, la création d’un congé de paternité de onze jours. Enfin, elle préfère parler “des familles, quelle que soit leur forme”, un pluriel qui lui semble mieux correspondre à la situation “des” familles actuelles. (Voir aussi pp. 11-12) liale, mais ils n’ont pas de fils ou de fille à qui faire partager cette prise de conscience tardive. Parallèlement, les descendants de couples qui ont eu trois enfants ou plus seront largement surreprésentés dans les générations suivantes, et avec eux les valeurs et les idées qui ont amené leurs parents à avoir de grandes familles. On peut objecter que l’Histoire, et plus particulièrement l’histoire de l’Occident, fourmille de révoltes d’enfants contre leurs parents. Les Européens de demain, même s’ils sont dans leur écrasante majorité élevés dans des foyers patriarcaux et religieux, ne peuvent-ils pas devenir une nouvelle génération de soixante-huitards ? La grande différence est que, dans l’après-Seconde Guerre mondiale, presque tous les segments des sociétés modernes se sont mariés et ont eu des enfants. Certains en ont eu plus que d’autres, mais l’écart entre croyants et laïcs n’étaient pas si important, et les ménages sans enfants étaient rares. Ils sont en revanche aujourd’hui très nombreux et ceux qui procréent n’ont généralement qu’un enfant. Contrairement à la génération du baby-boom, la plupart des enfants de demain seront donc issus d’un segment de la société relativement restreint et culturellement conservateur. Certains rejetteront les valeurs de leurs parents, comme cela s’est toujours fait. Mais, lorsqu’ils chercheront d’autres laïcs et adeptes de la contre-culture avec qui faire cause commune, ils découvriront que la majorité de ces compagnons de route potentiels n’ont jamais vu le jour. Que ça leur plaise ou non, les sociétés développées évoluent vers le patriarcat. D’une part, parce que les segments conservateurs font davantage d’enfants et, d’autre part, parce que la réduction de l’Etat-providence en raison du vieillissement de la population et de la dénatalité leur assurera un avantage de survie supplémentaire, qui à son tour favorisera une plus forte fécondité. A mesure que les Etats restitueront à la famille les fonctions qu’ils lui avaient ravies par le passé, et notamment le soutien des personnes âgées, les gens se rendront compte qu’ils ont besoin de procréer davantage pour assurer leurs vieux jours, et ils chercheront à s’attacher leurs enfants en leur inculquant des valeurs traditionnelles, proches du commandement biblique “Tu honoreras ton père et ta mère”. C’est dans les sociétés qui sont aujourd’hui les plus sécularisées et dont les systèmes de protection sociale sont les plus généreux et les plus déficitaires que le retour du religieux et la résurgence de la famille patriarcale seront les plus sensibles. Il se peut que l’Europe et le Japon accusent une forte baisse démographique en valeur absolue, mais, par un processus semblable à celui de la survie du plus fort, la population qui subsistera s’adaptera à un nouvel environnement dans lequel plus personne ne pourra compter sur l’Etat pour se substituer à la famille et où un Dieu patriarcal commandera aux membres de la famille de réprimer leur individualisme et de se soumettre au père. Phillip Longman V U D U R O YA U M E - U N I Mon troisième enfant grâce à la France ■ Il y a six ans, raconte la journaliste britannique Helena Frith Powell dans le Daily Mail, elle et son mari voulaient un troisième enfant mais estimaient qu’ils n’en avaient pas les moyens, malgré leurs deux salaires confortables. Une amie leur donne l’idée de s’installer en France. Voilà qui est fait six mois plus tard. Le couple emménage dans une vieille ferme dans les environs de Montpellier, et un bébé est rapidement mis en route. “Chaque fois que des amis me demandent si je regrette notre décision, il me suffit de regarder mes trois enfants pour connaître la réponse, assure Helena Frith Powell. Ce n’est pas seulement que notre situation financière est plus facile en France, même si cela compte. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 Des amis qui vivent ici et ont cinq enfants n’ont pas payé un seul centime d’impôt sur le revenu depuis plus de trois ans. Mais, plus important, c’est l’attitude à l’égard des familles nombreuses. Ici, on les encourage vraiment. Le congé maternité et autres avantages sont extrêmement généreux comparés à ce qu’ils sont en Angleterre. Deux des femmes politiques françaises les plus en vue, Ségolène Royal et Clara Gaymard, ont assez d’enfants à elles deux pour former une équipe de foot, ce qui donne une idée du soutien apporté aux familles.” “Avant de nous installer en France, poursuit l’auteur de More France Please, We’re British !, nos filles Olivia et Bea allaient à une crèche à Crowborough, 38 DU 22 AU 28 JUIN 2006 dans le Sussex. Je les y conduisais en voiture tous les matins avant de me rendre à Londres. La crèche me coûtait 130 livres par jour [190 euros] et je devais m’y trouver à 17 h 30 pile pour les reprendre. Je devais payer une amende pour chaque minute de retard. Quant à y envoyer un troisième enfant, on m’avait déjà prévenue qu’il n’y avait pas de réduction pour les familles nombreuses. J’avais donc le choix entre renoncer à travailler et devenir mère au foyer (ce qui était exclu, financièrement et intellectuellement) ou travailler à perte et employer une nourrice qui m’aurait coûté plus de la moitié de mon salaire. Tout ce stress a disparu du jour au lendemain quand nous nous sommes installés en France.” 816-39 pub ulysse 20/06/06 11:15 Page 39 Enquête A chacun son festival d’été SRI LANKA Franche-Comté Chemins de contrebandiers No fo uv rm el ul le e Croatie Istrie, la discrète www.ulyssemag.com L A C U L T U R E D U V O Y A G E Sri Lanka Nature, art, bouddhisme L’île de tous les éveils 816 p40_41 19/06/06 18:46 Page 40 p o r t ra i t Anna Wolska, née Branicka La châtelaine de Varsovie RZECZPOSPOLITA (extraits) Varsovie A l’arrivée du printemps, les volets du manoir de Dankow s’ouvrent. Depuis quatre ans qu’Anna Wolska vient ici, cette demeure du XIX e siècle revit. “Dankow est situé loin des routes. Une situation idéale en cas de guerre”, dit Mme Wolska. Pour elle, les déplacements des troupes et le cantonnement des soldats dans les propriétés sont une réalité à prendre sérieusement en compte. L’expérience de sa jeunesse a laissé des traces chez la dernière descendante de la longue lignée des Branicki. Quand, en septembre 1944, les Allemands ont ordonné d’évacuer le château de Wilanow, où elle habitait avec ses parents et ses sœurs, les Branicki ont eu trois heures pour plier bagage. Anna, alors âgée de 20 ans, montée sur sa pouliche préférée, s’est retrouvée dans la cavalcade ouverte par deux landaus noirs armoriés. En se retournant vers le château, elle ne pouvait imaginer qu’elle n’y reviendrait plus pendant des années. Des décennies plus tard, c’est le manoir de Dankow, près de Varsovie, qui allait devenir le berceau de la famille. Il a jadis appartenu à la famille des Janosz, célèbre pour son élevage de chevaux, dont descend Tadeusz Wolski, le mari d’Anna. Récupérer Dankow était son rêve, et elle l’a réalisé en 2002. Mais l’avenir de la demeure reste incertain. Anna Wolska aime à penser que son fils cadet reviendra des Etats-Unis pour y installer son atelier de sculpture. Dans un intérieur sans prétention, où les souvenirs de famille côtoient des meubles de Castorama, on ressent le côté provisoire de l’installation. Pour le moment, la dernière des Branicki essaie de profiter de ce qu’elle a. Appuyée sur une canne d’ébène à pommeau d’argent, elle se promène à travers champs pour admirer son blé et son colza. Cinquante années passées aux côtés du Pr Tadeusz Wolski, un grand spécialiste des céréales, ont laissé leur empreinte. En attendant la moisson, elle examine les longs épis, présage de bonne récolte. Sur sa table de chevet, à Dankow, elle garde le livre qu’elle a publié, Les Lettres jamais postées. Elle aime le lire avant de s’endormir et évoquer les souvenirs de l’époque où elle était internée en Union soviétique avec sa famille et un groupe d’aristocrates. “Je m’y retrouve telle que je suis, spontanée et ouverte. Mes proches me disaient : ‘Ne sois pas si directe, ne pose pas de questions, il ne faut pas montrer qu’on ne sait pas.’” Peine perdue, avoue-t-elle aujourd’hui. Elle a pris ces notes il y a soixante ans. Elle notait tout ce qui l’étonnait dans la réalité soviétique, où elle a atterri d’une manière inattendue. Gardés par des soldats de l’Armée rouge, les membres de sa famille ont passé trois ans à s’interroger sur leur avenir. Anna Branicka a présenté dans son livre, sans le retoucher, le récit de leur existence à Krasnogorsk, ce qui lui a valu quelques critiques de la part des autres détenus lors de la publication. Car Anna y fait part des “terribles engueulades” et des conflits survenant chez des gens habitués au luxe et qui se retrouvent subitement enfer- més dans un petit espace où une casserole sert de récipient pour se laver, pour cuisiner et pour faire la lessive. Elle est alors une “fille débordante de santé”. Un soldat de l’Armée rouge est impressionné par l’assurance avec laquelle elle coupe le bois. Il lui propose le mariage. Quand elle raconte, amusée, l’incident à son père, celuici lui conseille : “Tu devrais considérer cette offre sérieusement, car une autre chance ne te sourira peut-être jamais. Nous ne savons pas si nous quitterons un jour la Russie.” “Nous savions parfaitement qu’il était impossible de dire la vérité dans les lettres que nous envoyions à nos proches, en Pologne. Nous passions notre temps à choisir nos mots, raconte Anna ■ Héritage Wolska. Un jour, nous avons vu un Le château de soldat déchirer nos lettres,élaborées avec Wilanow, construit à la fin du XVIIe siècle tant de mal.” Krasnogorsk était par le roi Jean III coupé du monde. Anna a comSobieski, a partagé mencé à écrire à Janusz Radomyski, – après la Seconde un jeune résistant qu’elle avait Guerre mondiale – le connu pendant la guerre et qui se destin de toutes les cachait, comme tant d’autres, au grandes demeures palais de Wilanow. Anna avait l’imaristocratiques pression de communiquer avec son en Pologne : il a été fiancé. “Tous étaient au courant et tennationalisé. Depuis taient de me prévenir que je risquais 1989, Anna Wolska tente de récupérer une déception”, explique-t-elle. On une partie du lui disait qu’aucun sentiment ne mobilier du château, pouvait survivre aux années de sépamais la direction du ration. Mais elle disait que son musée s’y oppose. Janusz était différent. Après son Elle réclame aussi retour à Varsovie, elle a appris qu’il des dédommagements s’était marié en Grande-Bretagne, pour les terrains et qu’il avait eu un enfant. qui dépendaient Aujourd’hui, elle considère que du château le destin a bien fait les choses en et qui accueillent désormais un mettant sur son chemin Tadeusz, quartier résidentiel. son futur mari. “J’ai compris que je Le tribunal lui pouvais compter sur lui. Un homme a donné raison, mais droit et sûr. Avec lui, j’ai toujours su le fisc lui demande que je pouvais mettre ma main au feu.” de régler les arriérés, Lorsqu’on l’interroge sur ce que sans attendre signifie le luxe pour elle, elle répond qu’elle perçoive spontanément que c’est la mousse les fonds accordés aux châtaignes préparée par un cuipar la justice. sinier de Wilanow. Ou peut-être le landau noir tiré par des pur-sang arabes qui l’emmenait à l’école avec ses sœurs. Ou encore, quand elle était en Russie, un plat d’œufs brouillés accompagnés de viande en boîte et de thé sucré. “Aujourd’hui, cela doit être un jet privé. Un de mes cousins en a un. Ça en jette”, dit-elle. Mme Wolska sait que rien n’est donné pour toujours. Dans le petit salon de sa maison de Varsovie, dans le quartier de Mokotow, elle affirme que tout peut arriver : “Avec [le populiste] Lepper au pouvoir, ils sont capables de vous mettre des locataires dans votre logement.” La trahison de Targowica, en 1792, à laquelle participa son ancêtre, le hetman Branicki [mettant fin à l’indépendance de la Pologne, en 1795], a toujours été un sujet sensible pour la famille. C’est peut-être pour cette raison que les générations de Branicki se transmettent l’obligation de léguer des biens à des œuvres COURRIER INTERNATIONAL N° 816 40 patriotiques. “Notre père nous a dit un jour : ‘On exige deux fois plus des Branicki’”, rappelle Mme Wolska. C’était le jour même où elle a rejoint la Résistance. Elle n’a qu’un mot pour décrire son enfance : l’insouciance. Malgré d’énormes problèmes financiers, les parents ne disaient rien aux enfants. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la famille a perdu ses biens en Ukraine, des domaines d’une superficie équivalente à celle de la Belgique. Or habiter Wilanow coûtait très cher. C’est pourquoi le contraste entre l’avant- et l’après-guerre fut d’autant plus frappant. A Cracovie, où la famille s’est installée à son retour de Russie, Anna allait chercher de la nourriture à la soupe populaire. Un jour, une femme qui faisait la distribution lui a demandé son nom. “Branicka ?Vous n’avez pas pu trouver un nom plus aristocratique ?” a-t-elle ironisé. Une vraie gifle. La deuxième fois, c’était à l’université de Varsovie, où elle étudiait la sociologie. Pendant le cours consacré aux classes sociales disparues, l’enseignante lui a demandé d’expliquer comment se sentait l’une de ses représentantes… “Je n’aime pas venir àWilanow, c’est trop douloureux”, dit Mme Wolska. Elle est la dernière de ceux pour qui ce palais royal était une maison familiale. Forcément, sa famille ne partage pas ce sentiment. Son fils Mikolaj lui a dit un jour : “Maman, tu as dit que tu habitais ici, mais on ne peut pas habiter dans un musée !” Les négociations sur la récupération du mobilier du château ont été longues. La famille n’a pu en obtenir qu’une petite partie, sans grande valeur. Les bouteilles de vins hongrois et français cachées dans une cave murée ont survécu à la guerre et au changement de régime. Dans les années 1960, la mère d’Anna a conclu un marché avec le Premier ministre Jozef Cyrankiewicz : elle allait dévoiler la cachette et la chancellerie aurait un droit de préemption sur certaines bouteilles. “Une foule de dignitaires sont arrivés à Wilanow, se rappelle Mme Wolska. La dégustation fut le clou du spectacle. Les notables communistes buvaient les nectars précieux comme si c’était de la vodka.” Les parents d’Anna reposent dans la crypte familiale de l’église de Wilanow. Ces derniers temps, Anna Wolska pense de plus en plus à l’après et a décidé de prendre les choses en main. “Je ne veux pas causer de problèmes à mes fils, qui n’osent pas prendre les devants. Alors, je suis allé voir le curé.” On lui a annoncé que la crypte était réservée aux bienfaiteurs de Wilanow. Qui était-elle au juste ? Le curé ne la connaissait pas, et avait encore moins entendu parler de ce qu’elle avait pu faire pour Wilanow. Mais la donation d’une parcelle de terrain à l’Eglise pourrait arranger les choses… Finalement, l’affaire a abouti chez le primat de Pologne, Mgr Jozef Glemp. La conversation a ressemblé à des négociations commerciales.“Je n’ai jamais rien fait de honteux dans ma vie. Certains ont dû le remarquer, puisqu’ils m’ont demandé de devenir la première dame de l’ordre de Malte en Pologne. La crypte a été fondée par ma tante, six places sont encore disponibles. Je devrais pouvoir y reposer aux côtés de mes parents. Ils y ont été enterrés avec l’autorisation des communistes. Et moi, je mourrai dans une Pologne désormais libre.” Maja Narbutt DU 22 AU 28 JUIN 2006 816 p40_41 19/06/06 18:47 Page 41 Photos : Jakub Ostalowski/Fotorzepa ● ■ Anna Wolska en 2006. Photos de famille réunies par la dernière des Branicki. La couverture du livre Lettres jamais postées, édition de 1990. Le manoir de Dankow, près de Varsovie. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 41 DU 22 AU 28 JUIN 2006 816p42-43 sa 19/06/06 17:24 Page 42 enquête ● À LA FRONTIÈRE DU VENEZUELA ET DE LA COLOMBIE Sanglants secrets de paramilitaires Miami ne enquête croisée entre des membres d’ONG, des sources militaires colombiennes et des proches des services de renseignements de Bogotá et de Caracas commence aujourd’hui à soulever le voile sur l’ampleur d’un massacre qui a fait plus de 11 000 victimes en cinq ans. Il est l’œuvre de paramilitaires trafiquants de cocaïne appartenant aux Autodéfenses unies de Colombie (AUC) [milices d’extrême droite]. Ce sont les mêmes combattants qui, en échange de leur démobilisation, se sont vu accorder en 2006 par le président colombien Alvaro Uribe l’amnistie, la liberté et l’assurance de ne pas être extradés vers les Etats-Unis. Tout a commencé le long d’un petit tronçon de la frontière colombiano-vénézuélienne. Dès août 2002, le Département administratif de sécurité (DAS) [service de renseignements placé sous l’autorité de la présidence] aurait signé des accords avec de puissants narcotrafiquants et paramilitaires, qui sont, selon nos sources, parvenus à établir en territoire vénézuélien un contingent illégal d’au moins 1 000 combattants. Ceuxci dominent aujourd’hui de vastes territoires dans au moins trois Etats frontaliers [vénézuéliens], le Zulia, le Táchira et l’Apure. D’après les statistiques de la police colombienne et du service médico-légal national recueillies par la Fondation Progresar, une ONG colombienne dirigée par le chercheur Wilfredo Cañizares, le projet d’établissement frontalier des paramilitaires a entraîné, ces cinq dernières années, la mort de 11 200 personnes dans quinze cantons du département colombien du Norte de Santander. Ces chiffres ne comprennent pas les personnes disparues dans ce département et dans les régions du Venezuela contrôlées par les paramilitaires colombiens. L’ampleur des atrocités commises n’est apparue que très récemment, grâce aux renseignements et aux cartes fournis par la Fondation Progresar. Le 3 février 2006, Ils ont aussi permis de localiser des près de Santa Marta, cimetières clandestins. Entre le 2 et les milices le 9 avril 2006, le parquet colom- paramilitaires bien a exhumé les restes de 32 per- d’extrême droite sonnes victimes des paramilitaires se démobilisent dans la zone de La Gabarra (can- en échange d’une amnistie promise ton de Tibú), à la frontière véné- par le gouvernement zuélienne. “La ville colombienne colombien. d’El Tarra [située dans la forêt frontalière du Norte de Santander] compte plus de 200 veuves sur 3 000 habitants”, explique Wilfredo Cañizares. “Nous avons reçu des plaintes. Nous savons que, dans sept villes du département, il y a au moins 35 fosses ou cimetières clandestins. Rien qu’à La Gabarra, où s’est rendue la commission judiciaire, nous savons qu’il y a 19 fosses. Rien qu’à La Gabarra ! Pour le moment, la commission n’en a fouillé que deux, contenant les restes de 32 personnes”, ajoute-t-il. En vertu d’accords internationaux qui contraignent le gouvernement colombien à tolérer les défenseurs des droits de l’homme et à assurer leur sécurité, la Fondation bénéficie de la protection du ministère de l’Intérieur. Selon des sources émanant du parquet vénézuélien, Caracas s’apprête à demander l’accès aux échantillons ADN des restes humains trouvés dans les fosses le long de la frontière, afin de déterminer combien de ressor- U Des opérations de “nettoyage politique” lancées par les milices d’extrême droite ont fait plus de 11 000 victimes. Une enquête révèle aujourd’hui la complicité du gouvernement colombien. tissants vénézuéliens figureraient parmi les victimes. On soupçonne en effet les paramilitaires et le DAS d’avoir fait sortir du pays des militants d’extrême gauche vénézuéliens [vraisemblablement liés aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et bénéficiant, sous le gouvernement d’Hugo Chávez, d’une certaine tolérance] et de les avoir exécutés. Cela constituerait le projet de “nettoyage politique” le plus terrible de l’histoire du Venezuela. Les langues ont commencé à se délier depuis l’annonce, le 6 novembre 2005, du désarmement des paramilitaires de la région lors d’une cérémonie officielle présidée par Luis Carlos Restrepo, le haut-commissaire à la paix d’Uribe. Des paysans ont alors contacté la Fondation Progresar et lui ont apporté des ossements, des restes de chevelure et des morceaux de peau desséchés provenant de leurs proches assassinés et enterrés dans les fosses communes par les paramilitaires. Les familles n’avaient pas osé exhumer entièrement les corps de leurs parents morts. Elles s’étaient contentées de prélever et de conserver des éléments des dépouilles. Un rapport élaboré par deux ONG vénézuéliennes et une colombienne à partir des témoi- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 gnages des habitants de la zone permet de dater le début des tueries et de connaître la manière de procéder des paramilitaires. De plus, il démontre sans équivoque la tolérance, si ce n’est la complicité, de l’armée régulière colombienne. Les premières opérations remontent très exactement au matin du 29 mai 1999, à 9 h 30. Un contingent de paramilitaires a installé un barrage routier sur la route entre La Gabarra et la ville de Tibú, à la frontière vénézuélienne. “Le barrage était situé à proximité d’un poste de contrôle de la police nationale colombienne, connu sous le nom de Refinería, précise le rapport. Plus de soixante véhicules de passage ont été contraints de s’arrêter. Une centaine de personnes, des paysans, des commerçants et des villageois, ont été arrêtées par les paramilitaires, qui leur ont demandé leurs papiers d’identité afin de les comparer avec une liste en leur possession. Les personnes qui figuraient sur cette liste ont été exécutées.” C’est ainsi que les paramilitaires ont débusqué les guérilleros de gauche de la région, responsables euxmêmes de plusieurs massacres et maîtres de la zone pendant de longues années. Deux mois plus tard, ces actions ont été revendiquées par un commandant paramilitaire, connu sous le nom de comandante Camilo, devant une commission composée de membres du bureau de défense du peuple, du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme et du diocèse de Tibú. Cet homme a par la suite été amnistié dans le cadre du plan de démobilisation lancé par le président Uribe. Selon l’Agence de lutte antidrogue américaine (DEA), ces actions ont permis aux narcotrafiquants colombiens à la tête des AUC, parmi lesquels le puissant Salvatore Mancuso, de garder le contrôle des champs de coca de la région ainsi que des laboratoires de fabrication de cocaïne, qui se sont par la suite multipliés. La prise de contrôle de La Gabarra William Fernando Mar tin/AP-Sipa EL NUEVO HERALD (extraits) 42 DU 22 AU 28 JUIN 2006 19/06/06 17:24 Page 43 Rafa Salafranca/EPA-Sipa 816p42-43 sa Des paysans ont apporté des restes de chevelure et des morceaux de peau M ER C ARAÏBES DES 2 Caracas LIA Maracaibo Tibú Puerto Santander Cúcuta Medellín Région de Catatumbo TÁCHIRA VENEZUELA San Cristóbal El Nula APURE NORTE DE SANTANDER Cordillère COLOMBIE des Andes Bogotá 0 COURRIER INTERNATIONAL N° 816 400 km 43 1. Aruba (P-B), 2. Antilles néerlandaises (P-B). Source : Courrier international 1 ZU par les paramilitaires et, plus globalement, de la région transfrontalière de Catatumbo a entraîné plusieurs exodes successifs de paysans vers le Venezuela. Certains sont parvenus à s’y installer et sont employés comme ouvriers agricoles dans de grandes exploitations vénézuéliennes. Selon Elkin Carrero Rojas, le maire de La Gabarra, dans le canton de Tibú, au moins 105 exploitations et 58 propriétés ont été occupées de force par les paramilitaires à leur arrivée dans le Catatumbo, en mai 1999. En 2002, avec l’arrivée au pouvoir d’Uribe, les paramilitaires ont organisé des fronts d’action du côté vénézuélien. Deux ans et demi plus tard, ils sont parvenus, dans les Etats du Zulia et du Táchira essentiellement, à gagner le soutien de bon nombre de grands propriétaires terriens opposés au président Hugo Chávez. Selon Wilfredo Cañizares, la préparation des paramilitaires envoyés à la conquête des régions vénézuéliennes frontalières s’est déroulée dans un camp d’entraînement près de La Gabarra qui était encore en service il y a peu. “Nous savons que le camp de Puerto Santander est resté ouvert jusqu’en 2005”, assure le directeur de la Fondation. “Des contingents y étaient entraînés en permanence. On ignore combien d’hommes exactement, mais les chiffres sont élevés.” Un officier supérieur de l’armée colombienne a reconnu s’y être rendu et confirme que les paramilitaires s’entraînaient en vue d’une installation au Venezuela. Parmi leurs missions figuraient la capture et le transfert de personnes vers la Colombie, dans ce qu’ils appelaient des “opérations de nettoyage” pour le compte des éleveurs. La progression des mouvements paramilitaires et de la guérilla vers le Venezuela est telle que, aujourd’hui, plus de 60 % des enlèvements commis dans le pays ont lieu à proximité de la frontière. Un membre des services de renseignements de la police vénézuélienne a enregistré ces trois derniers mois 28 assassinats liés aux paramilitaires dans la région d’El Nula, dans l’Etat de l’Apure. La présence au Venezuela de paramilitaires a récemment été dénoncée par Rafael García, un ancien haut fonctionnaire du DAS, qui y voit l’un des éléments d’une stratégie du gouvernement colombien visant à déstabiliser le régime de Chávez. Ce fonctionnaire dirigeait les services informatiques de l’agence de renseignements sous l’autorité de Jorge Noguera, directeur du DAS jusqu’en novembre 2005 et aujourd’hui bras droit d’Uribe en matière de sécurité. Rafael García est aujourd’hui en prison, accusé d’avoir effacé des bases de données du DAS rendant compte des déplacements en Colombie de narcotrafiquants et de paramilitaires soupçonnés d’être des proches de Noguera. Lors d’un entretien réalisé à la prison de La Picota, à Bogotá, Rafael García a accusé Noguera d’entretenir des liens réguliers avec les paramilitaires les plus puissants du pays. “Le DAS était au courant, En 2004, assure-t-il. Mais cela va bien au-delà 1 425 paramilitaires du DAS.” Lorsqu’on lui demande des AUC du bloc si cet “au-delà” va jusqu’au présiCatatumbo sont dent Uribe, Rafael García réplique : réunis dans la ville “C’est vous qui l’avez dit.” Noguera colombienne de Tibú, à la frontière nie ces accusations. Il affirme que vénézuélienne. ses rencontres avec les paramilitaires Ils s’apprêtent avaient pour seul but de coordonà rendre les armes ner leur démobilisation dans le dans le cadre du plan cadre d’un accord de paix conclu de démobilisation avec le gouvernement. “J’ai rennégocié entre contré Mancuso et plusieurs autres le gouvernement représentants des AUC, mais toujours colombien et les en tant que directeur du DAS et penmilices. Ce plan se dant le processus de paix. Jamais poursuit actuellement. avant”, déclare-t-il. Selon Rafael García, Noguera entrait au Venezuela par Cúcuta, accompagné du directeur local du DAS, Jorge Enrique Díaz, et interdisait aux gardes-frontières d’enregistrer son passage. En avril 2005, Jorge Enrique Díaz a été assassiné en Colombie. Le mois suivant, l’avocat Vitelmo Galvis Mogollón, alors sous-directeur de l’agence de renseignements à Cúcuta, a été tué à son tour. Un ancien procureur nous a affirmé, sous couvert de l’anonymat, disposer de témoins et de preuves démontrant que les voyages de Noguera au Venezuela sont “avérés”. Noguera aurait affirmé plusieurs fois à Rafael García qu’il allait au Venezuela pour “parler avec des gens”. “Je pense qu’il s’agissait d’opposants à Chávez”, ajoute Rafael García. Depuis l’arrivée d’Uribe au pouvoir, en 2002, “nous avons constaté, puis affirmé que le gouvernement colombien n’ignorait rien de ce qui se passait à la frontière”, explique, pour sa part,Wilfredo Cañizares. Rafael García se dit prêt à témoigner contre le DAS et contre Noguera devant la justice vénézuélienne. Il souhaite démontrer l’ampleur des opérations de “nettoyage politique” et de “nettoyage social” menées par les paramilitaires au Venezuela. Il affirme que ces opérations ont été mises au point en Colombie par le DAS et par les paramilitaires pour déstabiliser le gouvernement d’Hugo Chávez. Mais, craignant pour sa sécurité, il ne parlera qu’une fois installé hors de Colombie. G. Guillen DU 22 AU 28 JUIN 2006 816 p.44-45 19/06/06 17:26 Page 44 re p o r t a ge ● LA CHINE TRADITIONNELLE EN PERDITION Toute une culture à sauver Jim Goodman/On Asia Dans la province du Yunnan, des musiciens conduisent la procession lors de la fête du Dragon. Bien des savoir-faire sont engloutis par la modernisation accélérée du pays. Quelques passionnés tentent de préserver ce qui peut encore l’être. donc leur expliquer.Au moment de la fête du Printemps, en 2003,j’ai demandé à onze anciens de venir faire des démonstrations de leurs arts dans la salle des fêtes du comité municipal. Leur prestation a ébahi les hauts responsables, qui ont découvert ainsi que leur région recelait nombre de choses intéressantes, susceptibles de générer des avantages économiques pour peu qu’on les développe. Mais ces personnes étaient toutes des septuagénaires ou des octogénaires sans ressources. Nous avons donc cherché une solution ; finalement, on a mis en place un programme de sauvegarde prioritaire des savoir-faire de huit anciens,auxquels ont été alloués 500 yuans [50 euros] par mois – une somme assez élevée, par rapport au niveau de vie local – pour leur permettre de former des apprentis.” Tan Baolai a par ailleurs créé au sein de la maison de la culture un institut de recherche, dans le but de mettre en valeur et de sauvegarder les arts populaires. “Ces arts, explique-t-il, ont la particularité de se transmettre oralement, sans laisser de traces écrites. Prenons l’exemple de la broderie au point de croix, pratiquée chez nous par les femmes du peuple des ‘Yao à fleurs’. Dès l’âge de 7 ans, les fillettes s’y mettent, à un âge où elles n’ont pas encore reçu d’éducation et ne savent même pas lire le moindre caractère. Elles brodent à leur idée, sans suivre de modèle. Mais ces idées spontanées, elles les tiennent en fait de leurs mères. Pour conserver ce genre de choses, l’environnement est très important. Autrefois, toutes les femmes connaissaient le point de croix, mais, maintenant, elles partent travailler au loin et plus personne n’est là pour apprendre cet art à leurs enfants. Et puis, la qualité de la broderie a baissé :on est loin des 500 000 points d’autrefois.Alors qu’auparavant il fallait trois à cinq mois pour terminer une broderie, maintenant, en deux ou trois jours, c’est fini ! C’est pourquoi nous organisons des concours de broderie pour récompenser les personnes les plus talentueuses.” On peut également mettre à l’actif de Tan Baolai la redécouverte des marionnettes à gaine (budaixi). Au Hunan, ce genre de théâtre était très répandu. Dans les années 1950, des représentations furent même données dans des pays d’Europe de l’Est, mais la Révolution culturelle [1966-1976] porta gravement atteinte à cette forme de divertissement. Si l’on pouvait encore en voir dans les années 1980, elles avaient pratiquement disparu dans les années 1990. Or Tan Baolai entendit dire en 2001 qu’un antiquaire venait d’acheter deux attirails de montreurs de marionnettes ; il en conclut qu’il devait encore exister quelques manipulateurs et partit à leur recherche aux quatre coins de la région. Finalement, il en trouva deux. “J’ai demandé à SANLIAN SHENGHUO ZHOUKAN Pékin A D M I N I S T R AT I O N ’est en 1981, après son départ de l’armée, que Tan Baolai est devenu directeur de la maison de la culture de la ville de Shaoyang [dans le Hunan, dans le sud du pays]. Depuis cette date, il n’a cessé d’œuvrer en faveur de la sauvegarde des arts populaires, qu’il s’agisse d’artisanat, de pratiques domestiques (comme la broderie), de festivités traditionnelles ou de spectacles de rue. Pour ce faire, il passe son temps à enquêter sur le terrain, dans les villages du Hunan. Au début des années 1980, il avait recensé une centaine de formes d’art populaire intéressantes, mais, quand il est retourné dans tous les endroits déjà visités, il a pu constater que la plupart des détenteurs de ces savoir-faire (309 sur 366) avaient déjà disparu ; et que seulement vingtsix des formes d’art populaire recensées par ses soins étaient encore pratiquées. La disparition des arts populaires est extrêmement rapide. “J’ai pensé que cela ne pouvait continuer ainsi, qu’il fallait inciter les gens à transmettre leurs techniques”, explique Tan Baolai. Mais, dans la pratique, le premier problème auquel il se heurte est d’ordre financier. Aussi espère-t-il une prise de conscience de la part des autorités. “Beaucoup de dirigeants ne comprennent pas : il faut Le patrimoine culturel au musée C ■ La Chine prend peu à peu conscience de la rapide disparition du patrimoine, des connaissances et des savoir-faire traditionnels dans un pays happé par le tourbillon de la modernité. Le 11 juin dernier, elle a célébré sa première Journée du patrimoine culturel. La presse nationale et locale s’est faite l’écho d’ouvertures de musées, d’expositions de matériels de tissage et de broderie, de démonstrations de découpe de papier, de fabrication de marionnettes et de figurines, d’impression d’images du nouvel an, de représentations théâtrales et musicales… Le journal shanghaïen Jiefang Ribao rapporte ainsi que l’Etat avait organisé la collecte de plus de 60 000 objets utilisés dans le théâtre d’ombres chinoises, objets disséminés qui étaient menacés de destruction. La quantité d’objets et leur diversité permettent de composer un ensemble représentatif de cet art internationalement réputé, écrit le journal. La Chine mène depuis longtemps plusieurs programmes de conservation des arts populaires, notamment sous la forme d’un inventaire du patrimoine folklorique national collecté dans des annales locales. La musique fait l’objet d’un effort par- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 44 ticulier, avec une demande d’inscription de nombreuses formes d’art musical chinois au registre du patrimoine intangible de l’humanité de l’UNESCO. Côté architecture, la Chine populaire a dès sa naissance obéi à des impératifs d’industrialisation et rasé bien des murailles de villes anciennes. Elle a ignoré pendant des décennies “la notion de patrimoine culturel, qui a été réservée à des structures isolées et à des monuments, écrit le webzine universitaire australien Heritage Project Newsletter. Le résultat est que bien des espaces chargés d’histoire ont tout simplement cessé d’exister faute d’intégrité architecturale.” Dans les années 1980, les destructions se sont poursuivies. “Peu de paysages urbains ont subi une destruction aussi radicale de leur architecture traditionnelle que la ville de Shaoxing – une petite ville du Sud sillonnée de canaux –, où au milieu des années 1980 de larges portions de la ville évoquaient encore les lieux décrits par l’écrivain Lu Xun [1881-1936].” La Chine a tout de même obtenu l’inscription de trois agglomérations traditionnelles au Patrimoine de l’humanité, ce qui lui a permis au passage d’élaborer ses propres critères de préservation des villes. DU 22 AU 28 JUIN 2006 19/06/06 17:27 Page 45 Préparation d’une impression de tissu par des femmes de la minorité baie dans la région de Dali (Yunnan). l’un d’eux de me chanter une scène. Il y arrivait encore bien. J’ai proposé qu’il s’entraîne chez lui chaque jour contre un petit salaire. Quand elles ont appris la nouvelle, les différentes chaînes de télévision du Hunan sont venues réaliser des reportages.Nous nous sommes dépêchés d’aller demander aux autorités municipales qu’elles versent 500 yuans par mois à ce marionnettiste, à condition qu’il répète son répertoire dix jours par mois et qu’il accepte de former des apprentis.” C’est ainsi qu’une pratique sur le point de disparaître a pu être sauvée. Tan Baolai donne un autre exemple. “Les tissus imprimés indigo (lanyin huabu) constituaient autrefois un des piliers de notre industrie, mais cette technique a totalement disparu dans les années 1980. Il y a deux ans, après enquête, j’ai découvert quelqu’un qui savait encore comment en fabriquer, mais cette personne avait plus de 80 ans. Je suis allé chez le vieil homme huit ou neuf fois. Comme il ne pouvait plus le faire lui-même, il m’a donné tout son matériel, y compris des anciens patrons datant d’avant la Libération [la victoire des troupes communistes contre les nationalistes, en 1949], en m’expliquant bien le procédé et la technique de fabrication. Ses explications se sont étalées sur plusieurs jours. Je les ai consignées en faisant des enregistrements audio et vidéo. Puis j’ai essayé de reproduire ce qu’il m’avait dit et j’ai rendu public son savoir-faire.” Tan Baolai a réalisé une exposition sur cette technique dans les vitrines de la maison de la culture, afin que les gens du coin puissent la réapprendre. Il est malheureusement impossible d’empêcher certains arts populaires de disparaître, car la survie du patrimoine culturel immatériel est plus ou moins condamnée par le développement actuel de l’économie industrielle. Et leur sauvegarde ne peut reposer sur les seules épaules de M. Tan. “Le principal problème, nous a-t-il expliqué, est le manque de moyens. Quand on va voir un dirigeant, il vous accorde un peu d’argent. Mais, la deuxième ou la troisième fois, il répond évasivement en disant qu’il étudiera ça… Pour nous, le plus gros problème, c’est vraiment l’aspect financier.” Au cours de notre enquête, un responsable du département de la Culture de la province du Guangdong nous a indiqué que l’enveloppe accordée au ministère de la Culture ne représentait que 1 % de l’ensemble du budget régional. Or sauvegarder le patrimoine cul- turel immatériel nécessite des fonds importants. Faute d’enveloppe budgétaire, beaucoup de promesses faites au niveau local ne sont que des paroles en l’air. Quant au maintien de cette culture immatérielle à l’état vivant, Wang Qun, lecteur à l’Institut de recherches sur les arts populaires de la province du Yunnan [province du SudOuest, riche en minorités nationales], estime qu’elle doit s’appuyer sur des usages sociaux. C’est notamment le cas des chansons d’amour ou de certaines céré- “Ces arts ont la particularité de se transmettre oralement” Une femme de la minorité jingpo, lors d’une fête, porte un vêtement traditionnel orné d’argent. Jim Goodman/On Asia Patrick Landmann/Corbis Sygma 816 p.44-45 COURRIER INTERNATIONAL N° 816 45 monies religieuses. “Certains modes de vie peuvent encore être récupérés. En fait, de nombreuses pratiques traditionnelles peuvent très bien aller de pair avec un mode de vie moderne. Prenons, par exemple, les tissus traditionnels des minorités ethniques du Yunnan. Les jeunes appartenant à ces minorités ne se sentent pas tous obligés de s’habiller à la dernière mode. Mais se pose un problème de qualité. Si les vêtements traditionnels étaient confectionnés avec davantage de soin,un peu comme les kimonos au Japon,ils seraient plus valorisés à leurs yeux. Les costumes du peuple Jinuo [peuple aborigène de Xishuangbanna, préfecture du sudouest duYunnan] sont extrêmement beaux, mais, à cause de techniques de tissage très primitives, les jeunes ne portent ces tenues qu’au moment des fêtes. Je pense qu’il faudrait utiliser des moyens modernes pour améliorer la qualité et ainsi redonner vie à cette tradition.” Le Yunnan est une région très riche en cultures populaires.Wang Qun évoque ce qui a empêché leur transmission : leur interdiction sous un prétexte ou un autre, alors qu’ils avaient encore une fonction pratique. “Par exemple, le théâtre d’exorcisme [nuoxi, une forme de théâtre masqué à valeur rituelle] est une forme de spectacle au cours duquel la population fait des vœux ou les accomplit. Pendant quelques années, on a interdit toute représentation [probablement en les présentant comme des pratiques superstitieuses]. Quiconque bravait cette interdiction était immédiatement embarqué par la police. Pourtant, ces spectacles comportent un fort élément de culture populaire, car, pour plaire au public, on a inséré des emprunts au monde du théâtre dans la cérémonie rituelle.Aussi le théâtre d’exorcisme comprend-il à la fois un aspect rituel et un aspect théâtral, qui est extrêmement riche. En interdisant cette forme de spectacle, on a tout perdu.” En de nombreux endroits, on prend prétexte du tourisme pour encourager la préservation de la culture immatérielle, mais Wang Qun doute de l’efficacité d’une telle démarche. “Le procédé consistant à donner de l’importance à ces arts populaires pour les besoins du tourisme est positif. Mais, auYunnan, certaines expériences n’ont pas été concluantes. Ainsi, des fêtes populaires qui ont lieu normalement à des dates fixes sont reprogrammées et démultipliées pour les besoins du tourisme, ce qui leur fait perdre leur signification profonde. Pis, on y ajoute parfois des choses qui n’existaient pas au départ pour plaire davantage aux touristes, ce qui ne peut que les dénaturer.” Wang Xiaofeng DU 22 AU 28 JUIN 2006 816 p.46-47 19/06/06 18:12 Page 46 économie ■ sciences Aide-toi, ton cerveau t’aidera p. 48 ■ technologie Le plus petit frigo du monde p. 49 ■ écologie Des légumes et des fleurs qui nous mettent à sec i n t e l l i g e n c e s Des salariés payés à ne rien faire EMPLOI Aux Etats-Unis, ■ 15 000 salariés de l’automobile font du bénévolat ou des mots croisés à plein temps. Mais ce système, conçu pour absorber les sureffectifs temporaires, est menacé. p. 50 THE WALL STREET JOURNAL (extraits) New York près plus de trente-trois ans chez General Motors (GM), Jerry Mellon a accompli, en janvier dernier, l’une des tâches les plus pénibles de sa vie professionnelle. Il a passé une semaine dans la “rubber room”, la chambre capitonnée où l’on entreposait autrefois des pièces de moteur. La salle est désormais meublée de longues tables, et 400 personnes environ peuvent y tenir. Elles doivent arriver à 6 heures du matin tous les jours et y rester jusqu’à 14 h 30, avec une pause déjeuner de quarantecinq minutes. Un contremaître surveille les allées, pointant les salariés qui veulent aller aux toilettes. Quant au travail, il consiste à ne rien faire. Nous sommes dans la “banque d’emplois” [jobs bank], un prog ramme vieux d’une vingtaine d’années aux termes duquel près 15 000 salariés de l’automobile continuent à être payés même si leur entreprise n’a plus besoin d’eux. Pour toucher leur salaire et bénéficier des A Le livre électronique aiguise les appétits p. 51 avantages sociaux, qui ensemble dépassent souvent 100 000 dollars [79 000 euros] par an, ils doivent avoir une activité approuvée par leur employeur. Beaucoup font du bénévolat ou reprennent leurs études. Les autres doivent se présenter à la salle de chômage technique. On a surnommé cette pièce la “cellule capitonnée” en référence aux hôpitaux psychiatriques, parce que “quelques jours dans cet endroit et l’on devient fou”, explique Jerry Mellon. SÉANCES DE CINÉMA ET INITIATION AU TRIVIAL PURSUIT DE FLINT (MICHIGAN) ■ multimédia ● Les banques d’emplois de GM et d’autres constructeurs américains, comme Ford, devraient leur coûter entre 1,4 milliard et 2 milliards de dollars en 2006. Elles sont devenues le symbole des difficultés dans lesquelles se débat Detroit, la capitale de l’automobile américaine, pendant que les constructeurs japonais, fortement implantés aux Etats-Unis, prospèrent. Si GM impute souvent ses déboires aux coûts liés à ses retraités (pensions et assurance-maladie), l’histoire montre que le groupe porte lui-même une part de responsabilité. Car c’est lui qui a lancé l’idée de la jobs bank, en 1984, puis a volontiers accepté de l’étendre en 1990. GM pensait que c’était une solution provisoire en attendant des jours meilleurs, quand les ouvriers pourraient retourner dans les usines. Mais les banques d’emplois n’ont pas réussi à arrêter l’hémorragie de postes chez les constructeurs de Detroit, où le syndicat de l’automo- bile United Auto Workers (UAW) est très présent. Depuis 1990, les effectifs syndiqués chez GM, y compris chez son ancienne filiale, l’équipementier Delphi, sont passés de 358 000 per sonnes à 137 000. Nombre d’entre elles ont pris leur retraite, sont décédées ou ont trouvé un emploi ailleurs. Les autres pointent à la banque d’emplois. Jerry Mellon est né à Flint, il y a cinquante-cinq ans. Ce père de deux enfants est entré chez GM en 1972, marchant sur les traces de son grand-père et de son père. Il a travaillé à la construction de systèmes électroniques pour les prototypes. Mais, en 2000, GM a fusionné deux divisions d’ingénierie et n’a plus eu besoin de ses services. Alors, il a rejoint la banque d’emplois. Depuis, à l’exception d’une brève période en 2001 où il a participé à un projet de camion militaire, GM lui verse l’intégralité de son salaire à ne rien faire, soit actuellement 31 dollars de l’heure ou 64 500 dollars par an, plus l’assurance-maladie et d’autres avantages sociaux. Les salariés de la banque d’emplois peuvent s’acquitter de leurs obligations en prenant des cours proposés par leur employeur, sur huit ou douze semaines. Jerry Mellon a ainsi appris à faire des mots croisés, il a regardé des films sur la guerre de Sécession et il a étudié “des mer veilles créées par l’homme, comme le pont de Brooklyn”. Pendant l’un de ces cours, il s’est même initié au Trivial Pursuit. Puis il s’est rendu à la cellule capitonnée. Il n’a i n t e l l i ge n c e s AUTOMOBILE Detroit se met au régime Dans l’espoir de réduire leur main-d’œuvre pléthorique, General Motors et Ford mettent en place des plans de départs volontaires sans précédent. es salariés de l’industrie automobile affiliés à un syndicat ont jusqu’au 23 juin pour accepter ou non la prime de dépar t volontaire offerte par leur entreprise. Ensuite, ils auront la possibilité de changer d’avis jusqu’au 30 juin. Si Rick Yrlas, 51 ans, ouvrier chez General Motors (GM) à Flint, dans le Michigan, choisit de par tir, il abandonnera un emploi payé 75 000 dollars [59 000 euros] par an et une couver ture santé qui a maintenu sa famille à flot lorsqu’il est tombé malade, il y a quelques années. Il travaille chez GM depuis trente ans et a déjà droit à la retraite. La prime lui permettrait non seulement de créer sa propre entreprise de restauration, mais aussi d’ouvrir un salon de coiffure pour sa femme. Pour GM et Ford, qui a fait une offre similaire à ses employés, le plan de dépar ts volontaires est une façon de réorganiser l’entreprise plus efficace que les accords antérieurs passés avec les syndicats. En revanche, pour la direction de United Auto Workers (UAW), le syndicat du secteur [qui a avalisé le plan de dépar ts], ces primes représentent beaucoup plus que le dilemme devant lequel sont L placés 150 000 de leurs membres. Elles sont le symbole d’un combat perdu et reviennent à admettre que les emplois arrachés de si haute lutte ne peuvent plus être conser vés, que la protection longtemps offer te aux travailleurs qui perdaient leur poste est devenue trop chère et que les constructeurs ne peuvent plus se la permettre. Le mois dernier, dans sa seule déclaration officielle sur le sujet, le syndicat UAW a précisé que 12 400 salariés de GM avaient déjà accepté les primes et que le montant de celles-ci allait de 35 000 à 140 000 dollars. Selon les analystes de Wall Street, ils seraient aujourd’hui plus de 20 000 à avoir signé. Si, comme le prévoient les responsables du syndicat et de l’entreprise, une ruée de dernière minute se produit, le nombre de travailleurs choisissant de prendre leur retraite ou de quitter leur emploi devrait approcher les 30 000, ce qui est l’objectif que s’est fixé GM. Ford offre de son côté jusqu’à 100 000 dollars pour un départ volontaire, avec un minimum de 35 000 dollars pour ceux qui ont droit à la retraite. L’entreprise propose également de prendre en charge les frais de scolarité des enfants, à hauteur de 15 000 dollars. Ces primes concernent les employés des usines qu’elle envisage de fermer. Si les salariés refusent de par tir, les pro- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 46 DU 22 AU 28 JUIN 2006 grammes de protection de l’emploi, tels que la banque d’emplois [lire ci-dessus], obligeront GM et Ford, qui comptent supprimer 60 000 postes au total dans les deux prochaines années, à maintenir les salaires et les avantages de leurs employés inoccupés. Déjà 6 500 travailleurs sont concernés par le programme de GM et 1 100 par celui de Ford. Selon Joe W. Laymon, directeur adjoint des ressources humaines chez Ford, allonger la liste des bénéficiaires de ces banques d’emplois représenterait pour les deux groupes “un handicap concurrentiel de taille” face à leurs rivaux, notamment les constructeurs asiatiques – qui, en mai 2006, ont déjà conquis 40 % du marché américain. Rien ne garantit par ailleurs que les dispositions relatives à la sécurité des revenus seront conser vées en 2007. Les accords passés avec les syndicats doivent être renégociés l’été prochain, et tout por te à croire que les entreprises vont faire le maximum pour les revoir à la baisse, voire les réduire à néant. Rick Yrlas, qui vérifie que les pickup sor tant de l’usine de Flint ne présentent aucun défaut, n’a encore rien décidé. Ses économies sont maigres, et il ne veut pas livrer sa famille à l’économie dévastée du Michigan sans un minimum de protection. Micheline Maynard et Jeremy W. Peters, The New York Times (extraits), Etats-Unis. 816 p.46-47 19/06/06 18:13 Page 47 économie L e s deux par ties par viennent à un accord le 21 septembre 1984. L’UAW assure alors à ses membres que leurs emplois n’ont “jamais été aussi sûrs”. Le syndicat était persuadé que la banque d’emplois obligerait GM à fournir du travail aux salariés syndiqués, parce qu’aucune entreprise ne voudrait payer des gens à ne rien faire. Peu après, Ford emboîta le pas à GM. pas tenu plus d’une semaine. “Je n’en pouvais plus. Moi, j’ai besoin de m’occuper. Et puis, il y a un surveillant qui marche de long en large et qui fixe chacune des personnes présentes. C’est pire que la retenue, au lycée.” D’après lui, c’est la “mentalité de chaîne de montage” qui permet aux ouvriers de supporter cela. “Beaucoup se contentent d’être assis dans cette salle et de toucher leur chèque parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre, expliquet-il. Pendant vingt ans, ils ont serré des écrous à longueur de journée, à mesure que les pièces avançaient sur la chaîne. Maintenant, face à cette dure réalité, ils sont trop heureux de voir le chèque continuer d’arriver et de pouvoir payer les études de leur gosse à l’université.” Jerry Mellon a vite trouvé un moyen d’échapper à la chambre capitonnée : le bénévolat. UNE INITIATIVE PATRONALE SOUTENUE PAR LES SYNDICATS Les employés de GM représentent un peu plus de la moitié des 14 700 salariés inscrits aux banques d’emplois. Avec 3 600 membres, l’équipementier Delphi, qui a déposé le bilan en octobre 2005, arrive en seconde position. Chrysler en compte 2 500, et Ford 1 100. Ces chiffres vont probablement augmenter, les entreprises de Detroit s’apprêtant à supprimer plus de 60 000 emplois en deux ans. Le système est né durant les périodes de vaches maigres qu’a traversées Detroit à la fin des années 1970 et au début des années 1980. L’envolée des prix du pétrole, une profonde récession et la première grande offensive des voitures japonaises moins gourmandes en carburant ont Dessin de Katja mis à genoux les trois grands constructeurs locaux et détruit des dizaines de milliers d’emplois syndiqués. Pour lutter contre cette nouvelle concurrence, GM a alors mis au point un plan de 24 milliards de dollars destiné à améliorer l’automatisation dans ses usines et à copier les efficaces méthodes de production des Japonais. “Nos ouvriers avaient bien sûr très peur des robots”, se souvient l’ancien président de l’UAW, Douglas Fraser, qui a quitté le syndicat en 1982 et enseigne aujourd’hui l’histoire des relations sociales. C’est dans ce contexte que s’est engagée, en 1984, la renégociation de l’accord entre l’UAW et GM avec un personnel effrayé et une entreprise désireuse de relever le défi japonais. Les archives de la bibliothèque Walther Reuther, à l’université d’Etat Wayne de Detroit, relatent précisément les événements qui ont suivi. Le 8 août 1984, dans une brève note interne, GM propose la création d’une “banque de développement des ressources humaines”. Le but était d’assurer une formation ou de trouver un poste aux syndiqués confirmés, qui, “autrement, auraient été licenciés” à cause des progrès technologiques ou des gains de productivité. La direction envisage un programme de trois ans, réservé aux salariés présents depuis dix ans et dont le coût total ne dépasserait pas 500 millions de dollars. Le syndicat fait une contre-proposition, demandant que le programme dure six ans, couvre les salariés à partir de six ans d’ancienneté, et coûte jusqu’à 1 milliard. GM accepte, incluant même ultérieurement les employés ayant seulement un an d’ancienneté. Enseling paru dans La Vanguardia, Barcelone. UNE RÉFORME INDISPENSABLE MAIS LOURDE DE CONSÉQUENCES L’électronicien Tom Adams prépare un doctorat en histoire à l’université d’Etat du Michigan. Il est membre de la banque d’emplois depuis 2001, avec une parenthèse de dix-huit mois durant laquelle il a planché sur un projet de camion. Son sujet de thèse : GM, l’UAW et la ville de Flint. Adams éprouve des sentiments partagés à propos de la banque. D’un côté, il y a son expérience personnelle. “Pour moi, ç’a été merveilleux. Le but est atteint, je ne serai pas un fardeau pour la société.” De l’autre, ses études l’amènent à penser que “le problème de GM ne réside pas dans les gens qui sont à la banque, mais dans son incapacité à produire un véhicule dont les consommateurs veulent. Le groupe a repris la notion d’emploi à vie de Toyota et l’a appliquée à la culture GM, avec pour seul résultat la création de pesanteurs administratives”. Les trois grands constructeurs américains chercheront certainement PERCÉE JAPONAISE 40 30 Sources : Global Insight, “Financial Times” 20 Hyundai Toyota Honda Chrysler Nissan GM Fiat Ford Peugeot Renault BMW VW Mercedes Porsche Toyota Honda Nissan GM Ford Daimler Chrysler 10 0 1985 1995 2005 0 10 20 30 40 Sources : estimations d’UBS, “Financial Times” Nombre de voitures produites par salarié (en 2004) Part de marché aux Etats-Unis (en %) COURRIER INTERNATIONAL N° 816 47 DU 22 AU 28 JUIN 2006 à réduire l’ampleur du programme lors de la renégociation des accords avec l’UAW l’an prochain. Les dirigeants syndicaux ont conscience qu’il est difficile de défendre le système devant l’opinion, mais ils redoutent les conséquences d’une réforme pour la collectivité. Art Luna préside l’antenne locale 602 de l’UAW à Lansing, située près d’une usine désaffectée de GM. Un panneau sur le parking prévient : “Tout véhicule qui n’est pas nord-américain sera enlevé aux frais du propriétaire.” L’antenne compte 840 membres inscrits à la banque, dont 600 font du travail associatif ou des études. “La banque devrait exister encore après 2007, mais pas sous sa forme actuelle, et ce sera dommage pour les communautés locales. Elle fait beaucoup de choses pour les écoles, les agences, les espaces verts”, regrette déjà Art Luna, un GM de la troisième génération. A Flint, Jerry Mellon s’attend lui aussi à des changements. “Je comprends qu’il faille mettre un terme au système. C’est vrai qu’en six ans ils m’ont payé près de 400 000 dollars à me croiser les bras. Mais il faut m’indemniser. Qu’ils me mettent à la retraite avec, disons, une prime de 2 000 dollars pour chaque année de travail. J’en ai besoin, parce que, vous savez, ils vont tailler de plus en plus dans notre assurance-maladie et nos pensions. On devient si vulnérable à la retraite”, assure-t-il. Jeffrey McCracken 816 p.48-49 19/06/06 18:53 Page 48 sciences i n t e l l i g e n c e s ● Aide-toi, ton cerveau t’aidera NEUROSCIENCES Les chercheurs ■ pensent avoir trouvé un moyen d’amener le cerveau à se régénérer après un accident cérébro-vasculaire. TECHNOLOGY REVIEW Cambridge (Massachusetts) l y a neuf ans, Chris Ware, un ancien policier, a été victime d’une attaque cérébrale qui l’a laissé paralysé du côté droit. Malgré ses efforts pour réapprendre à parler et à marcher, il est resté lourdement handicapé jusqu’à ce qu’il participe à un essai clinique. A l’issue de celui-ci, il a réussi à faire beaucoup plus de choses seul, comme attacher ses lacets et conduire. “Le concept de neuroplasticité permet d’espérer une meilleure récupération après une lésion cérébrale”, affirme Carolee Winstein, kinésithérapeute à l’université de Californie du Sud à Los Angeles. “Je pense que nous allons voir apparaître beaucoup de nouvelles techniques et de nouveaux traitements qui essaieront d’exploiter cette capacité naturelle. C’est une époque passionnante dans le domaine de la rééducation physique.” L’essai auquel a participé Chris Ware repose sur des découvertes qui datent de quelques années, et qui mettent en évidence que le cerveau pos- I Dessin d’Ingram Pinn paru dans le Financial Times, Londres. sède de remarquables capacités d’autoréparation et d’adaptabilité, appelées “neuroplasticité”. Désireux de tirer parti de cette faculté, des chercheurs américains ont mis au point un moyen d’exercer une stimulation électrique directement sur l’encéphale. Cette thérapeutique permettrait d’activer les mécanismes de régénération du cerveau et de favoriser la récupération à la suite d’une attaque cérébrale. Les tests réalisés aussi bien chez l’animal que chez l’homme ont montré qu’après un accident vasculaire cérébral (AVC) les neurones situés près des tissus endommagés commencent à se réor- ganiser pour tenter de prendre le relais de ceux qui ont été détruits. Mais ils n’y parviennent pas toujours puisque certains patients recouvrent la parole ou l’usage de leurs jambes, tandis que d’autres restent handicapés à vie. Les malades peuvent parfois mieux récupérer en faisant des exercices qui sollicitent les mécanismes de réparation naturels du cerveau. “Mais, dans la plupart des cas, cela ne suffit pas”, précise Alan Levy, directeur général de Northstar Neuroscience, un laboratoire américain spécialisé dans les appareils médicaux qui a organisé l’essai clinique de Chris Ware. Alan Levy et ses collaborateurs ont donc décidé d’aider le cerveau à se régénérer en stimulant des zones spécifiques du cortex. Les premiers tests effectués sur l’homme sont prometteurs : les patients soumis à la fois à un traitement de rééducation et à une stimulation électrique montraient une amélioration de 15 % à 30 % dans le contrôle des mains et des bras alors que le groupe témoin, qui n’avait suivi qu’une kinésithérapie, ne montrait qu’une amélioration de 0 % à 12 %. Northstar mène aujourd’hui des essais dans dix-huit centres de rééducation répartis sur tout le territoire américain. UN PROCÉDÉ QUI EST ENCORE DIFFICILE À MAÎTRISER Les spécialistes pensent cependant qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité de cette thérapeutique et son application. “Nous allons devoir attendre les résultats des essais menés sur un plus grand nombre de patients pour savoir si elle est efficace et dans quelles circonstances elle l’est”, explique Douglas Katz, neurologue à la faculté de médecine de Boston. “Différents facteurs entrent en jeu, tels que l’endroit où s’est produit l’AVC, le temps qui s’est écoulé entre l’attaque et le début du traitement et l’intensité de la stimulation. Je pense toutefois que ces techniques sont très prometteuses”, poursuit-il. L’efficacité de l’électrostimulation pourrait également dépendre de la gravité de l’attaque. Randolph Nudo, directeur du Landon Center on Aging de la faculté de médecine du Kansas, étudie sur l’animal les effets de la technique mise au point par Northstar. Selon lui, il est possible que ce traitement ne soit bénéfique qu’aux COURRIER INTERNATIONAL N° 816 48 DU 22 AU 28 JUIN 2006 patients souffrant de troubles relativement légers et qu’il n’ait aucun effet chez ceux qui ont eu une attaque plus grave, auxquels il reste moins de neurones pour prendre le relais de la région endommagée. Nudo et ses collaborateurs effectuent des recherches très poussées pour déterminer quels sont les paramètres favorables au traitement et s’il est possible, dans le cas d’attaques plus graves, de solliciter des régions plus éloignées de la zone endommagée. Les scientifiques ne savent pas encore précisément comment fonctionne l’électrostimulation, mais les recherches menées sur les animaux leur ont fourni quelques indices : “Nous pensons que nous modifions l’excitabilité des neurones dans les tissus qui n’ont pas été endommagés”, explique Randolph Nudo. Les neurones communiquent en s’envoyant des signaux électriques. Lorsqu’on bouge la main pour prendre une tasse, par exemple, les neurones du cortex moteur s’activent pour commander aux muscles du bras de bouger. Par conséquent, si l’on stimule une région du cerveau qui est en train de se régénérer en même temps que le patient essaie de déplacer une tasse, cela devrait favoriser l’activation des neurones qui constituent cette région. Pour les chercheurs, il est possible que la répétition d’exercices et la stimulation électrique permettent aux neurones d’établir de nouvelles connexions qui entraînent une modification durable de l’habileté motrice. L’association de l’électrostimulation et de la rééducation serait donc la clé de cette thérapeutique. “L’appareil augmente l’efficacité des mouvements volontaires du patient, ajoute Carolee Winstein. Combiner plusieurs techniques semble être plus efficace qu’utiliser n’importe quel traitement seul.” Le stimulateur cortical de Northstar nécessite la pose d’une électrode à même le cerveau, et donc de percer le crâne. Mais ce n’est pas le seul moyen envisagé pour favoriser la régénération des cellules après une attaque cérébrale. Certains neurologues font des recherches sur la stimulation magnétique transcrânienne, une méthode non invasive car elle ne nécessite pas de percer le crâne. D’autres travaillent à la mise au point de médicaments. Mais, pour Randolph Nudo, la stimulation électrique présente certains avantages. “Elle permet de mieux contrôler la direction de la stimulation ainsi que d’autres paramètres tels que sa fréquence, précise-t-il. On ne peut obtenir ce type de contrôle avec un médicament.” Northstar envisage également d’utiliser l’électrostimulation pour traiter des affections telles que les lésions cérébrales d’origine accidentelle, les troubles auditifs, moteurs et neuropsychiatriques, et les douleurs chroniques. Le laboratoire mène déjà des essais cliniques sur des patients atteints d’aphasie (troubles de la parole), d’acouphènes (bruits dans les oreilles) et d’hémiparésie (paralysie partielle d’une moitié du corps). Emily Singer 816 p.48-49 19/06/06 18:57 Page 49 technologie i n t e l l i g e n c e s ● Le plus petit frigo du monde PHYSIQUE Deux chercheurs ■ viennent de découvrir le principe d’un réfrigérateur moléculaire. Mais ils ne savent pas encore comment le fabriquer… ■ Londres oici une idée pour garder vos nanobières au frais : le plus petit réfrigérateur au monde. Le principe a été mis au point par Chris Van den Broeck, de l’université de Hasselt, en Belgique, et Ryoichi Kawai, de l’université de l’Alabama à Birmingham. Le système repose sur l’agitation aléatoire des molécules, un phénomène connu sous le nom de mouvement brownien. C’est en effet le botaniste Robert Brown qui l’a découvert, en 1827, en observant au microscope des particules de pollen et en constatant que celles-ci ne cessaient de se mouvoir dans tous les sens. En général, plus les molécules bougent vite, plus leur température est élevée, et inversement. Nos deux physiciens proposent donc d’aspirer l’énergie des molécules d’une région en accélérant les molécules d’une région voisine grâce à une sorte de roue à aubes. Cette proposition rappelle une idée amusante évoquée au XIXe siècle par le physicien James Maxwell, fondateur de la thermodynamique moderne. Dans une boîte contenant un gaz, on a deux compartiments séparés par une porte ; un démon peut réchauffer un compartiment et refroidir l’autre simplement en ouvrant et fermant celleci de façon à ne laisser passer que les molécules les plus rapides, donc les plus chaudes.Van den Broeck et Kawai proposent une idée un petit peu plus facile à réaliser car elle ne nécessite pas l’intervention d’un démon. Elle V Cale Bestiaire Les grands physiciens ont souvent recours à des expériences de pensée qu’ils peuplent d’étranges créatures. Le démon de Maxwell a été imaginé par le savant écossais pour tenter de mettre en défaut l’une des lois universelles de la physique (la deuxième loi de la thermodynamique). Le démon de Laplace, enfanté par le physicien français éponyme, possédait, lui, le pouvoir de connaître, à un instant donné, tous les paramètres de toutes les particules de l’Univers. Il sera utilisé pour discuter le principe de déterminisme par Heisenberg. Quant au chat de Schrödinger, il a été inventé pour expliciter le caractère paradoxal de la mécanique quantique. Pale Molécule CHAUD Lorsqu'il fait chaud dans le compartiment du bas, les molécules se mettent à percuter les pales de façon aléatoire, ce qui induit un mouvement. Dans le compartiment du dessus, l’asymétrie des cales fait que ce mouvement est bien plus facile dans un sens que dans l’autre. La chaleur du compartiment du bas fait tourner la roue du haut dans le sens des aiguilles d’une montre. NEUTRE FROID LE DÉMON DE MAXWELL REMPLACÉ PAR UN MOTEUR SIMPLE NEUTRE CHAUD En inversant ce principe, on crée un frigidaire moléculaire. En effet, si l'on parvient à forcer la roue à tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, le compartiment supérieur se refroidit et le compartiment inférieur se réchauffe. B I O - I N F O R M AT I Q U E Des ordinateurs à enzymes dans notre corps ■ Des chercheurs israéliens ont mis au point un ordinateur moléculaire utilisant des enzymes pour effectuer ses calculs. Itamar Willner, qui a assemblé la machine avec ses collègues de l’Université hébraïque de Jérusalem, pense que des ordinateurs fonctionnant aux enzymes pourraient être implantés dans l’organisme humain et être utilisés, par exemple, pour adapter l’administration de médicaments en fonction du métabolisme particulier d’un individu. L’équipe a construit l’ordinateur à par tir de deux enzymes – la glucose déshydrogénase ou GDH [participant au métabolisme des globules rouges] et la peroxydase du raifor t (hexamère) ou HRP [utilisée en biologie moléculaire pour la détection d’anticorps] –, qui produisent deux réactions chimiques interconnectées [ce que produit la GDH est utilisé par la HRP et vice versa]. Les deux composés biochimiques issus de ces réactions – le peroxyde d’hydrogène et le glucose – sont uti- lisés pour représenter les valeurs d’entrée. La présence de chacun des composants correspond au nombre binaire 1, tandis que son absence représente le binaire 0. Les enzymes sont d’ores et déjà largement employées dans l’assistance aux calculs d’ordinateurs utilisant de l’ADN spécialement encodé. En termes de vitesse et de puissance, ces systèmes à ADN pourraient dépasser les ordinateurs actuels à base de silicium car ils sont capables d’effectuer de nombreux calculs simultanément et d’accueillir un nombre colossal de composants dans un espace minuscule. Mais Willner précise que son ordinateur n’est pas conçu pour la vitesse et qu’effectuer un calcul peut lui prendre plusieurs minutes. Cependant, il estime qu’à terme sa machine pourrait être incorporée à des dispositifs de biocapteurs, puis utilisée, par exemple, pour surveiller la réaction d’un patient à un dosage médicamenteux. “Il s’agit d’un ordinateur qui pourrait être intégré au corps humain, ajoute COURRIER INTERNATIONAL N° 816 Willner. Il nous semble possible d’implanter un ordinateur à enzymes dans l’organisme et de l’utiliser pour analyser une voie métabolique dans son intégralité.” Martyn Amos, de l’université d’Exeter, en Grande-Bretagne, voit également un grand potentiel dans ces machines. “Le développement de ce genre d’appareils basiques est vital pour le succès des futurs ordinateurs biomoléculaires, souligne-t-il. Si de tels dispositifs pouvaient être assemblés au cœur de cellules vivantes, ils pourraient jouer un rôle dans des applications telles que l’administration intelligente de médicaments. Grâce à eux, un agent thérapeutique pourrait être fabriqué sur le site même du problème. Ces systèmes pourraient également faire office de ‘valve de sécurité’ biologique et empêcher les cellules modifiées de proliférer de façon incontrôlée et de provoquer des cancers.” Will Knight, New Scientist, Londres 49 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Courrier international, C. Van den Broeck NATURE repose sur l’inversion du concept de nanoroue à aubes (ou nanomoteur) élaboré précédemment. Celui-ci fonctionne selon le principe suivant : imaginez une paroi séparant un volume. D’un côté, une roue dotée de pales ; de l’autre, une roue dotée de cales (voir schéma). Les deux roues sont reliées l’une à l’autre par une tige et séparées par une membrane isolante. Si la région inférieure est très chaude, avec des molécules qui filent dans tous les sens, les particules frappent fréquemment les pales de la roue du bas. Comme ce mouvement est aléatoire, la roue tourne dans les deux sens. Mais il y a une différence. Quand elle tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, la roue supérieure, entraînée par l’axe, frappe les molécules avec la face verticale des cales, ce qui la ralentit. Si la roue inférieure tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, les coins de la roue supérieure pénètrent dans le bouillon de molécules avec leur face oblique, qui présente moins de résistance. Le résultat net d’un grand nombre de ces minicollisions sera donc que la roue inférieure tournera dans le sens des aiguilles d’une montre. UN NANOMOTEUR EN ACTION Van den Broeck et Kawai ont tout simplement inversé ce mécanisme. Dans leur modèle, les deux régions ont au départ la même température et c’est un moteur qui fait tourner la roue. La région inférieure devient alors plus chaude que celle du dessus. Le plus surprenant, c’est que, d’après les calculs effectués par les chercheurs à partir des équations standards de la thermodynamique, on peut non seulement réchauffer la région inférieure mais aussi refroidir la région supérieure. On obtient ainsi le principe d’un réfrigérateur microscopique. Cependant, même si c’est là ce qui ressort des calculs, on ne sait pas exactement comment les molécules ralentissent leurs mouvements dans la région supérieure. “Si c’était facile à comprendre, on aurait trouvé ça beaucoup plus tôt”, estime Van den Broeck. “On ne peut pas l’expliquer comme ça, c’est statistique.” “Ce n’est pas un gros effet – de fait, c’est plutôt minuscule”, remarque le physicien Anders Kastberg, de l’université d’Umeå en Suède. “Mais il faut bien commencer quelque part. C’est une belle idée et, pour autant que je sache, un nouveau mécanisme.” Les deux spécialistes en physique théorique reconnaissent qu’il faudra concevoir un dispositif moléculaire particulièrement astucieux pour que leur idée devienne réalité, il faudra donc un certain temps avant que votre nanobière parvienne à la température idéale. Le système chargé de faire tourner la roue sera particulièrement délicat à mettre au point. Van den Broeck imagine qu’on puisse utiliser des lasers ou des aimants, mais il reconnaît que c’est à la limite du faisable. “J’aime les théoriciens”, confie Kastberg avec amusement. “Ils n’ont pas à se soucier de la réalité.” Mark Peplow 816p50 19/06/06 16:43 Page 50 écologie i n t e l l i g e n c e s ● Des légumes et des fleurs qui nous mettent à sec CONSOMMATION d’exporter la sécheresse. La culture de produits à forte valeur ajoutée est bénéfique pour l’économie de ces pays, mais ses effets sur la pauvreté sont inégaux. Durant la saison sèche, les paysans dont les terres sont situées en aval [du réseau d’irrigation] se retrouvent avec des lits de rivière à sec”, estime Bruce Lankford, maître de conférences en ressources naturelles à l’université d’East Anglia, à Norwich, en Grande-Bretagne. Un documentaire intitulé A World Without Water [Un monde sans eau], diffusé récemment sur Channel 4, décrit les conséquences de la pénurie croissante d’eau et les batailles qu’il va falloir livrer pour y remédier. Il montre que l’eau est de plus en plus considérée comme un bien négociable et une source de profits, ce qui prive les plus pauvres d’un produit de première nécessité. Les salades vendues en Grande-Bretagne proviennent d’Afrique mais aussi du sud de l’Espagne, une région frappée elle aussi par la sécheresse et où, en 2005, la pluviométrie a été la plus faible jamais enregistrée. La production de tomates nécessite des usines de dessalement, qui consomment beaucoup d’énergie et contribuent à accroître la salinité des eaux du littoral. Les serres couvrent une superficie si vaste qu’on peut désormais les voir de l’espace. ■ Exporter des produits agricoles rapporte des devises, mais, dans certains pays, cela aggrave la pénurie d’eau. Analyse d’un effet pervers méconnu. THE INDEPENDENT Londres our vous, ce n’est qu’une salade que vous déposez dans votre chariot du supermarché avec les autres courses de la semaine. Mais, pour les paysans kényans, privés d’eau par une agriculture intensive, elle peut évoquer la misère. Alors que la planète manque d’eau, les clients des supermarchés contribuent à leur insu à la sécheresse mondiale, selon des groupes écologistes. Ces consommateurs qui parcourent les allées des grandes surfaces à la recherche de tomates espagnoles, de pommes de terre égyptiennes ou de roses kényanes sont en train d’aggraver la pénurie de la plus précieuse de nos ressources. Les légumes que le Kenya, par exemple, cultive pour l’exportation incluent la laitue, la roquette, les mélanges de jeunes pousses, les mange-tout, les pois et les brocolis. Mais la production d’une salade de 50 grammes nécessite près de 50 litres d’eau, alors que dans cer taines régions cette ressource est extrêmement rare. Une salade composée faite de tomates, de céleri, de concombres et de laitue exige plus de 300 litres. A ces chiffres il faut encore ajouter l’eau requise pour le lavage, le traitement et l’emballage. Le commerce international de légumes et de fleurs hors saison représente un emploi pour un cer- P L’AGRICULTURE UTILISE LES 2/3 DE L’EAU DOUCE DE LA PLANÈTE “Chocolat belge, surgelés, lait suisse, légumes, fruits tropicaux, viande, pâtes.” Dessin de Merino, paru dans La Vanguardia, Barcelone. tain nombre de gens et la fortune pour une minorité. Mais, pour les paysans qui se retrouvent sans eau à cause de grosses exploitations qui l’ont pompée en amont, il est source de difficultés considérables et d’une dégradation irrémédiable de l’environnement. “Nous sommes en train En Egypte, les légumes sont devenus des denrées d’exportation si précieuses que le gouvernement a menacé d’une action militaire tout pays qui construirait un barrage en amont sur le Nil ou ses affluents. La moitié des fleurs coupées vendues dans les supermarchés britanniques proviennent du Kenya, où le volume des exportations vers la Grande-Bretagne a augmenté de 85 % entre 2001 et 2005. Les roses et les œillets sont les spécialités de la région du lac Naivasha, mais, à terme, le lac ne pourra satisfaire l’in- GASPILLAGES Un phénomène mondial ■ Rajasthan, Inde Coca-Cola est accusé d’avoir aggravé la pénurie d’eau dans une région où les réserves étaient déjà insuffisantes et les précipitations peu abondantes. Les chiffres officiels indiquent que, malgré une faible pluviosité, les niveaux d’eau étaient restés stables entre 1995 et 2000, mais que, après l’ouverture d’une usine d’embouteillage dans la région, ils ont chuté de près de 10 mètres, ce qui a privé d’eau les fermes environnantes. Il faut entre 3 et 9 litres d’eau pour produire 1 litre de Coca-Cola. Une usine d’embouteillage extrait entre 1 million et 1,5 million de litres d’eau par jour. ■ Equateur Il est courant que les producteurs équatoriens de roses utilisent 15 à 20 fongicides, insecticides et herbicides par hec- tare de fleurs expor tées vers l’Europe. Cet usage intensif de produits chimiques pollue les cours d’eau et les nappes phréatiques, ce qui a des ef fets extrêmement nocifs sur la faune et la flore, ainsi que sur la qualité de l’eau. la prospérité économique à la région, mais cela s’est fait au détriment de son réseau hydrographique. La pénurie d’eau a donné lieu à des conflits sociaux et la majeure partie de l’eau potable a été contaminée par les pesticides et les engrais. ■ Tanzanie La population rurale du centre de la Tanzanie, une région sèche, souffre beaucoup du manque d’eau. Dans un pays qui a de plus en plus de difficultés à répondre aux besoins en eau d’une population en plein essor, l’accroissement de la production agricole, principalement à destination de l’Europe, contribue à réduire des réserves déjà très limitées. ■ Chine Pour chaque tonne de riz cultivée, les rizières chinoises consomment 2 000 tonnes d’eau. Alors que les niveaux hydrologiques sont restés relativement stables tout au long du siècle dernier, les effets de la consommation croissante de riz commencent à se faire sentir. En 2025, la moitié de la population mondiale dépendra du riz pour son alimentation. ■ Vietnam Le développement des plantations de café dans la province de Dak Lak a apporté Jeremy Laurance, The Independent, Londres COURRIER INTERNATIONAL N° 816 50 DU 22 AU 28 JUIN 2006 tégralité de la demande en eau. David Harper, biologiste à l’université de Leicester, surveille le niveau du lac depuis dix-sept ans pour le compte de l’ONG Earthwatch. “Les besoins en eau sont si importants qu’on est en train de sacrifier le Naivasha, affirme-t-il. Presque tous les Européens qui ont mangé des haricots ou des fraises k é nya n s o u c o n t e m p l é d e s r o s e s kényanes ont acheté de l’eau du Naivasha. On est en train d’assécher le lac. On va en faire un étang aux eaux stagnantes et nauséabondes, sur les rives duquel des populations misérables tenteront de survivre.” Il y a quarante ans, Paul Ehrlich, biologiste à l’université Stanford, nous prédisait dans son livre La Bombe P [éd. Fayard, 1972] un avenir cauchemardesque où la croissance démographique était si forte qu’il allait devenir impossible de nourrir toute l’humanité. On a évité la catastrophe en investissant des sommes considérables dans l’amélioration de la productivité agricole et en construisant des réseaux d’irrigation. Mais, ce faisant, on a créé une nouvelle menace. Selon Fred Pearce, journaliste spécialiste de l’environnement et auteur de Quand meurent les grands fleuves [éd. Calmann-Lévy, 2006], “le monde produit aujourd’hui deux fois plus de denrées alimentaires qu’il y a une génération, mais il consomme trois fois plus d’eau pour les cultiver. Les deux tiers de l’eau collectée dans la nature servent à l’irrigation. Cet usage intensif ne pourra pas durer éternellement, ce qui fait dire à beaucoup que l’apocalypse n’a pas été évitée, mais seulement retardée.” Les ONG sont persuadées que, si les conflits passés portaient sur le pétrole, ceux de demain porteront sur l’eau. Ainsi, pour Jacob Tompkins, le directeur de Waterwise, une ONG qui milite pour la réduction de la consommation d’eau, des guerres froides de faible intensité sont déjà en cours. “Nous sommes en train d’exploiter une ressource qui ne peut pas être remplacée. Cela ne peut pas continuer. L’amélioration de la gestion de l’eau dépendra des décisions qui sont prises aujourd’hui. Si nous devions payer l’eau utilisée pour produire nos denrées alimentaires, nous réduirions notre consommation”, assure-t-il. Selon lui, la première chose à faire pour les consommateurs est de privilégier les variétés de légumes “peu gourmandes” en eau. Ainsi, la pomme de terre Maris Piper consomme beaucoup d’eau, alors que la Desiree résiste à la sécheresse et n’a pas besoin d’irrigation. “La Desiree est aussi bonne au goût, mais les supermarchés en ont rarement en rayon sous prétexte que les clients ne l’aiment pas, explique-t-il. En réalité, ils ne nous donnent pas le choix. Les consommateurs doivent s’informer sur la quantité d’eau nécessaire pour cultiver les légumes, et faire pression sur les supermarchés pour qu’ils proposent les variétés qui en ont le moins besoin.” Jeremy Laurance 816p51 19/06/06 16:45 Page 51 multimédia i n t e l l i g e n c e s ● Le livre électronique aiguise les appétits ÉDITION Le développement et le succès du livre audio amènent les éditeurs à réfléchir à de nouvelles formes de distribution du livre. Dans quelques jours, Sony lancera en Suède la première grande librairie électronique. Fabian Fischer fait allusion à un terminal de lecture de nouvelle génération, baptisé papier électronique. De la taille d’un livre de poche, ce terminal bénéficie d’une très bonne résolution, d’un affichage à faible consommation d’énergie et peut contenir des centaines d’ouvrages. ■ L’AVÈNEMENT DU PAPIER ÉLECTRONIQUE VA TOUT CHANGER DAGENS NYHETER Stockholm D ans un appartement spartiate de Stockholm, trois jeunes entrepreneurs s’ingénient à changer les règles du marché du livre. eLib, c’est le nom de leur société, est leader de la production et de la distribution de livres électroniques et de livres audio en Suède. Un marché dont la croissance est encore discrète mais qui pourrait, à terme, bouleverser notre rapport au livre, grâce à la démocratisation des téléphones portables de nouvelle génération, des baladeurs numériques et des ordinateurs de poche. “Une chose est sûre, la technologie ne va pas faire marche arrière”, explique Fabian Fischer, PDG d’eLib. La maison d’édition a été créée à l’automne 2000, avec l’argent des éditeurs Piratförlag, Natur & Kultur, et la librairie en ligne Adlibris. L’idée était de populariser le livre électronique en Suède. Aujourd’hui, eLib collabore avec plus de 100 maisons d’édition et 200 bibliothèques municipales. Au fil du temps, le livre audio s’est placé au cœur de son activité. Il faut dire que c’est le segment le plus florissant de l’ensemble du marché du livre. “Si le livre audio a fini par gagner ses lettres de noblesse, c’est qu’il correspond au mode de vie moderne, affirme Fabian Fischer. On peut l’écouter dans sa voiture, dans le train, en préparant le repas ou encore en faisant du sport. Et, grâce au développement du marché de la musique, la plupart des gens ont déjà investi dans un baladeur numérique ou dans un téléphone portable équipé d’un lecteur MP3. La transition du livre sur CD au fichier MP3 téléchargeable sur Internet se fait donc en douceur.” En Suède, l’éditeur Piratförlag a été le premier à diffuser ses titres au format MP3, fin 2004. Depuis, de nombreuses maisons d’édition lui ont emboîté le pas. Les bibliothèques ont joué le rôle de pionnières en présentant cette nouvelle technologie au public. Beaucoup d’entre elles proposent en effet le prêt de livres audio sur leur site Internet. En juin 2005, la bibliothèque municipale de Skövde, dans l’ouest du pays, est devenue célèbre en étant la première à inviter ses adhérents à télécharger des livres au format MP3 directement sur leur baladeur. L’initiative a retenu l’attention du monde entier. Et la fréquentation de la bibliothèque a enregistré une hausse spectaculaire. “Ça a dépassé nos prévisions les plus folles”, s’enthousiasme Olof Jakobsson, technicien de Dessin de Dmitri Polonkhine paru dans la Komsomolskaïa Pravda, Moscou. ■ Innovation La concurrence est féroce entre LG Philips et Seiko Epson sur le terrain du papier électronique. LG Philips vient de présenter sa dernière version de papier électronique, qui est, selon le fabricant, la plus grande “feuille” au monde, avec une diagonale de 14,1 pouces [3,58 m]. Ce modèle utilise une encre électronique appliquée sur un substrat inoxydable. La résolution maximale est 1 280 x 800 pixels en 16 niveaux de gris et avec un temps de réponse de 300 millisecondes. La commercialisation pourrait se faire à partir de 2008. Seiko Epson a pour sa part mis au point une feuille d’une épaisseur inférieure à 0,5 mm, avec une résolution de 1 536 x 2 048 pixels. la bibliothèque. “Beaucoup de gens font un long détour pour venir acheter ici des livres au format MP3.La technologie plaît surtout à un public jeune, c’est vrai, mais c’est également une bonne solution pour les dyslexiques ou les malvoyants.” Comme dans l’industrie musicale ou l’industrie cinématographique, l’arrivée du numérique dans ce secteur s’accompagne de la peur du téléchargement illégal. Pour résoudre le problème des droits d’auteur, Olof Jakobsson propose que les bibliothèques paient une somme forfaitaire aux éditeurs. A terme, il pense que cela pourrait même engendrer des revenus supérieurs à ceux générés par la vente de livres traditionnels. “Mais ce ne sont pas les bonnes personnes qui sont aux commandes, regrette-t-il. Les éditeurs se focalisent sur les programmes d’échange de fichiers,alors que les gens convertissent déjà les livres sur CD au format MP3 et les diffusent sur Internet. On n’arrête pas la technologie.” UN MARCHÉ EN PLEINE EXPANSION QUI NE DEMANDE QU’À CROÎTRE L’historien Lars Ilshammar est coauteur de nombreux ouvrages sur l’essor d’Internet et des nouvelles technologies. Il ne croit pas que le marché du livre soit à l’aube d’une révolution similaire à celle qu’ont connue les industries de la musique et du cinéma. Tout simplement parce que le livre papier est, selon lui, plus difficile à remplacer par des fichiers numériques que les CD ou les DVD. “Mais, sur le fond, le marché du livre se heurte au même dilemme, admet-il. On crée un monstre, dont on perd ensuite le contrôle. L’échange de fichiers n’a plus rien d’anecdotique.” En dépit des interrogations sur les droits d’auteur que soulève cette nouvelle technologie, l’enquête du Dagens Nyheter auprès des éditeurs et des distributeurs suédois montre que le livre électronique téléchargeable est d’ores et déjà considéré comme la “prochaine révolution technologique”. Le livre papier ne serait pas menacé pour autant, les différents formats étant complémentaires. Bonnier Audio est le premier éditeur suédois de livres audio. Il ne pro- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 51 pose pas encore de livres au format MP3, mais il travaille d’arrache-pied à la numérisation de son catalogue. D’ici à fin 2006, il lancera, en partenariat avec Sony, un grand projet de plateforme numérique sur Internet, depuis laquelle les clients pourront télécharger sur leur baladeur MP3 ou leur téléphone portable les livres audio sous différents formats assortis d’une protection contre la copie. “Il est important de tirer les leçons de ce qui s’est passé dans l’industrie musicale et de proposer des alternatives légales,” explique Jonas Byström, PDG de Bonnier Audio. “Aujourd’hui, le livre audio représente environ 6 % de l’ensemble du marché du livre. D’ici cinq ans seulement, il devrait en représenter au moins 12 %”.“Les meilleurs ambassadeurs du livre audio sont les clients euxmêmes, poursuit-il. Nous recevons des mails de gens qui restent dans leur voiture une fois rentrés chez eux pour écouter la fin du livre. Certains en sont même à espérer qu’il y aura des bouchons sur Essingeleden [périphérique de Stockholm].” Si le livre audio numérique semble promis à un bel avenir, un certain nombre de questions restent en suspens. Encore aujourd’hui, on pense aux arrogants pionniers des nouvelles technologies qui, dans les années 1990, prédisaient la fin prochaine du livre papier. La frénésie avait atteint son paroxysme lorsque Stephen King vendit sur son site Internet un livre électronique à près de 400 000 exemplaires en l’espace d’une journée. Du jour au lendemain, des dizaines d’éditeurs ont investi massivement dans le livre électronique, sans revoir jamais leur mise de départ. Ensuite, plus rien. Même si la grande percée du livre numérique n’a pas encore eu lieu, la courbe des ventes a déjà commencé à grimper. En Suède, le nombre de téléchargements est passé de 3 000 à 120 000 entre 2002 et 2005, selon eLib. “La croissance est constante, en grande partie grâce aux bibliothèques,mais ça ne va pas aussi vite que nous l’avions espéré, reconnaît Fabian Fischer. Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que ce n’est pas une bonne idée de lire un livre sur un écran d’ordinateur, mais la technologie n’a pas dit son dernier mot.” DU 22 AU 28 JUIN 2006 Sony croit tellement en sa version maison, le Sony Reader, qu’il va inaugurer prochainement un vaste espace dédié au livre électronique sur sa boutique en ligne, Connect Store. L’idée est de créer un service de vente en ligne de livres électroniques comparable à celui qu’a créé Apple pour la musique, le fameux i-tunes.Tomas Malmström, directeur marketing de Sony Suède, annonce que le lancement aura lieu en Europe dès que les consommateurs américains auront rendu leur verdict. Un autre événement décisif pour l’avenir du livre électronique aura lieu dans quelques jours, dans le comté suédois du Västernorrland. Comme d’autres journaux à l’étranger, le Sundsvalls Tidning est en train d’équiper une partie de ses abonnés de papier électronique en remplacement du journal papier. C’est la première étape d’un grand projet initié par les éditeurs de journaux et auquel sont associés la plupart des grands quotidiens. “Si c’est un succès, la plupart des Suédois liront bientôt leur journal du matin sur du papier électronique. Et, bien sûr, cela aura des retombées importantes sur le livre électronique”, prédit Sven-Åke Boström, responsable qualité du Sundsvalls Tidning, qui vient d’ailleurs de recevoir la visite intéressée de la ministre de l’Equipement et des Transports suédoise, Ulrica Messing. “De la même manière que la musique a ouvert la voie au livre audio MP3, les quotidiens pourraient très bien ouvrir la voie au livre électronique”, conclut Fabian Fischer. Henrik Arvidsson BFM et Courrier international présentent l’émission ”GOOD MORNING WEEKEND”, animée par Fabrice Lundy, rédacteur en chef de BFM, et les journalistes de la rédaction de Courrier international. Tous les samedis de 9 heures à 10 heures et les dimanches de 8 heures à 9 heures Fréquence parisienne : 96.4 815p52-53 19/06/06 16:48 Page 52 voya ge ● AU CŒUR DU DÉSERT CALIFORNIEN Les mille et une utopies de Joshua Tree Destination prisée par les amateurs de grimpe, le désert Mojave est devenu le refuge de nombreux artistes, musiciens et architectes d’avant-garde. Ils ont fait de ce lieu un véritable musée d’art contemporain à ciel ouvert. THE NEW YORK TIMES New York Q Le très kitsch Beauty Bubble Salon & Museum, à la fois salon de coiffure et musée du Cheveu. Stéphanie Diani/The New York Times uelques tristes bâtiments en béton et de la poussière partout.Telle est la première vision qu’offre Joshua Tree, bourgade nichée dans les ondulations du désert Mojave, en Californie du Sud. Difficile de trouver le moindre charme à cet endroit. Pourtant, au milieu des cactus et des créosotiers se cache un étonnant centre artistique où l’on peut découvrir les œuvres d’artistes contemporains comme Andrea Zittel, Jason Rhoades ou Jack Pierson. Situées à environ 200 kilomètres à l’est de Los Angeles et à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Palm Springs, les villes du désert qui s’échelonnent le long de la Route 62 (Joshua Tree, mais aussi Pioneertown, Twentynine Palms et Wonder Valley) ont longtemps constitué une destination de prédilection pour les grimpeurs, qui venaient y escalader les rochers bizarrement déchiquetés du parc national de Joshua Tree. Mais des artistes, des architectes et des musiciens connus en quête de logements abordables et d’étendues encore vierges ont commencé, ces dernières années, à y installer leurs ateliers dans de vieux ranchs, dans des conteneurs et même sous un dôme géodésique, vestige des années 1970. Aujourd’hui, Joshua Tree est devenu un véritable rendez-vous pour les amateurs d’art contemporain, qui viennent y découvrir des jardins de sculptures en plein air, des ateliers d’artistes et des œuvres d’architecture expérimentale. “Joshua Tree, c’est un peu la Mecque californienne de l’art contemporain”, résume Lisa Overduin, directrice d’une galerie d’art de Los Angeles qui représente les artistes Andrea Zittel et Jack Pierson. “C’est drôle de voir des collectionneuses en talons hauts trébucher dans le désert à la recherche d’œuvres à acheter.” Le “High Desert Test Sites” d’Andrea Zittel est une manifestation artistique annuelle qui fournit la meilleure occasion de découvrir la scène artistique de Joshua Tree. Andrea Zittel est l’artiste conceptuelle qui a lancé ce mouvement de migration, il y a six ans, après avoir abandonné son atelier de Brooklyn. Chaque année, elle invite les artistes à s’enfoncer dans le désert pour y installer leurs œuvres au milieu des rochers, des grottes et des cactus. A leur arrivée, les visiteurs se voient remettre une brochure avec un plan leur permettant de localiser les œuvres dispersées dans les environs. Un véritable jeu de piste, qui leur propose également de se livrer à d’autres découvertes, comme déguster un hamburger dans un des cafés du coin ou danser une gigue endiablée au Pappy & Harriet’s, le bastringue local. L’artiste Ed Ruscha, les musiciens Eric Burdon et Victoria Williams, la “performeuse” Ann Magnuson et tout un tas de scénaristes et de décorateurs hollywoodiens ont acheté des maisons à Joshua Tree, séduits par les grands espaces et l’ouverture d’esprit qui y règne. Avec ses vastes plateaux, ses routes rectilignes et ses ciels changeants, l’endroit rappelle cet autre avant-poste de l’art dans le désert qu’est Marfa, au Texas, dont le paysage brut et le rythme ralenti ont eux-mêmes quelque chose d’une œuvre surréaliste. “Ici, on a l’impression qu’il n’y a plus aucune règle, que seule compte la survie”, fait remarquer Thom Merrick, un artiste qui a quitté New York il y a plusieurs années parce qu’il se sentait “écrasé” par la ville. “Chaque jour, je pars faire une randonnée dans les collines. Et, quand COURRIER INTERNATIONAL N° 816 52 DU 22 AU 28 JUIN 2006 j’ai besoin de réfléchir, je vais ramasser des cailloux.” Les villes elles-mêmes ont un aspect authentique et “survivaliste”. Beaucoup d’artistes trouvent de quoi meubler leurs maisons dans les poussiéreuses boutiques de brocante installées le long des routes – les énormes lampes kitsch et les tableaux de coyotes hurlant à la lune sont particulièrement recherchés. Le soir, on se réunit dans des bars assoupis, comme le Palms, avec ses tables de billard raccommodées et son juke-box exclusivement garni de musique country. Au Beatnik Café, les jeunes du coin, arborant piercings et cheveux teints, se retrouvent sous une sculpture futuriste composée de racines d’arbres à la H. R. Geiger [peintre et sculpteur suisse aux obsessions futuristes, célèbre pour avoir créé les décors de la série de films Alien]. Les gens du cru aiment à répéter que Joshua Tree a toujours été un refuge pour les pionniers de tout poil. Au départ, l’endroit servait de halte aux chercheurs d’or des années 1870, qui campaient à proximité de l’oasis de Mara, près de Twentynine Palms. En 1938, dans l’espoir de peupler les terres désertes, le gouvernement fédéral vota le Baby Homeland Act, qui attribuait gratuitement une parcelle d’un hectare à toute personne désireuse de s’y installer et d’y édifier une structure en dur. Les premiers candidats furent surtout des desperados souhaitant recommencer leur vie de zéro au milieu de nulle part. Mais un grand nombre d’artistes, de marginaux et d’amateurs de soucoupes volantes les ont rejoints au fil des années. Beaucoup des maisonnettes bâties par ces premiers occupants sont toujours debout. Certaines ont été rénovées par leur nouveau propriétaire, à l’exemple d’Andrea Zittel, qui a repeint la sienne en blanc, l’a meublée de rochers en mousse et s’y est fait livrer deux conteneurs pour créer un espace expérimental de vie et de travail. Pour parfaire son image de pionnière des Temps modernes, Andrea Zittel fabrique des dizaines de “Wagon Stations”, de petites capsules en acier qu’elle disperse dans les collines rocheuses et qui contiennent des sacs de couchage individuels. “Ce qu’il y a de génial, dans le désert, c’est que chacun peut y projeter ses fantasmes, souligne-t-elle. Je suis venue ici en quête d’une partie de moi-même, la personne que j’aurais pu être si je n’avais pas été une artiste.” Quant aux maisonnettes qui sont restées abandonnées, leurs tapisseries décollées et leurs vieux matelas aux ressorts rouillés leur donnent un aspect lugubre. Des artistes des années 1960 et 1970, comme Michael Heizer ou James Turrell, ont également pris la route du désert, mais pour se réfugier dans des parties reculées du Nevada et de l’Arizona. Leurs projets, tel le Roden Crater de J.Turrell, exigeaient de gros budgets et une manipulation du paysage sur une très grande échelle. Les artistes et les architectes qui colonisent Joshua Tree semblent plus intéressés par la création de mini-utopies individuelles. Dans ce coin reculé de l’Ouest sauvage, la tradition veut que chacun laisse ses voisins – suf- 815p52-53 19/06/06 16:56 Page 53 carnet de route Installation de l’artiste Noah Purifoy à l’entrée de son musée à ciel ouvert. fisamment déjantés pour venir s’installer dans le désert et braver les éléments – faire ce qui leur plaît. C’est également une ville où les militaires (les marines ont une base juste à côté), les tenants de la théorie du complot dans l’affaire de l’extraterrestre de Roswell, les hippies et les motards semblent cohabiter sans problèmes. “Joshua Tree est l’endroit idéal pour mettre en pratique une approche visionnaire et expérimentale”, insiste Linda Taalman, une architecte de Los Angeles. “On a le sentiment que, comme on est loin de tout, tout est permis.” Le jardin de sculptures apocalyptiques de l’artiste Noah Purifoy constitue une parfaite illustration de cet état d’esprit. Cofondateur du Watts Tower Art Center dans les années 1960 et artiste connu pour ses installations, Noah Purifoy s’est installé dans le désert en 1989 et a passé les quinze dernières années de sa vie à peupler sa parcelle de déchets recyclés tels que des plateaux-repas en plastique pastel, de vieux ordinateurs, des cuvettes de W.-C. et – c’est mon œuvre préférée – une voie ferrée construite avec de vieilles roues de bicyclette, de vieux magnétoscopes et des barils de bière. Les architectes avant-gardistes ont également été attirés par Joshua Tree, sorte de Terre promise où les règles esthétiques en matière de construction sont inexistantes et où les voisins ne se plaignent jamais. Cet automne, les visiteurs pourront découvrir l’iT House, une structure préfabriquée en verre et en aluminium qu’est en train d’édifier le cabinet d’architecture de Linda Taalman. Sur ce projet, les architectes travaillent en collaboration avec des artistes comme Sarah Morris et Liam Gillick pour créer des bandes de vinyle semblables à de la tapisserie qui entoureront la maison afin de modifier la vue et de filtrer le soleil. Une autre entreprise, Ecoshack, a ouvert un laboratoire de design près de Joshua Tree, où les résidants intéressés par l’écologie peuvent tester des D IE RN IFO CAL NEVADA UTAH Le bar du saloon Pappy & Harriet’s, construit dans les années 1940 pour servir de décor à un western. M O J A É S E R T V E Base militaire de Twentynine Palms Joshua Tree Twentynine Palms Pioneertown 3 506 m Yucca Valley 3 301 m O CÉAN Palm Springs Oasis 62 P. N. de de Mara Joshua Tree 10 Mer de Salton C A LI F OR NI E - 72 m P AC I F I QU E Vers la frontière mexicaine (à 50 km) 0 50 km Courrier international ARIZONA habitations temporaires expérimentales telles que des tentes à aile thermique ou des capsules de couchage Cocoon. Dans les années 1950, George Van Tassel, qui affirme avoir été enlevé par des extraterrestres, avait bâti ici un dôme baptisé Integratron. La structure a été rachetée il y a quelques années par Nancy et Joanne Karl, deux sœurs originaires de NewYork, qui l’ont ouverte au public. Si vous prenez la précaution d’organiser votre séjour à l’avance, vous pourrez assister à une convention sur les extraterrestres ou à des concerts de groupes de rock locaux tels que Concrete Blond ou Bauhaus (un grand nombre de groupes underground de Los Angeles des années 1980 sont aujourd’hui installés à Joshua Tree). Le lieu sert également de sanctuaire à un tas de marginaux, depuis des joueurs de didgeridoo jusqu’au chanteur Robert Plant [ancien membre du groupe de rock Led Zeppelin], en passant par cet étrange professeur qui, selon Joanne Karl, est arrivé un beau jour à la tête d’un troupeau de chèvres et de moutons. Pour 10 dollars, on peut s’offrir un “bain de son”. On grimpe en haut du dôme, on s’écroule sur un matelas, on ferme les yeux et on se laisse emporter pendant une demi-heure par une symphonie sonore que l’une ou l’autre des sœurs crée en faisant tinter des bols de cristal. La ville de Pioneertown, construite en 1946 par Roy Rogers et d’autres investisseurs hollywoodiens pour servir de décor de cinéma, est également, par bien des aspects, une installation d’art vivant. C’est aujourd’hui une ville mi-fantôme, mifonctionnelle qui fait penser à un décor de film de David Lynch. A quelques pas de la “grand-rue” poussiéreuse, avec sa prison et sa quincaillerie factices, on trouve un vrai bowling et des maisons à louer, mais surtout le Pappy & Harriet’s, un saloon à l’ancienne – avec bois de cerf et tables de billard – qui constitue, avec le Palms de Wonder Valley, le cœur de la scène musicale locale. Géré par les ex-New-Yorkaises Linda Krantz et Robyn Celia, le Pappy & Harriet’s est une étape obligée pour des musiciens comme Lucinda Williams, P.J. Harvey ou Leon Russell. Le dimanche soir, ce sont plutôt les groupes du désert, comme Gram Rabbit, Angel Thrift ou les Queens of the Stone Age, qui viennent y jouer. Il n’est pas rare d’y voir Jessica von Rabbit, la chanteuse du groupe Gram Rabbit, y boire une chope de bière accoudée au bar, vêtue d’un manteau de fourrure et arborant de grosses lunettes de soleil rouges. Dans toute autre bourgade du désert, l’apparition en plein jour de cette étrange silhouette mivamp mi-star du rock susciterait des regards hostiles. A Joshua Tree, c’est juste une habitante comme une autre. Julia Chaplin COURRIER INTERNATIONAL N° 816 53 DU 22 AU 28 JUIN 2006 SE LOGER ■ Les offres d’hébergement sont plutôt rares dans la région. Deux possibilités s’offrent à vous. Vous pouvez camper sur l’un des neuf terrains qu’offre le parc national de Joshua Tree. Pour connaître leur localisation et les disponibilités, le plus simple est de s’adresser au Visitor’s Center. Mais vous pouvez aussi aller à l’hôtel. The New York Times conseille deux établissements situés aux abords du parc. D’abord, le 29 Palms Inn. Construit en 1928 autour d’une oasis, ce motel propose des chambres et des bungalows à partir de 56 euros la nuit (compter 80 euros pour une double). Ensuite, le Spin and Margie’s Desert Hideaway. Ce petit hôtel de style mexicain situé au bord la Route 62 à l’entrée de la ville de Joshua Tree propose quatre suites à partir de 92 euros la nuit. SE RESTAURER ■ Joshua Tree n’est pas un haut lieu de la gastronomie. Plusieurs petits établissements vous permettront cependant de vous restaurer tout en profitant agréablement de la scène musicale locale. En ville, le Crossroads Cafe & Tavern propose sandwichs, soupes et salades. Ne manquez pas ses petits déjeuners, particulièrement roboratifs. Le Palms, vieux bar typique de l’Ouest américain, offre une bonne Stéphanie Diani/The New York Times Stéphanie Diani/The New York Times Y ALLER ■ Pour se rendre dans le désert Mojave, le plus simple est de prendre un vol pour Los Angeles. Ils sont très fréquents au départ de Paris. Compter 1 000 euros environ pour un allerretour Paris-Los Angeles en haute saison. Une fois dans la mégalopole californienne, louez une voiture pour parcourir les 225 kilomètres qui vous séparent de Joshua Tree. L’itinéraire le plus rapide est celui qui passe par la ville de Palm Springs. De là, emprunter la Route 62 en direction du parc national de Joshua Tree. occasion de s’initier au billard et à la musique western. Enfin, à Pioneertown, le Pappy & Harriet’s, saloon bâti dans les années 1940 pour servir de décor à un western, est l’épicentre de la scène musicale locale. Outre les groupes du désert, vous pourrez y croiser, avec un peu de chance, le chanteur Robert Plant (du groupe Led Zeppelin) ou la chanteuse P.J. Harvey. À VOIR ■ Si votre séjour coïncide avec le High Desert Test Sites – une manifestation artistique annuelle, qui s’est déroulée cette année les 6 et 7 mai –, vous aurez l’occasion de découvrir de nombreux artistes contemporains venus exposer leurs œuvres en plein cœur du désert. Toute l’année, le musée à ciel ouvert de l’artiste Noah Purifoy permet aux visiteurs de déambuler dans un véritable jardin de sculptures. Ne manquez pas de visiter également l’Integratron, ce drôle de dôme géodésique construit dans les années 1950 par un mordu des extraterrestres. Enfin, le très kitsch salon de coiffure Beauty Bubble et son insolite musée du Cheveu constituent une halte amusante. Vous pouvez aussi profiter de votre séjour pour visiter le parc national de Joshua Tree. De dimensions réduites (on peut le traverser en voiture en deux heures), ce parc naturel se prête particulièrement bien aux randonnées pédestres et à l’escalade. ■ Retrouvez tous nos Voyages sur courrierinternational.com 20/06/06 19:04 Page 54 ■ Lors du match ItalieEtats-Unis, le 17 juin à Kaiserslautern, l’arbitre uruguayen Jorge Larrionda a expulsé deux Américains, Eddie Pope et Pablo Mastroeni, et l’Italien Daniele de Rossi. Daniel Wallis/Reuters LE JOURNAL DU MONDIAL 54-55 sport BAF Avertissement pour les arbitres Expulsions intempestives, buts refusés ou encore fautes oubliées, l’arbitrage suscite les polémiques. Il est temps que la FIFA trouve des solutions. THE AGE Melbourne a Coupe du monde est la fête planétaire par excellence. Tout le monde est invité. Des jours durant, Australiens et Brésiliens se sont entassés sur les statues et fontaines de la Marienplatz, la place principale de Munich. Ils ont déferlé dans les rues et rempli les brasseries. Un soir, dans un de ces établissements, l’orchestre a entonné Waltzing Matilda [l’hymne australien]. A l’occasion de cette compétition, l’Allemagne semble se lâcher, et même l’entraîneur de la Mannschaft paraît décontracté. Et on a signalé des trains en retard. Il règne comme un parfum de folie. Pour les joueurs aussi, c’est la fête. Beaucoup gagnent des cachets royaux, mais sont heureux de venir ici sans rien toucher. La plupart d’entre eux arrivent au bout d’une saison aussi longue qu’épuisante, mais voilà bien une invitation qu’ils ne veulent pas manquer. Leurs efforts sont la preuve de leur bonne volonté. Mais, pour quelques-uns, la fête se termine mal et beaucoup trop tôt. Le système de justice sur le terrain du sport est sévère. Un carton jaune équivaut à un avertissement, deux impliquent que le joueur est expulsé. Qu’il écope d’un carton jaune après en avoir récolté un au cours du match précédent, et il manquera la rencontre suivante. Le régime a encore été durci pour cette Coupe du monde, et l’on risque des sanctions si l’on cherche L à gagner du temps ou que l’on se livre à des tacles dangereux. Plus que jamais, les joueurs doivent regarder où ils mettent les pieds. Dans l’ensemble, tout cela est plus que souhaitable. Le cynisme a trop longtemps été un des fléaux du football. Les joueurs qui s’en prenaient à d’autres joueurs avec la ferme intention de leur faire mal, qui simulaient des blessures ou qui tapaient systématiquement dans le ballon après qu’un coup franc ait été accordé ont tendu le bâton pour se faire battre, eux et les autres. Mais, aujourd’hui, les juges sont trop rigides. Pour commencer, la FIFA ayant tenu à ce que des arbitres du monde entier soient présents pendant la première phase, on se retrouve avec une application des plus fluctuantes des règles et des fautes. Ce qui chez l’un ne vaudra qu’un discret avertissement peut se transformer chez un autre en carton jaune, voire rouge. Les uns vont sortir carton sur carton, comme un contractuel qui verbaliserait une rue entière, tandis que d’autres préféreront les garder en poche, selon qu’ils sentent le match leur échapper ou non. Le football n’était déjà pas facile, mais il est pour ainsi dire impossible de s’adapter chaque fois à une nouvelle interprétation de ses règles. Ensuite, bien souvent, les châtiments ne sont pas adaptés aux délits. Un joueur sera expulsé pour deux fautes dues peut-être davantage à son insouciance qu’à sa méchanceté. Et son équipe se retrouve alors gravement désavantagée. Par ailleurs, pour la moitié des équipes présentes en Allemagne, l’événement ne comportera que trois matchs. Une suspension d’un match au bout de deux cartons jaunes peut donc carrément priver un joueur d’un tiers du tournoi. Ce qui nous prive de quelques stars. Par exemple, la Coupe du monde est terminée pour Didier Drogba, le capitaine de la sélection ivoirienne, après deux matchs et deux écarts relativement mineurs. Cela compromet également le travail du sélectionneur et conforte l’idée selon laquelle la phase finale de la Coupe du monde est réservée à l’élite. Enfin, et c’est presque incroyable, rien ne permet de revenir sur le travail des arbitres. Les joueurs sont pénalisés à la discrétion de l’homme au sifflet, qui ne rend de comptes à personne – ni pendant, ni après. Or, parfois, il lui arrive de se tromper, tout simplement. L’Ukraine avait déjà deux buts de retard face à l’Espagne quand l’un de ses joueurs a été expulsé à tort, au prix d’un penalty tout aussi peu mérité, une succession d’incidents parfaitement démoralisants. C’est une chose de renforcer l’autorité de l’arbitre, c’en est une autre de priver les joueurs de toute justice. Certes, en mettant en place un système d’appel, on court le risque de voir tout le monde y avoir constamment recours. Peut-être la FIFA devrait-elle limiter le nombre d’appels par équipe, ou encore prévoir une certaine forme d’incertitude aléatoire. Dans le football australien, un joueur ou une équipe qui fait appel peut voir sa pénalité aggravée si son recours est rejeté. Comme n’importe quelle autre fête, la grande fête du football mondial a besoin de règlements et de videurs. Mais il faut aussi que ces derniers fassent leur métier avec raison et intelligence. Pour l’instant, on risque surtout de se retrouver en bas des marches pour les avoir seulement regardés de travers. Greg Baum FRANCE Regards sur les Bleus Le coup de tête de Domenech ■ La sélection française a bien des points communs avec les Rolling Stones, qui effectuent actuellement leur tournée d’adieu. Comme eux, elle compte plusieurs instrumentistes décatis, à quoi vient s’ajouter un problème qui lui est propre : dans les coulisses, il y a un cinquième Stone, qui joue de la cumbia [genre musical originaire de Colombie]… Raymond Domenech a eu dimanche envers David Trézéguet et tous les Français une attitude pour le moins sarcastique, en envoyant l’attaquant sur le terrain à la 90e minute. Trézéguet, vu à la télé enfilant d’un air narquois le brassard de capitaine, n’a même pas eu le temps de toucher une balle pendant les trois minutes de temps additionnel. Thierr y Henry, la grande vedette (?), a bien mis un but qui a permis de mettre fin à la longue série noire de la sélection française, mais il a aussi fini le match en condamnant les Bleus, incapable de se démarquer dans le face-à- COURRIER INTERNATIONAL N° 816 54 face qui l’opposait au gardien coréen. Domenech a laissé planer le doute en laissant entendre que David aurait marqué, lui… Rappelons seulement que Trézéguet joue à la Juventus, un club qui ne manque pas d’attaquants, alors que Thierry Henry évolue à Arsenal, où il est le seul vrai recours. Le directeur technique des Bleus, dont on se souvient qu’il sélectionne en fonction des signes astrologiques ou encore qu’il a emmené ses joueurs sur un glacier pen- DU 22 AU 28 JUIN 2006 dant le stage de préparation, a eu là un coup de tête qui pourrait coûter très cher à son équipe. La sélection française a clairement pâti de l’absence d’un vrai numéro 9, en s’entêtant à ne jouer qu’avec un seul attaquant de pointe, Thierry Henry. Résultat : quand Trézéguet est entré sur le terrain, apparemment privé de jeu pour avoir osé demander publiquement plus d’audace, il était déjà trop tard. Facundo de Palma, Olé, Buenos Aires 20/06/06 19:05 Page 55 Les Anglais, des touristes en mal d’imagination THE GUARDIAN Londres andis que l’équipe anglaise se rendait à une dernière séance d’entraînement à Nuremberg, à la veille de son match contre Trinitéet-Tobago, le 15 juin, son autocar était escorté par huit motards, huit voitures de police et un hélicoptère. A chaque carrefour, deux policiers arrêtaient la circulation pendant cinq bonnes minutes pour laisser passer les footballeurs et leur suite, provoquant un concert de klaxons irrités de la part d’automobilistes dont la progression légitime était retardée par le transport de ce qui apparaît désormais comme l’équipe la plus surévaluée et la moins performante du Mondial. Voilà un peu la bulle dans laquelle vit la sélection anglaise. Dieu sait combien a payé la FIFA pour fournir le dernier cri du luxe en matière de résidences, de transports et de sécurité aux 23 joueurs, au bataillon de leurs épouses et petites amies, ainsi qu’au nombreux personnel technique. La FIFA est également aux petits soins avec les journalistes : ils sont accueillis quotidiennement dans un gigantesque centre spécialement construit à leur intention, situé à proximité du terrain d’entraînement. Air conditionné, accès wi-fi, écrans de télé, canapés confortables, nourriture excellente à profusion, rien ne manque. Le contraste avec d’autres pays est extrême. Dans l’hôtel où sont hébergés les Argentins, par exemple, les conférences de presse quotidiennes ont lieu dans une salle de taille moyenne, équipée de trois tables sur des tréteaux, avec en tout et pour tout une douzaine de bouteilles d’eau minérale. L’autocar argentin, quand il ramène les joueurs de l’entraînement, est accompagné par un motard et une voiture de police. A première vue, on n’imaginerait pas que l’Argentine a remporté la Coupe du monde à deux reprises, tandis que l’Angleterre n’a été championne du monde qu’une seule fois. Or, étant donné leur forme actuelle, les Argen- T tins ont davantage de chances de l’emporter à nouveau. Comme David Beckham l’a rappelé en début de semaine, le sélectionneur de l’équipe d’Angleterre, Sven-Goran Eriksson, tient à créer un environnement détendu pour ses joueurs. Une telle exigence est difficilement critiquable, dans la mesure où les meilleurs joueurs sont assez riches et puissants pour avoir leur mot à dire sur la manière dont on les traite. On les voit mal accepter ne serait-ce qu’une diminution temporaire de leur niveau de vie. Mais la bulle dans laquelle ils flottent les a incontestablement coupés de certaines réalités importantes. Même ceux qui les suivent régulièrement et connaissent bien leurs faiblesses ont été choqués de les voir si incapables de ■ Le milieu de terrain américain Clint Dempsey signe des autographes sous haute protection. Lampard semble le plus pressant, car son manque de forme a des conséquences directes sur la prestation de Steven Gerrard. On a souvent dit, même si les joueurs et leur entraîneur le nient, que ces deux personnalités ne peuvent pas travailler de concert en tant que paire de milieux de terrain dans une formation en 4-4-2. Jeudi, ils ont passé une heure à prêter le flanc à la critique en démontrant la gravité des dysfonctionnements de l’équipe. Eriksson a sans doute bien fait de demander à Carlos Alberto Parreira une vidéo de la performance de Kaka dans le premier match du Brésil pour la montrer à Lampard. Apparemment, à en croire les derniers tests, il serait le meilleur élément de l’équipe, ce qui laisse à penser que l’équipe médicale de l’Angleterre teste à tort et à travers. Aussi les joueurs chevronnés devraient-ils être sceptiques quant à la capacité d’un jeune de 20 ans de changer la mentalité de l’équipe, ainsi que ses choix tactiques. Mais le fait qu’Eriksson persiste à affirmer que Wayne Rooney est de nouveau en forme montre que lui, au moins, a compris la cruelle vérité : sans l’intelligence de jeu de Rooney, les Anglais ne sont qu’un groupe de touristes qui voyagent en première. Richard Williams ■ Franck Lampard contrôle la balle lors de la rencontre Angleterre-Trinitéet-Tobago du 15 juin remportée par les joueurs anglais 2 à 0. faire tourner le ballon devant Trinitéet-Tobago. Leurs adversaires, et cela n’a rien d’étonnant, n’ont guère eu de mal à s’en sortir face à des joueurs apparemment peu disposés à tenter toute forme de jeu collectif fluide. Ayant pour obsession de passer la balle à Peter Crouch ou à Michael Owen à la première occasion, les quatre milieux de terrain ont joué alignés, en laissant un tel espace les uns entre les autres que le travail d’isolement et de neutralisation des défenseurs en a été facilité. Parmi toutes les sources d’inquiétude individuelles, le cas de Frank COURRIER INTERNATIONAL N° 816 Ben Radford/Getty Images/AFP Il n’y a pas que les Bleus qui suscitent des critiques. L’équipe d’Angleterre et ses stars sont aussi l’objet de nombreux sarcasmes outre-Manche. SÉCURITÉ 55 Elise Amendola/AP/Sipa 54-55 sport BAF Alerte rouge à Hambourg Pour assurer la sécurité de certaines équipes, en particulier celle des Etats-Unis, la police allemande n’a pas lésiné sur les moyens. n dirait une scène de guerre : des hommes vêtus de gilets pare-balles observent les lieux d’un air tendu ; fusil-mitrailleur en main, comme si l’ennemi pouvait attaquer à tout moment, ils couvrent des civils qui montent dans un bus. On pourrait penser que cela se passe dans les rues de Bagdad. Ce n’est heureusement que le quotidien de l’équipe des Etats-Unis à Norderstedt, ville située à 8 kilomètres au nord de Hambourg, où les Américains s’entraînent toujours sous surveillance, par peur des attentats terroristes. Quatre équipes bénéficient d’une surveillance plus étroite que les autres : les Etats-Unis et le Royaume-Uni, à cause de leur rôle dans la guerre en Irak ; l’Arabie Saoudite, en raison de son engagement contre le terrorisme et l’Iran, à cause de sa politique nucléaire controversée – et parce que le président Mahmoud Ahmadinejad nie l’Holocauste. Cette surveillance se fait pourtant plus sévère pour les Américains que pour les trois autres équipes. Les responsables de la sécurité ont eu un avant-goût de ce qu’ils allaient vivre pendant la compétition dès le 1er mars à Kaiserslautern. Au cours du match amical opposant les EtatsUnis à la Pologne, un hélicoptère de la police se tenait en permanence au-dessus du car de l’équipe américaine, lequel était escorté par huit cars de police et une ambulance. Les dispositions sont les mêmes aujourd’hui quand le convoi quitte l’hôtel Park Hyatt, à Hambourg, pour gagner Norderstedt. Toujours par une route différente, naturellement. Les forces de l’ordre se tiennent prêtes, un pistoletmitrailleur en main, même quand les joueurs américains ne font que retirer leur sac de la soute du bus. “Les mesures prises en faveur de l’équipe des Etats-Unis sont plus importantes que celles prises pour toutes les autres. Leur situation est totalement différente”, explique Ralf Meyer, porteparole de la police. On assiste à des scènes similaires à Schnetzenhausen, près du lac de Constance. Les Iraniens y occupent une aile du Ringhotel Krone. Au moins deux agents de sécurité de l’agence Securitas sont postés jour et nuit devant la porte d’entrée. Ils coopèrent avec la police. Toute personne s’approchant sans autorisation s’expose à des désagréments. Les routes sont bloquées par des voitures de la police, la police de Friedrichshafen bénéficie de renforts fournis par d’autres villes. “Nous effectuons des patrouilles autour de l’hôtel vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous circulons toujours par équipes de quatre ou cinq hommes et deux voitures de police. Nous n’avons encore jamais vu ça ici. La plupart des collègues aiment le football, ça facilite le travail”, signale un policier, avant d’ajouter, l’air sombre : “Si Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, vient à Schnetzenhausen, ce sera l’enfer pour nous.” O DU 22 AU 28 JUIN 2006 Sven Beckedahl et Joachim Schuth, Sport Bild (extraits), Hambourg 19:25 Page 56 Le football népalais sur un rythme africain La présence de joueurs ghanéens ou nigérians au Népal bouleverse le rapport des Népalais au ballon rond. EKANTIPUR.COM (extraits) Katmandou l y a quelques semaines, non loin des collines de Jomsom couvertes de spectateurs, une équipe de grands joueurs africains était opposée à de jeunes passionnés locaux. Comme il fallait s’y attendre, la rencontre s’est terminée par un score fleuve parce que l’équipe gagnante buvait Power Aid. Composée de l’élite internationale évoluant en première division népalaise, elle avait été mise sur pied pour tourner un film publicitaire vantant la nouvelle boisson énergétique de la marque Coca-Cola. Les annonceurs profitent de la Coupe du monde pour promouvoir leurs produits sur les chaînes de télévision locales, ce qui est une nouveauté bienvenue au Népal. Et les joueurs étrangers donnent un nouveau visage au football népalais. Les Africains n’ont fait que très récemment leur apparition dans le championnat national et ont injecté puissance, volonté, talent et flair à certaines de nos meilleures équipes. Le recrutement de joueurs étrangers montre que les responsables népalais commencent eux aussi à comprendre le langage international du football. “Les joueurs étrangers ont une meilleure condition physique et sont plus forts. Ils donneront à nos joueurs du fil à retordre et un aperçu du haut niveau”, explique Lalit Krishna, porte-parole de la Fédération népalaise de football (ANFA). L’ANFA a décidé de faciliter les transferts de joueurs, ce qui a eu pour I conséquence le recrutement, en 2005, d’une trentaine de joueurs étrangers originaires pour la plupart du Ghana et du Nigeria. Outre l’avantage qu’ils apportent au football népalais, ces footballeurs venus d’Afrique donnent un nouveau parfum, de nouvelles perspectives et une nouvelle dimension à la pratique de ce sport au Népal. Le football se répand. Nos meilleurs joueurs ne seront plus limités à deux ou trois grands clubs. Les petites équipes pourront, elles aussi, connaître le succès. “La Coupe du monde, c’est aussi bon pour les ventes que les fêtes traditionnelles de Dasain et Tihar”, explique Saurav Jyoti, le directeur du groupe Jyoti. Portées par la couverture incessante des journaux, par les produits “spécial foot” présentés par les magasins ou par les diverses compétitions tournant autour de cet événement majeur, les entreprises locales augmentent leurs ventes et font connaître leur marque. “La situation et les perspectives du sport, du football en particulier, sont meilleures que jamais au Népal”, affirme Rakesh Shrestha de la Nepal Sports House, spécialisée dans la vente de matériel de sport. Malgré tous ses efforts, sa boutique est à court de maillots de football depuis plusieur s mois. D’autres comme les restaurateurs vont donner une bonne dose de Coupe du monde aux fans de football. “Nous allons élaborer des menus spéciaux, revoir l’aménagement de nos locaux et faire de notre mieux pour répondre aux besoins de nos clients pendant le Mondial”, explique Ganesh B. Karki, qui dirige le restaurant Himalaya Java. Le football est le sport le plus populaire au monde. Il suscite un intérêt tel qu’il n’est pas étonnant que les Népalais veuillent y participer d’une façon ou d’une autre. Cet immense intérêt et les excellentes perspectives du football népalais constituent de bonnes nouvelles pour le pays. Gaurav Tiwari ■ Supporters ghanéens lors de la rencontre Italie-Ghana du 12 juin à Hanovre remportée par l’Italie 2 à 0. AMBIANCE Les Ghanéens donnent le “la” Surprise du premier tour, le Ghana bénéficie d’un formidable soutien de la part de ses supporters. epuis la première Coupe du monde en Uruguay, en 1930, les Ghanéens, se réunissaient tous les quatre ans pour passer un mois intense à regarder le spectacle du football mondial, même si le Ghana ne jouait jamais. Les fans de football choisissaient une équipe et la suivaient avec une passion difficile à comprendre. Certains prenaient littéralement la “nationalité” de grandes nations de football : ils devenaient italiens, argentins ou brésiliens et chantaient “Oooolééé, olé olé olééé, ooolééé, ooolééé !”. Avec le Mondial 2006, qui se déroule en Allemagne, les Ghanéens n’auront pas à prendre une autre nationalité, à soutenir d’autres pays ni à brailler “Ooolééé, olé”, car les Black Stars ghanéens sont là et nous chanterons nos chants à nous. Plus de dix chansons ont été produites au cours D des derniers mois pour encourager la sélection nationale. God Bless Our Homeland Ghana, par Chapter O, a été la première et reste la plus populaire. Sortie en 2005 avec l’appui de la station de radio Joy FM, elle a ouvert la voie à d’autres artistes comme la chanteuse de gospel Grace Ashy, qui a obtenu le soutien de l’Union des supporters du Ghana (SUGHA). Sa chanson Ye Nie rappelle aux autres équipes participant à la Coupe du monde que les Black Stars ne craignent aucun adversaire et vont faire sensation. Areeba, le premier opérateur de téléphonie mobile du Ghana, s’y est mis aussi, avec Put Your Heart in It, qui presse l’équipe nationale d’aller jusqu’à la limite pour le bien du jeu. Désormais, lorsque les joueurs ghanéens toucheront le ballon, les amateurs de football du monde entier découvriront le beau jeu des anciens champions d’Afrique, et ils entendront les beaux chants de leurs supporters. William A. Asiedu, Daily Graphic, Accra ÉCONOMIE Banc de touche Wal-Mart va droit au but Retrouvez chaque semaine, jusqu’au 8 juillet, les pages Mondial de Courrier international et chaque jour sur le site courrierinternational.com ■ Wal-Mart, le géant de la distribution, aime la Coupe du monde de football. Grâce à sa générosité, les Argentins peuvent regarder les matchs en direct dans des ministades installés dans les supermarchés de la chaîne. Aux Etats-Unis, ils peuvent assister à des démonstrations de football. “Le Mondial est très impor tant pour nous”, explique Mike Cockrell, vice-président du marketing international chez WalMar t. Cet effor t correspond aussi à une stratégie plus vaste visant à adapter les magasins à des publics différents. Aux Etats-Unis, par exemple, Wal-Mar t compte sur la Coupe du monde pour attirer plus de clients his- paniques. Wal-mart a commencé à se préparer pour le Mondial en juin 2005, en proposant des produits alimentaires allemands, afin de susciter l’intérêt pour le pays organisateur du Mondial. C’est pourquoi les magasins mexicains Superama, dont Wal-Mart est le propriétaire, proposent “Lo mejor de Alemania” (le meilleur de l’Allemagne). En Grande-Bretagne, la meilleure vente des magasins ASDA, filiale de Wal-Mart, est un nain de jardin revêtu du drapeau anglais. “Nous avons dû en commander d’autres en urgence”, explique Dominic Burch, un porte-parole d’ASDA. En promouvant un événement qui dresse les pays les COURRIER INTERNATIONAL N° 816 56 uns contre les autres, Wal-Mar t doit cependant veiller à adopter le ton juste. Son ser vice des achats internationaux a d’ailleurs été surpris par cer taines demandes. Les responsables de Wal-Mar t en Grande-Bretagne ont commandé des chaises pliantes recouvertes du drapeau brésilien, italien ou français pour les vendre en… Ecosse. En ef fet, “un Ecossais affirmera toujours qu’il soutient deux équipes – l’Ecosse et l’adversaire de l’Angleterre”, affirme Ayaz Alam, directeur des achats pour les produits non alimentaires chez ASDA. Dans les 155 magasins de Wal-Mart aux Etats-Unis, il y aura des moniteurs DU 22 AU 28 JUIN 2006 de football bilingues, des posters des joueurs mexicains et des ballons revêtus du logo de la Fédération de football mexicaine. Wal-Mart a prévu des publicités sur les chaînes de télévision hispanophones pour promouvoir les événements organisés autour de la Coupe du monde. “Pour bon nombre de clients hispaniques, c’est comme… la finale du championnat de foot américain. Et nous voulons profiter pleinement du fait que cette clientèle se passionne massivement pour ce sport”, conclut Stephen Quinn, le viceprésident marketing de Wal-Mart. Cecilie Rohwedder et Kris Hudson, The Wall Street Journal (extraits), New York AFP photo/Patrick Her tzog 20/06/06 LE JOURNAL DU MONDIAL 56 sport BAF 57 pub inso 20/06/06 19:24 Page 1 Dictionn aire de la vie ordin aire 333 sp écial histoires délirantes inso www.cour rierinternat ional.com Juin-juillet -août 2006 -7€ mais vraies Un album à tomber raide Chez votre marchand de journaux HORS SÉRIE lites 20/06/06 17:28 Page 58 l e l i v re épices & saveurs ● LES LAISSÉS-POUR-COMPTE DU MODÈLE SUÉDOIS Saouls comme des cochons IRAK SVENSKA DAGBLADET Stockholm es sentiments d’exclusion et de déracinement sont peut-être parmi les terreaux les plus fertiles pour la littérature. Je pense à quelques-uns des jeunes auteurs suédois les plus intéressants de ces dernières années : Astrid Trotzig et Sofia French (deux enfants adoptées d’origine sud-coréenne) et Zbigniew Kuklarz (né de parents polonais). Le premier roman de Susanna Alakoski, Svinalängorna* [Les cabanes à cochons], est le récit d’une enfance dans la petite ville d’Ystad [dans le sud de la Suède], dans les années 1960 et 1970. La narratrice, Leena, peut-être l’alter ego de l’auteur, décrit les efforts de sa famille, d’origine finlandaise, pour s’intégrer dans la société suédoise. Mais la dureté de la vie et le penchant prononcé de ses parents pour les gueuletons entre expatriés compliquent leur adaptation. Au début du roman, la famille emménage dans le nouveau complexe résidentiel de Fridhem, à Ystad. Pour les parents, issus de familles pauvres, c’est le summum du luxe : les toilettes sont à l’intérieur, la cuisinière a plusieurs plaques et il y a l’eau courante, froide et chaude. Mais, pour la municipalité, il s’agit surtout d’une décision tactique : elle case dans ces logements tous les “marginaux” – les chômeurs, les cas sociaux, les familles à faibles revenus, les immigrés, les ménages sans ressources, les célibataires – et les nouveaux logements sont vite rebaptisés les “cabanes à cochons” par les employés de la commune. L SON CŒUR BAT POUR CEUX QUI N’ONT PAS D’AVENIR C’est un roman formidable qu’a écrit Susanna Alakoski. La narratrice, tout en adoptant un regard critique, se montre solidaire des gens qu’elle décrit. Elle est à la fois tendre et sans pitié. Leena se moque de ses parents mais prend leur défense, se détache des événements tout en étant très impliquée. D’un côté, elle se moque des efforts infructueux de son père pour maîtriser la langue suédoise. De l’autre, elle est désespérée lorsqu’elle constate qu’il a perdu toute fierté et qu’il ressemble au chien de la famille : “Je n’aimais pas que papa baisse le ton quand il discutait avec Sten (le chef de papa à son travail). Il me donnait l’impression d’avoir la queue entre les jambes.” Nous avons pris l’habitude de considérer les années 1960 et 1970 comme des années fastes pour la Suède, mais les habitants des “cabanes ■ Biographie Née en 1962 en Finlande, Susanna Alakoski a grandi dans la petite ville d’Ystad, dans le sud de la Suède, et réside actuellement à Stockholm. Issue d’une famille d’immigrés finnois pauvres et alcooliques, elle a fait des études de sociologie et a travaillé comme attachée de presse du chef du Parti de gauche au Parlement suédois, avant de se consacrer à l’écriture. Cette mère de trois enfants a mis à profit ses trajets entre son domicile et son travail – deux fois quarante-cinq minutes par jour – pour écrire son premier roman sur des petits bouts de papier qui traînaient dans ses poches. Susanna Alakoski est aussi coauteur de l’anthologie Tala om klass [Parler de classe], qui paraîtra cet automne. Elle vient d’achever le manuscrit de son second roman. ■ Les falafels hors la loi amais les vendeurs de falafels de Bagdad n’auraient imaginé qu’on les accuserait un jour de menacer la morale publique. Leurs boulettes de pois chiches ont pourtant connu le même sort que l’alcool, la musique pop et les films étrangers : ils ont été jugés théologiquement impurs par les fanatiques du pays, de plus en plus nombreux. Ces extrémistes ont rendu visite aux vendeurs de falafels et leur ont dit ne plus ouvrir leur stand s’ils ne voulaient pas être tués. Un étrange ultimatum qui a d’abord été tourné en dérision, jusqu’à ce que deux marchands soient abattus. “Ils nous ont dit : ‘Vous avez quinze jours pour cesser votre activité.’ Je leur ai alors demandé où était le problème”, raconte Abou Zeinab, 32 ans, qui a remballé son stand pour de bon, dans la banlieue d’Al-Dora, un quartier sunnite où les extrémistes font la loi. “Ils m’ont rétorqué qu’il n’y avait pas de falafels au temps de Mahomet et que nous ne devrions pas en avoir. J’ai failli leur dire qu’il n’y avait pas non plus de kalachnikovs, mais je tiens à la vie.” Pourquoi cette interdiction faite aux vendeurs de falafels, tandis que leurs collègues continuent à vendre des kebabs, des pizzas ou des hamburgers ? Mystère. Certains soupçonnent que ce serait parce que le goût des falafels est l’une des rares choses qui, en Israël, rassemblent la communauté juive et la communauté arabe. D’autres vendeurs se sont aussi attiré les foudres des islamistes : ceux qui vendent des pains de glace pour conserver la nourriture et rafraîchir les boissons. Dans une ville perpétuellement confrontée aux coupures d’électricité et où les températures estivales atteignent les 50 °C, le service qu’ils proposent est pratiquement indispensable. Mais à eux aussi on a dit, ces dernières semaines, que leurs produits ne faisaient pas partie du quotidien au temps de Mahomet. Aqeel Hussein et Colin Freeman, The Sunday Telegraph (extraits), Londres J Avec Svinalängorna, Susanna Alakoski, fille d’immigrés finlandais, signe un premier roman très remarqué. Et renouvelle la tradition suédoise de la littérature prolétarienne. Sara Mac Key 816p58 à cochons” ne partagent pas ce sentiment. La famille semble être prise dans un engrenage inéluctable de petits métiers qui tue dans l’œuf toute ambition de changer de vie et de grimper dans l’échelle sociale. Elle fait un pas en avant pour en faire aussitôt deux en arrière. La nourriture et le loyer engloutissent les trois quarts de la paie. Et, tant que le “contrebandier” est là pour approvisionner les parents en alcool bon marché, le moindre excédent disparaît inexorablement dans leurs gosiers assoiffés. Susanna Alakoski décrit de façon convaincante comment une fillette et ses frères et sœurs se retrouvent contraints de protéger à tout prix leurs parents des jugements extérieurs. On ne dénonce pas papa et maman lorsqu’ils sont déprimés et ne font ni la cuisine, ni le ménage, ni la lessive. C’est un geste de solidarité naturel. Mais Leena finira par comprendre qu’il faut bien que quelqu’un réagisse. Ce n’est qu’avec ses meilleures amies qu’elle peut évoquer ce qu’elle ressent face au laisser-aller de ses parents. Elle et son amie Riita en ont assez de voir leurs géniteurs respectifs faire la fête en permanence : “Quand ils étaient saouls, les adultes avaient les bras et les jambes en coton. Ils puaient la smörgåstårta [gâteau de sandwichs] par tous les pores de leur peau. Ils ne regardaient pas leurs enfants dans les yeux. Nous leur jetions des regards haineux à travers les cloisons.” Sans la finesse et l’humour salvateurs de l’auteur, la lecture de ce livre serait insupportable. Mais Svinalängorna est l’un des romans les plus prenants et les plus divertissants que j’aie lus depuis des années. L’écrivain Tony Samuelsson a affirmé que la littérature prolétarienne n’était pas morte, même si le contexte avait évolué, et qu’elle émanait aujourd’hui plus souvent des banlieues peuplées d’immigrés, des laissés-pour-compte et des chômeurs que des enfants d’ouvriers. A travers sa narratrice, Susanna Alakoski adopte le regard d’un écrivain prolétarien moderne. A l’image d’Ivar Lo-Johansson, qui décrivait le quotidien des ouvriers et des journaliers agricoles, elle nous raconte la vie des laisséspour-compte. Son cœur bat pour ceux qui ne se voient pas d’avenir. Et, assez paradoxalement, on se prend à aimer ses personnages, en dépit de tout le mal qu’ils se font. Erik Löfvendahl * Ed. Albert Bonniers, Stockholm, 2006. Pas encore traduit en français. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 58 DU 22 AU 28 JUIN 2006 Boulettes de falafels Ingrédients ■ 450 g de pois chiches, 2 cuillerées à soupe de persil haché, 1 cuillerée à soupe de coriandre hachée, 2 cuillerées à café de cumin moulu, une demi-cuillerée à café de levure, sel. Préparation ■ Faire tremper les pois chiches pendant 4 heures. Les égoutter et les mixer en ajoutant les gousses d’ail pilées, l’oignon, le persil et la coriandre hachés, le cumin et la levure. Saler à votre goût. Laisser reposer la pâte ainsi obtenue pendant 30 minutes. Façonner des boulettes à la main et les faire frire 3 à 4 minutes dans un bain d’huile végétale chauffée à 180 °C. Egoutter avant de servir. W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com 20/06/06 17:41 Page 59 insolites ● Chic et choc Les grands remèdes our lutter contre la grippe aviaire, il suffit d’abattre tous les oiseaux. C’est en tout cas ce qu’a demandé au gouvernement égyptien le député Talaat Sadate. Le parlementaire entend commencer sa campagne d’éradication par l’aigle du drapeau national : il propose de remplacer le rapace par un mulet, un poisson “qui n’est porteur d’aucune maladie contagieuse”. Manifestement, Talaat Sadate (neveu de feu Anouar El-Sadate) a viré sa cuti. Dans l’émission de télévision Le Caire aujourd’hui, il avait accusé les autorités d’exagérer l’épidémie pour faire oublier le naufrage du ferr y Al-Salam 98, qui avait fait plus de 1 000 victimes. (Al-Masri Al-Yaom, Le Caire) P Le gouvernement néo-zélandais ne mégote pas avec la lutte antitabac. Pieds gangrenés, gencives et dents pourries pourraient orner les paquets de cigarettes néo-zélandais. “Il est grand temps de contrer les mensonges de l’industrie [du tabac] par quelques vérités visuelles”, a déclaré au New Zealand Herald Becky Freeman, responsable d’Action on Smoking and Health. Dieu banni des terrains de foot ne équipe de football américain de la Bible Belt – les Etats profondément croyants du sud des Etats-Unis – vient de se voir interdire de prêcher la bonne parole pendant les matchs. A l’occasion de la rencontre à domicile contre l’équipe de Louisville Fire, les Birmingham Steeldogs d’Alabama projetaient d’apposer au dos de leur maillot des textes bibliques, ce qui aurait été une première dans l’histoire du sport aux EtatsUnis. Le nom du club aurait été remplacé par celui de Samson, l’homme fort de l’Ancien Testament. Au lieu de leur nom, les joueurs auraient arboré le titre des livres bibliques. Quant aux numéros, ils auraient renvoyé aux textes du Livre saint. On aurait ainsi lu sur le maillot 12 : (Jacques, I-2) U <http://www.holebikerk.net/> *816 p59 “Frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés.” Mais les responsables du championnat à New York ont invoqué une règle interdisant aux équipes de procéder à des changements arbitraires sur les maillots et menacé d’infliger une amende de 1 000 dollars [800 euros] par maillot et de 50 000 dollars [40 000 euros] pour attitude nuisible au bon déroulement des matchs. Les deux parties se sont accordées sur ce compromis : les joueurs, qui évoluent en deuxième division, porteront les maillots de leur choix pour l’échauffement et la séance d’autographes d’aprèsmatch, mais pas pendant la rencontre. Ewen MacAskill, The Guardian (extraits), Londres Holebi a première Eglise œcuménique pour “homosexuels,lesbiennes, bisexuels et transsexuels” a ouvert ses portes en Belgique. “Nous n’avons plus foi en une Eglise dont la hiérarchie ne cesse de répéter combien nous sommes mauvais”, commente le pasteur Johan Maertens. “Il est fondamental pour nous d’appartenir à une Eglise où la femme est l’égale de l’homme ; où l’on marie les couples homosexuels ou lesbiens ; où l’on peut sans problème faire baptiser nos enfants ; et où les divorcés sont traités comme les autres fidèles.” Renoncer à sa croyance parce qu’on est gay ou lesbienne, “c’est permettre qu’on nous dépouille de quelque chose de beau et de précieux”. Les “holebis” (raccourci pour homosexuels, lesbiennes et bisexuels) et les divorcés “ont droit à une spiritualité entière”, estiment les fondateurs de la “HOLEBI-Kerk”, installée à Gand et Dedermonde. (Metro, Bruxelles) L Portugal : quand la police fourre son nez dans les corridas C’est l’aube, peu avant Les grands moments des arènes de Lisbonne sont gravés dans… les pro- l’heure de la prière. Un taxi cès-verbaux de la police. Y figurent les noms de toreros comme Manuel conduit un vieillard à la dos Santos et José Falcão. Leur crime ? La mise à mort du taureau, inter- mosquée. L’homme tient dite au Portugal. José Guilherme, ancien forcado – un des toreros chargés des propos énigmatiques. de la pega, l’immobilisation de l’animal à la main –, se souvient d’une cor- En route, le chauffeur rida où l’on avait décidé de combattre les quatre taureaux “à l’espagnole”. prend un autre vieillard, Les bêtes étaient entrées dans l’arène desembolados, autrement dit sans auquel il indique la desti- embouts au bout des cornes, une protection pourtant obligatoire au Por- nation de son passager. tugal, écrit Expresso. “La foule criait : ‘Pega, pega !’ Moi, j’attirais le tau- “Quel passager ? s’enquiert reau vers le centre de l’arène et je mourais d’envie de rire parce que je le client, il n’y a personne voyais le responsable de la corrida, affreusement inquiet, qui faisait de d’autre ici.” “Je suis invi- grands signes en direction de la police.” C’est fort “obligeamment” que les AP/Sipa L’ange de la Mort sible, toi seul peux me forces de l’ordre attendirent la fin de la corrida pour cueillir les contrevenants et leur infliger une amende de 80,50 escudos (0,40 euro). voir”, déclare alors le premier vieillard. “Je suis Azraël, l’ange de la Mort, je suis venu t’emmener dans l’autre monde.” Pris de panique,le chauffeur prend ses jambes à son cou et se précipite à la mosquée pour prier.A son retour,plus de taxi ni de vieillards. Le tandem a filé avec la voiture, rapporte le quotidien koweïtien Al-Watan. Autres temps… atwoman fait son comeback. Kathy Kane, la compagne de Batman, a fait peau neuve : elle est désormais lesbienne et follement mondaine. Il est loin le temps où l’héroïne se pâmait d’admiration pour l’homme chauve-souris, vivait dans son ombre et ne quittait jamais son sac à main. Selon The New York Times, cette métamorphose s’inscrit dans la B droite ligne de la politique éditoriale de DC Comics, qui s’attache à donner plus de place aux minorités. A quand un Batman gay ? Ce n’est pas pour demain, rapporte The Independent. L’an dernier, l’éditeur de bandes dessinées portait plainte contre une galerie new-yorkaise qui exposait des aquarelles représentant Batman et Robin dans des positions très intimes. COURRIER INTERNATIONAL N° 816 59 0à2 e leader du Parti polonais des pauvres (PPB), Zygmunt Prusinski, a porté plainte contre le sélectionneur de l’équipe nationale, Pawel Janas. Ecœuré par le match Pologne-Equateur (“un scandale”), il réclame 10 000 zlotys (environ 2 500 euros) de dommages et intérêts pour préjudice moral et offense au sentiment patriotique. (Super Express, Varsovie) L Radek Pietruszka/EPA/Sipa DU 22 AU 28 JUIN 2006