L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
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L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
n° 89 L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER UNE SOCIÉTÉ FRANÇAISE BOUSCULÉE PAR SES MUTATIONS BILAN DE L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ SUR LONGUE PÉRIODE CARTES EN MAINS : FOCUS SUR LA GIRONDE ÉDITORIAL Multipliez les points de vue pour voir la situation sous le meilleur angle CONSEIL - EXPERTISE - COMMERCIALISATION Au contact de nos clients - investisseurs, propriétaires privés et institutionnels, promoteurs et utilisateurs -, nous avons appris à envisager les questions qui nous sont posées sous tous les angles. Et nous avons forgé cette conviction que nos métiers impliquent une approche sur-mesure et exigent la plus grande proximité. C’est pourquoi nos 260 collaborateurs ont l'ambition de conduire leurs missions de conseil, d'expertise et de commercialisation, avec le souci de confronter les points de vue pour réussir au plus près des objectifs de chacun. 17 implantations, autant de marques d'attention Regulated by www.creditfoncierimmobilier.fr - 24, rue des Capucines - 75002 PARIS - Tél : 01 57 44 58 00 : 06 98 32 44 24 / Crédits photos : Fotolia / iStockphoto / Thinkstock - Crédit Foncier Immobilier - SA au capital de 211 605,07 € - RCS Paris 405 244 492 - Siège social : 19, rue des Capucines - 75001 Paris L a subjectivité est une adversaire redoutable de la raison, et conduit parfois à des décisions discutables ou illogiques, motivées par l’affect ou par des sentiments tels que la peur de l’avenir, la morosité économique ambiante, la crainte du chômage ou de la vacance locative. La subjectivité est omniprésente sur le marché de l’immobilier résidentiel, où vendeurs et acheteurs sont le plus souvent des particuliers, et donc des « amateurs », sans connotation péjorative. Les anticipations de ces acteurs relèvent trop souvent de l’irrationnel : des acheteurs frileux, qui craignent de s’engager à long terme, et des vendeurs crispés sur des prix d’affichage excessifs (la fameuse valeur « affective »), caractérisent une activité aujourd’hui ralentie (710 000 ventes estimées pour 2014 dans l’ancien, et un total de 310 000 constructions neuves seulement). Les uns se sont persuadés qu’il était urgent d’attendre la chute des prix (prédite depuis bientôt une dizaine d’années), les autres espèrent des temps meilleurs, quand l’économie et l’inflation repartiront de concert. Tous sont convaincus que, de façon endémique, le logement s’est progressivement raréfié, en France, atteignant ainsi des niveaux de prix jugés excessifs. La réalité est sensiblement différente : selon l’Insee, la France comptait 33 192 000 logements en 2012, chiffre à rapprocher d’une population estimée à 65 252 000 habitants. Le rapport des deux chiffres renvoie donc un ratio de un logement pour un peu moins de deux Français. Curieusement, ce ratio est sensiblement identique (un pour deux) en Allemagne, pays où le marché résidentiel est bien plus détendu, les loyers et les prix beaucoup plus modérés et accessibles. L’erreur vient de ce que l’on a oublié un paramètre important : la France urbaine, principale pourvoyeuse d’emplois, se développe inexorablement à une époque où le recul du secteur industriel continue de dépeupler les villes petites et moyennes. Elle attire toujours plus de « ruraux » qui viennent alimenter, dans les métropoles, une demande de logements collectifs, plus coûteux à produire, sur des terrains toujours plus rares. Il en résulte que c’est la France « profonde » qui en subit les effets : sur 36 600 communes, on peut estimer que seules 10 % d’entre elles ont eu un marché immobilier actif en 2013. L’exode rural profite, certes, aux métropoles et aux grandes villes, mais affecte durablement le marché immobilier des villes moyennes et secondaires, où l’offre de logements spacieux à des prix faibles peut se révéler surabondante. Ainsi, bien au-delà du critère du prix, scruté par tous les acteurs, se pose la question centrale de la liquidité. D’où un risque immobilier à reconsidérer en termes de profondeur de marché. Vous trouverez dans ce numéro d’autres sujets de réflexion tout aussi passionnants. Je vous en souhaite une très bonne lecture. Bruno Deletré Directeur Général du Crédit Foncier 4 5 SOMMAIRE Crédit Foncier Immobilier 19, rue des Capucines – Paris 1er Adresse postale : 4, quai de Bercy 94 224 Charenton Cedex Téléphone : 01 57 44 80 00 Télécopie : 01 57 44 86 85 1 4 Rédacteur en chef : Emmanuel Ducasse. 2 Abonnements : Sylvie Buisson : 01 57 44 86 61 Mail : sylvie.buisson– [email protected] Changement d’adresse : prière de joindre la dernière étiquette– adresse en nous précisant votre nouvelle adresse. Prix abonnement au numéro : 30 € Prix abonnement 4 numéros : 100 € Crédit Foncier de France – S. A. au capital de 1 331 400 718,80 € – 542 029 848 RCS Paris. Maquette et réalisation : L ogement : pourquoi et comment faut-il relancer la construction > P. 14 Les fonds souverains : une classe 7 d’investisseurs à part > P. 32 Par Jean Viard, directeur de recherche CNRS au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po). Il nous expose son analyse des mutations qui touchent notre société. Directeur de la publication : Bruno Deletré. Comité de rédaction : Laurent Batsch, Mirella Blanchard, Éric Buffandeau, Denis Burckel, François Cusin, Emmanuel Ducasse, Paul Dudouit, Claire Juillard, Christian de Kerangal, Michel Mouillart, Nicolas Pécourt. U ne France bousculée > P. 8 Par Emmanuel Ducasse, directeur des études, Crédit Foncier Immobilier. Il brosse, dans ce numéro, un portrait synthétique des fonds souverains et de leurs spécificités. 5 L es réponses apportées par le prêt viager hypothécaire aux enjeux du vieillissement de la population > P. 54 Par Nicolas Pécourt, directeur communication externe et RSE, Crédit Foncier. Il nous détaille l’intérêt du prêt viager hypothécaire au regard du vieillissement de la population. L’aménagement des espaces de travail : une décision stratégique > P. 35 8 Le viager d’aujourd’hui > P. 60 Par Denis Burckel, professeur associé, directeur du master « Management de l'immobilier », université Paris-Dauphine. Dans ce numéro, il nous propose un regard sur les conditions et enjeux de la relance de la construction. Par Sébastien Boussuge, directeur conseil & audit, Crédit Foncier Immobilier. Il nous livre un éclairage sur les stratégies d’aménagement du lieu de travail. Par Nicolas Tarnaud, titulaire de la chaire immobilier & société, Neoma Business School. Il réalise un tour d’horizon du viager et étudie sa place dans le marché immobilier actuel. CORPORATE RÉSIDENTIEL RÉGIONS Crédits photo : Photononstop. Impression : Stipa. Dans le souci du respect de l’environnement, le présent document est réalisé par un imprimeur Imprim’Vert®, avec des encres bio à base d’huile végétale sur un papier certifié FSC® fabriqué à partir de fibres issues de forêts gérées de façon responsable. 3 La loi Pinel > P. 24 6 Regards sur l’accession à la propriété en longue période > P. 42 9 Cartes en mains : l’immobilier résidentiel en Gironde > P. 70 N° de commission paritaire : 2 026 AD – ISSN 0767– 6794. Dépôt légal : décembre 2014. Par Gabriel Neu-Janicki, avocat à la Cour – MRICS. Il nous détaille la loi Pinel et ses impacts sur les baux commerciaux. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 Par Michel Mouillart, professeur d’économie à l’université Paris Ouest et conseiller scientifique de CSA, et Véronique Vaillant, directrice d’études à CSA. Pour cette édition, il dresse le bilan de trente ans d’accession à la propriété. Dans cette rubrique, la Direction des études de Crédit Foncier Immobilier présente les faits et chiffres du marché résidentiel girondin. n° 89 SOCIÉTÉ L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER REVUE DU CRÉDIT FONCIER n° 89 7 SOCIÉTÉ UNE FRANCE BOUSCULÉE Par Jean Viard, directeur de recherche CNRS au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po). LOGEMENTS : POURQUOI ET COMMENT FAUT-IL RELANCER LA CONSTRUCTION ? Par Denis Burckel, professeur associé, directeur du master « Management de l'immobilier », université Paris-Dauphine. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 8 1 UNE FRANCE BOUSCULÉE Par Jean Viard, directeur de recherche CNRS au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po) (1). Pour le sociologue, notre société est depuis un demi-siècle bouleversée par l’allongement de la vie, la place nouvelle faite aux femmes, le rôle de l’éducation de masse et la réduction du temps imparti au travail. Et cette société est entraînée dans un monde limité, de plus en plus interconnecté, connu, interactif. Un monde où nous faisons de plus en plus l’amour mais en procréant de moins en moins : et pourtant, nous y sommes de plus en plus nombreux. Car la démocratisation de l’érotisme se conjugue avec l’allongement de la vie et la maitrise croissante des naissances, pour charger la barque Terre d’une Humanité en expansion dans un espace clos. Mais comment alors faire nation comme nous faisions nation hier dans ce monde-là ? Comme faire France ensemble quand la terre chauffe et que le peuplement augmente ? Quels projets peuvent à nouveau rassembler cette vieille nation si politique qui avance par des ambitions et des idées successives ? Ces évolutions immenses sur lesquelles nous allons revenir ont été lentes et nous en avons, de ce fait, peu pris conscience. Pourtant, nous avons gagné 40 % d’espérance de vie en trois générations, 25 ans en moyenne, passant d’une société trois générations à une société quatre générations. Le salariat féminin est passé de 50 % d’une classe d’âge à 80 % : de 1975 à 2015 la France compte 4,5 millions de salariés en plus, un million d’hommes et 3,5 millions de femmes. Les femmes travaillent donc plus, les hommes moins. Mais la place du travail dans nos vies a été bouleversée passant de 40 % à 12 % du temps de notre existence car la vie s’est allongée et la semaine de travail est passé de 80 heures en 1848 à 35 heures aujourd’hui. Sans même parler de la retraite. En outre, on dort deux heures de moins par jour qu’il y a un siècle. Autrement dit, le temps hors travail et hors sommeil est devenu majoritaire. Le temps dit « libre ». D’où une population de plus en plus nombreuse avec de moins en moins de bébés. Les équilibres de la société en ont été bouleversés : le temps dont nous disposons, l’enjeu même de cette possession, la place des liens liés aux travail, les kilomètres que nous parcourons, la diversité de nos rencontres, la multiplicité de nos appartenances, le retour des identités religieuses, locales, comportementales et le recul des appartenances de classe sans parler de l’empreinte écologique de ces vies longues… (1) Jean Viard a récemment publié Nouveau portrait de la France et La France dans le monde qui vient aux éditions de l’Aube. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 9 société 2.1 / UNE TEMPORALITÉ BOULEVERSÉE D epuis 1945, en France et en Europe, la durée de vie moyenne a augmenté d’environ 25 %, le PIB a été multiplié par quatre, et les kilomètres que nous parcourons par neuf. On est passé de 9 à 45 kilomètres en moyenne par jour et par Français. 70 kilomètres aux États-Unis dont 50 % en avion. On vit sur des trajets, on n’habite pas un seul lieu, on habite une mobilité avec des lieux repères qui ne font plus repaires. Du moins pour la majorité supérieure de la société. Nous sommes multi-appartenants dans une spatialité en archipel. Nous allons vivre 700 000 heures, c’est notre espérance de vie moyenne aujourd’hui, nos enfants vont vivre probablement 800 000 heures et nos grands-parents ont vécu 500 000 heures. Nous avons donc gagné 200 000 heures d’espérance de vie en trois générations, ce qui est un bouleversement majeur dans l’histoire de l’homme. C’est peut-être ce que l’on racontera de nous dans cinq cents ans. Comme disait Jean Fourastié, nous sommes entrés dans la civilisation des vies complètes. Et on a massivement démocratisé l’espérance de vie, même si les écarts restent importants. En France, un instituteur vit sept ans de plus qu’un ouvrier – l’espérance de vie sur la planète est passé de 59 ans à 69 ans en trente ans. C’est d’ailleurs parce que nous vivons plus longtemps que nous allons être neuf milliards de contemporains vers 2050. Nous avons à réfléchir à cette société où quatre générations coexistent, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’homme. On perd ses parents à 63 ans, on est grands-parents à 53 ans. On hérite donc vers 63 ans pour investir dans la retraite, dans des maisons avec jardin, dans des caravanes, des bateaux… Nos parents héritaient vers 40 ans et faisaient des investissements plus économiques – ils investissaient dans le logement, les entreprises, les petits commerces, une ferme – alors que nous faisons massivement des investissements ludiques. Si on supprimait l’ensemble de nos jouets d’adultes, de la résidence secondaire au 4x4 en passant par les jeux électroniques, les livres, les bateaux et le tourisme… l’économie s’effondrerait ! Tout cela induit une multiplication des maisons avec jardin, la bi-résidence pour plus de 20 % des familles, dans le déplacement massif de la population… Cela bouleverse aussi les attentes des urbains qui, même modestement, veulent accéder à cette société du plein air, du soleil, de la nature, de l’animal. Tout logement neuf devrait compter au moins 30 % de sa surface en terrasse ou jardin. 2.2 / UN TRAVAIL RÉDUIT N ous devrons travailler 42 ans, en moyenne, 1 607 heures par an, soit 67 494 heures pour avoir droit à la retraite. Sur des vies moyennes en France de 700 000 heures actuellement. Soit 10 %. Et si on calcule la part des heures déclarées travaillées par rapport à la part des heures vécues aujourd’hui en France et en Europe, on arrive à 12 % du 10 une france bousculée Alors le temps hors travail qui était le cœur du lien social des élites avant la révolution industrielle a été démocratisé comme cœur du lien pour toute la société. Les liens et les activités du hors travail vont induire de multiples appartenances qui viennent concurrencer celles induites par le monde de la production. Le sommeil d’abord avec, comme premier souci, logiquement, le bruit. Ensuite, on a démocratisé l’érotisme. On fait entre six et huit mille fois l’amour dans une vie contre moins de mille avant 1914. Soit un bébé toutes les 3 000 relations contre environ un toutes les cents. Effondrement de la productivité ! Cette démocratisation de l’érotisme qui était l’apanage des élites nécessite des rencontres, des restaurants, des quantités de lieux, de gestes, de déplacements. Il n’y a presque plus de limite d’âge sauf celles que pose la loi… Les codes des vacances et de la télévision ont joué ici des rôles considérables. temps consacré au travail déclaré : 88 % de notre temps est donc, dans les pays développés, un temps hors travail. Là est le cœur des liens des sociétés modernes, là où le travail était le grand ordonnateur des sociétés de la révolution industrielle. Le travail masculin principalement. Le travail, maître du temps donc de 1789 à 1936, malgré son évidente importance, n’est plus que le deuxième pilier d’une organisation sociétale qui lui échappe chaque jour davantage. Un travail de plus en plus court mais généralisé, y compris aux femmes qui sont aujourd’hui massivement salariées. Avec dans les milieux populaires, un rejet de plus en plus fort de ce qu’on y vit et une attente croissante… de la retraite. Un travail, donc, survalorisé et majoritairement malheureux. Sauf pour les élites, les cadres, les créateurs, les décisionnaires… Là où les uns espèrent arriver à l’âge de la retraite, les autres le craignent. 11 société Dans le même ordre d’idées, 57 % des bébés sont nés hors mariage en France en 2013 alors que l’on n’avait dépassé les 10 % de bébés hors mariage qu’en 1919 et 1945 pour des raisons historiques évidentes. Cela veut dire qu’une structure aussi forte que le mariage, la base de la structure de la famille, s’est complètement ouverte. Elle n’a pas disparu, elle s’est transformée. En outre, 50 % des mariages se défont avant la cinquième année en Île-de-France. Sans doute parce que dans cette société qui adore les fêtes, le mariage est plus une fête qu’un engagement. Et comment s’engager quand la vie s’est allongée de vingt-cinq ans en un siècle ? Ainsi des structures anthropologiques fondatrices comme le mariage et la famille ont été bousculées en un demi-siècle. Dans cette société où la place du travail a changé et où la question du temps libre et des loisirs est devenue centrale, les deux éléments qui ont porté les innovations depuis la guerre, là où on a inventé des codes, des manières de se parler, de s’habiller, de masquer l’effort aussi, sont la télévision et les vacances. Là sont les grands bâtisseurs normalisateurs de ce temps libre massif. Et à ces nouvelles normes et valeurs issues de la télévision et des vacances, ajoutons une chose essentielle : plus la vie est longue, plus on la vit L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 par séquences courtes, car on peut sans cesse retenter sa chance. Il faut comprendre cet apparent paradoxe. On a le temps pour changer de région, de métier, de conjoint…et recommencer à vivre. Nous vivons ainsi dans une société de discontinuités où la vraie question est « qui choisit et qui subit ». On est dans un processus de transformation de la société par le temps libre et les apprentissages des loisirs. Ce n’est plus le temps libre à côté de la société du travail, c’est le temps libre comme moteur de lien social et de l’équilibre nouveau entre les territoires. Nous sommes passés à une société bâtie sur deux piliers : le travail qui représente donc 12 % de notre temps et le non travail qui en représente 88 %. Mais, en réalité, ils pèsent à peu près le même poids en capacité de transformation des liens sociaux, du logement, des mœurs, des structures culturelles… Certes, le travail produit du revenu et du statut. Mais ce temps libre considérable est devenu un temps d’apprentissage, de jeux, de découvertes et de rencontres qui induit largement le renouvellement de la productivité du travail. Cela crée une société de mobilité, humaine, culturelle, sociale, géographique, dont nous lisons les traces avec les divorces, les licenciements, les migrations et les déménagements, les mobilités spatiales et numériques. Mais ce ne sont que des traces, le processus culturel est bien plus large. Le lien social, le lien entre travail et territoire, territoire et politique… s’est donc affaiblit, mais les liens ont par contre augmenté dans l’espace privé, sentimental, familial, identitaire. On peut dire que le lien social s’est privatisé. Nous n’avons jamais autant fait l’amour, nous n’avons jamais eu autant d’amis, ni regardé la télé ou Internet, écouté de la musique, cuisiné par plaisir, bricolé, même lu. Nous n’avons jamais autant parlé à nos enfants, nous n’avons jamais autant parlé à nos parents et tout cela, où est-ce que ça se passe ? D’abord dans le logement. Les liens sont entrés dans le logement alors qu’avant le logement était le lieu du couple familial et était inscrit dans les liens du quartier, du village et du groupe social. Le logement a le plus souvent intégré en son sein l’espace public des années soixante : espace vert, télévision, musique, barbecue… Il est devenu le lieu premier du loisir. L’espace public ne gardant que les activités exceptionnelles, l’espace de socialisation de la jeunesse, des populations défavorisées, des migrants et des touristes. Le touriste étant d’ailleurs souvent la figure qui renouvelle l’espace public et fait ressortir l’habitant, car il revitalise l’espace extérieur. Nos liens les plus divers sont donc rentrés dans nos maisons, nous en avons fait des temples affectifs et culturels. S’y déploie une famille-tribu quatre générations. Avec par exemple une ré-augmentation des repas du dimanche après le creux post 68. Nous y avons des écrans, de la musique, des meubles à roulettes dans la chambre des enfants pour qu’ils les poussent quand ils font une petite fête. Le logement est devenu un modèle réduit de la société, que nous avons alors agrandi et bien sûr doté d’un jardin pour la moitié d’entre nous. Le jardin, il faut le penser avec la télé, avec le canapé du salon… et les pièces centrales du jardin sont le barbecue, l’animal domestique et le point d’eau. Il y a une civilisation du barbecue. Le dîner avec la belle-mère, rapport vertical, se passe à l’intérieur car la concurrence sur la daube entre générations – problème sérieux qui perdure – fait partie de la transmission de l’homme entre deux femmes, alors que le barbecue est à l’extérieur au cœur de liens sociaux souples et souvent éphémères de la tribu familialo-amicale. Chacun amène son rosé et sa côtelette, nous sommes en société horizontale. NOS LIENS LES PLUS DIVERS SONT DONC RENTRÉS DANS NOS MAISONS, NOUS EN AVONS FAIT DES TEMPLES AFFECTIFS ET CULTURELS. S’Y DÉPLOIE UNE FAMILLE-TRIBU QUATRE GÉNÉRATIONS. 12 une france bousculée Le jardin est le lieu de sociabilité qui prolonge la maison dans cette culture du lien privé. Comme ces liens sont entrés dans la sphère du privé, on a le sentiment qu’il n’y a plus de liens dans la sphère du public. Les politiques parlent de crise du lien social, mais c’est en réalité un profond changement du lien social. On n’a jamais eu autant de liens, sans compter qu’on les prolonge par le numérique. C’est pour cela que la première question de l’augmentation du nombre de jardins privés est la marque du développement massif de la privatisation du lien social à l’intérieur de l’espace domestique. C’est une idée que j’aimerais que vous gardiez. 2.3 / RETROUVER LA SAISONNALITÉ ET LE MONDE VERT J ’ajouterais que la société industrielle a failli oublier les saisons et le cycle de la lumière. L’atelier éclairé fut sa grande invention, la durée régulière du travail toute l’année sa force. La ville populaire devient le lieu unique de vie du peuple, son village d’origine un souvenir. Les bourgeois, eux, comme les aristocrates, ont toujours eu deux lieux : un pied en ville et un pied-à-terre en campagne. Culture et urbanité, propriétés, parc et nature. L’urbanité s’est généralisée, chose que nous disons depuis longtemps avec Bertrand Hervieu. Nous sommes tous des urbains culturels parce que nous faisons des études, nous allons en ville, nous regardons la télévision… 70 % des paysans sont à moins d’une heure d’un centre-ville en France et 82 % font leurs courses au supermarché, le paysan n’est plus un individu à part (même s’il continue à le croire et si les urbains le croient aussi d’après nos études). Le groupe social qui fait le plus de kilomètres tous les jours, ce sont les femmes d’agriculteurs, ce qui est normal parce qu’il faut amener les enfants à l’école, aller au supermarché, chercher le phytosanitaire… Il y a un nouveau rapport à l’espace, saisi par la mobilité réelle et virtuelle. 13 société Mais quand on pense triomphe de l’urbanité, société horizontale portée par la révolution informatique, il faut aussi se rappeler que les élites ont, de tous temps et en tous lieux dans toutes les civilisations, été bi-résidentiels. L’urbain sans terres, sans plantes, sans arrosage, sans jardin n’existe que dans les milieux pauvres. Les moines s’enfermaient, mais au centre du monastère ils avaient un petit jardin. Les temples japonais aussi, même s’il n’est que minéral. Il faut donc se dire aussi, que de même qu’on a démocratisé la sexualité, l’éducation, la santé, on a démocratisé l’accès à la nature sous diverses formes dans la culture urbaine. Birésidence, maisons avec jardins en périphérie des villes, terrasses plantées, vues sur la forêt ou la mer. Il y a différentes façons d’être urbano-nature. On peut être bi-résident parce qu’on habite à côté de la ville et que, tantôt c’est une maison de vacances, tantôt c’est une maison de travail, on peut l’être aussi parce qu’on habite dans une ville dense et qu’on a une maison lointaine, on peut l’être encore parce qu’au fil de la vie on va se déplacer dans le territoire, chasser en ville le partenaire, se reproduire en périphérie urbaine, descendre vers le Sud quand on sera plus vieux… Il y a des quantités de façons. Il faut par exemple penser la nature en ville par rapport au trajet de l’habitant dans la cité pour qu’il la rencontre régulièrement comme la vue sur le lointain. Passer « des espaces verts » à de la « nature exubérante ». Penser et organiser la ville non pour que chacun ait un paysage ou un jardin à lui, mais pour que chacun y soit confronté dans son quotidien. Le cœur de la société moderne est l’affection, et le jardin est de tout temps l'un de ces hauts lieux. Pour résumer, au XIXe siècle on a inventé la guinguette, les temples urbains de la culture, la station, la mer, la plage, le sport, etc. Au XXe siècle on a inventé la maison du peuple, l’éducation populaire, l’animation, le cinéma, la télévision, la montagne, le ski, l’amour de la campagne pour les vacances, les compétitions sportives. Puis Paris plage, les rave-party, les coupes du monde, les jeux Olympiques délirants et magnifiques, Internet. Après la guerre, quand on allait en vacances à la campagne, c’était un signe de pauvreté car on « remontait » l’exode rural chez des parents ou grands- L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 parents. Et puis on a inventé les festivals, l’idée de concentrer des périodes culturelles intenses. Peut-on comparer au Luberon et à tant d’autres maisons de famille ? Pour conclure, je dirais que nous devons juger positivement la société qui nous permet de nous poser ce genre de question, de développer massivement ce genre de pratique. Si nous avons du temps, si nous voyageons, si la moitié des Français a des jardins privés et que 30 % du territoire national est en parc et réserve… c’est que nos sociétés, depuis cent cinquante ans, ont été formidablement capables de construire un système social bâti sur l’éducation, sur la paix et sur la santé, qui fait que la vie a augmenté de 40 % et que nous sommes devenus massivement mobiles. Mais ce nouvel art de vivre est-il accessible à tous de la même manière ? La réponse est évidemment non. Les anciens quartiers populaires urbains souvent construits dans les années 60-70 concentrent les populations qui entretiennent et bâtissent cette ville confortable et créatrice où se concentre l’écono- mie de l’information, de la formation, de la santé et de la culture. Mais, cette population indispensable « au confort bobo » est souvent contrainte de trouver un nouvel art de vivre dans des croyances anciennes, souvent importées, voire radicalisées ou caricaturées. L’offre de loisirs, de voyage, de départ pour la retraite dans les quartiers populaires est gravement déficiente. Notamment pour les jeunes. Et dans l’entour de la ville, la non-construction politique du périurbain fait vivre souvent en lotissement, sans projet commun, des populations qui se retrouvent repliées sur elles-mêmes. Exacerbation du bonheur privé taraudé par l’angoisse du chômage et du malheur public. Crise aussi de notre modèle politique. Nous avons voulu montrer que c’est le fonds culturel de nos sociétés qui est bouleversé. L’art de vivre y est nouveau, individuel et tribalo-familial, avec des grands événements et des totems considérables comme les stades ou les parcs régionaux ou nationaux. Mais dans cette société de la mobilité et de la discontinuité, nous avons à apprendre à satisfaire des demandes d’apprentissages multiples, à usages privés ou passagers. Jouer de la guitare pour ses amis, skier sans faire de course, faire du jogging hors des stades, chercher le bien-être plus que la compétition. Une grande part des loisirs est vécue hors institutions et hors lieux dédiés. Les pratiques valorisées par les vacances submergent la ville et bouleversent les loisirs urbains codifiés. Le zapping des pratiques, la multiplicité des désirs d’apprentissage, la culture de la mobilité, la discontinuité de nos engagements et demandes… tout cela doit favoriser une nouvelle réflexion pour les politiques publiques. L’enjeu de la démocratisation en particulier de l’accès aux voyages et au monde numérique devient essentiel. Les anciens temples culturels, les totems des loisirs d’hier doivent être réévalués ; la vision des pratiques culturelles issues des années soixante remise sur le métier. Et surtout la culture du travail doit se recomposer autour de ces individus acteurs qui se retrouvent le plus souvent dans des structures professionnelles fortement hiérarchiques. Si la France a inventé des 35 heures fort discutées, elle est aussi le pays où il y a le plus de cadres par salariés ! À méditer. 14 2 LOGEMENT : POURQUOI ET COMMENT FAUT-IL RELANCER LA CONSTRUCTION Par Denis Burckel, professeur associé, directeur du master « Management de l’immobilier » à l’université Paris-Dauphine. « Quand le bâtiment va, tout va », constatait un ministre de la IIIe République. Et inversement, auraient pu regretter les 52 ministres en charge du logement depuis 1945, de Raoul Dautry à Sylvia Pinel. 2.1 / DE NOMBREUSES RAISONS PLAIDENT EN FAVEUR D’UNE RELANCE DE LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS L a relance de la construction de logements est devenue un sujet d’actualité économique, en période de croissance nulle. Selon un calcul sommaire, le passage du rythme de 300 000 logements par an, atteint fin 2014, à celui des 500 000 fixé comme objectif par les gouvernements depuis 2007, créerait 360 000 emplois (1). Une telle estimation, pour approximative qu’elle soit, confirme le vieil adage, et correspondrait à une baisse du chômage d’environ 10 %. Plus concrètement, le recul de la construction de 421 000 logements en 2011 à environ 300 000 en 2014 s’est accompagné d’une réduction de plus de 100 000 emplois, d’une baisse des prix de la construction et d’une fragilisation de nombreuses entreprises du secteur. Celles-ci retardent les baisses d’effectif, acceptent des marges faibles, nulles, parfois négatives dans l’espoir d’une reprise. Une prolongation de l’atonie de 2014 pourrait accélérer les dépôts de bilan et commencer à déstructurer la filière, en supprimant, dans certaines zones, des entreprises de certains corps de métiers du bâtiment, des agences d’architecture ou des promoteurs capables de monter des opérations. Les effets de ces disparitions seraient d’autant plus lourds que le secteur importe relativement peu de matériaux et encore assez peu de main-d’œuvre, malgré l’essor des travailleurs détachés. Une relance trop tardive ne permettrait pas une reprise effective rapide de la construction, faute d’importations aisées, et aurait des effets inflationnistes plus nets que dans un secteur ouvert. Inversement, une 15 société relance rapide aurait peu d’effets négatifs sur le commerce extérieur. Autre conséquence bien connue, la disparition de ces entreprises, réparties sur tout le territoire, avec des difficultés d’emploi et des effets induits sur toute une chaîne de production toucherait toutes les régions du pays. Une crise du logement ne se compense pas par une action ciblée territorialement. Au-delà de l’effet sur l’activité, un rythme faible de construction se répercute également sur les prix du logement. En période de pénurie d’offre, l’ajustement ne se fait pas par les quantités mais par les prix. La situation de la décennie 2010 est, de ce point de vue, exceptionnellement défavorable. Les prix élevés ne stimulent pas la production, mais c’est la faiblesse de la production qui maintient les prix à un niveau très élevé. Certes, le cycle de production est toujours déconnecté du cycle de prix, avec un effet retard : ainsi, la chute des prix du début des années 1990 a abaissé la production à des minima au milieu de cette période avec 310 000 logements par an entre 1992 et 1996 et seulement 255 000 par an entre 1996 et 2001. Et la hausse exceptionnelle des prix du neuf n’a pas stimulé, à due proportion, la production dans les années 2000 : 340 000 logements par an entre 2001 et 2005 et 370 000 par an entre 2005 et 2010. Un triple phénomène se produit : la lourdeur du processus du projet immobilier provoque un délai entre l’évolution des prix et celle des constructions ; les blocages de l’offre atténuent l’effet des prix sur la production ; cette atténuation est régulée par l’évolution des prix de l’ancien, qui rattrapent ceux du neuf en période haussière et s’en détachent en période baissière moins tendue. Or, dans la période actuelle, la légère baisse des prix (à fin 2014, moins 4 % depuis le plafond de 2011) coexiste, sans délai, avec une baisse de la construction à 350 000 par an entre 2011 et 2014. Le faible niveau de construction empêche de satisfaire des besoins de logement. Le consensus de nombreux experts se conforte autour d’un manque d’environ un million de logements. L’étude de Paris-Dauphine, en 2006 (2), fondait la nécessité de construire 500 000 logements par an sur les évolutions démographiques et les conséquences de l’immigration ; un « choc sociologique » augmente encore cette demande par une baisse du nombre de personnes par logement du fait d’une part croissante de ménages à une personne (veuves, divorcés vivant seuls) et de la réduction des familles nombreuses. La frustration que génère la non-satisfaction de ces attentes contribue à un climat social général de déception. Cette frustration répond à l’envie d’être propriétaire pour se prémunir de toutes sortes de craintes, en particulier financières, liées au risque de chômage, et aux incertitudes sur le pouvoir d’achat, en particulier pour la retraite. (2) Batsch Laurent, Burckel Denis, Cusin François, Julliard Claire, La demande de logements face aux bouleversements de la société ; le choc sociologique, université Paris-Dauphine / Crédit Foncier, novembre 2006. (1) Selon la Fédération française du bâtiment, un logement génère 1,8 emploi. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 16 17 Dans ce contexte, les ménages les plus modestes peinent le plus à accéder à la propriété et, malgré un effort de construction exceptionnel des HLM, les listes d’attente des demandeurs de logements locatifs sociaux ne baissent pas. Une construction trop faible pénalise les ménages les plus fragiles, et aussi les plus jeunes, et creuse les écarts dans les conditions de logement. Le mal-logement, mesuré chaque année par la Fondation de l’abbé Pierre, s’accroît. L’analyse économique, la prise en compte des données financières, les conséquences sociales, les effets sur la confiance de la société française militent tous en faveur d’un rythme plus élevé de construction que celui de 2014. Ce sont là des raisons conjoncturelles, mais aussi des motifs structurels. Il faut bien relancer la construction de logements. Mais, pour paraphraser Robespierre, « il ne suffit pas de dire qu’il faut relancer le logement mais il faut dire comment et où ». 2.2 / QUATRE TYPES DE SOUTIEN À LA CONSTRUCTION : LES TAUX D’INTÉRÊT, LA SOLVABILISATION PUBLIQUE DE LA DEMANDE, LA CONFIANCE ET LES DÉBLOCAGES DE L’OFFRE Compte tenu des caractéristiques de la réalisation des logements, les mesures de solvabilisation de la demande (les acquéreurs) apparaissent les plus immédiates. Pour autant, des mesures portant sur l’offre et la confiance sont trop négligées, car très difficiles à quantifier et avec des délais d’impact incertains. LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU LOGEMENT REPOSE SUR UN FINANCEMENT AVEC UNE PART ÉLEVÉE D’EMPRUNT, DE L’ORDRE DE 60 % POUR LES LOGEMENTS NEUFS. Les financements affectés au bâtiment se répartissent entre l’achat de logements anciens (environ 150 milliards d’euros) – qui n’ont pas d’effet significatif sur l’activité en dehors des professions d’intermédiation –, les travaux sur logements existants (3) (environ 45 milliards d‘euros) – qui ne font pas l’objet du présent article, mais dont l’impact en emplois peut être fort et rapide – et l’achat de logements neufs pour environ 73 milliards d‘euros. (4) Le modèle économique du logement repose sur un financement avec une part élevée d’emprunt, de l’ordre de 60 % pour les logements neufs (5). La plupart des ménages accédant à la propriété présentent une part d’emprunt supérieure à 50 %. Les investisseurs particuliers en logement locatif ont intérêt à maintenir un niveau significatif d’emprunt dont les frais financiers sont déductibles des revenus fiscalisés, d’où leur taux d’emprunt proche de 70 %. Les organismes de logement social recourent à l’emprunt pour 68 % (logements PLAI, aux loyers les plus faibles et les plus subventionnés) à 79 % (logements PLS, les moins subventionnés) (6). Pour un prêt de quinze ans, une baisse du taux d’intérêt de 1,2 % améliore la capacité d’emprunt de 8 % (à mensualité de rembourse- (3) La majoration du crédit d’impôt transition énergétique, porté à 30 % pour les travaux réalisés à partir du 1er septembre 2014, répond à cet objectif. (4) Les chiffres cités sont extraits des comptes du logement pour 2012 et peuvent varier fortement d’une année sur l’autre selon l’évolution conjoncturelle. (5) Comptes du logement 2012. (6) Éclairages. Groupe Caisse des dépôts. Étude n° 5. Juillet 2014. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 ment inchangée) : c’est l’évolution approximative des taux entre début 2012 et fin 2014 ; compte tenu d’un financement par emprunt de 60 %, la solvabilisation en est améliorée de près de 5 %. Une baisse double, qui correspond à l’évolution des taux entre fin 2008 et fin 2014, améliore la capacité d’emprunt de 16 % et la solvabilisation globale moyenne de 10 %. Les aides fiscales à l’investissement locatif des particuliers visent à déplacer l’épargne vers l’investissement logement en jouant sur la forte sensibilité des Français à l’impôt. Ces aides présentent l’inconvénient d’augmenter la dépense publique, et donc le déficit budgétaire, avec, il est vrai, une recette fiscale attendue supérieure (8). Le soutien par les taux d’intérêt n’est donc pas négligeable. Dans le contexte de 2014, il atteint ses limites. Comme il profite également aux achats anciens dans un marché de pénurie, il provoque probablement un soutien des prix qui, toutes choses égales par ailleurs, annule une partie de l’effet relance. Et le niveau des taux fin 2014 (de l’ordre de 2,5 %) ne peut plus laisser espérer une baisse équivalente à celle constatée depuis 2008 (d’environ 2,5 %). Sauf situation déflationniste prolongée, la relance par les taux d’intérêt ne peut perdurer. La durée moyenne d’endettement, redescendue en dessous, alors des dix-neuf ans, laisse une petite marge d’amélioration de la solvabilisation, sachant que banques et emprunteurs français rechignent à dépasser les vingt ans, contrairement aux pays d’Europe du sud. La question centrale reste d’évaluer l’efficacité de ce type de relance. Le plan de relance du Gouvernement annoncé fin août ne modifie pas le subventionnement des HLM, car leurs capacités financières apparaissent adaptées au rythme très élevé de 100 000 constructions par an, voire à l’objectif de 120 000 logements visés par la convention signée entre l’État et l’Union sociale pour l’habitat. Le plan cible, en revanche, l’amélioration du prêt à taux zéro des constructions neuves en zone peu tendue, car la précédente réduction de ce prêt avait fait baisser fortement les opérations réalisées avec son Les aides publiques à l’acquisition représentent 20 % de l’investissement (7). Leur renforcement doit être comparé à l’évolution des taux d’intérêt. Celle-ci a eu, depuis 2008, un effet de solvabilisation équivalent à une hausse de 50 % des aides publiques. Et, pour compenser une remontée des taux d’intérêt à leur niveau de début 2012, les aides à l’acquisition devraient augmenter de 3,5 milliards d’euros. L’objectif des 14 milliards d’euros d’aides publiques consacrées à la construction est de faciliter le « passage à l’acte » en améliorant des plans de financement de constructions neuves. Le prêt à taux zéro doit ainsi représenter l’apport personnel des accédants modestes et faciliter leur remboursement d’emprunt. Le subventionnement des HLM leur permet de réaliser les opérations tout en respectant des loyers plafond. (7) 13,9 milliards d’euros d’aides en 2012 (2,5 milliards d’euros de subventions ; 3,2 milliards d’euros d’avantages de taux ; 7,2 milliards d’euros d’avantages fiscaux) sur 73 milliards d’euros de constructions neuves. (8) À titre d’exemple, la TVA de 20 % perçue dès l’année N sur la construction d’un logement « Pinel » équivaut à l’avantage fiscal maximal de 21 % que supporte l’État pendant 12 ans. S’y ajoute au moins le produit de la taxe foncière de l’ordre de 5 % de la valeur du bien en 12 ans. 18 19 aide dans ces zones. Il vise également à faire revenir les particuliers vers l’investissement locatif, que le dispositif « Duflot » du 1er janvier 2013 avait nettement fait reculer par son caractère moins généreux que le dispositif Scellier précédent. En particulier, l’autorisation de louer à des ascendants et descendants est censée attirer de nouveaux ménages investisseurs. Une relance par les aides à la solvabilisation doit donc être bien ajustée aux attentes et capacités financières des intervenants ciblés. Elle doit aussi être suffisamment calibrée pour que l’encouragement psychologique amplifie l’amélioration objective de la solvabilité. Un exemple de relance réussie remonte au début 2009, avec le lancement du dispositif d’investissement locatif « Scellier » qui a valu, à lui seul, un rythme annuel de construction de 70 000 logements pendant trois ans. Au contraire, des mesures trop nombreuses risquent d’être illisibles et des hausses d’aides trop faibles par rapport à un « creux » de solvabilité peuvent ne pas déclencher un nombre significatif d’opérations. Quand la relance de la construction par les aides publiques est réclamée par les professionnels du secteur, la relance par la confiance est parfois évoquée par les « milieux d’affaires ». Globalement, le patrimoine immobilier reste majoritaire dans le patrimoine des ménages français, très attachés à la pierre et toujours très désireux de devenir propriétaires. Pour autant, un projet d’achat immobilier est souvent « le » projet d’investissement de toute une vie pour un ménage qui souhaite devenir propriétaire. L’investissement locatif, encouragé par la fiscalité, reste un engagement de long terme (au moins six ans), bien plus long que d’autres investissements financiers et pour un montant unitaire très supérieur (9). S’engager sur six ans au moins, voire douze ans de remboursement pour l’investissement locatif, ou bien quinze à vingt ans pour la propriété, suppose l’accord du banquier mais, surtout, une certitude minimale de pouvoir supporter une pression financière sur le long terme et une envie de se projeter dans l’avenir. L’incertitude sur la capacité à assumer les remboursements peut être paralysante, ce qui explique la forte résistance qu’opposent les organismes accompagnant l’accession à la propriété sociale face à la réforme de l’APL accession à l’automne 2014. Des craintes sur le pouvoir d’achat, en particulier avec un risque élevé de chômage comme en 2014, alimentent ce type d’incertitude, d’autant plus que les prix de l’immobilier nécessitent des emprunts élevés. Des perspectives économiques générales influencent autant l’investissement productif des entreprises que l’investissement immobilier des ménages : la morosité les ralentit, le dynamisme les stimule. Aussi, le bâtiment ne relancera sans doute pas l’économie, mais l’économie peut relancer le bâtiment. comme en toute situation déflationniste ; elle rendra également prudents les investisseurs, qui ne pourront compter sur une plus-value. Le maintien d’un niveau de prix particulièrement élevé limitera la solvabilité des ménages et continuera à rendre le « passage à l’acte » difficile. Pour créer des conditions favorables à la construction, une évolution idéale serait sans doute un repli lent des prix pendant plusieurs années ou, mieux, leur stabilité en période d’inflation. Bien entendu, prétendre piloter une telle évolution apparaît bien hasardeux. Le vieil adage « Quand le bâtiment va, tout va » ne serait donc qu’un pléonasme… à moins que des éléments spécifiques au secteur n’y créent des conditions d’entreprendre exceptionnelles, se distinguant du reste de l’économie. Sur ce point, l’évolution des prix devient un élément très délicat à apprécier. La certitude d’une baisse des prix rapide et prochaine entretiendra l’attentisme des futurs propriétaires, Les élus sont très sensibles au Nimby (10), mais aussi aux conséquences financières de la construction des logements. Non seulement les terrains consacrés à la fonction habitat pourraient être affectés à des entreprises générant emplois et recettes fiscales mais, de plus, l’arrivée de nouveaux habitants engendre des dépenses directes et indirectes non négli- (9) En moyenne, 200 000 euros contre un engagement minimal de 8 000 euros seulement pour l’assurance-vie. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 La relance par l’offre, en supprimant les blocages les plus importants qui empêchent la construction, mérite une attention particulière. Trois types de blocages sont bien cernés sans que les méthodes pour les lever soient encore efficaces : la répartition locale des compétences d’urbanisme, avec une charge budgétaire élevée pour les maires bâtisseurs ; la difficile mobilisation du foncier constructible ; l’absence de mécanismes financiers efficaces d’orientation de l’épargne privée vers l’immobilier locatif intermédiaire. La dispersion des pouvoirs et des moyens en matière d’urbanisme et de logement au niveau local entre 36 000 communes et de nombreuses intercommunalités aux compétences variables est une des causes d’un urbanisme peu volontariste et, parfois, de réticences à délivrer des permis de construire gênant le voisinage. Les compétences en matière d’urbanisme et de logement pourraient être transférées aux agglomérations et, en zone rurale, à des intercommunalités généralisées et rationalisées : plan local d’urbanisme et permis de construire, en particulier. DES PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES GÉNÉRALES INFLUENCENT L’INVESTISSEMENT PRODUCTIF DES ENTREPRISES : LA MOROSITÉ LES RALENTIT, LE DYNAMISME LES STIMULE. geables, crèches, écoles, équipements sportifs et culturels, aides sociales. L’Aorif constate, à l’automne 2014, le blocage de projets portant sur 5 000 logements en région Île-deFrance, à la suite des changements de municipalité après les élections de mars 2014. Une dotation d’État aux communes en fonction des permis de construire pourrait être calibrée pour aider les maires « bâtisseurs » à financer les équipements d’accompagnement des nouveaux logements. Deuxième blocage important, la relative rareté du foncier en zone tendue s’explique par l’intérêt des propriétaires fonciers à « faire de la rétention », ce qui retarde la vente et en augmente le prix. Des opérations de construction peuvent en être retardées au point d’être abandonnées ; toutes en sont renchéries (11). Plusieurs mesures ont tenté de mettre fin à cette situation : les établissements publics fonciers achètent des terrains pour les porter en l’attente d’un projet immobilier ; depuis une loi de janvier 2013, le prix de terrains publics peut être réduit pour la construction de logements ; la différenciation de la taxation des plus-values sur terrains a été tentée, comme l’abattement de 30 % sur cette taxation pour les ventes de terrains constructibles avant septembre 2015 ; un complément forfaitaire au mètre carré de la taxe foncière sur certains terrains constructibles a été institué à partir de 2014. Les effets restent limités, à fin 2014. (10) Not in my backyard, attitude d’opposition à des constructions proches de son logement. (11) Dans Paris intramuros, le prix du terrain représente généralement plus de la moitié du prix de sortie d’une opération immobilière. 20 21 LES MESURES POUR UNE RELANCE PAR L’OFFRE PEUVENT ÊTRE MISES EN PLACE RAPIDEMENT POUR DONNER DES SIGNAUX DE CONFIANCE AUX ENTREPRISES DU SECTEUR. Certaines propositions (12) suggèrent de lier la « constructibilité » d’un terrain résultant d’un document d’urbanisme et son imposition foncière. Actuellement, un terrain « à bâtir » est taxé comme « friche » et paie, à ce titre, un impôt foncier dérisoire, ce qui rend indolore et donc rationnelle la rétention dudit terrain. Le terrain devrait être évalué au prix du marché, très supérieur à l’évaluation de friche, pour payer chaque année une taxe foncière bien plus élevée, décourageant la rétention. Enfin, troisième difficulté pesant sur l’offre, les investisseurs institutionnels ont cédé, depuis 1990, environ 900 000 de leur million de logements, privant le secteur d’acteurs et de financements majeurs. En 2014, deux dispositifs esquissent la restauration d’une orientation de l’épargne institutionnelle vers le logement neuf : le statut du logement locatif intermédiaire (13) (loyers intermédiaires pour ménages à revenus intermédiaires), qui bénéficie d’un taux de TVA à 10 % en zones tendues et d’une exonération de taxe foncière pendant vingt ans maximum ; le contrat euro-croissance d’assurance-vie et sa déclinaison vie-génération (14), qui procure un avantage fiscal (décote supplémentaire de 20 % de l’assiette fiscale) à condition que 33 % de l’actif soient investis dans les PME, ETI ou dans le logement intermédiaire ou social. Plusieurs acteurs (15) ont déjà lancé des projets dans ce cadre ; le plan de relance de fin août prévoit 30 000 logements intermédiaires financés par l’État et la Caisse des dépôts. De manière à stimuler la part des contrats vie-génération profitant au logement locatif intermédiaire, il pourrait être imposé un compartiment des investissements avantageux pour ce secteur, par exemple à hauteur de 5 %. Ce dispositif d’affectation des fonds d’assurance-vie au logement intermédiaire en contre-partie du maintien d’avantages fiscaux pourrait, le cas échéant, être étendu à d’autres contrats d’assurance-vie. Sur le modèle du circuit du livret A affecté au logement social serait créé un circuit de fonds de l’assurance-vie affectés au logement intermédiaire. Pour donner un ordre de grandeur, la collecte nouvelle brute annuelle de l’assurance-vie est de l'ordre de 125 milliards d’euros, en moyenne, sur les dix dernières années, orientée à 85 % vers les fonds en euros ; 10 milliards d’euros de fonds propres sont nécessaires pour construire 10 000 logements. Pour se développer, une telle approche doit éviter deux écueils : encourager un étalement urbain rapide en favorisant les zones en périphérie d’aires urbaines ; encourager le logement dans des zones sans activité. Elle devrait, au contraire, s’articuler avec des politiques de transports et un encouragement à l’attractivité économique, sachant qu’un logement suffisant et peu cher constituerait un point positif pour les entreprises. Cet « aménagement du territoire » du XXIe siècle mérite sans doute une réflexion et un débat, et pourrait être facilité par les atouts d’une société numérique, qui peut partiellement remplacer les déplacements physiques par la communication virtuelle. 2.4 / CONCLUSION Les mesures pour une relance par l’offre peuvent être mises en place rapidement pour donner des signaux de confiance aux entreprises du secteur. Leurs effets seraient, sans doute, progressifs, mais probablement solides dans la durée. 2.3 / LA RELANCE DOIT-ELLE SE CONCENTRER SUR LES ZONES TENDUES OU ENCOURAGER L’IMPLANTATION DANS DES ZONES MOINS COÛTEUSES ? La demande de logements est très concentrée dans des zones tendues définies par la réglementation des aides : région parisienne, grandes métropoles, quelques zones (12) Note du think tank Terra Nova, « Des logements trop chers en France, une stratégie pour une baisse des prix », avril 2014. (13) Défini par le statut de l’ordonnance n° 2014-159 du 20 février 2014. (14) Ordonnance n° 2014-696 du 26 juin 2014 et décrets n° 2014-1008 du 4 septembre 2014 et n° 2014-1011 du 5 septembre 2014. (15) Notamment la SNI, du Groupe Caisse des dépôts ; la FPI et Habitat en région (groupe BPCE). L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 frontalières près de Genève ou autour de Biarritz. Les politiques du logement privilégient habituellement ces zones, où le développement démographique est le plus rapide et où les demandes insatisfaites de logements sociaux sont les plus nombreuses. Les relances par les aides publiques ou par l’offre pourraient donc concentrer leurs mesures sur ces zones. Pourtant, le développement du logement dans des zones à foncier moins cher et coût de construction plus faible permettrait à certains ménages d’accéder à la propriété, ce qui leur est interdit en zone tendue, réduirait le coût des aides et détendrait la pression sur les zones actuellement tendues. Une revalorisation du prêt à taux zéro dans les zones moins tendues, à l’occasion du plan de relance d’août 2014, donne une indication en ce sens. La relance de la construction est donc plus que souhaitable. Cette relance ne peut plus beaucoup compter sur les taux d’intérêt, déjà bas, ni sur des aides publiques, déjà élevées, pas plus que sur la confiance, encore érodée. Une relance peut espérer des déblocages de l’offre, pour créer une spirale positive, et peut-être un lent repli des prix, pour solvabiliser un plus grand nombre de ménages. La conjoncture de la construction de logements reste incertaine pour quelques années. La politique du logement ne doit pas commettre d’erreur pendant cette période, ni rester passive. n° 89 23 CORPORATE LA LOI PINEL Par Gabriel Neu-Janicki, avocat à la Cour – MRICS. LES FONDS SOUVERAINS : UNE CLASSE D’INVESTISSEURS À PART Par Emmanuel Ducasse, directeur des études, Crédit Foncier Immobilier. L'AMÉNAGEMENT DES ESPACES DE TRAVAIL : UNE DÉCISION STRATÉGIQUE Par Sébastien Boussuge, directeur conseil & audit, Crédit Foncier Immobilier. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 24 3 LA LOI PINEL 3.2 / DE NOUVEAUX INDICES DE RÉFÉRENCE Par Gabriel Neu-Janicki, avocat à la Cour – MRICS. PRINCIPE La référence à l’indice Insee du coût de la construction est supprimée tant en matière de calcul du loyer en renouvellement (modification en ce sens de l’article L. 145-34 du Code de commerce) qu’en matière de calcul du loyer révisé (article L. 145-38 du Code de commerce). Faisant suite à des revendications de petits commerçants, et afin de dynamiser les commerces de proximité, le Gouvernement a présenté un projet de loi appelé « Loi Pinel », qui est venu modifier le statut des baux commerciaux. La présentation qui en est faite ci-après a vocation à développer les nouvelles règles essentielles qui vont devoir s’appliquer et qui créent déjà des incertitudes. Ces incertitudes suscitent de telles questions qu’elles promettent aux professionnels de l’immobilier, aux experts en estimations immobilières, aux avocats et aux magistrats beaucoup de travail supplémentaire. Voici donc l’exposé des principales dispositions modifiant le statut des baux commerciaux. 3.1 / DE LA RESTRICTION À LA FACULTÉ DE CONCLURE DES BAUX AVEC UNE DURÉE FERME Ainsi, la faculté de donner congé pour une période triennale devient d’ordre public et ne peut faire l’objet de dérogation, sauf par voie d’avenant ou dans les cas visés ci-après. EXCEPTIONS Il est prévu un certain nombre d’exceptions. En effet, des baux avec une durée ferme peuvent être conclus dans les cas suivants : ◗ lorsque les baux sont conclus pour une durée supérieure à neuf ans ; ◗ lorsqu’il s’agit de baux visant des locaux monovalents ; ◗ lorsqu’il s’agit de baux visant des locaux à usage exclusif de bureaux ; ◗ lorsqu’il s’agit de baux visant des locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production. Le bailleur demeure quant à lui engagé pour neuf ans, sauf faculté de résiliation triennale exceptionnelle reconnue par les articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23, L. 145-23-1 et L. 145-24 du Code de commerce. PRINCIPE DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR Selon la nouvelle rédaction de l’article L. 145-4 du Code de commerce, il n’est plus possible de conclure des baux commerciaux avec une durée ferme. En d’autres termes, le preneur ne peut plus renoncer conventionnellement à la faculté de résiliation triennale et les baux redeviennent tous du côté du locataire des baux « 3, 6, 9 ». Pour les contrats conclus ou renouvelés depuis le 18 juin 2014 Par ailleurs, d’application depuis le 18 juin 2014 à tous les baux en cours, est ajoutée à l’article L. 145-4 la faculté pour les ayants droit du preneur décédé de donner congé à tout moment dans les formes et délais de l’article L. 145-9, c’est-à-dire moyennant un préavis de six mois et pour le dernier jour du trimestre civil. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 25 corporate DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR Pour les contrats conclus ou renouvelés depuis le 1er septembre 2014 Ainsi, toute référence à l’indice trimestriel du coût de la construction publié par l’Insee qui, pendant des décennies, a servi de référence pour les baux commerciaux, tant pour ce qui concerne la révision triennale que le renouvellement, est dorénavant supprimée. Les parties devront avoir recours : ◗ à l’indice des loyers commerciaux (ILC) pour les activités de commerce, d’industrie, de logistique et d’artisanat ; ◗ à l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT) pour les autres activités, dont les bureaux. La référence expresse à « l’indice trimestriel du coût de la construction » est ainsi supprimée en matière de calcul du loyer plafonné ou de loyer calculé selon la révision « triennale » légale, sauf en matière de clause d’échelle mobile. En effet, les clauses d’échelle mobile prévues à l’article L. 145-39 du Code de commerce continuent à être assujetties aux seules dispositions du Code monétaire et financier (article 112-2), lequel laisse subsister le choix entre l’ICC, l’ILC et l’ILAT. À n’en pas douter, dans les contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 qui comporteront une clause d’échelle mobile basée sur l’évolution de l’ICC, les loyers pourront être révisés tous les trois ans en application de l’article L. 145-38 du Code de commerce, soit sur l’évolution de l’ILC, soit sur l’évolution de l’ILAT. TOUTE RÉFÉRENCE À L’INDICE TRIMESTRIEL DU COÛT DE LA CONSTRUCTION EST SUPPRIMÉE. LES PARTIES DEVRONT AVOIR RECOURS À L’ILC OU À L’ILAT. Par exemple, si une telle règle avait été applicable pour un bail ayant pris effet le 1er janvier 2011 avec un loyer de 1 000 000 euros, en cas de révision légale au 1er janvier 2014, une rectification serait survenue à la date de la demande créant un effet de variation du loyer. Exemple : évolution sur trois ans à compter du 1er janvier 2011, ICC 7,91 % et ILC 6,55 %. Ainsi, même si, en application de la clause d’échelle mobile, le loyer au 1er janvier 2014 aurait dû être de 1 079 100 euros, celui-ci sera ramené à la somme de 1 065 500 euros. Mais le législateur a-t-il pensé à toutes les conséquences de cette modification ? Pas forcément ou pas du tout ! En effet, qu’en est-il des baux en renouvellement postérieurement au 1er septembre 2014 et qui, en l’absence d’indice de raccordement antérieur au premier trimestre 2008 pour l’ILC et pour l’ILAT, ne peuvent voir déterminer le montant du loyer plafonné ? Peut-être le calcul du loyer renouvelé ne s’appliquera-t-il qu’au prochain renouvellement, mais ce n’est pourtant pas ce que dit la loi. La solution serait qu’un indice de raccordement soit publié par l’Insee qui, jusqu’à présent, ne s’est pas manifesté en ce sens. Enfin, que se passera-t-il lorsque la nature des locaux sera mixte et que ces derniers pourront être soumis tant à l’ILC qu’à l’ILAT ? Seule la jurisprudence nous aidera à trancher et nos collègues experts en estimations immobilières, je le sais, nous aiguilleront. 26 la loi pinel 3.3 / DE L’ENCADREMENT DES HAUSSES DE LOYER EN CAS DE DÉPLAFONNEMENT PRINCIPE Dès lors que le loyer sera fixé à la valeur locative, soit en application de la révision légale (article L. 145-38 du Code de commerce), soit pour des motifs de déplafonnement visés aux articles L. 145-33 et L. 145-39 du Code de commerce, la variation de loyer ne pourra conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. 27 corporate Le mécanisme prévu par la loi Pinel devrait s’appliquer par périodes annuelles et non semestrielles au regard du dernier loyer acquitté. Concrètement, cela signifie qu’en cas de fixation du loyer révisé au 1er octobre 2014 à la somme de 100 000 euros, alors que le loyer précédemment en vigueur s’élevait à 50 000 euros, la majoration de loyer en découlant, soit 50 000 euros, serait ainsi appliquée : ◗ du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015 : 50 000 € + 10 % = 55 000 € ; ◗ du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016 : 55 000 € + 10 % = 60 500 € ; ◗ du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2017 : 60 500 € + 10 % = 66 550 € ; ◗ etc. DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR Pour les contrats conclus ou renouvelés depuis le 1er septembre 2014 Monsieur Jean-Pierre Dumur, expert près la Cour de Cassation, a écrit un article – Loi Pinel et « plafonnement du déplafonnement » : quadrature du cercle et casse-tête chinois ! (AJDI 2014, 405) – qui dénombre pas moins de neuf manières différentes de mettre en œuvre cette nouvelle disposition. Nous renvoyons le lecteur à cet article pour plus de détails. Cela revient à dire qu’en cas de fixation d’un loyer en renouvellement de bail, on substituerait de plein droit un bail à paliers à un bail conclu moyennant un loyer classiquement révisable à échéance triennale et l’on conçoit sans peine les difficultés qu’une telle initiative pourrait susciter, notamment dans le cadre de l’application d’une clause d’échelle mobile à incidence annuelle ou d’une révision triennale légale. Cependant, on rappellera que cette limite s’appliquera aux déplafonnements du loyer résultant : ◗ en cours de bail (pour modification des facteurs de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative – article L. 145-38) ; ◗ en cours de bail, en présence d’une clause d’échelle mobile, pour variation du loyer de plus de 25 % depuis sa dernière fixation judiciaire ou contractuelle (article L. 145-39) ; ◗ lors du renouvellement du bail (article L. 145-33 du Code de commerce), en cas de : – modification des caractéristiques du local ; – modification de la destination des lieux ; – modification des obligations respectives des parties ; – modification des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence favorable sur le commerce ; – durée contractuelle supérieure à neuf ans. Dans quelles situations le plafonnement du déplafonnement ne s’applique-t-il pas ? ◗ Clause recette : loyer minimum garanti + loyer déterminé en fonction du CA ; ◗ les bureaux et les locaux monovalents (article R. 145-10 du Code de commerce) ; ◗ durée du bail supérieure à douze ans par tacite reconduction ; ◗ clause prévoyant que le loyer en renouvellement sera payable dès le premier jour du bail renouvelé et sera fixé à la plus forte des deux sommes suivantes : – la valeur locative de marché ; – ou le loyer indexé depuis le début du bail. Attention : les dispositions des articles L. 145-38 et L. 145-39 sont d’ordre public. Il n’est donc pas possible d’y déroger lors de la signature du bail. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 Chaque lecteur l’aura compris, un contentieux important sur la détermination du loyer fixé à la valeur locative et ses effets va survenir. Lors d’une acquisition, l’investisseur devra, au cours de son audit juridique, vérifier avec attention les motifs de fixation à la valeur locative du loyer, et intégrer la progressivité de celle-ci dans son analyse. Le bailleur qui n’a pas fait toutes diligences pour la réalisation de l’état des lieux ne pourra pas invoquer la présomption de l’article 1731 du Code civil. 3.4 / DE L’ÉTAT DES LIEUX DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR PRINCIPE Pour les contrats conclus depuis le 18 juin 2014 Pour les baux conclus avant le 18 juin 2014, l’obligation de réaliser un état des lieux s’applique à toute restitution d’un local dès lors qu’un état des lieux a été établi lors de la prise de possession. L’article L. 145-40-1 énonce que, lors de la prise de possession des locaux par le locataire en cas de conclusion d’un bail, de cession du droit au bail, de cession ou de mutation à titre gratuit du fonds et lors de la restitution des locaux, un état des lieux est établi contradictoirement et amiablement par le bailleur et le locataire ou par un tiers mandaté par eux. L’état des lieux est joint au contrat de location ou, à défaut, conservé par chacune des parties. Si l’état des lieux ne peut être établi dans les conditions cidessus, il le sera par un huissier de justice, sur l’initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire. À l’instar de la disposition adoptée en matière de baux dérogatoires, l’état des lieux de sortie sera obligatoire pour les baux conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, dès lors qu’un état des lieux d’entrée aura été dressé. Attention : cette disposition est d’ordre public, il n’est donc pas possible d’y déroger. La sanction étant la perte de la présomption d’avoir livré les locaux en bon état d’entretien et de réparation. 3.5 / DES CHARGES, IMPÔTS ET TAXES PRINCIPE Pour tous les contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, l'article L. 145-40-2, qui est d’ordre public, oblige le bailleur, ◗ en matière de charges à : – établir un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ; – établir chaque année un état récapitulatif de la répartition des charges et ce au plus tard le 30 septembre de l'année suivant celle au titre de laquelle il est établi ou, pour les immeubles en copropriété, dans le délai de trois 28 la loi pinel 29 corporate mois à compter de la reddition des charges de copropriété sur l'exercice annuel. Le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci ; – informer en cours de bail le locataire des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux ; ◗ en matière de travaux, lors de la conclusion du bail puis, tous les trois ans, le bailleur communique à chaque locataire : – un état prévisionnel des travaux qu'il envisage de réaliser dans les trois années suivantes, assorti d'un budget prévisionnel ; – un état récapitulatif des travaux qu'il a réalisés dans les trois années précédentes, en précisant leur coût ; ◗ dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise : – la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble ; – cette répartition est fonction de la surface exploitée – s’agit-il de la surface visée au bail ou surface mise effectivement à la disposition du locataire ; – le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputés au locataire correspond strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l'exploitation de la chose louée ; – en cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires. réparation et à l’administration des parties communes et des locaux loués, les charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun ou privatifs, les charges relatives l’ascenseur, au chauffage et à la climatisation, les assurances, les impôts, taxes, redevances et honoraires résultant de la gestion administrative, financière et technique de l’immeuble. Un tel raccourci ferait perdre tout son sens à la loi. De notre analyse, il s’agit d’un inventaire « précis et limitatif », qui doit être détaillé. Cet article, par bien des aspects, pose des difficultés. En effet, cette disposition prévoit la communication d’un inventaire précis et limitatif des « catégories » de charges, impôts, taxes et redevances réparties entre le bailleur et le locataire. Lorsqu’on connaît la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, qui exige que soient détaillées les charges répercutées sur le locataire pour être exigibles, on ne peut pas se limiter, d’après nous (et contrairement à d’autres auteurs), à simplement évoquer les catégories de charges suivantes : les charges relatives à la conservation, à l’entretien, à la LES CHARGES, IMPÔTS, TAXES ET REDEVANCES NON IMPUTABLES AU LOCATAIRE L’article L. 145-40-2 du Code de commerce dispose qu’« un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. Il précise les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputés au locataire et les modalités d'information des preneurs ». Par ailleurs, observons, cependant, qu'aucune sanction n'est expressément formulée par le texte. Le locataire pourra-t-il se prévaloir de ce défaut d'information pour, le moment venu, se soustraire à l'obligation de participer à des travaux qui entreraient, néanmoins, dans la catégorie de ceux auxquels il doit contribuer ? Ces dispositions de répartition des charges et d’information étant d’ordre public, toute clause contraire sera réputée non écrite et toute action à ce titre sera imprescriptible, pouvant entraîner des remboursements de charges, impôts, taxes et redevances. Le décret d’application de la loi Pinel relatif, entre autres à la répartition des charges, impôts et taxes entre bailleur et locataire, a été publié le 5 novembre 2014 ; il s’agit du décret n°2014-1317 du 5 novembre 2014. Attention, cette répartition est applicable depuis le 5 novembre 2014 à tous les contrats conclus ou renouvelés. À la lecture de ce décret, ne peuvent être répercutés sur les locataires : ◗ les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux, à l’exclusion des travaux d’embellissement, dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique ; ◗ les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté, ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dans lequel il se trouve, dès lors que ces travaux relèvent des grosses réparations visés à l’article 606 du Code civil, à l’exclusion des travaux d’embellissement, dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique ; ◗ les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l’immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière, ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble, ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ; ◗ les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble faisant l’objet du bail ; ◗ dans un ensemble immobilier, les charges, impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d’autres locataires ; ◗ la répartition entre les locataires des charges, des impôts, taxes et redevances et du coût des travaux relatifs à l’ensemble immobilier peut être conventionnellement pondérée. Ces pondérations sont portées à la connaissance des locataires. Comme nouvelle difficulté d’interprétation parmi d’autres, le lecteur pourra s’interroger, par exemple, sur la faculté de pouvoir répercuter sur le locataire la taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage en Île-de-France, dans la mesure où cette taxe est supportée par le propriétaire, sans que cette taxe ne soit liée à l’usage du local par le locataire, ou à un service rendu au locataire. (1) BEFA : bail en l’état futur d’achèvement. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 QUELLES SOLUTIONS ? Pour les baux en cours loin du renouvellement Le bailleur aura intérêt à mettre en œuvre les importants travaux avant leur échéance, notamment si le locataire supporte les travaux de l’article 606 du Code civil. Pour les BEFA (1) signés antérieurement S’agissant d’un contrat conclu avant l’application des nouvelles dispositions, il demeurerait donc régi par les anciennes dispositions et ne verrait pas ces nouvelles dispositions s’appliquer lors de la prise d’effet du bail. Pour vos acquisitions à venir Lors de l'audit juridique, il faudra apporter une attention particulière à la date de renouvellement des baux et demander aux vendeurs un inventaire détaillé des charges, impôts, taxes et redevances et de leur répartition. En effet, il conviendra de prendre en compte dans les valorisations ces nouvelles obligations et, surtout, leurs répartitions, qui ne faciliteront pas la tâche des experts en estimations immobilières. Ils se retrouveront, d’une part, avec des baux soumis aux diverses dispositions de la loi Pinel car conclus ou renouvelés après son entrée en application, et d’autre part, des baux bénéficiant encore de l’ancienne réglementation. 3.6 / DE LA SANCTION DES CLAUSES CONTRAIRES AU STATUT PRINCIPE Est créée une imprescriptibilité des actions à l’encontre des clauses contraires au statut, puisque, au sein des articles L. 145-15 et L. 145-16, la nullité des clauses contraires est remplacée par leur réputation non écrite. 30 la loi pinel On sait que, la clause réputée non écrite étant censée n’avoir jamais existé, son inexistence peut être soulevée à tout moment sans qu’une prescription puisse être opposée à celui qui invoque la réputation non écrite. Ce changement a un impact non négligeable pour les parties au bail commercial. Ainsi, par exemple, pour le bailleur inattentif lors d’un renouvellement, si le preneur ne se rend pas compte que des clauses contraires au statut sont stipulées, et notamment la répartition des charges résultant du décret n° 20141317 du 5 novembre 2014, il pourra les remettre en cause à tout moment au cours de l’exécution du bail commercial ; cela entraînera un remboursement au preneur de certaines sommes perçues en trop par le bailleur. En effet, l’article L. 145-16-1 du Code de commerce est ainsi rédigé : « Si la cession du bail commercial est accompagnée d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, ce dernier informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci ». Ainsi, dès que le nouveau locataire cessionnaire ne paie pas ses loyers, et ce dès le premier mois, le bailleur doit immédiatement en avertir le cédant garant ; toutefois, s’il ne l’en informe pas immédiatement, cela signifie-t-il qu’il est forclos à se prévaloir de la clause de garantie contre le cédant ? DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR Pour les contrats conclus ou renouvelés depuis le 18 juin 2014 DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR SOLUTIONS Pour les contrats conclus ou renouvelés depuis le 18 juin 2014 Cette disposition n’est pas d’ordre public, il est possible d’y déroger. De plus, le bailleur aura tout intérêt à rédiger son bail de telle manière à ce que les garanties du cessionnaire soient étendues. 3.7 / DE LA LIMITATION DE LA GARANTIE SOLIDAIRE EN CAS DE CESSION DU BAIL PRINCIPE La garantie du cédant est limitée à trois ans à compter de la cession du bail. L’article L. 145-16-2 du Code de commerce prévoit que, « Si la cession du bail commercial s’accompagne d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l’invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail ». Au-delà de ce délai de trois ans, le cédant est donc délié de toute obligation et ne pourra plus être poursuivi par le bailleur. 3.8 / DU DROIT DE PRÉEMPTION AU PROFIT DU PRENEUR PRINCIPE Le preneur bénéficie, dorénavant, d’un droit de préemption au profit du preneur en cas de vente des murs d’un local commercial ou artisanal. Si le bailleur envisage de vendre le local sur lequel porte le bail commercial, il devra informer le locataire des conditions de la vente, à peine de nullité de celle-ci. En sont exclus les autres locaux tels que les locaux industriels, bureaux, hôtels, etc. MODALITÉS Le bailleur doit informer le cédant, garant solidaire, dès le premier mois d’impayé du cessionnaire. 31 corporate La notification, faite par lettre recommandée avec avis de réception, au locataire doit, à peine de nullité, indiquer le L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 prix et les conditions de la vente et vaut offre de vente à son profit. Celui-ci dispose, alors, d’un délai d’un mois pour se prononcer et s’il accepte d’acquérir, il dispose, à compter de la date d’envoi de sa « réponse », d’un délai de deux mois pour réaliser la vente et de quatre mois s’il décide de recourir à un prêt. Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit à nouveau notifier et les mêmes délais sont applicables au preneur. Quoi qu’il en soit, le texte prend soin de préciser que les nouvelles dispositions ne seraient pas applicables en cas : ◗ de cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial ; ◗ de cession unique de locaux commerciaux distincts ; ◗ de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial ; ◗ de cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ; ◗ de cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint. En l’état, le dispositif n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent donc y déroger expressément. 3.9 / DE L’ADJONCTION D’ACTIVITÉS EN CAS DE CESSION DANS LE CADRE D’UNE LIQUIDATION JUDICIAIRE (ARTICLE L. 642-7 DU CODE DE COMMERCE) L e tribunal peut autoriser le repreneur, dans le jugement arrêtant le plan, à adjoindre des activités connexes ou complémentaires. Le tribunal statue après avoir entendu ou dûment appelé le bailleur. ◗ Une activité connexe : elle a un rapport étroit avec l’activité (exemple : vente de boissons à emporter dans une épicerie). ◗ U ne activité complémentaire : elle se révèle utile ou nécessaire à un meilleur exercice de l’activité principale (exemple : la « petite restauration » est complémentaire de l’activité de glacier, le commerce de café-bar de l’activité de restauration rapide). Cette possibilité n’est pas applicable aux procédures de liquidation judiciaire en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Il s’agit donc d’une faculté de déspécialisation partielle simplifiée accordée au tribunal de commerce, exonérant totalement le preneur du respect des dispositions de l’article L. 145-47 du Code de commerce. Le bailleur ne peut pas ainsi contester le caractère connexe ou complémentaire des activités dont l’adjonction est sollicitée et le tribunal statue « après avoir entendu ou dûment appelé le bailleur », cette expression énonçant plus une condition de forme de la régularité de la procédure qu’une règle de fond conditionnant l’autorisation d’adjonction d’activités connexes ou complémentaires. En particulier, le tribunal n’a pas, pour se prononcer, à tenir compte de l’évolution des usages commerciaux, puisque le texte ne le prévoit pas. En conclusion, vous l’aurez compris, d’une part, les modifications du statut des baux commerciaux viennent modifier les rapports entre bailleurs et preneurs, et entre autres d’un point de vue économique, d’autre part, ces modifications laissent la place à de nombreuses interprétations promettant de vraies batailles judiciaires. Pour tenter d’éviter ce dernier point, les professionnels de l’immobilier auront réalisé que la rédaction des baux doit être impérativement revue pour s’adapter à la nouvelle réglementation. 32 4 LES FONDS SOUVERAINS : UNE CLASSE D’INVESTISSEURS À PART (1) Par Emmanuel Ducasse, directeur des études, Crédit Foncier Immobilier. Depuis quelques années, les fonds souverains sont devenus, en Europe, des acteurs majeurs du financement de l’immobilier commercial. Ils contribuent à l’afflux de liquidités, qui dynamise le marché de l’investissement, et concourent tout à la fois à élever la pression concurrentielle de la demande sur les beaux produits et à orienter les taux de rendement immobilier à la baisse. Qui sont-ils ? Que recherchent-ils ? Où vont-ils ? Ce court article se veut une synthèse rapide, sachant que l’information disponible est parcimonieuse sur l’activité réelle des fonds souverains, un grand nombre d’entre eux se refusant à toute publicité ou communication. Tableau 1. Liste des principaux fonds souverains (Sources : SWFI, sites des fonds concernés, étant précisé que certains chiffres sont des ordres de grandeur procédant de reconstitutions approximatives.) Acronyme usuel Pays Création Actifs gérés (en Md$) Norges Bank Investment Management NBIM Norvège 1996 5110 1,0 % Government Pension Fund-Global GPFG Norvège 1990 878 5,0 % Abu Dhabi Investment Authority ADIA Émirats arabes unis 1976 773 à 875 5 à 10 % Saudi Arabian Monetary Agency Foreign Holdings SAMA Arabie saoudite – 738 – CIC Chine 2007 575 – SAFE Investment Company Chine 1997 568 – KIA Koweït 1953 410 – HKMA Chine (Hong Kong) 1993 327 <1% Dénomination China Investment Corporation State Administration of Foreign Exchange Kuwait Investment Authority Hong Kong Monetary Authority Investment Portfolio Part immobilier (estimation) GIC Singapour 1981 320 9,0 % NSSF Chine 2000 202 0,0 % Temasek Holdings TH Chine 1974 177 5 à 10 % Qatar Investment Authority QIA Qatar 2003 170 – Government of Singapore Investment Corporation National Social Security Fund (China) 33 corporate (1) En anglais : « sovereign wealth funds », expression que l’on retrouve sous l’acronyme « SWFs ». L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 4.1/ QUI SONT LES FONDS SOUVERAINS ? S ans prendre en compte les véhicules juridiques sous lesquels ils apparaissent (ou se dissimulent), on peut dire que les fonds souverains sont des émanations plus ou moins directes d’États disposant d’importants excédents commerciaux, des structures créées dans le but placer ces excédents à l’étranger. Cette liste des principaux fonds souverains révèle des caractères spécifiques communs : ◗ ces fonds se désignent comme « souverains », car ils sont contrôlés par le pouvoir politique, le parti au pouvoir ou la famille régnante ; ◗ la plupart des fonds à investir proviennent de la production de gaz ou de pétrole (pays du Moyen-Orient et Norvège) ; ◗ quelques États se détachent, néanmoins, par des excédents commerciaux d’origine plus diverse (Chine et Singapour) ; ◗ les fonds souverains ont pour but de pérenniser un revenu provenant actuellement de ressources non-durables (énergies non-renouvelables, recettes liées au commerce international) ; ◗ ils agissent à la manière des fonds de pension, en recherchant des investissements à très long terme, et surtout sécurisés ; ◗ c’est la raison pour laquelle ils n’interviennent pas ou peu sur leurs marchés intérieurs, jugés trop étroits pour offrir un risque acceptable ; ◗ les allocations de capitaux en actifs immobiliers demeurent très minoritaires dans la composition des portefeuilles ; ◗ les fonds souverains revendiquent tous un caractère d’intérêt public ; ◗ ils sont régis par la loi de leur État, et s’imposent souvent des contraintes ou des interdictions d’ordre politique, religieux (par exemple, celles liées à l’interdiction du prêt à intérêt par la charia, dans les pays islamiques) ou éthique. Mais ils se conforment – nécessairement – aux lois des États dans lesquels sont réalisés les investissements. 4.2 / QUE RECHERCHENT LES FONDS SOUVERAINS ? L es politiques d’investissement varient d’un fonds à l’autre, mais on peut tracer des logiques parallèles, qui procèdent des caractéristiques communes ci-avant. ◗ Les fonds souverains poursuivent un objectif de diversification, raison même de leur création. Depuis longtemps, les énergies non-renouvelables ont été perçues comme non-pérennes par les pays producteurs eux-mêmes : au moment du choc pétrolier de 1973, les estimations des géologues et des économistes attribuaient à ces pays des réserves de trente à cinquante ans. Et, même si ces chiffres ont été revus à la hausse en fonction de la découverte de nouveaux gisements ou de technologies qui ont rendu accessibles des ressources connues mais précédemment inexploitées, la transition énergétique reste, aujourd’hui, un enjeu bien plus prégnant pour les pays producteurs que pour les pays consommateurs. ◗ Le cours international du pétrole est fondé sur le dollar, et tous les observateurs ont remarqué que les producteurs du Moyen-Orient, notamment, ont, ces dernières années, largement privilégié l’Europe au détriment de la zone dollar. ◗ Les fonds souverains recherchent la plus grande sécurité, face aux cycles économiques et aux événements régionaux : s’inscrivant dans le très long terme, ils privilégient le couple rendement/sécurité par rapport aux investissements à risque, qu’ils ne maîtrisent pas forcément. ◗ Les fonds souverains recherchent les marchés étrangers les plus performants. C’est le cas en matière immobilière, tout particulièrement, où l’on observe que les marchés britannique et français, jugés de bonnes profondeur et liquidité, attirent la majorité des capitaux investis dans cette classe d’actifs. ◗ Intervenant loin de leur pays d’origine, dans des contextes juridique et économique qu’ils ne maîtrisent pas sans l'assistance de conseils, les fonds souverains recherchent des placements ne nécessitant que peu d’asset management. 34 les fonds souverains ◗ Lorsqu’ils entrent au capital de sociétés commerciales, les fonds souverains évitent de s’ingérer dans la gestion des entreprises, et préfèrent s’associer avec des partenaires compétents. ◗ En matière immobilière, ils sont plus acheteurs que vendeurs, plus gestionnaires que développeurs. Des partenariats ou joint ventures avec des acteurs locaux restent, néanmoins, une option pour entrer dans des projets de développement ambitieux ou compliqués. ◗ Les typologies d’immeuble privilégiées sont celles dont les fonds souverains croient le mieux connaître le risque : les bureaux (surtout en France), les hôtels et l’immobilier commercial. L’immobilier résidentiel demeure marginal, exception faite de la Grande-Bretagne et du très haut de gamme. ◗ Profitant de leur puissance financière, les fonds souverains se signalent par la taille moyenne des opérations réalisées, plus de 200 millions d'euros, soit largement au-dessus de ce que pratiquent les autres catégories d’investisseurs privés, y compris les foncières. 4.3 / OÙ VONT LES FONDS SOUVERAINS ? À court terme, ces tendances devraient peu s’infléchir : les fonds souverains sont des véhicules lourds lancés sur des trajectoires d’investissement de long terme, dont ils ne dévieront que peu. Néanmoins, des éléments de contexte donnent à penser que des inflexions sont en train de se produire. ◗ Les donnes pétrolière et gazière ont changé, ces dernières années, avec le développement très rapide, en Amérique du Nord, de l’extraction des gaz de schiste. Outre les effets modérateurs de cette nouvelle offre sur le cours actuel du baril, le marché fermé des énergies fossiles se trouve désormais confronté à une ouverture inattendue de l’offre, dont les perspectives de croissance, à terme, sont difficiles à mesurer. 5 ◗ Cela pourrait inciter les producteurs de pétrole à intensifier, dans un premier temps, leurs efforts d’épargne, de diversification et d’investissement étranger. ◗ Si les supports de placement privilégiés par les fonds souverains restent essentiellement financiers, l’intérêt du support immobilier apparaît croissant. Certains fonds (comme le chinois NSSD) s’interdisent encore ou se voient interdire d’investir dans cette classe d’actifs, jugée « risquée ». D’autres, en revanche, (comme les fonds singapouriens), manifestent un intérêt nouveau et accru pour l’immobilier. D’autres, encore, pratiquent l’investissement indirect, en entrant au capital de fonds privés déjà spécialistes de l’immobilier commercial ou résidentiel. ◗ Avec l’expérience acquise au fil des années et la baisse des rendements obligataires, il est probable que les investissements des fonds souverains vont davantage se porter sur des actifs de risque et de localisation plus diversifiés, bien que restant, pour l’essentiel, cantonnés à l’immobilier tertiaire et commercial, ou dilués dans des portefeuilles importants. ◗ Les partenariats avec des acteurs locaux, apportant compétence et capacité à gérer les actifs immobiliers, devraient donc s’intensifier. ◗ On observe que certains fonds se trouvent incités par leur gouvernement à davantage investir sur leurs marchés intérieurs (notamment dans le golfe Persique), pour contribuer à leur croissance. ◗ La croissance des portefeuilles d’actifs gérés par les fonds souverains a suivi une courbe exponentielle, ces dernières années, et tout ce qui précède porte à croire qu’elle se poursuivra à un rythme très soutenu, dans un proche avenir. ◗ Reste que leur activité future dans le secteur immobilier dépendra directement de la quantité d’offres nouvelles qualitatives proposées sur les marchés nationaux. Il faut, surtout, prendre conscience du fait que ceux-ci sont définitivement entrés dans un cycle de concurrence internationale. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 L'AMÉNAGEMENT DES ESPACES DE TRAVAIL : UNE DÉCISION STRATÉGIQUE Par Sébastien Boussuge, directeur conseil & audit, Crédit Foncier Immobilier. L’immobilier est un outil au service de l’entreprise : c’est un support de production, au même titre que l’outillage. Dans le cadre des activités de services, où le ressort de production est dématérialisé, le support de la création de valeur est le poste de travail. L’organisation de la production (et donc l’environnement de travail) évolue sous l’effet des innovations technologiques et de celles des modes de production. L’innovation des produits s’accompagne d’une mutation des organisations. Lorsqu’une société décide de rationaliser son immobilier, par une nouvelle localisation ou par une transformation de son immeuble, au-delà de la question strictement immobilière et architecturale, se pose nécessairement celle de son occupation. L’aménagement de l’espace de travail est donc une question stratégique d’entreprise, qui en tant que telle suppose une vision directrice forte de la direction générale, et une adhésion de l’ensemble des parties prenantes et mobilise impérativement l’ensemble des services tant pour faire émerger les lignes directrices qu’en assurer la bonne exécution. Le présent article n’a pour objet et ambition ni d’évoquer les nouveaux modes d’organisation des productions tertiaires, ni de décrire les modalités concrètes à chaque étape, mais d’apporter un éclairage sur l’étape cruciale du cadrage stratégique de tout projet d’aménagement. 5.1 / CADRAGE STRATÉGIQUE : LA CLÉ DE VOÛTE DE LA RÉUSSITE DU PROJET ENJEUX ET OBJECTIFS L’objectif du cadrage est d’aligner les instances de direction sur une vision commune du projet immobilier, en particulier sur : ◗ l es enjeux organisationnels avec l’amélioration des échanges interservices ; 35 36 l'aménagement des espaces de traval ◗ les enjeux en termes de développement de l’activité et de business ; ◗ les enjeux humains : accroître l’attractivité et améliorer les conditions de travail des ETP, et humains, au travers des éléments qualitatifs de confort ; ◗ les opportunités d’utiliser l’environnement de travail comme levier et traduction concrète de projets de transformations en cours ; ◗ les conditions de mise en œuvre du projet (conduite du changement maîtrisée) et l’anticipation des risques, garantie de maintien des objectifs de budget et de planning. Figure 1. Schéma de cadrage stratégique d'un projet Cadrage/ vision Principes structurants du projet UNE ÉVOLUTION DE L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL NE PEUT ÊTRE RÉDUITE À UNE RÉFLEXION SUR DES PRINCIPES D’AMÉNAGEMENT ET DE DÉCORATION ; ELLE DOIT INTÉGRER LA DIMENSION HUMAINE. Mise en œuvre technique Cette vision stratégique dépend, bien évidemment, de la vision prospective et de l’ambition des instances dirigeantes. Elle doit, cependant, être partagée et mérite qu’une attention particulière y soit consacrée au moyen : ◗ d’entretiens individuels ; ◗ d’une session collective en comité de pilotage pour définir la philosophie, les enjeux et objectifs du projet : – dessiner une vision commune, aligner le comité de pilotage sur les enjeux et les objectifs ; – définir une méthode ; – restituer l’analyse des éléments de l’étude amont (benchmarks et prospective, entretiens individuels), dont une synthèse des « préorientations » ; – p artager les benchmarks selon les thèmes identifiés pour éclairer l’incidence des choix ; – remettre les conclusions sur les orientations à donner à l’environnement de travail cible et mode d’accompagnement ; – indiquer des orientations et une feuille de route validée pour le projet ; – signaler des cas pertinents sur les effets produits sur l’environnement de travail par la transformation pour nourrir la décision. 5.2 / DÉFINITION DES PRINCIPES STRUCTURANTS DU PROJET D’AMÉNAGEMENT L ’aménagement de nouveaux environnements de travail constitue un projet qui doit prendre en compte les besoins fonctionnels et techniques et les intégrer aux besoins humains et corporate de la société. Il consiste à rechercher un équilibre entre organisation et aménagement. La réalisation du nouveau schéma directeur d’aménagement implique la prise en compte détaillée des besoins techniques et fonctionnels des départements à réimplanter dans le nouveau bâtiment, intégrant la maîtrise de l’ensemble des relations fonctionnelles nécessaires à un redéploiement cohérent au regard des prérequis de la société. Les données d’entrée de la programmation consignées sont : ◗ un niveau acceptable de changement au regard des aménagements des sites existants : objectifs managériaux et définition de modes de travail adaptés ; ◗ des hypothèses de relocalisation et de répartition envisagées sur l’ensemble immobilier. Ces principes structurants sont définis après traitement et analyse des entretiens conduits avec les responsables L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 37 corporate d’entités et futurs utilisateurs pour identifier les spécificités métier et les liens de proximité inter et intraentités. Ils permettent de déterminer le périmètre du programme : ◗ sur l’ensemble des espaces (zone bureaux, salles de réunion, espaces support, box, rangements, espaces de restauration, espaces formation, etc.) ; ◗ pour les équipements divers (biens d’équipements, fonctionnalités destinées aux salariés, services dédiés tels que conciergerie, crèche, etc.). AUTOUR DE L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL : DEUX PROJETS EN UN SEUL Une évolution de l’environnement de travail (réaménagement sur place ou déménagement) ne peut être réduite à une réflexion sur des principes d’aménagement et de décoration ; elle doit intégrer la dimension humaine. Le déménagement est le troisième événement le plus anxiogène pour un individu, après le deuil et le divorce. Par ailleurs, en le considérant dans sa dimension humaine et en accompagnant l’utilisateur dans la transformation souhaitée, le projet technique se déroule de façon plus fluide. UN CHANGEMENT D’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL ENTRAÎNE SOUVENT D’AUTRES RÉFLEXIONS ET D’AUTRES CHANGEMENTS Pour une entreprise, repenser son environnement de travail, c’est souvent s’interroger sur : ◗ les façons de travailler des collaborateurs pour demain. Va-t-on vers une logique projet ? Ouvre-t-on la possibilité de télé-travailler ? Souhaite-t-on des collaborateurs plus mobiles ? ◗ le management des équipes. Quelle est la bonne position pour le manager ? Quels sont les outils dont il a besoin ? ◗ l’intégration des nouvelles technologies. Quelles limites à la mobilité ? ◗ la gestion des données. Moins de papier : jusqu’où veut-on aller ? Plus de mise en commun des informations et donc une centralisation des rangements ? ◗ les services à apporter aux occupants : quels services ? Pour qui ? À quel niveau et à quel coût ? 38 l'aménagement des espaces de traval Les réponses apportées à ces questions engendreront, dans bien des cas, des changements pour le collaborateur qui s’inscrivent dans une perspective plus large d’évolution de son entreprise. LE CRÉDIT FONCIER FAIT ÉCOLE ÉCOLE NATIONALE DU FINANCEMENT DE L’IMMOBILIER 5.3 / L’INCARNATION DU PROJET ARCHITECTURAL : L’IMPORTANCE DU TEMPO DANS LA RENCONTRE DES PROJETS L a conception des espaces intérieurs et du cadre de vie vient apporter une incarnation au projet architectural. Ces deux processus se développent dans des temps différents, l’un soumis aux étapes pures de la construction, permis de construire, études techniques ; il offre le cadre. Le second apporte « l’animation » ou l’incarnation du projet. Leur rencontre est importante dans la mesure où les arbitrages resteront possibles dans un laps de temps réduit, avant que l’ouvrage soit abouti au terme des études d’exécution. La réussite dépend de la maîtrise des plannings. Un cadre insuffisamment défini ne permet pas de se projeter et de comprendre l’espace. Un projet totalement abouti devient rigide et difficile à adapter. Le dialogue des concepteurs, architecte et aménageur, doit être favorisé de façon à concilier, tout au long des études, les lignes directrices du projet d’architecture et l’animation intérieure. C’est aussi une confrontation d’idées qui nécessite des arbitrages, pour favoriser l’aboutissement d’un projet harmonieux et adapté aux besoins exprimés au départ : servir l’utilisateur. Cycles de Formation Certifiants ENFI Expert en financement de l’immobilier Corporate Expert en financement de l’immobilier du Particulier tél: 01 57 44 88 66 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 mail: [email protected] site: www.enfi.fr Ecole Nationale du Financement de l’Immobilier ENFI - 4 Quai de Bercy 94224 Charenton Cedex - Siège social : 19, rue des Capucines - 75001 Paris. SAS au capital de : 2 037 000 € - 504 381 153 RCS Paris - Déclaration d’activités enregistrée sous le numéro 11 75 44708 75 auprès du préfet de région Ile-de-France. Cet enregistrement ne vaut pas agrément de l’Etat (article L. 6352-12 du Code du travail). n° 89 41 RÉSIDENTIEL REGARDS SUR L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ EN LONGUE PÉRIODE Par Michel Mouillart, professeur d’économie à l’université Paris Ouest et conseiller scientifique de CSA, et Véronique Vaillant, directrice d’études à CSA. LES RÉPONSES APPORTÉES PAR LE PRÊT VIAGER HYPOTHÉCAIRE AUX ENJEUX DU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION Par Nicolas Pécourt, directeur communication externe et RSE, Crédit Foncier. LE VIAGER D’AUJOURD’HUI Par Nicolas Tarnaud, titulaire de la chaire immobilier & société, Neoma Business School. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 42 6 REGARDS SUR L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ EN LONGUE PÉRIODE Par Michel Mouillart, professeur d’économie à l’université Paris Ouest et conseiller scientifique de CSA, et Véronique Vaillant, directrice d’études à CSA. 43 résidentiel Tableau 1. Variation annuelle moyenne du parc des propriétaires et accédants (en milliers) (Source : Insee.) Période 1947-1968 Variation 149,3 1969-1978 183,2 1979-1989 248,5 1990-1999 164,9 2000-2010 247,5 2011-2013 151,7 1947-2013 189,2 Tableau 2. Part des propriétaires et accédants parmi les ménages (en %) Ainsi, de 2000 à 2010, le nombre de propriétaires s’est accru de près de 2,3 millions (soit 5,5 fois plus vite que le parc locatif social) et il a contribué pour plus des trois quarts à l’accroissement du parc de résidences principales. Si cela a été possible, c’est notamment (1) parce que, durant ces années, l’accession à la propriété s’est établie à un niveau particulièrement élevé. Il est vrai qu’en dépit de la parenthèse ouverte durant les deux années de la Grande Récession, les flux de l’accession à la propriété ont été vigoureux durant une grande partie des années 2000. L’analyse détaillée des flux de l’accession à la propriété que propose l’Observatoire du financement du logement (encadré 1) aide à mieux comprendre les évolutions survenues depuis la fin des années 1970. (Source : Insee.) Après avoir pratiquement stagné durant dix années, entre 1990 et 1998, le taux de propriétaires s’est redressé dès le début des années 2000, pour s’engager dans une nouvelle phase de croissance, ralentie à partir de 2012. En effet, comme cela est fréquent dans le domaine de la démographie, la diffusion de la propriété occupante en longue période épouse un profil d’évolution voisin de celui d’un modèle logistique : la variation relative du nombre de propriétaires et de ménages en cours d’accession ralentit, au fur et à mesure de la diffusion de la propriété parmi les ménages. Pour illustrer cela, revenons au lendemain de la Libération. En 1946, la part des propriétaires n’était en effet que de 29,3 % (source Insee). Mais à la fin des Trente glorieuses, en 1975, le taux de propriétaires s’élevait à 46,6 %. Durant ces années, lorsque le taux de propriétaires progressait vite, leur nombre augmentait de près de 160 000 chaque année, en moyenne. En revanche, alors que le nombre de propriétaires progressait d’un nombre comparable entre 1990 et 1999, près de 165 000 en moyenne chaque année, le taux de propriétaires est resté pratiquement inchangé. De même, et cela a souvent été cité pour évoquer la panne de l’accession à la propriété, à partir de 2001, le taux de propriétaires ne s’élève plus que lentement. Ainsi, alors qu’on comptait 55,7 % de propriétaires en 2001, cette proportion n’était que de 57,9 % en 2009. Et pourtant, de 2000 à 2010, le nombre de propriétaires et de ménages en cours d’accession a progressé de 247 500 chaque année, en moyenne : soit à l’un des rythmes les plus rapides constatés depuis la Libération. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 Année Part RP 1946 29,3 RP 1954 35,5 RP 1962 41,3 RP 1968 43,9 RP 1975 46,6 ENL 1978 47,2 RP 1982 50,5 ENL 1984 50,7 ENL 1988 53,6 RP 1990 54,2 ENL 1992 53,8 ENL 1996 54,3 RP 1998 54,3 ENL 2001 55,7 ENL 2006 57,2 RP rénové 2009 57,9 RP rénové 2012 58,2 RP : recensement de la population. ENL : enquête nationale sur le logement. 6.1 / DE LA RÉFORME À LA CRISE A vec la réforme du 3 janvier 1977, l’accession à la propriété aurait dû connaître un nouvel élan, la mise en place des PAP et des PC (2) devant permettre aux ménages de réaliser plus facilement leurs projets. Il est vrai que toutes les conditions semblaient réunies, les revenus des ménages augmentant chaque année de plus de 4,5 % au-delà de l’inflation, dans un contexte d’élargissement de l’accès au crédit bancaire. Pourtant, l’accession à la propriété va connaître plusieurs années d’hésitations : le second choc pétrolier déclenche une crise économique et financière internationale et une montée des taux d’intérêt qui vont, en France, peser sur la construction et freiner l’essor du marché de l’ancien. Avec des taux bancaires classiques qui atteignent des sommets (17,6 % en 1981, par exemple), un pouvoir d’achat qui freine (1) En réalité, la complexité de la dynamique du parc est plus grande que ce que suggère cette approximation. (2) PAP : prêt aidé pour l’accession à la propriété ; PC : prêt conventionné. 44 regards sur l’accession à la propriété… Figure 1. Les flux de l’accession à la propriété Paribas, Société Générale, Suez, etc.) et, enfin, en 1987, la levée de l’encadrement du crédit. À la fin des années 1980, les taux bancaires sont redescendus à 10,5 %. (Sources : OFL/CSA et modèle DESPINA.) 1 000 L’expansion de l’accession dans l’ancien est alors spectaculaire : en dix ans, le nombre de logements anciens achetés par les ménages pour accéder à la propriété a doublé. Et, bien que le niveau de la construction se soit un peu redressé, près de 66 % des accessions se réalisent maintenant dans l’ancien. En milliers d’unités 800 600 400 2012 2010 2008 2006 2004 2002 1998 2000 1996 1994 1992 1990 1988 1986 1984 1982 1980 1978 0 On observe, par exemple, que de 1990 à 1995, la remise en cause des aides et des incitations à l’accession a provoqué une déformation rapide de la structure de l’accession : les moins de trois Smic représentaient, alors, 42,0 % de l’ensemble, contre 50,6 % de 1984 à 1989. La remise en cause des PAP (des effec- Marché du neuf Marché de l’ancien Ensemble de l’accession brutalement (+ 1 % par an, en moyenne, durant la première moitié des années 1980) et un taux de chômage qui s’installe durablement au-dessus des 10 %, les ménages réduisent leur appel au crédit immobilier et les flux de l’accession vont stagner jusqu’en 1986. Mais, durant près de dix années, la structure des flux de l’accession s’est profondément transformée : en 1978, près de 60 % de l’accession se réalisaient dans le neuf. Après dix années de recul ininterrompu de la construction, en 1986, le neuf ne représentait plus que 40 % de la totalité des flux de l’accession. Cependant, la crise économique et financière se termine et, à partir de 1985, les taux d’intérêt vont commencer à reculer. En outre, la loi bancaire de 1984 a mis fin à la spécialisation des banques : désormais, les banques ont directement accès au marché monétaire, dans le cadre de la création du « marché unique des capitaux ». C’est dans ce cadre nouveau que s’inscrivent, dès 1985, la réduction progressive de la part des prêts à taux bonifié dans le financement du secteur du logement puis, dès 1986, un premier mouvement de privatisation bancaire (Banque du bâtiment et des travaux publics, CCF, Plus de 590 000 ménages ont accédé à la propriété, en 1989, soit 100 000 de plus qu’en 1978. Encore une fois, une crise va mettre fin à cette expansion. Mais, cette fois, la crise est brutale et de grande ampleur. Dès le début des années 1990, l’économie française, à l’instar des économies européennes, ralentit brutalement et entre en récession : le taux de chômage va bientôt dépasser les 12 % et le pouvoir d’achat est en panne. Les établissements de crédit, qui se sont engagés allègrement dans la voie ouverte par le désencadrement du crédit, commencent à déchanter, découvrant une montée des risques/sinistres à laquelle ils n’étaient pas forcément préparés ; d’autant que, suivant l’exemple d’un État qui a engagé les ménages modestes à accéder à la propriété avec des PAP et des PC assortis de progressivités de remboursement « insoutenables », les banques apprennent à leurs dépens que l’innovation financière peut coûter cher. La production de crédits chute de plus de 20 %, entraînant avec elle les flux de l’accession, qui vont perdre près de 180 000 unités (donc près de 30 %) entre 1989 et 1993. 6.2 / LA DYNAMIQUE DE L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ tifs en chute de 50 % entre 1988 et 1992) et des PC (en recul de 40 % durant ces années) se trouve à l’origine d’une telle évolution (3) : le recul du nombre des opérations réalisées par les moins de trois Smic porte alors, à lui seul, la chute de l’accession à la propriété constatée durant ces années. Tableau 3. Les flux de l’accession à la propriété selon le niveau de revenus des ménages : effectifs annuels moyens (en milliers de logements) (Sources : OFL et DESPINA.) Période 200 45 résidentiel 1978-1983 Moins de 3 Smic De 3 à 4 Smic De 4 à 5 Smic 5 Smic et plus Effectif moyen (4) 161 116 89 120 486 1984-1989 271 100 75 89 535 1990-1995 200 120 59 98 477 1996-2000 296 133 63 104 596 2001-2004 269 161 104 149 683 2005-2007 363 191 114 135 803 2008-2009 313 129 89 106 637 2010-2011 391 141 94 110 736 2012-2013 310 114 95 94 613 De 4 à 5 Smic 5 Smic et plus Structure des flux Tableau 4. Les flux de l’accession à la propriété selon le niveau de revenus des ménages : structure annuelle (en %) (Sources : OFL et DESPINA.) Période Moins de 3 Smic De 3 à 4 Smic 1978-1983 33,1 23,9 18,3 24,7 100,0 1984-1989 50,6 18,7 14,0 16,7 100,0 1990-1995 42,0 25,2 12,3 20,5 100,0 1996-2000 49,6 22,4 10,5 17,5 100,0 2001-2004 39,3 23,6 15,3 21,8 100,0 2005-2007 45,2 23,8 14,2 16,8 100,0 2008-2009 49,1 20,2 14,0 16,7 100,0 2010-2011 53,2 19,2 12,7 14,9 100,0 2012-2013 50,6 18,6 15,5 15,3 100,0 L e dynamisme des flux de l’accession dépend largement de l’efficacité des dispositifs publics d’aide. Les interventions publiques déterminent aussi fortement la structure de ces flux et, notamment, le poids relatif des accédants modestes (les ménages disposant de revenus mensuels inférieurs à trois Smic). L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 (3) Déclenchant la récession des marchés du neuf et de l’ancien, qui ne prit alors fin qu’avec la relance des PAP « imposée » par le nouveau ministre du Logement, Hervé de Charette, au cours de l’été 1993. (4) Niveaux annuels moyens durant la période considérée (en milliers d'unités). 46 regards sur l’accession à la propriété… Durant ces années, on a donc constaté une progression sensible de la part des catégories professionnelles les plus qualifiées : cadres supérieurs et professions libérales, professions intermédiaires. Le marché de l’accession devenant plus sélectif, les clientèles réputées les plus « fragiles » ont vu leur part chuter : c’est le cas, notamment, des primoaccédants. Le marché de l’accession est alors devenu un marché de revente, la concrétisation du nouveau projet dépendant de la manière dont l’ancien a bien pu être réalisé… et ne laissant aux nouveaux entrants qu’une place étroite. Aussi, la structure des flux de l’accession se déforme à un point tel que la part des accédants modestes recule brutalement : 39,3 % de 2001 à 2006, perdant plus de 10 points par rapport à la période précédente. Figure 2. L’accession à la propriété et le PTZ (Sources : OFL/CSA et modèle DESPINA.) 300 400 Et la part de ces accédants modestes s’est établie à 49,1 % en 2008-2009 : c’est une des proportions les plus importantes constatées (5) depuis le début des années 1980, à l’exception des 50,6 % mesurés entre 1984 et 1989… mais pour un nombre d’accédants qui était alors de 16 % inférieur à celui observé en 2008 et 2009. 200 300 100 200 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 En millier d’unités Si on se limite aux évolutions survenues au cours des quinze dernières années, les flux de l’accession des ménages modestes ont aussi été largement influencés par le prêt à taux zéro (PTZ). Entre 1996 et 2004, le nombre de PTZ se réduit de plus de 50 % : autant en raison de l’abandon, dès 1997, de l’ouverture de ce prêt à l’ancien avec quotité de travaux minorée, que du fait de l’absence d’actualisation des barèmes et plafonds de ressources du PTZ et du prêt à l’accession sociale (PAS). Dans un premier temps, de 1996 à 2000, le nombre des accédants modestes ne semble pas affecté par cela : l’amélioration des conditions de crédit (baisse des taux d’intérêt, allongement des durées) vient, en effet, en appui de la demande. Mais, dès 2001, la hausse des prix des logements bouleverse cette dynamique : en l’absence d’une aide suffisamment puissante, le nombre d’accédants avec moins de trois Smic recule rapidement (de 341 000, en 2000, à 254 000, en 2002, puis à 241 000, en 2004). Pourtant, durant ces années, les flux de l’accession ont connu une progression rapide… si on limite l’observation aux tranches de revenus élevés (quatre Smic et plus, notamment). 0 Nombre d’accédants à la propriété dont les revenus sont inférieurs à trois Smic (échelle de gauche) dont nombre d’accédants ayant bénéficié d’un PTZ (échelle de droite) 6.3 / VERS UN RENOUVEAU DE L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ À partir de 2005, les évolutions précédentes vont s’inverser : le nombre des accédants modestes se redresse, sous l’effet de la réforme du PTZ de 2005 (l’ouverture du PTZ à l’ancien sans travaux) et de l’actualisation des plafonds de ressources du PAS. Et, comme les dispositions du plan de relance prises durant les deux années de la Grande Récession étaient ciblées en direction des primoaccédants (l’extension du Pass Foncier®, le doublement du PTZ dans le neuf), les flux de l’accession vont résister à la crise : ainsi, au plus profond de la crise, durant les années 2008 et 2009, le nombre des accédants modestes est resté supérieur au niveau moyen observé de 2001 à 2004… et même à ce qui avait été constaté, en moyenne, entre 1996 et 2000 ! L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 47 résidentiel Les conditions de crédit qui prévalent depuis le début des années 2000, ainsi que la puissance du PTZ et, au-delà, l’ensemble des dispositifs d’aide à l’accession en vigueur durant ces années expliquent cela : ◗ l’amélioration des conditions de crédit a largement porté la reprise et le dynamisme de l’accession. La baisse des taux des crédits immobiliers a en effet été remarquable, en réponse à la volonté des établissements de crédit de redynamiser un marché essentiel pour leur activité ; ◗ le PTZ a alors permis à des ménages faiblement dotés en apport personnel (une partie des primoaccédants (6), notamment) de réaliser leur projet et d’accéder à des espaces urbains qui leur auraient, sinon, été fermés (avec l’ouverture du PTZ à l’ancien sans travaux lors de la réforme du 1er janvier 2005). PTZ accordés : la remontée a même été spectaculaire (près de 38 % de progression entre 2009 et 2011), en comparaison du redressement observé dans le neuf. Ainsi, dès 2011, les flux de l’accession avaient pratiquement retrouvé leur niveau de l’année 2005. Et la part des accédants modestes, en s’établissant à 53,2 %, était parvenue à son zénith. Après deux années d’une crise exceptionnelle, la primoaccession (cœur de cible des dispositions du plan en faveur de l’accession) n’avait pas été en reste : à son niveau le plus élevé depuis le début des années 1990, elle représentait, alors, environ 73 % de l’ensemble des accédants à la propriété. Dès 2010, les dispositions publiques du plan de relance et du plan de soutien au secteur bancaire et financier ont largement profité à l’accession à la propriété. Sous l’effet du doublement du PTZ, de l’élargissement du Pass Foncier®… les flux de l’accession ont pu se redresser dans le neuf (+ 21 % entre 2009 et 2011). Les flux de l’accession dans l’ancien ont, eux aussi, pu redémarrer rapidement : ils ont largement bénéficié de conditions de crédit exceptionnelles et du relèvement rapide de la production de crédits immobiliers, mais aussi d’une augmentation sensible du nombre des (5) Le constat serait identique si on raisonnait sur la primoaccession, qui ne s'est jamais aussi bien portée que durant ces années. Il en est de même de l'accession des jeunes : par exemple, les moins de 30 ans représentent environ 25 % des accédants depuis la réforme du PTZ de 2005, contre à peu près 18 % dans la première moitié des années 2000. (6) Primoaccession n’est pas toujours synonyme d’absence d’apport personnel, en effet. Une partie des primoaccédants à la propriété détenaient d’autres logements, résidences secondaires ou logements locatifs privés et, de ce fait, disposaient d’un apport personnel conséquent. C’est, d’ailleurs, l'une des évolutions notables dans le profil des jeunes primoaccédants (les moins de 30 ans dont le poids parmi l’ensemble des accédants n’avait cessé de s’accroître jusqu’en 2011). Primoaccession ne signifie donc pas revente préalable d’un bien immobilier pour constituer l’apport personnel, alors que, en revanche, secundoaccession rime toujours avec revente préalable d’au moins un logement en propriété occupante ! 48 regards sur l’accession à la propriété… Figure 4. Les taux d'effort (nets de toute aide) des accédants à la propriété Figure 5. Les prix relatifs des opérations d'accession à la propriété (Sources : OFL/CSA et modèle DESPINA.) (Sources : OFL/CSA et modèle DESPINA.) L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 Taux d’effort moyen net de toute aide Taux d’apport personnel moyen Marché du neuf Marché de l’ancien Ensemble de l’accession 2012 2010 2008 2006 2004 2002 1998 2000 1996 2 1994 3 1992 2012 2010 2008 2006 2004 2002 0 1998 15 1990 20 4 1988 25 5 1986 30 1984 En années de revenus des accédants 35 2000 lors qu’ils avaient jusqu’à présent pleinement bénéficié de l’amélioration générale des conditions de crédit (baisse des taux d’intérêt et allongement des durées, notamment), à partir du début des années 2000, les taux d’effort des accédants ont amorcé leur remontée sous l’effet de la hausse des prix de l’immobilier et de la transformation des compositions familiales. La baisse des taux d’intérêt et l’allongement de la durée des prêts accordés ont fortement contribué à l’expansion des marchés durant dix années, entre 1994 et 2004. Et la hausse des prix relatifs des opérations réalisées (c’està-dire exprimés en années de revenus) qui se constate dès la fin des années 1990 (encadré 2) a pu être, en partie, absorbée par le maintien des taux d’apport personnel à des niveaux élevés. La déformation de la structure des clientèles au bénéfice des catégories sociales plus aisées, donc mieux dotées en apport personnel et revendant de plus en plus souvent un bien immobilier pour financer une partie de leurs nouveaux achats, a rendu cela possible. 6 1996 A 40 1994 6.4 / DES TAUX D’EFFORT MAINTENANT EN RECUL 1992 A et Abis 1990 B1 Moyenne 2011-2013 1988 B2 1986 C 1984 20 0 Aussi constate-t-on une remontée générale des taux d’effort entre 1998 et 2004. Mais il est clair que ce sont les ménages les plus modestes (moins de trois Smic), qui ont le plus souffert de ces évolutions. La montée des prix de l’immobilier (neuf et ancien) s’est, en effet, traduite par une fermeture progressive des marchés de l’accession aux ménages les plus modestes : c’est la « fameuse » diminution de la part de la primoaccession (75 % des accédants jusqu’en 1998, de l’ordre de 60 % au milieu des années Ensemble 37,1 % 32,6 % 1982 40 1982 Ancien 1980 Neuf 51,0 % 1978 60 2000), résumé rapide d’une transformation complexe des clientèles. La part des ménages les plus aisés parmi les accédants s’accroît, en effet, dès le début des années 2000 : ce sont désormais ces ménages, qui « font » le marché, revendant au préalable un bien afin de réaliser une meilleure opération immobilière (mieux située, plus spacieuse, de plus grand confort, etc.). Ils sont donc prêts à surenchérir pour acquérir les biens qu’ils convoitent, au-delà d’un prix qui aurait pu paraître déraisonnable en d’autres circonstances ! Il faut donc qu’ils puissent « bien » revendre, c’est-à-dire cher. Et, aussi bien pour eux que pour ceux qui achètent, le crédit va, par ses conditions exceptionnelles, faciliter la réalisation des projets, huiler les mécanismes d’une machine dont beaucoup vont durant de nombreuses années, pronostiquer le « blocage imminent ». 1980 LA RELANCE DE L‘ACCESSION AIDÉE ANNONCÉE, EFFECTIVE AU 1ER OCTOBRE 2014, DEVRAIT STOPPER LA CHUTE DES FLUX DE L‘ACCESSION DÈS 2015, DANS LE NEUF. (Source : OFL/CSA.) Mais, compte tenu de la rapidité de la hausse des prix, cela n’a pas été suffisant (il aurait fallu une augmentation des niveaux d’apport, incompatible avec la réalité des marchés et la situation des accédants) : la remontée des taux d’effort était donc inévitable, les ménages élevant fortement leur recours au crédit. 1978 La relance de l’accession aidée qui a été annoncée par la ministre du Logement, avec effet au 1er octobre 2014, devrait stopper la chute des flux de l’accession dès 2015, dans le neuf. Elle ne sera, cependant, pas suffisante pour déclencher une remontée rapide et significative des flux correspondants. Il faudra sans aucun doute attendre que les conditions économiques s’améliorent (recul du chômage, progression du pouvoir d’achat). Alors que, dans l’ancien, les mesures prises ne sont à effet qu’à compter du 1er janvier 2015. Figure 3. Répartition des flux de l'accession à la propriété (en %) En % des revenus des accédants La réforme des aides à l’accession et la mise en place du PTZ+ s’est, en effet, traduite, en 2011, par un renforcement de la production de prêts aidés, dans l’ancien, principalement : puisque les transformations du PTZ survenues dans le neuf ont dégradé la puissance du produit en zone C et en zone B2, pourtant fortement consommatrices de cette aide, par le passé. Cela a amplifié la dynamique des flux de l’accession, en dépit de la détérioration des conditions de crédit constatée depuis la fin de l’année 2010. Mais, dès 2012, la suppression du PTZ+ dans l’ancien et son recalibrage dans le neuf (notamment au détriment des accédants les plus modestes) ont provoqué une chute brutale du nombre des aides accordées, un repli marqué des flux de l’accession à la propriété et une nouvelle progression des taux d’effort des accédants modestes. C’est le marché de l’ancien, qui a été le plus touché par ces évolutions : la récession du marché de l’ancien qui a été provoquée par cette remise en cause de l’aide à l’accession a alors été sévère. 49 résidentiel 50 regards sur l’accession à la propriété… C’est ainsi que, paradoxalement, l’activité n’a pas fléchi, loin s’en faut. Il est vrai que « l’effet revenu », qui se trouve derrière la transformation de la structure des clientèles (les nouveaux accédants plus aisés sont naturellement plus riches que les plus modestes, qu’ils « remplacent » sur le marché), et l’amélioration des conditions de crédit absorbent à eux seuls les trois quarts des conséquences de la montée des prix sur l’équilibre des opérations immobilières financées. Et, d’ailleurs, entre 2004 et 2007, l’expansion du marché de l’accession s’est poursuivie… D’autant que, dès 2005, le mouvement de remontée des taux d’effort a semblé céder la place à un rétablissement de la solvabilité des accédants. La réforme du PTZ n’est pas étrangère à cela et la mise en place du crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunt est venue amplifier cette tendance. Le déclenchement de la crise financière internationale et, dans son sillage, la crise des marchés immobiliers, n’ont pas remis en cause cette évolution : les mesures du plan de relance (doublement du PTZ, élargissement du Pass Foncier®) ayant permis de relever de façon substantielle la solvabilité des accédants modestes… sans oublier une amélioration spectaculaire des conditions de crédit, qui est équivalente, du point de vue de la solvabilité de la demande, à une baisse des prix de l’ordre de 15 % ! Même si elle n’a pas pénalisé l’activité des marchés de l’accession, la réforme des aides à l’accession s’est traduite par une remontée des taux d’effort, dès 2011, la suppression du crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunt n’étant pas compensée par la mise en place du PTZ+. Ce sont, alors, les taux d’effort des accédants les plus modestes (moins de trois Smic), qui se sont relevés les plus fortement : tandis que, pour l’ensemble des accédants, cette remontée a été de l’ordre de 3 points en 2011, elle a été de plus de 6 points pour les moins de deux Smic et de l’ordre de 4 points pour les deux à trois Smic. Dans le même temps, la hausse des taux d’effort a été au plus de 2 points pour les trois à quatre Smic, alors que les taux d’effort n’ont pratiquement pas bougé pour les quatre Smic et plus. La suppression du PTZ+ dans l’ancien, qui est survenue en 2012, est venue aggraver les évolutions précédentes pour les accédants modestes (moins de trois Smic) : pour tous ces ménages, les taux d’effort supportés en 2012 ont retrouvé leur niveau le plus élevé de ces trente dernières années. Alors qu’ici encore, pour les plus de trois Smic, les évolutions observées ne révèlent pas d’aggravation de leurs taux d’effort. Pourtant, une fois les effets de la transformation des clientèles absorbés (moins de ménages jeunes et/ou modestes, faiblement dotés en apport personnel et recentrage du marché sur les ménages aux revenus moyens ou élevés, plus avancés dans le cycle de vie et bien dotés en apport personnel), le mouvement de décrue des taux d’effort a repris dès 2013. Les taux d’effort ont, alors, reculé et retrouvé leurs niveaux du milieu des années 2000, juste avant la réforme du PTZ du 1er janvier 2005 : donc, lorsque les flux de l’accession étaient majoritairement composés de ménages aux revenus moyens ou aisés. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 51 résidentiel 6.5 / EN CONCLUSION La « relance » de l’accession à la propriété constitue l’une des priorités inscrites dans le plan voulu par le Premier ministre et la ministre du Logement. L’ensemble des mesures qui ont été présentées, pour cela, va faciliter l’interruption de la chute de la primoaccession et, dès 2015, entraîner un relèvement des flux de l’accession à la propriété. Les leviers d’action qui pouvaient être manœuvrés pour relever le niveau de l’accession étaient, en fait, peu nombreux, au nombre de trois : la politique budgétaire publique ; la conjoncture économique générale (situation du marché de l’emploi et pouvoir d’achat), qui ne se rétablira probablement que (très) lentement ; et l’offre de crédits, tant par son volume que par les conditions qui peuvent être faites (taux, durées, niveau des apports personnels). Deux conditions importantes sont maintenant réunies : une volonté publique et des moyens budgétaires supplémentaires pour redynamiser le PTZ ; des taux d’intérêt parti culièrement bas et une offre de crédits dont le dynamisme ne se dément pas. Un écueil important a, en outre, été évité : celui qui aurait consisté à attendre que les prix baissent pour que, naturellement, la demande se redresse d’elle-même. La relance était donc devenue nécessaire. ENCADRÉ N° 1 L’OBSERVATOIRE DU FINANCEMENT DU LOGEMENT (CSA) Chaque année, depuis 1978, l’Observatoire du financement du logement de CSA réalise une enquête nationale sur le financement par emprunt des opérations immobilières effectuées par les ménages. Cette enquête (7), qui est conduite auprès de l’ensemble des établissements distributeurs de crédits, recense les dossiers de prêts ayant financé l’acquisition d’un logement principal, d’une résidence secondaire ou d’un bien en immobilier de rapport, ou la réalisation de travaux. Les résultats repris dans cet article ne concernent que les seules opérations d’accession à la propriété réalisées dans le neuf et dans l’ancien. L’échantillon concerne, alors, près de 42 000 opérations réalisées en 2013 (près de 14 000 dans le neuf et de 28 000 dans l’ancien), dans la France entière, dont plus de 12 000 accessions en Île-de-France : dans le cadre de l’échantillonnage retenu, la couverture géographique concerne les trois quarts des communes d’Île-de-France et 35 % des communes métropolitaines. Le taux de sondage associé à cet échantillon est donc de l’ordre de 6,7 % pour la France entière et de 9,3 % pour l’Île-de-France. (7) Cette enquête bénéficie du soutien d’établissements de crédit (Banque Populaire, Banque Postale, BNP Paribas, CFF, CNCE, Crédit Agricole, Crédit Lyonnais, Crédit Mutuel), ainsi que de la SGFGAS, dans le cadre des suréchantillonnages PAS et PTZ, mais aussi de Crédit Logement et de la FFB. Cette expansion a été rendue possible par une amélioration des conditions de crédit, sans précédent, jusqu’alors, et un développement très rapide de l’offre de crédits. Comme, dans le même temps, la structure des marchés s’est transformée, dans un contexte d’amélioration prononcée de la qualité des biens échangés (9), les conséquences de ces évolutions se sont ressenties sur le prix des logements. (8) Voir sur ce point : Michel Mouillart, « Marché du logement et comportement des ménages : règles d’or et tendances récentes », L’Observateur de l’Immobilier, n° 54, juillet 2002, pages 2 à 12. (9) Par exemple, alors qu’en 1978 l’Enquête nationale sur le logement (Insee) comptait plus de 5 millions de logements très inconfortables (26,9 % des résidences principales), en 1988, il n’y avait plus « que » 2 millions de logements très inconfortables (9,6 % des résidences principales), moins d’un million en 1996 (4,0 % des résidences principales) et « seulement » 350 000 en 2006 (1,3 % des résidences principales). L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 5,5 5 5 4,5 4,5 Prix relatif observé Prix relatif observé Prix théorique à conditions de crédit inchangées Prix théorique à conditions de crédit inchangées Dans l’ancien, les prix auraient dû se stabiliser à 3,1 années de revenus, en moyenne. L’effet de l’amélioration des conditions de crédit aura donc été essentiel, durant ces années, aidant les ménages à réaliser, beaucoup plus largement que par le passé, leurs 2013 2011 2012 2010 2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2013 2012 2011 2010 2009 2008 2007 2006 2,5 2005 2,5 2004 3 2003 3 1999 3,5 2000 3,5 4 1998 4 1997 En années de revenus 5,5 2001 Mais, durant ces années, l’amélioration des conditions de crédit a permis aux ménages de supporter une large partie des conséquences de la hausse des prix. Par exemple, si les conditions de crédit ne s’étaient pas améliorées (restant au niveau de celles constatées en 1997-1998), il aurait fallu que, « ceteris paribus », les prix soient plus bas : la contrainte étant alors de conserver les mêmes effectifs d’accédants, ceux-ci disposant des mêmes niveaux de revenus que ceux observés, supportant les mêmes taux d’effort… Dans le neuf, les prix n’auraient pas dû s’écarter de 3,5 années de revenus, sauf durant les années 2011 et 2012, durant lesquelles la remise en cause du PTZ a commencé à faire sortir les plus modestes… les restants pouvant supporter des prix relatifs plus élevés (de l’ordre de 4 années de revenus). (Source : 6 DESPINA.) 2002 En 2012, donc, le prix d’un logement neuf était de 5,3 années de revenus et le prix d’un logement ancien, de 5,2 années de revenus. (Source : 6 DESPINA.) 1999 On assiste, alors, à une augmentation à peu près régulière du niveau des prix relatifs : celle-ci ne s’étant finalement interrompue qu’à partir de 2013, tandis que l’effondrement de la primoaccession des ménages modestes avait provoqué une restructuration profonde de la composition sociodémographique des flux de l’accession. 2000 Jusqu’à la fin des années 1990, les prix relatifs des logements n’avaient guère affiché de tendance haussière. Dans le neuf, le prix relatif fluctuait, bon an mal an, autour de 3,5 années de revenus et, dans l’ancien, autour de 2,6 années de revenus. Ainsi, au-delà des fluctuations qui pouvaient se constater d’une année sur l’autre, le prix relatif des logements en accession était de l’ordre de 3,0 années de revenus, marchés du neuf et de l’ancien confondus. Cela renvoyait à cette fameuse « règle d’or » (8), qui semblait, alors, définitivement gravée dans le marbre. Puis l’activité des marchés immobiliers de l’accession s’est fortement redressée : entre le milieu des années 1990 et les années 2006-2007, juste avant le déclenchement de la crise des subprimes, les flux de l’accession ont crû de l’ordre de 400 000 unités, doublant pratiquement en une dizaine d’années. Figure 7. Les prix relatifs supportés dans l’ancien et les prix théoriques en l’absence d’amélioration des conditions de crédit 1998 PRIX DES LOGEMENTS ET CONDITIONS DE CRÉDIT Figure 6. Les prix relatifs supportés dans le neuf et les prix théoriques en l’absence d’amélioration des conditions de crédit 1997 ENCADRÉ N° 2 53 résidentiel En années de revenus 52 regards sur l’accession à la propriété… projets d’accession à la propriété. Et il semble, de ce fait, indispensable de ne pas oublier de prendre en compte cette évolution, surtout au regard de la baisse des taux des crédits immobiliers constatée depuis le début de l’année 2014. 54 7 LES RÉPONSES APPORTÉES PAR LE PRÊT VIAGER HYPOTHÉCAIRE AUX ENJEUX DU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION Par Nicolas Pécourt, directeur communication externe et RSE, Crédit Foncier. 55 résidentiel Ce groupe de travail était composé de… ◗ Hippolyte d’Albis, professeur d’économie, université Paris I Panthéon-Sorbonne & Paris School of Economics. ◗ Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances. ◗ Bruno Deletré, directeur général du Crédit Foncier. ◗ Éliane Frémeaux, notaire honoraire, membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat. ◗ Jean-Hervé Lorenzi, professeur d’économie, président du Cercle des économistes. ◗ André Renaudin, directeur général de AG2R La Mondiale. ◗ Isabelle Rougier, directrice générale de l’ANAH. ◗ Franck Silvent, directeur du pôle Finances, stratégie et participations du groupe Caisse des Dépôts. ◗ Claude Taffin, directeur scientifique de Dinamic. ◗ Bernard Vorms, ancien président de la SGFGAS, ancien directeur général de l’ANIL. 7.1/ LE FINANCEMENT DES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE LA « PÉRIODE DE VIE » DES SENIORS EST UN ENJEU DE SOCIÉTÉ L e vieillissement de la population constitue le phénomène démographique majeur des vingt-cinq ans à venir, dans notre pays, qui va enregistrer un accroissement significatif de la part des seniors. Ainsi, selon l’Insee (2), les plus de 60 ans, qui représentaient 21 % de la population en 2000, devraient compter pour 26 % des Français en 2020 et 31 % en 2040. Mieux : dès l’année prochaine, en 2015, la France comptera plus de « seniors » (60 ans et plus) que de « jeunes » (moins de 20 ans). Tableau 1. Prévisions de l’évolution de la structure de la population en France métropolitaine (Source : Insee, n° 1320 ; octobre 2010 ; projections de population à l'horizon 2050.) Le vieillissement de la population constitue le phénomène démographique majeur de ces prochaines années. Et son corollaire – la proportion de plus en plus importante des seniors, l’accroissement de leurs besoins et du financement de ces besoins dans un contexte budgétaire contraint –, l’un des défis majeurs auxquels devra répondre notre société. Pour analyser l’incidence de ce sujet, un groupe de réflexion composé de professionnels de l’immobilier, d’universitaires et de dirigeants d’entreprise a travaillé sur les questions liées aux attentes et aux demandes spécifiques des seniors, ainsi qu’aux moyens d’y répondre. Les première et deuxième parties de ce texte reprennent des éléments du rapport (1) publié par ce groupe de réflexion au mois de mai 2014. Dans un contexte général de dépenses publiques contraintes, qui impliquent la montée en puissance de dispositifs complémentaires de prise en charge des besoins des seniors, l’immobilier est apparu comme l’une des solutions les mieux à même de répondre à ces enjeux dans les prochaines années. Ces dispositifs complémentaires apparaissent d’autant plus nécessaires que les plus de 65 ans, qui équivalaient à un quart (26 %) de la population des 15-64 ans en 2010, passeront à près de la moitié (46 %) en 2050. (1) Ce rapport est disponible en téléchargement sur le site : http://creditfoncier.com/nouveaux-besoins-de-financement-des-seniors/ L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 Année Population au 1er janvier (en millions) Proportion des 0-19 ans Proportion des 20-59 ans Proportion des 60-64 ans Proportion des 65-74 ans Proportion des 75 ans et + 2000 58,9 26 % 54 % 5 % 9 % 7 % 2015 64,5 24 % 51 % 6 % 9 % 9 % 2020 66,0 24 % 50 % 6 % 11 % 9 % 2025 67,3 24 % 48 % 6 % 11 % 11 % 2030 68,5 23 % 48 % 6 % 11 % 12 % 2035 69,7 23 % 47 % 6 % 11 % 14 % 2040 70,7 22 % 47 % 5 % 11 % 15 % (2) Étude Insee, projections pour la population métropolitaine au 1er janvier de chaque année. 56 le prêt viager hypothécaire UNE POPULATION QUI AFFICHE DES BESOINS SPÉCIFIQUES Cette population des seniors se caractérise, en parallèle, par un accroissement de ses besoins, qu’ils soient souhaités (loisirs) ou subis (santé et dépendance). Quatre types de besoins peuvent être ainsi distingués. Les dépenses liées à la dépendance L’entrée en dépendance de certaines personnes âgées s’accompagne de frais complémentaires élevés : à titre d’illustration, le coût moyen, pour un résident en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), est de 2 400 euros par mois (1 800 euros en cas de maintien à domicile), à comparer à une retraite moyenne, en France, de l’ordre de 1 250 euros par mois. De fait, selon un rapport du Sénat (3), seule une personne sur cinq serait en mesure de financer son hébergement en maison de retraite sur ses revenus. Les dépenses relatives à l’amélioration de l’habitat et à son adaptation au vieillissement Ces dépenses répondent à différentes motivations : ◗ il peut d’abord s’agir de travaux de « rafraîchissement » d’un habitat qui commence à vieillir et qui nécessite donc d’être refait pour partie (peintures, équipements, etc.). Ces travaux répondent également à la volonté de profiter du temps libre par l’aménagement d’une terrasse, d’une véranda, d’une piscine… et de rendre ainsi plus confortable un habitat dans lequel on passe désormais l’essentiel de son temps ; ◗ entre aussi en ligne de compte la « valeur verte » : en l’occurrence, la mise à niveau énergétique du parc immobilier et la réalisation de travaux d’isolation thermique qui généreront des économies d’énergie ou, simplement, amélioreront le confort du logement pour mieux y vivre ; ◗ enfin, et surtout, l’adaptation de l’habitat au vieillissement reste l'une des motivations principales. Elle prend la forme, par exemple, de l’installation de rampes ou d’une chambre au rez-de-chaussée en cas de difficultés d’accès à l’étage, du réaménagement de la salle de bains, etc. Comme le souligne un rapport commun de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), « une majorité de Français expriment le souhait de pouvoir vieillir chez eux, à leur domicile » (4). Le souhait des personnes âgées en situation de dépendance de rester chez elles, lorsqu’elles le peuvent, plutôt que de rejoindre des maisons médicalisées, est soutenu par les pouvoirs publics, pour lesquels cette solution est beaucoup moins onéreuse, au moins en deçà d’un certain degré de dépendance. Selon une étude britannique (5) citée par l’ANAH, une année de report du besoin d’entrer en institution d’une personne âgée induit une économie de plus de 22 000 euros par personne, alors que le coût de l’adaptation du logement représente 5 000 euros en moyenne. Les dépenses dites de « bien vieillir » Du fait d’une meilleure santé que leurs aînés, les seniors d’aujourd’hui envisagent des dépenses plus importantes et d’une nature différente, liée, notamment, aux loisirs, aux voyages, etc. Cette volonté de consommation de la part de générations qui ont vécu les Trente glorieuses est significative. Le budget affecté aux vacances chez les retraités serait ainsi de 30 % supérieur à la moyenne nationale. (6) L’aide intergénérationnelle et le souci de préserver ses enfants de la prise en charge des aînés Alors que les besoins d’aide des jeunes générations tendent à s’accroître, du fait de la dégradation du contexte économique, la transmission de patrimoine d’une génération à une autre est de plus en plus tardive, conséquence de l’allongement de la durée de vie. Par ailleurs, les personnes âgées n’habitent plus chez leurs enfants et ne souhaitent plus constituer un « fardeau » pour eux. Elles sont amenées, de ce fait, à conserver une épargne de nature à assurer cette indépendance. LES RESSOURCES FINANCIÈRES ACTUELLES POUR Y RÉPONDRE Les pouvoirs publics dans leur ensemble contribuent déjà de façon significative au financement de certains besoins des seniors. Au-delà des retraites par répartition et de la Sécurité sociale, pour la prise en charge des maladies, il peut s’agir, par exemple, des aides pour les frais de dépendance et plus particulièrement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à la charge des conseils généraux, des aides de l’État et des collectivités au travers de l’ANAH ou encore des aides spécifiques des collectivités locales (CCAS, etc.). Dans un rapport datant de 2008 (7), le Sénat évalue la dépense publique liée à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées à environ 19 milliards d’euros. Ce coût est principalement supporté par l’assurance maladie (60 %) et les départements (20 %). Les ménages eux-mêmes, selon le rapport du Sénat (7) déjà cité, acquittent au moins 7 milliards d’euros par an en complément des ressources fournies par la solidarité nationale pour la couverture des frais liés à la dépendance : ◗ par le biais, très majoritairement, des pensions et revenus perçus par les seniors ; (3) Mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque – juillet 2008 ; mission présidée par Philippe Marini ; rapport d’étape d'Alain Vasselle. (4) Rapport ANAH et CNAV, Adaptation des logements pour l’autonomie des personnes âgées, décembre 2013. (5) Étude publiée par Frances Heywood et Lynn Turner (Université de Bristol, Royaume-Uni), en 2007, sur les conséquences sur les budgets santé/social d’un investissement dans l’adaptation, l’amélioration et l’équipement du logement pour les personnes âgées et en situation de handicap. (6) Source : Institut Français des Seniors, données publiées sur le site en 2013. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 57 résidentiel ◗ cette prise en charge peut aussi se faire par recours au crédit, ou par des contrats d’assurance de deux ordres : les seniors bénéficient de rentes issues de contrats d’assurance-vie ou de contrats d’assurance dépendance ; ◗ lorsqu’il a été réalisé pendant la vie active, l’investissement locatif (perception de loyers) est aussi une solution complémentaire de revenus. Les proches et aidants jouent également un rôle essentiel dans le soutien des personnes âgées. 7.2 / LA MAJORITÉ DU PATRIMOINE IMMOBILIER APPARTIENT AUX SENIORS 1er constat : les seniors détiennent la majorité du patrimoine des ménages français. La génération des 60-69 ans affiche, ainsi, le montant de patrimoine le plus élevé avec une moyenne de 358 900 euros, soit 39 % de plus que la moyenne sur l’ensemble de la population (259 000 euros). Cet état de fait tient à différents facteurs : ◗ il s’agit d’un patrimoine qui, mécaniquement, représente l’accumulation des ressources acquises pendant la vie active ; ◗ ce patrimoine bénéficie d’un « effet générationnel », conséquence de la valorisation des prix immobiliers ; le patrimoine des seniors a naturellement progressé avec la hausse des prix de l’immobilier et s’est accru de façon relative par rapport aux générations plus jeunes, propriétaires dans une moindre proportion ; ◗ l’effet de l’héritage se produit à un âge de plus en plus tardif. 2e constat : ce patrimoine détenu par les seniors est essentiellement immobilier. À partir de 60 ans, trois ménages sur quatre sont propriétaires d’au moins un bien immobilier. Souvent, il s’agit du bien unique. (7) Sénat – mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, op. cit. 58 le prêt viager hypothécaire 7.3 / LE PRÊT VIAGER HYPOTHÉCAIRE, UNE SOLUTION ADAPTÉE AUX SENIORS Tableau 2. Taux de détention d’un patrimoine immobilier (part en %) (Source : Insee – Enquête patrimoine 2010, op. cit.) Patrimoine immobilier Résidence principale Moins de 30 ans 17 % 13 % 6 % De 30 à 39 ans 50 % 47 % 11 % De 40 à 49 ans 63 % 59 % 18 % De 50 à 59 ans 73 % 68 % 27 % De 60 à 69 ans 76 % 72 % 28 % 70 ans et plus 75 % 73 % 19 % Ensemble 62 % 58 % 19 % Âge Autres logements On constate donc que : ◗ la part des seniors dans la communauté nationale va devenir de plus en plus importante dans les années à venir ; ◗ l’un des enjeux importants qui découleront de cet accroissement résidera dans le financement des besoins spécifiques de cette population ; ◗ de fait, les seniors sont et seront confrontés à des besoins de financement et ce, alors même qu’ils détiennent la majorité du patrimoine en France ; ce patrimoine est composé essentiellement de biens immobiliers, souvent libres de charges et d’emprunts (seuls 2,5 % des propriétaires âgés de plus de 65 ans remboursent encore leur emprunt). Dès lors, les questions suivantes se posent : comment peuton mobiliser pour partie ce patrimoine pour répondre à des besoins de financement qui ne pourront être pris en charge par la solidarité nationale et/ou familiale ? Comment peuton le rendre « liquide » et immédiatement disponible pour répondre aux besoins de financement ? Une réponse pertinente est aujourd’hui apportée par le prêt viager hypothécaire (PVH). SES CARACTÉRISTIQUES Le PVH, créé en 2006 à l’occasion de la « réforme des sûretés », permet aux seniors d’obtenir un prêt sans charges périodiques de remboursement en apportant en garantie un bien immobilier dont ils conservent à la fois la pleine propriété et la faculté de l’occuper. Il s’agit d’un prêt dont le principe, assez simple, obéit à un cadre réglementaire strict (8) : ◗ un banquier prête une somme d’argent à un particulier senior et prend en garantie une hypothèque sur un logement lui appartenant ; ◗ le prêt peut être versé en une seule fois pour un besoin ponctuel ou en plusieurs fois (versements semestriels) ; ◗ dès lors, l’emprunteur ne paie rien. Il a pour seule obligation d’entretenir le logement dont il est toujours propriétaire afin de ne pas en réduire la valeur de son propre fait. Le montant du prêt dépend de l’âge de l’emprunteur et de la valeur du logement offert en garanti. Comme le PVH est d’une durée viagère (9), plus l’emprunteur est âgé, plus le montant sera élevé. Le PVH constitue une alternative avantageuse, qui procure des garanties que n’offre pas la vente en viager. ◗ Le logement reste dans le patrimoine : il n’y a pas transfert de propriété du logement. Si le logement appartient à un couple dont les deux conjoints empruntent, c’est au décès du dernier vivant que le prêt est remboursé. Le conjoint veuf reste donc dans les lieux. Il est librement réversible par le remboursement anticipé du prêt et peut donc être interrompu à tout instant à l’initiative de l’emprunteur, alors que la vente en viager est irréversible ; de fait, si, en cours de prêt, l’emprunteur change d’avis, il peut rembourser sa dette à tout moment par anticipation. Le bien n’est pas « perdu » pour les héritiers, en particulier en cas de décès précoce : ils peuvent choisir de rembourser le prêt pour récupérer le bien porté en garantie. ◗ Au décès de l’emprunteur, si la dette est supérieure à la valeur du bien, la différence est supportée par la banque : il n’y a pas de dette laissée aux héritiers. Par contre, si la valeur du bien est supérieure à la dette, l’excédent revient aux héritiers. À l’inverse, dans le viager, les héritiers ne toucheront rien au décès du propriétaire puisque le bien revient totalement au débirentier. AVANTAGES POUR L’EMPRUNTEUR Avec le PVH, le propriétaire rend liquide son patrimoine immobilier. Il peut ainsi disposer de ressources complémentaires sans entamer son épargne financière, sans avoir à vendre son patrimoine immobilier (vente classique ou vente viagère) et sans avoir à solliciter ses enfants pour faire face à des dépenses importantes. De plus, grâce au prêt viager hypothécaire, on peut emprunter même à un âge très avancé, quels que soient l’état de santé et les ressources de l’emprunteur. (8) Articles L. 314-1 et suivants du Code de la consommation. (9) Durée viagère : durée de la vie du ou des emprunteurs. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 59 résidentiel ◗ La mise en place d’un PVH ne dépend pas de l’existence d’investisseurs, contrairement à l’achat en viager. Ainsi, quand le besoin s’en fait sentir, le prêt peut être obtenu sans attendre de trouver un débirentier, comme en viager traditionnel. Elle ne dépend pas non plus de l’état du marché immobilier. ◗ Les fonds du PVH ne sont pas considérés comme des revenus et n’ont pas d’impact sur les aides sociales et la fiscalité, car il s’agit de capital et non de rente. La vente en viager est, quant à elle, partiellement imposable. LE PVH CONSTITUE UNE ALTERNATIVE AVANTAGEUSE, QUI PROCURE DES GARANTIES QUE N’OFFRE PAS LA VENTE EN VIAGER. SON ATOUT PRINCIPAL : LE LOGEMENT RESTE DANS LE PATRIMOINE. DONNÉES ET CHIFFRES Le Crédit Foncier est aujourd’hui le seul établissement, en France, à proposer le prêt viager hypothécaire. Doté d’une forte culture hypothécaire et d’une expérience reconnue dans l’évaluation des biens immobiliers, il est bien positionné sur ce produit de niche. De l’expérience acquise depuis plusieurs années, on peut ainsi qualifier les souscripteurs du PVH. – Âge moyen de l’emprunteur : 77 ans ; – montant moyen prêté : 88 000 euros ; – près de 1000 contrats souscrits chaque année (à titre de comparaison, 3 000 à 4 000 pour le viager) ; – les emprunteurs habitent notamment l’Île-de-France (19 %) ou la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (14 %) ; – plus de la moitié d’entre eux sont seuls (52 %) ; – même si l’âge moyen est inchangé depuis 2010 (77 ans), la part des 60 à 70 ans progresse depuis quatre ans. Une étude réalisée en juillet 2013 auprès de souscripteurs du PVH montre, par ailleurs, que l’entretien du logement est le premier motif de souscription. 60 8 LE VIAGER D’AUJOURD’HUI Par Nicolas Tarnaud, titulaire de la chaire immobilier & société, Neoma Business School. I l existe un rapport étroit et intime entre les Français et l’immobilier. C’est une longue histoire d’amour et de fidélité à laquelle ils sont attachés. Les Français envisagent l’immobilier comme une sécurité, une valeur refuge et un compagnon fidèle. Le logement a plusieurs valeurs, plusieurs fonctions et plusieurs destinations. Il est à la fois un espace privé, une représentation du statut social et un bien marchand. Depuis la crise financière de 2007, le rapport à la pierre et à l’épargne s’est renforcé. Devenir propriétaire (résidence principale, secondaire ou investissement locatif) est donc un rêve récurrent, chez les Français, notamment en temps de crise, où l’aspect tangible des actifs immobiliers est recherché par opposition aux actifs financiers volatils et immatériels. Or, le viager est aussi un moyen d’accéder à la propriété plus facilement, notamment pour les profils qui bénéficient de revenus non salariés ou des profils atypiques. Face aux problèmes des retraites, de l’allongement de la durée de vie et du financement de la dépendance, la question des arbitrages patrimoniaux est incontournable. Les seniors possèdent aujourd’hui 700 milliards d’euros dans l’immobilier, selon l’Insee. Ce patrimoine est leur principale ressource mobilisable et ils disposent de moins en moins de revenus (pensions, épargne financière…) pour maintenir un niveau de vie et faire face à l’augmentation des dépenses de santé. LE VIAGER EST UN MOYEN DE DISPOSER D’UN APPORT EN CAPITAL ET DE RENTES RÉGULIÈRES JUSQU’À LA FIN DE SA VIE. C’EST UN COMPLÉMENT DE REVENUS DÉFISCALISÉS POUR COMPENSER DES RETRAITES FAIBLES OU INCERTAINES. Le viager permet de « rendre liquide » un bien qui ne l’est pas. Cela revient, pour le vendeur, à hériter de lui même. C’est un moyen de disposer d’un apport en capital et de rentes régulières jusqu’à la fin de sa vie. C’est aussi un complément de revenus défiscalisés pour compenser des retraites de plus en plus faibles et incertaines. Le viager est donc, ou deviendra, un outil de financement des retraites dans un contexte de population vieillissante, de financement de la dépendance et d’un État providence de moins en moins présent. Ainsi, le viager répond parfaitement bien, dans le contexte actuel, aux attentes des vendeurs et des acheteurs. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 61 résidentiel QUEL EST LE PROFIL D’UN VENDEUR EN VIAGER ? Les vendeurs sont le plus souvent des personnes âgées avec un faible niveau de retraite. Ils ont besoin de liquidités et souhaitent finir leur vie chez eux le plus tard possible. Le profil du vendeur type va être quelqu’un d’un âge assez avancé. Il n’y a donc pas d’âge, de référence mais une tranche d’âge, variant de 60 à 80 ans. Le vendeur est généralement une personne retraitée qui cherche un complément de revenu et qui n’a pas d’héritiers. Un autre profil type de vendeur se dégage également : celui des femmes seules de 75 à 80 ans, avec des enfants. Cela n’est pas étonnant, puisque le niveau de la pension de réversion ne suffit pas toujours à maintenir un niveau de vie décent, surtout lorsque les femmes ont peu ou pas cotisé durant leur vie « au foyer », ou lorsqu’elles ont accusé de nombreuses périodes d’inactivité professionnelle. Les agences spécialisées dans le viager rencontrent des couples entre 70 et 75 ans, qui vendent soit parce que c’est un remariage (ils se protègent l’un et l’autre par rapport aux enfants qu’ils ont pu avoir de relations antérieures), soit parce que certains d’entre eux ont connu plusieurs mariages et ont eu des enfants issus de plusieurs relations. Ce que l’on voyait, auparavant, c’était des personnes très âgées qui n’avaient plus les moyens de subvenir à leurs propres besoins. Alors qu’aujourd’hui, on distingue beaucoup de personnes de 60 à 70 ans qui veulent vendre en viager pour se mettre à « l’abri », dans le but de mieux anticiper l’avenir. Nombreux, aussi, sont ceux qui veulent garder un logement coûteux et un train de vie, à Paris par exemple, à l’âge de la retraite. L’INDÉPENDANCE FINANCIÈRE La préparation de la succession peut être aussi une motivation pour tous les vendeurs avec enfants. Vendre en viager est donc une façon de se protéger des enfants de son conjoint ou d’un partage délicat entre les enfants au moment de l’héritage. Les enfants (descendants) ont une obligation alimentaire à l’égard de leurs parents (ascendants). L’obligation alimentaire existe depuis la mise en place du Code civil par Napoléon : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin » (article 205 du Code civil). Mais les parents ne veulent pas dépendre de leurs enfants. Et ce, d’autant moins que les enfants d’aujourd’hui subissent une crise que leurs parents ou grands-parents n’ont pas connue durant les Trente glorieuses. L’alternative du viager permet à la fois de conserver leur indépendance financière, dans un monde économiquement incertain, et de protéger leurs descendants. Le contexte économique et social, en France, pousse les seniors à rechercher des moyens alternatifs destinés au financement de leur retraite. Nombreux sont ceux pour qui la retraite ne suffit pas à payer des soins médicaux, une maison de retraite, une assistance à domicile... et pour qui le viager est un moyen de percevoir une rente régulière, indexée et fiscalement intéressante. QUELS SONT LES AVANTAGES POUR LE VENDEUR ? Si 80 % des seniors préfèrent ne pas quitter leur résidence principale, 90 % de ceux qui partent vivre en établissement spécialisé le font contre leur gré. Le viager permet, ainsi, de rester chez soi le plus longtemps possible et de financer l’aménagement du grand âge des personnes ayant un handicap. Au niveau fiscal, ce système est attractif, puisqu’une exonération de 70 % est appliquée sur la rente perçue par le vendeur, si celui-ci a plus de 70 ans. Ainsi, le vendeur ne fiscalise que sur 30 %. Lorsqu’il n’y a pas d’héritiers, certains vendeurs peuvent placer le montant du bouquet sur un contrat d’assurance-vie. Ils pourront ainsi bénéficier d’une rente viagère financière immédiate défiscalisée, en plus de la rente viagère immobilière. De plus, au cas où l’acheteur ne paierait plus les mensualités (difficultés financières, cessation de paiement dans le cas d’une entreprise), le vendeur est protégé par une clause résolutoire. Si les rentes cessaient d’être payées, le vendeur pourrait, alors, récupérer la totalité de son bien. Dans l’ensemble, il n’existe pas d’inconvénients majeurs pour le vendeur, très bien protégé par la législation. 62 le viager d’aujourd’hui l’investissement dans un viager libre que l’on peut louer, un viager occupé ne procure pas de revenus fonciers. Ce qui permet aux profils fiscalisés de ne pas se retrouver dans une tranche d’imposition supérieure. La clientèle en viager est donc une clientèle aisée, qui est capable d’avoir une diversification de patrimoine dans laquelle elle n’est pas sur une phase de constitution avec un horizon connu et des données connues. L’acheteur en viager connaît le marché de l’immobilier résidentiel et l’univers des placements. L'INCONVÉNIENT MAJEUR DE L'ACHAT EN VIAGER EST QUE LE PARTICULIER DOIT VERSER UNE RENTE AVEC UNE CONTREPARTIE ALÉATOIRE (DATE DE LA DISPOSITION DU BIEN). LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS QUEL EST LE PROFIL DE L’INVESTISSEUR ? Les acheteurs en viager, du côté des particuliers, sont essentiellement des hommes, âgés de plus 40 ans, de catégories socioprofessionnelles supérieures, souvent mariés, avec des enfants et propriétaires de leur résidence principale. Les acheteurs en viager n’ont pas besoin d’occuper un bien dans l’immédiat et n’ont pas de contraintes temporelles. Ce sont des individus qui ont exploré différentes solutions et qui envisagent de diversifier leur patrimoine. Ils possèdent déjà leur résidence principale, disposent de revenus élevés et ont du temps devant eux. Ils cherchent à se constituer un patrimoine, parfois pour préparer leur propre retraite. Ce sont aussi des personnes cherchant des investissements originaux et plus risqués. Ces investisseurs sont conscients des conséquences de leurs actions. Pour eux, la prise de risque est nécessaire pour obtenir du rendement. Hormis 63 résidentiel Les institutionnels se sont désengagés de l’immobilier résidentiel à Paris, en Île-de-France, à Lyon, et à Marseille au début des années 1990. Ils ont cédé un million de logements depuis le début des années 1990 pour se recentrer sur l’immobilier tertiaire (bureaux) et commercial (centres commerciaux, murs de boutiques…), beaucoup plus rémunérateurs et moins contraignants fiscalement et juridiquement. Même si la Caisse des dépôts vient de lancer le nouveau fonds viager Certivia, la présence des investisseurs institutionnels reste encore marginale sur ce marché. Les risques d’aléas, de temps et les coûts de gestion importants peuvent être des obstacles. Certains grands groupes essaient de monter des placements collectifs avec du viager. Les fonds d’investissement, qui ont une approche économique et mathématique de leurs investissements, proposent des offres de prix nettement inférieures au barème des calculs viagers. Un investisseur institutionnel va appréhender un actif par le risque et par le taux interne de rentabilité : méthode des cash flow. Au-delà de l’aspect financier, il faut donc trouver des solutions alternatives car, d’ici quinze à vingt ans, la génération du baby-boom aura 80 ans en moyenne. Les grands investisseurs institutionnels ont donc intérêt à faire du viager dans le cadre de leur objet social, qui est d’aider l’économie française. Le viager peut intéresser une société qui souhaite diversifier ses achats et prendre des risques en investissant dans un marché peu développé et contraignant (juridiquement, fiscalement). La taille du marché du viager est modeste avec seulement cinq mille logements vendus et principalement dans les structures intrafamiliales. Les fonds d’investissement veulent que la prise de risque soit intégrée dans le pricing du viager, d’où la question de la négociation des prix avec les vendeurs, qui crée parfois des tensions. Lorsqu’on achète dix, quinze, vingt viagers, statistiquement il y a des chances pour qu’un viager se libère, par le décès avant l’âge de décès prévu du vendeur, ce qui mutualise et donne du confort financier. L’achat en viager libre représente une alternative dans un contexte économique où l’on a du mal à obtenir un crédit et à acquérir un bien immobilier. L’acquéreur peut parfaitement souscrire une assurance individuelle contre la perte d’emploi (s’il se trouve en CDI) et souscrire une assurance décès-invalidité. En cas de sinistre, ces assurances couvriront le paiement de la rente viagère au crédirentier. Financièrement, l’acquéreur bénéficie d’une réelle visibilité des dépenses futures. En effet, les réparations, les entretiens courants, les factures d’énergie, la taxe d’habitation sont à la charge du crédirentier. L'acheteur paiera uniquement la taxe foncière. C’est une façon d’acquérir du patrimoine immobilier dans des conditions fiscales particulières, notamment parce que L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 QUELS SONT LES AVANTAGES POUR LES PARTICULIERS ? le propriétaire du bien acheté en viager n’est pas soumis à l’ISF, dans la mesure où il n’en a pas encore la jouissance. La fiscalité est donc plus clémente que pour un investissement en pleine propriété. QUELS SONT LES INCONVÉNIENTS POUR LES PARTICULIERS ? Il faut disposer de liquidités pour financer le bouquet et les rentes, et l’accès au crédit n’est pas toujours possible. Très peu d’établissements bancaires financent uniquement l’achat de la nue-propriété et seulement sous certaines conditions (client CSP+, nantissement sur un autre bien). Ici, les risques sont plus nombreux et peuvent constituer un frein à l’achat et au développement du marché. Les aléas temporels et financiers existent également. L’acheteur n’est jamais sûr du moment où il va entrer dans le bien. Ce qui veut dire que l’investisseur paie une rente tous les mois, mais n’a pas de visibilité sur la date à laquelle il va entrer en possession du bien. Il a donc une disposition du bien très limitée et aléatoire. L’exemple du cas Jeanne Calment a marqué les esprits. L’affaire est celle du fameux notaire qui avait acheté la maison de Jeanne Calment. Elle avait 90 ans au moment où le contrat avait été signé et, lui, ignorait qu’il signait un contrat avec la future doyenne de l’humanité. En effet, Jeanne Calment est morte à 122 ans et le notaire est mort avant elle. La bonne affaire réalisée par le Général de Gaulle en achetant en viager une belle demeure bourgeoise n’a jamais été évoquée par les experts. Serait-il immoral d’évoquer un homme d’État ayant réalisé un gain financier en achetant en viager ? Probablement, même encore aujourd’hui. Cet achat représente un engagement sur toute la durée de vie du vendeur, ce qui veut dire que l’achat engage aussi les héritiers de l’acheteur en cas de décès. Les risques, pour l’acheteur, d’une perte de l’ensemble de son investissement en cas de difficultés financières sont réels. En effet, s’il se trouve dans l’impossibilité de payer la rente viagère, l’acheteur perd le bien et ne peut récupérer les sommes déjà versées. C’est le risque le plus important pour l’acquéreur. 64 le viager d’aujourd’hui QUELS SONT LES AVANTAGES POUR LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS ? Pour des investisseurs institutionnels, la mutualisation leur permet de réduire les risques de leurs engagements. En réunissant plusieurs viagers dans un même portefeuille, ils vont lisser les effets liés au décès des crédirentiers. Plus le nombre de lignes sera important dans le fonds viager, plus la gestion du risque et de la rentabilité sera maîtrisée. Du côté de l’investisseur, cette notion de liquidité est aussi très importante, car elle représente une contrainte assez forte, pour ce dernier, qui doit s’assurer d’avoir des liquidités suffisantes pendant quinze à vingt ans, afin de garantir son achat. Les avantages du viager, pour l’investisseur, sont ceux d’offrir la possibilité d’acheter un actif moins cher, et « décoté » par rapport aux prix proposés par le marché. L’un des avantages, pour les investisseurs institutionnels, est l’absence de la contrainte morale, contrairement aux particuliers. QUELS SONT LES INCONVÉNIENTS POUR LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS ? Le marché est, encore aujourd’hui, un marché de niche, ce qui rend les stratégies des grands acteurs assez peu visibles. Il n’est pas du tout certain que le marché soit suffisamment profond pour offrir la surface nécessaire à un investisseur institutionnel. Aujourd’hui, tous ces fonds d’investissement recherchent des biens dans de grandes métropoles. Leur objectif est d’acquérir des actifs bien localisés dans le but de les revendre à terme. Mais il n’y a pas forcément en face les produits qu’ils souhaitent. Nous imaginons mal un institutionnel acquérir une ferme dans le limousin. Les contraintes du viager immobilier côté investisseur institutionnel peuvent être synthétisées de la façon suivante : ◗ la présence d’un aléa trop important pour des investisseurs institutionnels ; ◗ le viager est un marché de niche qui requiert des compétences très pointues ; ◗ le manque de liquidités du marché et le manque d’acteurs sur ce marché ; ◗ l’absence de primes de risque. 65 résidentiel IL Y A UNE RÉELLE NÉCESSITÉ À COMMUNIQUER AUTOUR DU VIAGER, DANS UN BUT PÉDAGOGIQUE, EN LE DÉMYSTIFIANT. Il faut veiller à assurer les investisseurs contre un paiement trop long de la rente, en mettant en place une prime par rapport à l’investissement, qui serait une sorte de relais repris par la structure en cas de dépassement de durée de versement de rente. Une autre contrainte réside dans les frais de gestion pour les investisseurs, souvent trop élevés par rapport aux profits qui en résultent, ainsi qu’un arsenal législatif lourd à supporter pour les établissements bancaires et les courtiers, par exemple. COMMENT DÉVELOPPER LE MARCHÉ DU VIAGER IMMOBILIER ? COMMENT DIMINUER CES CONTRAINTES ACTUELLES ? Différentes mesures pourraient être mises en œuvre pour rendre le viager plus attractif. Il y a une réelle nécessité à communiquer autour du viager, dans un but pédagogique, afin d’attirer les acheteurs et les vendeurs potentiels, en le démystifiant et en lui ôtant sa charge culpabilisatrice. Il semble donc primordial d’informer les Français sur ce type d’opération immobilière et ses bénéfices économiques, qu’ils ne connaissent pas forcément. Les notaires ont un rôle à jouer auprès de leurs clients, en les accompagnant et en les informant sur les mécanismes du viager. Les incitations fiscales ont aussi leur importance. Une des mesures serait, ainsi, de réduire les impôts sur la rente perçue ou versée. Offrir de meilleures garanties aux vendeurs, pour le paiement de leur rente, est un des leviers incitateurs. La loi protège parfaitement le crédirentier au détriment du débirentier. Encourager la présence d’investisseurs institutionnels sur le marché du viager est également à recommander. Ainsi, par la mutualisation, l’investisseur diminue son risque de pertes financières sur la durée. En outre, il faut envisager l’introduction d’un droit de rétractation par le vendeur à plusieurs reprises. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 Enfin, une simplification des processus, via un allègement du droit pour le vendeur et l’établissement de règles de calcul simples, peut être envisagée. Les principales contraintes du viager sont d’ordre financier et temporel, en raison du caractère aléatoire de l’achat. La contrainte de la capacité de financement pourrait être surmontée en changeant le rapport des banques au viager. L’acheteur doit être certain de pouvoir verser des rentes pendant toute la durée de la vie du vendeur, information qu’il ne connaît pas au moment de l’achat. Cela a aussi pour effet d’exclure du marché du viager nombre d’acheteurs potentiels et de s’adresser seulement aux cadres et CSP supérieures de plus de 40 ans. Du côté du vendeur, le risque est d’avoir à supporter un acheteur qui ne serait pas régulier dans ses paiements. Une autre mesure, pour réduire le caractère aléatoire de l’achat, serait d’établir un tableau de normes, qui stipulerait qu’entre tel et tel âge, il y aurait une décote, d’une valeur « x », sur le bien par rapport à la valeur de marché. Il apparaît que les seules mesures qui attireraient les investisseurs tiennent à la défiscalisation. Pour développer le marché, il faut inciter par des mesures fiscales plus attractives et s’assurer que la puissance publique n’intervienne pas trop. Un autre élément important, qui explique le faible développement de ce marché et l’attraction toute relative qu’il opère sur les investisseurs, est le rapport à la mort et à l’argent. Les facteurs psychologiques et le lien que les acteurs (personnes physiques, uniquement) entretiennent avec la mort sont importants, sur ce marché, et sont les principaux éléments qui déterminent le comportement des acteurs, surtout celui des investisseurs. Avant l’aspect rationnel et lucratif d’un investissement, ce sont bien des facteurs irrationnels et psychologiques qui règlent le marché. La contrainte psychologique est forte, pour le vendeur, par rapport au non-paiement des rentes. Pour l’acheteur, le rapport à la mort est un aspect psychologique qui peut effrayer. On fait le pari sur la mort d’une personne. Ça peut rendre les gens réfractaires à l’achat. L’approche de la mort est toujours difficile à appréhender, en France. Les aspects éthiques et culturels semblent donc dominer le comportement d’une partie des acteurs et peut expliquer le faible développement de ce marché. Ainsi, la solution serait de communiquer, changer l’image du viager et le démystifier en revenant à la définition de départ, celle de ne pas taxer ce qui est fondé sur l’aléa de la vie moyennant une soulte (un capital) et une rente. Il résulte de ces facteurs culturels et du tabou relatif à l’argent et à la mort que le marché 66 le viager d’aujourd’hui L’ALLONGEMENT DE LA DURÉE DE VIE EST UN FACTEUR QUI VA INCITER LES GENS À TROUVER DES RENTES, PAR LE VIAGER, POUR FINANCER LEUR RETRAITE. du viager est un marché mal connu, victime de préjugés et de craintes importantes, ce qui en fait un marché de niche et de spécialistes. Face à l’offre potentielle importante, l’explication à la taille modeste du marché est le déficit important du côté des acquéreurs. QUEL AVENIR POUR LE VIAGER IMMOBILIER ? Est-il simple de se projeter sur un placement aléatoire alors que nous sommes dans des sociétés incertaines (économiquement, géopolitiquement…). Pour certains, le viager ne peut que progresser, en raison de la part croissante du nombre de retraités dans la population totale française et des difficultés de plus en plus grandes qu’une partie d’entre eux rencontrent pour payer leur retraite. Pour d’autres, le marché du viager reste un marché de niche et de spécialistes, qui ne se développera qu’à la condition de mesures fiscales intéressantes, pour le vendeur comme pour l’acheteur. Les populations qui s’engagent dans un viager traditionnel ont besoin de liquidité immédiate. Celles concernées par le viager hypothécaire ont besoin de solutions alternatives, et non définitives, avec évidemment des montants moindres en raison de la capitalisation des intérêts. De plus, la population est de plus en plus vieillissante, en France, et les besoins vont grandissants pour financer la santé, par exemple. L’espérance de vie est plus grande et les héritages sont de plus en plus tardifs. Ces constats indiquent que les jeunes doivent, contrairement à leurs aînés, prendre en charge les études de leurs enfants et la vieillesse de leurs parents, qui n’ont pas de retraite confortable. La génération d’aujourd’hui a besoin de rendre liquide le patrimoine immobilier lorsque cela est possible. Pour ces raisons, les systèmes de viager ont donc de l’avenir. L’environnement économique et social, marqué par un vieillissement de la population, un allongement de la fin de vie, des difficultés grandissantes d’une partie des retraités à subvenir à leurs besoins et un nombre croissant de personnes sans héritiers (couples remariés qui souhaitent déshériter leur descendance, couples gays, sans enfants), serait donc propice au développement du viager. Compte tenu du nombre croissant de seniors dans notre population et des retraites déconnectées par rapport au niveau de ressources perçues durant la vie active, le viager est une vraie façon de compléter les revenus. Les retraites vont être un réel problème, auquel il faudra répondre par des propositions alternatives de complément de revenus. Par ailleurs le taux de propriétaires reste stable à 58 %. Ce sont donc 58 % de gens qui peuvent proposer leur bien en viager, même s’il y a cette question de la transmission. L’allongement de la durée de vie est un facteur supplémentaire, qui va inciter les gens à trouver des rentes. Il existe trois millions de résidences secondaires, en France. On peut ajouter ce résultat aux 58 % de propriétaires de résidence principale. Ces propriétaires seront, un jour, potentiellement vendeurs de leur bien en viager. De plus, le viager est une piste que les pouvoirs publics semblent jusqu’à présent ne pas avoir explorée. Il est un gisement à exploiter en France. D’autres, essentiellement des analystes de fonds d’investissement, sont plus sceptiques quant à l’avenir de ce marché. De plus, le marché du viager reste un marché de connaisseurs et de niche, qui ne parviendra à se démocratiser qu’à la condition de mesures fiscales incitatives et d’une évolution des mentalités face à la mort et à l’argent. Le marché français reste très réduit en termes de mises en vente. Les marchés anglo-saxons sont bien plus importants. Néanmoins, avec l’allongement de la durée de vie, les ménages vont de plus en plus se familiariser avec les rentes. Enfin, grâce à un marché immobilier qui s’est beaucoup valorisé, depuis une quinzaine d’années, les rentes, aujourd’hui, sont plus avantageuses que jamais pour les crédirentiers. En se démocratisant, le viager immobilier va devenir un produit d’avenir. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 n° 89 69 RÉGIONS CARTES EN MAINS : L’IMMOBILIER RÉSIDENTIEL EN GIRONDE Par la Direction des études, Crédit Foncier Immobilier. L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 70 9 CARTES EN MAINS : L’IMMOBILIER RÉSIDENTIEL EN GIRONDE 71 régions ENVIRONNEMENT RÉGIONAL : DENSITÉ DE LA POPULATION, REVENUS DES MÉNAGES DENSITÉ DE POPULATION EN GIRONDE REVENUS ANNUELS MOYENS DES MÉNAGES Carte 1. Densité de population par établissement public Carte 2. Revenus annuels moyens des ménages (Source : Insee – Direction des études, Crédit Foncier Immobilier – 2011 ; de coopération intercommunale (EPCI) en Gironde carte réalisée avec Cartes & Données – © Articque.) (Source : Insee – Direction des études, Crédit Foncier Immobilier – 2011 ; carte réalisée avec Cartes & Données – © Articque.) Par la Direction des études, Crédit Foncier Immobilier. Poitiers Poitiers Limoges Limoges Bordeaux Bordeaux Revenus moyens annuels Densité de population (en hab./km2) INTRODUCTION de 24 426 € à 28 790 € de 5,8 à 22,6 de 28 790 € à 31 581 € de 22,6 à 31,1 de 31 581 € à 35 867 € de 31,1 à 40,6 de 35 867 € à 47 675 € de 40,6 à 61,5 de 61,5 à 117,8 de 117,8 à 1 619,4 I nternationalement connue pour l’excellence de ses crus, la Gironde l’est moins pour son marché immobilier. Dans ce nouveau format d’article, nous vous invitons à une visite détaillée de ce beau département : population, revenus, parc immobilier, construction neuve, activité du marché de l’ancien, prix, délais de vente, toutes ces problématiques seront abordées au travers de cartes et de graphiques, aussi synthétiques que possible. Forces et faiblesses de la Gironde ? À vous d’en juger, notamment au travers des comparaisons régionale et nationale, qui nous serviront de conclusion. La représentation de la densité par communauté d’agglomération et de communes permet de situer les zones où le marché du logement s’est développé à la fois historiquement et plus récemment. Le zoom sur le département de la Gironde met en évidence la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) mais aussi les agglomérations limitrophes au nord et au sud, celles de Libourne et du sud du Bassin d’Arcachon. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 La représentation du niveau de revenus des ménages par communauté urbaine, d’agglomération et de communes permet de distinguer les zones où le marché du logement est plus en capacité de se développer. – Les revenus par ménage les plus élevés sont situés dans les 3 capitales régionales ou au moins dans leur périphérie. – S’y ajoutent également les agglomérations de Niort, La Rochelle, Royan, Angoulême, Brive, celles situées autour du bassin d’Arcachon, la Côte Basque et une partie de la Côte Landaise, Mont de Marsan, et Pau, ainsi que sa Périphérie. 72 l’immobilier résidentiel en gironde ENVIRONNEMENT RÉGIONAL : PARC IMMOBILIER 73 régions MARCHÉ DU LOGEMENT ANCIEN EN GIRONDE LE PARC DE LOGEMENTS À BORDEAUX ET EN GIRONDE Figure 4. Prix médians au mètre carré des appartements anciens depuis 2009 Figure 1. Le parc de logements en Gironde (Sources : Notaires de France ; université Paris –Dauphine ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier.) (Source : Insee – Direction des études, Crédit Foncier Immobilier – 2011.) 3 300 € 6 % 3 100 € 9 % 2 % 10 % 48 % 25 % Résidences principales occupées par les propriétaires Résidences principales occupées par les locataires du secteur privé Résidences principales occupées par les locataires des secteurs HLM Résidences principales vacantes Résidences secondaires ou de vacances Autres 2 900 € 2 700 € 2 500 € 2 300 € 2 100 € Figure 2. Le parc de logements dans la CUB 2009 2010 (Source : Insee – Direction des études, Crédit Foncier Immobilier – 2011.) 5 % 2 % 2 % 16 % 42 % 33 % 2011 Gironde Résidences principales occupées par les propriétaires Résidences principales occupées par les locataires du secteur privé Résidences principales occupées par les locataires des secteurs HLM Résidences principales vacantes Résidences secondaires ou de vacances Autres 2012 Haute Garonne Malgré la crise, les prix médians au mètre carré des appartements ont enregistré une hausse légère mais constante 2013 2014(1) Loire Atlantique sur la Gironde, partant d'un niveau, il est vrai, plus bas que ceux de la Haute Garonne et de la Loire Atlantique. Figure 5. Prix médians au mètre carré des maisons dans l’ancien depuis le 2009 (Sources : Notaires de France ; université Paris –Dauphine ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier.) 3 500 € 3 300 € 3 100 € Figure 3. Le parc de logements à Bordeaux 2 900 € (Source : Insee – Direction des études, Crédit Foncier Immobilier – 2011.) 2 700 € 2 500 € 7 % 3 % 2 % 11 % 28 % Résidences principales occupées par les propriétaires Résidences principales occupées par les locataires du secteur privé Résidences principales occupées par les locataires des secteurs HLM Résidences principales vacantes Résidences secondaires ou de vacances Autres 49 % Les résidences principales privées représentent 77 % des logements à Bordeaux contre 75 % dans la CUB et 73 % en Gironde. Le secteur locatif privé représente 49 % des logements à Bordeaux contre 33 % dans la CUB et 25 % en Gironde. 2 300 € 2 100 € 1 900 € 1 700 € 2009 2010 2011 Gironde Haute Garonne Sur l’agglomération bordelaise, les prix médians des maisons sont également orientés à la hausse depuis cinq ans, étant remarqué qu'ils se situent nettement (1) Moyenne des transactions des 9 premiers mois de l'année. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 2012 2013 2014(1) Loire Atlantique plus haut que ceux des départements voisins, la maison étant un produit très apprécié sur l'agglomération bordelaise. 74 l’immobilier résidentiel en gironde 75 régions MARCHÉ DU LOGEMENT ANCIEN EN GIRONDE MARCHÉ DU LOGEMENT ANCIEN EN GIRONDE Figure 6. Prix moyens au mètre carré des appartements anciens sur les 12 derniers mois Figure 8. Prix moyens à l’unité des maisons anciennes sur les 12 derniers mois (Sources : Les Prix Immobiliers ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier - septembre 2014.) (Sources : Les Prix Immobiliers ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier - septembre 2014.) 4500 700 000 4000 3500 600 000 3000 500 000 2500 400 000 2000 300 000 1 500 200 000 1 000 500 100 000 0 Studios / 1 pièce 2 pièces 3 pièces France 4 pièces Aquitaine 5 pièces Gironde 6 pièces et plus Ensemble 0 3 pièces et moins Bordeaux 4 pièces 5 pièces France 6 pièces Aquitaine 7 pièces Gironde 8 pièces et plus Bordeaux Les prix au mètre carré des appartements anciens en Gironde et dans une moindre mesure à Bordeaux sont encore presque toujours inférieurs à la moyenne nationale. En Gironde, les prix des maisons anciennes sont légèrement plus élevés que la moyenne nationale. Figure 7. Délais de vente moyens des appartements anciens sur les 12 derniers mois (en jours) Figure 9. Délais de vente moyens des maisons anciennes sur les 12 derniers mois (en jours) (Sources : Les Prix Immobiliers ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier - septembre 2014.) (Sources : Les Prix Immobiliers ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier - septembre 2014.) 300 140 250 120 Ensemble 100 200 80 1 50 60 100 40 50 20 0 Studios / 1 pièce 2 pièces 3 pièces France 4 pièces Aquitaine 5 pièces Gironde 6 pièces et plus Ensemble Bordeaux 0 3 pièces et moins 4 pièces 5 pièces France Les délais de vente sont sensiblement plus longs en Gironde. En revanche ils sont plus courts pour les appartements de 4 pièces et plus à Bordeaux. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89 6 pièces Aquitaine Gironde 7 pièces 8 pièces et plus Ensemble Bordeaux Si les maisons de petite taille sont difficiles à vendre, le produit de 4 à 7 pièces demeure une valeur sûre à Bordeaux. 76 l’immobilier résidentiel en gironde 77 régions MARCHÉ DU NEUF EN GIRONDE MARCHÉ DU NEUF EN GIRONDE Carte 3. Nombre de logements mis en chantier en 2012 Carte 4. Croissance du parc de logements Figure 10. Prix moyens au mètre carré des appartements neufs sur les 12 derniers mois (Source : Sit@del2; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier.) (Source : Sit@del2; Insee ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier.) (Sources : Les Prix Immobiliers ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier - septembre 2014.) 6 000 € 5 000 € Poitiers 4 000 € Poitiers 3 000 € Limoges 2 000 € Limoges 1000 € 0 Studios / 1 pièce Bordeaux 2 pièces 3 pièces France Bordeaux Aquitaine 4 pièces Gironde 5 pièces Bordeaux Excepté les studios, les prix au mètre carré des appartements en Gironde restent inférieurs à la moyenne nationale. Un effet de rattrapage n'est pas à exclure, à court et moyen terme. Figure 11. Délais de vente moyens des appartements neufs sur les 12 derniers mois (en nombre de jours) (Sources : Les Prix Immobiliers ; Direction des études, Crédit Foncier Immobilier - septembre 2014.) Nombre de logements mis en chantier pour 1 000 logements existants de 0 à 4,9 de 4,9 à 7,6 de 7,6 à 10,4 de 10,4 à 36,2 Nombre de logements mis en chantier 4 983 2 492 60 50 40 30 20 1 246 10 0 Le nombre de logements mis en chantier et leur incidence sur le parc de logements permettent de mettre en avant les marchés en croissance forte. Studios / 1 pièce 2 pièces 3 pièces France Aquitaine 4 pièces Gironde 5 pièces Bordeaux Hormis sur le segment des 3 pièces, le marché des appartements neufs est plus actif en Gironde. À noter l'excellente liquidité des 2 pièces sur Bordeaux. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 89