Par Les Villages, de Peter Handke

Transcription

Par Les Villages, de Peter Handke
Par Les Villages, de Peter Handke
« La scène n’est pas un monde, pas plus que le monde n’est une scène.»
Peter Handke « Outrage au public »
Mise en scène de Jean Baptiste Delcourt
Un texte de Peter Handke
Traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldshmidt
Avec : Taïla Onraedt
Aurélien Labruyère
Jeanne Dailler
Angèle Baux Godard
Technique : Matthieu Delcourt
Une production de F.A.C.T avec le soutien de Probedones d’Abaigt.
Résumé de la pièce:
Par les villages se déroule dans le cadre de retrouvailles entre frères et sœurs, au moment de l’héritage et du partage de la maison familliale alors que les parents viennent
de mourir. Gregor, qui est l’ainé, parti depuis de nombreuses années, s’est établi en ville
où il est devenu écrivain. Sophie et Hans, sont restés au village et mènent une vie tout
autre. Leurs trajectoires et leurs conditions sociales sont opposées. La confrontation de
deux mondes est mise en marche alors qu’une troisième voix s’élève ; celle de Nova.
Par les villages est un poème dramatique dans lequel Peter Handke, par le biais de Gregor, évoque les maux et les confusions de la société actuelle. Au travers de cette lutte
familiale, l’auteur emmène le spectateur à se forger sa propre vision de notre monde et
de l’humanité. Pour lui, c’est notre regard qui crée le réel et, plus encore, les mots qui
nous viennent pour le décrire. Cette lutte est un prétexte à la parole de Nova qui ne
proclame aucune vérité nouvelle mais annonce un regard nouveau. « Laissez s’épanouir
les couleurs ».
Extrait:
Nova – [...] Marchez dans la grande plaine où les trous des poteaux s’alignent déjà, proches les couleurs, lointaines les formes, les couleurs à vos pieds, éclatantes, les formes
dans vos têtes, la force qui vous tire, formes et couleurs vous protègent. Nos épaules
sont là pour le ciel et le courant entre ciel et terre passe par nous.
Allez lentement et ainsi devenez vous-mêmes la forme sans laquelle aucun lointain ne
se découpe : sans contours vous n’en êtes pas les maîtres. Et ne croyez pas aux montées
raides, elles sont une affaire d’humeur – les sommets les plus hauts on ne peut pas les
conquérir, on ne peut qu’y monter en promenade.
Entrez dans l’instant du soleil levant qui sera votre mesure : rien que “le soleil et vous”,
et le soleil vous fait signe de continuer : le soleil aide.
La nature c’est la seule chose que je puisse vous promettre – la seule promesse sûre. En
elle, rien n’est “fait de” comme dans le monde des jouets, où on est toujours obligé
de demander : “Et maintenant ?” Elle ne peut être ni refuge ni issue. Mais elle est le
modèle et c’est elle qui donne la mesure : seulement, il faut la prendre tous les jours.
Le papillon jaune est le cœur du bleu du ciel. La pointe de l’arbre est l’arme libératrice.
Soyez convaincus – suivez des yeux la trajectoire sans projectile – regardez. Les nuages qui passent, même chassés par le vent, ils vous ralentissent. Quand, par la force du
fleuve qui vibre au loin, mon cœur tressaille en moi, alors seulement j’existe.
Peter Handke
Par les villages, trad. Georges-Arthur Goldschmidt, coll. «Le Manteau d’Arlequin»
Note d’intention
Projet de mise en scène en décor naturel , avec quatre acteurs , une musicienne et un plasticien à partir
d’extraits de « Par Les Villages » de Peter Handke.
Travailler Par les villages pour parler de la violence d’un monde confus où nous échappe ce qui peut
nous rendre heureux ainsi que nos moyens de lutter. Dans une époque où seul nous parvient le discours d’une société globale, ce texte sous la forme d’un grand poème dramatique permet d’aborder un
autre point de vue . C’est à la fois une confrontation et une réconciliation entre deux mondes qui est en
marche. Le texte permet d’ouvrir une porte, de retrouver une pensée singulière pour ne pas se perdre
trop vite.
On signale à l’entrée de chaque village ce qu’il nous faut y voir : « l’un des plus beau villages de France,
village fleuri, village bien-être , point de vue splendide, balade à couper le souffle » faisant par ce fait de
chaque endroit un lieu de représentation : ne peut-on pas nous-même être libres de voir ce que nous
avons envie ? Sommes-nous perdus au point que tout nous soit indiqué, voire pré-mâché ? Un village,
une ville un arbre un être ne peuvent -ils pas être là pour eux mêmes ? dans une société du spectacle où
tout en uniformisant les goûts, on isole l’individu, il faut redonner son poids à la pensée singulière.
Il faut travailler sur le retour aux origines et sur notre rapport actuel à la nature , à son rythme, et parallèlement, à la nécessité active de l’art. S’éloigner de l’espace de scène , de ses conventions traditionnelles pour ne garder que la présence brute du face-à face avec le public. Nous vivons avec les spectres
de notre histoire et ils influent et dialoguent avec notre temps .
Le théâtre est peut être devenu lui aussi un château hanté où les textes sont les échos d’autres textes,
et où les histoires se répondent en miroir . Ce texte est une guerre après les guerres et possède une
puissante symbolique, qui nous dit l’urgence de vivre, de désirer, de comprendre, de tolérer, de dire et
d’aimer, avant qu’il ne soit trop tard.
Le travail que j’ai mené avec l’équipe va dans le sens de l’appropriation et de l’affirmation par chacun
et de son engagement dans cette parole pour que s’éloigne la doctrine et les pensées brevetées. Les acteurs sont à la fois face et parmi les gens car dans ce texte on ne peut pas simplement dire je ou vous.
La scénographie tire son parti dans la réactivation de l’espace qui est déja présent, c’est à dire une
maison, un champ, un lieu particulier qui possède déjà une histoire. Par de petites interventions dans
le paysage, la sélection de cadres ou l’ajout d’objet nous essayons sur chaque endroit de ranimer des
mystères. Dans un espace qui n’est à priori pas un lieu de représentation, et qui s’efface petit à petit
dans l’utilité de la vie, essayer d’en provoquer des qualités imaginaires. Le travail sonore, est pensé de
la même maniere. Les sons, joués ou diffusés de maniere indirecte en utilisant la réverberation naturelle, le lointain, le proche, viennent perturber et animer le lieu.
Ce poème dramatique ne prend sens qu’ avec la particularité de l’endroit ou il a lieu et par ceux qui
sont là pour le regarder.
« La liberté de vos rêves ne doit pas céder à la logique de la scène ».
Peter handke
Première résidence de création
Le projet à débuté en juillet 2013 à l’occasion d’une résidence au Mas Probedones d’Abaigt regroupant
plusieurs compagnies . L’association Probedones d’Abaigt invite de jeunes compagnies européennes (Belgique, France, Espagne) pour une résidence de création et de recherche artistiques au Mas Probedones
d’Abaigt, dans le village de Saint Laurent-de-Cerdans, dans les Pyrénées Orientales. Cette résidence se
développe sur deux angles : le partage entre différentes compagnies, leurs recherches et leur travail et
la rencontre de ces compagnies avec les populations locales, notamment les habitants du village Saint
Laurent-de-Cerdans.
L’objectif a donc été de prendre en compte le lieu et les personnes . Lorsque j’ai découvert le texte de
«Par les villages», sa thématique m’a tout de suite frappé tant elle semblait dans la ligne de notre propre
démarche : nous mêmes, retournant dans des lieux comparables à ceux de notre enfance, de la même
manière que Gregor.
L’importance dans le texte de la fracture entre frères et sœur serait comparable aux préoccupations que
nous avions nous sur (le théâtre, l’art, etc.) et les attentes des gens vivant dans un endroit ou il y a moins
d’accès à la culture et à la création (l’endroit étant très reculé).
Je pense donc que l’essentiel du travail que nous avons fait à été de trouver un moyen, des moyens par
lesquels faire passer et entendre ce texte de manière simple. Mettre en valeur un patrimoine qui n’était
pas le nôtre, là ou nous arrivions . C’est quelque chose d’arriver chez des gens et de leurs dire : « Tiens je
vais vous raconter une histoire ».
Cette pièce épique et lyrique, bien qu’en prise frontale avec le réel est exigeante dans sa mise en situation.
Il faut prendre à contrepied la distanciation que l’on peut attendre de ce discours aux faux airs Brechtiens
(que l’auteur dénie vigoureusement : « Je n’en ai rien à foutre de Bertolt Brecht : il était didactique. Il
voulait changer le monde, et je me moque d’une telle ambition. ») mettant dos à dos ouvriers et intellectuels dans un monde scindé, que seule la poésie peut réunir.
Nous voulons jouer cette pièce dans des endroits reculés, car c’est là qu’elle prend le plus de sens, sortir
des théâtres pour aller rencontrer les gens et venir vers eux, à leur découverte.
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