Le mythe de Sisyphe - Un Cours en Miracles version Urtext
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Le mythe de Sisyphe - Un Cours en Miracles version Urtext
Le mythe de Sisyphe …ou l'histoire d'un rocher qui finit toujours par se casser la figure Par Ken Wapnick (extrait de From futility to happiness, Sisyphus as everyman) Si vous avez suivi l'option latin-grec au lycée, si vous avez écouté religieusement les cours de philosophie qui vous ont été dispensés en classe au cégep, ou mieux si vous avez le minimum requis de culture générale pour passer les sélections de « Questions pour un Champion », vous devez connaitre le mythe de Sisyphe. Ce fils d'Éole fut puni par le coléreux Zeus. Il avait bafoué une loi divine et fut donc condamner à faire rouler indéfiniment un énorme rocher jusqu'au haut d'une colline, et une fois le sommet atteint, avant que ledit rocher puisse dévaler la pente opposée, il déboulait jusqu’à la plaine et Sisyphe devait alors se remettre au boulot. Nous sommes tous des Sisyphe modernes, et moi le premier, même si je me plais parfois à naviguer dans les méandres d'une vaine illusion qui me garderait de ce funeste dessein... Contrairement à Sisyphe, je ne saisis pas, à première vue, quel forfait j'aurais bien pu commettre pour mériter un tel châtiment, mais en poussant un tant soit peu la réflexion, je pourrais certainement le trouver puisque je suis encore loin de l'état de sainteté. J'avais, dans le temps, expliqué à quelqu'un pourquoi le mythe de Sisyphe m'inspirait plus qu'un autre dans le cadre d'une éventuelle identification de ma petite personne, malgré un fond pessimiste latent qui ne cadre pas forcément avec mon tempérament. Quel triste sort en effet que d'être destiné à pousser perpétuellement le rocher... Dans un trait d'imagination, j'avais évoqué le thème des rencontres, qu'elles soient cybernétiques ou non, qui me paraissait bien cadrer avec le mythe du Roi de Corinthe. - Je pousse le rocher = Je discute avec une fille sur internet, je la trouve intéressante, sympathique, etc. - Je parviens en haut de la colline = Wow ! Cette fille est vraiment bien ! Pourquoi ne pas la rencontrer ? - Le rocher déboule la colline = J'ai rencontré la fille. En fait, cette fille n'était pas célibataire, elle avait 36 ex petits copains, elle a menti sur son physique, ou de visu elle était nettement moins intéressante que sur internet, allez savoir pourquoi ! Bref, grosse désillusion ! Le rocher déboule lourdement, très lourdement parfois. Cette métaphore se décline à l'infini, en fonction des significations que l'on veut bien lui donner. Entre autres exemples : - Je pousse le rocher = J'ai rencontré quelqu'un, j'ai l'impression que cela se passe plutôt bien, nous apprenons à nous découvrir mutuellement. C'est plutôt grisant. - Je parviens en haut de la colline = Je suis amoureux. - Le rocher retombe de la colline = Il y a un hic dans le rouage, le rouage se bloque, tout est fini. Retour à la case départ, et dans ce jeu-là, pas de passage par le casier banque, récolter 200 comme au jeu de Monopoly (au moins c’eût été intéressant !): Le rocher s'écrase avec fracas...Badaboom ! Je ne sais pas pourquoi, j'ai affreusement mal au crâne. Je crois bien que sans m'en rendre compte, j'ai pris un bon gros rocher dans la gueule... Poussé par quelqu'un. Le mythe antique de Sisyphe Sisyphe, et ce depuis l'ère homérique où les premières de lui apparaissent, nous a été dépeint à travers des aventures diverses et sous différents traits. Fils d'Éole, il appartient à la race de Deucalion. Il est roi mythique de Corinthe nommée alors Éphyre (Homère, Iliade, VI, 152), après avoir succédé à Corinthos dont il châtie les assassins (Nicolas de Damas, fr. 36), ou encore à Médée dont il reçoit le pouvoir lorsque celle-ci doit quitter précipitamment la ville (Eumélos, fr. 2 = Pausanias, II, 3, 10-11). Rusé, Sisyphe l'est apparemment plus que tous les mortels ; la légende de ce héros comprend, en effet, plusieurs épisodes, dont chacun est l'histoire d'une rouerie. Selon certains, il est prévoyant au point d'avoir gravé son nom sous le sabot de chacun des animaux de son troupeau ; il fait valoir ses titres à Autolycos qui les lui a volés et parvient à devenir l'amant d'Anticlée, fille de ce dernier, la veille même de son mariage avec Laërte (La Souda, s. v. Sisyphos). Il conçoit d'elle un fils, Ulysse (Sophocle, Inachos, 21). Une autre version nous apprend qu'apercevant un jour un aigle immense qui emportait une jeune fille, Égine, vers une île voisine, il reçoit peu après la visite du dieu fleuve Asopos qui cherche en vain son enfant. Sisyphe, avisé de l'enlèvement, lui offre de l'instruire s'il reçoit de lui une eau jaillissante pour la citadelle de Corinthe. Aux foudres célestes que son chantage pourrait provoquer, il préfère la bénédiction de l'eau. C'est ce qui attire la colère du maître des dieux, Zeus, lequel le précipite aux Enfers où il lui impose comme châtiment de rouler éternellement un énorme rocher jusqu'au sommet d'une pente d'où il redescendra aussitôt (Phérécyde de Léros, fr.119). Le motif de cette expiation s'avère différer selon les versions. En effet, Zeus, courroucé par la dénonciation de Sisyphe, lui envoie le génie de la mort, Thanatos. Mais futé, Sisyphe parvient à l'enchaîner, si bien que pendant quelque temps aucun homme n'est confronté à la mort. Ne pouvant supporter ce spectacle inconcevable et inquiétant, Zeus dépêche le dieu de la guerre afin de délivrer la Mort des mains de son vainqueur. La première victime de celle-ci est naturellement Sisyphe (Théognis de Mégare, Élégies, 699-714). Mais loin d'accepter son sort, il enjoint secrètement sa femme de jeter son corps sans sépulture au milieu de la place publique. Proie de l'impiété de celle-ci aux yeux des dieux des Enfers, il obtient la permission de revenir sur terre pour la châtier. Revenu en ces lieux où la splendeur des choses et le plaisir des sensations le retiennent, il ne désire plus retourner dans l'ombre infernale et continue à vivre pleinement pour des années encore dans ce monde gorgé de jouissances et de délices. Mais lorsqu'il meurt pour de bon, les dieux des Enfers, désireux d'éviter toute nouvelle évasion, lui imposent une tâche qui ne lui laisse aucun loisir et aucune possibilité de fuite (Phérécyde de Léros, fr.119) Ailleurs encore, Sisyphe qui hait son frère Salmonée, demande à l'oracle d'Apollon de quelle façon il pourrait tuer son « rival ». Celui-ci lui révèle alors qu'il trouvera des vengeurs s'il donne des enfants à sa propre nièce, Tyro, fille de Salmonée. Sisyphe devient donc l'amant de la jeune femme et lui donne des jumeaux. Apprenant la prophétie, celle-ci tue de ses propres mains ses jeunes fils (Hygin, Fables, 60, 239 et 254). Dans cette version, la tradition, lacunaire, nous plonge directement dans les profonds Enfers où Sisyphe se fatigue sous le poids de la roche (Homère, Odyssée, XI, 593-600. Encore chez Cicéron, Tusculanes, I, 5, 10). Enfin, Sisyphe est parfois reconnu comme le fondateur des jeux Isthmiques en l'honneur du décès de son neveu Mélicerte, fils de son frère Athamas et qui avait été jeté à la mer par sa belle-soeur, Inô, devenue folle (Pindare, Odes triomphales, fr. 4). Notre héros a pour épouse Méropé, l'une des Pléiades, filles d'Atlas, la seule qui ait épousé un mortel (Ératosthène, Les Catastérismes, 23). Parmi sa descendance, nous comptons notamment un fils (Hellanicos, fr. 19), Glaucos, et Bellérophon, le fils de ce dernier (Apollodore, Bibliothèque, I, VII, 3). Ce corpus antique, riche en descriptions qui évoquent le personnage de Sisyphe et les épisodes relatifs à sa vie, manifeste l'existence d'une bipolarité touchant non seulement la trame événementielle mais encore les moeurs et le caractère du héros. En effet, coupable, Sisyphe l'est pour avoir offensé les dieux. Ou bien il a trahi leur secret, en croyant rester impuni - c'est le cas de la dénonciation du rapt d'Égine pour recevoir une source jaillissante, ou il a rusé avec la Mort, méritant d'être traité comme le sont les usurpateurs de la puissance divine lorsqu'il enchaîne Thanatos, dieu venu le rechercher sur terre ; ou enfin, bien conscient de sa ruse, cet homme trop heureux de vivre s'est cru au-dessus de la condition mortelle. Et cela concerne non seulement les duperies faites à Autolycos et son troupeau, à Salmonée, son frère détenteur du trône au même titre que lui, mais encore les liaisons illégitimes qu'il a tramées pour parvenir à ses fins. En revanche, on le trouve aussi déchargé de toute faute quand la tradition l'évoque comme une figure imposante et fondatrice. Il va de soi que la présence de dichotomies telles qu’innocence/culpabilité, vie/mort, révèle les traitements subis par le mythe de l'Antiquité et l'évolution surgie des différentes versions.