La Chine au miroir des Michaud

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La Chine au miroir des Michaud
Yu Zhang
La Chine au miroir des Michaud
C’est en 1965 que Roland Michaud, encore
amateur de photographie, voyage pour la première
fois en Chine. Malgré son désir de découvrir
l’Empire du Milieu, son voyage se limite à la visite
guidée de quelques grandes villes. Il y retourne en
1988 avec son fils, sillonne la route de la soie en
4x4, et explore la Chine profonde. Sabrina, son
épouse, le rejoint dans sa dernière série de voyages.
Après un périple de 12 ans, ils publient La Chine
dans un miroir (Flammarion, 2008), troisième volet
qui complète un dyptique consacré à de grandes
civilisations de l'Asie, avec L’Orient dans un miroir
(Hachette Réalités, 1980 ; La Martinière, 2003)
et L’Inde dans un miroir (Nathan Image, 1990),
fruit d’une quarantaine d’années de voyages. Ils
sélectionnent 81 photographies pour cristalliser
le meilleur de la Chine authentique et partager
leur vision de ce pays à travers des associations
d’images : photos contre sculptures, peintures,
xylographies ou estampes, comme une réalité et
son reflet.
Cette dernière série de voyages commence en
1995. Roland et Sabrina partent « avec un sac
photo et un bâton de pèlerin », à plusieurs reprises
pendant 12 ans. Pas d’itinéraire, mais un objectif
très clair : découvrir une Chine réelle avec son
peuple et la capturer au plus bel instant. Ils peuvent
s'arrêter aux mêmes endroits pendant des heures et
y revenir à différents moments. « Il nous est arrivé
une fois de photographier les bambous pendant
plusieurs jours, dit Roland, parce que j’ai vu un
tableau de bambous en revenant de voyage et
qu’aucune de nos photos n’en représentait la beauté
surprenante. Les bambous, il y en a partout en
Chine. Il a été difficile de retrouver la même allure
que celle de notre modèle ». Comme une illustration
du proverbe chinois « peindre un bambou en ayant
le bambou dans la tête », ils mettent de l’énergie
et de la patience à photographier leurs bambous
parfaits. « C’est pareil avec la photo de la Grande
Muraille. Bien sûr, tout le monde la compare à
un dragon, mais comment photographier un bout
de Muraille qui ait vraiment l’air d’un dragon et
qui en rappelle la puissance ? Nous avons réussi à
trouver la “queue” du dragon dans les centaines
de photos qu’on avait prises de la Grande Muraille,
mais il nous faudra encore 11 ans pour trouver sa
“tête”. » Le livre montre un dragon « composé » :
la « tête » vient d’un détail d’un rouleau de neuf
dragons appartenant au musée des beaux-arts de
Boston, tandis que la queue est une photo de la
grande Muraille de Chine.
Roland et Sabrina se contentent d'avancer, se
laissant guider au gré des rencontres hors des
pistes touristiques : « Nous avons été invités à
des mariages comme à des funérailles, parfois
par notre chauffeur qui nous emmenait dans
son village et d’autres fois par les habitants qui
nous conviaient à un événement ». L’hiver les
attirant particulièrement, ils voyagent hors saison
touristique, ce qui leur permet d’explorer une terre
lointaine et inconnue même des Chinois. Non
accompagnés au début, ils font la connaissance
de Da Hai, jeune peintre chinois qui travaille à
temps partiel comme guide touristique. Ensemble,
ils partent à la recherche d’une Chine inédite.
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Sur la gauche, peinture de Shitao (1642-1707), Pêcheur décrochant un poisson de l’hameçon, musée de Shanghai. Sur la
droite, pêcheur au fagot, province du Guangxi, janvier 2003. Sur les bords de la rivière Xun, un pêcheur ayant terminé son
fagot de bois est aussi surpris par le « long-nez » qui lui fait brusquement face que le « diable étranger » l’est lui-même
devant cette scène proche de celle peinte par le moine Citrouille-Amère (un des noms de Shitao), 304 ans auparavant.
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Monde chinois, été 2009, n° 18
« Nous avons la même sensibilité pour la nature
et pour l’art. Il s’intéresse à sa propre culture et
à ses traditions et nous découvrons beaucoup de
choses ensemble. »
Même s’ils évitent les grandes villes, Roland et
Sabrina font pourtant un détour par Hang Zhou, une
ville importante à 200 km au sud de Shanghai. Les
matins de bonne heure, ils y flânent. Les autocars
remplis de touristes étrangers vont et viennent et
pourtant les vieux du quartier les reconnaissent : ils
sont au rendez-vous dans les endroits insolites que
connaissent seulement les habitants. « Nous voyons
très et trop souvent les gratte-ciel à la télévision et
dans la presse, mais la Chine n’est pas seulement
ça. Il y a cette ville de Hang Zhou, riche et propre,
qui garde les traditions. » Néanmoins, certaines
scènes ont disparu entre le premier voyage de 1965
et ceux débutés en 1995, comme la cueillette des
châtaignes d’eau sur un lac de Hang Zhou qui ne
se pratique plus au XXIe siècle.
Les photographies de ce livre sont accompagnées
de poèmes des plus grands poètes chinois.
Voyageurs-photographes, le paysage et le peuple
inspirent à Roland et Sabrina Michaud leurs
propres poèmes ; leur carnet de voyage long de
1 750 pages est rythmé de ces « compositions ». Un
paysage le long de la rivière Yangtze « Sur le dos
d’une coccinelle/Je vois passer un immortel/C’est
le printemps » ; la province du Shaanxi « Les saules
pleurent des larmes de neige/la rivière déborde de
chagrin ».
Si les auteurs veulent établir un « miroir qui
unit le passé au présent et abolit l’espace », le
pari est réussi. Selon Cyrille J.-D. Javary, éminent
sinologue qui est l’auteur de la préface, « le regard
de Roland et Sabrina Michaud fait naître la Chine
en nous ». Leur prochaine destination ? Ah, l’Orient
c’est sûr, « il y a tellement à voir ».

Coup de cœur
« C’est sans doute cette jeune fille en couverture.
Nous visitions la grotte d’une jeune princesse de la
dynastie Tang dans le Shaanxi. Elle est morte très
jeune, et dans cette grotte il y a la fresque murale
représentant diverses scènes de sa vie. Nous avions
passé toute une journée dans la grotte, et en sortant
nous en croisâmes la gardienne. Exactement les
mêmes traits de visage et la même beauté que la
princesse que nous venions de voir ! Une beauté
pure qui avait l’air de ne pas avoir changé pendant
1 000 ans. Nous étions tellement émus que nous
nous sommes demandé s’il ne s’agissait pas d’une
réincarnation de la princesse. »
Première de couverture de La Chine dans un miroir de
Roland et Sabrina Michaud, Flammarion, Paris, 2008.
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