grossesses non voulues chez les jeunes filles de moins de 20
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grossesses non voulues chez les jeunes filles de moins de 20
RAPPORT FINAL DE L’ETUDE « GROSSESSES NON VOULUES CHEZ LES JEUNES FILLES DE MOINS DE 20 ANS » Août 2001 Gabriela PIG-LAGOS SOMMAIRE Introduction p.5 Contexte de l’étude p.5 Grossesses précoces et progrès sanitaire et social p.5 Grossesses précoces et éducation p.6 Grossesses précoces et rationalité technique p.7 Première partie : La mise en place de l’étude p.9 I. Origine et financement du projet p.10 2. Population concernée p.11 3. Méthodologie d’action p.11 3.1 La mise en place de cette étude comportait plusieurs phases p.11 3.2 Recueil des données p.13 3.3 Les difficultés rencontrées lors de ces phases préparatoires p.13 3.4 Cinq sites dans les cinq départements p.16 Le Département de la Gironde p.16 Le Département des Landes p.16 Département du Lot et Garonne p.18 Département de la Dordogne p.19 Département des Pyrénées Atlantiques p.19 3.5 Les rapports intermédiaires p.20 3.6 Travail de retranscription des entretient p.21 Deuxième partie : présentation des résultats p.22 Analyse socioculturelle p.23 I – Hypothèses p.23 2 – Les caractéristiques sociodémographiques de notre population p.24 3 – Répartition en fonction de l’âge p.25 4 – Répartition en fonction de la situation familiale p.25 5 – Répartition en fonction du lieu d’habitation p.26 6 – Répartition en fonction de la profession du père p.26 7 – Répartition en fonction de la profession de la mère p.27 8 – Répartition en fonction du niveau de formation des jeunes filles p.28 9 – L’information à propos de la sexualité (contraception) dans la famille et dans les établissements scolaires p.29 10 – Connaissance de la contraception p.30 11 – Utilisation de la pilule et du préservatif p.31 12 – Fréquentation d’un service spécialisé ou d’un gynécologue avant la grossesse p.32 13 –Connaissance et/ou utilisation de la contraception d’urgence p.32 14 -L’âge des parents ou des proches au moment de leur première grossesse p.33 Analyse psychologique p.35 1 – Hypothèses p.35 2 – L’expérience de la grossesse P.36 2.1 Les désirs en rapport avec la fécondité p.36 Approche quantitative p.36 Approche qualitative p.37 Désir de différenciation à l’égard de la mère p.40 3 – Les exigences de la réalité vécue p.42 3.1 Analyse quantitative p.42 3.2 Approche qualitative p.45 3.3 Synthèse p.47 4 – L’expérience de la contraception p.49 4.1 –Différentes pratiques contraceptives p.49 4.2 –Les scénarios imaginaires de la contraception p.51 4.3 Les enjeux imaginaires accompagnant l’arrêt de la pilule p.54 4.4 L’usage du préservatif ou la recherche d’un compromis imaginaire entre deux formes de sexualité p.60 4.5 Synthèse p.65 Conclusion p.67 Annexes INTRODUCTION Contexte de l’étude Il convient, pour comprendre la problématique de cette recherche de procéder dans un premier temps à une mise en perspective. En effet, qu'une demande d'enquête à ce sujet émane des pouvoirs publics tend à signaler que nous sommes en face d'un problème social et de santé publique; ou plutôt que nous sommes en face d'un fait qui pose problème pour notre mode de fonctionnement sanitaire et social. Tentons de dégager quelques uns des termes de ces problèmes. * Grossesses précoces et progrès sanitaire et social L'histoire récente de ce que l'on a appelé la libération de la femme était portée par un certain nombre d'idées. Dans ce contexte le libre choix de la femme par rapport à la maternité est apparu comme une valeur centrale. La possibilité de choisir d'enfanter et donc éventuellement de refuser, sans mettre en danger sa santé voire sa vie, devait assurer les conditions pour un accomplissement de la liberté individuelle de la femme. Le contrôle des naissances est un droit fondamental des femmes. L’accès à l’interruption volontaire des grossesses est reconnu par la Loi Veil N° 75.17 du 17 janvier 1975. La décision, politique, de légalisation de la contraception et de l'interruption volontaire des grossesses s'inscrit bien évidement dans le contexte de cette évolution idéologique. L'autre décision, politique elle aussi, de prise en charge par la sécurité sociale de ces deux pratiques en est l'aboutissement. La sécurité sociale, en effet, est ou a été au cœur de nos représentations modernes du progrès social. 5 Dans le cadre de ce modèle, de cette vision du progrès, les grossesses précoces interrogent, créent de la perplexité. Les jeunes filles enceintes ontelles fait un choix ? Dans les conditions sociales actuelles, de liberté d'information, de gratuité de la prise en charge médicale, comment ont-elles pu se laisser surprendre ?. Là où le groupe social a voulu les conditions pour l'avènement d'un choix libre et responsable apparaissent des conduites qui échappent à nos représentations de la liberté et de la responsabilité. * Grossesses précoces et éducation Une certaine conception de l'éducation est indissociablement liée à la représentation du progrès social que nous avons décrite à grands traits. En fait, dans la conscience des responsables sanitaires et sociaux l'éducation constitue un relais. C'est elle qui doit permettre la transmission des valeurs du progrès social. Sa fonction est alors double. D'une part elle doit permettre un accès à la connaissance (éducation sexuelle, information sur les méthodes de contraception...). D'autre part elle doit participer à la formation d'individus libres et responsables, des individus qui décident en toute connaissance de cause. Or, les jeunes filles enceintes prématurément s'inscrivent difficilement dans cette représentation de l'éducation. Soit parce qu'elles semblent ne rien savoir ni de la sexualité ni de la contraception ( l'éducation est-elle insuffisante ou bien inefficace dans certains cas ?). Soit, comme nous l'avons déjà dit, parce qu'elles vivent cette situation malgré ou en dépit de leurs connaissances. Ce qui pose une question bien plus épineuse : se pourrait-il qu'il existe en l'individu des désirs qui le poussent à agir au mépris de ce qu'il sait ? * Grossesses précoces et rationalité technique Un petit détour historique nous permettra de mieux comprendre les différentes rationalités qui ont traité de cette question à travers le temps. Ainsi au moyen âge, au XVIè siècle, la maternité précoce était une règle assez répandue. Il n’était pas rare que des filles de 14-16 ans accèdent au mariage aboutissant à la maternité très rapidement. Puis au XIXème siècle, un changement des mentalités se produit, les grossesses avant l’âge de 20 ans étaient très soumises à la critique sociale, ce qui amenait les jeunes filles à les cacher et, dans les cas de naissances, les conduisait parfois à abandonner l’enfant. Pour certaines jeunes mères célibataires, la solution était de se placer comme nourrice dans les grandes familles, en ville, comme une manière d’échapper au jugement familial. Dans ce contexte le sénateur Paul Strauss (1852-1942) décide de venir en aide à ces jeunes mères en créant les premières maisons maternelles. A l’époque contemporaine des changements s’opèrent surtout après la mise en place de la scolarisation obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, les libertés sexuelles, et le progrès de la technique médicale dans la maîtrise des processus de la reproduction biologique. Cela peut paraître une évidence : ce sont les progrès de la rationalité technique qui ont rendu possible la mise au point de certaines méthodes de contraception. Pourtant, là ne se trouve certainement pas l'essentiel. En effet l'avortement et la contraception n'ont pas été seulement légalisés, ils sont également devenus l'affaire de la santé. En quittant le champ de l'illégalité ou des pratiques de "bonnes femmes", ils sont entrés dans le champ de la rationalité technique. Le législateur a compris d'emblée que cette dernière ne suffirait certainement pas à la prise en charge sociale de ce problème. Ainsi dans le cas de l'IVG, les travailleurs sociaux sont-ils entrés en scène comme intermédiaires entre la demande et l'acte médical. Les grossesses précoces viennent en quelque sorte rappeler un aspect essentiel de la reproduction humaine. Elle ne saurait se réduire à ses aspects biologiques que, par ailleurs, la technique maîtrise de mieux en mieux. PREMIERE PARTIE : LA MISE EN PLACE DE L’ETUDE I. Origine et financement du projet Cette étude menée par le Comité Régional d’Aquitaine d’Education pour la Santé (CRAES), fait suite à une commande émanant de l’Etat, Ministère de l’emploi et de la solidarité, représenté par le Préfet de la Région Aquitaine, Préfet de la Gironde, ordonnateur de la dépense, sur proposition du Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales d’Aquitaine. Cette étude, entrant dans le cadre des actions régionales de périnatalité devait comprendre : - l’élaboration d’une grille d’enquête, - la formation des enquêteurs, - la coordination et le suivi du déroulement de l’enquête, - la mise en place d’actions de prévention de la grossesse chez l’adolescente par la formation et l’information des personnes relais. Pour mener à bien la mission qui lui était confiée, le Comité Régional D’Aquitaine d’Education pour la Santé devait mettre en œuvre les moyens suivants : - mise à disposition du personnel, - secrétariat. Un bilan qualitatif et quantitatif de l’action devait être établi par le CRAES et adressé à Madame le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales d’Aquitaine. Cette étude a été initiée sous l’impulsion des directeurs du CRAES (M. LARROSE B.) et de l’ORSA ( M. GARROS B.) puis menée à bien sous la responsabilité de Mme. PIG-LAGOS Gabriela, de formation psychologue. 2. Population concernée Ce projet avait comme objectif la réalisation d’une enquête auprès de 50 jeunes filles, enceintes, de moins de vingt ans, dans les cinq départements de l’Aquitaine afin de déterminer des axes de prévention. Les résultats obtenus devaient être traduits en terme de formation ou d’information des professionnels relais afin d’améliorer l’approche préventive des grossesses chez les adolescentes. 3. Méthodologie d’action 3.1 La mise en place de cette étude comportait plusieurs phases : 1- Une phase préparatoire consistant à interviewer des professionnels travaillant dans des Centres de Planification Familiale. Lors de cette phase nous avons rencontré 4 professionnelles autour d’un entretien qui a duré 3 heures, sur leur lieu de travail : Mme. Le CHEVALIER Lilianne, conseillère conjugale à la Maison des Jeunes et de la Santé de Bordeaux (MJS), Mme. Le Docteur TANDONNET Brigitte, Présidente de l’association CACIS (Centre d’Accueil Consultation Information Sexualité) à Bordeaux, Mme. VILLANUEVA Ingrid, Educatrice des jeunes enfants au Centre Départemental Enfance et Famille (Foyer des jeunes mères célibataires) à Talence et Mme BARTHELEMY Laurence, Conseillère Conjugale du Mouvement Français pour le Planning Familial à Bordeaux. 2- Ces quatre entretiens préliminaires réalisés auprès des professionnels nous ont permis dans un premier temps de dégager une problématique et de formuler nos premières hypothèses concernant le thème des grossesses non désirées chez les jeunes filles de moins de 20 ans. 3- La troisième étape s’appuyant sur la première a consisté en la conception d’un questionnaire et d’un entretien semi-directif s’adressant à des jeunes filles enceintes. Le questionnaire a été construit en fonction du thème de recherche et en fonction du type de population étudiée. Il comporte 17 questions à réponses fermées, pré codées qui s’articulent autour de deux parties : 1. les données sociodémographiques classiques. 2. les données familiales. L’entretien semi-directif composé de deux thèmes explore : 1- les circonstances de la grossesse à partir d’une question générale et des questions de relance. 2- L’accès à l’information et à la contraception avec une question générale et des questions de relance Afin de respecter les règles éthiques de passation d’un questionnaire et d’un entretien semi-directif nous avons rédigé un document explicatif et détaillé de notre travail ainsi qu’une feuille de consentement éclairé à proposer à chaque jeune fille voulant participer à l’étude. Ce consentement permettait aux jeunes filles de savoir exactement à quoi elles participaient et leur garantissait l’anonymat. Ce travail de mise en place de l’action a nécessité un temps de réflexion. De nombreuses corrections ont été apportées aux écrits initiaux étant donné la complexité du sujet à traiter. 4- La quatrième étape concernait la formation à la passation de l’entretien des professionnels travaillant auprès de cette population sachant que le thème abordé était particulièrement délicat étant donné l’âge des jeunes filles et les sentiments de culpabilité qui pouvaient être, soit réveillés, soit amplifiés. 5- La cinquième étape devait nous amener à constituer l’échantillon des jeunes filles à interviewer, à choisir les structures d’accueil dans les cinq départements de la Région d’Aquitaine, les sites de l’action et les professionnels acceptant de participer à l’étude. Notre travail est une étude transversale sur un échantillon non représentatif de 50 jeunes filles de moins de 20 ans, dans 5 sites ( Centres d’Orthogénie, Centres de Planification Familiale ) dans les 5 départements de l’Aquitaine. 3.2 Recueil des données Afin de ne pas interférer dans la prise de décision des jeunes filles concernant l’IVG,. nous avions convenu de faire passer l’entretien à peu près une semaine après l’intervention (IVG). Pour ce faire nous avons pensé nous adresser aux Centres de Planification ou aux Centres d’Orthogénie afin de prendre contact avec les jeunes filles pour fixer une date de rencontre avec celles qui souhaitaient participer à l’étude. Etant donné que notre échantillon de 50 personnes (10 jeunes filles par département) n’était pas représentatif de la population des jeunes filles sollicitant une IVG, nous avons accordé une place très importante à notre entretien semi-directif car nous pensions qu’il pourrait nous permettre de comprendre certains des mécanismes subjectifs accompagnant l’expérience de la grossesse puis celle de l’IVG. 3.3 Les difficultés rencontrées lors de ces phases préparatoires Au départ de cette étude nous avons rencontré quelques difficultés. Cellesci étaient en rapport avec la santé de la responsable du suivi de l’étude. En fait madame PIG-LAGOS a dû s’arrêter pendant trois mois pour cause de maladie. Suite à sa reprise du travail et après avoir apporté des modifications au questionnaire et à l’entretien semi-directif il a décidé de faire une pré-enquête afin de mettre à l’essai ces deux outils. Pour ce faire nous avions décidé de prendre rendez vous avec quelques structures pratiquant des IVG (Interruption Volontaire de Grossesse). Nous avons pris contact avec deux professionnels de Centres de Planification Familiale : Madame BLAZI Isabelle du CACIS et Mesdames DORTHE Cécile et DU-VINAGE Marie Paule, directrice et psychologue de la MJS de Bordeaux (Maison des Jeunes et de la Santé). Ces deux réunions avaient un double objectif. D’une part présenter notre étude aux professionnels (Conseillères Conjugales et Familiales, Psychologue, Directeur), d’autre part comprendre comment ces professionnels pouvaient intégrer le questionnaire et l’entretien semi-directif à l’entretien pré-IVG. Ces réunions nous ont permis de prendre connaissance de la complexité du problème des grossesses non désirées et à partir de ce constat nous avons revu, voire corrigé, certaines questions contenues soit dans le questionnaire soit dans l’entretien semi-directif. Ces professionnels, très intéressés par ailleurs par l’étude, nous ont cependant, fait part de leur inquiétude quant à la lourdeur du dispositif et des conséquences qu’il pouvait avoir sur la prise de décision des jeunes filles. En ce qui concerne le CACIS, notre demande a été étudiée par l’ensemble du personnel lors d’une réunion d’équipe. A été prise la décision de ne pas joindre notre questionnaire à l’entretien pré-IVG pour les mêmes raisons citées plus haut. Le personnel de la MJS, représenté par la directrice et par la psychologue, a bien accueilli la demande, cependant les deux professionnelles se posent certaines questions à propos de la personne qui doit passer l’entretien. Elles soulignent l’importance de la cohérence dans la prise des notes et dans la formulation des questions lors de la passation d’un entretien semi-directif. Ensuite elles nous ont orientés vers des professionnels susceptibles de faire avancer le projet. Une réunion entre le Directeur du CRAES et la responsable du suivi de cette étude (Mme PIG-LAGOS) a eu lieu afin de discuter de la suite à donner au travail. C’est ainsi que nous avons décidé de rencontrer monsieur KLEBANER, gynécologue et obstétricien à la Direction Solidarité Gironde, avec l’objectif de lui présenter notre projet et de discuter avec lui des modalités de rencontre avec la population des jeunes filles. Lors de cette réunion, Monsieur KLEBANER confirme l’inquiétude des professionnels de la MJS et du CACIS en ce qui concerne la population à étudier. Il nous a fait également des remarques concernant la forme et le contenu de notre étude. Toutes ces observations émanant des professionnels nous ont permis de remanier nos hypothèses ainsi que l’ensemble du dispositif, notamment la partie qui concerne le professionnel chargé du recueil des données. Ainsi nous avons décidé que celui-ci serait la responsable de l’étude, Mme. PIG-LAGOS Gabriela, formée à la passation des entretiens semi-directifs. Afin de ne pas interférer dans la prise de décision des jeunes filles, concernant l’IVG nous avions convenu de faire passer le questionnaire et l’entretien semi-directif à peu près une semaine après l’intervention (IVG) soit dans la structure ayant pratiquée l’IVG, soit dans les locaux du CRAES, soit dans tout autre lieu. Pour ce faire nous nous sommes adressés aux responsables de Centres de Planification Familiale ou aux Centres d’Orthogénie afin de présenter plus amplement l’étude et solliciter leur coopération. Celle-ci devait se traduire par une facilitation du contact entre les jeunes filles et la professionnelle du CRAES qui devait leur présenter l’étude et fixer une date de rencontre avec celles qui voudraient participer. Cette idée a été vite abandonnée car, lors de la pré-enquête, nous nous sommes aperçus que les jeunes filles ne se présentaient pas au rendez-vous. Nous avons opté finalement pour proposer un entretien d’une heure environ au moment de la sortie de l’hôpital. 3.4 Cinq sites dans les cinq départements * Le Département de la Gironde Nous avons commencé notre étude dans le département de la Gironde. A cet effet nous avons pris contact avec Madame DESCHAMPS, surveillante du Service d’Orthogénie de l’hôpital St. André à Bordeaux avec l’objectif de lui présenter l’étude. Celui-ci a été très bien accueilli. Par la suite, Mme. DESCHAMPS, s’est chargée de la présentation du projet et de la professionnelle du CRAES à l’ensemble du personnel, de la mise en relation de la professionnelle avec chaque jeune fille et de l’organisation du lieu de rencontre pour la passation de l’entretien. Vingt entretiens ont eu lieu dans ce Service, quatre ont été utilisés pour notre pré-enquête et seize ont été retenus de manière définitive. * Le Département des Landes Le CODES des Landes, par l’intermédiaire de sa directrice Mme. RAMIS Sylvie, nous a mis en contact avec le Docteur SARDA, chef de service de gynécologie de l’hôpital de DAX afin d’obtenir un rendez-vous conjoint CRAES, CODES, Centre Hospitalier. Avant cette rencontre plusieurs courriers, et contacts téléphoniques ont été nécessaires aussi bien avec le CODES qu’avec le Dr. SARDA afin d’organiser cette première rencontre. Le rendez-vous d’une durée approximative de 2 heures, a eu lieu le 4 Octobre 1999. Cette rencontre avait un double objectif. D’une part la présentation en détail de l’étude et d’autre part l’organisation, sur le terrain, des rencontres avec les jeunes filles, si le médecin responsable se montrait intéressé et donnait son accord. Le docteur SARDA s’est montré très intéressé par cette recherche et s’est proposé d’annoncer l’objet de notre présence dans le service aux jeunes filles. Il a procédé également à la présentation des professionnels du CODES et du CRAES au personnel de santé et administratif de son service afin de faciliter le travail de recueil des données. Le docteur SARDA nous a présenté Mme. DANGOUMAUX, secrétaire de son service, qui a été chargée de nous communiquer par téléphone le nombre de jeunes filles susceptibles de participer à l’étude. Les dix entretiens pour le département des Landes ont été réalisés à l’hôpital de DAX Les difficultés rencontrées dans ce département Au début de notre travail dans ce département nous avons pensé réaliser nos entretiens sur deux sites hospitaliers : Dax et Mont de Marsan. Néanmoins nous nous sommes vus confrontés à un certain nombre des difficultés avec l’hôpital de Mont de Marsan et en particulier avec M. DUMOULIN ( directeur administratif ) qui, évoquant des raisons d’ordre éthique, voulait s’assurer du respect du secret médical concernant les jeunes filles pratiquant cette intervention. Madame MANETTI Suzanne (Médecin Inspecteur Santé Publique - DRASS) s’est chargée de rassurer le directeur en lui assurant l’anonymat des entretiens. D’autres difficultés sont venues se greffer. En effet, suite à l’éclaircissement de la situation avec l’hôpital de Mont de Marsan nous avons voulu nous rendre sur place pour mener les entretiens. Ceci a été impossible étant donné que le secrétariat de l’hôpital nous a annoncé que les IVG avaient lieu un jour par semaine seulement et que le nombre des personnes pouvant en bénéficier se limitait à une. Ce constat nous a amené à renoncer au site de Mont de Marsan et à nous fixer définitivement à l’hôpital de Dax qui pratique des IVG deux fois par semaine (Lundi et Vendredi) et qui reçoit plusieurs personnes par jour. * Département du Lot et Garonne Dans ce Département nous avons sollicité l’aide du CODES de ce département par l’intermédiaire de Mme. RICHARD Laurence qui nous a affirmé ne pas être en mesure de nous mettre en contact avec le chef de service de gynécologie de l’hôpital. Nous avons alors sollicité Mme. le docteur FRANCOIS, inspecteur DDASS d’Agen, qui nous a donné des noms de médecins chefs de service de gynécologie des hôpitaux d’Agen, de Marmande et de Villeneuve sur Lot, nous conseillant de nous adresser à eux de sa part. Nous lui avons également fait parvenir un exemplaire de l’entretien semi-directif de notre recherche. Nous avons, par la suite, pris contact par courrier avec le Dr. ROULIER, chef du service de gynécologie de l’hôpital d’Agen. Pour raison de vacances nous n’avons pu le rencontrer que le 1er Mars 2000 à Agen pour une réunion à laquelle assistera également le Dr. TAFFET, médecin dans le même service. Les deux médecins ont donné leur accord pour la réalisation de l’étude tout en émettant quelques réserves. Les entretiens débuteront donc à Agen à cette date. Nous avons pu réaliser que deux entretiens dans ce service, malgré notre insistance téléphonique auprès du service. * Département de la Dordogne Pour ce département nous avons sollicité le CODES de la Dordogne, par l’intermédiaire de sa directrice Mme SIBERT, qui nous a fait parvenir les noms du Directeur, ( M. LAVAUD ) et du chef de service de gynécologie( M. ORIGET ) de l’Hôpital Général de Périgueux. Nous avons donc envoyé une lettre de présentation de l’étude ainsi qu’une demande de rendez-vous. Une première rencontre a été fixée avec le Dr. ORIGET et le Dr. HADDAD, gynécologues. Celle-ci nous a permis de présenter l’étude et de discuter à propos des modalités de réalisation des entretiens auprès des jeunes filles. Les deux médecins se sont montré extrêmement coopérants. Le Dr. HADDAD a été désigné comme notre interlocuteur principal. Les entretiens ont pu être réalisés conjointement à ceux du département du Lot et Garonne car Mme. NOURY, éducatrice santé au CRAES, a rejoint Mme. PIG-LAGOS, pour l’aider dans la passation des entretiens. Ceci à partir du mois de février 2000. Neuf entretiens ont été réalisés dans le service de gynécologie de l’Hôpital de Périgueux. * Département des Pyrénées Atlantiques En ce qui concerne ce département nous pouvons faire état d’un travail de partenariat avec le CODES de PAU et en particulier avec sa Directrice, Mme. LAROUSSE Jeannine, qui a pris contact avec Mme. SAINT-JOSSE, responsable du Service de Gynécologie Sociale de l’Hôpital de PAU, afin de lui faire part de notre demande. Mme. SAINT-JOSSE s’est montrée très disponible et intéressée par l’étude. Néanmoins, un problème restait à résoudre : la distance entre Bordeaux et Pau suppose que parfois, nous aurions dû nous déplacer pour un seul entretien sachant que le budget de l’action atteignait ses limites. Mme. SAINT-JOSSE, de formation Sage-Femme, Conseillère Conjugale et Familiale, ayant en plus une formation dans le domaine de la Sexologie s’est alors proposée pour réaliser les entretiens. Une réunion a permis d’étudier en profondeur l’ensemble du protocole afin que cette professionnelle puisse en prendre connaissance. Nous avons décidé de faire un essai avec un entretien dont l’enregistrement est arrivé par la poste au CRAES au nom de Mme. PIG-LAGOS. Cet entretien étant très bien mené, nous avons continué à solliciter ses services. Nous avons réalisé dix entretiens dans ce service. Les difficultés La difficulté principale que nous avons rencontré dans la plupart des sites tenaient à la quasi impossibilité pour les professionnels du CRAES de rencontrer plus d’une jeune fille par jour. L’autre difficulté tenait plus aux médecins qui se sont plus au moins engagés à travailler en partenariat avec le CRAES. Ceux-ci étaient obligés de penser à l’étude lors de chaque rencontre avec les jeunes filles sollicitant une I.V.G. Le travail que nous présentons est fait à partir de l’analyse de 47 entretiens réalisés auprès des jeunes filles. 3.5 Les rapports intermédiaires Les différentes étapes de notre travail dans les services hospitaliers ont donné matière à produire quatre rapports intermédiaires et un texte pour une communication lors de la journée d’étude départementale du 15 décembre 2000 dont le thème était : « L’approche globale de la santé et planification familiale ». Madame MANETTI, médecin inspecteur santé publique DRASS, s’est chargée, aimablement, de présenter ce texte à l’assistance. 3.6 Travail de retranscription des entretiens Les entretiens semi-directifs réalisés et enregistrés ont été intégralement dactylographiés par Mme. PIG-LAGOS aidée par Mme. Gaillard, secrétaire du CRAES, et plus tard par Mme. NOURY. Ce travail d’écoute et d’écriture représente un nombre considérable d’heures. La rédaction du rapport final a été réalisé par Mme. PIG-LAGOS. Mme. NOURY a réalisé le travail de calcul de pourcentages et de moyennes à partir du logiciel « EPI info » et les graphiques à partir du logiciel « EXEL ». DEUXIEME PARTIE PRESENTATION DES RESULTATS ANALYSE SOCIOCULTURELLE I – Hypothèses On sait que dans tout milieu professionnel se construisent des représentations sociales, inspirées des théories des sciences humaines dans les professions du travail social, ayant pour but d’expliquer la complexité de la réalité. Notre pré-enquête auprès des professionnels travaillant autour des problèmes de la natalité-contraception nous a permis de penser que ceux-ci disposent de représentations sociales de ce type leur permettant à la fois de décrire les caractéristiques des jeunes filles enceintes précocement et de se donner une explication cohérente de celles-ci. Dans cette première partie de notre travail nous avons choisi de préciser ces représentations sociales, de les constituer en hypothèses de notre recherche et de les soumettre à l’épreuve des données récoltées. Nous retiendrons ici les représentations sociales des professionnels qui relèvent d’une analyse socioculturelle. Hypothèse 1 : Un grand nombre de jeunes filles confrontées à une grossesse précoce ignorent les principes biologiques de la fécondité. Hypothèse 2 : Cette méconnaissance concernerait également les principes de la contraception. Comme on le voit ces deux hypothèses sont supportées par des représentations qui caractérisent la population des jeunes filles enceintes précocement. Venons-en maintenant aux hypothèses supportées par une volonté explicative de ces caractéristiques. Hypothèse 3 : Cette méconnaissance des jeunes filles s’explique par leur appartenance à des milieux défavorisés du point de vue du rapport à la connaissance et à l’information. Hypothèse 4 : Ces jeunes filles évoluent dans des familles informés sur ces questions mais dans l’impossibilité de transmettre l’information et d’aborder les thèmes relatifs à la sexualité et à la contraception. 2 – Les caractéristiques sociodémographiques de notre population L’hypothèse 3 conduit logiquement à supposer que les jeunes filles enceintes précocement appartiennent à un milieu social particulier. Qu’en est-il des jeunes filles de notre échantillon ? La partie « recueil des données sociodémographiques » de notre entretien nous permet de répondre à cette question. Pour la présentation de nos résultats nous retiendrons six variables : l’âge, la situation familiale, le lieu de vie, le niveau de formation, la situation actuelle du père, la situation actuelle de la mère. Nous présentons par la suite des graphiques correspondant aux variables retenues. Ceux-ci vont nous permettre de visualiser la répartition de notre échantillon de 47 filles selon les caractéristiques sociodémographiques. 3 – Répartition en fonction de l’âge 13 13 14 12 9 E ffe c t i 10 7 8 4 6 4 1 0 2 0 13 ans 14 ans 15 ans 16 ans 1 7 a ns 18 ans 19 ans Age La moyenne d’âge observée dans l’échantillon des jeunes filles est de 17.26 ans. Le tableau montre que les jeunes filles allant de 13 à 15 ans sont sousreprésentées, 5 au total, soit 10,6%. Par contre les deux grands pics de représentation se situent dans les tranches 17 et 19 ans, au total 26 jeunes filles, soit 55,4%. 4 – Répartition en fonction de la situation familiale 39 40 35 30 Effectif 25 20 8 15 10 5 0 Célibataire En concubinage Le tableau montre que la plupart des jeunes filles, 39, soit 83%, sont célibataires et 8 d’entre elles déclarent vivre avec un concubin, soit 17%. 5 – Répartition en fonction du lieu d’habitation 25 25 20 11 Effectif 15 10 4 3 5 0 En famille Avec un seul parent Seule En foyer Lieu de vie La plupart des jeunes filles, 25, déclarent vivre en famille avec leurs deux parents, soit 51,1%. Puis, 11 d’entre elles disent vivre avec un seul des parents, soit 23,4%. Seulement 3 jeunes filles vivent seules, (6,4%) et 4 en foyer (8,5%). Ce qui nous donne un total de 43 jeunes filles sur les 47 interviewées. 4 jeunes filles n’ont pas répondu à la question. 6 – Répartition en fonction de la profession du père 13 14 11 12 10 7 Effectif 8 6 3 4 3 3 3 1 2 0 O uvrier Em ployé Profession libérale Retraité Situation actuelle du père Les trois catégories les plus représentées sont celle d’ouvrier, 13 personnes sur 47, soit 27,7%, suivie de la catégorie employé avec 11 personnes, soit 23,4% et la catégorie cadre avec 7 personnes soit 14,9%. 7 – Répartition en fonction de la profession de la mère 19 20 18 16 12 14 Effectif 12 10 8 6 4 3 2 4 4 1 1 2 0 Ouvrière Artisane Employée Cadre Profession libérale Demandeuse emploi Retraitée Femme au foyer En ce qui concerne les professions de la mère nous pouvons observer que la catégorie employée (19 personnes), est la plus représentée soit, 40,4%, suivie de la catégorie femme au foyer (12 personnes), soit 25,5%. 8 – Répartition en fonction du niveau de formation des jeunes filles 9 9 8 7 8 7 6 6 Effectif 5 4 4 3 3 2 2 1 2 1 1 0 5ème 4ème 3ème 2nde 1ère Terminale BAC BAC PRO CAP BEP Les niveaux 2nde (19,1%), BEP (17%), 3ème (14,9%) et CAP (12,7%) sont les plus représentés. Discussion Les graphiques qui précèdent font apparaître des caractéristiques de notre échantillon quant aux professions des parents : • La profession d’ouvrier pour le père et la profession d’employée pour la mère sont les plus représentées. Cependant on peut noter qu’en ce qui concerne le père les professions employé et cadre sont aussi bien représentées. Chez les mères, les deux catégories les plus représentées sont celles d’employée et femme à la maison. Les professions requérant des études avancées ne représentent qu’un faible pourcentage. Peut-on pour autant considérer que les jeunes filles appartiennent à des milieux défavorisés du point de vue du rapport à la connaissance et à l’information comme le suppose notre hypothèse 3 ? Remarquons que le niveau d’étude des parents doit être nettement différencié de la question de l’information à propos de la fécondité et de la contraception. D’autre part le niveau de formation, graphique 8, des jeunes filles elles mêmes laisse à penser que nous sommes en présence de jeunes filles ayant bénéficié des apports de la scolarisation. Nous allons voir que la plupart estiment avoir été informées au cours de leur scolarité à propos de la sexualité et de la contraception. 9 – L’information à propos de la sexualité (contraception) dans la famille et dans les établissements scolaires 36 40 35 21 30 Effectif 25 20 15 6 10 5 0 Famille Etablissement scolaire Autre Lieu de l'information Le graphique montre que parmi les 47 jeunes filles interviewées 76,6% disent avoir étés informées à propos de la sexualité dans l’établissement scolaire et 44,7% dans la famille. D’autres déclarent avoir pris connaissance du sujet par l’intermédiaires des amitiés. 38,3% disent avoir été informées aussi bien dans l’établissement (12,8%) scolaire que dans la famille. Discussion Les résultats du tableau présenté en 9, à partir d’une lecture superficielle, vont dans le sens de notre hypothèse 4 selon laquelle les jeunes filles appartiennent à des familles dans l’impossibilité d’aborder les thèmes relatifs à la sexualité (contraception). Pourtant des nuances importantes doivent être apportées. Tout d’abord une lecture attentive des entretiens semi-directifs montre que les propos des jeunes filles sont souvent contradictoires sur cette question. Elles déclarent en un premier temps (début de l’entretien) ne jamais avoir parlé de la sexualité et de la contraception avec leurs parents. Mais pour autant il n’est pas rare que par la suite leur récit vienne contredire cette première affirmation. Ainsi peuventelles dire que leur mère leur a expliqué les cycles féminins ou bien leur a parlé de la pilule ou encore les a conduites à leur premier rendez-vous chez la gynécologue. D’autre part à la lumière du tableau 9 il paraît impossible de maintenir l’hypothèse 2 selon laquelle ces jeunes filles méconnaîtraient les principes de la de la contraception. En effet 36 filles sur 47 déclarent avoir assisté, dans leur établissement scolaire à des journées d’informations concernant ces questions ainsi que la sexualité. (21 disent avoir eu ces informations dans la famille). Par contre nos résultats ne permettent pas de discuter l’hypothèse 1. Notre entretien semi-directif ne contient pas des questions suffisamment précises pour solliciter la mobilisation de la connaissance des principes biologiques de la fécondité. 10 – Connaissance de la contraception En revanche nos entretiens nous permettent d’appréhender la connaissance de la contraception ainsi que des services médicaux en rapport avec elle. L’analyse des entretiens semi-directifs nous a conduit à retenir 3 indicateurs de cette connaissance. • l’utilisation ou la non utilisation de la pilule et du préservatif • la fréquentation d’un service spécialisé ou d’un gynécologue avant la grossesse. • La connaissance ou l’utilisation de la contraception d’urgence (pilule du lendemain) 11 – Utilisation de la pilule et du préservatif OUI NON Utilisation de la pilule 20 26 Utilisation du préservatif 26 16 20 jeunes filles déclarent avoir utilisé la pilule ( y compris la pilule du lendemain) à un moment ou à un autre depuis le début de leur vie sexuelle et 26 le préservatif. A la lumière de ce que nous venons de dire l’hypothèse n°2 selon laquelle les jeunes filles méconnaîtraient les principes de la contraception s’avère trop simple. Elle ne rend pas compte de la complexité de la réalité des connaissances et des pratiques. Le tableau ci-dessus ne permet pas de caractériser les pratiques dans leur singularité. Comme nous le verrons dans le cadre de l’analyse psychologique ces pratiques sont diverses. Nous, nous contentons pour l’instant de quantifier l’utilisation de la pilule et/ou du préservatif à un moment ou à un autre depuis le début des relations sexuelles. 12 – Fréquentation d’un service spécialisé ou d’un gynécologue avant la grossesse. Fréquentation d’un service Nombre Centre de planification familiale 15 P.M.I. 1 Mission Locale 2 Gynécologue dans le privé 11 Sur les 47 jeunes filles interviewées 29 déclarent avoir connu un service spécialisé avant leur grossesse. Comme nous le verrons avec l’analyse psychologique, connaître un service, l’avoir fréquenté ne conduit pas forcément à recourir à la pilule de manière régulière. Le tableau ci-dessus est donc simplement un indicateur d’une familiarité avec les services et personnels spécialisés. 13 –Connaissance et/ou utilisation de la contraception d’urgence Connaissance Pilule du R.U. 486 lendemain connue 41 20 Non connue 6 27 Un nombre relativement important de jeunes filles a donc une certaine connaissance de la contraception d’urgence mais 7 seulement ont utilisé la pilule du lendemain. Deux ont bénéficié de la pilule abortive R.U. 486. Discussion Notre étude a permis de déceler un décalage entre la connaissance des moyens contraceptifs et leur usage. En effet il apparaît que, bien qu’ayant une certaine connaissance des moyens de contraception et les ayant déjà éventuellement utilisés, 35 jeunes filles de notre échantillon ne recouraient à aucun moyen de contraception au moment du rapport sexuel fécondant. (Nous verrons plus loin qu’il est possible de caractériser des pratiques contraceptives). 14 -L’âge des parents ou des proches au moment de leur première grossesse Avons nous les moyens de comprendre ce décalage dans le cadre de notre analyse socioculturelle ? Une piste d’analyse nous est apparue lorsque nous nous sommes aperçu que 31 jeunes filles sur 47 déclaraient avoir dans la famille quelqu’un qui a eu un enfant précocement( mère, père, sœur aînée, frère, tante ou cousine ). Ce résultat donne à penser que, dans leurs familles, l’âge où l’on a des enfants est relativement bas. En ce qui concerne, uniquement, les mères des jeunes filles, nous constatons, que parmi les 47 mères, 18 (38,2%) ont accouché de leur premier enfant avant l’âge de 20 ans et que 10 (21,3%) d’entre elles ont eu leur premier enfant entre 20 et 22 ans. On peut faire l’hypothèse que cela correspond à une sorte de « culture familiale ». Pour la génération de leurs mères, notamment, obtenir un diplôme et donc différer le moment de la première grossesse ne constituait pas nécessairement un modèle « existentiel » fortement valorisé. En revanche pour les jeunes filles rencontrées ce modèle existentiel s’impose, par l’intermédiaire du discours des parents mais aussi par l’intermédiaire de la société en général. C’est un modèle fortement valorisé. Jusqu’à quel point les jeunes filles l’ont-elles intériorisé ? Jusqu’à quel point la grossesse précoce n’est-elle pas pour elles l’occasion de s’inscrire dans le modèle culturel de leurs parents, même si ceux-ci le dévalorisent, de manière consciente tout au moins ? L’analyse socioculturelle nous permet seulement de soulever ces questions. Mais il faut d’ores et déjà insister sur un point. Les hypothèses expliquant les grossesses précoces par un manque de connaissance (des contraception, des principes de fécondité) s’avèrent trop simples. moyens de ANALYSE PSYCHOLOGIQUE 1 – Hypothèses Hypothèse 1 : Nous faisons l’hypothèse selon laquelle l’annonce de la grossesse pour les jeunes filles entre en interaction avec deux tendances psychiques opposées. La première serait de l’ordre du désir. La seconde serait de l’ordre de l’exigence de la prise en compte de la réalité vécue par les jeunes filles : réalité de leur âge, de leur situation professionnelle, de la relation amoureuse actuelle. En ce sens il est possible d’envisager que la décision d’avorter est l’aboutissement, dans la plupart des cas, d’un difficile travail de confrontation de soi avec soi, de soi avec le groupe familial, de soi avec la réalité vécue. Hypothèse 2: Les pratiques contraceptives elles même s’inscrivent sur le plan psychique dans le cadre d’un conflit entre deux tendances opposées. L’une relève du pôle des désirs, désirs de grandir et donc de jouir d’une vie sexuelle. L’autre relève plutôt du pôle de l’interdit et plus précisément de l’interdit de vivre une sexualité pleinement adulte. A partir de ces deux hypothèses nous analyserons grâce à une méthode compréhensive et interprétative le discours obtenu par l’intermédiaire des entretiens semi-directifs. Nous procèderons en deux temps : - Analyse de l’expérience de la grossesse - Analyse des pratiques contraceptives 2 – L’expérience de la grossesse 2.1 Les désirs en rapport avec la fécondité Approche quantitative Nous avons mis au point un type d’analyse de contenu qui nous permet une forme de quantification des thèmes qui, dans le discours, sont en rapport avec ce que nous pouvons appeler le « pôle des désirs ». Le tableau ci-dessous présente les résultats de notre analyse de contenu pour les 47 entretiens semi-directifs. Expérience de la grossesse Nombre de jeunes filles Disent qu’elles étaient contentes 17 Disent avoir voulu garder l’enfant 13 Disent qu’elles ont déjà pensé avoir un enfant 28 Disent qu’elles voulaient un enfant 6 Disent qu’elles étaient contentes de savoir qu’elles 9 peuvent avoir un enfant Comme on le voit la somme des chiffres obtenus est supérieure à 47. Cela s’explique par le fait qu’une même jeune fille peut, par exemple, dire qu’elle a pensé garder l’enfant et qu’elle voulait un enfant. Il est important de souligner que sur les 47 entretiens trois seulement ne laissent pas apparaître « des sentiments positifs » à l’égard de la fécondité ou de l’annonce de la grossesse. Notons que ces « sentiments positifs » s’accompagnent généralement de tristesse, de peur, d’inquiétude ou d’angoisse. L’exemple de Mlle. I, p. 46, que nous présentons dans l’analyse qualitative, l’illustre parfaitement. Approche qualitative En nous appuyant sur des extraits des entretiens semi-directifs nous caractériserons les différents désirs qui sous-tendent les propos dégagés par notre analyse de contenu. Nous ferons apparaître comment ces propos peuvent être mis en relation soit avec : - un désir d’enfant - un désir de grossesse (s’assurer de sa propre fécondité) - un désir d’autonomie - un désir de différenciation à l’égard de la mère Pour mettre en évidence ces différents désirs nous nous appuierons sur les travaux de M. Bydlowski 1 qui insistent sur la complexité des sentiments et des désirs associés à la fécondité chez la femme. Nous retiendrons avant tout que la fécondité n’est pas seulement en relation avec le désir d’enfant. A plus forte raison chez les femmes aussi jeunes que celles que nous avons rencontrées. * Projet d’enfant Le projet d’enfant c’est un projet partagé dans un couple. Ce projet ne recouvre pas nécessairement le désir d’enfant. C’est une idée claire et souvent planifiée grâce à la contraception. Par exemple, on peut avoir le projet d’un ou deux enfants selon l’idéal de chacun, de la famille ou de l’idéal social. Le projet d’enfant est conscient et construit. C’est lui qu’étudient les recherches démographiques, par exemple, lorsqu’elles demandent aux personnes combien elles veulent d’enfants. Comme nous allons le voir, nos entretiens permettent d’appréhender autre chose que le projet d’enfant. Ils nous 1 Monique Bydlowski - Je rève un enfant – Ed. Odile Jacob, février 2000 permettent de nous faire une idée à propos des désirs en rapport avec la fécondité, désirs qui sont, pour une part importante, de nature inconsciente. * Désir d’enfant Chez l’humain le désir d’enfant résulte du désir sexuel qui aurait comme fonction la reproduction de l’espèce comme chez tous les vivants. Selon Bydlowski, « il s’agit d’un vœu suprême où peuvent culminer tous les autres. Tous les désirs du petit enfant peuvent converger vers ce projet. Mettre au monde un enfant ou, d’une manière non déterminable, l’engendrer ». Exemple : Mlle A. a 19 ans. Elle dit qu’elle et son copain voulaient avoir un enfant. Ils sont ensemble depuis 6 mois. Lorsqu’elle est tombée enceinte son copain lui a dit que ce n’était pas le moment, qu’il ne voulait plus, qu’ils se marieraient plus tard,. Elle s’est dit à ce moment là « je garde mon enfant et je laisse tomber mon copain » Elle raconte « toutes mes cousines ont des bébés et c’est moi qui m’en occupe. Elles savent que je m’en occupe très bien et savent que c’est tout le temps moi qui les garde, elles savent que je m’en occupe bien ». Pour Mlle A le désir d’enfant est en rapport avec la présence de deux types de figures : des figures féminines et maternelles (les cousines) et la figure du petit ami. On peut penser qu’il correspond à son vœu de prendre sa place parmi les figures féminines et d’offrir un enfant au petit ami. Le changement du petit ami la conduit à renoncer à la satisfaction de ce désir. Monique Bydlowski – La dette de vie – Ed. PUF, 3ème édition, mars 2000 * Désir de grossesse Le désir d’enfant et le désir de grossesse peuvent ne pas surgir simultanément. Ainsi certaines femmes éprouvent le désir d’être enceintes comme une façon de s’assurer de leur fécondité. Exemple : Mlle B a 19 ans. Elle a des rapports sexuels avec son copain depuis 8 mois sans aucun moyen de contraception. Elle a commencé à s’inquiéter du fait qu’elle ne tombait pas enceinte. « je pensais que j’avais un problème, que je ne pouvais pas avoir d’enfant, je ne savais pas trop » « avec mon copain on aimerait bien le garder mais on ne peut pas. Elle dit qu’elle avait peur car « ne pas avoir d’enfant c’est triste quand même ». Actuellement elle est rassurée car « maintenant je sais que je peux avoir un enfant ». Son copain, lui, était content de savoir qu’elle était enceinte et par la suite ils ont réfléchi ensemble. Cet exemple montre que Mlle. B, au départ, éprouvait plus un désir de grossesse qu’un désir d’enfant. La grossesse, non voulue consciemment, semble réaliser le désir de s’assurer de sa propre fécondité. * Désir d’autonomie Ces termes désignent un désir profond de séparation vis à vis des parents. Ainsi, lors de nos entretiens, nous avons pu déceler que certaines jeunes filles expriment clairement ce désir et qu’il est en relation avec la grossesse. Exemple : Mlle. C. a 16 ans et demi et dit « Déjà je désirais avoir cet enfant, donc on a essayé et au bout de 2 mois on a réussi. Donc, moi je voulais cette grossesse pour être…pour prendre mon autonomie quoi, pour partir parce que je voulais partir vivre ma vie tranquille sans personne derrière, avec mon copain, mon enfant. Donc c’est pour ça que je désirais. A l’adolescence le désir d’autonomie peut donc venir se cristalliser autour de la fécondité. Avoir un enfant peut signifier sur le plan imaginaire une conquête du statut d’adulte. * Désir de différenciation à l’égard de la mère Exemple : Mlle D, 17 ans, a une relation avec son copain depuis 4 mois. Elle a parlé avec sa mère au moment où elle s’est rendu compte qu’elle était enceinte. Elle dit : « J’ai parlé avec ma mère dès le début et elle m’a dit,on fera un test et si tu es enceinte, si on a la certitude que tu es enceinte je t’emmènerai à l’hôpital et on fera ce qu’il faudra pour te faire avorter ». Mlle. D dit : « à ce moment là je n’étais pas trop sûre , mais bon, j’y suis quand même allée pour voir en quoi cela consistait, à quoi il fallait que je m’attende. Donc je suis venue avec ma mère et j’ai passé tout de suite l’examen et un formulaire à remplir et j’avais rendezvous pour la semaine d’après pour me faire avorter ». « En sortant j’ai eu plusieurs problèmes avec ma mère, on s’est embrouillées, on va dire, parce que j’étais plus très claire dans ma tête, je voulais à tout prix le garder, je ne sais pas pourquoi, mais je ne voulais plus l’enlever, parce que je ne savais plus où j’en étais. Donc j’ai téléphoné à l’hôpital et j’ai annulé mon IVG ». . « Ma mère a eu peur quand je lui ai dit que je ne voulais plus l’enlever et que je partirais de la maison s’il fallait. Alors au bout d’un mois elle a quand même accepté que je voulais garder le bébé. Alors je lui ai dit, maman je ne voulais pas que tu m’imposes ton choix, maintenant je veux me faire avorter, c’est décidé ». « Oui, j’en avais envie de le garder dans le sens ou c’était un bébé, mais personnellement je ne pouvais pas l’assumer. Ce n’était pas bien de le faire naître, c’était égoïste. Donc indirectement, j’ai essayé de rejeter ce besoin de vouloir le garder sur quelqu’un en m’énervant dessus, en fait c’était contre ma mère ». Cet exemple illustre bien le désir de différenciation de la fille à l’égard de la mère. Mlle. D. s’oppose à la volonté de sa mère car pour elle, ce qui est insupportable, c’est que sa mère décide à sa place. En un premier temps, garder l’enfant c’est se différencier de la mère. Dans un deuxième temps, après que la mère a renoncé à décider pour sa fille, Mlle. D. peut prendre la décision de faire une IVG. On perçoit ainsi les enjeux de différenciation à l’égard de la mère et comment la fécondité s’inscrit au cœur de ces enjeux. Un autre exemple Mlle. E. a 15 ans, elle vit avec sa mère et a une relation avec son copain depuis un an et demi. Elle raconte que si elle n’a pas pris la pilule c’est parce qu’il faut aller voir un gynécologue et que ça la gêne. Elle dit : « je n’aime pas, surtout des gens que je ne connais pas ». Quand on lui demande si sa mère lui a déjà parlé de la pilule elle répond : « Ma mère c’est toujours « je vais te prendre rendez-vous » mais trois ans après elle ne m’a toujours pas pris rendez-vous. Comme pour mes yeux. Normalement je dois avoir des lunettes et elle me dit « je te prends rendez-vous » et j’ai toujours pas de lunettes et toujours pas été voir un médecin. Et comme elle travaille dans un bloc opératoire elle sait tout. Elle se sent touchée par les gens et dès que je suis malade elle me dit « non, non, ne va pas voir le médecin, je sais ce qu’il faut faire ». Moi je préfère aller voir un médecin que ma mère, elle n’est pas médecin ». Par la suite Mlle. E raconte comment cela s’est passé au moment où elle devait aller voir la gynécologue à l’hôpital afin de se préparer pour l’IVG : « ma mère elle m’a dit « moi je te prends un rendez-vous et tu y vas toute seule ». « Moi je lui ai dit : non, moi je veux que tu viennes avec moi, surtout la première fois ». Puis Mlle. E. raconte, avec une certaine satisfaction, que quand elle est allée chez la gynécologue sa mère était avec elle. Cet exemple montre qu’arriver à se différencier de la mère est un problème assez complexe, surtout à l’adolescence. Devenir « autre », différent, passe par l’exigence d’une reconnaissance. Dans le cas de Mlle. E. il s’agit de deux exigences. Exigence que sa mère la reconnaisse en tant qu’enfant qui a peur face à l’inconnu, la gynécologue, en l’occurrence. Exigence dans le même temps que la mère reconnaisse qu’elle a droit à une sexualité et donc qu’elle n’est plus une petite fille. La grossesse apparaît alors comme l’événement qui a permis d’obtenir de la mère ce que, du point de vue de Mlle E, elle ne consentait pas à donner. 3 – Les exigences de la réalité vécue 3.1 Analyse quantitative Nous avons procédé à une analyse de contenu visant à quantifier les thèmes en rapport avec le pôle de la prise en compte des exigences de la réalité vécue. Pour ce faire nous avons regroupé en trois thèmes les propos des jeunes filles visant à expliquer pourquoi elles ont décidée de faire une IVG. • Thème 1 : Référence à la réalité socioéconomique • Thème 2 : Référence au petit ami • Thème 3 : Référence au discours des parents. * Référence à la réalité socioéconomique Se disent trop jeunes 19 Disent qu’elles doivent d’abord terminer 16 leurs études Disent ne pas avoir les moyens 16 financiers pour élever un enfant Disent ne pas être suffisamment 8 indépendantes de leurs parents Référence au petit ami disent qu’il ne veut pas l’enfant 20 disent qu’elles ne l’aiment pas 2 disent qu’il n’est pas assez mûr 5 Disent que la décision a été prise d’un 27 commun accord avec lui Référence au discours des parents disent qu’ils les ont laissé choisir 16 Disent qu’elles leur ont caché leur grossesse 10 disent qu’ils les ont amenées à avorter 13 Disent qu’ils sont contre l’avortement 2 Les trois tableaux ci-dessus ne permettent pas de comprendre le travail psychique qui a amené les jeunes filles à prendre la décision de faire une IVG. Ils nous donnent toutefois un certain nombre d’indications. Nous insisterons sur trois points. Tout d’abord la prise en compte du petit ami, de ce qu’il veut, de ce qu’il est (du point de vue des jeunes filles) joue un rôle important dans la prise de décision consciente. D’autre part le statut social joue un rôle important : âge, indépendance financière, scolarité. Enfin un nombre élevé de jeunes filles (26) présentent leur décision comme indépendante de la volonté de leurs parents ; soit parce qu’elles disent leur avoir caché leur grossesse (10), soit parce qu’elles estiment qu’ils les ont laissé choisir (16). Un point important à souligner est que parmi les 47 jeunes filles de notre échantillon 23 disent que leur père n’a pas été mis au courant de leur grossesse, soit 48,9%. A titre d’exemple nous citons un extrait d’entretien : Mlle F. a 17 ans. Elle nous dit : « Je sais pas, au début c’est un peu un rêve quoi de garder un petit bébé, mais j’ai pas encore l’âge. Il faut que je continue l’école et puis mon père il voulait pas. Donc ma mère aussi c’est pareil ». « Ma mère oui elle est au courant, mais mon père j’ai pas osé lui dire, je préfère pas parce qu’il est trop sévère » « parce que ça lui arrivait de dire : si vous avez des rapports et que vous êtes enceinte, vous partez de la maison quoi » « Je le trouve vraiment sévère quand même, parce que bon, c’est pas une maladie, ça peut arriver quoi, c’est pas hyper grave je trouve ». Cette explication de la peur de la réaction du père est souvent évoquée par les jeunes filles qui décident finalement, en accord avec la mère, de ne pas le mettre au courant de la grossesse. 3.2 Approche qualitative Nous allons présenter quelques extraits d’entretiens afin de mieux comprendre comment le pôle des désirs et celui des exigences de la réalité vécue sont intimement liés dans le discours des jeunes filles que nous avons interviewées. Premier exemple : Mlle G. a 19 ans. Elle a une relation avec son copain, qui a 19 ans également, depuis un an et demi. Elle parle ainsi « ça serait rien que moi je l’aurais gardé, mais on n’avait pas les moyens pour s’en occuper. Je suis encore au lycée. Il aurait été trop malheureux et on me l’aurait enlevé, alors je préfère attendre » « Malgré que je sois majeure, je voulais pas trop que ma mère soit au courant, bon elle a été au courant, elle n’a pas apprécié. Oui j’ai eu peur, je me posais des questions, si jamais j’allais le garder ou non » Lors d’une conversation, son copain lui a dit « c’est à toi de prendre la décision. Si jamais tu veux qu’on le garde, eh bien, on essayera de faire en sorte de s’en sortir pour le garder ». Mlle G. dit : « mais bon… je ne sais pas, on est jeunes et on a le temps d’avoir des enfants » Cet extrait d’entretien montre tout le travail de pensée qu’a dû réaliser Mlle G. avant de prendre la décision de faire l’IVG. Dans un premier temps elle éprouve le désir de garder l‘enfant, enfant accepté également par le petit copain. Puis, suite à sa réflexion et à la conversation avec son copain, elle se rend compte des difficultés à venir. A l’issue de cette réflexion on peut observer que ce n’est plus la réalisation immédiate d’un désir qui est primordiale. La satisfaction de ce désir est reportée à un futur dont Mlle G. pense qu’il lui apportera des conditions plus adéquates pour élever un enfant. Deuxième exemple : Mlle. H. a 17 ans. Elle a une relation avec son copain depuis quatre mois. Elle raconte : « Quand ils m’ont annoncé que j’étais enceinte j’étais contente parce que je me suis dit « je vais avoir un enfant ! c’est bien quoi ! et pas trop contente parce que tout le reste ; j’avais pas de travail, il fallait s’occuper de lui et j’étais trop jeune. Je ne me sentais pas capable d’affronter tout ça » « Alors j’ai parlé à ma mère et alors on a parlé toutes les deux pour savoir si je voulais le garder ou pas. Elle m’a raconté qu’ elle était tombé enceinte très jeune et elle a gardé l’enfant. Ses parents l’ont mise dehors et elle s’est débrouillée toute seule parce qu’il n’y avait plus le père de l’enfant. Elle était de famille bourgeoise. A ce moment là j’ai décidé de ne pas garder le bébé parce que déjà je n’avais pas un travail fixe et mon copain non plus. On n’avait pas de logement. Moi, je voudrais bien avoir un enfant mais après avoir un travail, un logement à moi, pas chez ma mère » « Maintenant si je veux avoir un enfant j’attends d’avoir un travail et d’être sûre que mon ami veut rester avec moi » Cet extrait d’entretien montre le travail de renoncement que Mlle H. a du réaliser pour arriver à remettre à plus tard son désir d’avoir un enfant car sa réalité professionnelle venait lui rappeler ses limites. Nous pouvons aussi constater que sa décision n’est prise que suite à la conversation qu’elle a eue avec sa mère, comme si elle craignait d’avoir à vivre la même histoire que sa mère, avoir un enfant jeune et sans père. Troisième Exemple : Mlle I. a 18 ans. Elle raconte : « Quand on m’a annoncé que j’étais enceinte j’étais à la fois toute contente et à la fois j’avais le cafard, parce que j’allais voir mon copain et qu’il allait me dire de ne pas le garder. C’est vrai que ça m’a traversé l’esprit. Heureusement qu’il me raisonnait en me disant qu’on pouvait pas et tout ça, parce que j’étais au lycée. J’aurais pas pu m’en occuper » « Parce qu’au début, j’étais un peu fixée sur l’idée que j’allais le garder, mon copain m’a dit :« sois consciente on va pas pouvoir ». Mlle I. ajoute : « c’est compliqué quoi, mes parents ne sont pas au courant, les siens non plus. Mes parents sont contre l’avortement ». Mlle I. est confrontée à trois contraintes contradictoires : d’une part elle désire garder l’enfant, d’autre part elle évolue dans une culture familiale où l’avortement est interdit et enfin elle est confrontée à la réalité de sa jeunesse car elle est encore au lycée donc dépendante de ses parents financièrement. Mlle. I. ne parle pas de sa grossesse à ses parents et elle décide de faire une IVG. Sa réalité socio-économique semble avoir un poids important dans cette prise de décision. 3.3 Synthèse Les analyses qui précèdent nous permettent de mieux préciser ce qu’il en est des enjeux subjectifs de la fécondité pour les jeunes filles rencontrées. Tout d’abord nous dirons que pour ces jeunes filles plusieurs désirs sont associés à la fécondité mais tout se passe comme s’ils n’étaient pas unifiés en un désir d’enfant. La possibilité d’être féconde peut ainsi être seulement en relation avec un désir de grossesse. Elle peut être en relation avec le désir de devenir autonome ou de se différencier de la mère. Ce serait là une des manifestations de l’immaturité affective normale liées à la jeunesse. D’autre part cette même immaturité affective semble rendre extrêmement précaire la distinction entre les désirs liés à la fécondité et la réalité de la mise au monde d’un enfant. La plupart des jeunes filles de notre échantillon semblent n’avoir pu commencer à comprendre la signification de cette réalité qu’à partir de l’annonce de la grossesse. Les paroles de Mlle J, à propos de quatre rapports sexuels sans préservatif, illustrent parfaitement ce point : « C’’était pendant la période d’ovulation, donc je savais d’emblée qu’il y avait de grands risques, mais bon il me fallait une preuve écrite du laboratoire, j’ai eu quand même un petit choc, parce que ça fait bizarre de se retrouver enceinte du jour au lendemain. Bon, je vous l’ai dit qu’il n’y avait aucun symptôme physique. Je n’avais pas trop conscience en fait ». On voit bien le caractère d’irréalité que peut revêtir la fécondité pour une jeune fille, bien que par ailleurs elle en connaisse les principes biologiques. Ceuxci n’acquièrent pour elle un poids de réalité qu’au moment de l’annonce (écrite !) de la grossesse. Enfin pour les jeunes filles rencontrées la distinction entre la satisfaction des désirs liés à la fécondité et la satisfaction des désirs sexuels est incertaine. Tout se passe comme si pour elles la satisfaction sexuelle devait s’accompagner « naturellement » de la satisfaction des désirs en rapport avec la fécondité. Il s ‘agit là d’un point important car accéder à une contraception rationalisée réclame justement cette distinction. Elle réclame de remettre à plus tard la satisfaction des désirs en rapport avec la fécondité tout en s’autorisant la satisfaction des désirs sexuels. Ces précisions amènent à penser que « la réflexion » qui précède la décision de faire une IVG est une douloureuse confrontation entre les désirs, l’imaginaire et la réalité. On peut estimer qu’elle les a amenées à effectuer un difficile travail de renoncement à la satisfaction immédiate de leurs désirs en rapport avec la fécondité, et donc à distinguer celle-ci de la satisfaction sexuelle. Nous ne pouvons évidemment rien dire de « la solidité » de ce renoncement et de cette distinction. Il faut cependant remarquer que l’idée « d’un enfant pour plus tard » est contenue dans les propos d’un nombre important de jeunes filles. Accéder à une sexualité sous contraception ne va donc pas de soi. Cela demande un authentique travail psychique aboutissant à différer la réalisation de désirs à partir de la prise en compte de la réalité, qui reste précaire à l’adolescence. 4 – L’expérience de la contraception 4.1 –Différentes pratiques contraceptives Dans notre partie analyse socioculturelle nous avons abordé de manière globale les pratiques contraceptives des jeunes filles de notre échantillon. Il s’agit maintenant de les caractériser aussi précisément que possible. Nous avons choisi de rendre compte de ces pratiques telles que nous pouvons les repérer dans les discours, en fonction d’une perspective temporelle. Le tableau ci-dessous présente ces périodes de pratiques contraceptives telles que les jeunes filles les reconstruisent au cours de l’entretien semidirectif (47 entretiens) Tableau pratiques contraceptives pratiques de contraception Nombre de jeunes filles Explication de la grossesse rupture préservatif Oubli Pilule seule depuis les premiers rapports sexuels 2 2 17 11 6 5 3 2 1 1 Préservatifs seul depuis les premiers rapports sexuels Pilule puis préservatif Préservatif puis pilule Aucune Jamais 6 Après arrêt de 11 la pilule Après arrêt du 4 préservatif Pilule plus 2 préservatif * Remarques Ces différentes périodes de pratiques contraceptives étant reconstruites par les jeunes filles, il convient d’avoir présent à l’esprit que la réalité a été certainement plus complexe. Ces résultats doivent être nuancés en fonction des différences d’âges. Par exemple n’utiliser aucune forme de contraception n’a certainement pas le même sens pour une jeune fille qui a des relations sexuelles depuis 5 ans que pour une jeune fille qui n’a eu que quelques rapports sexuels (cas des plus jeunes) Malgré ces nuances nous insisterons, à partir du tableau précédent sur les points suivants : - Dans notre échantillon (47) le nombre de jeunes filles recourant à la pilule de manière continue depuis leur premier rapport est très faible (2) - 11 jeunes filles (23,4%) ont pris la pilule puis ont arrêté. Soit pour la remplacer par le préservatif (5), soit pour ne lui substituer aucun moyen de contraception (6) - Au total 43 jeunes filles ne recouraient pas à la pilule au moment du rapport sexuel fécondant. (Celles qui y recouraient disent l’avoir oubliée). 4.2 –Les scénarios imaginaires de la contraception Venons-en maintenant à l’analyse des scénarios imaginaires accompagnant ces pratiques contraceptives. Au début de l’analyse psychologique nous avons avancé l’hypothèse selon laquelle ces pratiques complexes seraient à mettre en rapport avec un conflit psychique. Conflit entre le désir d’accéder à une vie sexuelle et l’interdit qui, à l’adolescence pèse sur le désir. Afin d’avancer dans la compréhension de ce conflit, nous allons commencer par montrer comment, pour les jeunes filles rencontrées, il existe deux formes de vie sexuelle et comment elles sont associées à deux formes de contraception différentes. * Deux formes de contraception, deux formes de vie sexuelle Nous partirons de l’analyse relativement approfondie d’un exemple très significatif. Exemple : A quinze ans, Mlle K. est allée voir un médecin avec sa mère, elle a pris la pilule « mais au bout de quatre – cinq mois je l’avais arrêtée, car elle m’avait fait prendre énormément de poids et psychologiquement j’étais pas prête à la prendre, donc j’avais arrêté et voilà ». Par la suite elle a utilisé le préservatif mais a eu quatre rapports sexuels sans protection avec son petit ami actuel. Comme on le voit Mlle K. hésite entre deux explications de son arrêt de la pilule. D’un côté la pilule l’a faite grossir, de l’autre elle n’était pas prête psychologiquement. Que veut-elle dire par là ?. Nous allons voir que cette question va s’éclairer par la suite lorsque Mlle K. va en venir à parler de deux formes de sexualité. Lorsque nous lui demandons si elle est allée voir le médecin pour lui dire que cette pilule la faisait grossir elle répond : « Bé j’ai pas eu trop de rapports avec les garçons donc je me disais le préservatif…pour le peu de rapports que j’ai c’est pas la peine de prendre la pilule. J’ai dit au médecin (de famille au moment de l’annonce de la grossesse), écoutez jusqu’à maintenant j’ai pas eu…cela fait 3 ans que j’ai pas trop, trop de rapports, je voyais pas trop l’intérêt de prendre la pilule et puis payer 200 F par mois, pourquoi ? Pour rien du tout en fait. C’est aussi bien de prendre le préservatif c’est aussi sûr et puis voilà » A notre question « Il n’y a pas de pilule moins chère que ça ? » elle répond : « si sûrement mais à cette époque je m’étais pas renseignée, je ne voulais pas reprendre » Retenons trois points : • Bien que sachant qu’il est possible d’adapter la pilule Mlle K. n’a pas fait de démarche auprès de son médecin. En fait elle ne voulait pas prendre la pilule • Ce qu’elle explique par le fait que sa vie sexuelle d’alors n’en valait pas la peine. De son point de vue il existe donc deux types de sexualité : une qui vaut la peine de prendre la pilule, une pour laquelle le préservatif suffit. • On peut penser que si elle ne voulait pas prendre la pilule c’est qu’elle ne voulait pas de l’autre forme de vie sexuelle. Le recours à la pilule est donc associé, sur le plan imaginaire, à une forme de sexualité que Mlle K. semble ne pas avoir souhaité pendant plusieurs années. Mais que recouvre exactement cette différence entre deux formes de sexualité ? (Différence complètement indépendante des principes de la biologie). Nous allons mieux le comprendre à partir de ce que nous dit Mlle K. des « rapports à risque » : « J’ai jamais eu à faire à la pilule du lendemain parce que j’ai jamais eu trop de rapports à risque, sauf pour le dernier j’avais…je suis tombée enceinte ». Mlle K. considère donc qu’avec la première forme de sexualité elle avait des rapports sans risque (pour lesquels le préservatif suffit). Avec le petit copain actuel quelque chose a changé : elle a « des rapports à risque ». On pourrait penser qu’elle fait là simplement référence au fait qu’elle est tombée enceinte mais elle ajoute : « Je savais qu’avec lui je pouvais faire quelque chose et qu’à la limite s’il y avait un bébé, à la limite on pouvait faire quelque chose, mais en fait j’ai fait une énorme bêtise, j’aurais jamais dû penser ça quoi » Un rapport à risque c’est donc un rapport sexuel avec un petit copain que l’on aime suffisamment pour penser qu’avec lui il serait possible d’avoir un enfant. Un petit copain qui réveille les désirs en rapport avec la fécondité. Mlle K. semble donc dire que jusque là elle avait rencontré des garçons avec lesquels ces désirs là n’étaient pas en jeu. Résumons : • Il existe une vie sexuelle à risque et une vie sexuelle sans risque. • Avec la sexualité sans risque on est à l’abri des désirs en rapport avec la fécondité. Le préservatif suffit. • Avec la sexualité à risque on n’est pas à l’abri des désirs en rapport avec la fécondité. Pour cette vie sexuelle là le préservatif ne suffit pas. La pilule est nécessaire. Nous considérons l’analyse de cet exemple comme tout à fait illustrative du conflit psychique dans lequel s’inscrit le recours à la pilule pour la plupart des jeunes filles que nous avons rencontrées. Quels sont les termes, forcément contradictoires, de ce conflit psychique ? Recourir à une contraception programmée permet de satisfaire les désirs sexuels mais impose de distinguer la satisfaction de ces désirs là de la satisfaction des désirs en rapport avec la fécondité. Cette distinction est difficile pour les jeunes filles et se met en place en elles le refus de recourir à la pilule pour ne pas avoir à assumer cette distinction. Les analyses ultérieures permettent de mieux comprendre les raison de ce refus. Un certain nombre d’entre elles « inventent » alors une vie sexuelle intermédiaire à distance sur plan imaginaire des enjeux de la fécondité. Il s’agit d’un compromis qui leur permet d’éviter de répondre aux exigences de la sexualité adulte telle que la conçoivent nos sociétés avec la contraception programmée. Une vie sexuelle qui n’en serait pas vraiment une en quelque sorte. 4.3 Les enjeux imaginaires accompagnant l’arrêt de la pilule Nous allons maintenant nous centrer plus spécifiquement sur les enjeux imaginaires liés à l’arrêt de la pilule. Toutes les jeunes filles dont il va être question ont recouru à la pilule puis ont cessé de l’utiliser. * Les jeunes filles dont le recours initial à la pilule était lié à une prescription médicale destinée à réguler le cycle menstruel. Les jeunes filles relevant de ce cas de figure (au nombre de 3) ont cessé de recourir à la pilule une fois la régulation du cycle menstruel obtenue Exemple : Mlle L. Elle est âgée de 17 ans. Elle a pris la pilule de 15 à 16 ans et demi. Le rapport fécondant a eu lieu avec un garçon qu’elle venait de rencontrer. Ils n’ont pas utilisé le préservatif. A la question « qui vous a donné la pilule ? », elle répond : « Ma gynéco. Parce qu’enfin j’avais pas de rapports sexuels avec mon petit copain de l’époque. C’est parce que j’avais des règles irrégulières et le seul moyen c’était prendre la pilule. Alors ma mère m’a fait prendre la pilule pour ça » Puis Mlle L. dit qu’elle ne sait pas pourquoi elle a arrêté avant d’ajouter : « mes règles étaient devenues régulières ». Ce bref extrait laisse à penser que Mlle L ne s’est pas approprié la décision de prendre la pilule. Pour elle ce serait plus la décision de sa mère et de sa « gynéco » que la sienne. Cette non appropriation semble facilitée par le caractère « thérapeutique » de la prescription. A la faveur de la spécificité de la prescription Mlle L semble ne pas s’être représenté la pilule comme un moyen de contraception. Pour ces jeunes filles tout se passe donc comme si, sur le plan imaginaire, le recours à la pilule était distinct de la question de la contraception. N’ayant pas recouru à la pilule pour se prémunir contre la grossesse elles semblent ne pas avoir effectué le travail psychique permettant d’assumer une contraception programmée. Le caractère strictement thérapeutique du recours initial à la pilule semble leur permettre d’éviter d’effectuer ce travail. * Les jeunes filles qui, au cours de l’entretien semi-directif, parlent de leur peur de la stérilité. 2 jeunes filles entrent dans ce cas de figure. Nous avons eu l’occasion de mettre en évidence que le désir d’enfant et le désir de grossesse ne coïncident pas obligatoirement. Il s’agit maintenant d’insister sur le fait que l’usage de la pilule, peut maintenir un doute quand à la fécondité. Nous allons voir, à l’aide d’un exemple, qu’une histoire particulière peut « amplifier » ce doute et conduire à l’arrêt de la pilule. Exemple : Mlle M. a 19 ans. Elle a subi une première IVG à l’âge de 17 ans. Elle vivait alors à l’étranger et, selon elle, « c’était dans des mauvaises conditions parce que, là bas, c’est interdit. C’était fait en cachette tout ça et j’avais peur d’être stérile, de plus pouvoir avoir d’enfant. Alors j’ai réessayé » Pour Mlle M. le doute est « amplifié » par les conditions du premier avortement. L’usage de la pilule ne permet évidemment pas de lever ce doute. Mais au doute lui même s’ajoute un puissant désir de transmettre l’amour que lui a donné sa mère décédée il y a quelques années. « j’avais envie d’être mère parce que j’étais gâtée par ma mère. Aussi j’avais besoin de donner un petit peu d’amour ». La conjonction du doute avec le désir de transmettre a conduit Mlle M à cesser de recourir à la pilule, sans en parler à son copain. Elle pense maintenant que «c’était une bêtise » : « j’ai aucune situation et lui non plus. On serait dépendants de ses parents et ils ne sont pas d’accord » * Les jeunes filles qui justifient l’arrêt de la pilule par les troubles de santé qu’occasionne sa prise. 7 jeunes filles entrent dans ce cas de figure. Cette justification particulière nous semble devoir être comprise à partir de ce que nous avons dit jusqu’à maintenant. Les jeunes filles qui évoquent ces troubles de santé, qu’elles ont sûrement connus, n’ont pas entrepris de démarche pour modifier la pilule (ce qui est le cas de Mlle K p. 48). En fait les troubles de santé semblent leur avoir permis de pas effectuer le passage qui mène à une contraception programmée et aussi de maintenir, sur le plan imaginaire, la possibilité d’une satisfaction des désirs en rapport avec la fécondité. Exemple : Mlle N. a 19 ans. Elle n’utilisait aucun moyen de contraception depuis l’arrêt de la pilule il y a plus d’un an. « J’avais des gonflements dans la poitrine, j’avais des boutons partout, ça n’allait pas cette pilule. Puis la pilule je l’ai prise en cachette avant que mes parents ne le sachent. J’ai été au planning familial et c’était le planning qui l’avait délivrée et j’ai été la prendre en pharmacie et comme je voyais que ça allait pas je suis pas retournée au planning et la pilule j’ai arrêté ». Par la suite Mlle N. explique qu’elle n’a jamais parlé de rapports sexuels à ses parents « parce que mes parents sont protestants et pour eux il n’y pas d’amour avant le mariage et pas de rapports avant le mariage non plus ». Notons qu’au début elle a dit que ses parents sont également contre l’avortement et que si elle même a été « dans la religion » maintenant elle n’y est plus. Ainsi les problèmes physiologiques liés à la pilule sont immédiatement associés, dans le discours, à l’interdit parental concernant la sexualité. Avoir des rapports sexuels c’est transgresser l’interdit parental mais aussi se différencier des parents et de leurs croyances. Mlle N. est allée jusqu’au bout de cette transgression puisque non seulement elle a eu des rapports sexuels mais en plus elle n’a pas utilisé de contraception et a dû avorter. Les problèmes physiologiques apparaissent comme un prétexte fournissant une déculpabilisation à l’égard de cette transgression. Ce qui n’empêche pas qu’ils peuvent avoir aussi donné le sentiment à Mlle N. de ne plus être protégée du regard de ses parents (les boutons sont visibles). (voir à ce propos le cas de Mlle. Q p. 54). Nous retrouvons avec cet exemple ce que nous avons appelé « un désir d’autonomie » (qui suppose une transgression) associé à la fécondité. L’exigence de ce désir d’autonomie n’a pas permis à Mlle N. de distinguer la satisfaction des désirs sexuels de celle des désirs en rapport avec la fécondité et donc de recourir à la pilule. L’expérience de la grossesse la confronte à la nécessité de faire cette distinction. * Les jeunes filles qui mettent en relation l’arrêt de la pilule avec une séparation. 4 jeunes filles entrent dans ce cas de figure. La pilule a été utilisée de manière régulière tout le temps qu’a duré une relation amoureuse avec un petit copain. Puis est intervenue la séparation et les jeunes filles ont cessé de prendre la pilule. Par la suite elles ont rencontré un autre petit copain mais pour autant n’ont pas recouru de nouveau à la pilule. Dans cette nouvelle relation elles ont utilisé le préservatif qui, selon elles, soit a « craqué », soit a été oublié. Exemple : Mlle O. a 19 ans. Voici ce qu’elle dit lorsque nous lui demandons si elle sait pourquoi elle a arrêté de recourir à la pilule : « Parce qu’en fait j’avais 15-16 ans quand j’ai eu mon premier rapport. Je suis restée 2 ans avec mon copain. J’étais au lycée, j’avais pas trop envie d’avoir un enfant et en fait on s’est séparé. J’ai arrêté de la prendre et depuis si je vais… mais c’était avec préservatif, ça durait pas longtemps et là c’est vrai que c’est moi qui ai peut être fait une bêtise quoi » Pendant le temps qu’a duré la première relation la distinction entre la satisfaction des désirs sexuels et celle des désirs en rapport avec la fécondité était à l’œuvre. Mlle O. avait accédé à l’expérience d’une vie sexuelle sous contraception programmée. Mais, pour elle, cette forme de vie sexuelle semble liée à cette première relation. Dès qu’intervient la séparation elle fait l’expérience de ce qui pour elle semble être une autre forme de vie sexuelle, faite de rencontres épisodiques. Et certainement des relations sexuelles où l’amour n’est pas en jeu et où on est à l’abri des désirs en rapport avec la fécondité et donc de la contrainte de recourir à la pilule. Venons-en maintenant à ce que dit Mlle O. de sa relation amoureuse actuelle. « En fait, ça fait 3-4 mois que je suis avec un garçon et je suis tombée tout de suite amoureuse de lui et puis en fait…ça faisait longtemps parce que avant je prenais la pilule… j’ai pas pensé. J’était tellement heureuse, j’ai pas pensé à reprendre la pilule, j’ai essayé de faire attention mais… et puis dans un sens j’aurais aimé avoir un bébé de lui mais bon, c’est pas trop possible parce que moi je tombe toujours sur des cas particuliers » L’amour réveille donc les désirs en rapport avec la fécondité contre lesquels Mlle O. ne sait plus se prémunir. Le préservatif qui suffisait pour les rencontres épisodiques ne suffit plus. On « l’oublie ». Pour Mlle O. la distinction entre les désirs sexuels et les désirs en rapport avec la fécondité, qui a été opérante lors de la première relation amoureuse suivie, est à reconstruire. L’expérience de la grossesse l’amène à se rendre compte que l’actuel petit copain est « un cas particulier » et qu’elle doit remettre à plus tard la satisfaction de ses désirs en rapport avec la fécondité. Les jeunes filles qui arrêtent de prendre la pilule à la suite d’une séparation permettent donc de comprendre que : • L’usage de la pilule peut rester associé à une relation amoureuse et ne pas être vécu comme nécessaire pour d’autres relations. • La distinction entre la satisfaction des désirs sexuels et celle des désirs en rapport avec la fécondité reste fragile, surtout à l’adolescence. 4.4 L’usage du préservatif ou la recherche d’un compromis imaginaire entre deux formes de sexualité Les jeunes filles rechercheraient donc d’une manière inconsciente l’expérience d’une sexualité intermédiaire entre l’absence de relations sexuelles de l’enfance et une vie sexuelle adulte reposant sur un contrôle rationnel de la satisfaction des désirs en rapport avec la sexualité. Nous allons maintenant essayer de mieux comprendre comment l’usage du préservatif entretient des liens avec l’imaginaire d’une sexualité intermédiaire. * Le préservatif et le partage de la responsabilité de la contraception Pour un certain nombre de jeunes filles l’usage du préservatif procure le sentiment de partager la responsabilité de la contraception avec le petit copain. Elles semblent en revanche vivre l’usage de la pilule comme relevant de leur seule responsabilité. Exemple : Mlle P. 15 ans. Sa grossesse est survenue à la suite d’un oubli du préservatif. Voici ce qu’elle dit de la pilule : « Parce que c’est vrai j’aime pas trop prendre la pilule et puis je l’oublie tout le temps, donc les trois quarts du temps, elle marche pas. Et puis c’est chiant, il faut la prendre tous les soirs » Et maintenant à propos de la réaction de son petit copain au moment de l’annonce de la grossesse : « Il l’a mal pris, il était pas content. Mais bon il l’a quand même bien pris. Lui aussi a fait une bêtise ». Pour Mlle P., avec le préservatif, la responsabilité de « la bêtise » est partagée. Mais on peut penser qu’est aussi partagée la responsabilité de la contraception. L’usage du préservatif c’est l’affaire des deux partenaires du couple alors que la prise de la pilule relève d’une responsabilité individuelle. Même si des propos comparables n’apparaissent pas dans tous nos entretiens il n’en reste pas moins que presque toutes les jeunes filles utilisent le « on » pour parler de l’usage du préservatif (« on n’a pas mis de préservatif, on n’en avait pas acheté »). Elles peuvent également utiliser le « il » pour rendre compte des attitudes du petit copain à l’égard du préservatif (« il n’a pas voulu l’utiliser, il en avait marre du préservatif »). Ce qui pose d’ailleurs la difficile question de la négociation de l’usage du préservatif dans le couple. Et pour les jeunes filles la question de la possibilité de dire « non » Insistons sur deux points : • Recourir à la pilule de manière régulière requiert d’accéder à un sentiment de responsabilité individuelle. • L’usage du préservatif dispense d’avoir à effectuer ce chemin intérieur difficile. * L’usage du préservatif pour une vie sexuelle clandestine Dans certains cas l’usage du préservatif s’inscrit clairement dans le contexte d’une confrontation avec l’interdit parental. N’ayant pas le sentiment que leur mère leur a donné l’autorisation de vivre pleinement leur sexualité les jeunes filles trouvent un compromis : elles s’autorisent une vie sexuelle mais ne recourent pas à la pilule. Comme si franchir le pas qui mène à l’usage pilule nécessitait une autorisation maternelle dont on peut éventuellement se passer pour une sexualité avec préservatif. Exemple : Mlle Q. a 19 ans. Elle est d’origine maghrébine. Elle dit qu’elle n’éprouve pas de plaisir pendant les relations sexuelles « je pense à ma mère d’ailleurs quand je le fais. Je me dis : putain, si elle me voyait, mais elle me dirait, « qu’est ce qu’elle fait ma fille ? elle aurait honte ! Et moi j’ai honte d’ailleurs quand je rentre chez moi. Parce qu’elle me fait confiance, elle me laisse sortir et moi en fait quand je dis « je dors chez Sylvie », je dors avec mon copain et que je le fasse avec lui, mais ça me dégoûte ». « Le mariage c’est, il faut être vierge et voilà ! C’est surtout pour mes parents que je voulais faire ça. Enfin ma mère surtout. J’ai toujours pensé ça et ma mère elle voulait ça en plus. Elle serait vraiment déçue » Pour Mlle Q., avoir des relations sexuelles c’est transgresser un interdit parental. Dans le même temps c’est faire du mal à ses parents, à sa mère surtout. Le prix à payer pour cette transgression est assez élevé : elle semble avoir beaucoup de difficultés à éprouver du plaisir pendant les relations sexuelles. Voici ce qu’elle dit à propos de la pilule : « Moi, j’ai vu des filles au lycée, mais elles ont pris la pilule, mais elles sont devenues grosses. Je sais pas si c’est…Peut-être que c’est pas la pilule appropriée pour elles, mais elles ont vraiment…hé tiens une arabe hé, elle a grossi d’un coup, alors sa mère a dû remarquer qu’elle devait avoir des rapports, elle. Donc voilà…ça me dit rien ». Nous retrouvons le problème des effets physiologiques de la pilule. Lorsque l’on a le sentiment de transgresser un interdit, en s’autorisant une vie sexuelle, ces effets supposés sont vécus comme pouvant trahir, pour le regard de la mère, la faute commise. L’usage du préservatif apparaît alors comme une solution permettant de préserver le caractère « clandestin » de la vie sexuelle. Cet exemple pourrait être considéré comme trop particulier pour illustrer les enjeux imaginaires de l’usage du préservatif. Pourtant, plusieurs jeunes filles, font référence de manière indirecte, à l’autorisation maternelle. Ainsi certaines disent s’être contentées du préservatif parce que leur mère ne les a pas « amenées » chez un gynécologue alors qu’elles lui avaient demandé. Mlle R., dont nous rapportons les propos ci-dessous, explique très bien ces enjeux compliqués entre la mère et la fille. Exemple : Mlle R. a 17 ans, ses parents ne sont pas au courant de sa grossesse et elle ne prend pas la pilule : « parce que je pensais déjà qu’il fallait que ma mère aille avec moi. Je pensais pas que je pourrais moi, la prendre toute seule, enfin sans que ma mère le sache » Quand nous l’invitons à expliquer pourquoi elle ne lui a pas demandé, elle nous dit : « bé, c’est que je ne sais pas, j’avais peur que quand moi je lui dise, qu’elle ne soit pas prête à accepter que je lui dise ça » Mlle R. nous dit que sa mère n‘est pas au courant qu’elle a des rapports sexuels et elle explique ainsi cette attitude : « C’est qu’elle a tellement compté sur sa petite fille que j’étais avant et puis que j’ai grandi et ça les parents ils ne se rendent pas spécialement compte qu’on grandit vite, donc ça elle… pour elle… Enfin maintenant que je suis avec mon copain, elle se rend compte que je suis plus sa petite fille. Mais pendant un petit moment ça a été dur quoi de lui faire comprendre que c’était fini cette histoire, que j’étais plus sa petite fille, que moi aussi j’ai grandi comme tout le monde » Quand nous lui demandons si elle va a en parler à sa mère maintenant, elle nous dit : « Non, parce que je pense qu’on a toujours besoin de sa mère, d’être proche de sa mère et j’ai peur que si elle le savait, elle me parlerait beaucoup moins de ses problèmes. Nous avons une bonne relation et elle ne peut pas durer si oui, si je lui parle de ça ». Quand nous lui demandons de nous expliquer pourquoi elle n’a pas fait seule la démarche d’aller voir un médecin pour demander la pilule, Mlle R. nous dit: « Ne pas prendre la pilule bon, c’est aussi se dire qu’on n’a pas spécialement grandi ». Prendre la pilule c’est grandir et cela suppose de rendre caduque une certaine image de la mère et de la relation avec elle. Mlle R. n’était pas encore en mesure de l’assumer et le désirait pas vraiment. L’usage du préservatif apparaît comme un compromis : il permet de grandir mais pas trop, quitte à se priver de certaines satisfactions comme le précise Mlle R. « c’est peut-être pas grandir parce que bon on ne connaît pas de choses avec le préservatif. C’est une protection qui enlève des désirs. Bon, c’est quand même du plastique » *Le préservatif : moyen de contraception ou protection contre le SIDA ? Ce que nous allons avancer sous cette rubrique doit être appréhendé avec prudence. Tout d’abord parce que nous nous appuyons sur les paroles de deux jeunes filles seulement. Et, d’autre part, parce que nos entretiens n’ont pas été conçus pour aborder le thème de la protection contre le sida. Ce thème n’est donc apparu que deux fois et « un peu par hasard ». Pour ces deux jeunes filles le préservatif a été utilisé de manière régulière puis abandonné lorsqu’elles ont estimé qu’elles pouvaient faire « confiance » à leur nouveau petit ami. Elles veulent dire par là qu’elles savaient qu’il n’était pas séropositif. Exemple : Mlle S. a 19 ans. Elle n’a jamais recouru à la pilule. Avec ses premiers petits copains elle a utilisé le préservatif. Voici ce qu’elle dit d’eux : « Ouais, c’était pas des choses sérieuses. J’ai pas couché avec beaucoup de garçons. Y avait le préservatif ». Par contre à propos de son petit ami actuel « c’était pas une relation en l’air, vu qu’il avait attendu et tout. Ca s’était pas passé comme avec les autres quoi » Puis : « Je crois qu’il y avait qu’avec mon ami que j’ai pas utilisé le préservatif. Je faisais confiance. On savait qu’on avait pas le sida, ni lui, ni moi parce qu’on avait fait des examens pas longtemps avant… » Avec Mlle S. nous retrouvons cette idée selon laquelle l’usage du préservatif est associé à des relations pour lesquelles l’amour n’est pas en jeu. Ce qui est nouveau c’est l’idée de méfiance en rapport avec la séroposotvité. Pour elle l’usage du préservatif semble être resté associé à cette méfiance. Comme s’il s’agissait d’un moyen de protection et non, dans le même temps, d’un moyen de contraception. Dès lors que la méfiance n’a plus de raison d’être, l’usage de préservatif non plus. Ainsi Mlle. N. à la faveur de cette conception particulière de l’usage du préservatif semble avoir évité de se poser des questions à propos de la fécondité. 4.5 Synthèse L’idée selon laquelle il existe, dans l’imaginaire des jeunes filles, deux formes de vie sexuelle nous paraît essentielle. La première est une vie sexuelle de compromis ou intermédiaire. Rappelons les bénéfices et les désavantages qu‘elle comporte. Les bénéfices • Elle permet de satisfaire des désirs sexuels • Elle permet de ne pas grandir « trop vite » en évitant d’affronter les questions en rapport avec les désirs liés à la fécondité. • Elle permet de ne pas transgresser des interdits parentaux. • Mais elle peut aussi permettre de transgresser tous les interdits parentaux. • Elle permet de ne pas recourir à la pilule. Le préservatif suffit. • Elle donne le sentiment que la responsabilité de la contraception est partagée. Les désavantages • Les satisfactions sont limitées parce qu’elle oblige à contrôler les sentiments amoureux (se contenter des relations épisodiques par exemple). • Le plaisir est limité « à cause » du préservatif. • Elle fait courir le risque de ne pas utiliser le préservatif si l’on tombe amoureuse ou si le petit copain n’en veut pas. La seconde forme de vie sexuelle apparaît comme plus adulte dans la mesure où elle passe par l’acceptation de recourir à une contraception rationalisée. Rappelons quelques unes de ses caractéristiques. • Elle suppose de grandir en affrontant les questions en rapport avec les désirs liés à la fécondité. • Elle suppose de remettre à plus tard la satisfaction de ces désirs tout en la différenciant de la satisfaction des désirs sexuels. • Elle suppose d’assumer seule la responsabilité de la contraception. Les bénéfices • Elle permet de satisfaire des désirs sexuels • Elle permet de ne pas grandir « trop vite » en évitant d’affronter les questions en rapport avec les désirs liés à la fécondité. • Elle permet de ne pas transgresser des interdits parentaux. • Mais elle peut aussi permettre de transgresser tous les interdits parentaux. • Elle permet de ne pas recourir à la pilule. Le préservatif suffit. • Elle donne le sentiment que la responsabilité de la contraception est partagée. Les désavantages • Les satisfactions sont limitées parce qu’elle oblige à contrôler les sentiments amoureux (se contenter des relations épisodiques par exemple). • Le plaisir est limité « à cause » du préservatif. • Elle fait courir le risque de ne pas utiliser le préservatif si l’on tombe amoureuse ou si le petit copain n’en veut pas. La seconde forme de vie sexuelle apparaît comme plus adulte dans la mesure où elle passe par l’acceptation de recourir à une contraception rationalisée. Rappelons quelques unes de ses caractéristiques. • Elle suppose de grandir en affrontant les questions en rapport avec les désirs liés à la fécondité. • Elle suppose de remettre à plus tard la satisfaction de ces désirs tout en la différenciant de la satisfaction des désirs sexuels. • Elle suppose d’assumer seule la responsabilité de la contraception. Passer d’une forme de vie sexuelle à l’autre n’est pas évident pour les jeunes filles que nous avons rencontrées. Ce passage engage en fait tout le processus de maturation de l’adolescence. Il exige d’abandonner les compromis propres à cet âge, compromis grâce auxquels on obtient des satisfactions de « presqu’adulte » tout en évitant de renoncer à celles de l’enfance. CONCLUSION * Entre la connaissance et l’épreuve de la réalité Lors de notre analyse socioculturelle nous avons insisté sur le décalage entre l’information reçue à propos de la fécondité et de la contraception et l’usage régulier d’une forme de contraception. La plupart des jeunes filles de notre échantillon ont entendu parler des principes biologiques de la fécondité comme des moyens de contraception sans pour autant recourir à ces derniers de manière rationnelle. Nous pouvons revenir sur ce décalage à la lumière de notre analyse psychologique. Pour simplifier nous parlerons en termes d’écart. • Il existe un écart très important entre connaître les principes de la fécondité et s’éprouver soi-même féconde, c’est à dire susceptible d’enfanter. Ce savoir général ne s’incarne pas nécessairement en un savoir sur le propre corps. De là la difficulté à mesurer les conséquences du non recours à la contraception. • Il existe un écart très important entre le fait de rêver d’un enfant et réaliser ce que cela signifie dans la réalité. La plupart, des jeunes filles éprouvent des désirs en rapport avec la fécondité mais ces désirs ne visent pas un enfant réel. C’est un enfant du rêve, de la fantaisie. Ne pas recourir à la contraception est une manière de satisfaire ce rêve sans prendre conscience qu’alors il ne s’agira plus d’un rêve. Il nous semble que, dans la plupart des cas, la grossesse et l’épreuve de l’IVG ont des effets importants au niveau de ces deux écarts. La grossesse impose à ces jeunes filles de faire l’expérience de leur propre fécondité. Celle-ci n’est plus une notion abstraite. D’autre part elle les oblige à confronter le rêve à la réalité, les désirs aux conséquences de leur satisfaction. * Sur une exigence de la condition moderne A ces écarts, qui relèvent de la subjectivité, s’ajoute une difficulté propre à l’époque moderne. N’étant plus soumise à un contrôle strict, comme elle a pu l’être par le passé, la sexualité est devenue l’affaire de l’individu, elle relève de sa responsabilité. La conquête récente de la distinction entre sexualité et fécondité s’inscrit tout à fait dans ce contexte, puisque c’est à l’individu de décider ce qu’il sera pour lui du rapport entre ces deux expériences. La contraception vient évidemment soutenir la possibilité de ce libre choix. L’étude que nous venons de mener montre combien il est difficile, à l’adolescence, de l’assumer. Cela tient en grande partie au fait que la vie sexuelle échappe, pour l’essentiel, aux décisions rationnelles. Nous avons vu également comment les jeunes filles tentent de ne pas opérer cette distinction en refusant d’assumer seules la responsabilité de la contraception. La difficile tâche d’éduquer à la sexualité et à la contraception Nous n’avons pas évoqué jusqu’à maintenant ce que disent les jeunes filles des informations qu’elles ont reçues au collège ou au lycée. Certaines d’entre elles ont livré leurs impressions. Nous terminerons sur deux exemples assez différents. L’une de ces jeunes filles nous a dit « à l’école quand on nous parle on n’écoute pas forcement, à cause de…peut-être de la honte. Y’a les copains, y’a le professeur, on se chamaille, on rigole » « il y a des garçons timides dans ma classe » La honte suppose l’impression qu’on se soumet au regard des autres. Ici le regard des autres se porte sur ce qui peut-être vécu comme le plus intime par cette jeune fille. Et ce regard des autres empêche d’écouter. Une autre jeune fille dit : « Ils nous ont parlé de l’ovule, du spermicide…ça fait peur quoi. Ca me faisait peur d’apprendre tout ça ». Parler en classe de la contraception peut faire peur surtout si l’on est à un âge où la sexualité ellemême inquiète…et attire…