Les Études comparées en Serbie
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Les Études comparées en Serbie
Les É t u d e s comparées en Serbie Jelena Novakovic* L e s Serbes ont u n e assez longue tradition comparatiste qu'il est impossible de présenter d a n s sa totalité d a n s u n article. Cette tradition commence d a n s les a n n é e s cinquante d u XIXe siècle et se manifeste autant par l'introduction d a n s la littérature serbe d e s connaissances et des représentations d e s littératures étrangères q u e par les études comparées de différents phénomènes littéraires. 1 On constate que, au Lycée de Belgrade (qui deviendra e n 1863 la Grande École et en 1905 l'Université), les cours de littérature comparée ont précédé ceux de littérature générale et de théorie littéraire, et même ceux d e littérature serbe. Ce fait u n p e u inhabituel est lié à la présence d ' u n ragusain d e renom, Matija Ban, homme d e lettres et diplomate, qui vient à Belgrade e n 1844 pour être précepteur des filles du prince Alexandre et qui enseigne la littérature française au Lycée. En 1852, il commence u n cours d e littérature comparée en présentant son programme d e la façon suivante: J'ai l'intention de vous enseigner, avec la littérature française, la littérature slave, de vous faire un cours de littérature franco-slave comparée. C'est ainsi que, en formant notre littérature à l'exemple de la littérature européenne, nous conserverons sa physionomie particulière et nous lui donnerons une empreinte d'originalité qui la distingue des autres. 2 Les cours d e Matija Ban avaient pour b u t d e comparer la littérature serbe à la littérature française pour l'aider à s'élever au niveau d e s littératures européennes et pour transporter les acquisitions d e la civilisation occidentale d a n s le milieu serbe. Mais bientôt Matija Ban * Professeur à l'Université de Belgrade, Serbie. Courriel : [email protected] 1. A ce sujet, voir: Naucna kritika komparativ-istickog smera (sous la direction de SLOBODANKA PEKOVIC et SVETLANA SLAPSAK), Beograd - Novi Sad, Institut za knjizevnost i umenost - Matica srpska, 1983, aussi bien que le livre de Z. Konstantinovic. 2. Cité dans: ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativ no vidjenje srpske knjizevnosti, Svetovi, Novi Sad, 1993, p. 46. 43 JELENA NOVAKOVIC quitte le Lycée et la littérature comparée n'y est plus enseignée jusqu'en 1906 où elle entre, avec la théorie littéraire, dans le programme d'études pour les groupes des langues et littératures serbes, françaises et allemandes comme seconde discipline. La Section de littérature comparée est fondée en 1911,3 mais en 1929 elle est dissoute et répartie en plusieurs disciplines, pour n'être restituée qu'en 1954 sous le nom de Section de littérature générale et de théorie littéraire. Le premier Serbe qui s'occupe de littérature comparée d'une manière approfondie est Stojan Novakovic, professeur à la Grande École, qui publie en 1868, dans la revue Vila (La Fee), l'article «Notre ancienne littérature et les sources de notre littérature populaire», où il écrit : Cette direction comparatiste est la seule qui soit utile dans toutes les périodes de l'histoire littéraire. [...] L'originalité des créations humaines est mise en question ; on considère que la plus grande originalité est dans la capacité d'adapter les idées générales, la science, son niveau élevé, et les courants littéraires aux besoins et à la vie de son peuple. Aussi est-il question de savoir, quand il s'agit de recherches qui concernent la nouvelle littérature, d'où tel courant provient, de quelle école, de quels maîtres, quelle littérature a influencé la nôtre et à quel moment.4 Novakovic part de la comparaison concrète de deux phénomènes pour arriver au contexte, en considérant la littérature serbe dans ses relations avec la culture européenne, comme le montre son Histoire de la littérature serbe (1867), tentative de présentation synthétique de la littérature serbe dans le cadre des grandes littératures européennes, ou encore La Vie de Saint- Basile. Une légende de la vie d'outre-tombe (1895), où il fait un parallèle entre cette légende et La Divine comédie de Dante. Jovan Maksimovic, traducteur du russe, publie en 1892 dans la revue Strazilovo le texte de ses conférences sur «La Position de la littérature serbe par rapport aux grandes littératures, notamment à la littérature russe», où il exprime l'idée évolutionniste que tous les peuples sont des organes qui servent à une seule fin et qu'une petite littérature, comme la 3. La Chaire d'histoire littéraire générale est fondée en 1873. 4. Vila, 1868, No 23, p. 533. Cité par : GVOZDEN EROR, «O prvim decenijama srpske komparatistike», Knjizevna istorija, 1980/50, p. 261. 44 LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE littérature serbe, doit imiter dans son développement une grande littérature, surtout la littérature russe qui lui est la plus proche. Cette conception provoque la réaction de Radovan Kosutic qui répond par la brochure La Critique et la littérature (1893), où il désapprouve la position de Maksimovic qui accorde une trop grande importance aux influences étrangères. À la question de celui-ci : «Avons-nous une littérature ?», il répond positivement en soulignant que personne n'a le droit de contester ce fait au nom de quelque méthode que ce soit et que la tâche de la critique littéraire serbe est de saisir ce qui est propre à la littérature serbe. C'est la première polémique en Serbie qui concerne les recherches littéraires comparées. On considère qu'elles doivent avant tout dégager les spécificités de la littérature serbe. L'accent se déplace du problème de l'influence au problème de la réception. Au début du XXe siècle, ce sont surtout les historiens de la littérature serbe qui font des recherches comparatistes, tels Pavle Popovic et Jovan Skerlic, rédacteurs du Courrier littéraire serbe (1901-1914), revue qui publie beaucoup d'études comparées. 5 Romanistes de formation, ils subissent l'influence de la critique littéraire française, marquée par le positivisme, et considèrent la création littéraire comme une reproduction créatrice de différents modèles que les études comparées doivent découvrir. C'est ainsi que Jovan Skerlic, dans son livre La Jeunesse et sa littérature (1848-1871 ), publié en 1906, se propose de «mettre en relation les idées de la Jeunesse serbe unie avec les mouvements semblables en Occident» et de les présenter comme «les reflets du romantisme européen et surtout allemand». En se référant à Hippolyte Taine qui explique les œuvres littéraires par l'action de trois facteurs essentiels (race, milieu, moment), il constate : Si on peut dire que la littérature est l'expression de la société, le reflet des coutumes de son milieu, comme le dit Taine dans la préface célèbre à son Histoire de la littérature anglaise, c'est bien le cas pour cette période de notre littérature.6 5. E n 1904, cette r e v u e publie l'article de JOVAN SKERLIC, « L e s romantiques français et la poésie populaire s e r b e » et celui de PAVLE POPOVIC, «Zadig de Voltaire et les contes populaires serbes». 6. Cité dans : ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativno cit., p. 21. 45 vidjenje srpske knjizevnosti, op. JELENA NOVAKOVIC Dans La Littérature serbe au XVIIle siècle (1909) et L'Histoire de 7a nouvelle littérature serbe (1914) Skerlic parle surtout des sources et des influences, en essayant de rendre compte de Γ «européanisation» de la littérature serbe. D'autre part, en constatant que la littérature est «la copie des coutumes environnantes» (Introduction à La Jeunesse et sa littérature), il anticipe dans une certaine mesure les recherches culturelles des années quatre-vingts dont les représentants (Daniel-Henri Pageaux, Yves Chevrel) examinent les «relations transtextuelles», en considérant les phénomènes littéraires comme des produits de l'atmosphère spirituelle d'une époque et de l'union de la subjectivité individuelle avec la subjectivité collective. A Pavle Popovic et Jovan Skerlic se joint Vojislav Jovanovic, écrivain, universitaire, chef du Département historique du Ministère des affaires étrangères, et lui aussi, pendant un certain temps, rédacteur en chef du Courrier littéraire serbe. Dans sa thèse de doctorat sur La Guzla de Prosper Mérimée, 7 recueil de ballades pseudo-illyriennes —mystification qui provoque un vif intérêt parmi les collaborateurs du Courrier littéraire serbe, qui lui consacrent plusieurs articles, commentaires et notes—, Vojislav Jovanovic traite le problème de la réception en examinant l'authenticité des poésies populaires serbes citées non seulement dans ce livre, mais aussi dans l'œuvre d'Alberto Fortis et dans le roman Les Morlaques de la comtesse Rosenberg-Orsini. 8 Les représentants éminents de l'école comparatiste française en Serbie sont aussi Miodrag Ibrovac et Nikola Banasevic, tous les deux professeurs de langue et de littérature françaises à l'Université de Belgrade. Homme de grande érudition, dont la thèse de doctorat sur José-Maria de Hérédia, soutenue en France, est reconnue par les experts français dans ce domaine, Miodrag Ibrovac étudie aussi les relations littéraires entre les peuples balkaniques en les considérant dans le contexte européen, comme 7. VOYISLAV M. YOVANOVIC, « L a Guzla» de Prosper Mérimée. É t u d e d'histoire romantique. Préface d'AuGUSTlN FlLON, Hachette, Paris 1911. 8. Ses considérations sont publiées également d a n s L e Courrier littéraire serbe sous le titre de : «Claude Fauriel et la poésie populaire s e r b e » (1910) et celui d e : « L a comtesse Rosenberg et ses Morlaques» (1913). 46 LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE le montre son grand livre Claude Fauriel et la fortune européenne des poésies populaires grecque et serbe (1966), et il introduit dans presque tous ses essais des réminiscences littéraires qui leur donnent un aspect comparatiste : en parlant, par exemple, du romantique français Alfred de Vigny, il trouve dans sa vie et son œuvre des ressemblances avec le poète serbe Milan Rakic, qu'il comparera plus tard à Emile Verhaeren. Cette érudition, on la trouve également chez Nikola Banazevic dont les recherches sont à la limite entre la littérature et l'histoire. Il a consacré beaucoup de travaux aux échos de la littérature française dans le monde, en suivant ses traductions en Angleterre, en Italie et en Allemagne et il est le premier de nos investigateurs littéraires qui ait cherché des ressemblances entre la tradition épique serbe et les chansons de geste françaises (Le Cycle de Marko Kraljevic et les échos de la littérature chevaleresque franco-italienne, 1935 ; Les Chansons de geste et la poésie épique yougoslave, I960 9 ). En Serbie, les principaux centres des études comparées sont la Faculté de Philosophie (depuis 1961 la Faculté de Philologie) de Belgrade, notamment les chaires de langues et de littératures étrangères, surtout russes (fondées en 1877), française (fondée en 1896) et allemande (fondée en 1904), aussi bien que la chaire de littérature générale et de théorie littéraire. Les professeurs de littératures étrangères s'orientent vers les études comparées qu'ils poursuivent jusqu'à nos jours, en collaborant étroitement avec l'Institut de la Littérature et de l'Art où on travaille, pendant les deux dernières décennies, sur le projet «Les études comparées de la littérature serbe». Les comparatistes serbes, tels Nikola Banasevic, Zoran Konstantinovic, Dragan Nedeljkovic, Mihailo Pavlovic acquièrent une renommée mondiale qui trouve sa confirmation en 1967 : le Vème Congrès de l'Association Internationale de Littérature Comparée a lieu à Belgrade. Ce Congrès, dont les sujets sont : «Les courants littéraires en tant que phénomènes internationaux», «Littérature orale et littérature écrite» et «Les littératures slaves et leurs interprétations dans les autres littératures», se tient à la Faculté de Philologie du 30 août au 5 septembre et ses Actes sont édités par Nikola Banasevic. 9. Publié dans la revue Le Moyen âge, 1-2 (1960). 47 JELENA NOVAKOVIC Certains comparatistes ont terminé leur carrière universitaire en enseignant aux universités étrangères : Dragan Nedeljkovic à Nancy, Zoran Konstantinovic à Innsbruck, où il a organisé, en 1979, le IXe Congrès de l'Association Internationale de Littérature Comparée, et Milan Dimic à Edmonton, où il a organisé, en 1994, le XlVe Congrès de la même Association. Conscients de la continuité et de l'unité de la littérature européenne (et mondiale) -ce qui ne leur permet pas de considérer la création littéraire de leur peuple uniquement comme l'expression de la culture de ce peuple, indépendamment des mouvements spirituels et culturels mondiaux- les comparatistes serbes s'occupent parfois des rapports entre les littératures étrangères, comme Milos Trivunac, qui publie l'article «Shakespeare et Goethe» dans Le Courrier littéraire serbe (1936), ou Dragan Nedeljkovic qui fait un parallèle entre Romain Rolland et Stefan Zweig.10 Mais le plus souvent ils comparent la littérature serbe et les littératures européennes, surtout française, anglaise et allemande, avec le but de déterminer l'identité de la littérature serbe dans le contexte européen, ou ils font des parallèles entre la littérature serbe et la littérature russe, en considérant la littérature serbe dans le cadre des littératures slaves (Miodrag Sibinovic, Petar Bunjak11). On peut classer ces études 12 en trois groupes : celles qui s'occupent des relations réciproques entre la littérature serbe et une littérature étrangère, celles qui s'occupent de la présence des thèmes et des auteurs serbes dans les autres littératures européennes (ou mondiales) et celles qui s'occupent des auteurs et des mouvements littéraires étrangers qui ont laissé des traces dans la littérature serbe. Dans le premier groupe, où les relations vont dans le double sens d'exercice et de réception, figurent surtout les études qui englobent une assez longue période, tel le livre de Veselin Kostic, Les relations culturelles entre les pays yougoslaves et l'Angleterre jusqu'en 1710 (1972), celui de Niksa Stipcevic, Deux 10. DRAGAN NEDELJKOVIC, Romain Rolland et Stefan Zweig, Klincksieck, Paris 1970. 11. Cf. PETAR BUNJAK, Les Relations littéraires entre la Pologne et la Serbie Qusqu' a la Seconde guerre mondiale), 1999. 12. Pour la critique littéraire serbe d'orientation comparatiste, voir l'ouvrage collectif Naucna kritika komparatistickog smera, dirigé par SLOBODANKA PEKOVIC et SVETLANA SLAPSAK, 1983. 48 LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE Renaissances. Les études des relations politiques et culturelles entre l'Italie et la Serbie au XIXe siècle (1979), ou celui de Branko Momcilovic, De l'histoire des relations culturelles yougo-britanniques de 1650 a la Seconde guerre mondiale (1990). Les travaux sur la présence des thèmes et des auteurs serbes dans les autres littératures européennes sont souvent des études imagologiques, inspirées de comparatistes français : Les Yougoslaves dans le roman allemand entre la Première et la Seconde guerre mondiale de Miljan Mojasevic (1952), Études d'histoire littéraires et de littérature comparée de Nikola Banasevic (1975), le travail de Josip Babic, Le Personnage de Kraljevic Marko dans la littérature allemande (1982), et de nombreuses études de Mihailo Pavlovic, dont nous ne mentionnons que les plus importantes : Les Thèmes yougoslaves dans la prose française (1982), Du regard au texte. Anthologie de textes français sur les pays et les peuples yougoslaves (1983), Témoignages français sur les Serbes et la Serbie, 19121918 (1988), De l'Esclavonie à la Yougoslavie (1994), Les thèmes serbes dans le roman français du XXe siècle (2000). Dans ce groupe figurent aussi les travaux sur la réception de la littérature serbe dans les pays de l'Europe, comme celui de Milan Curcin sur la réception des chansons populaires serbes en Allemagne (Das serbische Volkslied in der deutschen Literatur, Leipzig, 1905), ou celui de Nikola Koljevic, Vers la poétique de la poésie populaire (1982), qui donne un aperçu des critiques étrangères de la poésie populaire serbe du XVe au XXe siècle, ensuite les travaux sur les traductions de la littérature serbe, comme l'article de Mihailo Pavlovic, «La littérature yougoslave dans les traductions françaises» (1978), aussi bien que les travaux sur l'influence de certains écrivains ou de certaines œuvres yougoslaves dans une littérature étrangère, tel l'article d'Alexandre Neygebauer, «Vasko Popa et Morton Marcus», publié dans la «Revue de philologie» (1969), ou le répertoire de textes critiques sur les écrivains yougoslaves, fait par Vasa D. Mihailovic et Mateja Matejic et publié en anglais (A Comprehensive bibliography of Yugoslav Literature in English 1593-1980, Columbus, Slavica, 1984), et La Bibliographie française sur la poésie populaire serbe et croate de Mihailo Pavlovic et Dusan Janjic (1995). Dans le cadre de ce groupe d'études, il faut 49 JELENA NOVAKOVIC mentionner les thèses de doctorat sur la présence et la réception des auteurs serbes dans un pays européen, surtout en France, comme celle de Milivoj Srebro sur La littérature serbe contemporaine vue par la critique française (1975-1995), soutenue à Bordeaux en 1997. Les études qui examinent les traces des littératures étrangères dans la littérature serbe sont souvent inspirées des idées évolutionnistes de Fernand Baldensperger et surtout de Paul Van Tieghem qui considère que le monde de l'esprit est en mouvement perpétuel et, par conséquent, une source intarissable d'influences collectives et que la littérature comparée doit examiner les œuvres des diverses littératures dans leurs rapports les unes avec les autres en s'appuyant sur des faits concrets. Aussi ces études s'occupent-elles surtout du succès et de la réception d'un auteur étranger dans le milieu culturel serbe et de l'influence qu'il y a exercée. Y l'instar de Baldensperger et de son livre Goethe en France (1904), auquel se réfère Van Tieghem, Vladeta Popovic publie Shakespeare in Serbia (Londres 1928), Ilija Petrovic, Lord Byron chez les Yougoslaves (Pozarevac 1931), Milos Savkovic, L'influence du réalisme français dans le roman serbocroate (Paris 1935), Petar A. Mitropan, Pouchkine chez les Serbes (Belgrade 1937), Pero Slijepcevic, Schiller en Yougoslavie (Skopje 1937), Djordje Zivanovic, Les Serbes et la littérature polonaise, 1800-1871 (Belgrade 1941).13 Le livre de Milos Savkovic étudie les relations entre le réalisme serbe et le réalisme français, sans préciser s'il s'agit des influences ou des analogies typologiques, mais la ressemblance des thèmes, traitent que les réalistes serbes et les réalistes français, montre d'une manière indirecte que ces relations sont dans une grande mesure de nature typologique.14 L'étude de Pero Slijepcevic, qui s'inspire lui aussi des comparatistes français, anticipe certains principes de la théorie de la réception selon laquelle l'horizon d'attente du public est déterminé par certaines normes collectives. Slijepcevic écrit: Montrer comment notre littérature a réagi à un grand poète étranger, 13. Dans ce groupe d'études, on peut classer également le livre de DARINKA NEVENIC-GRABOVAC, Homère chez les Serbes et les Croates (Belgrade 1967). 14. Cf. GVOZDEN EROR, «Poredbene analize Milosa Savkovica», Zbornik Matice srpske za knjizevnost i jezik, 1, 1982, p. 53-64. 50 LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE surtout au moment où elle se formait elle-même dans le sens moderne du terme, c'est en quelque sorte définir les phases de son développement et les changements qu'elle a subis ; c'est assister à la naissance et à la croissance d ' u n grand organisme spirituel et noter jusqu'à quel point il est arrivé et de quoi il s'enthousiasmait à un moment donné. C'est justement là la difficulté principale pour cette sorte de travaux scientifiques. 15 En r e n d a n t compte à la fois d e s phases d a n s l'évolution de la création littéraire d e Schiller, avec qui se t e r m i n e le classicisme allemand, et d e s phases d a n s le d é v e l o p p e m e n t d e la littérature serbe, où le moralisme d e s L u m i è r e s cède la place à u n esthéticisme, Slijepcevic m o n t r e la nouvelle orientation de la littérature serbe qui se t o u r n e vers l ' E u r o p e . Les comparatistes serbes étudient la présence d a n s la c u l t u r e serbe des a u t e u r s d e p r e s q u e tous les pays d e l ' E u r o p e d e l'Est et d e l'Ouest, et m ê m e d e ceux d e s pays hors d ' E u r o p e : d e s a u t e u r s français, anglais, allemands, russes, polonais, hongrois, roumains, b u l g a r e s , grecs, albanais, turcs, arabes, indiens. La plus g r a n d e place est accordée a u x a u t e u r s russes (Petar A. Mitropan, Pouchkine Milosav Babovic, Dostoïevski Sibinovic, Lermontov mondiale, chez chez les Serbes, dans la littérature les Serbes, Skopje 1937 ; Titograd 1961 ; Miodrag serbe jusqu 'à la seconde Beograd 1971 ; Vojislav Bojovic, Tolstoï chez les Serbes, guerre Beograd 1985), et a u x a u t e u r s français (Jelena Danic-Stanojic), «Victor Hugo d a n s la presse serbe d u XIXe et d u commencement d u XXe siècle» ; 16 Mihailo Pavlovic, «Apollinaire en Yougoslavie» ; 17 «Paul Feval, A n n Charles Nodier en Yougoslavie», 18 Radcliffe, « D e nouveau sur l'antithèse dite slave chez Victor Hugo et en général», 1 9 «Victor Hugo chez les Yougoslaves après 1885» ; 2 0 M a r g a r i t a Arnautovic, «Jovan Skerlic et Victor H u g o » ; 2 1 15. PERO SLIJEPCEVIC, Schiller en Yougoslavie, Skopje 1937, p. 3. Cité dans : ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativno vidjenje srpske knjizevnosti, p. 74. 16. Anali Filoloskog fakulteta, 1 (1961). 17. Reloue des Lettres Modernes, Paris 1963. 18. Anali Filoloskog fakulteta, 8 1969 19. Filoloski pregled, I-IV (1969). 20. Le Rayonnement international de Victor Hugo. Actes du Xle Congrès de l'Association Internationale de Littérature Comparée (Paris, août 1985), 1989. 21. Anali Filoloskog fakulteta, 1, 1961. 5i JELENA NOVAKOVIC «Stendhal et la critique littéraire serbe. Stendhal, Bogdan Popovic et Jovan Skerlic» ; 2 2 Ljubisa Monev, Jean-Jacques Rousseau chez les Serbes, Beograd, 1990). Dans le cadre des études comparées qui traitent des relations franco-serbes au niveau d'une vue globale ou au niveau d ' u n mouvement littéraire, il faut mentionner le texte de Miodrag Ibrovac, «Les relations f ranco-yougoslaves : r elati ons culturelles» dans L'Encyclopédie de la Yougoslavie (1958), le livre de Hanifa Kapidzic-Osmanagic, Le surréalisme serbe et ses rapports avec le surréalisme français (1966 ), celui de Vladeta Kosutic, Le Parnasse et le symbolisme chez les Serbes (1967), et celui de Svetozar Ignjacevic, Le Roman anglais entre les deux guerres sur le territoire de la langue serbo-croate, 1918-1970 (1970).23 Du point de vue méthodologique, comme nous l'avons déjà noté, les principaux modèles sont les critiques littéraires français, comme Hippolyte Taine dont on trouve les reflets chez Jovan Skerlic, Slobodan Jovanovic et Simo Matavulj et auquel les comparatistes serbes ont consacré deux articles : «Hippolyte Taine chez les Serbes» (Radovan Samardzic) 24 et «Hippolyte Taine sur le territoire de la langue serbo-croate» (Mihailo Pavlovic). 25 Les comparatistes serbes pratiquent également les recherches typologiques inspirées par Van Tieghem, qui considère les écrivains français moins comme les aboutissements de divers courants ou influences que comme «les points de départ d'ondes qui se propagent à travers les frontières et à travers les générations», 2 6 et par Victor Girmounsky qui considère que les relations entre deux littératures ne sont pas fondées uniquement sur les influences et les emprunts, mais aussi sur certaines 22. Zbornik za istoriju knjizevnosti SANU, 7, Belgrade 1969. 23. Les études qui examinent l ' h é r i t a g e antique d a n s la littérature serbe occupent u n e place à part. Nous n e mentionnerons ici q u e l'article d u g r a n d investigateur d e la littérature grecque MlLOS DuRlC, « L a littérature grecque chez les Slaves d u S u d » , publié en 1958 d a n s VEncycIopédie l'histoire d e la l i t t é r a t u r e r o m a i n e d e auctoribus Romanis, MILAN de la Yougoslavie, BUDIMIR et MIRON ainsi q u e FLASAR (De Belgrade 1986), dont tous les chapitres se terminent par u n e x a m e n d e s influences et d e s échos d e s écrivains romains d a n s la littérature serbe. 24. Filologici pregled, 25. Knjizevna 1-2 (1976). istorija, 95 (1995). 26. PAUL VAN TIEGHEM, La Littérature comparée, 52 A r m a n d Colin, Paris 1951, p. 15. LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE convergences sociales, historiques ou psychologiques qui sont même la condition première de l'action réciproque des littératures. C'est ainsi que Zoran Gavrilovic, dans son étude comparée des idées littéraires en Amérique et en Yougoslavie à l'entre-deux-guerres, 2 7 montre certaines ressemblances qui lient la littérature américaine et la littérature serbe: toutes les deux sont entrées tardivement dans la culture moderne, si bien qu'elles ont d û en assimiler les éléments plus rapidement que les autres, mais, quand il s'agit du développement de la pensée méthodologique, leur seul point commun dans la période de l'entre-deuxguerres est la psychanalyse, qui fait partie en Serbie de la poétique surréaliste, tandis qu'aux États-Unis on applique de nombreuses théories psychologiques et psychanalytiques aux interprétations des œuvres littéraires. Dans le cadre des études typologiques, on pourrait mentionner aussi le livre de l'auteur de ses lignes, Au bord des hallucinations. La poétique des surréalismes serbe et français (1996), qui examine les relations entre deux mouvements surréalistes par l'investigation de leur matériel thématique et conceptuel commun, en découvrant, d'une part, les convergences qui les lient et, d'autre part, certaines divergences qui rendent compte des spécificités du surréalisme serbe, dues dans une certaine mesure aux différences individuelles de ses représentants, mais surtout aux différences causées par les circonstances historiques, sociales et culturelles. Les travaux comparatistes des deux dernières décennies sont inspirés aussi par les théories de Bakhtine, qui considère la création littéraire comme le «dialogue» d ' u n auteur avec les autres, de Julia Kristeva, qui définit la notion d'intertextualité, et de Gérard Genette qui analyse les aspects de la «transtextualité» (architexte, intertexte, paratexte, contexte, etc.). Ces travaux examinent les relations d ' u n écrivain serbe avec une littérature ou un écrivain étrangers en s'arrêtant surtout sur ce qui «transcende» le texte. C'est ainsi que Miodrag Radovic, dans son livre Laza Kostic et la littérature mondiale (1981), constate que presque tout ce que le poète serbe Laza Kostic écrit est «en forme de dialogues» 27. ZORAN GAVRILOVIC, Uocavanja. Americka izmedu dva rata, Belgrade 1970. 53 i jugoslovenska misao ο knjizevnosti JELENA NOVAKOVIC dont il fait ensuite une synthèse, et, avant lui, Milorad Pavic, dans son étude Vojislav Hic et la poésie européenne (1971), considère le poème épique d'Hic, Le Pêcheur, comme une mosaïque de réminiscences (de Goethe, de Byron, de Lermontov, de Pouchkine) qui montre son évolution. Miron Flasar, dans son livre Njegol et l'Antiquité (1997), étudie les architextes que constituent les fragments de Lamartine et de Victor Hugo que le poète monténégrin Petar Petrovic Njegos a copiés dans un de ses cahiers, pour rendre compte comment celui-ci s'est délivré da la tradition populaire en composant son épopée philosophique et religieuse La Lumière du microcosme où on trouve les traces de ces poètes. Nous avons nous-mêmes pratiqué des recherches intertextuelles et transtextuelles. Dans notre livre Ivo Andrié et la littérature française (Beograd 2001), nous avons considéré les fragments de nombreux auteurs français qu'Andric a copiés dans ses cahiers de notes comme des architextes ou des hypotextes, ce qui nous a permis de révéler le rôle de la littérature française dans la création littéraire du prix Nobel serbe ; ensuite, dans un article sur l'appareil paratextuel de l'«anti-roman» Sans mesure, du surréaliste serbe Marko Ristic, 28 nous avons montré un des points communs qui lient cet auteur au chef du surréalisme français, André Breton, notamment l'opposition au roman réaliste par l'introduction dans la trame du texte des éléments paratextuels ; enfin, l'étude comparée de la poésie d ' u n des «poètes maudits» serbes, Vladislav Petkovic Dis et de la poésie de Baudelaire nous a permis d ' y révéler la même structure «mélancolico-dépressive» dont parle Julia Kristeva dans Soleil noir.29 Certains comparatistes étudient la réception d ' u n ou de plusieurs auteurs étrangers dans le milieu culturel serbe et les spécificités du public serbe, en considérant, dans l'esprit des théories de Jauss, le développement de la littérature comme un processus qui se déroule entre les lecteurs, dont l'horizon d'attente est déterminé par les normes 28. JELENA NOVAKOVIC, «Romaneskna pustolovina u ogledalu nadrealisticke poetike: paratekstualni aparat Risticeve knjige Bez mere», Knjizevna 29. JELENA NOVAKOVIC, Intertekstualnost u novijoj srpskoj Belgrade 2004. 54 istorija, 90 (1993), p. 90. poeziji. Francuski ferug, LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE données, et les grands écrivains qui répondent à leur attente en la modifiant à la fois, surtout quand il s'agit d ' u n petit peuple dont les normes et les horizons changent quelquefois sous leur influence. Dans son étude La lecture de Byron et de Shelley dans le contexte idéologique, Simha Kabiljo-Sutic examine la réception spécifique des grands romantiques anglais dans la critique littéraire yougoslave de la période entre 1945 et 1955, marquée dans une grande mesure par u n «marxisme vulgaire», tandis que, dans son article, «Kafka chez les Yougoslaves», publié dans les Annales de la Faculté de philosophie de Novi Sad (1971), Tomislav Bekic explique la réception intense de Franz Kafka dans le milieu culturel yougoslave, dans les années cinquante, par le rejet des dogmes du réalisme socialiste au profit d ' u n «modernisme» tourné vers l'Europe occidentale, qui caractérise la littérature yougoslave de cette époque. De son côté, Gvozden Eror, dans son livre, La construction des champs sémantiques dans le roman (1991), fait une analyse comparative des champs sémantiques du texte original de Madame Bovary de Flaubert et de ses huit traductions en serbocroate, ce qui lui permet, entre autres, d'éclaircir une suite de réceptions implicites de ce roman. Les changements spécifiques, qui se produisent dans l'actualisation du texte dans un contexte donné, font l'objet de l'ouvrage collectif Le Texte dans le contexte, dirigé par Novica Milic et publié par l'Institut de la littérature et de l'art à Belgrade (1989), recueil d'articles qui se réfèrent à la fois à la philosophie et aux recherches linguistiques. C'est ainsi que l'auteur d ' u n de ces articles, Nikola Koljevic, plaide pour une «interprétation contextuelle du texte poétique», en considérant une œuvre littéraire non seulement comme un travail individuel, mais aussi comme faisant partie d ' u n acte créateur humain ou historique, qui lui donne des «résonances» caractéristiques. Il décrit les différents aspects sémantiques et linguistiques de cette méthode critique en se référant aux œuvres des poètes serbes Djura Jaksic et Branko Radicevic. 30 30. kontekstu NIKOLA KOLJEVIC, «Kontekstualno tumacenje pesnickog t e k s t a » , Tekst u (sous la direction d e NOVICA M I L I C ) , Institut za knjizevnost i umetnost - « R a d » , Belgrade 1989. 55 JELENA NOVAKOVIC Parmi les études comparatistes en Serbie, figurent aussi une thèse de doctorat qui examine, dans l'esprit des recherches «translittéraires», les rapports entre la littérature et la peinture chez le poète et le peintre serbe Djura Jaksic (Sinisa Jelusic, L'Œuvre littéraire et picturale de Djura Jaksic, 1992) et plusieurs travaux qui traitent des problèmes théoriques et méthodologiques du comparatisme : «Les Questions méthodologiques spécifiques concernant l'étude de nos littératures nationales» de Svetozar Petrovic, publié dans la revue Putevi (Chemins, Banja Luka 1965), où il est question aussi des rapports entre les littératures yougoslaves et les littératures étrangères ; «Sur certaines questions des études comparées de la littérature» (introduction au livre Les débuts du réalisme serbe et la culture russe, Novi Sad 1984) de Vitomir Vuletic, qui parle des trois niveaux par lesquels on peut aborder la problématique de l'histoire littéraire serbe : la découverte de sa contextualité avec les autres littératures, l'étude binaire de la littérature serbe et d'une autre littérature et la comparaison polylinéaire de la littérature serbe avec plusieurs autres ; et une suite de livres qui considèrent la littérature serbe ou yougoslave dans le contexte européen : La Littérature européenne et la littérature yougoslave (Beograd 1966) de Vojislav Djuric, qui suit l'évolution de la littérature serbe à travers ses courants et ses genres ; Les cadres européens de la littérature serbe de Dragisa Zivkovic, qui se propose de déterminer la place de la littérature serbe dans le cadre du romantisme européen en considérant celle-ci dans sa dépendance des grandes littératures, mais aussi dans sa spécificité et dans son originalité ; et surtout Introduction aux études comparées de la littérature (Beograd 1984) et La vision comparatiste de la littérature serbe (Beograd 1993) de Zoran Konstantinovic, comparatiste serbe de renom, qui définit sa méthode en s'appuyant sur trois éléments : l'architexte, c'est-à-dire le texte tel qu'il naît et se construit dans l'imagination de l'écrivain au cours de son dialogue avec les valeurs qui l'entourent et avec les autres textes, ceux des auteurs étrangers ; l'intertexte, c'est-à-dire la sphère où l'on redécouvre dans le texte d'un auteur serbe la présence des textes étrangers; et le contexte, c'est-à-dire les modalités de l'actualisation du texte d'un auteur étranger par les lecteurs serbes. 56 LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE Par ses investigations comparatistes Zoran Konstant!novic participe à une discussion plus large, qui se déroule au niveau international, sur la place et les tâches de la littérature comparée dans le système des études littéraires, mais son objet principal —comme d'ailleurs celui des autres comparatistes serbes— est de saisir le développement de la littérature serbe dans sa continuité et de trouver dans ses contacts avec les autres littératures la confirmation de son authenticité et de son originalité. En s'appuyant sur les recherches de ses prédécesseurs, il considère la littérature serbe dans son évolution du point de vue comparatiste : 3 1 faisant partie, au début, de la civilisation byzantine orthodoxe, ce qui la rapprochait de la littérature russe, comme le montrent le texte de Radovan Lalic, Des relations réciproques entre les anciennes littératures serbe et russe, le livre de Dimitrije Bogdanovic, L'Histoire de l'ancienne littérature serbe (1980), ou celui de Radmila Marinkovic, L'Alexandride serbe. L'histoire du texte premier (1969), la littérature serbe évolue dans le sens de son insertion dans la littérature européenne, comme le montrent le texte de Dejan Medakovic, «Le baroque de l'Europe occidentale et le monde byzantin» et celui de Radovan Samardzic, «Le baroque et les Serbes 1683-1739», publiés dans l'ouvrage collectif de l'Académie Serbe des Sciences et des Arts, Le baroque de l'Europe occidentale et le monde byzantin (1991). Par rapport au développement des littératures européennes, le développement de la littérature serbe se présente comme atypique car, à un moment historique donné, elle est arrachée par force aux mouvements culturels de l'Europe et elle est longtemps restée en dehors d'eux, mais, une fois rentrée dans la communauté des peuples européens, elle a essayé de dépasser cette discontinuité par un développement accéléré, h y ayant réussi qu'au XXe siècle où elle se développe parallèlement aux autres littératures européennes, et surtout à la littérature française, à laquelle elle est liée par une longue tradition de coopération et d'amitié. Ce répertoire d'études comparées en Serbie, dans lesquelles on remarque un effort permanent de synchronisation avec l'Europe, nous 31. Voir : ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativno 57 vidjenje srpske knjizevnosti. JELENA NOVAKOVIC permet de conclure que l'évolution du comparatisme serbe correspond en général à l'évolution du comparatisme européen : s'occupant d'abord des relations, des influences, des ressemblances et des différences entre la littérature serbe et les littératures étrangères, les comparatistes serbes renoncent progressivement aux examens des relations et des influences individuelles pour se concentrer sur des changements qui se produisent grâce à une interaction réciproque entre les littératures, sur les modifications que les motifs et les thèmes d'une littérature étrangère subissent au cours de leurs actualisations dans le nouveau contexte, modifications qui les éloignent de leurs sources et les transforment en des créations originales. En se proposant de revaloriser le patrimoine littéraire de leur pays, les comparatistes serbes montrent que ce patrimoine appartient à l'espace culturel européen tout en ayant à la fois ses spécificités. S«