EDITORIAL L`illusion de la gratuité coûterait cher aux TPG
Transcription
EDITORIAL L`illusion de la gratuité coûterait cher aux TPG
EDITORIAL L’illusion de la gratuité coûterait cher aux TPG Une perte nette de recettes de cent soixante-sept millions pour les transports publics genevois (chiffres 2006), voilà le premier effet brutal qu’entraînerait l’acceptation, le 24 février 2008, de l’initiative populaire visant à la gratuité des TPG. Une initiative lancée par le groupuscule des Communistes, des dissidents du parti du Travail. Et déposée grâce, notamment, au soutien significatif de l’extrême gauche locale, des syndicats, de l’Avivo, de la Société pédagogique genevoise et de Greenpeace ! Un esprit cynique, maniaque du démantèlement des TPG et amateur de chaos, se hâterait de voter en faveur de cette initiative. Fermeture de lignes, réduction de fréquences, bus et trams bondés, licenciement de personnel et donc grèves soutenues par ces mêmes syndicats, le tableau des effets est noir anthracite. Car demain, on ne roulera pas gratis. Les initiants sont à ce point conscients des conséquences financières qui découleraient de l’acceptation de leur initiative qu’ils en ont lancé une seconde « Financement des transports publics : faisons payer les pollueurs ». Sauf que leurs nouvelles propositions sont aussi brouillonnes qu’à courte vue. Elles risquent donc fort d’être refusées par le peuple. Bref, l’incohérence de ces gesticulations politiques fait penser à Averell Dalton muni d’un fusil : d’abord tirer, ensuite viser ! Cette initiative sur la gratuité du réseau cantonal des TPG, CFF et Mouettes ignore en réalité autant l’offre que la demande, la réalité de la politique sociale en matière de transports publics que les motivations des passagers. Mais avant même de donner la liste des bénéficiaires des facilités tarifaires ciblées, un chiffre qui met en exergue l’effort de la collectivité : la part des dépenses des seuls TPG non couverte par la vente de billets et d’abonnements est de 55%. Sans la subvention (156 millions en 2006), le prix du ticket devrait donc au minimum doubler ! C’est dire, au passage, si le montant de 3 francs par billet représente un choix public généreux, plus même qu’à Berne ou Zurich où il faut débourser 3,80 F. A cette contribution offerte à tout passager, pauvre ou millionnaire, il faut ajouter les quelque 16 000 abonnements annuels à 60 F (au lieu de 650 F, leur prix normal) pour les bénéficiaires des prestations complémentaires de l’OCPA qui les demandent, le rabais de 25% accordé aux bénéficiaires de l’aide sociale, les 50 000 rabais annuels pour les familles, les tarifs réduits pour tous les juniors, seniors et 80 000 détenteurs de la carte demi-tarif des CFF. C’est dire si les préoccupations de politique sociale sont aussi présentes dans les décisions prises à Genève en politique des transports. Faut-il en faire plus ? La réponse est clairement négative sur le plan social, sauf à arroser qui n’a pas besoin de subsides, à sortir d’une philosophie de contrat social où l’Etat ne t’aidera que si tu t’aides toi-même. Sur le plan environnemental, autre objectif des initiants qui doivent rêver des avenues staliniennes de Pyongyang, quasiment libres de tout trafic automobile privé1, leur proposition est tout aussi irréaliste, et même « fallacieuse », comme l’a qualifiée une députée verte2 : « Dans les quelques villes européennes qui ont tenté l’expérience de la gratuité, on a constaté que la fréquentation n’augmentait pas de manière significative, si ce n’est celle des piétons et des cyclistes qui, sachant le bus gratuit, montent dedans pour s’économiser quelques centaines de mètres » ! Rappelons leur but : en raison de l’ « urgence climatique », inciter l’automobiliste à délaisser sa voiture pour l’autobus ou le trolleybus, le tram faisant l’objet de leurs critiques féroces au motif de son prix… Or, en prétendant que la gratuité est « une composante capitale », ils ignorent tout des recherches sur les composantes des choix de transport. La vitesse des véhicules, la cadence des dessertes, l’efficacité des correspondances et, de préférence, les trajets directs, le maillage du territoire, voilà autant de facteurs autrement plus décisifs que la gratuité. Comment peut-on croire une seconde que celui qui a lourdement investi dans l’achat de sa voiture, qui lui coûte plusieurs centaines de francs chaque mois, se laisse tenter par une petite économie de 650 francs par an ? Destruction massive de l’offre, effet dérisoire sur la demande, l’initiative des Communistes n’a rien pour elle. Son apparente générosité cache paradoxalement une vision d’un monde où l’on refoule le rôle de l’argent pour se plaindre ensuite de ses effets pervers. C’est dire s’il faut la balayer pour mettre sur les rails, les autoroutes et le lac la politique globale des transports dont Genève a besoin. Pierre Weiss 1 Pour les rêveurs, voir http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5b/_Street_in_Pyongyang.jpg. Voir le face-à-face entre la Verte Emilie Flamand et deux initiants communistes dans Le Courrier du 23 janvier 2008 2