Précision sur le régime du compte courant d`associé

Transcription

Précision sur le régime du compte courant d`associé
REVUE LAMY
RLDA
C O L L E C T I O N
DROIT
DES
AFFAIRES
L A M Y
LES INSTRUMENTS JURIDIQUES DE LA
RESPONSABILITÉ SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE
DES ENTREPRISES
Par Martial CHADEFEAUX, Clotilde FORTIER, Laurence-Caroline HENRY, David JACOTOT, Philippe
JUEN, Pierre-Emmanuel MOYSE, Laurence RAVILLON, Vincent THOMAS et Aurélie TOMADINI
84
M
E
N
S
U
E
L
Juillet/Août
2013
Éclairages
10 Précisions sur le régime du compte
courant d’associé
Par Benoit MARPEAU et François DIETRICH
19 Groupes de travail sur la réforme de
la Justice commerciale : paroles de
membres
Avec Reinhard DAMMAN, Jean-Bertrand
DRUMMEN, Yves LELIÈVRE, Thierry MONTÉRAN
et Marc SÉNÉCHAL
32 L’instrumentalisation d’un contentieux
commercial peut-elle, à l’égard d’une
société cotée, constituer un délit de
manipulation de marché ?
Par Bruno QUENTIN
41 Concurrence : les autorités nationales
peuvent également sanctionner de
« petits » partenariats commerciaux
Par Emmanuel DIENY
Repères
53 Critères d’ordre des licenciements
et entreprises à établissements
multiples : un périmètre d’application
à géométrie variable
Par Laurianne ENJOLRAS
59 L’alerte en matière de santé publique et
d’environnement : regards sur la loi du
16 avril 2013
Par Marie-Pierre BLIN-FRANCHOMME
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
http://lamyline.lamy.fr
Sous la direction scientifique de Jacques MESTRE, Professeur agrégé des Facultés de droit,
Directeur du Centre de droit économique d’Aix-Marseille, et Dominique VELARDOCCHIO,
Agrégée des Facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d’Aix-Marseille.
Par Benoit MARPEAU
et François DIETRICH
Avocat associé
Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral
Avocat à la Cour
Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral
RLDA 4653
Précisions sur le régime du compte courant d'associé
Par un arrêt en date du 23 avril 2013, la Cour de cassation vient une nouvelle fois préciser le
régime juridique du compte courant d'associé et fait ainsi œuvre utile, cette création de la pratique
souffrant par ailleurs d'un défaut d'encadrement légal. D'une part, la Cour de cassation précise le
régime probatoire du compte courant d'associé en permettant à l'associé de rapporter la preuve
de l'existence de sa créance au moyen des documents comptables établis par la société débitrice.
D'autre part, elle confirme les conditions d'application au compte courant d'associé de la règle de
l'arrêt du cours des intérêts dus par le débiteur posée par l'article L. 622-28 du code de commerce,
en rappelant que l'avance en compte courant ne précisant pas la durée de mise à disposition des
fonds ne saurait s'analyser en un prêt de plus d'un an au sens de cette disposition, cette avance
étant par principe consentie sans stipulation de durée.
Cass. com., 23 avr. 2013, n° 12-14.283, P+B
E
n l'espèce, la société EPC avait cédé à la société ICO le 18 octobre 2001 la quasi-totalité des actions de la société DFC. La
société EPC détenant un compte courant d'associé d'un montant significatif (1 143 367,64 euros), les parties avaient également
convenu dans le même acte des modalités de remboursement par
la société DFC du solde de ce compte-courant – un échéancier de
remboursement fixant cinq versements annuels – et prévu que ces
sommes seraient productives d'intérêts.
La société DFC ayant été mise en redressement judiciaire le 30 mars
2009, la société EPC a déclaré sa créance au passif de la société DFC
pour le solde de son compte courant.
Si le Juge-commissaire a dans un premier temps rejeté la demande
d'admission de la créance en compte courant d'associé de la société EPC à la suite de la contestation de cette créance par le mandataire judiciaire, la cour d'appel de Rouen a néanmoins, par un arrêt
en date du 8 décembre 2011, prononcé l'admission partielle de cette
créance.
La société DFC forme alors un pourvoi principal, contestant l'arrêt
d'appel au motif que la preuve de l'avance en compte courant n'a
pas été rapportée par la société EPC. Aux termes de l'argumentation de la société créancière, s'appuyant sur l'assimilation de
l'avance en compte courant à un contrat réel, la preuve de cette
avance ne pouvait en effet être rapportée que par la constatation
de la remise des fonds et non, comme l'a jugé la cour d'appel, par
10
I RLDA
la mention d'une telle avance dans les documents comptables de
la société créancière.
Néanmoins, la Cour de cassation rejette cette analyse et juge que
« c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des
éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a relevé que les documents comptables établis par la société DFC au
titre de l'exercice 2001 établissent d'un côté qu'une convention de
compte courant a effectivement été conclue entre la société EPC
et la société DFC en 1999, de l'autre que la société DFC s'est reconnue débitrice d’une somme de 1 143 367,64 euros due à ce titre
par son inscription dans ses comptes et enfin qu'elle a accepté de
s'en acquitter selon l'échéancier arrêté lors de la cession des titres ;
qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel,
qui a implicitement mais nécessairement procédé à la recherche
prétendument omise, a légalement justifié sa décision ».
La société EPC ayant formé un pourvoi incident, la Cour de cassation était également saisie d'une seconde question, relative à
l'application de la règle de l'arrêt du cours des intérêts dus par
le débiteur posée par l'article L. 622-28 du code de commerce.
La cour d'appel avait en effet jugé que si la créance en compte
courant de la société EPC devait être admise, la convention de
compte courant ne pouvait en revanche être qualifiée de prêt à
plus d'un an au sens des dispositions de l'article L. 622-28 du code
de commerce, de sorte que la règle de l'arrêt du cours des intérêts
légaux et conventionnels lors du jugement d'ouverture était bien
Numéro 84
84
Juillet/Août
I Juillet/Août 2013
Actualités | Éclairage
applicable à l'avance en compte courant consentie par la société EPC.
Dans son pourvoi incident, la société EPC soutenait que l'arrêt d'appel souffrait néanmoins d'une contradiction de motifs sur ce point, la
cour d'appel retenant tout à la fois que « la convention de compte
courant ne précisait ni la durée pendant laquelle la mise à disposition
des fonds était accordée, ni les modalités de son remboursement »,
et que la société DFC, tenue de rembourser les fonds qu'elle avait
reçus en compte courant d'associé, avait « accepté de s'en acquitter
selon l'échéancier sur six années arrêté lors de la cession des titres ».
Néanmoins, la Cour de cassation rejette également ce moyen, en
jugeant « qu'ayant relevé que la convention de compte courant
ne précise ni la durée pendant laquelle la mise à disposition des
fonds est accordée, ni les modalités de son remboursement, la
cour d'appel en a exactement déduit que les modalités de remboursement accordées lors de la cession des titres ne conféraient
pas au compte courant la qualité de prêt à plus d'un an ».
C'est donc à un double titre que la Cour de cassation vient dans
cet arrêt préciser le régime juridique du compte courant d'associé,
en permettant d'une part à l'associé prêteur de rapporter librement la preuve de son avance en compte courant au moyen des
documents comptables de la société débitrice (I), et en précisant
d'autre part les conséquences du droit de l'associé au remboursement immédiat de son compte courant au regard de la règle de
l'arrêt du cours des intérêts lors du jugement d'ouverture (II).
I.– LE RÉGIME PROBATOIRE DE LA CONVENTION
DE COMPTE COURANT
Le compte courant d'associé est assurément l'un des outils les plus
précieux parmi les divers modes de financement internes d'une entreprise. La mise à disposition de fonds par un associé permet en effet à la société de pallier l'insuffisance de ses fonds propres, de remédier à un défaut de trésorerie ou encore de garantir un financement
bancaire, tout en évitant le processus coûteux et incertain de l'obtention d'un prêt bancaire ou les rigidités qu'entraîne une modification
du capital de la société. Mode original de financement, le compte
courant d'associé est également un outil de redistribution des rôles
respectifs de chaque associé au sein de la société, en permettant de
dissocier l'importance des fonds mis à la disposition de la société par
ses associés de leurs poids respectifs dans les décisions collectives.
A.– La preuve de la remise des fonds peut être établie par
des documents comptables
Si la souplesse du compte courant d'associé explique en grande
partie l'attrait que les sociétés manifestent pour ce financement interne, elle présente également certains risques que la société débitrice a précisément tenté d'exploiter dans la décision commentée.
L'avance en compte courant s'analyse en effet comme un prêt,
et non comme un apport de l'associé. Une telle convention est
soumise au droit commun des obligations, et non au régime des
apports établi par le droit des sociétés (Cass. com., 18 nov. 1986, n° 8413.750, Rev. sociétés 1987, p. 581, note Urbain-Parléani I. ; CA Paris, 14 févr.
1990, CIAL c/Mathieu, Rev. sociétés 1990, p. 418, note Urbain-Parléani I. ;
CA Paris, 2 juin 1992, Marques c/Sté Marques Pressing, Bull. Joly Sociétés
1992, p. 942, note Couret A., RJDA 1992, n° 917 et n° 1028 ; CA Orléans,
9 nov. 1994, SCI Chantereine c/Hotiers, JCP E 1995, pan., n° 676). Contrat
Numéro 84
I Juillet/Août 2013
de prêt, la convention de compte courant constitue ainsi une dérogation importante au monopole bancaire prévu à l'article L. 511-5
du code monétaire et financier, réservant aux établissements de
crédit l'exercice des opérations de banque. La loi soustrait en effet
expressément le compte courant à la qualification de fonds reçu
du public lorsque l'associé occupe des fonctions de direction au
sein de la société ou lorsqu'il détient au moins 5 % du capital social (C. mon. fin., art. L. 312-2). Par cette disposition, le droit bancaire
vient au demeurant affaiblir le principe d'indépendance des qualités d'associé et de créancier, en soustrayant au monopole bancaire
certaines avances en compte courant en considération du rôle que
l'associé tient au sein de la société.
Cette qualification juridique n'est pas sans conséquences sur le
régime probatoire de la convention de compte courant, conséquences dont la société débitrice a cherché à tirer profit. En effet, le
contrat de prêt s'analyse classiquement, au même titre que le dépôt
et le gage, comme un contrat réel dont la validité suppose la remise
préalable de la chose faisant l'objet du contrat. Malgré le désaccord
d'une partie de la doctrine défendant la nécessité d'envisager le prêt
comme un contrat consensuel (Marty G. et Raynaud P., Traité de droit civil, Les obligations, t. 1, Sirey, n° 60 ; Mazeaud et Chabas F., Leçons de droit
civil, t. 2, vol. 1, LGDJ, 9e éd., n° 82 ; Starck B., Roland H. et Boyer L., Droit civil,
Obligations, Contrat, Lexisnexis, 6e éd., nos 218 et s. ; Jobard-Bachelier M.-N.,
Existe-t-il encore des contrats réels en droit français ? Ou la valeur des promesses de contrat réel en droit positif, RTD civ. 1985, p. 1), la jurisprudence
reste fidèle à l'analyse classique, même si les exceptions telles que
le contrat de prêt immobilier (Cass. 1re civ., 27 mai 1998, n° 96-17.312,
Bull. civ. I, n° 186, D. 1999, jur., p. 194, note Bruschi M., somm., p 28, obs. Jobard-Bachelier M.-N.) ou le prêt consenti par un professionnel du crédit (Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 97-21.422, Bull. civ. I, n° 105, D. 2000, jur.,
p. 482, note Piedelièvre S., RTD com. 2000, p. 991, obs. Cabrillac R. ; Cass.
1re civ., 27 nov. 2001, n° 99-10.633, JCP G 2002, II, n° 1050, note Piedelièvre S.,
Defrénois 2002, art. n° 37486, obs. Libchaber R. ; Cass. 1re civ., 7 mars 2006,
n° 02-20.374, Bull. civ. I, n° 138) tendent à se multiplier.
Reste que le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de
crédit est un contrat réel qui suppose la remise de la chose (Cass.
1re civ., 19 juin 2008, n° 06-19.056, Bull. civ. I, n° 175 ; Cass. 1re civ., 7 mars
2006, n° 02-20.374, préc., D. 2007, pan., p. 759, obs. Martin D. R., JCP E
2006, 10109, note Piedelièvre S. ; Contrats, conc., consom. 2006, comm. 128,
note Leveneur L., RLDC 2006/33, n° 2292, note Viret M.-P., RDC 2006, p. 778,
obs. Puig P.), de sorte que la preuve d'un tel prêt, dans l'hypothèse
d'une avance en compte courant, ne peut résider que dans la
constatation de la remise des fonds. S'appuyant sur cette conséquence naturelle de l'assimilation du compte courant à un contrat
réel, la société débitrice a reproché à la cour d'appel de n'avoir pas
recherché si la preuve de la mise à disposition des fonds par l'associé prêteur avait été rapportée. Pour conclure à la remise effective de sommes par l'associé prêteur à la société débitrice, la cour
d'appel s'était toutefois fondée sur le rapport du commissaire aux
comptes faisant état d'une avance en compte courant consentie
par l'associé, ainsi que sur la mention de la somme de 1 143 368 euros à la ligne « Emprunt et dettes financières divers » du passif du
bilan de la société débitrice. Néanmoins, selon cette dernière, ces
éléments ne pouvaient constituer la preuve de la remise des fonds.
Dans son arrêt en date du 23 avril 2013, la Cour de cassation rejette
cette argumentation, au motif que la cour d'appel a implicitement
mais nécessairement procédé à la recherche prétendument omise.
La preuve de la remise des fonds par les documents comptables
RLDA
I 11
http://lamyline.lamy.fr
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
http://lamyline.lamy.fr
Précisions sur le régime du compte courant d'associé
de la société débitrice est ainsi approuvée par la Haute juridiction,
dont la décision assouplit opportunément le régime probatoire de
la convention de compte courant. Cette solution est au demeurant
conforme au régime de la preuve des faits juridiques applicable à
la tradition de la chose. Surtout, cette solution fait écho aux deux
importants arrêts rendus le 14 janvier 2010 par la Cour de cassation confirmant, d'une part, la possibilité de rapporter la preuve
de la remise de fonds par une reconnaissance de dette et, d'autre
part, renvoyant au pouvoir souverain des juges l'appréciation de
la valeur probante de documents comptables censés prouver la
mise à disposition de fonds (Cass. 1re civ., 14 janv. 2010, n° 08-18.581
et n° 08-13.160, D. 2010, p. 620, note François J., p. 2092, chron. Auroy N.
et Creton C., et p. 2671, obs. Delebecque P., Bretzner J.-D. et Gelbard-Le
Dauphin I., RD imm. 2010, p. 203, obs. Heugas-Darraspen H.).
B.– Un assouplissement opportun du régime probatoire
de la convention de compte courant
Cette décision présente assurément l'avantage de rassurer les praticiens, dans la mesure où la remise des fonds par l'associé prêteur
ne constitue pas la règle en la matière, l'alimentation externe du
compte d'associé n'étant qu'une possibilité parmi d'autres.
Le compte courant d'associé peut en effet être alimenté par des
sommes que la société doit à l'associé, telles que les dividendes, une
créance de salaire, le prix d'un contrat de vente ou même une créance
au titre d'un contrat d'entreprise (Cass. 3e civ., 28 nov. 2001, n° 00-13.335,
Bull. Joly Sociétés 2002, p. 247, note Peterka N., RTD com. 2002, p. 118, obs.
Monsérié-Bon M.-H.). Ces sommes dues à l'associé par la société et
inscrites en compte courant sont, dans de telles hypothèses, laissées
à la disposition de cette dernière sous forme d'avance. La possibilité
pour l'associé prêteur de justifier de son avance en compte courant
par les documents comptables de la société débitrice apparaît à la
lumière de cette « alimentation passive » légitime, sinon nécessaire.

Si cette décision sera
incontestablement accueillie avec
faveur par les praticiens, elle comporte
néanmoins certaines limites.
Cette décision est d'autant plus justifiée qu'en l'espèce, l'existence de l'avance en compte courant était attestée par un ensemble d'éléments ne laissant place à aucun doute. D'une part, les
comptes de l'exercice de l'année 2001 faisaient clairement apparaître au bilan du passif de la société débitrice une ligne « Emprunt
et dettes financières divers » pour un montant correspondant à
l'avance en compte courant, cette avance étant par ailleurs précisément visée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes
relatif à cet exercice. D'autre part, la société débitrice avait régulièrement procédé aux divers règlements prévus par l'échéancier
arrêté d'un commun accord entre l'associé prêteur et son cessionnaire, ces règlements ayant été à juste titre qualifiés par la cour
d'appel d'actes d'exécution confirmant l'existence de la créance
au titre de la convention de compte courant d'associé.
Si cette décision sera incontestablement accueillie avec faveur par
les praticiens, deux limites sont néanmoins à signaler.
D'une part, la portée de la solution proposée par la Cour de cassation reste limitée, dans la mesure où l'appréciation des éléments
de preuve est laissée sans restriction à l'appréciation souveraine des
12
I RLDA
juges du fonds (Delpech X., Précisions sur le régime du compte courant
d’associé, D. act. 14 mai 2013). D'autre part, seuls les termes et conditions de la convention de compte courant figurant dans les documents comptables de la société débitrice lui sont opposables, la cour
d'appel se livrant à une analyse détaillée de ces éléments pour exclure une majoration des intérêts courant sur l'avance consentie qui,
bien que prévue par un avenant à l'acte de cession des parts sociales
de l'associé prêteur, n'apparaissait ni dans les comptes, ni dans le
rapport spécial du commissaire aux comptes de la société débitrice.
Ces limites constituent autant de bonnes raisons pour les parties à
la convention de formaliser par un document écrit l'avance consentie par l'associé prêteur, la décision commentée ne représentant
en aucun cas un blanc seing déposé par la Cour de cassation sur
la pratique qui consisterait à se décharger entièrement de toute
documentation du prêt sur les pièces comptables de la société
débitrice. La seconde réponse proposée par la Cour de cassation
dans son arrêt du 23 avril 2013 confirme au demeurant, s'il était
nécessaire, l'utilité de procéder dès la mise à disposition des fonds
à la conclusion d'une convention en bonne et due forme.
II.– LE COMPTE COURANT D'ASSOCIÉ À LA LUMIÈRE
DU RÉGIME DE FAVEUR DE L'ARTICLE L. 622-28 DU
CODE DE COMMERCE
A.– Une appréciation stricte de la « durée » du prêt à plus
d'un an
Toute autre était la question posée à la Cour de cassation par le
pourvoi incident formé par l'associé prêteur et portant sur l'application de la règle de l'arrêt du cours des intérêts dus par le débiteur.
Aux termes de l'article L. 622-28 du code de commerce, « Le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins
qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus
pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis
d’un paiement différé d'un an ou plus ». Au titre des exceptions
au principe de l'arrêt du cours des intérêts figure donc les contrats
de prêt d'une durée supérieure ou égale à un an, cette disposition
étant destinée à encourager le crédit à moyen et long terme de la
part des établissements de crédit.
En l'espèce, il ressort de l'arrêt d'appel que l'avance consentie par l'associé prêteur à la société débitrice n'avait à l'origine fait l'objet d'aucun
document écrit. Or il est aujourd'hui bien établi qu'en l'absence de
disposition conventionnelle contraire, l'associé peut demander à tout
moment et quelle que soit la situation financière de la société le remboursement du solde de son compte courant (Cass. com., 24 juin 1997,
n° 95-20.056, RJDA 1997, n° 1349, Dr. sociétés 1997, n° 138, note Bonneau T.,
Bull. Joly Sociétés 1997, p. 871, note Saintourens B., D. aff. 1997, p. 938, JCP G
1997, II, n° 22966, note Mousseron P., RTD com. 1998, p. 153, obs. Champaud C.
et Danet D. ; Cass. com., 8 déc. 2009, n° 08-16.418, RJDA 2010, n° 246). Dans
une telle hypothèse, il semble évident que l'associé prêteur n'ayant
pris le soin de formaliser son avance et pouvant ainsi en solliciter le
remboursement à tout moment ne puisse pas se prévaloir de l'exception à la règle de l'arrêt du cours des intérêts, son prêt ne pouvant
assurément pas être considéré comme un prêt à plus d'un an.
Toutefois, la situation pouvait en l'espèce apparaître différente. L'associé prêteur entendait en effet se prévaloir de la « régularisation »
Numéro 84
I Juillet/Août 2013
Actualités | Éclairage
de la convention de compte courant à laquelle il avait par la suite
procédé, en stipulant dans l'acte de cession de ses parts sociales et
dans un avenant à cet acte les modalités de remboursement de son
prêt au moyen d'un échéancier définissant à la fois le montant et les
échéances de remboursement de son avance en compte courant.
Certes, ces modalités n'étaient pas opposables en tant que telles
à la société débitrice, cette dernière n'étant pas partie à l'acte de
cession et à son avenant conclus par l'associé prêteur et son cessionnaire. Néanmoins, se fondant sur les documents comptables de
la société débitrice et sur les actes d'exécution auxquels elle s'était
livrée, la cour d'appel avait retenu non seulement que la société débitrice était tenue de rembourser les fonds qu'elle avait reçus, mais
qu'elle avait également « accepté de s'en acquitter selon l'échéancier sur six années arrêté lors de la cession des titres ».
Pourtant, la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation,
rejette la demande de l'associé prêteur invoquant l'exception à
l'arrêt du cours des intérêts prévue à l'article L. 622-28 du code
de commerce, en jugeant qu'« en l'absence de modalités de remboursements contractuels supérieurs à un an ou plus, les modalités
de remboursements accordées sur plus d'un an lors de la cession
de titres ne confèrent pas au compte courant la qualité de prêt à
plus d'un an permettant à la société EPC de se prévaloir des dispositions de l'article [L. 622-28 du code de commerce] ».
Dans son pourvoi, l'associé prêteur entendait quant à lui se prévaloir de la contradiction apparente présente dans les motifs de l'arrêt de la cour d'appel, cette dernière reconnaissant d'un côté que
des modalités de remboursements avaient été convenues sur plus
d'un an et étaient opposables à la société débitrice, et de l'autre
que ces modalités de remboursement ne conféraient toutefois pas
au compte courant la qualité de prêt à plus d'un an.
Cette argumentation ne pouvait néanmoins prospérer. En effet, la
durée du prêt requise pour bénéficier du régime de faveur prévu à
l'article L. 622-28 du code de commerce s'apprécie au moment où le
prêt est conclu. Cette durée est appréciée strictement par la jurisprudence, qui refuse de conférer la qualification de prêt à plus d'un an
tant au contrat de prêt de six mois ayant fait l'objet de plusieurs avenants en prolongeant la durée (Cass. com., 29 avr. 1993, n° 99-15.544, Bull.
civ. IV, n° 65, RTD com. 2003, p. 820, obs. Martin-Serf A.) qu'à la convention
de découvert à durée indéterminée, quand bien même elle aurait été
poursuivie sur une durée égale ou supérieure à un an (Cass. com., 6 mai
1997, n° 94-13.772, Bull.civ. IV, n° 116, JCP E 1997, II, p. 996, note Legeais D.).
Dès lors, les modalités de remboursement de l'avance consentie par
l'associé prêteur convenues postérieurement à la conclusion de la
convention de compte courant ne sauraient conférer à cette convention la qualité de prêt à plus d'un an au sens des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, seules les stipulations prévues
à l'origine étant prises en considération. Loin de se contredire, la cour
d'appel a donc procédé à une stricte application de la jurisprudence
relative au régime de faveur prévu à l'article L. 622-28 du code de
commerce au cas particulier de la convention de compte courant qui,
sauf stipulation contraire, est remboursable à tout moment.
B.– La régularisation de la convention de compte courant :
une pratique imparfaite
La nécessité d'apprécier la durée du prêt au moment de sa conclusion se justifie non seulement par une lecture littérale du texte –
seuls les contrats de prêt « conclus » pour une durée égale ou
Numéro 84
I Juillet/Août 2013
supérieure à un an échappant à la règle de l'arrêt du cours des
intérêts – mais aussi par la finalité de cette règle. Ce principe traditionnel d'ordre public (Soinne B., Traité des procédures collectives,
Litec, 2e éd., 1995, n° 1986) trouve en effet sa source dans le principe d'égalité entre les créanciers et la nécessité d'établir le passif
de la société. Étant destiné à bénéficier à la société, il présente le
double avantage de favoriser ex ante le financement de moyen
et long terme de la société tout en facilitant ex post la tâche des
mandataires dans la vérification du passif, ce dernier étant d'une
certaine manière « gelé » par l'arrêt du cours des intérêts.
La prise en considération de la durée du prêt au moment de sa conclusion se justifie ainsi par l'objectif de protection du crédit à moyen et
long terme et permet d'éviter toute manœuvre qui consisterait à modifier, peu de temps avant l'ouverture de la procédure collective, les
termes du contrat de prêt afin d'échapper à l'arrêt du cours des intérêts. Ce risque apparaît d'autant plus grand dans le cas d'une convention de compte courant que le prêteur, associé, bénéficie d'une position privilégiée lui permettant d'être parmi les premiers informés
des difficultés rencontrées par la société et pouvant se conclure par
l'ouverture d'une procédure collective. La tentation pourrait ainsi être
grande de vouloir modifier in extremis la durée de l'avance qu'il a
consentie à la société débitrice et d'éviter ainsi de perdre le bénéfice
des intérêts qu'il aurait dû percevoir sur son avance à compter de l'ouverture de cette procédure. Si tel n'a manifestement pas été le cas en
l'espèce, les modalités de remboursement du compte courant ayant
été établies des années avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la décision de la Cour de cassation apparaît pleinement justifiée au regard d'un tel risque, en plus d'être cohérente avec
la jurisprudence qui, en la matière, définit une appréciation stricte de
la durée du contrat de prêt permettant de bénéficier du régime de
faveur prévu à l'article L. 622-28 du code de commerce.
Cette décision attirera donc opportunément l'attention des praticiens sur les risques liés au défaut d'établissement d'une convention
écrite portant sur l'avance en compte courant d'associé et sur la nécessité de prévoir dès l'origine les termes et conditions de ce prêt.
Plusieurs raisons déjà connues justifient la formalisation de l'avance
en compte courant par une convention écrite. D'une part, une telle
avance ne peut porter intérêts qu'à la condition que la convention
ou une disposition statutaire le prévoient (C. civ., art. 1907). D'autre
part, il est de principe qu'à défaut de disposition conventionnelle
contraire, le créancier d'un compte courant d'associé peut demander à tout moment le remboursement du solde créditeur de ce
compte. L'importance du montant de l'avance consentie et la nécessité pour la société débitrice de disposer de ces fonds pour une
certaine durée expliquent en pratique que les parties prennent le
plus souvent le temps de rédiger une convention en bonne et due
forme. Reste que la forme écrite n'est pas prescrite à peine de nullité, de sorte que la société et l'associé prêteur sont parfois tentés
de profiter de la souplesse de ce mode de financement en se passant de toute convention écrite, quitte à formaliser ultérieurement
la mise à disposition des fonds.
La présente décision a le mérite d'illustrer une conséquence fâcheuse pouvant accompagner une telle pratique, l'associé prêteur
étant définitivement lié par la convention initiale au regard des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, et invite l'associé prêteur, en dépit de l'urgence pouvant caractériser le besoin de
trésorerie de la société, à ne pas confondre vitesse et précipitation. 
RLDA
I 13
http://lamyline.lamy.fr
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES