Mondes virtuels et jeux vido : quelques considrations

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Mondes virtuels et jeux vido : quelques considrations
Networks and Communication Studies,
NETCOM, vol. 21 (2007), n° 3-4,
pp. 285-296
LE « GEOCYBERESPACE » REVISITE : USAGES ET
PERSPECTIVES
HENRY BAKIS 1
Résumé – L’espace géographique est en continuelle évolution et mutation ; depuis l’avènement des
TIC ces mutations se sont accélérées. Aujourd’hui de nouveaux espaces s’y greffent et ont été rendus possibles
grâce aux technologies nouvelles (télécommunications, informatique, audio-visuel) et aux espaces vidéo ludiques
(jeux vidéos en réseau, mondes virtuels…). Leur explosion récente engendre des bouleversements sociaux,
économiques, juridiques et spatiaux. Cet article tend à démontrer que cette nouvelle manière de vivre les TIC,
Internet, ainsi que la mise en place de ces nouveaux espaces virtuels, ne se fera pas sans conséquences sur nos
pratiques et visions de l’espace classique auquel nous nous identifions depuis des millénaires.
Mots clés – Espace, Espace géographique, Cyberespace, Géocyberespace, Mondes virtuels, Mondes
numériques, TIC, Territoire, Métaunivers.
Abstract – The geographical space change; with TIC innovations these changes are accelerating.
Today new “spaces” are grafted on the human geographical space and are enabled by the telecommunications
networks and new Information Technologies (Telecommunications, Data Processing, Audio-Visual
technologies), such as ludic video spaces (video games…). Today new spaces are “grafted” on it and were made
possible thanks to new technologies (telecommunications, data processing, audio-visual): they are ludic video
spaces (video games…). Their recent outburst upheavals social, economic, legal and space related changes.
Key words – Space, Cyberspace, Digital worlds, Geocyberspace, Geographical space, ICT, Vitual
worlds.
L’espace classique ou tel que Vidal de la Blache le concevait, n’existe plus. L’homme
et son environnement ont évolué et évoluent de plus en plus vite notamment du fait de
propriétés nouvelles permises par les nouvelles technologies de l’information et de la
communication (TIC) et le développement d’usages y compris sur des « mondes nouveaux »
apparus grâce à ces technologies.
Cet article revisite la notion de géocyberespace (geocyberspace) proposée lors du
colloque UGI de Palma de Majorque (1997) 2 et explorée depuis dans plusieurs publications
(Bakis 1997, 2001…).
1 Mutations des Territoires en Europe (CNRS/Université de Montpellier III).
Remerciements à Jérémie Valentin, allocataire de recherche à MTE, pour la relecture de ce
texte et les discussions que nous avons eues à propos de l’espace virtuel et de sa proposition
d’exploration de ce qu’il propose d’appeler la géographie 2.0.
2 Voir J. Segui Pons & H. Bakis (1998 eds.), Netcom, n° 1-2-3.
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Le développement des TIC, les évolutions en cours semblent mener à une révolution
paradigmatique : la notion même d’espace géographique étant infléchie voire radicalement
modifiée, par suite de la modification de ses relations à la distance.
Géoespace versus géocyberespace
La notion d’espace géographique (classique) est qualitativement modifiée par
l’irruption des TIC. Jusqu’ici, l’espace géographique était étroitement conditionné par la
distance (kilométrique, temps, coûts). Il n’en allait pas différemment depuis Vidal de la Blache,
même si de meilleures performances, découlant du progrès technique, ont pu jouer le plus
souvent dans le sens d’une réduction des temps et des coûts (par unité de distance
kilométrique).
Le mot géocyberespace décrit l’espace géographique à l’ère des réseaux de la
communication électronique de l’information. Il se distingue autant du mot « géoespace »
(geospace) qui désignerait l’espace des kilomètres, de la distance physique, des lieux (l’espace
euclidien) que du mot « cyberespace » - traduction de l’anglais cyberspace créé en 1984 par un
auteur de science fiction 3 afin de désigner un monde virtuel où plongent les habitants de
mégalopoles hyper-informatisées. Il a été adopté par des ingénieurs et des chercheurs en
sciences sociales qui l’ont utilisé dans diverses acceptions 4 . Toutes peuvent être
avantageusement recouvertes par le mot géocyberespace (geocyberspace) qui implique et recouvre
un contenu variable selon les auteurs qui abordent la notion. C’est :
- une technique d’interaction avec l’ordinateur (Walker 1988) 5 ;
- une expérience sociale sur le réseau (Rheingold 1995, Muhein 2005) : « le
cyberespace c’est… des mots, des liens affectifs, des données, de l’information et du pouvoir
sont produits par ceux qui utilisent la télématique. Même si les métaphores spatiales sont plus
susceptibles de véhiculer ce concept de ‘lieu’ partagé par les communautés virtuelles, c’est
souvent la métaphore biologique qui est la plus adéquate pour marquer la manière dont la
William Gibson, (1984).
Ces conceptions du cyberespace sont plus ou moins identiques à celles d’espace virtuel,
d’e-space ou d’espace numérique.
5 « Rien dans son concept n’est directement lié à la représentation en trois dimensions, pas
plus que les interfaces homme machine dites de ‘cinquième génération’, fondées sur les
techniques d’affichage graphique par points, ne limitent l’utilisation de ces ordinateurs au
dessin en deux dimensions. Il est toutefois normal que les nouvelles techniques soient utilisées
initialement de la manière la plus évidente, la plus ‘littérale’. Lorsque les écrans à affichage
graphique sont apparus, on s’en est servi dans des buts de création graphique, notamment le
dessin et le traitement d’image. Ce n’est que plus tard, quand ces écrans ont vu leur prix baisser
et se sont répandus que l’on s’est rendu compte qu’ils pouvaient faciliter aussi les taches ne
portant que sur des mots ou sur des nombres. Il en sera de même pour le cyberespace. Celui-ci
correspond à la première interface homme machine en trois dimensions digne de cette
appellation. Les utilisateurs qui s’efforcent aujourd’hui d’appréhender des objets
tridimensionnels sur des écrans à deux dimensions par l’intermédiaire de subterfuges comme
les vues multiples, les ombrages ou l’animation n’auront aucune difficulté à comprendre, ni
aucune hésitation à adopter une technologie qui leur permettra d’attraper un objet et de le faire
tourner pour en assimiler la forme, de voler comme Superman à travers un objet de forme
complexe, ou d’assembler des modules à l’aide d’outils et de voir immédiatement le résultat de
leurs manipulations. » John Walker, Through the Looking Glass, Addison-Wesley 1988.
3
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cyberculture évolue… Chacune de ces colonies – les communautés du réseau – est une
expérience sociale qui n’a été planifiée par personne, mais qui a pourtant lieu. » 6 ;
- une simple « reconfiguration de l’espace social, un dédoublement de la vie
ordinaire » (Muhein 2005) dans un « monde où les frontières se brouillent et où le corps
s’efface, où l’autre existe dans l’interface de la communication, mais sans corps, sans visage,
sans autre toucher que celui de l’ordinateur, sans autre regard que celui de l’écran. » (Le Breton,
1999) 7 ;
- la visualisation cartographique des flux sur le web (Dodge 1999);
- le territoire des infrastructures informationnelles. On peut y associer l’« espace des
flux » (Castells 1996) assez proche : « Le nouveau système de communication transforme
l’espace et le temps, dimensions fondamentales de l’expérience humaine. Les lieux perdent la
substance même de leur signification culturelle, historique et géographique, pour être intégrés
dans des réseaux fonctionnels produisant un espace des flux qui se substitue à l’espace des
lieux. Le temps lui-même est effacé lorsque le passé, le présent et l’avenir peuvent être
programmés pour interagir les uns avec les autres en un même message. ‘L’espace des flux’ et
‘le temps intemporel’ sont ainsi les fondements matériels d’une nouvelle culture, laquelle
transcende et intègre la diversité des systèmes de représentation transmis par l’histoire : la
culture de la virtualité réelle où le simulacre est la réalité en gestation » 8 ;
- une nouvelle entité de nature spatio-temporelle voire un espace concret : pour les
uns, cette entité est « située entre, autour et dans les espaces physique et mental… Mais il ne se
confond pas en eux ni avec eux… c’est une espèce d’espace mental objecté, partageable. Il
s’agit d’une sorte d’imaginaire objectif » (de Kerckove 1997) 9 . Pour d’autres, le cyberespace
peut être considéré comme « un espace concret existant conjointement à notre espace
physique » (Dodge 1999).
Malgré la diversité des conceptions et des approches, il reste clair pour tous, que la
notion de cyberespace traduit à la fois les changements technologiques et les changements de
comportement que suscitent ces évolutions. Cependant une confusion fondamentale s’installe :
ce mot recouvre des conceptions contradictoires. Certains auteurs utilisent ce mot alors qu’ils
pressentent l’apparition d’une nouvelle entité qui ne se confond ni avec le géoespace, ni avec
l’espace des réseaux.
Le plus souvent, parler de cyberespace implique que l’espace concret demeure
uniquement celui du géoespace ce qui conduit à une dualité irréductible entre le géoespace et le
cyberespace. Sur l’espace se construisent des réseaux et des relations.
Or, la notion de géocyberespace (geocyberspace) s’inscrit en faux contre cette conception
limitative, passant à côté des importantes implications paradigmatiques des évolutions en
cours. Il convient au contraire d’acquérir une vision globale de l’espace, englobant l’espace
euclidien mais le transcendant tant avec l’espace technologique qu’avec l’espace social. Cela par
suite des usages du World Wide Web, et d’applications mettant en œuvre des espaces virtuels
(Bakis 1992, Taylor 1995).
Howard Rheingold, Les communautés virtuelles, Addison Wesley, 1995, page 6.
Le Breton David (1999), L’adieu au corps, Metaillé, p. 139.
8 Manuel Castells, La société en réseaux, Fayard, 1996, page 472.
9 « L’architecture cognitive du cyberespace est un reflet inversé de l’espace mental privé. Elle est déployée sur
un écran qui correspond à une sorte de matérialisation externe des lieux de production de l’image mentale dans
la pensée. Elle est soutenue par la formalisation de la perspective et du 3 D dans le virtuel », Derrick de
Kerckove, (1997), L’intelligence des réseaux, Odile Jacob, p. 107.
6
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C’est pour éviter toute confusion, que le néologisme « géocyberespace » a été forgé
(Bakis 1997). Il recouvre et englobe une vision à trois niveaux (2001, 2005 ; Bakis & Vidal
2007):
- l’espace de la distance, classiquement abordé comme l’espace physique avec ses lieux
et sa « rugosité » (le géoespace);
- l’espace technologique des réseaux et des flux où l’on peut retrouver le contenu de la
notion précédente de cyberespace ;
- les manifestations spatiales résultant de l’interface entre les deux premiers niveaux,
en un « tout » définissant LA nouvelle réalité spatio-temporelle des sociétés de communication
et d’information, dans une sorte de fusion entre l’espace physique, l’espace des réseaux et les
nouvelles potentialités et usages sociaux en découlant.
Une nouvelle catégorie de l’espace géographique
De fait, la conception d’une dualité irréductible entre le géoespace et le cyberespace
ne semble pas pertinente pour rendre compte de la nouvelle construction, depuis les dernières
décennies du 20ème siècle, d’une nouvelle catégorie de l’espace géographique : on y retrouve
l’espace physique, l’espace technologique et les caractéristiques résultant de l’interface et du
dépassement les deux notions précédentes, en une étroite fusion des trois niveaux.
Plusieurs illustrations peuvent être données :
- le simple usage des messageries sur l’Internet. Avec ces messageries, comme avec la
consultation des sites web et de la presse locale sur Internet, le lien social est initié, maintenu,
renforcé avec les relations sociales et économiques de l’espace d’origine. De nouvelles
perspectives s’ouvrent pour les diasporas, minorités culturelles, sociales ou politiques 10 et
autres populations représentant de faibles proportions de la population générale ; du lien social
avec l’espace d’origine 11 et avec les personnes partageant cette culture peut résulter une érosion
moins rapide, voire un renforcement de l’identité culturelle d’origine ;
- activité vidéo ludique et du développement des « mondes numériques » 12 . Sur
l’espace vidéoludique et celui des mondes numériques on retrouve : vie économique, loisir,
conquête, défense, exploration et appropriation territoriale, lien social. Une nouvelle spatialité
se déploie qui n’est pas simplement parallèle à la première, celle qui se déploie dans le monde
« réel ». Des possibilités nouvelles apparaissent, comme les sauts entre ces deux « mondes »,
(sauts quotidiens parfois). Certes aux yeux de ces acteurs le géoespace reste la référence
spatiale, mais cette dualité génère de plus en plus de liens et donc de conséquences sur notre
pratique de l’espace classique. Malgré une création technique, les espaces vidéoludiques
obéissent à des règles sociales, économiques ou juridiques, et ils laissent des traces, créent des
échanges et utilisent les mêmes outils que ceux utilisés dans le monde réel (la carte bancaire).
Ils sont bien « réels » au moins pour ceux qui les utilisent ;
10 Voir nos travaux : Bakis (1995, ed.), « Communication and Political Geography in a Changing
World », International Political Science Review, vol. 16, n° 3, juillet, pp. 219-311 ; et conférence de
Tunis (2005).
11 Par des expatriés ou des migrants d’outre-mer. Voir l’exemple des Réunionnais en France
(Froment & Bakis 2005).
12
Voir : Jérémie Valentin 2007, « Les espaces vidéo ludiques, vers une nouvelle approche du
géocyberespace », mémoire de Master, juin. Thèse en cours (MTE/CNRS depuis octobre 2007;
Université de Montpellier III).
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- des propriétés inédites apparaissent : relations régulières à longues distances de
façon presque instantanée avec un haut niveau de qualité. Que devient le concept d’ « espace
géographique » alors que des territoires d’acteurs et d’institutions se construisent avec et autour
des réseaux de télécommunications, des espaces virtuels et des usages d’Internet ? Dès la
seconde moitié du 20ème siècle, au moins, l’homme vit dans un espace géographique et social
qui doit beaucoup au téléphone (Falk & Abler 1980, Abler 1977, 2001 ; De Sola Pool 1977 ;
Gottman 1977). Cela a doté les entreprises multinationales d’un outil de premier ordre pour
renforcer leur cohésion opérationnelle (Bakis 1980) et permet les téléactivités. Parfois, les TIC
rendent possible le partage d’informations si complexes qu’elles permettent d’envisager des
opérations chirurgicales à distance (opération Lindbergh, première intervention chirurgicale
transatlantique chez l’homme -septembre 2001). On ne s’étonnera donc pas que les TIC soient
aujourd’hui considérées comme des atouts additionnels pour un territoire, au même titre que
d’autres réseaux techniques (eau, gaz, électricité, transports de biens et de personnes).
Aujourd’hui, dans les usages, les formes d’appropriation, les incidences socio-économiques, il
existe un va-et-vient entre le virtuel et le réel. La relation entre local et global devient, elle aussi
plus étroite qu’avant les années 1990 (pour ne rien dire des siècles passés).
Les propriétés des TIC se sont élargies dans des proportions qui n’ont pas de
commune mesure avec cette époque. Aujourd’hui, l’être humain vit toujours dans un espace
géographique ‘réel’, mais cet espace n’est plus le géoespace : il intègre des dimensions
nouvelles, des attributs nouveaux, le rendant plus complexe. Il semble utile de le nommer
pour l’identifier et mieux le cerner : géocyberespace. L’espace de la communication
électronique ne vient ni se substituer ni se superposer passivement au traditionnel « géoespace
» : il vient s’y mêler étroitement et ce, à toutes les diverses échelles.
L’espace de la communication électronique n’est pas le double du géoespace : il
témoigne du fait que l’espace géographique se transforme structurellement, doté d’attributs
radicalement nouveaux :
- quasi ubiquité ; grands volumes d’information transmis à distance ;
- nouvelles formes de lien social ;
- configurations complexes inédites comme les communautés virtuelles, et même des
métaunivers ou univers virtuels (comme Second life…) n’existant que grâce à Internet dont les
effets sont autant sociaux, culturels et politiques qu’économiques et spatiaux ;
- usages des propriétés de l’espace virtuel (Bakis 1992) au service du monde réel ;
exploration et utilisation des mondes « virtuel » (Bakis 1999);
- la géolocalisation permet de fournir des informations en fonction de la position
géographique de l'utilisateur, etc.
Des usages nouveaux
Dans le contexte des jeux vidéo se sont développé les univers virtuels en ligne. On
connaît leur récente explosion en termes d’audience ; on sait moins qu’ils se sont développés
dès 1977, hébergés sur des serveurs et identifiés sous l’appellation de MUDs (multi-user
dungeon). Ces mondes fantastiques inspirés de la littérature de science fiction ou des Heroic
fantasy (l’héroïque fantaisie) sont à l’origine de la quasi-totalité des univers virtuels modernes.
Aujourd’hui deux types d’espaces virtuels coexistent, qui regroupent à eux deux plusieurs
millions de personnes : les jeux de rôles en ligne multi-utilisateurs et les mondes virtuels 13 .
Quelque 20 millions de joueurs dont 2 en Europe. Le leader du marché avec plus de 9
millions d’abonnés reste World Of Warcraft. Voir J. Valentin (2007).
13
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Quant aux mondes numériques, leur essence première n’est pas le jeu mais la simulation d’une
« seconde vie » à travers une représentation virtuelle du joueur se mouvant dans un espace
virtuel. Ces mondes virtuels sont en pleine expansion et jouissent d’un intérêt médiatique.
Second Life, le plus célèbre, offre à ses « résidents » la possibilité de vivre une seconde vie dans
un monde modifiable, doté de sa propre monnaie, le Linden dollar 14 . Le fait qu’une monnaie
virtuelle comme le Linden dollar qui a cours sur Second Life, soit convertible en dollars (US)
montre que l’argent gagné grâce à des activités dans les mondes numériques est susceptible
d’être utilisé dans le monde ordinaire 15 . Reuters publie l'évolution du cours L$ / US$, cours
qui fluctue en fonction du marché influencé par les interventions de Second Life dans
l'économie générale du système 16 . En effet, Second Life a sa propre économie, et nombreux
sont ceux qui génèrent des revenus effectifs (parfois non négligeables) en L$.
75 Linden Dollar ont été frappés en 2007 et vendus à des collectionneurs sur
eBay
Figure extraite du site 3pointd.com
17
Depuis 1983 (et surtout ces dernières années), Second Life a vu son nombre d’utilisateurs
exploser pour atteindre le nombre total de 11 millions de « résidents ». Autres espaces virtuels
comme Entropia Universe ou Habbo Hotel rassemblent également plusieurs millions d’utilisateurs.
Linden Lab, http://secondlife.com/.
15 “Several online resources allow residents to convert Linden Dollars into US Dollars and
vice-versa. Rates fluctuate based on supply and demand, but over the last few years they have
remained fairly stable at approximately 250 Linden Dollars (L$) to the US Dollar”,
http://secondlife.com/whatis/currency.php. Consult. Janv. 2008.
16 http://secondlife.reuters.com/
14
17 “A few of the coins were made available on eBay, where they went for $26.61, although I
can’t tell how many were included in that auction. In any case, only 75 coins were struck,
which means that the eBay buyer is paying collector’s prices, not foreign exchange prices.
3pointd” - http://www.3pointd.com/wp-content/uploads/2007/08/tender.jpg, consult. Janvier 2008.
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Figure extraite du site eldexchange.eu18
Figure extraite du site secondlife.reuters.com 19
La conversion, dans le « monde réel », d’une monnaie ayant cours sur
un « monde virtuel » : le Linden Dollar
Ainsi, le Linden $ est devenu une monnaie universelle acceptée partout dans le
monde (du moins par des résidents). Certains réfléchissent à l'utilisation des mondes virtuels
comme Second Life pour en faire des places de marché (vente de biens matériels du monde
18 http://www.eldexchange.eu/?r24&gclid=COyQ46bz95ACFSUNZwodNAFesw, consult.
Janvier 2008.
19 http://secondlife.reuters.com/, consult. Janvier 2008.
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réel) ; d’autres envisagent déjà des cartes bleues adaptées20 . Il y a là une incontestable passerelle
entre les deux « mondes », lourde d’interactions possibles.
Conclusions
Dans le géocyberespace global, mêlant « réel » et « virtuel » 21 , la pratique d’un espace
virtuel communicationnel pourrait avoir des usages économiques et sociaux débouchant sur
des conséquences dans le monde réel. Il en découlerait des effets spatiaux sur l’espace « réel ».
Plus encore, ces ‘nouveaux espaces’ sont susceptibles de générer des nouveaux rapports à
l’espace réel, et ils semblent à même de bouleverser certains cadres théorique en géographie. Il
est donc judicieux de poser comme hypothèses :
- que le « monde réel » est en train de basculer du géoespace au géocyberespace ;
- qu’une interaction entre monde réel et mondes virtuels se développe ;
- que cela pourrait bouleverser notre pratique de l’espace, par suite des nouvelles
propriétés du géocyberespace par rapport au géoespace, et par ailleurs, mais de
manière intrinsèquement liée, l’émergence d’usages « à cheval » sur cet espace
géographique d’une part, et sur les « mondes virtuels » d’autre part.
La géographie hérite donc d’un nouveau « monde » à explorer, de manière, peut-être à
en préparer la compréhension, voire son exploitation raisonnée. Cela pose des problèmes
théoriques (espace vécu), et revêt des dimensions méthodologiques (cartographie,
représentation des usages du net) ; cela enrichit l’approche de thèmes économiques et sociaux,
ou des incidences à différentes échelles depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle mondiale.
Les mondes virtuels ne relèvent pas uniquement de l’imaginaire : ce ne sont ni des
genres d’expression littéraires ou artistiques, ni des médias. Ils proposent à l’utilisateur des
mondes nouveaux et spécifiques (qu’il serait possible d’examiner et d’étudier à la lumière des
nombreux concepts géographiques) et la mise en place de relations fortes (effectives, voire…
affectives) entre lui et le monde réel.
Un important chantier semble s’ouvrir pour la discipline géographique. Encore
faudra-t-il accepter de remettre en cause le concept actuel d’espace, par celui de
géocyberespace qui décrit une réalité changeante à l’articulation avec les mondes virtuels. Une
réalité qui n’est pas simplement produite par les Institutions et les Opérateurs de réseaux, mais
aussi par les usagers. Autrement dit, sous la plume de William Gibson : “The street finds its
own uses for things” 22 .
Phillip Torrone (2006).
Il est fort probable que leur croissance ne s’arrête pas là, en effet leurs structures, la
diversification des contenus et les possibilités d’actions sont de plus en plus variées. On est
tenté d’interpréter cela comme la génération de véritables espaces géographiques, caractérisés
par des flux sociaux et économiques bien réels, et régis par des règles précises. De fait, la
fréquentation des mondes virtuels n’en est plus à un phénomène marginal : Second Life (SL),
ouvert au public en 2003, comptait déjà début 2006, 124 175 « joueurs » ; un an plus tard, le
nombre des « joueurs » avait explosé : 3 117 287 membres ! Le profil moyen est le suivant : il
s'agit d'un homme (58 %), américain (31 %), âgé de 25 à 34 ans (38 %). Les Français sont
représentés (12,73 % ; contre 10,46 % pour les Allemands, 8,09 % pour les Britanniques et
6,55 % pour les Hollandais). http://www.01net.com/editorial/341057/second-life-decline-lidentite-de-ses-habitants Consultation le 18 déc. 2007.
22 Cité par John Walker (1988), sub-section : Cyberspace Environments.
20
21
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293
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