DiversitE

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DiversitE
gRAISSE ET
Symbiose bien ordonnée commence par soi-même : l’homme n’y
croie. Bien plus, riche de multiples cellules agglomérées en tissus p
notre organisme est un véritable HLM à bactéries. Des bactéries qui
vivant : modifier l’habitat de leur seule présence, entre guerre et paix
DiversitE
Notre tube digestif est sans conteste le lieu de réunion le plus
prisé : près de 1014 bactéries, issues de plus de 500 espèces s’y
pressent, quand notre organisme ne compte que 1013 cellules.
Leurs génomes cumulés représentent plus de 100 fois le nôtre!
Chacun sa préférence, chacun son activité. Dans la bouche, les
dents sont un support inerte rêvé : un biofilm s’y dépose, qui croît
en épaisseur et en diversité avec le temps. Trois jours après le
dernier brossage, il est fin prêt pour permettre l’installation de
bactéries qui se creusent une niche douillette… dans les dents
elles-mêmes : les bactéries de la carie. Même les muqueuses
sont peuplées: les creux de l’arrière-langue, peu nettoyés, sont
très appréciés. Coincés dans les crevasses où il s’accroche et
pressé de voisins envahissants… ce petit monde manque d’air.
Condamné à l’anaérobiose, mais richement nourri de nos aliments, il manifeste sa triste multitude en sulfures, mercaptans,
cadavérines, putresceïnes… odorants comme la multitude des
bactéries des cadavres ! La mauvaise haleine est celle de bactéries asphyxiées, pas vraiment celle de celui qui l’émet...
PETS
y échappe pas, quoiqu’on en
pleins de lacunes profitables,
ne dérogent pas à la règle du
x…
Flatulences
L’intestin est un lieu déserté : son acidité limite les résidents
bactériens. Portant, ça et là, quelques hélicobactéries, au fond
d’une crypte, préparent un ulcère ou un cancer à leur hôte :
mais, en diminuant l’acidité et le reflux gastrique, elles protègent la plupart d’entre nous d’une maladie, voire d’un cancer
de l’œsophage… que doit-on préférer ? La vraie “party” a lieu
dans l’intestin : l’acidité y est plus bas, la nourriture abonde…
et c’est chauffé ! Un rêve bactérien, où les bactériologistes ont
pêché leur modèle : Escherichia coli, qui y pullule. La fête atteint
son point culminant lorsque l’hôte a le malheur d’y introduire un
aliment qu’il digère mal, comme des fayots ou des pois riches en
polymères de galactose indigestes. Une véritable orgie s’ensuit,
où les bactéries se multiplient et explosent de joie, au sens vrai:
privées d’oxygène mais richement nourries, elles fermentent et
émettent des gaz que nous sommes bien obligés d’expulser.
Méthane, hydrogène, sulfure d’hydrogène… Mais oui, lecteur
incrédule, les pets sont ceux de nos bactéries, non les nôtres!
Mais réjouis-toi cependant : cette abondance en exclut une autre.
En s’accaparant les ressources, et en rivalisant de production
d’antibiotiques pour éliminer leurs rivales, ces bactéries éloignent
les pathogènes. A l’opposite, les nouveaux-nés, dont la microflore intestinale n’est pas entièrement constituée, sont sujets à
de longs et difficiles troubles digestifs, que nos bactéries nous
épargnent…
Graisse
L’activité métabolique de nos bactéries nous profite aussi : des
animaux élevés depuis la naissance en milieu stérile, et ainsi
privés de microflore intestinale, présentent des déficits en vitamines (B, K) et exigent une plus abondante nourriture. La digestion de nos bactéries s’ajoute à celle de notre organisme;
certaines bactéries recyclent nos acides biliaires en bels et beaux
stéroïdes, bien assimilables. Parfois, nous profitons même trop.
Parmi les deux groupes eubactériens qui dominent dans la flore
intestinale, les Bactéroïdes et les Firmicutes (Bacillus, Lactobacillus), les seconds abondent davantage chez les personnes
obèses. Les Firmicutes possèdent des enzymes plus diversifiées, et permet sans doute ainsi une meilleure exploitation des
aliments, enrichissant les apports. En injectant expérimentalement des firmicutes à des souris, on augmente leur poids en
peu de temps ! Une archébactérie, Methanobrevibacter smithii
interagit avec les autres bactéries et leur permet de dégrader
des polymères de fructose – elle induit aussi une prise de poids.
Ainsi, notre corpulence ne serait-elle parfois que la facétie de nos
bactéries… à quand des antobiotiques pour maigrir ?
Qui parle quand je dis « Je »?
Il y a plus : notre corps n’a guère d’odeur perceptible (sentez un corps bien lavé !), ce sont les métabolites des bactéries de la peau
qui sentent. Parfois, dans les riches désquamations des lieux humides, leur consommation de débris de peau frôle l’écoeurement:
trop d’acides aminés soufrés, issus de la kératine… Soufre qu’elles détoxifient élégamment en méthane-thiol volatil (CH3-SH),
responsable des odeurs de pieds, voire d’aisselles ! N’oublions pas les centaines de mitochondries présentes dans chacune de
nos cellules. Ces corpuscules responsables de la production d’énergie ne sont, nous apprend la biologie moléculaire, rien que les
descendants de bactéries squattant nos cellules depuis des milliards d’années, au prix de s’y rendre utile. Eh oui, quand on articule
« je », c’est avec l’énergie de nos mitochondries, nourries avec nos bactéries digestives – propos agrémentés des effluves de nos
bactéries buccales (et de celles de notre peau si nous parlons en nous agitant trop).
Ainsi notre physiologie, mais aussi notre relation aux autres, au travers de notre aspect visuel et de nos exhalaisons, sontelles sculptées par nos bactéries. A ceux qui trouveront l’argument guère épais (il est vrai que nos bactéries sont si petites!),
on répliquera que l’homme n’a donc pas d’odeur ni d’épaisseur : il n’a que des bactéries, pour le meilleur et pour le pis. Trahit
quemque minima sua : on est parfois trahi par plus petit que soi...
Marc André