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7 février 2014
06.02.14 13:58
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Jeux dangereux dans le Pacifique
Maurice Audin
Mort " pour l'exemple " ?
Le témoignage posthume du général Paul Aussaresses, dans le livre de Jean-Charles Deniau,
relance la polémique sur la mort du jeune mathématicien communiste, enlevé par les
parachutistes français, pendant la guerre d'Algérie. Bavure ou exécution ?
C'est une voix d'outre-tombe. Un mort qui parle d'un autre mort, à
destination des vivants. Quelle valeur lui accorder ? Difficile de ne pas se
poser la question en refermant le livre du journaliste et documentariste
Jean-Charles Deniau, La Vérité sur la mort de Maurice Audin (Equateurs,
268 pages, 20 ?), publié en janvier.
Le 11 juin 1957, Maurice Audin, 25 ans, mathématicien, assistant à la
faculté d'Alger, militant communiste et père de trois enfants en bas âge, est
arrêté à son domicile d'Alger par les parachutistes du général Massu. On ne
le reverra jamais. Selon la thèse officielle de l'armée française ? toujours en
cours ?, le jeune homme s'est évadé lors d'un transfert en Jeep. Plus d'un
demi-siècle plus tard, le général Paul Aussaresses, le coordonnateur des
services de renseignement pendant la bataille d'Alger, apporte dans ce livre
un témoignage posthume. C'est lui, dit-il, qui a organisé l'exécution de
Maurice Audin, sur ordre du général Massu, son supérieur.
" Parcours Maurice-Audin ", ?uvre
du plasticien Ernest Pignon-Ernest,
dans les rues d?Alger. GALERIE
LELONG
On savait depuis 1958, grâce à l'enquête minutieuse de l'historien Pierre
Vidal-Naquet, L'Affaire Audin (Minuit), que Maurice Audin ne s'était pas
évadé. Il est mort alors qu'il était aux mains des parachutistes. A-t-il
succombé lors d'une séance de torture ou a-t-il été étranglé par l'un de ses
bourreaux, le lieutenant Charbonnier, exaspéré par son mutisme ? Pierre
Vidal-Naquet penchait pour la deuxième hypothèse. La mort d'Audin était
donc considérée comme un accroc, pas une exécution programmée.
Le livre de Deniau contredit cette version. Selon les confidences que lui a
faites Aussaresses dans les mois qui ont précédé son décès, le 4 décembre
2013, à l'âge de 95 ans, Maurice Audin aurait été poignardé par un souslieutenant, Gérard Garcet, après avoir été transporté à une vingtaine de
kilomètres d'Alger. Massu aurait exigé cette exécution, " pour l'exemple ".
Mais pourquoi, dans ce cas, avoir choisi Maurice Audin, un militant de
second plan au sein du Parti communiste algérien, à l'inverse d'un Henri
Alleg, directeur du journal Alger républicain ? Alleg était aux mains des le général Paul Aussaresses. AFP
parachutistes au même moment qu'Audin. Il subira les mêmes supplices et
tirera de cet épisode un document bouleversant, La Question (Minuit, 1958). Autre incohérence, relevée par
l'historienne Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d'Algérie : " L'exécution pour l'exemple ne tient pas la
route si l'on procède à une exécution camouflée, dont la rumeur ne s'est même pas diffusée. "
De fait, Aussaresses lui-même et la fiabilité de ses propos, compte tenu de son grand âge, pourraient
constituer une des faiblesses du livre de Jean-Charles Deniau. Le tempérament provocateur du vieux général
le conduisait à mentir, entre deux vérités, parfois même à répondre n'importe quoi pour mettre fin à une
conversation qui l'ennuyait.
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La façon dont Deniau interroge Aussaresses et lui arrache des réponses en dérange certains. Dans un
enregistrement effectué par le journaliste, on entend la voix chevrotante du général : " Eh bien on a tué
Audin? On l'a tué au couteau? pour faire croire que c'était les Arabes qui l'avaient tué? Voilà. Qui a décidé
de ça ? C'est moi. Ça vous va ? ", lance-t-il à son intervieweur. " On dirait que les aveux d'Aussaresses
n'avaient pour but que de faire plaisir au journaliste. Deniau dit sans cesse qu'il cherche la vérité. Mais plus
il répète ce mot, et plus on sent la vérité s'échapper ", dénonce François Demerliac, réalisateur du
documentaire Maurice Audin, la disparition. Pour lui, l'auteur du livre " part d'une hypothèse et cherche à
tout prix à la faire valider par son interlocuteur ".
Cependant, pour l'historien Benjamin Stora, le livre de Deniau constitue " un pas en avant ". Cet ouvrage ne
livre pas forcément " la vérité ", souligne-t-il, mais il faut " prendre acte " des hypothèses soulevées et les
vérifier, en procédant, notamment, à des fouilles en Algérie, à l'endroit même où Deniau croit que Maurice
Audin a été enterré, dans une fosse commune.
Obtiendra-t-on un jour des aveux de l'exécuteur présumé ? Car Gérard Garcet est toujours vivant. Il a 82 ans,
vit reclus dans une ville de Bretagne, protégé par les lois d'amnistie votées après la guerre d'Algérie, et refuse
tout entretien.
C'est en tout cas la deuxième fois en deux ans que son nom est cité dans l'affaire Audin. En mars 2012, une
journaliste du Nouvel Observateur, Nathalie Funès, a révélé qu'elle avait retrouvé dans les archives du
colonel Yves Godard, l'ancien commandant de la zone Alger-Sahel (décédé en 1975), un document inédit,
désignant nommément Garcet comme " l'agent d'exécution " de Maurice Audin. Selon Godard, Audin aurait
été exécuté par erreur, à la place d'Henri Alleg. Vrai ? Faux ? Nul ne le sait. Une chose est sûre : ce texte,
conservé à l'université Stanford, en Californie, constitue le " premier document signé d'un officier de l'armée
française confirmant que le mathématicien a bien été exécuté par un militaire et ne s'est pas évadé ",
souligne la journaliste.
Aussaresses valide donc la thèse de l'exécution d'Audin, mais pas celle d'une erreur d'identité. Que l'on donne
du crédit ou non à cet aveu tardif, pourquoi donc le vieux général, malade depuis longtemps, a-t-il choisi de
parler une fois encore, lui qui avait si chèrement payé ses révélations au Monde, en novembre 2000, dans
lesquelles il avouait " sans remords ni regrets " avoir pratiqué à grande échelle tortures et exécutions
sommaires pendant la bataille d'Alger ? Une interview suivie de deux livres, du même acabit. Aussaresses y
révélait qu'il avait pendu Larbi Ben M'Hidi, l'un des chefs du FLN, et fait précipiter dans le vide, du haut du
5e étage d'un immeuble d'Alger, l'avocat Ali Boumendjel. Se désolidarisant de ses anciens compagnons
d'armes, le vieux général a continué de déballer les secrets de la " grande muette ", au point de se voir radier
de la Légion d'honneur par Jacques Chirac, le président de l'époque. Quel intérêt avait donc le général à
révéler, en 2013, le sort de Maurice Audin ? La réponse est simple : Elvire Aussaresses.
C'est en 2002 que le général épouse en secondes noces une Alsacienne, antiquaire à la retraite de dix ans sa
cadette. Médaillée de la Résistance à 17 ans, Elvire Aussaresses est une forte personnalité, une originale qui
déteste les faux-semblants. En Paul Aussaresses, qu'elle protège " comme une tigresse ", elle ne voit que le
héros de la France libre, celui qui sautait en parachute derrière les lignes ennemies en uniforme allemand.
Depuis qu'elle est entrée dans sa vie, Elvire l'encourage à tenir tête à ceux qui refusent la vérité sur la guerre
d'Algérie, des " révisionnistes ", jure-t-elle. Le sort de Maurice Audin lui tient à c?ur. Elle sait que Josette
Audin et ses enfants attendent depuis un demi-siècle de connaître la vérité. Régulièrement, elle interpelle son
mari : " Quand vas-tu te décider à dire ce qui s'est passé ? "
Quand elle apprend, en février 2013, que la veuve de Maurice Audin a eu l'autorisation de consulter des
archives déclassifiées concernant son mari et qu'elle n'y a rien trouvé, Elvire pique une sainte colère. " J'ai dit
à Paul : ça suffit ! Ça fait presque soixante ans que ça dure ! Tu vas enfin la dire, la vérité ? raconte-t-elle
aujourd'hui. Je n'avais pas d'autre idée en tête que Mme Audin et sa famille. "
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Le général renâcle. Sa femme se fait menaçante. " Je vais me fâcher ! ", lui lance-t-elle. A-t-il cru qu'elle allait
le quitter ? Elvire Aussaresses se le demande aujourd'hui, non sans remords. En tout cas, le général finit par
se mettre à table. Il lui raconte " les bombes, les communistes, les rendez-vous avec Massu ". Il parle d'"
exemple ". Il se souvient qu'on lui a dit : " Il faut liquider un de ces Français qui travaillent contre nous. " Le
jour où Aussaresses " reçoit l'ordre de tuer Audin ", confie-t-elle encore, c'est Garcet, l'un de ses équipiers,
qui est de service. A lui revient la charge d'emmener le prisonnier loin d'Alger et de l'exécuter. Sous la
pression de son épouse, Aussaresses se confie ensuite à Jean-Charles Deniau, qui enquête depuis longtemps
sur ce dossier.
La Vérité sur la mortdeMaurice Audin ne convainc pas la veuve du mathématicien disparu. En Aussaresses,
Josette Audin ne voit qu'un menteur professionnel. En Jean-Charles Deniau, elle voit un opportuniste,
soucieux de faire du sensationnel en utilisant le nom d'Audin. Le journaliste, lui, se défend : " J'ai fait mon
enquête de la façon la plus honnête. J'ai posé et reposé mes questions de multiples façons à Aussaresses. Il
n'était pas sénile. Il était crédible à 100 %, en tout cas à 90 % ", assure-t-il, estimant que si le vieux général
s'est confié à lui, c'est parce qu'il était " dans le remords, à fond ", à la fin de sa vie.
Saura-t-on jamais la vérité sur Maurice Audin ? au-delà de l'essentiel, à savoir qu'il a bel et bien été tué par
les paras français ? Josette Audin en doute. Agée de 81 ans aujourd'hui, cette ancienne enseignante est aussi
discrète qu'inflexible. Ni elle ni ses enfants ? il lui en reste deux sur trois ? ne renonceront à leur quête de la
vérité. Mais voilà des années que le combat de Josette Audin dépasse le cas de son mari.
De la France, elle n'attend pas une " repentance " mais une reconnaissance et une condamnation de ce qui a
été : la torture, les exécutions sommaires, l'élimination de centaines de milliers d'Algériens? Autant de crimes
de guerre commis avec l'assentiment du pouvoir politique de l'époque. De François Hollande, Josette Audin
espère un geste " comparable à celui qu'a fait Jacques Chirac pour la rafle du Vel'd'Hiv ". Pour elle, il serait
grand temps que la France regarde son passé en face, si elle veut enfin pouvoir tourner la page de la guerre
d'Algérie.
Florence Beaugé
© Le Monde
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