3 La Main Rouge

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3 La Main Rouge
16
MarocSoir
25•11•2005
Maroc’55
3
La Main Rouge
COMMENTAIRE
JEAN-LUC PIERRE
ARCHIVES MAROC SOIR
Devant les Nations
Unies, Antoine Pinay
agite le spectre de
la Guerre Froide
La crise du Maroc
exposée devant
les Nations Unies
embarrasse
la France.
ntoine Pinay, le ministre des Affaires
étrangères du gouvernement
d’Edgar Faure joue sur la corde
raide tendue entre la droite
française et le lobby colonial d’une
part, l’opinion internationale et le sentiment
unanime du peuple marocain d’autre part.
Devant les Nations Unies, Pinay agite le spectre
de la Guerre Froide en accusant, à mots à peine
couverts, les leaders indépendantistes du Tiers
Monde d’être un second front de l’expansion du
communisme. A en croire ce conservateur de
bon sens, l’esprit de la conférence de Bandoeng
réunie en avril 1955, menacerait le «monde libre»
alors que les Etats Unis, inconscients,
condamnent les agissements de la France dans
ses colonies. Cependant, pour calmer le jeu, le
gouvernement français assure qu’il prépare des
réformes des liens qui unissent la France et le
Maroc. Au Maroc, la communauté française,
dans sa grande majorité, n’est pas disposée à
changer de statut ou de régime. Les moins
conciliants rejoignent le mouvement «Présence
Française» créé en 1953 par le docteur Causse
dont le financement est assuré par des
puissances d’argent qui savent leurs intérêts
menacés par la perspective d’un abandon du
Maroc. En France, le lobby colonial peut aussi
compter sur de puissants industriels et patrons
de presse comme Boussac et sur le total
dévouement des services secrets. Boyer de
Latour, le tout nouveau Résident Général, arrivé
en libéral, retrouve le penchant des grands chefs
militaires pour l’ordre établi et tisse des liens
avec les représentant de «Présence Française».
Ainsi, les activistes du mouvement «antiterroriste» comme ils se définissent, bénéficient
d’un appui inconditionnel à tous les niveaux de
l’administration, de la société civile et de la
politique. Le bras armé de «Présence Française»
s’inspire de ce qui se pratique impunément en
Tunisie sous le nom de «La main rouge». Au
Maroc, les exécuteurs des basses œuvres se
recrutent dans tous les milieux, du petit
commerçant au truand, du jeune désœuvré au
policier zélé. Au prétexte de rendre coup sur
coup, les assassins de la «Main Rouge»
cherchent à s’en prendre à des personnalités
marocaines. Le 2 janvier 1955, Tahar Sebti est
assassiné en pleine rue et son enterrement est
suivi par près de 20.000 Marocains indignés
qu’on ne retrouve pas les assassins. La majorité
des victimes sont abattues pour le seul crime
d’être là au mauvais moment et surtout celui
d’être Marocain. Ces crimes, malgré les
dépositions et les enquêtes, sont peu ou pas
poursuivis par la police et la justice. Dans la
rubrique des attentats, les cadavres de
Marocains assassinés d’une balle dans la tête,
portent pourtant la signature de cette sinistre
organisation. Dans les locaux de la police se
pratiquaient, sous couvert de la loi, les
arrestations et les incarcérations arbitraires, les
séances de «question» dans des conditions
inhumaines dont on ne trouvera pas témoignage
dans le «Petit Marocain». Le journal, en
revanche, évoque des «incidents» meurtriers,
décrits avec la froideur d’un rapport de police
arrangé par les hommes du tristement célèbre
commissaire Philippe Boniface, chef honoraire
de la région de Casablanca. Cependant, la
communauté française n’était pas unanime. Un
certain nombre de Français, amis de la liberté,
ardents défenseurs des droits de l’homme, se
sont mobilisés, à leurs risques et périls, pour
dénoncer les exactions dont étaient victimes la
population marocaine.
Vigie Marocaine
Documents
A
02 novembre. «Monsieur Pinay déclare solennellement à
l’ONU : Le Maroc deviendra,
grâce à une évolution ordonnée
et constructive, un Etat souverain uni à la France par une interdépendance volontaire. Mais
je dis à certains Etats : Occupezvous de vos affaires. L’agitation
dans les peuples non-autonomes a été constamment tenue pour l’arme essentielle du
combat du communisme contre
le monde libre. Certains songeraient-ils à ouvrir en Afrique un
nouveau front ? Une telle action
serait le principal obstacle à la
réalisation ordonnée des aspirations de tous les peuples à l’indépendance et à la liberté. La
France donnera aux peuples
dont le destin est lié au sien une
indépendance vraie dans l’association volontaire. La France
donnera au Maroc le visage d’un
Etat moderne, démocratique et
souverain uni à elle par les liens
d’une interdépendance librement consentie. Des décisions
ont été prises pour le Maroc.
Elles entreront dans les faits. Un
gouvernement marocain sera
constitué, les réformes seront
réalisées. Je le dis en toute sincérité et avec netteté à cette tribune : A ceux qui cherchent à
mettre la France en accusation,
je dirais que leur objectif est de
créer le chaos en Afrique.»
Revue de presse. Jacques
Chapus de France-soir.
«La mise en application
du «plan Maroc» est maintenant imminente. On prête au
Résident général, qui tient ce
matin une conférence secrète
avec ses principaux collaborateurs, l’intention de précipiter
h
«French
Cancan», le
chef
d’oeuvre de
J. Renoir est
à l’affiche à
l’époque.
LA «VIGIE
MAROCAINE»
les événements. Le départ du
Sultan Ben Arafa et l’installation d’un Conseil du Trône
devraient donc s’effectuer très
rapidement.»
Communiqué du 07 novembre. Communiqué de pres-
se de «Présence Française».
«L’union pour la Présence
Française a remis hier soir à
Monsieur le Résident général
une lettre dans laquelle elle donne son accord pour la réalisation d’un plan dont les points
sont fixés comme suit :
SM Sidi Mohammed ben
Moulay Arafa reste sultan du
Maroc.
Il en résulte que :
— Pas de conseil du trône.
— Pas de retour possible sur
le trône de Mohammed ben
Youssef ou de ses fils.
— L’ensemble des réformes
demeurant dans le cadre du
traité de 1912, qui ne saurait être
modifié.»
histoire plus
Attentat
au bar de la
Gironde
ATTENTAT La Vigie Marocaine
du 14 novembre évoque un attentat de résistants marocains au
fief de la «Main Rouge».
«Quatre terroristes ont commis un attentat à la grenade
contre le bar de la Gironde que
gère Monsieur François Avival.
Vers 19heures, chaque jour, le
bar du quartier de Mers Sultan
connaît une grande affluence.
Hier soir, comme d’habitude,
les consommateurs étaient nom-
utiliser son arme. Un second
terroriste, pris en chasse par
l’un des consommateurs du bar
de la Gironde, fut tué quelques
secondes plus tard.
Détails d’une
publicité
pour un
alcool anisé
consommé
au bar de la
Gironde.
2 novembre, Les attentats
terroristes «On a découvert hier
deux cadavres de Marocains, le
premier au Derb Bouchentouf,
portait la trace d’une balle dans
la tête. Le second fut trouvé dans
un terrain vague route de la
Corniche, il portait, comme le
premier, la trace d’une balle dans
la tête.»
LA «VIGIE
MAROCAINE»
breux lorsque deux explosions se
produisirent. Des policiers se
mirent à poursuivre les terroristes et parvinrent à couper la
route à l’un de ceux-ci. Se
voyant pris, l’homme fit face à
ces poursuivant, braquant sur
eux un énorme P.38. Un inspecteur le tua net d’une rafale de
mitraillette avant qu’il ait pu
Bibliographie
François Broche, «Casablanca, 11 juin 1955, l’Assassinat de
Lemaigre Dubreuil», Balland,
1977.