doc_num.php?explnum_id=738 - CEDIAS

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C.C.R.A
Collège Coopératif Rhône-Alpes
« QU’EST CE QUE JE FAIS LÀ ? »
RECHERCHE COMPRÉHENSIVE SUR LES FONDEMENTS D’UNE PRATIQUE
D’ÉDUCATEUR D’INTERNAT EN M.E.C.S
Mémoire présenté en vue de l’obtention du
Diplôme Supérieur en Travail Social
(D.S.T.S)
Directeur de Recherche
Gilbert Berlioz
Auteur
david Ryboloviecz
LYON 2009
REMERCIEMENTS
Mes remerciements sont destinés tout particulièrement à :
- Mon Directeur de recherche qui a toujours cru que je pouvais arriver au bout de
l’écriture de ce mémoire!
- Ma tutrice.
- Les éducatrices et les éducateurs qui se sont prêtés au jeu des questions-réponses et
sans qui ce mémoire de recherche n’aurait pu voir le jour !
- Mes collègues, Directeur, Directeur adjoint et Chefs de service qui m’ont soutenu et
supporté pendant toutes ces années.
Une pensée toute particulière à :
- Ma femme et mes enfants qui ont eu une patience infinie au cours de ces quatre années
de formation et de la rédaction de ce mémoire.
- Ma maman qui a pris le temps de relire ce texte et de corriger les fautes.
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
p1-p16
PREMIERE PARTIE
p17-p 48
Chapitre 1 le dispositif de l’action sociale et médico sociale en France p20-p27
1.1 La prise en charge des enfants
1.2 Une législation pour la protection des mineurs
p20
p21
1.2.1 L’ordonnance de1945
1.2.2 L’ordonnance du 23 décembre 1958
1.2.3 L’article 375 du code civil
1.2.4 La loi de 2002-2
1.2.5 La réforme de la protection de l’enfance de 2007
1.3 D’une organisation déconcentrée à une organisation décentralisée p26
Chapitre 2 Les éducateurs : une profession en perpétuelle évolution p28-p34
2.1 L’alliance de deux mots chargés de sens
2.2 Les métiers du social en perpétuelle réflexion
p29
p30
2.2.1 Le travail d’analyse d’Yves Barel
2.2.2 Jacques Ion interroge le Travail Social
2.2.3 L’approche de Jean Paul Lassaire
2.2.4 L’approche de Joël Cadière
Chapitre 3 Un établissement spécialisé au sein d’une association
3.1 Le CODASE
3.2 L’espace Adolescents
3.3 Un lieu spécifique : le Refuge
p35-p43
p35
p37
p38
3.3.1 Des jeunes en grande difficultés
3.3.2 Une équipe de professionnels, dans le malaise et le doute
3.3.3 L’émergence d’une question centrale
Chapitre 4 Une réflexion autour du concept de Représentation
4.1 Les représentations : quelques définitions
4.2 Les représentations sociales
4.3 Les représentations à la croisée des chemins
p44-48
p44
p45
p47
DEUXIEME PARTIE
p49-p84
Chapitre 1 Démarche méthodologique
p51-p55
1.1 La détermination du terrain d’enquête
1.2 Carte d’identité des locuteurs
1.3 Le guide d’entretien
1.4 Les entretiens
1.5 Le découpage des discours
1.5.1 Discours sur le parcours
1.5.2 Discours sur le métier
1.5.3 Discours sur les adolescents
Chapitre 2 Discours sur le parcours
2.1 Alberte
2.2 Boris
2.3 Charlotte
2.4 Danielle
2.5 Evelyne
2.6 Fabien
2.7 Hélène
2.8 Isabelle
2.9 Bilan des discours sur le parcours
p51
p52
p53
p54
p57-p63
p57
p58
p58
p58
p59
p60
p60
p61
p62
Chapitre 3. Le discours sur le métier
3.1 Alberte
3.2 Boris
3.3 Charlotte
3.4 Danielle
3.5 Evelyne
3.6 Fabien
3.7 Hélène
3.8 Isabelle
3.9 Bilan des discours sur le métier
p64-p75
p64
p65
p66
p67
p68
p70
p71
p72
p74
Chapitre 4. Le discours sur les adolescents
p76-p82
4.1 Alberte
4.2 Boris
4.3 Charlotte
4.4 Danielle
4.5 Evelyne
4.6 Fabien
4.7 Hélène
4.8 Isabelle
4.9 Bilan des discours sur les adolescents
p76
p77
p77
p78
p79
p79
p80
p81
p81
Conclusion de la partie
p83
TROISIÈME PARTIE
p 85-p121
Chapitre 1. Les figures d’éducateurs
p87-p101
1.1 Différentes approches
1.1.1 Selon jean paul Lassaire
1.1.2 Trois modèles de travailleurs sociaux
1.1.3 Yves Barel un précurseur
p87
1.2 Synthèse des trois approches
1.2.1 La réparation
1.2.2 L’émancipation
1.2.3 Le technicien
p89
1.3 Tentative de rapprochement aux trois figures
p91
1.3.1 Le parcours personnel de l’éducateur et l’idée de choix
1.3.1.1 Faire un choix, quand il s’agit de son avenir professionnel
1.3.1.2 D’un choix personnel à l’accompagnement dans le choix
1.3.1.3 Ce droit au choix, pour construire sa vie
1.3.2 Être en relation pour accompagner
1.3.2.1 Être en relation
1.3.2.2 Accompagner des adolescents en souffrance
1.3.2.3 Relation et accompagnement : deux notions clefs
1.3.2.4 Rattachement à la figure de la réparation
1.3.3 Travailler avec des jeunes en souffrance
1.3.3.1 Un tableau noir
1.3.3.2 Une rupture familiale
1.3.3.3 Un double constat qui explique la nécessité du placement
1.3.3.4 Agir pour aider à sortir de la souffrance
1.3.3.5 Rattachement à la figure de la réparation
1.4 Synthèse du rattachement aux figures
p100
Chapitre 2. Tension entre éthique de conviction et éthique de responsabilité p102p111
2.1 Comprendre le concept
2.1.1 Quelques mots sur l’éthique
2.1.2 La théorie de Max Weber
p 102
2.2 Du côté des éducateurs d’internat
2.2.1 Identifier l’éthique de conviction
2.2.2 Identifier l’éthique de responsabilité
2.2.2.1 Ce qu’attend l’extérieur
2.2.2.2 Des outils concrets d’intervention
p104
2.2.2.3 Mise à jour de l’éthique de responsabilité
2.3 Émergence d’une tension
2.4 Schématisation du résultat
p108
p111
Chapitre 3. Accompagner les professionnels, pour éviter le désenchantement p112121
3.1 Évaluer son travail
3.1.1 L’évaluation en question
3.1.2 Qu’est-ce que l’évaluation
p113
3.2 Oser parler de ce qui est en action
p115
3.3 Poser les bases d’une évaluation régulières des situations des jeunes p116
3.4 Poser les bases d’une évaluation individuelle des professionnels p117
3.5 Réintroduire une dimension
p119
Conclusion de la partie
p122
CONCLUSION GÉNÉRALE
p123-127
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
p128-131
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
p132-135
ANNEXES
AVANT PROPOS
« Il n’y a qu’une éducation. Elle s’adresse à tous. Elle est de tous les instants. Tout être
Humain peut se développer et même se transformer au cours de sa vie. Il en a le désir et
les possibilités. Notre action est menée en contact étroit avec la réalité. Le milieu de vie
joue un rôle capital dans le développement de l’individu.
L’éducation doit se fonder sur l’activité, essentielle dans la formation personnelle et
dans l’acquisition de la culture. L’expérience personnelle est un facteur indispensable
du développement de la personnalité.
Tout être humain, sans distinction de sexe, d’âge, d’origine, de convictions, de culture,
de situation sociale a droit à notre respect et à nos égards. La laïcité, c’est l’ouverture
à la compréhension de l’autre dans l’acceptation des différences et dans le respect du
pluralisme. C’est aussi le combat pour la liberté d’expression de chacun et contre toute
forme d’obscurantisme, de discrimination, d’exclusion et d’injustice. » (Gisèle de
Failly, fondatrice des CEMEA)
Il est nécessaire pour comprendre mon parcours professionnel de repartir à l’origine de
mes choix, qui peuvent au départ apparaître comme n’ayant pas de lien avec la suite,
mais qui pourtant éclairent tout ce parcours.
Après un baccalauréat littéraire qui m’engageait vers les champs de l’enseignement, je
me suis inscrit comme la plupart des bacheliers à l’Université de lettres (Grenoble). J’y
resterai trois ans, jusqu’à la licence. Cependant au cours de ces trois années, j’ai pu
également découvrir le monde de l’animation, en passant mon BAFA1, puis un peu plus
tard, mon BAFD2. Cette expérience dans l’animation volontaire, sera pour moi le
déclencheur de tout ce qui suivra, dans mon engagement associatif et militant (au sein
des CEMEA3, dont je fus le Président), puis professionnel.
En effet, après quelques expériences d’animation en centre de vacances traditionnel, j’ai
alors été amené à être responsable de séjours de vacances, pour adultes déficients
intellectuels. Cette étape très riche d’expériences et de contacts humains, m’amène alors
à rencontrer un homme qui me propose un poste de stagiaire de contact, dans
l’établissement où il est alors chef de service. Une décision se présente alors à moi :
continuer la faculté, ou la quitter pour me lancer dans cette aventure et commencer un
nouveau parcours.
1
2
3
Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur.
Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur.
Centre d’Entraînement aux méthodes d’éducation active.
Mes expériences, dans le milieu de l’Education Nationale (en tant que surveillant, puis
« faisant fonction de CPE »), ne me m’ont pas laissé de souvenir riche et je doute alors
de mon intérêt pour rejoindre l’enseignement. Mon choix se fait alors assez
naturellement et je rejoins le poste qui m’était proposé dans un foyer d’hébergement
pour adultes handicapés mentaux. J’y resterai cinq ans :
Après avoir été stagiaire de contact, je m’engage en effet dans une formation
d’Educateur Spécialisé en cours d’emploi, à l’IFTS d’Echirolles.
Ces premières années d’expérience professionnelle sont riches de découvertes, de
questionnements, de doutes et de rencontres. Ces quelques années me permettent de
travailler tout d’abord auprès de femmes handicapées mentales vieillissantes, puis
ensuite après leur départ dans une nouvelle structure de l’Association qui m’embauche,
auprès de jeunes adultes nouvellement accueillis dans l’institution (celle-ci étant
jusqu’alors non mixte).
Cette première expérience s’achève, subitement, car le contrat qui était envisagé pour
moi (CDI) ne peut se concrétiser. Je quitte, avec regret, ce foyer d’hébergement, pour
rejoindre une maison d’enfants à caractère social sur le plateau du vercors. Je resterai
deux ans dans cette institution où je serai éducateur d’internat dans un groupe d’enfants
âgés de 4 à 8 ans. Nouvelle expérience intéressante même si parfois difficile, car se pose
alors pour moi la question de l’autorité et du positionnement de l’éducateur avec des
jeunes enfants avec troubles du comportement. La dimension du « travail avec les
familles » me semble un peu fragile ou peu présente dans le travail que je conduis alors.
Comment peut-on associer mieux les parents, comment peut-on travailler avec eux les
questions éducatives qui ont conduit au placement de leur enfant ? Autant de questions
sans doute maladroites, mais bien présentes qui se posent à moi, à ce moment de ma vie
professionnelle. C’est alors que l’opportunité de rejoindre une équipe d’AEMO (action
éducative en milieu ouvert), se présente. Je suis recruté dans un service d’une
Association grenobloise (CODASE). Je quitte alors l’internat éducatif, pour huit
années !
Pendant toutes ces années, où je vais travailler dans ce service, je vais m’ouvrir à de
nouvelles questions de la pratique sociale et des politiques sociales, qui vont être un
terreau de questionnements de mon action professionnelle quotidienne. Ces années
d’AEMO seront pour moi extrêmement passionnantes, même si les difficultés sont
importantes, du fait de la confrontation à de problématiques lourdes, souvent multiples
et intriquées (précarité, carences éducatives, maladie mentale, violence, exclusion).
Le travail d’équipe très présent dans ce service sera d’un grand soutien et d’une
véritable aide, me permettant régulièrement de remettre au travail mes pratiques
quotidiennes et les choix que je peux faire dans les mesures éducatives qui me sont
confiées. Les nombreux colloques ou formations auxquels j’ai participé sont venus
encore enrichir cette pratique, me permettant d’aller confronter mes expériences, mes
questions, mais aussi mes doutes avec d’autres professionnels.
C’est dans ce contexte que s’est forgé mon souhait d’évoluer dans mes responsabilités.
Mais avant de parler de mon nouvel engagement professionnel, il m’apparaît nécessaire
de reparler de mon engagement associatif et militant, car c’est sans aucun doute là aussi
que s’origine mon souhait de prendre des responsabilités. Cet engagement militant ne
m’a plus quitté depuis le premier jour où je suis rentré en formation, pour obtenir un
BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur). Cet engagement alors que je
sortais de l’Adolescence se situe dans le cadre de ce que l’on appelle l’Animation
Volontaire. Cette idée de volontariat est pour moi très importante, et motive mon
engagement. Il me semble en effet fondamental de permettre à tous ceux qui le
souhaitent, de pouvoir avoir un engagement volontaire dans le domaine de l’éducation,
quel que soit, par ailleurs, son activité professionnelle.
L’Association des CEMEA, mouvement d’éducation populaire milite pour des valeurs
de l’Education Nouvelle et participe activement à la défense de ce principe. L’éducation
de tous quel que soit son milieu et ses origines, la possibilité de chacun d’avancer dans
sa formation personnelle, pour participer à la transformation sociale sont autant de
principes chers aux CEMEA.
C’est ce croisement d’engagements associatifs et militants et d’expériences
professionnelles qui m’a progressivement conduit à souhaiter évoluer dans mes
responsabilités professionnelles. En effet, participer à l’élaboration de projets éducatifs,
encadrer une équipe, soutenir un travail éducatif, m’apparaissent comme autant des
choses que je souhaite faire.
C’est sans aucun doute pour cette raison que j’ai souhaité m’engager dans une
formation DSTS, pour lier à la fois la dimension de la recherche et de la réflexion,et
réfléchir aux positionnements de Cadre dans le champ du social.
Cette demande de formation, dans le cadre d’un Congé individuel de formation a été
faite alors que j’étais en situation d’Educateur en AEMO et que je souhaitais évoluer
vers des responsabilités de cadre. Cependant, en quelques semaines, la situation a
changé de manière rapide : l’été 2004, j’ai en effet postulé à un poste de Chef de
Service au sein de l’Espace Adolescents, Maison d’Enfants à Caractère Social gérée par
le CODASE.
Ma candidature a été retenue et j’ai pris mes nouvelles fonctions le 1er septembre 04.
Nouvelle ouverture, nouvelle aventure ! L’envie est grande, mais l’inquiétude et les
doutes apparaissent ! Suis-je en capacité d’exercer cette nouvelle mission ? La question
est d’autant plus présente pour moi, que mon recrutement se situe à un moment
charnière de la structure, dont on m’a confié la responsabilité.
Quoi de plus dynamique que d’être porteur d’un projet nouveau ! Je suis en effet très
satisfait de m’investir dans cette aventure collective (qui associe en premier lieu les
éducateurs, mais également les jeunes placés qui vivent au quotidien dans l’unité). Il me
semble en effet que la question de l’accueil, du cadre de vie, de la participation des
personnes à l’élaboration et au développement de projets qui les concernent (adultes et
jeunes) sont des éléments clefs dans la construction de l’individu et de son identité. Les
jeunes se construisent et construisent progressivement leur vie et leur avenir, les
éducateurs construisent quant à eux leur identité professionnelle, consolident les valeurs
qui les soutiennent et les guident et leur permettent d’intervenir auprès des jeunes qui
leur sont confiés. C’est fort de cette idée que j’ai donc commencé à accompagner les
équipes dont l’institution m’a confié la responsabilité.
Très vite, j’ai été confronté à beaucoup de questionnements, face à des éducateurs
happés par le quotidien et ayant du mal à prendre du recul, pour penser leur pratique.
Mon entrée en formation a été très importante, pour me permettre de ne pas être englué
par les demandes immédiates faites par les professionnels. Prendre de recul est une
posture importante dans les différents actes de management. C’est sans aucun doute un
enseignement important de ces quelques années en position d’encadrement.
La recherche engagée au fil de ces années a été le fruit de cette réflexion. La formation
au DSTS a été une bouffée d’air importante pour m’accompagner dans cette prise de
fonction. Aujourd’hui quatre années se sont écoulées depuis mon entrée en formation.
Quatre années à réfléchir, à penser mon positionnement et ma manière d’intervenir
auprès des professionnels en internat éducatif. La recherche qui va suivre parle d’eux,
de leur action, de leur doute. Elle est destinée également aux collègues cadres qui
doutent de leur côté et qui oeuvrent au quotidien pour soutenir le travail des éducateurs.
INTRODUCTION GENERALE
Notre recherche s’ancre au sein de l’unité d’hébergement dénommée “le Refuge”, située
à Grenoble et dans laquelle nous occupons le poste de Chef de Service4. Cette unité de
l’Espace Adolescents accueille les plus jeunes adolescents de l’établissement. C’est à
partir de ce terrain que nous avons fait nos premières observations, point de départ de
notre questionnement.
En effet, nous sommes, en tant que cadre, très souvent confronté aux interpellations des
éducateurs intervenant dans cette unité5 qui, dans un débat contradictoire avec nous,
interrogent leur pratique professionnelle et la portée de celle-ci dans l’évolution réelle
des situations des mineurs qui leur sont confiés.
Nous avons pu faire des observations surprenantes. Deux situations de jeunes, que nous
avons choisies de retenir, nous apparaissent significatives de ce qui conduit à notre
questionnement portant sur la valeur que les éducateurs attribuent à leur propre travail.
Pourquoi par exemple, la prise en charge quotidienne de la jeune Léa6 est-elle si peu
valorisée par les professionnels qui la mettent en oeuvre?
Léa est une jeune de 14 ans, confiée à l’établissement par décision de placement direct7
du Juge des Enfants de Grenoble. Très rapidement, l’accompagnement de cette jeune
fille, dans le quotidien s’avère complexe. Léa refuse d’aller à l’école, alors que son
niveau scolaire est satisfaisant et ses résultats assez encourageants. Malgré cela, elle
reste au sein de l’unité. Ses comportements inquiètent les éducateurs du groupe. Ils sont
souvent confrontés à des crises de violence de Léa qui met à sac sa chambre ou les
espaces collectifs de l’unité. Sa relation aux autres s’avère très souvent inadaptée car
Léa se montre manipulatrice et influence souvent très négativement les comportements
des autres. Léa semble être dans la toute puissance et rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Les jeunes semblent à la fois insécurisés par ses agissements et fascinés par cette
4
Le chercheur appartient à une équipe de direction composée d’un Directeur et de son adjoint et de
quatre chefs de service éducatifs, responsables des différentes unités de l’Espace Adolescents.
5
L’équipe est composée de cinq personnes titulaires et très souvent de stagiaires d’école d’éducateurs.
6
Pour des raisons de confidentialité et de protection des mineurs, le prénom des jeunes concernés ont été
modifiés.
7
Il existe plusieurs formes de placements en MECS : placements directs du Juge des Enfants, Mesures de
garde confiée à l’Aide Sociale à l’Enfance, Accueils provisoires, placements en pénal. Ces Types de
placements sont définis par l’article 375 du CC et l’ordonnance de 1945, mais aussi par le code de
l’action sociale et des familles (CASF).
attitude de confrontation permanente avec les adultes censés apporter cadre et sécurité.
Dans le cadre des réunions hebdomadaires d’équipe, les éducateurs alertent le chef de
service : « Léa est imprévisible, elle retourne le groupe, elle veut faire la pluie et le
beau temps et les jeunes la suivent ». Au travers de ces interpellations, les cadres de
l’institution comprennent qu’ils expriment d’une part leur crainte de ne pas réussir à
protéger les autres, des débordements de Léa et d’autre part leur crainte de devoir être, à
un moment ou à un autre, en confrontation physique avec elle. Les éducateurs
interrogent alors régulièrement la direction sur la possibilité réelle de Léa de rester dans
l’établissement. En effet, ils pensent que cette jeune ne correspond pas au profil des
jeunes habituellement accueillis au Refuge : Elle se montre trop violente, trop
destructrice et ses comportements déviants viennent déstabiliser l’ensemble du groupe
et viennent mettre les éducateurs en difficulté avec l’ensemble du groupe. Comme chef
de service de l’unité qui souhaite tenir compte des remarques et des alertes de son
équipe, nous mettons alors en œuvre un processus renforcé pour tenter de mieux cerner
la complexité de la situation de cette jeune fille. Il invite l’ensemble de l’équipe à se
mobiliser pour tenter de faire évoluer la situation de Léa, pour qui le Juge des Enfants
ne souhaite pas un arrêt de placement. Ainsi des rencontres avec un psychiatre sont
organisées, un soutien de la psychologue de l’unité est proposé, un lien renforcé avec le
Juge des Enfants est mis en œuvre, pour que celui-ci puisse recevoir Léa dans le cadre
des délits qu’elle a commis au sein de l’établissement : violences, dégradations, ...
Progressivement, la situation de Léa semble un peu s’apaiser. Ses comportements
déviants sont plus espacés, ses relations avec les adultes un peu plus sereines. Des petits
progrès certes fragiles mais réels sont constatés par les adultes de l’équipe. Cependant,
malgré cela, nous continuons à entendre de nombreux propos tenus d’éducateurs qui
révèlent
toujours
l’expression
d’un
malaise
ou
d’une
insatisfaction
dans
l’accompagnement éducatif de Léa :
« Sommes-nous vraiment adaptés pour Léa ? Le travail qui est fait est-il pertinent ? Ne
fait-on pas du bricolage, alors que Léa aurait besoin d’une prise en charge
différente? On s’occupe beaucoup de Léa et pas beaucoup des autres et pourtant cela
ne change pas beaucoup !» Tous ces propos et questions reviennent, très régulièrement
dans les réunions d’équipe où la situation de Léa est très souvent évoquée. D’ailleurs
dans le cadre même de la formation d’équipe engagée avec un intervenant extérieur8, la
difficulté de prise en charge de Léa est souvent prise comme exemple. Lors de la
journée de formation de mars 05, alors qu’il est question de la manière dont les
éducateurs considèrent l’utilité de leur action auprès des jeunes, les propos tenus signent
bien l’état d’esprit des éducateurs, à ce sujet: « l’éducateur, il est jamais assez bien, il
ne fait jamais assez bien et il est toujours critiqué ».
Pourquoi, sans réussir réellement à s’appuyer sur les constats positifs, les éducateurs
expriment de manière insistante du malaise, de la critique et de l’insatisfaction au sujet
de leur action éducative auprès de Léa ?
Si la situation de Léa ne revêt pas un caractère exceptionnel, nous pouvons, pour fonder
encore plus notre démarche, prendre celle de Sophie, jeune congolaise de 15 ans arrivée
en France quelques années auparavant, avec sa famille. Ses relations familiales sont
violentes et Sophie est l’objet de “recadrages violents” de la part de son père qui semble
refuser qu’elle adopte la vie d’une jeune adolescente en France: il se montre très inquiet
de ses relations, de ses comportements à l’extérieur. Le développement de ce climat
violent amène alors le Juge des Enfants à décider du placement de Sophie au service de
l’Aide Sociale à l’Enfance, qui à son tour demande à notre institution la possibilité de
prendre en charge cette adolescente9.
La prise en charge de Sophie s’avère rapidement être source de nombreuses questions
pour l’équipe éducative. En effet, celle-ci se manifeste très souvent avec exubérance et
volubilité. Les limites fixées par les adultes sont difficilement acceptées et respectées
par Sophie qui est en difficulté pour canaliser seule ses débordements. Les éducateurs
sont très souvent obligés de la reprendre, pour tenter de l’aider et de l’alerter sur la
dangerosité de certains de ses comportements : elle joue en effet beaucoup sur le
registre de la séduction souvent irréfléchie à l’égard de garçons de son âge, voire
souvent même plus âgés. Les éducateurs constatent qu’il est très difficile pour Sophie
de percevoir que certaines de ses attitudes peuvent la mettre en danger. Ses
débordements réguliers la mettent en difficulté vis-à-vis des autres jeunes de l’unité, qui
supportent de plus en plus difficilement ses sarcasmes et ses dérapages à leur égard.
8
Cette formation intitulée « la prise en charge institutionnelle des adolescents : contexte, méthodes,
enjeux », a été impulsée par l’équipe de direction est s’est déroulée avec l’ensemble de l’équipe de janvier
à juin 05, à raison d’une journée de formation par mois.
9
Rappelons ici qu’il s’agit donc d’une mesure de placement auprès des services du conseil général qui
sera alors l’interlocuteur direct de l’établissement d’accueil.
De son côté, le père de Sophie est opposé au placement et se montre très virulent à
l’égard de l’institution. Il remet en cause le travail de l’équipe éducative et l’accuse
d’être trop laxiste et permissive à l’égard de sa fille.
Devant la complexité de cette situation, l’équipe exprime « son ras-le-bol » et son
incompréhension : « ne serait-elle pas mieux chez ses parents ? Fait-on ce qu’il faut
pour elle ? Ne serait-elle pas mieux ailleurs, dans un autre cadre ? »
Les éducateurs rappellent également leur inquiétude par rapport à ce qu’ils perçoivent
comme danger pour son évolution : « on ne peut pas toujours être derrière elle »
L’équipe, sous l’impulsion du chef de service, déploie beaucoup d’énergie pour recadrer
Sophie : elle est sanctionnée quand ses débordements sont trop importants. Des
rencontres plus rapprochées sont organisées avec l’éducatrice de l’ASE10 et avec la
famille. Sophie montre alors quelques signes d’évolution positive. Elle décroche
notamment des stages en entreprise, pour tenter ensuite de signer un contrat
d’apprentissage. Cette évolution apporte alors un peu d’apaisement qui permet au chef
de service et aux éducateurs de noter, dans les réunions d’équipe, une certaine évolution
dans sa maturité et dans sa prise de conscience de ses écarts. En effet, Sophie réussit
plus facilement à reconnaître sa part de responsabilité, quand il y a conflit ou problème
relationnel au sein de la vie de groupe.
Malgré tout, les éducateurs continuent de douter du travail éducatif qu’ils ont mené.
Pour eux, Sophie reste une adolescente en danger. Ils restent réservés face à la
proposition que Sophie puisse changer d’unité au sein de l’établissement : « elle va
encore trop mal ». Les éducateurs pensent même assez paradoxalement qu’elle devrait
peut-être rentrer chez elle, car le travail qu’ils font auprès de cette jeune fille « la fait
peu évoluer ». Ils s’interrogent sur la portée réelle du travail éducatif et sur leurs propres
capacités professionnelles à pouvoir apporter une aide réelle à cette jeune et à sa
famille : « cela fait un an qu’elle est chez nous et elle ne change pas beaucoup, elle est
toujours aussi excitée, elle se met en danger avec les garçons, … »
Les constats d’évolutions positives, fruits du travail éducatif accompli, que le chef de
service peut faire, sont entendus, mais très atténués. De son côté, l’éducatrice de l’ASE
souligne également les changements de Sophie, mais les éducateurs continuent à douter:
« ne devrait-elle pas rentre chez elle ? » Son père doute aussi des progrès de sa fille et
10
Sigle de l’Aide Sociale à l’Enfance
les éducateurs se demande s’il n’a pas un peu raison : « peut-être que les choses se
passeraient mieux dans sa famille ! ».
À la lecture de cette seconde situation, nous pouvons encore une fois, nous demander
pourquoi malgré un processus de compréhension et d’objectivation des évolutions de sa
situation, les éducateurs restent dans l’expression récurrente de doute quant à
l’efficacité de leur action éducative ?
Les deux situations que nous venons d’évoquer nous conduisent à nous interroger sur ce
qui vient nourrir chez les éducateurs d’internat cette expression de doute, comme nous
le percevons dans la situation de Sophie, mais aussi l’expression d’insatisfaction,
comme elle semble s’exprimer quand il s’agit de parler de Léa. Pourquoi, alors qu’un
réel travail éducatif est mis en oeuvre et qu’une évaluation positive (même si de
nombreuses fragilités restent présentes) est posée notamment par le Juge des enfants et
le travailleur social de l’ASE, les éducateurs résistent à exprimer de la satisfaction et de
l’assurance vis-à-vis de l’efficacité de leur action éducative quotidienne? Nous sommes
en effet interpellé par le décalage entre leur perception qui les conduit à considérer que
ce qu’ils font n’est pas bon, et l’analyse d’autres personnes internes ou externes à
l’institution qui eux perçoivent que le travail éducatif engagé met en avant des cotés
positifs qui montrent que les jeunes concernées bénéficient de cette prise en charge en
internat. Cet écart nous apparaît comme un problème que nous souhaitons appréhender
dans ce travail.
Les échanges que nous avons pu avoir avec les cadres de l’établissement et de
l’association nous confirment que les constats que nous avons pu faire dans notre
observation au Refuge semblent être partagés plus largement. Par exemple, en
participant à une commission associative sur le thème « de la prise en charge des jeunes
de 13-15 ans 11 », nous avons pu entendre les participants, éducateurs principalement,
s’interroger sur leur manière d’agir au quotidien avec les adolescents, sur l’efficacité de
leur intervention dans le quotidien d’un groupe d’internat. Par ailleurs les cadres
extérieurs à l’association, que nous avons rencontrés et à qui nous avons parlé de nos
constats au sein du Refuge, se sont montrés attentifs à ce que nous leur exposions, nous
11
Cette commission présidée par un administrateur avait pour but de favoriser les échanges d’expérience
entre les professionnels des différents établissements et services de l’association. Ces échanges ont donné
lieu à la publication d’un numéro spécial du journal associatif « JEM ».
expliquant par ailleurs qu’ils pouvaient eux-mêmes constater ce type de réactions chez
les éducateurs qu’ils rencontrent.
Par ailleurs, en allant rechercher dans les écrits d’auteurs reconnus, nous avons pu
constater que cette question existe de manière récurrente, dans les recherches et études.
En effet, nous pouvons constater que le travail social, son sens mais aussi son efficacité,
interrogent les professionnels et viennent nourrir de nombreux travaux de recherche.
Nous pouvons citer par exemple Jacques Ion qui dès l’introduction de son ouvrage
collectif12 rappelle que « les questions sur le travail social n’ont jamais été aussi
nombreuses ». Dans un texte repris dans ce même ouvrage Michel Chauvière parle
quant à lui de « nouvelle incertitude des savoirs faire » des travailleurs sociaux. Jean
Pierre Rosenczveig, dans un ouvrage datant de 1998, parle lui aussi dans un titre de
chapitre du (nouveau) malaise du social. Il explique notamment qu’il y a un vrai
malaise des professions du social qui tient non seulement à leurs conditions de travail,
mais encore aux profondes transformations de ce travail et au fossé qui a pu se creuser
entre les pratiques sociales et les attentes de la population à leur égard13.
Ainsi, quand on entend les éducateurs parler de leur pratique en portant un regard
d’insatisfaction, il est sans doute possible de repositionner ces questionnements, mais
aussi la construction de leurs représentations du métier d’éducateur, dans ce contexte
plus général d’interrogation des Travailleurs Sociaux sur leurs pratiques et sur le sens de
celles-ci. Notons par ailleurs que cette situation n’est pas nouvelle, car dans un texte14
datant de 1972, Pierre Tuffet écrit déjà: « j’ai eu plusieurs fois l’occasion tous ces
derniers temps de rencontrer des groupes d’éducateurs travaillant en internat et j’ai été
surpris de la prévalence des sentiments d’échec dans leurs propos et dans leurs
conduites. Ce qu’ils disent reflète souvent la plus grande incertitude concernant leur
travail, son but, les façons de s’y prendre, les raisons de le faire ; (…) ». Ces quelques
lignes nous renforcent dans l’idée que ce que nous avons nous-même perçu au sein du
Refuge de l’Espace Adolescent du CODASE a été identifié ailleurs.
Avant d’aller plus loin, rappelons tout d’abord que l’attitude professionnelle qui
consiste à porter un regard critique sur sa pratique est une démarche saine pour un
12
Le travail social en débat(s), sous la direction de J.Ion, Ed. La découverte-2005
In le dispositif français de la protection de l’enfance. Ed jeunesse et droits ; 1998
14
Un modèle pour le traitement résidentiel des enfants, in Revue de l’association française pour la
sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence- novembre, décembre 1972
13
professionnel. Cela permet en effet de rester vigilant à l’action qui est conduite et ainsi
d’être en capacité de se réinterroger et de réorienter, si nécessaire, son action au regard
des besoins du public accueilli.
Cependant quand les constats positifs mis en évidence dans l’accompagnement éducatif
des jeunes adolescents ne viennent pas transformer le discours des éducateurs qui reste
avant tout critique, le sentiment chronique d’insatisfaction et de doute semble alors
prendre le pas.
Si les réussites observées ne transforment pas vraiment le discours, nous souhaitons
mettre à jour ce qui fait écran et qui empêche les professionnels de percevoir les
évolutions et les maintenant alors dans un sentiment de travail mal fait, ou d’éducateurs
pas « vraiment bons ».
À un premier niveau, nous pouvons déjà penser que cet état de fait est un véritable
problème qui peut être décliné en trois points:
Un problème pour les cadres qui sont confrontés de manière régulière à ces expressions
et qui ne semblent pas entendus dans leurs constats plus positifs et valorisants pour les
éducateurs.
Un problème pour les éducateurs qui ne réussissent que difficilement à sortir de leur
insatisfaction et qui progressivement pourraient s’essouffler en ayant le sentiment que
peu de choses changent pour ces jeunes, malgré leur grande implication professionnelle.
Enfin un problème pour les jeunes eux-mêmes, qui se trouvent alors confrontés à des
adultes insatisfaits, ces adultes pouvant alors exiger toujours plus des jeunes !
Cependant, ce premier niveau de problèmes nous maintient dans la sphère
professionnelle et pourrait alors nous limiter comme Chef de Service à seulement
chercher à apporter des réponses concrètes aux problèmes évoqués. Notre volonté est
plus large, car elle se situe dans une démarche de recherche. Il n’est en effet pas
seulement question pour nous de tenter d’apporter des solutions pour résoudre les
problèmes, mais surtout d’essayer de comprendre ce qui caractérise le rapport des
éducateurs d’internat à leur fonction et les empêche de porter un jugement objectif sur
les résultats produits, notamment quand ils sont bons.
Qu’est ce qui fonde leur « rapport au monde » ? Et guide leur action ? C’est ce que nous
nous proposons de comprendre dans le travail de recherche que nous avons engagé.
Les éducateurs semblent juger leur travail à partir de ce qu’ils ont dans la tête et non pas
à partir de ce que d’une part ils font concrètement et d’autre part, des répercussions de
cette action professionnelle. Les éducateurs semblent plutôt situés sur des finalités qu’il
faut entendre comme le caractère d’un fait, d’un enchaînement d’évènements où l’on
voit un but, une évolution orientée15, plutôt que sur des objectifs qui sont des résultats
vers lesquels tend l’action de quelqu’un16. Sur quelles bases fondent-ils leur action, si ce
n’est sur les résultats obtenus ?
Pour avancer dans la compréhension de ce qui se passe pour les éducateurs de l’Espace
Adolescents, nous posons la question centrale suivante :
À partir de quelles représentations, les éducateurs de l’Espace Adolescents du
CODASE fondent-ils leur action auprès des adolescents placés en internat
éducatif ?
Dans cette question centrale, nous mettons en avant le concept polysémique de
représentations. Nous nous situons alors dans le champ de la psychologie sociale. Avant
d’aller plus loin, donnons immédiatement, pour y revenir plus tard17, une définition de
la représentation. Nous retiendrons celle de Denise Jodelet : « C’est une forme de
connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourrant
à la construction d’une réalité commune à un ensemble social (…) on reconnaît
généralement que les représentations sociales, en tant que système d’interprétation
régissant notre relation au monde, orientent et organisent les conduites et les
communications sociales »18. Comprendre ce qui anime les éducateurs de l’Espace
Adolescents c’est donc de rechercher les représentations qu’ils ont de leurs missions
d’éducateurs d’internat auprès d’adolescents. La vision et la compréhension que chaque
éducateur se fait du monde participent à la construction de ses propres références, sur
lesquelles se fonde la pratique professionnelle, c’est-à-dire sa relation aux usagers, aux
collègues, mais aussi sa manière de mettre en œuvre des actes professionnels
15
D’après le dictionnaire Larousse.
D’après le dictionnaire Larousse.
17
Nous pourrons en effet, constater que ce concept est utilisé dans différents champs des sciences
sociales et peut revêtir différentes dimensions.
18
In Les représentations sociales, sous la direction de D.Jodelet, Ed.Puf, 5ème édition 1997.
16
quotidiens. Chaque professionnel en venant travailler en internat se fait une idée de ce
qui est attendu de lui : commandes sociales, missions assignées par les tutelles19,
missions prescrites dans le projet institutionnel, mais aussi de ce qu’il pense être son
travail. Ces éléments adossés à un parcours personnel et professionnel forment un
ensemble de références qui participe à la construction des représentations, sur lesquelles
chacun s’appuie pour construire son action professionnelle.
Rappelons également, que la question qui nous préoccupe est circonscrite à l’internat
éducatif. Il ne s’agit en effet de circonscrire notre recherche à ce terrain d’observation
plus restreint que l’internat en général pouvant revêtir d’autres formes et accueillir
d’autres types de public qui n’ont pas le profil des jeunes qui nous concernent. En effet,
les adolescents qui sont accueillis en Maison d’Enfants à Caractère Social20, sont
confiés suite à des difficultés personnelles et familiales graves, nuisant à leur
développement et obligeant alors à une rupture d’avec le milieu naturel de vie. Ces
placements peuvent être soit ordonnés par le Juge des Enfants21, soit mis en œuvre suite
à une demande des parents de l’enfant22 et suivi par les services du conseil général23.
Ces adolescents sont alors pour la plupart en situation de grande fragilité. Il est souvent
constaté chez ces enfants et ces jeunes, des troubles du comportement, de l’instabilité,
des situations scolaires chaotiques, des souffrances psychiques plus ou moins lourdes,
des comportements sociaux inadaptés tels que de la violence, des difficultés à vivre en
groupe, … La décision de placement est alors mise en oeuvre pour tenter de mettre un
terme ou d’atténuer les difficultés relevées, en proposant aux jeunes une prise en charge
dans le cadre d’un groupe de vie, encadrée par des éducateurs. Il s’agira alors de
permettre aux jeunes de retrouver un certain équilibre en reprenant si possible une
scolarité ou une formation et en favorisant un rétablissement de liens familiaux plus
apaisés.
19
Nous entendons par tutelles, les instances administratives et/ou politiques qui donnent par délégation,
mission aux établissements et services de mettre en œuvre des actions de politique sociale (prévention,
protection de l’enfance, aide aux handicapés, aide aux personnes âgées, …). Nous pensons plus
particulièrement ici, aux Conseils Généraux, aux instances d’Aide Sociale à l’Enfance, à la Protection
Judiciaire de la Jeunesse, …
20
Plus facilement appelée par son sigle : M.E.C.S (nom officiel de ce type d’établissement.).
21
Ces placements sont régis par l’article 375 du code civil (assistance éducative) ou l’ordonnance de
1945 pour les mineurs délinquants.
22
Il s’agit alors d’un placement appelé Accueil Provisoire, dans lequel l’autorité judiciaire n’intervient
pas.
23
Ces placements sont suivis par les travailleurs sociaux de l’ASE.
Dans la question centrale que nous avons formulée, nous parlons d’éducateurs
d’internat. En effet, insistons sur le fait que nous retenons comme référence la fonction
de l’adulte qui intervient dans la structure d’hébergement. Dans notre propos, il n’est
pas question à priori, de mettre en avant la qualification des personnes. Les personnels
que nous avons rencontrés viennent d’horizons divers. Certains ont des qualifications
professionnelles relatives au champ de l’éducation spécialisée24, mais d’autres sont en
cours de formation ou même sans qualification.
Poser notre question centrale, comme nous l’avons fait, nous conduit à faire le choix
d’une démarche de recherche heuristique25 qui nous permettra dans un premier temps,
de cerner les différents niveaux de représentations des éducateurs sur lesquels, ils
appuient ou fondent l’exercice de leurs missions éducatives. Par conséquent, nous
renonçons provisoirement à poser une hypothèse qui réponde à la question. Nous avons
ainsi dans notre cheminement de recherche, évacué des hypothèses que nous pensions
au départ pertinentes. Prenons ainsi quelques lignes pour les exposer :
La difficulté pour les éducateurs de positiver leur travail auprès des adolescents, pouvait
peut-être se comprendre par l’absence ou une insuffisance d’évaluation. Telle est la
piste que nous avions pensé suivre, dans un premier temps. Nous faisions alors
l’hypothèse que les professionnels, face à une carence d’évaluation de leur pratique et
des résultats de celle-ci, se trouvent dans l’impossibilité ou la difficulté de relever les
évolutions positives des situations des jeunes dont ils s’occupent. Ainsi en creux nous
pouvions penser que favoriser l’évaluation, aurait dû régler ce que nous avions pu
constater. L’ensemble de l’établissement a travaillé pendant plus d’une année sur les
outils de la loi de 2002-226. Une démarche de travail soutenue et mise en oeuvre par
l’équipe d’encadrement de l’établissement27, a été particulièrement investie par toutes
les catégories socioprofessionnelles. Malgré cela, les observations que nous avions
faites précédemment perdurent ! Nous constatons alors que la mise en œuvre de
24
Il s’agit du diplôme d’état d’éducateur spécialisé (DEES), du certificat d’aptitude aux fonctions de
moniteur éducateur (CAFME)
25
C’est-à-dire de donner du sens
26
Loi relative à la rénovation de l’action sociale et médico-sociale.
27
En effet, sous l’impulsion de cette équipe de direction, l’ensemble de l’équipe professionnelle a établi
des outils qui permettent de mettre en œuvre une réelle évaluation des pratiques (Documents individuels
de prise en charge, référentiel associatif d’évaluation, …).
processus d’évaluation ne vient pas supprimer les expressions de doute et
d’insatisfaction, relevées plus haut.
Nous aurions pu poser plus simplement encore l’hypothèse qu’il y ait un décalage entre
représentations des missions et réalité quotidienne. Décalage qui vient alors entretenir
une insatisfaction chronique. Cependant, poser une telle hypothèse de travail revient en
fait à écrire une évidence ! En effet, il y a toujours du décalage entre la manière dont on
se représente son action et ce qui se passe réellement dans son quotidien professionnel.
Aller comprendre ce qui fonde l’action de ces éducateurs d’internat et dégager les
systèmes de représentation qui ancrent cet agir est la piste que nous avons choisi de
suivre dans ce travail de recherche. Pour réussir cette démarche, il sera tout d’abord
indispensable dans une première partie, de mettre en lumière le contexte d’intervention
de ces éducateurs. Ce sera l’objet de notre première partie. Il nous faut en effet dans un
premier temps, rappeler la structuration et l’évolution historique du champ de la
protection de l’enfance en France. Nous ferons tout d’abord apparaître ce qui nous
semble être les éléments principaux éclairant les évolutions du champ de la protection
de l’enfance : quelques dates clefs, mais aussi quelques textes de loi qui à eux seuls
fixent le socle du dispositif français28. Ce détour n’est pas exhaustif, mais est le fruit
d’une sélection personnelle qui nous semble suffisamment éclairante pour soutenir notre
démarche de recherche. À la suite de cette première approche, nous prendrons le temps
de faire discuter quelques approches spécifiques d’auteurs qui dans leurs différents
travaux ont mis en évidence les évolutions subies par le travail social et ses différents
acteurs, dont ceux qui nous intéressent en premier lieu : les éducateurs. Là encore, nous
avons fait un choix personnel, mais qui éclaire le contexte d’intervention des
éducateurs. Nous nous sommes par exemple appuyé sur des réflexions plus anciennes,
mais à notre avis toujours pertinentes, d’Yves Barel qui dressait en 1982, un tableau
intéressant des Travailleurs Sociaux. Nous nous adosserons aussi à des travaux plus
récents, tels que ceux de Jacques Ion29, de Jean Paul Lassaire30. Chacun dans sa
spécificité, vient apporter un éclairage intéressant qui nous servira par la suite.
28
Nous pensons par exemple ici aux ordonnances du 2 février 1945 et du 23 décembre 1958, ou encore
la loi récente de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
29
Le travail social en débat(s), sous la direction de Jacques Ion, coll. Alternatives sociales, Ed. La
découverte-2005
30
Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, coll. aradoxes de
l’ordinaire, Ed. L’harmattan- 2004
Nous prendrons également le temps, dans cette première partie de repositionner
l’institution dans laquelle travaillent les éducateurs qui ont été le point de départ de
notre questionnement. Ce sera pour nous l’occasion de développer les constats que nous
avons pu faire, constats qui sont à l’origine de notre question centrale.
Enfin, nous nous arrêterons sur le concept de Représentation. Nous tenterons ainsi de
mettre en avant quelques éléments théoriques fondamentaux relatifs à ce concept. Nous
faisons le choix de faire discuter quelques chercheurs qui ont consacré leurs travaux au
développement de ce concept.
Nous pensons en premier lieu à Serge Moscovici et Denise Jodelet, qui dans le champ
de la psychologie sociale31 ont beaucoup écrit sur le concept de représentation sociale.
Nous la citions plus haut, Denise Jodelet, reprise par Jean Claude Abric, explique que la
représentation sociale “c’est une forme de connaissance socialement élaborée et
partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité
commune à un ensemble social(...) on reconnaît généralement que les Représentations
Sociales, en tant que système d’interprétation régissant notre relation au monde et aux
autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales. De même
interviennent-elles dans des processus aussi variés que la diffusion et l’assimilation de
connaissances, le développement individuel et collectif, la définition d’identités
personnelles et sociales, l’expression des groupes et les transformations sociales”32
D’autres auteurs ont mené une réflexion sur le concept de représentation, la plupart du
temps d’ailleurs en se référant aux travaux menés par Serge Moscovici et Denise
Jodelet, nous pourrions par exemple pour compléter notre approche conceptuelle, nous
arrêter sur les travaux de Jean Clenet33 qui définit le concept de représentation de la
manière suivante: « les représentations sont des créations d’un système individuel ou
collectif de pensée. Elles ont une fonction médiatrice entre le percept et le concept.
Elles sont à la fois processus (construction des idées) et produit (idées). Elles se
valident, se construisent et se transforment dans l’interaction -pensées et actions- ».
31
Qui est « l’étude des interactions et des phénomènes collectifs » d’après J.Maisonneuve, in la
psychologie sociale, Ed. Que sais-je ? 1997
32
In Pratiques sociales et représentations- sous la direction de J.C Abric-Puf 2ème édition 1997
33
D’après D. Aimon, in le concept de représentation, travail de DEA en sciences de l’éducation réalisé à
partir du cours de J. Clenet- DEA- Novembre 1998. Publication Internet.
Les représentations sont vues comme produit, c’est-à-dire comme « produit de l’esprit
humain qui recréé en lui une image complexe de son environnement, afin de mieux
penser et agir sur celui-ci »34.
Les représentations sont également vues comme processus, car elles « constituent aussi
un système d’interprétation, par lequel l’individu interagit avec son environnement »35
De son côté, Joël Cadière, dans son travail sur les travailleurs sociaux et leurs
représentations36, explique « qu’aucun individu ne peut vivre en dehors d’un dispositif
de représentations qui fonde son rapport au monde ». En effet, les éducateurs que nous
avons rencontrés sont eux aussi pris dans des dispositifs de représentations qui les font
vivre et agir auprès de la population d’adolescents dont ils ont la responsabilité. Ainsi,
pour comprendre ce qui développe chez eux de l’insatisfaction et du malaise, il nous
faut avant tout comprendre sur quoi ils fondent leur action et par conséquent leur
« rapport au monde »37.
La seconde partie de notre recherche sera consacrée au recueil et au traitement et
à l’analyse du discours des éducateurs. En effet, pour réussir à mettre en évidence les
représentations du monde et du métier qui fondent la pratique professionnelle des
éducateurs d’internat, il était pour nous incontournable de les rencontrer et de leur
donner la parole. C’est ce que nous avons fait, en allant à la rencontre de dix éducateurs
d’internat, appartenant à notre établissement de rattachement d’une part, mais travaillant
aussi dans une autre MECS38. À partir d’un guide d’entretien39, nous souhaitions
permettre à ses professionnels de parler librement de leur pratique professionnelle. C’est
donc à partir de la transcription de ces entretiens que nous tenterons de comprendre les
représentations qui les animent. Nous avons fait le choix, tout d’abord de traiter le
34
D’après D.Amion, in le concept de représentation- Travail de DEA en sciences de l’éducation, d’après
les cours de J.Clenet- Novembre 1998. Publication internet.
35
Op.cité
36
Nous faisons ici référence aux travaux présentés en séminaire du DSTS 23 année 2005-06 intitulés
« Les travailleurs sociaux, que font-ils » et « Praxéologie, le point de vue des représentations »
37
In « les travailleurs sociaux que font-ils ? » et « praxéologie, le point de vue des représentations »séminaire de sociologie- DSTS23- année 2005-2006.
38
Nous rappelons ici que nous sommes Chef de Service à l’Espace Adolescents. Il est donc important de
rappeler que les éducateurs de cette institution ont un lien de subordination avec nous. Le cadre de
recherche doit permettre d’évacuer en grande partie cette dimension qui peut avoir une influence sur le
contenu des réponses apportées par les éducateurs. Cependant, il nous est apparu nécessaire d’ouvrir
également ces entretiens à d’autres professionnels intervenant auprès d’adolescents en internat éducatif.
39
Ce guide peut être consulté en annexe.
discours recueilli au travers d’items relativement simples et explicites : le discours porté
sur le parcours personnel et professionnel, le discours porté sur les jeunes accueillis en
internat, leur famille, les actes de prise en charge éducative quotidienne, mais aussi le
discours porté sur le placement éducatif lui même.
À partir de ce premier découpage, nous avons fait émerger les principaux éléments des
discours.
C’est à partir de ces éléments clefs que, dans notre troisième partie, nous
souhaitons alors faire discuter les grandes « tendances » que nous aurons fait émerger.
Pour cela, nous avons fait le choix de confronter ces grandes lignes, aux figures de
travailleurs sociaux mis en évidence par quelques auteurs ayant travaillé sur ce sujet.
Nous pensons ici à Yves Barel40 qui dans les années quatre-vingt a mis en avant dans
ses recherches le Travailleur Social réparateur, le Travailleur Social accompagnateur de
la marginalité et le Travailleur Social contrôleur social41. En 2004, Jean Paul Lassaire,
dans ses propres travaux42, met en avant quelques modèles de travailleurs sociaux qui
nous permettent de compléter cette « galerie ». Il parle en effet de modèle « substitut
parental – rééducateur », du modèle « technicien », du modèle « gestionnaire de la
différence » et « agent d’intégration ». Comme le dit lui-même l’auteur, ces modèles
« fournissent des cadres de pensée » et peuvent alors être pris en référence pour notre
propre travail, et nous permettre alors de mettre en évidence la tonalité des discours des
éducateurs, que nous avons nous-même rencontrés. Rappelons ici qu’aucun des discours
relevés ne pourra être totalement associé à une figure ou un modèle, mais nous pourrons
en nous servant de cette base de référence, faire émerger de grandes tendances. Nous
avons enfin fait le choix, pour nous aider dans cette démarche de nous appuyer
également sur les travaux des séminaires de sociologie43, mis en œuvre dans le cadre de
la formation DSTS44 à laquelle nous avons participé, notamment lors des séminaires de
sociologie.
40
In « qu’est ce que le social ? » Action et recherches sociales. Ed. Erès 1982
Les termes employés ici sont personnels, mais traduisent pour nous l’idée clef défendue par Barel.
42
In les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations. Ed L’harmattan,
2004.
43
Nous faisons ici principalement référence au séminaire de sociologie intitulé « les travailleurs sociaux
que font-ils ? » et « praxéologie, le point de vue des représentations », année 2005-2006.
44
Nous faisons référence à la promotion DSTS 23 2004-2007.
41
À partir de cette analyse, nous pourrons alors faire apparaître des éléments de
compréhension éclairants, que nous avons alors fait le choix de confronter à la théorie
de Max Weber, relative au concept d’éthique de conviction et d’éthique de
responsabilité45. En effet, au cours de nos différents travaux de réflexion et
d’approfondissement théorique, nous avons été amené à découvrir, ce concept. Ne peutil pas être un élément de réponse à notre problématique de départ, relative à la
perception du malaise des éducateurs d’internat ? Est-ce que ces professionnels ne sont
pas mis en tension, de manière inconsciente sans doute, entre ce qui fonde leur action et
ce qui s’impose à eux en terme de responsabilité éducative ? Développer cette réflexion
nous est apparu comme un axe possible de réponse à nos interrogations. Nous avons
alors pu faire l’hypothèse que les tensions, les doutes et les insatisfactions exprimées
par les éducateurs sont dues à la tension développée par chacun entre son éthique de
conviction et son éthique de responsabilité, qui « cohabitent » pour fonder une pratique
professionnelle.
A partir de là, nous avons alors tenter de construire des propositions de réponse
professionnelle, à destination des cadres qui animent et managent les équipes
d’éducateurs. En effet, c’est avant tout à eux que s’adresse cette recherche. Eux à qui
nous proposons à partir de ce que nous avons mis en lumière, de soutenir et
accompagner les professionnels en les aidant à mieux vivre les tensions internes. Ceci
en les aidant à percevoir autrement leur pratique, les amenant alors à ne pas rester que
dans une forme d’autocritique, sans doute nécessaire pour faire progresser l’action
éducative, mais qui peut également si elle prend toute la place, freiner l’envie d’agir et
frustrer les motivations, voire même écraser les fondements de chacun. Nul envie pour
nous de penser qu’il faut supprimer le doute qui est nécessaire à une pratique
professionnelle équilibrée, mais plutôt l’envie de permettre à chaque professionnel de
vivre ce doute comme un moteur de l’intervention sans cesse repensée.
45
Le savant et le politique, Max Weber- Ed. La découverte-2004.
PREMIERE PARTIE :
LE TRAVAIL DES EDUCATEURS AU SEIN DE L’ESPACE
ADOLESCENTS OU L’ÉMERGENCE D’UN QUESTIONNEMENT
L’association CODASE46 est une association grenobloise qui emploie 220
salariés répartis dans différents services et établissements oeuvrant depuis 1954, dans le
domaine de la prévention, de la rééducation et de la réadaptation d’enfants et
d’adolescents.
Chef de service éducatif, au sein de l’Espace Adolescents47, établissement appartenant
au CODASE, nous intervenons dans le cadre de la protection de l’enfance. A ce titre,
nous rencontrons quotidiennement des travailleurs sociaux intervenants dans les
différents internats éducatifs de cet établissement. C’est à leur contact et en les écoutant,
que s’est progressivement construit le questionnement que nous avons décidé de mettre
en évidence dans ce travail de recherche. D’une position professionnelle de cadre de
l’établissement, c’est dans le cadre de la recherche compréhensive que nous avons fait
le choix de développer notre question centrale, pour tenter d’y apporter des réponses. Il
s’agit ici pour nous de quitter le domaine du champ professionnel, pour nous situer dans
le champ de la recherche. Il n’est aucunement question pour nous de tenter d’apporter
directement des réponses d’amélioration qui sont du ressort de l’encadrement de
l’établissement. Nous espérons cependant que notre positionnement de chercheur
viendra, par les éléments qui seront mis en lumière permette de mieux comprendre ce
qui anime les éducateurs d’internat, accueillant des adolescents.
Parler de ces acteurs du quotidien, c’est avant tout mettre en évidence leur contexte
d’intervention. C’est ce que nous allons faire dans cette première partie, en rappelant
tout d’abord que la protection de l’enfance est une question sociale qui traverses les
années et qui est régulièrement questionnée, par les professionnels eux-mêmes, mais
aussi par le politique. C’est pour cette raison, qu’il nous a semblé nécessaire tout
d’abord de nous attarder sur les grandes époques qui ont marqué le champ de la
protection de l’enfance. En effet, parler de ce
qui anime les éducateurs, c’est ne pas oublier que ceux-ci sont traversés consciemment
ou inconsciemment par des courants de pensée, mais aussi des évolutions sociétales qui
souvent les dépassent, mais qui viennent faire irruption dans leur pratique quotidienne.
C’est à partir de ce qu’ils vivent, de ce qu’ils ont appris, mais aussi de leur histoire
46
47
Comité Dauphinois D’Action Socio-Educative
L’Espace Adolescents est une Maison d’Enfants à Caractère Sociale, plus couramment appelée MECS.
personnelle, qu’ils vont construire leur propre intervention professionnelle auprès des
adolescents de la MECS.
Nous aborderons également dans cette première partie, le contexte plus particulier du
travail en MECS. En effet, il est important de mettre également en lumière, ce qui fait le
cadre quotidien de leur intervention auprès de ces adolescents.
« Pour le simple quidam, même pour l’élu et le professionnel, saisir les termes du
dispositif français de protection de l’enfance devient de plus en plus difficile quand il
prend des colorations territoriales de plus en plus accentuées du fait de l’histoire, des
richesses humaines, techniques et financières locales » . Cette citation de Jean Pierre
Rosenczveig48 vient parfaitement illustrer la réalité de la protection de l’enfance sur le
territoire national. Prenons le temps de nous arrêter sur quelques éléments clefs,
nécessaires au lecteur pour comprendre le contexte d’intervention des travailleurs
sociaux intervenant dans le champ de la protection de l’enfance.
48
In Le dispositif français de protection de l’enfance. Ed. Jeunesse et droit-1998.
Chapitre 1. Le dispositif de l’action sociale et médicosociale en France, le fruit d’une longue histoire
À la lecture de nombreux auteurs, nous pouvons en effet faire le constat que le champ
de l’action sociale ne s’est pas construit en un jour.: « L’aide qu’apporte la société
française à ses membres en situation de fragilité ou de difficulté sociale est le fruit
d’une longue histoire. À une solidarité essentiellement assumée par un groupe
d’appartenance (famille, groupe social) s’est progressivement substitué un nombre
grandissant de modes d’intervention et de soutien dont les origines sont diversifiées »49
1.1 La prise en charge des enfants
Philippe Camberlein50 met en évidence en faisant écho aux travaux d’Henri Verdier,
cinq grandes périodes qui caractérisent la protection des enfants « abandonnés ou en
danger » :
49
-
L’organisation de la charité, du Moyen Âge à la Révolution française
-
L’assistance publique, de 1793 à 1904
-
L’aide à l’enfance de 1904 à 1958
In Le dispositif de l’action sociale et médico-sociale en France, Ph.Camberlein, Ed Dunod, 2ème
édition-2005
50
Le dispositif de l’action sociale et médico-sociale en France, Ph.Camberlein, Ed Dunod, 2ème édition2005
-
La prévention sociale de 1958 à 1980
-
Le droit de l’enfant à partir de 1980
Pendant très longtemps en effet, les organismes religieux intervenaient principalement
auprès des enfants abandonnés et les mineurs auteurs de crimes et délits. Il s’agissait
alors et avant tout d’une prise en charge clairement repérée dans le champ privé.
Progressivement l’Etat va intervenir et légiférer, participant alors à l’émergence d’une
« catégorisation » des enfants. Il est alors question de l’enfance « vicieuse, déficiente ou
malheureuse »51. Il s’agit là de faire apparaître les différentes catégories d’enfants, pour
permettre une prise en charge différenciée de ces mineurs, selon leurs difficultés.
1.2 Une législation pour la protection des mineurs : un petit tour
dans l’histoire
La prise en charge des enfants en difficultés devenant progressivement une
préoccupation de l’Etat, nous pouvons voir apparaître au fil des décennies, une
législation importante . Un parcours rapide dans l’histoire de la protection de l’enfance
nous permet de rappeler les grandes tendances, qui mettent en lumière des principes ou
des philosophies différentes de l’analyse et de la prise en compte des problèmes de
l’enfance et de la jeunesse en France. C’est dans les interstices de cette histoire que les
travailleurs sociaux vont petit à petit se construire une identité, consolidée ou fragilisée
au fil des évolutions sociétales :
Arrêtons-nous par exemple au XIX° siècle où le 19 janvier 1811 sera créée l’Assistance
Publique, qui après la loi du 28 juin 1793, faisant obligation de prendre en charge les
orphelins, vient créé une institution relative à cette prise en charge. Parallèlement, dans
les années 1825-1850, l’Etat crée des colonies pénitentiaires pour mineurs délinquants.
Ces deux exemples éclairent à eux seuls, la double approche singulière française. D’un
côté, la prise en charge de l’enfance en danger et de l’autre la prise en charge des
mineurs délinquants. Au fil des années, il est alors possible de constater un
51
In Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paule Lassaire,
collection paradoxes de l’ordinaire- Ed. L’Harmattan- 2004
fonctionnement de balancier entre une politique plutôt axée sur la prévention et
l’éducation d’une part et d’autre part, la répression de la délinquance des mineurs. Les
débats seront toujours intenses entre les tenants d’une répression avant tout et les
tenants de la nécessité prioritaire de l’éducation.
Deux ordonnances viendront sceller les choix français, savant équilibre entre les
différentes approches idéologiques, spécificité française. Il s’agit des ordonnances de
1945 et de 1958.
1.2.1 L’ordonnance du 2 février 194552
Le 3 juillet 1944, une loi sur « l’enfance malheureuse » est promulguée.
Cette loi organise la coordination des organismes publics chargés de la jeunesse
délinquante et en danger. En fait ce texte ne sera pas appliqué et sera même annulé en
1945. Il faudra en fait attendre 1958, pour qu’un texte global voit enfin le jour.
L’enfance délinquante est alors au cœur des préoccupations. Sous l’Etat de Vichy, la loi
du 27 juillet 1942 voit le jour et vient officialiser l’autonomie du droit pénal des
mineurs. Un nouveau principe est alors posé : « le mineur doit être rééduqué et non pas
puni. La sanction répressive ne peut être que très exceptionnelle, en cas de crime
seulement pour les moins de seize ans »53. C’est à partir de cette loi, que le secteur
associatif va s’investir dans la mise en place de structure de prise en charge des
mineurs. Celles-ci étant encadrées par des éducateurs, notamment issus du milieu du
scoutisme. Cette loi de 1942 ne sera pas confirmée à la libération, mais inspirera
l’ordonnance du 2 février 1945 qui « repose
sur la priorité donnée à la mesure
éducative sur la mesure pénale, qui reste exceptionnelle. Un pas semble avoir été
franchi : il n’y a plus d’ambiguïté entre la peine et la mesure d’éducation »54. L’année
1945 verra consacré le droit pénal des mineurs, avec la création des Juges des enfants.
52
D’après Droits et pratiques éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse, Pierre Pedron, Ed.
Gualino-2005.
53
Citation de Henri Gaillac, les maisons de corrections, in Droit et pratiques éducatives de la protection
judiciaire de la jeunesse, mineurs en danger-mineurs délinquants, Pierre Pedron, Ed Gualino-2005.
54
Citation de Jacques Bourquin, jeunes délinquants entre éducation et punition, in Droit et pratiques
éducatives de la protection judicaire de la jeunesse, mineurs en danger-mineurs délinquants, Pierre
Pedron, Ed Gualino-2005.
1.2.2 L’ordonnance du 23 décembre 195855
Depuis 1945, les mentalités ont évolué, entraînant dans leur sillon de
nouvelles conceptions éducatives portées par les éducateurs intervenant auprès des
mineurs. Ceux-ci sont en effet très influencés par les sciences humaines
qui
questionnent la prise en charge des mineurs en internat. La question de
l’individualisation de la prise en charge est alors posée. Il s’agit de prendre en compte la
personnalité des mineurs, tout en veillant à la sécurité de la société. En effet, si la
délinquance a régulièrement décliné après la libération, la fin des année cinquante voit
ressurgir à nouveau de manière importante ce phénomène. Il est question de prévention
et l’action éducative est alors privilégiée.
C’est dans ce contexte que l’ordonnance du 23 décembre 1958 voit le jour et va
consacrer la protection judicaire des mineurs en danger. En effet, si l’ordonnance de
1945 a développé la prise en charge éducative des mineurs délinquants56, il n’en n’est
pas de même pour les mineurs en situation de danger. L’exposé des motifs de
l’ordonnance de 1958 est alors éclairant : « Les enquêtes menées sur des cas d’enfants
martyrs, montrent que les crimes et les délits dont ils sont victimes ont été le plus
souvent précédés d’une période, parfois longue, pendant laquelle il eut été possible de
constater la carence ou la désorganisation familiale, de déceler chez l’enfant des
déficiences
graves
ou
d’observer
des
perturbations
révélatrices
de
son
comportement »57.
Le Juge des Enfants, cantonné jusqu’alors à la justice pénale de mineurs, devient un des
acteurs principaux de cette nouvelle orientation de protection des mineurs en danger.
Cette évolution permet alors l’émergence de l’assistance éducative. C’est à partir de
cette époque, que vont se développer différents modes d’intervention auprès des
55
D’après Droit et pratiques éducatives de la protection judicaire de la jeunesse, mineurs en dangermineurs délinquants, Pierre Pedron, Ed Gualino-2005.
56
Notamment grâce au « binôme Juges des enfants/ Éducation surveillée ».
Ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la « protection de l’enfance et de
l’adolescence en danger » JO du 24 décembre 1958, page 11770.
57
mineurs en danger. L’article 375 du Code Civil outil principal pour l’intervention du
Juge des Enfants, reprécise d’ailleurs les différents moyens d’action.
1.2.3 L’article 375 du Code Civil
Cet article de loi définit la possibilité d’action du Juge des
Enfants dans le cadre de la protection de l’enfance.:
Art. 375 – Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en
danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures
d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et
mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été
confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du Ministère public. Le juge peut se saisir
d'office à titre exceptionnel.
Elles peuvent être ordonnées en même temps pour plusieurs enfants relevant de la
même autorité parentale.
La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu'il s'agit d'une
mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La
mesure peut être renouvelée par décision motivée. (…)
Art. 375-3 – S'il est nécessaire de retirer l’enfant de son milieu actuel, le juge peut
décider de le confier :
1° A l'autre parent;
2° A un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance;
3° A un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou
spécialisé;
4° A un service départemental de l'Aide Sociale à l'Enfance.
Toutefois, lorsqu'une requête en divorce a été présentée ou un jugement de divorce
rendu entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau
de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision
statuant sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou confiant l'enfant à un
tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu'aura le juge aux affaires familiales
de décider, par application de l'article 373-3, à qui l'enfant devra être confié. Les mêmes
règles sont applicables à la séparation de corps.
Cet article important vient comme nous le disions plus haut mettre en lumière les
différentes manières d’apporter de l’aide aux enfants en danger et à leur famille:
investigation, intervention en milieu ouvert, placement, …
Une fois le cadre des interventions possibles posé, il reste à ne pas oublier la déclinaison
de la mise en œuvre sur le terrain, au plus près des personnes concernées. Si l’État est
pendant au cœur de ces interventions, comme nous l’avons vu précédemment,
progressivement, de nouvelles questions vont apparaître. Les années 80 seront le théâtre
de cette redistribution des rôles et des compétences.
1.2.4 La loi de 2002 relative à la rénovation de l’action sociale et médicosociale
Cette loi est venue au début des années 2000 est venue réinterroger les
pratiques notamment en réaffirmant la place des usagers et de leur famille. Il est en effet
question de la participation de ces derniers à l’élaboration et à la mise en œuvre de leur
projet de prise en charge.
Il s’agit alors de repositionner chacun dans leur responsabilité. La prise en charge des
enfants et des adolescents ne peut être efficiente et positive sans que les parents soient
« partie prenante » et actif dans la détermination des objectifs de la prise en charge dans
un service ou dans un établissement éducatif. Livret d’accueil, document individuel de
prise en charge, participation au conseil de la vie sociale, sont autant de nouveaux outils
qui sont imposés par la loi de 2002, pour permettre aux parents et à leur enfants d’être
impliqués et de donner leur avis. Les travailleurs sociaux, dans cette nouvelle période,
doivent interroger leur pratique et réfléchir à la manière de travailler avec les parents.
De nombreuses questions vont alors se poser au moment de la prise en compte des
éléments de cette nouvelle loi : doit-on considérer les parents comme des partenaires ?
Comment donner leur donner la parole ? Ne leur demande-t-on pas d’être juge et
partie ?
1.2.5 La réforme de la protection de l’enfance de 2007
A travers cette loi, la question de la prévention dans le champ de la
protection de l’enfance est repositionnée comme première. Il s’agit en effet, de donner
aux départements, une place prépondérante , dans l’évaluation et la prévention dans le
champ de la protection de l’enfance. L’idée de déjudiciarisation au profit d’un
recentrage sur la responsabilité des Conseils généraux est par ce texte est réaffirmée.
1.3 D’une organisation déconcentrée, à une organisation
décentralisée
La protection de l’enfance sur le territoire français a évolué et s’est organisée
différemment au fil des années. Pendant très longtemps Ce dossier relevait de la
compétence exclusive de l’Etat. Les lois de décentralisation de Gaston Deferre, Ministre
du premier gouvernement de Pierre Mauroy, sous la présidence de François Mitterrand,
sont venues apporter une déclinaison différente à cette organisation.
« Cette réforme est à elle seule une sorte de révolution », souligne Alain Thevenet,
spécialiste de l’aide sociale à l’enfance, dans un de ses livres58.
Avant cette révolution sociale qui touche à l’organisation même du Territoire et des
lieux de décision politique, l’Etat centralisateur avait seul, la compétence de protéger les
mineurs, notamment en déléguant la mise en œuvre concrète de cette protection, aux
Directeurs Départementaux de l’Action Sanitaire et Sociale (DDASS).
“ Décentraliser à la française, c'est donner davantage de libertés, de compétences, de
moyens, aux collectivités locales que la loi appelle maintenant - ce n'est pas par hasard
- les collectivités territoriales ».
En 1982, le nouveau Président de la République relance le dossier de la décentralisation.
Le Parlement votera alors les lois de décentralisations qui autorisent le transfert de
pouvoirs et des compétences plus étendues aux collectivités territoriales.
58
L’aide sociale aujourd’hui, après la décentralisation. Ed.ESF.Coll. actions sociales référence. 13e
édition, 1999.
C’est l’objet même de la loi du 2 mars 1982, modifiée le 22 juillet de la même année.
Cette loi supprime ou allège les tutelles et élargit la libre administration des collectivités
territoriales.
La réforme touche tout d’abord les Conseils Généraux qui héritent de la mise en oeuvre
de l’aide sociale, sur leur territoire, le département. Progressivement les compétences de
Conseil Général seront précisées. La loi du 22 juillet 1983 ordonne le transfert de l’aide
sociale. Les départements deviennent responsables de la mise en œuvre de la protection
de l’enfance en danger. Les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) se structurent
alors différemment au sein des Conseils Généraux, pour appréhender globalement la
question cruciale de l’enfance et de l’adolescence en danger, qui devient une des
responsabilités centrales des Conseils Généraux
Cependant, ces derniers conscients de leur impossibilité matérielle à gérer à eux seuls,
la protection, s’appuient sur les associations, qui travaillent depuis longtemps déjà sur
les territoires, pour mettre en oeuvre cette obligation nationale de protection. Des
agréments et conventions, avec les financements afférents, régissent cette délégation de
service public.
Dans chaque territoire, des associations départementales, régionales ou nationales,
agissent dans le cadre de la protection des mineurs et gèrent service et établissements,
financés en grande partie par les Conseils Généraux59. Ces services et établissements
sont destinés à accueillir, soutenir et accompagner les enfants en danger ainsi que leur
famille. Cette nouvelle organisation qui est une véritable révolution des mentalités
soulève de nombreux questionnements de la part des professionnels, mais également de
la part des politiques. Jean Pierre Rosenczveig, magistrat de la jeunesse, met d’ailleurs
en lumière cette situation : « Autant de départements, autant de dispositifs de
protection, même si les règles du jeu sont nationales »60.
59
60
Une autre partie du financement provient de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
In Le dispositif français de protection de l’enfance, Jean Pierre Rosencsveig, Ed Jeunesse et droit-1998
Chapitre 2. Les éducateurs : une profession en perpétuelle
évolution
Cette rapide approche historique du champ de la protection de l’enfance n’a d’intérêt
pour nous que parce qu’elle met en lumière un cheminement de la manière
d’appréhender la question sociale de l’éducation des mineurs. En effet, comme nous le
mettions en évidence plus haut, les évolutions sociales, économiques et sociétales, ont
eu pour conséquences de mettre en mouvement des effets de balancier dans la prise en
charge des mineurs en difficultés. Progressivement l’État est venu positionner les
fondements de cette prise en charge : la prévention, la protection, l’éducation, mais
aussi de manière contrôlée et limitée61, la répression de la délinquance des mineurs.
C’est dans ce contexte en perpétuel mouvement, que les travailleurs sociaux ont pris
place dans le champ de la protection de l’enfance. Nous pouvons alors voir le
cheminement des éducateurs, qui au fil des décennies se sont interrogés mais aussi
remis en cause, passant par des positionnements différents, pour tenter progressivement
d’affirmer
une
identité
professionnelle.
Nous
entendons
ici
par
identité
professionnelle62, l’articulation de deux processus identitaires hétérogènes que sont
l’identité prédicative de soi (ce que l’on veut être) et l’identité attribuée par autrui, qui
nous est attribuée par identification à des catégories, des groupes d’appartenance.
De nombreux auteurs sont venus éclairer notre réflexion. Il nous apparaît, au regard du
sens de notre recherche, important de nous attarder sur cette question de l’évolution
même des Travailleurs Sociaux. Car être éducateur auprès d’adolescents aujourd’hui,
c’est sans doute consciemment ou inconsciemment être porteur de cette histoire
61
62
Nous rappelons ici le cadre fixé par l’ordonnance du 2 février 1945.
En référence à l’apport de Claude Dubar, in la socialisation, Ed. Armand Colin- 2000.
commune, qui participe aux représentations qui les animent et qui fondent en partie leur
action quotidienne, auprès d’adolescents.
2.1 L’alliance de deux mots chargés de sens : Travailleur Social
Amédée Thevenet, dans un de ces ouvrages63, met en évidence le fait que
l’alliance de ces deux mots qui étaient au départ deux adjectifs est le fruit d’un
cheminement au cours des décennies. Rappelons tout d’abord que le concept même de
travailleur a connu des évolutions pour faire référence à la notion : « d’activité
organisée à l’intérieur d’un groupe social » C’est alors qu’il devient un concept
idéologique puissant qui sera repris comme dénominateur commun de toutes les
professions du social . De son côté le mot social fait référence à « l’ensemble des
problèmes sociaux », quand il s’agit du substantif. En ce qui concerne l’adjectif social,
l’auteur insiste sur le fait qu’il a connu des évolutions. D’abord appliqué à ce qui
concernait l’organisation de la société, le mot va petit à petit se préciser pour se
rattacher à l’idée d’amélioration des conditions de population. On parle par exemple en
1936, de droits sociaux. Tend alors à se réaliser une certaine solidarité entre les
membres d’un même groupe socio professionnel puis entre les différents groupes.
Cette association de Travailleur Social peut être comparée au terme anglo saxon social
work, même si comme le précise Amédée Thevenet, le titre français : « recouvre une
réalité plus diffuse dans laquelle s’inscrivent volontiers d’autres intervenants sociaux
tels que l’enseignant, le médecin … ».
Une fois ces deux termes définis, il s’agit alors de mettre en évidence les finalités de
l’intervention de ces Travailleurs Sociaux. Après avoir rappelé que « la fin du travail
social est sa propre fin », Amédée Thevenet rappelle, ce qui nous intéresse en premier
lieu, les différentes finalités que le travail social s’est donné passant « successivement
ou simultanément de l’altruisme au professionnalisme, du respect de la personne à
l’aide psychosociale, de la promotion des groupes à l’intégration sociale, de la charité
à l’économie, de la tutelle au contrat ».
63
Les Travailleurs Sociaux, Amédée Thevenet & Jacques Desigaux, collection « Que-sais-je » Ed PUF1985.
Cette réflexion de l’auteur sur les finalités nous intéresse, car elle fait écho à notre
propre recherche, sans bien sur y être complètement collée. En effet, vouloir
comprendre ce qui anime les éducateurs d’internat, c’est les resituer dans un contexte,
dans une évolution historique mais aussi dans un cheminement des mentalités. Il est
donc fondamental de resituer notre démarche en mettant en évidence les éléments
significatifs de ce cheminement, par exemple en rappelant l’évolution des finalités du
travail social, telles que des auteurs, comme Thevenet par exemple, les mettent en
lumière. Par la suite, dans la confrontation des données que nous avons recueillies, nous
serons amenés à faire discuter ces différentes approches, que nous souhaitons faire
apparaître dans cette première partie.
2.2 Les métiers du social en perpétuelle réflexion : discussion
d’auteurs
Parler des éducateurs nécessite de ne pas oublier les évolutions idéologiques qui
traversent régulièrement cette profession et ce champ d’intervention. En effet, le travail
social, depuis son invention a toujours été interrogé et remis en cause. C’est dans un
contexte toujours mouvant que les professionnels de ce secteur réfléchissent de manière
quasi permanente, sur la pertinence de leurs interventions, mais aussi les objectifs et les
finalités de celles-ci. Ainsi, au fil de ces remises en cause, des cadres de pensée ont vu
le jour et des modèles de professionnels ont été définis. De nombreux chercheurs ont
axé leur travail sur ces dimensions. Quelques-uns ont retenu plus particulièrement notre
attention.
2.2.1 Le Travail d’analyse d’Yves Barel
Dans un long texte64, Yves Barel vient nourrir notre réflexion de manière
éclairante. Il met notamment en évidence comment les Travailleurs sociaux au début
des années 80 interrogent leur pratique et quelles représentations existent du travail
social. Ainsi nous pouvons retenir schématiquement trois aspects :
64
Qu’est ce que le travail social ?, in Actions et recherches sociales, Ed.Erès- Nov.1982
- Les Travailleurs Sociaux sont là pour aider les gens à résoudre leurs problèmes
(réparation)
- Les Travailleurs Sociaux accompagnent des marginaux (la question de la
normalisation ou de la re-normalisation)
- Les Travailleurs Sociaux comme « contrôleurs sociaux »
À l’époque, le débat entre ces différentes conceptions du travail social est vif, les
oppositions de pensée sont importantes et les Travailleurs sociaux s’interrogent sur ce
qu’ils font, ce qu’ils veulent faire, ce qu’ils savent faire
2.2.2 Jacques ION interroge le Travail Social
Dans un livre récent65, Jacques ION a réuni plusieurs spécialistes du
travail social qui viennent interroger le sens du travail social. Nous sommes
particulièrement interpellés par le texte de Michel Chauvière intitulé : Les professions
du social : compétences ou qualifications ? Le chapeau de ce texte questionne le sens
du travail, qui plonge les praticiens de terrain dans un questionnement sur leurs
pratiques quotidiennes :
«Entre les transformation des organisations et la montée en puissance du patronat
social, public et privé, d’une part, la nouvelle incertitude des savoir-faire, tant pour le
diagnostic que pour l’action, d’autre part, comment évolue la professionnalité des
acteurs du social ? Vu le mode de construction historique du champ, cette question ne
peut se ramener à la simple opposition des compétences et de la qualification. C’est
pourquoi l’auteur s’intéresse aux débats qui ont marqué le monde des professionnels du
travail social ces trente dernières années, successivement le débat identitariste, le débat
utilitariste et le débat stratégique. »
Le sens, l’orientation des pratiques, sont une nouvelle fois en filigrane des éléments
défendus par Chauvière.
Le travail social et ses professionnels sont en perpétuel questionnement sur ce qu’ils
font, ce qu’ils produisent, dans quel sens est orientée leur action. J. Ion le rappelle
d’ailleurs dès l’introduction de l’ouvrage : « (…) les questions sur le travail social n’ont
jamais été aussi nombreuses (…).Le propos de cet ouvrage ne sera donc pas d’établir
65
Le travail social en débat(s), sous la direction de Jacques Ion, collection alternatives sociales, Ed. La
découverte-2005
un impossible bilan (…). Il visera plutôt à faire part des multiples questions que ce
travail social ne cesse de susciter (…) »66
Ainsi, comment les éducateurs qui nous intéressent seraient-ils en dehors de ce
contexte, de ces débats qui animent le champ social depuis des décennies ? Nous
pouvons en effet partir du postulat que chaque professionnel, quand il travaille, mène
une action quotidienne auprès d’un public en difficulté, des mineurs placés en
institution en ce qui concerne notre recherche, et se trouve pris dans ce contexte
sociopolitique de manière consciente ou inconsciente et peut alors légitimement
s’interroger sur ses pratiques et le sens de celles-ci. Les représentations des missions se
construisent aussi imprégnées de ce contexte. C’est en effet à partir de ce qu’ils
pensent, de ce qu’ils ont appris mais aussi de ce qu’ils imaginent qu’on attend d’eux,
qu’ils construisent leur « idéal ».
2.2.3 L’approche de Jean Paul Lassaire
Dans le cadre de son travail de recherche67, Jean Paul Lassaire fait
apparaître également une évolution intéressante de l’intervention des éducateurs. Il met
en évidence le parallèle entre l’évolution de la société et l’évolution du positionnement
des éducateurs.
Il rappelle que le processus de catégorisation des enfants, a permis la mise en place de
différents systèmes de prise en charge, allant de l’éducation surveillée pour les mineurs
délinquants aux établissements médicaux et médico-sociaux. L’auteur explique alors
que « Depuis le début de l’éducation spécialisée jusqu’aux années soixante, la
construction des catégories d’enfants dits déficients ou vicieux s’élabore dans un
regard individualisant. Ces désignations constituent des modes de connaissance sociale
des sujets à « rééduquer ». Avec des savoirs sociaux qui renvoient à des pratiques
morales de redressement ou paramédicales, on néglige l’émergence des savoirs propres
des premiers éducateurs. L’accent est mis sur l’implication de la personne de
l’éducateur bien davantage que sur son savoir professionnel »68. Jean Paul Lassaire
parle alors de l’implication quasi totale de l’éducateur d’internat, chargé de « la tâche
primaire ». Il met alors en évidence pour cette période (fin de la guerre, début des
66 Le travail social en débat(s) – sous la direction de J.Ion Ed. La découverte 2005
67
Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire,
collection Paradoxes de l’ordinaire, Ed ; L’Harmattan 2004.
68
Les théories métisses des éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire,
collection Paradoxes de l’ordinaire, Ed. L’Harmattan-2004.
années soixante) un modèle d’éducateur qu’il nomme « substitut parental et
rééducateur »69.
Pour la période suivante qui couvre les années soixante et soixante-dix, l’auteur dégage
le modèle de « l’éducateur technicien, valorisant la relation »70 qui prend
progressivement place auprès du modèle énoncé précédemment. Dans cette période, le
rôle de l’éducation spécialisée est remis en cause : « quel que soit l’endroit où elle
s’exerce, l’éducation spécialisée est touchée et doute de ses finalités »71. On interroge le
rôle de contrôle social des éducateurs72. On insiste alors, sur la nécessité de restaurer
« les relations familiales et sociales »,tout en ne condamnant pas les parents qui
éprouvent des « difficultés à assurer leur rôle ».
Depuis les années soixante-quinze, « le renoncement à changer les individus va
s’inscrire dans un discours de la différence ». La remise en cause des internats éducatifs
est encore plus flagrante, tel que le notait un rapport de l’I.G.A.S73 de 1978 : « un
système d’hébergement éducatif dont le coût peut paraître hors de proportion avec les
services rendus »74. La remis en cause de cette « relation substitutive » vient largement
chambouler les professionnels du champ de l’inadaptation sociale. On les questionne
sur leur utilité, les remises en cause sont importantes et les objectifs de rationalisation
prennent un peu le pas sur les pratiques habituelles des éducateurs. De nombreux
éducateurs vont alors s’engager dans les opérations d’insertion professionnelle et
sociale. Jean Paul Lassaire parle alors des modèles de « gestionnaire de la différence »
et « d’agent d’intégration »75.
Ces quelques lignes reprenant les travaux de J.P Lassaire viennent confirmer que les
contextes idéologiques et politiques et les conséquences structurelles qui en découlent
souvent, sont de nature à générer des conceptions différentes du métier, chez les
éducateurs eux-mêmes. Il nous semble important de ne pas perdre cette considération de
vue, dans la compréhension que nous cherchons à avoir de ce qui fonde les actions des
éducateurs en internat éducatif. Les différents modèles mis en évidence par J.P Lassaire
ici, mais aussi par Y.Barel auparavant, nous fournissent des cadres de pensée
intéressants qui nous serviront par la suite.
69
Ibidem.
Ibidem.
71
Ibidem/
72
Rappelons-nous que c’était une des modèles d’éducateur mis en évidence par Yves Barel, cité plus
haut.
73
I.G.A.S = Inspection Générale des Affaires Sociales.
74
Rapport sur les établissements sociaux et médico-sociaux, 1978, in Les théories métisses des
éducateurs : savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire, collection Paradoxes de
l’ordinaire, Ed. L’Harmattan-2004.
75
Ibidem.
70
En ce sens, l’approche que nous avons pu découvrir dans le cadre de notre formation
nous apparaît tout aussi intéressante, pertinente et complémentaire.
2.2.4 L’approche de Joël Cadière76
« (…) Une analyse en travail social à partir des travailleurs sociaux euxmêmes. Il faut dire qu’un questionnement de cet ordre se heurte immédiatement à la
pluralité des professions, des fonctions, des appartenances institutionnelles, des
missions… En effet, chaque profession possède une formation spécifique correspondant
aux notions générales pour les uns d’Aide, pour les autres d’Éducation et de
Rééducation, pour d’autres encore l’animation »77. Ces quelques lignes développent là
aussi, le même questionnement. En effet, les Travailleurs sociaux se positionnent et
agissent différemment, selon d’où ils parlent, mais aussi selon leur parcours et leur
histoire personnelle et professionnelle. C’est en partant de cela que Joël Cadière, dans
son travail78, a mis en évidence différentes figures, que nous serons amenés à reprendre
dans notre dernière partie: les éducateurs « promoteurs » qui s’appuyant sur leur histoire
personnelle et sur des valeurs humanistes fondent leur intervention sur l’idée de
l’émancipation des individus. L’action qu’ils mènent est avant tout une « mission »,
l’éducateur « Bâtisseur » qui se donne pour mission première de réparer en partant lui
aussi de son histoire personnelle, l’éducateur « opérateur » qui n’est quant à lui qu’un
rouage du système social. C’est avant tout un technicien qui apporte un savoir faire.
76
Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des pratiques des travailleurs
sociaux, Joël Cadière, Thèse de doctorat -Université Lumière Lyon 2- 1991 et séminaire de sociologie,
DSTS 23, promotion 2004-2007.
77
In Les travailleurs sociaux que font-ils ? séminaire de sociologie, DSTS 23, promotion 2004-2007.
78
Ibidem.
Chapitre 3. Un établissement spécialisé au sein d’une
association:
contexte
particulier
d’intervention
professionnelle
Pour compléter plus largement le contexte des éducateurs d’internat, nous allons à
présent, faire un détour vers ce qui est le contexte de travail quotidien des
professionnels qui ont été à l’origine de notre questionnement et de l’émergence de
notre question centrale. Qu’en est-il exactement ? Comment les choses se sont-elles
progressivement construites ? Telles sont les deux questions auxquelles nous allons
répondre à présent.
3.1 Le CODASE, une association grenobloise : Des valeurs, une
mission et des actions79
Le Comité Dauphinois d’Action Socio Educative est une association de type loi
1901, pour la prévention, la rééducation et la réadaptation d’enfants et d’adolescents.
Déclaré le 31 décembre 1954, à la Préfecture de l’Isère, le CODASE s’occupe de 1250
jeunes, chaque année.
Cette association grenobloise est organisée en différents services et établissements qui
chacun avec leur spécificité tend vers un même but :
79
D’après la plaquette de présentation du CODASE : « un horizon pour tous ».
Permettre à des jeunes, désocialisés, en difficultés personnelles, de trouver leur place à
l’école, au travail, dans la vie culturelle, bref dans notre société.
La mission du CODASE, c’est de les aider, de leur apporter un soutien éducatif, de les
inciter à utiliser leurs capacités, leur redonner confiance dans leur potentiel
d’adaptation afin qu’ils puissent accepter la vie sociale et y inscrire leur avenir80.
Pour répondre au mieux aux besoins des personnes l’association développe alors deux
actions complémentaires : une action directe auprès des intéressés, dans les différents
lieux d’action (quartiers, familles, services, établissements) et une action auprès des
divers organismes et institutions (sociales, scolaires, administratives, judiciaires, …)
Le CODASE est organisé en services et établissements, qui répondent plus
spécifiquement aux besoins des enfants et adolescents accueillis ou accompagnés.
Cette organisation et ces actions sont placées sous l’autorité, d’un Conseil
d’Administration, composé de personnalités venues d’horizons divers d’un Bureau, qui
met en œuvre pratiquement les projets élaborés et d’un Directeur Général qui assure la
cohérence et la logistique de l’association. 220 Professionnels salariés de l’association
viennent, par leur action quotidienne mettre en œuvre les différents projets, au sein des
services et établissements du CODASE. Ceux-ci sont organisés autour de quatre pôles
principaux : La prévention et le soin, avec les services de l’AEMO81et de Prévention
spécialisée et de « Point Virgule »82. L’éducation avec le service ambulatoire83 et
l’ITEP84. Le soutien parental avec des lieux de visite et de parentalité. Et enfin,
l’hébergement des adolescents et des enfants, avec les établissements de l’Accueil
enfance85 et de l’Espace Adolescents.
C’est donc au sein de ce dernier établissement qu’a émergé notre questionnement.
80
D’après « un horizon pour tous »
Sigle de l’Action Educative en Milieu Ouvert (Assistance éducative judiciaire et administrative)
82
Centre de soins spécialisé aux toxicomanes.
83
Service agréé par l’Aide Sociale à l’Enfance qui apporte un soutien éducatif en relation avec le milieu
naturel de l’enfant, pour maintenir l’insertion scolaire.
84
Centre de soins agréé par la sécurité sociale. Orientation MDPH
85
Maison d’Enfants à Caractère Sociale du CODASE, accueillant les enfants et les préadolescents (8 à
14 ans)
81
3.2 L’Espace Adolescents du CODASE
L’Espace Adolescents est une Maison d’Enfants à Caractère Social, accueillant
d’une part des adolescents de 14 à 18 ans et d’autre part des jeunes majeurs de 18 à 21
ans.
L’établissement
favorise
l’insertion
sociale
des
individus
en
difficulté
personnelle, familiale et sociale. Il s’agit « d’aider ces jeunes à se reconstruire et à être
responsables vis-à-vis d’eux-mêmes et de la société »86
L’établissement accueille 95 adolescents âgés de 14 à 21 ans, de nationalité française
ou étrangère. Ces jeunes sont placés dans cet établissement à différents titres, qu’il est
important de rappeler brièvement ici :
- Le placement direct, ordonné par le Juge des Enfants, au titre de l’Assistance
Educative (art. 375.2 du Code Civil).
- Le placement par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (L22 du CASF87)
Ce deuxième type de placement peut avoir deux origines qu’il est important de
différencier. D’une part, le placement qui fait suite à un placement judiciaire du jeune
(par le Juge des Enfants) à l’ASE et d’autre part, le placement au titre de l’Accueil
Provisoire qui fait suite à une entente préalable entre la famille et l’ASE, sans
intervention du Juge des Enfants.
- Le placement de mineurs délinquants (ordonnance du 2 février 1945 relative à la
délinquance des mineurs)
- Le placement en urgence, préalable à une décision judiciaire pouvant être par exemple
demandé par le procureur de la République.
86
D’après « un horizon pour tous » Op.cité
Sigle du Code de l’Action Sociale et des Familles, qui s’est substitué au Code Famille et Aide Sociale
(CFAS) créé en 1956.
87
3.3 Un lieu d’intervention spécifique : Le Refuge88
L’unité du Refuge accueille onze jeunes âgés de 14 à 16 ans89, encadrés par une
équipe pluridisciplinaire90 placée sous notre responsabilité de Chef de Service91.
3.3.1 Des jeunes en grandes difficultés
L’accueil des adolescents se fait dans le cadre de la protection de
l’enfance92. Ils sont le plus souvent en situation familiale très fragile, voire totalement
déstructurée, avec des conséquences souvent très lourdes sur leur évolution
personnelle : troubles du comportement, passages à l’acte répétés, déscolarisation ….
La prise en charge de ces adolescents prend donc en compte prioritairement, les troubles
de ces jeunes. Ceux-ci sont très peu dans la verbalisation de leur mal-être, mais le plus
souvent dans des passages à l'acte répétés et plus ou moins graves : refus des limites
posées par les éducateurs, angoisses au moment du coucher, violences verbales et
parfois physiques entre les jeunes et parfois envers les adultes, déscolarisation, troubles
psychologiques et mentaux ….
Ces jeunes ont beaucoup de difficulté à faire preuve d’individuation. Constat est fait par
exemple que des écarts de certains jeunes, viennent réveiller chez les autres des
fragilités souvent à fleur de peau. Les éducateurs constatent alors souvent un effet
« boule-de-neige » qui ajoute de la tension à une situation souvent déjà complexe et qui
exacerbe encore plus les moments de crise. Il est en effet difficile pour ces jeunes de
88
Pour rappel, cette unité appartient à l’Espace Adolescents du CODASE
Six garçons, cinq filles plus une place d’urgence (qui peut donc faire monter l’effectif à 12
ponctuellement).
90
Cette équipe est composée : de cinq éducateurs (trices) diplômées (éducateur spécialisé, moniteur
éducateur), en formation (Aide médico Psychologique) ou sans diplôme. Ces postes cumulés représentent
un temps de travail égal à 4,75 équivalent temps plein, de deux veilleurs de nuits représentant 2
équivalents temps plein, d’une maîtresse de maison à plein temps et d’une psychologue à 0,25 équivalent
temps plein.
91
Le chef de service est responsable par ailleurs d’une seconde unité qui accueille en journée 24
adolescents en situation de rupture scolaire.
92
Cette notion fait référence au cadre légal de l’assistance éducative, telle que nous la retrouvons dans
l’article 375 et suivant du Code Civil (op cité).
89
rester en dehors des conflits, tensions, événements qui ne les concernent pas
directement.
A leur arrivée dans l’unité, la plupart des jeunes ne bénéficient pas d'un
accompagnement psychologique, souvent du fait d’un refus marqué de leur part. La
Psychologue de l'unité peut engager autant que faire se peut, un suivi pour ceux qui le
souhaitent ou peut aider l’équipe, à mettre en place un suivi externe. Les éducateurs
soutiennent les jeunes qui sont par ailleurs suivis : CMP, lieu d’accueil psychologique
spécialisé pour adolescents, mais aussi Médecins généralistes ou pédopsychiatres pour
quelques jeunes.
Dans toutes les dimensions du travail éducatif engagé avec les jeunes, l’équipe tente
d’associer les parents93. Le travail avec les familles s'organise de manière progressive et
débute dès la procédure d’admission et qui se poursuit grâce aux contacts téléphoniques,
mais aussi aux rencontres avec des familles en présence ou non du travailleur social de
milieu ouvert, référent du jeune confié. Ce lien est très important pour parler, avec les
parents de la prise en charge de leur enfant et de tenter ainsi de sortir des résistances
face au placement. Pour réussir à mettre en œuvre concrètement ces rencontres, les
éducateurs ont besoin d’être soutenus car la gestion de la vie quotidienne mobilise
prioritairement leur énergie, ne laissant alors que très peu de place pour tout autre
travail pourtant indispensable, aux yeux de chacun.
De manière générale, les jeunes du Refuge sont scolarisés, à leur arrivée dans l’unité.
Pour la plupart, les adolescents sont admis en collèges, en lycée (technique ou général),
en dispositifs plus spécifiques comme les Cippa94, ou encore en établissements médicosociaux. Pour la plupart, la scolarité, même si elle reste fragile pour certains, reste
cependant assez stable. Il y a nécessité de mettre en oeuvre des rencontres et des
contacts réguliers entre les éducateurs et ces écoles, afin de soutenir plus activement
ces jeunes dans leur scolarité.
Par ailleurs, les éducateurs du Refuge sont confrontés à des situations de
déscolarisations préoccupantes. De plus en plus souvent, ils sont amenés à s'occuper, de
jeunes totalement déscolarisés, ou englués dans un processus de déscolarisation. Ils
doivent alors s’occuper de jeunes qui restent quasiment à temps plein dans l'unité. Des
93
La loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale rappelle cette obligation.
Le Cippa devenu MGI (Mission Générale d’Insertion) est un dispositif spécifique de l’éducation
nationale pour les jeunes de plus de 16 ans en difficultés scolaires importantes
94
tentatives de réponses individuelles sont faites (prise en charge en journée, aide aux
devoirs, tentatives de mise en stage, ...), mais ces réponses apparaissent cependant
comme fragiles ou insuffisantes pour tenter de remobiliser réellement ces jeunes qui
sont dans des postures de refus massif, englués dans leur problématique dont la
déscolarisation semble être le symptôme. L'organisation de l'unité et de l’équipe peut
alors montrer des limites, dans ce type de situation: manque de disponibilité des
éducateurs due notamment à l’organisation du temps de présence, sollicitation plus
importante de la maîtresse de maison.
3.3.2 Une équipe de professionnels, dans le malaise et le doute:
l’émergence
d’une problématique de recherche.
Comme nous avons pu déjà le faire apparaître dans l’introduction
générale, l’équipe du Refuge se montre en grand questionnement quant à la pertinence
de leur action auprès des jeunes qui leur sont confiés.
Les situations de Léa et de Sophie, deux jeunes filles confiées à l’unité sont à elles
seules assez significatives de la problématique que nous souhaitons mettre en évidence,
comme point de départ de notre recherche.
Léa et Sophie, chacune à leur manière, amènent l’équipe éducative a s’interroger sur la
manière dont elle travaille avec elles.
Les réunions d’équipe sont autant d’occasion de venir parler de ces deux jeunes pour
demander si la prise en charge éducative mise en œuvre est adaptée et suffisante pour
aider ces deux jeunes filles. Quand ils parlent de Léa, les éducateurs expriment souvent
du malaise et de l’insatisfaction : Sommes-nous vraiment adaptés ? On s’occupe
beaucoup de Léa et pas beaucoup des autres et pourtant cela ne change pas
beaucoup ! ». Ces propos reviennent de manière récurrente. Les évaluations qui sont
faites régulièrement avec le Chef de service de l’unité, avec la Psychologue mais aussi
dans le cadre des audiences devant le Juge des Enfants, montrent que la situation reste
fragile et préoccupante, mais que le travail éducatif constant et rigoureux qui est mené
auprès de Léa semble positif et permet à cette dernière de modifier un peu ses
comportements de toute puissance et de déviance. Malgré tout, les éducateurs restent
très dubitatifs et ne réussissent pas à sortir de leur analyse assez négative de la situation.
Dès notre introduction générale, nous nous demandions alors pourquoi les éducateurs
expriment-ils souvent et de manière insistante du malaise, de la critique et de
l’insatisfaction, au sujet de leur action éducative. Il semble que nous nous situons là, du
côté de l’expression d’un vécu.
Par ailleurs quand les éducateurs parlent du travail éducatif mené auprès de Sophie,
nous avions noté également que ceux-ci se montraient assez fermés quant aux constats
d’évolution de cette jeune fille. En effet, nous avions relevé des propos
significatifs : « Fait-on ce qu’il faut pour elle ? ne serait-elle pas mieux chez ses
parents ? ». Chacun s’interrogeait alors sur la qualité de l’accompagnement
éducatif : « Cela fait un an qu’elle est chez nous et elle ne change pas beaucoup, elle est
toujours excitée, elle se met en danger avec les garçons (…) » Dans cette situation, les
constats portés par la Travailleuse Sociale de l’ASE qui parle d’une certaine évolution
de Sophie, qu’elle connaît depuis longtemps, sont atténués par les éducateurs d’internat.
Pourquoi, alors qu’il y a un processus de compréhension et d’objectivation des
évolutions de l’adolescente, ses éducateurs persistent dans l’expression du doute quant à
l’efficience de leur action éducative ? C’est une seconde question que nous nous
sommes posée en observant ces deux situations95.
Ces deux questions de départ nous ont alors conduits à nous interroger sur ce qui met en
mouvement ces attitudes et ces positionnements d’éducateurs. En effet, nous pouvons
d’un côté faire le constat qu’un réel travail éducatif est engagé auprès des jeunes :
observation des problèmes rencontrés, construction collective d’hypothèses de
compréhension, proposition et mise en œuvre d’actions éducatives concrètes auprès de
ces jeunes et évaluation de l’impact de ces actions.
Cette démarche mise en oeuvre dans les situations de Léa et de Sophie devrait permettre
aux éducateurs de porter un regard plus distancié et plus objectif sur leur action
éducative. Cependant cela n’est pas le cas, car ce processus de compréhension ne
diminue pas ou de manière très limitée, les discours plus ou moins négatifs des
éducateurs vis-à-vis de leur pratique.
95
Il faut noter que nous avons retenu ces deux situations parmi plusieurs autres toutes aussi significatives
et mettant à chaque fois en évidence les mêmes questionnements sur le doute et l’insatisfaction exprimés.
2.3.3 L’émergence d’une question centrale
Au regard des constats que nous avons pu faire et mettre en lumière
précédemment, nous avons alors été conduit à poser deux questions de départ que nous
rappelons brièvement ici :
Pourquoi les éducateurs expriment souvent et de manière insistante du malaise, de la
critique et de l’insatisfaction au sujet de leur action éducative auprès des adolescents ?
Pourquoi malgré un processus de compréhension et d’objectivation des évolutions d’un
adolescent, les éducateurs restent dans l’expression de doute quant à l’efficience de leur
action éducative ?
Ces deux questions nous ont alors conduit à vouloir comprendre ce qui anime les
éducateurs d’internat qui s’occupent de ces adolescents en difficultés. Nous avions
pensé tout d’abord trouver une hypothèse de réponse du côté du manque d’évaluation
des pratiques éducatives. Mais cette réponse ne semblait pas être première, car il nous
semblait qu’un réel travail de fond a été mené dans l’établissement, grâce à la
construction d’une démarche d’appropriation collective des enjeux de la loi 2002-296,
menée avec l’ensemble du personnel de l’établissement d’une part, mais aussi d’autre
part avec l’ensemble des professionnels de l’association97.
Nous avions alors pensé formuler une autre hypothèse basée sur le décalage possible
entre réalité du quotidien éprouvé par les éducateurs et ce qu’ils imaginent être leurs
missions et de leur travail auprès d’adolescents en internat éducatif. Nous aurions pu
nous satisfaire de cette hypothèse, cependant il nous est apparu qu’apporter une telle
réponse à nos questionnements allait très rapidement bloquer notre cheminement. En
effet, si nous pouvons penser qu’il y a du décalage entre la façon dont on peut se
représenter son action et la manière dont elle se met en acte dans une réalité
quotidienne, Que souhaitons-nous réellement comprendre ? Ne s’agit-il pas avant tout
pour nous de comprendre sur quoi les éducateurs d’internat fondent leur action auprès
d’adolescents en difficulté ? Ce n’est qu’à partir de là, que nous pourrons alors peut-être
96
Loi relative à la rénovation de l’action sociale et médico-sociale.
Notons ici que cette démarche collective a été construite en plusieurs temps : démarche qualité,
élaboration des outils obligatoires référencés dans la loi 2002-2, appropriation du référentiel association
relatif à l’évaluation.
97
tenter d’apporter une hypothèse de réponse ce qui est à l’origine de l’insatisfaction et le
doute qui animent ces professionnels.
Nous avons donc fait le choix de formuler notre question centrale de la manière
suivante :
À partir de quelles représentations, les éducateurs de l’Espace Adolescents du
CODASE fondent-ils leur action auprès des adolescents placés en internat
éducatif ?
Poser une telle question revient alors clairement à se situer dans une démarche de
recherche compréhensive. Cette démarche vise alors à aller recueillir la parole des
éducateurs d’internat, pour tenter ensuite de faire émerger les représentations qu’ils ont
de leur action et de leurs missions éducatives.
Dans une telle démarche heuristique, nous ne proposons donc pas une hypothèse de
réponse, qui serait parfaitement inutile, dans un premier temps. ce n’est qu’après avoir
exploité le contenu des paroles des éducateurs, que nous tenterons de faire émerger une
réponse.
Chapitre
4.
Une
réflexion
autour
du
concept
de
représentation
Le concept de représentation a été étudié dans différents champs disciplinaires. Afin de
pouvoir faire plus clairement émerger, ce qui sera notre propre base de réflexion, nous
proposons de faire un rapide tour d’horizon des différentes approches.
4.1 Les représentations : quelques définitions
La représentation vient du latin repraesentatio qui veut dire "action de mettre
sous les yeux", et de repraesentare qui signifie "rendre présent, reproduire, montrer"98.
En philosophie, la représentation est « ce par quoi un objet est présent à l’esprit »,
tandis qu’en Psychologie, il s’agit « d’une perception, d’une image mentale dont le
contenu se rapporte à un objet »99
Le dictionnaire LAROUSSE en donne quant à lui cette définition :
« Action de rendre sensible quelque chose, au moyen d’une figure, d’un symbole, d’un
signe (…) Ce par quoi un objet est présent à l’esprit (image, concept). Perception,
image mentale dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation, à une scène du
monde dans lequel vit le sujet. »
98
99
D’après le dictionnaire de sociologie Larousse-le Seuil.
Définition du dictionnaire de la langue française Larousse.
Nous le voyons ici, les représentations se situent « à la frontière du psychologique et du
social »100. Ces définitions préliminaires mettent en jeu différents éléments qu’il est
nécessaire de retenir : action, sujet, objet, image, perception.
Il faut entendre le sujet comme étant un individu ou un groupe, l’objet comme étant ce
qui est en jeu dans la perception (idée, personne, chose, évènement, …), l’image comme
étant ce qui est perçu de l’objet et interprété par le sujet, l’action comme l’appropriation
de l’objet et la perception comme le fait de saisir un objet par le sens ou l’esprit.
4.2 Les représentations sociales
Le concept de représentation sociale a été élaboré par Serge Moscovici dès
1961. Celui-ci donne plusieurs définitions, souvent reprises ultérieurement par
différents auteurs. Nous pouvons en retenir deux :
« C’est un corpus de connaissances fondé sur des traditions partagées et enrichi par
des milliers d’observations, d’expériences, sanctionnées par la pratique »101
« C’est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée
pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble
social »102
Denise Jodelet en conduisant de nombreux travaux sur les représentations sociales
insistent sur le fait « qu’on reconnaît généralement que les représentations sociales en
tant que système d’interprétation régissent notre relation au monde et aux autres,
orientent et organisent les conduites et les communications sociales. De même
interviennent-elles dans des processus aussi variés que la diffusion et l’assimilation des
connaissances, le développement individuel et collectif, la définition des identités
personnelles et sociales, l’expression des groupes et les transformations sociales. »103.
100
In Travail de rceherche SERPSY de M.Odile Sanchez- document
WWW.Serpsy.otg/formation-débat)
101
In images et représentations sociales, P.Moliner-Ed PUG-1996.
102
In représentations, pratiques et identités professionnelles, J.F Blin-Ed. L’harmattan-1997.
103
In Dictionnaire de sociologie- Larousse, le Seuil
internet-
Denise Jodelet insiste sur les caractères fondamentaux de la représentation sociale, ainsi
que sur ses différentes fonctions104
Elle relève Cinq caractères fondamentaux de la représentation sociale :
- Elle est toujours représentation d’un objet
- Elle a un caractère imageant et la propriété de rendre interchangeable le sensible
et l’idée, le percept et le concept.
- Elle a un caractère symbolique et signifiant
- Elle a un caractère constructif
- Elle a un caractère autonome et créatif
Les différentes fonctions de la représentation sont:
- La fonction cognitive qui permet d’intégrer de nouvelles données, dans son
cadre de pensée.
- La fonction d’interprétation et de construction de la réalité qui permet de penser
et d’interpréter le monde.
- La fonction d’orientation des conduites et des comportements qui permet de
donner du sens et de créer du lien.
- La fonction identitaire qui permet de se situer dans le champ social
- La fonction de justification des pratiques.
Jean Clenet, dans ses travaux105 de recherche vient faire écho aux travaux de Moscovici,
sur les représentations sociales. Il met en évidence plusieurs types de représentations,
qu’il nomme : représentations individuelles, collectives et sociales. Reprenons
rapidement les trois définitions qu’il en donne :
Les représentations individuelles sont « les représentations que l’individu construit en
interaction avec son environnement. Elles constituent un tout cohérent et personnel et
lui servent à organiser son action ».
Les représentations collectives sont « des représentations partagées par un groupe
social en termes de contenu essentiellement »
Les représentations sociales « se construisent par l’interaction avec les autres, par le
contact avec la réalité dans l’action »
104
In pratiques sociales et représentations, sous la direction de Jean claude Abric, Ed. PUF, 1997, 2ème
édition.
105
In le concept de représentation, D. Aimon, travail de DEA en sciences de l’éducation réalisé à partir
du cours de J. Clenet- DEA- Novembre 1998. Publication Internet.
4.3 Les représentations, à la croisée des chemins
Ce concept de représentation est complexe et recouvre en lui-même plusieurs
approches. Jean-Claude Ruano-Borbalan dans un de ses textes insiste d’ailleurs sur le
fait que la représentation est « une notion clef des sciences humaines »106. Il rappelle dès
son introduction que « nous interprétons en permanence le monde sous forme de
représentations que notre cerveau stocke. Toute vision du monde est reliée à des images
mentales inconscientes ». Il définit alors la représentation comme « une création sociale
ou individuelle de schémas pertinents du réel dans le cadre d’une idéologie ; elle
consiste soit à évoquer des objets en leur absence, soit lorsqu’elle double la perception
à compléter la connaissance perceptive en se référant à d’autres objets non
naturellement perçus »107
Michel Denis108 définit quant à lui trois modalités de représentations cognitives109 : les
images mentales qui « rendent compte des éléments caractéristiques de la perception
visuelle », les représentations conceptuelles qui « sont très liées au langage » et les
représentations liées à l’action qui «concernent le savoir que nous avons au sujet de la
manière de mener une activité ».
Dans notre propre formation au DSTS, nous avons compris, grâce à l’apport de
différents séminaires110, que le champ des représentations est un carrefour
interdisciplinaire des sciences humaines. Ce qui ne facilite pas la définition et met en
lumière la complexité de compréhension de ce concept. Nous pouvons cependant dire,
en nous appuyant sur les différents apports théoriques, que la représentation est une
structure qui fonde simultanément le sujet individuel et le sujet social.
Aborder le concept par cette entrée nécessite de ne pas oublier de rappeler que la réalité
qui est une représentation du réel est véhiculée par le langage qui est lui-même produit
grâce à la construction d’un code, qui est une convention d’un groupe humain. Le
106
Texte d’introduction du dossier « les représentations, images trompeuses du réel » in Sciences
humaines n°27- Avril 1993.
107
Texte d’introduction du dossier « les représentations, images trompeuses du réel » in Sciences
humaines n°27- Avril 1993
108
En référence aux travaux de Michel Denis, in Images et cognition Ed.PUF 1989, repris dans le dossier
de Sciences humaines, Op.cité.
109
Qu’il faut entendre comme ce qui fait référence à la constitution de la connaissance humaine. In
dictionnaire de la psychologie- Ed. larousse.
110
Nous faisons ici référence avant tout au séminaire de sociologie.
langage est alors bien une représentation de l’objet réel. La réalité et langage mettent
alors en jeu un système de représentation.
Étudier et analyser le discours produit par les éducateurs d’internat à propos de leur
travail, permet alors de mettre en lumière les représentations qu’ils ont de leur travail.
C’est comprendre leur raison d’agir. C’est pour cette raison, qu’il nous a semblé
fondamental de donner la parole aux professionnels.
Dans la seconde partie qui va suivre, nous allons ainsi mettre en évidence le processus
de recueil de la parole des éducateurs que nous avons fait le choix de rencontrer.
DEUXIÈME PARTIE
RENCONTRER ET ÉCOUTER DES EDUCATEURS
D’INTERNAT
Afin de pouvoir mettre en lumière ce qui fonde la pratique des éducateurs d’internat, il
est indispensable de recueillir leur discours. Nous avons donc fait le choix de rencontrer
des éducateurs d’internat et de nous entretenir avec eux, à partir d’un guide d’entretien.
Après avoir, dans un premier temps, présenté notre méthodologie de recherche, nous
expliquerons ensuite notre guide d’entretien, que nous avons construit à partir de
quelques éléments clefs tirés des travaux menés dans le cadre de notre séminaire de
sociologie111. Nous développerons ensuite, le éléments principaux de ces entretiens que
nous avons choisi de traiter à partir de trois items principaux : le parcours, le métier et
les adolescents. Dans la conclusion de cette seconde partie, nous ferons alors émerger
les éléments clefs qui seront la base de notre analyse, qui nous permettra alors dans la
troisième partie de faire émerger des figures d’éducateur d’une part, mais aussi des
éléments de réponse possible à l’insatisfaction des éducateurs d’internat.
111
Séminaire de sociologie- DSTS 23- promotion 2004-2007.
Chapitre 1. Démarche méthodologique
Ce
premier chapitre va nous permettre de poser les bases de la démarche
méthodologique que nous avons retenue pour aller à la rencontre des éducateurs
d’internat.
1.1 La détermination du terrain d’enquête
Rappelons-nous tout d’abord, que la question que nous posons au départ de
notre recherche, concerne les éducateurs qui travaillent en internat éducatif. C’est donc
cette caractéristique principale qui nous a guidé pour déterminer notre groupe.
Nous pouvons donc dire en préalable que le groupe que nous avons constitué, est
représentatif à plusieurs égards, car il est constitué d’éducateurs qui travaillent dans des
institutions
similaires :
organisation
similaire,
mission
identique,
population
adolescente.
Nous avons fait ce choix, car l’enjeu n’est pas pour nous, une étude statistique.
Les observations initiales, qui ont nourri notre questionnement, se sont faites à partir
d’une équipe d’internat spécifique112, il nous a semblé intéressant et nécessaire d’aller
rencontrer d’autres professionnels, sans tenir compte de leur parcours personnel et
professionnel à priori.
112
Rappelons ici que Nous travaillons dans une MECS de la région grenobloise en tant que Chef de
Service. Nous encadrons plusieurs équipes éducatives, dont une constituée de cinq éducateurs encadrant
un groupe de jeunes adolescents. C’est dans cette équipe qu’ont été repérés les faits significatifs,
déclencheurs de notre questionnement.
En effet, ce qui nous intéresse c’est principalement le discours des personnes qui
travaillent auprès d’adolescents placés en internat éducatif.
Nous avons donc fait le choix d’organiser nos entretiens avec différents professionnels :
des éducateurs travaillant au sein de l’Espace Adolescents, mais n’étant pas directement
sous la responsabilité hiérarchique du chercheur, au sein de son institution, d’autres
éducateurs appartenant à d’autres institutions.
Pour se faire, nous avons contacté des MECS qui accueillent des adolescents et qui
emploient des éducateurs.
Une équipe de direction d’un établissement grenoblois, après avoir étudié notre
demande113 et en avoir parlé avec leurs équipes nous ont proposé de rencontrer des
éducateurs qui travaillent dans la même équipe et qui se sont montrés favorables et
intéressés pour participer à cette recherche.
Notre sélection à priori s’est donc faite sur le seul critère du volontariat. Nous avions
prévu de rencontrer deux équipes d’éducateurs d’internat intervenant auprès
d’adolescents âgés de 13 à 17 ans. Dix éducateurs devaient être rencontrés. Au bout du
compte, nous ne rencontrerons que neufs éducateurs et nous ne pourrons exploiter que
huit entretiens 114.
1.2 Carte d’identités des locuteurs.
Si nous n’avons pas constitué notre groupe de référence, à partir d’une sélection
liée au profil des personnes, nous pouvons à posteriori faire apparaître les éléments
principaux du profil de chacun des interlocuteurs rencontrés115.
Ce groupe est constitué d’individus au parcours différent, mais tous diplômés de
l’éducation spécialisée. Chacun a donc participé à une formation qu’elle soit
d’éducateur spécialisé ou de moniteur éducateur. La plupart des éducateurs rencontrés
ont moins de dix ans d’ancienneté dans le diplôme, qu’il faut cependant différencier de
113
Nous avions sollicité l’équipe de direction, par courrier, puis nous l’avons rencontrée, pour apporter
les explications complémentaires
114
Une des éducatrices qui avait répondu favorablement à deux reprises sera absente aux deux rendezvous prévus. Par ailleurs, le discours de ce septième locuteur n’a pu être transcrit que de manière partielle,
du fait de la mauvaise qualité de l’enregistrement audio. Cette difficulté est principalement due au débit
verbal très rapide du locuteur qui une fois enregistré a été quasiment impossible à transcrire. Cet entretien
a donc été inexploitable.
115
Un tableau récapitulatif est joint en annexe.
l’ancienneté dans la profession, car un certain nombre des personnes rencontrées ont
une pratique professionnelle de plusieurs années avant de rentrer dans une formation
qualifiante.
1.3 Le guide d’entretien116
Nous avons donc fait choix d’entretiens semi directifs, destinés à recueillir le
discours des éducateurs. Nous avons construit ce guide à partir des apports des
séminaires de sociologie suivis dans le cadre du DSTS117. Il est en effet question de la
manière dont le Travailleur Social fonde son rapport au monde, son rapport à « Autrui »,
celui à qui est destiné son « Agir».
Il est question des « modalités constitutives et existantes » mobilisées par le Travailleur
Social pour exercer sa profession. Ces éléments apportent à notre avis, un regard
intéressant sur la manière dont un professionnel aborde son travail, ses missions, mais
aussi sur la manière dont il construit ses propres représentations qui sont de véritables
« passerelles entre le monde individuel et le monde social »118.
Quatre éléments sont déclinés:
- Le Vouloir faire : quand la Travailleur Social projette sur Autrui intentions et
finalités.
- Le Devoir faire : quand le Travailleur Social applique des recommandations
extérieures à lui
- Le Pouvoir faire : quand le Travailleur Social prend appui sur ses compétences
personnelles, développées au fil de son parcours professionnel.
- Le Faire : quand le Travailleur Social organise concrètement son activité, en
actes quotidiens.
C’est à partir de ces quatre éléments que nous avons construit notre guide d’entretien,
car il nous semble que cette organisation nous permettra de parler avec chacune des
personnes rencontrées, des différents aspects de son travail, en lui permettant d’avoir un
116
Ce guide peut être consulté en annexe du présent document.
Nous faisons ici référence au texte « les travailleurs sociaux que font-ils » travaillé dans le cadre du
séminaire de sociologie du DSTS 23-année 2005-2006.
118
In « Praxéologie, le point de vue des représentations », séminaire de sociologie-DSTS23- année 20052006.
117
discours sur ses tâches quotidiennes, tout en lui permettant de porter un regard plus
approfondi sur ce qui le guide, ce qui l’anime. Ce sera ensuite pour nous autant de
données, qu’il sera alors intéressant de parcourir et d’analyser.
1.4 Les entretiens
1.4.1 Organisation des entretiens
Rappelons-nous que notre objectif est de mener une recherche
compréhensive qui nous permettra de mettre évidence sur quelles représentations les
éducateurs d’internat travaillant en MECS fondent leur action éducative. Il nous faut
alors recueillir leur discours. Pour se faire nous avons donc de rencontrer neuf
éducateurs, afin de les interroger, dans le cadre d’entretiens semi directifs. Ces
entretiens ont été individuels. Ces rencontres se sont déroulées, pour tous, dans leur lieu
d’activité professionnelle119. Elles ont eu lieu durant des moments où les professionnels
étaient disponibles, c’est-à-dire quand ils étaient de service, mais n’avaient pas à
intervenir directement auprès des adolescents de leur groupe120. Les entretiens ont été
menés pour la plupart, dans une salle de réunion de l’établissement, mise à
disposition121 par l’institution. La durée de ces entretiens a été variable122. Nous avons
utilisé deux méthodes de recueil de la parole : prise de notes au cours de l’entretien et
enregistrement vocal, avec retranscription ultérieure.
1.4.2 Déroulement des entretiens123
Avant de pouvoir aller plus loin sur le contenu des entretiens, nous
souhaitons ici apporter quelques éléments que nous avons choisi d’appeler «indicateurs
119
Nous avions obtenu auparavant l’accord des directions des établissements.
Les éducateurs ont été rencontrés soit à la fin de leur service, soit lors de « permanence », sans
présence de jeunes dans les unités.
121
Sur les neufs entretiens que nous avons conduits, deux éducateurs demanderont à ce qu’on se
rencontre dans leur bureau, car ils étaient de permanence téléphonique. Ils ne seront pas dérangés.
122
Les entretiens dureront entre quarante-cinq minutes et une heure trente maximum.
123
En annexe, il est possible de consulter, à titre d’exemple, trois transcriptions intégrales d’entretiens.
120
d’ambiance ». Voici donc résumés en quelques lignes, les principaux indicateurs
concernant les neufs locuteurs124 que nous avons rencontrés.
De manière générale et globale, nous pouvons noter que le guide d’entretien a été
efficace et a permis à chacun de s’exprimer, sans trop de difficultés. Les questions ont
été dans l’ensemble bien acceptées, par nos interlocuteurs. Il faut cependant noter que la
question sur le quotidien a nécessité d’être formulée plus précisément, après le
déroulement de quelques entretiens. En effet, dans les deux premiers entretiens, le fait
de ne pas être plus précis, dans ce que nous entendions par quotidien125, a semble-t-il,
été dans un premier temps enfermant pour les personnes. Celles-ci se focalisaient
essentiellement sur les actes de la vie quotidienne pour les jeunes : lever, coucher, repas.
Repréciser notre question a permis alors aux personnes de dépasser cette dimension, en
s’attardant plus spontanément sur les actes de la vie quotidienne, que nous évoquions
plus haut et la place des éducateurs dans ceux-ci, mais aussi sur d’autres aspects ignorés
initialement : travail d’équipe, relations avec les partenaires, travail avec les familles.
1.5 Découpage des entretiens
Pour étudier le contenu de la parole des différents locuteurs, il nous a semblé
nécessaire de procéder à un découpage du contenu, pour le rendre exploitable. Ainsi,
nous avons fait le choix de répartir les paroles de chacun selon trois grands items
principaux que nous avons intitulés de la manière suivante126. :
1.5.1 Le discours sur le parcours
Dans l’ensemble du discours de chacun des locuteurs, il nous a été
possible de mettre en exergue des éléments se référant avant tout au parcours personnel
du locuteur : d’où vient-il ? quels sont les éléments principaux de sa ou ses formations ?
124
Nous rappelons ici, qu’afin de respecter l’anonymat des personnes interrogés, nous avons remplacé
leur nom et prénom, par un prénom fictif dans l’ensemble de l’écrit qui suivra.
125
Nous l’entendions en effet comme toutes les tâches qui incombent en général aux éducateurs
d’internat et non pas le quotidien des jeunes placés en internat.
126
Rappelons ici, que notre choix de découpage garde toujours en toile de fond , « les modalités
constitutives et existantes » mobilisées par l’éducateur pour exercer son métier et théorisées dans les
séminaires de sociologie auxquels nous avons participé.
Quels sont les choix qu’il a du faire ? Pourquoi a-t-il fait ses choix ? Quels sont les
principaux enseignements qu’il en tire ?
Nous pouvons voir apparaître, à partir de cette simple organisation de lecture, des
parcours personnels différents pour des personnes qui se retrouvent ensuite ensemble
dans une équipe de travail pour encadrer des jeunes adolescents en internat éducatif.
Nous pouvons faire le constat que même si nous avons ciblé nos questions à ce sujet,
dans la première partie de l’entretien, nous retrouvons des éléments se rattachant à ce
parcours, dans l’ensemble du discours de chacun des locuteurs. Le parcours reste en
effet, semble-t-il pour chacun un socle, une référence personnelle sur lequel les
individus construisent leur démarche professionnelle.
1.5..2 Le discours sur le métier
Faire ce choix de lecture, c’est retrouver dans le discours de chacun des
locuteurs, un ensemble d’éléments relatifs à sa représentation du métier d’éducateur :
Comment en parle-t-il ? Quels sont les éléments significatifs qui ressortent ? Quel est le
vocabulaire employé ? sont autant de questions qui ont pu nous aider à faire ressortir ces
éléments principaux.
1.5.3 Le discours sur les jeunes
C’est la troisième grille de lecture que nous avons retenue, pour découper
le discours des locuteurs. En effet, Le professionnel met en œuvre son « agir » en le
destinant à « autrui »127. Il est pour nous incontournable de relever tout ce qui est dit sur
cet « autrui », ceux à qui est destinée l’action menée. En ce qui concerne notre travail, il
s’agit bien entendu des jeunes adolescents pris en charge dans les internats éducatifs.
Les professionnels parlent d’eux, de leurs actions, de leurs objectifs, de leurs finalités,
en référence à la population dont ils s’occupent. Nous pouvons alors faire le constat que
les paroles dites sur les jeunes sont en lien principalement avec : sa personnalité, sa
famille, son parcours, sa formation. C’est ce que nous mettrons en évidence par la suite
en
127
faisant
état
des
discours
des
éducateurs.
Nous faisons une nouvelle fois référence au texte « les travailleurs sociaux que font-ils » travaillé
dans le cadre du séminaire de sociologie du DSTS 23-année 2005-2006.
Chapitre 2. Le discours sur le parcours
Nous avons donc rencontré neuf éducateurs sur dix prévus. Nous avons souhaité
exploiter le contenu de ces neuf entretiens, cependant le discours du septième locuteur,
Gaston, n’a pu être que très partiellement transcrit128. Nous avons donc été contraint de
nous appuyer, pour notre recherche, sur le contenu de huit entretiens exploitables.
Chacun de ces discours a été découpé selon la méthode mise en évidence
précédemment. Voici le résultat de l’exploitation de ces discours :
2.1 Alberte
Les développements concernant le parcours sont peu importants
comparés à la plupart des autres locuteurs rencontrés. En effet, quand nous lui
demandons de parler d’elle, la personne développe peu, insiste peu sur ce qui constitue
son cheminement personnel, pour en arriver à devenir éducatrice.
Alberte parle de son « choix » auxquels elle « croit » et qui lui a permis de devenir
éducatrice. Il dit avoir des « prédispositions » pour aller vers les métiers de l’éducatif,
après avoir eu un parcours atypique dans la vente qui ne lui donnait plus satisfaction. Il
rentrera à l’école, après avoir eu des expériences dans le champ de l’éducation
spécialisée qui lui donne « du plaisir ». Il y a une certaine identification à la
population : « j’ai un côté un peu enfant, je me retrouve en eux ».
Ce parcours atypique que nous retrouverons pour d’autres locuteurs fait clairement la
place à l’idée de choix, qui semble être la base ici de l’engagement.
128
En effet, le discours de ce septième locuteur n’a pu être transcrit que de manière partielle, du fait de la
mauvaise qualité de l’enregistrement audio. Cette difficulté est principalement due au débit verbal très
rapide du locuteur qui une fois enregistré a été quasiment impossible à transcrire. Cet entretien a donc été
inexploitable.
2.2 Boris
Cet éducateur parle de son parcours comme d’un « parcours simple ». Il
s’agit là encore d’une « remise en question », qui le conduit à se réorienter. Ses
premières expériences sont une « révélation ». La « formation », dans laquelle il
s’engage alors, le bouscule car c’est un « travail difficile sur soi ». Il faut en effet
« déconstruire » pour « reconstruire » dit-il. Avant cette formation, il n’y avait aucune
« remise en question », avec le sentiment alors, « d’assurer et de savoir tout faire »
avec n’importe quelle population. La formation est alors vécue comme un véritable
« déclencheur » qui lui a permis une prise de conscience, de ce qu’il était, mais aussi de
ses limites et de ses compétences.
2.3 Charlotte
Quand Charlotte parle de son parcours, elle évoque « un déclic
personnel », du fait de la fréquentation d’une cousine polyhandicapée. Cette rencontre
est pour elle « un déclencheur. Ses premières rencontres professionnelles avec des
personnes handicapées, sont pour elle des « contacts positifs ». Mais la formation l’a
fait changer de voie. Après avoir travaillé en MAS129, puis en foyer d’hébergement pour
adultes handicapés, elle décide de s’orienter vers « l’enfance en danger ». L’issue de
cette formation a « confirmé » ce choix professionnel. Depuis, elle dit venir « travailler
avec plaisir ».
2.4 Danielle
Danielle insiste, quand elle évoque son parcours, sur le fait que le travail
avec les adolescents a été une « surprise ». En effet, elle a fait une découverte, après
avoir repoussé l’échéance de ce stage, par « manque de confiance » en elle. Elle se
destinait plutôt au travail avec les personnes déficientes intellectuelles, champ
129
Maison d’Accueil Spécialisée.
d’intervention qu’elle connaissait bien. Elle explique d’ailleurs, qu’elle était « attirée »
par ce travail. Alors qu’elle pensait que le travail avec les adolescents « n’était pas du
tout fait pour elle », elle découvre qu’elle s’y sent « plutôt bien » et qu’elle souhaite y
rester.
Sa formation débutera après plusieurs échecs pour y rentrer. L’attente de cette formation
l’a conduit à aller à la faculté et obtenir une licence de psycho, qu’elle avait choisie,
pour « s’ouvrir un peu » et « apprendre des choses » sur elle, sur « la relation et la
communication ». C’est d’ailleurs aussi le fruit d’un travail sur elle-même qui l’aide à
avancer dans son parcours personnel et professionnel et à faire le pas pour découvrir le
travail éducatif avec les adolescents.
2.5 Evelyne
Pour Evelyne, c’est aussi un « choix ». Le choix d’une reconversion,
après avoir été comptable et de «se rendre compte que professionnellement je ne me
m’épanouissais pas ». Intervenant dans le « sport adapté », elle encadre alors des
« adultes handicapés ». Cette rencontre semble être pour elle un déclencheur qui la
conduise à vouloir intégrer le « milieu du social », qu’elle ne « connaissait pas du
tout ». Son choix est alors semé d’embûches, car après avoir démissionné et s’être
« retrouvée sans rien », il a fallu qu’elle repasse le bac qu’elle avait raté quelques
années auparavant et qu’elle présente le concours d’entrée aux écoles d’éducateurs. Elle
explique que « la formation, c’était assez difficile pour moi », même « douloureux »,
car « tout était nouveau » pour elle. Mais cette « formation a été bénéfique » et elle s’est
alors « intéressée plutôt à la population des jeunes et des ados ». Ayant obtenu son
diplôme, elle travaille pendant plusieurs années, dans une MECS, dans sa région
d’origine, avant de rejoindre son poste actuel, qui pour elle « n’est pas le même
travail », même si elle travaille toujours dans une MECS. En effet, la forme de travail
est aujourd’hui différente et le cadre plus souple, il « y a plus de liberté », par rapport à
avant où le « cadre contenait plus ». Cette nouvelle expérience a été une nouvelle
remise en cause, où elle s’est posé « la question de savoir si elle continue ou pas ».
Aujourd’hui elle se dit contente « d’être restée et d’avoir persévéré ».
2.6 Fabien
« les choses se sont faites sur le tas, bon je pense que c’est aussi lié à
mon histoire ».Ces quelques mots pourraient sans doute résumer le parcours de cet
éducateur. Celui ci met en avant un long parcours, avant d’arriver où il en est
aujourd’hui. C’est l’histoire d’un cheminement qui débute par « un contrat
d’animation » et le travail en quartier avec des associations. Il était alors « dans une
hyper-activité », en étant « constamment sur le terrain » où il a « rencontré tous les
types de professionnels ». Il « passait d’une institution à l’autre, mais toujours avec le
même public ». Il s’agit « des jeunes en difficulté ». Il cherchait « un peu à voir » en
allant « se confronter aux différents types de prises en charge ». Il fera alors une
formation de Moniteur Educateur, avant plus tard de faire une formation d’Educateur
Spécialisé. Il a « mis du temps à chercher », le « type de structure »qui l’intéressait. Il
« avait déjà identifié le public », qu’il appelle « public des quartiers ». En étant dans
l’animation, il avait été « sur la gestion des groupes », il voulait alors plus « s’orienter
vers de l’individualité » et « intervenir sur des projets à long terme ». Au final, le
locuteur admet qu’il « ne sait pas comment il y est arrivé », mais il précise aussi « je me
trouve un peu à ma place ». Il se rappelle qu’il a « commencé très tôt » et que « les
choses se sont faites sur le tas ». Son parcours, c’est aussi la question de ses origines,
où sa « couleur de peau » a été une question. On lui avait fait comprendre qu’il «n’était
pas là pour prôner telle ou telle religion ». On lui a rappelé d’où « il venait à certains
moments », mais « c’est marrant, parce que je le vis bien », précise-t-il par ailleurs.
« Ca ne lui pose pas plus de problème que cela, mais je le perçois à certains
moments ».
Il pense donc que ce parcours est « aussi lié à son histoire » car « cela vient aussi de ce
qu’on est ». Il pense d’ailleurs avoir plus « appris des rencontres des autres personnes »
avec qui il a été en formation, que de la formation elle -même.
2.7 Hélène
Pour cette éducatrice, tout semble être l’histoire de « rencontres », qui va
d’ailleurs nourrir tout son parcours. Il y a d’abord l’envie « d’être institutrice », mais
très vite cette idée de profession est abandonnée pour se diriger vers une autre, car à
partir de la rencontre d’une association d’un quartier où elle fait du « soutien scolaire »,
elle se rend compte qu’elle ne veut pas « apporter de l’instruction » et qu’en fait pour
elle, le « côté instructif est secondaire ». Elle découvre en rencontrant les gens sur ce
quartier, qu’elle était « très penchée sur l’écoute et le dialogue ». Elle se découvre un
intérêt pour « l’histoire des autres ». « Sa première idée » de devenir éducatrice reprend
alors le dessus. En effet, Hélène rappelle alors que cette envie d’être éducatrice avait été
mise à mal, quelques années auparavant, par une conseillère d’orientation : qui lui avait
renvoyé que « vu votre dossier , vous ne serez jamais prise ». C’était une première
rencontre qui avait mis en difficulté son projet qui resurgit alors quelques années plus
tard, suite à de nouvelles rencontres : « c’est ressorti quelques années après » se
souvient-elle.
Elle rentrera alors en formation et découvrira différentes populations. Ces expériences
de stages lui ont « permis de définir que le handicap n’était pas »pour elle. En sortant
de formation, elle « n’a pas d’idée précise », mais elle sait qu’elle « voulait travailler
en internat avec des adolescents ». Elle « n’a pas envie de s’installer quelque part » et
voulait « rencontrer le maximum de personnes et le maximum de manières de
fonctionner ». Elle fera alors des remplacements dans différents institutions, pour venir
ensuite rejoindre l’établissement dans lequel elle se trouve encore aujourd’hui : « de fil
en aiguille, de CDD en CDI, après on reste là ! ».
2.8 Isabelle
Ce qui intéressait cette éducatrice, quand elle se remémore son parcours,
elle précise d’emblée « ce qui m’intéressait, c’est le terrain ». C’est pour cette raison,
qu’elle abandonne le terrain du droit, « je me suis rendu compte que le droit , c’était pas
pour moi ». Sa première idée était de devenir Juge pour Enfants. « Ce sont des parcours
de vie, des rencontres » qui l’ont amené progressivement à envisager de devenir
éducatrice. Elle était alors surveillante dans un établissement scolaire en ZEP130. Elle
passe le concours, et fait le choix d’un IUT131, car elle « trouvait intéressant qu’il y ait
130
131
Zone d’Éducation Prioritaire.
Institut Universitaire Technologique.
trois filières ensemble ». Elle tient à affirmer qu’elle a fait « le choix ». Elle insiste en
effet sur cette idée, car pour elle, il n’est pas question « de vocation », « car dans
vocation, il y a comme si on n’avait pas le choix, une destinée ». Elle ne partage pas
cette idée et c’est ce qu’elle renvoie aux personnes qui l’admirent quand elle parle de
son métier d’éducatrice auprès d’adolescents. Elle estime en effet « qu’à un moment
donné, on fait le choix ou non d’être éducateur ». Elle précise encore qu’elle « aurait pu
faire autre chose ». Elle reconnaît qu’il « faut avoir une sensibilité pour pouvoir
apprécier ce métier et y prendre du plaisir », mais qu’il « n’y a jamais d’obligation ».
Son parcours s’est construit au fil de sa formation et de ses expériences. La rencontre
« avec des enfants handicapés » n’a pas été concluante, car elle « n’y a pas trouvé
l’intérêt », qu’elle a pu trouver en travaillant avec « des ados en difficultés ». ce qui
« l’a amenée à devenir Éducatrice Spécialisée, c’était plus des rencontres avec ce
public là ». Avec les enfants handicapés, elle avait alors « l’impression d’être moins
performante ». Elle aura d’autres expériences, mais fera le choix « de l’internat », car
elle s’est rendu compte qu’elle avait « besoin du quotidien, de la relation quotidienne
qui permet une implication plus affective qu’en prévention ».
2.9 Bilan des discours sur le parcours
A la lecture de ces différents entretiens, avec les huit éducateurs, nous
pouvons tout d’abord faire le constat, que selon les personnes, la « quantité de
discours »132 sur le parcours personnel peut être bien
différent. En effet, certains
répondent rapidement aux questions ou aux relances, sans trop insister sur leur histoire
(locuteurs 1, 2, 3), d’autres par contre vont plus y faire référence tout au long de
l’échange (Locuteurs 4, 8 et 9 par exemple). Pour s’arrêter plus longuement sur le
contenu de ces discours, nous pouvons faire le constat que la notion de choix revient
dans beaucoup des discours. Il s’agit en effet pour la plupart d’avoir fait le choix de
devenir éducateur. Pour certains (Alberte, Boris ou Evelyne) il s’agit d’un choix fait
après avoir vécu d’autres expériences professionnelles totalement différentes du champ
132
Nous faisons ici référence à la quantité d’éléments que nous avons pu extraire sur ce thème, dans le
discours de chacun de nos interlocuteurs. Les tableaux d’analyse joints en annexe viennent imager notre
remarque.
du travail social. C’est pour ces trois locuteurs, le choix d’une reconversion
professionnelle.
Pour les autres, ce choix professionnel, s’est fait à partir de rencontres. Cette idée de
rencontre est en effet également très présente, dans le discours des éducateurs. Qu’il
s’agisse d’une rencontre avec un membre handicapé de sa famille (Charlotte) ou pour
les autres de rencontres avec des publics d’une part ou des Travailleurs Sociaux d’autre
part.
Ces différentes rencontres viendront favoriser l’émergence d’un choix professionnel,
qui se construira pour chacun selon un parcours différent mais qui viendra pour chacun
confirmer son envie de devenir éducateur, mais également qui viendra confirmer le
souhait de travailler avec des adolescents en difficulté. La rencontre avec d’autres
populations, notamment handicapées, viendra confirmer le choix de la population.
Nous pouvons donc retenir en conclusion de ce premier thème, que pour les huit
interlocuteurs, nous rencontrons cette double idée de la rencontre et du choix.
Chapitre 3. Le discours sur le métier
Force est de constater que c’est ce qui occupe le plus de place dans les entretiens. Tous
les locuteurs ont pu parler avec simplicité, mais aussi conviction de leur métier. Pour
chacun, nous pouvons y retrouver le cœur de leur intervention auprès des adolescents.
Que nous disent-ils ?
3.1 Alberte
Là encore, l’idée même de « relation » sera mainte fois évoquée : « c’est
un travail de relation ». L’éducateur est présenté comme « un modèle » pour les jeunes,
qui viennent « prendre des choses chez nous » et « saisir ce qu’on leur apporte ».
L’éducateur est celui qui va « permettre à partir du quotidien de prendre du recul ».
C’est un « accompagnement ». Cette dernière idée revient de manière très importante
dans l’ensemble du discours de cette éducatrice. L’éducateur « accompagne », pour
« gravir un peu l’escalier », « pour montrer le chemin » et « amener vers une
sociabilité » La notion « d’humanité » est très importante dans ce discours, car nous
pouvons y relever de nombreux termes qui teintent l’intervention de l’éducateur. En
effet, il s’agit « d’apporter une touche humaine », en ayant « les jeunes dans la tête ».
Elle rejette par conséquent l’idée de « l’éducateur qui est froid, qui donne des ordres et
qui endurcit », car pour les jeunes « c’est usant et fatiguant ». A contrario, cela
«implique d’avoir une éthique, du respect » car elle rappelle qu’elle est « là pour les
jeunes », « qu’il y a besoin de parler », mais aussi de « laisser penser le jeune ». « on
est là pour les entendre », il ne faut pas « être sourd ». Tout cela semble être mis au
service d’une finalité plusieurs fois rappeler : « trouver un sens », et « trouver une place
positive dans la société » pour les jeunes, en aidant à « être acteur » et à « ne pas
subir ». Cependant, la locutrice rappelle que les éducateurs sont là pour « rappeler la
réalité » et qu’ils ont « envie que les jeunes rentrent dans le moule ». Il va falloir
souvent « rabâcher »
Être éducateur, c’est donc « avoir une grosse responsabilité », car « on apporte notre
morale » aux jeunes. « On est normaux, alors on dit pas n’importe quoi ». C’est donc
bien autre chose que « donner à manger, prendre une douche et dormir », même si elle
précise qu’elle est aussi là pour apprendre aux jeunes « les gestes du quotidien ». Les
parents des jeunes ne sont pas oubliés par l’éducatrice qui explique que le fait que les
jeunes se « rendent compte qu’on demande la même chose que les parents, cela permet
une réconciliation ». « Nous faisons un vrai travail qui sert à quelque chose ».
3.2 Boris
« On accueille des jeunes qui n’ont pas choisi d’être là », il faut donc
« faire attention », car « on accueille des jeunes avec leur famille, leur histoire ». Pour
ce locuteur, le cadre de son intervention est ainsi posé. Il se dit là pour faire « un travail
d’accompagnement », qui signifie pour lui « faire un bout de chemin ». Ce locuteur
insiste également sur ce qu’on attend de lui, en rappelant d’une part qu’on lui confie un
rôle qui est « de porter les objectifs du projet, avec mes propres moyens », et en
rappelant d’autre part que « l’extérieur attend que j’inculque des règles pour que les
jeunes deviennent autonomes et respectent les règles sociales ». Il faut qu’il aide « les
jeunes à devenir citoyen ». Pour cela, il faut « décoder les attitudes et capter les
choses ». Son rôle est alors de « reprendre avec les jeunes », « c’est de parler ». Le
travail de l’éducateur, c’est « de donner et attendre en retour ». Il insiste beaucoup sur
cette « idée du don et du contre-don » qu’il met en image en expliquant qu’il s’agit de
« semer des graines ». « on récolte tout de suite, mais pas forcément » précise-t-il par
ailleurs.
Travailler comme éducateur en internat éducatif, c’est travailler en équipe. Pour ce
locuteur, « il y a une complémentarité intéressante qui donne du sens aux éducateurs »,
même « s’il y a du décalage entre anciens et nouveaux éducateurs ». Pour lui en effet,
« la pédagogie ancienne est plus carrée, aujourd’hui il y a plus de souplesse », mais il
relève également que « les anciens sont plus avec les enfants, plus dans la proposition,
ils partagent plus de choses. Avec les nouveaux, il n’y a plus cela ». Quoi qu’il en soit,
il insiste en rappelant : « le bien des enfants, quand tout le monde l’a en tête, cela
fonctionne bien ». La question de « l’investissement » est donc située comme très
importante, car « on est plus dans du gardiennage » mais dans « la question du vivre
ensemble ». Il s’agit de savoir « comment on va essayer que cela se passe bien » en
n’oubliant pas « que le quotidien est fait de conflits et de bruits qu’il faut accepter », car
« vivre et partager des moments, c’est important ».
Cette manière d’être et de faire implique de « se remettre en question », car il y a « de la
frustration car il y a de la lourdeur », et « il y a du décalage avec ce que l’on
souhaite ».
3.3 Charlotte
« Ici c’est similaire à ce qui se passe dans une famille ». Telle est la
manière dont cette locutrice présente son travail. Elle se dit là pour « créer du lien »,
avec un « rôle de médiation » en quelque sorte quelqu’un qui a « un rôle tiers qui
permet de mettre à distance ». Car, l’éducateur n’est pas « là uniquement pour poser le
cadre et les règles », « on peut remettre sur les rails quand cela dérape » « remonter le
moral et donner du « Peps ». Mais c’est aussi « donner un coup de pouce à des gens qui
n’y arrivent pas tout seuls ».
Elle se dit là « pour faire un bout de chemin avec eux », pour « qu’ils restent
debout », « s’ils tombent, je les aide à se relever » et même « le porter si nécessaire,
mais pas s’il n’a pas envie ». Tout cela reste pour elle quelque chose de « compliqué »
car il ne « faut pas être bouffé dans sa vie personnelle » car « on ne travaille pas avec
des machines ». Elle explique qu’elle peut «être touchée humainement par la souffrance
et les situations dramatiques des autres », cependant, « on ne doit pas pleurer avec,
sinon on ne va pas les aider ». « Des situations peuvent nous occuper, mais
n’empêchent pas d’avancer ». « On est là pour son intérêt, on n’est pas sadiques », « on
est altruiste, on a le souci des autres ». La locutrice nous rappelle « qu’il faut penser
que cela sert à quelque chose », « à un moment donné, on a besoin de moi », mais « le
but n’est pas d’avoir besoin de moi toute la vie ». Il faut « être attentif au message que
le jeune peut nous envoyer », car pour elle « un mauvais éducateur, c’est quelqu’un qui
maltraite les enfants, qui ne les écoute pas » « c’est quelqu’un qui n’est pas là pour
l’intérêt des personnes dont il s’occupe » et « qui pense être supérieur et qui le fait
ressentir ». Pour elle, on a « le droit de ne pas être d’accord, mais il n’y a pas de
jugement entre collègue, dans la manière de faire son travail ». Les éducateurs d’une
équipe sont là « dans un but commun », « d’avancer avec les jeunes dans le même
sens » et « l’extérieur attend qu’il y ait de la transparence dans mon travail ». La
locutrice quand elle parle de cet extérieur explique «qu’ il y a du décalage entre moi et
ce qu’on attend de moi, entre théorie et pratique ». Elle insiste également sur ses
missions, en faisant référence aux familles qui attendent de moi qu’elle « les informe »
mais aussi qu’elle « ne prenne pas leur place » même si elle « prend soin de leur
enfant ». Elle vient donc remplacer car les familles « ne peuvent pas ou n’y arrivent pas
pour un temps ».
3.4 Danielle
« Je ne suis pas leur mère » et »je ne serai jamais leur mère », tel est le
point sur lequel insiste Danielle. Il s’agit certes d’une part «d’accompagner les jeunes
dans le quotidien,( …) dans tous les actes de la vie quotidienne », dans un souci de
« bien être et d’épanouissement », mais aussi de « sécurité physique et morale », mais
c’est aussi « de les accompagner dans leur cheminement personnel ». Pour cela, il
faut « être là », il faut être « un soutien, une béquille sur laquelle ils peuvent
s’appuyer », mais qui « va devoir se retirer dans un ou deux ans ». Cela doit en effet
pour elle être quelque chose de temporaire et il est « très important de faire en sorte que
cette béquille ne devienne pas indispensable », car « s’il y a toujours un filet qui vient
réparer ses manques, il apprendra jamais à faire ». Elle est là pour « permettre aux
jeunes de s’envoler ». Ce bout de chemin fait ensemble doit permettre aux jeunes de
« reprendre confiance », et qu’ils ne se retrouvent pas « totalement dépendants de
nous ». La locutrice explique alors que « cela passe par plein d’outils » et notamment
par « des petites choses de la vie « qui permettent aussi de « prendre du plaisir avec les
jeunes, car il lui semble important de permettre aux jeunes « de comprendre que
l’adulte n’est pas que sanction, interdiction ou frustration », même si par ailleurs il y
des conflits et des crises qui font partie intégrante du travail éducatif (…) et qui
permettent d’avancer ». « Partager des moments forts » cela permet de construire
« une relation », relation « cadrée », « professionnelle » qui doit un jour « se
terminer ». Cela permet aux jeunes de ne pas « rejouer les mêmes choses avec nous » et
ainsi « qu’ils puissent s’approprier leur propre histoire » et « faire leur vie ».
« Conversation après conversation », l’éducateur apporte « des questionnements » qui
vont permettre à ces jeunes de « prendre du recul » et ainsi « de se construire ».
Danielle insiste rappelle alors qu’il faut du temps et qu’il faut parfois freiner « les
exigences », car « ils ont 17 ans » et « on peut pas exiger d’eux que ce soit si facile que
ça à intégrer ». Cependant pour cette éducatrice « le travail qu’on fait, il existe quelque
part chez le jeune, ça s’intègre forcément quelque part » , « cela rentre et fait son
chemin », « il y a trois pas en avant et deux pas en arrière ». Pour elle l’éducateur « ne
va pas changer le monde et le jeune du jour au lendemain ». C’est une manière pour
elle d’insister sur le fait que « finalement on sert à quelque chose », en acceptant
« qu’on ne maîtrise pas tout ». Cette manière de dire les choses semble être une forme
de réponse à ceux qui n’ont pas un regard positif sur leur travail, « on a l’impression
parfois que notre travail est dénigré ». Cependant pour faire ce travail il faut qu’il y ait
« une équipe unie et forte, qui doit rassurer ». et se « sentir soutenue » pour ne pas
avoir un « sentiment d’incohérence » qui serait préjudiciable aux jeunes. Danielle
analyse sa place et son action comme ne se situant pas dans une « espèce de prime au
mérite ». Elle ne ressent pas qu’on est « un bon éducateur quand un jeune a réussi et
un mauvais quand il rate » Elle ne pense pas en effet que « notre métier puisse se juger
là-dessus ». Pour elle « l’éducateur est un maillon, une petite partie de la vie des
jeunes » et elle pense que « c’est le réseau social qui doit sortir un jeune de la
difficulté ».
3.5 Evelyne
Pour Evelyne aussi, l’idée « d’accompagnement » est au cœur du
« travail éducatif ». Elle se dit là pour que les jeunes « réussissent au niveau d’une
orientation professionnelle, au niveau éducatif, au niveau de l’hygiène » « qu’ils
réussissent à partir de 18 ans (…) à se débrouiller presque seul » Pour cela, elle « doit
faire attention à eux », « les valoriser » « et leur apprendre » « pour qu’ils arrivent à
avoir quelque chose quand ils partent ». Mais elle insiste aussi sur le fait qu’être
éducateur « c’est aussi poser des limites, dans une continuité ». Elle se compare alors à
une « béquille, un soutien » car « on a besoin de les porter physiquement et
psychologiquement ». Elle insiste cependant également sur le fait qu’il faut « savoir les
limites de mon intervention », car cela peut « avoir de conséquences dans la
relation »avec le jeune. Parfois elle « provoque »
pour tenter de déclencher des
réactions, sans savoir toujours qu’elle « sera cette réaction ».
C’est donc un
engagement important « presque physique » parfois qui peut déclencher de
« l’agressivité ». Il faut alors savoir se « protéger ». C’est donc quelque chose « de
difficile et d’épuisant », mais ce qui est « valorisant, c’est l’évolution d’un jeune ». Pour
que cela puisse fonctionner, il semble donc qu’il y ait « toujours un même discours »
« et garder une continuité ». Il faut donc qu’il y ait « une équipe derrière » qui puisse
« prendre le relais ». Le travail en internat permet de « partager des moments avec les
jeunes ». Il y a une forme de « continuité » dans « une vie de tous les jours dont les
jeunes ont besoin », mais en même temps, la locutrice explique que « c’est varié » et
qu’on ne s’ennuie pas, « car rien n’est pareil ». L’internat est dépeint comme « quelque
chose comme dans une vie de famille », car « des jeunes qui sont placés et qui ne
rentrent pas en famille (…) c’est pas facile. Il faut donc leur « permettre de passer un
cap »en soutenant « un cadre où les jeunes peuvent être en sécurité », « pour qu’il n’y
ait pas de problème ». L’éducatrice rappelle toutefois qu’elle n’est « pas la famille ».
mais qu’elle tente plutôt « de continuer ce que les parents ont fait », en prenant en
quelque sorte le relais. L’éducateur fait « le lien » entre les différents « partenaires »,
« les institutions qui prennent en charge le jeune, mais aussi avec « la famille ». Pour
tout cela, il « n’y a pas de bons ou d’excellents » éducateurs, mais il y a « un travail qui
est effectué ». Il faut être présent et ne pas « mettre en danger un jeune », même si la
locutrice souligne « qu’elle peut se tromper sur quelque chose ». Elle rappelle enfin
que l’éducateur est quelqu’un qui évolue dans « sa façon d’intervenir, de réfléchir … »
notamment grâce à son parcours, à ses rencontres qui lui permettent « d’évoluer ».
3.6 Fabien
Être éducateur « cela ne s’apprend pas », « on a quelque chose ou on ne
l’a pas », discours affirmé par le locuteur qui parle lui aussi « d’accompagnement » des
jeunes. Prendre en charge ces jeunes, c’est « comme dans une famille », tout en
expliquant qu’en fait « on leur demande d’être un peu plus grands que les autres » car
« dans une famille traditionnelle un jeune peut rester jusqu’à 25 ans » alors qu’en
internat éducatif « on a des échéances, 18-21 ans », « on est limité par le temps ».
Prendre en charge, « c’est pousser », pour que « les jeunes puissent être autonomes »,
pour qu’ils puissent « rentrer dans la vie active » en « étant un peu à jour entre d’où ils
viennent, ce qu’ils sont aujourd’hui et vers quoi ils vont aller ». Il est donc nécessaire
« qu’il y ait à un moment donné un déclencheur ». Cela passe alors par « le vivre avec
les autres ». L’éducateur insiste beaucoup sur le fait qu’à « la base il y a le bon sens »
car « on cherche toujours à mettre du sens » mais d’après lui, on peut « trouver du sens
en faisant ». Il peut y avoir ensuite des « questions d’analyse » qui sont « propres à
chacun ». En effet, « le parcours » personnel de chaque éducateur « vient alimenter
une analyse plus fine ou une compréhension » de la situation et du parcours des jeunes
qui sont confiés. C’est pour cette raison que « la complémentarité de l’équipe » est
importante pour s’occuper des jeunes. L’équipe permet d’éviter « d’être pris au piège »
dans une relation, d’éviter d’être « embarqué dans le fonctionnement »d’un jeune.
Travailler avec ces jeunes, c’est donc savoir garder de la distance car « quand on est un
peu trop proche, du côté du copinage, très souvent il y a retour de bâton ». Le but pour
lui n’est pas d’attendre « quelque chose au niveau personnel », sauf « à la limite un
petit sourire ». Pour lui, « suivant le fonctionnement d’une équipe, les jeunes
fonctionnent de la même manière », « il y a un écho ». La notion d’équipe est donc
fondamentale, il faut que chaque collègue « soit présent »mais pas « que
physiquement », « c’est ce qui fait le socle ». Pour autant, il n’est pas nécessaire de
savoir tout faire, car pour l’éducateur « quand il n’y a pas de souci et qu’on sait tout
faire, il y a un souci quelque part ! ». « On n’apprend pas à être éducateur », il y
« quelque chose qu’on porte à minima en soi », car « on n’est pas technicien de
l’éducation », même « s’il y a bien des techniques qui sont liées au boulot ». « il faut
aller au carton » et « être à leur côté, pas à côté ».
3.7 Hélène
« le principal côté de mon travail, c’est de leur permettre d’avoir le
choix », « qu’ils soient heureux et qu’ils n’aient pas de regret ». Cette éducatrice pense
que c’est la base même de son travail auprès d’adolescents qu’elle prend en charge car
ils « ne peuvent rentrer chez eux ». Cette notion de choix n’est pour elle pas quelque
chose de « vain ». Elle fait d’ailleurs référence à sa propre expérience où elle a fait ellemême des choix qui l’ont conduite à ce qu’elle est aujourd’hui. Pour permettre cela,
« c’est vraiment dans la discussion » que cela se passe. Il faut donc toujours « mettre
des mots », pour pouvoir « mettre du sens dans ce qu’ils vivent » et pouvoir « peut-être
donner une valeur d’ensemble ». Il faut pour elle « donner des ingrédients et après c’est
eux qui font la cuisine ». Il est donc important de « vivre les choses » avec les jeunes.
Mais ensuite nous comprenons que la dimension de choix est primordiale, car ce sont
bien les jeunes qui s’empareront de ce qui leur a été apporté par les éducateurs,
« quelque chose qui fait trace, qu’ils prendront ou qu’ils ne prendront pas ». Travailler
de cette manière nécessite « beaucoup d’investissement ». C’est une implication qui
conduit l’éducatrice à dire qu’elle « a deux vies », « ma vie personnelle que je construis
mais aussi cette vie » auprès des jeunes. Cela peut alors « être pesant, mais ça
n’empêche pas de vivre ». « C’est pesant car on y pense même quand on n’est pas au
travail ». Tout ce qui est vécu est important et peut toucher : « tous ces jeunes qu’on
voit passer, ces séparations, elles sont douloureuses pour eux, mais aussi pour nous ».
Les éducateurs vivent des choses en tant que professionnels, mais certains évènements
peuvent rendre difficile la possibilité de « faire la part des choses » entre le côté
« humain (…) et professionnel ». Elle explique d’ailleurs que « leur désespoir me
touche par moment et c’est dans ce désespoir qu’est notre place ». Nous comprenons
que vivre des choses difficiles en tant que professionnel viennent questionner l’individu
et amènent à « sentir les fondations ». « il faut donner, donner » et « il n’y a pas
tellement de garde fous » car « on est des fois tellement seul ». L’éducatrice en abordant
cette solitude de l’éducateur insiste sur le fait que ce dernier peut avoir beaucoup de
pouvoir : « on peut avoir un pouvoir exorbitant », du fait « pouvoir dans cette parole »
qui guide le jeune et « qui est le principal outil de travail » de l’éducateur. « on sait où
on veut l’emmener » et c’est ce qui lui semble inquiétant voir même « immonde », car
parfois « pour certains jeunes, on est le seul horizon » et « la parole va avoir du poids
dans l’orientation de sa vie ». Pour elle, « heureusement qu’on se pose des questions
(…), qu’on arrive à se remettre en cause et qu’on n’est pas tout puissant ». Il faut
réussir à « mettre de la distance et de la limite », car « quelqu’un qui ne sait pas se
remettre en cause, qui est sûr de lui, c’est dangereux pour les jeunes ». « Il faut
partager de bons et de mauvais moments » qui font la vie de l’internat. Il n’y a « pas de
routine », il faut accepter la liberté des jeunes qui peut « faire peur » car les éducateurs
craignent de ne pas « savoir la gérer », car « le cadre rassure les éducateurs ». Elle
explique cependant qu’elle pense « qu’on attend de moi ce que je fais actuellement »
L’institution dans laquelle elle travaille ne lui renvoie pas le contraire. Par contre, elle
parle de l’extérieur de manière plus critique : « je trouve que l’extérieur n’est pas très
clair avec ce qu’il demande aux éducateurs ». « La société nous demande l’impossible
(…) on nous demande trop à un moment donné », « il y a de belles paroles, de belles
demandes, mais finalement dans le concret(…) quand je me lève et que je vais
travailler, plus personne ne se pose de questions ». Cette éducatrice s’interroge sur les
fondements même du travail qui est demandé : « Les attentes, est ce que la société les
formule vraiment ? ». « Le dernier maillon, c’est l’éducateur et du coup il se
débrouille ». La société et les parents des jeunes « attendent qu’on les prenne en charge
et qu’ils fassent le moins de vague possible ». Il y a pour elle, dans ce qu’elle fait au
quotidien « quelque chose de rebelle », « on devient éducateur par rebellion (…) un peu
justicier, mais finalement on est pas du tout rebelle dans l’acte ». « Je ne me sens pas
emprunt d’une mission de société,(…) mais emprunt de quelque chose qui au départ est
personnel ».
3.8 Isabelle
« Accompagner les jeunes dans leur vie » apparaît aussi dans le discours
de cette éducatrice, qui explique que beaucoup voit ce qu’elle fait comme quelque chose
de « dur », mais pour elle ce « n’est pas si dur », « il y a du bien et du moins bien ».
Travailler en internat, c’est être « dans un lien plus fort, plus constant, plus régulier ».
Ce qu’elle aime dans le quotidien qu’elle vit avec les jeunes, « c’est la relation dans la
continuité », car « il y a la personne en face de soi ». Parfois cela peut être « violent à
vivre » et quand la violence est trop présente, « le pouvoir des mots n’existe plus ».
¨Parfois, il faut alors « mettre une barrière », quand les éducateurs arrivent à leurs
« limites d’humain et de professionnels ». Il ne faut pas pour autant ne s’appuyer que
sur des règles, « je me rends compte que ces choses elles sont dérisoires, j’ai pas besoin
de règles posées et strictes pour sentir que je travaille », « avoir des règles, cela permet
de se protéger du conflit » et « avoir des règles strictes, c’est se protéger de la relation
aux jeunes », alors que pour elle, le travail « c’est la relation » et « le cadre de
l’internat en lui même pose un cadre ». Il n’y aurait donc pas besoin de trop en rajouter.
On comprend donc, à travers son discours, qu’être éducateur c’est un « investissement
quotidien » important. D’ailleurs elle rappelle à plusieurs reprises, « qu’il faut savoir
donner de soi » et « que si on refuse de s’impliquer, on peut pas aller loin ». « On est
dedans, on les vit » car « dans le quotidien, il y a toujours des choses valorisantes ».
Être éducateur en internat, c’est « l’impression d’avoir deux familles ». Être éducateur
auprès de ces jeunes, c’est donc « les aider à comprendre qu’ils ont la possibilité de
faire des choix , qu’ils ont plusieurs possibilités devant eux (…) en acceptant qu’ils ne
les fassent pas forcément quand ils sont avec nous ». L’important est donc « qu’ils
partent avec les billes pour le faire ». Cependant, tout en intervenant en internat, cette
Isabelle s’interroge : « l’internat est ce que c’est la bonne solution ? » ou encore « vu le
travail social et la réalité de la société, est-ce que l’internat est la meilleure
solution ? ». C’est cependant, pour ces jeunes, la possibilité de « sortir du milieu où ils
étaient » et « d’être confrontés à des adultes ». Mais « est-ce qu’on fabrique des
assistés ? des jeunes très adaptés au fonctionnement institutionnel, mais pas forcément
capables de se débrouiller tous seuls ». Pour elle, « on leur demande de grandir super
vite(…) on a la volonté qu’ils deviennent indépendants, mais on est là tout le temps ! ».
Se poser toutes ces questions et « garder cela en tête, pour faire attention avec certains
jeunes de ne pas rentrer dans ces travers » est quelque chose qui est important pour
elle. Elle se dit présente, pour « s’occuper des jeunes qu’on nous confie » et les amener
« à la réussite », ou en tout cas dans « une inscription dans un projet ». C’est aussi être
présent « pour les protéger de ce qu’ils peuvent faire et de ce qu’ils peuvent subir ».
C’est donc être un peu « les pompiers du social », car elle explique qu’ils sont « au
front dans les difficultés de la société ». Elle se montre d’ailleurs à cet égard très
critique en affirmant qu’elle « pense que la société actuelle ne se donne pas les moyens
pour que les réels problèmes des jeunes adolescents accueillis soient pris en compte
d’une façon plus efficace ». Pour elle, les éducateurs ne « sont pas utilisés comme il
faudrait ». Elle se rappelle, par exemple que dans les émeutes des banlieues en 2005,
« les premiers qui auraient du être interrogés, ce sont les éducateurs », car ce « sont
des gens de terrain (…) méconnus de la société ». Il faudrait plus être sur « de la
prévention, de l’anticipation et de la construction » et ne pas « être que dans l’urgence
et le dernier recours ». Car elle rappelle que « quand il y a placement, c’est qu’il y a eu
signalement et que c’est donc rare qu’il y ait placement sans rupture ». Elle s’interroge
donc sur « pourquoi placer un jeune, pourquoi ne pas le maintenir dans sa famille ? ».
Elle pense que les éducateurs d’internat peuvent être « vécus comme des personnes qui
peuvent résoudre tous les problèmes » et que pour les parents « on est là pour faire en
sorte que leur enfant devienne meilleur (…) surtout à l’image de ce qu’ils attendent ».
Pour elle, les éducateurs peuvent être « un soutien à un moment donné ».
3.9 Bilan des discours sur le métier
Nous touchons ici le cœur de ce qui préoccupe, les personnes que nous
avons rencontrées. Une nouvelle fois, nous pouvons tout d’abord relever que selon les
personnes rencontrées, le discours est plus ou moins étoffé et développé, mais nous
pouvons cependant constater que chacune des personnes rencontrées, a pu s’exprimer
de manière assez importante133 sur leur métier et ce qu’elles font chaque jour auprès des
adolescents qui leur sont confiés en internat éducatif. Nous pouvons retrouver dans la
quasi-totalité des discours, l’idée centrale de la « relation » qui semble être au cœur de
l’action quotidienne des éducateurs. Ce terme est cité de nombreuses fois par les
locuteurs qui en font un des outils principaux de leur travail. Cette relation se fait grâce
à la « rencontre », autre idée mise en avant par les professionnels. Cela leur permet
d’être en « lien » et ainsi de faire vivre et circuler la « parole » pour permettre aux
jeunes de prendre conscience de leur situation, de leur parcours, de leurs projets.
133
Nous faisons ici une nouvelle fois référence à la quantité de discours énoncé sur le thème concerné.
Cependant, mettre en évidence ces différents éléments qui sont en quelque sorte les
outils de l’éducateur ne doit pas faire oublier ce qui anime les éducateurs. Qu’est ce qui
guide leur action quotidienne ? Si dans notre troisième partie, nous tenterons de mettre
en évidence des modèles ou des figures d’éducateurs, arrêtons-nous quelques instants
sur ce que disent les éducateurs à ce sujet. Tout d’abord et de manière quasi unanime, il
est question d’un travail « d’accompagnement ». En effet la plupart des éducateurs font
explicitement référence à cette idée, qu’il rattache au mouvement : aider « à gravir
l’escalier », « faire un bout de chemin », « permettre aux jeunes de s’envoler » ou
encore « pousser ». Il est également beaucoup question d’accompagner vers
l’autonomie. L’éducateur est alors celui qui aide à grandir, qui aide à
« l’épanouissement ». Il peut être celui qui vient suppléer en précisant qu’il ne remplace
ni la mère ni les parents, mais celui qui peut-être « béquille », sur laquelle le jeune peut
s’appuyer un moment, tout en sachant qu’être éducateur en internat auprès
d’adolescents, c’est seulement être présent durant un moment de la vie du jeune. Les
éducateurs ne verront donc pas forcément les fruits de ce qu’ils auront semé, pour faire
référence ici aux images de jardinage parfois employés par nos interlocuteurs. Il s’agit
d’aider les adolescents à grandir, malgré leurs histoires personnelles souvent
douloureuses et qui d’ailleurs, nous pouvons le relever dans les discours, semblent
toucher les éducateurs. Beaucoup d’entre eux précisent cependant, qu’être touché du
côté de « l’humain », ne doit pas empêcher de garder la tête froide et de rester avant tout
« professionnel ».
Certains des éducateurs rencontrés se montrent plus précis sur le sens de leur action. En
effet pour eux il ne s’agit pas seulement d’apporter une éducation et de soutenir projets
scolaires et de formation134, mais il s’agit aussi et avant tout d’aider les jeunes à « faire
des choix » comme peuvent le répéter à plusieurs reprises, par exemple, les locutrices 8
et 9. Il s’agit alors ici plus d’un rôle de passeur, d’émancipateur que de transmission de
codes ou de valeurs. Il s’agit de donner aux adolescents, la possibilité d’être maître de
leur avenir.
134
Ce qui principalement repris par les interlocuteurs 1, 2, 3, 4
Chapitre 4. Le discours sur les adolescents
Nous avons tout d’abord mis en évidence, les éléments relatifs au parcours de chacun
des éducateurs, puis dans un second temps, le discours sur le métier d’éducateur
d’internat. À présent, nous allons mettre en lumière les éléments concernant les
adolescents eux-mêmes : ceux qui sont au cœur de la prise en charge éducative, ceux
sans qui ces professionnels ne seraient pas là. Quel regard portent-ils sur ces jeunes ?
Qu’en disent-ils ? Ce sont autant d’éléments que nous allons mettre en évidence dans ce
chapitre.
4.1 Alberte
Tout d’abord et quasiment en introduction de son discours sur les jeunes,
cette éducatrice nous explique « qu’un enfant doit vivre avec ses parents ». Nous
comprenons alors très vite, que son intervention auprès d’eux vise à maintenir « les
liens familiaux » qui sont nommés comme « les racines ». Ces jeunes sont alors
présentés, comme des victimes d’une « problématique familiale ». Notre interlocutrice
porte un regard très positif sur eux. Elle présente les adolescents, comme des êtres
fragiles plein de « fraîcheur », comme des « petits oiseaux » qui « demandent toujours
quelque chose », mais qui « ne sont pas obtus » et « écoutent même si on a l’impression
que non » . Un enfant est pour elle, plein « d’innocence et d’humour » et pas « abîmés
par la vie » comme peut l’être un adulte. Nous comprenons que selon elle, l’adolescent
subit ce qui lui arrive et notamment le placement qui est mis en oeuvre et qu’il peut
alors être excusé, s’il fait des choses qui ne sont pas adaptées : « on peut faire n’importe
quoi quand on n’est pas bien » et « qu’il est normal que les jeunes puissent tomber au
fond parfois », précise-t-elle d’ailleurs, pour être bien comprise. Pour elle, les jeunes ont
besoin de « faire confiance aux adultes » et alors ils peuvent montrer « que l’on sert à
quelque chose ».
4.2 Boris
Parler des jeunes dont il s’occupe ne vient pas de manière spontanée
dans le discours de cet éducateur qui parle plus facilement de son métier et des missions
qui lui sont confiées. Les jeunes sont évoqués principalement, à travers leur statut
d’élève. En effet, il parle de ces jeunes qui sont « dans le refus de la scolarité » et « qui
n’ont pas choisi d’être là », ce qui rend alors la mission éducative plus complexe, car
c’est à travers l’accompagnement aux devoirs que semble se passer beaucoup de
choses : « les devoirs, c’est un temps où il se passe beaucoup de choses, pour des
enfants qui n’arrivent pas à aller à l’école ». Il rappelle également que « c’est difficile,
les enfants qui ne sont pas là où ils devraient être, par exemple à l’école ». Il met en
évidence deux types de jeunes dont il s’occupe, les adolescents qui prennent beaucoup
de place et « qui parlent beaucoup », face à d’autres jeunes, plus introvertis et qui « ne
disent rien, mais ont besoin de présence ».
4.3 Charlotte
Pour cette éducatrice aussi, « cela a été compliqué » pour les adolescents
dont elle s’occupe. Ils ont « du mal à faire confiance aux adultes » et ils s’interrogent
« beaucoup sur l’intérêt que les éducateurs leur portent réellement ». Ces jeunes vivent
des choses difficiles et semblent, d’après elle, en être très conscients : « ils savent très
bien où cela fait mal dans leur situation ». Elle différencie « ceux qui bougent moins »
et « qui sont laissés de côté » et les autres qui mobilisent beaucoup les éducateurs et
effacent par conséquent le jeune « qui ne fait pas carnage » qui est un « jeune qu’on ne
va pas chercher tout de suite ».
4.4 Danielle
Cette éducatrice en parlant dans l’entretien des jeunes dont elle s’occupe,
met en évidence que le placement en institution fait que l’adolescent accueilli n’est pas
« un adolescent classique »qui peut « se reposer » chez ses parents. Il semble en effet
qu’il y ait plus d’exigence à son encontre alors « qu’à dix sept ans, on ne peut pas
attendre du jeune de faire tout ce travail » de prise en compte de sa situation
personnelle, « de prise de recul ». Souvent les « parents ont demandé le placement
parce qu’ils ont beaucoup de difficultés avec leur jeune ». Les adolescents ont donc des
« histoires très compliquées » et ils sont « en carence affective ». Ils sont alors « très
difficiles et vont souvent au conflit » car « on ne leur a jamais dit non ». Se prenant un
peu pour « le maître du monde », il n’hésite pas à se « confronter » à l’adulte, « comme
s’il avait une maîtrise un peu magique des choses ». Elle vient cependant un peu
atténuer ce discours en précisant qu’à l’extérieur de l’institution les jeunes sont
« différents » car « dans la vie sociale, ils se permettent moins ». L’éducatrice perçoit en
effet, que les jeunes ont de réelles capacités et « qu’ils avancent tout doucement » même
« si on a l’impression que non ». L’adolescent peut « mettre de mots » sur son histoire
et son parcours. Elle explique que ce passage en institution lui permet de faire « son
chemin » et « puis ça continue après nous », car « c’est sa vie et c’est lui qui l’a fait ».
Pour cela, il faut que les jeunes apprennent « aussi à entendre ». Cette professionnelle
insiste cependant sur le fait que « quand on est adolescent, il y a besoin de s’épanouir et
de se faire plaisir »
Parler de ces adolescents, pour elle, c’est aussi parler des parents pour qui accepter le
placement « ça peut vouloir dire : là où je rate, je vais demander à quelqu’un de le
faire ». Cela vient donc interroger « la place de la mère, du parent qui peut ressentir
qu’il est mauvais ou bon », « il peut y avoir alors plein d’ambiguïté qui se joue dans la
relation parents éducateurs ». Il peut y avoir « un double rôle » qui s’instaure « pour
garder cette relation privilégiée qu’à une mère avec son enfant » et si « ce n’est pas de
la haine, c’est en tout cas du ressenti négatif par rapport aux éducateurs » qui peut
s’exprimer de la part des parents mais aussi du jeune placé. Ce sont « des choses très
profondes qui peuvent se brasser, sans même s’en rendre compte (…) des choses quand
même intimes ».
4.5 Evelyne
Cette éducatrice se montre également très attentive à la situation de ces
adolescents qu’elle prend en charge « qui n’ont plus rien » et qui peuvent être
« complètement cassés ». En effet, « c’est pas facile de se retrouver sans famille », « il y
a absence des parents donc du lien ». Les jeunes qui arrivent en internat « essayent de
refaire quelque chose en arrivant là ». Ils « viennent ici pour s’arrêter, pour se poser »,
en quelque sorte ils « redémarrent ». Ces adolescents « cassés (…) réussissent à se
mettre en route », car il « y en a qui ne savent rien du tout des tâches matérielles ». Il
faut être présent et ils peuvent être « dans l’écoute », même si « cela peut être
vachement difficile quand ils sont sous l’emprise de quelque chose », car il y a
beaucoup « d’histoires autour du cannabis et de l’alcool », avec ces adolescents. Ils
peuvent mettre « tout en échec » mais aussi être « dans l’écoute », quand ils sentent
qu’il y a « quelque chose de solide en face » quelque chose qu’ils n’ont « peut-être
jamais eu ». On entend dans ce que dit l’éducatrice que les adolescents sont très
réceptifs aux discours que l’on porte sur eux, comme ce « père qui n’avait pas un
discours valorisant sur sa fille ». Cela peut les amener à mettre « tout en échec ». Il
« sentent bien quand on est pas bien », « ils aiment bien entendre » quand un adulte
reconnaît qu’il s’est trompé.
4.6 Fabien
Parler des jeunes directement, n’est pas facile pour Fabien. Il explique
qu’il travaille avec « le public des quartiers » qui n’est cependant pas exactement le
même que celui « qu’il y a en MECS »135. Pour lui ce n’est pas tout à fait la même
chose, car les jeunes des quartiers, « ils ont déjà leur famille », en précisant également
que « tous les jeunes des quartiers ne sont pas des délinquants ». En fait pour lui « c’est
le même type de jeunes, avec des problématiques complètement différentes ». Ces
135
Maison d’Enfants à Caractère Social.
« jeunes » ou ses « gamins », comme il dit souvent dans nos échanges, à la différence
du travail en prévention spécialisée où « on les voit si on veut », ici en internat « ils sont
là, on peut pas les éviter ». Ceci, même « s’il y a des jeunes qu’on n’apprécie pas ». Il
« les accompagne en direct, au quotidien », pour leur permettre « de partir d’ici pas en
réglant leur problème, mais en acceptant de vivre avec » en ayant pris « conscience de
leurs difficultés » et en ayant compris « d’où ils viennent, ce qu’ils sont et où ils vont ».
Dans cet objectif, il est pour lui important qu’une équipe soit cohérente, car « suivant le
fonctionnement d’une équipe et d’une hiérarchie, les jeunes fonctionnent de la même
manière » et alors « les gamins sont un peu perdus, parce qu’ils retrouvent ce qu’ils ont
connu chez eux, l’explosion de la famille et des adultes ». On comprend que les
adolescents ont besoin de « sécurité », pour pouvoir « avancer un peu, même s’ils
reculent » à d’autres moments. Pour créer ce climat de sécurité, il y a donc besoin
d’établir « du lien avec les jeunes, pas du copinage ». Ici, pour lui, pas question de tout
mélanger, chacun doit être à sa place « adultes et jeunes », car ces derniers ne doivent
pas « chercher à prendre le dessus ». Ces adolescents leur sont confiés pour « qu ‘on
n’entende plus parler d’eux ».
4.7 Hélène
« L’adolescence, c’est un moment de mal être (…) un moment où on
découvre tout, où on a des idées préconçues, des valeurs », telle est la manière dont
cette éducatrice met en évidence ce qui caractérise pour elle les jeunes dont elle
s’occupe. Elle est présente pour « des jeunes qui ne peuvent pas rester chez eux, parce
qu’à un moment donné, papa et maman ne peuvent plus s’occuper d’eux ». Elle prend
donc en charge ces adolescents à un « moment de construction où on peut être mal et
bien parfois », et où « les séparations sont douloureuses pour eux ». C’est un moment
donné « de la vie où on peut rencontrer quelqu’un qui peut être à l’écoute » et « cela
peut changer tellement de choses ». En tant qu’éducatrice elle est donc en relation avec
des jeunes pour qui « la parole est quand même sacrément abîmée » et qui « la plupart
du temps n’ont pas envie de parler ». Elle pense par exemple à ce jeune qu’elle a vu
« arriver comme un animal, qui n’était pas doué de parole », « quelqu’un qui n’avait
pas envie de voir les gens ». Elle parle de ces jeunes qui peuvent avoir des
« pathologies », mais auprès de qui, on comprend qu’elle découvre « quelque chose de
très riche qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle a découvert à leur contact ». Face à
ces jeunes qui ne croient « plus en rien », elle agit pour « qu’il y ait au moins cette
chance d’avoir un choix » même s’il « y a des jeunes qui font des choix de vraiment
autre chose, des trucs fous, d’une vie dépravée ». Pour elle, même si à ces jeunes, « il
faut toujours leur dire la même chose », elle rappelle que « chaque jeune est différent »
et « qu’il y a toujours la parole, quand ils vont mal ».
4.8 Isabelle
Pour cette éducatrice, les « adolescents en difficultés » accueillis en
internat ont changé. En effet, elle a le sentiment qu « on accueille plus des bons
délinquants », mais plutôt aujourd’hui « des jeunes en rupture affective et sociale »,
« des mineurs isolés », « beaucoup de jeunes qui n’ont pas de famille » et « des jeunes
qui sont à la limite du psychiatrique et de l’éducatif » Face à ces constats, cette locutrice
explique que « ce sont des jeunes qui peuvent nous toucher », mais aussi « nous
perturber dans notre fonctionnement » et qui « peuvent nous interroger ». Cependant,
elle constate également que beaucoup des jeunes « croient qu’ils sont obligés d’avoir un
parcours et de faire des choses qu’ils leur sont imposées ». Alors que pour elle, il « y a
des jeunes qui ont du potentiel » et « qu’ils ont la capacité de faire le bon choix ». mais
qui « perturbés par tellement de choses, n’arrivent pas à le faire ». Elle reste cependant
optimiste en notant quand ils quittent l’internat, ils « ont avancé et fait du chemin »,
même s’ « il en reste encore ». Quand ces jeunes rappellent plus tard les éducateurs,
« ils sont fiers de dire, voilà maintenant j’en suis là ! ».
4.9 Bilan des discours sur les adolescents
De manière générale, nous pouvons constater avec surprise que les
éducateurs se montrent assez économes de leur propos vis-à-vis des adolescents dont ils
ont la charge, même si ce qui est dit, révèle un regard à la fois bienveillant et révélateur
d’une réelle inquiétude sur la situation et le devenir de ces « adolescents » souvent
dénommés « jeunes ».
Pour beaucoup, la question de « la rupture » familiale est à l’origine de l’éloignement
nécessaire des adolescents qui expriment beaucoup de mal être : ils sont « cassés », leur
parole « est abîmée », ils sont « perturbés par plein de choses », «ce ne sont pas des
adolescents classiques», ils« ont des carences affectives ». Pour beaucoup, cela se
traduit par des attitudes ou de comportements inadaptés. Ils font alors parfois « des trucs
fous », ils ont une « vie de dépravés », car « ils ne croient plus à rien ». Les éducateurs
remarquent aussi que « les jeunes ont changé » et que la question des « pathologies »
occupe une plus grande place actuellement dans la prise en charge éducative de ces
adolescents en souffrance.
Pourtant malgré ces constats alarmants, chacun des éducateurs rencontrés porte un
regard bienveillant sur ces adolescents dépeints comme « plein d’humour » et « de
fraîcheur», qui ne sont pas « obtus » et qui « sont dans l’écoute », avec du « potentiel »
et en capacité « d’avancer », même s’ils « ont du mal à faire confiance aux adultes »
qui peut parfois se traduire par « ressenti négatif par rapport aux éducateurs ». Cette
nécessaire relation aux adultes est un élément important que nous pouvons retrouver
dans les discours, exprimé de manière différente, mais qui rappelle la place de l’adulte
par rapport à celle de l’adolescent. On nous rappelle que pour ces jeunes, « il y a
absence de parents », ce qui provoque des « séparations douloureuses ». L’arrivée en
internat les amène alors à être en « lien » avec d’autres adultes à qui ils vont se
confronter ou s’opposer pour aller vérifier s’il y a « quelque chose de solide en face ».
Nous comprenons en écoutant les éducateurs, que ces adolescents sont en quête d’une
relation avec des adultes fiables, pour être en « sécurité » et ainsi leur permettre de « redémarrer quelque chose »
Conclusion de la partie
Le traitement des entretiens, par le filtre de nos trois thèmes : parcours, métier, et
adolescents, nous a permis de mettre en évidence des éléments clefs, que nous
reprendrons pour comprendre sur quel « terreau », l’intervention des éducateurs
d’internat se construit. Nous nous trouvons alors replongé dans le concept de
représentations sociales dont nous rappelons à nouveau la définition de Denise Jodelet
qui explique « qu’on reconnaît généralement que les représentations sociales, en tant
que système d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent
et organisent les conduites et les communications sociales »136. Rappelons-nous
également qu’aucun individu ne peut vivre en dehors d’un dispositif de représentations
qui fonde son rapport au monde . Nous pouvons alors partir du principe, que chaque
éducateur d’internat qui intervient auprès d’adolescent, construit son intervention
professionnelle, à partir de ses propres représentations. Le décryptage du discours des
professionnels, nous donne alors la matière nécessaire pour comprendre leurs
représentations d’une part et d’autre part, nous permet de faire émerger quelques figures
types d’éducateurs. Pour conduire ce travail, nous avons fait le choix de nous appuyer
sur les éléments suivants :
-
Nous avons dans l’analyse des entretiens développée précédemment, fait le
choix de retenir quelques éléments clefs qui nous apparaissent significatifs.
Significatifs, parce qu’ils soutiennent le discours des éducateurs et semblent
alors, être des éléments fondateurs de leur action éducative. Ces éléments, nous
les retrouvons alors de manière récurrente dans le discours d’un ou de plusieurs
éducateurs. Ils viennent éclairer d’une lumière particulière les fondements de
leur action.
-
Notre analyse a été faite en découpant le discours de chacun des locuteurs,
autour des thèmes principaux retenus. Nous avons fait le choix de ne pas revenir
ensuite à une reconstruction de l’analyse par locuteur, car il nous est apparu que
136
In Pratiques sociales et représentations, sous la direction de J.Claude Abric- Ed PUF, 2ème édition
1997.
cette démarche n’apporterait pas d’éléments supplémentaires à notre travail.
Nous avons en effet la possibilité de retrouver les éléments principaux à partir de
notre premier découpage.
-
Les figures de travailleurs sociaux mis évidence par des auteurs et que nous
avions fait apparaître au début de notre recherche137, seront nos références pour
tenter de comprendre comment les éducateurs rencontrés se positionnent. Nous
pourrons, à partir de ces figures, qui seront pour nous des modèles, rattacher les
éléments clefs évoqués plus haut. Nous pourrons alors constater que ceux-ci ne
peuvent pas être regroupés sous une même figure, tant le discours de chaque
éducateur est multiple et fait référence, selon les moments, à des modèles
différents. Pour permettre une facilité de maniement de ces figures, nous avons
fait le choix de simplifier les approches des trois auteurs retenus, en les
regroupant, à partir des éléments qui nous apparaissent être communs. Nous
constituons alors notre propre liste des figures d’éducateurs.
137
Nous faisons ici référence principalement aux travaux d’Yves Barel, de Jean-Paul Lassaire et au
séminaire de sociologie du DSTS 23.
TROISIEME PARTIE
ÉMERGENCE DE FIGURES D’EDUCATEURS
ET
TENTATIVE DE COMPREHENSION DES
TENSIONS
Les éducateurs d’internat que nous avions rencontrés à l’origine de notre
questionnement exprimaient beaucoup d’insatisfaction, vis-à-vis de leur pratique
professionnelle quotidienne auprès des adolescents dont ils ont la charge. Nous arrivons,
en abordant cette troisième partie à l’étape d’analyse de notre travail de traitement des
entretiens que nous avons effectués auprès de neuf éducateurs. Que pouvons-nous tirer
comme éléments de compréhension ? Pour répondre à cette question, nous avons fait le
choix, de nous servir du travail de plusieurs auteurs qui dans leurs écrits ont mis en
évidence ce que nous appelons des figures d’éducateurs. En effet, Jean Paul Lassaire138,
mais aussi Joël Cadière139 de l’autre ont respectivement construit des figures
d’éducateurs. Nous en rappellerons les principaux traits communs, dans un premier
temps. C’est sur ces éléments que nous avons fait le choix de nous appuyer, dans un
second temps, pour analyser les éléments clefs que nous avons retenus dans le
traitement de nos entretiens. Cela nous permettra de comprendre à quelle(s) figure(s) se
rattachent les éducateurs que nous avons rencontrés. Enfin, nous ferons un détour par la
sociologie de Max Weber140, notamment en reprenant son double concept d’éthique de
responsabilité et d’éthique de conviction. En effet, lors de la participation à un
colloque141, en mai 2008, nous avons été particulièrement sensible à une intervention142
mettant en lumière les difficultés et les doutes rencontrés par des éducateurs d’internat.
La référence à ce double concept de Weber a alors été développée et nous est apparue
comme pouvant être une hypothèse de compréhension de notre propre question
centrale : des éducateurs d’internat fondent leur pratique sur un certain nombre
d’éléments qui peuvent se rattacher à des figures d’éducateurs, mais sont confrontés à
une réalité quotidienne qui oblige à une certaine pratique et qui peut être en opposition
ou en distorsion avec leurs convictions. N’est ce pas là que vient alors s’ancrer
l’insatisfaction ?
138
Théories métisses des éducateurs: savoirs professionnels et représentations, Jean Paul Lassaire, Coll.
Paradoxes de l’ordinaire, Ed. L’Harmattan-2004.
139
Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des pratiques des travailleurs
sociaux, Joël Cadière- Thèse de doctorat-1991.
140
Le savant et le politique, Max Weber, Ed. La découverte-2003.
141
Colloque : « Sanction et punition en éducation ». ANTHEA, Marseille, 19&20 mai 08.
142
La sanction, aux limites de la responsabilité des institutions et des professionnels, N.Pechairal.
Chapitre 1. Les figures d’éducateurs
À partir des approches complémentaires de trois auteurs, nous avons fait le choix de
construire, dans un but de simplification, trois figures d’éducateurs qui nous semblent
significatives et qui seront ensuite un support solide pour analyser ce que nous avons
mis en évidence dans notre seconde partie : que pouvons-nous retenir et modéliser du
discours des éducateurs d’internat. En quelque sorte, nous pourrons par ce filtre, mettre
en lumière des éléments qui fondent l’action des éducateurs d’internat.
1.1 Différentes approches
Pour étayer notre démarche et construire nos propres figures d’éducateur, nous
avons fait le choix avant tout de faire référence à différents auteurs qui ont traité cette
question. C’est à partir de leur travail que nous pourrons ensuite faire une proposition.
1.1.1
Selon Jean Paul Lassaire
Dans notre première partie, nous avions déjà fait apparaître l’approche de
cet auteur143. Sans reprendre totalement notre développement d’alors, rappelons-nous
simplement que l’auteur avait mis en évidence, au regard de l’évolution historique de
l’intervention sociale, trois « modèles » d’éducateurs, qui apparaissent les uns après les
143
Cf. Page 29.
autres, mais qui ne se substituent pas les uns par rapport aux autres, ceux ci continuant à
vivre parmi les autres:
-
L’éducateur substitut parental et rééducateur, qui rappelle l’implication quasi
totale de l’éducateur d’internat, chargé alors des tâches primaires. Nous nous
trouvons alors en présence de l’éducateur qui vient prendre le relais de parents
en difficultés et ne réussissant pas à s’occuper de leur enfant, alors confiés à un
internat éducatif. L’éducateur est celui qui prend soin, qui veille à l’hygiène et à
l’équilibre de vie des enfants et adolescents : sommeil, nourriture, hygiène, jeux,
-
L’éducateur technicien, valorisant la relation. Il est alors celui qui permet aux
liens entre parents et enfants de se rétablir, aux difficultés d’être nommées pour
être dépassées.
-
L’éducateur gestionnaire de la différence et agent d’intégration. Il est celui qui
accompagne le jeune dans son parcours personnel et de formation. Il veille à
l’insertion et à la construction d’un projet de vie qui passe par un projet
professionnel par exemple.
Trois modèles qui se succèdent dans le temps, puis se conjuguent parfois pour donner
une consistance différente au rôle et à la place qu’occupent les éducateurs. Chacun alors
dans son parcours personnel et professionnel, développe alors des compétences et des
appétences différentes qui peuvent se raccrocher à tel ou tel modèle défini par Jean Paul
Lassaire, pour fonder leur action quotidienne auprès des adolescents qui leur sont
confiés.
1.1.2
Trois « modèles » de travailleurs sociaux selon Joël Cadière144
Dans son travail, Joël Cadière nous apporte un éclairage qui vient
s’articuler avec les éléments de Jean Paul Lassaire et qui vient insister un peu plus
encore sur ces modèles d’éducateur qui interviennent auprès des populations en
difficulté. Nous en avons retenu trois éléments principaux :
144
D’après Approche compréhensive et essai de formalisation des représentations des pratiques des
travailleurs sociaux- thèse en sociologie- Université Lumière Lyon 2- 1991 et séminaire de sociologie
DSTS 23- promotion 2004-2007.
-
L’éducateur Promoteur qui se donne avant tout une mission. Son intervention
auprès des personnes s’origine dans son histoire personnelle et son implication
est avant tout militante. Il cherche l’émancipation des individus et véhicule pour
se faire des valeurs fortes auxquelles il s’adosse pour faire vivre son action.
-
L’éducateur Bâtisseur qui a pour but de réparer : « Bâtisseur, tu parles de façon
évasive de ce choix professionnel comme d’une réparation au regard de ton
passé ».
-
L’éducateur opérateur qui est avant tout un rouage dans le système social. C’est
un technicien qui apporte un savoir faire dans une chaîne d’intervention auprès
de bénéficiaires.
1.1.3
Yves Barel un précurseur dans l’élaboration de Figures
Dans notre première partie, nous faisions référence aux travaux d’Yves
Barel, datant pourtant de 1982. Celui-ci met en avant trois aspects dans l’action du
travailleur social :
-
La réparation, l’éducateur étant là pour aider les gens à résoudre leurs
problèmes.
-
La normalisation, l’éducateur étant là pour accompagner les marginaux et tenter
avec eux de les réintroduire dans la norme sociale.
-
Le contrôle social, l’éducateur ayant par le mandat qui lui est donné, pour
également pour mission de veiller à l’évolution des personnes dont il a la charge.
1.2 Synthèse des trois approches
À partir de ces trois approches, nous souhaitons, pour nous les approprier,
construire nos propres figures d’éducateurs. En effet, si nous faisons le choix de nous
appuyer sur ces trois auteurs, il sera plus opérationnel de nous référer à notre synthèse
personnelle, dans la suite de notre travail.
1.2.1
La réparation
L’éducateur intervient auprès des usagers qui ont connu des carences. En
ce qui concerne les éducateurs d’internat, ils accueillent des jeunes qui connaissent des
difficultés dans leur développement personnel du fait des difficultés familiales. Il vient,
avec le support du quotidien, tenter de redonner confiance, soutenir pour que le jeune
redémarre, avance, évolue et puisse avoir un avenir : « l’éducateur observe et utilise la
vie réelle, aussi bien l’environnement social que les situations de la vie quotidienne,
comme support principal de toute action »145. C’est à partir de ce quotidien, « de ce
terre-à-terre, de ce ras les pâquerettes, que ce construit la clinique éducative »146, et
que l’éducateur d’internat va apporter sécurité et réconfort, pour que le jeune,
l’adolescent puisse se (re)construire, après des épreuves difficiles, des tensions
familiales extrêmes, des ruptures douloureuses. Il faut redonner un rythme et une
hygiène de vie, mis à mal par une vie familiale souvent décousue, où les parents n’ont
pas pu, n’ont pas su imposer et tenir un cadre nécessaire pour grandir. L’éducateur vient
alors réparer ce qui peut l’être.
1.2.2
L’émancipation
Il faut que les jeunes qui leur sont confiés puissent grandir et se construire
un avenir, à partir de choix qu’ils pourront avoir fait. C’est un peu de cette manière que
nous pourrions résumer le profil de cet éducateur émancipateur. Il ne s’agit pas ici
d’apporter du soin, mais de convoquer l’individu dans sa responsabilité, afin qu’il fasse
ses propres choix de vie et qu’il ne reste pas dans l’exclusive dépendance des autres. Il
doit pouvoir être un individu libre. Libre de ses choix et de ses erreurs, libre de ses
projets et des chemins qu’il prendra.
145
146
In Le quotidien en éducation spécialisée, Joseph Rouzel, Ed.Dunod.2004.
Ibidem.
1.2.3
Le technicien
L’éducateur est un professionnel qui est passé par une formation
spécifique. Il est celui qui met en place des projets, met en œuvre des entretiens
éducatifs et qui connaît les rouages institutionnels. Il peut accompagner un jeune vers le
« bon interlocuteur » : celui qui pourra aider à l’orientation scolaire ou professionnelle,
celui qui peut mettre en place du soin, celui qui peut prendre le jeune en stage.
Il est aussi celui qui connaît les lois, celui qui sait faire un rapport de synthèse, une note
à destination du Juge. Il participe à des concertations, des audiences, … Il est un
technicien de l’éducation.
Il peut être aussi un technicien de la relation, celui qui a appris quelques techniques de
communication, grâce à un stage de formation continue.
1.3 Tentative de rattachement aux trois figures
Nous avons rencontré neuf éducateurs intervenant en internat éducatif. Neuf
regards sur un parcours d’éducateur, sur un métier et une intervention ; neuf regards sur
des adolescents pris en charge dans ces foyers. Nous avons fait des croisements, mis en
évidence des éléments communs, mais aussi des éléments de divergence. Quels
rapprochements, pouvons-nous construire à présent au regard des figures que nous
avons retenues ? Pour construire cette analyse, nous avons fait le choix de ne retenir que
les éléments qui nous semblent éclairants et significatifs, car présents, de façons
différentes, dans les différents discours d’éducateurs.
1.3.1
Le parcours personnel de l’éducateur et l’idée de choix
Pour beaucoup des éducateurs rencontrés, cette notion de choix est
importante quand ils parlent de leur parcours tout d’abord, mais également ensuite dans
ce qui soutient leur action éducative auprès des adolescents.
1.3.1.1 Faire un choix, quand il s’agit de son avenir professionnel
En ce qui concerne le parcours, la plupart des éducateurs avaient
insisté sur cette idée de choix. En effet, beaucoup parlaient du fait qu’ils avaient dû faire
un choix, à un moment de leur vie. Pour certains, ils semblaient destinés à une autre
profession : comme cette éducatrice147 qui nous explique qu’elle a d’abord eu envie
d’être « institutrice » ou cette autre148 qui nous dit qu’elle se destinait à être « Juge des
enfants », mais chacun décidait alors de faire un autre choix. Ils avaient croisé une
personne, partagé les actions d’une association de quartier qui fait du soutien scolaire,
vécu avec un membre de leur famille handicapé, ou rencontré d’autres jeunes dans un
quartier. Ce sont ces rencontres qui leur ont fait prendre conscience qu’ils voulaient
faire un autre choix professionnel.
Pour d’autres, il s’agissait après un premier choix de formation professionnelle ou une
première partie de vie professionnelle dans un champ totalement différent de
l’éducation spécialisée, de prendre un virage important et de se réorienter : comme cet
éducateur149 qui nous parle « d’une remise en question » après avoir fait des études
techniques, ou cette éducatrice150 qui évoque « son choix » de devenir éducatrice après
avoir travaillé de nombreuses années dans le commerce.
Dans tous ces exemples relevés au fil de nos rencontres, nous constatons que l’idée de
choix personnel est centrale. Elle vient remettre en cause le choix d’une première
orientation ou même une formation menée jusqu’à son terme, pour s’orienter ensuite
vers la profession d’éducateur. Choisir avant toute chose et être alors « maître » de son
parcours.
147
148
149
150
Nous évoquons ici le discours d’Hélène.
Il s’agit dans ce cas d’Isabelle.
Il s’agit ici de Boris.
Alberte.
1.3.1.2 D’un choix personnel à l’accompagnement dans le choix
Il est très intéressant de voir le lien, même inconscient, que
peuvent faire certains éducateurs entre cette idée de choix personnel qui a été le terreau
de leur orientation professionnelle et ce qui semble guider leur action éducative ensuite,
auprès des adolescents dont ils ont la charge. Reprenons pour illustrer notre propos,
quelques mots que nous avons pu relever dans les différents discours : « le principal
côté de mon travail, c’est de leur permettre de faire un choix »151 ou encore comme le
précise cet éducateur152 « les aider à comprendre qu’ils ont la possibilité de faire des
choix », « qu’ils puissent entrer dans la vie active en étant un peu à jour entre d’où ils
viennent (…) et vers quoi ils veulent aller ».
Faire des choix personnels pour permettre ensuite à ceux dont on s’occupe de pouvoir
faire leurs propres choix semble être ici un élément important du socle des convictions,
des valeurs, pour ces éducateurs. C’est ce qui guide réellement leur action quotidienne
auprès des adolescents.
1.3.1.3 Ce droit au choix, pour construire sa vie
En reprenant cette idée de choix, nous pouvons alors faire
référence à la figure de l’éducateur émancipateur. En effet, l’éducateur quand il permet
ou favorise la réflexion du jeune, il l’amène alors à prendre position, à choisir son
chemin de vie en tout état de cause. L’éducateur est celui qui encourage l’audace, qui
convoque la création personnelle, pour permettre de grandir et faire un choix de vie. On
comprend,qu’il s’appuie dans cette démarche éducative, sur son propre parcours qui l’a
conduit lui-même,nous l’avons vu, à faire un choix à un moment donné. Il soutient alors
l’autre dans ses choix personnels, qui ne seront d’ailleurs pas forcément en accord avec
les choix qu’aurait pu faire l’éducateur pour lui-même : « même si ce n’est pas le choix
que j’aurai fait »153, précise par exemple une éducatrice. En encourageant le choix
personnel, il valorise l’individu dans sa nécessaire capacité à s’émanciper des
injonctions de l’entourage.
151
152
153
Hélène.
Fabien.
Isabelle.
1.3.2
Être en relation pour accompagner
Dans cette simple affirmation « être en relation pour accompagner »,
nous retrouvons deux idées qui sont largement développées par la plupart des
éducateurs et éducatrices que nous avons rencontrés. Chacun quand nous les
interrogeons sur leur pratique professionnelle met en avant cette double idée de relation
et d’accompagnement
1.3.2.1 Être en relation
L’éducateur quand il travaille en internat ne peut éviter d’être en
relation avec les adolescents dont il a la charge : «Cela passe obligatoirement par le
vivre avec l’autre »154. Il va partager le quotidien avec ses jeunes, allant même jusqu’à
avoir parfois le sentiment « d’avoir deux familles ». Il va vivre des moments agréables
qui permettront de « prendre du plaisir avec les jeunes »155 ou au contraire des moments
nombreux de tensions ou de conflits. Mais c’est à travers tous ces moments de vie
partagée, que la relation se crée et que la confiance peut alors peut-être exister entre
adolescents et adultes. Nous comprenons alors que la question de l’humain est
fondamentale, pour tous les professionnels rencontrés : «il s’agit d’apporter une touche
humaine » explique d’ailleurs clairement une éducatrice156. Pour résumer leur pensée, il
s’agit de travailler au quotidien avec des adolescents qui sont dans des situations
personnelles souvent lourdes. Chacun insiste alors sur le fait qu’ils peuvent être touchés
par ces situations, mais qu’ils doivent réussir à garder une certaine distance pour ne pas
être envahis, « éviter d’être pris au piège », comme le dit un éducateur157. Cependant,
sans cette relation, il n’y a pas de travail possible.
154
155
156
157
Fabien.
Danielle.
Alberte.
Fabien.
1.3.2.2 Accompagner les adolescents en souffrance
Ce n’est que lorsque cette relation aura été créée, même parfois
dans le conflit et la confrontation, que l’éducateur pourra mettre en place son
accompagnement. Cette notion apparaît comme extrêmement présente dans le discours
des éducateurs. Nous constatons concrètement, que l’idée d’accompagnement a pris le
pas dans le discours éducatif. Il s’agit toujours d’être en mouvement, pris au sens de
dynamique, car il s’agit alors de « soutenir », « pousser », « encourager » ou même
parfois « forcer », pour permettre aux adolescents de sortir de cette spirale négative
souvent décrite par les éducateurs eux mêmes. Il s’agit de leur permettre d’avancer dans
leur vie, dans ces moments fragiles et fragilisés par l’histoire familiale. Nous
comprenons ici qu’il s’agit avant tout pour les éducateurs « d’être présent »158, à côté,
parfois en tenant la main ou en servant de « béquille »159 de manière temporaire, pour
emmener vers l’âge adulte.
1.3.2.3 Relation et accompagnement : deux notions clefs pour
aider les adolescents à rester debout.
Si l’idée de choix160 apparaît en filigrane de nombreux discours de
professionnels, nous pouvons par contre relever que l’idée de relation et celle
d’accompagnement sont présentes, elles, de manière très explicite161 dans le discours.
Tous les professionnels que nous avons rencontrés insistent beaucoup sur ces deux
éléments qui portent leur action quotidienne auprès des adolescents des internats où ils
travaillent. Il s’agit de deux piliers d’une action qui peuvent par la suite être déclinés de
manière différente. Ce que nous aurions tendance à rattacher à des moyens, pour
parvenir à des finalités - ici, éduquer par le biais de la relation ou grâce à
l’accompagnement- semble rehaussé au niveau de fondements qui guident l’action. Y a
t il confusion dans leur tête ? La question mérite d’être posée, car cette confusion ne
158
Evelyne.
Danielle.
160
Cf. 1.3.1, p85.
161
En relisant la transcription des huit entretiens, nous nous apercevons que les mots accompagnement et
relation sont répétés à de très nombreuses reprises, par tous les locuteurs.
159
participe-t-elle pas au mécontentement exprimé par les éducateurs ? En effet, ce qui est
avant tout un moyen –l’accompagnement- est souvent difficile à mettre en œuvre du fait
de la complexité des situations et la frustration est alors sans doute décourageante.
En décryptant ces discours, nous comprenons pour notre part, que ces deux notions de
relation et d’accompagnement viennent soutenir une valeur exprimée de manière plus
discrète, c’est-à-dire permettre aux adolescents de (re)construire un projet personnel et
professionnel. Ces jeunes sont en situation fragile et sont alors souvent englués dans des
conduites d’échec. Il s’agit en les accompagnant dans leur quotidien, de les aider à
reprendre pied, pour comme le rappelle une éducatrice162 « gravir un peu l’escalier »,
comme un écho à « l’ascenseur social ». C’est également « donner un coup de pouce,
pour aider à rester debout », d’après un autre éducateur163.
1.3.2.4 Rattachement à la figure de la réparation
« l’éducateur observe et utilise la vie réelle, aussi bien
l’environnement social que les situations de la vie quotidienne, comme support
principal de toute action »164. C’est à partir de ce quotidien, « de ce terre-à-terre, de ce
ras les pâquerettes, que se construit la clinique éducative »165. Reprendre cette citation
semble totalement approprié à ce que nous venons de décrire précédemment. Les
éducateurs quand ils soutiennent l’idée d’accompagnement et de relation au service,
comme nous avons souhaité le mettre en avant précédemment, tentent d’aider ces jeunes
à s’extirper de leur situation, en les aidant à résoudre leur problème et à atténuer leurs
difficultés. Nous nous situons alors dans l’idée même de la réparation. Il s’agit pour eux
de permettre aux jeunes de surmonter leurs fragilités. « Faire avec », «être avec », sont
autant de moyens pour y parvenir, que ce soit en permettant à ces adolescents de
retrouver une hygiène de vie166 adaptée à leur âge, ou comme nous le verrons plus tard
en les soutenant dans leur projet de formation, ou leur démarche de soins
162
Alberte.
Locuteur n°3.
164
In Le quotidien en éducation spécialisée, Joseph Rouzel, Ed.Dunod.2004.
165
Ibidem.
166
Cette idée englobe à la fois les rythmes de vie, mais aussi l’équilibre alimentaire et l’équilibre du
rythme d’une journée.
163
psychologiques. Il faut apprendre aux jeunes, «les gestes du quotidien » rappelle cette
éducatrice167.
1.3.3
Travailler avec des jeunes en souffrance
En analysant les différents discours à notre disposition, c’est sans
hésitation que nous pouvons retenir ce thème des jeunes en souffrance. Chacun des
professionnels, avec des mots différents, parle de ce « public » avec lequel il travaille
comme d’adolescents « cabossés par la vie ».
1.3.3.1 Un tableau noir
Ce sont des jeunes « cassés », « perturbés », « en carence
affective » et qui souvent ne « croient plus à rien »168. Ce tableau assez noir laisse
apparaître la lourde tâche qui attend les éducateurs qui s’occupent d’eux. Il s’agit de
vivre un quotidien avec des adolescents qui vont mal et qui mettent en œuvre des
comportements souvent inadaptés. Les tensions sont alors toujours très fortes et la vie
quotidienne en internat peut s’avérer complexe et lourde.
1.3.3.2 Une rupture familiale
Dans de nombreux discours d’éducateurs, nous retrouvons cette
idée de la « rupture affective »169 du fait de la séparation d’avec la famille et les parents.
« ce n’est pas facile de se retrouver sans famille »170, comme le pose une éducatrice,
semble être un postulat de départ très fort. Pour tous les éducateurs rencontrés, être en
internat éducatif n’est pas une situation normale, certains même, comme cette
éducatrice171 s’interrogeant pour savoir si c’est la meilleure solution : « est ce que
l’internat est la meilleure solution ? ». Pour chacun le lieu normal de vie est bien la
167
168
169
170
171
Alberte.
Rappel du Chapitre 2- 2.2.6 Bilan des discours sur les adolescents, p 76.
Isabelle.
Evelyne.
Isabelle.
famille, comme le résume simplement une éducatrice : « un enfant doit vivre avec ses
parents »172.
1.3.3.3 Un double constat qui explique la nécessité du placement
Nous nous trouvons donc face à un double constat. D’une part des
jeunes en situation de rupture familiale douloureuse et déstabilisante et d’autre part des
jeunes en situation personnelle très fragile voire déstructurée. Nous pourrions nous
interroger sur ce qui conduit à cette situation de grande souffrance et notamment en
essayant de comprendre si c’est le comportement des jeunes qui conduit à l’éclatement
familial ou au contraire si ce sont les fragilités familiales qui conduisent le jeune à
développer des comportements et des attitudes préoccupantes. Mais ce n’est pas le sens
de notre recherche. Par conséquent nous nous arrêterons seulement à mettre en évidence
ce double constat, pour nous arrêter longuement sur ce qui se joue pour les éducateurs
en situation professionnelle, face à ces adolescents en souffrance.
1.3.3.4 Agir pour aider à sortir de la souffrance
Face à ces jeunes qui sont en souffrance, nous entendons des
éducateurs qui agissent dans le quotidien auprès d’eux, pour leur permettre de sortir de
cet état. Pour certains comme cette éducatrice, il s’agit de « maintenir les liens
familiaux »173. Pour de nombreux autres, c’est favoriser « l’épanouissement », comme le
rappelle cette autre professionnelle174. C’est-à-dire permettre aux jeunes en souffrance
de pouvoir reprendre pied dans leur vie en se posant dans le foyer où ils sont placés. Ils
ont à faire à des adolescents qui bien que très marqués175 et éprouvés par leurs
difficultés et leur parcours chaotique, ont des capacités réelles. Il y a donc à la fois
constat de la souffrance, mais en même temps constat des ressources des jeunes
accueillis. Comme le rappelle par exemple cette éducatrice en expliquant « qu’il y a des
172
173
174
175
Alberte.
Alberte.
Danielle.
Cf. 1.3.3.1, p 90.
jeunes qui ont du potentiel »176. On comprend alors que pour la plupart des
professionnels rencontrés, il s’agit d’apporter de la « sécurité », comme le rappelle cet
éducateur177, pour leur permettre de s’appuyer sur des adultes fiables. Même si la
plupart des éducateurs insistent sur le fait qu’ils ne remplacent pas les parents des
jeunes, nous constatons dans leur discours qu’ils se substituent quand même aux parents
en difficultés. Ils veulent tenter de donner une autre image de l’adulte, à ces jeunes en
manque de repères solides. L ‘adolescent a besoin de « quelque chose de solide en
face », phrase prononcée par une éducatrice178, ce qui pourrait résumer parfaitement ce
que pensent la plupart des professionnels que nous avons rencontrés. Les éducateurs
semblent très souvent tiraillés entre l’idée de faire avec les jeunes et le souhait exprimé
de n’ « être ni le père, ni la mère ».
1.3.3.5 Rattachement à la figure de la réparation
À partir des éléments que nous venons de mettre en avant, nous
pouvons une nouvelle fois, faire un pont avec la figure de l’éducateur « réparateur ». En
effet, quand ceux-ci tentent de soutenir les adolescents pour qu’ils sortent de leur état de
souffrance et de fragilité, c’est alors tenter de réparer ce qui a pu dysfonctionner dans le
passé et qui a conduit au placement. Il s’agit alors de venir en aide aux parents démunis
et qui ne réussissent plus à prendre en charge leur enfant au quotidien. L’éducateur,
même s’il met tout en œuvre pour associer les parents179 à ce parcours du jeune dans
l’établissement, est bien animé par l’idée que ce dernier est en souffrance dans son
contexte de vie et qu’il faut agir pour changer cet état de fait. Nous nous trouvons
totalement inscrit dans cette finalité de la réparation.
176
Isabelle.
Fabien.
178
Evelyne.
179
C’est d’ailleurs, rappelons-nous, le sens même de la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médicosociale.
177
1.4 Synthèse du rattachement aux figures
Les éducateurs que nous avons rencontrés mettent en évidence à travers leur
discours, des éléments qui fondent leur action, auprès des adolescents dont ils ont la
charge. Nous pouvons notamment rattacher ces éléments autour de deux figures
d’éducateurs que nous avions retenues précédemment : d’une part, un rattachement fort
et profond à la figure de l’éducateur émancipateur et d’autre part un second
rattachement à la figure de la réparation :
Les éducateurs rattachent leur action à l’idée d’un l’accompagnement des jeunes, vers
un choix qui structurera leur vie. Il faut en effet avant tout les conduire à s’émanciper et
à faire des choix personnels fondateurs de leur futur parcours d’adulte. Nous l’avons vu,
ces éducateurs fondent très souvent cette valeur éducative, à partir de leur propre
parcours qui a été fait d’étapes et de rencontres déterminantes, les conduisant pour
devenir éducateur, à faire eux-mêmes un choix important, venant parfois remettre en
cause le parcours établi. Nous nous situons là dans l’idée même de l’émancipation.
Par ailleurs, les éducateurs, face à des jeunes souvent décrits comme ancrés dans une
souffrance et des fragilités importantes, tentent par leur action quotidienne de les aider à
sortir de cet état ou à dépasser leurs difficultés, pour grandir et construire leur vie. Nous
nous situons ici dans l’idée de la réparation.
C’est à partir de ce double axe, que les éducateurs fondent leur action éducative auprès
des adolescents. Il ne faut pas pour autant se montrer manichéen en ce qui concerne le
profil des éducateurs. En effet, le discours de chacun ne peut-être rattaché à une seule
figure d’éducateur. Il apparaît plus évident, que dans le discours de chacun, nous
retrouvons des éléments se rattachant à plusieurs figures. Chaque éducateur quand il
agit et construit son action s’appuie sur ce que nous avons appelé des fondements, qui
eux-mêmes font appel à des profils d’éducateurs différents : émancipation, réparation,
notamment.
Mais, pour aller plus loin, en reprenant une nouvelle fois les éléments des discours,
nous pouvons comprendre que l’action quotidienne telle qu’elle est décrite est faite de
moments complexes et d’actions concrètes qui ne vont pas permettre aux professionnels
de mettre en œuvre les objectifs fondés sur les valeurs que nous avons mises en
évidence précédemment. Nous nous trouvons alors dans la perception d’un écart que
nous allons tenter à présent d’analyser en nous appuyant sur la théorie de Max
WEBER180, relative à l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. C’est peutêtre de ce côté-là, que nous pourrons comprendre ce qui vient créer l’insatisfaction
exprimée régulièrement par les éducateurs d’internat et qui rappelons le, ici était à la
base de notre recherche.
180
Le savant et le politique, Max Weber, Ed. La découverte-2003.
Chapitre 2. Tension entre éthique de conviction et éthique de
responsabilité
2.1 Comprendre le concept
Nous nous appuyons à présent sur le double concept élaboré par Max Weber.
C’est à partir de celui-ci que nous allons construire une hypothèse de réponse.
2.1.1 quelques mots sur l’éthique
Le dictionnaire Larousse parle de l’éthique comme ce « qui
concerne les principes de la morale ». Si nous avançons dans la compréhension de ce
concept, nous pouvons par exemple nous arrêter la définition de Philippe Corcuff181 qui
s’appuyant lui-même sur les travaux de Ludwig Wittgenstein définit l’éthique comme
étant « l’investigation de ce qui a une valeur ou de ce qui compte réellement, ou
l’investigation du sens de la vie, ou de ce qui rend la vie digne d’être vécue ».
2.1.2 La théorie de Max Weber
Dans la préface du livre réédité182 de Max Weber, Catherine
Colliot-Thélène rappelle que le concept se comprend en travaillant l’opposition entre
181
In Éthique de conviction, éthique de responsabilité et utopie dans le champ politique allemand actuel,
approches sociologique et philosophique croisées- Erwan Autès, Sous la direction de Philippe Corcuff,
Mémoire de fins d’étude IEP Lyon-2004.
182
Le savant et le politique, une nouvelle traduction, Max Weber -Ed. La découverte-2003.
éthique de responsabilité et éthique de conviction, expliquant que la seconde « s’entend
d’une attitude uniquement soucieuse des principes et indifférente aux conséquences de
l’action (…) ce que nous désignons usuellement par l’expression : « agir par
conviction » ». Il s’agit donc de se rappeler que l’éthique de conviction ne s’évalue pas
au regard du contenu des convictions, qui peuvent être différentes selon les cas183, mais
de bien entendre ce concept en opposition à celui d’éthique de responsabilité qui va
amener celui qui agit à prendre en compte avant tout, les conséquences de ses actes.
Cependant, il est également fondamental d’après Weber lui-même de ne pas caricaturer
le concept : « il va de soi que l’éthique de conviction n’implique pas l’absence de
responsabilité, ni l’éthique de responsabilité, l’absence de conviction »184. Si en effet,
les motivations et les principes éthiques ne sont jamais attestés sous des formes pures,
mais qu’il n’est pas non plus possible de parler de responsabilité, là où la cause, donc la
conviction est absente. C’est ainsi que Weber s’interroge : « à quoi se jaugerait en effet
la responsabilité de l’homme politique, s’il était en vérité sans principe et sans
objectif ?».
C’est pour cette raison que le sociologue reproche aux pacifistes radicaux de l’époque,
par exemple, de ne pas prendre en compte dans leur action les conséquences prévisibles
de leurs actes.
D’une part, nous retrouvons donc l’éthique de conviction qui invite l’individu à mettre
en œuvre les principes et les valeurs auxquels il croit, sans prendre en compte les
conséquences qui peuvent en découler. D’autre part, nous retrouvons l’éthique de
responsabilité qui amène l’individu à agir en prenant en compte les conséquences des
actes posés. C’est une démarche dans laquelle il est également important de savoir si on
peut vivre avec les conséquences des actions.
À partir de ce nouveau concept, nous pouvons à présent reprendre le discours des
professionnels, pour tenter de comprendre où se situe l’éthique de conviction d’une part
et d’autre part qu’est ce qui peut faire référence à l’éthique de responsabilité. Nous
pourrons, pour déterminer cette dernière, prendre des éléments du discours que nous
n’avons pas pour l’instant pris en compte dans notre analyse, mais qui semblent à
présent significatifs, dans notre démarche de compréhension.
183
184
Qu’il s’agisse du politique et du savant par exemple.
Le savant et le politique, Max Weber -Ed. La découverte-2003.
2.2 Du côté des éducateurs d’internat
Il nous faut à présent nous attacher à nouveau à ce qui se joue pour les
éducateurs dans l’exercice de leur mission auprès des adolescents. Le rattachement au
concept de Max weber nous apparaît être une approche possible.
2.2.1
Identifier l’éthique de conviction
Nous avons pu dans le chapitre précédent, mettre en évidence les
éléments principaux qui fondaient l’action des éducateurs d’internat. Ces principes
pouvant quant à eux être rattachés aux figures de réparation et d’émancipation. Nous
pouvons alors concevoir que ces fondements constituent le socle de l’éthique de
conviction de ces éducateurs, au sens où Max Weber l’entendait, c’est-à-dire ce qui
invite à mettre en œuvre principes et valeurs auxquels croit l’éducateur. En effet, en
faisant ce travail de regroupement puis d’analyse, nous avons insisté sur ce qui fait socle
à l’action éducative. Les éducateurs que nous avons rencontrés, quels que soient les
outils utilisés par la suite, agissent en s’appuyant sur de principes forts, basés sur des
convictions établies. Rappelons-les très succinctement :
-
Accompagner les adolescents dans la possibilité de choisir. C’est un pilier
important pour nombre des éducateurs que nous avons rencontrés. Il s’agit en
effet de favoriser l’accession à capacité de faire ses choix propres pour
construire sa propre vie.
-
Aider les adolescents à sortir de leur souffrance et de leur fragilité. Pour les
éducateurs, il s’agit en effet, face à des constats de souffrances, mais aussi de
fragilités et de carences éducatives, de soutenir et d’accompagner les adolescents
pour qu’ils puissent se reconstruire et devenir des adultes solides.
2.2.2
Identifier l’éthique de responsabilité
Dans notre démarche de compréhension des fondements, nous nous
sommes plus particulièrement arrêté sur les éléments du discours relatif à ce que les
professionnels mettaient en évidence pour parler de leur métier et de leur action
éducative. En reprenant le traitement de ces discours, nous pouvons aussi nous arrêter
sur ce que les éducateurs pensent que l’on attend d’eux. Nous pouvons alors de manière
très intéressante faire alors ressurgir quelques éléments complémentaires qui viennent
teinter d’une couleur différente les convictions exprimées par les uns et les autres. Cela
apporte alors une dimension nouvelle à notre compréhension.
2.2.2.1 Ce qu’attend l’extérieur
« Je ressens une pression en disant c’est vous les éducateurs qui
devez réussir à sortir les jeunes de la panade », cette phrase prononcée par une
éducatrice185 pourrait symboliser un fil rouge dans le discours de la plupart des
professionnels que nous avons rencontrés. En effet, les éducateurs, quand il s’agit de
parler de ce que pensent les autres186 de leur action éducative, insistent sur la pression
ressentie du fait de l’attente de la société à leur égard. Nous pouvons de manière
synthétique, en relever les points clefs :
D’une part l’éducateur intervient pour qu’on « le jeune ne fasse plus de vague ». C’est
une idée, énoncée de manière différente par les uns et les autres, mais que nous avons
entendue très souvent dans les entretiens. L’éducateur est celui qui vient canaliser les
jeunes pour éviter qu’ils ne fassent des bêtises et qu’ils n’importunent la société. Avec
cette injonction, l’éducateur « doit se débrouiller tous les jours », nous rappelle par
exemple cette éducatrice187.
D’autre part, l’éducateur est celui qui permet « l’inscription dans un projet », qu’il soit
professionnel ou scolaire. Nous comprenons ici, que les jeunes qui sont confiés aux
185
Danielle.
Rappelons que dans notre guide d’entretien, nous avions demandé aux éducateurs ce que d’une part
leur institution pouvait attendre d’eux et d’autre part, ce que la société pouvait attendre d’eux.
187
Hélène.
186
internats ne doivent pas rester sans solution. Il s’agit pour chacun, quels que soient ses
difficultés, ses limites, voire ses troubles d’être inscrit dans une démarche de
formation188. Une éducatrice189 résume d’ailleurs la situation, en disant « dans notre
fonctionnement, on a la volonté qu’ils deviennent indépendants (…) qu’on les amène à
la réussite ». Tous les éducateurs rencontrés ont parlé à un moment ou à un autre, de
manière plus ou moins insistante, de cette nécessité de construire avec ou pour le jeune,
un projet d’insertion sociale et professionnelle. Il s’agira alors de travailler avec les
différents partenaires scolaires, ou d’insertion, pour que les jeunes « réussissent au
niveau d’une orientation professionnelle »190 ou « qu’ils soient là où ils doivent être,
c’est-à-dire l’école »191. Il s’agit dans ce cas de « leur apprendre des choses ». Il s’agira
de soutenir, de réadapter, d’apporter le soutien nécessaire, pour que le jeune y
parvienne.
Dans ces deux axes d’intervention, nous nous situons cette fois, plus dans la figure de
l’éducateur technicien192. Celui qui, par ses actions concrètes, ses savoirs faire, sa
connaissance du terrain, des partenaires, des institutions, va devoir construire ce projet
d’insertion sociale. Ce sont de véritables « pompiers du social », comme le dit cette
éducatrice193, qui interviennent quand il y a crise, quand le jeune n’est plus inscrit dans
rien et que ses parents ne savent plus comment faire pour changer la situation.
2.2.2.2 Des outils concrets d’intervention
Nous pouvons en effet, constater la nécessité d’outils concrets
nécessaires aux professionnels pour mettre en œuvre cet objectif d’insertion sociale.
L’éducateur est alors celui qui notamment à partir de l’entretien éducatif, va réussir à
faire émerger une mobilisation du jeune, qui par l’accompagnement concret dans une
démarche, va soutenir le jeune pour qu’il aille chercher un travail, où qu’il reprenne
attache avec son établissement scolaire. C’est celui qui grâce au travail d’équipe va
188
Le terme formation vient ici regroupé à la fois la formation professionnelle et l’inscription dans une
scolarité quelle qu’elle soit.
189
Isabelle.
190
Evelyne.
191
Boris.
192
Cf. 1.2.3, page 85.
193
Isabelle.
pouvoir se ressourcer pour repartir dans l’accompagnement éducatif d’un jeune à la
dérive. Tous ces modes d’intervention que nous avons fait le choix de reprendre ici de
manière générale et très synthétique sont retrouvés dans les discours de tous les
éducateurs194. Chacun à un moment ou à un autre met en avant ces différents outils
éducatifs qui permettent d’intervenir auprès des adolescents.
2.2.2.3 Mise en lumière de l’éthique de responsabilité
À partir de ce que nous avons développé plus haut, nous
constatons que nous nous situons à présent, dans cette dimension de l’éthique de
responsabilité telle que Max Weber l’a définie. Les éducateurs peuvent identifier assez
clairement et simplement, ce que les autres- que ce soient les partenaires, les instances
de tutelle, les parents ou plus largement la société- attendent de leur action éducative
auprès des adolescents placés. Il s’agit d’une part de canaliser les jeunes fragiles et
difficile et d’autre part de les inscrire dans un projet de formation nécessaire à
l’inscription sociale.
Nous nous situons dans une dimension différente de celle mise en évidence dans
l’énoncé des valeurs et des fondements. Nous sommes bien ici dans une dimension plus
technique, plus concrète, dans laquelle des outils d’intervention sont mis en œuvre, en
vue d’obtenir un résultat. Nous comprenons ici que ce résultat est avant tout rattaché à
une dimension de construction d’un projet de formation. Les éducateurs en intervenant
dans cette dynamique prennent en compte la notion de résultat et de conséquence des
actions éducatives mises en œuvre, en n’oubliant pas non plus le regard de la société,
des parents qui donnent de manière plus ou moins explicite, des objectifs précis et
concrets aux éducateurs
194
Dans le traitement des entretiens, nous avons pu en effet, faire ressortir des éléments énoncés et
relatifs aux outils utilisés par les éducateurs : entretien, quotidien, accompagnement physique des jeunes,
support important de l’équipe éducative comme lieu de ressource.
2.3 Émergence d’une tension
Reprenons à présent de manière globale et synthétique ce que nous avons pu
mettre en évidence dans nos précédents développements. Il nous semble en effet que
confronter ces différents éléments peut nous permettre de dessiner une réponse à notre
problématique de départ.
D’un côté, nous avons pu comprendre que les éducateurs rencontrés fondent
principalement leur action sur une dimension émancipatrice -en soutenant les
adolescents dans l’affirmation d’un choix de vie qui n’est pas forcément dicté par
l’extérieur qui impose ses volontés et ses objectifs pour le jeune- et sur une dimension
de réparation –en accompagnant le jeune vers un dépassement des fragilités et des
difficultés constatées et qui pèsent sur l’évolution et l’épanouissement-.
D’un autre côté, une dimension plus technique est mise en évidence, pour répondre à
des finalités plus particulièrement issues du discours de la société, en direction des
éducateurs d’internat –contenir les jeunes et les inscrire dans un projet d’insertion
scolaire ou professionnelle-.
Ces deux axes viennent mettre en lumière, les deux aspects du concept de Max Weber:
-
L’éthique de conviction –que nous pouvons rattacher ici à la figure
émancipatrice et réparatrice de l’éducateur soutenu par les professionnels-
-
L’éthique de responsabilité –que nous pouvons rattacher alors à la figure de
l’éducateur technicien qui intervient au quotidien auprès des adolescents, à partir
d’outils concrets et opérants, pour tenter de l’inscrire dans un projet, nécessaire
pour vivre en société-.
Il est intéressant de relever que nous retrouvons dans l’intervention d’ un même
professionnel les deux dimensions de ce concept. Ce qui était différent pour Weber luimême qui mettait en évidence cette double approche à partir de deux personnages
différents : le politique et le savant. L’éducateur, d’après nous, réunit les deux versant
du concept.
Face à ces deux dimensions, nous pouvons comprendre qu’il peut y avoir divergence.
Divergence entre l’éthique de conviction qui anime fortement les éducateurs que nous
avons rencontrés et l’éthique de responsabilité qui les conduit à agir chaque jour pour
tenter de répondre aux objectifs concrets de l’action éducative, telle qu’elle peut être
véhiculée par la société et intégrer par les éducateurs comme une dimension
importante : inscrire les jeunes dans un projet concret qui doit leur permettre de sortir de
leur difficulté.
Les convictions des professionnels apparaissent avant tout rattachées à la prise en
compte de la dimension humaine et personnelle de chaque adolescent accueilli. Ils
agissent pour permettre à l’individu, dans tout ce qu’il a de plus complexe, d’occuper
une place d’homme ou de femme bien dans sa vie et bien dans sa tête, responsable de
ses choix et de son parcours.
Par ailleurs quand ils oeuvrent pour que les adolescents construisent un projet, nous
pouvons alors comprendre que c’est un aspect à la fois concret, mais aussi réducteur de
ce que les éducateurs pensent au plus profond de leur professionnalisme, mais aussi de
leur conviction de l’épanouissement de l’individu.
Du fait de cette tension entre deux aspects de l’action éducative, nous pouvons conclure
qu’il peut y avoir une discordance, qui vient agiter les professionnels et développe alors
chez eux un sentiment de malaise et de mécontentement. Ce malaise est d’autant plus
important que l’action quotidienne est lourde et qu’elle vient empêcher ou freiner la
mise en œuvre du projet d’insertion. Il peut alors en résulter un sentiment de nonréussite voire d’échec.
Le malaise s’inscrit alors dans une double dimension :
D’une part le sentiment de ne pas tenir compte avant tout de son éthique de convictionancrée dans les fondements des éducateurs (émancipation et réparation)-, en priorisant
l’action concrète nécessaire mais réductrice.
D’autre part, le sentiment de ne pas réussir à mettre en œuvre réellement l’éthique de
responsabilité ancrée dans le projet social intégré par les éducateurs-, du fait notamment
des difficultés du quotidien, rencontrées par les professionnels.
Il ne faut cependant pas se montrer caricatural en laissant penser que les éducateurs ne
sont ancrés que dans l’éthique de conviction, ne partageant pas, par ailleurs, ce qui est
porté par la société et qui détermine de fait, des objectifs éducatifs pour les
professionnels. Nous pouvons en effet comprendre que les choses sont plus complexes
et plus diffuses et ne peuvent pas être schématisées par des blocs de conviction qui
s’affrontent. C’est pour cette raison, sans doute que les éducateurs, quand ils sont
interrogés sur les causes de leur malaise, ne peuvent pas y répondre facilement. Par
contre, ils ne remettent pas ou très peu en cause la nécessité d’agir concrètement et dans
un but opérationnel, auprès des adolescents. Ils sont tous convaincus de la nécessaire
inscription des adolescents dans un projet d’insertion scolaire et professionnelle.
2.4 Schématisation du résultat
Pour résumer plus simplement et plus clairement encore, le résultat de notre
recherche, nous proposons à présent un schéma récapitulatif :
Émancipation
Réparation
Technicien
Fondements de l’action
Attente de la société
 Permettre de faire le
choix de sa vie
 Contenir les jeunes
 Soutenir le jeune pour
qu’il dépasse ses
souffrances.
ÉDUCATEUR
 Inscrire les jeunes
dans un projet social
Éthique de
responsabilité
Éthique de conviction
Action éducative mal vécue :
 Expression de malaise
 Sentiment d’échec
 Démotivation
Chapitre 3. Accompagner les professionnels, pour éviter le
désenchantement
Dans son intervention195 lors du colloque d’Anthéa en mai 08196, N. Péchairal en parlant
des insatisfactions exprimées par les éducateurs, dans l’exercice de leur travail, rappelle
la nécessité pour les cadres éducatifs, de prendre en compte les écarts entre travail
théorique et travail réel. Elle insiste alors sur la nécessité de réduire ces écarts, en
mettant en œuvre des outils qui viennent « permettre de mettre des mots ». Il s’agit alors
de ne pas laisser les professionnels seuls avec leurs doutes, leurs inquiétudes et leur
« peur de mal faire ». C’est sans doute du côté de ces outils d’évaluation à mettre en
œuvre, qu’il est intéressant de s’attarder à présent. Nous avions dans le début de notre
travail197 évoqué une hypothèse de réponse à notre questionnement qui faisait état du
manque d’évaluation. Nous avions alors fait le choix de laisser cette hypothèse,
expliquant alors que dans l’établissement de référence, un énorme travail autour de
l’évaluation interne avait été mené avec les équipes et qu’une réflexion sur la mise en
œuvre de la loi 2002.2 avait été également menée. Il nous apparaît à la fin de ce travail
qu’il est nécessaire d’y revenir, non pas pour remettre en cause le travail
d’appropriation générale fait dans cet établissement, mais pour aller plus loin sur la
question de l’évaluation quotidienne du travail des professionnels, par eux-mêmes.
Nous nous situons là dans une démarche beaucoup plus précise et mettant en jeu de
manière plus flagrante encore la possibilité de mettre des mots sur ce qui est vécu au
195
196
197
La sanction aux limites de la responsabilité des institutions et des professionnels.
Sanction et punition en éducation, Anthéa, Marseille 18&19 mai 08.
Cf. page 39.
quotidien. Nous avons mis en évidence les sources des tensions internes en jeu dans le
travail éducatif quotidien. Les éducateurs pris dans leur action ne peuvent réussir
simplement à faire ce travail de mise à distance nécessaire pour porter un regard moins
négatif ou pessimiste sur son travail. Favoriser cette évaluation du quotidien, à partir
d’outils existants ou d’outils à créer, voilà ce qui nous apparaît important à présent.
Accompagner d’un côté les professionnels de terrain et d’un autre côté soutenir les
cadres chargés de cet accompagnement et de cette mise au travail, tels sont les deux
axes que nous avons retenus dans cette dernière partie de notre travail.
3.1 Evaluer son travail
3.1.1 L’évaluation en question
« Les discussions sur l’évaluation sont longtemps apparues comme
abstraites et ésotériques. Des débats fumeux dans l’empyrée des chercheurs et des
hauts fonctionnaires… Aujourd’hui le changement est radical. L’évaluation est à la
mode et les évaluateurs poussent comme des champignons après l’orage. Mais les
débats n’ont plus rien de sereins (…) »198. Cette affirmation a longtemps été partagée
par les professionnels de l’éducation spécialisée. Ceux-ci étaient en effet très rétifs à
toute idée d’évaluation. Le sentiment d’être jugé, mais également le sentiment que le
travail social ne peut être évalué, reviennent dans ce que disent les professionnels.
Michel Lecointe le résume dans un de ses ouvrages199, en disant : « qu’est ce qui fait
que les formations à l’évaluation ou les moments d’une formation qui abordent ce
problème sont des moments chauds, souvent conflictuels, parfois passionnels ?
Pourquoi de telles poussées d’adrénaline, des prises de parti ou des refus catégoriques,
une grande difficulté à aborder les pratiques réelles et à les travailler ? ».
198
Un médicament redoutable, C.Bachmann, in l’évaluation en travail social, études réunies par J.P Blaie
& A.kruc, Ed. PUN, Coll. Espace social-1988.
199
Les enjeux de l’évaluation, Michel Lecointe, Coll. Défi-formation- Ed. L’harmattan-1997.
3.1.2 Qu’est ce que l’évaluation ?
Avant d’aller plus loin dans notre tentative de mise en action des axes
d’accompagnement des professionnels, arrêtons tout d’abord sur quelques éléments de
définition de l’évaluation.
En 1987, dans la synthèse de ces travaux sur l’évaluation, l’Association Française pour
la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence (AFSEA), présente l’évaluation comme
une « démarche tendant à mesurer l’efficacité d’une action (…) »200.
De son côté, Charles Hadji, spécialiste de cette question, définit l’évaluation de la
manière suivante: « Evaluer n’est pas peser un objet que l’on aurait pu isoler sur le
plateau d’une balance, c’est apprécier un objet par rapport à autre chose que lui »201.
Il parle également « d’une opération par laquelle on prend parti, on se prononce sur
une réalité donnée à la lumière d’une grille de lecture exprimant, à l’égard de cette
réalité des exigences déterminées ». Alain TROGNON reprend quant à lui une
définition de BEAUVOIS qui en 1976 définissait les conduites sociales d’évaluation de
la manière suivante :
« C’est une conduite supposant l’adoption d’un code prédéterminé, par laquelle un
agent social porte un jugement à l’aide ou non d’une technologie (tests, examens, grille,
…), des conduites ou de leurs résultats d’un autre agent social. Jugement initiant une
ou des réponses de l’environnement sociales (sanctions) »202.
Enfin, pour sa part, Jacques FERAGUS rappelle que « l’évaluation dans sa sémantique
générale, induit l’action de déterminer la valeur de quelque chose. C’est une estimation
ou une mesure approximative »203.
Évaluer, c’est donc porter un jugement de valeur sur ses pratiques. C’est une manière de
comprendre l’impact de ce que l’on met en place dans sa pratique professionnelle. Cela
permet de pouvoir infléchir certaines actions, insister sur d’autres et en développer. Cela
200
In Cahiers d’E.C.A.R.T.S/ dossier l’évaluation en question n°5 1987.
L’évaluation en question, Charles Hadji- ESF éditeur, Coll.Pédagogies, 2ème édition, Paris 1990.
202
Problématiques de l’évaluation en travail social, Alain Trognon in l’évaluation en travail social, études
réunies par J.P Blaie & A.Kurc, Ed.PEN, Coll Espace social, Nancy, 1988.
203
L’évaluation : définition plurielle, Jacques Feragus, in l’évaluation dans le travail social- Ed I.E.S,
Genève 1989.
201
peut alors favoriser la créativité, amenant la personne qui évalue ses pratiques à
développer ses moyens d’action, sans pour autant renier ses valeurs et ses finalités.
Il est donc nécessaire au vu des différents constats auxquels nous sommes arrivés dans
ce travail de recherche de mettre cette dimension d’évaluation au cœur de la pratique
quotidienne des éducateurs d’internat. Plusieurs axes nous semblent devoir être retenus
ou rappelés.
3.2 Oser parler de ce qui est en action
Les éducateurs d’internat sont tiraillés et mis en tension entre leur éthique de
conviction et leur éthique de responsabilité. Ils sont au cœur de ces deux dimensions.
C’est donc dans cet entre-deux, qu’il est intéressant de rester. En effet, nul n’est besoin
de vouloir privilégier, l’une ou l’autre des dimensions, annulant par conséquent les
bénéfices de l’autre. Il s’agit à notre avis de comprendre ce qui peut se passer dans cet
espace entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Quels sont les impacts
de l’une et l’autre de ces dimensions ?
Travailler sur cette compréhension implique tout d’abord de repérer les différents
niveaux :
-
Aider les éducateurs à nommer leurs convictions, leurs valeurs éducatives, ce
qui anime au fond d’eux le désir d’agir.
-
Repérer, nommer et travailler les dimensions extérieures, les éléments du projet
institutionnel d’une part, mais aussi les contraintes extérieures qui peuvent venir
interférer dans l’action éducative. Nommons ici à titre d’exemple, les attendus
qu’un Juge des enfants peut faire apparaître dans un jugement de placement.
Permettre ce repérage et cette confrontation autour des différentes dimensions, c’est
donc mettre en œuvre des moments repérés dans l’action éducative. Insistons pour cela
sur quelques espaces clefs :
Nous pensons tout d’abord, aux réunions d’équipe. Combien de ces instances se
transforment exclusivement en temps d’organisation matérielle de la vie d’un groupe
d’adolescents ! Il est vital de redonner une dimension de pensée et d’élaboration
collective à cet espace. La réunion d’équipe souvent hebdomadaire doit être un lieu où
les situations des jeunes doivent être débattues, mais où l’équipe doit avoir le souci
partagé de permettre à chacun de faire part de ses questionnements, de ses doutes, de ses
incompréhensions face au type d’accompagnement éducatif mis en œuvre. C’est le
temps de l’expression libre, où chacun peut mettre en lumière la manière dont il pense
qu’il serait nécessaire d’agir. C’est à partir de ce que chacun apporte, que peut alors se
construire l’accompagnement de l’adolescent confié. Nous ne sommes jamais plus
intelligents que collectivement ! C’est dans ces moments-là que peuvent sans aucun
doute se rejoindre les convictions et la responsabilité.
En dehors de cette dimension de réunion d’équipe, il faut soutenir la nécessité
pour les éducateurs de pouvoir exprimer leurs désaccords, leurs doutes, leurs
incompréhensions et l’impact de tout cela dans leur envie d’agir. Pour cela, la
dimension de la supervision d’équipe ou de l’analyse de la pratique doit être défendue.
Il est en effet, fondamental qu’une équipe puisse bénéficier d’une dimension d’analyse
et de compréhension de ce qui se joue, en travaillant avec quelqu’un d’extérieur à
l’institution de rattachement. Quelqu’un qui n’ait pas d’implication institutionnelle,
comme peut l’avoir le psychologue de l’établissement susceptible d’intervenir auprès
des jeunes. Cet espace de travail doit être défendu et soutenu par l’institution ellemême. Le superviseur extérieur est alors quelqu’un qui peut entendre les tensions
vécues par chacun des professionnels, qui peut aider à les formuler, à les expliquer et
qui peut alors tenter d’aider à sortir du malaise qui peut exister.
Nous nous situons pleinement dans cet espace intermédiaire qui met en jeu à la fois les
convictions profondes des professionnels, mais aussi les aspects extérieurs en cours
dans la prise en charge éducative.
3.3 Poser les bases d’une évaluation régulière des situations des
jeunes
Mettre en œuvre cette orientation, c’est explicitement faire référence à la loi
2002.2. En effet dans cette loi, il est clairement fait état de l’obligation de mettre en
oeuvre le Document Individuel de Prise en Charge204 des jeunes accueillis. Il s’agit
alors dès le début de la prise en charge en établissement, de déterminer les axes
principaux de l’intervention éducative. Les différentes dimensions sont alors mises en
mots :
-
Les attendus fixés par le Juge des enfants ou le conseil général.
-
Les attentes du jeune accueilli et de ses parents.
-
Les objectifs fixés et les moyens mis en œuvre par l’établissement d’accueil.
Ce document initial est un outil important à faire vivre dans une équipe éducative, car
cela permet de pouvoir s’y référer, de le reprendre régulièrement et de s’appuyer sur son
contenu pour voir si des choses bougent, si la situation du jeune est en évolution
positive ou négative. C’est autant de moments possibles pour que les professionnels qui
interviennent au quotidien auprès du jeune puissent faire part de leurs constats, puissent
partager leurs doutes ou leurs questionnements quant aux objectifs éducatifs initiaux.
C’est le temps de la confrontation entre ce que l’on perçoit, ce qu’on pense être
nécessaire et ce qui ne fonctionne pas. C’est un espace de création collective où chacun
peut faire part de ses convictions, mais peut entendre également celles de ses collègues,
mais aussi les éléments du contexte qui peuvent influencer la prise en charge. Ainsi
régulièrement dans les réunions d’équipe ou dans des réunions réservées au DIPC, les
différentes dimensions doivent être reprises et débattues, pour évaluer les objectifs fixés
dans la prise en charge spécifique d’un jeune205.
3.4
Poser
les
bases
de
l’évaluation
individuelle
des
professionnels
C’est une autre dimension importante à mettre en évidence pour favoriser
l’expression des doutes et des malaises d’une part, mais également pour permettre aux
professionnels de faire évoluer leur vision des situations, sans pour autant annuler leurs
propres convictions éducatives. Ainsi, un temps d’entretien d’évaluation doit être
proposé aux éducateurs. C’est alors un moment exceptionnel de prise de distance par
204
Le plus souvent appeler par son sigle DIPC.
Nous proposons au lecteur de se référer aux exemples d’outils qui favorisent ce travail et joints en
annexe du présent travail.
205
rapport à ce qui est vécu au quotidien par le professionnel. C’est un temps qui est
déconnecté d’évènements ponctuels, mais qui a comme support le vécu du
professionnel :
-
comment exerce-t-il ses missions ?
-
quel regard porte-t-il sur cet exercice ?
-
quelles difficultés rencontre-t-il ?
Ce sont autant de questions206 qui doivent permettre à l’éducateur de parler de ce qu’il
vit au quotidien dans son accompagnement éducatif. C’est alors un espace d’expression
dans lequel, le professionnel peut faire part de ses incompréhensions, voire de ses
désaccords, mais aussi de sa vision des choses et des valeurs ou convictions qu’il
défend. C’est outil doit être défendu comme étant un moment privilégié, pour tenter de
faire se rencontrer convictions et responsabilités. C’est une nouvelle fois la possibilité
de porter un regard sur cet entre-deux, dans lequel se construit la pratique éducative.
3.5 Réintroduire une dimension triangulaire : la place de
l’institution
Les différentes propositions que nous avons faites plus haut n’ont aucun sens, si
elles ne sont pas portées par l’institution. En effet, pour que les éducateurs puissent
s’autoriser à parler de leurs doutes et de leur insatisfaction, il est indispensable qu’ils se
sentent autorisés à le faire. Il est en effet impossible pour chacun d’entre eux d’oser
mettre des mots sur leur vécu et leur ressenti, s’ils ont le sentiment qu’ils seront maljugés et que ce qu’ils disent pourrait être des éléments portés à leur discrédit.
L’institution doit être le lieu où l’on peut douter, où l’on peut exprimer ses réticences et
son sentiment de « faire fausse route ». Cela doit être le lieu où les idées peuvent se
rencontrer, où les professionnels peuvent confronter leurs désaccords, pour permettre
ensuite l’émergence d’accords sur les missions et les moyens utilisés. Ce n’est qu’à ce
prix que chacun ayant le sentiment d’être entendu dans ces convictions, pourra faire des
concessions, trouver des compromis, sans nier et mettre de côté ce qu’il souhaite
206
Ces exemples de questions, support à l’entretien d’évaluation sont développés de manière plus
approfondie, dans une trame qui peut être proposée à titre d’exemple et mise en annexe du présent
document.
défendre. C’est dans cet espace de parole, validé institutionnellement que va se créer la
pratique éducative des équipes.
L’institution est donc être au cœur de cette démarche, elle doit être le tiers entre les
problématiques des jeunes accueillis- car c’est elle qui valide leurs admissions au sein
de l’établissement- et l’action éducative quotidienne des professionnels mise en œuvre
au bénéfice de ces jeunes.
Il est cependant important de ne pas désincarner l’institution qui n’est pas et ne doit pas
être une coquille vide, mais qui est l’endroit où convergent différents aspects externes et
internes complémentaires207 :
- L’analyse d’un réalité sociale
- Une politique nationale et sa traduction au niveau décentralisé
- Une commande sociale
- Une philosophie institutionnelle de l’éducation et sa traduction en projet de
prise en charge
- L’action de différents professionnels réunis autour d’un projet commun.
Pour faire vivre ce projet et permettre la rencontre des différents acteurs, l’institution
doit être portée par une direction clairement repérée et garante du projet
d’établissement. Les différents acteurs de cette direction ont, bien entendu, des rôles
différents. Il nous apparaît dans le cadre de notre travail et des différentes conclusions
mises en avant, nécessaire de parler plus particulièrement du rôle et de la place du Chef
de service. En effet, ce dernier est celui qui a pour fonction notamment, d’animer les
équipe éducatives. Il est celui qui est confronté en premier aux questionnements et aux
difficultés des éducateurs. Rappelons nous que c’est d’ailleurs à partir de ses constats et
de ses propres questionnements que nous avons construit nos questions de départ,
charpentes de notre recherche.
Le Chef de service est un cadre intermédiaire. C’est sans doute là que prend toute la
force de cette dénomination : intermédiaire. En effet, si le Chef de service doit
appartenir pleinement à une équipe de direction et en ce sens participe alors à la
définition des orientations du projet d’établissement, il est aussi celui qui est au contact
direct de ses équipes. Il est celui qui entend les difficultés de ses éducateurs. Il est celui
207
Nous retrouvons là tous les éléments constitutifs de l’éthique de conviction et de l’éthique de
responsabilité mis en évidence dans le présent document.
qui doit avec eux tenter d’y apporter des solutions. Le Chef de service est à la fois
garant du projet institutionnel et le garant du bon fonctionnement d’une équipe, de sa
bonne santé au sens de son équilibre et d’une collaboration interne réelle et efficace. Il
est celui qui doit rappeler les exigences du placement d’un jeune, comme les attendus
d’un Juge des enfants par exemple, mais il est aussi celui qui doit tenir compte entendre
et prendre en compte les difficultés rencontrées par les éducateurs, des doutes énoncés
et des sentiments d’impuissance exprimés. C’est en ce sens qu’il est intermédiaire.
Le rôle du Chef de service, dans cette dimension d’accompagnement à la pensée, n’est
pas de supprimer le doute, élément important pour permettre de repenser régulièrement
sa pratique. Il doit permettre à chacun des membres de son équipe d’oser dire et de
tenter de clarifier ses positions, ses questionnements. Il est en effet nécessaire de
permettre :
-
Que chaque professionnel puisse à la fois parler de ce qui anime son action, son
envie d’agir auprès des jeunes dont il a la charge.
-
Que chaque professionnel puisse exprimer ses inquiétudes, ses constats quant
aux difficultés de prise en charge des jeunes.
-
Que chaque professionnel puisse participer à l’élaboration des orientations du
projet éducatif de son unité de travail.
-
Que chaque professionnel réentende les demandes de l’institution et des
partenaires et des organismes de tutelle.
Ce n’est qu’en privilégiant ce processus que chacun pourra à la fois faire vivre ses
valeurs et ses fondements tout en intégrant clairement les demandes sociales, sans avoir
un sentiment de tension qui vienne empêcher ou freiner la création et l’envie d’agir.
Faire vivre en bonne intelligence figure d’émancipation et de réparation et figure du
technicien, car comme nous l’évoquions plus haut : « il va de soi que l’éthique de
conviction n’implique pas l’absence de responsabilité, ni l’éthique de responsabilité,
l’absence de conviction »208. L’éducateur ne s’appuie pas sur son éthique de conviction,
même si nous avons pu le voir, celle-ci occupe une place importante dans ce qui les
fonde à agir. Il s’est également construit professionnellement en intégrant un discours
social déclinés en objectifs sociaux guidant la prise en charge éducative des jeunes
208
Le savant et le politique, une nouvelle traduction, Max Weber- Ed. La découverte-2003.
adolescents en difficultés. Les conceptions éducatives ont évolué au fils des siècles209 et
c’est aussi dans cette histoire que le professionnel forge son identité professionnelle.
L’une et l’autre des éthiques fondent l’individu dans son action professionnelle. Il faut
alors veiller à ce que l’une ne vienne pas prendre une place trop importante,
développant alors un sentiment de malaise.
L’évaluation des pratiques dans toutes ses dimensions est un outil nécessaire pour
permettre la cohabitation des différents niveaux d’éthique :
-
Pour porter un regard et mettre des mots sur les pratiques partagées au sein
d’une équipe.
-
Pour porter un regard sur la situation des jeunes, dans ses aspects positifs mais
également négatifs, sans oublier de resituer ce dernier dans sa responsabilité.
Nier celle-ci dans l’évolution positive de sa situation reviendrait à nier sa
personne.
-
Pour permettre à chaque professionnel de porter un regard sur son propre
parcours professionnel et les axes d’évolution possible.
209
Cf. Chapitre 1 de la première partie : dispositif de l’action sociale et médico sociale en France.
Conclusion de la partie
Dans cette partie, nous avons pu mettre en évidence tout d’abord, une réponse à notre
question centrale, en faisant émerger les trois figures sur lesquelles, les éducateurs
d’internat que nous avons rencontrés fondent leur action : la figure de l’émancipation, la
figure de la réparation et enfin la figure d’éducateur technicien. C’est à partir de ces
trois éléments clefs, que nous avons pu faire l’hypothèse, en nous appuyant sur le
concept de Max Weber relatif à l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité,
que les éducateurs vivaient une tension importante entre ces deux les deux aspects de
l’éthique. D’une part l’éthique de conviction que nous avons rattachée à la double figure
de l’émancipation et de la réparation et d’autre part l’éthique de responsabilité que nous
avons rattachée à la figure de l’éducateur technicien.
Cette tension peut alors expliquer l’expression du malaise et de l’insatisfaction que nous
avions identifiée au départ de notre recherche. Les éducateurs sont tiraillés entre d’une
part, leur éthique de conviction qui est souvent rattachée à leur propre parcours et qui a
pour but d’apporter aux jeunes dont ils s’occupent l’envie d’être avant tout acteur de
leur vie, même si le cheminement est long et sinueux et que les évolutions ne sont pas
visibles facilement et d’autre part l’éthique de responsabilité, rattachée aux exigences
sociales d’agir pour permettre aux jeunes d’être intégrés socialement.
Dans le dernier chapitre de cette partie, nous avons alors interpellé les cadres
responsables des équipes d’éducateurs d’internat, pour leur rappeler leur responsabilité
importante, pour accompagner et soutenir leurs équipes, afin qu’elles puissent dépasser
cette tension en les aidant à identifier ce qui les anime. Nous leur avons alors fait la
proposition de s’appuyer sur les différentes possibilités d’évaluation qui s’offrent à eux,
pour créer les conditions favorables à ce travail d’identification et de compréhension de
ce qui est en jeu dans le travail quotidien des éducateurs d’internat.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Rappelons tout d’abord notre question centrale : À partir de quelles représentations,
les éducateurs de l’Espace Adolescents du Codase fondent-ils leur action auprès
des adolescents placés en internat éducatif ?
Cette question avait été guidée, par notre expérience de Chef de service éducatif au sein
de l’Espace Adolescents. En effet nous étions dans cette activité, régulièrement le
témoin de discours très contrasté des éducateurs au sujet de leur action éducative auprès
des adolescents placés dans notre établissement. Beaucoup d’entre eux portaient un
regard très critique sur leur travail, s’interrogeant notamment sur sa pertinence et sur
l’impact positif de celui-ci dans l’évolution des jeunes. Doutes et insatisfactions
restaient très ancrés, malgré les paroles des cadres de l’institution tentant de venir
atténuer cet état de fait en pointant de leur côté les avancées réelles des jeunes.
Nous avons donc fait le choix de donner la parole à ces professionnels de l’éducation
spécialisée, pour tenter de comprendre ce qui fondait leur action et tenter dans un
deuxième temps de faire émerger une hypothèse de réponse à nos questions de départ, à
savoir pourquoi cette expression de malaise, d’insatisfaction et de doute de la part des
éducateurs d’internat ?
Nous sommes allés à la rencontre de dix éducateurs à qui nous avons donné la parole,
pour qu’il nous parle de leur travail. Nous les avons invités à partir d’un guide
d’entretien à nous expliquer leur action quotidienne, les difficultés qu’ils peuvent
rencontrer mais aussi les éléments de satisfaction qu’ils perçoivent.
Nous avons fait le choix de traiter les entretiens à partir de trois axes principaux : le
discours sur le parcours personnel et professionnel, le discours sur le métier d’éducateur
et enfin le discours sur les jeunes pris en charge. Ce triple traitement nous a ensuite
permis une analyse approfondie que nous avons passée au filtre de ce que nous avons
appelé les figures d’éducateurs.
La lecture de différents auteurs nous avait en effet permis de faire émerger des modèles
d’éducateurs que nous rappelons ici succinctement : l’éducateur émancipateur,
l’éducateur réparateur et enfin l’éducateur technicien
L’analyse que nous avons mise en œuvre, nous a permis de mettre en évidence tout
d’abord que les éducateurs se rattachent prioritairement aux deux premières figures. Les
éducateurs semblent en effet asseoir leur action sur des fondements humanistes qui les
conduisent à soutenir et aider les jeunes dont ils ont la charge, pour que ceux-ci puissent
être acteurs de leur propre vie.
Aider à faire des choix est sans aucun doute le premier axe partagé par les éducateurs.
Ceux-ci quelle que soit la manière dont ils peuvent s’y prendre par la suite souhaitent
avant tout que les adolescents soient maîtres de leur vie. Nous avons d’ailleurs pu
constater que ce fondement de leur action s’origine pour beaucoup dans leur propre
parcours de vie, car les éducateurs pour la plupart ont du, à un moment donné de leur
parcours, faire un choix qui venait remettre en cause les orientations initiales, pour
devenir alors éducateur !
Soutenir les adolescents pour les aider à sortir des souffrances personnelles est le second
axe que nous avons relevé et que nous avons associé alors à la figure de l’éducateur
réparateur. En effet, au fil des discours, les professionnels ont beaucoup développé leur
constat de souffrances des jeunes accueillis. Nous pouvions alors comprendre qu’il
s’agissait pour eux de les aider à en sortir.
Ce sont donc les deux fondements principaux que nous avons retenus, mettant ensuite
en évidence des éléments se rattachant à la troisième figure : l’éducateur technicien,
celui qui vient aider très concrètement le jeune à bâtir un projet d’insertion sociale Ce
troisième aspect nous est apparu comme étant un axe que les professionnels ont intégré
mais qui semblait se rattacher plus à une demande de la société. Nous n’avons pas
souhaité les mettre en opposition, mais plutôt marquer que les éducateurs fondent tout
d’abord leur action sur les deux premières figures qui proviennent de leur propre
histoire et de leur propre parcours. Ensuite ils soutiennent un troisième axe dicté par le
contexte social, l’environnement et sans aucun doute leur propre formation
professionnelle. C’est d’ailleurs ce que nous avions mis en lumière dans notre première
partie en insistant tout d’abord sur l’évolution historique de la protection de l’enfance,
puis ensuite en rappelant que les travailleurs sociaux ont toujours été au cœur des
questionnements sociétaux sur leur action.
Fort de ces analyses, nous avons alors fait le choix de tenter de les comprendre à partir
du concept de Max Webern, relatif à l’éthique de conviction et l’éthique de
responsabilité. En effet, dans le cadre d’un colloque sur l’éducation, nous avions été
interpellé par un intervenant qui avait fait le même constat que nous concernant la
malaise des éducateurs. Le concept de Weber était alors développé, nous interpellant sur
notre propre recherche !
En reprenant nos éléments d’analyses nous avons alors pu rattacher les trois axes
développés précédemment, au double concept de Weber.
Tout d’abord, il nous est apparu que la référence première aux figures d’éducateur
émancipateur et d’éducateur réparateur, pouvait être rattachée à l’éthique de conviction.
C’est-à-dire à ce qui anime le professionnel, sans tenir compte à priori des
conséquences et des résultats. En effet, les éducateurs quand ils souhaitent aider les
adolescents à faire leur propre choix de vie tout en les aidant à sortir des souffrances qui
les engluent ne sont pas fixés sur l’idée de la réussite sociale. C’est avant tout
l’équilibre personnel des adolescents qui est visé. Le résultat obtenu n’est pas forcément
visible ou décryptable immédiatement par la société.
Par contre la référence à la figure de l’éducateur technicien peut quant à elle être
rattachée au concept d’éthique de responsabilité. Il s’agit bien ici de permettre une
véritable et concrète insertion des jeunes dans la société, en les soutenant dans la
construction d’un projet de formation et en les aidant à être intégré et non pas en marge
de cette société.
Ces deux aspects du concept que Weber avait mis en évidence dans deux personnages :
le savant et le politique, nous le retrouvons quant à nous à l’intérieur d’une même
personne, à savoir l’éducateur. Nous avons pu faire une hypothèse de réponse à notre
problématique de départ : tenter d’expliquer le malaise et le doute :
La cohabitation de l’éthique de responsabilité et de l’éthique de conviction dans ce qui
anime les éducateurs crée de la tension, qui si elle n’est pas repérée et mise en mots, se
transforme en malaise et en insatisfaction.
Les éducateurs sont traversés, souvent de manière inconsciente, par ces deux éthiques. Il
ne s’agit pas pour les cadres de tenter d’annuler l’une ou l’autre de ces éthiques, car il
apparaît en effet, à la lumière du travail de Max Weber, que le professionnel pour
travailler à besoin des deux. Besoin de s’appuyer sur des convictions fortes qui
soutiennent l’envie d’agir et besoin de s’appuyer sur une éthique de responsabilité qui
permet à ce professionnel d’agir dans une réalité sociale et sociétale, avec ses
contraintes, ses limites et ses exigences.
Pour terminer ce travail de recherche, nous avons fait le choix de nous adresser alors à
ces cadres, responsables des équipes d’éducateurs. En effet, c’est à eux qu’il revient en
premier, du fait de leur fonction d’encadrement intermédiaire, de soutenir le travail des
éducateurs. Il s’agit alors de permettre à chacun de pouvoir exprimer et mettre en
lumière ce qui les anime et ce qui motive leur envie d’agir.
Pour permettre cela, il faut soutenir l’évaluation des pratiques selon différents axes que
nous avons relevés dans le dernier chapitre de notre troisième partie :
-
Développer l’évaluation des projets des jeunes accueillis, à partir du
développement et de la véritable utilisation des outils préconisés dans la loi
2002.2
-
Développer l’évaluation des actions éducatives menées, au sein des réunions
pluridisciplinaires, mais aussi grâce à la supervision des équipes qui doit être un
axe fort soutenu par les équipes de direction des établissements.
-
Favoriser l’évaluation personnelle et partagée des professionnels, grâce à
l’entretien annuel d’évaluation.
La valorisation de ces différents outils, au service des cadres et des éducateurs, est un
atout qui permet la circulation de la parole professionnelle. Cela permet l’expression des
doutes et des insatisfactions, d’une part, mais cela permet d’autre part de mettre en
avant ce qui se passe concrètement dans les prises en charges, cela permet également de
faire évoluer les projets des jeunes et les projets de groupe en tenant compte des
remarques et des préconisations des professionnels eux-mêmes. Nous pouvons alors
penser que chacun aura la possibilité d’être entendu dans ce qui lui tient à cœur et
d’entendre aussi ce qui fait le cadre du projet et des limites nécessaires de l’action
éducative engagée. Par conséquent, la cohabitation entre éthique de conviction et
éthique de responsabilité sera moins vécue comme une tension interne qui développe le
sentiment d’insatisfaction.Il faut cependant rester convaincu que le travail social
nécessite de maintenir un niveau de doute suffisant pour favoriser la remise en cause
des pratiques et éviter de basculer dans la toute puissance dévastatrice pour ceux qui
auraient à subir le dictat de la « bonne pensée ».
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2
Sciences humaines
Avril 1993. Les représentations, images trompeuses du réel. N°27
ANNEXES
SOMMAIRE DES ANNEXES
I. CARTE D’IDENTITE DES PERSONNES INTEROGÉES
II. GUIDE D’ENTRETIEN
III. DEUX EXEMPLES DE TRANCRIPTION D’ENTRETIEN
IV. EXEMPLE DE GRILLE DE TRAITEMENT DES ENTRETIENS
V. EXEMPLE DE GRILLE D’ENTRETIEN ANNUEL D’ÉVALUATION
I.
CARTE D’IDENTITÉ DES PERSONNES
INTERROGÉES
Sexe
Age
Diplôme210
Date
diplôme
Alberte
F
40 +
CAFME
2002
Boris
M
30-35
CAFME
2006
Charlotte
F
- 30
DEES
2006
Danielle
F
- 30
DEES
2006
Evelyne
F
40 +
DEES
2000
Fabien
M
35-40
CAFME
2001
Gaston
M
40+
DEES
2006
Hélène
F
30-35
DEES
2000
Isabelle
F
35-40
DEES
1998
SIGLES
DEES : Diplôme d’État d’Éducateur Spécialisé
CAFME : Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Moniteur Éducateur.
du
II.
La
GUIDE D’ENTRETIEN
situation
de
personne interrogée.
la *Sa trajectoire personnelle Parlez-moi rapidement de
et professionnelle.
*Sa
votre parcours.
situation
dans Quelle est votre place
l’institution.
La description du travail *Parler
effectué
raconter
des
son
dans cet établissement ?
tâches, Pouvez-vous me parler de
quotidien votre
d’éducateur en internat.
travail
au
quotidien ?
Qu’est
ce
que
vous
faites ?
Parler sur ce quotidien
*Qu’est
ce
difficile.
qui
est Donnez-moi
l’exemple
d’une situation qui a été
dure à vivre ou à gérer
pour vous. Pourquoi ?
*Qu’est ce qui intéressant. Donnez-moi
l’exemple
d’une situation qui a été
intéressante ou valorisante
pour vous. Pourquoi ?
*Qu’est ce qui fonctionne Donnez-moi
bien.
l’exemple
d’une situation que vous
avez gérée et que vous
avez trouvée positive ou
réussie.
*Qu’est ce qui apprécié Qu’est
dans ce travail.
appréciez
ce
que
dans
vous
votre
travail ?
Être éducateur
*Le vouloir faire
Quand vous travaillez en
internat
avec
ces
adolescents, quel est votre
*Le devoir faire
but ? Qu’est ce que vous
voulez faire ?
Qu’est ce que vous pensez
qu’on attend de vous ?
(hiérarchie,
travailleurs
sociaux, juges, familles)
*Le Pouvoir faire
Pour vous c’est quoi un
mauvais éducateur ?
Quelles sont les qualités
d’un
bon
d’internat ?
éducateur
III. DEUX EXEMPLES DE TRANSCRIPTION
D’ENTRETIEN
A. Entretien avec ISABELLE (le 16 janvier 07)
Présentation du cadre de l’entretien
Dans un premier temps est-ce que tu peux te présenter, me parler de ton parcours
professionnel
avant de rentrer en formation, j’ai fait un stage de découverte en internat sur Avignon,
parce que je suis d’Avignon, dans un lieu qui s’appelle la Verdière, je pense que c’est
important parce que c’est un lieu plus ou moins pilote où déjà il travaillait sur les projets
individualisés qu’ils avaient déjà mis en place. C’est la personne qui a créé le chalet
langevin. Donc voilà, après je suis rentrée en formation à Grenoble à l’IUT (en quelle
année ça ?) en 95 je suis rentrée euh et puis j’ai fait mon stage long en prévention sur le
quartier mistral et puis j’ai fait des remplacements au home, quand j’étais en troisième
année, quand j’étais en stage en prévention et donc quand Daniel Masegosa était chef de
service et puis quand j’ai été diplômée ils m’ont rappelée en septembre pour faire des
remplacements et puis depuis je suis là (c’était en 98 ?) en 98. Septembre 98. J’ai fait le
Home et les alizés en sachant que depuis, j’ai fait deux coupures de un an pour mes
deux grossesses.
d’accord et qu’est ce qui t’a fait choisir cette,… ce choix de dire je vais aller faire ma
formation d’éducatrice spécialisée )
euh j’ai fait du droit, je voulais être juge pour enfant et je me suis rendu compte que le
droit c’était pas pour moi et que ce qui m’intéressait c’était le terrain , donc et puis après
c’est des parcours de vie, des rencontres qui ont fait qu’à un moment donné je me suis
posé la question mais pourquoi pas ? Donc c’est ce qui m’a amené à faire un stage de
contact donc, et puis j’étais pionne dans un lycée en ZEP. Donc tout a fait que je me
suis dit oui je vais essayer. J’ai passé les concours et j’ai réussi
d’accord, donc à la fois c’est le croisement d’intérêts, de rencontres et d’expériences
qui ont fait que … )
oui voilà
que tu te retrouves à l’IUT
et j’ai fait le choix des IUT parce qu’en fait, que j’ai passé plusieurs endroits
Montpellier, Marseille et Grenoble, parce que j’étais du sud et j’ai réussi Marseille et
Grenoble et j’ai fait le choix de l’IUT, parce que je trouvais que c’était intéressant qu’il
y ait les trois euh
filières ?
voilà, animateurs socio culturels, As et éduc qui soient, qu’il y ait des cours communs,
je trouvais que c’était intéressant
d’accord, alors est-ce que tu peux, … Tu es dans un repas et on te pose la question
qu’est ce que tu fais comme travail, tu expliques quoi ?
Je suis éducatrice spécialisée !
et ça consiste en quoi ?
donc ben moi je travaille dans un foyer, un internat avec des adolescents qui ont entre ,
je dis entre 16 et 18 , parce que c’est à peu près la réalité, donc voilà ! et la réponse que
j’ai c’est oh c’est dur ! ben non c’est comme tous les métiers, il y a du bien et du moins
bien , voilà. Et quand ils me demandent ce que je fais, ben c’est je m’occupe d’eux au
quotidien déjà et pis ben c’est des jeunes qui ont besoin d’être aidés soit dans des
recherches de scolarité, de.. dans des recherches professionnelles et dans leur quotidien
et tout ce qui est relation à l’autre, tout ce qui est, …. Voilà !
d’accord
mais je ne m’appesantis pas vraiment, quand euh, parce que souvent les réactions qu’on
a c’est oh là là c’est dur, c’est une vocation, il faut … Et pour moi c’est pas une
vocation d’être éducateur
c’est quoi alors si c’est pas une vocation ?
parce que dans une vocation, dans le terme de vocation y a comme si on avait pas le
choix
d’accord
une vocation c’est ….
une destinée quoi !
voilà une destinée, moi j’estime non, qu’à un moment donné on fait le choix ou non
d’être éducateur. Qu’on est une sensibilité pour, oui !mais c’est pas une obligation,
j’aurais pu faire autre chose
oui oui d’accord je comprend, c’était pas destiné, c’était pas tracé
voilà
c’était des rencontres faites qui ont ?
voilà même si c’est vrai que pour pouvoir apprécier ce métier, oui pour l’apprécier et
prendre du plaisir , il faut avoir une sensibilité qui fait que … euh, on est bien …. euh
on peut être éducateur quoi, car sinon je pense qu si on a pas cet intérêt là on peut
s’ennuyer quoi ou passer à côté des choses quoi
et toi qu’est ce qui t’a fait plutôt choisir cette population et plus particulièrement
l’internat ? parce que si tu y es depuis en gros 98 et que tu y es encore aujourd’hui, et
qu’il y presque 10 ans qui sont passés, c’est qu’il y a quelque chose qui fait que
alors déjà, le choix de la population, ben c’est que j’ai fait des stages, en … enfin déjà
ce qui m’a amené au métier d’éducateur spécialisé c’est qu’à la base c’étaient plus des
rencontres avec ce public là, ce style de jeunes là, déjà c’est ça qui m’a interpellé. Les
stages que j’ai fait avec des personnes, c’étaient des enfants handicapés mentaux
profonds, j’ai pas trouvé l’intérêt que je peux y trouver avec des adolescents en
difficultés, voilà. Ca ne me renvoyait pas les mêmes choses et j’avais pas l’impression
d’être aussi euh…performante ou en tout cas, … voilà. Et l’internat donc, du coup
après, … mon stage en prévention m’a beaucoup appris sur le milieu ouvert et sur les
questions qu’on peut se poser en milieu ouvert, mais je me suis rendu compte aussi que
…, en tout cas moi dans ce que j’étais, que j’avais besoin du quotidien et j’avais besoin
de la relation au quotidien qui permet une implication plus, oui plus affective que la
prévention, en tout cas pour l’instant et que j’avais envie de passer par l’internat avant
de repartir sur du milieu ouvert, pourquoi pas
ce que tu dis là plus affectif, c’est à dire ?
dans la re…, ben au quotidien, dans la vie au quotidien, dans le contact, parce que c’est
vrai en prévention ben on est pas obligé
(tu veux dire dans un lien plus fort)
dans un lien plus fort, plus … plus constant, plus régulier
(d’accord)
voilà
oui je comprend, plus qu’en prévention où le lien n’existe que si tu le suscites
vraiment
que si je le suscite et que le jeune le désire
(oui)
là de toute façon il y est, donc euh… de fait il y est, enfin il est à construire, mais de
fait il y a la personne en face de soi, … euh et après …c’est quoi la suite de la
question ? Pourquoi ? ah oui pourquoi depuis tu es en internat ?
(oui …)
ben oui du coup en 98, j’ai eu cette opportunité de rentrer en internat. Je pense que ce
qui fait aussi que je suis toujours aux alizés, c’est qu’on a eu le déménagement qui a
permis aussi une cassure entre le Home et les alizés. Pour moi c’était deux lieux
différents, donc un travail différent aussi, les deux ans de pause que j’ai fait à chaque
fois aussi qui m’ont permis de prendre du recul et de revenir avec des idées nouvelles et
une énergie qui je pense au fil du temps s’amenuise quand je pense qu’on y est au
quotidien et la tête dedans tout le temps et puis l’internat pour un conflit (corrigé en
confort) personnel aussi, parce que mine de rien les horaires, ouaih, c’est avantageux
(pour permettre de concilier vie personnelle, familiale et vie professionnelle ?)
voilà !
d’accord, … alors est ce que, pour parler un peu de ce quotidien que tu as à grands
traits dépeint, est ce que tu pourrais me donner l’exemple d’une situation plus ou
moins récente, à toi de choisir, qui était pour toi, on va dire, dure à vivre, à gérer et
pourquoi ça l’a été difficile ? à gérer ?
euh je réfléchis, le dernière que j’ai en tête, mais je ne sais pas si , … c’est lorsque N.
s’est euh s’est confronté physiquement à Samir
oui
voilà ! où ça a été très très violent pour moi à vivre. En même temps c’était quelque
chose de nécessaire et ça a été violent parce que c’est vrai ça s’est fait parce que c’était
dans les murs et qu’il fallait qu’à un moment donné on stoppe le comportement de
Nacim, dans les murs. Mais c’est vrai que toute cette violence s’est assez difficile à
vivre, l’arrivée de la BAC, avec l’intervention qui a été faite, de façon très… très
correcte mais qui était quand même assez violente, donc oui ça a été difficile
onh onh ! donc c’était quoi qui t’a le plus … c’est cette violence ? c’est que ça se
fasse avec un jeune que tu connaissais ? Qu’est ce que s’est qui était le plus difficile à
vivre ? C’était la violence pure j’allais dire euh..
non pas la violence pure enfin si, quoi qu’en même temps c’était assez violent, donc la
violence pure, mais au delà de ça… tout le fait que oui c’était mon collègue et un jeune
que je connaissais … qu’on … qu’on suit et dont je suis référente et donc il y a en plus
tout un travail tout est questionnement qui fait en plus, autour de ce jeune et que euh à
un moment donné on soit obligé d’en arriver là pour le stopper, c’est vrai que ben oui, le
pouvoir des mots il existe plus . On avait plus cette possibilité là et que il fallait passer
au delà quoi
(d’accord)
il ne nous entendait plus et c’est un peu un constat d’échec à un moment donné
(c’est comme ça que tu l’as senti quoi?)
sur le moment oui, après avec le recul non, mais sur le moment c’est se dire ben on
arrive pas à … en discutant en pesant les choses de façon posée et calme on arrive pas à
faire avancer. Donc il faut à un moment donné mettre une barrière autre
(c’est ça, la parole n’est peut être plus assez performatrice ? C’est dans autre chose ?)
voilà et c’est aussi du coup, c’était aussi difficile le soir, après , les questions des autres
jeunes, « mais pourquoi vous avez appelé la police ? pourquoi, … » ils avaient du mal à
entendre, bien que très vite ils ont assez vite compris, mais au départ ils comprenaient
pas pourquoi on avait été obligé de les appeler. Ben je leur ai dit on arrivait à nos
limites, c’étaient nos limites d’humains, de professionnels, et on pouvait pas aller au
delà quoi ! Ben c’est ce constat de se dire ben oui on peut ne pas y arriver, même si on
le sait constamment, mais là c’est dur quoi de faire intervenir une tierce personne, la
police ! Enfin bon c’est compliqué.
(d’accord, est ce que tu pourrais me donner un exemple de situation contraire, c’est à
dire où tu as eu le sentiment d’une situation que tu as trouvée intéressante,
valorisante et pourquoi ça l’a été par rapport à ce que tu fais avec ces jeunes )
alors mois ce que je trouve valorisant pour moi, c’est quand des anciens jeunes me
rappellent, c’est ça surtout., enfin Parce que dans le quotidien, il y en a toujours des
choses valorisantes, mais on les perçoit pas forcément tout de suite, ça se fait, on y est
dedans, on les vit. Par contre c’est vrai quand des jeunes que l’on a accueillis il y a
quelques années, nous rappellent pour nous dire où ils en sont, ou ou euh simplement
parce qu’on a été des personnes repères à un moment donné et qu’ils sont fiers de nous
dire « voilà maintenant j’en suis là », ou qu’ils ont une question ou que, ça je trouve que
c’est, … ben oui ça montre qu’à un moment donné on a compté, qu’on a pu les aider et
que même si c’était difficile au moment où on le faisait avec eux, ben ils en ont retenu
des choses et voilà, qu’on …
(tu dis qu’en fin de compte ça te permet quelque part de faire une évaluation de ton
travail)
voilà c’est ça
(enfin à posteriori ?)
oui à posteriori, parce que sur le concret c’est rare qu’on se dise, quand on est au
quotidien, c’est très rare qu’on se dise ce jeune, vraiment c’est bon il a bien avancé . On
le dit il a avancé, il a fait du chemin mais souvent quand ils partent de chez nous, il reste
encore du chemin à faire, y a encore, ….et je crois que c’est vrai , c’est quand un an
deux ans après il nous rappelle et il nous dit voilà , ça y est j’en suis là, j’en suis là, on
se dit bon OK on a servi à quelque chose, on les a aidés à arriver là où ils s’en sont quoi.
A un moment donné, ils ont entendu ce qu’on pouvait leur dire, même s’ils l’ont pas
utilisé au moment où ou leur disait.
(d’accord, et donc toi qu’est ce que tu, dans ce travail quotidien, apprécies ? qu’est ce
qui fonctionne bien dans ton travail éducatif ? Tout à l’heure tu m’as dit des choses
déjà mais)
qu’est ce que j’apprécie dans mon travail ? ben déjà juste pour dire, dans le quotidien il
y a plein de choses que j’apprécie pas non plus einh !
(oui oui !)
sur le fait où c’est lourd , c’est toute cette répétition constante de toutes les tâches qu’il
y a à faire, de tout… ça pour moi c’est assez pénible, après ce que j’aime dans le
quotidien, c’est ça, c’est la relation dans la continuité et dans le fait que on on … oui, on
créé quelque chose, on tisse une relation voilà !
(ce qui peut se faire parce que c’est de l’internat, parce que tu as les jeunes 24 sur 24,
c’est ça quand tu dis, ..cette image de tisser, c’est que progressivement il y a quelque
chose qui se construit ?)
voilà c’est ça et pis même moi, je veux dire au niveau de l’investissement que j’ai, j’ai
toujours dit, à un moment donné, j’avais l’impression d’avoir deux familles. Ma famille,
ma vie privée qui est quelque chose et puis quand je suis au travail, mine de rien vu que
j’y passe quand même un temps important, là je suis à mi temps mais, même au niveau
de l’investissement, quand j’y suis pour moi c’est quelque chose de de … oui, c’est un
investissement au quotidien de ma personne aussi, en tant que professionnelle, mais de
ma personne
(oui oui d’accord ! et alors de manière plus globale, euh … quand tu as décidé de
travailler , quand tu as fais ce choix de travailler en internat, de manière plus
générale, tu dirais c’est quoi ton but ? toi en tant qu’éducatrice)
c’est qu’à un moment donné dans le parcours des jeunes qu’on reçoit, peut-être les
accompagner dans leur vie et les aider à y voir un peu plus clair et peut-être les aider à
mûrir voilà … et essayer de leur faire comprendre qu’ils ont la possibilité de faire des
choix et leur donner, parce que je crois que c’est ça qui est difficile, parce qu’à un
moment donné, ils croient qu’ils sont obligés d’avoir un parcours. La plupart des jeunes
qu’on reçoit, ils ont l’impression de ne pas avoir le choix, de faire des choses qui leur
sont imposées qui leur sont … et que en fait leur faire comprendre qu’ils ont plusieurs
possibilités devant eux, que nous on pourra pas choisir à leur place, mais leur montrer
qu’ils ont ces choix là et les aider à, …à faire le bon choix ou en tout cas le choix que
moi j’estime être …
(oui !)
ce qui est super frustrant, c’est … enfin j’anticipe peut-être mais, ce qui est super
frustrant c’est justement quand on sait qu’il y des jeunes qui ont le potentiel, la capacité
de faire le bon choix, mais qui sont squizzés ou qui sont perturbés par tellement de
choses qu’ils arrivent pas à le faire et du coup pour reprendre ce que je disais tout à
l’heure, c’est quand des jeunes qu’on a accueillis il y longtemps, ils rappellent pour
nous dire « ben ça y est j’ai fait le choix de…» et que ce choix là, ben ils ont réussi à
faire un choix qui leur convient et qu’ils rentrent dans un …
(donc toi en gros, tu es une personne qui vient permettre de faire un choix ?)
ouaih pourquoi pas !
(je sais pas, c’est peut-être pas comme ça qu’il faut traduire mais, …)
non non pourquoi pas , si si en partie oui , moi je pense que oui, leur montrer qu’il
existe d’autre chose , qu’il existe plein de chose et qu’après ils peuvent en faire ce qu’ils
en veulent avec les capacités qu’ils ont et qu’ils veulent se donner dans le choix qu’ils
peuvent faire
(mais qu’est ce qui fait que l’internat pour toi c’est un support ? enfin être éduc
d’internat tu expliquais ce choix là, qui fait que tu as l’impression que ce but que tu
veux atteindre, tu peux l’atteindre avec cette fonction d’éducatrice d’internat ? qu’est
ce qui motive ça ?)
ben déjà ce sont des jeunes, s’ils sont en internat, c’est qu’à un moment donné il faut
qu’ils soient sortis du milieu où ils étaient, donc est ce que c’est la solution ? ça j’en sais
rien encore , je sais pas, mais en tout cas ça le, … ça permet de les sortir du milieu où ils
étaient et euh du coup de voir autre chose dans un fonctionnement, d’être confrontés à
des adultes qui peuvent avoir une parole autre que celle qu’ils ont connue jusqu’à
présent et euh donc cette histoire toujours de répétition et de constance je pense au
niveau de l’internat, c’est qu’ils ont pas le choix à un moment donné. Même s’ils ont
pas envie de nous voir, ils sont obligés quoi et puis on est là et que voilà …
(et quand tu dis je sais pas si c’est la bonne solution, tu le dis de manière générale,
l’internat tu sais pas si c’est une bonne solution ou tu ne le sais pas tant que tu n’as
pas compris la situation du jeune ?)
les deux ! les deux ! je sais pas si l’internat si l’internat c’est une bonne … si c’est la
bonne solution pour certains jeunes, est ce que … voilà et puis est ce que l’internat
c’est une bonne solution, j’en sais rien non plus
(c’est intéressant que tu te poses cette question là !)
oui !
(parce que alors que tu te dis …. En même temps que tu te dis c’est là que je veux
travailler , tu te dis en même temps je suis pas sûr que l’internat, ce soit une bonne
solution !)
c’est là que je veux travailler parce qu’en tout cas, c’est ce qui me correspond
aujourd’hui, vu le parcours, … vu le travail social euh où on en est au niveau du travail
social, après est ce que sur du long terme, ou sur la réalité de la société aujourd’hui est
ce que l’internat c’est la meilleure solution, j’en sais rien ! parce que c’est vrai que la
question qu’on se pose c’est que le travers des internats, c’est que souvent ben on
fabrique des assistés, ce qui est un peu … voilà !
(ça c’est ce que tu penses ou c’est ce que tu entends ? ou que tu perçois ?)
c’est ce que je perçois chez certains jeunes
(d’accord)
voilà ! quand on reçoit un jeune qui a un parcours institutionnel d’internat depuis qu’il
est tout petit, on le voit, c’est un jeune qui est très adapté au fonctionnement
institutionnel des internats éducatifs, mais qu’est pas forcément adapté au
fonctionnement de la société et qui est pas forcément capable de se débrouiller tout seul
(d’accord ! je trouve que c’est intéressant de dire à la fois je trouve que c’est un
support, mais en même temps pas je doute, mais je me questionne !)
voilà moi je pense que ça peut être un des travers de l’internat
(en gros c’est le fait que cela fasse des personnes qui sont hyper adaptées ?)
oui hyper adaptées, oui voilà des personnes hyper adaptées, mais est ce qu’elles savent
se débrouiller toutes seules ?
(tu penses que cela peut freiner quelque chose, l’internat?)
oui, parce qu’en même temps on leur demande de grandir super vite, puisque dans notre
fonctionnement on a la volonté qu’ils deviennent indépendants, mais en même temps on
est là tout le temps ! tout le temps ! tout le temps !
(quand tu dis j’ai pas la réponse aujourd’hui, est ce que tu penses que cette réponse,
tu te l’as construit ou tu as plutôt tendance à dire je commence à avoir une réponse
d’un côté ou de l’autre ou enfin de compte, j’ai pas envie d’y répondre à cette
question là. ? est ce que tu essayes de l’obtenir cette réponse ?)
non non j’essaye pas !
(d’accord)
non parce que je me dis de toute façon , enfin pour certains jeunes, c’est bien ! donc
après …
(donc à la fois tu trouves qu’il y a des aspects importants pour certains et en même
temps tu dis que c’est quand même un question ouverte ?)
oui, il faut quand même garder cela en tête et faire attention avec certains jeunes de ne
pas rentrer dans ce travers là
(oui je comprends ! bon là tu m’as expliqué ce qu tu voulais faire en étant éducatrice
et moi j’avais envie de t’entendre un petit peu sur ce que tu penses que pensent les
autres , bon c’est une question à tiroirs . j’avais décliné en plusieurs paliers, par
exemple qu’est ce que tu penses que ta hiérarchie
attend de toi en tant
qu’éducatrice ? et puis ensuite il y l’extérieur au sens prescripteur et puis après la
famille et la société ? mais d’abord la hiérarchie !) …..
Ben déjà on nous confie des jeunes donc qu’on s’occupe des jeunes qu’on nous confie,
qu’on les amène à une réussite entre guillemets, une réussite soit scolaire, enfin pas
forcément une réussite, mais qu’il y ait une inscription dans un projet en tout cas, qu’on
soit là pour les protéger aussi de de ..ce qu’ils peuvent faire eux, de ce qu’ils peuvent
subir à l’extérieur, selon pourquoi ils sont placés et qu’on les aide à construire leur
projet, voilà !
(d’accord et les prescripteurs alors, ceux qui confient les jeunes ?)
RIRE … on va dire la même chose, plus euh, je sais plus qui disait qu’on était les
pompiers du social, c’est ça ben qu’on étouffe un peu tout les … voilà , tout ce qui peut
se passer au niveau de la société, mais bon ça c’est, … pas forcément sur l’éducateur en
internat , mais bon …
(le travailleur social quoi ?)
voilà voilà !! c’est plus oui, on est au front dans les difficultés sociales de la société
(donc on attend de toi que tu apaises ? ou que ça ne fasse pas de vagues, je sais
pas !!)
ben que oui oui, … je vois pas … bon après je pense que je ne suis pas assez au fait ,
que je ne me suis pas assez non plus … voilà mais je pense que la société actuelle ne se
donne pas les moyens pour que les réels problèmes des adolescents que l’on peut
accueillir soient pris en compte et réglés d’une façon plus efficace
(oui ! et tu as l’impression que vous êtes mal considérés)
non, non!
(pas utilisés comme il faudrait ?)
moi je pense qu’on est pas utilisés comme il faudrait, quand il y a des réflexions, je
pense aux émeutes des banlieues en 95 en 2005 pardon
(oui)
euh je pense que les premiers qui auraient du être interrogés, c’est les éducateurs quoi,
à un moment donné, ben souvent quand on entend parler des gens, c’est les psy
machins, les chercheurs machins et que les gens de terrain, on va pas trop leur poser de
questions sur la réalité quoi. Alors être mal considérés non je ne pense pas, être
méconnus de la société, oui !
(d’accord et donc j’entend par répercussion, pas bien utilisés ?)
oui moi je pense
(tout à l’heure, tu disais pompier et j’avais dans la tête d’une manière un peu rapide
de permettre la paix sociale quoi ! tu penses que c’est pas que ça ?)
non
(ça serait quoi d’autre alors ?)
ça serait quoi d’autre !!
(quelque, chose de beaucoup plus large ?)
oui de plus large, moi ça serait plus sur une construction d’autre chose, sur une
construction, pas être que justement dans l’urgence et pas arriver en dernier recours,
mais être plus sur du, … sur de la prévention, sur … de l’anticipation de la construction,
mais bon le je pense que c’est plus sur du milieu ouvert que ça peut se … parce que
c’est que l’internat, à un moment donné, on peut pas être en prévention quoi, on peut
pas être dans la prévention de .., mais plus s’interroger sur le fonctionnement des…, oui
de …
(toi tu penses que l’internat c’est pas forcément de la prévention ?)
pas forcément non !
(en gros tu arrives après ?)
ben j’arrive, oui, à un moment donné quand il y a placement c’est qu’il y a eu
signalement, c’est qu’à un moment donné, il y a eu rupture quoi. C’est rare qu’il y ait un
placement qui soit fait et qui soit pas dans la rupture
(mais en même temps on vous considère pas comme seulement des pompiers, c’est à
dire qui arrivent juste quand c’est l’urgence !)
voilà !
(mais pour construire d’autre chose !
) oui, mais en même temps c’est pour cela que je me questionne sur l’internat,
parcequ’en même temps pourquoi placer un jeune si y a pas,… enfin pourquoi ne pas le
maintenir, essayer de le maintenir dans sa famille avec un travail autour, c’est tout le
travail de l’Aemo quoi, avec un travail autour qui fasse qu’on arrive pas forcément à la
solution du placement quoi
(d’accord !)
mais c’est vrai qu’on voit une évolution dans les jeunes qu’on accueille, d’abord je
trouve, ça fait pas si longtemps que ça, ça fait depuis 1998, mais je trouve qu’il y a
vraiment une évolution dans les jeunes qu’on accueille en internat
(oui, en 9 ans tu as quand même pu voir, tu peux avoir un regard quand même !)
oui mais j’ai encore l’illusion que je suis encore jeune ! et que ça fait pas si longtemps –
RIRE(ça veut pas ire que tu n’es pas jeune !, ça veut dire que tu as quand même un recul
qui te permet d’en dire quelque chose)
voilà , mais je trouve qu’il y a une évolution, ou d’abord on accueille de plus en plus de
mineurs isolés, donc ben déjà c’est pas le même travail, on accueille de plus de jeunes,
euh … avant moi je disais on avait des bons délinquants quoi, on savait à qui on avait
en face, comment on pouvait fonctionner. Là on accueille beaucoup plus de jeunes qui
sont en rupture de… en rupture affective, en rupture sociale, qui sont à la limite du psy
et de l’éducatif et du coup c’est pas le même boulot
(onh, tu as vraiment perçu dans ton parcours cette évolution, dans la prise en charge
des jeunes ? Les jeunes que tu avais en charge..en 98, c’est plus du tout les mêmes
que tu as aujourd’hui aujourd’hui ?)
Pas plus du tout, il y en a encore quelques uns mais, c’est plus, …. Euh… il y a une
évolution.
(oui et tu as l’impression que cela nécessite pour toi une évolution de ta pratique ?)
euh oui, moi je … ça ressort assez souvent, on a besoin de plus d’apports théoriques, au
niveau psy, de formation qu’on a pas forcément en école d’éducs, qu’on a mais c’est
très succinct et euh .. oui plus une adaptation de notre fonctionnement, oui de mon
fonctionnement face à eux
(euh, ma question vient juste à propos là, … comment je peux la formuler de manière
simple, est ce qu’il y a une évolution ? Tu m’as répondu tout à l’heure sur quel était
ton but en travaillant en internat, est ce que tu m’aurais répondu la même chose il y a
8 ans , est ce que ce serait lié à l’évolution du public ?.. c’est pas très clair ce que je
dis !)
si … je pense que je n’aurais pas répondu la même chose, parce que déjà j’ai 8 ans
d’expérience en plus, est ce que c’est lié à l’évolution du public, je sais pas, je ne me
suis pas posé la question ! Je ne sais pas comment j’aurai répondu il y a 8 ans, de façon
à peu près similaire, sauf que … oui avec la pratique en moins…. Je sais pas !! je sais
même plus ce que j’ai dit !
(tout à l’heure tu parlais d’accompagnement, le fait d’aider à faire un choix … est ce
que cet objectif il a pas varié ?)
si si il a varié, parce que cette idée de laisser la possibilité aux jeunes de faire un choix
et d’accepter qu’il le fasse pas forcément quand il est avec nous et qu’il parte avec les
billes pour pouvoir le faire, ça il y a 8 ans j’en étais pas consciente et c’était très dur
pour moi quand je voyais un jeune partir et que je me disais ben finalement, j’ai servi à
rien
(c’est la dessus que cela a avancé pour toi ?)
voilà, plus sur le fait de me dir, à un moment donné je lui donne les billes pour, il les
prend ou il les prend pas, mais en tout cas je fais tout mon possible pour qu’il puisse les
avoir et pis tant pis s’il part d’ici, sans s’en être servi, peut-être qu’un jour, il s’en
servira
(et l’évolution du public est ce que cela a fait évoluer tes pratiques ?)
euh j’arrive pas vraiment à noter, je pense que c’est une évolution qui s’est faite petit à
petit, je peux pas dire …
(c’est pas flagrant quoi ?)
non c’est pas flagrant et puis j’ai acquis le l’expérience aussi, donc du coup ben c’est
un tout qui a fait que j’ai évolué même temps aussi, donc voilà !
(est ce que tuas pu quand même pointé que il y a des choses que tu faisais, voilà je
répondais de telle manière à quelque chose et qu’aujourd’hui c’est plus possible ?
C’est plus possible soit parce que le, public ne le permet pas ou parce que je pense
que ce n’est plus comme ça qu’il faut faire ?)
Ben disons que quand j’ai commencé, j’étais beaucoup plus rigide dans mon
fonctionnement. Pour moi, il y avait beaucoup plus de choses qui étaient posées, de
règles qui étaient posées, de choses à respecter , et que … mais dans le fonctionnement
d’équipe aussi, dans lequel j’évoluais et que aujourd’hui je me rends compte que ces
choses, elles sont dérisoires. Et qu’en tout cas j’ai pas besoin d’avoir des règles posées
strictes et à respecter, pour sentir que je peux travailler et avancer quoi.
(Tu as besoin de quoi, si c’est plus ça, t’as besoin de quoi pour avancer ?)
Moi je trouve que c’est la relation, tout est dans … voilà après c’est .. à un moment
donné c’est dans le respect de l’autre, dans les respect de soi, du jeune, dans la
confiance voilà, instaurer la relation et voilà… Je pense que le cadre de l’internat, en lui
même pose un cadre, donc après il y a des règles forcément à respecter, on est bien
d’accord, comme de partout, mais à mon sens ça sert à rien d’en rajouter trop qui
viennent du coup… qui peuvent, pas forcément tout le temps mais qui peuvent du coup
parasiter la relation ou se protéger, …ça permet…., d’avoir des règles strictes, ça permet
de se protéger de la relation, du conflit, de … voilà
(d’accord)
donc ça aussi ça peut être une chose qui a évolué, c’est que quand on commence le
conflit on en a un peu peur et qu’on voit pas forcément le côté bénéfique du conflit ou
on sait pas si on va être capable de le gérer ou pas. Là maintenant …
(Tu m’as répondu à ce que tu penses qu’on attendait de toi, et toi qu’est ce que tu
penses que doivent faire tes collègues ?)
RIRE- Pour moi ce qui est super important en internat, c’est le travail en équipe. Je
crois que sans le travail d’équipe et sans la confiance qui peut y avoir en équipe, c’est
très difficile. Parce que pour l’avoir dans plusieurs équipes différentes, le plus dur dans
ce métier justement c’est la construction de l’équipe et ce que mes collègues doivent
faire, ce qu’ils leur semblent bon de faire à partir du moment où on se fait confiance
quoi, voilà (d’accord) après chacun fait comme il peut, comme il veut du moment ou on
a un objectif commun, et un but commun
(oui et c’est une question qui va dans la suite, pour toi c’est quoi ou ça serait quoi
être un mauvais éducateur ? Comment tu le définirais toi ?)
déjà le but c’est de ne pas trahir l’équipe, qui sait pas se remettre en question, je pense à
un moment donné, qui sait pas entendre en tout cas la parole de l’autre que ce soit de
son collègue ou de son chef de service peu importe, donc voilà. Et euh après il y a
plusieurs possibilités, ça c’est dans la généralité mais après dans la relation aux jeunes,
c’est quelqu’un qui sait pas être à l’écoute, qui sait pas respecter l’objectif qu’on a fixé
en équipe et travaillé en fonction de cet objectif là, ça peut être euh, il y a plein de …
(ce qui ressort pour toi principalement, c’est à la fois le fait de pouvoir faire équipe et
à la fois d’être dans une relation d’écoute avec les jeunes, c’est les deux choses que tu
ressors j’ai l’impression ?)
oui, et puis je pense que, vraiment je m’implique un peu , mais je pense qu’il faut savoir
donner de soi aussi, je pense que pour être avec ces jeunes là et pouvoir avancer, à un
moment donné si on se protège trop et qu’on refuse de s’impliquer, on peut pas aller
bien loin.
(ça veut dire quoi pour toi donner de soi ?)
c’est, … ça revient toujours à ces histoires de règles. C’est à un moment donné ne pas
avoir besoin de se cacher derrière certaines choses et ne pas avoir peur d’y aller, voilà !
C’est plus dans ça. C’est vrai que la difficulté avec ces jeunes là, c’est que justement,
c’est des jeunes qui peuvent nous toucher, qui peuvent nous perturber dans notre
fonctionnement, qui peuvent nous interroger qui… et donc à un moment donné, c’est
savoir où sont les limites, mettre la bonne limite dans la relation, mais savoir aussi que,..
oui, il faut y aller quoi !
(d’accord, et est ce que tu as l’impression quand tu parles avec des collègues, pas
forcément tes collègues, qui font le même travail que toi, est ce que tu as l’impression,
quand vous discuter du boulot, qu’il y a des points communs et des points de
divergence aussi ?)
euh … des points communs oui, après ça fait longtemps que j’ai pas discuté, … disons
des points de divergence oui, je pense justement sur cette histoire de protection et
d’implication, c’est vrai que moi, … on a tous nos limites, tous nos points où à un
moment donné c’est stop et je pense que le mien il est assez loin par rapport à certains
de mes collègues où il peut plus près ou … voilà
( … donner à ?)
voilà voilà
(est ce que tu vois d’autre chose, dans des réunions où tu rends compte qu’il y des
choses auxquelles tu crois vraiment et qui semblent être loin de plein de monde ?)
Je vois pas là, peut-être , mais là je vois pas
(je reviens un petit peu en arrière, tout à l’heure je l’ai dit dans l’ énoncé de ma
question et après je l’ai un peu squizzer ! qu’est ce que tu penses que les familles
attendent de toi ?)
qu’est ce qu’attendent les familles ?
(d’après toi)
euh, ça dépend des conditions du placement, donc on peut être vécus comme les
personnes qui peuvent résoudre tous les problèmes et qu’on est là pour faire en sorte
que leur enfant devienne meilleur et surtout à l’image de celle qu’ils attendent euh après
ça peut être un soutien à un moment donné, où les parents disent ben là on peut plus et
on y arrive pas et il faut qu’on nous aide, donc voilà ! … j’ai pas vraiment en tête, … et
puis voilà, dans l’évolution on a beaucoup de jeunes, en dehors des mineurs isolés qui
sont accueillis, on a beaucoup de jeunes qui ont pas famille, c’est vrai que c’est ….
(avec tout ça, tout à l’heure tu as beaucoup développé cette question de ce que la
société attend, est ce que tu as l’impression qu’entre toi ce que tu y mets, comme
objet, comme optique, comme but et les autres, qu’il y a beaucoup de décalage ?)
Les autres c’est qui ?
(et bien …)
la société ?
(oui, on va dire comme ça)
oui oui
(c’est ce que tu disais tout à l’heure ?)
oui oui, c’est que je pense qu’on est méconnus, enfin en tout cas sur le travail qu’on
pourrait faire et qu’on fait, je pense que les gens ne savent pas ce qu’on fait ! parce que
quand je vois dans mon entourage personnel, où il n’y a pas beaucoup d’éducateurs,
pour eux c’est un métier complètement… ils l’ont découvert en me découvrant quoi ! et
donc les premières questions c’est il faut du courage ? c’est dur ? Mais non c’est pas si
dur que ça, voilà .. et quand je leur explique, ils sont complètement dépassés ! déjà ils
ont pas forcément conscience qu’il y a des jeunes dans ces difficultés là qui existent, qui
puissent être pris en charge en internat, enfin bon voilà … Donc c’est plus sur le fait
qu’on est pas connus
(et toi comment tu le caractériserais toi, tu trouves que c’est frustrant, que c’est
dommage, peu importe ! il faudrait que ça change)
C’est ni frustrant ni dommage, après il y a des gens qui n’ont pas besoin de connaître ce
que c’est qu’un éducateur de toute leur vie. Après s’ils veulent avoir une ouverture
d’esprit sur la réalité de la société et voir comment ça fonctionne et bien oui qu’ils s’y
intéressent un peu quoi !
(d’accord, est ce que par rapport à toutes les questions que je t’ai posées, il y a des
questions sur lesquelles tu as envie d’y revenir, il y a un point que tu voudrais
insister ou c’est bon !)
non c’est bon !!
B. Entretien avec EVELYNE (le 5 janvier 07)
Ce qui m’a amené à être là aujourd’hui, ça a été dans le tard, parce que c’est une
reconversion, j’ai été comptable avant pendant sept ans dans une entreprise de
plomberie et parallèlement je faisais du judo et j’encadrai des adultes handicapés et je
pense que le contact avec cette population et de me rendre compte que
professionnellement je ne m’épanouissais pas, j’ai démissionné de mon travail, j’ai
démissionné et j’ai passé le concours. Le concours je l’ai .. j’ai eu mon diplôme en
2000, donc c’est récent, en 2000. Moi je viens de la région centre, donc je ne
connaissais pas du tout le milieu social, le seul contact c’était cette population
d’handicapés
(d’accord dans le cadre du sport adapté !)
du sport adapté simplement, donc démissionné complètement et me retrouvé sans rien ,
ça c’était un choix et j’ai repassé mon bac que j’avais raté et ensuite j’ai passé les
concours, sur Tour et Orléans et j’ai eu celui d’Orléans, Orléans Olivet. Dans le cadre
de la formation, c’est vrai que c’était assez difficile pour moi parce que je ne
connaissais pas du tout la psycho, je ne connaissais pas du tout la philo, un peu j’en
avais fait en bac, mais très peu, donc c’était vraiment tout nouveau pour moi. Sur
l’évolution de cette formation qui a été vraiment bénéfique quand même pour moi, je
me suis intéressé plutôt à la population avec le jeunes, de, des ados ados même plus
jeunes. Donc avant de venir ici au codase, j’ai travaillé pendant quatre ans au sein d’une
MECS, donc là c’était de six à seize ans, c’était très intéressant parce qu’on travaillait,
… On était en mixité et verticalité. Donc ça a été pendant quatre ans et je suis partie,
c’était pas …pour de raisons personnelles, professionnelles de mon ami
(d’accord)
D’accord, donc y a pas, sinon j’y serais encore
(c’était dans la région centre ?).
région centre. Donc là, le Codase, quand je suis , je connaissais pas du tout les
structures. Cela va faire deux ans et demi que je suis sur l’unité des alizés, donc je suis
en remplacement
(en 2004 ? ).
2004 ouaih ! Quand je suis arrivée, cette population je connaissais pas, de 16 à 18 ans,
j’avais jamais travaillé. J’ai complètement découvert, même si je connaissais des ados,
ce n’était pas du tout le même travail, … difficile pour moi au début, très difficile parce
que c’était tout nouveau au niveau contact avec les jeunes, l’arrivée dans une équipe en
remplacement aussi, ça a demandé et surtout cette difficulté… des fois…. quand je suis
arrivé de travailler un week-end du tout suite. Je mes suis retrouvé avec les onze jeunes
où ça brassait et où je savais pas du tout comment ça fonctionnait pour l’unité, donc ça a
été, … je me demandais ce que je faisais là. Même s’il n’y avait pas d’actes violents,
même s’il n’y avait pas….. pour moi j’arrivais pas à contrôler, par rapport à … Je me
demandais ce qu’ils avaient le droit de faire, pas de faire, tout était nouveau. Donc ça a
été difficile au début de de de .. comprendre, même si je comprends pas tout encore sur
leurs actes, mais de me poser la question si je continue ou pas. Le truc c’était d’avoir
discuter aussi avec les collègues, les collègues nouveaux qui arrivaient aussi sur le
groupe et avec la chef de service. De poser, de me poser un peu des questions et de me
dire qu’il y avait rien de catastrophique, c’était simplement …
(tu étais décontenancé par rapport à ce que tu avais vécu jusqu’à présent dans le
cadre de ce boulot ?)
complètement ! Des plus grands, des 18 ans …… Ou je venais d’un cadre où c’était
quand même plus … On contenait plus. C’était des plus petits donc c’était pas du tout le
même rapport au niveau des jeunes ou c’était,, … on cadrait énormément, c’était des
petits. Là il y a quand même une certaine liberté, c’est un autre contact
(là où tu étais c’était un lieu global, où il y avait tous les jeunes au même endroit ?)
Tout à fait ! De 16 à 17 ans, on avait dix gamins, onze gamins. Au début, j’ai travaillé
avec quatorze garçons, mais il y a eu une restructuration de l’institution et là il y a eu
cinq lieux, cinq unités qui ont été effectué, donc intéressantes aussi
(d’accord)
voilà. A l’heure actuelle, par rapport à mon arrivée , à maintenant, je suis contente d’y
être restée et d’avoir persévéré …
(d’avoir persévérer ici ?)
Oui, à l’espace ados, malgré mes difficultés au début. Ça a été assez, … même
douloureux ….
(quand tu dis douloureux, c’est quelque chose qui t’envahissait beaucoup ? qui,
…).
Oui, quand je rentrais, … je crois que c’est le premier week-end où il y avait du
monde, tous les jeunes étaient là. Je suis venu qu’un jeudi et après j’ai fait le week-end
et … donc …. Il y a eu les goûters, mais ça s’était rien, mais ça circulait, ça jouait avec
les portes, ça jouait avec les barres de fer. Donc j’ai circulé, j’ai pas arrêté J’ai dit je vais
pas faire ça tout le temps, c’est pas ça mon, … de faire ça tout le temps, quel est mon
travail là dessus et qu’est ce que je fais. Je cours après eux, même s’ils ne m’ont rien
fait, c’était épuisant psychologiquement. Et l’arrivée dans un nouveau groupe, l’arrivée
dans une nouvelle équipe éducative aussi qui se reformait, avec des tensions tout ça. Ça
, Ça n’a pas été facile.
( on va le garder au chaud, quand tu disais c’est pas ça mon travail. Ça serait
intéressant que tu puisses me dire pour toi c’est, mais ça sera dans un deuxième
temps, c’est une introduction intéressante quand tu disais en gros je suis pas là
pour ça !)
oui !
(avant d’en arriver à ça, est ce que tu peux me dire c’est quoi ton travail ici ?
comment tu le décrirais si tu étais face à quelqu’un qui ne connaisse pas du tout.
Comment tu expliques ton travail tu en parles avec des amis, des gens qui te
demandent ce que tu fais comme travail ?)
C’est vrai qu’à l’extérieur me disent c’est pas facile ce que tu fais. Je dis stop, tout
travail, … je trouve pas facile ou difficile. Ce que je fais auprès des jeunes, c’est un
accompagnement. Je les accompagne, pour moi c’est qu’ils réussissent au niveau d’une
orientation professionnelle et un accompagnement aussi au niveau, … un soutien
psychologique, je veux dire dans l’écoute simplement , d’être là présent, d’être capable
d’écouter, de leur renvoyer ce qui me semble juste. De les accompagner dans différentes
tâches, bon ben c’est au niveau scolarité, au niveau professionnel, que ça soit médical
aussi quand ils ont besoin. Moi dans mon travail c’est qu’il réussisse à partir là, à partir
de 18 ans. Qu’il arrive à se débrouiller presque seul, je veux dire, sur certaines choses,
quelque chose qu’il a réussi à construire avec notre aide. C’est aussi, pou certains au
niveau éducatif au niveau de l’hygiène. Pour certains, c’est de faire attention à eux,
prendre soin, leur renvoyer …. les valoriser, les aider au niveau entretien d’une chambre
c’est aussi important et entretien, des tâches au niveau des vêtements. C’est aussi
important. C’est aussi leur apprendre, y en a qui ne savent pas du tout. C’est qu’ils
arrivent à avoir quelque chose quand ils partent d’ici, .. qu’ils puissent s’en sortir un
petit peu plus, être soulagés……..
(d’accord)
et aussi y a certains au niveau des des … C’est poser aussi des limites, poser des
limites qui va leur permettre d’intégrer quelque chose un peu euh …au niveau des
interdits de la loi. C’est de poser des limites tous les jours et d’avoir une continuité dans
ces limites pour leur permettre, pour moi, qu’il arrive à se reconstruire, à intégrer
certaines choses
(quand tu dis se reconstruire, tu emplois le mot Re)
parce que pour certains, c’est pas tous, ils ont plus rien, ou ils sont complètement cassés
et ils essayent de refaire quelque chose en arrivant ici. Alors soit au niveau
professionnel, soit dans la relation simplement, même s’il n’y a pas de professionnel,
dans la relation sociale, arriver à un contact. C’est reconstruire c’est ça, parce qu’il se
construit tout le temps, je veux dire, mais ils viennent pour s’arrêter ici, se poser, donc
c’est un redémarrage , pas reconstruire, il redémarre plutôt. ……. Une béquille, moi je
me trouve une béquille pour eux et un soutien
( tu te vois en béquille ?)
oui
(d’accord)
pas pour tous, car …. Y en a qui se posent sur nous énormément, on a besoin de les
porter, des fois c’est physiquement, c’est psychologiquement, les amener à sortir ici de
leur lit, c’est aussi pour qu’ils arrivent à intégrer quelque chose, avoir une continuité au
niveau de la formation, qu’ils arrivent …. Oui ça demande, … les lever le matin c’est
vachement important arriver, à les lever à les accueillir, à les amener qu’ils puissent
sortir de l’unité pour aller soit en scolarité soit en professionnel, soit à la recherche d’un
emploi. Ça ils ont besoin de nous aussi, ça c’est important le matin, dès le matin.
L’accueil du matin est important, le petit déj. Tout ça, pour qu’ils réussissent à se mettre
en route et qu’ils réussissent à démarrer leur journée, pour mois c’est important le
démarrage
(c’est quelque chose auquel tu te prépare avant de venir ici le matin, tu réfléchis à
la manière dont…)
alors aussi c’est soit par rapport à la soirée de deux jours avant, qu’est ce qu’il y a eu
par rapport à certains jeunes et comment j’ai passé la soirée, mais oui oui j’y pense dès
le matin, l’arrivée le petit déj, comment les réveiller, réussir à les leverf, et donc il y
aussi des matins où je n’y arrive pas du tout. Il y a des matins où je suis épuisée, ça c’est
vrai et ça je le sens, le contact est différent ou je vais trop vite, ou je peux être agressive,
alors ça je reviens ensuite avec le gamin et là c’est vrai ou il m’agace parce qu’il ne se
lève pas et là je peux démarrer très vite, ça ça arrive, il y a des matins où je suis pas du
tout … et dans la douceur, dans la parole, la façon de parler je fais attention. Quand je
suis arrivé au début ici, j’avais l’habitude avec les petits, il fallait que ça tourne, ou je
parlais , euh …. Douze ans, c’était différent dans la façon dont on parle à douze ans et à
seize dix-sept ans Mais c’est vrai que je me sentais un peu agressive avec les grands là,
ils me l’ont dit « tu parles fort », ça m’a fait réfléchir. C’est pas du tout la même façon
d’intervenir, donc je me suis pas adapté mais j’ai fait attention à ce qu’ils me
renvoyaient. Mais c’est vrai le matin c’est ça. Ce matin Nicolas, je me suis dit on va le
réveiller, plusieurs fois, lui expliquer les choses, il a réussit à partir. Mais à d’autres
moments, même en faisant ça, il va pas partir ! Ou des fois si je sais qu’il a fait le bronx
la nuit, j’ai envie de … ça marche pas et c’est assez agressif et ça le matin, … c’est
important pour moi le matin. J’arrive et des fois j’y arrive pas.
(c’est à la fois de l’anticipation, de l’observation. Tu anticipes en, réfléchissant à
ce qui s’est passé avant, tu observes le comportement et tu t’observes toi dans ta
relation. C’est tout ça observation, anticipation et réfléchir sur la manière dont on
est soit même)
tout à fait ! La façon dont j’interviens.
(peut-être dans cette continuité là, on va partir d’exemple si tu en as, pour parler
du quotidien au sens large (…) votre travail vous … un exemple ou une situation
qui a été dure à vivre ou à gérer et pourquoi ça l’a été en tant que professionnel)
Ce qui a été nouveau pour moi ici c’est tout ce qui est histoire autour du cannabis de
l’alcool, c’est quelque chose que j’avais pas où je travaillais avant ou très peu, c’était
vraiment très rare. Que ici il y a quand même une consommation. La difficulté, ou un
jeune, ou j’étais seule. Il avait sûrement fumé, il était très agressif et où on s’est retrouvé
nez à nez physiquement et euh, c’est vrai que je me suis préparé à recevoir un coup,
parce qu’on était nez à nez. C’est vrai que j’étais seule . je me suis préparé à lui
redonner un coup s’il fallait me disant je me prépare vraiment s’il intervient ou s’il va
me coincer contre le mur. Il y avait de l’agressivité, soit de l’alcool soit de la
consommation et ça ça a été dur, j’ai tenu face c’est vrai et j’y suis allé toute seule en
me disant je tiens le coup mais en sachant pas ce qui pouvait m’arriver. Le seul truc
c’est que je me préparais, je me protégeais physiquement aussi. Et quand, j’ai tenu j’ai
tenu, il a cassé autre chose, il s’est décalé de moi, il a pris le tabouret, il l’a lancé à côté
de moi et après qu’il soit parti, ça m’a complètement épuisé, j’étais vidée, quand c’est
comme ça et bien je suis sur les nerfs. Je me dis j’arrive pas à me contrôler tout de suite,
on doit pas se contrôler mais ça m’a compléter épuisé, j’avais le cœur qui battait je
tremblais un peu même si j’avais réussi, pas réussi mais me dire que j’ai failli me
prendre une sacré volée et il est parti dehors, il a cassé autre chose. ça je me suis posé la
question, j’étais assez en difficulté je veux dire. Est ce qu’il l’aurait fait avec un
homme ? Est ce qu’il serait aller jusqu’à physiquement presque, je sais pas avec un
homme comment cela aurait réagit. Par rapport à ma taille, il était plus grand que moi.
Tout ça je me suis posé la question est-ce que c’est moi qui avait provoqué, est-ce que
…. il y a eu plein de questionnements par rapport à ça. Et qu’il soit parti dehors, ça m’a
soulagé. Il était mal par rapport à ce qu’il avait fait et euh … ça ça été difficile
physiquement
(ma question c’était ça aussi, ce qui était difficile c’était le côté physique,
émotionnel du truc ?)
Oui, le côté physique et émotionnel, c’est difficile parce qu’après tu es tout seul. Et
ensuite, je crois qu’il y avait un stagiaire qui est arrivé et ça, ça a été difficile, parce que
j’ai pas pu en parler tout de suite. Quand t’es avec un collègue, t’as un relais, ce qui est
bien, t’as un relais, on peut en discuter. Et là, je me suis dans un état pareil et j’ai pas
réussi, peut-être à dévier, je ne sais pas. C’est vrai qu’il n’y a pas eu de clasch, il a
réussi aussi le gamin à ….
(il y a eu une forte tension, avec une inquiétude que cela passe à un acte violent ?)
tout à fait !
(ce qui était difficile pour toi, c’était l’émotion du moment ?)
oui
(parce que je voulais savoir aussi si cétait lié entre guillemets à la découverte de
ces jeunes sous l’emprise de … sous l’empire de quelque chose, parce que tout à
l’heure tu disais que tu n’avais pas l’habitude. Est ce que c’était aussi de se rendre
compte que des jeunes se mettaient aussi en difficultés ? )
Il y a ça aussi, je trouve. On sait pas du tout, il y a méconnaissance de réaction par
rapport à l’alcool ou le cannabis. C’est vrai qu’ils ont des attitudes que moi je ne
connais pas, qu’ils peuvent avoir. Ça dépend sur quel jeune, et c’est vrai que cette
méconnaissance, ça a été une découverte pour moi, de savoir la limite de mon
intervention, de savoir où je dois intervenir, où je dois laisser, où je dois décaler mon
intervention avec un jeune par rapport, … quand il est sous l’effet de l’alcool. On joue
un peu avec ça les limites et c’est vrai que ça aussi, euh oui, … ça peut avoir des
conséquences dans une relation. Cet été, il y a eu ça aussi avec un jeune sous alcool ….
Je savais qu’il était alcoolisé, je savais. Mais le contact que j’avais avec lui avant, j’y
suis allé quand même, mais en sachant pas du tout comment il allait intervenir, mais
c’est vrai que ça a été limite, on joue avec des limites
(toi tu dis aussi dans ce que j’entends, ce type de situation t’amène toi à re
réfléchir à la manière dont tu te positionnes, car tu me disais, dans cette situation
est ce que j’ai été adaptée, trop loin, je ne sais plus quels termes tu as employés,
mais cela t’amène aussi à ça, c’est à dire que des situations aussi précises
t’amènent à réfléchir sur ce que tu …)
sur ce que j’ai provoqué, ce que j’ai fait. Je pense que des fois, je provoque. Je sais
qu’il y a des situations… Cet été en Corse avec Jennifer, j’ai provoqué. Je voulais
qu’elle … c’était bon. J’ai dit un mot de plus, pour que …
(pour que cela déclenche quelque chose ?)
oui pour que ça déclenche, ça je savais euh… et j’avais fait exprès pour qu’après en
rediscuter avec elle. Ça je le savais, donc après j’ai pu en rediscuter avec elle, par
rapport à ça, ce qu’elle avait mis en place. Mais il y en a d’autre, j’ai une parole … c’est
vachement difficile, quand ils sont sous l’abus de quelque chose, sous la prise de
quelque chose, des fois on sait pas leurs réactions. D’avoir peur, oui j’ai déjà eu peur
que je me prenne un coup, ça s’est sûr ! Même si j’ai eu quatre frères devant moi qui
m’ont permis de chahuter, ça ça m’a aidé. Heureusement que j’ai eu quatre frères, j’ai
moins d’appréhension que quelqu’un qui n’a pas beaucoup joué. Heureusement que j’ai
un peu ça, car c’est vrai que devant des grands gaillards comme ça ou même des petits,
… prendre des coups…
( ça s’était le pendant quelque part, ce n’était complètement négatif, c’était de
l’ordre du difficile pour toi, de ce que tu as éprouvé, j’entends ça. Est ce que tu
peux me donner pareil un exemple de situation qui été pour toi plutôt intéressante,
plutôt du côté du positif, du valorisant. Là où tu as eu le sentiment que quelque
chose s’est passé, que tu maîtrisais quelque chose, dans le travail que tu menais ?)
Moi, ce qui est valorisant, c’est l’évolution qu’y a avec un jeune. Je vais parler de Julie,
où avec Julie ça a été vachement difficile avec moi, je crois qu’il y avait un rapport de
force. Elle s’est servie de moi, tout ce qu’elle pouvait. Elle m’a renvoyé tout ce qu’elle
pouvait, mais j’ai pas calé, c’est vrai que ça a été difficile, ça a été épuisant avec elle.
C’était des coups de gueule, c’était presque physique. Je l’accompagnais dans tous ses
projets. Je m’en suis pris plein la figure pendant six mois à peu près. C’étaient que des
relations violentes, physiques, pour arriver à un décrochement, autre chose avec elle, ou
après ça a été autre chose, un lien où elle a pu en rediscuter, se poser. Où actuellement
encore, elle appelle et demande qu’est ce que je dois faire ou, … ça s’est le côté positif
du travail, je suis vachement contente que Julie, elle est réussie à passer à autre chose,
dans la relation, mais il fallait y aller !
(Comment tu expliques que ça est pu changé, ce déclencheur, tu as pu un peu
l’analyser, ce que tu as joué, entre guillemets, là dedans ?)
Je crois que c’est la continuité, je l’ai pas lâcher. C’est aussi la rassurer, c’est aussi le
côté tout ce qu’elle faisait j’étais derrière, je les accompagner, par rapport à son père, les
relations extérieures, professionnel, même si je m’en prenais plein la figure avec elle,
j’y allais, j’y allais et j’avais toujours un même discours en face d’elle et je l’ai
soutenue, psychologiquement, physiquement, je l’ai accompagnée et je pense que ça ça
l’a, … je crois qu’elle a pu se reposer un moment. Elle s’est dit ben ça y est là, elle a
sentie qu’il y avait quelque chose peut-être d’un peu solide en face d’elle, qu’elle en
avait peut-être jamais eu. Je sais pas si c’est ça qui a pu déclencher, mais elle le dit
qu’est ce que j’ai pu t’embêter, qu’est ce que j’ai pu t’envoyer promener, notre relation
au début tu t’en es pris plein la figure. Maintenant, il y a autre chose, maintenant elle
est dans l’écoute
(toi c’est le sentiment d’avoir…)
garder une continuité
(une ligne conductrice ?)
je trouve, de ne pas avoir laisser tomber
(c’est quelque chose qui a été déclencheur d’une évolution possible de cette
gamine ?)
Avec moi, avec le reste c’est autre chose, mais avec moi oui. Je crois que je lui ai
toujours renvoyé comme quoi je lui faisais confiance, qu’elle allait réussir. Ça s’était
difficile parce que des fois elle mettait tout en échec. C’était aussi le discours du père
que j’avais, il n’avait pas un discours valorisant par rapport à sa fille. Moi c’était un
truc, euh, même si elle mettait en échec tout ce qu’elle mis, je la valorisais. Elle avait
réussi à rester deux jours à un stage, après c’était trois jours, ouaih, je l’ai tout le temps
valorisée et ça s’était bénéfique, même qi ça me mettait à mal. Il y a des moments où
j’en pouvais plus, je disais aux collègues reprenez le relais, c’est vachement difficile,
mais pour moi, s’il y avait cette relation avec moi où elle était vraiment forte, je me dis
qu’il y avait quelque chose à faire aussi. Elle était dans la demande, elle savait comment
faire, mais elle était dans la demande, donc j’ai continué, heureusement qu’il y avait
l’équipe derrière, toute l’équipe pour soutenir, et dire ouf on prend le relais et on
recommence, c’est comme ça que je fonctionne. Y a des moments, où y a rien qui
fonctionne mais bon d’avoir essayé.
(dans ton travail d’éducatrice qu’est ce que tu apprécies ?)
Ce que j’apprécie le plus, c’est d’être en contact avec les jeunes, le contact avec les
jeunes et d’avoir des échanges, des moments que ce soit le repas, mais des activités
extérieures, partir en camps, de partager des moments avec eux, ça j’aime énormément,
le travail du soir, l’internat moi j’aime bien, c’est quelque chose qui, … c’est un choix
de travailler, car j’aurais pu choisir autre chose là. Travailler en internat, de faire des
choses, le soir le matin, le week-end, c’est assez varié et le travail d’équipe
(quel sens tu y mets toi, quand tu dis ce travail quotidien d’y faire des choses,
qu’est ce que tu y mets derrière qui fait que c’est ce que tu as choisi ?)
C’est vrai j’ai choisi ………… oui ça me ….. c’est valorisant, c’est …. Je sais pas
qu’est ce qui ….
( je dis ça, car on entend souvent des éducateurs qui disent que le quotidien c’est
répétitif, les couchers, les levers la nourriture, moi j’aimerais bien faire autre chose
et toi au contraire tu me dis c’est ça qui moi me motive, qu’est ce que tu trouves toi
dans ces gestes là que d’autres ne trouvent pas ?)
Parce que c’est une vie de tout les jours et qui a besoin pour ces mômes là, qu’il y ait
une continuité, c’est vachement important. Il faut que ce soit gai, … Il faut quelque
chose comme dans une vie de famille, oui, …. Je trouve pas que c’est un quotidien,
qu’on répète. C’est jamais la même chose, tous les levers ne sont pas pareil, les soirées
sont complètement différentes, j’ai jamais une soirée qui est identique à l’autre, par
rapport à un événement, par rapport à un jeune, par rapport aussi à mon état, si je suis
bien pas bien, rien n’est pareil si je travaille avec un homme, si je travaille avec une
femme, donc c’est jamais la même chose, donc moi j’ai pas l’impression de me répéter,
donc en fin de compte, il y a ça aussi
(ce que tu es en train de me dire c’est que dans des choses qui pourraient être
répétitive, car tous les jours il y a à faire des choses, toi tu trouves une diversité
dans des choses qui sont répétitives ?)
Une diversité parce qu’il y a une ambiance, l’ambiance est différente. C’est ce que tu
amènes toi aussi le matin l’ambiance, ce que tu vas provoquer, le soir aussi. Si j’ai pas
envie de faire à manger c’est aussi différent. Ça dépend la gaieté, ça dépend la joie, ça
aussi ils le sentent les jeunes, quand t’es pas bien quand t’es bien. Moi je leur dis,
aujourd’hui je suis fatiguée alors je suis pas disponible, je leur dit ça
(ils entendent ça ?)
moi je crois oui. Ou des fois, j’ai un peu dérapé, j’ai crié dessus, j’y retourne, je lui dit
j’aurais pas du te crier dessus, ça m’a énervé, l’autre m’a énervé, c’est toi qui a pris
voilà. Ça ils entendent, oui, ça ils aiment bien l’entendre, c’est leur faire entendre que je
suis pas un robot, je suis venu avec mon histoire avec tout ça, ce que je vis tous les
jours. Non non c’est pas répétitif, rien n’est répétitif. Ce qui est répétitif, c’est quand j’ai
travaillé en usine, après ma démission, oui là c’était répétitif et je savais que c’était que
trois mois le temps de réintégrer l’école, là c’est répétitif, que là non. Les jeunes sont
différents le matin, ils sont différents le matin et le soir, des petits trucs peuvent changer
l’ambiance, il faut pas grand chose. (alors peut-être on peut élargir, là on a parlé de ce
que tu faisais concrètement. Là on va y rester, mais en élargissant un petit peu. La
question que j’avais envie de te poser, c’est quand tu as choisi, bon tu y as un peu
répondu, mais quand tu as choisi de venir travailler en internat avec ces adolescents, ton
but c’est quoi ? Qu’est ce que tu souhaites faire ? Tu te dis, voilà j’ai choisi, voilà
pourquoi, qu’est ce que j’y met derrière) Pourquoi j’ai choisi l’internat, déjà la
disponibilité la journée, pour moi je suis incapable de … euh, j’aime bien travailler le
soir, ça ne me dérange pas. J’ai choisi d’être avec cette population le soir, euh tu fais le
même travail la journée, euh il y a le travail le week-end aussi qui est important. Pour
moi c’est deux choses différentes entre le week-end et la semaine. Le week-end c’est
complètement différent comme ambiance, ce que j’apprécie beaucoup avec les jeunes.
Et pourquoi j’ai choisi l’internat, parce que j’aime bien avoir des jours dans la semaine
par rapport à mes activités personnelles.J’ai pas envie de travailler la journée, euh
j’aime bien partager des moments, les différents moments, passer des soirées même
jusqu’à 23 heures, ça ne me dérange pas du tout, euh les horaires ne me dérangent pas
parce qu’à côté je suis épanouie, parce que je fais plein de choses à côté. J’aurais des
horaires de bureau, je me sentirais totalement cloisonée. Parcequ’à côté j’ai des choses,
un équilibre, ce qui me permet de venir travailler le soir, de travailler les week-ends, j’ai
quand même une disponibilité. Après le choix de l’internat, c’est parcequ’il n’y a pas de
côté répétitif, pour moi c’est de venir travailler, partager des moments avec les jeunes
(de manière plus générale ton but ? Je suis éducatrice en internat pour… ton but
c’est quoi ? ça a un but, une idée un sens ?)
Pour moi en internat, c’est des jeunes, ils sont placés, ils ne rentrent pas chez eux, donc
c’est quand même un lieu, c’est leur lieu, pour certains c’est que leur lieu d’être en
internat, d’être ici, donc le but c’est quand même de leur permettre de passer ce cap
facilement, parce que c’est pas facile de se retrouver sans famille, sans … Leur seul
lieu, c’est leur chambre ici, donc c’est leur faciliter la vie pour après réintégrer quelque
chose quand ils ont 18 ans, autre chose. Je sais pas , c’est le faire passer, c’est qu’un
passage dans leur vie. Que ce soit facile pour eux, plus facile, déjà par rapport à leur
histoire c’est de les soulager et d’arriver à faire autre chose
(eh qu’est ce que tu penses que les autres pensent de ton travail. En cascade, par
exemple qu’est ce que tu penses que ta hiérarchie attend de toi ? Elle t’a
embauchée, elle t’a peut-être dit des choses, mais toi tu penses qu’elle attend quoi
de toi ?)
Ben mon travail, par rapport à ce qu’elle pense ? ……. Ben que j’effectue mon travail
correctement, je veux dire à savoir au niveau de la responsabilité au niveau des horaires,
au niveau …. D’être présent, de suivre les jeunes correctement que je sois présente dans
toutes les réunions demandées, … que je sois pour les jeunes, le matin le soir, qu’il y ait
une écoute, Ouaih, de ne pas faire n’importe quoi non plus
(c’est à dire ? ça voudrait dire quoi faire n’importe quoi ?)
faire n’importe quoi, j’sais pas, par rapport à mon équipe euh, faire des gros trucs, j’sais
pas, se faire des soirées à l’extérieur avec les jeunes dans des conditions, … aller dans
des bars, boire un coup, faire des choses qui rentrent pas du tout dans le cadre avec des
jeunes qu’on a, j’sais pas de sortir le soir, de faire un week-end, aller dépenser, que ce
soit n’importe quoi, ….dans un restaurant, aller … j’sais pas , accumuler des choses qui
financièrement devraient pas aussi , boire de l’alcool avec les jeunes, des choses comme
ça qui ne me viendrait pas à l’idée. Mais pour moi c’est le n’importe quoi, de les mettre
en danger, ça ça serait n’importe quoi, …. Ce qui me demande aussi c’est de sécuriser,
de la sécurité auprès de jeunes, d’être un cadre où les jeunes peuvent être en sécurité,
voilà, pour qu’il n’y ait pas de problème.
(pour élargir un peu )
c’est vrai que c’est difficile, pour moi c’est logique, tu vois le travail qu’ils me
demandent
(c’était que tu me dises comment tu percevais ce qu’on attendait de toi, voilà)
Mon travail éducatif, l’accompagnement, d’être là
(d’accord, … Qu’est ce que tu penses que l’extérieur attend de toi ? On pourrait le
sérier. On pourrait commencer d’abord par les prescripteurs, ceux qui placent les
jeunes, tu penses qu’ils attendent quoi de toi éducatrice ? on pourrait dire le juge
des enfants, le conseil général, les services sociaux, …)
Toutes ces personnes là, moi je …. En plus quand le juge des enfants est passé là, on
est en lien. Moi je suis plus en lien, que par rapport à mon ancien boulot, la MECS, avec
l’ASE. On est plus en autonomie, je veux dire, les réunions tout ça. Ce qu’ils attendent
c’est qu’on fasse le lien, je veux dire, qu’on soit le lien entre le jeune et les institutions
de placement et aussi qu’on soit garant de ce que le jeune, son projet individuel, on soit
garant de ce qu’ils demandent eux, que le jeune ne fasse pas n’importe quoi, qu’on
arrive à concrétiser leur projet, c’est ça. Je pense que je suis le lien entre l’extérieur,
entre le jeune et le lien extérieur, donc les demandes du jeune, les demandes de l’ASE,
les demandes du Juge, je fais le lien. Après euh … c’est ça le plus important qu’il y ait
une relation. Et que le travail qu’on effectue auprès des jeunes, ce soit dit avec l’ASE,
avec l’Assistant social, avec la référente tout ça. Je crois qu’il y a besoin de beaucoup
de relations. Je trouve ici qu’avec certains il y a pas mal de relations. On peut s’appeler,
on peut dire les choses, on a fait ça euh, et ça c’est bien
(donc là c’est du côté des professionnels et qu’est ce que tu penses que les familles
des jeunes qui sont confiés ici attendent de toi ?)
Ca dépend certains … C’est un soutien, c’est un relais pour certain, un relais au niveau
éducatif, pas à la place de la famille, je remplace pas la famille. Un relais au niveau
éducatif, ça veut dire voilà j’y arrive plus au niveau de mon enfant, au niveau scolarité,
professionnel, éducatif. C’est un relais moi je dis, pour certains.
(quand tu dis relais, est ce que tu peux essayer de m’expliquer, ça veut dire quoi ,
pour toi ?)
Pour moi, c’est continuer ce qu’ils ont fait euh au niveau scolarité, au niveau éducatif,
c’est une continuité, je continue ce qu’ils ont entamé ou pour certains qu’ils n’ont pas
du tout entamé. Pour certains parents, ça les soulage qu’on arrive à mettre en place avec
le jeune, que le jeune arrive à mettre en place quelque chose de professionnel, donc
c’est ça, c’est ce qu’ils demandent. La plupart des parents ce qu’ils demandent, c’est
qu’ils s’en sortent les gamins. Après t’as des parents y sont complètement …, tu peux
pas discuter, y a pas d’échange. Y a des absences de parents, moi c’était la première fois
que je travaillais avec des mineurs isolés
(oui ?)
donc là il y a l’absence des parents, donc le lien … c’est seulement le placement, l’aide
sociale qui place et c’est vrai que là on a pas de relais. Là on fait avec, on fait avec le
jeune. Là il n’y a pas une demande extérieure de la famille, donc c’est complètement
différent.
( oui oui !)
Et avec certaines familles ce qui a été bien, ce qui est important c’est de redire les
choses, de ce qu’on fait, pour certains : on a fait ça avec le jeune, y a ça … on a fait
cette démarche là auprès du collège, on a fait cette démarche là, le jeune en est là voilà.
(d’accord, ça veut dire tout ça pour toi relais ?)
oui !
(est ce que tu as l’impression qu’entre ce que toi tu penses être ton travail et ce
qu’on pense de ce qu’est ton travail -la hiérarchie, l’extérieur - qu’il y a du
décalage entre ces deux attentes, ces deux visions du travail ?)
Moi j’ai pas l’impression qu’il y ait du décalage, parce que s’il y a une discussion, on
dit les choses. Euh … c’est ce qui me donne l’impression, avec l’institution, avec la
direction ou avec la chef de service. Quand il y besoin d’interpeller, il y a ce qu’il faut.
Il y a beaucoup d’échanges. C’est vachement important qu’il y ait un regard extérieur,
un regard qui nous dise, qui me dise ben ouaih, moi j’aurais pas fait ça comme ça ou
c’est bien ce que tu as fait et tout, et ça c’est important ou de poser des questions, ben
qu’est ce que je dois faire ? je suis dans l’impasse ou j’en peux plus ou … je trouve
qu’il n’y a pas un décalage, parcequ’on parle énormément
(et entre l’extérieur et toi ?)
l’extérieur au niveau de l’ASE ?
(que ce soit l’ASE, les travailleurs sociaux ou les familles, la société)
bon ça dépend de la relation avec l’ASE, des référents. Il y a des référents où j’ai pas de
relation du tout, je les oublie même ! je les oublie parce qu’ils interviennent jamais, ils
appellent jamais, et c’est vrai que dans le travail auprès du jeune, ben après je me dis
oh là il faut que je l’appelle pour lui dire il y a eu ça quand même ! Donc des fois c’est
démerdez vous ! et des fois c’est un travail en commun où on s’appelle régulièrement
où il y a quelque chose …
(ce que tu es en train de me dire c’est que si il y a un travail de lien, de mise en
mots de relations régulières, le décalage il existe pas ou moins)
ouaih moi je trouve parce qu’il sait ce qu’on fait
(par contre s’il n’y a pas ce lien il peut y avoir un décalage entre ce qui est
attendu et ce qui est fait ou ce que tu imagines toi ?)
non, y a un décalage dans le travail moi je dirais, dans le travail à effectuer auprès du
jeune, je veux dire. C’est bien d’avoir un soutien extérieur avec de l’ASE et tout ça,
qu’ils soient présents , que ça soit repris, qu’ils fassent le lien avec la famille. Et quand
y a pas, tu te débrouilles avec, c’est vrai ! Mais qu’il y ait un décalage, je crois qu’il n’y
a même pas de vision par rapport à notre travail
(d’accord … et alors sur un autre aspect … pour toi c’est quoi ou ça serait quoi
être un mauvais éducateur ?)
Un mauvais éducateur pour moi c’est quelqu’un qui met en danger un gamin, … qui le
violente c’est ça un mauvais éducateur. Y a pas de mauvais dans les actes éducatifs où
ça le met pas en danger. Moi je peux me tromper sur quelque chose, on en rediscute et
si ça n’a pas mis à mal le gamin euh, l’hôpital, en danger euh s’il n’y a pas eu de
brutalité. Moi un mauvais éducateur c’est ça, quand il y danger sur la personne, après…
il faut vraiment que ce soit l’extrême parce que mauvais, … moi je suis pas mauvais ou
mauvaise, j’ai pas ce point de vue …
(et bon éducateur ?)
non y a pas de bon, il y a un travail qui est effectué. Y a pas de bon excellent, meilleur
(Onh onh !!)
C’est le travail auprès des jeunes, d’être là présent, y pas de bon ou de meilleur, je suis
pas dans le truc d’une hiérarchie comme ça.
(pas dans un jugement comme ça ?)
non ! Après mauvais oui j’en ai vu des mecs qui … dont j’ai du signaler. Ça m’est
arrivé dans mon ancien boulot, je l’ai interpellé, j’ai dit stop là, j’ai fait un courrier, y a
brutalité physique, là j’ai dit stop, je lui ai déjà dit. Ca m’est arrivé d’être dans cette
situation, d’intervenir, de faire un écrit et de lui dire j’ai fait un écrit à la direction et il y
a ça, ça ça … Donc là oui, là y a mauvais, là c’est mauvais. Y a que ce côté là, après euh
…. Bon ou mauvais, on peut pas dire ça comme ça ! j’aurais pris de mots, plus euh …
après c’est … plus dans la continuité. Y a des choses ou je peux reprendre avec un
éducateur ou une éducatrice, ou même reprendre avec moi, mais y a pas de bon ou
mauvais
(donc toi tu emploierais quoi comme mots , alors ?)
quelqu’un qui est efficace, euh, qui est présent , présent physiquement,
psychologiquement. C’est ça ! la présence. Bon il y des jours où on est pas présent non
plus, c’est ce que je te disais, il y des jours on est là mais on est pas là !
(donc toi comment tu caractérises, ou tu interpelles quelqu’un où tu as le sentiment
que de manière …. )
générale il est pas là ?
(oui il est pas là, il est pas présent dans le sens où tu pouvais le dire)
… je dirais pas bon ou mauvais, je dirais … je sais pas quel mot je peux … pas
présent, mais bon je sais pas !
(pas présent ?)
oui
(d’accord ! … on va s’acheminer vers la fin, mais j’ai une question qui m’occupe
là Donc depuis que tu exerces , donc depuis 2000 c’est ça ?)
oui
(est ce que tu as le sentiment d’avoir changer d’avis sur ce qu’est ton travail ? et si
t’as changer, dans quel sens ? changer ou évoluer, ou radicalement changer, j’en
sais rien ! comment tu peux expliquer cette évolution ?)
Moi mon travail auprès des jeunes a changé, a changé à travers les rencontres que j’ai
eu , les rencontres d’éducateurs, les rencontres chef de service, les rencontres d’équipes,
euh … aussi psychologues, aussi supervision, euh ça j’ai changé oui, j’interviens pas
du tout de la même façon ici qu’il y a six ans. J’ai plus d’assurance déjà, un autre regard
euh les gens que j’ai rencontrés avec qui j’ai échanger m’ont permis d’évoluer dans
mon travail, dans ma façon d’intervenir, de réfléchir euh même au niveau de l’écrit j’ai
évolué, c’était mas difficulté l’écrit à l’école. Tout ça a évolué et j’évolue encore. La
supervision me fait évoluer, me fait réfléchir. Le nouvelles personnes que je rencontre
au sein de cette équipe m’ont fait réfléchir, la façon de travailler. Le regard, l’écoute
tout ça ça bouge.
(est ce que tu pourrais me donner quelques exemples sur lesquels tu te dis j’ai
radicalement –ou pas- évoluer ou changer, sur telle chose je pensais ou je faisais de
telle manière et aujourd’hui je fais ou je pense de telle manière ?)
Pour imager au début je crois que j’étais assez stricte, pour me protéger , je pensais
qu’avec certains jeunes il fallait être très cadrante et c’est vrai que j’étais très cadrante
au début de mon travail et que là je me rend compte qu’il n’y a pas que le cadre. Il faut
lâcher certaines choses avec des jeunes pour arriver à autre chose. Avant je passais tout
le temps par le cadre, avant, c’était une façon de me protéger. Que là j’arrive à avoir un
cadre mais pas aussi ferme, c’est pas une fermeté aussi forte. C’est pour ça qu’au début
quand je suis arrivée ici où on est autonome, on est dans une maison, … et y a des
choses moi au début, quand il y avait un dégât ou ils cassaient quelque chose, j’étais
assez euh, je voulais être assez ferme, je voulais arriver à une sanction. C’était l’histoire
de la sanction et la sanction je l’ai laissée, … il y une sanction, mais différente. Avant il
y avait une fermeté, ça j’ai évolué là dessus. Voilà si j’ai évolué dans cette relation,
c’est que je me suis lâchée, lâchée, me laisser un peu évoluer différemment, moins de
barrières, de sécurité, de me protéger. J’ai évolué à travers ce que j’ai rencontré, les
gens, la façon dont ils travaillent. Je regarde comment ils travaillent, par exemple L.
j’écoute ce qu’il dit, comment il travaille. Ça je regarde, j’apprends à travers S., je peux
apprendre à travers F. la façon dont elle intervient. Il y a quelque chose qu’on apprend à
travers les autres. J’écoute et après je me dis tiens j’avais pas fait comme ça, j’aurais pas
dit la même chose que ça, voilà. Y a autre chose, le regard l’écoute, de me poser,
prendre le temps d’écouter euh et ça je pense qu’avant j’allais un peu vite. J’écoutais,
mais je prenais pas le temps de me poser avec le jeune. Ça aussi, faire les choses avec
lui, de prendre son temps. Avant ça allait un peu vite peut-être, ne pas approfondir les
choses.
(et quand tu parles avec tes collègues, au sens large, pas que ceux de ton équipe,
quand tu rencontres d’autres personnes, quand tu parles de ce travail d’éducateur
est ce que tu repères des points communs entre toi et les autres ? Ou au contraire
des différences ?)
Ben le point commun, euh, … c’est marrant parce que quand je suis partie de l’ancienne
institution , j’ai une collègue qui est partie en même temps que moi. Je suis toujours en
contact avec l’ancienne institution et celle qui est partie et on a eu un point commun en
se disant si je retournais travailler là bas, je ne travaillerais pas de la même façon ! J’ai
évolué, j’ai appris. J’ai appris autre chose et elle aussi. Le point commun avec les autres
personnes, … je crois que c’est l’écoute euh qui est énorme et la relation avec les jeunes
on adore. Moi je m’éclate avec les jeunes. Et avec certains collègues ou ex collègues
c’est ça, quand on parle des jeunes on a vécu un moment, quelque chose de drôle pas
drôle. C’est ça, c’est ce qu’on vit avec eux, c’est ce point commun.
(toi c’est quelque chose que tu aurais tendance, avec les personnes que tu
rencontres, presque à généraliser, ce sentiment d’être bien avec les jeunes et
d’avoir envie de passer du temps avec eux ?)
Oui, et j’ai un autre exemple avec une éducatrice, je ne sais pas ce qu’elle vit, mais
pour elle, « c’est lourd ce que je fais », chaque fois qu’elle m’en parle, oh c’est pas
facile, il faut du temps, je dis attend il faut pas du temps, je le vis bien, mon travail j’ai
envie d’y aller et que elle, elle vit lourd, c’est lourd, ça te prend au niveau physique ,
psychologique, t’es mal . Je dis oui, il y a des moments comme ça, mais moi je vais au
travail, j’aime bien, j’y vais pas en reculant. Là il y a un décalage. Y en a qui vive leur
travail complètement difficile, les relations avec les jeunes, leur histoire. C’est vrai que
c’est difficile tout ça, mais il y a des espaces où on peut en parler. Des fois c’est vrai
que c’est dur, des fois je reviens à la maison, c’est vrai que c’est pas facile. Mais y a
vraiment des espaces. Là il y a un décalage. Je suis en décalage avec cette personne et
ce que j’ai envie de lui renvoyer à chaque fois c’est du positif, c’est heureux, c’est tout
va bien enfin tout va bien ! oui je vais bien, je veux dire je fais ça, j’apprécie de faire ça
euh, là je travaille avec des mineurs isolés, c’est super enrichissant. J’ai découvert plein
de choses et j’y vais.
Après dans le travail avec les anciens collègues, il y a un décalage, parce que c’est vari
ici je suis en autonomie , parce que qu’il y a pas la direction qui est derrière moi euh y a
un décalage au niveau du travail. Je sais si ce serait difficile de retourner où j’étais avant
où il y a la direction. Une certaine autonomie dans les synthèses, d’aller voir l’ASE, de
se déplacer, à la gendarmerie tout ça, … on est vachement autonomes. C’est quelque
chose que je n’avais pas avant. Non je ne me sens pas en décalage, quand je rencontre
des gens à l’extérieur ouaih.
(est ce qu’il y a des choses, dans tout ce qu’on évoqué ensemble où tu te dis
j’aimerais revenir sur tel point, préciser telle chose ou dans l’ensemble tu penses
que …)
Dans l’ensemble des fois je suis un peu en vrac ! On est du matin et … (pour moi
c’était pas en vrac) moi je suis plutôt du soir, je suis pas du matin ! Non non, je n’ai pas
à revenir sur certains points
IV. EXEMPLE DE GRILLE DE TRAITEMENT DES ENTRETIENS
V. EXEMPLE DE GRILLE D’ENTRETIEN ANNUEL
D’ÉVALUATION
NOM DU CANDIDAT : M. RYBOLOVIECZ David
DATE DU JURY :
DIRECTEUR DE RECHERCHE : M. BERLIOZ Gilbert
Février 2009
DIPLÔME :
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme Supérieur en Travail Social (D.S.T.S)
TITRE : QU’EST CE QUE JE FAIS LÀ ?
SOUS-TITRE :Recherche compréhensive sur les fondements d’une pratique d’éducateur d’internat
en M.E.C.S.
RESUMÉ :
Cette recherche a pour origine l’expression de l’insatisfaction d’éducateurs d’internat intervenant en
Maison d’Enfants à Caractère Social accueillant des adolescents. Pourquoi cette insatisfaction
latente, alors même que l’institution, ses cadres et même les tutelles viennent positiver l’action
éducative mise en œuvre auprès de ces adolescents en grande difficulté ?
C’est du côté de la compréhension de ce qui fonde la pratique de ces éducateurs que nous avons alors
orienté ce travail de recherche.
Dans une première partie, nous nous sommes attachés à mettre en évidence le contexte d’intervention
des éducateurs : un retour sur quelques éléments historiques et légaux, la mise en lumière d’un
champ d’intervention toujours en mouvement et en questionnement, avant de décrire le contexte
particulier d’intervention de l’équipe d’éducateurs à l’origine de notre questionnement. Cette partie
sera également l’occasion de faire un détour par le concept de représentation « système
d’interprétation régissant notre relation au monde ».
Nous pourrons alors ouvrir notre seconde partie sur la démarche méthodologique qui nous a conduit
à rencontrer une dizaine d’éducateurs d’internat, pour leur donner la parole sur leur pratique et de
leur métier. C’est à partir de cette «matière première » que nous avons tenté de faire émerger des
figures d’éducateurs telles que l’émancipation, la réparation ou le technicien. Ces différentes figures
ont pu être rattachées, dans notre troisième partie au concept de Max Weber relatif à l’éthique de
responsabilité et l’éthique de conviction, cohabitant dans la pratique des éducateurs. Nous avons
alors pu faire l’hypothèse que ces deux éthiques au sein d’une même pratique, engendre de la
tension, terreau de l’insatisfaction et du doute pour les éducateurs.
À partir de cette compréhension, nous invitons les chefs de service, responsables des équipes
d’éducateurs à s’emparer de cette question de l’évaluation, afin de soutenir les éducateurs. Chacun, à
partir de différents niveaux d’évaluation que nous avons rappelés, doit en effet pouvoir porter un
regard et mettre des mots sur sa pratique afin de comprendre ce qui est en jeu, ce qui peut progresser
et ce qui fonctionne. Il n’est pas question ici de supprimer le doute nécessaire au travail social, mais
d’aider à comprendre et à dépasser l’insatisfaction ressentie, pour vivre plus sereinement sa pratique
d’éducateur en Maison d’Enfants à Caractère Social.
MOTS CLEFS : représentations- éducateur- M.E.C.S - éthique de conviction- éthique de
responsabilité.
NOMBRE DE PAGES : 127
ANNEXES : en fin de document
CENTRE DE FORMATION : COLLÈGE COOPÉRATIF RHÔNE-ALPES (C.C.R.A)

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