Critiquesdiffusion site ville avril2010
Transcription
Critiquesdiffusion site ville avril2010
Critiques : BD Le petit rien tout neuf avec un ventre tout jaune / Rabaté Futuropolis, 2009 Patrick possède une boutique de farces et attrapes en province, « Le petit rien tout neuf avec un ventre jaune ». Ici tout est attrape, blague… Mieux vaut faire abstraction du bon goût, les étrons en plastiques côtoient les tabliers de cuisines assortis de faux seins, sous le regard jubilatoire des masques de Johnny. Mais Patrick est devenu un sacré triste sire depuis le départ de son épouse. Sa vie bascule à nouveau, au cours d’une soirée entre amis. Il fait connaissance d’une artiste, une acrobate travaillant pour le cirque Nuage, de passage en ville. Une étoile brillante dans la nuit sombre, qui va éclairer le chemin de sa vie Album après album, Pascal Rabaté construit une œuvre de plus en plus cohérente et enthousiasmante. Il livre ici un récit où tout coule de source et, en même temps, ne cesse de surprendre. Situations, gestes, attitudes, paroles… sonnent justes, respirent la vie tout en véhiculant un petit grain de folie comme une certaine mélancolie. Description réaliste de la vie quotidienne et fantaisie, chronique et fable se côtoient pour forger un récit dynamique, drôle, tendre, parfois féroce. Paul à Québec / Michel Rabagliati Editions de la Pastèque, 2009 Prix du public au festival d’Angoulême de 2010 Maîtrisant totalement l'art de traiter avec tact les sujets difficiles, Michel Rabagliati aborde de front dans cet album la question d'un deuil très proche, en l'occurrence celui de son beau-père Roland (car l'artiste parle toujours de ceux et de ce qu'il connaît). Autour de la grande et chaleureuse famille élargie de Paul, le lecteur suit la maladie de Roland, les inquiétudes des proches, les espoirs, les joies éphémères, les soins au malade. La fin. Sinistre sujet? Pas du tout, car la force de l'auteur est justement, sans éclipser la dure condition humaine, de susciter l'espoir, un espoir né avant tout de l'amour qui règne entre les membres de la famille et qui transcende la tragédie. Les dessins doux, en ombre et en lumière, et dans lesquels les visages revêtent des expressions sciemment enfantines, innocentes, ouvertes, font vibrer toutes les facettes des sentiments humains, révélant une nouvelle fois la profondeur de l'univers de l'auteur, qui a pourtant souvent confessé confiner son horizon à Montréal. Car en lisant ce dernier Paul, c'est ce qui saute aux yeux: si Michel Rabagliati a choisi de délimiter son champ d'action, son territoire géographique, son art, lui, déborde pour toucher à ce qui est fondamentalement commun à l'humanité entière. Et c'est pourquoi il est difficile: - de lâcher l'album avant la dernière page; - de ne pas essuyer une larme, mais une larme bénéfique, en refermant l'ouvrage. A la folie / Sylvain Ricard Paris : Futuropolis, 2009 Cote : BD-RIC Résumé : Voici l’histoire d’un petit couple « ordinaire » qui s’aime un peu, beaucoup, à la folie. Ils se sont rencontrés, il y a quelques années et se sont rapidement mariés. L’homme gagne bien sa vie, la femme n’aura pas besoin de travailler. Pourtant un jour, cette harmonie se brise. Une bête dispute, rien de spécial, explique-t-elle. Mais cette dispute entraîne les premiers coups. Leur vie bascule et l’horreur s’installe au quotidien. Plutôt que de nous servir un récit démonstratif ou spectaculaire, les deux auteurs placent un dispositif mettant en scène un couple assis sur le canapé, évoquant chacun à leur tour, comme une confession intime, leur rapport à l’autre et leur vision de la relation conjugale ou les souvenirs qui leur viennent à l’esprit. Le dessin tout en douceur de James, les situations posées, le récit lucide, les explications d’une grande précision et pleines de sincérité créent une distance juste et nécessaire et rendent ce livre passionnant de bout en bout. Palestine / Joe Sacco Montreuil : Rackham, 2010 Cote : BD-SAC Résumé : En décembre 1991 et janvier 1992, pour connaître un autre point de vue que celui donné par les médias américains, Joe Sacco part en Palestine dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. De ses rencontres dans les camps de réfugiés et les territoires occupés, il tirera un livre majeur qui marquera l’acte de naissance du journalisme en bande dessinée. Palestine offre un bouleversant témoignage humain et un document de première importance. Quinze ans après sa première parution, l’œuvre de Sacco n’a pas perdu une once de sa pertinence et de sa force. Cette édition intégrale présentera la préface originale d’Edward Said, un texte de Sacco sur ses méthodes de travail et l’évolution actuelle du conflit ainsi que de nombreux documents inédits sur la genèse du projet (carnets, esquisses, photos...). Critique : Document Splendeurs et misères du travail / Alain de Botton Paris : Mercure de France, 2010 Résumé : La plus remarquable caractéristique du monde contemporain du travail est peut-être finalement la croyance très répandue que celui-ci doit nous rendre heureux... Notre société est la première à suggérer que le travail pourrait être beaucoup plus qu'une punition ou une pénitence et que nous devons chercher à travailler même en l'absence d'un impératif financier, l'idée étant que le chemin vers une existence dotée de sens doit invariablement passer par le portail d'un emploi satisfaisant et profitable. Avec ce livre, dont le titre a des accents balzaciens, Alain de Botton nous donne une série de reportages, souvent très pittoresques, sur les conditions de travail dans différentes activités. Cela va de l'élaboration d'un nouveau biscuit - qui aurait imaginé que cela mobilise autant de personnes pendant si longtemps ? […], à une visite fort réjouissante au salon aéronautique du Bourget. En tout dix chapitres, chacun consacré à un métier souvent inattendu. Le travail, au centre de la vie de chacun d'entre nous, correspond-il aux attentes que nous pouvions avoir à, mettons, seize ans ? Au temps de la mondialisation, de l'informatique, du « toujours plus », s'épanouit-on un peu, beaucoup, souvent, rarement dans son métier ? Critique : romans La Centrale / Elisabeth Filhol Paris : Pol, 2010 Résumé : Puissant, révolté, le premier roman d'Elisabeth Filhol dérange. Véritable plongée en apnée au cœur du nucléaire, La Centrale respire la frustration et la colère. Si l'écrivain dévoile sans tabou les dangers de la contamination radioactive, elle dénonce par ailleurs une autre menace, non moins palpable et tout aussi étouffante : celle de la précarité, triste compagne de route de ces ouvriers qui doivent se contenter de quelques missions périlleuses pour tromper la misère. Alors chaque année affluent des centaines d'hommes sur les côtes normandes, à l'affût du poste de la dernière chance qui va rapporter mais à quel prix... Partout rôde le danger. Pourtant la peur de mourir importe peu. A l'image de ces vies résignées, Elisabeth Filhol enveloppe son récit dans un voile de tristesse indélébile, usant d'une plume quasi mécanique. Des phrases froides cousues du fil de la lassitude et de l'angoisse permanentes. Au plus proche de la réalité, La Centrale est un roman engagé, dont la réussite réside tant dans le travail de documentation sur le déroulement des manœuvres techniques que dans sa faculté à rendre perceptible, sensible l'insoutenable poids de l'atmosphère. Vents contraires / Olivier Adam Editions de l’Olivier, 2009 Si vous ne connaissez pas encore, Olivier Adam est l’auteur du livre « Je vais bien, ne t’en fais pas ». Olivier Adam, à cette fois, choisit la Bretagne et plus précisément Saint-Malo pour mettre en scène l’histoire de ce drame familiale, un père de famille échoué là avec ses deux enfants après la disparition de sa femme. Paul revient sur les lieux de son enfance là où vit son frère pour tenter de reconstruire un semblant de vie, tenter de pallier l’absence oppressante, douloureuse, incompréhensible. Pour lui mais surtout pour ses enfants qui dépérissent peu à peu. Comment continuer quand il manque obstinément quelqu’un ? Et puis Paul ne comprend pas. Pourquoi est-elle partie ? Comment a-t-elle pu laisser les enfants ? Malgré les disputes, ils s’aimaient tant. Il était une famille. Face aux souvenirs et dans un environnement à la fois familier et hostile, Paul cherche en vain des explications et résiste. Au désespoir, à la destruction, à la fuite, aux vents contraires. Un très beau roman émouvant, subtil, imprévisible et en même temps lumineux. L’histoire d’un père qui trouvera la force de résister et au-delà d’espérer. Les vieilles / Pascale Gautier Joëlle Losfeld, 2010 Il y en a une qui prie, une autre qui est en prison, une autre encore qui parle à son chat, et certaines qui regardent les voisines de haut en buvant leur thé infect. Leurs maris ont tous disparu. Elles sont vieilles, certes, mais savent qu'elles pourraient bien rester en vie une ou deux décennies encore, dans ce pays où il n'est plus rare de devenir centenaire. Alors elles passent leur temps chez le coiffeur, à boire et à jouer au Scrabble, à essayer de comprendre comment fonctionne un téléphone, à commenter les faits divers, à critiquer leur progéniture qui ne vient pas assez, à s'offusquer de l'évolution des mœurs... Elles savent que le monde bouge, et qu'elles devraient changer leurs habitudes, mais comment faire, à leur âge ? Aussi, l'arrivée de Nicole, une « jeunesse » qui entame tout juste sa retraite, et l'annonce d'une catastrophe imminente, vont perturber leur quotidien. Ce nouveau roman de Pascale Gautier est irrésistible par sa fraîcheur, sa volonté de prendre avec humour le contre-pied de certaines idées reçues sur la vieillesse. On y retrouve avec délectation la causticité et la liberté de ton qui caractérisent ses précédents textes. Critiques : Policiers Hypothermie / Arnaldur Indridason Métaillé, 2010 L'Islandais le plus connu au monde, avec la chanteuse Bjork, poursuit son travail simenonien. Erlendur, ce flic apathique et taciturne, va cette fois-ci livrer une enquête sans mobile, poursuivre deux vieilles affaires que rien ne relient à priori, tenter de mettre de l'ordre dans sa famille, faire la peau de son passé. Curieux roman noir ou l'on ne met les pieds au commissariat qu'une fois, ou les coupables ne seront pas inquiétés, juste démasqués, roman de la famille, celle qui se hait, se déchire en silence, sale consciencieusement ses plaies. Dans un pays sinistre, Erlendur arpente les contrées les plus gelées, les myriades de lacs, à la recherche de fantômes, d'affaires restées lettre morte. Le titre original de ce livre est le nom d'une petite montagne ou le frère du héros trouva la mort, par une tempête de neige dont son cadet réchappa. La culpabilité est au centre de cette envoûtante enquête. Une femme prénommée Maria est retrouvée pendue dans un chalet. Rien ne remet en doute la cause de la mort. Sauf l'intuition cafardeuse d'Erlendur, pour qui une dépouille cache son petit lot de secrets. Indridason vient d'écrire le testament des affaires familiales. Toutes ces vies gâchées par le non dit, un drame subit lors de l'enfance, une disparition inexpliquée, le fardeau parental, le surin du mariage qui s'éteint à feu doux. Au sein de paysages lunaires, la neige en sus, l'auteur tricote sans forfanterie un lamento, une leçon des ténèbres familiaux. On y apprendra que le meurtre peut se passer d'armement. La trahison, une poignée de mots sont aussi efficace qu'un revolver et autres dérivatifs. Les cœurs déchiquetés / Pierre Vilar Rivages, 2009 Pierre Vilar, commandant de la police bordelaise, a vu sa vie imploser le jour où son fils n’est pas rentré de l’école. Dès lors, Vilar n’a eu qu’une seule obsession, retrouver Pablo coûte que coûte, dusse-t-il perdre la mère de son enfant au passage. Non loin de là, Victor, treize ans, rentre du collège et retrouve sa mère assassinée. Débute alors pour lui une période douloureuse entre foyer et famille d’accueil. L’enquête sur le meurtre de cette femme, c’est Vilar qui en est chargé, et les choses se gâtent lorsque le policier commence à recevoir des menaces téléphoniques… L’auteur du multiprimé L'homme aux lèvres de saphir n’avait rien publié depuis 2006 et Tango Parano. Autant dire que ce nouveau roman d’Hervé Le Corre était attendu et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne déçoit pas. Les principaux protagonistes de ce roman sont sans surprise des personnes en proie aux plus terribles souffrances intérieures. Enfants détruits par la vie, femmes seules ayant connu l’enfer, et jusqu’au personnage principal, le commissaire Vilar, ces cœurs déchiquetés sont rendus avec une grande humanité par la très belle plume de l’auteur. Et malgré la grande noirceur de ces vies, l’espoir semble encore avoir droit de cité, celui qui fait survivre, à défaut de faire vivre. Par ailleurs, les descriptions de Bordeaux et du Médoc sont très réussies – Le Corre est bordelais, ça aide – et le travail sur les dialogues, particulièrement entre policiers est appréciable. Hormis quelques rebondissements assez prévisibles, il n’y a pour ainsi dire rien à reprocher à ce roman de grande qualité littéraire – l’auteur est aussi professeur de lettres. Hervé Le Corre confirme avec Les cœurs déchiquetés, polar très réussi aux frontières du roman noir et du thriller, sa place dans le haut du panier du polar français.