DANS LE BASSIN Nîmes-Beaucaire-St Gilles
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DANS LE BASSIN Nîmes-Beaucaire-St Gilles
COMPETENCES ACTIONS EMPLOIS LES TRAVAILLEURS AGRICOLES MIGRANTS (Afrique du nord) DANS LE BASSIN Nîmes-Beaucaire-St Gilles Port Ariane - 1 Rue des Chevaliers de Malte, Palais Castilhon, Bât. C - 34970 LATTES Tél. 04 67 18 63 64 - fax 04 67 18 63 69 - SIRET 398 951 848 00025 APE 804 C Synthèse Cette étude a été menée dans le cadre d'un programme européen Equal « Compétences Actions Emplois » et pour Asmoune, qui développe ici une approche-territoire pour faciliter l'insertion des travailleurs migrants en arboriculture. Ce rapport pose la question de l'inégalité des chances et des genres dans le secteur agricole du bassin Nîmes-Beaucaire-St Gilles (Gard). Une forte proportion de travailleurs agricoles migrants sont Marocains (Arabes ou Berbères). Issus de régions rurales pauvres, non scolarisés ni qualifiés, ils sont nombreux à avoir été cultivateurs précoces sur les terres familiales ou celles d'un patron « pied-noir ». En France, pour pallier le déficit d'ouvriers locaux, les exploitants agricoles ont recruté ces jeunes marocains solides, travailleurs, malléables et résistants aux conditions climatiques. Au départ, l'émigration était exclusivement provisoire et masculine : travailler dur, amasser un pécule suffisant pour vivre au pays le reste du temps. L'immigration s'est ensuite enracinée, par le regroupement familial d'abord, puis par le RMI et le FSV (minimum retraite). Aujourd'hui, les travailleurs agricoles migrants vivent le plus souvent dans une situation socioprofessionnelle précaire. I. Les travailleurs agricoles migrants sont dans une situation précaire Les contrats saisonniers offrent quelques semaines jusqu'à six mois de travail par an. Le plus souvent, les travailleurs saisonniers travaillent trois mois, en pleine saison, de début juin à fin août, quelquefois jusqu'à la mi-septembre. Les contrats sont souvent courts et fractionnés ou renouvelables selon les besoins de l'employeur. Or un nombre d'heures de travail insuffisant pendant la saison ne permet pas d'ouvrir des droits ASSEDIC1. S'ils sont trop modestes, ils sont alors complétés par le RMI. S'il y a ouverture des droits ASSEDIC, la durée d'indemnisation est de plus en plus courte. Nombreux sont celles et ceux qui perçoivent le RMI tout en travaillant quelques mois de manière déclarée chaque année. Dans l'autre cas de figure, le faible écart entre un RMI et les aides sociales (Couverture Maladie Universelle, allocations familiales et logement) et un SMIC sans aides sociales produit un « effet de seuil ». Aussi, il est des cas où il est « plus intéressant » de rester bénéficiaire du RMI. Les demandeurs d'emploi peuvent être démotivés par la perspective de trouver du travail. II.1. Des propositions applicables Elargir les périodes d'emploi ou annualiser le travail saisonnier La récolte des fraises2, la « Garriguette », a lieu fin mars, début avril. Ensuite vient celle des fruits à noyaux (les cerises, les abricots, les pêches et les nectarines), entre juin et août. Puis le cueillette des pommes, qui s'effectue en septembre. La saison de la production se termine avec les kiwis, pendant quelques semaines en octobre. J F M A --- --fraises M PRODUCTION ANNUELLE DE FRUITS J J A S O ------- ------- ------- ------- --fruits à noyaux N D pommes kiwis 1 Première ouverture de droit « classique », après 6 mois ou 910 heures de travail au cours des 22 derniers mois. 2 Ramassage des fraises exclusivement féminin, et conditionnement au même endroit Groupement d'employeurs Le système de groupement d'employeurs permet d'offrir de l'emploi à un même ouvrier agricole plus longtemps dans l'année. Par exemple, un employeur embauche des ouvriers pour sa production de fraises et de fruits à noyaux au printemps et en été, et les met à la disposition d'un autre employeur pour la vigne, les pommes et les kiwis à l'automne et au début de l'hiver. Qualification d'ouvrier agricole Autrefois les différentes techniques de travail (taille, éclaircissage, conduite de tracteur) étaient acquises, auprès du patron, avec la pratique et le temps. Aujourd'hui, elles nécessitent une formation qualifiante. Cette polyvalence, acquise en élargissant ses compétences, permet de travailler plusieurs mois voire toute l'année (voir graphiques). En amont de la saison de ramassage et d'emballage, il s'agit notamment de savoir conduire un tracteur, tout en maîtrisant les notices et le dosage des traitements phytosanitaires, des engrais et autres désherbants à pulvériser. L'éclaircissage consiste à retirer, avec coup d'oeil et savoir-faire, un certain nombre de fruits en début de maturité, pour obtenir de l'arbre des fruits d'un calibre minimal et un nombre de fruits requis par branche. Pendant la pleine saison de ramassage et d'emballage, des ouvriers qualifiés contrôlent les agréments et gèrent les commandes ou managent les équipes de travail (en station d'emballage ou sur les vergers) en qualité de chefs d'équipe. En aval de la saison de production, les vergers et les vignes nécessitent d'être taillés pour espérer une saison abondante l'année suivante. J F A M J J A S O --- --------- ------- ------- ------- --------- ------- ------- ------- ------- ------- ------- ------- ------- --- tractoriste M éclaircissage chef d'équipe, agréments, commandes N D ------- ------taille PRODUCTION ANNUELLE DE FRUITS COMPETENCES AGRICOLES REQUISES DANS L'ANNEE II.2. Des solutions applicables sous réserve... ... de mobilité Le manque de mobilité est un réel handicap, en amont, dans la recherche d'emploi et, en aval, pour se rendre sur le lieu de travail. Le permis de conduire et un véhicule permettent aussi de se déplacer d'une exploitation à une autre pour multiplier les contrats et les mois d'activité professionnelle. La solution du co-voiturage, organisée de manière informelle entre les ouvriers ou à l'initiative de structures institutionnelles3, connaît quelques obstacles mais permet néanmoins à un certain nombre d'ouvriers concernés par le problème de la mobilité de travailler. La solution des usagers reste celle de passer leur permis de conduire. Certains ont un permis de conduire marocain, non valable sur le territoire français. D'autres, le plus souvent, ne sont pas titulaires d'un permis faute d'être alphabétisés. 3 AFEMA et Conseil général du Gard ... d'offre et de demande suffisantes de qualifications Pour trouver un emploi de plusieurs mois, voire à l'année dans le secteur agricole, il est indispensable d'être polyvalent, et pour l'être, il faut être qualifié. Or les qualifications institutionnelles sont devenues souvent difficiles à mettre en place, et de moins en moins financées ou « inaccessibles aux petites exploitations ». Par ailleurs, les qualifications ne sont pas toujours stimulantes. En amont, les formations non rémunérées sont « boudées », beaucoup ne les considèrent pas en termes d'investissement. En aval, le manque de reconnaissance de la part des employeurs est, en termes de revenus, un « frein » à la motivation des ouvriers agricoles pour se former. Les formations qualifiantes sont, le plus souvent, proposées dans le cadre d'un dispositif (CIF CDD, RMI). Faute d'entrer dans l'un des dispositifs, un ouvrier agricole n'aura pas accès à une qualification. Une fois la formation mise à disposition et que les candidats remplissent les conditions d'inscription, le manque de connaissances de base, autrement dit l'analphabétisme, met un « frein » à la formation. ... d'alphabétisation La majorité des ouvriers agricoles migrants de la première génération n'ont pas eu l'occasion d'apprendre à lire et à écrire, ou même à parler le français. Ils étaient le plus souvent isolés sur le plan linguistique. Hébergés et employés sur la propriété, dans un secteur professionnel qui ne nécessitait pas de savoir lire, avec des compatriotes arabophones et quelquefois un patron possédant un minimum de vocabulaire en langue arabe, ces hommes parlaient exclusivement l'arabe. L'alphabétisation peut résoudre le problème de la mobilité. En maîtrisant la langue française orale et écrite, une personne étrangère est en mesure de passer un permis de conduire. Ainsi, elle pourra se déplacer de manière autonome, afin de chercher un emploi ou de se rendre sur le lieu de travail. L'analphabétisme restreint aux postes non qualifiés qui ne permettent pas de travailler suffisamment dans l'année, et bloque l'accès aux formations qualifiantes multipliant les chances de décrocher un emploi de plusieurs mois. Beaucoup de personnes analphabètes déplorent aujourd'hui le fait de ne pas avoir appris le français, d'être dépendants des autres dans la recherche d'emploi ou l'accès aux droits et « captifs » par rapport à une perspective de mobilité professionnelle. Savoir lire leur permettrait d'être autonomes dans leur recherche d'emploi et en mesure de consulter les panneaux d'affichage de l'ANPE et d'autres structures institutionnelles ou associatives pour l'insertion professionnelle. III. Le cas particulier des femmes migrantes Le travail salarié des femmes migrantes est récent. Beaucoup ont commencé à travailler à l'extérieur en station de conditionnement (trois mois maximum), une fois déchargées de leurs obligations maternelles et avec l'accord de leurs maris, pour compléter les faibles revenus du ménage. Les femmes âgées de 40 ans et plus prennent de plus en plus souvent le relais de leurs maris qui ne travaillent plus (malades, invalides) ou s'ils sont décédés. Il apparaît chez les femmes une capacité plus grande que les hommes à chercher et à trouver un emploi et, d'une manière générale, à tenter de nouvelles expériences. Elles ont « tout à gagner » et « pas grand chose à perdre dès le départ ». Si elles accèdent à une certaine liberté par le travail, les femmes migrantes restent dépendantes sur le plan de la mobilité de leurs maris, qui les accompagnent le plus souvent sur leur lieu de travail, si eux-mêmes ne travaillent pas. Plus encore que les hommes, les femmes de cette génération n'ont pas de permis de conduire. Aussi cherchent-elles un emploi à proximité de leur domicile, mais ne pouvant aller trop loin, elles réduisent leurs chances de trouver du travail pendant plusieurs mois. Elles s'organisent aussi entre femmes, celle (souvent une plus jeune, scolarisée en France) qui a un permis et une voiture emmène les autres. Si les qualifications (taille mécanisée, chef de station) sont de plus en plus ouvertes aux femmes de tous âges et de toutes origines, l'enquête révèle une série de freins bloquant cette perspective. Pourtant, développer leur polyvalence leur permettrait de travailler plus longtemps dans l'année. D'une part, il peut y avoir des réticences de la part du mari et de l'entourage, notamment si la candidate a de jeunes enfants à élever. D'autre part, le secteur est en crise, et recrute au compte-gouttes. Le nombre de places qualifiées est réduit. Ensuite le manque de mobilité pour les femmes de 40 ans et plus freine autant l'emploi que la perspective de se former. Enfin, il apparaît un certain nombre de blocages administratifs en matière de formations qualifiantes. Comme les hommes, les femmes migrantes souffrent du manque de mobilité pour chercher un emploi ou pour se rendre sur le lieu de travail, et rencontrent des difficultés pour se qualifier, du fait d'être analphabètes. Pour les femmes comme pour les hommes migrants, l'alphabétisation résoudrait, en partie, le problème de la précarité. Ce type d'action aurait non seulement un impact au plan économique (pour l'emploi), mais aussi au plan éthique (contre l'exploitation). IV. Peut-on parler d'exploitation ? L'exploitation existe. Certains employeurs malhonnêtes font signer des lettres de démission aux ouvriers analphabètes pour ne pas avoir à leur payer d'indemnités de licenciement. D'autres recrutent sur contrat peu lisible une équipe du matin et une autre du soir, pour que le travail soit plus soutenu, donc plus rentable. Les filières illégales d'introduction de main-d'oeuvre semblent « éradiquées », comme les prestataires de service qui ont prospéré en extorquant la différence entre le salaire sous-payé aux ouvriers et le tarif « défiant toute concurrence » de la main-d'oeuvre facturé à l'employeur. En revanche, la « mafia des compatriotes », autrement dit des chefs d'équipe peu scrupuleux qui recrutent parmi leurs compatriotes contre un bakchich, tombe sous la loi du silence. On retrouve peut-être moins de discrimination dans l'agriculture que dans d'autres secteurs comme l'industrie, l'artisanat ou le commerce. Néanmoins, si les employeurs conviennent du savoir-faire et de la résistance au travail des ouvriers nord-africains, ils leur manquent parfois de considération. Mais les vieux sont « blindés, on leur a tellement mal parlé ». « Ça reste Mohamed qu'on tutoie », qu'il s'appelle ou non Mohamed. Les jeunes d'origine nord-africaine en particulier associent le travail agricole à une forme d'exploitation, à un emploi sous-payé et dégradant. L'emploi saisonnier agricole est perçu de fait comme un revenu d'appoint, peu attractif et dévalorisant. La pénibilité et la rémunération minimale complètent le tableau. Or un ouvrier lettré, mobile et qualifié trouvera davantage de travail à l'année et sera en principe mieux payé. Il ne s'agira plus d'un emploi sous-payé et dévalorisant ni sujet à exploitation, notamment aux yeux des jeunes qui prendront peut-être ainsi le relais. En conclusion... L'alphabétisation des travailleurs migrants leur permettrait de sortir de la précarité, d'être autonomes dans leur recherche d'emploi, d'avoir des projets professionnels (qualification) et ainsi, de devenir des citoyens à part entière puisque cette acquisition des connaissances de base aurait un sens pour eux. Dans le secteur agricole, il en découlerait un plus grand dynamisme. Les employeurs trouveront une main-d'oeuvre polyvalente, plus qualifiée, donc plus opérationnelle. Julie Kovacs