Alimenter son enfant après un sevrage précoce au

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Alimenter son enfant après un sevrage précoce au
Alimenter son enfant après un sevrage précoce au Burkina Faso : perceptions
et pratiques des mères séropositives
ALFIERI Chiara1, SANOU Armande K.², KY-ZERBO Odette², DESCLAUX Alice1
1Centre
de Recherche Cultures, Santé, Sociétés (CReCSS), Université Paul Cézanne, Aix-en-Provence, France
Projet Kesho-Bora, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso
Projet de recherche financé par l’ANRS (ANRS 1271)
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INTRODUCTION
L’ALIMENTATION AU MOMENT DU SEVRAGE
•Les programmes de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant (PTME)
recommandent aux femmes séropositives de choisir entre alimentation artificielle et
allaitement exclusif avec un sevrage précoce. Dans des pays tels que le Burkina Faso, où la
durée moyenne d’allaitement est de 25 mois, trouver et utiliser des aliments de
remplacement lorsque l’enfant a quatre à six mois est un nouveau défi pour les mères.
• Les services de Santé Maternelle et Infantile publics qui incluent les services de PTME, le CMA de Pissy-Médecins
sans Frontières (Ouagadougou) et le Projet Kesho Bora (Bobo-Dioulasso), délivrent des substituts du lait
maternel, ainsi que des farines de sevrage composées à partir de produits locaux, jusqu’à 12 mois de vie de
l’enfant.
•Si de nombreuses recherches, essentiellement descriptives, se sont intéressées au choix
initial des mères séropositives concernant l’option alimentaire pour leur nourrisson (à la
naissance), peu d’études ont abordé la même question au moment du sevrage. Le sevrage
soulève la double question de la nature des aliments de remplacement à apporter à
l’enfant, et des modalités de l’interruption de l’allaitement ou des substituts du lait
maternel. Le risque de malnutrition infantile justifie l’attention portée à cette question.
OBJECTIFS
• Décrire et analyser les choix alimentaires des femmes, les contraintes qu’elles rencontrent
et les difficultés qu’elles doivent résoudre pour alimenter leur enfant au moment du
sevrage et dans ses suites.
•
Comprendre les facteurs influant sur ces choix, liés aux contraintes matérielles, aux
attitudes individuelles ou aux modèles culturels.
•
Décrire et analyser la dimension temporelle de ces difficultés(brève et focalisée à une
seule période, longue –d’une durée à préciser-, récurrente ou pas).
•
Études inclues dans une recherche plus vaste sur les déterminants socioculturels de la
transmission du VIH par l’allaitement (ANRS 1271).
METHODE ET POPULATION D’ETUDE
•25 femmes inclues dans le programme PTME national à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, dans
le projet Sida à Ouagadougou (Centre de soin public appuyé par Médecins sans Frontières) et
dans le projet Kesho Bora de réduction de transmission du VIH par le lait maternel à BoboDioulasso (OMS /ANRS), ont été interviewées deux fois dans le cadre d’une recherche
qualitative sur les déterminants de la transmission du VIH par l’allaitement : peu après la
naissance pour préciser les perceptions et attitudes des femmes, et six à neuf mois plus tard
pour préciser et analyser leur expérience.
•Pour la première rencontre, les femmes étaient contactées à l’occasion d’une de leurs visites
au service de PMI, ou par l’intermédiaire de bénévoles des associations d’appui aux PvVIH.
Ensuite elles étaient interviewées sur sollicitation des chercheurs. L’enquête a consisté en
entretiens semi-structurés, parfois répétés, qui ont duré entre 45 et 90 mn. Un choix raisonné
nous a conduits à rencontrer des femmes ayant choisi d’allaiter leur enfant et des femmes
ayant opté pour l’alimentation aux substituts du lait maternel.
•Le profil sociologique des femmes rencontrées est celui des femmes accueillies dans les
services de soins publics dans les deux villes principales du Burkina Faso (Ouagadougou, BoboDioulasso). Certaines de ces femmes faisaient également partie d’associations de PvVIH.
RESULTATS
• LE CONTEXTE
• A Bobo-Dioulasso, les substituts du lait maternel sont donnés aux mères qui optent pour l’allaitement au sein
avec sevrage précoce dans le cadre de Kesho Bora, pour une durée d’un mois après le sevrage, dans le but que
l’enfant s’habitue graduellement à prendre uniquement la farine. Les difficultés rencontrées en pratique
conduisent la plupart des mères soit à recourir aux substituts du lait maternel délivrés aux femmes prises en
charge dans le programme PTME national, soit à solliciter les associations de PvVIH sensibles à la question de
l’alimentation du bébé, qui délivrent les substituts de lait maternel et la farine de sevrage jusqu’à 12 mois à des
prix abordables (200 FCFA pour une boite de lait ou pour un sachet de farine). Toutes les mères ne parviennent
cependant pas à solliciter les associations parce qu’elles craignent la stigmatisation, et certaines d’entre elles se
cachent pour aller y chercher le lait.
• L’offre globale (projet et association, ou PTME et association) est cependant insuffisante selon les mères,
notamment concernant les substituts du lait maternel. Pour ce qui concerne les farines de sevrage, bien que
certaines soient très nourrissantes, elles ne conviennent pas toutes au goût de l’enfant ou ne correspondent pas
aux habitudes de préparation et de conservation des bouillies classiques, à base de petit mil. Ceci soulève des
difficultés pour les mères, soit parce qu’elles doivent mobiliser de l’argent (que souvent elles ne possèdent pas
ou de manière insuffisante) pour acheter des aliments, soit parce que ces farines ne sont parfois pas bien
acceptées par l’entourage des mères.
• Les propos des mères montrent qu’elles ont très bien intégré les différents conseils alimentaires concernant la
variété des aliments nécessaires à l’enfant dans cette tranche d’âge. Mais très souvent, elles se trouvent dans
l’impossibilité financière d’acheter ces aliments hors du cadre des « donations » ou ventes à un tarif abordable
dans les associations, et donc de fournir à leur enfant un régime nutritionnel adéquat (constitué de bouillies
simples et enrichies) et qui diffère du plat familial, que l’enfant adopte vers 9 à 10 mois, selon les milieux. En
effet, la plupart des femmes rencontrées vivent dans une situation économique de très grande précarité, où la
quotidienneté du simple plat familial n’est pas garantie.
• Un autre point essentiel et qui concerne la très plupart des mères concerne la durée de la présence du lait dans
le régime alimentaire de l’enfant sevré précocement. Les mères, unanimement, souhaitent pouvoir donner du
lait (sous forme de substituts du lait maternel) à leur enfant jusqu’à 18, voire 24 mois, soit la durée moyenne
d’un allaitement maternel, car elles estiment que l’enfant en a besoin pour sa croissance, d’autant plus qu’il n’a
pas pu bénéficier du lait maternel. En outre, elles considèrent aussi le lait comme une espèce de remède ou de
« remontant », qui aiderait l’enfant a dépasser plus facilement les épisodes de maladie aussi bien que le
moment de la dentition et les états morbides souvent liés a cette phase (fièvre, diarrhée…). Sur ce point, leurs
points de vue divergent remarquablement des conseils et recommandations qu’elles reçoivent dans les
différents projets et centres de santé.
LA « QUETE ALIMENTAIRE » DES MERES
C’est donc aussi dans le but de se procurer du lait et les aliments nécessaires pour assurer une alimentation
adéquate pour l’enfant que la plupart des mères, qui ne disposent pas d’une base financière minime pour
démarrer un petit commerce, mettent en place, avec des degrés de succès très différents, une véritable « quête
alimentaire » auprès d’un réseau social personnel qui peut inclure :
• le conjoint ou partenaire de la femme et /ou les parents de celui-ci. Il est à souligner que le père, en cas
d’achat de substituts du lait maternel ou plus fréquemment de lait (en poudre ou sous diverses formes
vendu dans le commerce, compte tenu de la différence de prix) est très sollicité, ce qui ferait penser que
le lait acheté est considéré au même titre que les médicaments, dont les dépenses reviennent
culturellement au père de l’enfant.
• sa famille (les sœurs ou frères sont souvent mentionnés)
• le réseau de voisinage
•Une mère séropositive qui opte pour l’allaitement maternel (exclusif) avec sevrage précoce
(entre 4 et 6 mois) a réussi a franchir au moins deux étapes essentielles :
• vaincre ses réticences personnelles, face à ses propres représentations de la durée optimale
d’allaitement de 24 mois environ,
• convaincre les membres de son entourage de la nécessité de cette option, en essayant
d’éviter les risques de stigmatisation de leur part.
•Pour ce qui concerne le premier point elle est conseillée et appuyée à travers les séances de
counselling des projets pilotes ou délivrées par le programme national de PTME en place depuis
2002, ou encore à travers les séances de sensibilisation et de nutrition qu’assurent les
associations de PvVIH. En ce qui concerne son entourage et son voisinage, cette question semble
être plus complexe à résoudre, et une source de négociations récurrentes. La longue durée de
l’allaitement permet habituellement à la mère d’introduire dans le régime de l’enfant une série
d’aliments qui pourront être acceptés ou refusés par l’enfant, sans qu’il soit « dérangé » par ces
essais, ou qu’il en souffre au point de désirer retourner dans le monde des génies (en effet, les
représentations ouest-africaines faisant de l’enfant un être attiré sur la terre au détriment du
monde des génies sont présentes dans les populations urbaines qui ont été l’objet de cette
étude). En général, c’est au moment où l’on pense que l’enfant est suffisamment « intégré »,
notamment à travers la consommation de nourritures solides et l’acquisition de la marche, qu’on
démarre le processus de sevrage et d’éloignement de la mère.
•Dans ce contexte culturel, il est important de comprendre, dans la phase cruciale d’introduction
d’un nouveau mode de sevrage simultanément précoce et bref, quelles sont les diverses
informations alimentaires et nutritionnelles que les mères reçoivent ainsi que les éventuelles
aides alimentaires et leurs limites, et comment ces nouvelles connaissances alimentaires sont
intégrées, acceptées ou rejetées par la femme et/ou par son entourage.
• des amis ou de parents de passage. Les mères peuvent aussi organiser des visites régulières chez des
gens (parents, connaissances, etc…) susceptibles de leur venir en aide avec de l’argent ou avec des biens
en nature…
• les associations de PvVIH, qui délivrent mensuellement des aliments et qui organisent des repas
communautaires
• les Eglises
• les agents de santé travaillant dans des structures de santé ou dans des associations PvVIH
• l’achat à crédit de bouillie chez des femmes qui font la cuisine pour la vente
• la quête au bord des rues.
Les résultats des ces « quêtes alimentaires » sont bien sûr très variables, selon le type de réseau dont la femme
dispose.
De manière générale, avec l’argent obtenu, les mères achètent du lait en poudre et les ingrédients pour
préparer des bouillies enrichies. Elles peuvent également acheter un ou deux plats de bouillie (dont le prix varie
entre 25 et 50 FCFA), car le plat revient moins cher que ce qu’elles auraient dépensé si elles avaient acheté les
aliments nécessaires pour préparer une bouillie. Les dons en nature peuvent être utilisés pour préparer le plat
familial, quand il n’y a rien à manger dans la famille. Dans le cas de dons de fruits saisonniers par exemple dans
les associations, ils sont donnés directement à l’enfant, en suivant les conseils alimentaires appris. Le savon
reçu en don peut être revendu ou utilisé.
•Il faut également comprendre quels types de ressources personnelles, notamment sociales, les
mères peuvent activer pour se procurer des aliments de complément.
CONCLUSION
LES SOURCES D’INFORMATION DES MERES
Au Burkina Faso, les choix des aliments que les mères donnent à l’enfant au moment du
sevrage sont orientés par :
• le counselling dans le cadre du programme national de PTME (où le sevrage est conseillé en
cas d’allaitement maternel à partir de 4 mois)
• les conseils donnés dans le cadre particulier des projets pilotes comme ceux de Médecins
sans Frontières (où les substituts de lait maternel et la farine sont donnés jusqu'à 12 mois)
et Kesho Bora (où la fourniture de substituts du lait maternel s’arrête à 6 mois et la farine
est donnée jusqu’à 12 mois), qui incluent un nombre de femmes limité.
• les informations et conseils donnés par le personnel des centres de réhabilitation
nutritionnelle (CREN)
• les discussions et conseils au cours de séances destinées aux mères dans les associations
de PVVIH
• les modèles culturels existant localement.
Le moment du sevrage est un moment très sensible, où l’alimentation adéquate de l’enfant pose un
problème complexe aux mères. Cellees-ci, informées sur les besoins de l’enfant, doivent parfois mettre en
oeuvre une véritable “quête alimentaire” pour laquelle elles mobilisent un vaste réseau social, même en
étant prises en charge dans un programme de PTME.
Les mères séropositives participant à des projets pilotes ou adhérentes à des associations de PvVIH semblent
mieux connaître et mettre en pratique les conseils alimentaires pour donner à l’enfant qui vient d’être sevré
des aliments appropriés pour son âge que les mères prises en charge dans le programme national.
Les quantités de substituts de lait maternel donnés dans les programmes et projets sont considérées
insuffisantes en quantité mensuelle aussi bien qu’en durée dans le temps. Les mères souhaitent pouvoir
donner du lait a leurs enfants au delà de 12 mois et jusqu’à 18 mois, voire plus.
Ceci est en relation avec les divers aspects de la valeur qu’elles accordent au lait dans la croissance de
l’enfant (nutritif, consolateur, « médical ») et avec les modèles culturels en matière d’allaitement. Les farines
de sevrages, adaptées aux habitudes locales de préparation et de conservation, sont appréciées et
consommées.
Pour faire en sorte que toutes les mères séropositives puissent avoir accès à des aliments de sevrage
adéquats pour leurs enfants, les programmes de PTME devraient inclure un volet qui prenne en compte les
besoins en vivres de la famille de la femme et l’enfant.