Tome 1 - Accueil

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Tome 1 - Accueil
THESE / Université Haute Bretagne Rennes 2
sous le sceau de l’Université européenne de Bretagne
pour obtenir le titre de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE HAUTE BRETAGNE RENNES 2
Mention : Sociologie
Présentée par
Patrice Régnier
Préparée au VIP&S EA 4636
Violences, Identités, Politiques & Sports
Ecole doctorale « sciences humaines et sociales »
Devenir cavalier : une expérience
d’apprentissage par corps
Thèse soutenue le 9 janvier 2014
devant le jury composé de :
Catherine TOURRE-MALEN
Maitre de Conférences Habilitée à Diriger des Recherches à
l’Université de Paris Est-Créteil / rapporteur
Bernard ANDRIEU
Professeur à l’Université Henri Poincaré Nancy 1 / rapporteur
Jacques CREMIEUX
Professeur à l’Université du Sud / examinateur
Essai de socio-anthropo-zoologie
des pratiques et techniques
équestres
Tome 1
Gilles BUI-XUAN
Professeur à l’IUFM d’Artois / examinateur
Michela TURCI
PhD. Physiology à l’Université de Milan / examinatrice
Michel CALMET
Docteur en sciences de l’éducation à l’Université Montpellier 1 / Co-directeur de thèse
Stéphane HEAS
Maitre de Conférences Habilité à Diriger des Recherches à
l’Université de Haute Bretagne Rennes 2 / Directeur de thèse
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par
corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques
équestres
Tome 1
THÈSE / Université Haute Bretagne Rennes 2
Sous le sceau de l’Université Européenne de Bretagne
Pour l’obtention du titre de :
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE HAUTE BRETAGNE RENNES 2
Mention Sociologie
École doctorale « Sciences Humaines et Sociales »
Présentée par
M. Patrice REGNIER
Préparée au VIP&S EA 4636
Laboratoire Violences, Identités, Politiques et Sports
Thèse soutenue le 9 Janvier 2014
Devant le jury composé de :
Catherine TOURRE-MALEN
Maitre de Conférences Habilitée à Diriger des Recherches à
l’Université de Paris Est-Créteil / Rapporteur
Bernard ANDRIEU
Professeur à l’Université Henri Poincaré Nancy 1 / Rapporteur
Jacques CREMIEUX
Professeur à l’Université du Sud / examinateur
Gilles BUI-XUAN
Professeur à l’IUFM d’Artois / examinateur
Michela TURCI
PhD. Physiology à l’Université de Milan / examinatrice
Michel CALMET
Docteur en sciences de l’éducation à l’Université Montpellier 1 / Co-directeur de thèse
Stéphane HÉAS
Maître de Conférences Habilité à Diriger des Recherches à l’Université de Haute Bretagne
Rennes 2 / Directeur de thèse
生涯一書生
Shô Gaï Ichi Shô Sei
« On est toute la vie un apprenti »
Proverbe japonais
Si tu comprends, les choses sont comme elles sont.
Si tu ne comprends pas, les choses sont comme elles sont.
Maxime zen
Remerciements
Vient le moment d’écrire cette page. Qui remercier ? Pour quelles raisons ? Je dois
reconnaître que c’est plus compliqué que je ne le pensais initialement. Il y a ceux qu’on
voudrait remercier mais qu’on ne peut pas, parce qu’ils n’ont pas pu ou voulu être là. Il y a
ceux qui entendent rester anonymes, et ne veulent pas être cités. Ceux qui ne veulent même
pas être remerciés. Quelles qu’en soient les raisons, elles sont légitimes. Nécessairement
légitimes. Aussi, j’essaierai de faire au mieux.
Je tiens dans un premier temps à remercier Stéphane Héas, mon directeur, qui a accepté
de diriger ces travaux et qui a supporté mes courriels à répétition. Sans lui, cette thèse n’aurait
pas existé.
Je remercie également Michel Calmet, mon co-directeur. Grâce à lui, le regard initial
n’a jamais été perdu de vue et il a toujours su apporter l’élément qui permettait d’avancer, son
aide a été particulièrement précieuse.
Je pense évidemment au directeur et aux enseignants-chercheurs du VIP&S. Ils ont
toujours cherché à s’enquérir des avancées de ces travaux.
Je dois bien sûr évoquer mes camarades doctorants, avec lesquels les discussions
fructueuses et les moments de bonne humeur auront jalonné ce parcours.
Je remercie mon établissement, la MFR de Loudéac, qui m’a soutenu pendant ces quatre
années, et certains collègues en particulier qui ont une part particulièrement active dans la
construction de la problématique, à commencer par les élèves eux-mêmes. Je remercie bien
entendu mes collègues et plus particulièrement Muriel, qui a sans cesse cherché la petite bête
pour me faire avancer.
Je ne peux que remercier humblement l’ensemble des personnes que j’ai interrogées
pendant ces travaux, qu’ils aient plus ou moins bien reçu le cheminement qu’il a occasionné
pour tous. Chacune des rencontres que j’ai pu faire durant ces années, à côtoyer ces
professionnels a été un pur moment de plaisir et de progression personnelle. Ils laisseront
indubitablement un souvenir impérissable.
Enfin je remercie toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à l’élaboration
de ce travail, ceux « de l’ombre » comme je les avais une fois qualifiés. Toutes les
connaissances, plus ou moins proches, qui ont apporté leur soutien, leurs conseils, leurs avis,
parfois. Merci tout spécialement à Juliette, Lionel, Stéphanie, Cyrille et Pedro.
J’ai une pensée pour mes parents et ma famille, qui ont toujours supporté l’avancée de
ces travaux avec affection, et parfois, il faut bien l’avouer, finances.
Je pense à mon père, qui a toujours voulu le meilleur. J’ai une pensée émue pour ma
mère, sans qui je ne serais jamais allé aussi loin. Je me rappelle encore ce soir où je rentrais,
passionné par mes entraînements de Kung-fu, ce soir où elle m’a dit « tout dans les bras, rien
dans la tête », et où j’ai répondu « on verra ça ». Voilà le résultat.
Je ne peux qu’avoir une pensée particulière pour celle qui a été aux premières loges,
tant par ses réflexions que par les discussions parfois passionnées que nous avons eu autour
de tout ceci. Les coups de gueule, aussi. Celle qui a dû et surtout su supporter quatre années
de recherche. Celle que j’ai aussi parfois dû laisser sur le côté.
Et puis il y a ceux sans qui cette étude n’aurait pas été possible. Leur non existence
aurait sans aucun doute bouleversé la face de mon monde. Il faut sans doute les côtoyer pour
les comprendre un peu. Quand ils partent, c’est un peu la famille qui s’en va. A Paolo,
l’irremplaçable cheval de Katell.
Et je remercie surtout ceux qui sont encore là. Lawney, Toundra, Domingo, Quinoa, je
reviens m’occuper de vous.
Avant-propos
Mon expérience de l'équitation est le fruit d'un heureux hasard. Depuis une quinzaine
d'années, l’essentiel de ma pratique sportive est tourné vers les arts martiaux. Mes recherches
précédentes s'étaient donc à l'heure du choix d'un thème de recherche portées sur ce type de
pratiques. Suite à quelques pérégrinations, j’en vins à prendre le poste de formateur en
Education Physique et Sportive (EPS) en Maison Familiale Rurale, à Loudéac. Parmi les
élèves auxquels je devais m’adresser, il y avait ceux de BEPA CPA (Brevet d’études
professionnel agricole, mention conduite de productions animales). Et ces élèves se
répartissaient en deux parties, les éleveurs de bovins et les éleveurs d’équins. Ces derniers, ou
plutôt ces dernières, me semblaient avoir une place particulière au sein de l’établissement.
Majoritairement filles, elles n’avaient pas EPS pendant leur première année d’études. Cette
matière était remplacée par celle de l’équitation, pratique à laquelle je ne connaissais rien.
J’en fus donc intrigué rapidement et cherchais à appréhender ces élèves, les seuls de
l’établissement, que je n’avais pas en cours. Il en était également ainsi de leur pratique
sportive qui tournait autour de cet animal et que je ne connaissais pas plus. Quelques années
plus tard, ma conjointe étant férue d'équitation me convainquit d'acquérir un cheval pour
chacun d'entre nous, afin de l'accompagner en balades dans les chemins avoisinants. Je m'y
prêtais de bonne grâce.
Je ne connaissais toujours rien aux chevaux, à part les rares spécimens que j’avais pu
côtoyer en allant observer les élèves de CPA de temps en temps, et ma première jument, je
l'appris plus tard, avait un vécu particulièrement difficile et avait peur de tout. La première
fois que je l’ai montée, elle faisait des demi-tours au moindre élément surprenant de son
environnement. Mais je restais dessus. Je ne me basais que sur mon savoir technique issu des
arts de combat pour rester sur mes étriers plus que « dans ma selle », comme le veut
l'expression consacrée des cavaliers. Ayant pratiqué les arts chinois depuis des années, le MaBo1, cavalier de fer, du Wu-shu2 et sa variante du Qi-Gong3 m'ont donc bien aidé à survivre à
1
Habersetzer, Roland et Gabrielle. Encyclopédie technique, historique, biographique et culturelle des arts
martiaux de l'Extrème-Orient , 2004, Paris, Amphora, p. 441.
2
Ibid., p. 806.
3
Ibid., p. 567.
mes premières expériences équestres, et j’appris par la même occasion que le vécu d'un
cheval est important dans ses appréhensions des événements futurs.
Le Ma-Bo (馬步), que l'on retrouve dans les pratiques chinoises se retrouve notamment
en Karaté sous le nom de Kiba Dachi4 (騎馬立ち)5. Cette position, pieds parallèles au sol,
genoux plus ou moins fléchis est traduite par « position du cavalier », ou « cavalier de fer ».
Comme son nom l'indique, l'équilibre se situe au niveau de l'appui au sol, et du centrage du
bassin en équilibre sur les deux pieds :
A gauche, position du Ma-Bo des arts chinois. A droite, position Kiba Dachi du Karaté6.
Cette position basique des arts asiatiques m'a été très utile lors des premières
expériences équestres. Aujourd'hui, il me semble que la conséquence directe de ces
mouvements impromptus de ma première jument aurait dû être ma chute au sol, par effet de
force centrifuge. Or, lorsque cela se produisait, mon réflexe était de me mettre dans une
position de cavalier, au sens combattif du terme, bien en appui sur les pieds, et étant sur des
étriers, mes talons s'abaissaient vers le sol, comme il est attendu du cavalier expérimenté.
4
On remarquera dans les deux cas la présence du kanji 馬 (Ba), servant à nommer le cheval.
Valera, Dominique, Karaté, techniques fondamentales et supérieures, 1985, Boulogne, SEDIREP, p. 20.
6
Dessins de R.Habersetzer, avec l'aimable autorisation de l'auteur et des éditions Amphora.
5
C'est grâce à cette expérience « martiale » que je me suis toujours trouvé en sécurité sur
n'importe quel cheval avant de commencer à me former techniquement.
Mais je restais réticent à sortir à cheval. Alors, après un nécessaire changement de
chevaux, les premiers n'étant réellement pas faits pour nous, et agacée de ne pas obtenir de ma
part plus de motivation à sortir en balade, ma femme décida de m'offrir mes premiers cours.
Alors que ces leçons suivies commençaient, je recherchais parallèlement un sujet de
recherche original. A ce moment-là, je devais sans doute être attentif à tout événement
m'entourant. C'est alors que j'ai prêté attention au discours qui m'était tenu pendant ces cours
d'équitation. Le pratiquant d'arts de combat japonais puis chinois que je suis fit le rapport
entre une pratique nouvelle, l'équitation, et une pratique personnelle au long cours, le Wu-shu.
C’est cela qui me permit d'investir une nouvelle discipline, d'établir le début d'une pratique
désormais assidue.
Les remarques que l'on me faisait sur le placement de mes coudes, la nécessaire
décontraction des bras, la position du cavalier des arts chinois que je retrouvais sur mes étriers
et « dans la selle », selon l’expression consacrée des cavaliers, tout me semblait établir un
rapport corporel entre mes pratiques passées et celle-ci. En somme, cette recherche a démarré
presque par hasard, par observation participante. Ainsi est née l’hypothèse de départ qui a
présidé à la construction de la question initiale à l’origine de cette thèse : l'équitation ne seraitelle pas, in fine, un art de combat ?
Mais alors, même si mes premières sensations me le laissent penser, difficile aux
prémices de cette réflexion de proposer la moindre hypothèse. Même si structurellement j'ai le
sentiment qu'on retrouve les mêmes principes d'action en équitation que ceux définis par
Audiffren et Crémieux7 pour les arts de combat il y a 17 ans, je ne connais rien aux activités
équestres et ne me base que sur quelques ressentis subjectifs. Aussi dois-je m’interroger sur
ce que Brohm8 conseille à tout scientifique cherchant, comme moi, à s’intéresser à la question
corporelle :
« C’est donc avec le préalable de l’élucidation des implications corporelles du
chercheur que doit commencer toute démarche scientifique, surtout si elle porte sur le
corps… c’est par l’analyse du contre transfert corporel du chercheur que doit commencer
toute étude en science sociale ».
Ce conseil sera appréhendé et rediscuté le moment venu.
7
Audiffren, Michel et Crémieux, Jacques. Arts martiaux, sports de combat ? (1996). In Y. Kerlirzin & G.
Fouquet (Eds.), Arts martiaux, sports de combat (pp. 61 – 66). Paris : INSEP publications.
8
Brohm, Jean-Marie, 1985, Le corps, un paradigme de la modernité, Action et Recherches Sociales, n°1, pp. 1538, p. 31.
Sommaire
Introduction..................................................................................................................... 11
Chapitre I – L'histoire des arts équestres........................................................................... 21
I – 1 Le processus de civilisation, une focale pour expliquer une évolution de la pratique équestre21
I – 2 Des notions d'art martial, d'art guerrier et de sport de combat ...............................................24
I – 3 Les arts guerriers asiatiques ......................................................................................................28
I – 4 En Europe : L'origine guerrière de l'équitation .........................................................................35
I – 5 Conclusions partielles ................................................................................................................53
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s) ............................................................................... 55
II – 1 Les études portant sur l’équitation .....................................................................................55
II – 2 La transmission du savoir au fil des siècles : la relation maître-élève .........................123
II – 3 Conclusions partielles .........................................................................................................131
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ? ................................... 134
III – 1 Quels concepts pour cette recherche ? ................................................................. 134
III – 2 Axes de recherche.................................................................................................... 143
III – 3 Prémisses à la recherche : questionnement de la population ................................ 170
III – 4 Conclusions partielles ........................................................................................................175
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences .................................. 177
IV – 1 Prolégomènes au choix du terrain et de l’étude....................................................................177
IV – 2 Observation et participation .................................................................................................178
IV – 3 Méthodologie de réalisation des entretiens..........................................................................187
IV – 4 L’abord du terrain et ses spécificités .....................................................................................197
IV – 5 Retranscription, analyse et anonymisation des entretiens ...................................................203
IV – 6 Retours des entretiens ...........................................................................................................205
IV – 7 Conclusions partielles ............................................................................................................211
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience ......................... 213
V –1 La rencontre du cheval : une entrée dans la pratique marginale ? .........................................213
V – 2 Devenir cavalier : description de quatre lieux de pratiques ...................................................215
V – 3 Comment devient-on cavalier ?..............................................................................................219
V – 4 L’équitation, un art guerrier comme un autre ? .....................................................................242
V – 5 L’univers équestre au prisme des auteurs de référence .........................................................263
V – 6 Le loisir et le sport ou le sport et l’art .....................................................................................276
Conclusions .................................................................................................................... 278
Préalable introductif
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Introduction
Qu’est-ce que l’équitation aujourd’hui ? Comment la pratique-t-on, qui la pratique et
quelles sont les raisons évoquées d’une telle pratique notamment dans son versant
professionnel ? Il convient de définir avant tout le monde social et linguistique dans lequel
nous allons évoluer. L’équitation est un substantif féminin défini comme « l’action de monter
à cheval ». Plus particulièrement, c’est, suite à un apprentissage auprès des dépositaires du
savoir concerné, le « fait de monter à cheval selon certaines règles codifiées »9. Les activités
équestres sont reconnues par la majorité des structures comme des sports de nature10. Au
même titre que l'escalade, la voile, le kayak, l'équitation permet effectivement au pratiquant
de se confronter à un milieu extérieur. « L’article L.311-3 du code du sports désigne sous le
terme de « sports de nature » les pratique s’exerçant en milieu naturel, agricole et forestier terrestre, aquatique ou aérien - aménagé ou non »11. La fédération française d'équitation
(FFE) reste pour sa part l'une des premières structures en France par son nombre de licenciés :
687 334 en 2010, 705 783 en 201112. Le site internet de la FFE surprend par la publicité
proposée à l'ensemble des pratiques équestres existantes13. De prime abord, ce fait peut
sembler logique. Aux yeux de pratiquants d'arts martiaux, il ne l'est pas. Il n'a jamais semblé
par le passé, dans des travaux menés sur les disciplines asiatiques, judo, karaté, kung-fu, qu'un
site centraliserait l'ensemble des pratiques proposées. Au contraire, leur relative multiplicité,
rencontrée au cours des enquêtes de DEA, laissait penser la tâche irréalisable. Pour ce qui
concerne les pratiques équestres, la seule n'apparaissant pas sur le site de la fédération est la
randonnée (ou tourisme équestre)14, malgré tout proposée par les centres équestres,
notamment au travers de deux diplômes que sont celui d'accompagnateur de tourisme
équestre, et le Brevet d'état (BE) ou BPJEPS15 « tourisme équestre ». Même les pratiques les
plus récentes sont intégrées. Egalement, celles qui manifestement provoquent à la discussion
avec les cavaliers le plus de réactions (pour ou contre bien sûr) telles que l'équitation
9
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/équitation
http://www.sportsdenature.gouv.fr/docs/lettres/72_lettre-sn_201004_avril.pdf, consulté le 05 octobre 2010.
11
http://sports.gouv.fr/francais/faire-du-sport/les-sports-de-nature/, consulté le 05 octobre 2010.
12
http://ffe.com/ffe/Statistiques, consulté le 04 octobre 2013.
13
http://www.ffe.com/ffe/Disciplines-Equestres consulté le 15 juillet 2011.
14
http://www.ffe.com/Disciplines-Equestres, consulté le 4 octobre 2013.
15
Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport.
http://www.sports.gouv.fr/index/metiers-et-formations/animation-educateurs-sportifs/les-formations-etdiplomes/bp-jeps-brevet-professionnel-de-la
10
Introduction
11
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
éthologique, semblent intégrées dans ce site internet. Elles semblent donc associées (au moins
à ce niveau) sur le site aux autres pratiques intégrées à la fédération.
Il est vrai que l’histoire récente de ces deux grandes familles d’activités que sont les arts
de combat d’un côté et l’équitation de l’autre ne permettent pas une comparaison sérieuse de
la manière dont fonctionnent leurs fédérations et délégations respectives. Les arts de combat
asiatiques sont parvenus dans nos régions à partir de la fin du 19e siècle, par vagues
successives. Leur fédéralisation s’est donc faite d’une manière assez particulière, au coup par
coup16. La fédération française d’équitation a une histoire récente, certes un peu chaotique,
mais néanmoins plus classique. Trois regroupements préexistaient initialement : la fédération
Française des sports équestres depuis 1921, l’association nationale pour le tourisme équestre
créée en 1963 et le Poney-club de France, né en 1971 ont été fondus en une seule entité assez
récemment en 1999, devenant ainsi la fédération française d’équitation17 (FFE).
Nous voici donc face à une pratique volumineuse en termes de pratiquants. Car si la
fédération revendique un nombre important de licenciés, elle ne s'en arrête pas à ce fait
statistique.
Une enquête18 réalisée par la TNS-SOFRES en juillet 2007 pour le compte de la FFE
laisse apparaître pour cette dernière un potentiel de cavaliers atteignant le chiffre théorique de
2,2 millions de pratiquants ! Il s'agit là des personnes qui passent par un centre équestre au
moins une fois par an. Quid de tous ceux qui ne font pas cette démarche ? La même enquête
avance le chiffre énorme d'un potentiel supplémentaire de cavaliers de 12 millions. Cette
différence et ces potentiels importants laissent pensifs. Une fédération de pratique de combat
aurait-elle la même démarche ? Que peut-on, que doit-on penser de pratiquants
complètements livrés à eux-mêmes, sans aucun contrôle fédéral ? En effet, aucune fédération
en France ni ailleurs ne peut avoir un contrôle total de toutes les modalités de pratique.
Que recouvre l’expression « faire de l'équitation » aujourd’hui ? Quelles sont les enjeux
d'une pratique à laquelle a priori seule une élite aux capitaux culturel et financier importants19
16
Pour plus d’informations sur ce point, nous nous référons à nos travaux de maîtrise et de DEA plus axés sur ce
sujet complexe que constitue l’arrivée des arts asiatiques en Europe.
17
Martin, Elsa, La fédération française d’équitation et l’école nationale d’équitation : d’une habitude de
confrontation à une logique de collaboration, mémoire de Master 2 « Sport et Sciences sociales : administration,
territoires, intégration », 2011, UFRAPS de Nantes.
18
http://www.ffe.com/ffe/content/download/7061/74124/version/1/file/enquete_tns_sofres_fival_2008.pdf
consulté le 17 juillet 2011.
19
Bourdieu, Pierre, La distinction. Critique sociale du jugement, 1979, Paris, éditions de Minuit.
Introduction
12
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
aurait accès ? Pourquoi s'intéresser, en ce début de 21e siècle à une pratique tellement
ancienne ? Digard réagit justement à cette relative faiblesse des études en sciences humaines
et sociales sur ce domaine20. En effet, les études de sciences sociales concernant l'équitation
semblent pour la plupart émerger à peine depuis quelques années21.
La première remarque qui peut venir à l'esprit est : comment une fédération peut-elle à
ce point contrôler une telle variété de pratiques ? Car si l’on ne veut pas pratiquer
l’équitation22 dans une structure reconnue, i.e. affiliée à la fédération, rien n’empêche
d’acheter un cheval. Pour peu qu'il y ait un peu de terre chez soi, et que tout se passe bien,
cela ne revient pas très cher. Moins cher qu'un chien inscrit au Livret des Origines Français
(LOF), en fait. Potentiellement, donc, avoir un cheval coûterait moins cher, de ce point de
vue, que de s'inscrire à un centre équestre. Reste le savoir-faire. Comment l'acquérir en dehors
de toute structure équestre ? Cela paraît a priori difficile, bien qu'il n'y ait pas de raisons
laissant penser qu'on ne puisse être autodidacte dans une discipline, qu’elles soient équestres
ou de combat. Les « personnes ressources », ceux qui savent les bases, sont faciles à
rencontrer lorsqu’il s’agit d’acquérir ces premiers savoir-faire : savoir mettre un licol, une
selle, monter sur un cheval... tout ceci peut s'apprendre en dehors de tout centre équestre. C'est
ainsi que cette recherche a démarré. Mais en quoi le vécu, l'expérience, peut-elle servir à
démontrer des faits sociaux éventuels ?
De la notion de norme
Nous sommes donc confrontés à une norme de pratique, c'est-à-dire une pratique telle
qu'elle est perçue par le plus grand nombre et prescrite par des usages et des institutions ad
hoc. Le concept de norme n'est pas sans poser quelques difficultés d'interprétations aux
sociologues, alors qu'il s'agit pour ainsi dire d'une notion clé de la discipline. Sans avoir l'idée
de fixer une fois pour toutes ce concept et son acception, tentons pour le moins d’être au clair
pour ce travail de recherche, sur ce qu'est la norme.
Le concept de norme est d’abord défini selon Valade23 de manière similaire aux lois, en
tant que règles à suivre. Ainsi, « l’attente de sanctions positives et la crainte de sanctions
20
Digard, Jean-Pierre, 2009, Qu'ont à voir les sciences sociales avec le cheval ? In Le Mouvement Social, n°229,
2009/4, pp. 3-11.
21
Chevalier, Vérenne, Le Mancq Fanny, 2007, Travailler dans les mondes du cheval, in Sport et Travail, Lille,
10-12 décembre.
22
On utilisera le terme « monter », raccourci intellectuel habituel des cavaliers pour signifier l’acte de « monter à
cheval ». On monte dans tel ou tel club ou centre équestre.
23
Valade, Bernard, Norme, in Dictionnaire de sociologie, 1998, Paris, Larousse-Bordas, p. 163.
Introduction
13
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
négatives assurent, dans cette optique, le fonctionnement du système normatif ». De ce fait, il
y a ceux qui obéissent à la norme et ceux qui s’y opposent.
Becker définit deux catégories de personnes dans son étude majeure sur la déviance24.
D'un côté nous avons ce qu'il nomme les « entrepreneurs de morale »25. Au sein de cette
population, nous avons ceux qui s'occupent des « lois », qui les créent, et ceux qui les font
appliquer, et le cas échéant qui sanctionnent. Opposée à cette faction se trouve logiquement
les « déviants », ou « étrangers », qui ne se soumettent pas à la norme. Ainsi, la norme est ce
que le groupe social définit pour lui-même : ce qu'il est bon ou non de faire.
Mais si le concept de norme est assez clair, la règle peut changer au fil du temps, car
« le phénomène normatif doit également être rapporté à des codes moraux inhérents à des
pratiques particulières26 ». Mais elle peut aussi être différente selon le point de vue dans
lequel on se situe.
Peut-être est-il possible de distinguer deux types de normes. D’un côté les normes
légales, de l’autre les normes morales. Concernant les normes légales, l’intervention de
Villerbu, criminologue, en séminaire de laboratoire27 permet de préciser le fonctionnement
suivant : au sein de la société dans son ensemble, il y a ceux qui respectent les lois, et ceux
qui ne les respectent pas, la norme consistant à suivre les prescriptions légales, les déviants
décidant de ne pas les suivre. Particulièrement maîtres des normes qu’ils transgressent28, ils
n’en risquent pas moins des sanctions, ou réparations, qui peuvent aller simplement du
sermon jusqu'à l'exclusion ou enfermement, en passant par la sanction financière. Tout
individu fonctionne dans un système de ce type. En tant qu'adultes nous sommes rodés à ce
fonctionnement et a priori nous le suivons puisque la majorité des individus ne sont pas
enfermés et exclus de la société. Les sanctions que nous encourrons généralement se limitent
à celles touchant les finances personnelles29. La norme peut aussi être celle appliquée à la
morale. Ici, les règles ne sont pas écrites, mais respectées comme une étiquette qu’il convient
de suivre. Bien que verbales, ou intrinsèques, ces normes n’en sont pas moins éminemment
importantes pour le groupe social concerné.
24
Becker, Howard S, 1985, Outsiders, Paris, Métailié.
Ibid., p. 171.
26
Valade, Op. cit.
27
Jeudi 10 mai 2011, 14h-18h, université de Rennes 2. Conférence/débat : les normes en criminologie et
psychologie. Invité, PU L. Villerbu, Université de Rennes, CRIMSO.
28
Ibid.
29
Ibid.
25
Introduction
14
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Mais la simplicité apparente de cette théorisation de la norme est l'arbre qui cache la
forêt. Car cela fonctionne ainsi, mais pas seulement. La norme peut aussi être celle qu'un
sous-groupe social met en place par elle-même, pour elle-même. C'est ce que Becker
démontre dans son étude de cette déviance, qui n'est que déviance à la norme générale. Les
sous-groupes sociaux qu'il étudie sont générateurs de leurs propres normes. Ce qu'il explique
dès l'entame de son propre texte30 :
« Tous les groupes sociaux instituent des normes et s'efforcent de les faire
appliquer, au moins à certains moments et dans certaines circonstances […]
Quand un individu est supposé avoir transgressé une norme en vigueur, il peut se
faire qu'il soit perçu comme un type particulier d'individu […] Cet individu est
considéré comme étranger au groupe [outsider].
Mais l'individu qui est ainsi étiqueté comme étranger peut voir les choses
autrement. Il se peut qu'il n'accepte pas la norme selon laquelle on le juge ou
qu'il dénie à ceux qui le jugent la compétence ou la légitimité pour le faire. Il en
découle un deuxième sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses juges
sont étrangers à son univers ».
Ce point nous semble fondamental pour mieux comprendre et cadrer la notion de
norme. Et nous choisissons d'employer des termes généralement liés aux médias pour
expliquer cette différenciation des normes. Ainsi, pour parler de la norme sociale de
référence, celle qui se traduit par les lois écrites et celles qui « vont de soi » dans la société
dans laquelle on évolue, qu'il convient de suivre « normalement », de même que pour évoquer
les normes d'action non écrites, l'étiquette, la manière de se comporter correctement en
société, nous emploierons le terme de norme mainstream31 pour les normes qui prévalent, et
le terme de norme underground32 pour l'ensemble des normes des sous-groupes sociaux.
30
Op. cit., p. 25.
Le site internet français de Larousse (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mainstream/48701) propose
une définition très vague, mais qui ramène étrangement à Becker : « Style des musiciens fidèles à la tradition du
jazz des années 1930 et 1940, par opposition au jazz traditionnel et au jazz moderne ». Le site internet Wordnet
de l'université de Princeton (http://wordnetweb.princeton.edu/perl/webwn puis taper Mainstream dans la barre de
recherche) ne nous en apprend pas beaucoup plus mais gagne en clarté : « The prevailing current of though ».
32
Le site de Larousse est encore particulièrement avare d'informations
(http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/underground/80530) : « Le monde de la contre-culture ». Celui de
Princeton est beaucoup plus vaste (http://wordnetweb.princeton.edu/perl/webwn puis taper Underground dans la
barre de recherche). Nous ne retiendrons que la forme adjective suivante, bien qu'elle ne fasse en aucun cas
référence à la culture : « conducted with or marked by hidden aims or methods ».
31
Introduction
15
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
De la notion de genre
L’équitation est depuis les années 1970 l’une des pratiques les plus majoritairement
féminines en France. Ce qui semblait être un bastion d’abord militaire et donc masculin, est
devenu l’exact opposé. Pour quelles raisons les filles vont-elles plus dans cette discipline que
les garçons, qui étaient a priori les principaux destinataires de la pratique initialement ? Quels
sont les enjeux de cette pratique sportive et qu’est-ce qui fait que les femmes s’y rendent ? Il
est possible que durant nos travaux se pose la question du genre.
« Le mot genre est entré dans le vocabulaire de la sociologie francophone […] pour
désigner ce qui relève de la différenciation sociale entre les deux sexes »33. Séparant le
biologique du social, le concept de genre a permis d’étudier les différences sociales qui ont
longtemps été maintenues par la société à ce qui serait de nos jours perçu comme du
machisme. Assigner les tâches ménagères aux femmes et le travail à l’extérieur de la maison
aux hommes relève aujourd’hui d’un passéisme souvent vilipendé dans les médias de toutes
sortes. A partir de l’éclosion des mouvements féministes durant les années 1970, après leur
entrée progressive dans la sphère de l’emploi, les femmes n’ont cessé et cherchent encore à
obtenir l’égalité avec les hommes, par la loi ou le changement des mentalités. Là encore, la
norme légale peut dévier de la norme morale, même majoritairement partagée par les
individus, puisque malgré les notables changements de mœurs vis-à-vis des femmes, une loi
de 1800 interdisait aux femmes de se travestir en hommes sauf autorisation de la Préfecture
de police. Des modifications de 1892 et 1909 le leur permettait à condition de tenir « par la
main un guidon de bicyclette ou les rênes d'un cheval »34. Même si les mœurs en vigueur
avaient évolué depuis des années et que le port du pantalon pour les femmes ne portait plus à
conséquences, cette loi était active jusqu’au 31 janvier 2013, date à laquelle le Ministère des
droits des femmes publiait sa réponse au bulletin officiel du Sénat pour signifier l’abrogation
implicite de cette loi, « incompatible avec les principes d'égalité entre les femmes et les
hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France,
notamment le Préambule de la Constitution de 1946, l'article 1er de la Constitution et la
Convention européenne des droits de l'homme »35. Cela nous permet néanmoins de constater
que depuis le dix-neuvième siècle, les femmes avaient conquis le domaine du cheval en
montant à califourchon.
33
Laslett, Barbara, Genre, in Dictionnaire de sociologie, 1998, Paris, Larousse-Bordas, p. 107.
Ibid.
35
http://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120700692.html, consulté le 15 juin 2013.
34
Introduction
16
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Il n’en reste pas moins que le milieu équestre, à forte domination masculine a pu garder
un certain nombre d’habitudes bien ancrées dans la manière de transmettre le savoir et
d’accueillir le public. Les études portant spécifiquement sur les femmes à cheval, en miroir
avec ce que le terrain nous permettra de mettre en avant nous amènerons à en savoir plus.
Une sociologie des outsiders
Nos travaux se placent dans la droite ligne des travaux axés sur les pratiques
« outsiders », au sens que donne Becker à cet anglicisme. Il faut entendre par là le respect,
donc, de normes qui ne sont pas classiquement celles respectées par l’ensemble de la société
mais spécifiques. C’est ce que nous nommons les normes mainstream versus les normes
underground. En effet, de nombreuses études depuis quelques années tendent à s’intéresser
aux pratiques les plus diverses, comme celles portant sur la relaxation36, le surf37, le sport face
au chômage38, les hooligans39, la présence des femmes dans le rugby40 ou « l’exceptionnel
humain »41. Cette orientation sociologique spécifique se retrouve au sein de recherches
récentes, celles-ci se présentant systématiquement comme des regards originaux sur des
pratiques institutionnalisées ou au contraire absolument non institutionnalisées, ou encore en
cours d’institutionnalisation. L’étude des pratiques de rue42 et des activités à fort engagement
corporel43 ou de la relation de l’homme avec la nature44 vont dans ce sens.
36
Héas, Stéphane, La relaxation comme médecine de Ville, thèse de 3ième cycle, 1996, Strasbourg : Université
des Sciences Humaines et Sociales.
37
Sayeux, Anne-Sophie, Surfeur, l’être au monde. Analyse socio-anthropologique de la culture des surfeurs,
entre accords et déviances, thèse présentée pour le doctorat de l’université de Rennes 2, mention Staps, 2005.
38
Le Yondre, François, Vrais chômeurs et vrais sportifs. Le sport face au chômage comme instrument
disciplinaire ou support de tactiques identitaires : des catégories sociales en jeu, thèse présentée pour le
doctorat de l’université de Rennes 2, mention Staps, le 2 décembre 2009.
39
Bodin, Dominique, Le Hooliganisme, vérités et mensonges, 1999, Paris, ESF.
40
Héas, Stéphane, Bodin Dominique, Football et rugby féminins : quelles violences symboliques ?, in : D. Bodin
(dir.), Violences et sports, 2001, Paris, Editions Chiron, pp. 77-88.
41
Héas, Stéphane, A corps majeur, l’excellence corporelle entre expression et gestion de soi, 2011, Paris,
L’Harmattan.
42
Lebreton, Florian, « Faire lieu » a travers l’urbain. Socio-anthropologie des pratiques ludo-sportives et autoorganisées en ville. Thèse présentée pour le doctorat de l’université de Rennes 2, mention sociologie, le 14 avril
2009.
43
Routier, Guillaume, De l’engagement au désengagement corporel Une approche sociologique plurielle des
dynamiques, ruptures et permanences identitaires face à l’acceptation du danger dans les sports de nature, thèse
présentée pour le doctorat de l’université de Rennes 2, mention sociologie, 19 septembre 2011.
44
Chanvallon, Stéphanie, Anthropologie des relations de l’Homme à la Nature. La Nature vécue entre peur
destructrice et communion intime, thèse présentée pour le doctorat de l’université de Rennes 2,
mention sociologie, 2009.
Introduction
17
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La présente étude est découpée en trois partie. La première s’intéresse à l’enquête
historique et sociologique, ainsi qu’aux comparaisons possibles entre l’équitation et les
pratiques asiatiques. Dans un premier temps, il semble nécessaire de convoquer l'Histoire. De
comprendre en quoi l'histoire de l'art équestre, tel qu'il est dénommé parfois, nous permettrait
de considérer, sur le plan de son évolution, cette activité comme un art de combat. Par
ailleurs, il conviendra de comparer l’évolution des pratiques équestres à celles de ces
pratiques guerrières d’origine asiatique ou même occidentale (Chapitre I).
Les études portant sur les équitants45 et leurs pratiques sont, si l’on parcourt non
seulement la sociologie, mais également l’anthropologie, en augmentation régulière depuis les
années 1970, date de la première étude sociologique. L’analyse des textes scientifiques
permettra de cadrer l’étude dans ses options et hypothèses. Les ouvrages – fort nombreux –
rédigés depuis des siècles par des écuyers, des cavaliers, dont certains se voient attribuer le
qualificatif de « grands maîtres »46 nous permettront de comprendre les différentes « écoles de
pensée » en lutte encore de nos jours dans les milieux équestres. Il s'agira de comprendre en
quoi leurs écrits peuvent permettre de mieux appréhender ce ou ces « mondes sociaux » 47.
(Chapitre II).
La seconde partie s’attache à la description purement sociologique et méthodologique
au travers de laquelle est constituée cette étude. Les sciences sociales sont multiples. Les
courants dans lesquels peut s’inscrire une étude sont variés. Aussi, il est fondamental de
cadrer les courants au travers desquels cette recherche se construit (Chapitre III).
Puis seront évoquées les conditions d’enquête, la méthodologie maîtresse de l'enquête
sur le terrain contemporain. Celle-ci s’intéresse aux expériences équestres dans toute leur
variété. Comment les gens de cheval, qu’ils gagnent ou non leur vie par ce biais, voient-ils
leur pratique ? Quelles sont les spécificités corporelles de celle-ci ? Constatera-t-on des points
communs avec les arts de combat tels qu'ils se pratiquent en France ? Y a-t-il une forme
d'interaction48 entre le cheval et le cavalier, et si oui, de quel type d'interaction s'agit-il ? Trois
modus operandi permettent de mieux cerner cette pratique d'aujourd'hui. Ainsi, l’observation
participante est convoquée par : la participation pendant deux ans à une formation
d'équitation éthologique, pratique relativement nouvelle appelée dans ses termes initiaux
45
Autre terme signifiant « cavalier ».
Scali, Marion, Ils ont inventé l'équitation : de Xénophon à Tom Dorrance, 2009, Paris, Belin.
47
Perreau, Laurent, De l’esprit au monde social, in Le Monde social selon Husserl, Phaenomenologica, Vol. 209,
2013, pp. 49-67.
48
En suivant la définition d’Erving Goffman pour qui l’interaction est « à peu près l’influence réciproque que
les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des
autres ».Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1, 1973, Paris, Editions de Minuit.
46
Introduction
18
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Natural Horseman-ship49 par son créateur, Pat Parelli. Participation également et
parallèlement à cela, à la pratique au sein d'un centre équestre plus « classique ». Elles
permettront d'avoir accès à des sources d'informations in situ sur ce qu'est la pratique
aujourd'hui.
L'utilisation du vécu de combattant devenu cavalier est susceptible de comprendre en
quoi ces sensations et ce vécu corporel personnels peuvent conduire à une meilleure
compréhension des activités équestres. La participation observante50, méthodologie originale
mettant en jeu le corps du chercheur, sera au centre de cette démarche (Chapitre IV).
Enfin, la dernière partie discutera de l’ensemble des données récoltées et de leur
croisement avec les travaux précédemment cités. L’utilisation de l’expérience corporelle
propre de l’enquêteur, comparée aux entretiens de plusieurs dresseurs, moniteurs,
compétiteurs, touristes, artistes de spectacle, équithérapeutes et auteurs devraient permettre au
travers de leurs histoires de vie, de leur expérience propre, de construire une perception tant
corporelle qu'« expérientielle » d'une pratique (Chapitre V).
49
Parelli, Pat, Natural Horse-man-ship, 1999, Paris, Zulma.
Andrieu, Bernard, Les corps participants, agence épistémique et écologie expérientielle dans les recherches en
STAPS depuis 2000, 2011, Staps 91(1):77. Consulté juin 3, 2011.
50
Introduction
19
Première partie :
Regards équestres
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
Un chapitre d'histoire au sein d'un travail sociologique est une tradition. Elle demande
au sociologue en devenir de faire montre, sans doute, d'une bonne compréhension de l'histoire
pour analyser le monde dans lequel il évolue. Le travail de recherche historique relève ici non
seulement de la tradition mais également d'une nécessité pour la recherche que nous
proposons. Car en effet, la question première de la réflexion maintenant mise en route
consiste à nous mettre d'accord sur la définition initiale que nous devons donner de
l'équitation. Ce travail se pose à la lumière du processus de civilisation de Norbert Elias, que
nous allons détailler dans un premier temps. Si l'équitation est un art de combat, qu'entendonsnous par ce vocable ? C’est la question à laquelle nous répondrons ensuite. Nous ferons à
cette occasion le distinguo entre les arts de combat, sports de combat, arts martiaux et/ou arts
guerriers. Ce distinguo passe par un rapide détour via les pratiques asiatiques, afin de
comprendre en quoi la pratique équestre peut s’en rapprocher. Enfin, nous nous intéresserons
à l’évolution de l’équitation au sein du processus de civilisation.
I – 1 Le processus de civilisation, une focale pour expliquer une évolution
de la pratique équestre
Nous situons notre étude au sein de la théorie mise au point par Elias51, puis adaptée
ensuite dans la sphère sportive par Elias et Dunning52. Leurs travaux posent le sport comme
faisant partie de ce que les auteurs appellent « le procès de civilisation ». Selon eux, les
sociétés auraient connu au cours de leur histoire une évolution de la sensibilité à la violence,
l’augmentation de cette sensibilité se répandant des « nobles » vers la « plèbe » au cours du
temps. Ce processus de civilisation ne serait pas régulier, mais soumis à accélérations,
ralentissements, voire même régressions dans certains cas. On parle alors de
« décivilisation »53. Elias considère d’ailleurs que le phénomène de « curialisation » s’étant
51
Elias, Norbert, La civilisation des mœurs, 1973, Paris, Calmann-Lévy.
Elias, Norbert, La dynamique de l'occident, 1975, Paris, Calmann-Levy.
52
Elias, Norbert, Dunning, Eric, Sport et Civilisation. La Violence Maîtrisée, 1986, Paris, Fayard.
53
Heinich, Nathalie, La sociologie de Norbert Elias, Paris, La découverte, 1997, p. 24.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
21
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
produit progressivement à partir du Moyen-âge a subi sous le règne de Louis XIV comme une
accélération du processus d’adoucissement des mœurs. Schmitt54 le confirme en indiquant que
la « curialisation » a modifié les rites médiévaux. Au sein de ces changements, la diffusion de
l’adoucissement des mœurs se ferait des strates sociales supérieures vers les strates
inférieures, progressivement, amenant les individus à adopter une étiquette de plus en plus
contraignante mais également de plus en plus intégrée. L’exemple choisi par Elias dans « La
civilisation des mœurs », la modification des comportements à table, est basée sur les éditions
successives de manuels de savoir-vivre et leur analyse socio-historique. Les critères de
comportements acceptables sont alors flagrants dans leur évolution, dans les préventions de
plus en plus poussées sur les attitudes à éviter « en société ». De nombreuses critiques ont été
formulées contre le processus de civilisation, notamment sur son caractère généraliste, et sur
sa régularité, que l’auteur lui-même n’a jamais revendiquée55. Les partisans d’Elias les ont
cependant battues en brèche jusqu’encore récemment56.
Les sports, au sein de cette théorie, constitueraient pour leur part un des modes de
régulation des émotions, permettant ainsi aux individus de se défouler dans des structures
prévues à cet effet afin, en quelques sortes, de rester dociles, calmes, en société. Boilleau57
considère pour sa part que l’invention du sport moderne n’est pas l’invention de la rivalité et
de la compétition, puisqu’elles ont existé de tout temps, mais la construction d’une forme
efficace de « domestication de l’esprit agonistique », rejoignant de ce point de vue Elias. Elias
et Dunning considèrent de fait58 que la création du sport serait étroitement liée aux
changements survenus dans les structures du pouvoir des sociétés au cours de l’histoire. Le
sport serait donc une création non prévue mais allant de soi, d’une certaine manière, dans la
logique du procès de civilisation. Les rencontres internationales, dans ce cas, seraient des
compétitions non violentes entre les Etats59.
La création du sport tel que nous le connaissons actuellement serait, alors, passée d’une
pratique informelle en Angleterre pour au fur et à mesure se fédérer, en même temps que se
54
Schmitt, Jean-claude, La raison des gestes dans l’occident médiéval, 1990, Paris, Gallimard, p. 226.
Bernard Cahier, « Actualité de Norbert Elias : réception, critiques, prolongements. », Socio-logos. Revue de
l'association française de sociologie [En ligne], 1 | 2006, mis en ligne le 12 avril 2006, Consulté le 13 janvier
2013. URL : http://socio-logos.revues.org/30
56
Chartier, Roger, Pour un usage libre et respectueux de Norbert Elias, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire
2010/2, n° 106.
57
Boilleau, Jean-Luc, Conflit et lien social ; la rivalité contre la domination, 1995, Paris, La DécouverteM.A.U.S.S.
58
Elias, Norbert, Dunning, Eric, 1986, op. cit., p. 33.
59
Ibid., p. 30.
55
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
22
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
développent les paris. Elias et Dunning60 nous donnent l’exemple de la Boxe qui, à l’origine,
était un combat utilisant les pieds et les poings nus pour ensuite ne se pratiquer qu’avec les
poings et enfin qui finit par voir l’instauration de règles précises puis de catégories de poids.
Bui-Xuan61 parle d’ailleurs de « science de la mort euphémisée » et considère en outre, en
parlant de Judo, l’adoption des catégories de poids comme symbolisation de la victoire du
sport.
Elias considère que les individus ont la nécessité en toutes circonstances dans la vie
quotidienne de contrôler leur humeur, leurs affects et que les activités de loisirs comme les
sports sont un moyen « d’aller et venir dans un monde imaginaire », ainsi que le pense
Braunstein62. Notons qu’Arnaud et Arnaud63 considèrent que les activités corporelles et
sportives ont notamment pour principal intérêt de structurer et stabiliser les signes de la
personnalité dans lesquels les sentiments de confiance, d’estime et de respect de soi
s’inscrivent. Du point de vue du processus de civilisation selon Elias, et dans l’exemple des
pratiques asiatiques sur lesquelles nous avons travaillé, la fédéralisation des pratiques non
occidentales paraît logique dans la mesure où elles doivent rentrer dans les cadres légaux du
pays dans lequel la pratique est intégrée. Cette intégration peut cependant modifier le rapport
à la pratique. En effet, si une pratique est occidentalisée, elle peut être dénaturée,
« reculturée »64.
Elias65 propose d’autre part un essai sur le temps permettant d‘approfondir cette
réflexion. Le temps est ici vu du point de vue du processus de civilisation. L’auteur66
considère qu’à l’instar de « bien d’autres commodités sociales », la gestion du temps, que ce
soit d’un point de vue calendaire, horaire, n’a pu arriver à un tel niveau social et de précision
actuels tellement pointus que par le biais d’une longue et lente évolution, « en liaison
réciproque avec la croissance de besoins sociaux spécifiques ». De même, la naissance et le
développement du sport tel que nous le connaissons aujourd’hui a suivi cette logique. Elias
explique plus loin67 que les thèmes comme l’autorégulation du temps, ou les problèmes de
60
Ibid., p. 28.
Bui-Xuan, Gilles, Bande-zaï ! ou la santé par le Jiu-jitsu, in Quel Corps ?, 45-46. Sciences Humaines
Cliniques Et Pratiques Corporelles 2 : A Nos Amis Les Singes, 1993, pp. 65-74.
62
Braunstein, Florence, Penser les arts martiaux, 1999, Paris, PUF.
63
Arnaud, Lionel et Arnaud, Pierre, Le Sport, Jeu et Enjeu de Société, 1996, Paris, la Documentation Française,
p. 25.
64
Héas, Stéphane, La relaxation comme médecine de Ville, thèse de 3ième cycle, 1996, Strasbourg, Université des
Sciences Humaines et Sociales.
65
Elias, Norbert, Du temps, 1984, Paris, Fayard.
66
Ibid., p. 136.
67
Ibid., pp. 171-172.
61
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
violence et de son contrôle dans les relations humaines donnent lieu à des discussions
s’éternisant sans aucune chance de solution. Deux thèses sont responsables de cet état de fait.
L’une considère l’être humain comme possesseur d’un instinct d’agression génétiquement
déterminé similaire à l’instinct sexuel. L’autre se base sur le fait que les tendances agressives
sont le résultat d’influences « culturelles » ou liées à l’environnement. Selon lui, ce type de
discussions néglige souvent l’interaction entre les affects et leur contrôle, interaction dont le
modèle varie d’une société à l’autre, d’un individu à l’autre. L’espèce humaine est pour lui la
seule à avoir cette capacité.
Le processus de civilisation, plaçant le sport in fine comme un outil de régulation
étatisé, forme ritualisée de lutte des nations hors la guerre, n’interdit pas cependant des
pratiques à la marge, outsiders, voire undergrounds d’exister, de se développer, et même
d’entretenir au sein de pratiques « hors les murs » fédéraux les effets d’adoucissement des
mœurs attendus par ce processus. En effet, les notions d'art martial, d'art guerrier et de sport
de combat définis par Audiffren et Crémieux nous offrent initialement68 une séparation des
pratiques en fonction du degré, notamment, de fédéralisation de celles-ci.
I – 2 Des notions d'art martial, d'art guerrier et de sport de combat
Lors des mémoires réalisés en maîtrise69 puis en DEA70, durant les colloques auxquels
nous avons pu participer, nous avions largement travaillé sur les arts martiaux et les sports de
combat, en nous appliquant à théoriser ces pratiques, souvent étrangères, sur la base de la
définition que donnaient Audiffren et Crémieux de ce type de pratiques. Selon eux, le vocable
d'arts de combat convient mieux pour expliquer le champ sportif des activités de combat, par
son acception plus large et plus appropriée. Au sein de cette définition, ils distinguent deux
grandes familles d'activités : les sports de combat, caractérisés par « quatre propriétés
synchroniques : un milieu stable, un affrontement contre un seul adversaire (un contre un), un
départ en face à face, et la possibilité d'une simultanéité d'actions semblables71 ». A
contrario, les arts martiaux se caractérisent selon eux par le manque d'une ou plusieurs de ces
propriétés, et par « les situations de combat dans lesquelles le combattant doit protéger sa
68
Audiffren, Michel, Crémieux, Jacques, Arts martiaux, arts de défense ou arts de combat ? In Kerlirzin, Yves &
Fouquet, Gérard (Dir.), Arts martiaux, sports de combat, Paris, INSEP publications, 1996, pp. 61 – 66.
69
Régnier, Patrice, Le Kung-fu à Rennes, qui pratique et pourquoi ?, 2000, Rennes, Université Rennes II.
70
Régnier, Patrice, La place des silences dans la pratique des arts martiaux, 2001, Rennes, Université Rennes II.
71
Audiffren, Michel, Crémieux, Jacques, 1996, op. cit., p. 63.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
24
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
vie »72. Bien sûr, il est assez rare aujourd'hui, dans des sociétés policées comme peuvent l'être
les sociétés occidentales, et sans faire d'angélisme, d'avoir à user d'une pratique de combat
pour défendre sa vie, compte tenu de l'arsenal législatif empêchant, contraignant ce type de
réactions, et les intolérances de plus en plus croissantes des individus face aux actes de
violences, physiques, psychologiques, symboliques. Nous retrouvons ici la confrontation entre
deux conventions, deux normes de pratique de combat : la norme mainstream, bien
évidemment reconnue et portée par les structures étatiques que sont les sports de combat, et
une norme underground, qui elle n'est pas aussi clairement défendue par les fédérations mais
qui persiste néanmoins à exister. Par exemple, lors de notre étude sur les pratiques rennaises
de Kung-fu, nous avions pu observer quatre types de structures différentes les unes des autres
dans leur configuration73 de pratique (ouverte versus fermée, familiale versus sportive…).
Deux d’entre elles étaient diamétralement opposées. La première, se voulant intégrée à une
fédération en cours de constitution, proposait une pratique au plus grand nombre, enseignée
par un professeur « descendu » de la capitale pour faire son office. Les pratiquants étaient tous
acceptés et formés selon les codes fédéraux, comme le port d’une ceinture de couleur, etc. La
seconde, portée par un enseignant rennais, sélectionnait ses élèves dès le début de la première
année de la formation, réfutait la légitimité de la fédération et de l’enseignement qui y était
promulgué, refusait le port de la ceinture et toute reconnaissance de cette fédération ou de
n’importe quelle autre.
Les recherches princeps permirent d'établir non pas deux catégories de pratiques
parfaitement distinguées l'une de l'autre, mais plutôt un continuum de pratiques, une étendue
qui semblerait s'étirer de l'un à l'autre des pôles, de deux idéaltypes74 : d'un côté un pôle
sportif, compétitif, réglé et réglementé, fédéré, et de l'autre côté un pôle « martial »75, non
compétitif, non fédéré au sein duquel une progression personnelle serait recherchée et où le
but est clairement la défense de sa vie76, quand bien même cette conception d’une pratique
peut paraître inutile dans un monde contemporain de plus en plus strictement encadré et où les
72
Ibid.
Heinich, Nathalie, 1997, op.cit, p. 90.
74
Weber, Max, 2003, Économie et société, tome 1: Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket.
75
Le terme d'art martial revêt encore aujourd'hui une relative complexité, une entité conceptuelle qui recoupe des
pratiques relativement précises, alors que le terme « art martial » n'a aucun sens précis. Il relève, semble-t-il, de
la traduction d'un terme ancien chinois, Wu Yi. In Audiffren et Crémieux, Op. cit.
76
Régnier, Patrice, Héas, Stéphane, Bodin, Dominique, Contribution à une compréhension ethnosociologique
des arts et des sports de combat in 7° Journées de Réflexions et de Recherches sur les Sports de Combat et les
Arts Martiaux, Toulon-La Garde, 11-12 avril 2002.
73
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
25
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
lois, les normes gérant l’interaction pugilistique d’auto-défense sont particulièrement
complexes à appréhender77.
Désignant les traditions guerrières des pays d’Asie, le terme « martial » a été, semble-til, utilisé abusivement. La traduction, que l'on peut situer vers (1933) du chinois vers l'anglais
donna l'expression « martial art », reprise en l'état en français et les pratiques de combat
d'origine asiatiques furent dès lors désignées sous ce terme.
Depuis, il aura fait les beaux jours des magazines se spécialisant dans ces activités, et
aura contribué d'une certaine manière à « noyer le poisson » d'une possible compréhension
globale du phénomène des pratiques de combat, quelles qu'elles soient, et de la signification
que peut éventuellement recouvrir l'expression originale.
Ainsi, progressivement, le sens du mot semble avoir fini par désigner dans un premier
temps exclusivement les pratiques de combat d'origine asiatiques, pour ensuite désigner toutes
les pratiques mondiales (brésilienne avec la capoeira, israélienne avec le krav-maga, par
exemple) à l'exclusion de toutes les pratiques européennes, regroupées dès lors sous la notion
de « sports de combat ».
Les travaux de Cognot (2010), notamment, visent à renseigner sur le plan historique et
technique sur les arts martiaux historiques européens (AMHA), c'est-à-dire toutes les
pratiques de combat à mains nues ou avec armes qui avaient cours dans les sociétés féodales,
puis pendant la Renaissance en Europe occidentale. Cette démarche présente le mérite certain
de mettre le doigt sur une idée jusqu'alors tout à fait exclue de la logique la plus répandue :
des arts martiaux européens auraient existé. Il s'agit là peut être d'un problème lié à l'arrivée
des pratiques asiatiques de combat sur le territoire européen. Les pratiques féodales, présentes
sur le territoire avant la révolution industrielle (selon l'expression d'Adolphe Blanqui78) et son
corollaire, la naissance du sport moderne, ont en effet bien pu être des « arts martiaux ».
Compte tenu de l'imperfection de cet idiome, ainsi que de l'histoire de sa création et de
son utilisation, est-il raisonnable de continuer, envers et contre tout, de l'utiliser ?
Nous proposons aujourd'hui de garder cette idée de continuum mais en renonçant au
vocable « art martial », trop connoté par les variations historiques qui le caractérisent. Nous
lui préférons l'expression « art guerrier ». Le terme « art » revêt la notion de maîtrise
77
Cazalbou, Paul, La légitime défense appliquée aux sports de combat et arts martiaux, in 11° Journées de
Réflexions et de Recherches sur les Sports de Combat et les Arts Martiaux, Toulouse, 15-16 mars 2012
78
Blanqui, Adolph, Cours d'économie industrielle 1837-1838, 1838, Paris, Hachette.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
26
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
technique, de savoir-faire, de beauté voire de perfection intrinsèque, d'artisanat. Cette dernière
notion transparaît tant dans l’histoire des pratiques de combat asiatiques que dans les textes
qu’on peut retrouver au fil de l’histoire équestre. La notion de philosophie relative aux
pratiques visées, ou au moins d'une notion de développement personnel peut également y être
associée. Le concept d'art recoupe actuellement un grand nombre de champs des possibles,
d’activités pouvant se qualifier « d’artistiques ». Le site du CNTRL (Centre national des
ressources textuelles et lexicales) nous est d’une grande aide sur ce point79. Le terme d’art est
avant tout défini « par opposition à la nature, conçue comme puissance produisant sans
réflexion et à la science, conçue comme pure connaissance indépendante des applications ».
C’est un « ensemble de moyens, de procédés conscients par lesquels l'homme tend à une
certaine fin, cherche à atteindre un certain résultat ». Mais c’est aussi et surtout un
« ensemble des productions artistiques d'une époque, d'un pays, d'une civilisation (sic) ».
Ainsi, cette dernière acception laisse transparaître l’idée d’une production humaine spécifique
de la période dans laquelle elle est constituée. L’idée d’une transformation de l’état naturel
des choses est aussi prégnante, et la notion d’art, en tant que production à la recherche d’une
perfection, telle qu’on peut l’acheter dans les galeries revêt tout son sens.
Le terme « guerrier », quant à lui est plus explicite, moins vague que « martial ». Vague
par les concepts qui semblent se rattacher à ce terme. Parlons d'art martial. Vous citerez le
judo, le karaté, le kung-fu peut-être. Connoté depuis quelques dizaines d'années, trouble dans
son acception, l'utiliser risque de nous enfermer dans une somme de problèmes indépassables.
Martial renvoie à l'armée. Or, les pratiques de combat ne sont pas nécessairement toutes liées
aux militaires. Les pratiques initiales du Karaté, les pratiques originaires de l’île d’Okinawa80,
comme également la pratique nommée Kobudo, qui consiste en l’utilisation d’outils agraires
pour se défendre, étaient des pratiques certes cachées, mais utilisées par les gens qui n’avaient
pas d’armes81. La boxe chinoise – bien que d’origine militaire – était également celle des
moines, Shaolin étant le lieu le plus réputé de ce type de pratiques82. Le terme « guerrier »
recoupe des notions telles que la guerre, le combat, la violence, l'absence de règlement, et la
présence de tactique nécessaire au combat83. Ainsi, il nous semble qu’à la place de cette
79
http://www.cnrtl.fr/definition/art, consulté le 15 mars 2012.
Habersetzer, Roland et Gabrielle. Encyclopédie technique, historique, biographique et culturelle des arts
martiaux de l'Extrème-Orient, 2004, Paris, Amphora, p. 325-329.
81
Habersetzer, Roland, Ko-budo, les armes d'okinawa, 1985, Paris, Amphora, p19 : « Ces techniques s'y
développèrent au niveau du peuple (sinon de la masse) alors qu'ailleurs, notamment au Japon, elles restaient
facilement au niveau de l'élite guerrière du pays »
82
Habersetzer, Roland et Gabrielle, op. cit., p. 570-573.
83
Sun Tzu, l’Art de la guerre, 1996, Paris, Mille et une nuits.
80
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
27
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
notion d’art martial, bancale bien que socialement acceptée par tous, la notion d’art guerrier
est plus explicite et plus ouverte, sans renvoyer systématiquement aux pratiques asiatiques.
I – 3 Les arts guerriers asiatiques
Armés de cette définition, nous pouvons nous intéresser assez rapidement à ce qui
caractérise les arts guerriers tels qu'ils sont aujourd'hui pratiqués. Les études portant
spécifiquement sur ces pratiques sont devenues d’années en années – et notamment en Europe
– de plus en plus nombreuses, et cela dans un nombre de champs sportifs très variés et
importants. Clément est l’un des premiers auteurs à avoir abordé ce type de recherche dans le
champ des sciences sociales. L’auteur84 parle alors de la constitution de l’espace des
disciplines de combat en France, et s’attache à analyser son développement de 1936 à 1980.
Pour lui, l’arrivée de ce qui a été appelé les arts martiaux en France a modifié « l’espace des
disciplines sportives en devenant l’une de ses principales composantes ». C’est un fait social
certes avéré mais nous pensons également que parallèlement à la modification suscitée, un
autre champ de pratique s’est constitué à l’extérieur du champ sportif. Il s’agirait d’un champ
de pratique corporelle non « sportif » dans l’acceptation éliasienne du terme. Ce constat
semblait ressortir de l’étude réalisée sur les pratiques rennaises85. Il apparaissait que,
concernant la pratique de Kung-fu, deux styles de structures coexistaient alors, non sans
friction. L’une d’entre elle axait plus sa pratique sur le plan sportif, compétitif, tandis que
l’autre proposait une pratique corporelle non sportive, mais basée sur l’amélioration
technique, hors du cadre compétitif, respectivement dénommées pratiques orthodoxes (i.e.
conforme aux sports fédérés) et hétérodoxes (i.e. pratiques non sportives, non fédérées). En
conséquence, les arts guerriers constituent un espace de discipline particulier, au sein duquel
coexistent deux modes de rapport au corps et à la pratique. Dès lors, nous interrogions le réel
sur ce qu’il en était des rites propres aux arts martiaux, dont les médias (cinéma, télévision,
presse spécialisée ou non…) ne cessent de parler ? Existait-il une différence dans le traitement
de ces rites selon le mode de pratique de la structure dans laquelle le pratiquant évolue ?
84
Clément, Jean-Paul, La constitution de l'espace des disciplines de combat en France : 1936 –1980, In Pierre
Arnaud & Al. (Eds.), Corps, Espace et Pratiques Sportives, 1992, Strasbourg, Conseil scientifique de
l'Université, pp. 174 – 192.
85
Régnier, Patrice, 2000, op. cit.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
28
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
C’est ce que nous cherchions à définir dans l’étude de 2001 en nous focalisant sur le rite que
peut constituer le silence dans cette pratique86.
La définition proposée par Audiffren et Crémieux va dans le même sens : « L’histoire
du Judo nous enseigne qu’il s’est mondialisé sur la base majoritaire des normes et des
discours sportifs et non pas sur le silence du zen, les règles du confucianisme et la
métaphysique du tao ». Le Judo est la première pratique asiatique à être parvenue en Europe,
et de ce fait à l’heure actuelle la pratique martiale la plus fédéralisée de toutes. Cependant,
une explication peut être donnée quant à cette extrême occidentalisation du Judo. Goodger et
Goodger87 se basent sur les travaux d’Elias et Dunning88 afin d’expliquer la création et
l’évolution du Judo. Ils nous apprennent que son fondateur, Jigoro Kano (1860-1938) a été
non seulement directeur de la « Tokyo Higher Normal School » pendant 23 ans, mais en sus il
fut « Chef du bureau de l’éducation » du ministère japonais de l’éducation. Il fut en outre
responsable de l’introduction des activités sportives et de l’éducation physique au sein des
écoles japonaises. Enfin, il eut un lien étroit avec l’entrée du Japon aux Jeux Olympiques et
fut membre du Comité International Olympique durant trente ans89. Enfin, Mazac nous
renseigne sur les liens qui s’étaient établis entre Jigoro Kano et Pierre de Coubertin90. A la
lumière de ces informations, la rapide « sportivisation » du Judo s’explique aisément. En
effet, Kano s’avère avoir été un précurseur dans son pays du développement des pratiques
sportives telles qu’elles existaient en Europe, et la création du Judo et son développement en
ont très certainement été influencés. D’ailleurs, Goodger et Goodger précisent que Kano,
ayant créé le Judo en se basant sur le Jiu-jitsu qu’il avait pratiqué auparavant, l’a fait en
rendant les techniques de projection et de saisies moins dangereuses. Il s’agissait donc d’une
euphémisation de la pratique du Jiu-jitsu, basée sur une sélection des techniques de
préhension, et sur une application moins risquée de celles-ci. Tout ceci dans une période
pouvant être considérée comme celle d’une évolution : la civilisation (au sens d’Elias)
extrêmement rapide des structures au Japon. Après une longue période féodale, le Japon a
radicalement changé91, même dans la façon dont les dirigeants japonais s’habillaient, mettant
86
Régnier, Patrice, 2001, op. cit.
Goodger, B. C., Goodger, J. M., Judo in the light of Theory and Sociological Research, in International
Review of Sport Sociology, 1977, t 12, n°2, pp. 5-34.
88
1966, 1975
89
Ibid. p. 9.
90
Mazac, Michel, Jigoro Kano, Père du Judo. Noisy-sur-École: Budo Éditions, 2006.
91
Nous développerons ces changements un peu plus loin.
87
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
29
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
alors le costume trois pièces occidental et le haut de forme en remplacement des kimonos.
Jigoro Kano était donc un bon ami de Pierre de Coubertin, avec qui il partageait un grand
nombre d'idées concernant le sport. Le judo peut être considéré comme un modèle
« sportivisé » des anciens arts martiaux, étant donné le choix initial de techniques sécurisées
du Jiujitsu. Il a ainsi créé un nouveau modèle de pratiques qui a finalisé sa transformation :
« Since the Second World War, Judo has undergone a very rapid transformation from a
small-scale, Japan-oriented, rather esoteric ”martial art” to a relatively large-scale,
Westernized, modern, international sport92 ». Il a ainsi progressivement fait évoluer une
pratique entourée par l’ « étiquette samouraï » et la moralité du Japon féodal93 vers un sport,
avec ses principes évoqués par Elias et Dunning. Nous supposons que l'équitation connut et
connaît encore, du moins en France, un processus similaire, la transformant d'un art martial
occidental à un sport. Cela peut expliquer la rapidité avec laquelle le Judo s’est développé au
sein du cadre sportif occidental, malgré la rivalité interne des pratiquants (partisans du judo
sportif vs partisans du collège des ceintures noires) quant au devenir de cette activité, comme
l’explique Clément94 dans les années 50. Cela explique également à quel point le judo est
l’exemple particulier à prendre pour tenter de comprendre la constitution d’un champ autre
que sportif.
L’histoire du Judo proposée par Brousse95 nous enseigne pourtant que tout au long de
son occidentalisation, des instructeurs japonais notamment en mal de reconnaissance au Japon
sont venus en Europe afin d’agir pour son développement, mais aussi pour conserver la
mainmise des japonais sur son enseignement. Ce qui laisse supposer que l’enseignement
dépend plus de la personne qui propose la formation que du pays dans lequel il évolue.
Somme toute, l’ensemble de ces informations, couplé avec les entretiens réalisés en DEA
nous laissait entrevoir la définition d’Audiffren et Crémieux sous un nouveau jour. En effet,
les arts de combat se définissent selon eux d’un côté comme des arts martiaux – nous y
préférons la notion d’art guerrier – hétérodoxes, hors du cadre sportif, et d’un autre côté
comme des sports de combat, orthodoxes, compétitifs. Mais c’est aussi plus que ça. Nos
travaux précédents avaient alors montré que ce n’étaient pas de deux camps, mais de deux
pôles dont il s’agissait. Pôles définissant les extrêmes d’un continuum de pratiques s’étendant
92
Goodger, B.C. et Goodger, J.M., op. cit., p. 6.
Mennell, Stephen, L'étude comparative des processus de civilisation et de décivilisation, in Y. Bonny, J-M. De
Queiroz & E. Neveu (Eds.) Nobert Elias et la théorie de la civilisation, lectures et critiques (pp. 27-36). Rennes,
PUR, 2003.
94
Clément, Jean-Paul, 1992, op. cit.
95
Brousse, Michel, Le Judo, son histoire, ses succès, 1996, Genève, Liber.
93
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
30
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
de l’un à l’autre, au sein duquel est représenté l’ensemble des conceptions possibles d’une
pratique de combat ou guerrière96. Nos travaux avaient également laissé croire que ce n’est
pas tant vers une discipline donnée qu’on se dirige dans ces pratiques mais plutôt vers un
« maître à penser », vers une doctrine pour laquelle on ressentirait de l’attrait.
De même que dans ces pratiques, nous supposons que l’équitation peut faire l’objet d’un
même traitement de son mode de pratique. Nous pensons qu’un continuum de pratiques existe
ici aussi, ce continuum s’étendant alors des sports équestres aux arts équestres, ceci
permettant d’appréhender d’une manière plus fine ce milieu, d’en dévoiler l’ensemble des
facettes.
La place du cheval au Japon et en Asie.
Comparer des pratiques venues d’autres continents à des pratiques produites par des
pays européens, par des cultures différentes, peut amener un certain questionnement. Pourtant,
Reischauer la première constate des points communs entre les structures européennes et
japonaises97. En effet, l’Europe et le Japon sont deux régions du monde comparables par leur
évolution : elles ont toutes deux connu une période féodale. La différence fondamentale entre
le Japon et l’Europe est que, comme nous l’avons déjà évoqué, le processus de civilisation qui
a fonctionné dans nos contrées a été relativement fluide, souple, sans à-coup. Au Japon, au
contraire, le processus a connu un arrêt relativement stable durant toute la période du
shogunat, surtout durant l’ère Tokugawa, avec une certaine fermeture sur l’extérieur. La
violente arrivée du Commodore Perry à la fin du 19e siècle a provoqué cette brutale
accélération du processus, avec les ruptures que cela a provoqué, et « l’assimilation du
modèle occidental » (adoption des tenues occidentales, fin de l’autorisation du port du sabre,
fin des castes – samouraï, Shogun, modèle de gouvernance politique à l’occidentale, etc.)98.
Comme indiqué précédemment, le vocable d'art martial a servi, initialement, à définir
les pratiques asiatiques, et plus spécifiquement japonaises, à partir de la fin du 19e siècle99.
Celles-ci, qui jusqu'alors étaient non seulement réservées à l'ethnie qui les avait produites
96
Régnier, Héas, Bodin, 2002, op. cit.
Reischauer, Edwin O., Histoire du Japon et des Japonais, 1. Des origines à 1945, 1973, Paris, éditions du
Seuil, p. 60.
98
Carré, Guillaume, Les révolutions de la période prémoderne, in Sabouret, jean-François (dir.), Japon, peuple et
civilisation, 2004, Paris, La Découverte, p. 134.
99
Audiffren, Michel, Crémieux, Jacques, 1996, op. cit., p. 61.
97
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
31
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
mais parfois même à une catégorie d'individus bien spécifique100. Les pratiques du noble
japonais étaient en effet spécifiques à sa caste. Pour Norman, guerrier occidental rendant
compte de ces nouveautés qu’il côtoie au Japon, les pratiques guerrières japonaises se limitent
à l'utilisation du sabre (katana) et à la lutte (Sumo et Jiujitsu). Il ne fait pas mention de l'usage
du cheval. Pourtant, pour Reischauer, le personnage central de l’époque féodale est bien « le
guerrier à cheval »101. Malgré tout, deux éléments nous donnent un élément de réponse sur la
pratique de l'équitation au Japon. L'auteur propose au sein de son ouvrage des photos. L'une
d'entre elles montre un cavalier lieutenant de la Garde Impériale. Un second indice nous
permet de considérer une pratique équestre au Japon : parlant des différences entre les
méthodes européennes et japonaises de combat à l'épée, il nous apprend que contrairement
aux occidentaux, pour qui il s'agit d'une situation de dernier recours, les japonais combattent
presque exclusivement à pied, et non à cheval, compte tenu des terrains escarpés qui les y
obligent102. Enfin, en ce début de 20e siècle, Norman précise qu'il est lui-même un ancien
membre de la cavalerie103. Aussi une hypothèse émerge de ces indices : Norman est un
occidental qui découvre et s'émerveille d'un Japon encore fraîchement ouvert aux étrangers. Il
est probable que dans ces conditions, l'émerveillement dont il fait preuve s'attache, en tant que
militaire ou ancien militaire lui-même, aux techniques qui le touchent et qu'il ignore. Or en
Europe, l'usage du cheval dans l'armée est encore très répandu. Il semblerait donc que ce qui
est habituel aux yeux de notre narrateur soit passé sous silence. Son non-discours sur les
pratiques équestres est moins à mettre à l'absence de celles-ci qu'à leur évidence à ses yeux,
évidence non questionnée. En quelques sortes, nous pouvons considérer que c'est la norme à
laquelle Norman se réfère : il est dans la norme de monter un cheval pour un combattant, donc
il n'a pas à en parler. Au contraire, il est pour lui étonnant de descendre de cheval pour
combattre, ce qu’il signale alors.
D’une manière générale, il est extrêmement difficile de trouver des sources permettant
de mettre en évidence l’utilisation du cheval dans les pratiques de combat au Japon. En fait,
les seules sources permettant de mettre en évidence cet usage semblent devoir se trouver dans
les pratiques contemporaines qui offrent un rappel des pratiques anciennes. Les
représentations de scènes de bataille à cheval104, les évocations cinématographiques105, ou la
100
Norman, Francis James, The Fighting Man of Japan. The training and exercices of the samurai, 1905,
London, Constable & Co.
101
Reischauer, Edwin O., 1973, op. cit.
102
Ibid. p. 52.
103
Ibid., p. 42.
104
http://www.dailymail.co.uk/news/article-2180871/Historic-10th-Century-Japanese-wild-horse-chase-getssaddle-year-disaster-crippled-nearby-nuclear-plant.html#axzz2KIwLZCVa, consulté le 31 mars 2013.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
32
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
pratique actuelle du Bajutsu106 semblent seules nous donner à voir ce que pouvait être l’usage
du cheval au Japon médiéval. L’existence du Naginata-do est également une preuve indirecte
supplémentaire de l’usage du cheval au Japon. Son usage, en effet, était réservé aux guerriers
à pieds et permettait de combattre contre des chevaux ou des hommes en armure107. Nous
sommes tout de même parvenus à trouver d’infimes sources écrites permettant de vérifier
l’utilisation du cheval au Japon féodal. En fait, deux sources remontent à la même personne :
Miyamoto Musashi. Considéré comme l’un des plus célèbres samouraïs de son temps (le 17e
siècle), il est l’auteur à la fin de sa vie du Traité des Cinq Roues108 (Gorin No Sho). Deux
simples extraits nous permettent d’apprendre que peu de temps avant sa mort « il offrit ses
sabres et sa selle à ses amis »109. Partant, nous pouvons considérer qu’il était coutumier de la
monte à cheval puisqu’il possédait sa propre selle. Il évoque le cheval par ailleurs au cours de
ce texte mais sans s’appesantir, pour plutôt expliquer la difficulté de la coupe à deux mains
lorsqu’on est dessus110. La traduction de ce traité semble corroborée, au moins sur le plan
équestre, par un texte de Cleary, plus récent, qui remet en questions les traductions
précédentes. Il cite un autre guerrier de cette époque, Yagyû qui lui aussi parle de cheval,
mais pour l’intégrer aux arts de combat et à la manière de les appréhender :
« Lorsque que vous tenez un sabre ou que vous montez à cheval, vous ne « tenez pas un
sabre » ni ne « montez à cheval » […] Lorsque vous accomplissez chaque chose dans un état
d’esprit normal, comme si celui-ci était parfaitement vacant, alors tout se déroule sans heurts
ni contrainte. Quoi que vous fassiez, vous êtes dans la Voie »111.
Nous disposons d’une dernière source également datée des années 1970. L’ensemble du
texte est assez partisan et totalement erroné du point de vue historique, bien qu’écrite par un
japonais. Il nous semble surtout marquant d’une époque où la légitimité de la pratique non
sportive était mise en jeu. Pour l’auteur, les samouraïs « devaient apprendre les arts de la
guerre, et ceux de la vie civile. Ils devaient étudier le Bouddhisme, Lao Tseu, Confucius, et en
même temps apprendre le judo, l’équitation, le tir à l’arc. »112
105
Les films d’Akira Kurosawa tels que Ran ou Les sept samouraïs, par exemple.
http://www.bajutsu.com/, consulté le 27 mai 2012
107
Habersetzer, Roland et Gabrielle, 2004, op. cit., pp. 494-495.
108
Musashi, Miyamoto, Traité des cinq roues, 1977, Paris, Albin Michel.
109
Ibid., p. 32.
110
Ibid., p. 62.
111
Cleary, Thomas, La voie du samouraï, Pratiques de la stratégie au Japon, 1991, Paris, éditions du Seuil, pp.
44-45.
112
Deshimaru, Taisen, Zen et Arts martiaux, 1997, Paris, Albin Michel, p. 28.
106
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
L’origine japonaise de l’auteur pourrait nous porter à croire à la véracité de son propos,
mais l’évocation de l’utilisation du judo par les samouraïs, pratique née à la fin du 19e siècle,
donc après la révolution de Meiji, est anachronique.
Nous n’avons pu accéder à des sources de pratique moderne que via trois outils. Le
magazine Equi-annonces113 offre une présentation succincte de l’activité Yoseikan Bajutsu.
Cette pratique s’avère relativement récente, puisque Hiroo Mochizuki a mis en place cette
activité d’abord au sol puis à cheval à compter des années 1990. Cependant, il semblerait que
« l’apprentissage du cheval « à la méthode » constitue un aspect primordial de la pratique ».
Il semble néanmoins que cette pratique, même si elle est basée sur une technique du passé,
n’en est pas moins une invention moderne. Christelle Moniquatorze (36 ans, distance),
instructrice fédérale et une de nos témoins, ayant été initiée au Yoseikan Bajutsu nous a fait
parvenir un mémoire qu’elle avait réalisé lors du premier Trophée Generali de l’innovation
pédagogique en 2003114. Voici les conditions dans lesquels ce dossier a été constitué115:
« J’avais constitué ce petit document très rapidement pour répondre à un
concours organisé par la FFE et Generali Assurances sur le thème “Fidéliser les
cavaliers adultes débutants”.
[…]
J’avais alors le titre de DTN de la discipline au sein de la Formation
Française de Yoseikan Bajutsu (le Bajutsu n’étant alors pas encore discipline
assimilée à la FFE).
J’avais souhaité répondre à ce concours dans le cadre du développement de
ma structure équestre (à dominante enseignement) au sein de laquelle j’avais
développé la pratique du Bajutsu directement à la demande du Maître Hiroo
Mochizuki (mon père pratiquant le Yoseikan Budo très régulièrement après avoir
pratiqué le karaté).
C’est au sein de ce stage que le Maître Mochizuki a bien voulu me décerner
le 3ème dan de Yoseikan Bajutsu.
113
Le Yoseikan Bajutsu : art martial à cheval, in Equi-annonces, le gratuit du cavalier, équi productions,
Villeneuve-Lès-Avignon, n°29, novembre/décembre 2009, p.15.
114
Yoseikan Bajutsu, in La REF, la revue de l’équitation, Fédération Française d’Equitation, Paris, n°40, cahier
n°1, décembre 2003, p. 15.
115
Expliquées par courriel.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Cependant, ma carrière a pris ensuite une toute autre orientation et je me
suis éloignée progressivement d’une conception un petit peu trop “cascade” pour
moi. »
Le Yoseikan Bajutsu consisterait donc en une synthèse récente de plusieurs pratiques,
sans doute japonaises étant donnée l’origine de son créateur, et d’équitation classique, donc
occidentale. Si cette pratique moderne se veut d’inspiration asiatique, elle n’est du point de
vue culturel que la reconstitution moderne d’une pratique à laquelle, en l’occurrence, nous
n’avons pas accès. Il n’en reste pas moins qu’une pratique équestre a existé et existe peut-être
toujours au Japon et en Asie, ne serait-ce que par l’existence des peuples cavaliers présents
encore aujourd’hui en Mongolie notamment116. A lire Digard117, il est plus qu’improbable que
les ponts culturels ne se soient coupés entre des peuples aussi proches118.
C’est finalement, peut-être dans l’impossible maîtrise totale de l’arme-cheval, qu’il faut
voir les difficultés de trouver des sources de l’art équestre de combat japonais. Car comme le
dit Hervé Drévillon119, même dans son œuvre cherchant à rendre méthodique le combat Louis
de Montgommery reste très évasif sur la méthode du combat monté : « La guerre à cheval
semble ainsi résister à l’investigation de la raison ». Nous devons nous contenter d’estimer la
possibilité qu’au Japon, c’est l’intérêt des traités d’équitation qui n’ait jamais été évalué.
I – 4 En Europe : L'origine guerrière de l'équitation
L’équitation fait, nous l’avons vu, partie en France du groupe des activités dites « sports
de nature ». Cette dénomination recoupe, en Europe, une multiplicité de conceptions et de
modalités de pratiques différentes120. En France est donc regroupé un nombre de pratiques
très variées et diversifiées. Cependant l'équitation, par son histoire propre, semble laisser
transparaître quelque chose comme une incompréhension chronique de sa nature même, par la
manière dont cette activité a évolué au cours de l'Histoire. L'analyse historique de l'activité121
relève que selon toute vraisemblance, une relation s'est établie entre l'homme et le cheval
116
Gouraud, Jean-Louis, L’Asie Centrale, centre du monde (du cheval), Paris, Belin, 2005.
Digard, Jean-Pierre, Une histoire du cheval. Art, technique, société, Paris, Actes Sud, 2007.
118
Ibid.
119
Drévillon, Hervé, Existe-t-il un art équestre de la guerre à l’époque de Pluvinel, in Les arts de l’équitation
dans l’Europe de la Renaissance, 2009, Paris, Actes Sud, pp. 307-317.
120
http://www.sportetcitoyennete.org/version3/pdf/conference_annecy.pdf, compte rendu de la conférence,
consulté le 29 janvier 2012.
121
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit.
117
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
35
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
relativement tôt dans l'histoire de l'humanité, puisque dès le Néolithique il est recherché –
d'abord pour sa viande122, comme d'autres proies de l'homme. Le cheval partagerait avec le
chien une « spécificité » qui transparaît dans le tabou que les Romains posent sur leur
consommation123. Le cheval a en outre été le seul animal en Europe enterré avec son
propriétaire124. Mais selon Digard, très tôt l'animal incarne pour les hommes « les vertus
guerrières »125 que chacun se doit de posséder. Ces notions de guerre et de combat paraissent
donc pour l'animal remonter à la période de sa domestication. De l'Antiquité à la Première
Guerre Mondiale, le cheval aura fait partie de tous les usages humains (agriculture,
transports126, et dans sa forme montée pour les combats127). La mécanisation des moyens de
production liée à la Révolution Industrielle a ensuite projeté les pratiques équestres dans le
monde du sport et du loisir. Aujourd'hui l'équitation est un sport olympique et mondialement
pratiqué128. Mais au vu de son évolution et de son histoire, étant donnée la prégnance de l'acte
guerrier dans sa nature et sa constitution historique, et ce dès la domestication de l'animal,
n'était-elle pas avant toute chose un art guerrier, au sens que lui donnent Audiffren et
Crémieux129 ?
La Chute de l’Empire romain et ses conséquences
Dès l'Antiquité, la maîtrise des techniques équestres apparait suffisamment importante
pour mériter les écrits d'écuyers célèbres : Xénophon est l'auteur européen le plus ancien
ayant laissé une trace de ses préceptes équestres durant cette période130. En effet, un autre
texte, les tablettes de Kikulis, sont les plus anciennes retrouvées à ce jour131. Mais celles-ci ne
constituent pas à proprement parler de préceptes tels que ceux qu’on peut trouver dans le texte
grec. L'édition récente du texte de Xénophon met en avant la similitude technique entre les
préceptes de ce premier auteur et les préceptes actuels, mais ne se pose pas la question d'une
122
Ibid., p. 42.
Arbogast, Rose-Marie, 2002, Archéologie du cheval, Paris, Errance.
124
http://www.cheval-haute-ecole.com/index15-1.html, consulté le 1er juin 2011.
125
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit.
126
Roche, Daniel, La Culture équestre occidentale, XVIᵉ-XIXᵉ siècle, L'ombre du cheval : Tome 1, Le cheval
moteur, Essai sur l'utilité équestre, Paris, Fayard, 2008.
127
Franchet, d’Espèrey, Patrice, La main du maître, 2007, Paris, Belin, p. 53.
128
http://www.fei.org, consulté le 05/10/2010.
129
Audiffren, Michel, Crémieux, Jacques, 1996, op. cit.
130
Xénophon, De l'art équestre, 2008, Paris, Les Belles Lettres.
131
Henriques Pereira, Carlos. Étude du premier traité d'équitation portugais, Paris : L'Harmattan, 2001, p. 9.
123
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
36
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
telle spécificité. Avec la chute de l'Empire, durant les Vᵉ et VIᵉ siècles132 disparaissent des
savoirs techniques – par exemple, on ne sait plus construire de routes en pierre de l’époque
romaine, courantes à l’Antiquité ; citons également l’exemple de la charrue, disparue puis
« réinventée » au Xe siècle seulement133. Notons que des savoirs équestres évoqués par
Xénophon dans ses écrits décrivent des techniques qu'aujourd'hui nous considérerions comme
de Haute École134.
Un aparté semble devoir être ouvert ici : qui pratiquait l’équitation durant l’Antiquité ?
Alexandre Blaineau135, historien spécialiste de la période et de Xénophon, répond136 :
Je viens à toi car j'ai un questionnement, soumis par une amie qui lisait les
premières bribes de ma thèse et l'évocation de ce qu'on appelle aujourd'hui la
haute école chez Xénophon. Elle me demande alors qui à cette époque pratiquait
l'équitation. Etaient-ce les militaires, les aristocrates d'alors? Sont-ce les mêmes
personnes ?
Dans sa notice au début de L'art Equestre, Delebecque137 laisse à penser
que le texte semblait initialement dévolu aux fils de Xénophon, mais qui a fini par
y avoir accès ? Le texte est écrit simplement comme pour s'intéresser aux gens du
commun, mais le livre leur fut-il disponible ? Peut-être fallait-il avoir déjà accès
à l'écriture, pour recevoir ce travail.
« Tous les groupes sociaux instituent des normes et s'efforcent de les faire
132
Weber, Eugen, Une histoire de l'Europe, hommes, cultures et sociétés de la Renaissance à nos jours, tome 1 :
De la Renaissance au XVIIIᵉ siècle, Paris, Fayard, 1986, p. 17.
133
Ibid.
Legoff, Jacques La Civilisation de l'Occident Médiéval, 2008, Paris, Flammarion, pp. 170-172.
134
Les techniques de Haute École regroupent l'ensemble des mouvements développés par les « grands maîtres »
de l'équitation à partir de la Renaissance en Italie, par Grisone et Pignatelli en tête. Il s'agit des techniques les
plus fines qui puissent être inculquées à un cheval et un cavalier. Elles sont issues directement de la pratique
équestre de combat, et se développant favorablement aux périodes de paix. Aujourd'hui, elles nécessitent
généralement l'usage des éperons qui sont des outils permettant une communication plus fine entre le cheval et
son cavalier. Le Cadre Noir de Saumur conserve encore aujourd'hui une mission de conservation de ces
techniques. Voir Martin, Elsa, Accéder à l'équitation de haut niveau. Le cas des cavaliers du Pôle France
Jeunes. Mémoire de Master 1 « Sport et sciences sociales : administration, territoires, intégration », 2010.
135
http://www.actes-sud.fr/contributeurs/blaineau-alexandre-1
136
Alexandre Blaineau nous avait été présenté par une amie commune durant nos recherches, nous avons profité
d’un échange de courriels pour parler de cette question, mise en évidence par une collègue de notre
établissement.
137
Délebecque, Edouard,, Notice, in Xénophon, De l’Art Equestre, 2008, Paris, Les Belles Lettres.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
37
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
appliquer, au moins à certains Les questions que tu me poses sont intéressantes.
Les cavaliers d'alors qui pratiquaient une équitation supérieure telle que la décrit
Xénophon étaient en effet des personnes issues de l'élite (= ceux qui avaient assez
d'argent pour posséder un ou des cheval(aux), et qui pouvaient les monter).
Certaines sources distinguent équitation militaire et équitation de parade, mais je
pense que c'est dans un cadre militaire que cette "haute-école" a été développée.
Une cité en Italie du Sud (la Grande-Grèce) était réputée pour mener les chevaux
au combat au son d'un instrument de musique (l'aulos). Les cavaliers leur
faisaient faire une sorte de cabrade (c'est la cité de Sybaris).
Pour ce qui concerne les destinataires de l'Art équestre de Xénophon, la question
est compliquée. Je ne suis pas forcément d'accord avec Delebecque sur ce point.
Rien ne dit dans le texte que ce sont ses fils. D'où la double question : pourquoi et
pour qui l'a-t-il écrit ? Pour qui : "aux plus jeunes de nos amis" indique-t-il au
tout début. Il souhaite transmettre, semble-t-il, tout le patrimoine équestre qu'il
détient de ses ancêtres (amendé par lui grâce à quelques innovations). Le
pourquoi est plus difficile : est-ce le seul à avoir rédigé un traité d'équitation ?
Non, car il y a avant lui Simon, et peut-être d'autres auteurs, mais on ne peut pas
le savoir). Il indique par ailleurs que son traité est un "aide-mémoire" : et je fais
mienne l'opinion de P. Franchet d'Espèrey selon laquelle les traités équestres
comblent l'absence physique du maître et du cheval.
Sur la question de la transmission du livre dans l'Antiquité, on n'a que très
peu d'indications. On sait qu'il a été lu aux époques romaine byzantine (mais les
lecteurs ont davantage insisté sur les connaissances hippiatriques de
Xénophon).».
La chute de l'Empire Romain semble pouvoir être considérée comme une rupture tant
temporelle que spatiale au sein du développement historique, une phase de « décivilisation »
au sens d’Elias, une « barbarisation »138 au sens littéral. Suite à une relative déchéance des
élites romaines, une perte des repères des populations autochtones, les invasions barbares se
138
Delzescaux, Sabine. Norbert Elias. Civilisation et décivilisation, Paris : L'Harmattan, 2002, pp. 225, 226.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
38
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
font de plus en plus fréquentes, et on peut observer alors sur les zones frontalières de cet
ancien Empire une « absorption » des populations barbares à ce qui reste de celui-ci, que cette
absorption soit volontaire ou non pour l'Empire décadent139. Les envahisseurs barbares sont
alors supérieurs au combat, notamment par leur cavalerie et leur armement140. Et surtout, c'est
grâce à l'appui de la population romaine de masse de cet empire décadent, écrasée, humiliée
que les frontières leur seront grandes ouvertes.
Alors que l'Empire romain est affaibli, les pressions venant de l'extérieur sont le fait de
diverses peuples allemands : « Francs, Alamans, Burgondes et les Vandales » en Occident, et
en particulier les Huns à l'Est141 . Bien que les peuples allemands ne soient pas cavaliers142, le
contact des Goths avec les tribus iraniennes, et des Lombards avec les Avars leur ont permis
d'accéder à cette connaissance. Ces peuplades ont alors colonisé l'Europe Occidentale en
« effaçant l’aristocratie romaine et en établissant leurs propres seigneurs et leurs
successions »143 .
Et encore une fois, il est significatif selon Jacques Le Goff144 que cette chute de l'Empire
Romain ait produit une sorte de « rupture technique et technologique ». Comme nous l'avons
évoqué précédemment, des savoirs existants à l'époque de l'Antiquité vont être rien de moins
que perdus pour l'époque suivante. Ainsi, même si Xénophon et ses pairs ont pu atteindre un
certain degré de maîtrise technique à cheval durant l'Antiquité, la rupture que constitue la
chute de l'Empire et la fin de cette époque a pu être l'occasion de la perte de ces techniques
équestres comme d'autres savoirs faires. Notons également qu’alors se produit l’éclatement de
l’Empire entre Rome et Constantinople, ce qui a indubitablement rendu plus difficile pour les
occidentaux la possibilité d’avoir accès aux connaissances des pairs de Xénophon.
De l’époque féodale à la curialisation des guerriers
Suite à ces événements s'ouvre la période médiévale, qui se met en place sur les restes et
les souvenirs d'un monde disparu. C'est alors que se structure la féodalité. Pour Jérôme
139
Legoff, Jacques, op. cit., p. 16.
Ibid.
141
Ellis, John, Cavalry, the history of mounted warfare, 1978, Barnsley, Pen and sword books limited.
142
Ibid.
143
Ibid., p. 43.
144
Legoff, Jacques, 2008, op. cit., pp. 170 – 172.
140
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
39
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Baschet145, la noblesse médiévale se constitue, en simplifiant énormément, autour de deux
groupes sociaux distincts : d'un côté les grandes familles d'ascendance romaine et d'autre part
les milites, qui deviendront au fil du temps une caste particulière, la chevalerie, avec ses
codes, son éthique, son modus operandi.
La conversion de l'Empereur Constantin avait permis à l'Empire chrétien146 de
s'épanouir via la fin des persécutions des croyants tout en assurant sans le savoir l'avenir de
cette religion. Dans les premiers temps de cette nouvelle période, alors que lentement la
Chrétienté s'installe par les strates supérieures des États en cours de constitution147, les
relations se règlent entre seigneurs et vassaux. Elles se basent originellement sur les résidus
d'un code similaire à ce qui constituait certaines relations du monde romain tout juste éteint et
des peuples barbares avoisinants148. L’adoubement est fait initialement d'une manière très
grossière, virile. Progressivement, ces codes vont être enrichis, sinon réorientés par les bases
de la pensée chrétienne, qui va petit à petit s'installer en tant que princeps du fonctionnement
féodal149. Car en effet, ce n'est qu'à partir du haut Moyen-âge, vers le XIᵉ siècle, que « les
papes vont trouver les moyens spirituels et matériels de prétendre au magistère de la
Chrétienté » et que cette dernière influera effectivement sur la caste de la chevalerie, réglant
de manière définitive l'adoubement150.
Réservée à l'élite guerrière, la pratique de la monte à cheval reste l'apanage des chevaliers à
l'époque féodale151 puis des nobles et aristocrates à partir de la Renaissance152. Duby soutient
que la chevalerie et la noblesse étaient séparées dès le début du Moyen-âge, mais ont fini par
se réunir dans la catégorie des chevaliers153. A cette période, le cheval monté servait soit aux
combats soit aux messagers. Dans un premier temps, seules les sphères les plus hautes des
sociétés occidentales ont les moyens et la capacité effective de posséder un cheval, ainsi que
tous les autres attributs du chevalier : « L'inférieur prêtait ses armes […] – cheval, épée et
145
Baschet, Jérôme, La civilisation féodale : De l'an mil à la colonisation de l'Amérique, Paris, Aubier, 2004, p.
98.
146
Ibid., p. 49.
147
Carbonell, Charles-Olivier, Une histoire européenne de l'Europe, tome 1 : mythes et fondements, Toulouse,
Privat, 1999, p. 132.
148
Baschet, Jérôme, 2004, op. cit., pp. 61, 66. Legoff, Jacques, op. cit., pp. 40, 41.
149
Ibid.
150
Weber, Eugen, 1986, op. cit., pp. 20, 21. Carbonell, Charles-Olivier, op. cit., p. 211.
151
Legoff, Jacques, Héros et merveilles du Moyen Age, Paris, Points, 2009, p. 92.
152
Franchet d'Espèrey, Patrice, 2007, Op. cit., p. 55.
153
Duby, Georges, La société chevaleresque, 1988, Paris, Flammarion, pp. 24-30.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
40
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
lance – à son service »154. Cette place du cheval, outil de guerre et symbole même du statut de
chevalier, induit l'utilisation de cet animal et son apprentissage comme un art de combat, un
art guerrier européen. Ce n’est qu’à partir du Xe siècle que la notion d'un « ordre » militaire a
émergé, donnant pour charge aux chevaliers de protéger le peuple de Dieu155.
Les recherches récentes en histoire notamment par les chercheurs en Arts Martiaux
Historiques Européens (AMHE)156 placent au cœur de leur travail l'étude et la reconstitution
de ces pratiques de combat. Leurs recherches mettent en évidence l'existence passée de ces
pratiques et leur codification par des textes historiques. L'épée et la lance, sont les armes
connues et reconnues du chevalier. Le travail de et avec ces armes, avec l'entraînement, en
font un prolongement du corps ; c’est un art guerrier.
Qu'en est-il du couple cavalier-cheval ? L'équitation a la spécificité d'avoir traversé
toutes les époques en Europe pour arriver jusqu'à nous et devenir un sport à l'occasion de la
révolution industrielle, selon la théorie du « processus de civilisation » de Norbert Élias
appliqué au sport157. L'art de monter à cheval et l'art de manier l'épée auraient de ce point de
vue une similitude : être les deux seules pratiques guerrières existantes dès le début de la
féodalité à être parvenues jusqu'à nous tout en devenant de manière tout à fait logique des
sports. L’équitation serait de ce point de vue au même titre que le travail des armes de combat
un art guerrier. La pratique de l'équitation semble par ailleurs évoluer parallèlement à la
« curialisation des guerriers »158, l'affinement technique progressant avec celui du savoirvivre, ainsi que son utilité s'avérant prééminente puisque c'est « un moyen de se faire une
place à la cour, sans devoir abuser des flatteries ou de trop d'intrigues »159.
Michel Henriquet160 considère que « la genèse de l'équitation guerrière [résulte] du
choc de l'équitation musulmane au VIIIᵉ siècle avec celle des chevaliers Espagnols et
Portugais » et que les confrontations successives durant l'ensemble du Moyen-âge
154
Carbonell, Charles-Olivier, 1999, op. cit., p. 17.
Duby, Georges, 1988, Op. Cit, p. 26.
156
Cognot, Fabrice, Penser autrement : continuités et singularités dans les arts martiaux historiques européens, in
10° Journées de Réflexions et de Recherches sur les Sports de Combat et les Arts Martiaux. Dijon, 25-26 mars
2010.
157
Elias, Norbert, Dunning, Eric, 1986, Op. Cit,.
158
Elias, Norbert, La civilisation des mœurs, 1973, Paris, Calmann-Levy. Elias, Norbert, La dynamique de
l'occident, 1975, Paris, Calmann-Levy.
159
Lagoutte, Jean, Idéologies, croyances et théories de l'équitation en France depuis le XVIIᵉ siècle. Leurs
relations avec les classes sociales et les groupes, Thèse pour le doctorat de sociologie, Université de Tours,
1974, p. 105.
160
Henriquet, Michel, in Henriques Pereira, 2001, op. cit., p. 10.
155
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
41
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
transformeront au 18ᵉ siècle cet art « martial, qui deviendra chorégraphique » dans toute
l'Europe161. L'équitation est donc d'abord et avant tout une pratique liée au combat. Partant, la
guerre a évolué et vu évoluer les méthodes de monte à cheval, et notamment les outils de la
monte pour toujours plus d’efficacité. Initialement, il n'y avait pas d'équipement spécifique
pour permettre aux guerriers de rester sur un cheval, à l'exception des inventions locales
durant la période antique162. La selle est apparue, d’abord faite de bois et de cuir, et puis vint
l'arçon vers le début de notre ère en Asie centrale. Cette invention de l’arçon paraît être le
point central de l’amélioration technique de la selle, toujours en usage aujourd’hui. Cette
technologie a alors accru la tenue en selle du cavalier, se généralisant totalement – en dehors
de quelques modifications locales (selle espagnole, selle western, selle portugaise, etc.) qui
n'affectent pas la présence de l’arçon en soi. Cette invention est d’autant plus importante que
sans elle, l’innovation suivante ne pouvait pas se faire : la création d'étriers. Ces outils
revêtent une importance capitale dans la guerre, car les étriers ont permis aux chevaliers de se
stabiliser sur leurs chevaux (de faire corps avec eux ?), leur donnant ainsi plus de liberté à se
battre avec leurs mains, leur permettant de s’équiper d’une lance ou d'une épée et d'un
bouclier. Ces étriers se généralisent au IXe siècle163, et sont encore en usage aujourd'hui.
Les évolutions suivantes seront plus stratégiques que matérielles. En effet, ces
changements stratégiques sont dus aux modifications dans les armes, puis dans les stratégies
de la guerre, plutôt que dans la monte en elle-même. A lire tous ces changements dans les
techniques de combat au cours de la période féodale, on constate que la guerre a toujours été
au cours de l'histoire des hommes un des meilleurs moyens d’augmenter ses connaissances.
La guerre est évidemment l'une des sphères principales dans laquelle la stratégie et la
technologie sont au sommet de leur vitesse de progression164.
Peu de sources écrites des techniques équestres sont accessibles avant le 16ᵉ siècle, où
les manuels et premiers « Grands Maîtres » émergent, avec Grisone « premier écuyer des
temps modernes » en Italie165, berceau de cette renaissance équestre, et rédacteur du premier
161
En France, la danse et le combat ont toujours fait partie des enseignements physiques dans les textes de
l’Education Nationale à compter de sa création. En 1803, l’équitation fait tout comme l’escrime encore partie des
activités enseignées avec pour objectif… « La grâce » (voir Annexe 1, p. 6).
162
Digard, Jean-Pierre, 2007, Op. Cit, p.71-72.
163
Ibid., p. 83.
164
La Recherche : La science et la guerre, 400 ans d’histoire partagée, hors-série n. 7, avril/juin 2002.
Mars et Vulcain. Technologie et art de la guerre, Histoire et Stratégie, n. 12, octobre-décembre 2012.
165
Franchet d'Espèrey, Patrice, 2007, op. cit., p. 55.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
42
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
texte imprimé sur le sujet équestre166. La Broue puis Pluvinel en France, sont les premiers
importateurs et novateurs hexagonaux167, après avoir étudié en Italie, où l'académie de Naples
avait acquis une telle réputation que tous les hommes de chevaux d'Europe de l’époque sont
allés se former là-bas168.
Il est ardu de définir quelles étaient les pratiques équestres des combattants du bas
Moyen-âge. Pour Lagoutte cependant, les tournois étaient, avant l'inauguration de l'écrit par
les grands écuyers, le lieu de transmission des savoirs techniques de combat, que ce soit le
maniement de l'épée ou les pratiques équestres169. Alors que les chercheurs en AMHE fondent
leurs travaux sur l'étude des traités de combat parvenus jusqu'à nous170, seuls les combats et
les règles instituant la vassalité d'un guerrier par rapport à son seigneur nous sont accessibles
sur une grande partie du Moyen-âge. Mais les auteurs qui ont laissé des traces de leur pensée
et de leur pratique équestre nous informent de leurs visions de ce qu'est, au fil du temps, la
pratique de l'équitation. C'est d'abord un art guerrier et par extension, la curialisation des
guerriers commençant, une pratique liée au gouvernement des masses, un outil politique, une
allégorie de l'attitude des classes sociales supérieures et du Roi. Pluvinel écrira d'ailleurs son
traité à destination de celui-ci171.
Il apparaît selon Digard172 que progressivement, à partir du 18ᵉ siècle, une modification
de la pratique se produit, à mesure que les guerres se font moins fréquentes et que les périodes
de paix s'étendent. La technique équestre change d'autant plus que le rôle de la cavalerie
évolue avec l'apparition des armes à feu. C'est à la faveur de ces périodes de paix relative que
les premiers principes de ce qui sera appelé plus tard la « Haute École » commencent à
émerger. Les guerriers, alors appelés à la Cour, adoptent lentement l'étiquette de Cour, qui
166
Deblaise, Philippe, Itinéraire du livre dans l’Europe de la Renaissance, in Les arts de l’équitation dans
l’Europe de la Renaissance, 2009, Paris, Actes Sud, pp. 254-255.
167
Ibid., p. 58, 59.
Lagoutte, Jean, 1974, op. cit., p. 82.
168
Franchet d'Esperey Patrice, 2008, op. cit., pp. 5557.
169
Ibid., p. 68.
170
Cognot, Fabrice, Les problématiques de la redécouverte des arts martiaux historiques européens, in 8°
Journées de Réflexions et de Recherches sur les Sports de Combat et les Arts Martiaux. Toulon-Var, 29 mai
2008.
Jaquet, Daniel, L'approche pluridisciplinaire du geste martial : exemples et problèmes dans l'étude du combat en
armure du XVᵉ siècle, in 10° Journées de Réflexions et de Recherches sur les Sports de Combat et les Arts
Martiaux. Dijon, 25-26 mars 2010.
171
Franchet d'Espèrey, Patrice, 2008, op. cit., p. 60.
Digard, Jean-Pierre, op. cit., p. 124.
172
Ibid,. p. 125.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
43
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
prend de plus en plus d’ampleur173. L’ « orientation et l’éthos militaires174 » deviennent un
moyen d'accéder aux faveurs du roi. En fait, cela arrive alors qu’un changement se produit
également à la guerre : les nobles, au lieu d'aller à l’assaut les premiers restent à l'arrière, et
l'infanterie prend la charge. Il est intéressant de voir que, comme les nobles pouvaient être
tués avec leurs chevaux, ce sont eux qui à ce moment-là font le moins face à l'ennemi.
A la fin du 16ème siècle, il y a de nouveau une évolution dans l'organisation de la
guerre. La spécialisation des chevaux et des cavaliers est devenue plus importante, grâce à
l'invention de la poudre à canon et l'utilisation d'armes à feu, entre autres175. Ces nouvelles
armes limitent l'action de la cavalerie et surtout le choc frontal176. Les guerres, en raison de la
mort de nombreux chevaux, qui représentaient une fortune, conduit alors l’Etat français à
décider de la création au 17ème siècle des Haras Nationaux177.
Les techniques de Haute Ecole visent à obtenir une maîtrise de plus en plus poussée des
mouvements du cheval. Lagoutte178 citant La Guérinière rappelle que dans un premier temps
les premières figures de dressage avaient un intérêt guerrier, comme le travail du « ramener »,
qui par le placement des postérieurs sous l'arrière main du cheval lui donnent de la mobilité et
de la puissance. Progressivement, il va permettre, par exemple, d'effectuer un « pas
espagnol », voire d'effectuer un « galop sur place » voire même un « galop en arrière » dont
l'intérêt au combat paraît moins évident. C'est donc par l'amélioration technique du dressage
et une modification, une évolution qui voit passer les dresseurs d'un travail de « force » vers
un travail de « souplesse » que l'art de combat équestre évolue, puis bascule dans l'art tout
court, du 15ᵉ jusqu'au 18ᵉ siècle179. C'est ce que Jean-Pierre Digard résume par l'expression
suivante : « C'est parce qu'ils n'étaient plus à la guerre que les cavaliers ont pu être à la
parade »180. Suite à ces modifications successives, cette nouvelle équitation est remise en
cause par une partie de l'élite militaire, qui considère ces pratiques purement artistiques pour
173
Elias Norbert, 1973, 1975.
Dunning, Eric, Norbert Elias, La civilisation et la formation de l'Etat : à propos d'une discussion faisant
spécialement référence à l'Allemagne et à l'Holocauste, in Y. Bonny, J-M. De Queiroz & E. Neveu (Eds.)
Norbert Elias et la théorie de la civilisation, lectures et critiques, 2003, Rennes, PUR, pp. 39-62.
175
Roche, Daniel, La gloire et la puissance. Histoire de la culture équestre, XVIe-XIXe siècles, 2011, Paris,
Fayard, p. 295.
176
Ibid, p. 302.
177
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit, pp. 135-136.
178
Lagoutte, Jean, 1974, op. cit., p. 104.
179
Brousse, Michel, Le judo, son histoire, ses succès, 1996, Genève, Libre, p. 21. L’auteur propose dans un
tableau synthétique les différences entre les bujutsus classiques et modernes selon les priorités accordées aux
deux modalités de pratique. Ce tableau, montrant des similitudes avec la différence accordée à l’esthétisme des
pratiques modernes pourrait éventuellement s’appliquer pour les pratiques de monte équestre.
180
Franchet d'Espèrey, Patrice, 2008, op. cit., p. 127.
174
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
44
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
des amusements aristocratiques. Ils sont alors de plus en plus nombreux à réclamer une
équitation plus proche de ce que le combat nécessite181. Le retour à la guerre contribue
également à une remise en cause d'une équitation plus visuelle qu'efficace182.
Un changement dans la guerre: l'Empire.
Un changement allait s’opérer tandis que Napoléon III conduisait à la destinée de la
France au 19e siècle : en lieu et place d’une chevalerie, pratique des nobles et des chefs, la
cavalerie des masses s’installait. La Révolution française avait poussé les nobles du pays hors
de ses frontières. Ils étaient les maîtres de l’équitation, mais la pratique équestre s'est
cependant rapidement ouverte à la population via la conscription. A cette époque, Napoléon a
commencé à utiliser des techniques provenant d'Europe orientale183. La technique de charge
de cavalerie alors inventée par Frédéric de Prusse était reprise par l’Empereur184. Tandis que
la Chevalerie valorisait une confrontation face à face entre deux combattants, la cavalerie
organisait de vastes groupes d’hommes à cheval se rencontrant dans un choc frontal violent.
Armés de leurs sabres, les hommes les plus en mesure de rester en selle malgré leur maigre
apprentissage étaient envoyés sur le champ de bataille. C'est à ce moment que la selle anglaise
est adoptée185, ce qui aura des conséquences lorsque l'équitation s’ouvrira au public. En effet,
longtemps boudée par l’élite française (à raison, puisque la selle anglaise ouvrait la voie à
l’équitation généralisable), son utilisation permettait son corollaire : le trot enlevé, ou trot à
l’anglaise, perçue par l’élite comme ridicule186, mais ouvrant néanmoins au plus grand
nombre cette pratique équestre : le trot enlevé est nettement plus facile d’accès que le trot
assis, qui demande des semaines, voire des mois d’apprentissage, alors que le trot enlevé
s’apprend en une heure. Il s’agit encore aujourd’hui du premier objectif validé dans les tous
nouveaux galops de la FFE187.
181
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., p. 125. Cette opposition entre des styles et des finalités de pratiques
différentes se retrouve dans les sports de combat-arts martiaux : Gaudin, Benoît, La codification des pratiques
martiales, une approche socio-historique, Actes de la recherche en sciences sociales, n°179, septembre 2009,
pp. 4-29.
182
Lagoutte, Jean, 1974, op. cit., p. 115.
183
Roche, Daniel, 2011, La gloire et la puissance. Histoire de la culture équestre, XVIe-XIXe siècle, Paris,
Fayard, p. 322.
184
Franchet d’Espèrey, Patrice, Les grands courants de l’équitation Française, in Arts équestres, 303, la revue
culturelle des pays de la Loire, n°107, Nantes, Pollen-littéral, septembre 2009, p. 59.
185
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., p. 151.
186
Ibid, p. 152-153.
187
http://www.ffe.com/Formations-Equestres/Diplomes-cavaliers/Les-Galops-R consulté le 2 avril 2013.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
45
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La Chevalerie des Nobles cède alors la place à l'armée des conscrits, ouverte aux
hommes de nombreuses classes sociales. Ce fait historique a changé la façon dont les hommes
apprenaient à manier les chevaux. En effet, les hommes des classes non nobles devaient aller
en tête pour peut-être se faire tuer pendant la bataille. Etant donné le grand nombre de
personnes à former, ils n'avaient pas le temps d'apprendre, d’être suffisamment formés. Ils ne
pouvaient pas apprendre à travailler leurs chevaux comme les chevaliers le faisaient
auparavant. Comme la cavalerie perdit de son importance dans la guerre en faveur de
l'infanterie, l'économie de guerre entraîne des choix. Et la cavalerie perdait de sa gloire au
combat pour gagner un rôle important de soutien188.
La confrontation entre deux équitations née quelques années plus tôt prend toute une
dimension sociologique dans la lutte de pensées qui va opposer François Baucher et le comte
d'Aure au 19ᵉ siècle. Le premier est un roturier, qui suite à son départ vers l'Italie où il sera
formé, finira par publier son premier ouvrage189. Son objectif de dresseur vise à obtenir la
perfection du cheval et il sera amené à plusieurs reprises au cours de sa vie à faire évoluer sa
propre méthode de travail. Le comte d'Aure, aristocrate, fait partie du sérail et véhicule les
idées d'une équitation sans fioriture, guerrière, « plus franche, plus hardie190 ». Ces deux
personnalités s'affronteront, « fanatisant » leurs disciples, et leurs élèves s'opposeront ensuite,
et ce jusqu'au 20ᵉ siècle. Au travers de leur affrontement, ce sont tous les changements d'une
époque en train d'opérer qui se trouvent personnifiés. L'élevage évolue, se structure,
notamment sous l'impulsion de l'État, les techniques se précisent et la généalogie, tant
humaine que chevaline se répand. De même qu'à un cheval bien né, naturellement doué, on
opposera le cheval dressé à la perfection, « Baucher n'est pas né, il réclame une instruction
plus rigide, seule façon d'atteindre à quelque situation sociale. D'Aure est né, il lui suffit
d'être pour être quelque chose191. » Cette « lutte des classes », lutte des pensées, lutte
idéologique, représente la personnification d'un ensemble de tensions existant dans ce milieu
très fermé à cette époque, et qu'un début d'ouverture, corrélatif d'une ouverture progressive de
l'armée et de ses armes à la population, ne taira pas. Cette ouverture se produit effectivement à
la même période, et au vocable « d'écuyer », spécialiste de l'ancienne époque, de la monte et
du travail du cheval, se substitue le nouveau terme « d'homme de cheval », plus ouvert dans
son acception, et ne recouvrant plus uniquement les hommes d'origine nobiliaire192.
188
Roche, Daniel, 2011, op. cit., p. 304-305
Franchet d'Espèrey, Patrice, 2008, op. cit., pp. 76, 77.
190
Lagoutte, Jean, 1974, op. cit., p.167.
191
Ibid., p.171.
192
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., pp. 149 – 153.
189
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
46
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La querelle193
Pierre Durand fut écuyer en chef du Cadre Noir de Saumur de 1975 à 1984.
Il enchaîna cette responsabilité avec la direction de l’ENE (Ecole Nationale
d’Equitation), sise au même lieu, de 1984 à 1988. Celui-ci est a priori bien placé
pour évoquer ses prédécesseurs que furent le Comte d’Aure et le Général L’Hotte.
Aure et Baucher avaient une vision diamétralement opposée de la pratique
équestre. Le premier voulait « utiliser le cheval « comme la nature l’a
construit » : l’extérieur, les grandes allures, le terrain varié, le sport étant la
vraie expression de l’équitation. » Le second, écuyer de manège était plus porté
sur l’art. Le général L’Hotte, disciple successif des deux antagonistes, considère
la première méthode de « simple, pratique, facilement transmissible mais [aux]
horizons bornés ». La seconde est ainsi « artistique, présente les perspectives les
plus étendues mais elle a ses écueils ». L’Hotte pratiquait l’équitation Bauchériste
avec ses propres chevaux et l’équitation Auriste pour les chevaux d’arme. C’est à
lui que l’on doit l’une des phrases maîtresses enseignées encore aujourd’hui dans
les centres équestres et à laquelle un certain nombre de cavaliers dont Durand
cherchent à préserver l’ordre exact de prononciation : « Calme, en avant, droit ».
La révolution industrielle et ses conséquences
Les chevaux ont joué un rôle important pendant les guerres jusqu’à ce que se produise
la Révolution Industrielle. En fait, l'invention du moteur à combustion interne aura causé la
fin quasi-totale de l’utilisation des chevaux à la guerre, ainsi que dans toutes les sphères de la
société française. « Des Siècles durant, le cheval a été Le Maître du Temps194». Ce « maître
du temps » a été utilisé dans tous les pans de la société.
Le remplacement des chevaux de trait par les voitures mécaniques a été plus lent dans
les villes, et leur diminution s’étend de 1890 à 1930. Le changement dans les campagnes a été
plus brutal195 : il y avait 200.000 chevaux de trait en 1960, puis 15 000 chevaux en 1980196.
193
Durand, Pierre, Le Cadre noir, in Le cheval dans l’histoire militaire, revue historique des armées, n°249,
2007, Paris, Service historique de la Défense, pp. 7-15.
194
Roche, Daniel, 2008, op. cit, p. 20.
195
Des changements tout aussi brutaux ont lieu ou eu lieu ces derniers temps en Roumanie, par exemple :
http://archives-fig-st-die.cndp.fr/actes/actes_2007/vintilia/article.htm
ou
http://www.esterre.org/fr/lamobilisation-de-la-societe-civile-roumaine-pour-le-developpement-de-lagriculture-paysanne-2/, consultés le 2
avril 2013.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
47
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Les tracteurs les ont remplacés avantageusement en raison de leurs capacités et de leur vitesse
de travail plus importante.
Toutes les utilisations de l'outil de travail cheval sont immédiatement tombées en
désuétude, et par voie de conséquence, les chevaux utiles à ces travaux étaient sur le point de
disparaître. Mais la sauvegarde d’un certain nombre de races a été assurée par un débouché
inattendu : celui de viande de boucherie197. Ainsi, la SPA a travaillé dès sa création en 1850 à
l’orientation pour la nourriture humaine de ces chevaux voués à disparaître198.
D’étonnants usages du cheval hors la guerre
Le cheval sert durant des millénaires à l’homme comme outil de travail pour
les champs, le transport des personnes ou des produits, ou comme outil de guerre,
en tant que cheval monté et comme tracteur d’engins. Il existe cependant des
usages annexes du cheval au cours de l’Histoire qui montrent à quel point l’animal
était présent dans tous ou presque les pans du social. Ainsi, Rogine Lagier dans un
recueil très documenté précise que le cheval de travail était également descendu à
la mine199. En effet, Ce dernier remplaçait avantageusement la machine, trop
dangereuse dans ces lieux. Leur usage a donc été conservé jusqu’en 1960. Il était
employé jusqu’aux bords de mer pour la pêche200
Plus étonnant encore, ils servaient à l’élevage des sangsues, alors utilisées
pour les saignées des malades. 18000 à 20000 chevaux par jour étaient jetés dans
les marais bordelais afin de les nourrir201…
Au sein de l'armée, la transition liée à cette Révolution Industrielle a eu des
conséquences plus surprenantes. Alors que les chevaux perdaient de leur utilité, les cavaliers
en venaient à choisir d’autres chemins, comme par exemple ceux menant à l’aviation. En
196
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., pp. 173-174.
Bouchet, Ghislaine, Le cheval à Paris de 1850 à 1914, Mémoires et documents de l'École des Chartes, 1993,
n° 37, Genève/Paris, Librairie Droz, p. 290.
198
Ibid.
199
Lagier, Rosine, Il y a un siècle…le cheval, Rennes, Ouest-France, 2003, pp. 102-107.
200
Ibid., p. 108-109.
201
Ibid., p. 138.
197
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
48
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
effet, les premiers chasseurs aériens furent composés de six observateurs et six aviateurs,
parmi lesquels seuls trois des aviateurs n’étaient pas d’anciens cavaliers202. Il semble donc,
alors que l'aviation se développait au sein de l'armée, que les anciens cavaliers acquéraient un
rôle important. A la suite de leurs derniers combats lors de la Première Guerre mondiale, les
chevaux perdant de leur utilité, les cavaliers furent invités à combattre à pied et dans les
tranchées, ce qui n'était pas pour leur plaire, à eux qui combattaient à cheval et en tête.
L’aviation s’est alors présentée comme une planche de salut et à partir de 1915, les cavaliers
sont devenus l'un des corps les plus importants à participer à cette nouvelle aventure203.
Comme les missions de l'aviation étaient d'observer et de combattre, elle a remplacé les
cavaliers dans leur objectif initial au sein de l'armée. Krempp soutient qu'être un cavalier était
un avantage dans l'aviation, puisqu’il faut avoir un bon sens de l'équilibre, et « faire corps »
avec l’avion. Elle observe enfin que, au début de l'aviation, les aviateurs étaient considérés
comme les chevaliers modernes, adoptant leurs codes de conduite et leur vocabulaire204. Nous
pouvons observer des faits et du vocabulaire intéressants dans l'aviation : le mot « assiette »
est utilisé pour qualifier la position du cavalier sur sa selle. C’est également le terme utilisé
dans l'aviation pour déterminer son équilibre dans l'air. Nous pouvons aussi remarquer que les
cavaliers, en équitation classique, apprennent à monter à cheval par le côté gauche du cheval.
C’est un résidu de pratiques anciennes, quand le chevalier devait monter sur son cheval avec
son armure, l'épée portée sur son côté gauche205. Nous pouvons peut-être faire l’hypothèse
que la raison pour laquelle nous montons dans un avion par le côté gauche est une survivance
de ces premiers hommes à cheval aviateurs.
A la période la plus récente, c'est-à-dire à partir de la fin du 19ᵉ siècle, la pratique de
l'équitation passe donc d'un milieu militaire, où aristocrates, nobles et roturiers ont commencé
à se côtoyer, à l'ensemble de la population. Elle devient progressivement un loisir, avant de se
transformer en un sport (cf. chapitre I – 1). Le Commandant L'Hotte, disciple du Comte
d'Aure et grand admirateur de Baucher proposera un compromis entre leurs deux visions de
l'équitation en proposant le travail « à la Baucher » dans les manèges et la monte « à la
d'Aure » dans l'équitation d'extérieur206. Alors que les bourgeois acquièrent progressivement
du pouvoir du fait que leurs rôles sont de plus en plus importants dans la société, on peut
202
Krempp, Thérèse, Quand les cavaliers deviennent aviateurs : la fin du monde, in P. Franchet d'Espèrey (dir.)
Lunéville, la cité cavalière par excellence, 2007, Paris, Agence Cheval France, p. 230.
203
Ibid., p. 233.
204
Ibid., p. 234.
205
Pidancet-Barrière, Véronique, Les mots du cheval, 2005, Paris, Belin, pp. 376-378.
206
Bouchet, Ghislaine, 1993, Op. Cit, 255 – 256.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
49
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
observer une influence sur la façon dont l'équitation a été transformée. De la Grande-Bretagne
parvient la selle anglaise, qui permet le trot enlevé, technique plus facile que le trot assis207.
Celle-ci permet à la population d'avoir accès à cette pratique, et créé une nouvelle mode : la
randonnée équestre dans les bois de Boulogne. Tandis qu'une relative démocratisation se
produit dans le milieu de la monte, deux autres activités se développent en parallèle. Le
monde des courses, tout d’abord, est alors le lieu de valorisation du produit « cheval », qu'on
sélectionne et vend à haut prix208. Le pari fait son apparition en France avec l’arrivée de cette
activité. Les bourgeois sont friands de ces nouvelles activités, et veulent voir de plus en plus
les spectacles de chevaux. C’est le lieu où le cheval est élevé pour reproduire les meilleures
souches. Le cirque, d'autre part, se développe et devient le vrai royaume du cheval.
Initialement créé à son intention, il devient alors le lieu de refuge des techniques de Haute
École. Il est à l'époque fréquenté par la haute société, et les femmes écuyères prennent le
savoir en main209.
L’évolution des outils de travail du cheval
De La Broue et Pluvinel à d'autres cavaliers célèbres, comme Nuno
Oliveira, on peut observer une modification progressive de la façon dont les
hommes utilisent les chevaux. Les techniques sont devenues plus douces210,
comme si les attitudes sociales envers les chevaux ont suivi les changements
sociaux à travers l'histoire. Les premiers textes et schémas proposent des mors
particulièrement douloureux pour le cheval. Mais progressivement, des premiers
auteurs à nos jours, nous pouvons voir que ces outils deviennent de plus en plus
doux, en même temps que les techniques recommandées. Le mors, notamment,
207
Ibid.
Ibid., p.262.
209
Ibid., pp. 272 – 282.
210
Henriquet, Michel, L’œuvre des écuyers français, un autre regard, 2010, Paris, Belin.
208
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
50
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
évolue nettement entre Xénophon et le 15e siècle. Dans le premier cas, il est
couvert de piquants à l’époque Antique, puis ce type d’apparence n’est plus
perceptible ensuite. Cependant, c’est dans les branches du mors, auxquelles sont
rattachées les rênes, que subsiste une certaine rigueur. Celles-ci très longues,
donnent une énorme capacité de mouvement, accentuée ou réduite selon que ces
branches sont plus orientées vers l’avant ou l’arrière211. De nos jours, les mors
sont très variés (Baucher, Verdun, mors de bride, à aiguilles, Pelham, Liverpool,
coup de poing…)212. Le mors dit « Hackamore », qui n’en est en fait pas un
puisque rien ne se trouve dans la bouche du cheval étant réputé le plus violent,
puisqu’il appuie sur le chanfrein – le nez – de l’animal. A l’inverse, les
« nouveaux cavaliers » dont parle Digard
213
vont parfois jusqu’à pousser
l’extrême inverse en prônant une équitation sans mors, proposant même de se
regrouper en association214.
Le 20e siècle : les femmes investissent l’équitation devenue loisir
Ces transformations se produisent alors que naissent les autres sports modernes, et
l'équitation entre ensuite progressivement dans le moule de ces pratiques nouvelles. Comme
les autres activités physiques, elle entre dans ce champ du loisir que sont les disciplines
sportives, outils sociaux nationaux et internationaux de contrôle des affects215. C'est peut être
une des raisons pour lesquelles les pratiques équestres n'ont, comparativement aux autres
pratiques sportives, que peu intéressé les sciences sociales jusqu'à une période très récente :
ces activités, toujours présentes dans nos sociétés occidentales, ont pu être perçues comme un
fait social tellement culturel que nos prédécesseurs n'ont pas trouvé d'intérêt à leur étude.
L'ouverture des activités équestres au monde social se fait donc en direction de la
population. Les pratiques que sont le concours de saut d'obstacle (CSO), le concours complet
211
Chénière, Ernest, Etude des mors aux XVIe et XVIIe siècles dans les traités de Pavari, Fiaschi, La Broue et
La Noue, in Les arts de l’équitation dans l’Europe de la Renaissance, 2009, Paris, Actes sud, pp. 79-93.
212
http://www.cheval-chevaux.com/le-mors-du-cheval-trouvez-la-bonne-embouchure-a-votre-cheval/, consulté
le 12 octobre 2012.
213
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., p. 182.
214
http://afesm.xooit.fr/index.php, association pour une équitation sans mors, consulté le 12 octobre 2012.
215
Elias, Norbert, Dunning, Eric, 1984, op. cit.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
51
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d'équitation (CCE) et le dressage – émanation directe de la Haute École – ne sont plus
pratiquées uniquement par des militaires, ces épreuves étant directement issues de
« disciplines d'entraînement opérationnel »
216
. Les cavaliers militaires ont ainsi obtenu de
nombreux succès aux Jeux Olympiques de 1912 à 1960217. L'utilité fonctionnelle du cheval
disparaît. En-dehors de la guerre d’Algérie, le cheval n’est plus utilisé au combat218. Avec
l'apparition du moteur à explosion et son corollaire, l'accroissement progressif du nombre des
voitures et outils agricoles motorisés, le cheval est relégué au plan du loisir219. Le complet a
été – avec l'endurance – l'une des dernières pratiques accaparée par l'armée, cette discipline
regroupant le saut d'obstacle, le dressage et le cross.
Elle a ceci de particulier qu'elle exige, comme son nom l'indique, un cheval
particulièrement disponible et capable de réagir à tous les types de demandes. Et le fait que
l'armée, de nos jours, continue d'envoyer ses spécialistes aux concours tendrait à laisser
penser qu'ils continuent à entraîner les militaires de cavalerie en cas de besoin. On constate
cependant à l'ouverture de ces pratiques, plus précisément à partir des années soixante, la
présence d'une population de base plus particulièrement féminine alors que les pratiques de
plus haut niveau sont trustées par les hommes220. Cette explosion de la présence féminine au
sein d’une pratique jusqu’alors exclusivement masculine peut, pourquoi pas, être perçue
comme la toute première des actions – réfléchie ou spontanée – dans leurs luttes de
pouvoir221.
216
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., p. 178-179.
Ibid.
218
Noulens, Thierry, Les unités à cheval en Algérie, in Le cheval dans l’histoire militaire, revue historique des
armées, n°249, 2007, Paris, Service historique de la Défense, pp. 93-109.
219
Ibid., p. 173.
220
Ibid., pp. 179
221
Tourre-Malen, Catherine, Évolution des activités équestres et changement social en France à partir des années
1960, Le Mouvement Social 2009/4, N° 229, p. 41-59.
217
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
52
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
I - 5 Conclusions partielles
Depuis la seconde moitié du 20ᵉ siècle, on observe une multiplication des manuels
visant à définir des méthodes de travail du cheval et du cavalier, publiés par la Fédération
Française d'Équitation, ainsi que des manuels officiels visant l'apprentissage des galops –
successeurs des étriers et éperons, niveaux successifs à atteindre par les cavaliers au sein de la
fédération, ou par des cavaliers plus ou moins reconnus à des périodes données, dans tous les
domaines que représente aujourd'hui l'équitation. Celle-ci s'étend des disciplines de concours
précédemment citées à la pratique de la randonnée, ou plus récemment à « l'équitation
éthologique », ou Natural Horseman Ship, l'équitation western, pratiques issues des plaines
américaines, plus ou moins commerciales et plus ou moins récupérées par la FFE.
L'apparition des « nouveaux cavaliers » influe inexorablement sur la pratique, qui se
diversifie dans son offre aux clients222. Mais il est encore à l'heure actuelle difficile pour une
fédération, qui cherche à capter une population encore non affiliée223, de pouvoir récupérer
des pratiquants « sauvages », autonomes et donc hors norme.
L'intérêt de ce travail, bien que n’entrant pas dans un développement d'historien, se
trouve dans la proposition initiale, à savoir ne pas considérer l'équitation comme une activité
de pleine nature mais comme un art guerrier, dans la définition qu'en donnent Michel
Audiffren et Jacques Crémieux224. Elle nous a permis de proposer pour les pratiques
dénommées « arts de combat » un continuum de pratiques variées. Celui-ci s’étend des
« sports de combat », fédérés, réglementés, aux « arts guerriers », parfois non fédérés et à la
réglementation fluctuante225. C'est ce que l'histoire des activités équestres laisse penser, de
notre point de vue. C’est même précisément ce qui caractérisa la querelle initiale entre Aure et
Baucher, telle que nous la rapporte Durand226. En ce sens, la pratique aujourd'hui répandue
pourrait être plus qu'une activité sportive parmi d'autres, dont l'intérêt ne consisterait pas
uniquement et surtout pas en premier lieu à se confronter à un milieu extérieur, comme le
laisse supposer son classement actuel au sein des sports de nature. L'équitation, au travers de
son développement historique, laisse apparaître une nécessité pour ses pratiquants d'être en
rapport avant tout avec l'animal, à devenir un partenaire préférentiel. En même temps, tout au
222
Digard, Jean-Pierre, 2007, op. cit., p. 182.
http://www.ffe.com/ffe/content/download/7061/74124/version/1/file/enquete_tns_sofres_fival_2008.pdf
consulté le 09/12/10.
224
Audiffren, Michel, Crémieux, Jacques, 1996, op. cit., pp. 61 – 66.
225
Régnier, Patrice, Héas, Stéphane, Bodin, Dominique, 2002, op. cit.
226
Durand, Pierre, 2007, op. cit.
223
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
53
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
contraire, elle les amène à acquérir une technique qui leur permettra de réagir face à n'importe
quel cheval, comme un combattant doit user de toutes ses compétences, et affronter n'importe
quel partenaire ou adversaire, dans une confrontation aux événements extérieurs commune au
couple cavalier-cheval. Aussi devrait-on pouvoir y observer un ensemble de pratiques variées
allant des disciplines purement sportives, tout à fait établies, à des pratiques plus marginales.
En tout état de cause, l’étude de l’histoire équestre permet de constater la permanence des
activités de monte du Moyen-âge à nos jours227.
227
Cette permanence s’en ressent au travers de la présence importante du vocable issu des disciplines équestres
dans la langue française encore aujourd’hui. Nous en proposons un rapide survol en annexe 7, pp. 17-21.
Chapitre I – L'histoire des arts équestres
54
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
Ce n’est qu’après les années 1970228 que les sciences humaines se sont attelées à
l’analyse des différentes facettes du milieu équestre. Soit, grosso modo, à la fin du monopole
de la formation par les militaires et le développement des associations et fédérations équestres
en France.
II – 1 Les études portant sur l’équitation
Les pratiques équestres ont donc été, au regard d’autres disciplines moins dotées en
termes de licences sportives, relativement peu abordées par les sciences humaines et la
sociologie en particulier. Il faut au préalable différencier les pratiques de selle des pratiques
de trait, séparées tant socialement que culturellement229. Il est donc important de faire
immédiatement le distinguo sur les recherches que nous allons exposer. Cette séparation n’en
induit pas moins des comparatifs relativement étranges entre le devenir de ces deux types de
chevaux, notamment par les associations relevant de la défense de la vie animale230. Les
règles du rapport à l’animal connaissent en effet depuis au moins le vingtième siècle un
durcissement, une augmentation de la sensibilité envers l’animal de plus en plus importante
jusqu’aux terrains de concours où on « n’hésite plus aujourd’hui à huer tel cavalier
d’obstacle sanctionnant de sa cravache une faute de sa monture »231. Il serait excessif de
croire que les interdictions de violences, qui sont de plus en plus grandes et touchant de
nombreux aspects (y compris l’usage privé du cheval), soient respectées par tous. Nous allons
dans ce chapitre nous intéresser aux recherches portant en sociologie sur les pratiques
équestres. Enfin, après nous établirons le constat de la relation maître-élève dans le monde
équestre et son évolution.
228
Le Cadre noir de Saumur passe sous tutelle du Ministère des sports en 1972. Franchet d’Espèrey, Patrice,
2007, op. cit., p. 82.
229
Lizet, Bernadette, La liaison dangereuse. Enjeux sociaux du clivage entre les chevaux de selle et les chevaux
de trait, in Jean-Pierre Digard (Ed.), Des chevaux et des hommes. Equitation et société, 1988, Lausanne, Favre,
pp. 131-142.
230
Cf. l’affaire survenue en septembre 2013 concernant le « recyclage » de la viande de chevaux de course
(massivement sous traitements médicaux) pour l’alimentation humaine.
231
Digard, Jean-Pierre, « Des manèges aux tipis. « Equitation éthologique » et mythes indiens ». Techniques &
Culture [En ligne], 43-44, 2004, mis en ligne le 15 avril 2007, p. 3. URL : http://tc.revues.org/1139.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
55
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La SPA et ses incohérences, la protection des animaux et ses incohérences
Le site de la SPA (Société Protectrice des Animaux) est, pour qui connaît l’histoire
du cheval, particulièrement intéressant. En effet, le site s’ouvre sur une partie historique232.
Elle indique : « La (sic) premier combat de notre association se porte vers la protection
des chevaux ». Ce qui est historiquement vérifié (voir chapitre 1). Ce que le site ne précise
pas, c’est que ce combat avait pour objectif d’amener les chevaux de trait, pour qui les
usages sociaux allaient se raréfier avec le développement du moteur, vers la boucherie
chevaline pour sauver les races concernées233.
Un peu plus loin, une page dédiée aux combats de l’association évoque le combat
contre l’hippophagie234, précisant in extenso : « La plus belle conquête de l'Homme débitée
en barquettes au rayon boucherie de nos supermarchés ! En France, pour quelques
milliers de personnes, le marché de la viande de cheval perdure. D'abord aimé et objet de
soins attentifs, pourtant quels que soient ses mérites, le brave cheval ne connaîtra pas une
paisible retraite : dès la première défaillance, il devient viande de boucherie et sera
conduit à l'abattoir du jour au lendemain : voici le triste sort réservé à 20 000 chevaux
chaque année en France ». Cela serait moins triste si le site ne faisait pas de la
désinformation ou de la « mésinformation » en laissant croire que les chevaux de selle
retraités partent tous immédiatement à la boucherie, alors que les chevaux de trait sont les
principaux équidés, élevés en grande partie dans cette optique, à suivre cette voie.
Le changement possible du statut du cheval en France tendrait là aussi à subir la
critique : la volonté portée par un certain nombre « d’amis des animaux » pourrait induire
le passage du cheval dans la catégorie des animaux de compagnie. Cela aurait un nombre
d’effets sur la relation de l’homme à l’animal, peut-être notamment l’impossibilité de
monter dessus, d’utiliser des éperons, une cravache, une badine ou tout autre outil de travail
du cheval, afin d’éviter l’accusation de violence sur animal de compagnie et une altercation
avec la SPA ou toute autre association de défense en application de l’article L214-3 du
Code Rural235. D’ailleurs, des associations sont entièrement dédiées à la monte sans ces
232
http://www.spa.asso.fr/un-peu-d-histoire, consulté le 8 avril 2013.
Nous l’avions évoqué dans le chapitre précédent, page 27.
234
http://www.spa.asso.fr/hippophagie, consulté le 8 avril 2013.
235
http://www.protection-des-animaux.org/legislation-La-protection-des-animaux.html, consulté le 8 avril 2013.
« Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux
sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les mesures propres à
assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter
des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et
d'abattage des animaux. »
233
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
56
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
outils d’harnachement.
L’ensemble de ces changements relatifs aux animaux induit énormément de
problèmes. Par exemple, l’article L 214-1 du même Code indique que « tout animal, étant
un être sensible, doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec
les impératifs biologiques de son espèce ». Dans le texte, les informations s’avèrent,
concernant le cheval, particulièrement contraignantes. Le cheval est un animal grégaire,
mangeant pratiquement toute la journée et libre de ses mouvements à l’état naturel236. Les
centres équestres ou les propriétaires peuvent éventuellement faire vivre toute l’année leurs
chevaux en boxe et les alimenter sur des périodes restreintes. Aussi de ce point de vue, la
loi est inapplicable ou non appliquée.
Perceptions sociales de la pratique équestre et de ses pratiquants
Lagoutte237 semble être le premier sociologue à porter son intérêt sur cette discipline
corporelle, alors nouvellement sportive. En effet, ses recherches datent de 1974, époque
durant laquelle, de l’aveu même de l’auteur « la mainmise des militaires et anciens militaires
est telle sur les divers organismes qui s’occupent du bon fonctionnement des sports équestres
qu’ils continuent à régenter toutes les pratiques autres que les courses et y imposent les
normes acquises à Saumur […] »238. Cette étude a un mérite tout particulier. Elle est produite
au moment même de la « révolution » sportive qui touche le milieu du cheval. Son utilisation
est à ce moment-là « clairement circonscrite : les courses – au galop comme au trot – n’ont
d’autres finalités qu’elles-mêmes [et] Les loisirs constituent le second domaine d’utilisation
du cheval »239. Rien d’autre n’existe alors en-dehors de ces deux modes de fonctionnement,
en-dehors de celui de l’Armée à destination de ses cadres et de l’apparat via notamment la
Garde Républicaine. Le travail mené dans cette recherche, au fil d’une étude socio-historique
a pour but de tenter d’analyser le discours équestre en fonction du contexte social, des
sociétés l’ayant produit. Ainsi, peut-on y observer l’évolution d’une pratique guerrière, toute
entière dévolue aux nobles pour finir par passionner les bourgeois jusqu’au vingtième siècle.
236
Ro c h e, Hél è ne, Qu e d ev ez- vo u s sa vo i r e t o b se rv er ? Co mp o rte men t s e t p o stu re s, P a r i s,
B eli n, 2 0 0 8 , p . 6 4 .
237
Lagoutte, Jean, 1974, Op. cit.
238
Ibid., p. 220.
239
Ibid.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
57
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Mais s’arrêtant aux années 1970, l’auteur semble regretter cette mainmise alors encore très
importante des militaires, dont les « valeurs [sont] contradictoires avec les intérêts […] des
amateurs de loisirs »240. En fait, il semble que ce soit surtout dans la forme plutôt que sur le
fond que les critiques alors émergentes et retranscrites dans le texte de Lagoutte sont les plus
importantes. Les années 1970 étaient celles du renouveau d’une civilisation des loisirs241 et
des pratiques hédonistes : « là où l’été 1936 affirmait la dignité ouvrière et le droit au
bonheur, Mai 68 consacre le droit au plaisir »242. La rudesse des militaires encore en poste
alors n’allaient pas dans le sens des nouveaux pratiquants équestres. La nomination de Jean
d’Orgeix au poste d’entraîneur national en 1972 est symptomatique de ces tensions. En effet,
il voit restreindre ses capacités d’enseignement après avoir ouvertement critiqué la prégnance
des militaires et leurs insuffisances techniques243. De même, le passage du Cadre noir sous la
direction de l’INE (futur ENE), provoque le départ du Colonel Saint André… contre
l’ouverture de l’équitation aux civils244. Cette dureté pourrait fort bien exister encore
aujourd’hui parmi les plus vieux enseignants encore en activité. Nous pourrons être aussi
amenés à rencontrer des enseignants ayant eux-mêmes connu de tels types de comportement.
A contrario, nous pourrons parmi les enquêtés découvrir des personnes regrettant le
« bon vieux temps » et rejetant une manière d’enseigner ou de pratiquer beaucoup plus
« douce » voire « dénaturée » à leurs yeux. Car c’est un fait que les manières d’enseigner
l’équitation ont assez radicalement changé depuis lors. Les degrés (1, 2 et 3) sont devenus
étriers et éperons (bronze, argent et vermeil), puis galops (au nombre de 9), et sont réformés
en septembre 2012 pour modifier les critères d’obtention des niveaux245. A mesure que ces
grades évoluent, leur nombre augmente également, rendant les « marches » d’accession plus
petites et donc abordables. Une analogie peut être ici faite avec le judo, dont l’évolution
apparaît commune. Lors des débuts du judo en 1935, les pratiquants se voyaient entourés
d’une ceinture blanche jusqu’à la maîtrise initiale ou ceinture marron
(délivrée par le
professeur au contraire de la ceinture noire obtenue après un passage de grade organisé par la
fédération). Puis sont apparues les couleurs (blanche, jaune, orange, verte, bleue, marron,
240
Ibid.
Dumazedier, Joffre, La révolution culturelle du temps libre. 1968-1988, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988.
242
Fontaine, Marion, Travail et Loisirs, in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar, Histoire des gauches en
France, Paris, La Découverte, 2005, p. 717.
243
Le Mancq, Fanny, Les carrières de compétitions des cavalières et des cavaliers. L'exemple du concours de
saut d'obstacles, Thèse de sociologie pour obtenir le grade de docteur de l'EHESS, 1er décembre 2008.
244
Ibid., p. 43.
245
http://www.le-site-cheval.com/examens/ consulté le 7 avril 2013.
241
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
58
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
noire) amenant le nombre de grades à sept en ne comptant pas les grades (non officiels que
certains professeurs de judo avaient imaginés) à l’intérieur de ces ceintures, et enfin des
ceintures bicolores sont apparues portant le nombre de ceintures à dix (blanche, blanchejaune, jaune, jaune-orange, orange, orange-verte, verte, bleue, marron, noire). Les marches ici
aussi devenaient plus faciles à franchir246, mais aussi plus régulières, avec une ceinture par
année de six à quinze ans. Les autres pratiques prennent également ce système, à commencer
par les pratiques d’origine japonaise, puis les pratiques d’autres origines (vietnamienne,
coréenne, chinoise…).
Cette évolution des galops fédéraux s’accompagne également d’une charte des
cavaliers, faisant furieusement penser au code moral du judo, créé à l’instigation de Bernard
Midan247. Ce dernier semble devoir finalement être réduit à peau de chagrin, remplacé par…
une charte, réduisant le code initial à la part congrue en un simple bandeau au sommet de la
présentation248. Bien que ces évolutions puissent sans doute être placées dans un contexte plus
général d’accès facilité aux activités physiques par l’Etat, ces similitudes n’en semblent pas
moins marquantes.
Autre élément surprenant, pour la nouvelle mouture de ces galops, les deux derniers,
représentant le plus haut niveau de pratique sembleraient a priori avoir disparus. Ces deux
niveaux, peu répandus, représentaient les degrés ultimes de maîtrise technique. Si leur
disparition est avérée, elle irait dans le sens des critiques possibles de la baisse du niveau
général telles qu’on peut les lire sur internet ou dans la presse spécialisée249. Dans l’ensemble,
tout le système actuel de la fédération repose sur les galops. Ils sont séparés en différentes
spécialités (cavalier, western, pony-games, attelage, voltige…), mais les plus répandus sont
évidemment les « galops de cavalier », basés sur « une approche traditionnelle de
l’équitation »250. La population des cavaliers actuels semble éminemment tournée vers la
jeunesse251. La population la plus nombreuse est très nettement celle des enfants. En fait, tout
semble fait encore aujourd’hui pour ne s’adresser qu’à une population de ce type. En effet, la
246
http://www.judopourtous.com/PagesAnnexees/GradesCeintures.htm, consulté le 14 avril 2013.
Brousse, Michel Op. cit.
247
Régnier, Patrice, Calmet, Michel, Héas, Stéphane, Du Bushido au code moral, une historiographie du judo, in
10e Journées de Réflexion et de Recherche sur les Sports de Combat et les Arts Martiaux, Dijon, 15 et 16 mars
2010.
248
http://www.ffjudo.com/ffj/Minisites/Espace-Services-Internet/Culture-Judo2/La-Charte-du-Judo, consulté le
13 avril 2013.
249
http://www.chevalannonce.com/forums-5136459-niveau-des-cavaliers, consulté le 23 juillet 2013.
250
Tourre-Malen, Catherine, Femmes à cheval, 2006, Paris, Belin, p. 53.
251
https://www.telemat.org/FFE/sif/?cs=4.b78cd0e4c8d50b40801929073f39cc8bdfde, consulté le 23 août 2003.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
59
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
FFE est à notre connaissance la toute première fédération en France à avoir produit une série
télévisée destinée au public enfantin, puisque ce programme est diffusé sur Gulli, chaîne
orientée vers les enfants252.
La formation des moniteurs elle-même a été revue. Alors qu’initialement les militaires
se chargeaient de l’enseignement, les BEES (Brevet d’Etat d’Educateur Sportif) premier et
second degrés ont été créés en 1985253 puis le BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse,
de l'Education Populaire et du Sport) et le DEJEPS (Diplôme d'Etat de la Jeunesse, de
l'Education Populaire et du Sport) les ont remplacés en 2002254. Les critères et capacités étant
différents pour les uns et les autres, le BPJEPS en tous les cas semble souffrir d’une mauvaise
réputation. En témoignent les différents commentaires là encore sur de multiples fora
internet255 ou la lecture de magazines dédiés à l’équitation, exprimant ainsi un « mal-être des
enseignants d’équitation »256 comme notre exemple ci-dessous, pourtant formé par la
nouvelle méthode :
« Du management et du BPJEPS, ça me semble correct.
C'est complètement cohérent, enfin c'était très bien, mais bon c'est juste que
c'est un peu light. Parce que la formation BPJEPS est beaucoup plus light que la
formation BE (rires), qui existait avant, et en plus, avec la version
montpelliéraine, où finalement ils ne font pas de tests d'entrée … enfin y en a,
mais comme t'es déjà inscrit...
On fait semblant?
Non, mais t'es déjà inscrit à la fac, quand tu les passes. Donc de toute
façon, ils sont obligés de t'accepter, parce que t'as déjà payé 500 euros. Enfin
c'est peut-être un peu moins de frais d'inscriptions. Donc au final, soit ils te
rendent les sous, soit ils t'acceptent en formation. Donc déjà, y a des choses qui
sont un petit peu (...) Finalement, moi j'ai eu le monitorat, je le dis, j'ai honte,
enfin j'ai honte, et en même temps je m'en fiche, je l'ai le papier, et après tu
252
http://www.ffe.com/Actualites-Federales/Serie-TV-Le-cheval-c-est-trop-genial-du-5-aout-au-13-octobre-surGulli, consulté le 23 août.
253
http://www.rncp.cncp.gouv.fr/grand-public/visualisationFiche?format=fr&fiche=1238,
http://www.rncp.cncp.gouv.fr/grand-public/visualisationFiche?format=euro&fiche=2750 consultés le 7 avril
2013.
254
http://www.rncp.cncp.gouv.fr/grand-public/visualisationFiche?format=fr&fiche=1937,
http://www.rncp.cncp.gouv.fr/grand-public/visualisationFiche?format=fr&fiche=4911 consultés le 7 avril 2013.
255
https://www.facebook.com/groups/317856031654389/355757947864197/?ref=notif&notif_t=group_activity,
consulté le 10 avril 2013.
256
Tourre-Malen, Catherine, Le mal-être des enseignants d’équitation, Equi’Idée (Haras Nationaux), n°18,
octobre 2000, pp. 30-32.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
60
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
continues à progresser. Mais moi j'ai eu le monitorat d'équitation en me vautrant
lamentablement sur le cross et en racontant de la merde complète sur mon
entretien CSO. Voilà. Donc je suis sortie de là démoralisée, en me disant je suis
une quiche, j'ai merdé alors que j'ai bien bossé toute l'année, et clairement ils
m'ont donné le monitorat, parce qu’il y a deux membres du jury sur les trois qui
avaient travaillé avec moi toute l'année. Donc ils ont vu que j'étais capable, et que
c'était le stress qui m'avait fait… voilà. Mais en même temps, c'est pas juste ! »
(Amandine Monineuf, 25 ans, entretien face à face257)
Malherbe et Slimani évoquaient en 2002 la relation « formation-métier » dans le secteur
de l’encadrement des activités équestres en pays de la Loire258. Déjà on pouvait constater la
durée de vie très limitée de cette profession, avec un abandon massif de 50% dans cette
période. La durée de vie au sein d’un même poste quant à elle ne dépassait pas trois ans259.
L’enquête se révèle intéressante en ce sens qu’elle porte sur le sens que donnent « les agents
du champ équestre » (au sens bourdieusien) à leur activité. La durée limitée des
professionnels dans ce secteur serait en fait liée à une inadéquation entre les représentations,
usages, fonctions et attentes des employeurs et les attentes des futurs employés. Ils évoquent
d’ailleurs la difficulté que peut représenter le fait de vouloir « faire de sa « passion260 » un
métier »261. On apprend également que lors des épreuves techniques (en manège, donc), la
possession de son propre cheval s’avérait impérative (ou en tous cas recommandée). Dans le
cas contraire, il était toujours possible de se voir prêter un cheval de club ou même d’en louer
un262.
257
Les extraits d’entretien seront systématiquement présentés ainsi : pseudonyme, sexe, âge, type d’entretien.
Les questions sont en mode normal, les réponses en mode italique.
258
Malherbe, Patrick, Slimani, Hassen, La relation « formation »métier dans le secteur de l’encadrement des
activités équestres. Conditions d’apprentissage et insertion professionnelle des stagiaires des brevets d’Etat
d’éducateur sportif 1er degré dans les pays de la Loire, Observatoire National des Métiers d’Animation et du
Sport, novembre 2002.
259
Ibid., p. 4.
260
La passion selon la note de bas de page était un critère de compétence préalable à la sélection au BEES.
261
Ibid., p. 5.
262
Ibid.,p. 9.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
61
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La constitution d’une discipline sportive
Le texte de Lagoutte, en-dehors d’une étude pointilleuse sur les textes équestres accolés
aux sociétés qui les ont vu naître, présente en tous cas l’intérêt d’une photographie sociale
d’un temps manifestement révolu où l’équitation était encore réservée à une catégorie sociale.
Martin263, beaucoup plus près de nous, constate les atermoiements qui ont touché la
constitution de la discipline sportive équestre. Son travail, avec pour analyse les relations
entre la FFE et l’ENE est politiquement difficile dans la mesure où celles-ci et la fusion
imposée entre l’ENE et les Haras Nationaux via la création de l’IFCE (Institut Français du
Cheval et de l’Equitation) ne se sont pas faits sans heurts264. Ainsi, si les militaires ne tiennent
plus l’équitation au fil du temps, la constitution de la fédération, ou plutôt des fédérations
équestres initiales, se fait sous leur contrôle. Ainsi l’actuelle FFE n’existe « que » depuis
1987. La première fédération à se constituer est en fait la Société équestre de l’étrier, fondée à
Paris en 1895265. Puis, trois sociétés vont se mettre en place successivement : la Fédération
Française des Sports Equestres, née en 1921 en s’affiliant avec la Société du cheval de guerre
et l’Union des sociétés d’équitation militaire266, l’Association Nationale pour le Tourisme
Equestre, inventée en 1963, et le Poney-Club de France, créé en 1971267. Ces trois créations
reflètent l’évolution des pratiques équestres au cours du siècle dernier. En effet, la première
fédération de sports équestres naît à peu près au même moment que les autres sociétés de
sport ou fédérations : pour le tennis, 1888 par exemple268. Le tourisme équestre se développe
suffisamment pour créer ensuite son propre regroupement. Enfin naît le Poney-Club,
évolution particulière puisqu’elle se constitue seulement sur l’utilisation du poney, qui a pour
principal différence avec le cheval… d’être plus petit. Avec l’usage de ce modèle naît une
« pédagogie du plaisir »269, plus douce, affective et tournée vers les enfants. Cela aura un
impact dans le développement plus tardif de la fédération et du modèle d’enseignement
équestre général. La réunion de ces entités en 1987 dans une première version de la FFE laisse
coexister en son sein trois délégations, rémanences de ces trois premières structures, qui
263
Martin, Elsa, La Fédération Française d’Equitation et l’Ecole Nationale d’Equitation : d’une habitude de
confrontation à une logique de collaboration, mémoire de Master deuxième année « Sport et sciences
sociales : administration, territoires, intégration », 2011, Université de Nantes.
264
Ibid., pp. 23-26.
265
Bernardeau Moreau, Denis, Sociologie des fédérations sportives. La professionnalisation des dirigeants
bénévoles, 2004, Paris, L'Harmattan, p. 65.
266
Ibid., p. 67.
267
Ibid., pp. 34, 35.
268
Ibid., p. 157.
269
Tourre-Malen, op. cit., p. 203.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
62
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
seront finalement dissoutes en 1999 afin de mettre la FFE en conformité avec les statuts
inhérents aux fédérations sportives.
Le travail très fouillé de Martin met en exergue les tensions qui ont existé et existent
encore dans les relations entre l’ENE et la FFE, mais également au sein de la fédération ellemême. Aussi, ces tensions produisent un événement rarissime pour une fédération sportive : la
perte de son agrément en 2005, suite aux réformes mises en place par la Ministère des sports
en 2003270. Ce fait exceptionnel ne s’était alors produit que de rares fois auparavant, pour le
rugby à XIII sous le gouvernement de Vichy, ou la fédération française amateur de Sambo en
2002271. Cela sera alors vécu comme une violence d’Etat par la FFE272.
Martin permet de mettre en évidence un certain nombre de tensions, notamment entre le
président de la FFE, omniprésent en arrière-plan dans l’ensemble du texte. Principal
responsable des choix stratégiques de la fédération depuis son élection, la vision qui nous est
donnée de l’intéressé semble au premier chef dithyrambique, pour son « dynamisme », sa
« politique volontariste » et son « caractère visionnaire »273. D’abord président à partir de
1986 du Poney-Club de France, dont la spécificité de l’utilisation des poneys était clairement
rejetée par la FFSE, la fusion de ces deux entités l’amène à se présenter à la présidence de la
FFE en 2004, puis en 2006 avec le retour de l’agrément, et de nouveau en 2012274. Considéré
comme le principal artisan de cette fédération aujourd’hui, les propos semblent se nuancer
lors des entretiens. Un seul homme responsable de tout et « hyper directif »275 ne peut qu’être
considéré par ses pairs que responsable des réussites, mais aussi des échecs. A tel point que
les cavaliers de haut niveau lui ont écrit une lettre ouverte pour obtenir des explications sur sa
stratégie276, à laquelle il a répondu de manière concise277. Chevalier nous apprend que ces
types de tensions ne sont pas rares dans le développement de la fédération, et ce depuis ses
débuts278. Citant Defrance279, elle rappelle que « leurs commanditaires que furent, tout au
270
Ibid., pp. 37-38.
http://www.sport.fr/sports-de-combat/retrait-d-agrement-de-la-federation-francaise-amateur-de-sambo16134.shtm, consulté le 25 juin 2013.
272
Chevalier, Vérène, 2011, Conflits dans le monde sportif, le cas de la fédération française d’équitation, in
laviedesidees.fr, le 25 novembre 2011, p. 9.
273
Martin, Elsa, 2011, Op. cit.
274
http://www.ffe.com/Actualites-Federales/Serge-Lecomte-plebiscite, consulté le 14 avril 2013.
275
Ibid., p. 39.
276
http://www.grandprix-replay.com/content/des-cavaliers-de-complet-adressent-une-lettre-ouverte-%C3%A0serge-lecomte, consulté le 13 avril 2013.
277
http://www.grandprix-replay.com/content/serge-lecomte-r%C3%A9pond-aux-cavaliers, consulté le 15 avril
2013.
278
Chevalier, Vérène, 2011, Op. cit.
271
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
63
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
long du 19e siècle l’armée, l’école, la médecine et le spectacle » perdaient de leur influence
alors que se constituait un champ sportif. Ces tensions initiées par la constitution d’une
pratique et par les différences internes de points de vue durant ces vingt-cinq dernières années
n’auront donc cessé pour cette fédération, comme sans doute pour d’autres. Notamment les
pratiques asiatiques comme le judo, qui se constituait en luttes intestines entre les pratiquants
prônant un judo sportif versus un « beau » judo280.
Martin indique un certain nombre d’informations montrant le dynamisme de la
fédération, au travers de chiffres et d’interventions. Elle précise que la population des
licenciés en 2010 était de 687 334 individus (soient quatre de plus que sur les statistiques de la
FFE281) et que se sont effectués « pas moins de 1 212 154 engagements en compétition282 ».
Ces chiffres, impressionnants tels quels, ne sont malheureusement pas mis en rapport avec le
reste des informations délivrées par la FFE qui développe les licences par sexe et par
catégorie. Ainsi, sur cet ensemble de licences, seules 132 181 sont des licences compétitions.
Ce qui donne un taux de compétiteurs parmi les cavaliers de 23.8%, soit moins d’un quart
d’entre eux. Certes, les clubs organisent des compétitions très fréquemment et dès le plus
jeune âge, mais celles-ci sont autant de sources de revenus pour eux. Il n’en reste pas moins
que le nombre de compétiteurs licenciés pour ce but reste très inférieur à la masse, et que les
travaux menés la plupart du temps se concentrent sur ce quart d’individus dans l’analyse de la
pratique. Poursuivre cette recherche nous a amené il y a quelques temps à participer à des
réunions autour du plan Cheval, qui s’est conclu par un rapport en octobre 2011283. Déjà, les
difficultés de la filière apparaissaient. Activité à mi-chemin entre l’agriculture et le sport, les
professionnels ne savaient réellement pas toujours à quel saint se vouer.
Les conflits actuels au sein de la FFE
Les difficultés structurelles de la FFE ne semblent pas pour autant devoir
s’achever. On peut observer actuellement un mouvement en réaction de la
dernière réélection du président fédéral. Tout récemment s’est constitué, d’abord
279
Defrance, Jacques, La politique de l'apolitisme. Sur l'autonomisation du champ sportif, in Politix, Vol. 13, 50,
2000, pp. 13-27.
280
Cf. chapitre 1 – 3, les arts guerriers asiatiques.
281
Voir Annexe 5, p. 10.
282
Martin, Elsa, 2011, op. cit., p. 7.
283
http://www.cheval-bretagne.com/userfiles/1433/File/plan-cheval-region-bretagne.pdf
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
64
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
sur le site Facebook© un groupe autoproclamé « Les ‘indignés’ de la politique
fédérale de la FFE »284. Groupe actif s’il en est, il se fonde dans un premier temps
sous forme associative, pour ensuite devenir le « Mouvement pour les Valeurs de
l’Equitation », ou Move285 avec une forme plus politisée. Il apparaît que les
dissensions autour de la politique fédérale sont, à l’heure où nous écrivons ces
lignes, sur le point de produire une scission, ou en tous cas de nouvelles tensions.
Le journal Le Cheval ainsi que le site grandprix-replay.com proposent le 21 et le
22 mai 2013 la publication d’un communiqué de presse des « indignés » visant à
lutter contre le changement des statuts de la FFE, soumis au vote électronique286.
Ces modifications proposent entre autres une interdiction de toute atteinte à « la
notoriété de la FFE » ou à « l’intérêt supérieur de l’équitation ». Le communiqué
voit à sa fin mentionner : « Ne laissons pas cadenasser la Fédération au profit
d’un homme et de son clan ! ». Au parcours de la page Facebook, cependant, il est
difficile de comprendre l’acharnement à vouloir à tout prix changer le président
ou la fédération toute entière. En France, en effet, il n’est pas obligatoire de faire
partie d’une fédération pour mettre en place une association dans laquelle on fait
ce que l’on veut, ou presque287.
En tout état de cause, la dynamique initiée rappelle les tensions qui ont
existé dans le judo durant les années 1930 et dans les arts chinois dans les années
1990. Celles-ci permettent l’observation d’une activité en mouvement et aux
modalités de pratique plurielles.
La compétition pour seul horizon ?
Chevalier est une auteure prolixe sur la question de l’équitation de compétition. Elle a
commencé à s’intéresser à la population des cavaliers et ses mouvements288. Ainsi analyse-telle les variations de licenciés au sein des différentes structures entre 1949 et 1989, soit
vraisemblablement sur la période précédant la refonte des institutions en une seule FFE et les
284
https://www.facebook.com/groups/317856031654389/
http://www.equitathome.fr/news.php?lng=fr&pg=781
286
http://www.lecheval.fr/actu-nationale/sport/18931-2013-05-22-07-02-50.html, http://www.grandprixreplay.com/content/les-indign%C3%A9s-se-mobilisent-contre-une-reforme-de-la-ffe-jug%C3%A9einacceptable, consultés le 22 mai 2013.
287
Les tentations sectaires sont toutefois très précisément contrôlées.
288
Chevalier, Vérène, Les pratiquants de l’équitation : une population et ses mouvements, in Population, 45e
année, n°3, 1990 pp. 661-666.
285
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
65
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
débuts de celle-ci. Disposant de données plus fiables, son enquête s’intéresse aux cohortes de
1975 à 1989. Elle remarque alors une durée moyenne de pratique en club équivalent à deux
ans289. L’étude nous apprend également un fait intéressant : bien que la perception laisse
accroire que le nombre des hommes tendraient à diminuer sous la pression féminine. L’étude
montre qu’en réalité, le nombre d’hommes pratiquants n’évolue pas, restant donc constant, en
tous cas à l’époque de l’enquête. Elle ajoute que la population féminine se révèle plus fidèle
en termes de durée que les hommes. Ainsi, à cette époque, les comptabilisations de
pratiquants d’équitations comme personnes fidélisées masquaient un important turn-over
sous-jacent.
Son étude portant sur les cavaliers titulaires d’une licence nous permet d’en apprendre
plus
290
. Elle se coupe malheureusement d’un ensemble de cavalier non titulaires d’une
licence. Ces cavaliers « non-inscrits ou non-adhérents » qui refusent toute inscription, ou qui
se sont inscrits un temps, par exemple deux ans, pour ensuite voler de leurs propres ailes au
sein d’associations de cavaliers d’extérieur, par exemple. Partant du principe que toutes les
fédérations recensent leurs pratiquants, elle met en avant le cas particulier de l’équitation,
arguant que devant les difficultés imposées par la présence du cheval, les cavaliers n’ont
d’autre choix que de se tourner vers des structures organisées291. Il est compliqué d’évaluer la
quantité de cavaliers d’extérieur à l’époque, mais l’un de nos témoins, spécialiste du tourisme
équestre rapporte :
« Voilà, donc ça c'étaient les années, oui, 90. Avec quand même un pic
dans les années 80, mais nous on l'a pas connu, hein, puisqu'on a vraiment
démarré en 90. Mais je sais que pour avoir entendu les anciens collègues parler,
oui : le dimanche, on voyait les gens arriver, ils avaient fait un bon repas le midi,
au resto, on cherchait le premier centre de tourisme équestre qui existait à
l'époque dans les monts d'Arrhées, où ils devaient être à six ou sept. Et à titre
indicatif, y en a plus qu’un, aujourd'hui. On cherchait, et on allait faire une
balade à cheval comme aujourd'hui on irait faire un accrobranches ou, ou une
balade à pieds, ou une visite de Trevarez. C'était (rires) c'était vraiment ça. Et
alors là, les hommes là-dessus, sur les chevaux, aller pleine balle, jamais trop
289
Ibid., p. 664.
Chevalier Vérène. Une population de pratiquants sportifs et leurs parcours : les cavaliers titulaires d'une
licence. In: Population, 51e année, n°3, 1996, pp. 573-608.
291
Ibid., p. 573.
290
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
66
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d'émotions, ça finissait très souvent en catastrophe, l'encadrement n'était pas
diplômé, c'étaient des loueurs d'équidés, alors ça, Jeunesse et sports a dit stop en
96 […] parce que je vois quand on est arrivé en 90, on avait 80 centres équestres
en Finistère dont 40 centres de tourisme équestre, et 40 écoles d'équitation.
Aujourd'hui, on doit être 3 ou 4 centres de tourisme équestre. Donc ça a divisé
par 10. » (Annie Monirandeux, 60 ans, face à face)
Elle reconnaît néanmoins une pratique « informelle » et « occasionnelle » plus
masculine que la pratique de clubs, évaluant la part des cavaliers « adhérents » à 30%292. La
différenciation se fait dans les clubs entre la masse, pratiquante de « bas niveau » et l’élite,
constituée des cavaliers champions ou sportifs de haut niveau293. Cette distinction se fait par
les missions traditionnellement, et y compris aujourd’hui294, accordées par l’Etat même dans
les conventions d’objectifs qu’il passe avec ses fédérations : elles doivent à la fois valoriser le
sport pour chacun et briller par les résultats, ces derniers induisant souvent une augmentation
après les grands événements sportifs du nombre de licenciés, et donc de la puissance de
frappe d’une fédération.
Elle signale ensuite un changement dans les mentalités qui semble avoir eu cours durant
les années 1990. On voit alors apparaître une nouvelle population de pratiquants295 : les
adultes. En effet, l’augmentation de ces individus résulte selon elle de trois critères possibles :
soit un prolongement, soit une entrée tardive dans la pratique (il reste à en évaluer les
raisons), soit d’une reprise d’activité après un long arrêt. Il commence alors à y avoir des
adultes pour qui la pratique peut être continuée voire accentuée. Mais celle-ci ne peut en
aucun cas être une pratique visant à la compétition, surtout de haut niveau. Encore qu’il soit
possible de voir des pratiquants plus ou moins avancés en âge se produire sur des grandes
compétitions comme Mark Todd à 55 ans gagnant du CCE 2011 de Badminton296 ou le
japonais Hiroshi Hoketsu, à 71 ans aux Jeux Olympiques à Londres en dressage en 2012297. Il
s’agit cependant de cas relativement peu fréquents, et la pratique adulte voire tardive de
l’équitation n’est probablement pas destinée à de tels objectifs. Mais tant pour les
dissymétries genrées à bas et haut niveau, il semble selon elle que cela soit à mettre au compte
292
Ibid., p. 574.
Ibid., p. 575.
294
http://www.sports.gouv.fr/index/acteurs-du-sport/role-du-ministere/les-relations-entre-l-etat-et-les-3056,
consulté le 11 avril 2013.
295
Chevalier, Vérène, 1996, Op. cit., p. 576.
296
http://www.sport.fr/equitation/badminton-todd-puissance-quatre-215759.shtm
297
http://lesitedujapon.com/hiroshi-hoketsu-71-ans-doyen-des-jo-de-londres/
293
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
67
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
des objectifs de pratique. Pour devenir champion, il faut que le cavalier en ait l’envie mais
également un certain nombre de dispositions corporelles et/ou intellectuelles qui ne sont pas
attendues d’autres pratiques.
Et pourtant, les chercheurs en économie constatent bien une modification en profondeur
des territoires du fait des pratiquants hors club298. Les « propriétaires d’équidés
« amateurs » » (au sens d’une activité non professionnelle) possèderaient en effet « entre 45
et 85% des équidés de loisir299 », le reste appartenant aux professionnels (centre équestres et
éleveurs-producteurs)300 ! Deux types de comportement sont observés pour cette population :
soit la participation d’un tiers (écurie de propriétaire, ferme…), soit l’autogestion. Mais
l’analyse des pratiques des propriétaires ne nous permet pas d’en déduire un volume en leur
sein de pratiquants équestres, puisque comme le font remarquer de nombreux auteurs,
posséder un cheval ne veut pas dire l’utiliser.
Concernant les moniteurs d’équitation, Malherbe et Slimani estiment que la place de la
compétition dans la pratique professionnelle est cependant extrêmement importante. Pour eux
« si le moniteur n’est pas en mesure de (dé)montrer ses capacités techniques, il perd
inéluctablement de sa crédibilité »301. Ils comparent la pratique de l’équitation en 2002 à
celles du football, du tennis du basket et du judo. Ils estiment – à tort302 – que les pratiques
des autres activités sont circonscrites au cadre fédéral. Ils reconnaissent donc à l’équitation
cette particularité d’avoir deux fois plus de non licenciés que de licenciés, sans en apporter
cependant une source fiable hors une estimation de l’UNIC (Union nationale
interprofessionnelle du cheval)303. Parmi les pratiquants licenciés, ils observaient que seuls
16% pratiquaient la compétition et que la quasi-totalité était composée d’hommes. La base
des adhérents reste dominée par les femmes, et en 2002 les enseignants se présentaient à
parité entre les hommes et les femmes304.
298
Céline Vial, Magali Aubert et Philippe Perrier-Cornet, Les choix organisationnels des propriétaires de
chevaux de loisir dans les espaces ruraux, Économie rurale [En ligne], 321 | janvier-février 2011, mis en ligne le
06 janvier 2013. URL : http://economierurale.revues.org/index2911.html
299
Une marge d’erreur aussi grande laisse dubitatif.
300
Ibid., p. 42.
301
Malherbe, Patrick, Slimani, Hassen, 2002, op. cit., p. 33.
302
Nos travaux de maîtrise et de DEA ont au moins montré que les pratiques de combat se pratiquaient (sans
doute encore aujourd’hui) pour une bonne part en dehors de tout cadre fédéral. Il est plus que probable que la
plupart des pratiques d’ailleurs se fassent notamment hors de toute fédération.
303
Malherbe, Patrick, Slimani, Hassen, 2002, op. cit., p. 11.
304
Ibid., p. 12.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
68
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Les travaux réalisés par Le Mancq305 donnent une vision très précise du monde de la
compétition dans les pratiques équestres. Elle se situe en droite ligne des travaux menés
précédemment par Chevalier306. A tel point que l’ensemble des données quantitatives
présentées en renfort de ses données qualitatives, méthode proposée à l’origine par Chevalier
elle-même, permet de valider toutes les données antérieures307. Elle prend le parti de
distinguer dès le départ très nettement l’hippisme (les courses de chevaux) de l’équitation en
tant que telle (les concours et plus particulièrement le saut d’obstacle), partant du principe que
le rapport au cheval n’est pas le même308. Au contraire, il serait intéressant de constater dans
l’étude proposée ici un minimum de comparaison entre les deux milieux. Si effectivement le
public et les pratiques sociales ne sont pas les mêmes, on a vu au chapitre 1 que les paris
sportifs étaient très liés à la naissance des sports modernes. Les perceptions de l’animal, ainsi,
pourraient se recouper d’une manière ou d’une autre. L’auteure confirme également le peu de
cavaliers de compétitions par rapport au nombre de cavaliers total. D’autant que la majorité de
la population se trouve dans les catégories « amateures » surtout en club, tandis qu’une
minorité concoure en « professionnelles »309. Etudiant les différences entre les cavaliers
amateurs et professionnels, elle déduit qu’il n’y a que très peu, contrairement à d’autres
sports, de cavaliers réellement professionnels, comme ça peut être le cas en football310 ou
dans d’autres disciplines311. Elle évalue à une dizaine le nombre de cavaliers vivant
réellement de leur pratique compétitive312. Toujours est-il que l’étude est très ciblée : seuls les
cavaliers de saut d’obstacle sont observés et interviewés, passant sous silence les cavaliers
compétiteurs de complet et de dressage, autres activités olympiques. Les compétitions de saut
d’obstacle remportent en effet l’adhésion de la majorité des pratiquants et des clubs et centres
305
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 42.
Ibid., p. 14.
307
Ibid., pp. 329-348.
308
Ibid., p. 5.
309
Ibid., p. 82.
310
Notons que les professionnels de football sont 1908 seulement. Il y avait, en 2011, 1 990 000 licenciés dans la
fédération correspondante. Les professionnels de ce sport ne représentent donc que 0.1% de l’ensemble des
pratiquants, ce qui est logique pour l’activité la plus fournie en nombre de licences.
Sources : http://www.footballeurspros.fr/, consulté le 28 juin 2013.
http://www.sports.gouv.fr/IMG/archives/pdf/STAT-Info_no12-03_de_septembre_2012.pdf, p. 2, consulté le 28
juin 2013.
311
En judo, pour un nombre de licenciés était de 595 066 en 2011-2012, et seuls 1690 d’entre eux sont
considérés par la fédération comme sportifs de haut niveau cette année, soit 0.28% de l’ensemble des
pratiquants.
Sources : http://www.ffjudo.com/ffj/La-federation/La-federation-en-chiffres, consulté le 28 juin 2013.
http://www.ffjudo.com/ffj/content/download/16947/75422/file/Tableau%20r%C3%A9cap%20judokas%20en%2
0structures%202012%202013%20avec%20LIG%20et%20DEP.pdf, consulté le 28 juin 2013.
312
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 86.
306
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
69
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
équestres. Néanmoins, la description des compétitions telles qu’elles se déroulent chaque
année est très pointue313. Mais l’auteure prend notamment en compte parmi les « autres »
pratiques équestres la pratique régulière et intensive hors des centres équestres314.
Elle observe dans une approche bourdieusienne que les capitaux sociaux et
économiques et les statuts se distribuent de manière intéressante. Les activités équestres ont la
particularité de faire partie à la fois de la sphère des sports, mais aussi de celle de
l’agriculture. Cela induit parmi les pratiquants d’équitation une forte proportion de
travailleurs équestres, donc agricoles, dont les difficultés sont nombreuses315. Ainsi, les
cavaliers compétiteurs « travailleurs des sports équestres », les individus à capitaux
économiques et sociaux plus important semblent se retrouver chez les amateurs, qu’ils fussent
en catégorie « ama » ou « pro » tandis que les professionnels des métiers du cheval sont plus
limités financièrement et culturellement, étant issus du sérail. En effet, les cavaliers
« travailleurs du monde équestre » semblent soumis à plusieurs tensions : propriétaires,
éleveurs, clients, face auxquels il apparaît difficile de s’investir dans l’activité compétitrice,
limitée par l’usage du cheval qui peut être vendu à tout moment. Le Mancq décrit un monde
compétitif complexe : « il apparaît que bien au-delà du seul cavalier, de nombreux acteurs
interviennent dans la construction des sports équestres. La situation apparaît ainsi
paradoxale : alors que les sports équestres, d’un point de vue réglementaire et
organisationnel, semblent laisser une grande liberté au cavalier dans la construction et la
gestion de sa carrière compétitive, de nombreux acteurs interviennent en jouant des rôles
déterminants sur la construction de sa propre carrière, et ce principalement à travers l’accès
au cheval. Les modalités des circuits de compétition déterminent également le déroulement de
sa carrière et sa visibilité »316.
L’amateur, souvent propriétaire de son cheval et plus disponible en temps libre est plus
à même de cumuler les compétitions avec sa monture. Cependant, ne faisant pas partie « du
sérail » des professionnels, il se trouve de fait limité, stigmatisé en tant qu’amateur, cela
l’empêchant d’aller loin dans les objectifs, en-dehors de certains cas particuliers317. Il n’a pas
313
Ibid., pp. 72-83.
Nous proposons au lecteur de se tourner vers ces travaux pour plus d’information. Ces compétitions étant très
nombreuses et concernant des âges tellement différents, et notre propos ne s’attelant absolument pas à ces seules
activités, nous n’irons pas plus loin sur ce thème.
314
Ibid., p. 67.
315
Ibid., p. 64.
La FFE gère le volet sportif, le Ministère de l’agriculture ceux de l’élevage et des courses.
316
Ibid., p. 90.
317
Les stratégies mises en place apparaissent en ce cas parmi certains de nos enquêtés pour tenter de pallier axu
difficultés rencontrées, avec plus ou moins de réussite.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
70
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
accès aux montures d’éleveurs les plus à même de le conduire au sommet de la hiérarchie
sportive318.
La reproduction sociale joue à plein pour les enfants de travailleurs équestres319.
L’intérêt de l’étude se porte surtout sur cette différenciation professionnel-amateur et entre
professionnels ainsi que sur les tensions inhérentes à ces deux conditions. Un compétiteur
professionnel non diplômé d’enseignement est mieux reconnu qu'un cavalier-moniteur de
moindre niveau320. Ce faisant, le statut même de moniteur équestre s’en trouve dévalorisé321.
Au contraire, être autodidacte devient le maître-étalon du versant compétitif équestre322. En
outre, les arbitrages incessants qui doivent alors être fait entre pratique professionnelle et
pratique compétitive rendent la pratique commune de ces deux activités incertaine. Cela les
rapproche ainsi des compétiteurs « amateurs », qui bien que n’évoluant pas dans la sphère
professionnelle équestre doivent rendre les mêmes arbitrages323. C’est d’autant plus étonnant
que la formation des cavaliers est vue comme un passage du savoir de l’élève au maître par
les tenants d’une équitation classique, comme nous le verrons plus loin. Les professionnels
tendent à sous-estimer systématiquement les non professionnels : « Pour ce faire, et alors que
la profession de compétiteur professionnel n’est pas établie, ni institutionnalisée, qu’aucun
diplôme ou formation reconnaissant l’expertise des cavaliers professionnels n’existe et que
les seules performances sportives ne sont pas suffisantes, il va s’agir pour ces derniers de
fonder l’évaluation de l’expertise sur des critères qui dépassent les seules compétences et
performances sportives et auxquels les compétiteurs amateurs, même les plus performants et
engagés, ne peuvent pas répondre. »324 Ils mettent ainsi en avant que leur pratique hors des
concours est une valeur ajoutée, devenant une compétence sportive. L’enquête se double
d’une réflexion sur la situation des femmes sur laquelle nous reviendrons également.
Malgré la richesse du travail de Le Mancq, les questions qu’il laisse en suspens sont
néanmoins nombreuses. En effet, l’étude porte sur le saut d’obstacle, discipline la plus
pratiquée et la plus médiatisée325. Ainsi sont oubliés le complet et surtout le dressage, malgré
le fait que cette dernière discipline dispose d’une population de compétitrices plus
318
Ibid., p. 22.
Ibid., p. 118.
320
Ibid., p. 113.
321
Ibid., p. 111.
322
Ibid., p. 112.
323
Ibid., pp. 120-121.
324
Ibid., p. 220.
325
Ibid., p. 59.
319
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
71
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
importante326, population pour laquelle elle veut comparer les difficultés par rapport aux
hommes. L’auteure note la capacité qu’a la fédération à absorber toutes les pratiques de
cheval existantes, mais constate en parallèle et paradoxalement qu’elle n’a aucun contrôle sur
les sportifs de haut niveau au quotidien327. Ceux-ci souvent boivent, fument, et tendent à
dénier leurs corps328, avec une banalisation de la douleur, au travers de la mise à distance des
nombreux accidents et blessures émaillant le parcours des sportifs, accompagné d’une forme
de déni de la peur y afférant329. Elle ne cesse en outre de répéter l’idée que le cavalier n’est
pas l’athlète dans la compétition mais qu’il s’agit en fait du cheval330, minimisant ainsi la
participation et la corporéité des cavaliers. Aussi, cette acception pose plusieurs problèmes :
hors la tendance spécifique des cavaliers à « humaniser » le cheval en le rendant athlète, celuici ne serait pas sur les terrains de concours sans l’homme. Par ailleurs, l’auteure dans la
dernière partie de son travail évoque le corps et ses contraintes, ses difficultés et son déni331
dans la compétition alors qu’elle-même en a limité la considération d’usage durant tout le
reste de son travail. Il apparaît qu’ils font partie des rares sportifs à n’avoir pas de suivi
médical aussi pointu que dans d’autres disciplines332. Les commentaires des compétiteurs
interviewés évoquent les douleurs liées à la pratique et l’état de fatigue lui succédant après
une compétition333. Pour le moins, ces commentaires auraient dû amener l’auteure à réviser
son jugement sur l’engagement corporel des cavaliers et sur la nécessité pour eux d’un
entraînement rigoureux et difficile. Et quand bien même, il est surprenant de noter que la
plupart des références sportives induisent une référence à cette force musculaire334, afin de
valider l’idée d’une pratique cavalière peu investie dans l’acte compétitif, alors qu’une
pratique olympique requiert une adéquation cheval-cavalier335 nécessitant une longue
expérience et ne relève pas nécessairement de la force pure, et le suivi de haut niveau semble
ne plus devoir être réduit à la part congrue 336.
326
Ibid., p. 60.
Ibid., p. 383.
328
Ibid., p. 379.
329
Ibid., pp. 383-388.
330
Ibid., p. 21.
331
Ibid., p. 384.
332
Ibid., p. 382.
333
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 380.
334
Ibid., p. 376.
335
L’équitation en pentathlon moderne a la particularité de proposer les chevaux aux cavaliers plutôt que ceux-ci
viennent avec les leurs: « Le cheval, mis à disposition par l'organisateur, n'est connu du cavalier que 20 minutes
avant le départ par tirage au sort ».
Source : http://www.ffpentathlon.fr/art.php?id=21003, consulté le 28 juin 2013.
336
Le plongeon ou le tir au pistolet, par exemple, étaient tous deux présents aux derniers Jeux Olympiques, et ne
semblent pas non plus exiger une demande musculaire hors du commun.
327
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
72
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
« On n'est pas comme un sportif, un coureur de fond ou un sprinteur, ou un
nageur où c'est sa performance physique qui prime. Nous on a la performance
physique du cavalier, certes, mais on a aussi celle du cheval. Et des fois, c'est
d'autant plus dur d'être un couple sportif que d'être un simple sportif, aussi. Donc
certes, on ne puise pas forcément, malgré que aujourd'hui, on doit être aussi... Si
nous on est reconnus sportifs de haut niveau, c'est qu'on doit avoir aussi une
hygiène alimentaire, une hygiène de vie, et cætera, et cætera et puis... Un suivi, un
suivi musculaire un suivi... De tout, de tout, quoi. » (Boris Compécinq, 38 ans,
face à face )
Enfin, un dernier élément doit être évoqué concernant le thème de la compétition. En
tant que troisième fédération française en nombre de licenciés, il est intéressant de constater
que pour les trois disciplines olympiques, les résultats paraissent peu probants. Martin donne
pour 2010 les résultats français et évoque la perception « plutôt positive » des résultats. Cette
perception peut paraître surprenante : alors que la France arrivait péniblement à classer 9
français parmi les 50 premiers en CSO lors de cette étude, ce qui constitue le meilleur résultat,
ceux de complet (3 français entre la 44e et la 100e place) et de dressage (deux dresseurs entre
la 75e et la 100e place) sont particulièrement faibles337. La comparaison avec la fédération
française de tennis (FFT)338, deuxième fédération, avec 8 français parmi les 50 premiers
tennismen et avec la fédération française de judo (FFJudo)339, quatrième fédération, laisse
pensif. Elle explique cependant les tensions précédemment évoquées.
L’équitation : sport de filles ?
Quand nous évoquons l’évolution de la pratique, Maurice Monisept nous surprend et
évoque une attitude des milieux équestres par rapport aux femmes :
« C'est là que ça c'est ouvert aux femmes.
http://www.londres-2012.info/actualite-4-jo-londres-2012-liste-des-sports-et-des-epreuves.html, consulté le 5
juin 2013.
337
Martin, Elsa, op. cit., p.43.
338
http://www.sports.fr/tennis/atp/classement/atp-technique-1.html, consulté le 23 août 2013.
339
http://s3.amazonaws.com/lespritdujudo-assets/news_files-files/2064/originalijf_wrl_2013_05_27.pdf?1369821123, consulté le 23 août 2013.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
73
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Et c'est là que le désordre a commencé. »340
Mennesson341 le démontre dans les pratiques de la boxe poings-pieds et dans le football,
être une femme et réussir dans un sport masculin semblerait lié à un certain nombre de
dispositions sociales particulières. Des configurations familiales spécifiques et un mode de
socialisation sexuée spécifique donneraient de meilleures dispositions pour permettre
l’intégration dans ces milieux hyper sexués. Deux moments clés sont analysés dans son
travail : l’entrée dans la pratique et l’accession au haut niveau. L’équitation, au vu de sa
population de pratiquantes ne permet pas une comparaison pour ce qui concerne l’entrée dans
la pratique. Dans les cas présentés par Mennesson, la configuration familiale tend à induire
une relative « masculinisation » initiale des femmes, plus ou moins acceptée par ces dernières.
Pour l’équitation, la féminisation très poussée de l’activité et toute l’imagerie véhiculée,
semble-t-il, par l’activité et surtout l’animal semblent interdire ce type de comportement
parental initial. Mais si la socialisation initiale différenciée proposée par Mennesson ne paraît
pas applicable à cette pratique, l’accession au haut niveau pourrait au contraire relever des
mêmes processus : « les enquêtées ont vécu une socialisation sportive compétitive précoce
[…] orchestrée par leurs pères, ou plus rarement, par leurs frères. Cette socialisation
sportive se réalise de différentes manières »342. Quoi qu’il en soit, il est fort probable que la
pratique, dans sa durée, induise une transformation de l’identité de l’individu343. Le Mancq
estime au contraire qu’au vu de la population des cavalières de haut niveau344, les concepts de
« garçon manquant » et de « garçon défaillant » de Mennesson fonctionnent pour certaines
d’entre elles : les « filles de »345. Leur progression dans la carrière semble limitée par un
plafond de verre, lié à la dénégation de leurs qualités sportives, cela étant lié aux
340
65 ans, face à face.
Mennesson, Christine, 2004, Etre une femme dans un sport « masculin », mode de socialisation et
construction des dispositions sexuées, in Sociétés Contemporaines, n° 55, pp. 69-90.
342
Mennesson, Christine, 2004, op. cit., p. 72.
343
Chevalier, Vérène, 1996, op. cit., p. 603.
344
A titre d’exemple, lors des JO 2012, l’équipe de France d’équitation était composée de huit hommes et deux
femmes, Pénélope Le Prévost en CSO et Jessica Michel en dressage.
Les sélections sont faites au coup par coup par la fédération pour les compétitions à venir. Le 25 juin 2013, on
distingue parmi les sélections de dressage en concours quatre étoiles trois femmes sur six, et en coupe des
nations en CSO cinq hommes. Les compétitions de jeunes, par contre, voient un plus grand nombres de jeunes
filles en dressage au détriment des garçons.
Sources : http://jo-2012.net/equipe-de-france/detail/14/, consulté le 29 juin 2013.
http://www.ffe.com/ffe/Haut-niveau-Disciplines-FEI/Annonce-des-prochaines-selections-equipe-de-France,
consulté le 29 juin 2013.
345
Le Mancq, Fanny, Des carrières semées d’obstacle : l’exemple des cavalier-e-s de haut niveau, in Sociétés
contemporaines, 2007/2 n°66, p. 145.
Mennesson définit les « filles de » comme étant les enfants à capitaux culturels et fonciers les plus importants :
filles de propriétaires de centres équestres, d’élevage, etc.
341
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
74
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
représentations sociales liées à la féminité plutôt qu’à un défaut d’atouts considérés comme
« masculins »346. Ce n’est ainsi pas tant par manque de « goût de la compétition », de « goût
du risque » ou encore de manque d’habiletés qu’elles se voient fermer les portes des plus
hauts niveaux de pratique, mais par leur statut de femme, surtout si elles ne sont pas
professionnelles du monde équestre347. La maternité semble quant à elle relever d’un élément
gênant qu’il convient de gérer de manière à ce que la carrière compétitive n’en soit que peu
touchée348.
Selon Digard349, l’activité équestre semblerait marquée par un facteur limitant
spécifique aux femmes : la maternité. Auparavant, elles disposent – ou disposeraient selon lui
– de plus de temps libre que les hommes surtout si elles sont étudiantes350. L’auteur relève
également une notion de « défi », émise par les cavalières dans l’accession à une activité à
l’écrasante majorité masculine initiale. La troisième hypothèse émise est d’ordre
psychanalytique : d’une part la position à califourchon sur le cheval, bassin contre dos, aurait
une influence non négligeable sur la pratique féminine. La relation au cheval serait, selon le
psychiatre américain Bruno Bettelheim, de l’ordre de l’exutoire aux tensions internes des
jeunes filles, tissant « autour d’eux des fantasmes compliqués ». Mettant en rapport les contes
de fées et l’imaginaire féminin, le plaisir ressenti par les petites filles serait en définitive dans
son innocence dépravé par l’analyse objective de la relation entretenue avec l’animal et des
désirs sous-jacents à celle-ci. Par contre, la rhétorique de la sexualisation équestre semble être
une idée largement partagée par les hommes. Car ce sont eux qui ont amené les femmes
durant le 19e siècle à pratiquer la monte amazone à l’exclusion de toute autre technique.
Tourre-Malen351 permet de mieux comprendre les tenants et aboutissants de ce qui induisit la
mise en place de cette technique à destination des femmes.
Les femmes, contrairement à une idée répandue, ont « toujours partagé ce domaine
masculin »352. Elles disposaient pour cela initialement de l’utilisation soit de la monte à
346
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 273.
Ibid., pp. 275-276.
348
Ibid., pp. 399-400.
349
Digard, Jean-Pierre, Les Français et leurs animaux. Ethnologie d’un phénomène de société, 1999, Paris,
Fayard, pp. 59 – 61.
350
Bien que les études montrent en fait que les femmes ont un emploi du temps généralement plus rempli et
moins disponible que celui des hommes…
Source :
http://www.ladominationmasculine.net/themes/41--taches-menageres/68-statistiques-de-l-emploi-dutemps-des-femmes-et-des-hommes.html, ou encore http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1377,
consultés le 19 septembre 2013.
351
Tourre-Malen, Catherine, « Des Amazones aux amazones. Équitation et statut féminin », Techniques &
Culture [En ligne], 43-44 | 2004, mis en ligne le 15 avril 2007. URL : http://tc.revues.org/1181
352
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit, p. 22.
347
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
75
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
califourchon, soit de la monte en amazone. Celles-ci étaient choisies généralement en fonction
de l’activité à laquelle elles s’adonnaient : en amazone pour la chasse au vol, à califourchon
pour la chasse à courre353. Mais au 19e siècle, la monte à califourchon devient intolérable.
C’est à cette époque que l’usage des locutions d’amazone et d’écuyère se met en place354. Ces
dernières faisaient « la gloire des cirques non seulement par leur habileté, leur finesse et leur
grâce à cheval, mais encore par leur virtuosité technique »355. Ce n’est que par la concurrence
des nouveaux loisirs que constituent le cinéma et le spectacle vivant que le cirque perdit de sa
gloire. La corporéité même de l’équitation induit un contact permanent et subtil entre le bassin
du (de la) cavalier(ère) et sa monture. Ce contact pourrait produire des sensations aux dames
tout à fait intolérables aux hommes, gardiens des techniques équestres réellement efficaces.
C’est en effet leur vision, leur sentiment qui ressort de cette confiscation technique : « Le
rapprochement entre l’activité sexuelle et l’équitation s’explique par la position même du
cavalier : à califourchon, le cavalier jambes écartées, les parties sexuelles au contact de
l’animal. Le chevauchement féminin va jusqu’à générer un imaginaire érotique où la femme
occupe la position dominante »356. En « imposant » la monte en amazone aux femmes, cette
position est transformée, le contact des corps se fait moins charnel, à tel point que la
technique en est risquée, le contrôle de l’animal et la stabilité étant moindres. Menée à l’écart
du cheval et donc de son corollaire dans la pensée commune357, le pouvoir, elle est restreinte
aux activités annexes. Ainsi la technique de la monte amazone aurait permis de participer au
contrôle social du corps féminin358. L’auteure, dans un autre article, parle de technique
« paradoxales »359 où l’inefficacité technique est voulue comme par exemple la marche à
hauts talons ou les pieds bandés. Généralement, il apparaît pour l’auteure que la maîtrise de la
technique équestre et de l’ensemble des techniques de production assure à l’homme in fine
« le contrôle de tout le processus productif », le cheval entrant dans ce système de valeurs360.
En effet, la mainmise des hommes sur l’ensemble des outils de production interdit aux
353
Tourre-Malen, Catherine, 2004, op. cit.
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 24. L’écuyère est la pratiquante de haute école, l’amazone est celle
qui fait de l’équitation d’extérieur.
355
Ibid., p. 35.
356
Ibid., p. 27.
357
Nous avons vu que Pluvinel enseignait au Roi à conduire sa monture comme on conduit un peuple. Cette
image du cheval comme « outil médiatique » reste encore tout à fait prégnant. Jean-Louis Gouraud et al., dans
un récent ouvrage, montraient que tout au long de l’Histoire et toujours récemment, de nombreux hommes
politiques actuels se font prendre en photo sur un cheval : Gouraud, Jean-Louis (dir.), Le cheval, animal
politique, 2009, Paris, Favre.
358
Tourre-Malen, Catherine, 2004, op. cit. p. 7.
359
Tourre-Malen Catherine, « Les techniques paradoxales ou l'inefficacité technique voulue », L'Homme, 2011/4
n°200, pp. 203-226.
360
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 29.
354
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
76
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
femmes de prendre part à l’évolution et à la progression des sociétés. L’emploi des armes, des
outils agraires, est réservé aux hommes, les femmes étant cantonnées aux activités annexes. Il
en irait selon Tourre-Malen de même pour l’équitation, restreinte d’accès aux femmes par la
technique équestre et laissant aux seuls hommes la possibilité de dresser et d’obtenir le
maximum des chevaux.
Les plus éminents écuyers de l’époque, Baucher en tête, dénient aux femmes la capacité
à monter correctement à cheval, notamment à cause de leur force361. Ce dernier étant dans sa
première méthode d’équitation particulièrement virulente à cheval. Il est pourtant difficile de
croire que la différence de forces entre un homme et une femme soit un critère sérieux de
différenciation, par comparaison avec les forces du cheval, nettement supérieures.
La pratique massive de l’équitation paraît effectivement, durant les années 1990362, de
ce point de vue comme une victoire féminine de grande importance puisque l’autorisation de
monter semble avoir succédé à la monte féminine en tant que telle : pour l’auteur « les faits
ont précédé le droit »363.
Tourre-Malen se pose la question suivante : « Comment ont-elles pu se plier sans réagir
à ce modelage, à cette appropriation de leurs corps ? La reproduction d’une norme, aussi
curieuse ou révoltante soit-elle, tient à la fonction sociale essentielle que jouent les
représentations […] Les femmes ne voyaient pas l’empreinte culturelle qui les étouffait,
preuve de sa subtilité et de son efficacité »364.
Loin de partager ce point de vue, il nous semble qu’en fait il y a un changement qui se
produit à l’époque récente, à partir des années 1970, justement. Une accélération des
événements permet ainsi une augmentation de la mobilité normative. Les normes évoluent
plus vite, car les entrepreneurs de la morale, plus audibles à tous les niveaux grâce aux
nouvelles technologies, permettent un mouvement des normes plus important. Le fait que les
femmes alors n’aient pas pu percevoir une situation d’aliénation sociale corporelle n’est pas
non plus étonnant. Elias évoque les notions d’engagement et de distanciation365.
L’engagement d’un individu, quel qu’il soit, dans une situation lui interdit d’avoir une vision
objective du monde social dans lequel il évolue. La distanciation, a contrario, lui permet
361
Ibid., p. 25.
Digard, Jean-Pierre, Cheval, mon amour, Terrain [En ligne], 25 | 1995, mis en ligne le 07 juin 2007. URL :
http://terrain.revues.org/2845, p. 4.
363
Tourre-Malen, Catherine, 2004, op. cit., p. 8.
364
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 33.
365
Elias, Norbert, Engagement et distanciation, 1993, Paris, Fayard.
362
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
77
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d’acquérir un point de vue moins subjectif. Nous appelons les conséquences de l’engagement
« l’invisibilité sociale ». Les choses paraissent tellement évidentes aux acteurs qu’ils ne se
posent pas la question de leur existence. Nous y reviendrons au chapitre trois. En cela,
Tourre-Malen a un discours allant dans ce sens, lorsqu’elle explique que l’ouverture de
l’activité semble suivre le chemin suivant : un certain nombre de « femmes-précurseurs » dont
le comportement peut être considéré comme « déviant » initialement. Mais il ouvre la porte à
d’autres pratiquants qui finalement conduiront à une modification des normes366.
Toujours est-il que « Des Amazones se dégagent donc deux figures féminines
symétriques et inverses : la première symbolise une femme égale, alter ego, de l’homme, plus
encore, sa rivale, qui fût l’icône des mouvements féministes et des organisations radicales de
l’émancipation féminine et lesbienne; la seconde, associée à la « femme à cheval » exprime,
via une technique qui la distingue du masculin, l’essence d’une féminité façonnée par la
grâce et les convenances, aliénée en fait, la technique étant le vecteur de cette aliénation »367.
A partir de la Première Guerre Mondiale, et avec l’arrivée des femmes dans le secteur
du travail, c’est aussi « l’accès à des domaines masculins, notamment l’accès au savoir, à des
professions fermées aux femmes, au sport… » qui s’engage368. La venue des femmes aux
disciplines équestres peut également être liée à la constitution initiale des structures premières
sous le mode associatif369. La plupart des cavaliers enseignant étant des hommes, et ceux-ci
ne maîtrisant pas particulièrement la monte en amazone ont enseigné aux femmes la monte à
califourchon. La « monte en avant370 », qui éclos en même temps que le saut d’obstacle,
permet aux hommes de reprendre une avance considérable dans la progression sportive,
puisque celle-ci n’est faisable que sur la base de la monte à califourchon. Ce retard, une fois
cette dernière méthode adoptée par les femmes, leur permit de revenir au niveau des
hommes371. Il est intéressant de noter que du point de vue de l’évolution équestre, la monte en
avant distingue l’équitation sportive de l’équitation artistique. On ne retrouve en effet jamais
cette dernière (à notre connaissance) dans les arts issus de l’équitation académique.
La féminisation massive qui se produit au début des années 1970 en France se fait
surtout dans les publics de moins de 35 ans et dans les pratiques hors-compétition. Aussi
366
Ibid., p. 50.
Tourre-Malen, Catherine, 2004, op. cit.
368
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p.43.
369
Ibid., p.41.
370
Elle consiste à franchir les obstacles et encaisser les secousses en équilibre sur ses étriers. Son utilisation a
permis aux compétiteurs de franchir des barres toujours plus hautes.
371
Ibid.
367
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
78
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
l’impression est celle que les hommes ont tendance à disparaître du paysage des pratiques
équestres. Il apparaît en fait que ce n’est pas le cas, dans la mesure où « leur nombre absolu
reste en fait constant »372. Dans l’ensemble, les compétitrices féminines sont, malgré tout, des
femmes puisqu’elles représentent 69% des 79 768 compétiteurs. Cependant, elles sont
majoritaires sur les compétitions de bas niveau, et ne représentent plus qu’un quart de
l’effectif dans les sphères compétitrices les plus hautes373. Mais cette absence du haut niveau
reste à expliquer.
Le Mancq tente au travers de l’exemple des cavaliers et cavalières de haut niveau
d’évoquer les embuches semées sur leurs parcours374. Aussi, elle constitue ses travaux comme
étant dans la droite ligne de ceux de Schotté et Fleuriel qui « appréhendent la carrière
sportive de haut niveau comme une construction sociale qui mobilise des ressources extrasportives »375. En effet, contrairement à l’analyse basée sur la performance ou les qualités
intrinsèques du sportif, elle estime que le sportif du couple étant l’animal, les performances du
cavalier sont « moins déterminantes dans la production des performances ». Cette proposition
est d’emblée réductrice, et en fait une erreur à nos yeux. Car si la performance n’est pas celle
de l’humain mais celle du cheval, alors il s’agit toujours d’une performance liée aux qualités
du cheval. De plus, il semble peu probable dans toute discipline sportive ou olympique qu’une
personne sans capacité et sans technique particulière puisse accéder au haut niveau, y compris
en équitation, et même pourvu d’un capital financier important. Aussi, il convient d’avoir
acquis un niveau technique de haute facture pour pouvoir permettre la mobilité du couple et,
de fait, la performance. La réduction faite à la force physique comme outil de réussite devrait
pour le moins obliger la sortie du domaine sportif des compétitions de plongeon, ou celles de
la perche par exemple, qui demandent plus des coordinations techniques et un timing qu'un
effort surhumain. Au lieu d’exclure le corps comme outil de performance, elle le réintroduit
en le niant. S’orientant sur la pratique de saut d’obstacle, elle reconnaît néanmoins au cavalier
la nécessité d’obtenir « des compétences sportives accrues » en tant que pilote. Mais surtout
aux chevaux à plus fort potentiel, déterminant pour progresser à ce niveau. Il convient même
dans le meilleur des cas de disposer de plusieurs chevaux. C’est la principale différence entre
le sportif amateur et le sportif professionnel. Cela n’est alors possible qu’avec des « sponsors,
372
Ibid., p. 59.
Ibid., p. 63.
374
Le Mancq, Fanny, Des carrières semées d’obstacle : l’exemple des cavalier-e-s de haut niveau, in Sociétés
contemporaines, 2007/2 n°66, pp. 127-150.
375
Ibid., p. 128.
373
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
79
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
particuliers, éleveurs, marchands, Haras Nationaux, etc. »376. Ainsi, la catégorie
professionnelle des compétiteurs se regroupent selon l’auteur en trois catégories différentes :
les sportifs professionnels, rares, ne vivant que de la compétition, les travailleurs des sports
équestres, ayant un emploi dans l’un des métiers du cheval, et les compétiteurs amateurs, pour
qui la pratique est en-dehors de toute activité professionnelle377. Elle constate une évaluation
des compétences basée sur deux critères : la réussite sportive en tant que telle mais également
l’existence d’un travail lié au milieu du cheval. On observe alors une reconstruction
artificielle permettant la reconnaissance ou non à la catégorie des professionnels « légitimes »
au sein de l’activité sportive378. De ce fait, étant donné les difficultés d’ordre pécuniaires
inhérentes à la condition de professionnel, le réseau prend une importance capitale, quand il
ne s’agit pas simplement d’être « héritier » au sens bourdieusien du terme379. Par ailleurs, le
statut de professionnel est ainsi systématiquement dénié aux amateurs des compétiteurs
« pro ». Ces carrières professionnelles s’avèrent être « construites par et pour les
hommes »380. Ce qui paraît logique compte tenu de l’histoire de la pratique, et qui permet
l’existence et le maintien d’un certain nombre de représentations classiquement masculines,
telles la performance ou les « compétences professionnelles ‘d’homme de cheval’ (sans
équivalent féminin) »381. Cette domination masculine prend une autre dimension avec l’image
du Centaure, créature mi-homme-mi-cheval de la mythologie. Pour les cavaliers, il symbolise
l’union parfaite du cavalier avec sa monture. On parle alors de « centaurisation »382. Les
centaures sont généralement représentés avec une moitié humaine masculine383.
Cette notion « d’homme de cheval », récurrente dans le discours équestre nous paraît
devoir être éclaircie pour comprendre ce que la population des professionnels équestres
évoque quand elle utilise cette locution. Digard propose les définitions de Cassart et Moirant
puis de Pellier pour tenter de clarifier cette expression : « Une version moderne de ce portrait
du cavalier archétypal est offerte par la figure traditionnelle de l'« homme de cheval ». Ce
376
Ibid., p. 135.
Ibid., p. 136.
378
Ibid., p. 138.
379
Ibid., p. 139.
380
Ibid., p. 141.
381
Ibid., p. 143.
382
Lancosme-Brèves (Comte Savary de), Théorie de la centaurisation pour arriver promptement a l'exécution
des mouvements, 1860, Paris, J.Dumaine.
383
Il existe assez peu de représentations de femme- centaure. Nous pouvons évoquer par exemple la sculpture
« La Centauresse et le faune », bronze de Courtet (1849), installée près de la porte des Enfants du Rhône
(http://zoo-tete-or.blogspot.fr/2009/07/statue-3-centaure.html, consulté le 8 juillet 2013) ou le bas-relief du
musée Bardo à Tunis (http://www.alyabbara.com/histoire/Mythologie/Grece/images/Centauresse_Tunis_Brado.html, consulté le 8 juillet 2013).
377
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
80
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
qualificatif, très positivement connoté – et auquel, soulignons-le, il n'existe pas d'équivalent
féminin –, désigne non seulement « celui qui sait monter » mais surtout, ajoute le
Dictionnaire du cheval et du cavalier, « celui qui connaît les chevaux et dispose d'une grande
expérience » (Cassart et Moirant 1979 : 138). Il s'applique, précise encore un lexique de la
fin du 19e siècle, « aux personnes qui s'occupent exclusivement du cheval, pour l'élever, le
dresser, le conduire ou l'utiliser » (Pellier 1900 : 194-195) »384. Bacharach pour sa part donne
les définitions de Baucher d’homme de cheval et d’écuyer pour différencier les deux
acceptions : L’écuyer est ainsi « l’homme qui sait dresser un cheval, le mener avec grâce et
justesse, et qui est capable de former de vrais hommes de cheval ». Ce dernier est plus
simplement un « cavalier solide et habile »385. Ces acceptions sont tellement variées que
s’intéresser à la perception des professionnels équestres pourrait révéler quelques surprises.
Parmi les compétitrices de haut niveau, rares donc, Le Mancq constate une forte
présence de personnes « sur-sélectionnées socialement », en ce sens qu’elles disposent d’un
fort capital économique leur permettant à la fois d’avoir accès aux chevaux performants et
également de pouvoir se détacher des tâches domestiques386. D’un point de vue plus général,
quel que soit le sexe des compétiteurs, l’auteure constate une « tendance à l’hérédité
professionnelle »387. Cette situation permet, en-dehors du « capital professionnel parental »,
« une pré-socialisation « équestre » » et « le développement de dispositions spécifiques ».
Cela favoriserait un « ajustement de ses représentations de la pratique »… positif pour une
pratique compétitive. Alors que dans une situation professionnelle hors compétition, la
pratique se fait toujours au bénéfice des hommes, être en couple avec un autre compétiteur est
un facteur favorisant la réussite en tant que compétitrice388. Elles ne sont plus « fille de »,
mais « femme de », donc toujours soumise au statut de leur compagnon.
D’un point de vue extérieur, Tourre-Malen constate que la féminisation de la pratique se
ressent au travers de la mode et des tenues des cavalières qui laisse toute sa place à la
représentation des corps. Egalement, la « tenue » des chevaux est soumise à une augmentation
du nombre des articles disponibles, aux couleurs originales et parfois surprenantes. Les jeunes
filles tendraient à accorder leur tenue à celles de leurs animaux « adorés » transformant le
384
Digard, Jean-Pierre, 1995, op. cit., p. 3.
Bacharach, René, Tableau synoptique des écuyers français du 16e au 20e siècle, p. 43.
386
Le Mancq, Fanny, 2007, op. cit., pp. 144-145.
387
Ibid.
388
Ibid., p. 146.
385
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
81
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
cheval en ce qui est alors présenté comme un « cheval-barbie »389. Quoi qu’il en soit, la
différence entre les hommes et les femmes n’est pas seulement dans la pratique en elle-même
(ce qui se donne à voir), mais aussi dans les modalités de pratique (ce qui se donne à penser)
où une vraie différence existe390. Les femmes se présentent comme plus intéressées par les
animaux que les hommes.391 Cela pourrait être lié à la littérature enfantine, notamment,
permettant « l’élaboration de représentations néophytes »392. Elle nous fait également
remarquer qu’au travers d’un certain nombre de perceptions, l’équitation paraît encore de nos
jours être une « discipline de pédé ou de gonzesse »393, marquant ainsi une tendance à la
féminisation, en tous cas dans les représentations les plus machistes de la pratique. L’activité
apparaît en tous cas n’avoir aux yeux des non pratiquants et même parfois des pratiquants, en
témoignent les visions de Le Mancq et Tourre-Malen, que peu de vertus physiques394.
Les travaux anglo-saxons et brésiliens permettent d’étendre notre perception de
l’activité. Ceux de Dashper sur l’homophobie en équitation permettent de donner un point de
vue anglais à cette présence féminine395. Alors que les études récentes marquent une
augmentation de la tolérance aux orientations sexuelles différentes, ce n’est cependant pas le
cas des milieux sportifs où l’intolérance reste une valeur sûre. Dans cette institution fortement
masculines, hétéro normatives qu’est le sport, les homosexuels masculins restent sous
représentés voire marginalisés. Cependant, cet article montre que le contexte des sports
équestres est un cas particulier. Au sein des pratiques équestres, et plus spécialement au sein
de la discipline de dressage, les hommes ouvertement homosexuels sont assez nombreux.
Dashper estime que la pratique tournée vers les deux sexes que représente l’équitation fait que
l’intégration des deux sexes et l’acceptation plus aisée des homosexuels est fortement liée396.
Selon McDonagh et Pappano, cités par l’auteure, le fait que les sports ne soient généralement
pas pratiqués hommes contre femmes conforte l’idée que les performances féminines ne
peuvent équivaloir celles des hommes. Ainsi, bien que les tendances hétérophobes tendent à
s’amenuiser, le sport continue de rester un endroit dans lequel les hommes restent séparés des
389
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., pp. 78-83.
Le Mancq, Fanny, 2007, op. cit., p. 194.
391
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 153.
392
Ibid., p. 155.
393
Ibid., p. 77.
394
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 246.
395
Dashper, Katherine, ‘Dressage is full of Queens!’ Masculinity, sexuality and equestrian sports, Sociology
published online 16 May 2012.
396
Ibid., p. 2.
390
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
82
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
femmes. Par la même, l’homosexualité masculine restant perçue comme une féminisation, les
homosexuels se retrouvent marginalisés au sein même du sport. L’équitation reste perçue
comme élitiste et marginale, ce qui peut permettre de comprendre la moindre attention portée
à cette sous-culture sportive, malgré ses 4.3 millions de pratiquants (soit six fois plus qu’en
France pour une population à peu près équivalente). Les femmes concourent également avec
les hommes, bien que celles-ci soient nettement moins nombreuses le niveau augmentant397.
Les propos d’Adelman tendent à laisser penser que cette vision est partagée en Amérique du
Sud, ou tout du moins au Brésil398. Nous apprenons avec Dashper également que la situation
de l’équitation en Grande-Bretagne est également ultra féminisée, les femmes représentant les
deux tiers des pratiquants (la situation française étant de quatre-cinquièmes). Il semble en être
de même au Brésil. La situation équestre est également la même en perfide Albion, une
pratique initiale guerrière transformée en sport, avec tout un ensemble de perceptions issues
d’un monde dominé par les hommes initialement. L’auteure s’intéresse particulièrement aux
trois sports olympiques399. Là encore, l’auteure est une compétitrice, ce qui constitue un
parallèle avec l’activité équestre des chercheuses françaises telles Tourre-Malen et Le Mancq.
Il apparaît au sein de ses entretiens une tolérance diamétralement opposée aux sports
non mixtes. Ce qui compte, aux yeux des personnes interrogées, c’est la performance. L’un
des enquêtés considère que c’est la norme, en dressage, discipline ou les femmes sont les plus
nombreuses à haut niveau400. A noter que les travaux d’Adelman montrent qu’au Brésil, les
sportives équestres en saut d’obstacle sont majoritairement issues des classes supérieures et de
familles originaires d’Europe401.
Alors que les derniers travaux d’Anderson tendaient à montrer que les plus jeunes
sportifs commençaient à avoir moins de difficultés avec les homosexuels, mais que les plus
anciens (entraîneurs, manageurs, etc.) conservaient de vieux « réflexes » homophobes, la
surprise est de constater au sein de ce milieu une plus grande tolérance, même des personnes
plus âgées402. Il est regrettable cependant que des entretiens on ne puisse pas percevoir la
397
Ibid., p. 5.
Adelman, Miriam, Women who ride, Constructing identities and corporalities in equestrian sport in Brazil, in
Grenier-Torres, Chrystelle (dir.), L’identité genre au Coeur des transformations, du corps sexué au corps genre,
2010, Paris, L’Harmattan, pp. 105-125.
399
Dashper, Katherine., op. cit., p. 6.
400
Ibid., p. 7.
401
Adelman, Miriam, op. cit., p. 112-113.
402
Dashper, Katherine, op. cit., p. 8-9.
398
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
83
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
vision féminine de l’homosexualité ou de l’homophobie, qui transparaît dans l’article comme
une spécificité masculine, comme si les femmes ne pouvaient pas être homophobes. Il
apparaît du coup que les hommes homo et hétérosexuels construisent leur masculinité par
opposition à la féminité. Dès lors, les hommes se moquent d’être considérés ou non comme
homosexuels, quelle que soit leur orientation. Mais alors, c’est la féminité qui reste
dévalorisée, par l’usage de termes négatifs « ‘weak’, ‘girly’, ‘bitchy’ »403. Ainsi l’acceptation
plus avancée des homosexuels ne va pas de pair avec une meilleure vision de la féminité dans
le sport404. Au Brésil, bien au contraire, les femmes – les compétitrices de saut d’obstacle en
tous cas – semblent revendiquer une féminité « domestiquée ». Elles sont moins regardantes
quant aux critères communément admis des canons de beauté405. Les cavalières de turf,
activité traditionnellement masculine et rurale, ressemblent à s’y méprendre aux femmes
rencontrées par Mennesson. Elles sont dépositaires d’un savoir-faire familial, et paraissent
avoir des comportements proches de ceux des hommes406. La troisième partie porte sur la
pratique du rodéo407 et propose une description de la pratique et de la place qu’y tiennent les
femmes. Activité traditionnellement masculine, puisqu’il s’agit d’activités liées au travail du
bétail, les femmes y sont particulièrement rares et mal perçues. Des discours émis dans cette
étude, les femmes paraissent se reconnaître dans la tendance à aller contre la norme
habituellement admise, en ayant une grande volonté compétitive et le surclassement de
l’adversaire, qu’il soit homme ou femme. Il ressort également des entretiens peu de remarques
sur la vie de couple et son influence sur les carrières compétitives des femmes. Mais celles qui
en parlent évoquent les plus grandes difficultés à assumer vie sportive et vie privée
lorsqu’elles ont des compagnons ou des enfants. Ceci les amène à faire un choix, à un
moment ou à un autre408. La pratique paraît tout de même reproduire un certain nombre de
stéréotypes sociaux de la féminité, en continuant à assurer les tâches domestiques, telles que
403
Ibid., p. 9-10.
Ibid., p. 13.
405
Adelman, Miriam, op. cit., p. 114.
406
Ibid., p. 115, 116.
407
Le rodéo est une pratique culturelle issue de différents pays d’Amérique du nord et latine, mais également en
Espagne. On peut la classer parmi les activités de l’équitation « western », mais il ne fait pas partie des
disciplines reconnues par la FFE. Certaines activités du rodéo tel qu’il est pratiqué en-dehors des activités liées à
l’équitation western (reining et autres) pour lesquelles le dressage du cheval et le rapport au corps à corps sont
recherchés, se pratique avec un animal non préparé, et l’objectif consiste à tenir dessus pendant un temps donné.
Elles sont alors l’objet de luttes pour des associations visant à leur interdiction, sans distinction des activités.
Sources : http://www.ffe.com/Disciplines-Equestres/General/Western/Presentation, consulté le 29 juin 2013.
http://www.anti-rodeo.org/french.htm , consulté le 29 juin 2013.
408
Ibid., p. 122.
404
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
84
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
le soin aux chevaux, le nourrissage409… Elles sont les plus présentes en-dehors des temps de
cours, filles comme mères, pour participer aux activités annexes à la pratique410.
Tourre-Malen tente ensuite de valoriser la pratique féminine partant du principe que les
adjectifs qui leur correspondent sont également applicables à la pratique équestre. Cependant,
ce raccourci ne paraît pas viable, dans la mesure où les textes des écuyers de la Renaissance à
nos jours vont toujours vers une plus grande sensibilité à la relation avec le cheval, alors
même que la pratique équestre féminine ne varie pas dans le temps. En-dehors du 19e siècle,
elles ont, on l’a vu, toujours monté à califourchon avec les hommes, même si ce n’était que
pour des activités récréatives de chasse. Les auteurs classiques ont souvent valorisé les
valeurs qualifiées comme « féminines » aujourd’hui au sein de leurs écrits. La relation au
cheval semble en cela suivre un « code éthique » visant à progressivement utiliser les
techniques les moins coercitives et valorisant le contrôle de soi411. Le seul en fait qui ait dans
l’époque plus tardive du 19e siècle valorisé une équitation physique aura été Baucher, et
encore uniquement lors de sa première manière. La seconde sera plus adoucie, suite à un
accident le privant de ses forces passées. Cela constitue une rupture biographique
fondamentale dans le parcours de ce cavalier car il s’agit là d’un de « ces moments de remise
en cause [qui] peuvent être d’une densité variable, être plus ou moins institutionnalisés, mais
[qui] ont tous en commun d’être des moments qui obligent l’acteur à reconnaître qu’il n’est
« plus le même qu’avant » »412. Cette perte de la force musculaire semble en effet être la cause
de son changement de paradigme personnel dans le travail du cheval.
Mais les filles apparaissent, comme à l’école, meilleures élèves que leurs homologues
masculins413. Cela devrait théoriquement leur permettre une meilleure intégration dans la
compétition, mais aussi dans la pratique professionnelle future qui pourra éventuellement
s’ouvrir à elles. La mixité est aujourd’hui toujours présente dans les compétitions
d’équitation. Seule la sélection par les directeurs techniques nationaux permet la participation
aux compétitions de plus haut niveau. Ce sont eux qui décident du nombre de femmes
409
Ibid., p. 181.
Ibid., p. 186.
411
Henriquet, Michel, 2010, op. cit.
412
Voegtli, Michaël, Du Jeu dans le Je : ruptures biographiques et travail de mise en cohérence, in Lien social et
Politiques, n°51, 2004, p. 147.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/008877ar
DOI: 10.7202/008877ar
413
Ibid., p. 189.
410
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
85
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
présentes à ces événements. C’est donc la politique des hommes en poste qui est de ce point
de vue la cause de leur présence ou non.
« Et donc du coup, après j'ai repris ma saison de concours, et je me
souviens en jeune cavalier ça se passait pas très bien avec l'entraîneur national,
en fait. Avec D. ça se passait pas bien, il m'avait, enfin j'avais fait des super
résultats à l'étranger, et je voulais aller en Allemagne. Non, en Suisse. Je voulais
partir en Suisse, avec Olivier Guyon. Olivier partait, et j'ai dit "ben je peux mettre
ma jument, quoi". Et je fais ma demande, parce qu'en fait, on fait notre demande
auprès de l'entraîneur, et après c'est lui qui nous indique s'il nous autorise ou pas.
Lui à l'époque, il m'a été fait "non, c'est machin, machin, machin qui partira",
donc ceux qui ont du fric, quoi. Ok! Donc au bout de la troisième fois qu'on
commence à faire ça, moi c'est bon, ça me fatiguait, surtout que j'avais des
résultats, et voilà, c'étaient mes demandes, je les trouvais pas excessives. Donc
j'ai fait ok, très bien, je suis américaine, donc j'ai pris la nationalité américaine. »
(Aurélie Dresstrois, femme, 26 ans, face à face)
Carrières cavalières
Le plus intéressant dans le travail de Chevalier est l’utilisation du concept de
« carrière » défini par Hugues et ici adapté à la constitution du cavalier sportif. Il est considéré
que
414
: « Dans sa dimension objective, une carrière se compose d'une série de statuts et
d'emplois clairement définis, de suites typiques de positions, de réalisations, de
responsabilités et même d'aventures. Dans sa dimension subjective, une carrière est faite des
changements dans la perspective selon laquelle une personne perçoit son existence comme
une totalité et interprète la signification de ses diverses caractéristiques et actions, ainsi que
tout ce qui lui arrive. »
La carrière d’un individu peut donc être perçue selon deux dimensions opposées. Du
point de vue subjectif, la carrière se compose des ressentis personnels de l’individu, de ses
expériences, des conceptions dont celui-ci parsème son existence et sa vision du monde. C’est
ce sur quoi il nous semble important d’insister dans ces travaux. L’expérience des individus
sera primordiale dans ce qu’elle a de particulier et ce qu’elle permet de définir comme
414
Selon la traduction de l’ouvrage de Becker, Howard, 1985, Op. cit., p. 126.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
86
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
commun au monde équestre. D’un point de vue objectif, la carrière peut être découpée en
phases successives. L’auteure en définit trois, proches de celles constitutives du statut de
médecin dans l’exemple donné, par lesquelles le cavalier sportif futur, puisque c’est la seule
option proposée doit passer afin d’accéder à ce statut « envié » : « la « découverte », la
« formation » et la « confirmation », étapes qui correspondent à des degrés différents
d’acculturation et de socialisation »415. Ici, deux remarques doivent être faites. L’idée
d’appliquer le concept de carrière à la constitution de l’identité des cavaliers ou de toute autre
pratique mérite de s’y attarder, voire de la reprendre à notre compte. Le problème issu de cette
vision de la réalité semble surtout dû à la restriction des phases identifiées, et également de la
restriction imposée par le thème initial du travail ici présenté, à savoir l’alternative
particulièrement restrictive posée entre le devenir sportif ou l’abandon tant que par le choix
des cavaliers licenciés, donc membres du club. Ce qui est on ne peut plus dommageable pour
la volonté d’analyser l’ensemble d’une population. En effet, le rapport de la prospective afin
de déterminer les pistes d’avenir pour les filières équestres416 proposé par l’IFCE417 remarque
qu’il y a 53 300 entreprises liées au cheval en France, dont 13%, soient 6 929, sont des
structures équestres. Au-delà de celles-ci, le rapport dénombre 64% d’entre elles comme des
structures d’élevage (34 112). Or ce même rapport reconnaît que ces élevages peuvent parmi
les services complémentaires proposés choisir d’offrir des pensions ou diverses opportunités
pour les propriétaires418 (pourquoi pas des leçons si les diplômes sont acquis par ces
propriétaires ?). Le centre équestre n’est donc pas la seule option pour le cavalier pour
pratiquer une équitation, qui peut d’ailleurs sortir des canons fédéraux plus ou moins
largement.
Le Mancq distingue pour sa part deux séquences supplémentaires aux travaux de
Chevalier, pour ce qui concerne la carrière es compétition. La première correspond au
discours employé par les compétiteurs pour parler de leurs montures. Lorsque les cavaliers de
clubs parlent de leurs chevaux par leurs noms ou surnoms, les cavaliers du niveau suivant
évoqueront les caractéristiques de ceux-ci, témoignant ainsi d’un changement de
représentations419. Il en va de même de la perception des regroupements sportifs, auxquels
« les notions de ‘convivialité’ et de ‘plaisir’ » sont « remplacées par celles de ‘performance’,
415
Chevalier, Vérène, 1996, Op. cit., p. 579.
Jez, Christine et Al., La filière équine française à l’horizon 2030, Rapport du groupe de travail Prospective
équine, 2012, Infra-Ifce, 98 p.
417
Institut Français du Cheval et de l’Equitation
418
Jez, Christine et Al., op. cit., p. 11.
419
Le Mancq, Fanny, 2007, op. cit., p. 132.
416
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
87
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
de ‘compétitivité’ », laissant apparaître une conversion à un mode de fonctionnement orienté
vers la pratique sportive420. La seconde séquence, relative à l’accession aux plus hauts
niveaux de compétition, se traduit par un « recrutement différent, une construction identitaire
spécifique du compétiteur mais surtout un mode de fonctionnement particulier »421 lié à
l’accès aux montures.
Toujours en se plaçant dans une sociologie proche de Becker, Chevalier propose ensuite
une étude de la carrière des amateurs, toujours en se limitant aux pratiquants des clubs
d’équitation422. C’est cette fois sur ceux qui abandonnent qu’elle porte ses observations, cet
abandon423 faisant partie intégrante des processus de carrière. Ce faisant, elle propose une
définition intéressante pour notre travail distinguant « le professionnel » versus « l’amateur »
dans la carrière sportive. Citant une nouvelle fois Becker : « l’amateur se distingue du
professionnel par le fait qu’il est plus autonome et indépendant de son monde que ne l’est le
professionnel »424. Cette définition doit théoriquement différencier celui qui gagne sa vie
d’une activité de celui qui le fait sans espérer d’émoluments particuliers. Mais, contrairement
à des pratiques sportives comme le football, la pratique professionnelle du cavalier n’est pas
un moyen pour lui de subvenir à ses besoins. Les cavaliers professionnels ont ainsi tous, ou
dans leur écrasante majorité, une activité annexe à leur statut de compétiteur professionnel.
Elle est cependant une vitrine, permettant ainsi de faire valoir un savoir-faire, de se voir
appliquer une étiquette, l’objet de tous les regards pour l’activité professionnelle (donner des
cours, dresser, éduquer ou vendre des chevaux…), comme nous le confirme un de nos
témoins :
« De concours ? Non, on vit pas de concours.
Non?
Non. C'est juste, pour moi, c'est une vitrine. C'est des résultats. Les
cavaliers vivent de commerce, de pensions de propriétaire. Le propriétaire va
mettre le cheval au cavalier, va payer une pension, si c'est pour son plaisir, il est
très riche, y a pas de problème, ou sinon c'est pour le vendre. Donc c'est un
420
Ibid., p. 133.
Ibid., p. 135.
422
Chevalier, Vérène, Pratiques culturelles et carrières d’amateurs : le cas des parcours des cavaliers dans les
clubs d’équitation, in Sociétés contemporaines, n°29, 1998, pp. 27-41.
423
Il faut y voir encore une fois l’abandon comme le départ du club, et non comme un quelconque arrêt définitif
de l’activité a priori.
424
Chevalier, Vérène, 1998, op. cit., p. 28.
421
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
88
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
cheval de commerce, enfin ça devient un cheval de commerce. Donc [il faut] qu'il
ait des résultats pour pouvoir très bien le vendre et pouvoir faire une plus-value.
C'est comme ça que ça se passe, quoi. Non, sinon, on vit pas de nos concours, si
on a remboursé nos engagements, tous les chevaux qu'on a engagé, déjà c'est
beau. On met pas l'essence du camion, les kilomètres et tout. Non, non, on peut
pas vivre de concours, non, on gagnerait rien. » (Aurélie Dresstrois, 20 ans, face
à face)
Il n’y a donc pas de professionnels en tant que tel de l’équitation, ou alors extrêmement
peu et moins qu’ailleurs425, mais des professionnels du monde équestre dont les prestations
sportives sont la vitrine de leurs qualités professionnelles, comme le montrent finalement
Chevalier et Le Mancq426, et Le Mancq seule427. Les cavaliers professionnels le seraient donc
par incidence de leur profession. C’est ce que Le Mancq tend à nous laisser penser, quand elle
évoque les « compétiteurs ‘travailleurs des sports équestres’ » versus les amateurs428. Parmi
les abandons de pratique, il conviendrait également de différencier les abandons définitifs ou
temporaires, qui seraient fonction d’un certain nombre de critères (finances, zapping sportif,
désintérêt passager ou définitif, ce qui est fait ici) ou les départs définitifs de clubs, qui
peuvent être objectivement considérés comme des abandons dans la méthodologie, mais qui
relèveraient plutôt d’une forme de rupture (biographique ou d’un autre type), suivi d’un
départ des clubs pour quelque raison que ce soit. Le fait que les abandons soient répartis sur
toutes les tranches d’âge laisse accroire à l’auteur qu’ils excluent la possibilité de
changements liés aux cycles de vie429. Pourtant, Malherbe et Silmani voient trois stratégies de
vie pour les femmes dans le monde professionnel : soit en ayant choisi un compagnon issu du
même milieu équestre, soit à rester dans le célibat, soit enfin s’exclure du réseau
professionnel430. Cela induit bien une incidence des cycles de vie individuels, en tous cas chez
les femmes. D’ailleurs, il apparaît que dans les couples cavaliers (au sens large, frère/sœur,
mari/femme), c’est souvent au profit de l’homme, surtout dans le domaine sportif, que la
division du travail s’opère. Leur professionnalisation en tant qu’enseignantes, en outre,
425
Chevalier, Vérène et Dussart, Brigitte, De l’amateur au professionnel : le cas des pratiquants de l’équitation,
in L’année sociologique, 2002/2, vol. 52, p. 466.
426
Chevalier, Vérène, Le Mancq, Fanny, Bénévoles, amateurs et travailleurs : le monde des activités équestres, in
Faure, Jean-Michel, Fleuriel, Sébastien, Excellences sportives. Economie d'un capital spécifique, 2010, Editions
du Croquant, « Champ Social », pp. 143-179.
427
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 109.
428
Le Mancq, Fanny, 2007, op. cit., p. 131.
429
Chevalier, Vérène, 1998, op. cit., p. 30.
430
Malherbe, Patrick, Slimani, Hassen, 2002, op. cit., p. 43.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
89
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
semble être réservée à l’apprentissage des jeunes publics ou des débutants, alors que les
hommes encadreraient en priorité les compétiteurs et les confirmés431.
Restant dans une logique de norme sportive, Chevalier estime que les pratiquants se
dirigeant vers les clubs équestres ont « toutes les chances de recevoir une formation conçue
pour la compétition, quels que soient leurs projets à cet égard »432. Marquons ici un
désaccord très net avec cette assertion. S’il est hautement probable que la majorité des centres
équestres affiliés à la fédération soient orientés vers une dimension compétitive, il est aussi
possible que parmi ces clubs affiliés une partie se désintéresse plus ou moins fortement de la
compétition et offre un modèle de pratique différent, hors-norme433, « déviant » de la norme.
Nous avions pu observer dans nos précédents travaux une multiplicité de perception et de
mise en œuvre d’une même pratique, quelle qu’elle fut parmi les arts de combat. Nous
envisageons qu’il puisse en être de même ici, et que la manière de pratiquer, les préceptes et
idéaux encadrant la modalité de pratique induisent cette multiplicité des modes d’action.
Le corollaire de cette hypothèse est, tout comme dans les arts de combat, l’importance
accordée à la personnalité du « maître », du moniteur. Celle-ci induit l’adhésion ou le rejet de
la pratique elle-même ou de la modalité proposée. Il faut alors supposer que l’accord tacite ou
non entre le pratiquant et l’enseignant permettra de continuer dans la structure. En cas de
désaccord, c’est soit effectivement comme le propose Chevalier un arrêt pur et simple,
définitif ou non qui se produira, soit un changement de structure, ce qui ne semble pas
apparaître dans ses travaux. Le modèle du cursus sportif ne peut en aucun cas, et l’auteur le
reconnaît implicitement, définir une norme générale, même s’il s’agit de la norme reconnue
dans la population sportive. En effet, la part des pratiquants stables tend à augmenter avec le
temps, ce qui ne devrait pas être le cas, à mesure que les cavaliers vieillissent434. La pratique
« pour la pratique » en tant que telle concerne donc pour une bonne part l’ensemble des
cavaliers réguliers. Mais la simple dualité abandon-continuité ne suffit pas à expliquer ces
carrières, et a fortiori cet espace social. Il est limitant de considérer, sur le prétexte que
l’amateurisme autorise le dilettantisme et le zapping sportif que l’abandon soit la seule option.
Pour Chevalier, « l’abandon est un très bon révélateur des contradictions internes à la
pratique, c’est-à-dire des décalages qui apparaissent lorsque les représentations de la
431
Le Mancq, Fanny, 2007, op. cit., p. 143.
Chevalier, Vérène, 1998, op. cit., p. 31.
433
Ibid., p. 32.
434
Ibid.
432
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
90
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
pratique sont confrontées aux réalités de l’apprentissage et aux finalités sportives qui leur
sont associées »435. En d’autres termes, l’abandon serait alors la résultante d’un désaccord
entre la réalité sportive de l’équitation et les représentations du nouveau cavalier. En fait, il est
probable que cet abandon résulte d’une « inadéquitation »436, c’est-à-dire une inadéquation
équestre, d’un hiatus entre la pratique proposée dans le club et les attentes du pratiquant, à un
moment précis. Mais étant donné que le biais « sportif » imprime toute la réflexion de
l’auteure, la seule optique permettant la continuité de l’activité dans le temps « résulte d’une
série d’abdications et de conversions qui l’amènent progressivement à adhérer au projet
équestre qui lui est proposé dans le cadre du club », soit sous-entendu la pratique
compétitive, puisque « Ce dernier est le lieu de transmission d’une tradition et d’une culture
équestres garanties par l’institution et considérées comme seules légitimes »437. La prégnance
de la FFE parmi les clubs d’équitation est sans nul doute extrêmement importante. Mais elle
ne peut en aucun cas surpasser la personnalité des moniteurs et enseignants, qui ne sont pas
tous, voire aucun, inféodés sans aucun jugement personnel à cette fédération. Là encore, la
présence fondamentale du « maître » est à mettre en avant. Cette relation au long cours, sur
plusieurs générations, dépasse largement l’influence que peut avoir une structure telle que la
FFE (surtout étant donné les nombreuses vicissitudes qui ont émaillé son histoire récente) ou
d’autres fédérations dans d’autres disciplines. Le reste du texte restant sur ce princeps de
départ sport (entendu comme professionnel) versus loisir (entendu comme amateur), notons
pour finir une dernière remarque qui semble marquante de la recherche que nous avons
initiée.
Insistant sur les valeurs principales de l’équitation et sur les rites de passage ainsi que
l’ésotérisme inhérents à la pratique, l’auteure marque l’importance qu’elle accorde au
moniteur et aux cavaliers anciens pour transmettre ces valeurs aux nouveaux cavaliers,
transformant ainsi leurs perceptions initiales, toutes empruntes « d’imaginaire profane »438
pour faire ensuite un rapport notamment avec les « sports de combat venus d’ailleurs, judo,
karaté, etc. » et trouver un point commun dans cette importance accordée aux enseignants de
ces disciplines et leurs disciples à transformer les visions initiales des néo-pratiquants.
435
Ibid., p. 33.
Néologisme personnel
437
Ibid., p. 34.
438
Ibid., p. 37.
436
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
91
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La bascule de l’amateur au professionnel est donc perçue par ces travaux et leur
prolongement dans le texte de Chevalier et Dussart comme une forme de socialisation
professionnelle439, comme s’il s’agissait d’une transformation de fait d’une activité non
contrainte à une activité contrainte. Après nous avoir expliqué que le cas de l’amateur
devenant professionnel d’un sport quel qu’il soit relève encore et toujours d’une extrême
minorité d’individus représentant l’excellence sportive440. Il semble en réalité que dans tous
les cas de figure, il ne s’agisse pas, y compris pour les compétiteurs dits « professionnels »
d’une contrainte en tant que telle, mais plutôt d’une incidence. Si comme notre témoin le
précise dans ses verbatim retranscrits ci-dessus il s’agit plus d’une imagerie, d’une publicité
vivante finalement, elle n’est pas directement contrainte mais la résultante d’une profession
liée au cheval. Le travail dans le milieu du cheval est fréquemment évoqué, par de nombreux
spécialistes, des auteurs, scientifiques ou journalistes, de « métier-passion »441. Malherbe et
Slimani y voient même une socialisation équine s’opérant « sur le mode de l’enchantement au
monde équestre »442. Cet « enchantement » serait le produit de l’acquisition progressive des
galops et de l’investissement temporel dans le lieu de pratique. L’acquisition de ces niveaux
n’est a priori pas la garantie d’une acquisition de facto d’un savoir équestre. Les auteurs
évoquent une disparité dans leurs modes d’acquisition d’une structure à l’autre443. Il semble
en outre que cet engagement personnel sur le temps libre au sein des structures soit un fait
assez spécifique de la pratique équestre. De plus en plus les constructions identitaires ne se
font plus uniquement sur les statuts socio-professionnels mais se font de plus en plus en
parallèle par le biais des activités de loisirs. Les auteures estiment que les jeunes étant dans
une double quête identitaire, voyageant entre l’imaginaire et le réel, l’identité et la quête
professionnelle, il est normal de les voir se tourner vers des activités proches de leurs loisirs,
notamment sportifs. Ainsi, la bascule de la sphère « amateur » vers la sphère
« professionnelle » dans le milieu équestre est la forme la plus aboutie de ce système444.
La bifurcation de pratiquants de loisirs vers les métiers du cheval serait donc issue de la
volonté des pratiquants eux-mêmes de transformer leur loisir, donc leur passion, en
profession. On peut donc considérer en quelque sorte que les cavaliers professionnels le
439
Chevalier, Vérène et Dussart, Brigitte, 2002, op. cit.
Ibid., p. 460.
441
Ibid., p. 470.
442
Malherbe, Patrick, Slimani, Hassen, 2002, op. cit., p. 15.
443
Ibid.
444
Chevalier, Vérène, Dussart, Brigitte, op. cit., p. 469.
440
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
92
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
deviennent par « double rebond ». Le cavalier de loisir devient professionnel équestre, au
travers de sa décision de faire son métier dans un des domaines, rappelons-le fort nombreux,
du cheval. Ce faisant, il a besoin d’une vitrine pour recruter des clients dans sa structure (que
ce soit un centre équestre, une écurie, un haras, un élevage, un cirque, une salle de
spectacle…) et pouvoir exister en tant que professionnel. Il devient ainsi cavalier
professionnel. Reste que ce métier, vers lequel les cavaliers se sont dirigés par passion, peut
éventuellement ne plus leur permettre de vivre cette passion qui les a menés, le travail prenant
le pas sur le loisir au point qu'il n'y ait plus de temps de loisirs. La présence massive des
femmes dans ces métiers de l’enseignement est relativement récente445 puisque liée à
l’ouverture aux années 1970 de la pratique à la population, et qu’elle fut déterminante pour
une certaine part dans les champs masculins à conquérir à cette période. Mais les auteures
font l’hypothèse intéressante que « parmi les jeunes femmes de moins de 30 ans actuellement
en activité (62% des effectifs à ces âges) [donc en 2002], celles qui surmonteront les obstacles
de la vie familiale seront plus nombreuses que dans les générations précédentes », en
comparant avec les populations féminines des travaux de Méda446. Loin d’être aussi optimiste
qu’elles, nous pensons que le fameux « plafond de verre » est toujours présent, tout
particulièrement dans ces activités mixtes sportives/professionnelles. A tel point que le projet
2030 de l’IFCE considère que le turn-over est extrêmement important et que la féminisation
des activités liées au cheval est toujours en cours dix ans après447.
D’autre part, la plupart des études ayant eu lieu entre 1990 et 2002, le rapport de l’IFCE
permet de constater une énorme augmentation des usages du cheval dans de nombreuses
sphères nouvelles qui n’existaient pas au temps où les premières recherches de Chevalier
étaient éditées.
Le cheval et ses pratiques aujourd’hui
L’usage de la « médiation équine »448 s’est très largement massifié au sein des structures
de soin, ou de structures d’enseignement. En outre, la vision d’une équitation moins centrée
sur les structures équestres semble notamment via les travaux de Tourre-Malen449 enfin
445
Ibid., p. 468.
Méda, Dominique, Le temps des femmes, 2002, Paris, Flammarion.
447
Jez, Christine et al., op. cit., p. 12.
448
Ibid., p. 13.
449
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 93.
446
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
93
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
admise. Le choix fait par l’auteure se révèle néanmoins tendancieux. Consciente que définir la
pratique équestre comme soit sportive, soit de loisir, elle se rend compte du hiatus. Le sport
est en effet un loisir. Aussi propose-t-elle la locution « équitation de plaisance ». Louable
tentative mais qui revient au même : plaisance renvoie à plaisir et à loisir. Malheureusement,
l’idée d’une pratique assidue et intense dans ce cas est déniée450. On reconnaît même une
« pratique autonome répandue »451, qui peut être pratiquée sans but de progression. C’est
donc qu’une pratique non sportive peut l’être en vue de progresser et n’ayant d’autre but que
celui-ci. Par conséquent, bien que la pratique équestre soit reconnue comme sport de nature, la
plupart des pratiques se font dans un manège ou une carrière, plus rarement en extérieur au
sein de la fédération. Les tenants d’une pratique qualifiée de « naturelle » sont rapidement
soumis à l’impossibilité de démontrer cet état de fait, à l’image de Leclerc et Ollivier au
colloque Equi-meeting Tourisme de Saumur en mai 2011452. De fait, s’il suffit de considérer
que l’activité est menée sur un sol sableux et délimité, en interaction avec un autre être vivant
pour mériter le titre de sport de nature, le beach-volley est un sport de nature. Tourre-Malen
rappelle d’ailleurs que traditionnellement dans la sphère équestre, les activités d’extérieur
étaient souvent méprisées et assimilées à du « transport de viande »453. La fédération française
d’équitation fait figure de structure tentaculaire, regroupant la totalité des pratiques afférentes
aux sports ou arts équestres. Chaque fois qu’une pratique nouvelle fait son apparition, elle est
rapidement agrégée à la FFE (comme l’équitation éthologique ou la Doma Vaquera,
équitation de travail espagnole)454. Si l’on utilise notre comparaison de prédilection avec les
pratiques guerrières, elle serait l’équivalent d’une fédération regroupant l’ensemble des arts
de combat, du judo jusqu’au Pencak Silat (pratique en provenance d’Indonésie et Malaisie) en
passant par le Kung-fu et le Kalaripayat (pratique indienne). Cette capacité fédérale semble
avoir pour but de conquérir « le plus de courants équestres possibles »455. Cet objectif
œcuménique, cependant, paraît largement irréalisable, tant la diversité des pratiques et des
pratiquants, tant la logique outsider, underground même des acteurs qui tendent toujours à
sortir des sentiers battus sont nombreuses. Dans cette recherche systématique de « récupérer
toute la clientèle » et à la satisfaire à tout prix, l’élève-client prend l’ascendant, et c’est le
clientélisme qui prend la main, conduisant les moniteurs « à accepter, non sans difficultés
450
http://www.cnrtl.fr/definition/plaisance, consulté le 23 mai 2013.
Jez, Christine et al., op. cit., p. 15.
452
Remarque entendue en colloque.
453
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 201.
454
Ibid., p. 55.
455
Ibid., p. 199.
451
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
94
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
parfois, de leurs élèves des façons de faire qui s’écartent de plus en plus de l’ancienne culture
équestre »456. Aussi cela conduit l’auteur à la vision pessimiste d’une dilution de la norme par
des éléments se multipliant à mesure que se multiplient les perceptions des clients. Les
pratiques déjà ouvertes aux pédagogies modernes se voient maintenant gratifiées d’apports
extérieurs, issus de « la sophrologie, la visualisation, le training autogène, la « kinésiologie »,
le stretching, la relaxation… », comme la méthode Alexander457. La judiciarisation croissante
de la société458 et le processus de civilisation, dans l’intolérance aux violences et aux
blessures, conduisent au changement dans l’activité, induisant toujours plus de sécurité. Le
port de la bombe est devenu obligatoire en centre équestre. Le port du gilet n’est pas encore
obligatoire mais se voit de plus en plus sous l’effet parental et devrait là encore conduire à la
loi. La fédération a pour objectif « zéro chute, zéro accident », transformant ce qui était
ressenti comme un rituel dans le travail en interdit factuel459.
Le cheval revient dans le monde social en tant qu’outil, permettant de nouveau le
débardage, le ramassage des déchets, les patrouilles de police, le transport460… Tous ces
nouveaux usages, ou ces retours d’anciens usages semblent renouer avec des traditions
initiales du cheval, notamment concernant les forces de l’ordre, rappelant les images d’Epinal
du cow-boy ou du mousquetaire. Le travail présenté avec cette prospective est néanmoins
sujet à de nombreuses critiques, particulièrement de la part de Digard461, que nous ne pouvons
ici qu’approuver. Pour lui, le choix des personnes ayant participé à ce projet est remis en
question par la nécessaire « distance critique » à laquelle on peut s’attendre d’un tel travail,
les participants étant pratiquement tous issus de la profession. On ne peut qu’acquiescer à
cette remarque au vu des expressions « allant de soi » que l’on peut y trouver. Ainsi peut-on
lire que « Le cheval alimente les rêves et désirs des hommes depuis des siècles »462 sans
qu’aucune précaution scientifique ne vienne appuyer cette remarque. Les données restent
cantonnées à un niveau quantitatif et sont parfois mal interprétées. La distance aux données
est en effet si faible que l’on trouve un ratio de viande chevaline ingérée par français alors que
seule une petite fraction de la population semble se nourrir de cheval. Les dimensions de
456
Ibid., p. 200.
Ibid., p. 204.
458
Commaille, Jacques, Dumoulin, Laurence, Heurs et malheurs de la légalité dans les sociétés contemporaines.
Une sociologie politique de la « judiciarisation », in L’année sociologique, 2009/1 (vol. 59), pp. 63-107.
459
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., pp. 207-208.
460
Jez, Christine et al., op. cit., p. 16.
461
Digard, Jean-Pierre, Une prospective inachevée, in L’Eperon, n°329, pp. 95-98, décembre 2012 - janvier
2013.
462
Jez, Christine et al., op. cit., p. 29.
457
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
95
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
rapport au cheval retenues par le groupe de travail sur les activités hippiques le sont par
accord tacite entre les membres plutôt que par enquête ou bibliographie463. Par ailleurs, la
prospective dégage quatre scénarii, qui sans être totalement irréalistes séparent cependant la
réalité en différentes facettes, comme si aucune d’elle ne pouvait exister conjointement avec
les autres. Ces « avenirs incertains » définissent soit une explosion du sport d’élite, soit une
explosion de la pratique de loisir, soit encore le retour du cheval comme animal de travail, soit
enfin une prépondérance donnée au « cheval compagnon ». Il semble en réalité que ces quatre
perspectives puissent se produire simultanément. La fédération a en effet tout intérêt à
permettre le meilleur fonctionnement possible du sport de haut niveau pour rayonner
efficacement. Sa grande difficulté reste d’accueillir un plus grand nombre de pratiquants, en
orientant leur communication sur les hommes plutôt que continuellement sur les filles, et de
ce fait sans doute en offrant une autre image de cette pratique. Même si les activités se sont
ouvertes à un plus grand nombre de catégories socio-professionnelles, elles semblent pour
Digard, cité par Tourre-Malen, rester relativement hermétiques aux classes populaires. Il ne
s’agit pas d’une démocratisation, mais plus précisément d’un « élargissement » des catégories
de pratiquants464.
Le cheval de trait connaît un relatif regain par ses usages, et comme nous l’avons vu, les
différentes factions cherchant à valoriser une image du cheval plus proche de celle du chien
par rapport à son image habituelle sont très actives. Cette dernière tendance est sans doute la
plus néfaste pour Digard465 puisqu’elle pourrait signer rien de moins que la mort de
l’équitation classique.
Le texte de Jez et al. ne fait cependant pas l’impasse sur la perception de ce qu’est
l’équitation aujourd’hui, en signalant les différentes visions… de la manière de pratiquer. Ce
point de vue reste somme toute très restreint puisqu’il distingue une vision passéiste d’une
pratique « de l’effort et de la persévérance » versus une équitation « enfantine et
ludique »466… sans en aucun cas remettre en question une formation récemment modifiée et
qui insatisfait bon nombre de professionnels. De même, les auteurs n’hésitent pas à aborder
les nouveaux rapports au monde en citant Héas (2004)467 afin de renforcer une vision de la
pratique équestre comme naturelle. La naïveté du texte affleure également quand, pour parler
463
Ibid.
Tourre-Malen, Christine, 2006, op. cit., p. 71.
465
Ibid.
466
Jez, Christine et al., op. cit., p. 24.
467
Ibid., p. 28.
464
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
96
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
du bien-être du cheval (insaisissable pour Digard) on évoque la création de la SPA en faveur
de la protection des chevaux en oubliant les tenants et aboutissants de cette aide468. Plus loin,
bien que les auteurs reconnaissent trois manières de pratiquer le sport, celles-ci sont encore et
toujours sous-tendues pour un point de vue sportif prédominant. Ainsi, nous trouverons endehors des compétiteurs de haut niveau des « compétiteurs de masse », le gros des troupes
donc, et les pratiques sportives « non affilié[e]s à une association » 469. Si le cavalier n’est pas
en haut niveau, alors il est compétiteur de bas niveau ou hors de la fédération. Cette restriction
des possibles interdit de facto tout un pan des pratiquants équestres éventuels. Puis, afin
d’évaluer le nombre total de pratiquants, la méthodologie appliquée reste celle toujours
proposée jusqu’ici, c’est-à-dire le nombre de licences. Chevalier avait déjà dénoncé cette
logique, qui empêche de prendre en compte ce qu’elle appelait les « abandons » (qui peuvent
en fait être seulement un abandon de la pratique en club et non pas un abandon de la pratique
en elle-même) ou les retours dans la pratique. En somme, analyser une pratique sur le nombre
de ses licenciés n’est absolument pas un critère quantifiable justifié pour prétendre analyser
toute une population. Montrer une évolution incroyable d’une fédération en comparant avec
les membres d’une association qui n’a rien à voir en termes de public, d’époque et d’évolution
de la pratique n’a pas plus de sens. Malgré tout, les auteurs qualifient de « spectaculaire »
cette évolution alors qu’on « ne comptait que 20 000 cavaliers en 1949 » (c’est-à-dire quand
l’équitation était purement militaire et fermée massivement aux femmes) en citant TourreMalen, dans un article qui s’intéresse principalement à l’évolution de ce sport à partir des
années 1960. Par ailleurs, étant donné le ratio existant entre les pratiquants de clubs et les
pratiquants hors-clubs tel que l’avait pointée l’enquête de 2007 et dont le rapport fait
l’évocation, il est clair que le nombre de cavaliers autoproclamés versus les licenciés ne laisse
pas de doute sur l’inanité d’une telle quantification des licences470. Restant sur ce paradigme
sportif, enfin, les auteurs parlent de l’appartenance de l’activité aux sports de nature, ce à quoi
nous opposons notre regard sociologique. Précisant que ce type de pratiques, séparées en
activités équestres, nautiques et aériennes (quid de la pratique de l’escalade ?), permet « de
manière privilégiée, la découverte d’un milieu naturel »471. Mais un paragraphe plus loin, en
reconnaissant que l’activité se déroule majoritairement (en-dehors du tourisme équestre) en
468
Ibid., p. 31.
Ibid., p. 34.
470
Ibid., p. 59.
471
L’escalade, de nouveau, peut tenir un discours similaire dans le sens où sa pratique sur les structures
artificielles d’escalade (SAE) permet de découvrir un sport de nature.
469
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
97
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
« manège ou carrière »472, les auteurs craignent que sur le thème des sports de nature d’autres
activités lui soient préférées. Nous proposons donc de changer de conception de la pratique
pour ne plus la considérer comme sport de nature. Enfin, envisageant la place des animaux
dans la société, nous ne pouvons que tomber d’accord avec Digard pour critiquer un
angélisme surprenant, concernant les perceptions du bien-être animal. Celui-ci, comme les
auteurs le signalent473 est différent selon les « valeurs » et les « représentations » de chacun,
mais il est certain que les pressions sociales différenciées entre tenants d’un changement et
d’autres perceptions entrainent énormément de questionnements. Les nombreuses associations
se mettant en place construisent un réseau de tensions variées. Entre la création de
« l’Equility » sur le modèle de « l’Agility » canin474, les passions « animalitaires »475
souhaitant faire basculer le cheval parmi les animaux domestiques et d’autre part les cours
proposés à des tarifs qui ont peu évolués au fil des années malgré l’inflation476 que le rapport
ne relève pas, ; tout cela questionne sur la santé des chevaux de clubs, leur bien-être au
quotidien dans les centres équestres, etc. Ces difficultés et changements, tout aussi légitimes
puissent-ils être n’empêchent pas un fait social qui a toujours existé : depuis le début de
l’histoire des hommes, les animaux qui n’avaient pas ou plus d’utilité (qu’elle soit affective,
de loisir ou de travail) ont toujours conduit à une disparition partielle ou totale des animaux
concernés (tels le loup, l’ours, le renard…). Et pour passer au statut d’animal de compagnie, il
faut ne servir à rien477.
Nous reviendrons sur ces pratiques associatives qui ont contribué d’une certaine
manière et contribuent de plus en plus aux modifications sociales du rapport au cheval
aujourd’hui en France et ailleurs. Tourre-Malen, tentant de comprendre comment se placent
les activités équestres aujourd’hui sur un continuum de pratiques, qu’elle étend d’un « pôle
masculin » d’équitation sportive « traditionnelle478 » à un « pôle féminin » de nouveaux
cavaliers. Entre ces deux extrêmes se situent bien sûr une multitude de perceptions tantôt
472
Ibid., p. 35.
Ibid., p. 49.
474
Ibid., p. 59.
475
Digard, Jean-Pierre, 1995, op. cit.
476
Fez, Christine, op. cit., p. 54.
477
Digard, Jean-Pierre, 1999, op. cit., pp. 33-37.
478
Le terme « traditionnel » accolé à celui de sport nous semble particulièrement impropre, car les sports
modernes n’existent que depuis un peu plus d’un siècle. Ce terme dans les activités équestres serait à accoler à
l’équitation historique, artistique, qui dispose d’une histoire nettement plus importante, qui s’étend au moins de
la Renaissance au 19e siècle.
473
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
98
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
orientées dans un sens ou dans un autre479. Le critère retenu est donc celui du rapport à
l’animal, piédestal de ses travaux centrés sur les différences hommes-femmes. Il
s’accompagne en creux d’une menace, d’une coupure, entre une ancienne équitation et une
nouvelle, voire entre l’équitation et sa fin prochaine. La cause en serait une modification des
comportements à terme des cavaliers qui sont aussi, pour certains d’entre eux, les futurs
enseignants480. Nous proposons alors un continuum, axé lui sur le rapport à la pratique, entre
art et sport.
Corporéité, sociologie et équitation
Peu d’auteurs semblent avoir travaillé dans les sciences sociales sur la relation
corporelle en tant que telle entre Homme et Cheval. En France, à notre connaissance, seule
Tourre-Malen met à profit une étude des corps dans les milieux équestres481. Au travers de
l’observation in situ des cavaliers à cheval mais aussi des « à-côté » de la monte, elle évoque
les interactions verbales et non verbales ayant lieu entre les humains et les chevaux. En tant
qu’enseignante, son entrée sur le terrain en a été facilitée482. Elle y distingue des
comportements et des attitudes genrés. Elle évalue les activités de chacun des moniteurs
observés. Les cavaliers peuvent être amenés à monter indifféremment tel ou tel animal,
malgré leurs préférences. Ainsi, elle explique que lorsque le cavalier n’est pas propriétaire de
sa monture, l’enseignant va certes tenir compte des goûts de chacun, mais « l’idée qui soustend la formation est qu’un « vrai » cavalier doit savoir monter « tous les chevaux » »483. Cela
révèle quelque chose de la pratique : la technique apprise nécessite d’être éprouvée sur
plusieurs partenaires, voire sur tous les partenaires possibles (à l’instar de ce qui peut être
demandé dans certaines versions et modalités de pratique et d’enseignement de sports de
combat). Cela revient à adapter une technique « livresque » à un fait in situ. De même que les
pratiquants d’arts guerriers doivent multiplier les partenaires pour accroître leur expérience,
les cavaliers doivent monter plusieurs chevaux pour améliorer la leur.
479
480
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 229.
Ibid., p. 230.
481
Tourre-Malen, Catherine, « Les à-côtés de l'équitation », rapport à l'animal et pratique sportive, Etudes
rurales, 2003/1 n° 165-166, p. 133-146.
482
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 100.
483
Ibid., p. 135.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
99
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Concernant les attitudes des cavaliers à cheval, le travail de Tourre-Malen se fonde en
premier lieu sur la relation qu’ils établissent avec leur monture au travers de leurs attitudes
corporelles comme « premier élément de la grille d’observation »484. Prenant appui sur les
« techniques du corps » de Mauss, elle entend ainsi rechercher des différences techniques
entre les sexes. Quoi qu’il arrive, les trois positions que peut avoir un cavalier (trot enlevé,
assis, en équilibre) permettent le « dialogue » avec le cheval. Elle nous explique ensuite
comment se constitue les premiers pas des cavaliers dans une optique de centre équestre :
travail « sur le plat », soit le dressage, travail du saut d’obstacle et la mise en selle, c’est-à-dire
l’amélioration de la technique du cavalier, complété par un travail en extérieur. Là encore, la
nature en tant qu’espace de jeu n’intervient que dans une dernière phase de la pratique.
L’enseignement individuel n’intéresse selon elle que deux types de cavaliers. Soit les
cavaliers tout débutant, soit les cavaliers de compétition qui nécessitent une attention toute
particulière pour des raisons bien spécifiques. Elle n’évoque cependant pas l’enseignement à
l’extérieur des centres équestres, attendu que celle-ci est nettement moins répandue485. Le
déroulé menant à la maîtrise corporelle de la monte à cheval est le même pour tout le monde.
Puis, selon la spécialisation des cavaliers, la corporéité sera différente. Si le cavalier est « de
plaisance », sa corporéité sera moins « normée » que le cavalier sportif. Encore une fois, la
limite se fait au détriment de tout autre espace de pratique. L’auteure, bien que ne constatant
pas de variation genrée dans l’apprentissage technique, observe que la « belle » position est
partagée par les deux sexes, mais plus recherchée chez les femmes que chez les hommes.
L’amélioration progressive des techniques produit un sentiment de non mouvement du
cavalier, ses savoirs techniques permettant manifestement d’intégrer si profondément sa
corporéité que des micromouvements seuls permettent la mobilité des deux partenaires. Cela
rappelle ainsi des pratiques asiatiques où les mouvements d’abord larges sont réduits
progressivement à leur plus simple expression. Cette évolution technique, loin de laisser
penser comme Le Mancq que le cavalier n’est qu’un simple pilote semble au contraire
démontrer une maîtrise corporelle tellement poussée qu’elle en devient invisible, a priori pour
les pratiquants-chercheurs eux-mêmes… quelque chose comme une syntonie, une symbiose.
Ici, l’auteure fait un petit aparté surprenant concernant les particularismes biologiques :
la poitrine côté féminin et les testicules côté masculin. Ainsi, les poitrines les plus généreuses
paraissent nuire à une pratique de qualité. A tel point que dans certains cas extrêmes,
l’opération soit la seule solution à la poursuite saine de la pratique. Les testicules, pour leur
484
485
Ibid., p. 103.
Ibid., pp. 105-106.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
100
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
part, sont soumises au vu de leur position à de nombreux chocs et nécessitent un
apprentissage personnel, « à l’usage ». Les sauts sont particulièrement risqués pour cette
partie anatomique. Notons que si les hommes en parlent de manière relativement rare mais
néanmoins ludiques, le discours féminin se fait sous un sceau « quasi scientifique » 486.
Le dressage du cheval est expliqué dans son déroulement. Il consiste au premier chef en
une « soumission » du cheval aux ordres et aux demandes du cavalier. Ce dernier se trouve
soit puni par une sanction physique, soit récompensé par une autre action. Cependant, une fois
dressé, le cheval connaît des déplacements, ordres, demandes qui pourront lui être faites. Si
un cavalier n'exécute pas correctement ces demandes, le cheval n’est ni récompensé, ni puni,
puisqu’il n’a pas répondu à un ordre mal émis. Comment cela se passe-t-il, in fine ? Quelle est
la part de logique dans cette relation ? Car bien que cette idée de soumission puisse être
comprise de chacun, il n’apparaît pas ce qu’est cette soumission. Doit-elle être mentale, ou
physique ? Et qu’est-ce qui fait qu’un cheval agit bien ou mal ? Pour quelles raisons et de
quelle manière peut-on déduire que le mouvement est bon ou mauvais ? Quelle
communication ? Il apparaît en tous cas des personnes interrogées que l’ensemble des
témoignages proposés laissent transparaître pour une grande part la notion de « ressenti ».
Certaines personnes envisagent même une « fusion avec le cheval », allant parfois même à la
transmission de pensée.487 L’hypothèse qui semble devoir être faite est qu’une position de
bonne facture induirait chez le cheval une réaction immédiate qui se traduirait par la « bonne
réponse » à la « pré-demande ». « Monter à cheval […] c’est avant tout un monde de
sensations physiques »488. Il semble qu’apparaît dans les témoignages une complexité à
exprimer ses ressentis, le savoir inculqué au sein de son propre corps. Il semble ici que
l’expérience empirique, la pratique de l’activité en tant que telle soit la seule à même de nous
permettre d’obtenir des réponses.
S’attachant aux comportements des cavaliers pendant le pansage489, elle distingue des
attitudes différentes entre hommes et femmes. Ces dernières ont une plus grande tendance aux
démonstrations affectives et au maternage, y compris dans le nourrissage des chevaux. Aussi,
si chacun s’occupe de son cheval, ce n’est pas dans la même mesure, les hommes ayant
486
Ibid., pp. 110-112.
Ibid., pp. 126-127.
488
Ibid., p. 166.
489
Cette activité se produit avant et après chaque séance d’équitation. Le processus est celui de la préparation du
cheval (brossage, curage…) afin de s’assurer de son bon état avant de l’utiliser.
487
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
101
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
tendance à être moins méticuleux que les femmes490. Mieux : lorsqu’il faut natter et à les
« faire beaux », les femmes sont sollicitées pour des activités que les hommes savent pourtant
pratiquer491. Et mieux encore, lorsqu’on est un homme en compétition, un nattage et une
présentation moins soignés alors qu’on est un homme n’impacte pas la note de
présentation492. Il en va de même du vocabulaire employé lors de l’abord du cheval, lui aussi
sexué493. L’étude des relations entre cavaliers transparaît au travers d’une citation extraite du
terrain : « Pour être cavalier, il faut posséder la faculté de pouvoir dire du mal des autres
cavaliers et avoir une absence de jugement objectif sur soi-même. »494 Les attitudes sont
socialement construites par apprentissage, par observation. Il semble que les pratiquants du
nord soient plus respectueux d’une culture équestre mieux ancrée historiquement que dans le
sud. Aussi, le sud est plus ouvert aux pratiques novatrices495. Mais des comportements
passeront malgré tout comme « déviants », tel que donner à manger au cheval dans une
gamelle à chien496. L’apprentissage du cavalier se fait également par intégration (extension)
de son schéma corporel. « Cette construction augmente ses capacités proprioceptives,
kinesthésiques et sensitives »497. C’est donc une intégration tout à fait intime de la relation à
l’animal qui se mettrait en place. Non seulement le langage, mais aussi « la posture, la
gestuelle et les mimiques » du cavalier vont intervenir dans cette communication dans un
« mélange particulier d’affirmation et de décontraction de ses actions motrices », et il devra
également développer des capacités de « lecture » du comportement animal498. Ainsi donc, au
travers de l’activité se construisent des spécificités corporelles, non seulement dans la « mise
en scène », telle que peut la penser Goffman, de son corps face au cheval, mais également
dans sa capacité à analyser la situation, et ce déjà à pieds.
Il faut aller voir notamment chez les auteurs anglo-saxons et leurs Animals Studies pour
espérer trouver une littérature cherchant à s’attacher à la corporéité à cheval. Ces recherches
sont à rapprocher des travaux français en socio-anthropo-zoologies que nous aborderons au
prochain chapitre. Brandt499 tente une approche de la communication humain-cheval via
490
Ibid., p. 137.
Ibid., p. 138.
492
Ibid., p. 143.
493
Ibid., p. 139.
494
Ibid., p. 140.
495
Ibid., p. 143.
496
Ibid., p. 141.
497
Ibid.
498
Ibid., p. 142.
499
Brandt, Keri, A language of their own : an interactionist approach to human-hose communication, in Society
and animals, volume 12, n° 4, 2004, pp. 299-316.
491
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
102
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
l’observation participante (bien qu’elle ne l’appelle pas ainsi) et des entretiens en profondeur.
Se basant sur l’interactionnisme symbolique, l’auteure déduit de ses analyses que le cheval et
l’homme co-créent un système de communication commun par le corps. Cela faciliterait ainsi
la création d’un signifiant commun. C’est donc la communication non verbale et le langage du
corps dans toute leur complexité qui primerait dans la relation. L’objectif est de comprendre
comment ces deux espèces différentes que sont l’homme et l’animal arrivent à mettre en place
« un monde de sens partagé »500. Elle nous explique donc que fondamentalement, la relation
d’interactions homme-cheval diffère énormément de celles des couples homme-chien et
homme-chat. Cela commence par la différence de taille entre le premier et les deux autres.
Celle-ci entraîne « un élément de danger dans l’interaction qui est rarement présente avec les
chiens et les chats et rend crucial l’établissement réussi d’un système de communication »501.
Dans l’absolu, il est certain que se faire marcher sur le pied par un cheval ou un chien ne
représente pas le même risque. Mais les événements liés aux violences d’animaux
domestiques sur les adultes et les enfants retransmis par les médias laissent accroire qu’aucun
animal au monde n’est dangereux. Digard en fait la démonstration à travers de nombreux
exemples, notamment par rapport aux chiens502. La manière dont les interactants chevaux et
humains communiquent, par contre, est significative d’une différence profonde : c’est un
« haut niveau de contacts corps à corps »503 qui a lieu dans l’interaction. Et les demandes
humaines se font – notamment – sur le dos de l’animal, contrairement aux autres cas. C’est
par le corps même que la communication peut progresser504.
L’étude est basée sur vingt-cinq entretiens de femmes. Auteure américaine, elle estime
en effet que la relation entre hommes et chevaux a largement été montrée par la forme du
cow-boy et du guerrier indien. Ainsi, s’entourant d’une logique de recherche féministe, elle
estime que les relations des femmes avec les chevaux peuvent être considérées comme des
données à part entière505. Du point de vue européen, cela paraît assez surprenant. D’une part,
que les fonctionnements genrés aient une telle emprise sur la perception des scientifiques, et
surtout que cette perception genrée puisse être considérée comme invalide quand elle vient
d’une femme. Par ailleurs, l’étude est centrée sur les pratiquantes d’hunter et de concours de
500
Ibid., p. 300.
Ibid.
502
Digard, Jean-Pierre, 1999, Op. cit., pp. 169-177.
503
Brandt, Keri, 2004, op. cit.
504
Ibid., p. 301.
505
Ibid., p. 302.
501
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
103
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
sauts d’obstacles, ce qui semble extrêmement réducteurs, quand bien même il s’agit de la
discipline la plus pratiquée. Par ailleurs, la technique employée pour la recherche d’entretiens
est celle de la « boule de neige » ou « chaîne ». Bien que permettant un recrutement rapide de
témoins, elle a un biais qui paraît rédhibitoire. En effet, elle prend ainsi le risque de ne trouver
que des personnes ayant la même perception d’une pratique, les mêmes goûts, des mondes
trop proches506. Les entretiens sont basés sur l’histoire des cavalières avec les chevaux, des
descriptions plus détaillées de leurs relations avec certains chevaux et leur perception des
processus engagés dans la communication. La théorie maîtresse est celle de la grounded
theory. Chaque entretien est accompagné de notes concernant les attitudes corporelles des
personnes interrogées.
Deux autres points sont à signaler dans le parcours personnel de Brandt qui nous sont
exposés. Elle avoue être issue du sérail, ayant toute sa vie fait partie du milieu du hunter et du
saut d’obstacle. Elle ajoute qu’elle pratique le Natural Horseman-ship507 depuis peu. Elle
estime ainsi que son parcours amène, comme dans toute recherche, le point de départ de celleci.
En se basant sur les travaux d’Arluke et Sanders508, elle considère que la recherche
hommes-animaux doit se faire, pour une meilleure objectivité, de manière à être totalement et
intimement engagée. De cette manière, les émotions ressenties en deviennent une inestimable
source de compréhension509. Cette vision de la recherche, bien que particulière, permet
d’imaginer une étude basée sur le ressenti corporel comme marqueur, un carnet corporel
scientifique, par exemple.
Pour l’auteure, les deux espèces ont une communication corporelle qui leur permet
d’exprimer un grand nombre de sentiments. Nous savons effectivement avec Goffman que
l’interaction non verbale est une des composantes principales de l’interaction globale. Ses
recherches semblent d’ailleurs s’entendre comme allant dans le même sens que des travaux
portant sur les animaux510. Humains et animaux peuvent être capables d’appréhender tout un
système complexe de communication corporelle511 et également verbale. Les techniques
équestres représentent donc une forme de communication inter-espèces. Cette communication
506
Ibid., p. 303.
En France, équitation éthologique.
508
Arluke, Arnold, Sanders, Clinton, If lions could speak : investigation of animal-human relationships and the
perspectives of nonhuman others, in Sociological quarterly, 1993, n° 34, pp. 377-390.
509
Ibid.
510
Goffman, Erving, Les rites d’interaction, 1974, Paris, Editions de Minuit, p. 7.
511
Brandt, Keri, op. cit., p. 304.
507
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
104
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
doit être apprise par chacun. Il se peut cependant que cette grille de communication soit
apprise dans certains cas simultanément par le cavalier et le cheval. Mais même dans ce cas,
l’un doit savoir avant l’autre pour lui apprendre. Etant donné que ce langage est imposé par
l’homme à l’animal, c’est le premier qui apprend au second. Une fois ce code appris, c’est le
cheval qui apprend à l’homme, cela formant un cercle d’apprentissage où l’animal et l’homme
échangent leurs rôles en permanence. Mais aussi, si le savoir se transmet de l’homme au
cheval, puis du cheval à l’homme, au-delà d’un langage, c’est toute une corporéité qui passe
de l'un à l’autre. L’élève a ainsi de grandes chances de monter à cheval comme son professeur
avant lui, renforçant ainsi son rôle dans la continuation de l’apprentissage ou pas.
Les interactions entre cavalier confirmé ou homme de cheval (H), équitant apprenant
(E) et cheval (C) peuvent donc se schématiser ainsi :
Légende :
Verbal
Corporel
Verbal et corporel
Schéma 1 : relations d’apprentissage
H apprend à C, C permet à H d’apprendre encore, C apprend à E et H apprend à E. Le
système constitué fait que l’homme de cheval avec son corps créé le langage avec lequel il
communiquera avec le cheval. De ce fait, le cheval acquiert une manière de faire spécifique, celle
que propose H. Mais H apprend également à E en lui demandant une gestuelle qu’il a enseigné à
C. C, quant à lui, répondra à une demande telle que H lui demanderait. Sous les injonctions de H,
E doit pouvoir réussir à faire comme lui. Ainsi, au final, E montera comme H.
Cette transmission corporelle est tellement intime que l’idée semble passer par le corps,
puisque les mouvements du cavalier ou de la cavalière traduisent une idée ou un sentiment au
cheval512. Cependant, la communication apparaît dans le texte comme préexistante à tout
apprentissage. Relatant l’expérience à cheval « d’ignorants équestres », on nous évoque les
512
Ibid., p. 305.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
105
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
chevaux « qui savent » et qui profitent de la situation pour prendre l’avantage sur le
cavalier513. Elle nous évoque les savoirs empiriques des professionnels, qui deviennent
experts de la relation au cheval grâce à leur côtoiement quotidien. Se former à cette forme de
communication demande du temps et de l’expérience. Là encore, nous retrouvons l’image du
maître. Celui-ci est qualifié « d’interprète ». En effet, son rôle apparaît comme celui d’un
transmetteur technique mais aussi sensitif. En tant qu’observateur, il enseigne la belle
manière, la bonne manière afin de rendre efficiente la communication. Ainsi, traduisant les
réactions du cheval : « the trainer helps the rider understand what the horse is communicating
so that ultimately, when working together, the horse-rider combination can be united »514. Le
terme « ultimately » est sans aucun doute à considérer comme le plus important de l’ensemble
de la phrase. Car en effet, si le moniteur peut réguler les interactions entre les deux
protagonistes, il est peu probable qu’il puisse le faire hic et nunc. Le cavalier apprenant va-t-il
comprendre dans l’immédiateté le bon geste (schéma 1) ? Non, il sera plutôt amené à
commettre des erreurs, et en tirera parti. Donc le moniteur le reprendra sur la base de ses
erreurs de communication, qui ne manqueront pas de provoquer des mouvements non désirés
ou pas de mouvement du tout. Mais les deux interactants ne peuvent qu’être partie prenante
de la mise en place des outils communicationnels. D’où l’expression très usitée dans la
littérature équestre de « à vieux cavalier jeune cheval, à vieux cheval jeune cavalier »515. Les
cavaliers et les chevaux ont besoin d’établir une communication initialement basique. C’est ce
que Raimbault évoque comme de la « basse école », la « haute école » que nous avons déjà
évoqué constituant dans ce cas les outils de communication plus complexes visant à faire
exécuter au cheval les pesades, ruades, cabrer516. Ces bases sont celles sur lesquelles se
construiront les savoirs plus complexes. Puis, l’auteure enfonce en quelques sortes des portes
ouvertes en nous expliquant que tout enseignement équestre passe par le truchement du
moniteur ou de l’enseignant, qu’on soit cheval ou humain. Henriquet n‘avance pas autre
chose, quand il dit qu’au cours de l’histoire de l’équitation, aucun homme n’a jamais été
autodidacte517. Nonobstant cela, elle renforce encore la place du moniteur comme médiateur
central, et nous ne pouvons pas nous empêcher de questionner l’empreinte que laisse ce
moniteur par ses dires et ses faires sur l’élève. Au fil du temps, les cavaliers apprennent des
513
Ibid., p. 306.
Ibid., p. 307.
515
Pidancet-Barrière, Véronique, 2005, op. cit., p. 137
516
Raimbault, Jean-Claude, 2011, Petit dictionnaire équestre, Paris, Arléa, p. 52.
517
Henriquet, Michel, 2010, op. cit., p. 102.
514
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
106
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
combinaisons d’action de plus en plus poussées et nécessitant une capacité à mobiliser ses
membres de manière autonome518.
La dernière partie paraît sans doute la plus intéressante parce qu’elle semble refléter ce
que d’autres pratiques asiatiques laissaient appréhender. En effet, l’auteure souligne que
« horsepeople often say the best riders and horses are the ones who can go around the ring
and make it effortless, as if there are no visual signs of communication taking place »519.Or,
au sein des arts martiaux la pratique se fait de plus en plus subtile au fil de la progression. Elle
évoque également le silence qui s’impose dans la pratique subtile de haut niveau. La notion de
durée d’apprentissage apparaît là aussi flagrante d’un mode de fonctionnement rappelant les
pratiques en arts de combat. En effet, il est reconnu que ces derniers réclament un temps de
pratique d’autant plus long qu’on souhaite s’initier aux arcanes du plus haut niveau520. Elle
évoque ensuite la nécessité pour le cavalier d’être en total accord avec sa monture, le besoin
de bouger ensemble, de manière à ce que le corps du cavalier puisse agir sur celui du cheval
« in a shared body experience ». Elle ajoute que sans cette base empathique, la séparation des
corps est le seul résultat521. Là encore, la relation à la pratique guerrière est aisée. Prenons
l’exemple du judo522. Et plus précisément d’une projection, par exemple O Goshi. Celle-ci se
produit par le placement de celui qui projette, on l’appelle classiquement Tori, par rapport à
celui qui est projeté, appelé Uke. Tori vient placer ses hanches et son corps en contact et par
rapport à ceux de Uke. Ce placement accompli, il applique un couple de forces qui fait tourner
Uke et provoque la chute de ce dernier. C’est donc le contact étroit des corps et l'application
d'un couple de forces qui la produit. Celle-ci constitue ainsi un changement de la direction
initiale du projeté, qui n’aurait pas choisi cette direction de lui-même. Cette technique, bien
qu’écrite, doit évidemment s’adapter au corps de l’autre. Romain Compéun avait permis le
premier te tenter cette comparaison :
« Je fais toujours le rapport avec les arts martiaux et, c'est vrai que par
rapport à ce que tu dis sur le physique du cheval et bien si tu fais une projection en
judo, par exemple, tu as une forme de projection. On va dire, la planchette
japonaise, Tomoe nage. Enfin non, c'est pas un bon exemple.
518
Brandt, Keri, 2004, op. cit., p. 311.
Ibid., p. 312.
520
Henriquet, Michel, 2010, op. cit., p. 227.
521
Ibid.
522
Pujol, Jean, Abe, Ichiro, Le judo du Kodokan, 1953, Lyon, SNEP, pp. 52-53.
519
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
107
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Non mais je vois très bien ce que tu veux dire. Par exemple, t'as un gars en
face de toi. T'as la technique des arts martiaux, euh, je connais pas une figure
d'arts martiaux, mais tu peux m'en citer une, dis-moi?
Je sais pas euh, O-Goshi.
Et ben O-Goshi, par exemple, c'est écrit dans les livres qu'il faut l'exécuter
de telle manière, euh mais tu vas pas placer tes bras à la même hauteur suivant
le… Si tu te bagarres avec Mimi Mathy ou avec David Douillet. » (Romain
Compéun, 35 ans, entretien en face à face)
Il en va de même sur le cheval, dans ce cas. C’est l’action du corps du cavalier qui
induit les changements de direction du cheval. Cette étude basée exclusivement sur la relation
femme-cheval permet en tout état de cause de faire des liens avec les activités du domaine des
arts de combat. Il est regrettable que le choix ait été fait de n’orienter la recherche que vers les
femmes, mais il est néanmoins intéressant de remarquer ces points : l’activité se fait plus fine
et les efforts moins important au fil de la progression. Donc les femmes n’ont aucune raison
d’en être exclue, comme ce fut le cas par le passé. Cela va dans le sens des propositions de
Tourre-Malen sur la domination masculine. La sensibilité qui semble inhérente à la pratique,
bien que cette acception véhicule un certain nombre de clichés sexués, paraît toute indiquée
pour un genre qui a toujours été considéré comme plus subtil et plus sensible (là encore
suivant des stéréotypes largement diffusés).
Game propose également un travail portant sur la relation corporelle de l’homme et du
cheval dans un article au titre évocateur : « monter : incarner le Centaure »523. La lecture en
est malaisée parce que très ésotérique. Il semble en fait que l’ensemble de l’article soit une
réflexion sur le ressenti personnel de Game, écrit de manière très allégorique. L’optique de cet
article original est d’estimer que nul n’est purement humain ou purement cheval. L’un et
l’autre se contiennent au moins partiellement. Cette assertion étrange du point de vue
scientifique est en fait liée encore une fois à l’interactionnisme. Attendu que les hommes
vivent en permanence dans la société. « Through interconnectedness, through our
participation in the life of the world, humans are always forever mixed, and thus too have
what could be described as a capacity of horseness »524. La proposition que fait Game est
donc la suivante : chaque individu qui possède un animal fait continuellement l’expérience de
523
524
Game, Ann, Riding: embodying the Centaur, in Body & Society, vol. 7(4), pp. 1-12.
Ibid., p. 1.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
108
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
la communication inter espèces. Elle prend pour exemple ce qu’elle présente comme une
banalité, parlant de la capacité qu’auraient chiens et chats à être connectés aux sentiments de
leur propriétaire525. Pour elle, c’est le cheval qui nous accorde de bien vouloir être formé à la
pratique équestre. L’entraînement du cheval par l’homme induit nécessairement le mixage des
sociétés humaine et chevaline. Elle évoque ensuite la discipline du dressage. Elle fait un
rapport étrange, spécifique à la langue anglaise. Ainsi elle compare les vêtements qui ont le
« pouvoir magique » de faire ressortir la personnalité de l’individu, et le dressage du cheval
comme un processus de vivification. Il donne vie à la relation entre le cheval et le cavalier,
elle les engage tous deux dans l’activité526. En effet, en dehors de toutes les circonvolutions
littéraires de l’auteure, nous avons constaté que c’est l’homme qui donne en premier lieu le
dressage du cheval, et que ce dressage permet aux deux interactants de communiquer, elle les
engage tous deux.
Plus loin, elle évoque le rythme. C’est par celui-ci que vient se mettre en place la
communication entre le cheval et le cavalier. C’est grâce à lui que le corps à corps peut
fonctionner. Elle évoque le rythme musical grâce auquel le musicien peut communiquer sa
partition, mais aussi l’écrivain qui grâce au rythme donne sens au texte527. Celui-ci permet de
ressentir le mouvement du cheval. Et ce rythme est spécifique à l’animal, variable selon les
allures. Ainsi le rythme est-il la clé de la réussite du mouvement équestre, de la basse à la
haute école. En effet, si le mouvement de la jambe ou de la main n’est pas placé au bon
moment, au bon tempo, même une bonne technique ne produira aucun effet. Exactement,
encore une fois, comme dans les arts de combat. Un mauvais timing, un mauvais rythme
rendra la technique la plus parfaite complètement inefficace. Ce rythme fait partie intégrante
du mouvement équin. « In that moment I am with the horse »528. Ici encore, il nous est rappelé
que l’équitation n’est pas une question de force mais une question de sensations. Le trot assis
est pour l’auteure le meilleur moyen de ressentir cette intégration du Centaure. Elle nous
explique que la technique du trot assis consiste en l’absorption du rebond du cheval par la
mécanique du bassin. Le corps doit être « relaxé, ouvert et réceptif au rythme » du cheval.
Elle décrit bien une absorption du mouvement, comme si on retombait dedans. Elle tombe
vers le cheval alors que celui-ci s’élève vers elle. C’est cette réunion qui génère le
525
Ibid., p. 2.
Ibid., p. 4-5.
527
Ibid., p. 8.
528
Ibid.
526
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
109
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
mouvement. Le rythme, les mouvements de bassin induisent l’auteure à se poser la question
de « l’évidente connotation sexuelle de cette relation »529 classiquement évitée dans les textes
des manuels équestres. Elle n’ira pas plus loin dans cette observation. Car l’assiette, donc la
position à cheval dans la selle, donc le bassin, est le principal outil par lequel le mouvement et
le rythme sont absorbés et transmis. « The ‘correct’ classical seat is a position that facilitates
freedom of movements, rhythm and balance. The rider needs an upright, relaxed position, the
‘good’ posture of an open chest, relaxed shoulders and deep breathing. Grounded (weight
down in heels and seat) and tall (light, head in the air, held by the spine) and still, that is,
balanced »530. Cette description ressemble trait pour trait à la définition qui peut être réalisée
de la position du cavalier dans le Gi Cong !531 D’ailleurs, l’auteure fait elle-même référence
au Zen ainsi qu’aux thèmes privilégiés et aux positions spécifiques de ces pratiques. La
position la meilleure, que ce soit à cheval ou à pieds, est celle qui permet la manipulation des
énergies (Ki au Japon, Chi en Chine, Prana en Inde). Ces positions sont systématiquement
enracinées dans le sol et basées sur une respiration profonde. Enfin, elle envisage comme
Brandt la pratique sans fin que constitue l’équitation. « As with any skill – playing an
instrument, singing, surfing, writing – riding takes never-ending practice for the state
described as effortlessness to be attained »532. Ainsi pour l’auteure, toutes les pratiques qui ne
demandent pas un effort physique important sont infinies dans leur évolution. Il est dommage
qu’elle n’y ait pas inclus les arts de combat, dans la mesure où elle semble vraiment aller dans
cette direction. D’autant que la rhétorique qui est la sienne, proche de la sémantique Zen
laisse entrevoir cette possibilité : « This rider is in the riding, is the riding ».533
Nous retrouvons cette théorisation dans le texte de Wanless534, qui assume pour sa part
intégralement la vision des pratiques équestres en tant qu’arts guerriers. Non pas pour leur
historicité, car elle n’y fait pas allusion, mais pour les principes qui les construisent. En effet,
elle constate que pour les pratiques « martiales », la constitution d’un vrai savoir-faire se fait
sur le long terme. Elle considère en outre certains points communs factuels entre l’équitation
et les arts de combat. Ils mettent selon elle tous en avant un certain nombre de principes
fondamentaux : « They also contain an element of meditation, for they seek to generate a
529
Ibid., p. 9.
Ibid.
531
http://www.sportsregions.fr/data/telechargement/63425.pdf, http://www.sunsimiao.org/spip.php?article8,
consultés le 19 mai 2013.
532
Ibid.
533
Ibid., p. 10.
534
Wanless, Mary, For the good of the rider, 1999, North Pomfret, Trafalgar Square Books, pp. 223-234.
530
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
110
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
calm, focused state of mind as well as a high degree of awareness. Their ultimate aim is the
integration of body, mind and spirit ». En équitation aussi, pour elle, la pratique peut devenir
une « discipline de vie ». Laffon laisse supposer ce type de discours dans un opuscule de
« petite philosophie »535. Elle y évoque en passant d’une tradition à l’autre, d’une époque à
l’autre, en passant par l’Afrique, les Amériques, l’Asie, l’Antiquité, la Renaissance, le
bouddhisme, les différentes possibilités d’appréhender le cheval. Ainsi, elle évoque un
parallèle entre les arts guerriers et l’équitation puisque cette dernière permettrait de
« maîtriser sa peur, sa colère, comme les allures et le tempérament de chacune de ses
montures »536.
Birke présente l’étude du Natural horseman-ship (NH) au travers de deux enquêtes. La
première537 permet de situer la naissance de cette activité au vu du développement historique
de l’équitation au Royaume-Uni. La seconde538 offre autant une description de l’activité en
elle-même qu’un ensemble de représentations des pratiquants de leur pratique. La description
n’est pas particulièrement technique, mais porte plus sur la relation que les pratiquants
pensent avoir au sein de ce type de pratiques versus l’équitation classique. Son intérêt s’est
porté initialement sur ce sujet par curiosité face à la popularité croissante du NH, au
changement culturel qu’il représente et de ce à quoi la pratique prétend apporter au bien-être
du cheval. Elle rappelle au préalable que l’évolution de l’équitation a souvent autorisé
l’utilisation de la force pour contraindre l’animal. Néanmoins, user de la force peut se révéler
dans toute forme d’équitation dangereuse pour le cheval comme pour son cavalier539. Elle
constate, comme Digard en France, que des changements certains sont intervenus ces
dernières décennies dans les relations qu’entretiennent les humains avec leurs animaux540.
Elle fait d’ailleurs la même dichotomie entre le sport et le loisir que les auteurs français.
L’équitation classique se pratique dans des clubs à forte population de pratiquants pour
une faible population de chevaux. Elle permet de pouvoir acquérir au fil du temps une
technique difficile à intégrer. Le NH propose une relation plus suivie avec un cheval
particulier, avec lequel il est proposé de nouer des relations plus « intimes ». Il apparaît en
535
Laffon, Martine, Petite philosophie du cheval, 2009, Toulouse, Milan.
Ibid., p. 20.
537
Birke, Lynda, “Learning to Speak Horse”: The Culture of “Natural Horsemanship”, in Society and Animals,
15, 2007, pp. 217-239.
538
Birke, Lynda, Talking about Horses: Control and Freedom in the World of “Natural Horsemanship”, in
Society and Animals, 16, 2008, pp. 107-126.
539
Birke, Lynda, 2007, op. cit., p. 218
540
Ibid.
536
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
111
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
effet selon ces articles que les pratiquants de NH sont des déçus du système classique présent
en Angleterre541. Ils reprochent à cette tradition la violence exercée sur les chevaux et sur euxmêmes, le NH devenant un bon moyen de ne plus avoir à retourner sur le cheval après une
chute. Il s’agit donc d’une sortie du système classique542. Le NH serait né d’une image du
cowboy qui, malgré l’image rude (véhiculée par les westerns entre autres), se voit confiée une
capacité de rapport spécifique avec les animaux de rente. Rapidement marquetée par ses
premiers pratiquants, elle se développe rapidement aux Etats-Unis et en Europe543. Il existe de
nombreux NH, dont celui de Monty Roberts et de Pat Parelli. Cette pratique se veut, dans tous
les cas, basée sur l’observation de l’animal et, partant, sur l’éthologie scientifique544.
Les deux articles sont issus du même corpus de 48 personnes interviewées, (dont cinq
hommes), 14 en face à face, le reste par courriels et toutes pratiquant le NH545. Le défaut a
priori de ce choix, outre l’effet boule de neige utilisé, est de nuire à la diversité des
perceptions de la pratique, voire de la mise en miroir de leurs perceptions avec celles d’autres
disciplines équestres. Elle met cependant face à face les manières de faire au travers de son
expérience personnelle pour en constater les similitudes dans le sens d’une volonté imposée
quoi qu’il arrive par l’homme au cheval546. Elle s’appuie sur sa propre pratique de disciplines
classiques et compétitives547. La relation au cheval reste quoi qu’il advienne que le contrôle
disciplinaire du cheval est partie prenante du discours et des pratiques équestres548. C’est sur
le « comment » ce contrôle est exercé que se base les contentieux entre les différents modes
de pratique. Et c’est aussi le résultat qui importe. Il est alors moins technique et plus
sentimental : « Some owners referred to the romance of close relationships with horses » 549
au travers de l’apprentissage d’un « langage du cheval »550 Ainsi, la première phase du NH
consiste à faire comprendre au cheval qu’il n’est pas le leader. C’est donc par une contrainte
que commence le travail en liberté551. Mais quelle qu’elle soit, la communication entre les
deux espèces se fait nécessairement par le corps des deux protagonistes552.
541
Ibid., p. 219.
Ibid.
Birke, Lynda, 2008, op. cit., p. 112, 123.
543
Birke, Lynda, 2007, op. cit., p. 220.
544
D’où le vocable équitation éthologique utilisé en France.
545
Ibid., p. 221.
546
Ibid., p. 120.
547
Birke, Lynda, 2007, op. cit., p. 218.
548
Birke, Lynda, 2008, op. cit. p. 121.
549
Birke, Lynda, 2007, op. cit., p. 222.
550
Ibid., p. 225.
551
Ibid., p. 111.
552
Ibid., p. 121.
542
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
112
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Birke et Brandt proposent un travail commun portant sur le genre en équitation. Elles
parviennent pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis aux mêmes conclusions que TourreMalen553. Elles constatent par ailleurs que la femme professionnelle du cheval a dans son
métier les mêmes caractéristiques que l’homme : travail difficile et sale, tenue maculée et
spécifique au métier. Cependant, une fois sortie de son lieu de travail pour se rendre en
compétition, les atours féminins reviennent en force554. Les pratiquants de NH utilisant
abondamment le discours éthologique scientifique qualifient le cheval d’animal-proie au
réflexe primaire de fuite555. Elles font ici l’analogie avec les attributs classiques féminins en
tant qu’individus ayant besoin de dépasser leurs émotions. Ce type de pratique met donc en
avant le soin et la communication, valeurs également nommées comme féminines bien que la
majorité des enseignants soient des hommes. Elles y voient là encore un stéréotype classique
de contrôle556. Enfin, elles rappellent qu’avant d’être monté, un cheval doit être éduqué, que
celui-ci apprend au travers de son corps, comme le fait un humain557. Dans chacun des cas,
estiment-elles, l’apprentissage se fait jusqu’à devenir mémoire corporelle pour chacun des
deux protagonistes.
Savvides propose pour sa part une comparaison entre le NH et l’équitation de
dressage558. L’intérêt de son travail réside en la comparaison de ces deux perceptions de la
relation au cheval. Bien que ce travail reflète également les réflexions proposées dans notre
travail, certains points semblent poser problème. En effet, le travail est seulement basé sur des
entretiens (N=22). Ils sont réalisés uniquement avec des femmes australiennes qui peuvent
soit pratiquer le dressage (n=4) ou le NH (n=2), soit les deux activités à la fois (n=16). Les
entretiens sont faits soit en face à face, soit par téléphone, soit par courriel. Dans tous les cas,
il semble étonnant d’associer l’ensemble de ces trois façons de faire en un seul lot de résultat.
Il aurait semblé plus intéressant de diversifier les manières puis de les comparer. L’ensemble
aurait cependant fait un corpus trop léger par méthode. L’article porte sur la manière
d’envisager sa relation au cheval, et sur le conflit comme signifiant contemporain du dressage.
Elle prend pour cela l’exemple du « Rollkur559 ». L’auteure cherche donc à insister sur les
553
Birke, Lynda, Brandt, Keri, Mutual corporeality: Gender and human/horse relationships, in Women's Studies
International Forum, 32, 2009, pp. 189-197.
554
Ibid., p. 191.
555
Ibid., p. 194.
556
Ibid., p. 195.
557
Ibid.
558
Savvides, Nikki, Communication as a Solution to Conflict: Fundamental Similarities in Divergent Methods of
Horse Training, in Society & Animals, n°20, 2012, pp. 75-90.
559
Le Rollkur, ou encapuchonnement, consiste pour le cavalier à abaisser la nuque du cheval et ramener le
chanfrein (le nez du cheval) en arrière de la verticale. Cette technique, issue de l’école allemande, est vivement
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
113
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
similitudes existantes entre le dressage classique, qu’il soit compétitif ou non, et le NH. Elle
explique ainsi ce qu’est l’équitation de dressage : “Dressage is in the movement of the rider’s
hands, balancing the horse’s movement and holding the animal in the frame in which his or
her body works with optimum efficiency and grace. At a more advanced level, dressage exists
as a proximity of relation between horse and human”560. Elle ajoute qu’à haut niveau le
mouvement est invisible. Par ailleurs, il est précisé que le cavalier doit être
« kinesthésiquement intelligible » pour le cheval afin d’être compris de lui561. Ici, on constate
que manifestement, encore, ce sont les corps qui sont la clé de la communication hommecheval. Mais rien, encore une fois, ne permet de comprendre ce qu’il se passe à cheval. Citant
ensuite des auteurs et champions internationaux, elle nous indique que la relation à l’animal
passe par la mise en place d’une conversation dans laquelle le cavalier doit s’accommoder au
plus près du langage du cheval562. Le Natural Horseman-ship est ensuite présenté comme
naturel car il est basé sur la manière dont fonctionnent les chevaux. Il faut donc agir avec lui,
au sol ou sur lui, comme si le cavalier était un congénère du cheval. Le zoomorphisme que
cela implique saute aux yeux. La communication y est donc toute aussi fondamentale. C’est
en cela pour l’auteur que les similitudes peuvent se faire jour entre les deux relations au
cheval, bien que les deux méthodes soient considérées comme divergentes563. Comme on l’a
vu avec les auteurs français, la dichotomie existante entre les types d’équitation paraît à
l’étranger relever des mêmes effets. L’auteur indique par ailleurs que pour les personnes
pratiquant l’une ou l’autre des activités, celle qu’ils ne pratiquaient pas était nécessairement
plus mauvaise que la leur, et cela alors qu’ils n’en avaient aucune connaissance. Cela est un
point intéressant qui nécessitera d’être vérifié dans notre échantillon. Les différences se font
également par la perception qu’ils ont du rapport au cheval. En effet, le cavalier de dressage
porterait une plus grande attention à sa position et son équilibre contrairement aux pratiquants
de NH qui s’occuperaient d’abord du cheval. Ainsi ces derniers estiment que les dresseurs
sont cruels564. Il semble surtout que ce soit ce « Rollkur », ou hyper-flexion de l’encolure,
dont l’auteur s’attache à rendre compte de la dangerosité, qui soit en ligne de mire. C’est
critiquée par un certain nombre de cavaliers demandant un changement radical à la FEI sur ce point. En effet, il
apparaît que cette technique, outre le fait d’apporter techniquement un « faux » équilibre du cheval, provoquerait
des lésions dangereuses à l’animal.
Karl, Philippe, Dérives du dressage moderne. Recherche d’une alternative classique, 2006, Paris, Belin, pp. 2427.
560
Savvides, Nikki, 2012, op. cit., p. 78.
561
Ibid., p. 82.
562
Ibid.
563
Ibid., p. 79.
564
Ibid., pp. 81-82.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
114
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
probablement dans un rejet de cette pratique selon Savvides que le Natural horseman-ship
puise ses pratiquants565. Les tenants d’un tel rejet existent également en France, et Philippe
Karl, cavalier et ancien écuyer du cadre noir de Saumur, en est l’un des principaux fers de
lance566. Enfin, le reste de l’article précise que l’évitement des conflits serait plus évident sur
la base d’une meilleure communication avec l’animal. L’article pose surtout la question de
savoir ce qui différencie vraiment le Natural horseman-ship de l’équitation traditionnelle. En
effet, les deux types de pratique ont quoi qu’on en dise l’objectif de pouvoir interagir avec le
cheval, donc de communiquer avec lui. Il semble que la priorité initiale ne soit pas accordée
au même sujet. Dans le NH, le cheval apparaît premier, dans le classique, le cavalier a la
priorité. Mais il est permis de penser que d’avoir une position correcte à cheval ait
partiellement au moins pour but d’éviter les souffrances au cheval. L’idée de « penser comme
un cheval »567 peut éventuellement du point de vue scientifique être considérée comme une
hérésie pure et simple. Le gouffre communicationnel séparant l’homme du cheval peut être
également considéré comme normal entre deux espèces différentes. La difficulté à rejoindre
ses congénères pour l’homme est déjà en soi un exemple des difficultés à vouloir interagir
avec l’animal. Par ailleurs, le fait que les pratiquants de NH puissent être également des déçus
du classique peut provoquer les tensions existantes entre ces deux activités. De même que les
pratiquants classiques puissent rester froids devant cette pratique, quand eux n’ont jamais été
déçus de leur expérience. Quoi qu’il en soit, il apparaît au vu de l’ensemble des remarques
relatives au corps que l’abord du ressenti équestre ne puisse se faire que d’une manière
empirique, que par l’usage de son propre corps568. C’est par la pratique que sera possible la
captation des spécificités de l’activité. C’est en mettant en jeu le corps comme outil de
recherche que la réalité intime de la pratique sera accessible.
565
Ibid., p. 83.
http://www.philippe-karl.com/wcms/ftp//p/philippe-karl.com/uploads/briefphilippekarl_fn270309_fr.pdf,
consulté le 24 juillet 2013.
567
Ibid., p. 87.
568
Il existe des simulateurs équestres. Le plus connu est celui de Saumur, Persival. Il présente l’intérêt de
pouvoir améliorer la position du cavalier et ses mouvements de bassin et éventuellement de vaincre certaines
appréhensions. Il a également le mérite d’épargner les chevaux, qui sont directement soumis aux erreurs des
cavaliers débutants. Son usage est malgré tout à ce qu’il semble assez peu répandu, et le modèle de Saumur ne
sert plus qu’à la recherche scientifique.
Sources : http://archimede.datacenter.dsi.upmc.fr/revue-eps/media/articles/pdf/70266-45.pdf, consulté le 29 juin
2013.
http://simulateur.clergerie.free.fr/simulateur.htm, consulté le 29 juin 2013.
http://www.equinfo.org/saumur/, consulté le 29 juin 2013.
http://www.cadrenoir.fr/persival, consulté le 29 juin 2013.
566
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
115
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La paillardise équestre : à tort ou à raison ?
L’accueil des femmes dans le milieu équestre ne s’est pas fait sans heurts, nous l’avons
déjà vu. Le passage de l’équitation amazone à l’équitation à califourchon a permis aux
femmes de rentrer dans ce monde militaire, masculin… qui l’est resté. Tourre-Malen explique
ainsi que traditionnellement, « un « vrai » cavalier se devait d’être « porté sur les femmes » »,
et propose un proverbe du 16e siècle cité par Roche : « chemins jonchus et cons velus sont fort
propres à chevaucher »569. Même à notre époque, les stéréotypes continuent d’être véhiculés
dans cette sphère sociale, comme nous l’évoquions avec la poitrine et les problèmes qu’elle
peut causer un peu plus tôt, ou les réflexions sexistes qui perdurent dans les centres équestres
ou durant les compétitions. La position du cavalier donne à la cavalière un tenu « poitrine en
avant » des plus marqués, et parfois marquant. Les chevaux les plus durs restent encore
attribués aux hommes, et lors des compétitions, en cas d’ex-aequo, l’homme laisse la
première place à la femme. L’auteur estime que cette tradition trouve sa source dans
l’aristocratie « où les femmes étaient en représentation »570. La référence à Elias paraît aller
de soi. La courtoisie n’est-elle pas la mise en scène de la déférence du sexe fort au sexe
faible ?
L’activité en compétition, avec la voile ou d’autres sports de nature571, est l’une des
seules à permettre la confrontation sur un terrain équitable entre hommes et femmes572 . Etant
moins nombreuses que les hommes, statistiquement, elles ont moins de chance de remporter
des victoires. Les médias eux-mêmes tendent à rendre compte de ces événements comme de
surprises, de cas exceptionnels, quelles que soient les disciplines. Aussi, la FFE a décidé de
proposer une compétition spécifique aux cavalières, sans grand succès573. L’inverse serait
étonnant, tant dans d’autres disciplines, des femmes souhaiteraient affronter les hommes, cela
leur restant interdit574.
Les représentations de l’équitation, l’image qu’elle donne et ce qu’elle induit peuvent
être troublantes. Evoquant « l’aventure amoureuse » qui lie le propriétaire à sa monture,
569
Tourre-Malen, Catherine, 2006, op. cit., p. 84.
Ibid., p. 87.
571
Ibid., p. 88.
572
Il existe également des compétitions mixtes de « team gym », non olympique.
Source :
http://www.ffgym.com/ffgym/mediatheque/photos/2012/championnats_d_europe_de_team_gym/competition_se
nior_equipes_mixtes, consulté le 29 juin 2013.
573
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 92.
574
http://www.lemonde.fr/sport/article/2012/11/04/lindsey-vonn-privee-de-descente-face-auxhommes_1785433_3242.html, consulté le 28 mai 2013.
570
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
116
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Tourre-Malen utilise les textes de Garcin et les commentaires de ses témoins pour mettre en
lumière le « coup de foudre » qui peut exister à l’achat d’un cheval575. Cette relation
particulière là encore est véhiculée par les magazines spécialisés, laissant accroire à leurs
lecteurs parfois que la relation sera réciproque et donc partagée. Mais plus prosaïquement,
c’est de l’assiette que transparaît l’érotisme de la situation. Car le corps à corps de l’humain et
de l’animal se faisant en premier lieu par le bassin, et « c’est en « s’offrant », au plus près du
contact avec l’animal » qu’on permet la communication. « La posture à califourchon soumet
ainsi le siège physique de la génitalité à une « titillation particulière » (Bourlet ; 2001 :
134) »576. Tel que le dit sans jambages l’auteure : « Considéré objectivement, l’acte de monter
à cheval consiste en une longue série de mouvements rythmiques, jambes bien écartées et en
contact étroit avec le corps de l’animal »577. On comprend ainsi mieux pour quelles raisons
les hommes ont pu souhaiter se réserver une activité qui, laissée aux femmes et manifestement
à leur perception masculine, ne pouvait qu’amener celles-ci au trouble. L’anatomie masculine
tend à rendre difficile les débuts de la pratique lorsque les femmes mettent clairement en
contact l’ensemble de leur intimité à la selle ou au cheval, avec force pressions, mais sans le
même risque de compression, voire d’écrasement. L’auteure indique que ce n’est pas sans
incidence sur les découvertes sexuelles de certaines femmes578. On constate ainsi que les
tiraillements tant historiques que factuels et intellectuels de la sphère équestre aient pu tourner
autour de la symbolique sexuelle. Celle-ci, loin s’en faut, ne semble pas avoir disparu de nos
jours. Il y aura sans doute intérêt de porter attention à cette perception de nos jours, de tenter
de constater si elle reste présente et si oui, quelle est sa place dans les représentations actuelles
de l’équitation.
Loisir, plaisir, art et sport
Les études les plus récentes font état d’un changement des mentalités par rapport aux
pratiques équestres. Ce changement serait sans doute moins un changement qu’une évolution
allant en droite ligne de l’évolution globale de la pratique des activités physiques et du loisir.
Justement, il apparaît quelque chose d’étrange dans les positionnements pris par les
différents auteurs au sujet des évolutions en cours au niveau équestre. Si Digard estime que
575
Tourre-Malen Catherine, 2007, op. cit., p. 159-157.
Ibid., p. 167.
577
Ibid., p. 168.
578
Ibid., p. 173.
576
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
117
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
« les changements survenus sont enfin et surtout culturels [via] une nouvelle culture équestre,
baroque (aux pratiques de plus en plus diversifiées, empruntées à des horizons culturels
variés) »579, c’est pour ajouter qu’il s’agit de pratiques hédonistes et sentimentales ; ajoutant à
l’hédonisme qu’il s’agit alors de « la recherche du plaisir plutôt que de l’effort sportif ». Il
laisse apparaître dans son discours un jugement de valeur, quand bien même fusse à son corps
défendant, qui paraît négatif, puisque toujours basé sur une comparaison avec le sport, « fondé
sur l’effort et la compétition », et le loisir « hédoniste et ludique »580. Ce type de
commentaires orientés se trouve dans d’autres textes du même auteur. Ainsi, il évoque les
pratiques des « nouveaux cavaliers » provenant en droite ligne des Etats-Unis581, et appelées
relativement maladroitement, abusivement et surtout approximativement « équitation
éthologique » en France582 en lieu et place de Natural Horseman-ship, littéralement
« conduite de l’homme de cheval au naturel ». Il semblerait en fait que cette désignation
« d’équitation éthologique » soit l’œuvre initialement d’un journaliste583 contrairement à ce
que laisse entendre Tourre-Malen584. Une nouvelle analogie semble pouvoir être issu de ce
fait : le terme d’art martial avait lui aussi été la création d’un journaliste, partant d’un terme
chinois traduit approximativement. Quoi qu’il en soit, la FFE se distingue là encore par sa
capacité d’absorption, puisque suite à l’apparition de ces pratiques et afin de « ne laisser
s’échapper aucun licencié potentiel »585, elle a créé des savoirs fédéraux d’équitation
éthologique.
Le texte de Digard à ce sujet ressemble plus au parti pris, à la charge avec le titre « la
tocade de l’« équitation éthologique » »586 ! Il semble que tout soit bon pour critiquer cette
pratique, y compris se référer à une quatrième de couverture587, outil marketing par
excellence588, d’un livre traitant d’un des chefs de file du mouvement. Le texte est à l’avenant,
579
Digard, Jean-Pierre, 2009, Op. cit., p. 6.
Digard, Jean-Pierre, 2003, Evolution et place des sports en général et des sports équestres en particulier dans
notre société, in 29e journée de la recherche équine, 2003, Paris, Haras Nationaux, pp. 123-124.
581
Digard, Jean-Pierre, 2004, Op. cit.
582
Equitation éthologique, utilisez-la à bon escient, in Cheval Magazine n°492, novembre 2012, pp. 32-35.
583
Malgré nos investigations, nous n’arrivons pas à établir cette information avec certitude. Mais plusieurs
sources laissent à penser cela :
http://www.allege-ideal.com/content/mise-en-garde-ethologie-ou-brutalit%C3%A9-gratuite?page=2,
http://equus.forumactif.com/t104-article-contre-l-equitation-ethologique (réponse du 17 janvier, 13h01),
http://www.1cheval.com/membre/forum/ethologie/sujet-230399-19-arguments-pour-ou-contre-les-enrenements
(réponse du 1er mai 2012, 9h58), consultés le 10 avril 2013.
584
Tourre-Malen, Catherine, 2007, op. cit., p. 222.
585
Digard, Jean-Pierre, 2004, Op. cit., p. 4.
586
Ibid.
587
Ibid., p. 5.
588
http://www.rue89.com/rue89-culture/2012/12/16/livres-la-quatrieme-de-couverture-ou-la-surencherecommerciale-237380,
580
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
118
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
déplorant en conclusion que les « nouveaux cavaliers », adhérant à la logique marketing de
l’objet, avec son corollaire du mythe du cavalier indien, sont complètement « coupé de toute
culture équestre vivante »589.
Tourre-Malen évoque également « l’équitation éthologique » pour en faire une critique
sévère590. Le discours est orienté dans le sens où le nom est perçu comme un biais commercial
volontaire des tenants de la pratique en France, ce que nos recherches initiales tendent à
infirmer. Basée sur une comparaison d’un terme impropre avec son pendant scientifique,
l’éthologie, le constat est fait que cette pratique américaine est elle-même une rupture d’avec
d’autres pratiques plus anciennes, plus violentes. Le problème vient de la rupture qui existe
en France avec l’équitation classique, notamment du fait de ce nom qui a été attribué et
généralisé à cette pratique. Il est fort probable en effet que les personnes se dirigeant vers ces
« nouvelles » pratiques le fassent par rejet d’un monde équestre classique. Peut-être que ce
rejet est justifié par une dominance par trop compétitive des clubs et qu’il s’agit là d’un refuge
pour des pratiquants différents, et pas uniquement – bien que certainement aussi – pour des
femmes en « manque » de pratiques plus proches de l’animal. Il existe pourtant des
compétiteurs qui font l’apologie de ce type de pratiques, avec tout le cortège de conseils
diététiques et de sophrologie comme autant de moyens d’améliorer ses performances591. Une
critique doit être faite cependant aux propos de ces deux auteurs. En effet, Digard semble se
faire le gardien d’une orthodoxie de la pratique traditionnelle, paniquant – peut-être à
raison592 – devant ces nouvelles pratiques qui conduisent à de nouvelles relations avec le
cheval. Tourre-Malen, pour sa part, a un discours plus nuancé, mais nous ne pouvons que
regretter que l’analyse, voire le jugement d’une activité, puisse être fait uniquement par appui
sur la littérature existante, nécessairement orientée dans la presse spécialisée en faveur ou
défaveur de l’activité. Il aurait été plus judicieux de faire ou proposer une étude in situ, d’aller
voir comme dans les centres équestres ce qui se fait dans ces centres « éthologiques », ou de
réaliser des entretiens avec certains de leurs thuriféraires et zélotes. Cette piste n’est pas à
ignorer, ne serait-ce que pour obtenir une vision plus précise des « forces » en présence.
http://www.definitions-marketing.com/Definition-Quatrieme-de-couverture, consultés le 11 avril 2013.
589
Ibid., p. 6.
590
Tourre-Malen, Catherine, 2007, op. cit., pp. 221-226.
591
Robert, Michel, Secrets et méthodes d’un grand champion, 2003, Paris, Belin.
592
Les événements récents invitent à prendre au sérieux les remarques de Digard. En effet, l’un des agriculteurs
participant à une émission de « dating » télévisuel en 2013 s’est vu judiciairement mis en cause dans ses
traitements aux chevaux par des associations.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/914683-l-amour-est-dans-le-pre-thomas-accuse-de-cruaute-envers-soncheval-doit-il-partir.html, consulté le 23 août 2013.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
119
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Le discours virulent de Digard n’empêche pas l’auteur de constater que ces pratiques,
majoritairement « à pieds », comparant ceux-ci aux concours d’Agility canins593, alors que les
caciques de l’activité équestre valorisent ce même travail à pieds dans la pratique classique, et
que la FFE, dans la nouvelle mouture des galops introduite en septembre 2012 réintègre au
sein de ceux-ci le fameux travail à pieds. Il reconnaît cependant ces activités comme étant
porteuses de valeurs, indubitablement dans l’air du temps. Aussi, nous emploierons le terme
« équitation naturelle » afin d’éviter l’écueil du qualificatif « éthologique », trop troublant.
Naturelle ne peut s’entendre stricto sensu. Aucune équitation ne peut être qualifiée de
naturelle dans la mesure où elle est une création humaine avec une visée de communication
avec l’animal, voire de « contrôle de l’animal ». Il convient plutôt de l’imaginer comme une
recherche, de la part de ses pratiquants, d’une communication allant dans le sens de ce que le
cheval comprendrait le mieux.
Les jugements orientés ne sont pas l’apanage d’un auteur. Tourre-Malen, dans un
compte rendu d’enquête menée en 1999594 évoque pour sa part les changements de la pratique
alors, évoquant « le goût du public pour l’équitation de loisir ». Basée sur des entretiens de
moniteurs (combien et dans quelles conditions, cela n’est pas précisé), l’enquête est orientée
selon une logique propre aux enseignants interrogés. Mais il est impossible dans le texte de
définir qui qualifie de « dérive vers l’équitation de loisir » la situation en cours à l’époque. Le
vocabulaire utilisé dans ces articles laisse pensif : pour quelles raisons oppose-t-on le loisir à
l’effort sportif ? Généralement, le concept de loisir, via Dumazedière de nouveau et entre
autres, est mis en rapport, versus celui de travail. Alors, dans ce cas, cela veut-il dire que le
pratiquant d’équitation sportif est vu comme plus « professionnel » dans sa pratique que le
pratiquant de loisir ? Le pratiquant d’équitation-loisir est-il nécessairement oisif dans sa
pratique ? Si les pratiquants d’équitation font quel que soit le cas un loisir, quelles sont les
autres horizons de pratique en-dehors de la compétition ? Cette dichotomie, au vu de
l’hypothèse que nous avons évoquée de la multiplicité des pratiques équestres, paraît limitante
au regard du monde social qui nous intéresse ici. Limiter la possibilité de pratique à deux
options : sportive ou hédoniste, ne rend pas compte de l’ensemble des publics. Il est possible,
via les représentations de leurs élèves des professionnels, que nous puissions voir émerger
d’autres modes de pratique de nos jours.
De même, dans les travaux menés tant par Chevalier que par Le Mancq ou une grande
partie des auteurs, l’équitation n’est vue qu’au travers l’enseignement dans les centres
593
594
Digard, Jean-Pierre, 2004, Op. cit., p. 5.
Tourre-Malen, Catherine, 1999, op. cit.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
120
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
équestres. Or, certes comme le dit Tourre-Malen, les moniteurs sont les « vecteurs de la
technique mais aussi dans une large mesure de la culture équestre ». Elle ajoute que « La
charge culturelle acquise au cours de la vie cavalière de l'enseignant est composée d'un
ensemble de valeurs qui détermine les représentations qu'un enseignant a de l'équitation, de
ce qu'est, pour lui, ou doit être un cavalier, de ce que doit être un cheval. Cette charge
culturelle est liée souvent à une vision sportive de l'équitation (goût de l'effort, performance,
courage...) ». Même si nous ne pouvons que tomber d’accord avec la première partie de ce
second propos, la fin tend à enfermer encore plus la perception du monde équestre dans une
réalité toute dédiée au seul sport. D’autant que le goût de l’effort ou la performance ne
peuvent en aucun cas être laissées à cette seule option. Ces assertions supposent d’y adjoindre
deux éléments a priori fondamentaux supplémentaires : d’une part, l’enseignement de
l’équitation peut se faire en-dehors des centres équestres, grâce à des intervenants extérieurs
(souvent plus chers que leurs homologues de centre équestre), mais d’autre part la culture
équestre et la vision d’un savoir donné sont aussi liées aux personnalités qui donnent à voir
cette équitation. Les dresseurs, personnes de spectacle, auteurs, cavaliers au long court
véhiculent dans leurs images ou leurs écrits autant de variation d’une activité qui ne peut en
aucun cas être vue comme le simple reflet des textes fédéraux, encore moins dans une seule
visée sportive et compétitrice. La FFE présente la particularité de permettre en son sein la
pratique de la pluralité des formes équestres (en incluant la monte western et la doma
vaquera, par exemple). Cela ne signifie pas pour autant que la fédération contrôle entièrement
la pratique équestre. Et se limiter comme c’est généralement le cas soit aux centres équestres,
soit aux compétiteurs (généralement issus d’un parcours spécifique aux centres équestres,
comme l’ont démontré tour à tout Chevalier et Le Mancq) n’offre qu’une vision biaisée et
partielle du monde équestre. Il est d’autant plus intéressant de noter que si les cavaliers se
positionnent par rapport à ce « sérail » des sportifs, c’est bien parce qu’il y a d’autres
orientations possibles par rapport à celui-ci plutôt qu’un vague « loisir » qui serait différent du
sport. Il conviendrait de mettre en évidence cette variété dans ce travail. Notre objectif sera
donc de multiplier les origines équestres des témoins afin de croiser leurs informations, de
constater en quoi ils se différencient, en quoi ils se rapprochent, pour mieux comprendre ce
qu’est l’équitation aujourd’hui au travers du regard de ceux qui la font exister.
A ce propos, Franchet d’Espèrey évoque le rapport de l’art et du sport, et constate que
« l’équitation pratiquée actuellement, à quelques exceptions près, semble marquée par
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
121
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
l’abandon du principe d’économie des forces »595, principe semble-t-il fondamental en
équitation de tradition française596. En cela, il nous évoque immanquablement la situation du
judo : le beau judo versus le judo sportif avait quelque chose de fortement similaire à cette
situation. Aussi tente-t-il d’expliquer cette différence entre l’art et le sport, sans y arriver tout
à fait. Basculant de l’art à l’artiste, et donc au spectacle, il ne peut arriver qu’à la conclusion
que ce qui sépare l’art du sport est la grâce. Il en arrive à la conclusion pessimiste que la seule
perspective de l’art est de finir en spectacle597, comme d’un dénouement logique de l’histoire.
Il en oublie même son propre cheminement auprès de Bacharach, qui paraît fonctionner endehors de cette alternative. Mais il propose ailleurs une vision très intéressante de la pratique
beaucoup plus ouverte. A cette époque de « la vague du free et du fun, de la recherche du
bien-être et de la convivialité »598, l’auteur évoque la multiplicité des pratiques et des tenants
et aboutissants actuels d’une activité qui n’est plus du tout « une ». Renvoyant à une vision
d’un nouveau rapport au corps et au monde599, il induit les pistes à suivre. Ainsi, il reconnaît,
outre le versant sportif « la maîtrise de l’autre », l’équitation académique « la maîtrise de
soi », l’action altruiste « représenté[e] par Handi-cheval », « l’appel des grands espaces » (le
tourisme équestre et le voyage au long cours) et le « retour à la nature », représentée par les
tenants de l’éthologie. Il critique à ce moment-là une destruction opérée par
l’institutionnalisation de la pratique, qui a vidé l’aspect relationnel, affectif et chaleureux d’un
enseignement traditionnel. Il éprouve le besoin d’explorer « l’autre versant de la
transmission, celui qui court de maître à élève » en citant l’exemple de Baucher600. On le
comprend au fil des pages : il en est un « descendant » équestre direct.
595
Franchet d’Espèrey, Patrice, 2007, op. cit., p. 178.
http://documentation.equestre.info/dossiers-articles/le-cadre-noir-historique/18-l-equitation-de-traditionfrancaise-le-cadre-noir-inscrit-au-patrimoine-immateriel-de-l-humanite-par-l-unesco-le-27-novembre-2011,
consulté le 29 juin 2013.
597
Ibid., p. 84.
598
Ibid., p. 82.
599
Le Breton, David, La sociologie du corps, 1992, Paris, PUF.
Héas, Stéphane, 1996, op. cit.
600
Ibid., p. 212-213.
596
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
122
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
II – 2 La transmission du savoir au fil des siècles : la relation maître-élève
Pour Franchet d’Espèrey, « c’est en France que la pratique et la théorisation de l’équitation
savante atteignirent leur plus complet développement601 ». Nombre de cavaliers, d'écuyers ont
laissé au fil du temps leur marque sur l'équitation. De La Broue à Bacharach, ce sont cinq
siècles d’une construction technique de l’activité que nous pouvons observer. Nous voyons
ainsi les améliorations, les régressions, qui ont eu lieu au fil du temps. Cette évolution permet
également de mieux comprendre ce qu’est l’équitation aujourd’hui, et toutes les composantes
qui s’affrontent et se répondent encore et toujours. Nous avons choisi d’évoquer les analyses
de textes équestres de Franchet d’Espèrey et d’Henriquet. Le choix de ces deux auteurs n’est
pas innocent. Le premier se revendique comme un élève de René Bacharach, dernier disciple
reconnu comme tel de la tradition bauchériste par filiation directe. En effet, Bacharach côtoya
Beudant à Saumur, qui lui-même échangea avec Faverot de Kerbrech, élève de Baucher602. Le
second fut lui aussi élève de Bacharach, mais se détourna de lui pour suivre Nuno Oliviera.
Henriquet s’en explique à l’abord de l’analyse des textes de Baucher. « […] aux années que
nous avons consacrées à l’application scrupuleuse de la Méthode d’équitation sous l’autorité
du dernier bauchériste en ligne directe, René Bacharach. […] Bacharach n’excluait pas un
intégrisme bauchériste très radical, lui faisant refuser les moindres remises en question de la
Méthode, même celles des disciples contemporains du Maître. A Regret, nous dûmes en sortir
par une rupture et la rencontre – étalée sur trente années – avec le Maître Nuno Oliviera, le
seul à ce jour à avoir réalisé la fusion in libro et in vivo entre les bonnes novations
bauchéristes et la tradition intégrale de l’Ecole de Versailles »603. Cette rupture n’est pas un
élément anodin, en tous cas pas pour une frange des équitants actuels. Lors de recherches sur
internet, nous avons pu accéder à une page facebook© dédiée à François Baucher. Le 18
janvier 2012, lors d’un débat initié par l’une des membres, la discussion évoque René
Bacharach et la « trahison » d’Henriquet604.
601
Franchet d’Espèrey, Patrice, 2007, op. cit., p. 56.
Ibid., p. 30.
603
Henriquet, Michel, op. cit., pp. 281-282.
604
https://www.facebook.com/groups/39540155872/permalink/10150606052985873/
602
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
123
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Par ailleurs, Patrice Franchet d’Espèrey et Michel Henriquet sont deux personnalités
reconnues du monde équestre. Le premier605 est écuyer au Cadre Noir de Saumur et
responsable du centre de documentation de l’ENE. Il est également le légataire officiel de la
bibliothèque de René Bacharach. Le second606 est un dresseur et entraîneur célèbre pour sa
littérature. Ils sont tous deux reconnus par leurs pairs comme érudits et savants dans leur
domaine. Tous deux enfin revendiquent une équitation différente de la pratique sportive.
Même si Henriquet prépare sa femme aux compétitions internationales de dressage, il ne
manque pas de décrier ce que nombre de personnes observent à ces compétitions comme étant
en complet décalage avec le règlement607.
Du 16e au 19e siècle
L’évolution de la pensée équestre nous est donc offerte par ces deux auteurs et permet de
comprendre la constitution de la discipline guerrière en art. Le texte d’Henriquet se veut une
analyse objective, à l’aune de ses savoirs acquis et de son érudition, des œuvres équestres. Il
opère une évaluation de chacun des textes nous permettant de connaître la paternité des
trouvailles équestres, les évolutions positives et négatives au fil du temps. Le texte de
Franchet d’Espèrey est plus introspectif. Publication d’une thèse de doctorat en sciences de
l’éducation, il donne à voir l’évolution de l’auteur, sa formation par Bacharach et les échanges
qu’il a eu avec lui, ainsi qu’une vision générale de l’évolution des techniques équestres. La
personnalité même de Bacharach semble chez lui revêtir une aura liée à son expérience
personnelle extrême-orientale608. Le travail d’Henriquet basé sur les écuyers français révèle sa
logique au détour de la présentation des auteurs du 18e siècle : il semble qu’alors
« l’équitation qui fut d’abord de tradition ibérique, puis italienne devient de tradition
française ». L’importance que revêtait à ce moment les principes équestres transmis par les
auteurs offrait à la plupart d’entre eux un « prestige [qui] rayonnait au-delà des frontières du
royaume »609. Quoi qu’il en soit, Roche estime, dans son avant-propos au livre d’Henriquet,
que le programme que constituent ses analyses et remarques coïncident « avec un mouvement
général, comparable à celui développé pour la société entière dans le contrôle de la violence
605
http://equitation-francaise-baucher.fr/, consulté le 25 juin 2011.
http://www.henriquet.fr/, consulté le 25 juin 2011.
607
Henriquet, Michel, 2010, op. cit., p. 316.
608
Franchet d’Espèrey, Patrice, 2007, op. cit., p. 38.
609
Henriquet, Michel, 2010, op. cit., p. 103.
606
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
124
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
et des affects qu’analyse Norbert Elias. Il est conquête d’une action mesurée qui fait sortir
cavaliers et cavaleries de l’âge des aides douloureuses qui ne surprennent personne dans la
vie banale des sociétés traditionnelles pour entrer dans une activité plus pacifiée et plus
équilibrée entre l’homme et l’animal » 610. En effet, au Moyen-âge « le chevalier ne possède
ni école, ni beaucoup de principes équestres. Ses modèles sont ces guerriers formés sur le
champ de bataille »611. Les techniques, voltes, demi-voltes, pesade seraient la résultante des
techniques de combat de cette époque612.
Mais à partir de l’apparition des premiers traités se conçoit une forme de filiation, de relation
de maître à élève que Franchet d’Espèrey résume dans son titre de chapitre 2 : « Tout cavalier
a besoin d’un père ». Il va jusqu’à estimer que « la transmission de l’art de monter à cheval
puisse relever aussi de la tradition initiatique »613. Henriquet estime également que « quelle
que soit l’époque, même la nôtre, on ne trouve aucun autodidacte sérieux en haute équitation.
Tous les écuyers de quelque qualité se rattachent toujours à une filiation spirituelle »614.
Thème intéressant s’il en est : cette filiation spirituelle montre deux choses socialement
fondamentales. La première, c’est que le versant sportif de l’activité équestre ne peut qu’être
fortement contrebalancé par tout un pan social pour lequel, dans cette discipline, le sport n’est
en aucun cas l’objectif. Les deux auteurs font montre d’une exigence de pratique n’allant pas
du tout en direction des critères de performance sportive. Ainsi, tout comme dans les arts
guerriers, un continuum de pratiques peut raisonnablement être envisagé. En second lieu, les
filiations évoquées – et le cas d’Henriquet lui-même en est le meilleur exemple – ont fait la
vigueur du monde équestre et le font sans doute encore. Pour appréhender ces filiations de la
meilleure manière possible, nous proposons le schéma suivant pour évoquer cette
transmission pluriséculaire des savoirs équestres et leurs conséquences sur l’équitation du 21e
siècle. Loin de valoir le travail effectué par Bacharach615, d’une complexité certaine, celui-ci
610
Ibid., p. 16.
Ibid., p. 24.
612
La transformation de la pratique de combat en art au fil du temps rappelle là encore ce qu’ont pu connaître les
pratiques asiatiques. Calmet nous en fait la démonstration dans sa thèse de doctorat en s’appuyant sur Brousse.
Une reproduction est mise en annexe 2, p. 7.
Calmet, Michel, Faut-il enseigner le judo ou le savoir combattre? Les démarches éducatives scolaires peuventelles intégrer les activités physiques de combat ? Les activités physiques de combat sont-elles intégrées
entièrement en Education Physique et Sportive ?, thèse de doctorat pour l'obtention du grade de docteur de
l’université de Picardie Jules Verne, spécialité Sciences de l’éducation, 2002, pp. 43-44.
613
Ibid., p. 215.
614
Ibid., p. 102.
615
Une version de ce travail très complet est proposé à l’adresse suivant :
http://documentation.equestre.info/dossiers-articles/les-ecuyers-de-l-histoire/24-les-ecuyers-francais-du-xviemeau-xxeme-s
611
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
125
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
se veut plus succinct. Son but est de symboliser la transmission des savoirs au fil du temps.
Une évocation plus littéraire est proposée en annexe616.
616
Annexe n° 6, p. 12.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
126
Le 16e siècle
Grisone
Italie
« Premier écuyer des
temps modernes »
propose une
équitation de combat
rapproché
Fiaschi
Pignatelli
Laisse apparaître les
termes de « ramener »,
le principe de
rectitude du cheval et
le « rassembler »
Représente l’aboutissement de
l’équitation italienne
Pluvinel
Le 17e siècle
La Broue
France
Fondateur de l’équitation française
Découvreur des flexions, il propose les premières cessions
Travail fait sur le cercle. L’assiette, la position du cavalier, est
la base de tout
Esquisse de « l’épaule en dedans »
Premier puis Grand Ecuyer du roi
Généralise l’usage des piliers (simple et doubles) pour travailler
le cheval, premier travail à pieds du cheval
introduisant les prémisses d’une « psychologie équine »
Menou de Charzinay
Permettra la transmission des textes de son maître
Newcastle
Noble anglais
Rejette tous les auteurs et surtout les
piliers de Pluvinel, ce qui pour
Henriquet témoigne d’une « saine
réaction »
Solleysel
Évoque (déjà !) les pratiques de course en Angleterre et semble peu attiré par cette activité,
montrant une rupture manifeste d’avec l’école française d’équitation, , plus tournée vers la
guerre et le manège
Successions par fonction d’écuyers du Roi
De nombreux écuyers sont
évoqués, ceux-ci n’ont pas publié
Le 18e siècle
Vendeuil
Ecuyer du Roi
La Guérinière
Sa réputation au sein d’un grand nombre de cavalier est aujourd’hui encore très importante
Son œuvre « contient le meilleur du passé enrichi d’innovations que les auteurs précédents et
contemporains ne laissaient pas prévoir »
Il est le premier à expliquer clairement « l’épaule en dedans »
C’est pour Henriquet ni plus ni moins que « la clef universelle pour déverrouiller tous les chevaux »,
un des principes fondamentaux de la haute école
On lui doit également la description de la « descente de main »
Les auteurs se basent sur leurs prédécesseurs,
en les niant ou les acclamant pour proposer
des développements supplémentaires de
la pratique
Premières querelles
au sein de l’Armée entre une équitation
toute dévolue au combat et celle de haute école
Henriquet estime que « de Drummond de Melfort
à Decarpentry, [les écuyers militaires] n’ont jamais renoncé à
ces « superfluités » qui font la supériorité de l’équitation de tradition française »
Drummond de Melfort
équitation débarrassée d’artifices
Ecuyers militaires :
Rupture avec les
écuyers
classiques
D’Auvergne
Dupaty de Clam
Offre une « remise en question la plus inattendue,
quoique parfois pertinente » de La Guérinière
? ?
Aubert
« Continuateur des traditions »
Toute première classification des niveaux équestres
Critique par ailleurs vivement les anciens maîtres dans leur ensemble
Premier auteur à évoquer ce que Baucher un peu plus tard nommera « main sans
jambes, jambes sans main »
Rousselet
Chabannes
« Continuateur des traditions »
Le 19e siècle
Baucher
D’Aure
« Chef d’école »
Cirque et spectacle. Fait table rase du passé, estimant tout avoir inventé
Première manière : force
Accident : perte des forces musculaires
Deuxième manière : plus subtile
« Légèreté invariable », « main sans jambes, jambe sans main », les nouveaux effets de
main, la force et le mouvement décomposé (rétablir l’équilibre en ralentissant), le départ au
galop et le changement de pied par alternance des aides
« Chef d’école »
Equitation sportive
Trot enlevé ramené d’Angleterre
Faverot de
Kerbrech
Description de l’épaule en
dedans, non nommée
comme tel
Rédaction plus claire des
principes de Baucher
Cette période ne semble pratiquement valoir que
pour le conflit qui opposa Antoine Cartier d’Aure
à François Baucher. Les deux écuyers avaient
chacun un axiome de Pensée totalement opposé
et deux personnalités particulièrement fortes.
L’Hotte
Decarpentry
Importance capitale dans la
compréhension du Bauchérisme
Estime que dans l’œuvre de Baucher
transmise par Faverot beaucoup de ce
dernier
Auteur du premier règlement des épreuves
internationales de dressage en 1929
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
Duthil
Synthèse entre
d’Aure et
Baucher
« Calme, en avant, droit »
Considère les deux hommes
comme ses maîtres, compare
plus qu’il ne synthétise, et
rejette Baucher dans ses écrits.
127
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Le 20e siècle
Faverot de Kerbrech, Beudant, Bacharach… Ces deux derniers sont décrits comme des
hommes bons et amènes617. Considérés comme très en avance sur les cavaliers du 21e siècle
dans le respect accordé au cheval618. Beudant simplifie la méthode de Baucher. Bacharach
pour sa part fit des recherches historiques complètes qui lui firent tenter de « retrouver le bien
commun des équitations qui veulent le bien-être du cheval »619. Cela laisse ainsi penser à ce
que les tenants de l’équitation éthologique recherchent. Après la première et la deuxième
manière de Baucher, on arrive avec Bacharach à une doctrine « sans manière. Elle repose sur
le paradoxe de la simplification des aides »620.
Celui-ci apparaît comme l’une des deux dernières références avec Nuno Oliviera.
Comme le remarque Henriquet, la multiplicité des auteurs actuels marque-t-elle une
amélioration ou une dilution inutile des savoirs dans l’écrit ? Ce qui est certain et
fondamental, à ce qu’il semble, dans cette pratique, c’est cette filiation. Sans doute la
retrouverons-nous principalement parmi les pratiquants ne relevant pas du domaine
compétitif. Nul doute que parmi ces professionnels, nous pourrons également suivre une
filiation parmi les sportifs, selon qu’ils auront été entraînés, mis en selle par telle ou telle
personnalité marquante. Tourre-Malen n’exprime rien d’autre lorsqu’elle dit que « la manière
dont les « maîtres », à savoir les enseignants, les dirigeants et les compétiteurs vedettes,
envisagent leur activité véhicule une sous-culture qui influence la relation au cheval »621. Et
quand elle ajoute qu’ « Être cavalier, ce n’est pas seulement se percevoir en tant que tel, c’est
également être ainsi reconnu par les autres »622, il nous semble que c’est d’abord par le
maître en question qu’un cavalier l’est. Il est simplement dommage que cette sous-culture,
cette culture équestre que tout le monde évoque, laissant à penser que c’est une évidence,
personne ne cherche à comprendre ce qu’elle EST, aujourd’hui.
617
Ibid., p. 239.
Ibid., p. 244.
619
Ibid., p. 247.
620
Ibid., p. 248.
621
Tourre-Malen, Catherine, 2003, op. cit., p. 143.
622
Ibid., p. 144.
618
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
128
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Tourre-Malen avait déjà par le passé accordé du temps à ce rapport maître-élève dans un
article portant sur la marchandisation de l’équitation623. Elle constate un basculement d’une
relation sous-tendue par des préceptes militaires « l’humilité, le courage, la maîtrise de soi et
la soumission à une autorité extérieure représentée par l’enseignant (Garcia 1994 : 141) »624.
Le tableau fait des méthodes d’enseignement d’époque est tout à fait glaçant pour un
pédagogue moderne : « séances de mise en selle au trot ou de sauts d’obstacles sans étriers,
exercices valorisant la prise de risque, mépris des chutes… Quand la douleur se trouve au
rendez-vous, elle paraît comme inhérente au processus d’apprentissage : être cavalier se
mérite »625. A cette époque, il n’y a que deux équitations, la bonne (l’équitation académique)
et la mauvaise (le reste)626. Puis, à partir des années 1980, le changement fondamental de la
relation va selon l’auteure être lié à l’augmentation énorme du nombre de centres équestres
(+190% entre 1981 et 1993) et à l’émergence de l’équitation « de plaisance ».Ces deux
nouveautés ont induit le besoin de rentabilité des centres équestres, transformant l’élève en
client. La pédagogie n’a donc plus pu se tourner uniquement vers la performance sportive,
mais vers « l’épanouissement et le plaisir ». Les nouveautés pédagogiques arrivant à la même
époque transforment une pratique pour la rendre plus moderne. Tous ces changements ont aux
yeux de Tourre-Malen dénaturé la relation enseignant-enseigné. Le confort du client est
prioritaire, sous peine de le perdre. Aussi, les remises de galop semblent perverties : « Les
enseignants évoquent également l’indulgence commerciale de l’évaluation des compétences
du cavalier : politique du « toujours bien », brevets fédéraux « offerts » à la fin du
stage… »627. Notons au passage que si les commentateurs évoquent ces problèmes, c’est
probablement parce qu’ils estiment ne pas faire partie de ceux-là. Donc que la tendance
générale ne vaut pas action globale. Cela éveille notre curiosité sur la situation actuelle de
l’équitation. S’est-elle dégradée « encore plus » ?
Les enseignants évoquent deux publics : les « élèves-clients » et les « élèves-élèves ».
Le premier type, méprisé dans les dires, est le cavalier-plaisir, celui qui prend la pratique pardessus la jambe. Le second est le cavalier sérieux, celui qui travaille pour l’amour de l’art.
Ces conditions de la transformation de la pratique laissent réellement songeur. Cela fait
indubitablement penser à ce que les arts guerriers ont connu, respectivement pour le judo dans
623
Tourre-Malen, Catherine, La relation enseignant/enseigné à l’épreuve de la mercantilisation des activités
équestres, Equ’Idées n°46, 2003b, pp. 40-42.
624
Ibid., p. 40.
625
Ibid.
626
Ibid.
627
Ibid., p. 41.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
129
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
les années 1950628, puis pour les arts chinois dans les années 2000629. La transformation d’une
pratique avec l’adjonction du rapport financier dans l’échange aurait perverti la pureté de la
relation maître-élève. Il y a une ambivalence : « cette dualité en miroir de chacun des
partenaires de la relation enseignant/enseigné s’appuie sur des rapports de pouvoir inverses :
le « client-roi » domine le prestataire de service mais le maître conserve l’ascendant sur
l’élève »630. On comprend mieux les réticences de Franchet d’Espèrey ou d’Henriquet à
vouloir s’intéresser à leurs siècles sous cette aune. Par contre, l’auteur émet encore ce qui
nous paraît une erreur dans l’air du temps : « seuls les cavaliers qui adhèrent à une vision
sportive de l’équitation permettront de recréer ce lien, d’où la distinction que les enseignants
font entre « clients-élèves » et « élèves-élèves » »631. Sont exclus de nouveau les pratiquants
cherchant une pratique non sportive. En tout état de cause, les relations des enseignants aux
élèves est un sujet qui mérite largement notre attention dans la diversité des pratiques
équestres. Et ce, y compris dans les pratiques compétitives, où les notions de « gourou »,
« modèle », « mentor » ou « chef spirituel » sont évoqués632. Car si « on n’est pas d’emblée
cavalier, on le devient ou plutôt on apprend à le devenir »633, sous le regard d’un formateur.
Nous faisons l’hypothèse que cette relation particulière n’a pas totalement disparu, mais
qu’elle fait partie, tant pour les compétiteurs que pour d’autres voies plus artistiques, tant pour
le mainstream que pour l’underground.
628
Clément, Jean-Paul, La constitution de l'espace des disciplines de combat en France : 1936 –1980, in P.
Arnaud & Al. (Eds.), Corps, Espace et Pratiques Sportives, 1992, Strasbourg, Conseil scientifique de
l'Université, pp. 174 – 192.
629
Régnier, Patrice, 2000, op. cit.
630
Tourre-Malen, Catherine, 2003, op. cit., p. 41.
631
Ibid., p. 42.
632
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 97.
633
Chevalier, Vérène, Le Mancq, Fanny, Travailler dans les mondes du cheval, in Sobry, Claude (dir.), Sport et
travail, 2010, Paris, L’Harmattan, pp. 237-245.
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
130
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
II – 3 Conclusions partielles
Les études, peu nombreuses sur la sociologie du monde (des mondes) équestre(s), ont
pour la grande majorité d’entre elles été réalisées par des femmes. Celles-ci sont également
généralement pratiquantes d’équitation, cela pouvant entraîner éventuellement des
questionnements sur leurs perceptions de la pratique (prégnance de la compétition,
perceptions corporelles, compétition versus « loisir »…). Les études ont successivement été
menées sur l’histoire sociale de la pratique puis la distribution des âges et l’évaporation des
pratiquants dans la discipline. Au fur et à mesure que la pratique évolue, elle devient sportive
et acquiert toutes les caractéristiques de ce type de pratiques. Cette transformation
s’accompagne de tensions au sein des constructions fédérales jusqu’à une stabilisation tardive
au sein de la FFE. La compétition devient le maître-étalon de la représentation de la pratique.
Cela produit par contrecoup la disparition des enquêtes orientées vers ce type de modalité
compétitive provoque la disparition des études de pans entiers de pratiquants équestres (non
compétiteurs, artistes, randonneurs, etc.). Elle est accentuée par la séparation induite par les
catégories sociales équestres gérées par différentes structures bien que la monte à cheval soit
toujours d’actualité (les drivers, par exemple). Les pratiquants d’équitation de compétition
doivent disposer d’un « capital » économique et/ou culturel important(s) pour pouvoir évoluer
à haut niveau. Par ailleurs, la conversion à la carrière compétitive, seul avenir valable a priori,
suppose de passer un certain nombre d’étapes spécifiques. Par ailleurs, les compétiteurs sont
très rarement professionnels de la compétition (comme ce peut être le cas en tennis, en
football ou dans d’autres activités), mais cette activité leur permet de briller, d’être reconnus
comme spécialistes et permet de valoriser leur travail professionnel quand il a rapport au
cheval (et principalement dans la capacité à dresser le cheval au sport pratiqué). Mais là
encore, toute une population est invisible dans le traitement de l’activité. En-dehors de la
spécificité animale, l’ensemble de ces transformations rappellent les événements ayant eu lieu
et ayant parfois encore cours au sein de certaines fédérations d’arts asiatiques.
Les diplômes se mettent en règle Chevalier a constaté que bien que la masse féminine
soit en augmentation, la masse des pratiquants masculins, bien que paraissant se réduire est
finalement restée la même durant les années 1980. Parallèlement, en suivant le processus de
civilisation et la réduction des tolérances liées aux violences apparentes, la relation à l’animal
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
131
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
évolue pour atteindre une « tendance animalitaire », aux yeux de certains chercheurs
dangereuse pour l’avenir de l’équitation.
Seule Tourre-Malen en France et plusieurs chercheurs anglo-saxons s’intéressent aux
relations humain-cheval. La place du corps s’y révèle dans toute son importance, mais ne
permet pas de l’appréhender à travers toutes ses réalités. Le triptyque qui semble se mettre en
place entre à la fois le « maître », l’élève et le cheval laisse entrevoir une relation à la fois
verbale et corporelle. Les actions du cavalier sur sa monture autorisent une nouvelle fois des
comparaisons possibles entre arts de combat et pratiques équestres. Les conflits entre les
différentes « chapelles » équestres au fil du temps et de nos jours sont aussi à mettre au crédit
d’une telle comparaison. Le corps trouve aussi une certaine importance par l’évolution
spécifique qu’ont connue les femmes à la période récente. Le puritanisme des 18e et 19e
siècles a provoqué un changement drastique de leur technique, passant de la monte à
califourchon à la monte en amazone afin de préserver du regard des hommes des scènes
pouvant leur laisser avoir des idées orientées sexuellement. La paillardise passée et parfois
encore présente sur les terrains de concours et dans les manèges telle qu’exposée par TourreMalen semble l’attester.
Les chercheurs anglais ou américains font également une différence de fait entre les
femmes et les hommes, en n’interviewant pas ces derniers. Les études récentes permettent
surtout de constater une multiplicité des pratiques et, partant, des représentations attenantes. Il
apparaît que dans le cas des études équestres, il est fallacieux de s’orienter vers une seule des
sphères pour espérer représenter l’ensemble des manières de pratiquer et de percevoir la
pratique équestre aujourd’hui. En témoigne l’importance du maître dans l’histoire équestre, là
encore proche des pratiques asiatiques pour lesquelles l’image du maître est fondamentale,
sinon fondatrice d’une pratique donnée.
L’ensemble de ces recherches permettent d’orienter notre étude vers un ensemble de
pratiquants en cherchant principalement à sortir d’une dichotomie factice compétition/loisir.
Ainsi sera-t-il possible d’obtenir une vision plus large d’un ensemble de perceptions et de
représentations plus variées. Ces études permettent également d’envisager la recherche selon
une méthodologie spécifique. Ces deux objectifs apparaîtront au cours des deux chapitres
suivants
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s)
132
Deuxième partie :
Démarche sociologique
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
III – 1 Quels concepts pour cette recherche ?
L’objectif de ce travail est de comprendre ce qu’est l’équitation aujourd’hui au travers
du vécu de ceux qui la pratiquent dans sa diversité. Il convient de clarifier, avant de les
mobiliser activement, un certain nombre de concepts. Les pistes sociologiques que nous
allons suivre seront déterminantes pour le choix de la méthodologie à venir.
Représentation sociale, représentation collective
Le concept de représentation sociale est défini par Jodelet634 comme « des modalités de
pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de
l’environnement social, matériel et idéel ». Elle ajoute ensuite que : « c’est […] à l’interface
du psychologique et du social que nous place la notion de représentation sociale. Elle
concerne au premier chef la façon dont nous, sujets sociaux, appréhendons les événements de
la vie courante, les données de notre environnement, les informations qui y circulent, les
personnes de notre entourage proche ou lointain. Bref, […] une connaissance socialement
élaborée et partagée. En d’autres termes, c’est une connaissance pratique [qui] concourt à la
construction sociale de notre réalité». Duprez, pour sa part, définit les représentations
sociales comme constituées autour d’un contenu : « informations, images, normes et modèles,
opinions, croyances, attitudes, valeurs… »635. En somme, la représentation sociale est
constituée de l’ensemble des idées et des expériences des individus, en accord ou en
désaccord avec tel ou tel groupe social. Elle participe à la construction du monde social d’un
individu et permet d’appréhender le réel, de le rendre logique à nos yeux. « Le mécanisme qui
leur est sous-jacent produit des catégories pour l’agir immédiat »636. Elles constituent donc
634
Jodelet, Denise, Représentation sociale : phénomènes, concept et théorie, In S. Moscovici (Ed.), Psychologie
Sociale, Paris, PUF, p. 361.
635
Duprez, Jean-Marie, Représentations sociales, in Dictionnaire de sociologie, 1995, Paris, Armand Colin, pp.
242-249.
636
Ibid., p. 245.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
134
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
les pensées pratiques d’une catégorie sociale par exemple. Dans notre cas, il est probable de
recueillir non seulement un certain nombre d’entre elles communes à tous les acteurs, mais
également des variations permettant d’évaluer l’étendue du champ conceptuel de ces acteurs.
Car c’est « le travail de rétention sélective fondé sur les valeurs du groupe qui fait retenir
certains éléments et en écarter d’autres »637.
La représentation sociale est définie en creux par Bouvier638 comme « la dimension
cognitive du social », à laquelle les représentations collectives sont « intimement liées ». Ces
dernières sont « des croyances et des valeurs communes à tous les membres d’une société ».
Les représentations sociales des individus agglomérées permettent de déduire les
représentations collectives, qui se construisent toujours soit sur une norme commune, soit en
rupture avec une norme communément admise, nous ramenant ainsi au concept de norme que
nous avions explicité en introduction. Les représentations des personnes interrogées nous
permettront de dégager des représentations collectives qui devraient être fonction de la
direction du continuum dans laquelle nous pourrons placer les interviewés.
Les valeurs sont indubitablement constitutives des représentations des individus, nous
l’avons vu. Heinich propose à leur propos un certain nombre d’écueils à éviter afin de pouvoir
les interpréter au mieux639. Elle les définit comme étant « au minimum, les principes au nom
desquels sont produites des évaluations ». Elle insiste sur le fait que ces valeurs « ont à voir
avec des représentations, des conduites, des interactions, des énonciations, etc. »640. Nous
verrons un peu plus loin que l’étude de ces valeurs nécessite pour l’auteur la nécessaire
rupture avec une conception normative de la sociologie641.
L’équitation de compétition
Nous l’avons vu dans toutes les dimensions au cours des deux premiers chapitres.
L’équitation sportive en tant que performance réalisée en compétition est en fait le pendant de
l’activité dont la création est la plus récente. Monter à cheval dans la société française n’a
cessé d’exister. C’est d’abord une pratique des chevaliers puis des aristocrates. Alors, son
637
Ibid., p. 246.
Bouvier, Alban, Représentation sociale, in Boudon, Rayman et al., Dictionnaire de Sociologie, 1998, Paris,
Larousse, Bordas, p. 199.
639
Heinich, Nathalie, « La sociologie à l'épreuve des valeurs », in Cahiers internationaux de sociologie, 2006/2
n° 121, p. 287-315. DOI : 10.3917/cis.121.0287
640
Ibid., p. 288.
641
Ibid., p. 292.
638
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
135
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
usage est guerrier avant de progressivement se transformer en art. Elle a ensuite été celle des
généraux et de la cavalerie. La part artistique, de plus en plus prégnante, ne convenait plus à
l’Armée. C’est la première scission de l’équitation en deux entités distinctes. L’une d’entre
elles sert à la guerre, c’est la basse école. La haute école sert au cirque. Avec la Révolution
Industrielle, le cheval perd de son intérêt pour les activités dans lesquelles il était engagé.
L’équitation devient un sport inscrit aux épreuves des Jeux Olympiques.
La grande majorité des études que nous avons pu étudier au chapitre précédent nous
enseigne que c’est cet avatar qui a le plus préoccupé les chercheurs. L’équitation sportive, la
fédération, les licenciés et surtout les compétiteurs ont été l’objet de toutes les attentions bien
que leur nombre soit le moins important de toutes les manières d’utiliser le cheval
aujourd’hui. Pourtant, les auteurs mentionnent d’autres manières de pratiquer. Elles sont alors
de loisir, de plaisir, hédonistes, de plaisance… Toutes les propositions de différenciation
proposées le sont au profit du sport, face à une autre perception, imparfaite, qu’ils n’arrivent
pas à nommer. Cependant, le loisir existe parce que le travail existe, se constituant l’un par
rapport à l’autre642. Et le sport fait partie des loisirs possibles643. Terret donne l’acception
restreinte du mot « sport »644 comme « l’ensemble des pratiques physiques, codifiées,
institutionnalisées, réalisées en vue d’une performance ou d’une compétition et organisées
pour garantir l’égalité des conditions de réalisation ». On a vu que le sport équestre est
d’abord un moment de loisir. En effet, dans les rencontres sportives de haut niveau, en-dehors
de très rares cas, tous les compétiteurs « professionnels » sont surtout des professionnels de ce
milieu. La compétition se déroule sur leurs temps libres. La tentative de Tourre-Malen
d’évoquer l’équitation de plaisance est louable mais mal choisie : sa définition renvoie aux
notions de plaisir et de loisir645. Pourtant, Tourre-Malen reconnaît elle-même qu’hors le loisir,
les cavaliers montent à cheval « pour monter en compétition » et « pour progresser »646. Ces
derniers n’apparaissent nulle part dans les études. Cela ne peut qu’éveiller notre curiosité.
Comment se fait-il enfin qu’un statut, celui de sport, en vienne à rendre toutes les autres
642
Monique Coornaert, Dumazedier J., Imbert M., Espace et loisir dans la société française d'hier et de demain,
Revue
française
de
sociologie,
1969,
vol.
10,
n°
3,
pp.
377-378.
url
:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1969_num_10_3_1554, consulté le 16
août 2013
643
Fleuriel Sébastien, Le travail dénié et les jeux olympiques : entre passions et intérêts, in Sociétés
contemporaines, 2006/3, no 63, p. 87.
644
Terret, Thierry, Sport, in Andrieu, Bernard et Boëtsch, Gilles (dir.), Dictionnaire du corps, 2008, Paris,
CNRS éditions, pp. 313-314.
645
http://www.cnrtl.fr/definition/plaisance, consulté le 23 mai 2013.
646
Tourre-Malen, 2004, op. cit., p. 201.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
136
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
acceptions d’une pratique absolument nulles et non avenues qu’on en arrive à les regrouper
sous le vocable de « loisir » ?
Une réponse possible semble devoir se trouver dans la « sociologie de la compétition »
que propose Duret. Pour lui, « par-delà leur concurrence, les compétiteurs d’un même champ
partagent un ensemble de croyances non discutées »647. Les représentations partagées par des
chercheurs issus du sérail tendraient de ce point de vue à s’entendre de facto sur une pratique
forcément sportive. La différenciation opérée par Tourre-Malen entre une « culture équestre
sportive traditionnelle » par opposition aux pratiques « de plaisance » semble aller dans ce
sens. Affecter le qualificatif « traditionnel » à l’équitation sportive et au contraire regrouper
l’ensemble des autres représentations reste surprenant. Pourtant « le sport diffère tout autant
des jeux populaires médiévaux, dont on voudrait le faire dériver »648. Il est possible de
constater un penchant logique des représentations sociales de l’auteure qui était instructrice
d’équitation et membre de la commission pédagogique de la Fédération française d’équitation
de 1997 à 2005. Le fait que Le Mancq soit compétitrice649 pourrait induire une même
tendance. Certes, leurs statuts leurs permettent une approche du terrain plus aisée, mais
semble induire une vision de la pratique orientée. En fait, le discours « compétition versus
loisir » est un fait avéré dans la plupart des pratiques sportives, la vocable de loisir semblant
être porteur de moins de valeurs quand la pratique du club sportif est toute orientée vers le
devenir compétitif. Tout comme la société est orientée majoritairement vers la compétition650.
Pourtant, parmi ces pratiquants de loisir, et encore une fois quelle que soit la discipline, il est
hautement probable que nous rencontrions des individus à la volonté ancrée de réussite
technique à titre personnel. C’est ce que laisse précisément apparaître un de nos témoins sur
ce point précis :
[suite à une succession de weekends en compétition, notre témoin évoque
les discussions dont elle a été l’objet et la participante] Et la question, souvent,
donc moi j'ai dû surtout principalement tenir la buvette, lors de ces événements.
Et certains m'ont demandé "mais alors, tu montes un peu à cheval, tu fais des
concours", donc moi je réponds "non, non, je fais pas de compétition, je monte
pour me faire plaisir, pour le loisir". "Ah oui, alors tu fais de la balade?"… "Eh
647
Duret, Pascal, La sociologie de la compétition, 2009, Paris, Armand Colin, p. 13.
Ibid., p. 52.
649
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 12.
https://ffecompet.ffe.com/cavaliers/0039526, consulté le 30 mai 2013.
650
Duret, Pascal, 2009, op. cit., p. 118.
648
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
bien non, non, non, je sais faire de l'épaule en dedans, je sais enchaîner des
parcours à un mètre, mais je ne vais pas en concours tout simplement". Enfin c'est
marrant, les amateurs et professionnels ne voient pas, ne pensent pas qu'il y a une
pratique intermédiaire entre la balade et la compétition... Y a, y a vraiment des
clivages entre pratiques, je pense. (Clarisse Dresshuit, 20 ans, distance)
Les clubs, sur lesquels portent la plupart des enquêtes, sont de par leur affiliation à la
fédération tenus d’avoir a minima un discours et une pédagogie du plaisir et du duel. La
pratique compétitive démarre semble-t-il toujours sur le registre de la « passion »651. En ce
sens, l’équitation ne déroge pas à la règle puisque cette « passion » est nécessairement
présente à l’entrée des domaines professionnels du cheval.
La compétition est un « modèle de pure méritocratie », pour Ehrenberg652. Il s’agit d’un
rapport de concurrence, donc de marché653. Contrairement aux autres pratiques sportives, il ne
semble pas que « n’importe qui peut devenir quelqu’un, quelle que soit sa race ou sa
condition d’origine »654. En effet, la compétition en équitation est, on l’a vu, fortement liée à
au moins deux facteurs : l’existence d’un réseau, qui peut être familial, amical voire
contractuel, et la possibilité d’avoir accès aux chevaux performants, qui peut être lié au
premier.
Duret estime en outre que « l’individu qui cherche à s’élever par la compétition ne
s’efforce pas seulement d’être bien classé mais d’être reconnu comme le meilleur »655. Le
héros guerrier devenu héros sportif serait en ce sens le digne héritier du chevalier d’antan.
Cette bascule pourrait d’une certaine manière expliquer les raisons pour lesquelles les
recherches sur l’équitation tendent plus à s’intéresser au sport qu’à tout autre mode de
fonctionnement dans le domaine équestre. Le compétiteur, alors marqué du sceau de la
réussite devant un public plus large que celui des intimes ou des initiés656, serait tourné vers
une réussite aux yeux des autres. Le temps du sportif est celui de la préparation et de la
compétition, donc un temps relativement court. C’est l’un des pôles du continuum proposé. A
l’autre pôle se trouve l’art. Les conditions de la reconnaissance dans l’art se trouveraient dans
651
Ibid., p. 60.
Ehrenberg, Alain, Le culte de la performance, 1991, Paris, Calmann-Lévy, p. 40.
653
Ibid., p. 19.
654
Ehrenberg, Alain, 1991, op. cit.
655
Duret, Pascal, 2009, op. cit., p. 33.
656
Ibid., p. 44.
652
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
138
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
quatre critères : les pairs, les marchands, les spécialistes et enfin le public657. Dans ce dernier
cas, notons que l’artiste de spectacle se retrouverait in fine à voir reconnaître sa pratique aux
yeux d’autrui également. Et dans tous les cas de figure, cette reconnaissance, moins fugace
que l’instant de la victoire, se fait sur le long terme658. Comment cela peut-il se traduire en
équitation ?
Il semble que le travail du cheval soit directement impacté par cette différence art-sport.
Si le sportif doit préparer une performance, elle se fera sur un temps court, visant la
progression du cheval et la sienne en vue de la réussite au cours des rendez-vous sportifs de
l’année. Le cavalier artiste, dans ce cas, aurait la possibilité d’un temps étendu, dans lequel
l’objectif est à plus ou moins long terme la maîtrise technique pour elle-même. Ces
différences devraient apparaître dans les verbatim des personnes interrogées selon qu’elles
sont plutôt orientées vers l’art ou le sport. Les textes de Franchet d’Espèrey et d’Henriquet sur
l’évolution de la pratique au fil des siècles et sur les grands auteurs correspondent à la fois à la
reconnaissance des pairs et des initiés, visant à faire connaître ces auteurs au grand public. Les
noms évoqués de personnalités équestres telles que Bartabas659 ou Alexis Grüss660 dans le
spectacle sont des artistes reconnus par le grand public, bien au-delà de la sphère équestre.
Nuno Oliviera, lui, est un auteur réputé au sein des pratiquants équestres. Bacharach, lui, est
un auteur reconnu, mais semble-t-il plus restreint dans son public d’initiés. Parmi les
personnes que nous avons pu rencontrer, la figure du maître ou de la référence ne manquera
pas de ressortir et de nous indiquer dans le pôle artistique les personnalités marquantes et les
auteurs de référence.
Le sport est aussi un outil dans la course à la puissance internationale. Et cette
démonstration se fait au fil du temps sur des matériels de plus en plus pointus, chronomètres,
qualité des pistes, du matériel sportif661… L’enquête permettra également de se renseigner sur
les autres évolutions en cours.
657
Ibid., p. 45.
Notons cependant que l’accès à la reconnaissance sur le long terme peut être obtenu par le sportif
spécialement méritant (Zidane, Douillet, Jordan, Pelé sont des personnalités connues et reconnues malgré l’arrêt
de leur carrière sportive).
659
http://www.bartabas.fr/, consulté le 30 mai 2013.
660
http://www.alexis-gruss.com/, consulté le 30 mai 2013.
661
Duret, Pascal, 2009, op. cit., pp. 56-57.
658
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
139
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Engagement, distanciation : configuration et invisibilité sociale
La sociologie d’Elias a un certain nombre de concepts clés centraux permettant
l’analyse des activités. Ainsi, engagement et distanciation662 sont notamment des principes
inhérents aux faits sociaux, à leur participation et leur analyse. Ils sont dépendants l’un de
l’autre, et c’est « la relation de ces deux pôles qui détermine le cours des actions
humaines »663. Le chercheur n’échappe pas à ce continuum, car les sujets qui l’occupent
nécessitent un minimum d’engagement de sa part, tandis que l’étude de ceux-ci nécessitent de
faire preuve de distanciation. Pour reprendre l’exemple d’Elias, quand Paul parle de Pierre, il
dit toujours un minimum de Paul. Plus il parle de Pierre, plus il est distancié664. De même, les
sujets sur lesquels nous travaillons parlent de nous, au moins un minimum. Et notre propre
histoire influe sur les choix qui président à nos recherches.
Il apparaît dans les études menées par les auteurs spécialistes de la discipline deux biais
à notre sens majeurs quand ces auteurs sont pratiquants chevronnés d’équitation. Le premier
consiste en l’intégration telle des normes de leurs pratiques qu’ils ne se rendent plus compte
de ce qui pour eux constituent des évidences. Faisant partie de configurations665 particulières,
compétitrice ou enseignante, le point de vue peut être orienté, ne serait-ce qu’à la marge. En
effet, pour Le Mancq, le cavalier n’est en aucun cas le sportif du couple. Mais il a dû pour en
arriver là acquérir une maîtrise corporelle conséquente. Etant une cavalière d’un niveau
respectable, nous faisons l’hypothèse que la perception de sa propre place dans le couple est
conditionnée, en sa qualité de gestionnaire technique du parcours en CSO par exemple. Le
cavalier de dressage, à la pratique intimement inscrite dans son corps ne ressent plus la
souffrance des débuts, et n’a plus l’impression d’être un sportif, peut-être. En fait, il semble
que cette perception de la place du cavalier, qui nous est présentée comme un fait
indiscutable, soit plus simplement à mettre au compte des stéréotypes prégnants dans la
culture cavalière. Il l’est cependant toujours mais comme dans les arts guerriers, à la pratique
à forte valence physique du débutant se substitue une pratique davantage sensitive et
efficiente : « La précision du mouvement provient essentiellement du contrôle exercé sur les
mouvements du corps. Ces mouvements doivent être exécutés au final avec le minimum de
force et d’effort, autant que le résultat souhaité est toujours pleinement atteint. Quoi qu’il en
soit cette précision ne peut être obtenue sans une énorme quantité de pratique et
662
Elias, Norbert, Engagement et distanciation, 1993 (1983), Paris, Fayard.
Ibid., p. 10.
664
Ibid., p. 64.
665
Heinich, Nathalie, La sociologie de Norbert Elias, 1997, Paris, La Découverte, p. 90.
663
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
140
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d’entraînement, aussi bien pour le néophyte que pour le combattant très expérimenté »666. Le
second biais que nous relevons dans l’ensemble des textes vus précédemment, c’est qu’à
aucun moment, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, un chercheur ne s’est posé la
question de ce qu’est effectivement aujourd’hui l’équitation pour ceux qui la font. On nous
parle des compétiteurs, principalement, pour lesquels nous pouvons imaginer que l’équitation
est tout simplement un sport. On évoque un sport de nature, quand la majorité des centres
équestres organisent leur pratique en leur sein, en sortant très peu du manège. On nous parle
de ce que l’équitation a été jusqu’au 20e siècle seulement. On rejette en bloc toute nouveauté,
toute pratique qui vient d’ailleurs. En ne se centrant que sur les compétiteurs, on a analysé la
partie émergée de l’iceberg. L’équitation, entrée au patrimoine immatériel de l’Unesco le 27
novembre 2011667, est-elle devenue une langue morte ? Les acteurs de l’équitation, baignant
dans la configuration de leur pratique depuis l’enfance parfois, semblent aveugles aux
questions paraissant les plus simples, aux constats les plus évidents. Nous-mêmes n’avons
absolument pas les moyens techniques, malgré notre récent apprentissage dans cette
discipline, de pouvoir espérer simplement participer à une compétition de haut niveau, peutêtre même pas à une compétition de bas niveau. C’est in fine, la configuration dans laquelle se
trouvent les auteurs qui provoque, selon nous, cet « aveuglement ».
« Comme les autres hommes, les scientifiques se laissent guider dans leur travail, dans
une certaine mesure, par des désirs et des penchants personnels »668. Bien entendu, il est
impossible d’être totalement distancié par rapport au sujet. Nous-mêmes ne sommes pas
vierge d’expériences passées, et il convient d’en prendre compte dans notre travail pour
contrôler au maximum les biais possibles. En tant que non pratiquant d’une activité, nous
partons d’une page vierge d’expériences pour celle-ci. La recherche est la capacité à mettre en
correspondance deux sujets a priori dissemblables669. L’étude présentée est le fruit de la mise
en correspondance entre un vécu « martial » et une pratique inconnue. La critique posée aux
pratiquants d’équitation peut évidemment nous être retournée. C’est à ce moment que la
distanciation doit être la plus grande. Les travaux précédents ont justement permis d’effectuer
cette distanciation initiale. En effet, les études menées sur les pratiques de combat se basaient
sur une perception du champ originale. Ancien pratiquant de compétition, c’est dans une
666
Lee, Bruce, Tao du Jeet Kune Do, 1992 (1975), Paris, Budostore, p. 49.
Questions à Patrice Franchet d’Espèrey, Cheval Magazine, n°482, Janvier 2012, p. 19.
668
Elias, Norbert, op. cit., p. 12.
669
Au sens que Latour donne au relationnisme : « au lieu d’être des relativistes absolus plaidant seulement pour
la symétrie, nous sommes des relationnistes qui découvrons comment des relations plus fortes en évincent
localement de plus faibles » (Latour, Bruno, La science en action. Introduction à la sociologie des sciences,
1995, Paris, Gallimard, p. 479).
667
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
141
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
direction totalement opposée que l’orientation se fit ensuite. Les deux pôles de la pratique
ainsi identifiés et confirmés par Audiffren et Crémieux permettait une observation globale et
non orientée des arts de combat. Ainsi la pratique passée permet de mettre en lien
corporellement des pratiques a priori sans rapport et permet le départ de la réflexion et sa
progressive mise à distance par la recherche sociologique.
La configuration révèle également un élément du social intéressant : nous avons
constaté qu’un militaire occidental, spécialiste des pratiques guerrières par excellence,
conserve comme souvenirs de son voyage au Japon les éléments qui lui semblent spécifiques,
étranges, particuliers. Mais ses photos peuvent montrer les militaires japonais à cheval. A
aucun moment cependant il n’évoque la pratique de l’équitation, alors qu’elle tient encore à
cette époque une place importante dans la guerre. Peut-être ne les a-t-il pas vus travailler ?
Auquel cas il n’aurait pas fait l’économie d’une technique particulière, puis qu’il parle de l’art
du sabre, totalement spécifique à ce pays, ne serait-ce que par tous les rituels qui l’entourent.
Mais ces rituels ne se retrouvaient peut-être pas à cheval.
Il semblerait en fait que la configuration dans laquelle un individu se trouve amène ce
que nous appelons une « invisibilité sociale » de fait. Cela signifie que chaque élément de
notre environnement, pour logique qu’il soit à nos yeux, nous dispense de facto de toute
réflexion à son sujet. Nous croisons énormément de ces éléments dans notre parcours. Et c’est
quand l’un d’eux devient tout à fait spécifique à nos yeux que nous y trouvons de l’intérêt.
C’est quand on est sensibilisé à quelque chose de nouveau pour soi qu’on l’intègre comme
élément important. La nouveauté apportée à la configuration habituelle des conditions de vie
met le focus sur ce nouvel objet. C’est alors un phénomène d’« hyperacuité sociale » qui se
met en place. Par exemple, si vous achetez ou rénovez une maison, vous devenez alors
attentifs à toutes les maisons que vous pouvez croiser. Avoir une femme enceinte change
radicalement la visibilité des marques diverses et variées des couches et des biberons et
provoque une présence ressentie comme accrue aux femmes enceintes de l’environnement
proche. Avoir un ami qui acquiert une voiture particulière nous fait voir l’ensemble des
voitures de la même marque qui circulent en ville, et seules celles-là nous sautent aux yeux.
Comme si elles paraissaient toutes émerger dans la même période (en-dehors bien sûr de tout
effet de mode). Achetez un cheval et vous verrez dans les champs tous les chevaux qui
paissent. La configuration dans laquelle nous évoluons rend selon le cas visible ou invisible
ce qui nous paraissait ne pas valoir questionnement initialement. Nous rejoignons ainsi Elias
dans ses réflexions tout en cherchant à les développer avec cette idée d’invisibilité sociale, et
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
son opposé, l’hyperacuité sociale. Si le chercheur, par la distanciation, se permet une analyse
d’un sujet de manière objective, chacun dans son quotidien rend par son investissement dans
un fait social particulier sa perception plus fine des particularismes qui l’entourent.
III – 2 Axes de recherche
Au vu de cet ensemble de constats initiaux des sociologies équestres et des propositions
que nous avons faites, voyons à présent les grandes lignes qui vont guider le travail de terrain
et l’analyse des faits qui nous intéressent.
Une sociologie des carrières dans et hors les normes
Nous avons vu un peu plus haut que le concept de carrière d’Everett Hugues est utilisé
successivement par Chevalier, puis Le Mancq. Son utilisation pour expliciter l’évolution d’un
cavalier tout au long de son développement est très pertinente. Néanmoins, il apparaît que ce
concept était utilisé sur un système, certes valorisé par les fédérations et l’Etat lui-même dans
le fonctionnement de la dualité masse/élite, sans discernement d’autres possibilités
d’évolution. Si l’équitation peut effectivement être traitée comme un art guerrier (ce que
manifestement du point de vue historique elle est ou au moins a été), alors la seule perception
du versant compétitif de l’équitation est trop limitant. Aussi peut-on faire l’hypothèse d’une
vision de l’équitation par le biais de ce concept de carrière, mais en y adjoignant une bonne
dose de sociologie de la déviance, au sens en tous cas que lui donne Becker.
Pour Becker, est déviant qui n’est pas dans la norme reconnue par le plus grand nombre.
Par exemple, les fumeurs de cannabis sont hors norme, puisque la norme généralement
admise et d’ailleurs attestée légalement interdit et sanctionne l’usage des stupéfiants en
France. Cependant, le déviant n’est pas exempt de normes, puisque celles auxquelles il se
réfère sont admises par l’ensemble de son groupe. Ce sont donc des « normes hors-normes ».
Et leur apprentissage consiste en une carrière liée à l’acquisition des habitudes spécifiques au
fumeur de cannabis. Ici, nous nous intéressons aux cavaliers normaux au sens fédéral du
terme, compétiteurs, sportifs, mais également aux cavaliers hors-normes, ceux qui ne sont pas
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
143
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
dans la recherche de victoires, ceux que nous pouvons appeler les déviants du sport. Il nous
paraît judicieux d’apporter un complément à la définition de la carrière telle que l’évoque
Chevalier, donnée par Becker lui-même dans les composantes spécifiques de ce concept670 :
« Dans les études des professions, où ce concept a d’abord été élaboré, il renvoie à la suite
des passages d’une position à une autre accomplis par un travailleur dans un système
professionnel. Il englobe également l’idée d’événements et de circonstances affectant la
carrière. »
Les questions qui se posent sont alors : y a-t-il une rupture dans le cursus ? Les cavaliers
ne suivant pas la logique sportive sont-ils des compétiteurs déçus ? Le sont-ils par la
compétition, leurs performances ou bien autre chose, telle l’ambiance lors des évènements ou
même les relations au cheval ? Ou constituent-ils un autre type de pratiquants ?
Les
moniteurs, les professeurs, les artistes ont-il une évolution spécifique ou alors un
fonctionnement classique ? La pluralité des modalités d’une pratique telle que l’équitation
devrait nous permettre de percevoir la richesse des changements de parcours, des ruptures
biographiques éventuelles. Les moniteurs devraient nous donner, par leur diversité, le moyen
de mettre au jour des choix particuliers ou des modes opératoires spécifiques. Mais en tout
état de cause, il paraît fondamental que leurs représentations et leurs choix seront spécifiques
de leur propre expérience.
Une sociologie de l’expérience
Vouloir appréhender les représentations des professionnels équestres et des acteurs
principaux de ce milieu amène une volonté de comprendre comment l’expérience est acquise
au cours de la carrière des acteurs. C’est bel et bien une sociologie de l’expérience qui est ici
mise en place. Heinich estime qu’il faut la penser comme « une sociologie contextuelle, qui
observe la façon dont les acteurs agissent et rendent compte de leurs raisons d’agir, pour en
tirer quelques régularités transposables à d’autres situations »671. Dubet estime que les
acteurs ne sont « jamais pleinement dans leur action, dans leur culture ou dans leurs
intérêts »672. La persistance du regard réflexif des individus sur leur vécu social fait de
« chacun l’auteur de son expérience – auteur relatif car les éléments sur lesquels repose cette
670
Becker, Howard, 1985, op. cit., p. 47.
Heinich Nathalie, « Vers une science sociale de l'expérience », in Revue du MAUSS, 2006/2 no 28, p. 403413. DOI : 10.3917/rdm.028.0403, p. 408.
672
Dubet, François, Sociologie de l’expérience, 1994, Paris, Le Seuil, p. 17.
671
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
construction n’appartiennent pas aux individus »673. Simmel, déjà, considérait que « il y a
société là où il y a action réciproque des individus »674. Alors, la sociologie étant l’étude de la
société, et la société étant action des individus, la société est également le produit de
l’expérience individuelle, inscrite dans le social. L’acteur l’est seulement dans la mesure où il
suit un certain nombre de règles du jeu, édictées par d’autres, et avec lesquelles il tente de se
débrouiller autant que faire se peut. Autrement dit, « l’objet du travail sociologique est [dans
cette optique de la sociologie de l’expérience] d’expliquer et/ou de comprendre comment
s’organisent les expériences, comment se présentent les situations, comment se résolvent
concrètement les problèmes qui se posent aux acteurs : en d’autres termes, comment les gens
s’y prennent pour vivre ensemble »675.
Dubet rappelle donc la primauté de l’habitus dans la sociologie de Bourdieu, « à la fois
programmation et stratégie »676. Il est constitué d’un « ensemble de codes et de dispositions
acquis de façon précoce »677 que l’individu va adapter aux circonstances. Cet habitus permet
d’autant mieux sa propre reproduction qu’il est intimement intégré à ce que Bourdieu nomme
l’agent, plutôt que l’acteur, car il n’est « jamais un sujet »678 selon lui. Les travaux présentés
ici ne mobilisent pas un paradigme déterministe, bien que le champ d’action des acteurs soit
relativement déterminé par un certain nombre de « règles du jeu » sans lesquelles la pratique
équestre ne peut se concevoir, ne seraient-ce que les cadres légaux minimum à une pratique
financée. Les activités non réglées sur le passage d’un savoir ou d’activités partagées hors de
ce type de cadre n’existeraient pas de ce simple point de vue.
Dubet explique ensuite les différentes perceptions des sociologies mettant en avant
l’acteur. Il constate un éclatement d’une sociologie qui « informe sur la nature des conduites
sociales que le sociologue est tenu d’étudier aujourd’hui »679. L’acteur et le système social
sont considérés comme des entités bien imbriquées, mais malgré tout relativement autonomes
l’un de l’autre. Aussi, plutôt que de proposer une sociologie qui se voudrait totale, il propose
la construction d’une « combinatoire des logiques de l’action »680. La notion « d’expérience
sociale » est selon lui la moins mauvaise pour désigner les conduites « organisées par des
principes stables mais hétérogènes » se déroulant dans « le flux continu de la vie
673
Ibid.
Simmel, Georg, Sociologie, étude sur les formes de la socialisation, 1999 (1908), Paris, PUF, p. 43.
675
Heinich, Nathalie, 2006, op. cit, p. 409.
676
Dubet, François, op. cit., p. 77.
677
Ibid., p. 76.
678
Ibid., p. 78.
679
Ibid., p. 89.
680
Ibid., p. 90.
674
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
quotidienne ». Elle se forme « là où les acteurs sont tenus de gérer simultanément plusieurs
logiques de l’action renvoyant à diverses logiques du système social »681. C’est « une façon
de construire le monde »682, son propre monde. L’acteur, dans la société, est amené à suivre
un certain nombre de « points de contrôle » afin d’être intégré dans une activité sociale quelle
qu’elle soit. Un enseignant, par exemple, se construit par le biais d’une formation
universitaire, qui lui permettra d’obtenir des diplômes, puis au besoin un concours, qui lui
donnera le statut d’enseignant. Dans ce statut, il se retrouve en situation de cours. Ces
situations sont variées, fonction des publics, du lieu, de la personnalité de l’enseignant, et de
son expérience, qui va s’accroître nécessairement au fur et à mesure que ses cours se
multiplient. Donc, d’un cadre défini pour l’ensemble des acteurs, chacun d’entre eux, par son
expérience propre et son individualité, va transformer une manière d’être générique en
méthode de travail personnelle et unique. Pour Dubet, « à la façon de Simmel, il faut refuser
l’idée d’une socialisation totale »683. L’individu n’est effectivement jamais entièrement
intégré au monde social. Il remarque, prenant le même exemple de l’enseignant, que celui-ci
avait une image sociale qui tend à se dévaloriser aujourd’hui. De sorte que le rôle
d’enseignant est devenu une expérience de vie plutôt qu’un simple statut. Par ailleurs, les
logiques d’action des enseignants se confrontent les unes aux autres, par le biais de l’élève
modèle perçu dans les méthodes livresques, et l’élève réel qui n’est pas forcément aussi
intéressé par l’enseignement. Aussi, l’expérience peut très bien et vite basculer dans le
cauchemar éveillé quand il y a inadéquation entre les cadres dans lesquels les professeurs sont
formés et la réalité de l’enseignement en tant que tel. Qu’en est-il dans les milieux des
moniteurs équestres ? On a indiqué que la notion de métier-passion était particulièrement
prégnante dans la sphère sociale de l’enseignement de l’équitation. La transformation du BE
en BPjeps est vécue de l’extérieur et de l’intérieur comme une régression des capacités
d’enseignement. La sélection tend à s’amenuiser objectivement, puisque le recrutement se fait
à partir du galop 5 et non plus du galop 7. Ce fut d’une certaine manière le cas dans les années
1990 pour l’entrée en STAPS, contrainte de s’ouvrir à tous les étudiants et non plus aux seuls
titulaires du concours d’entrée. L’ouverture de la formation à tous n’en supprimait alors pas la
sélection. Au lieu de se faire au début par le physique, elle continue de se faire durant son
ensemble, et cette fois par le physique et l’intellect.
681
Ibid., p. 91.
Ibid., p. 93.
683
Ibid., p. 94.
682
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La sociologie de l’expérience sociale peut donc au final être définie ainsi : elle « vise à
définir l’expérience comme une combinaison de logiques d’action, logiques qui lient l’acteur
à chacune des dimensions d’un système. L’acteur est tenu d’articuler des logiques d’action
différentes, et c’est la dynamique engendrée par cette activité qui constitue la subjectivité de
l’acteur et sa réflexivité »684.
L’objectif de la méthodologie de l’expérience sociale est de partir de la subjectivité du
sujet685. Etant socialement construite par définition, l’expérience ne se détache jamais du vécu
social de son énonciateur. Dans le discours de l’entretien semi-directif ou de l’histoire de vie,
l’acteur est amené à prendre de la distance avec son expérience, il la juge, en appelle « à des
normes plus ou moins latentes mobilisées à l’occasion »686. L’auteur ajoute que « chaque
expérience sociale résulte de l’articulation de trois logiques d’action : l’intégration, la
stratégie et la subjectivation »687. L’acteur fait donc partie d’un système, mais n’y est pas
totalement soumis. Il dispose d’une marge de manœuvre, liée à son identité, ses
représentations. Il est en concurrence avec autrui parfois, à la recherche d’une certaine dose
de pouvoir personnel également. Ces deux facettes du social sont à considérer « comme des
logiques « positives » de l’action, comme des réalités »688. La subjectivité, quant à elle,
permet d’évaluer l’engagement d’une personne dans une activité, les difficultés ressenties par
l’acteur, la culture personnelle et le rapport à autrui.
La décision de s’orienter vers une sociologie de l’expérience sociale entraîne donc un
certain nombre de choix méthodologiques, mais permet notamment de laisser toute sa place à
l’acteur et à l’ensemble de ses dimensions, historiques, personnelles, expérientielles, afin de
permettre une étude plus fine d’un sujet aux multiples facettes. L’une des difficultés de
l’enquête dans cette sociologie de l’expérience est le danger inhérent à la perception des
individus d’un aplanissement des tensions, d’une négation des difficultés des débuts devenues
banales au fil de l’expérience689. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.
684
Ibid., p. 105.
Ibid., p. 98.
686
Ibid., p. 103.
687
Ibid., p. 111.
688
Ibid., p. 127.
689
Dubet, François, op. cit., p. 183.
685
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La notion d’association, de Simmel à Becker en passant par Elias
Heinich estime que parmi les sociologues, toutes écoles confondues, il est possible de
les regrouper selon un schéma en quatre axes. L’un d’eux regroupe les auteurs dont les
travaux relèvent de la « caractérisation de l’expérience propre à un aspect de société », avec
une lecture « plus ou moins généralisante (« la société ») ou particularisante (« une société
»), qui en est faite »690. Elle y place « Weber et Simmel (pour peu qu’on accepte de faire de
celui-ci un sociologue, plutôt que le « philosophe » du social qu’il revendiquait lui-même
être), Elias, Schütz, ainsi qu’un grand nombre d’Américains : Merton, Goffman, Geertz,
Garfinkel, Collins, Becker… En France, on y trouve la majeure partie des auteurs
contemporains, notamment lorsqu’ils s’approchent de l’ethnologie (le Bourdieu de La
Maison kabyle, mais aussi le Latour de La Vie de laboratoire ou de La Fabrique du droit,
voire le Boltanski de La Condition fœtale), ou s’appuient fortement sur l’enquête de terrain
(le Bourdieu des Héritiers ou de L’Amour de l’art, Crozier, Dubet, Kaufmann…), ou visent
l’explicitation de schèmes sous-jacents à telle ou telle dimension de l’expérience (l’évaluation
des actions chez Boltanski et Thévenot, le sentiment de justice ou l’autonomie identitaire chez
Ehrenberg) »691 Nous proposons dans ce travail l’articulation d’un certain nombre de
concepts de quelques-uns de ces auteurs.
Les lieux de pratique équestres codifiés peuvent être résumés à un nombre restreint de
systèmes d’association plus ou moins compris comme tels : le centre équestre, l’écurie de
propriétaires, l’association de cavaliers d’extérieurs. Ces associations sont codifiées par des
règles d’usage du champ équestre, ainsi que d’un point de vue législatif. L’association de type
« loi de 1901 », modèle type des regroupements de randonneurs, est régulée par un ensemble
de critères objectifs visant à réunir autour d’un but commun un ensemble de personnes
différentes. Le centre équestre, généralement affilié à la fédération, répond aux critères
proposés par cette dernière. L’écurie de propriétaire(s) est un acte commercial visant à
rémunérer les soins et le travail appliqué aux chevaux, ainsi qu’éventuellement offrir un lieu
de travail de ce dernier.
L’association peut être cependant perçue comme un système allant bien au-delà de ce
type de fonctionnement. Puisque pour Simmel, « il y a société là où il y a action réciproque
690
691
Heinich, Nathalie, 2006, op. cit., p. 411.
Ibid.
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Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
des individus »692, l'interaction est donc le face à face entre deux personnes, mais aussi
nécessairement tout ce qui se produit comme événement social. « Une sociologie proprement
dite étudiera seulement ce qui est spécifiquement social, la forme et les formes de
l’association en tant que telle, abstraction faite des intérêts et des objets particuliers qui se
réalisent dans et par l’association »693. Aussi l’association dans la sociologie de Simmel
correspond à toute interaction entre des personnes qui se regroupent entre elles selon leurs
affinités. Elles agissent ainsi les unes sur les autres et l’association entre individus peut alors
revêtir de multiples formes. Ainsi, l’association peut prendre la forme de quelque chose de
tout à fait « légal » au sens de la représentation de l'Etat ou d'une association légitime type loi
1901. Mais ce système d'association peut être tout à fait factuel : un groupe d’ami est une
association sociale entre pairs se retrouvant sur un certain nombre de principes moraux,
éthiques. Les employés d’une même entreprise sont une association factuelle d’individualités
distinctes fonctionnant ensemble pour la réussite des taches qui leurs sont imposées. La
fédération sportive est une association promouvant un certain nombre de valeurs édictées,
telles que la charte des cavaliers ou le code moral du judo694. Les supporteurs se regroupent
en association pour promouvoir un club. Les hooligans sont une association factuelle
d’individus, ne reposant sur aucun statut légal695.
Cette forme de sociologie prend « les relations interindividuelles » comme « la trame
de la vie sociale »696, alors que l’unité sociale se constitue dans les associations pérennisées
en-dehors de la simple vie des hommes, voire grâce à la symbolique de leur existence697. En
somme, elle se trouve à l’intersection d’une sociologie holiste de type durkheimienne et d’une
sociologie plus individualiste wébérienne à l’instar de ce que peut proposer Elias dans ses
travaux. La constitution de la société de Cour698 durant le processus de civilisation semble
revêtir les atours de cette logique socialisante : sous l’impulsion du Roi et du rassemblement
des Nobles à la Cour, ces derniers se retrouvent parmi leurs pairs. Cet entre soi est alors le
lieu de constitution des normes sociales des plus hautes structures de l’Etat, qui se répandront
ensuite vers les sphères inférieures, forçant les premières à instituer de nouvelles normes pour
692
Simmel, Georg, op. cit., p. 43.
Simmel, Georg, Le problème de la sociologie, in Revue de métaphysique et de Morale, 1894, p. 499.
694
Disponible pour information en annexe 4 p. 9.
695
Bodin, Dominique, Le hooliganisme, 2003, Paris, PUF.
696
Simmel, Georg, Comment les formes sociales se maintiennent, in l’Année sociologique, 1896-1897, p. 84.
697
Ibid., pp. 80, 81.
698
Elias, Norbert, La société de Cour, 1974, Paris, Calmann-Lévy.
693
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Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
se distinguer du commun. Mais contrairement à ce que Etienne et al. semblent penser, la
dynamique présentée par Elias est autant proche de Durkheim que de Weber ou de Simmel699.
Les arts de la table, la répulsion grandissante aux choses naturelles du corps, les réglages des
manières d’être envers autrui, et pour ce qui nous concerne, la transformation de l’art guerrier
en art tout court de l’équitation entre alors dans cette structuration. La « civilisation des
mœurs » n’est pas un Deus ex Machina, qui proviendrait d’une puissance sociale supérieure
imposant les changements aux individus des classes supérieures, mais ce sont les classes
supérieures elles-mêmes qui, pour se démarquer du commun, érigent les règles qui vont leur
permettre de se distinguer du reste de la population. L’individu appartient au système et en est
partie prenante, il agit le cas échéant pour produire des changements. C’est peut-être ensuite
la part individuelle de l’être social, la plus fondamentale, qui lui permet d’adhérer ou non aux
normes qui lui sont imposées par le système700. Dubet, enfin, rappelle également « qu’une
formation sociale est composée d’une « communauté », d’une économie et d’une culture »701
(donc de normes).
Becker parle d'association lorsque les individus se regroupent autour de souhaits ou
d'une « politique » commune. Ce sont les entrepreneurs de la morale. Simmel lui-même
estime déjà que pour que puissent se mettre en place les sociétés modernes, « il devient
nécessaire qu’une classe se constitue pour imposer [les] normes aux relations
individuelles »702. Sans nommer le terme que Becker choisira plus tard, la constitution des
groupes sociaux relève pour lui néanmoins de la constitution d’une classe « pour imposer ces
normes aux relations individuelles »703. On retrouve cette idée de la curialisation des guerriers
telle qu’elle s’est produite, avec la conséquence qui en a découlé : l’adoption de normes de
groupes. On peut ainsi estimer que l’association au sens simmelien du terme des individus
fonctionne comme un entreprenariat de la morale de type beckerien pour les membres du
groupe. Cet entreprenariat, puisque les associations ne se constituent que par opposition avec
d’autres groupes, et d’autant plus que les interactions se multiplient, tendra à se développer
en-dehors du groupe pour tenter de s’imposer à l’ensemble d’une sphère sociale. On retrouve
donc cette logique de la constitution d’un groupe et de ses normes en confrontation et en
699
Etienne, Jean, Bloess, Françoise, Noreck, Jean-Pierre, Roux, Jean-Pierre, Normes, in Dictionnaire de
sociologie. Les notions, les mécanismes, les auteurs, 1995, Paris, Hatier, pp. 157-161.
700
Dubet, François, op. cit., p. 69.
701
Ibid., p. 110.
702
Simmel, Georg, Comment les formes sociales se maintiennent, in L’année Sociologique, première année,
1896-1897, p. 97.
703
Simmel, Georg, 1896-1897, op. cit., 92.
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Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
liaison704 chez Simmel le premier, ainsi que chez Elias, mais également en toile de fond chez
Becker. D’ailleurs, Dubet rappelle en citant Coser que la confrontation des acteurs permet leur
adaptation et leur intégration, tout en renforçant leurs normes propres705.
Le fonctionnement du groupe des « indignés » de la FFE peut en l’occurrence être
qualifié de groupe d’entrepreneurs d’une autre morale que celle proposée par la FFE. En
entrant en confrontation directe avec elle, l’objectif manifeste est de proposer une autre norme
de fonctionnement à celle actuellement en vigueur au sein de la fédération. Ce type de
confrontations avait déjà été repéré dans le champ des arts de combat, que ce soit pour la
constitution des fédérations de pratiques japonaises706, et également pour celle des pratiques
chinoises707. La question qui se pose alors dans ce travail est celui de la répartition des
différentes structures au sein d’un continuum. En effet, nous partons du principe que
l’ensemble des activités équestres se distribuent au sein d’un continuum de pratiques
s’étendant d’une équitation sportive à une équitation artistique. Rappelons que pour Simmel,
la principale manière de s’individualiser pour l’acteur social est l’art708. Alors, d’une certaine
manière, l’art guerrier est le pendant individualiste du sport de combat, et l’art équestre l’est
pour les sports équestres. Le sport est un outil de présentation de soi au monde, l’art un outil
de présentation de soi à soi, puis éventuellement si la valeur sociale est avérée, au monde.
Il est possible de repérer, au-delà de ce continuum, différents types d’associations
factuelles d’individus. Nous pourrons ensuite les situer les uns par rapport aux autres selon les
représentations qui seront les leurs. Par exemple, nous avons vu qu’un certain nombre de
critiques semblent émerger non pas contre la fédération en elle-même, mais contre les
changements de diplômes et de critères de formation (Bpjeps, nouveaux galops…) y compris
par les bénéficiaires de ces changements. Cela nous ramène d’ailleurs aux propos d’Elias : la
situation des personnes intervenant sur la page Facebook des « indignés » est tellement
prégnante, ils subissent une telle emprise de leurs difficultés qu'ils sont totalement engagés
dans leur lutte, sans la moindre distanciation nécessaire à une vision globale. La pratique
équestre, nous l’avons vu, est particulière en France : elle est à la fois dans le domaine sportif
et dans le domaine agricole. Les propositions faites au fil des jours sur ce site portent sur tous
704
Molénat, Xavier, Georg Simmel, l’ambivalence de la modernité, in Les grands dossiers des sciences
humaines, mars-avril-mai 2013, n°30, pp. 22, 23.
705705
Dubet, François, op. cit., p. 49.
706
Juhle, Samuel, les pratiques martiales japonaises en France, in Actes de la recherche en sciences sociales,
n°179, septembre 2009, pp. 92-111.
707
Régnier, Patrice, 2000, op. cit.
708
Dubet, François, op. cit., p. 75.
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Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
les sujets, dans toutes les directions. A tel point que les établissements de formation sont
présentés comme l'ennemi qui les empêche de bien former, ce qui paraît étonnant. Les
stagiaires que les entreprises équestres recrutent ou forment sont souvent qualifiés de
mauvais, ils deviennent de vilains canards que les établissements n'ont pas su mettre de côté.
Enfin, ils se plaignent de la difficulté pour un diplômé à trouver du travail sans se rendre
compte que c'est le cas dans la majorité des domaines professionnels. L’ensemble de ces
remarques incite à dépasser ces investissements personnels important des professionnels pour
tenter de comprendre les phénomènes sous-jacents à ces tensions. Il pourrait également
s’avérer intéressant de comprendre en quoi les représentations des populations cavalières
dessinent un monde aux multiples variations.
Valeurs, art et vocation
Ici, il convient de faire quelques remarques concernant les notions de valeur et d’art. La
valeur, nous l’avons déjà évoqué, est une des représentations susceptibles d’être rencontrées
durant la recherche. Pour Heinich, « le problème qui se pose concrètement au sociologue
n’est pas l’existence de faits ou de valeurs « en soi », mais la présence dans ses corpus
d’énoncés contextualisés se présentant comme factuels ou comme normatifs »709. La
sociologie de l’expérience, c’est aussi l’analyse du discours et de ce qui est énoncé, en tous
cas dans la perspective de l’entretien. Schaeffer donne une explication claire de la différence
entre le fait objectif et le fait subjectif : « Une propriété ou une entité ontologiquement
objective existe indépendamment de tout observateur ; une propriété ou une entité
ontologiquement subjective n’existe que relativement à l’observateur. En ce sens, toutes les
valeurs sont des faits ontologiquement subjectifs, puisqu’elles n’existent qu’en tant qu’elles
sont posées par l’observateur ou l’utilisateur de l’entité à laquelle elles sont attribuées. Il faut
noter qu’un fait ontologiquement subjectif n’est pas moins réel qu’un fait ontologiquement
objectif, simplement son statut n’est pas le même : il n’existe qu’en tant qu’attitude
intentionnelle »710.
Heinich rappelle cependant qu’il ne faut pas confondre subjectivité et individualité.
Cela signifie donc qu’une subjectivité peut être partagée par un certain nombre de personnes
au sein d’une même association711. Schaeffer rappelle également que les valeurs morales,
709
Heinich, Nathalie, 2006, op. cit., p. 302.
Schaeffer, Jean-Marie, Adieu à l’esthétique, 2000, Paris, PUF, p. 57.
711
Heinich, Nathalie, 2006, op. cit.
710
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c’est-à-dire celles que nous espérons pouvoir mettre en relation avec celles recherchées dans
les arts de combat, « sont des faits d’intentionnalité collective, puisqu’elles sont fondées sur
des normes instituées dont la référence est intrinsèquement collective, supra-individuelle »712.
Pour Heinich, cette remarque permet d’effectuer une gradation plus fine entre objectif et
subjectif. Et également de différencier des « faits d’intentionnalité collective (les valeurs
morales) et faits d’intentionnalité individuelle (les valeurs esthétiques) »713. Ainsi le fait
ontologiquement objectif est un fait en soi, tandis que le fait ontologiquement subjectif est
quand il est collectif la valeur morale, et quand il est individuel la valeur esthétique. L’intérêt
se portera donc sur les valeurs morales émises par les témoins quand il s’agira de valeurs
partagées.
Quoiqu’il en soit, pour Heinich, retranscrire les valeurs (morales ou esthétiques) ne peut
se faire que par l’observation ou l’entretien714. Il conviendra ensuite d’intégrer « à l’analyse
la spécificité des contextes (celui de l’enquête comme celui des situations évoquées), et en
[d’autoriser] une reconstruction inductive des cadres axiologiques pertinents pour les
acteurs »715.
Le versant de la valeur esthétique renvoie à la dimension artistique évoquée auparavant.
Nous avons vu que le sport produisait ses élites, que les auteurs en sociologie équestre
estiment qu’il s’agit de la voie royale pratiquée par les clubs. Si effectivement l’autre pôle
produit l’artiste, il le produit de deux façons. Soit dans la production de soi à soi, soit dans la
production de soi au monde. Alors, il apparaît de nouveau comme une élite, une élite
artistique. Alors que l’art s’est constitué sur la subversion à l’ordre dominant, il en devient
ainsi constitutif716. En effet, « en se constituant idéalement comme singulier, c’est-à-dire,
littéralement, hors du commun, l’art paie de son renoncement au pouvoir et à l’insertion
sociale sa capacité à représenter un privilège démocratiquement acceptable, parce que ni
aristocratique (sans pouvoir) ni bourgeois (sans insertion). D’où le partage de l’artiste en
trois idéaltypes [...] : l’artiste mondain, incarnation d’une aristocratie désormais renvoyée au
passé ; l’artiste engagé, incarnation de la démocratie expérimentée au présent ; et l’artiste
bohème, incarnation de la singularité projetée dans l’avenir. Ainsi peuvent se conjoindre, ne
712
Schaeffer, Jean-Marie, op. cit., p. 58.
Heinich, Nathalie, op. cit., p. 303.
714
Ibid., p. 309.
715
Ibid., p. 310.
716
Heinich, Nathalie, « Retour sur la notion d'élite », Cahiers internationaux de sociologie, 2004/2 n° 117, p.
313-326. DOI : 10.3917/cis.117.0313
713
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Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
serait-ce qu’imaginairement, les trois substrats fondamentaux de la grandeur que sont le
privilège (aristocratie), le mérite (démocratie) et la grâce (vocation) »717.
L’expérience équine, comme il en a été question au chapitre 2, s’accompagne souvent
de la notion de « passion », celle-ci conduisant dans certains cas à la déclaration d’une
vocation et donc d’un avenir professionnel lié aux chevaux. Un certain nombre d’options
s’offre à eux en tant que professions : le versant sportif, le versant enseignement et sans doute
aussi difficile d’accès que le sport de haut niveau, l’art.
Dans tous les cas se pose la question du don. On parlera de pédagogie dans le monitorat,
de talent en sport et de beauté esthétique en art. Quoi qu’il en soit, la vocation artistique
(qu’elle soit personnelle ou tournée vers les autres) peut être liée au « don ». Le don (comme
« la grâce »718) est un reçu « passif », une capacité, une habileté reçue à la naissance, sans
effort ou volonté, donc immérité719. Il vient s’opposer aux notions de volonté, d’apprentissage
et de travail, bien que ces notions conflictuelles puissent être amenées à se
compléter « produisant ce qu’on appelle le « talent » »720. La reconnaissance du public ne
peut pas être acquise par le don seul, qui ne relève pas du mérite, contrairement à l’effort et au
travail. Alors la vocation devient le moyen pour l’artiste « de rendre ce don qu’il a reçu en
donnant sa vie pour l’art », et « cette grâce qui lui a été faite […] en faisant don de sa
présence ». Nous retrouvons alors le second sens du mot « don », donner à l’autre.
La question de la vocation a d’abord été posée en sciences sociales sur les parcours
religieux des prêtres721. Ce type de vocations était alors analysé comme géré de l’intérieur par
l’ensemble des acteurs du système religieux. Puis l’étude des vocations s’est déplacée sur de
nombreux espaces d’étude, tels que la profession de clarinettiste722 et l’art en général. Ainsi,
« le modèle vocationnel devient, avec le transfert de la fonction sacrée de la religion à la
production culturelle, le mode privilégié de l’exercice des métiers artistiques, ou plutôt le
717
Heinich, Nathalie, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, 2005, Paris, Gallimard,
p. 274.
718
« Ou plus précisément, le don artistique est la principale objectivation, dans le monde moderne, de la Grâce
religieuse ».
Heinich Nathalie, « Avoir un don. Du don en régime de singularité », Revue du MAUSS, 2013/1 n° 41, p. 235240. DOI : 10.3917/rdm.041.0235, p. 239.
719
Ibid., p. 236.
720
Ibid., p. 237.
721
Suaud, Charles, Contribution à une sociologie de la vocation : destin religieux et projet scolaire, in Revue
française de sociologie, 1974, 15-1, pp. 75-111.
722
Ravet, Hyacinthe, « Devenir clarinettiste » Carrières féminines en milieu masculin, Actes de la recherche en
sciences sociales, 2007/3 n° 168, p. 50-67. DOI : 10.3917/arss.168.0050
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
154
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
modèle revendiqué par une élite qui parvient à imposer cette représentation socialement »723.
Heinich nous invite néanmoins à prendre garde aux analogies religieuses, notamment en
prenant l’exemple de la célébrité724. Il apparaît pour elle que « l’analogie religieuse s’impose
à certains chercheurs comme un outil interprétatif exclusif de tout autre, transformant l’objet
observé en un écran de projection de leurs catégories cognitives »725. Alors, la référence se
fait sans plus de réflexion, en mélangeant « des traditions religieuses pour le moins
hétérogènes »726. Il paraît cependant difficile d’en faire l’économie. Elle propose donc de
cesser de « comparer à » pour « comparer avec » afin de ne pas seulement démontrer des
similitudes, mais également les différences727.
Dans ce cas, reprenons l’exemple de Sapiro pour l’art. Elle estime qu’à la différence de
la vocation religieuse, la vocation artistique se produit en dehors de tout organisme de
contrôle728. Il est aisé de faire la comparaison avec les structures équestres. Dans ce cas, la
vocation professionnelle se ferait au sein des organismes producteurs des compétences
recherchées, alors que la vocation artistique équestre se produirait hors de ces structures. Par
contre, reste l’exemple du cavalier qui ne perce pas en compétition et surtout celui pour qui
l’art n’est pas pratiqué dans une optique médiatique. C’est dans cet espace restreint que se
positionnent la plupart des pratiquants d’équitation. Et l’élite sportive comme l’élite artistique
se retrouvent au même « sommet » de la célébrité. L’intérêt ressort également de ne pas
comparer l’équitation aux arts de combat, mais avec. Heinich nous rappelle que la religion,
nous l’avons évoqué dans le chapitre 1, constitue « une matrice originelle, mais une
configuration contextuelle – la configuration chrétienne n’étant que la forme la plus familière
aux sociétés occidentales »729, rappelant en cela le concept d’Elias. Elle invite à ne plus parler
« de la religion », mais plutôt « des religions »730. Les religions d’autres cultures sont
également plus familières aux sociétés asiatiques, par exemple, et constituent en soi les
moyens d’une comparaison, constituant ainsi une différence de perception de leur évolution,
723
Sapiro, Gisèle, « La vocation artistique entre don et don de soi », Actes de la recherche en sciences sociales,
2007/3 n° 168, p. 4-11. DOI : 10.3917/arss.168.0004, p. 7.
724
Heinich, Nathalie, « Des limites de l'analogie religieuse », Archives de sciences sociales des religions [En
ligne], 158 | Avril-juin, mis en ligne le 02 janvier 2016, consulté le 10 septembre 2012. URL :
http://assr.revues.org/23838 ; DOI : 10.4000/assr.23838
725
Ibid., p. 159.
726
Ibid., p. 161.
727
Ibid., pp. 164-165.
728
Sapiro, Gisèle, 2007, op. cit., p. 8.
729
Heinich, Nathalie, 2012, op. cit., p. 173.
730
Ibid., p. 166.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
155
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
après que nous en ayant montré les similitudes dans ce chapitre 1. Ce qui pourrait se retrouver
également dans cette tendance d’ailleurs de parler de l’Equitation, telle une église d’où
émanerait « la bonne parole » qui pourrait bien masquer les équitations, porteuses de valeurs
morales variées.
Heinich propose également de faire ces comparaisons par « fonctions ». Une fonction
est alors « ce par quoi une entité fait quelque chose à une autre entité »731. Par exemple, dans
la comparaison des religions avec la célébrité, elle propose « la mise en évidence de
similitudes entre fonctions distinctes : culturelle, communautaire, émotionnelle ou
charismatique »732. L’exemple donné plus haut porterait sur les fonctions « institutionnelle »
(être mainstream ou underground) « culturelle » (culture sportive versus non sportive),
« émotionnelle » (présentation de soi à soi ou aux autres) et « communautaire » (appartenance
à telle ou telle instance). Quid des fonctions « rituelle », « esthétique », « charismatique » ? Il
faudra les analyser pour comprendre comment se répartissent les équitants sur le continuum
proposé. « La comparaison heuristique par décomposition fonctionnelle autorise une
description fine du phénomène observé, sans préjuger de sa nature. S’ouvre alors la
possibilité d’une enquête qui fasse précisément la part de ce qui sépare et de ce qui unit »733.
Une sociologie du corps
L’équitation est une technique pluriséculaire, nous l’avons vu, dont l’objectif paraît être
la communication en corps à corps, notamment, avec l’animal. C’est une technique du corps,
ou un ensemble de techniques du corps. Mauss définit ainsi la technique : « J'appelle
technique un acte traditionnel efficace (et vous voyez qu'en ceci il n'est pas différent de l'acte
magique, religieux, symbolique). Il faut qu'il soit traditionnel et efficace. Il n'y a pas de
technique et pas de transmission, s'il n'y a pas de tradition. C'est en quoi l'homme se
distingue avant tout des animaux : par la transmission de ses techniques et très probablement
par leur transmission orale »734. Il observe que les techniques sont variables en fonction des
731
Ibid., p. 167.
Ibid., p. 168.
733
Ibid., p. 174.
734
Mauss, Marcel, Les techniques du corps, Article originalement publié Journal de Psychologie, XXXII, ne, 34, 15 mars - 15 avril 1936. Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934. Édition
numérique disponible dans Les Classiques des sciences sociales. Un document mis en ligne le 8 février 2010, 24
pages. [EN LIGNE] DOI: http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mam.tec.
732
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
156
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
sociétés où elles sont observées. Dormir, se nourrir, courir, sont des actes corporels présents
dans chaque société, mais de manières différentes, tout du moins initialement. En effet,
l’auteur raconte l’anecdote de l’observation de la modification des démarches féminines,
semblant découler de l’arrivée du cinéma et du spectacle des démarches américaines735. Cet
élément, appliqué aux pratiques physiques et sportives, laisse supposer de nos jours une
manière d’uniformisation technique des savoirs corporels. Si Mauss nageait d’une manière
différente de celle existante aujourd’hui, il est probable que tous les nageurs de très haut
niveau actuels déploieraient pour s’affronter une technique rigoureusement identique
devenant norme technique. Et ce même si des manières de faire différentes continuent de
coexister au sein des différentes sociétés, celles-ci pouvant être alors qualifiées d’outsiders (la
nage indienne, par exemple). Les pratiques de rue, telles que le parkour ou le street golf,
subissent une « sportification » : « l’acquisition d’une reconnaissance, la mise en place d’une
fédération de pratiques puis la reconnaissance institutionnelle »736. Ce phénomène a pu être
observé au long du 20e siècle pour les arts de combat, dont les pratiques n’ont pas
nécessairement été pensées comme des sports en devenir737. On y retrouve donc un continuum
semblable s’étendant des activités sportives à des activités de l’ombre. Il n’en demeure pas
moins que toute activité corporelle, dans ce cas, est un construit social. « Là où Durkheim
tend à voir le corps sous la forme d’un organisme, sans autre profondeur que biologique,
Mauss ouvre un abîme d’analyse en montrant qu’il n’est aucun geste, aucun mouvement,
aucune posture, aucune émotion, aucun engagement physique envers le monde qui ne
s’enracine dans le symbolisme »738. L’apprentissage se fait par imitation, mais également par
intégration corporelle d’une praxis donnée. La place du corps du chercheur prend toute sa
place dans une étude cherchant à mettre au jour les tenants et aboutissants d’une pratique.
Vanpoulle évoque la notion de « connaissance praxique et par corps »739. Dans une optique
visant à ouvrir une réflexion destinée à sortir des concepts occidentaux par une ouverture à la
pensée orientale, cet ouvrage permet d’ouvrir le champ des possibles conceptuels et
méthodologiques. Andrieu ne propose pas autre chose quand il évoque son propre corps,
735
Ibid., p. 7.
Lebreton, Florian, Routier, Guillaume, Héas, Stéphane, Bodin, Dominique, Cultures urbaines et activités
physiques et sportives. La « sportification » du parkour et du street golf comme médiation culturelle, in Revue
Canadienne de sociologie, Vol. 47, n°3, août 2010, p. 295.
737
A l’exception du judo, pour lequel nous avions déjà fait remarqué que sa conception était en soi tournée vers
des principes proches de ceux de Coubertin (cf. chapitre 1-3).
738
Le Breton, David, Mauss et la naissance de la sociologie du corps, in La revue du MAUSS, n°36, 2010/2, pp.
371-384.
739
Vanpoulle, Yannick, Epistémologie du corps en Staps, 2010, Paris, L’Harmattan, p. 61.
736
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
comme « projecteur » ou « immerseur »740. La place du corps du chercheur, de fait, est source
de problème en sociologie. Celui-ci est considéré comme nuisible à la captation du substrat
social, produisant le biais de sa présence même. Andrieu distingue trois principaux problèmes
dans la présence du corps du chercheur : l’intérêt que nous avons évoqué plus haut pour un
sujet plutôt qu’un autre, la personnalité qui va conduire à des choix dans le traitement des
travaux, et la tendance à « l’aller de soi »741. Le corps du chercheur est pourtant
systématiquement présent en sciences sociales, y compris et surtout sur le terrain. En
témoigne les retours émis par Héas dans ses différentes démarches méthodologiques742. De
nouvelles recherches tendent à montrer, à la suite de Wacquant743, que l’immersion du corps
dans le champ de recherche peut amener ce corps à devenir lui-même outil méthodologique, à
condition de n’être pas le seul outil employé. L’analyse du corps intime peut alors être
complétée grâce à d’autres abords du terrain (entretiens, observations…)744. L’importance de
l’utilisation des sens a alors toute sa place. Le Breton offre un bon exemple de terrains en
friche que les sciences humaines sont alors à même d’explorer avec une sociologie ancrée sur
les sensations745. Les portes s’ouvrent ainsi sur un changement paradigmatique au sens de
celui proposé par Vanpoulle. Contre une science fondée sur la dichotomie comme princeps à
l’étude746, il s’agit d’une volonté assumée d’une recherche basée sur la réintroduction d’une
unité Corps et âme, telle que Nietzsche la conçoit747. Par ailleurs, il convient même de lutter
contre la séparation laissée jusqu’alors en sciences sociales entre culturalistes et
naturalistes748. Car en effet « il y a sans doute un privilège occidental du savoir puisque le
monde s’est occidentalisé, mais cela ne signifie pas qu’il incarne la vérité »749. Dans cette
optique, « le chercheur utilise son corps et tous ses sens comme outils d’intégration au
740
Andrieu, Bernard, Mon corps, projecteur ou immerseur?, in Le corps du chercheur. Une méthodologie
immersive, 2011, Nancy, PUN, pp. 13-63.
741
Ibid., p. 23.
742
Héas, Stéphane, A Corps Majeurs. L’excellence corporelle entre expression et gestion de soi, 2011b, Paris,
L’Harmattan,
743
Wacquant, Loïc, Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, 2002, Paris, Agone.
744
Andrieu, Bernard, 2011, op. cit., p. 63.
745
Le Breton, David, Sociologie du corps, 2012 (1992), Paris, PUF, p. 66 ; Anthropologie de la douleur, 1995,
Paris, Métailié ; Eclats de voix : une anthropologie des voix, 2011, Paris, Métailié ; La saveur du Monde : une
anthropologie des sens, 2006, Paris, Métailié.
746
Fournier, Laurent-Sébastien, Raveneau, Gilles, « Anthropologie des usages sociaux et culturels du corps »,
Journal des anthropologues [En ligne], 112-113 | 2008, mis en ligne le 25 juin 2010, consulté le 04 juin 2013.
URL : http://jda.revues.org/661, p. 2.
747
Andrieu, Bernard, 2011, op. cit., p. 55-57.
748
Despret, Vinciane, Strivay, Lucienne, « Corps et âme. Passionnément »,SociologieS [En ligne], Dossiers,
Émotions et sentiments, réalité et fiction, mis en ligne le 01 juin 2010, consulté le 18 juillet 2013. URL :
http://sociologies.revues.org/3163.
749
Andrieu, Bernard, Entretien avec David Le Breton, in Corps sportifs, 2007, Paris, Editions Dilecta.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
158
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
groupe étudié »750. Il apparaît que l’étude menée ici, basée sur un corps à corps intime avec
l’animal devrait être réalisé avec le corps tout entier, par la kinesthésie : « Le travail sur le
toucher n’est pas seulement un travail de développement de l’intelligence, il est en même
temps un médiateur de socialisation »751 . L’article de Despret et Strivay752, cependant, est
basé sur les histoires d’enfants-loups du passé753. Elles regrettent ainsi l’incapacité de savoir
les ressentis qui ont pu être les leurs dans les expériences visant à les socialiser. « La langue
fabrique l’humain et le singularise »754, aussi dans la relation du cheval à l’homme, on l’a vu,
les communications corporelle et verbale se croisent et s’ajoutent pour donner du sens au
mouvement. L’analyse corporelle ne peut donc pas en effet se faire sans autre méthodologie
d’approche du terrain.
Il y a donc une socio-anthropologie s’intéressant au corps avec un intérêt renouvelé. Les
premières études ont commencé à émerger durant les années 1980755. On étudie de nos jours
la place de la sueur dans les clubs de remise en forme756, les inculcations corporelles dans le
haut niveau gymnique757 ou l’étude des bodybuilders par immersion. Dans ce dernier cas, les
auteurs constatent un risque pour le scientifique de ne plus pouvoir restaurer son état initial,
au vu de son implication corporelle totale : « Une observation participante active modifie
l’univers du chercheur pendant le temps de l’enquête. Il devient ainsi une partie de son objet
d’étude. Qu’est-ce qui détermine, malgré une conversion avérée, un retour à une vie presque
normale ? »758.
Vanpoulle propose donc une épistémologie du corps dans les activités sportives.
Considérant que le corps « pourrait bien être le lieu ultime de connaissance et le dernier
750
Perera, Eric, Rouanet, Sylvain, De Léséleuc, Eric, Comprendre par corps le phénomène étudié, in Le corps du
chercheur, une méthodologie immersive, 2011, Nancy, PUN, p. 69.
751
Despret, Vinciane, Strivay, Lucienne, op. cit.
752
Il est piquant que l’article s’intitule « corps et âme, passionnément », quand la séparation de l’âme et du corps
ainsi que la passion, avant d’être séparés entre culture et nature par les sciences sociales est une dichotomie et un
vocabulaire lié à la religion catholique notamment.
753
Avec toutes les précautions à noter concernant la véracité même de ces cas…
754
Ibid.
755
Shilling, Chris, The Body and Social Theory, 1993, Londres, Sage Publications, p. 28.
756
Raveneau, Gilles, « Traitement de la sueur et discipline du corps », Journal des anthropologues [En ligne],
112-113 | 2008, mis en ligne le 28 juin 2010, consulté le 06 juillet 2013. URL : http://jda.revues.org/813.
757
Papin, Bruno, « Capital corporel et accès à l’excellence en gymnastique artistique et sportive », Journal des
anthropologues [En ligne], 112-113 | 2008, mis en ligne le 28 juin 2010, consulté le 28 juin 2013. URL : http://
jda.revues.org/822.
758
Perera, Eric, Rouanet, Sylvain, De Léséleuc, Eric, 2011, op. cit., p. 81.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
ancrage au monde »759, son utilité en tant qu’outil de recherche lui semble incontournable. Il
estime qu’il est « nécessaire de réinterroger les voies non-verbales du savoir »760. L’intérêt
qu’il porte à l’intervenant en activités sportives le conduit à évoquer les manières de faire
professionnelles des intervenants en APS. Les indications qu’ils donnent font assez
fréquemment référence au ressenti des pratiquants761. Couplé aux savoirs techniques intégrés
dans la mémoire individuelle, il permet ou non la progression. Les savoirs déclaratifs sont
alors issus des savoirs procéduraux, donc de la technique, donc du savoir par corps762.
Après avoir exposé les grands paradigmes scientifiques occidentaux, il propose une
approche des théories orientales telles que le bouddhisme, la médecine ayurvédique, le
taoïsme et la pensée traditionnelle chinoise. Il s’agit de « proposer des représentations de la
connaissance valables dans les différents mondes phénoménologiques et les différents modes
de connaissance, de construire le système des processus phénoménologiques de la
connaissance comme chemin »763. Il suggère ainsi de mettre en œuvre une « épistémologie
phénoménologique constructiviste situationnelle »764. Cette démarche a néanmoins ses
limites, nous l’avons vu, car il ne s’agit que du « point de vue d’où parle et observe le
chercheur »765. Il s’agira dans l’absolu de pouvoir comparer ce vécu expérientiel avec le vécu
des personnes interrogées lors des entretiens prévus pour mettre au jour des correspondances
avec les savoirs techniques et corporels. Nous reviendrons précisément à ces méthodologies
dans le chapitre suivant.
Les travaux de Mauss permettent d’admettre que l’évolution des techniques corporelles
tend à une transmission des techniques les plus efficaces. Nous avons vu que ce n’est pas
nécessairement le cas, avec l’existence des techniques paradoxales comme la marche à hauts
talons, les pieds bandés en Chine ou la monte en amazone en Europe766. D’ailleurs, du point
de vue de Mauss, ces pratiques ne méritent pas le nom de technique, puisqu’elles ne tendent
pas à l’efficacité, selon les textes étudiés précédemment. A contrario, la constitution de la
monte en amazone en tant que discipline à part entière avec ses niveaux (les fourches puis
759
Vanpoulle, Yannick, 2011, op. cit., 14.
Ibid., p. 25.
761
Ibid., p. 38.
762
Ibid., p. 51.
763
Ibid., p. 120.
764
Ibid., p. 123.
765
Ibid., p. 129.
766
Tourre-Malen, Catherine, 2011, op. cit.
760
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
160
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
galops d’amazone semblant aujourd’hui disparus) à la période récente tendrait à faire de cette
pratique une réelle technique mesurable en compétition, et donc une pratique de
performance767.
L’équitation et les arts de combat présentent un point commun supplémentaire : la
variété des perceptions de ce qu’il est bon ou non de faire en situation. Les arts de combat,
d’où qu’ils proviennent, consistent en l’affrontement de deux ou plusieurs adversaires en vue
de la sauvegarde de sa propre intégrité physique (si ce n’est de la destruction de celle de
l’adversaire) ou en vue de la victoire en compétition. Sur ce simple principe, de nombreuses
méthodes coexistent et ne cessent d’être créées, recréées, voire renommées768. Chaque
pratique ancienne ou nouvelle qui tente de se structurer le fait par le biais de la publicité,
tentant de se regrouper en autant de manières de faire.769 Autant de livres, de vidéos sont
publiés pour vanter les mérites de telle ou telle technique. Il en est de même pour les pratiques
à cheval, pour lesquelles de nombreux auteurs publient leurs méthodes. L’équitation consiste
pourtant toujours en la maîtrise du cheval par le cavalier. Les nouvelles pratiques, telle que
l’équitation « naturelle »770, qui s’installent sur un territoire déjà occupé par l’équitation
sportive classique participe de ce phénomène.
La technique corporelle, par la constitution d’une fédération, est ainsi normée. Celle-ci
édite en effet, quelle que soit la pratique, le guide des « bonnes manières » de la discipline.
Arts guerriers et équitation se retrouvent également sur ce point. Les ceintures ou les galops
semblent de ce fait suivre la même légitimation de la pratique, du niveau et des savoirs acquis.
La « voie royale » décrite par Chevalier conduit a priori à normaliser une pratique axée sur la
compétition, tout comme dans les arts de combat. Mais cette norme sportive a bien
évidemment ses outsiders qui paraissent devoir se trouver parmi les tenants d’une équitation
artistique, tournée vers une autre conception équestre, tout comme peuvent l’être les arts
guerriers vis-à-vis des sports de combat. Cet état de fait invite à se demander ce qu’il advient
de la technique corporelle dans ce cas. Car si les objectifs, les conceptions inhérentes à ces
visions de la pratique diffèrent, la technique, elle, semble être la même.
767
http://www.ffe.com/Disciplines-Equestres/Culture-Tradition/Amazone/Presentation, consulté le 19 septembre
2013.
768
Gaudin, Benoît, 2009, op. cit.
769
Juhle, Samuel, 2009, op. cit.
770
Les pratiques nouvelles ne sont pas évidemment l’apanage de l’équitation. Dans les arts de combat, on
distingue également d’autres activités issues de ceux-ci et euphémisées : boxe aérobic, body karaté…
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
161
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Il convient pour notre sujet de comprendre comment se construisent ces savoirs
techniques pour le pratiquant, et finalement la manière dont se construit l’expérience si ce
n’est le statut de cavalier. Et par conséquent, il s’agira d’observer ce qui confère ce statut. Les
statuts fédéraux sont très clairs concernant le versant sportif de l’activité. De ce point de vue,
le cavalier reconnu comme tel l’est à partir du galop 4 qui constitue également le « brevet de
cavalier ». Le galop 7 représente un sésame ouvrant le droit aux compétitions. Ainsi, la
pratique en centre équestre conduit-elle directement à cet objectif, et du point de vue fédéral,
est un cavalier compétiteur celui qui atteint ce niveau. Les galops 4 à 7 nécessitent pour leur
obtention d’effectuer des parcours sur un axe compétitif d’un niveau de plus en plus
important. Il semble cependant que dorénavant, la pratique de compétitions officielles soit
soumise à l’acquisition de galops particuliers : les galops de compétition771.
Mais puisqu’il semble que la norme fédérale ne rencontre pas l’adhésion de toute la
population des cavaliers, la perception des autres publics s’avère intéressante pour
appréhender ces « autres » normes, voire ces « contre-normes », si l’on peut dire, qui valident
alors la perception du « bon » cavalier, d’un « bon » cavalier « autre ».
Une sociologie « animalitaire »
Digard s’inquiétait dans ses écrits de la tendance à la « passion animalitaire » qui
semble prendre beaucoup d’importance à la période récente772. Bien que nous ayons exprimé
une certaine réserve quant à ses conclusions, force est de constater un réel intérêt des sciences
sociales ces dernières années pour ce qui concerne les relations hommes – animaux. Elles sont
à mettre en rapport avec les Animal Studies que nous avons discutés dans le chapitre deux.
Cet intérêt renouvelé témoigne sans doute d’un renforcement des tendances animalitaires,
malgré tout, et en tous cas les accompagne-t-il. Digard, bien sûr, s’intéresse aux relations
qu’entretiennent les Français avec leurs animaux. Gouabault et Burton-Jeangros font un état
des lieux des multiples plans (scientifique, épistémologique, éthique, social et géographique)
au sein desquels des modifications se produisent773. Ils considèrent ainsi que « les
771
http://www.ffe.com/ffe/Formations-Equestres/Diplomes-cavaliers/Les-Galops-R,
http://www.ffe.com/enseignant/Documents/Galops/Renovation-2012, consultés le 9 juin 2013. Programme
officiel des galops, applicables au 1er septembre 2012, FFE.
772
Digard, Jean-Pierre, 1995, op. cit.
773
Gouabault, Emmanuel et Burton-Jeangros, Claudine, L’ambivalence des relations humain-animal : une
analyse sociologique du monde contemporain, in Sociologie et sociétés, vol. 452, n°1, 2010, pp. 299-324.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/043967ar
DOI: 10.7202/043967ar
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
connaissances scientifiques et les pratiques sociales actuelles incitent à penser que la
frontière entre ces deux ordres ne va plus de soi »774 et que la frontière entre l’humain et
l’animal ont par définition toujours été fluctuantes. Elles sont en tous cas fonction de
variations socioculturelles et temporelles775. En effet, les auteurs rappellent que certaines
espèces peuvent évoluer d’un statut à un autre : animal sauvage, animal de rente, animal
domestique, et ce dans toutes les directions. Par ailleurs, ils introduisent une relation au
processus de civilisation intéressante, en montrant que ces changements de statut sont liés à
l’évolution des sociétés en elles-mêmes776. Rappelant que la tendance au zoocentrisme777
semble s’être déclenchée en même temps que se développait l’industrialisation en Europe.
L’analyse, intéressante au demeurant, n’évoque pourtant jamais le cheval qui est le plus
directement touché par ce changement de statut passant d’outil de « travail » (de guerre, de
traction, d’agriculture) à celui « d’inutile ». En-dehors de la réintroduction d’équidés en
France, jamais cet animal n’est cité malgré les multiples références à Digard. Pourtant, au
regard des remarques que nous avions émises par rapport aux propos de ce dernier, la place du
cheval est nécessairement questionnée : il apparaît comme étant entre la rente et le statut
domestique, tant il disparaît du texte. Nous y retrouvons l’évocation que nous faisions au
chapitre 2 des relations humain-animal quand celle-ci n’a plus de sens. L’animal dangereux,
inutile, est ou aurait pu être éradiqué. Ainsi, les nouvelles tendances zoocentristes provoquent
des réintroductions d’ours, de lynx, de loups, alors que ceux-ci étaient initialement détruits
par l’homme778. Cela permet également pour les auteurs de faire remarquer que le
zoocentrisme affiché par certains défenseurs des animaux renvoie en réalité à un
anthropocentrisme latent sous le « vernis » d’un discours naïf, « d’empathie et de
sensibilité »779, méfiance partagée par Guillo face aux discours des « radicaux actuels de la
« cause animale » »780.
Les auteurs laissent cependant entendre dans leur discours une généralisation du
passage de la rente à la domesticité des animaux. Cela semble assez étrange compte tenu des
774
Ibid., p. 300.
Ibid., p. 318.
776
Ibid., p. 301-302.
777
« La reconnaissance partielle ou entière des animaux comme sujets moraux » et donc « une version
empathique et non plus instrumentale des relations aux animaux » (Ibid).
778
Ibid., p. 302 et 303.
779
Ibid., p. 308.
780
Guillo, Dominique, Des chiens et des humains, 2011, Paris, Le Pommier, p. 283.
775
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
163
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
variations dans les domestications d’animaux au cours de l’Histoire et de la place que nombre
d’entre eux tiennent auprès des hommes.
Doré781 s’interroge sur la possibilité même d’enquêtes. L’IPRAZ (Imaginaires et
pratiques des relations anthropo-zoologiques), association visant à regrouper les chercheurs
en sciences sociales travaillant sur les humains et les animaux, s’est mise en place en 2010782.
Gouabault et Michalon présentent les résultats de leurs premières rencontres783. Les
chercheurs s’intéressent au goéland784, au dauphin et aux imaginaires sociaux contemporains
qui s’y réfèrent785, l’ensemble des études visant à « penser le comportement animal »786. Pour
cela, Baratay suggère de ne pas hésiter à mettre en place un mouvement inédit, notamment en
allant chercher parmi d’autres disciplines que la sienne les outils permettant de faire avancer
les travaux787.
Guillo788 traite par exemple des relations de l’homme au chien, en adoptant une
articulation entre le « biologique, le social et le culturel »789. Il estime que le chien est un
animal particulier au regard de tous les autres animaux par la place qu’il a occupé et occupe
toujours auprès des hommes dans de nombreuses culture une place spécifique à ses yeux790. A
tel point que selon lui son évolution « ne peut se comprendre indépendamment de la
nôtre »791. Le texte s’avère très intéressant pour les pistes qu’il nous propose dans l’étude de
notre relation de l’homme et du cheval. Guillo souhaite par son travail mettre à mal la thèse
du « chien-illusion »792 visant à mésestimer les relations anthropo-zoologiques entretenues
avec le chien. Il s’appuie pour cela sur les sciences humaines et biologiques. Nous retrouvons
à cette occasion la coupure existante entre culturalistes et naturalistes présente pour lui depuis
781
Doré, Antoine, Promenade dans les mondes vécus. Les animaux peuvent-ils être des interlocuteurs de
l’enquête socio-anthropologique ?, in Sociétés, 2010, Volume n° 108, N° 2, pp. 33 – 45.
782
http://calenda.org/200751, consulté le 16 juin 2013.
783
Gouabault Emmanuel et Michalon Jérôme, « Avant-propos », Sociétés, 2010/2 n° 108, p. 5-8. DOI :
10.3917/soc.108.0005
784
Ibid.
785
Gouabault Emmanuel, « Pour une mythanalyse des relations anthropozoologiques. L'étude du phénomène
dauphin », Sociétés, 2010/2 n° 108, p. 59-73.
786
Burgat, Florence, Penser le comportement animal, 2010, Versailles, Quae « natures sociales ».
787
Baratay Éric, « Les socio-anthropo-logues et les animaux » Réflexions d'un historien pour un rapprochement
des sciences, Sociétés, 2010/2 n° 108, p. 9-18. DOI : 10.3917/soc.108.0009, p. 16.
788
Guillo, Dominique, 2011, op. cit.
789
Frédérique Giraud, Dominique Guillo, Des chiens et des humains, Lectures [En ligne], Les comptes rendus,
2009, mis en ligne le 13 août 2009, consulté le 16 juin 2013. URL : http://lectures.revues.org/778
790
Il n’en reste pas moins que la généralisation du chien de berger dans les campagnes et de l’animal domestique
en tant que tel paraît ne se mettre en place qu’à compter du 18e siècle.
Baratay Éric, 2010, op. cit., p. 10.
791
Guillo, Dominique, 2011, op. cit., pp. 39-40.
792
Ibid., pp. 21-24.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
164
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Descartes793. L’évocation de « Hans, le cheval qui savait compter » est alors rappelée pour
évoquer le spectre de l’anthropomorphisme duquel les éthologues se méfient794. D’un point de
vue plus général, il évoque la naissance de l’éthologie et de ses recherches. Nous y
reviendrons un peu plus loin. Il conviendrait donc selon lui d’envisager la relation hommechien comme « un phénomène universel, au même titre par exemple que la stratification
sociale, la division du travail ou la prohibition de l’inceste »795. Suite à de nombreux va-etvient entre les disciplines des sciences sociales, les perceptions canines et une explication de
« la tournure d’esprit canine »796, il s’attache enfin à la relation en elle-même. L’allégorie est
simple : l’homme et le chien communiquent avec un langage spécifique. Alors que pour
discuter avec un Anglais, par exemple, l’un de nous (ou chacun) doit apprendre la langue de
l’autre, l’accès au langage canin nous est interdit comme l’est un langage humain pour lui797.
Malgré tout « dans le cas de la communication, il faut donc que l’émetteur et le récepteur du
message en retirent individuellement un bénéfice »798. La communication animale, même si
elle est plus limitée que le langage humain pour évoquer du signifiant, elle n’en délimite pas
moins un « espace de communication »799. Le chien est ainsi capable de déduire de nos
regards, positions corporelles, directions des membres un certain nombre d’informations sur
nous800. Il en va de même pour les intonations de la voix qui porte du sens801. De même,
l’agression canine relève moins à ses yeux d’une incompréhension mutuelle (dans le cadre de
l’agression domestique) que d’une « méchanceté » du chien qui reviendrait à de
l’anthropomorphisme802. La relation au chien n’est pas ici une sociabilité compensatoire d’un
manque humain, mais se révèle plutôt comme additive ou parallèle aux relations
interhumaines803. Il est même possible que l’individu choisisse ce type de relations plutôt que
celles qu’il pourrait entretenir avec ses semblables. Ces relations sont basées non pas sur une
793
Gouabault et Burton-Jeangros estiment pour leur part que cette séparation remonte à Aristote (2010, op. cit.,
p. 301.
794
Cette histoire nous intéresse tout particulièrement. On imaginait alors que le cheval était capable de
comprendre les chiffres et ainsi frapper son sabot autant de fois que nécessaire pour répondre à la question de
son dresseur. L’étude montrait qu’en réalité le cheval réagissait à un changement de position infime de son
maître et arrêtait ainsi de frapper au sol. Cela conforte dans l’idée que la position du corps, à cheval comme à
pieds, soit significative pour le cheval dans son dressage (Ibid., p. 144-145).
795
Ibid., p. 31.
796
Ibid., p. 168.
797
Ibid., p. 213.
798
Ibid., p. 216.
799
Ibid., p. 223.
800
Il rappelle à cette occasion que les travaux initiaux de Goffman sont pour une bonne part basés sur des
travaux d’éthologie.
801
Ibid., p. 235.
802
Ibid., p. 246.
803
Ibid., p. 269.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
165
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
compréhension mutuelle, impossible, entre deux espèces différentes, mais sur leur ajustement
réciproque804.
Il défend
anthropocanine »
805
ainsi l’existence d’un « groupe social
mixte la société
au sein de laquelle l’homme et le chien se seraient ajustés l’un à l’autre
au fil des siècles. Une société dans laquelle on retrouve la thérapie par l’animal, point
commun avec le cheval utilisé dans les mêmes conditions806. Ces réflexions prennent ici tout
leur intérêt afin d’évoquer les relations homme-cheval et les interactions qui vont naître entre
eux. Contrairement à Gouabault et Burton-Jeangros, Guillo estime qu’il ne faut pas voir la
relation de domesticité comme une « apparition » ou une invention récente, mais plutôt
comme une « modification » de ce rapport social spécifique entre l’homme et l’animal
domestiqué807. Alors que le chien aurait rapidement pris place auprès des hommes, les
chevaux ont été parmi les derniers animaux domestiqués par l’homme808. L’ajustement
réciproque pourrait ici être d’une autre teneur qu’avec le chien. Il est possible d’imaginer que
ces rapports soient tellement différents qu’il convienne que l’homme fasse nettement plus de
chemin, plus d’ajustements que n’en fait le cheval. Nous revenons ainsi sur la nécessité pour
l’équitant de maîtriser des techniques hautement sophistiquées et spécifiques pour
communiquer avec cet animal aux dimensions sans commune mesure avec le chien. La
communication elle-même est sans commune mesure, car le contact corps à corps du cavalier
sur le cheval amène à percevoir la relation humain-équidé là aussi comme particulière, avec
ses codes particuliers pour une « société anthropoéquine »809.
Ainsi se dessine un champ socio-anthropologique d’études aux frontières de l’éthologie,
mais tentant d’analyser la place de l’animal dans le monde des hommes. Il va de soi que
l’étude présente se situe dans la droite ligne de ces travaux, de par les choix méthodologiques
qui président à l’enquête. La volonté affichée de l’étude de la relation corporelle du cheval et
du cavalier va dans ce sens.
804
Ibid., p. 289.
Ibid., pp. 296-311.
806
Michalon Jérôme, « Les relations anthropozoologiques à l'épreuve du travail scientifique. L'exemple de
l'animal dans les pratiques de soin », Sociétés, 2010/2 n° 108, p. 75-87. DOI : 10.3917/soc.108.0075
807
Ibid., p. 280.
808
Roche, Hélène, 2008, op. cit., p. 48.
809
Néologisme personnel basé sur celui de Guillo.
805
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
166
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
L’éthologie, frontière de notre étude
Dans un livre dédié à la vulgarisation de sa discipline, Roche explique que « l’éthologie
est la science qui étudie le comportement animal »810. Elle s’intéresse à toutes les espèces
vivantes (y compris l’homme). Son traitement est béhavioriste autant que biologique, puisque
sont ainsi étudiés les comportements liés à l’observation in situ des animaux, et
éventuellement à la mesure par instruments des variations au sein de l’organisme. Il apparaît
donc que le travail de l’éthologue tel qu’il est présenté est lié à la fois au béhaviorisme et à
l’anatomique. Il s’agit là de la limite absolue du travail ici présenté, puisque la sociologie
s’attache aux relations qu’entretiennent les humains (avec les autres, avec les animaux, avec
la nature). Les travaux en éthologie paraissent cependant basés la plupart du temps –pour ce
qui concerne les études portant sur le cheval et les équidés – sur les risques que ces derniers
encourent Par exemple, on constate avec certains travaux que l’attitude du moniteur
(consignes données aux élèves, technique propre) tendrait à influer de manière néfaste sur les
chevaux. Cela alors même que les moniteurs eux-mêmes ne s’en aperçoivent pas
nécessairement811. C’est une limite spécifique par rapport au comparatif avec les arts de
combat, car l’entraînement des uns et des autres se fait dans ce cas rarement au détriment d’un
des deux interactants humains.
Il serait extrêmement intéressant de connaître comment ce type de systèmes permettrait
de prendre connaissance de ce qu’il se passe « dans » le cheval quand le cavalier agit. Nous
n’avons pas trouvé d’articles de ce type durant nos recherches. Les capacités d’apprentissage
du cheval sont peu étudiées dans cette situation, mais par exemple dans les manières avec
lesquelles il va devoir apprendre les modifications de son environnement quand ce qu’on lui
demande de faire ne lui est pas naturel (entrer dans un van, sauter des barres de CSO…)812.
Un travail de ce type sur les réactions du cheval à celui ou celle qui est la cause de tant de
changements de son environnement, à commencer par sa propre présence, serait tout à fait
complémentaire à l’étude proposée ici. Hausberger et al., cependant, confirment qu’un
cavalier efficace doit maîtriser non seulement son corps, mais les possibles réactions du
cheval813. Le positionnement corporel, le regard et sa direction, la vitesse d’approche et la
façon dont les contacts se produisent peuvent provoquer des changements corporels chez le
810
Roche, Hélène, 2008, op. cit., p. 8.
Lesimple, Clémence, Fureix, Carole, Menguy, Hervé, Hausberger, Martine, Human Direct Actions May Alter
Animal Welfare, a Study on Horses (Equus caballus), in PLoS ONE, vol. 5, issue 4, p. e10257.
812
Murphy, Jack, Arkins, Sean, Equine learning behaviour, in Behavioural Processes, 76, 2007, pp. 1–13.
813
Hausberger, Martine, Roche, Hélène, Henry Séverine, Visser, E. Kathalijne, A review of the human–horse
relationship, in Applied Animal Behaviour Science, 109, 2008, p. 10.
811
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
167
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
cheval (accélération du cœur, par exemple)814. Bizarrement, les auteures révèlent que ce n’est
pas tant la qualité technique, le savoir-faire individuel qui permettra d’éviter les accidents,
mais ils sont directement liés à la quantité d’interactions entre l’homme et l’animal815. Le
meilleur moyen d’éviter les blessures à cheval est donc… de ne pas en faire. Par ailleurs, les
études semblent montrer que la personnalité du cheval permettra une interaction plus ou
moins facilitée. Cela va dans le sens des remarques initiales de l’incongruité du statut « sport
de nature » accordée à l’équitation. Comparé à l’escalade ou la voile, le cavalier n’est pas
directement confronté à un environnement plus ou moins hostile. Il doit avant tout interagir
avec le cheval, dont la personnalité et les caractéristiques d’apprentissage ne sont pas égales
par ailleurs.
Il a été rappelé que la manière d’enseigner pouvait par ricochet nuire à la bonne santé du
cheval. Ce ricochet se trouve dans la position du cavalier qui pourra le cas échéant blesser le
cheval par une mauvaise position nuisant à son déplacement naturel. Mais aucune mesure ne
concerne là encore la situation du cavalier acteur sur sa monture. Doit-on alors réduire ce type
de relations à ce qui pourrait être effectué dans le judo ? Utilisation du vide et de la force de
l’autre ?
La technique employée joue un rôle également : la monte western provoque moins de
stéréotypies que la monte « anglaise »816. La façon d’entraîner participe en outre de la
construction de la personnalité du cheval. Il apparaît que les chevaux de « show » sont plus
émotifs que les chevaux « de loisir »817. Les études portent en tous cas majoritairement sur le
bien-être du cheval et ses désagréments plutôt que sur l’interaction en actes et en selle des
deux protagonistes.
L’éthologie a donné son nom, sans l’avoir voulu et plutôt en le regrettant, à la traduction
française du Natural Horseman-ship. L’activité est arrivée en premier lieu sous la bannière
des « chuchoteurs » ou « nouveaux maîtres » dans Cheval Magazine en 1996. Puis est sorti le
film « l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » deux ans plus tard. C’est alors en
France le début de l’engouement. Basée sur un savoir d’observation empirique, l’éthologie a
rapidement été évoquée. La FFE a terminé le travail d’association en 2003 en adoptant le
terme d’équitation éthologique pour cette activité818. Ethologie et équitation éthologique sont
confondues semble-t-il régulièrement. L’éthologie consiste en l’observation alors que les
814
Ibid., p. 8.
Ibid., p. 10.
816
Ibid.
817
Ibid.
818
http://www.ethologie-cheval.fr/faq.html, consulté le 27 juillet 2013.
815
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
équitations sont de l’action. Cependant, il est fort probable que sans avoir connaissance des
recherches en éthologie, les professionnels équestres manifestent un savoir directement acquis
de leurs pratiques. Les études ont cependant influé sur une part des pratiquants équestres dans
la mesure où elles tendent à montrer que les usages de la punition avec le cheval sont
particulièrement contre-productifs819. Ils peuvent ainsi avoir éventuellement une influence sur
les comportements des professionnels… s’ils sont au fait de ces recherches, ce qui est difficile
à évaluer. L’amalgame a des répercussions surprenantes. La confusion semble telle que les
professionnels non intéressés rejetteraient du coup en bloc les deux noms en les assimilant
l’un à l’autre.
Pourtant, côtoyant leurs animaux quotidiennement, les professionnels finissent par
maîtriser un certain nombre de réponses que les chevaux peuvent fournir. Nous proposons
donc de distinguer dans ce cas l’éthologie scientifique, basée sur des protocoles de recherche
expérimentale et l’éthologie empirique, construite par l’expérience professionnelle des
acteurs.
De la violence ? Sous quelle(s) forme(s) ?
Nous avons vu que concernant les chevaux et leurs usages, les normes étaient
progressivement devenues plus drastiques au fil du temps, accompagnant ainsi un
adoucissement des mœurs. Le bien-être de l’animal est devenu une valeur phare des milieux
équestres, peut-être grâce (ou à cause) de la massification de l’équitation à dominante
féminine. Les valeurs qui sous-tendent l’enseignement en centre équestre sont passées d’une
tradition militaire à une pédagogie raisonnée820. Mais ce n’est pas pour autant que les attitudes
du passé ont totalement disparu, ou qu’elles ne touchent pas les hommes et femmes travaillant
sur et avec les chevaux, ainsi qu’avec les cavaliers et cavalières.
Il est probable en effet que des violences symboliques – voire physiques pour les
animaux – continuent d’exister à la marge dans ce vaste champ de pratiques. Car en effet,
malgré le processus de civilisation, « La violence symbolique n'est pas non plus simplement
un moyen de supprimer l'usage de la coercition, une euphémisation heureuse des pratiques de
819
McGreevy, Paul D., McLean, Andrew N., Punishment in horse-training and the concept of ethical equitation,
in Journal of Veterinary Behavior, 2009, 4, 193-197.
820
Pédagogie raisonnée qui touche également les pratiques de combat : en judo, alors que la pratique s’est
construite initialement autour des adultes, cette méthode de transmission s’est également répandue avec la
massification des publics enfants. Ce type d’évolution devrait très probablement se retrouver dans la plupart des
pratiques sportives.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
169
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
violence physique qui réduirait globalement le niveau de violence dans la société. »821. Elle
tendrait plutôt à remplacer la violence physique pure entre individus. Il se pourrait même que
dans certains cas de figure ces deux types de violence soient associés822. Bien que les normes
évoluent dans le traitement de l’animal, et bien que l’emprise de l’armée soit réduite à la part
congrue, cette modification de la violence a toutes les chances d’être moins présente et de
laisser paraître des attitudes hors normes.
III – 3 Prémisses à la recherche : questionnement de la population
La perception du cheval de nos jours, ce que disent les gens
Selon la théorie proposée par Goffman, les individus en interaction s'envoient des
messages verbaux et non verbaux, ces derniers permettant de compléter voire de remplacer le
discours verbal. L'interactionnisme symbolique s'intéresse donc aux échanges de tous types
entre des interactants, des individus d'un groupe donné. Mieux, il arrive qu'un individu envoie
des signaux pour d'hypothétiques autres qui peuvent ne pas être présents. L'exemple type est
celui de l'arrêt de bus. Quand on attend un bus, on adopte une attitude qui reflète l’attente du
bus, et on évite autant que possible d'avoir une attitude étrange laissant croire qu’on espionne
les hommes ou les femmes823.
L'éthologie équine, pour sa part, s'intéresse uniquement aux interactions qui peuvent se
produire entre des chevaux, ou entre les chevaux et d’autres individus. En tout état de cause, il
n’y a pas d’intervention extérieure, toute l’analyse est comportementale824.
"L'équitation éthologique" telle qu'elle a été dénommée en France dès son arrivée, ou
Natural Horseman ship, pose comme postulat de départ l'étude du comportement équin afin
821
Bigo, Didier, Disparitions, coercition et violence symbolique , Cultures & Conflits [En ligne], 13-14 |
printemps-été 1994, mis en ligne le 14 mars 2006, consulté le 15 juin 2013. URL : http://conflits.revues.org/181.
822
Ibid., p. 7.
823
Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1, 1973, Paris, Editions de Minuit.
Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 2, 1973, Paris, Editions de Minuit.
Goffman,
Erving,
Les
rites
d’interaction,
1974,
Paris,
Editions
de
Minuit.
Goffman, Erving, Les moments et leurs hommes, 1988, Paris, Edition du Seuil/ Minuit.
Goffman, Erving, Les cadres de l’expérience, 1991, Paris, Editions de Minuit.
824
Roche, Hélène, Comportements et postures, que devez-vous savoir et observer ?, 2008, Paris, Belin.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
170
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d'utiliser un mode relationnel s'approchant le plus possible de ce que le cheval fait
naturellement.
La question s’est posée durant notre recherche d’une éventuelle spécificité du cheval. Le
cheval a-t-il une place particulière dans les représentations des personnes ? Digard indique
que depuis le néolithique le cheval a tenu une place prépondérante dans les sociétés et les
époques, pour différentes raisons. Il termine son livre en expliquant qu'avec la modernité le
cheval est entré dans l'aire du loisir, du sport, et que le cheval tendrait à basculer dans le
domaine des animaux de compagnie. Alors même si le cheval a effectivement eu une place
spécifique voire prépondérante dans l'Histoire, qu'est ce qui nous autorise à dire
qu'aujourd'hui encore il a une place spécifique ? Si le cheval est un animal de compagnie,
qu'est-ce qui le spécifie par rapport au chien, au chat, au cochon d'Inde...?
Cela est la première question à laquelle il va falloir répondre pour pouvoir continuer à
avancer. L'équitation, son enseignement tant au cheval qu'au cavalier, tend à permettre à ces
derniers d'établir un mode de communication afin de réaliser leurs actions simultanément, ou
conséquence l'une de l'autre. Cette communication peut être verbale (on peut codifier les
demandes de manière verbale à l'exclusion de toute autre) ou non verbale (il est également
possible d'amener une réaction par la seule poussée d'une jambe pour obtenir une réaction... à
l'exclusion de tout discours ?).
Qu'est-ce qui, dans l'absolu, différencie l'apprentissage d'un ordre par le cheval de
celui du chien ? Quand j'apprends à mon chien à s'asseoir, en joignant le geste à la parole, je
peux lui enseigner les deux types d'ordre, verbal et non verbal. Cette question découle de la
précédente. Il nous faut donc s’aventurer vers d'autres approches éthologiques pour
comprendre peut être quelles relations existent dans une meute de chiens, ou un groupe de
chats, pour peut-être y trouver une clé.
Faisons l’hypothèse suivante : Est-ce dans la capacité du cheval à intégrer une
multiplicité de savoir-réagir que peut être définie comme une spécificité ? Le chien ne peut
retenir qu'un nombre restreint d'ordres ou d'action, alors que le cheval aurait à priori bien plus
de capacités, vu le nombre d'actes réalisables avec lui. Mais le plus gros du problème réside
dans la qualification de la relation entre l'homme et le cheval. L'interaction est la relation d'un
homme à un autre, verbale et non verbale, soumise au contexte social et aux apprentissages
sociaux. L'éthologie est l'étude des relations et des actions d'individus d'une même espèce, ou
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
171
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d’espèces entre elles, l'éthologie équine pour le cheval. Comment définir la relation entre
l'homme et le cheval, de manière scientifique ?
Lors de notre prospection initiale du terrain équestre, il nous a semblé intéressant de
comprendre ce que le cheval a de particulier dans l’imaginaire collectif de nos contemporains,
s’il a effectivement quelque chose de particulier.
Nous sommes dans un premier temps aller interroger une spécialiste de l’éthologie,
Hélène Roche, afin de saisir les particularismes éventuels de l’animal cheval vis-à-vis des
autres animaux. L'analyse des références et des textes échangés est sans équivoque : il n’y a
pas, pour cette éthologue et a priori pour l’éthologie en générale, de différences entre espèces
animales sur le plan des apprentissages.
Si sur le plan de l’éthologie aucune différence n’est à mettre en évidence, qu’est-ce qui
fait alors que nous puissions lire sous la plume d’un historien aussi incontournable que Daniel
Roche pour l’histoire du cheval que ce dernier « conserve une fascination et une attraction
permanentes qui révèlent une fois de plus qu’il n’est pas un animal comme les autres825 » ?
Il a paru intéressant d’interroger des personnes pour tenter de comprendre si,
effectivement, le cheval est, dans les représentations que les individus peuvent en avoir, un
« animal pas comme les autres ». Cinq sites internet ont été source de notre question et des
réponses. Nous avons choisi de poser notre question sur le forum du site de la FFE. Celui-ci
dispose d’un système assez particulier, puisqu’on ne peut s’y connecter qu’au travers du
numéro de licence de la fédération. Cela induit une présence a minima en club ou sur les
terrains de concours pour y avoir accès. Deux sites de forums portant sur l’équitation et le
cheval ont été également choisis sur les conseils d’une connaissance, qui vantait l’ouverture
d’esprit de ses participants : le-site-cheval.com et le site chevalannonce.com. Les personnes
pouvaient à loisir se rendre sur notre blog, où nous avions ouvert la discussion à toute
personne motivée826, et répercuté l’information sur un forum de discussion n’ayant que peu à
voir avec le cheval et l’équitation827. Enfin, nous avons posé la question sur notre page
Facebook afin de voir parmi les personnes en contact (amis, élèves, anciens élèves,
connaissances…) quelles étaient les perceptions828. 61 personnes ont répondu à cette question.
825
Roche, Daniel, Les arts de l’équitation. Relation distinctive et raison cavalière, in Arts équestres, 303, la
revue culturelle des pays de la Loire, n°107, Nantes, Pollen-littéral, septembre 2009, p. 8.
826
http://noisen.com/recherche/6169/questions-de-sociologie-et-d-ethologie/
827
http://potesnroll.com
828
Suite aux changements produits dans Facebook au fil du temps, la page a disparu, il ne nous reste que la copie
que nous avions faite à l’époque.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
172
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Parmi eux se trouvent 9 hommes, 48 femmes et 5 individus indéfinis (qui n’évoquent pas leur
genre).
La distribution des différents forums montre que sur le forum non dédié, seules quatre
hommes ont répondu. Les réponses postées sur le blog les réponses sont au nombre de 4, avec
2 femmes, 1 indéfini et 1 homme. La participation est donc minimale. Il est fort probable que
les personnes ayant répondu l’ont fait par sympathie plus que par intérêt personnel. Lorsque
les réponses sont faites sur Facebook (18 réponses), là encore il faut y voir l’acte de
sympathie plutôt que de volonté ferme de répondre. On y retrouve d’ailleurs deux des trois
personnes répondant à la question par la négative. C’est là que nous obtenons le plus grand
nombre de réponses.
Dès que la question est posée sur un forum spécifique au cheval, les réactions sont de
plus grande ampleur. Toutefois, le nombre de réponses données par site (FFE : 14 personnes,
site-cheval : 7, cheval-annonce : 14) est encore une fois assez peu représentatif de la
population que peuvent abriter ces sites. Pour la FFE et cheval-annonce, enfin, la même
réserve peut être effectuée : le volume des informations y circulant est particulièrement dense.
De ce fait, un sujet posté, s’il n’y est pas répondu relativement rapidement, peut partir dans
les tréfonds des sujets du forum. En tout état de cause, les personnes qui ont répondu sur ces
trois sites spécifiques manifestaient un intérêt certain pour le questionnement.
Bien que la méthodologie soit tout à fait discutable, il n’en reste pas moins que les
réponses apportées permettent de se faire une idée préalable de ce que peut représenter le
cheval. La question posée829 présente un parti pris volontaire : considérer le cheval comme un
animal domestique. Ce faisant, les participants étaient mis devant ce choix et étaient sommés
de se positionner sur cette domesticité imposée. Seules 2 personnes remettent en doute ce
choix initial.
Les réponses sont classées en utilisant la distinction proposée par Heinich
précédemment. Elles sont donc réparties entre « faits », « valeurs morales » et « valeurs
esthétiques », et enfin les « valeurs subjectives ». Considérons dans un premier temps les
personnes ayant répondu « oui » et expliqué les spécificités. Ainsi, les faits relevés concernent
en premier lieu l’appartenance du cheval à la fois comme « outil » de sport et de loisir, mais
également de travail. Vient ensuite l’intérêt thérapeutique et enfin les coûts engendrés.
Pour ce qu’il en est des valeurs esthétiques, c’est l’apparence et son corollaire de
qualificatifs (poids, taille, force et grâce) qui prennent nettement le dessus dans les
829
« Le cheval a-t-il une spécificité dans le monde animal, dans son rapport à l'homme que n'ont pas les autres
animaux? Si oui, précisez quelle est pour vous cette spécificité ».
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
173
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
représentations des personnes interrogées. Viennent ensuite la « noblesse », le « prestige » et
la perception de l’animal comme « valorisant ». Enfin, les valeurs morales sont
surreprésentées par ce qui touche à la liberté, à la centaurisation, et comme l’on pouvait s’y
attendre après nos lectures précédentes à la « passion ». Un certain nombre de remarques sont
faites sur les notions de « fidélité », de « confiance », de « don de soi ».
Mais c’est ici le terrain subjectif qui est le plus intéressant, attendu que l’intérêt de cette
question est de savoir ce qui fait l’éventuelle spécificité de l’animal. Les réponses les plus
importantes sont les suivantes : la première d’entre elle concerne le relationnel et les
émotions, l’affection ressentis par rapport à ces équidés. Elles sont plutôt le fait des
spécialistes de l’activité. Puis viennent des spécificités reconnues par des gens parfois non
pratiquants comme le fait qu’on puisse monter dessus (une personne évoque le cas de
l’éléphant, une autre du chameau) en premier lieu. Le partenariat et le travail en couple est la
réponse suivante, plutôt donnée par les spécialistes. La communication entre les deux
« partenaires » est également de ce niveau d’importance pour les cavaliers (qu’elle soit
corporelle ou plus « ésotérique ». Enfin, quelques personnes évoquent la négation pure et
simple de l’hippophagie, et certaines vont également faire montre d’un certain
anthropomorphisme (« comme un enfant », etc.).
Parmi les personnes ayant répondu par la négative, considérant ainsi que le cheval est
« un animal comme un autre », on remarque qu’ils lui reconnaissent, malgré tout, des valeurs
esthétiques propres à l’espèce. Les valeurs morales reconnues sont rares, et les points de vue
subjectifs vont de l’indifférence830 à la reconnaissance d’un dressage spécifique. La troisième
répondante, cependant, est un cas particulier. Membre d’un des forums spécifiques au cheval,
elle a souhaité répondre en message personnel. Cette attitude peut être comprise aisément.
Cavalière et possédant des animaux domestiques, elle catégorise et cadre rigoureusement les
deux types de relation auxquelles elle est confrontée. Son discours dénie donc la place du
cheval en tant qu’animal de compagnie, mais est orienté sur une affectivité comparable à
« ceux qu'on pourrait avoir pour un partenaire "sexuel" ». Son discours, en tous cas, aurait pu
être mal interprété par les membres du forum en question, et il est donc logique qu’elle ait
choisi cette démarche.
Quoi qu’il en soit, malgré la rareté des réponses et les biais évidents de cette démarche
initiale à la recherche en tant que telle, ce questionnement permet de faire une remarque
830
La personne ayant fait ce jugement, qui fait toujours partie de nos contacts, s’est depuis mis à l’équitation
et… a changé certains de ces jugements.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
174
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
semble-t-il déterminante. On a pu voir que toutes les personnes interrogées reconnaissent un
certain nombre de « spécificités » au cheval. Guillo explique précisément les spécificités du
chien. Or, les éthologues ne font aucune différence entre les espèces animales. C’est donc que
si spécificité(s) il y a, elle(s) est (sont) à chercher nulle part ailleurs que dans le monde social.
En effet, c’est l’individu humain, et partant, les interactions avec ses semblables qui donnent
du sens, qui rendent spécifiques tel ou tel élément du social. Nous revenons alors à notre
« invisibilité sociale ». Lorsque quelqu’un n’est pas engagé dans une situation donnée, il ne
voit rien de particulier, de spécifique à cet élément du social. Il est ainsi objectif. A l’inverse,
l’engagement non distancié produit éventuellement une hypersensibilité à l’élément en
question.
III – 4 Conclusions partielles
Les études portant sur les pratiques équestres nous ont permis de considérer les
différentes pistes à suivre pour cette étude. Partant du principe que les professionnels du
monde équestre sont les transmetteurs de la pratique, il conviendra de se baser sur leurs
représentations individuelles et collectives. L’équitation de compétition ne peut en aucun cas
être l’alpha et l’oméga d’une recherche cherchant à s’intéresser à la richesse de ce type
d’activités. Par ailleurs, le loisir ou la plaisance ne peuvent être opposés à la compétition,
celle-ci constituant un loisir. L’hypothèse est donc faite que le pendant de la compétition est
une production artistique, partant du principe que la compétition est une production de soi
vers les autres, alors que l’art est une production de soi à soi. Le statut d’outsider des
pratiques équestres et d’enquêteur habitué aux pratiques de combat permettent à la fois
d’éviter le piège de l’engagement dans la pratique équestre et son lot d’ « invisibilités
sociales ».
Les carrières peuvent être ainsi perçues comme étant dans et hors les normes. Dans et
hors la compétition. En axant notre étude de la carrière équestre, c’est évidemment
l’expérience individuelle qui prend toute sa place dans l’enquête. Nous cherchons comment
les individus construisent la pratique, la font exister en tant que telle au-delà des perceptions
classiques inhérentes au milieu. Ces multiples perceptions permettront dans certains cas de
dégager un certain nombre de représentations collectives, regroupant les acteurs en
« association » soit de fait, soit par affinités (de pratique, de pensée), des relations donc
révélées en quelque sorte par l’enquête. Ainsi pourront se détacher les différentes
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
175
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
communautés au sein d’un continuum de pratiques. Les valeurs évoquées par les différentes
rencontres devraient nous permettre d’aller dans ce sens.
Il s’agit d’une étude socio-anthropologique : la place du corps se révèle capitale pour
notre enquête. La relation cheval-humain est une relation communicationnelle. Elle passe par
la voix et par le corps, d’autant plus en situation de monte. Les techniques corporelles sont
transmises d’une génération à l’autre. L’équitation, en tant que pratique multiséculaire est le
fruit d’abord d’une transmission orale et visuelle, mais aussi sensitive. Le livre, présent depuis
les 15e et 16e siècles n’est à la limite que la preuve d’un savoir maîtrisé à un moment donné.
La transmission étant avant tout l’histoire d’une relation d’un maître à son élève. L’étude de
la communication entre le cavalier et sa monture nécessite de se placer dans la situation de
l’acteur sciemment et pleinement afin d’évaluer la portée de celle-ci.
Mais il s’agit également d’une étude socio-anthropozoologique : la question est bien de
comprendre comment communiquent les deux protagonistes. Loin d’empiéter sur le terrain de
l’éthologie, l’objectif est de comprendre ce que la société construit comme relation entre
l’homme et le cheval. Certains pratiquants peuvent faire preuve de coercition plus que
d’autres. La violence peut être réelle ou symbolique. Mais c’est bien la relation construite par
l’humain pour communiquer avec les chevaux qui constitue le mode de relation entre eux
deux. Les premières recherches portant sur les représentations des personnes montrent
effectivement que ce sont les individus qui construisent ce que le cheval représente pour eux,
et non pas quelque chose qui leur est imposé.
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ?
176
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
L’étude de l’espace des pratiques équestres est soumise à plusieurs décisions initiales de
notre part. Elle est également le produit d’un vécu corporel et expérientiel individuel, qui
trouve son intérêt dans ce qu’elle s’oppose à un travail réalisé par un spécialiste de l’activité,
comme cela est fréquemment le cas dans l’étude des pratiques corporelles. Cette recherche
s’inscrit du point de vue méthodologique dans la lignée des travaux de Morin831, c’est-à-dire
l’observation phénoménographique, l’entretien et la praxis sociale.
IV – 1 Prolégomènes au choix du terrain et de l’étude
En tant que spécialiste des arts de combat par les études et les choix de pratique initiaux,
l’équitation n’avait pas le moindre intérêt a priori. Les premiers pas dans la pratique euxmêmes n’ont pas fait l’objet d’un choix non plus, l’initiation ayant été permise par la douce
pression extérieure. Le sujet s’est construit de lui-même, par l’expérience professionnelle en
premier lieu. Les premiers contacts avec le milieu ont été provoqué par l’activité de formateur
en Maison Familiale Rurale, alors que démarrait ce nouveau métier, et que nous côtoyons dès
lors des élèves pratiquant l’équitation. Ainsi, les accompagnements en lieux de stage ou de
visite axés sur ce thème faisaient découvrir un monde que nous ne connaissions absolument
pas. Parmi ces lieux se trouvait un centre d’équitation, légèrement différent des autres ne
serait-ce que par son appellation d’équitation « éthologique ». C’est sur ce centre que
plusieurs années plus tard nous avons décidé d’enquêter pour cette étude.
Quelques années plus tard, la « douce pression » familiale a conduit à l’achat de
chevaux de randonnée. La pratique, risquée, d’un cavalier ignorant à cheval aura été la
première marque d’intérêt personnel, liée aux soins des animaux à pourvoir, le moment des
premières peurs face à un animal qu’on ne connaît pas, qu’on ne comprend pas et qui se
manipule avec de la technique. Les réflexes acquis dans des pratiques antérieures auront
permis de sérieusement limiter les mauvaises surprises et de récolter de nombreux indices
corporels. La position du cavalier des arts chinois s’avérant de facto très pratique à cheval.
Les rencontres avec des cavaliers amateurs, pourvoyeurs de conseils, étaient également utiles,
831
Morin, Edgar, Commune en France, la métamorphose de Plodémet, 1965, Paris, Fayard, p. 279.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
177
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
mais limitées832. La participation à des randonnées dans un centre spécifique permettait de se
confronter aux diverses allures des chevaux et de connaître les différentes sensations de
vitesse. Cette même pression conjugale, devant le peu d’entrain manifesté à pratiquer la
randonnée est la cause directe de l’entrée dans un centre équestre classique pour apprendre les
premières bases de la stabilité à cheval. C’est à partir de cette entrée que la première
conversion s’opère et que la réflexion scientifique s’enclenche : les liens corporels et les
premières remarques de ce moniteur amènent des réflexions de notre part, qui conduiront à
cette recherche : qu’est-ce que l’équitation, et comment devient-on cavalier ?
L’entrée dans le sujet d’étude apparait donc originale au regard des études menées
précédemment car elle n’est pas celle d’un cavalier confirmé, d’un membre du monde
équestre, mais celle d’un cavalier en cours de formation, qui découvre ce monde. Beaud et
Weber évoquent les difficultés liées à la proximité sociale et culturelle entre l’enquêteur et
son terrain, produisant « une forme d’« évidence » du terrain qui endort la curiosité et trompe
le regard trop habitué au monde qui l’entoure »833. Bien qu’entrant dans ce monde social, il
faudra néanmoins prendre garde à ce que rien ne devienne autour de nous une « évidence ».
IV – 2 Observation et participation
L’étude menée ici tente de comprendre comment se construisent les savoirs cavaliers, et
plus largement comment se construisent les cavaliers contemporains. Elle s’est appuyée sur
un investissement personnel, corporel afin d’acquérir un savoir technique présent, codifié au
fil des siècles, mais aussi en constante évolution. Aussi, le choix a été fait de s’orienter
notamment sur une observation participante, mais également sur une participation
observante834. Durant deux années, pendant cette étude, nous avons choisi par l’observation
participante, et surtout la participation observante, de mettre en jeu notre corps dans la
pratique de l’équitation. Deux structures différentes ont été choisies pour cela.
832
Les rencontres initiales de cavaliers de randonnée ne permettait pas d’avancer ni dans les connaissances
techniques, ni dans la communication corporelle en selle ou à pieds avec le cheval. Ainsi, peu d’informations ont
pu nous être livrées avant d’accéder au tout premier cours « découverte » d’équitation.
833
Beaud, Stéphane et Weber, Florence, Guide de l’enquête de terrain. Produire et analyser des données
ethnographiques, 2010 (2003), Paris, La Découverte, p. 7.
834
Andrieu, Bernard, 2011, Op. cit.
Vanpoulle, Yannick, Epistémologie du corps en STAPS, vers un nouveau paradigme, 2011, Paris, L’Harmattan.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
178
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Observation : apprendre par imitation
La première structure évoquée n’avait pas vocation à être étudiée initialement. Alors
que dans le cadre professionnel nous avions en sus de la thèse prévu une formation à titre
personnel pour fournir de nouvelles entrées à l’établissement, c’est en arrivant au premier
cours que la décision fut prise de l’intégrer à l’étude. Cette structure est basée sur la formation
dite « équitation éthologique »835. Le choix de cette structure s’est fait de manière un peu
particulière : il s’agissait initialement d’une formation réalisée avec la MFR de Loudéac, pour
pouvoir proposer des contenus originaux aux élèves. Alors que démarraient les prémisses de
la recherche, la découverte de ce lieu de stage s’avérait intéressante pour les travaux
envisagés, dans le cadre d’une comparaison avec un centre équestre classique. Dirigée par une
femme, on y apprend le travail d'abord à pied du cheval, puis le travail monté, le tout en
utilisant un certain nombre de principes que nous exposerons plus bas. Notons qu'à l'occasion
de cette formation, de nombreuses observations ont été faites à plusieurs niveaux :
- sur les situations mises en place par l’encadrante
- les prescriptions plus ou moins formelles : attitudes demandées, tant
corporellement qu'intellectuellement,
- les remarques sont également faites sur le public présent à cette formation.
La seconde structure étudiée est plus souvent rencontrée puisqu'il s'agit d'un centre
équestre classique836. Ici, la même forme d'observation a été mobilisée.
La première structure a fait l'objet d'un compte-rendu systématique durant la première
année des remarques faites, des sensations vécues, des techniques enseignées de l'ensemble
des cours. Lors de cette première année de formation, les cours ont eu lieu tous les quinze
jours, du mois d'octobre au mois de juin, soient 18 séances d'une durée théorique de 2h30
soient 45 heures sur l'année. Cependant, la formatrice se donnant sans compter, ce sont des
séances au minimum de 4 heures auxquelles nous étions « soumis ». Nous étions volontaires,
et demandeurs pour la plupart d'entre nous et la plupart du temps. Mais compte tenu de la
fréquence des cours, durant les weekends, et de l'intensité de pratique, force a été de constater
835
Au moment de l’enquête, la réforme des galops n’avait pas encore eu lieu. Le travail à pied y tenait alors la
place congrue. L’enquête a montré que les savoirs éthologiques se distinguaient des galops par la manière
d’aborder l’animal. Pour schématiser, les galops partaient de la position du cavalier sur le cheval tandis que les
savoirs éthologiques se présentent dans la structure enquêtée par l’abord du cheval à pieds.
836
Par équitation classique, nous entendons une équitation telle qu’elle est pratiqué dans la majorité des centres
équestres, avec ses passages de galop, son travail du dressage, du saut et du cross, accompagné de randonnées
équestres. Cette pratique se réfère aux textes de la FFE sur la pratique de l’équitation française.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
179
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
que pendant toute cette année de formation, la vie sociale de l’enquêteur a été fortement mise
entre parenthèses. Par ailleurs, le rythme imposé par cette formation fut tout particulièrement
harassant. Cet élément nous semble important à signaler pour la raison suivante : un tel
rythme de formation ne pouvait en aucun cas permettre de mettre en place une autre
méthodologie que celles de l’observation participante et la participation observante, car le
temps disponible en-dehors de ces plages de travail et des impondérables était inexistant. Ces
deux méthodologies, que nous avons choisies de fondre au travers des carnets
ethnographiques que nous tenions régulièrement au retour de ces séances, permettaient de
maximiser l’utilisation des temps disponibles. La rédaction des carnets ne pouvait se faire
qu’une fois de retour de l’entraînement. Pendant la durée des cours de la première année,
cependant, il était possible de prendre des notes de ce qui était proposé. La seconde année le
programme de la journée nous était donné en début de séance, permettant ainsi d’économiser
un temps de rédaction important. Les discussions entre participants entre chaque séance était
l’occasion d’en apprendre plus sur le ressenti de chacun. Le temps de route était alors
l’occasion de discuter avec notre compagne de ses ressentis et des réflexions qu’elle émettait
sur l’ensemble du cours, nous fournissant une perception supplémentaire du terrain. Les choix
engagés se sont révélés coûteux en énergie, provoquant une fatigue physique liée aux
déplacements, aux journées tendant à s’allonger au fil du temps. Cela n’est pas sans rappeler
les difficultés ressenties par les premiers enquêteurs en usines837. Et la seconde année
démarrait, avec au programme non plus 18 mais 9 séances, cette fois d'environ 4 heures (qui
devenaient de plus en plus longues au fil du temps, comme l'année précédente). Cette seconde
année n'a pas fait l'objet de compte-rendu systématique. En effet, en-dehors du passage des
trois premiers savoirs éthologiques au mois de septembre, pour la très grande majorité des
cours l'année étant dominée par la notion d'affinage technique, nous revoyions exactement les
mêmes choses que la première année, mais les « bases » vues étaient répétées, mélangées,
sans que peu de choses nouvelles pour notre sujet apparaissent. Seules les deux dernières
séances ont fait l'objet d'un compte-rendu, car elles apportaient du nouveau pour notre
recherche, ainsi que la séance consacrant l’obtention du niveau de Savoir Ethologiques n°4.
837
P en e f f, J ea n , Le s d éb ut s d e l 'o b ser v at io n p ar ti c ip a nt e o u l e s p r e mi er s s o cio lo g u es e n
u si n e, i n S o cio lo g i e d u t ra va il, vo l. 3 8 , n °1 , 1 9 9 6 , p p . 1 -2 5 .
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
180
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La seconde structure a également fait l'objet d'un carnet ethnographique. Y sont notées
les remarques qui nous semblent aller de pair avec notre sujet de recherche, tant dans les
demandes du moniteur que dans les ressentis personnels. Lors d'une seconde phase de travail
démarrant en octobre 2011, nous avons tenté d'améliorer la qualité de la source d'information
pour nos carnets ethnographiques, partant du principe que nous pouvions difficilement vivre
la séance et intégrer toutes les informations qui pouvaient être émises en cours. La nouveauté
est à mettre au crédit des nouvelles technologies, ainsi que de la lecture d’articles d’éthologie
équine, notamment ceux de Martine Hausberger838. En effet, les travaux de son équipe
montraient notamment des enregistrements complets de toutes les séances observées. Nous
estimions donc que cela garantirait une meilleure récolte et donc une meilleure qualité au
traitement de nos données. Nous avons donc eu l'idée de mettre l'outil en mode enregistreur à
chaque début de séance et de le donner au moniteur. Ainsi, bien que ce dernier fût au courant
de l'enregistrement des séances, son discours ne pouvait être modifié par ce paramètre que
dans le sens de sa volonté à nous aider dans notre entreprise. Le moniteur était également au
courant de la participation aux cours d'équitation éthologique puisque ceux-ci démarraient en
même temps. Loin d'être réfractaire à cette idée, il était lui-même selon ses dires tout à fait
sceptique initialement – comme tout le monde dit-il alors – face à cette nouvelle offre, mais
une occasion passée de pratiquer lui permit de constater un intérêt à ses yeux. Aussi voyait-il
d'un bon œil notre participation à ces cours, qui étaient encore plus intéressants pour nous,
selon lui, puisque nous possédions des chevaux et des ânes, argument imparable pour
apprendre beaucoup et très vite. Nous avions obtenu dans la structure initiale où nous avions
débuté, le niveau « galop 2 » à l'issue de la première année de pratique. Arrivés dans cette
nouvelle structure (notre seconde année de pratique), lors de la première séance, la sanction
fut sans appel : « il a été gentil, de te donner le galop 2 ! ». Nous n'étions, à ses yeux,
absolument pas au niveau requis. L'objectif fixé était alors d'atteindre le niveau galop 3 à la
fin de l'année scolaire, ce que nous réussîmes à obtenir. L’année suivante, l’objectif visé était
celui de galop 5, ce fut encore un succès.
Lors de la troisième année dans cette structure : plus d'objectif outre la progression. La
rédaction du carnet ethnographique démarre en juillet 2011, les enregistrements en octobre
2011. La rédaction ne pouvant être faite qu’une fois de retour des séances, ces derniers
s’avèrent intéressants pour clarifier des choses qui auraient pu nous manquer lors de la
pratique, étant concentré dans la réalisation des mouvements.
838
Lesimple, Clémence, Fureix, Carole, Menguy, Hervé, Hausberger, Martine, Human Direct Actions May Alter
Animal Welfare, a Study on Horses (Equus caballus), in PLoS ONE, vol. 5, issue 4, p. e10257.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
181
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La manière dont ont été mises en place les diverses méthodologies de ce travail de
recherche ont nécessité un certain nombre de choix d’ordre « tactique ». Ainsi, l’entretien de
Marie, la formatrice en équitation éthologique, a été réalisé en fin d’observation
participante/participation observante, contrairement à celui d’Henri.
Pour le moniteur d’équitation classique l’entretien a au contraire eu lieu quelques mois
avant le début du carnet ethnographique de l’équitation de tradition française. Dans les deux
cas nous nous sommes déclarés chercheur avant de commencer la série d’observation
participante/participation observante. Le biais qui pourrait être attribué à cet état de fait est le
suivant : le chercheur en observation participante qui se dévoile prendrait le risque de perdre
l'honnêteté des personnes observées839. Ce fait est probable, comme lors d’une recherche
menée sur un sujet où la dimension du chercheur pourrait être un frein, par exemple la
consommation de stupéfiants840.
A cette critique, nous proposons la réponse suivante : quid de l'ethnologue ou de
l'observateur non participant ? Il se présente en tant qu'observateur extérieur, son statut de
chercheur est une évidence, ils n’est là que pour cela. Pourquoi leurs observations seraientelles dans ce cas plus pertinentes ? A quel moment peut-on estimer que l'observateur extérieur
n'influence plus la situation observée ?
Dans l'entretien, comment pouvons-nous être assurés que nos données sont utilisables?
Pourquoi donc les interviewés nous donneraient-ils sans ambages la vérité de leur vécu, leur
réalité ? Philippe841, dans sa récente thèse l'évoque bien dans les « trucs et astuces » situés en
annexe. Il n'y a jamais aucune certitude dans la plupart des méthodologies scientifiques que
les données soient justes. Par ailleurs, nous savons pertinemment que quoi qu’il advienne, le
corps du chercheur intervient, à son corps défendant, justement, dans sa recherche. Evoquant
le cas d’une étudiante, Fournier842 souligne ces difficultés que nous rencontrons dans
l’enquête en nous confrontant au terrain. L’âge, le sexe, la condition sociale de l’enquêteur
839
http://socio-logos.revues.org/28#tocto2n1, consulté le 29 mai 2013.
Cartron, Damien, Le sociologue pris en sandwich ! Retour sur une observation participante dans un fast-food, in
Travail et emploi, n°94, avril 2003, pp. 59-64.
840
Fernandez, Fabrice, "L’engagement émotionnel durant l’enquête sociologique : retour sur une observation
anonyme auprès d’ex-usagers de drogues, in Carnets de bords de la recherche en sciences humaines, n° 9, 2005,
pp.78-87.
841
Philippe, Damien, 2012, Analyse socio-historique d’une politique de prévention par le sport : entre inflexion
politique et contexte local, l’exemple de la ville de Trappes. Thèse pour le doctorat de STAPS, université de
Rennes 2.
842
Fournier, Pierre, Le sexe et l’âge de l’ethnographe : éclairants pour l’enquêté, contraignants pour l’enquêteur,
in ethnographiques.org, numéro 11, octobre 2006, p. 5.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
182
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
influent sur l’enquêté. Notre démarche est résolument celle d’un chercheur à découvert, dans
l’enquête par observation participante. Fournier fait état des difficultés éventuelles auxquelles
peut éventuellement se retrouver confronter le chercheur dans une telle situation. Olivier de
Sardan semble pour sa part montrer moins de craintes devant ce fait843. Toujours est-il que
dans le cas de « l’équitation éthologique », en-dehors de la présentation initiale, plus jamais ce
fait n’est apparu dans les discussions. Ni avec l’enseignante, ni avec mes partenaires, qui
semblaient se moquer éperdument de notre statut. En fait, ce qui a le plus trouvé d’intérêt aux
yeux de la formatrice, c’est notre statut de pratiquant d’arts guerriers. En effet, elle était
également depuis peu pratiquante de Tai Chi Chuan, et avait déjà fait ses propres
rapprochements entre ses deux pratiques. Aussi trouvait-elle de l’intérêt à notre présence, en
tant que pratiquant de Kung-fu. Dans le centre équestre, une des partenaires (ayant une
formation scientifique) nous questionnait régulièrement sur le bon avancement de nos travaux
Nos réponses étaient relativement vagues, parlant plutôt des difficultés rencontrées que de
développements autres. Le moniteur, pour sa part, était beaucoup moins inquiet du
déroulement de nos travaux, mais lui aussi s’intéressait plus au statut de pratiquant d’art
guerrier, pour lequel il cherchait à proposer des exemples dans les cours, afin de mieux faire
passer les informations auprès de l’enquêteur. Il posait à cette occasion des questions sur les
pratiques guerrières. Il semblait ainsi plutôt souhaiter se faire sa propre opinion des choses en
interpellant l’enquêteur sur ses propres savoirs. Cet échange est à ce titre intéressant à noter
dans la mesure où l’enquêteur n’était plus simplement un collecteur d’informations, mais
aussi un apporteur d’informations. Pour Fournier, en tout état de cause, les éventuels
problèmes liés à la position de chercheur à découvert ne restent qu’une période restreinte dans
la relation puisque selon lui, l’enquêteur tend à faire oublier son statut au cours du temps par
divers moyens, conscients ou non (utilisation d’un vocabulaire approprié basé sur ses savoirs
antérieurs…).
La structure d’équitation éthologique faisait pour commencer la formation état de
chacun des CV des personnes présentes. Pourquoi nous étions présents, pour quelles raisons
avions-nous décidé de demander une inscription en ce lieu, et cætera. C’est à cette occasion
que nous avons décidé de nous découvrir de manière assez précise, en évoquant notre pratique
des arts de combat. Marie était pour le moins déterminée à nous en apprendre le plus possible
843
Olivier de Sardan, Jean-Pierre, La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socioanthropologique, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Académia, p. 92.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
183
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
puisqu’elle nous dira tout de go au bout de quelques séances « T’es un bon dans les arts
martiaux, et ben je vais faire de toi un bon en équitation éthologique ! ».
A ces deux lieux étudiés durant deux années viennent s’ajouter l’analyse de deux autres
lieux. En effet, il convient pour le bon déroulé de l’explicitation de la construction du cavalier
d’y adjoindre tout d’abord le centre équestre qui fut celui des premiers cours et de la
découverte technique qui en a découlé, ainsi que les premiers rapports faits aux pratiques de
combat. Par ailleurs, dans le cadre professionnel, nous sommes amenés dans le cadre de la
formation pédagogique de deux ans propre aux Maisons familiales rurales, d’effectuer un
stage en 2007. Alors que l’idée de cette étude n’était pas encore concrétisée, un rapport avait
été réalisé. Celui-ci s’avère aujourd’hui intéressant, car il permet d’appréhender d’une
manière plus fine la constitution d’un cursus cavalier et propose une description d’un autre
lieu de pratique, différent dans sa disposition et dans son fonctionnement que les deux
enquêtés durant cette étude844. Nous y reviendrons au chapitre suivant.
Réflexions sur le statut du chercheur
Quelle est notre place, dans cette recherche ? Dans quelle mesure celle-ci ne nous
concerne pas en tant qu’individu mais en tant que chercheur ? Pratiquant d’arts martiaux
depuis des années, nous avons initialement constaté dans la pratique de l’équitation des
similitudes corporelles avec des savoirs techniques acquis antérieurement. Nous interrogeons
alors dans quelle mesure ces éléments se révèlent comme autant d’indices nous permettant de
révéler une perception différente d’une pratique. Il conviendra de se servir du corps non pas
comme d’une finalité mais plutôt comme d’un élément méthodologique à part entière. Ce qui
relève d’une épistémologie corporelle845.
Dans notre cas personnel, en tant que sociologue, nous sommes arrivés dans le centre
équestre en nous déclarant comme chercheur sur l'équitation. Mais aussi en tant qu'individu
qui cherche à progresser à cheval. En tout état de cause, nous sommes en recherche.
Recherche personnelle, recherche scientifique. Les deux se confondent et doivent se
844
845
Annexe n°9, p. 23-27.
Andrieu, Bernard, Op. cit.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
184
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confondre nécessairement initialement aux yeux du moniteur d'équitation. Nous nous sommes
présentés comme chercheur à notre arrivée en octobre 2010. Le carnet ethnographique a
débuté en juillet 2011. Cette période d'attente, plus d'un an, nous a laissé le temps de nous
intégrer au groupe nouvellement constitué. Ce groupe, composé initialement de cinq puis six
personnes, deux couples (le nôtre et un autre), deux femmes, s'est stabilisé autour d'un noyau
dur : un couple (le nôtre), trois femmes (Anita, Florence, Christine-femme du moniteur). Les
circonstances de ces transformations et de l'arrivée de la femme du moniteur s'expliquent par
la bonne qualité des relations qui se sont progressivement installées dans le groupe. Un an et
six mois ont permis de banaliser le statut de chercheur qui est le nôtre aux yeux des autres
membres du groupe. Les discussions sont anecdotiques, on me demande si mes travaux
avancent bien. Chacun sait que nous faisons passer régulièrement des entretiens, ce que le
moniteur avait accepté sans difficulté.
En fait, notre statut d'observateur participant passe complètement inaperçu, bien que
déclaré. Le moniteur ayant été interviewé, pour lui il n'est plus un sujet pour nous, et les
camarades s'étonnent, lorsque concentré sur nos ressentis, nous ne parlons pas de la séance,
alors qu’hebdomadairement les blagues, les piques amicales fusent, et oubliant – nous le
premier d'ailleurs - que le téléphone, dans la poche du moniteur, n'en manque pas une miette...
Nous nous plaçons résolument dans une relation à l’enquêté dans laquelle notre statut ne
peut pas nécessairement être considéré comme un biais systématique846.
Participation : apprendre par corps
L’observation ne permettant pas de comprendre les mécanismes attendus de chaque
cavalier en devenir, il semble nécessaire de faire preuve d’un investissement corporel total. Le
principe de participation observante, proposé par Andrieu, évoque une méthodologie mettant
le corps du chercheur au centre de la recherche. Cette théorie, issue du champ des STAPS
(Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), tend à se comprendre comme
une nécessité de la recherche dans l’action. Andrieu ne se contente que d’observer sa création
et sa tendance. Mais elle n’est pas utilisée que dans les sciences dédiées aux activités
846
Monahan, Torin and Fisher, Jill A., Benefits of ‘observer effects’: lessons from the field,in Qualitative
Research, Vol. 10(3), 2010, pp. 357-376.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
185
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physiques et sportives. Cognot847, dans son étude archéologique, utilise son propre corps pour
reconstituer à partir des armes du bas Moyen-âge les techniques en usage à l’époque. Il se
base sur la configuration des armes à sa disposition (haches, épées, lances) et utilise les écrits
parvenus jusqu’à nous. Allié de son esprit qui régule les possibilités stratégiques et tactiques,
son corps devient lui-même outil de recherche, pour comprendre comment s’intègrent les
savoirs faire d’arts martiaux historiques européens aujourd’hui disparus. Il tente ainsi non
seulement de recréer une pratique mais également de la rendre disponible au public au travers
de l’association AMHE. Aussi, bien que l’équitation n’ait pas disparu, sa pratique reste
hermétiquement fermée à toute personne qui ne fera pas la démarche de s’y frotter au sens
littéral. Notre démarche, visant à rendre disponible un savoir, visant à permettre une
pratique/expérience corporelle afin de sortir du visuel et entrer dans le sensitif s'est avérée
nécessaire. En somme, le choix a été fait de tirer parti dans toutes les dimensions de notre
implication sur le terrain comme « méthode d’investigation » pour laquelle « l’analyse
réflexive s’impose alors »848.
L’objectif est alors de « représenter la multiplicité des modes de connaissance » et
« donc de présenter à la fois une modélisation explicative des fonctionnements de l’homme
comme du monde dans ceux-ci et une dimension exploratrice pour ceux-ci »849. Chaque
individu construit en permanence ses savoirs corporels et les modifie en fonction de la
situation850. Pour ce qui nous concerne, l’étude se pare immanquablement de notre passif
guerrier, et c’est lui qui a permis la possibilité de renouveler les expériences. Il serait
intéressant d’être attentif aux éventuelles modifications produites par la pratique équestre dans
les savoirs corporels.
Envisageant le structuralisme en anthropologie, l’auteur nous rappelle que celui-ci
invite à « envisager l’existence de fonctions de connaissance commune aux hommes »851. Il
conviendra pour cela de mettre en relation les niveaux de connaissance en intériorité et en
extériorité. C’est-à-dire chercher à faire correspondre le vécu corporel particulier au vécu
expérientiel des personnes interrogées. En effet, selon Vanpoulle, « il n’y a de connaissance
847
Cognot, Fabrice, L’armement médiéval. Les armes blanches dans les collections bourguignonnes. Xe-XVe
siècle, thèse de doctorat pour obtenir le grade de docteur en Archéologie, 2013, Paris I Panthéon-Sorbonne.
848
Olivier de Sardan, Jean-Pierre, op. cit., p. 93.
849
Vanpoulle, Yannick, 2011, op. cit., p. 136.
850
Ibid., p. 185.
851
Ibid., p. 129.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
186
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qu’en situation »852. C’est par l’acte même de monter à cheval que nous pourrons de
l’intérieur comprendre la constitution d’un savoir-faire et, partant, d’un statut. Cette manière
de procéder permettra de rendre compte d’une « manière de devenir » cavalier, et des
intégrations corporelles visant à ce devenir puisque « apprendre c’est transformer et
développer les processus de la connaissance »853.
IV – 3 Méthodologie de réalisation des entretiens
Les entretiens restent en socio-anthropologie et dans un travail se voulant qualitatif un
moyen de recueillir les représentations des acteurs d’un milieu. Mais cette méthodologie pour
être efficace nécessite qu’un certain nombre de critères soient respectés et de biais soient
évités. Nous plaçons notre étude dans le cadre de la sociologie de l’expérience sociale. Aussi,
la méthodologie de l’entretien est semble-t-il fondamentale dans cette optique. La « ligne de
conduite »854 exprimée par chacun des enquêtés permettra ainsi une perception fine du champ
d’observation.
Quel public interviewer ?
Il ne s’agira pas ici d’une enquête ethnographique, selon la définition qu’en donnent
Beaud et Weber855, dans la mesure où c’est la variété des points de vue qui est recherchée. Les
enquêtés n’auront nécessairement pas tous des relations entre eux, bien qu’il puisse être
établis des liens le cas échéant entre leurs représentations respectives. Nous avons choisi de
nous intéresser aux professionnels du cheval, dans toutes leurs acceptions. Nous basons
celles-ci sur ce que Le Mancq définit dans sa sélection des compétiteurs « travailleurs des
sports équestres »856 : « éducateur/animateur sportif, coach/entraîneur, dirigeant/gérant d’un
établissement équestre (centre équestre, poney-club, écurie de compétition), cavalier
professionnel (salarié ou à son compte), éleveur ou marchand de chevaux de sports, etc. ».
852
Ibid., p. 122.
Ibid., p. 121.
854
Il s’agit d’« un canevas d’actes verbaux et non verbaux qui lui sert à exprimer son point de vue sur la
situation, et, par-là, l’appréciation qu’il porte sur les participants, et en particulier sur lui-même ». Goffman,
Erving, Les rites d’interaction, 1974, Paris, Editions de Minuit, p. 9.
855
Beaud, Stéphane et Weber, Florence, 2010, op. cit., p. 12.
856
Le Mancq, Fanny, 2007, op. cit., p. 131.
853
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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Sont regroupés sous le titre de « moniteur » les acteurs travaillant en centre équestre. Les
dresseurs regroupent quant à eux les intervenants à domicile et hors clubs fédérés, ainsi que
les dresseurs de chevaux. En effet, les enseignants hors club semblent travailler en parallèle le
cavalier et le cheval, et enseignent à leurs cavaliers comment mieux communiquer avec lui. Il
semble donc intéressant de mettre ces deux catégories dans le même groupe. Les compétiteurs
sont investis dans le sport, la majorité écrasante d’entre eux sont ce que Le Mancq nomme
« travailleurs des sports équestres ». Les artistes sont majoritairement à cheval en scène. Mais
nous y greffons aussi un auteur, réputé pour ses œuvres écrites portant sur le cheval. Enfin, les
« touristes » sont les cavaliers d’extérieurs, président d’association ou cavaliers au long cours.
Ces derniers présentent parfois des écrits après leur cavalcade et pourraient tout aussi bien
entrer dans la catégorie des artistes en tant qu’auteurs, mais l’écrit est incident de leurs
voyages, et non pas leur profession en tant que telle. Nous y adjoignons d’autres catégories
qui ne sont pas dans la liste initiale : artiste de spectacle/de cirque, auteur reconnu d’œuvres
équestres, cavalier au long cours (qui sont aussi auteurs par répercussion de leurs voyages),
« équithérapeute » et enfin cavaliers de course. Ceux-ci sont exclus d’office dans l’étude de
Le Mancq : « hormis l’utilisation d’un cheval, il ne présente pas de caractéristiques
communes avec les sports équestres, ni dans la pratique, ni au regard de ses pratiquants ou
encore de son public ou de ses Institutions » 857. En tout état de cause et en définitive, l’étude
porte sur la seule pratique du CSO. Etant donné que l’intérêt est ici porté sur la relation
cheval-cavalier, il semble au contraire important, en dépit des différences multiples citées
d’intégrer cette population. La seule entorse à ces choix pourra se porter sur des
« outsiders » : président d’association de randonneurs, ou compétiteur non professionnel. Ces
deux exceptions auront pour but de permettre une éventuelle comparaison entre des savoirs
académiques et des pratiques purement hédonistes. Cela nous permet également d’appuyer
cette marque : le sport est un loisir et le loisir n’est pas hors du sport, ce que les enquêtes
précédentes tendaient à prendre pour acquis.
Ces professionnels peuvent également, tout comme dans l’étude dont est tirée la
sélection initiale, être des compétiteurs. Ce choix est fait pour plusieurs raisons. Nous
estimons que la pratique équestre, quelle que soit la structure dans laquelle évoluent les
professionnels enquêtés, est le résultat de la rencontre d’un « maître ». Selon leurs métiers, ils
peuvent eux-mêmes être les maîtres de nouveaux élèves, voire les maîtres à penser de la
857
Ibid., p. 5.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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pratique, quand ils ont une « aura », une réputation importante. Par ailleurs, notre objectif est
de considérer l'équitation dans sa globalité. Aussi, le public « passeur » ou « dépositaire »
d’un savoir nous paraît le plus opportun. L’autre option qui aurait pu être la nôtre aurait
consisté à interviewer un certain nombre de pratiquants, en allant au plus loin chercher des cas
particuliers. Le souci que nous éprouvons avec les précédentes études est justement de
généraliser les pratiques pour mettre au jour la variété des comportements, jusqu'alors noyés
dans la masse de ce que font le plus de pratiquants.
Comment réaliser les interviews ?
Deux groupes d’entretiens sont à distinguer dans nos travaux. Les entretiens à distance
et les entretiens en face à face.
Beaud et Weber considèrent qu’il est inutile de chercher à obtenir de trop nombreuses
interviews, les entretiens approfondis ne cherchant pas à obtenir des données quantitatives. En
effet, « « l’universel est dans le particulier », comme aimait à le dire Goffman »858. Nous
avons choisi d’aborder nos entretiens au travers de plusieurs échantillonnages859. Il s’agit des
méthodes par « effet boule de neige ou chaîne ». Les toutes premières interviews ont été
menées auprès de personnes que nous avions rencontrées dans les premiers temps de la
pratique équestre solitaire. L’une de ces personnes nous a indiqué deux autres contacts
possibles qui pourraient nous être utiles. Pour le reste, il est arrivé que certains de nos
interviewés nous proposent des contacts potentiellement intéressants, souvent spontanément.
C’est d’un grand intérêt, dans le sens où cela lui permet d’avancer plus vite dans la recherche
de contacts. Cela permet aussi une introduction plus aisée vis-à-vis du nouvel enquêté. Mais
c’est aussi pernicieux, puisque cela pourrait amener les individus à nous orienter
nécessairement vers ceux qui pensent comme eux. Aussi avons-nous également cherché à
contacter les personnes qualifiées par les enquêtés comme « mauvais » au sens technique ou
mental du terme. Par ailleurs, nous avons entamé des recherches « opportunistes ». C’est-àdire que des contacts ont pu être trouvés par recherches variées (sites internet, fora…) afin de
maximiser notre échantillon et le champ des perceptions.
858
Beaud, Stéphane et Weber, Florence, 2010, op. cit., p. 157.
Miles, Matthews B. et Huberman, A. Michael, Analyse des données qualitatives, 2003, Paris, De Boeck, p.
60.
859
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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Dans tous les cas où une nouvelle personne pouvait potentiellement être intéressée, la
prise de contact s’est faite par courriel860. Soit par messagerie personnelle, soit en passant par
les sites Facebook ou Viadeo, ou encore des fora portant sur le cheval et l’équitation. Seul
l’un deux aura donné un résultat. Un certain nombre d’échanges aura parfois été nécessaire,
tandis que dans d’autre cas, un simple courriel s’enchaînait avec un appel ou une rencontre.
Nous n’avons essuyé que deux refus. Une personne n’a pas répondu à notre courriel.
Ce sont deux méthodologies différentes qui sont proposées ici, même si dans les deux cas il
s’agit d’entretiens. Afin de ne pas tomber dans un biais méthodologique réel ou supposé quant
aux résultats de cette étude, les deux sources d’entretien ont donc été séparées avant l’analyse.
Ainsi, les entretiens en face à face et les entretiens par téléphone ou Skype, même s’ils sont
traités de la même manière, ne sont pas mélangés. C’est une fois l’analyse accomplie que
nous comparons les résultats et, que nous pourrons nous permettre ou non de conclure à la
similarité des résultats, des « obtenues » pour reprendre Latour861.
Les entretiens sont réalisés selon une même méthodologie. Celle-ci est divisée en une
méthode « spatio-temporelle » et une méthode « verbale ». Pour ce qui concerne la méthode
« spatio-temporelle », les personnes sont toutes interrogées soit sur leur lieu de travail, soit à
leur domicile. La deuxième option ne se produit que lorsque leur lieu de travail est impropre à
l'entretien proprement dit, comme une scène de spectacle ou un terrain de concours. Pour ce
qui concerne la méthode « verbale », nous avons abordé les entretiens en trois phases. En tant
que scientifique, d'abord, qui se penche sur un sujet de recherche sans autre forme
d'information initiale. Les questions posées sont donc au premier chef orientées sur la vie de
cavalier de tout pratiquant interrogé. Nous nous intéressons aux éventuelles raisons qui l'ont
poussé vers ce milieu, ce qui l'a fait rester ou ce qui, le cas échéant, l'en a fait partir voire
éventuellement le motive à y entrer tout d’abord, à s’y maintenir ensuite, sa perception de
l'équitation aujourd'hui, tant sur le plan intellectuel que physique. Puis nous abordons notre
propre pratique, d'arts guerriers asiatiques pour commencer. Le discours bifurque alors sur les
remarques faites sur l'histoire de l'équitation et d'éventuels rapports entre les pratiques
860
Forme de base du courriel en annexe n° 11, p. 29.
Latour Bruno, Le métier de chercheur. Regard d'un anthropologue, 2001, Versailles, Editions Quæ «
Sciences en questions », p. 49.
861
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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équestres et de combat. Enfin, nous abordons notre propre pratique de l'équitation, les
sensations qui en découlent afin de faire avancer le sujet sur le vécu corporel de chacun862.
L’objectif des entretiens approfondis tels qu’ils sont menés conduit à faire des alliances,
qui rapprochent de certains et coupent d’autres863. Le problème est ici que les tensions qui
peuvent exister notamment entre l’équitation « naturelle » et l’équitation classique sont
importantes et peuvent prendre des formes variées. Il apparaît que dans le choix des terrains
d’observation réalisés se trouvent les armes permettant de s’intéresser aux deux pratiques.
Ainsi, dans la dernière partie des entretiens évoquant la pratique équestre de
l’enquêteur, « l’appartenance » aux deux mondes s’est avérée déterminante. Selon le déroulé
de l’entretien pouvait être mis au jour trois types de comportements distincts : soit un rejet
catégorique de l’équitation dite « éthologique », soit une tolérance teintée d’utilisation
partielle de ses dispositifs et représentations, soit l’appartenance pure et simple à ce monde.
L’enquête a ainsi pu être facilitée par l’explicitation ou non de notre expérience dans ce
domaine au fil de la discussion.
Entretiens téléphoniques/via Skype© versus entretiens en face à face ?
Les entretiens ont été menés durant une longue période. De septembre 2011 à février
2013, nous avons été amenés, parfois donc tardivement, à rencontrer des professionnels
parfois à notre sens immanquables tant leur personnalité apparaît comme prégnante dans la
sphère sociale équestre. Bien que tous les entretiens soient in fine rendus anonymes,
l’interview de personnalités du monde équestre semblait aller de soi, ne serait-ce que pour les
comparer aux représentations de la pratique équestre des autres professionnels. Mais ces
entretiens n’ont pas pu tous être menés en face à face. Aussi, trente-huit entretiens ont été
réalisés en face à face, complétés par douze entretiens réalisés soit par téléphone, soit par le
logiciel Skype©. Les entretiens ont tous été enregistrés après précision aux personnes
enquêtées que chacun d’entre eux serait anonymé864. L’outil utilisé pour l’enregistrement des
entretiens s’est avéré, au fil du temps, extrêmement utile. En effet, ce n’est pas équipé d’un
862
Voir annexe n°10, p. 28.
Beaud, Stéphane, Weber, Florence, 2010, op. cit., p. 156-157.
864
Beaud, Stéphane, Weber, Florence, op. cit., pp. 182-183.
863
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magnétophone que nous sommes allés à la rencontre des professionnels, mais avec un
smartphone865.
Par ailleurs, l’utilisation de cet outil s’est avéré bénéfique, sans que nous ne nous en
rendions compte initialement. Bertaux explique que lors de l’entretien, le magnétophone
« modifie la nature de l’entretien. Certaines personnes l’oublient vite, d’autres y restent
sensibles866 ». C’est un problème qui, nous semble-t-il en tous cas, n’a pas paru se poser avec
l’utilisation du téléphone portable comme outil d’enregistrement. La possession d’un outil de
ce genre est aujourd’hui particulièrement répandue, puisque 88% des français sont
aujourd’hui équipés, et que parmi ceux-ci, près d’un tiers des équipements sont des
smartphones867. Aussi, voir un téléphone mobile posé sur une table ne choque-t-il plus
personne, et l’outil du quotidien qu’il est aujourd’hui devenu est oublié très rapidement, tout
enregistreur qu’il est en fait à ce moment-là.
Entretiens en face à face
Il est important de noter que très souvent les lieux de vie et de travail sont le même, les
moniteurs d'équitation ou les dresseurs de chevaux vivant notoirement sur place. Ainsi, parmi
les trente-huit entretiens réalisés en face à face, ils sont quinze dans ce cas. Sur ces trente-huit
entretiens, trente-deux ont été réalisés en Bretagne. Deux d’entre eux étaient de la région
parisienne, de passage en Bretagne. Quatre entretiens ont été réalisés à Saumur, un à Paris et
enfin un à Laval. Il y a quinze femmes et vingt-trois hommes.
Les catégories se répartissent ainsi :
Les moniteurs sont au nombre de 21, et comportent 9 hommes et 12 femmes. Les
dresseurs sont 5, dont une femme. Les compétiteurs sont 6 hommes, les 3 artistes sont
également des hommes, les 2 touristes sont un homme et une femme, et enfin une
équithérapeute.
865
Voir Annexe n°8, p. 22. Celui-ci, équipé des logiciels dont nous avons parlé précédemment, permettait un
enregistrement de son au format .wav, et d’une bonne qualité (16 KHz). Cet élément s’avèrera d’ailleurs
prégnant un peu plus tard, lorsque nous voudrons traiter les fichiers pour la retranscription.
866
Op. cit., p. 66.
867
http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-credoc-diffusion-tic-2012.pdf, p. 28 et 35, enquête
réalisée en 2012.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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Il se trouve in fine que notre échantillonnage approche la composition du monde
équestre professionnel. En effet, les monitrices sont plus nombreuses que les hommes, les
compétiteurs sont principalement masculins. Les autres catégories, peu étudiées et
difficilement identifiables représentent une distribution plus aléatoire.
Les entretiens ont duré entre douze minutes (cas particulier d’un dresseur de cirque qui
nous a donné du fil à retordre, tant il est compliqué de faire un entretien en plein milieu d’un
cirque) et pratiquement trois heures pour le plus long. La majorité des entretiens fait environ
une heure vingt (Moyenne 1h21m45s, écart-type approché 39m16s).
Enfin, deux groupes de personnes se distinguent de l'ensemble des autres pratiquants
interrogés. Le premier groupe est constitué des cinq premiers interviewés ayant pour point
commun d'avoir assisté ou d'assister encore à notre pratique équestre, de nous avoir initié
et/ou formé ou de continuer à le faire. Ces cinq personnes ont toutes plus ou moins fait
référence à nos performances et notre façon de procéder à cheval. Deux de ces professionnels
sont également les moniteurs des deux centres de formation dans lesquels ont été faites les
observations participantes et la participation observante. Le second groupe constituera une
étude de cas et a été abordé d'une manière un peu différente. Il s'agit de toute une famille
travaillant dans la même structure, le père, la mère, le fils et sa femme. Notons que ce second
groupe nous a déjà vu à cheval et connaît donc cette facette de notre recherche.
Le premier groupe a également un intérêt particulier : outre le fait d’avoir permis la
constitution progressive des questions qui allaient être posées aux interviewés suivants, ils
constituaient une population d’entretiens exploratoires868, et nous ouvraient un terrain qui
allait s’avérer assez surprenant par la suite. Par ailleurs, nous pouvions aisément revenir vers
eux, une fois la structure de l’entretien bien définie, afin de leur poser les questions
supplémentaires que nous aurions, au fil du temps, constituées.
Entretiens par téléphone ou Skype©
Les entretiens téléphoniques et par ordinateur ont permis de toucher une population plus
diversifiée. Les 12 entretiens réalisés se répartissent partout en France (surtout du nord et peu
868
Bertaux, Daniel, Les récits de vie : Perspective ethnosociologique, 1996, Paris, Nathan Université.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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au sud869, mais nous n’avons pas pu trouver de contact avec des professionnels de l’est de la
France) et aux Etats-Unis. L’un d’entre eux a eu lieu avec un compétiteur breton, seul moyen
de pouvoir le joindre. Au total, les entretiens concernent respectivement cinq femmes et sept
hommes.
La principale difficulté rencontrée, et c’est une raison supplémentaire de traiter
séparément les entretiens issus des deux méthodologies, est relative aux problèmes matériels.
En effet, il est arrivé quelques fois que le téléphone en lui-même et les soucis de connexion
internet puissent causer des ruptures dans les entretiens. Lors d’une coupe (qu’elle soit de
réseau ou du téléphone lui-même), l’entretien était systématiquement repris là où il était
arrêté.
Par ailleurs, il est arrivé que les entretiens prennent nettement plus de temps que prévu. Alors
que nous avions prévu et prévenu les personnes interrogées d’une plage de deux heures
nécessaire pour interagir convenablement, il est arrivé en quelques cas que la conversation
s’éternise. En ce cas, la suite de l’entretien a été reportée à une date qui convenait à chacun. Il
a alors été repris là où il s’était arrêté après une réécoute des dernières minutes de la première
partie.
La distribution se présente comme suit : Les moniteurs sont 3, dont 2 femmes. Il y a un
compétiteur, 3 dresseurs dont 1 femme, 2 auteurs, un homme et une femme, 2 hommes
touristes, et 1 femmes équithérapeute.
La durée des entretiens est plus variable que pour les entretiens en face à face et les
écarts plus importants (Moyenne 1h21m18s, écart-type approché 45m01s).
Les entretiens, qu’ils se fassent par téléphone ou via internet suivaient la même logique
de déroulé que les entretiens en face à face. Dans le cas de Skype©, la caméra était
systématiquement débranchée. La photo de chacun des deux était cependant affichée.
Ce sont au total, entre les entretiens en face à face et à distance, cinquante personnes qui
ont été interrogées.
869
Le Mancq rappelle en note de bas de page qu’historiquement, la pratique des compétitions et de l’élevage se
retrouve massivement dans la moitié nord de la France (Le Mancq, 2007, p. 155).
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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L’enquêté-enquêteur
L’une de nos enquêtées à distance présente un profil assez particulier : alors
que nous étions en quête de nos premiers entretiens à distance, plusieurs messages
avaient été laissés sur des forums spécifiques au cheval ou non. Christelle
moniquatorze a trouvé l’une de ces annonces et s’est manifestée à nous
spontanément. C’est lors de la retranscription de l’entretien que nous réalisons
qu’elle parle spontanément d’arts martiaux, dès le début du discours. Aussi, un
courriel est envoyé afin de comprendre dans quelles conditions elle s’était
manifestée à nous.
Elle nous apprend alors qu’elle avait fait des recherches sur l’enquêteur, et
était tombé sur des actes de colloques. Aussi, elle avait pu voir les premières
conclusions faites à partir notamment de l’évolution historique de l’activité et des
premières retranscriptions. C’est exactement la situation qu’évoque Héas : « Plus
insidieusement, l‟invisibilité ou la neutralité bienveillante de l‟enquêteur, du
sociologue en ce qui nous concerne, n‟est plus autant garantie par lui seul, dans
sa relation avec « ses » enquêté(e)s. Car l’Internet constitue également un moyen
de contrôle du statut du chercheur. Une simple recherche par mots clefs, ici le
prénom et le nom du chercheur, permet aisément à chaque enquêté qui dispose de
ces moyens technologiques de « savoir à qui il a à faire ». »870. On constate que la
démarche de l’enquêté, dans ce cas précis, rejoint celle de l’enquêteur en un
point : la volonté diffuse de mettre au jour un existant imprécis.
Quelles questions poser ?
Les questions telles qu’elles ont été construites permettent le recueil d’éléments des
représentations sociales partagés par les professionnels enquêtés.
Les deux premiers entretiens, réalisés auprès de professionnels que nous connaissions
déjà, ont permis de lancer l’enquête et de poser les premières questions que nous avions
élaborées initialement. Puis dès le troisième entretien, de nouvelles questions sont apparues,
alors que notre cadre théorique se complétait. Nous sommes donc revenus à plusieurs reprises
870
Héas, Stéphane, Les outsiders des sports. Essai de compréhension sociologique de pratiques physiques
alternatives, étranges ou marginales, 2011a, Sarrebruck, Editions Universitaires Européennes, p. 45.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
195
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
vers ces personnes ressource afin de compléter notre questionnement durant la période
dévolue à notre terrain.
C’est un ensemble de quinze questions qui a été mis en place871. Néanmoins, ces
questions pouvaient s’avérer ne pas coller parfaitement au métier face auquel nous
intervenions. Aussi, des modifications de présentation, ou des demandes spécifiques ont pu
alors être formulées. Il s’agit donc, plutôt qu’un guide d’entretien, d’un canevas d’entretien
nous permettant d’insister sur tel ou tel point du canevas selon la situation872.
Chaque entretien a été abordé de la même manière. Doctorant en sociologie, le thème
porte sur ce qu’est l’équitation et l’histoire des personnes. Aucune allusion n’est faite sur une
quelconque pratique de notre part. Il arrive que les enquêtés cherchent à savoir si nous
sommes cavalier nous-mêmes873. Nous reportions la réponse dans le temps : « parlons de vous
d’abord, nous parlerons de moi après ». Il est certain que les idées que peuvent se faire les
enquêtés sont diverses et variés. L’une de nos derniers témoins nous a simplement dit au
téléphone « de toutes façons, vous êtes cavalier, puisque vous vous intéressez au sujet ». Nous
n’avons pas répondu.
Le déroulement s’effectue en deux parties de plusieurs phases. La phase une de la
première partie est systématiquement la même : elle consiste en une introduction visant à
obtenir le récit de vie de cavalier ou de cavalière du témoin. De cette histoire peuvent
commencer à affleurer des réponses à nos questions initiales, ou permettre de rebondir sur ces
questions. La phase est importante, car elle noue la relation entre l’enquêté et l’enquêteur par
une forme de confession intime, d’écoute attentive. L’ouverture des enquêtés aux futures
questions prévues permet également de rendre l’entretien plus spontané, intégrant les
questions au fil de la conversation plutôt que de suivre un cadre systématiquement. La
deuxième phase permet de répondre aux questions d’ordre général sur la pratique, l’entretien
se transformant alors en entretien semi-directif. Ces réflexions permettent de laisser affleurer
les représentations sociales de chacun, afin après analyse de définir les représentations
collectives et individuelles qui nous intéressent sur la pratique de l’équitation et de ce qu’elle
est aux yeux de nos enquêtés.
871
Voir annexe n°10, p. 28.
Olivier de Sardan, Jean-Pierre, op. cit., p. 60.
873
Ce qui est arrivé en trois occasions, et à chaque fois lors de la prise de contact téléphonique.
872
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
196
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La deuxième partie se présente comme suit : la troisième phase consiste à évoquer
l’histoire équestre, en nous plaçant en tant que pratiquant d’arts martiaux. Puis, après avoir
discuté notre découverte équestre, nous parlons de nos ressentis et expériences, afin de les
confronter aux réflexions, aux opinions de chaque personne interrogée. Enfin, nous parlons de
l’étude que nous menons pour répondre à leurs questions restantes. Cette deuxième partie est
différente de la suivante et a deux objectifs. Le premier est de partager les informations que
nous avons relevé initialement afin de permettre la continuation de l’échange, et par le partage
de donner à l’entretien un tour conversationnel, réduisant ainsi un peu le manque d’équité
inhérent à l’entretien semi-directif. La volonté affichée ici est d’obtenir plus d’informations.
Elle permet également de confronter nos hypothèses à la réalité des personnes interrogées et
de voir leurs réactions face aux idées que nous proposons. Le second se traduit par la dernière
question portant plus spécifiquement sur le rapport entre les mouvements du bassin et leur
rapport à la sexualité aura toujours ou presque posé des difficultés. Elle a été placée à la fin et
est entourée d’un maximum de précautions, de peur de voir un refus net ou de perdre
l’entretien en étant allé trop loin. Elle a reçu des réponses, parfois une négation polie.
L’absence de réponse ou plutôt la négation au regard des réponses des autres participants
interrogés méritera bien entendu l’analyse.
IV – 4 L’abord du terrain et ses spécificités
La manière d’aborder la population des professionnels du cheval n’a pas été sans
quelques surprises, qui nous ont amené à faire un certain nombre de choix pour permettre un
échantillon représentatif de la population des professionnels au regard de l’étude de Chevalier
et Lebeaux874 et Le Mancq875. En effet, les premiers entretiens menés se sont avérés
fondamentaux pour la constitution des questions abordées ensuite. Une fois cette entame
réalisée, et les questions finalisées, nous partions vers de nouveaux horizons. Mais c’était
compter sans certaines spécificités du terrain. Spécificités que l’on peut accessoirement
874
Chevalier, Vérène , Lebeaux, Marie-Odile, 2006, Les emplois agricoles dans la filière cheval en France :
analyse secondaire des données sociales recueillies par la Mutualité Sociale Agricole, in Rapport de recherche
pour le Comité d'Orientation Scientifique et Technique des Haras Nationaux, Paris.
875
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 142. Les femmes sont légèrement plus nombreuses que les hommes
(51%) dans les centres équestres, largement minoritaires dans la compétition, l’élevage et les courses hippiques
pour la distribution verticale genrée. Elles sont également moins nombreuses à mesure qu’augmente le niveau de
la hiérarchie.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
197
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
retrouver là encore chez Fournier pour lequel le fait de « montrer patte blanche » est une
éventualité bien connue du chercheur876.
Un exemple de difficulté : la personne ressource
Lors du premier entretien réalisé avec Romain, le compétiteur de concours complet
d’équitation (CCE), celui-ci racontait lors de ses pérégrinations avoir rencontré un célèbre
dresseur de chevaux. Il lui paraissait important d’aller à sa rencontre, tant « l’homme de
cheval était intéressant » selon lui.
Histoire d’une rencontre : le rôle du réseau dans la vie équestre
L’histoire telle qu’il nous l’a présentée est la suivante : alors que Romain
rencontrait des difficultés sérieuses avec un cheval qu’on lui avait confié, il décida
d’aller à la rencontre de M. Monidressun, 58 ans, face à face, afin de lui demander
son aide. Celui-ci lui montra simplement comment il procédait, puis lui dit de
faire la même chose. Romain nous dit alors être resté quelques temps sur place à
répéter exactement ce que faisait son « mentor » du moment, jusqu’à parvenir à un
résultat. Rentré chez lui, il conserva la technique. C’est d’ailleurs avec cette
technique que Romain redébourra877 notre jument. M. Monidressun sembla
apprécier le rapport que Romain entretenait avec les chevaux et lui garda de
l’estime, allant jusqu’à envoyer des propriétaires chez Romain afin de « travailler
leurs chevaux ». Ce qui pour le moins paraît une preuve de confiance, cela
signifiant ainsi que ses compétences de cavalier et de dresseur étaient reconnues
par ses pairs. Etre envoyé là-bas par M. Monidressun apparaît comme un cachet
qu’on appose aux qualités d’un dresseur.
Après avoir décidé de suivre son conseil et de le rencontrer, il ajoute accessoirement de
« bien vouloir lui dire bonjour de sa part » à cette occasion. Cette demande n’est pas
innocente : ce faisant, nous mettons en avant la connaissance, le lien d’une personne à l’autre.
876
Fournier, Pierre, Le sexe et l’âge de l’ethnographe : éclairants pour l’enquêté, contraignants pour l’enquêteur,
ethnographiques.org, Numéro 11 -octobre 2006, p. 6.
877
Un débourrage consiste à habituer le cheval d’abord à la présence de l’homme, puis à ce qu’il monte sur son
dos, qu’il lui donne des indications par les jambes ou les rênes…
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
198
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Pensant que cela pourrait provoquer un biais éventuel dans l’entretien à venir, la décision
initiale est de réserver cette demande pour la fin de l’entretien.
Après les rituels échanges de courriels et téléphoniques, nous finissons par trouver le
moyen de fixer un rendez-vous. Le jour venu, nous nous rendons sur place. Accueillis dans un
bureau, M. Monidressun nous prie de nous installer dans un joli fauteuil et s’éclipse quelques
minutes. Bien en face de nous, un livre : le débourrage, avec notre interviewé en couverture.
D’un coup, le message paraît clair : si vous voulez savoir ce que je pense, achetez mon livre…
Malgré tout, nous lançons l’entretien lorsque revient notre hôte, et ceci dure vingt minutes
avant qu’il ne ressorte, demandé par une personne. Nous consultons l’enregistrement… mais
l’outil avait alors mal fonctionné, les 20 premières minutes étaient à la trappe. Décidément…
M. Monidressun revient et nous lui expliquons la situation, faisons tant bien que mal un
résumé de ce qui a été dit précédemment, mais notre entretien ne se développe pas. Nous
continuons ainsi environ trois minutes sans jamais réussir à avoir un discours éloquent de M.
Monidressun, toujours sur la réserve. Constatant que nous n’arriverons jamais à rien, nous
tentons le tout pour le tout :
« Je connais quelqu’un qui est donc cavalier en Bretagne et chez qui j’ai
laissé ma jument, et que vous connaissez puis qu’il s’appelle Romain Compéun.
Oui, Romain, oui, il est très gentil.
Et c’est lui qui a débourré ma jument.
Oui, il est maréchal un peu.
Il est maréchal, oui, oui. […] C’est lui qui m’a conseillé de venir vous
voir… »
Après quelques minutes, la discussion commence enfin à prendre un nouveau tour, et
les dernières vingt minutes se révéleront beaucoup plus intéressantes. Ce premier entretien
« extérieur » à ceux que nous avions réalisé, bien que du point de vue des informations s’est
avéré relativement « raté » aura été fondamental dans la suite de notre abord du terrain car il
nous a permis de comprendre quelque chose de fondamental : dans le milieu équestre, il existe
une forte préemption. Si l’impétrant n’est pas introduit d’une manière ou d’une autre par
quelqu’un du milieu, il n’a pour ainsi dire aucune chance d’accéder aux informations. Nous
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
199
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
n’avons dès lors plus jamais commis cet impair878. Les difficultés de cet ordre ne sont pas
rares dans les milieux sociaux spécifiques. Pinçon et Pinçon-Charlot, notamment, se sont
spécialisés dans l’étude des sociétés dominantes. L’accès au terrain là aussi demandait un
certain nombre de conditions879. La présentation de soi nécessaire dans leur enquête n’est
qu’un rituel, remplacé dans notre cas par la présentation de soi par une personne ressource.
Les difficultés d’abord du terrain sont en tous les cas un thème récurrent dans les travaux en
sciences sociales880.
Un autre élément est apparu à peu près à la même période, dans les débuts de la
prospection du terrain. Lors de la recherche des premiers entretiens qui s’avéraient très durs à
obtenir, nous avions reçu le conseil de contacter, via un forum internet une personne d’un âge
important, ancien élève de Jean d’Orgeix881, autre personnalité de l’équitation. Nous
expliquant par messagerie interposé qu’il est très occupé et très vieux, il demande des
précisions sur notre recherche afin éventuellement de répondre aux questions par écrit. Au
bout de quelques envois, il nous avoue n’avoir pas le temps, être très occupé et refuse
l’interview. Ceci est une perte de temps sur un terrain qui s’avère effectivement difficile
d’approche, notre choix ayant porté préalablement sur le fait de ne pas nous présenter
d’emblée comme cavalier dans notre méthodologie.
Ce type de déconvenue se reproduira encore une fois. Alors qu’une personne que nous
avions interrogée nous conseille d’en joindre une autre, auteur là encore d’un livre sur la
question du cheval, la personne concernée nous propose de nous déplacer à Caen afin de
réaliser cet entretien. Nous déclinons l’invitation faute de temps et proposons un entretien
téléphonique. On nous demande alors de bien vouloir envoyer nos questions afin de préparer
l’entretien en vue de notre appel. Devant l’incompréhension qui semble naître, nous précisons
dans un mail :
878
Il s’agissait du second entretien réalisé à l’extérieur du cercle des connaissances relatives. Le premier s’était
fait également par personne interposée au sein d’une importante structure équestre.
879
Pinçon, Michel et Pinçon-Charlot, Monique, Pratiques d'enquête dans l'aristocratie et la grande bourgeoisie :
distance sociale et conditions spécifiques de l'entretien semi-directif, in Genèses, 3, 1991, p. 120-133.
880
Mauger, Gérard, Enquêter en milieu populaire, Genèses, 6, 1991, pp. 125-143.
881
Jean d'Orgeix fut successivement un grand cavalier, un entraîneur charismatique et un théoricien enthousiaste.
Il a eu une carrière de cavalier courte mais fulgurante. Courte puisqu'il abandonne l'équitation pour d'autres
activités après sept ans seulement de compétitions internationales. Fulgurante puisqu'en sept ans, sur 781
épreuves de saut d'obstacles, il en gagne 288. Premier entraîneur national de saut d'obstacles, il prit en main
l'équipe de France en 1973, au moment où les victoires étaient rares. Trois ans et demi après, la médaille d'or aux
J.O. de Montréal consacrait le nouvel élan et le talent des cavaliers français. Jean d'Orgeix est, sans contexte,
celui qui a le plus marqué son époque.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
200
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
« Je vous poserai des questions sur votre histoire de vie de cavalier et sur
votre vision de ce qu'est l'équitation aujourd'hui au travers de plusieurs thèmes.
Je ne peux pas trop déflorer les questions, si je veux avoir des réponses
spontanées. La durée, quant à elle, est très variable. Cela peut durer d'une demiheure à parfois quatre heures comme avec Mme A. Dans ce cas, il est fréquent de
diviser l'entretien en plusieurs séances, pour ne pas imposer des contraintes
temporelles trop lourdes aux interviewés. »
Là encore, la réponse est assez amusante, parce qu’elle ressemble à la manière dont
nous fûmes accueillis par M. Monidressun, 58 ans, face à face :
« Cher Monsieur,
Je crois que Madame A. vous a parlé d'une de mes publications :
"La musique du cheval" revue Cheval-Chevaux ed du Rocher. Vous pourrez
trouver, je pense, pas mal de chose me concernant dans le texte "des pieds et des
mains". Je vous suggère, dans un premier temps, de vous y référer.
Bien cordialement
Monsieur,
il s'agit d'un travail sociologique dont la partie méthodologique des entretiens
d'histoire de vie est certes en rapport avec la revue littéraire qui y sera jointe,
mais cette revue littéraire ne peut en aucun cas remplacer l'échange inter
individuel de l'histoire de vie.
Je connais l'ouvrage du Prof Gaston Pineau sur les Histoires de vie. Votre
travail est-il en référence à cela ? (Je crois me rappeler qu'il s'agit pour G Pineau
de faire rédiger leur histoire par les personnes elles-mêmes).
La discussion se terminera par la précision que nous donnons qu’il ne s’agit pas d’une
biographie mais d’une histoire de vie, et que cet entretien n’est pas un travail journalistique,
où la réponse peut être tronquée. Il est entièrement enregistré, et retranscrit en tant que tel,
avec exactement toutes les formules, les manières de parler, le discours brut avant traitement
des données qualitatives. Cela mettra fin à l’échange de mail. Inutilement chronophage, ce
type de séquence peut se reproduire plusieurs fois pour peu d’informations, hormis en
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
201
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
l’occurrence une référence bibliographique supplémentaire, et une compréhension plus fine
du terrain abordé. En quelque sorte, dans ces premières recherches de professionnels,
« l’alchimie » ne se produit pas selon les cas soit en fonction du manque d’expérience initial
ou du rapport enquêteur/enquêté qui ne se met pas en place882.
Une « imprévue » dans l’entretien
Autre exemple de difficultés imprévues : la personne supplémentaire. Il s’agissait en fait
d’une personne présente durant l’entretien, systématiquement la femme de la personne
interrogée. Beaud et Weber conseillent sur ce point de faire rigoureusement comme à chaque
entretien et de s’interroger sur les raisons et l’intérêt de cette présence supplémentaire883. Cet
événement s’est reproduit au cours de l’enquête cinq fois. La première s’est même doublée de
la présence de notre propre compagne, qui n’était pas prévue. En effet, elle avait décidé de
m’accompagner et de rester patienter en-dehors du lieu d’entretien. Cependant, l’imprévu
résidait d’abord dans la présence de la femme de la personne interrogée, mais également dans
leur refus catégorique de laisser notre compagne patienter dans la voiture. Ainsi, à quatre
autour d’une table, l’enquêteur s’est trouvé dans une situation inédite. Alors que nous
enquêtions sur notre premier artiste de dressage, celui-ci réalise sa carrière avec sa femme
dans le dressage et la danse inter-espèce. Lui, monté sur son cheval danse avec elle. Cette
coprésence leur était donc naturelle, puisqu’ils se représentent en fait comme les deux têtes
d’un même corps, leur propre troupe de spectacle. Alors que notre compagne avait accepté
avec grâce de ne pas intervenir durant l’entretien884, la proposition était faite dans un premier
temps de parler avec monsieur et ensuite avec madame. Dans les faits, lors de la première
partie, sa femme intervenait ponctuellement pour apporter des précisions à son discours. A
posteriori, cela s’est avéré fondamental à la compréhension de leurs représentations et de leurs
expériences, qui pour une bonne partie ne peut se comprendre sans l’autre partie.
Les quatre autres présences surprises ont été gérées de la même manière : dans deux de
ces quatre cas, la femme de l’interviewé n’avait que très peu d’emprise sur le discours de son
mari et était extérieur à cette dimension de son expérience. Il était donc expliqué que les
882
Beaud, Stéphane et Weber, Florence, 2010, op. cit., p. 158.
Ibid., p. 174-175.
884
Ce qui, finalement, n’était peut-être pas une bonne idée, elle aurait pu influer de manière positive sur
l’obtention des informations par des questions inédites.
883
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
202
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
questions seraient tournées vers leur mari et qu’il ne fallait pas qu’elles en soient offusquées.
Le dernier cas voit la présence qui s’ajoute au cours de l’entretien du fils et de la femme de
l’interviewé. Alors, c’est toute la famille qui pratique la randonnée, et ponctuellement, l’un ou
l’autre vient clarifier le propos de notre témoin. Dans le dernier cas, les informations
complétaient les dires de son compagnon.
IV – 5 Retranscription, analyse et anonymisation des entretiens
Retranscription
La retranscription des entretiens est réalisée avec l'outil informatique Sonal©885. Chaque
entretien est rentré dans le logiciel, puis découpé en sections thématisées. Ce travail de thèmes
effectué en même temps que la retranscription en permettra l’analyse.
Anonymisation
Au moment de questionner sur la méthode d’anonymisation la plus intéressante des
entretiens de tous ces professionnels, c’est la lecture de Zolesio qui a permis de faire un
choix886. Selon l’auteure, « les prénoms, ne sont pas construits ni distribués au hasard dans la
population, et qu’ils ne sont pas porteurs des mêmes connotations ». « Ce sont ces premiers
indicateurs significatifs et porteurs d’un premier sens sociologique, repérables même par le
sens commun, qu’il faut essayer de conserver en anonymisant les noms des enquêtés ». 887
Aussi, le choix a été fait de modifier les prénoms, tout en tâchant de conserver un prénom si
possible de la même fréquence pour telle génération, et proche de l’idée originale, sans
révéler le dit prénom. Car « Il appartient donc au sociologue qui retranscrit de faire
apparaître ces indications sociales – déterminismes familiaux, régionaux, religieux ou
culturels – qui sont déjà autant d’éléments significatifs pour l’analyse des cas étudiés »888.
885
Pour un retour réflexif sur cette utilisation d’un logiciel récent, voir annexe 12 p. 30.
Zolesio, Emmanuelle, Anonymiser les enquêtés, in Interrogations, numéro 12, juin 2011, pp. 174-183.
887
Ibid., p. 176.
888
Ibid., p. 177.
886
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
203
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Concernant le nom de famille, c’est l’exemple de Pruvost889, citée par l’auteure, sur les
femmes policiers, qui a retenu notre attention : « L’auteur a fait le choix de ne pas respecter
les consonances étrangères dans les noms de ses enquêtées, en partie car ce n’était pas
essentiel pour son sujet de comparer les origines. Par contre, il était essentiel que l’on
identifie rapidement le grade policier de ses 128 enquêtés. Aussi a-t-elle fabriqué des noms
propres à partir des premières lettres de ces grades : « Gard- » pour gardien de la paix, «
Brig- » pour les brigadiers, « Lieut- » pour les lieutenants, « Cap- » pour les capitaines, «
Comman- » pour les commandants, « Off- » pour les officiers, etc. Elle a adjoint à ces racines
de noms des suffixes variés pour désigner toutes ses gardiennes de la paix (Mme Gardag,
Mme Garduc, Mme Gardella, Mme Gardamor, Mme Gardid…) ou ses femmes lieutenants
(Mme Lieutomille, Mme Lieutac, Mme Lieutec…), etc. »890 Ce choix paraît complémentaire du
premier, qui visait justement à rappeler un certain nombre d’indicateurs possibles. Le nom de
famille n’étant plus nécessaire, nous avons décidé de suivre la même voix : ils apparaitront
avec un nom comportant leur profession, et leur numéro d’apparition dans la liste des
entretiens menés en fonction de ce nom. Par exemple, le premier moniteur interviewé devient
« Moniun », le second « Monideux », le premier dresseur « Dressun », etc. Si un
professionnel peut regrouper plusieurs fonctions, elles apparaissent toutes dans le nom : un
dresseur moniteur devient alors « Monidressun », etc.
Télescopage d’entretiens
Alors que les entretiens arrivaient à leur fin, un événement a priori original s’est
produit. En effet, parmi les différents entretiens menés, rares sont ceux concernant les
équithérapeutes. La pratique, en plein éclosion, représente une population
professionnelle assez faible au regard d’autres métiers. Aussi, seules trois
équithérapeutes – toutes des femmes – ont pu être enquêtées.
Le dernier entretien téléphonique est justement celui de l’une d’entre elles. Au
milieu de l’entretien, celle-ci nous annonce connaître une de nos précédents témoins,
avec qui elle fut en formation pour cette activité. Toujours en contact, elle l’avait
informé avoir participé à nos travaux. Ainsi, malgré la rareté des professionnels du
889
Pruvost, Geneviève, Profession : policier. Sexe : féminin, 2007, Paris, Editions de la Maison des Sciences de
l’Homme.
890
Zolesio, Emmanuelle, 2011, op. cit., p. 178.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
milieu, nous sommes tombés sur deux personnes qui se connaissaient et avaient suivi
la même formation, la même année.
Intéressant du point de vue méthodologique, car c’est la seule fois où une
interviewée nous apprend connaître un de nos témoins, il est également intéressant de
comparer ces deux entretiens. Il est très probable qu’ayant été formées au même
endroit, les deux professionnels aient le même discours concernant leur métier et leurs
représentations de la pratique.
Par ailleurs, ce dernier entretien téléphonique révèle une autre caractéristique. Il
s’agit d’une personne ayant vécu une autre partie de son parcours avec une autre
personne que nous avons entretenu en face à face. Loin du domaine thérapeutique, il
s’agit alors du même « maître équestre », personnalité aujourd’hui disparue et qui
nous permettra au chapitre suivant de mettre le doigt sur un élément social
d’importance : l’étiquetage du maître.
IV – 6 Retours des entretiens
Par souci d’inventaire et d’honnêteté intellectuelle, nous avons, chaque fois qu’un
entretien était réalisé, fait parvenir une copie aux personnes ayant participé. Ainsi, chacun
d’entre eux disposait d’un retour effectif de ce temps passé à se raconter, et pouvait
éventuellement ajouter quelques informations supplémentaires. Les premiers entretiens rendus
n’ont posé aucun problème, sauf dans un cas que nous verrons plus loin, dans la mesure où les
personnes concernées nous connaissaient. Elles ont manifesté leur surprise de voir la forme
que prenait l’entretien dans sa version la plus pure, avec les silences, les hésitations, les
marqueurs de réflexion personnelle disgracieux (« ben », « euh », etc.) qui leur semblaient
étranges. Une simple explication verbale suffisait alors à leur expliquer le pourquoi du
comment de la démarche scientifique. C’est lors des premiers retours aux personnes plus
éloignées que des réflexions plus surprenantes sont parvenues. Sur la majorité des entretiens
renvoyés (N=32/50), ils n’ont posé aucun problème. Une minorité a manifesté une
incompréhension, voire une agressivité (n=4).
Le premier retour se fit par courriel. Jean-Pierre Compespectun, écuyer au Cadre Noir,
nous informe qu’il ne trouve rien à rajouter à l’entretien en tant que tel, mais regrette la
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
présence des éléments de langage disgracieux. Nous lui répondons que les entretiens se
trouvent tous similaires et qu’il s’agit là d’une exigence scientifique.
Le même jour, nous recevons un appel de M. Monidressun, à qui avait été envoyé son
entretien retranscrit. Comme nous l'avons déjà dit, il s’agit d’un célèbre dresseur. Celui-ci fait
la même remarque devenue habituelle de la surprise qu’il a de voir tant de « difficultés » de
langage. Il soutient n’avoir pas du tout parlé ainsi, et que de le faire parler de façon hachée,
avec autant d'hésitation… est inadmissible. Nous lui expliquons là encore la rigueur qui
caractérise les entretiens tels qu’existant en sociologie, mais il ne veut rien entendre. Il finit
par nous dire qu’il est habitué à être interviewé et qu’il n’a jamais vu de choses pareilles. Par
ailleurs, il trouve bizarre que les questions soient plus longues que les réponses. Nous
rétorquons qu’il a fallu en début d’entretien pallier au souci technique que nous avions connu,
avec l’arrêt de l’enregistrement dès la fin de la première question. Face à nos explications, il
répond que si son entretien est anonyme, il s’en moque. Ce à quoi nous lui reconfirmons que
ce sera le cas. Il répond que ce n’est pas une raison… M. Monidressun nous demande si nous
avons enregistré l’entretien, étonné, ce que nous lui confirmons.
Nous constatons à ce moment-là la portée de l’utilisation du téléphone en tant que
dictaphone à ce moment précis. Nous avions toujours supposé que son utilisation ne serait pas
anodine dans notre approche du terrain, mais pas à ce point-là : les personnes qui ont participé
aux entretiens ont complètement occulté sa présence au fil de l’entretien…
Enfin, notre témoin finit par dire que nous lui avons demandé de réagir et de dire ce
qu’il en pensait, et que c’était ce qu’il faisait. Nous avons donc pris bonne note de ses
remarques et avons pris soin de lui confirmer que nous passerions son bonjour à Romain
Compéun, afin de tenter une réaffiliation à notre enquêté. Nous avons également pris soin par
la suite d’écrire un courrier, afin de lui réexpliquer par ce biais notre volonté de clarté et de
professionnalisme, pour qu’il comprenne au mieux notre démarche. Avec le recul, nous
constatons plusieurs choses. La première est une erreur de notre part. Nous aurions dû
préciser avec le retour de la transcription qu’il était normal de trouver des interjections durant
tout le discours, et que c’était, en fait, pour tout le monde le cas. Cette erreur nous aura permis
d’éviter de la reproduire plus tard. Elle s’est en outre produite sur un entretien qui déjà était
très difficile à réaliser et pour lequel nous avons éprouvé la plupart de nos difficultés de
départ. Nous avons évité de mettre notre témoin dans une situation délicate. Par ailleurs, sans
lui reprocher son manque de vigueur durant l’entretien, nous avons été amenés à lui poser des
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
questions toujours plus longues, afin de l’amener à parler. Enfin, il nous semble que cette
réaction peut être à mettre au crédit de son expérience propre : habitué à l’interview
journalistique, et son cortège de particularismes (phrases léchées, reconstituées dans un
français correcte et linéaires, avis du journaliste pour relecture afin d’y apporter
éventuellement des modifications ou des remarques) peut avoir amené notre témoin à se
figurer que le travail du sociologue est du même acabit, et qu’en l’occurrence, notre copie
était à revoir. La dernière remarque que nous ferons pourrait paraître spécieuse. Nous avons
rencontré notre témoin plus tard après l’entretien, dans un colloque auquel nous participions.
Alors que lors de l’entretien, il était impérial, à son bureau, nous le retrouvions tout en
timidité, presque ne se sentant pas à sa place, au milieu de convives pour la plupart
scientifiques ou pontes de l’ENE ou de l’IFCE. Nous nous étions fait cette réflexion, sans en
tenir plus compte jusqu’à cet événement. Alors, nous avons émis l’idée que peut-être nous
avions fait paraître à notre témoin que nous le prenions pour quantité négligeable, que nous le
tournions en ridicule, nous le scientifique, alors que son statut, conquis de haute lutte par le
biais de ses publications et communications diverses, ne nous le permettait pas.
Le troisième retour ne s’est pas fait immédiatement. Nous l’avons évoqué plus haut, il
s’agissait d’une personne interrogée issue de l’environnement proche. Sa réaction s’est en fait
cristallisée après les événements survenus avec M. Monidressun. En effet, Romain Compéun,
grâce à qui ce contact avait pu s’établir a eu une réaction très vive après coup, considérant
qu’il passait « pour un débile ». La relation s’est alors interrompue.
Le quatrième retour négatif recèle encore ses particularités. Les réactions précédentes
avaient amené une réflexion sur la forme de courriel devant l’accompagner pour éviter de
nouveaux désagréments. La forme choisie est celle-ci :
J'ai retranscris il y a peu votre entretien que nous avions réalisé dans le
cadre de mes travaux de sociologie sur l'équitation. Je souhaitais vous en faire
parvenir une copie pour que vous ayez une trace de cette rencontre et également
que vous puissiez éventuellement émettre des remarques.
Je vous envoie donc cette copie. Je vous donne quelques clés afin de
comprendre la forme et l'apparence que cet entretien prend, car j'ai par le passé eu
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
207
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
quelques soucis avec des personnes qui n'étaient pas habituées à ce type de retour
d'entretien, mais plus à ceux de journalistes :
Il s'agit d'entretiens de sociologie. Ils sont donc très différents d'entretiens
journalistiques. En effet, la méthodologie impose de tout retranscrire, y compris
les hésitations, les redites et cætera. Il s'agit d'une apparence qui sera réservée en
annexe. Il ne faut donc pas y voir une volonté de nuire, mais une volonté de
rigueur scientifique. Ces entretiens seront quoi qu'il arrive anonymés. Les
éléments permettant une reconnaissance des personnes seront gommés également.
Toute partie qui en sera utilisée dans le corps du texte en sera retravaillé
pour le rendre clair et ainsi transmettre les idées émises par les personnes
rencontrées.
N'hésitez pas à me renvoyer un mail s'il vous semble que des précisions
mériteraient d'être apportées.
La réponse s’est une nouvelle fois avérée surprenante, étant donné les précautions prises
pour éviter de nouveaux désagréments :
Bonjour,
J'ai essayé de lire votre texte mais je n'y arrive pas ce n'est pas lisible dans la
durée et il ne s'agit pas d'un problème technique!!
Aviez-vous un appareil qui enregistrait qui permettrait de confirmer votre
retranscription ?
Toujours est-il que je comprends les réactions des personnes à la réception de vos
documents.
Il serait peut-être plus respectueux de prévenir les personnes avant le rendezvous.
Le peu que j'ai réussi à lire donne l'impression que vous vous entretenez avec une
personne très limitée.
En bref je rejoins le clan des mécontents et regrette de vous avoir offert de mon
temps et de mon hospitalité.
Je garderais un œil méfiant sur la sociologie et sa "rigueur scientifique"!!!
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
208
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La réponse ici donnée apporte plusieurs informations. La première, intéressante,
confirme la théorie émise concernant l’utilisation du smartphone comme enregistreur. Celuici, mis en route sous les yeux de la personne interviewé, a complètement été occulté à ce qu’il
semble le temps de l’entretien. Cela laisse espérer une qualité d’échange plus importante
qu’avec un dictaphone classique.
La seconde concerne le sentiment de mépris avec lequel la personne semble avoir été
traitée. Sur la demande des préventions pré-entretien, l’injonction faite semble difficilement
réalisable. En effet, les personnes ont été prévenues, à la toute fin de l’entretien, que la forme
dans laquelle le retour serait effectué était « brute » de toute modification d’ordre langagière.
Donner cette information avant l’entretien ne changerait rien au fait que l’entretien sera rendu
ainsi mais pourrait par contre donner une information supplémentaire inutile avant la
réalisation en elle-même.
Le sentiment de mépris évoqué dans les trois cas précédents passe par la forme
langagière écrite. Les personnes en tous les cas estiment que leur discours n’est pas aussi
découpé qu’il apparaît dans la forme brute de l’entretien. Cela pose la question des raisons
pour lesquelles cette réaction se produit. Nous en voyons quelques-unes pouvant être
évoquées. Elles sont sans doute à mettre sur le compte de la perception médiatique des
événements.
L’entretien journalistique tel qu’il est présenté par le directeur de la communication de
l’Ecole de management de Strasbourg891 sur son blog nous permet de comprendre ce qui
différencie foncièrement l’entretien sociologique de l’entretien journalistique, et de
l’incompréhension qui en découle pour l’interviewé. Lorsque paraît l’interview journalistique,
le langage du témoin est fluide, clair, va de soi. Cela est dû au traitement de l’interview qui
diffère totalement. Ainsi, le billet892 explique que la retranscription de l’entretien se déroule
ainsi : « J’ai coutume de dire qu’en agence de presse 1h30 d’entretien demandent deux
heures de rédaction. En presse magazine, c’est nécessairement davantage! » Une durée de
retranscription journalistique est à peine supérieure voire peut doubler dans la presse
magazine par rapport au temps d’entretien en tant que tel. Par comparaison, Bertaux estime
pour sa part, et en-dehors des outils technologiques tels que Sonal, qu’il faut cinq à six heures
pour retranscrire une heure d’entretien893. Nous l’estimons entre 3 et 5 heures pour une heure
891
http://monjournalisme.fr/2010/06/oui-a-la-relecture-des-interviews-avant-publication/
http://monjournalisme.fr/2011/02/8-trucs-pour-bien-conduire-une-interview/
893
Bertaux, Daniel, op. cit.,p. 69.
892
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
209
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
avec Sonal. On commence à voir émerger la différence qui sépare les deux modes de
retranscription et donc de traitement du langage des interviewés.
Ensuite, nous retrouvons les mêmes constats dans les deux cas, c’est-à-dire la forme du
langage parlé. Alors, la différence entre les deux formes d’entretien est claire : « faire naître
de la cohérence d’un entretien qui a forcément, au moins par moments, été décousu ». Le
parti pris journalistique consiste à fournir clé en main un entretien reconstruit pour les besoins
de la compréhension. Ce qui sera le cas du sociologue, mais uniquement pour les parties
utilisées dans le corps du texte. Et même pour le journaliste son « papier final ne doit pas être
un compte rendu linéaire (même résumé) de [son] échange », ce qui serait rédhibitoire en
sciences humaines. Enfin, l’injonction faite de faire réviser les entretiens peut se présenter en
journalisme : « je maintiens que le processus d’interview justifie que la personne concernée
relise ses propos », alors que le renvoi scientifique de l’entretien consiste surtout en une
volonté de correction de possibles erreurs, voire d’avoir éventuellement des informations
supplémentaires, mais en aucun cas de chercher à obtenir des modifications de ce que
l’échange a donné comme résultats.
On le voit par ce prisme, l’entretien journalistique et l’entretien scientifique ne se
déroulent pas et ne se concluent pas de la même manière. Etant donné que les articles de
journaux ou de magazines sont lus par la majorité des personnes, contrairement aux entretiens
bruts scientifiques lus par leurs seuls participants, le gouffre apparaît énorme. Malgré nos
précautions et explicitations, la perception du résultat par nos enquêtés s’explique donc
aisément par ce fait.
Il apparait que la présentation de soi894 est mise à mal. Tout se passe comme si la « ligne
de conduite » que nous avions évoquée précédemment se retournait contre l’individu luimême. Les interviewés ont le sentiment de « perdre la face » au vu du résultat et de ne pas
paraître sous leur meilleur jour. Ce faisant, ils manifestent une incompréhension face à une
forme textuelle à laquelle ils ne s’attendaient pas.
Il est également probable, dans le flux médiatique permanent auquel nous sommes
soumis, que la radio et la télévision aient également une influence sur les représentations de
ce qu’est le discours : « Les médias [sont] ici vus comme l'endroit où l'homme contemporain
projette son image et la regarde simultanément, un «tout» façonné et façonnant. »895 Mais au-
894
Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, 1973, Paris, Editions de
Minuit.
895
Lamothe, Maxime, L’influence sociale des médias. L’amplification médiatique de l’information, in Cahiers
de recherche sociologique, n°23, 1994, p. 185.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
210
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
delà de ce que l’information, qu’elle soit issue du cinéma, du spectacle vivant ou de la
télévision, est intégrée par les individus et standardisée dans leur forme896, il est fort probable
qu’elles conduisent chacun à se vivre comme un interviewé parfait, pour lequel la fluidité du
discours est évidemment celle qu’on voit dans les films, les séries ou au théâtre. Il en oublie
les procédés scénaristiques préalables aux représentations médiatiques.
IV – 7 Conclusions partielles
Suite à une entrée sur le terrain hasardeuse et aux constats produits face à la découverte
de cette pratique, une méthodologie est mise en place afin de garantir une étude qualitative
des mondes équestres. L’observation participante, couplée à la participation observante ont
pour objectif de permettre une connaissance in situ, in vivo du terrain. L’étude des ressentis et
des observations faites devra ensuite être mise en relation avec les entretiens compréhensifs,
basés sur l’histoire de vie des personnes interrogées, ainsi que sur leurs représentations
personnelles et collectives. La mise en relation entre un vécu corporel et les ressentis que les
entretiens pourront apporter devraient autoriser la mise en évidence des mécanismes sociaux
qui permettent la constitution de l’identité de cavalier, corps et âme.
896
Ibid., p. 186.
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences
211
Troisième partie :
L’univers équestre exploré
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
Les représentations individuelles de ce qu’est le cheval, dans ce que nous disent les
personnes interrogées en les confrontant au vécu expérientiel permettent de constater et de
comprendre ce qui peut différencier les modes d’entrée dans la pratique. Deux grandes
tendances semblent émerger pour cette entrée dans la carrière897.
V –1 La rencontre du cheval : une entrée dans la pratique marginale ?
Les principaux résultats de l’enquête enseignent que deux grandes tendances se
dessinent dans le démarrage de cette pratique : soit c’est l’animal en lui-même, ou l’image
qu’on en a, qui a poussé à cette entrée dans la pratique, soit c’est une personne qui provoque
l’initiation. L’expérience personnelle est ici à mettre en rapport avec les entretiens réalisés. En
effet, c’est une autre personne qui a provoqué notre première expérience à cheval et non pas la
rencontre du cheval, qui était antérieure à ce démarrage. On pourrait s’attendre au vu des
enquêtes précédentes que ce fait personnel se retrouve dans l’ensemble des cas rencontrés, en
vertu des différences genrées mises en avant précédemment. Et dès lors apparaît une première
remarque.
Parmi les femmes interrogées, et malgré ce que les études portant sur l’équitation
laissaient présupposer, ce n’est pas la plupart du temps par l’intérêt porté au cheval que les
femmes « viennent » à l’équitation, mais par l’intervention d’un tiers et le plus souvent un
membre de la famille, et ce dans la grande majorité des cas. En ce sens, ce type d’entrée dans
la pratique se rapproche des processus mis en exergue dans les enquêtes concernant par
exemple les pratiques sportives de tradition masculine exercées par des jeunes filles et des
femmes898. Les cercles de socialisation proches agissent ici pleinement. Sur les quinze
897
Selon la traduction de l’ouvrage de Becker, Howard, 1985, Op. cit., p. 126.
Sorignet Pierre-Emmanuel, « Être danseuse contemporaine : une carrière « corps et âme »,
Travail, genre et sociétés, 2004/2 N° 12, p. 33-53. DOI : 10.3917/tgs.012.0033
898
Mennesson, Christine, 2004, Etre une femme dans un sport « masculin », mode de socialisation et
construction des dispositions sexuées, in Sociétés Contemporaines, n° 55, pp. 69 – 90
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
213
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
cavalières interrogées en face à face, les deux tiers avouent avoir été mises à et au cheval soit
par leurs parents ou leur famille, soit par des voisins ou des amis :
Clarisse Monidressdeux : « Moi je suis d'origine de la région parisienne,
particulièrement en banlieue ouest, et j'habitais tout près de Maisons-Laffitte.
Voilà, c'est un peu une attirance familiale. Et puis, sur les coups de dix ans, on
m'a proposé de faire mes premières armes à cheval899. » (36 ans, face à face)
Il en va de même chez les hommes puisqu’environ trois quarts d’entre eux ont
également été orientés vers la pratique par un tiers. Et parmi ceux-ci, là encore, l’animal n’est
que peu responsable de l’envie de s’engager dans la pratique : soit celle-ci est motivée par
l’idée de « faire du cheval », soit par l’idéal envisagé dans la pratique :
Jean-Pierre Compespectun : « Tout enfant, j'ai rêvé de faire la compétition
de haut niveau, je rêvais de sauter des fossés avec un cheval, blanc si possible,
qui s'appelait flèche d'argent, et il sautait des fossés, à cru. » (57 ans, face à face)
« Moi si vous voulez, j'ai, à partir de l'âge de douze ans, j'ai tanné ma mère
pour monter à cheval. Parce que souvent on allait se promener à pieds, dans
Saint-Germain-en-Laye, dans le bois, je voyais passer les cavaliers et ça me
tentait, quoi. »
Ainsi, ce qui pouvait paraître initialement comme un cas particulier à nos yeux se révèle
finalement d’une banalité sociale totale et renvoie en-dehors de toute réalité les
représentations classiques de l’importance de l’animal, en tous cas pour le démarrage de la
pratique.
899
Il convient de noter le choix fait par Clarisse Monidressdeux d’employer cette expression. D’autant qu’elle a
été formée par un ancien écuyer du Cadre Noir, le Commandant de Padirac, qui possède une grande réputation,
ou en tous cas une très grande aura auprès de ses élèves.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
214
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
V – 2 Devenir cavalier : description de quatre lieux de pratiques
Les quatre structures au sein desquelles la pratique a pu être appréhendée disposent d’un
certain nombre de points communs liés à la discipline en question. Mais elles sont également
très différentes par leur public et par leur structuration. La comparaison de ces quatre centres
permet de mettre au jour les points communs aux lieux de pratique mais aussi leurs
différences, celles-ci permettant d’appréhender la manière de fonctionner de ces centres et
l’impact sur la pratique équestre telle qu’elle est vécue par les cavalier.e.s enquêté.e.s.
Le premier lieu que nous avons découvert a été celui des premiers pas équestres. A cette
occasion était proposée une série de trois cours d’une heure, visant à prendre connaissance à
la fois du cheval, de ce qui l’entoure et du premier savoir-faire à cheval. Il est situé au bord
extérieur d’une petite ville centre-bretonne. A l’entrée du centre équestre se trouve la maison
d’habitation des propriétaires qui fait face au parking. La configuration permet ainsi aux
habitants d’être assez facilement au fait de la présence d’un client. Ce premier lieu est
constitué d’un manège semi couvert distant de quelques dizaines de mètres des écuries dans
lesquelles sont préparés les chevaux avant la séance. Les chevaux vivent dans les pâtures
avoisinantes. Les seuls à séjourner en permanence dans l’écurie sont les chevaux blessés, ou
les juments proches de leur poulinage900, cela afin de maintenir une surveillance plus
importante. Il y a dans cette écurie901 cinq grands boxes fermés et une dizaine de petites
stabules ouvertes par l’arrière. Au bout de cette écurie se trouve une sellerie, dans laquelle
sont situés le matériel de chaque cheval et celui de « pansage »902. Le « club-house », enfin,
est une cabane en rondins de bois. C’est ici que se retrouvent les cavaliers réguliers pour
échanger ensemble. Plus bas se trouve une carrière903. Celle-ci, plus grande que le manège, est
entourée d’une barrière en bois sur laquelle aucune lettre n’est affichée.
Car, classiquement, des lettres sont présentes tout autour de la piste du manège ou de la
carrière. Ces lettres servent aux activités de dressage. Ici, les lettres sont remplacées par des
dessins de fruits ou d’animaux. Cet élément a priori est anodin mais laisse tout de même
apparaître un intérêt moindre pour la compétition, en tous cas pour les reprises de dressage.
La partie couverte du manège est entourée d’un « pare-bottes ». Ce mur légèrement incliné
900
C’est-à-dire la naissance d’un futur poulain.
Au moment de notre enquête. Depuis, des investissements ont été menés et même la politique générale de
l’établissement a été modifiée, se tournant plutôt vers un modèle d’écurie de propriétaires.
902
Le matériel utilisé pour les soins aux chevaux : étrilles, brosses, cure pieds, etc.
903
La différence entre le manège et la carrière se situe dans le fait que la surface soit couverte ou non.
901
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
215
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
sert à éviter au cheval de coller au mur904 ce qui provoquerait une éventuelle blessure du
cavalier. On observe également une petite mezzanine permettant l’observation des non
participants.
L’expérience permet de constater que dans ce centre le cavalier nettoie lui-même sa
monture et la selle avant l’activité. Le cheval est généralement présent avant l’arrivée du
pratiquant. C’est également lui qui desselle et nettoie le cheval avant, le cas échéant, de le
ramener dans son champ. Le moniteur fait ses cours debout, circule dans la carrière avec une
préférence pour la zone centrale, va chercher le matériel sur les temps de pause des cavaliers
pour préparer ses exercices et donne ses instructions simplement par la voix et par le geste.
Les observations sont souvent empruntes de comparaisons humoristiques. Il monte parfois sur
le cheval d’un de ses cavaliers pour montrer l’exemple. Le nombre d’élèves variait lors de nos
observations entre 4 et 8 participants.
Le second lieu dans lequel nous avons pu passer une semaine complète en février 2007
fut celui du stage mené pendant la formation professionnelle des MFR905. Alors qu’il fallait
passer une semaine de stage dans un milieu inconnu, nous avions choisi d’intégrer un autre
centre équestre. C’était alors l’occasion de prendre connaissance des arrières cuisines de ce
type d’entreprise. Celui-ci se trouve au beau milieu de la campagne bretonne. Il est cependant
assez proche d’une ville moyenne. Beaucoup plus vaste que le précédent, on découvre en
premier lieu un parking. Cette fois, la maison d’habitation n’est pas immédiatement accessible
et est barrée par une haute grille, bien qu’attenante au bâtiment principal. Celui-ci est un
immense hangar. L’entrée principale se fait par le bureau de la responsable. Puis, une porte
sur la gauche permet d’accéder à l’ensemble du reste du bâtiment. Un couloir sépare le
bâtiment en deux. Le suivre mène au club-house et à la sellerie. Le traverser mène
directement aux écuries, avec en première vision un mur où sont placées les annonces de
concours à venir et autres informations. Celles-ci, très grandes disposent d’un îlot central de
boxes et en sont également entourées, totalisant près d’une vingtaine de boxes. Les chevaux
sont récupérés le matin et remis au pré le soir, après le dernier cours.
Les chevaux sont présents dès l’arrivée des clients. A la première heure de cours, les
chevaux sont placés dans des boxes à leur nom, nettoyés, sellés par le personnel. Le cavalier
n’a plus qu’à venir récupérer la monture et se rendre soit dans le manège, soit dans la carrière.
904
http://www.haras-nationaux.fr/uploads/tx_vm19docsbase/61_Pare_bottes_voligeage.pdf, consulté le 29
septembre 2013.
905
Voir annexe 9, p. 23.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
216
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Le manège est situé au-dessus des écuries. Grand, équipé de pare-botte et d’un espace fermé
permettant l’observation, il est réalisé tout en bois. Les cavaliers peuvent également se rendre
en sens inverse vers la carrière, grande et entourée encore une fois de bois. Ici, les lettres
apparaissent sur les murs des deux lieux de travail.
Ayant eu la possibilité pendant une semaine de vivre la vie de l’élève stagiaire, les
conditions d’accueil qui ont été faites étaient celles qu’un élève de l’établissement aurait.
Aussi, en-dehors du travail qui nous incombait (nettoyage des boxes, préparation des chevaux,
entretien général de la propreté de la structure), des cours étaient offert une heure dans la
journée. Lors de ces cours, la monitrice était systématiquement équipée d’un micro et d’un
haut-parleur. Le nombre de cavaliers présents en même temps sur la piste explique en partie
cette différence. Outre un indéniable confort pour les cordes vocales de l’enseignant
d’équitation, le son dépasse le brouhaha des cavaliers nettement plus nombreux que dans le
lieu précédent, dépassant régulièrement la dizaine de cavaliers. La monitrice n’est pas
présente sur la carrière mais se trouve sur le bord dans tous les cas. Les instructions sont
précises, nettes, et parfois cassantes.
Le troisième lieu de pratique est l’un de nos deux postes d’observation de ces dernières
années. Situé là encore en campagne, il se trouve tout au bout d’une route d’un petit village. Il
faut entrer dans un petit parking accolé à l’écurie, qui fait également office de sellerie, de
bureau et de club-house. L’entrée du hangar donne à gauche sur la sellerie, à droite sur le
bureau et plus loin se trouvent les boxes, au nombre de sept en tout et pour tout. Le moniteur
n’habite pas sur son lieu de travail, ce qui, nous avons pu le constater précédemment, est
souvent le cas906. Une barre de bois, à l’extérieur de l’écurie, permet par beau temps de
préparer les chevaux. Tout autour de l’écurie se trouvent les prés dans lesquels paissent les
chevaux. Il faut descendre une route d’une cinquantaine de mètres pour atteindre le manège,
semi couvert et entouré de bois et de champs, pour pratiquer. Les lettres sont ici aussi
présentes autour du manège, et là encore seule la partie couverte est équipée d’un pare-botte.
Le moniteur donne ses cours à pieds, au milieu de la carrière et se déplace pour préparer
les exercices. Les instructions sont ici données à la voix et énormément par le corps. Les
exemples sont nombreux et généralement liés à la personnalité de celui ou celle qui se trouve
en face de lui. Il lui arrive de prendre le cheval d’un des cavaliers pour lui expliquer ce qu’il
attend spécifiquement de sa part. Les cours accueillent généralement entre deux et six élèves.
906
Là encore, depuis nos observations, la situation a commencé à évoluer : le moniteur est devenu propriétaire de
son lieu de travail et a entrepris la construction d’une habitation attenante aux écuries.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
217
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Enfin, le dernier lieu dans lequel les observations ont pu être faites est le centre
d’équitation « naturelle ». Situé à l’est de la Bretagne, entre deux métropoles mais dans une
petite ville, son entrée se fait par un chemin de chaque côté duquel se trouvent les chevaux. A
droite, derrière le pré, on distingue une carrière et un rond de longe, spécificité par rapport aux
autres lieux. Au bout de ce chemin se trouve la maison familiale de type bourgeois du 19e
siècle. Le parking est à droite, avant cette bâtisse. Il fait face à une longère faisant office de
bureau à une extrémité, et de club-house/salle de réunion équipé d’une cuisine complète en
son centre. L’autre extrémité donne accès à une grande salle pouvant être louée. A l’étage se
situe le lieu d’habitation de la monitrice. Il faut se déplacer plus loin que cette longère pour
découvrir un très grand bâtiment assez neuf, tout en bois et ajouré. Toute la partie de gauche
est réservée à un grand manège, équipé de pare-botte, sans lettres. Un grand miroir est fixé sur
le plus grand mur et permet aux cavaliers d’observer leur posture à l’occasion. La partie de
droite donne accès en premier lieu à la sellerie, puis un petit espace dans lequel des
informations sont données, et enfin cinq grands boxes. Les cours sont donnés par la monitrice
à pieds. Elle parcourt de long en large la carrière et se place à des endroits variés, allant
observer, conseiller et aider chaque personne individuellement. Les cours se font au plus avec
six apprenants en même temps.
La description des lieux permet de constater qu’un centre équestre, s’il en porte le nom,
est constitué d’un certain nombre d’éléments récurrents. Ils sont parfois légaux, parfois font
partie des éléments qu’on attend de trouver dans ce type de structure. Néanmoins, en-dehors
de ces éléments clés, les quatre descriptions faites ici permettent de constater que d’une
certaine manière, les représentations des moniteurs, leur personnalité et les orientations qu’ils
donnent à leur pratique transparaissent déjà dans le lieu qu’ils ont aménagé ou qu’ils ont
investi. Nous avons pu de ce fait observer un club à visée compétitive, ne serait-ce que par les
affichages présents, mais également conçu pour accueillir simultanément un grand nombre de
cavaliers. Les trois autres clubs n’ont pas d’objectif compétition affiché, mais le premier et le
troisième club, d’équitation classique, maintiennent les lettres de dressage, même si pour le
premier elles sont transformées. Elles permettent au moniteur de demander une figure précise
au cavalier à un endroit donné. Dans le dernier lieu, au contraire, la dimension classique du
dressage est effacée en même temps que les lettres.
Par ailleurs, les publics rencontrés ne sont pas nécessairement les mêmes. Dans le
premier et le troisième club rencontrés, on observe une population relativement similaire.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
218
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Situés non loin l’un de l’autre, ils sont en fait en concurrence frontale. Il s’agit d’une
population mixée de citadins et de ruraux, allant des âges les plus bas à la population adulte.
Le premier centre équestre, qui était en fait celui projeté pour la recherche, a fermé ses cours
adultes qui correspondait au niveau débutant, ce qui a contraint à rechercher un autre lieu de
pratique et déplacer le centre équestre de référence. Il était intéressant de trouver un lieu
différent de ceux qui avaient déjà été rencontrés. Par ailleurs, le troisième club étant orienté
vers la compétition, le choix de s’attarder quelques mois voire des années dans ce lieu était
peu motivant. Comme le rappelle d’ailleurs Héas, chaque enquêteur à une histoire à voir avec
ses recherches et « En tant que sociologue, psychologue ou ethnologue, il est possible en effet,
peu ou prou, de se mettre à la place des enquêtés à raison de ses propres expériences
personnelles. Ce rapprochement peut même entrer dans le cadre d’un protocole avec une
participation aux activités, voire à la vie, des enquêtés »907.
V – 3 Comment devient-on cavalier ?
Autrement dit, quelles sont les conditions qui permettent le début de la pratique, et dans
quelles conditions peut-on poursuivre cette pratiques ? Il convient de s’intéresser à la
progression, du premier cours aux apprentissages de plus en plus poussés des techniques
équestres. Mais aussi à ceux d’un modus operandi propre aux cavaliers.
L’écrasante majorité des personnes rencontrées ont commencé leur « histoire équestre »
par le biais d’une pratique en centre équestre, poney-club ou parfois ferme équestre.
Premiers cours
La première rencontre avec la pratique équestre étant plutôt liée à autrui, il convient de
se demander quels sont les codes, les routines, et parfois les rites premiers inculqués au
débutant. Ceux-ci l’ont été pour nous dès la toute première séance d’équitation. Ces routines
professionnelles ont été mises en œuvre à chaque nouvelle observation d’un lieu de pratique.
Le moniteur, après une rapide présentation des lieux nous mène directement vers le cheval.
907
Héas, Stéphane, A Corps Majeurs. L’excellence corporelle entre expression et gestion de soi, 2011b, Paris,
L’Harmattan, p. 11.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
219
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
C’est le soin apporté à celui-ci qui constitue le premier apprentissage. Il faut apprendre à
brosser le poil avec les trois instruments présentés. L’étrille, brosse dure en plastique908
permet un premier décrassage. Elle doit être passée sur les parties charnues du cheval. La
seconde, brosse dure, peut être passée sur l’ensemble du cheval à l’exception de la tête. Enfin,
la brosse douce permet d’agir sur toutes les parties de l’animal. Ce corps à corps avec le
cheval participe donc de l’apprentissage au devenir cavalier. Cette intimité participe d’une
adhésion forte ou non avec la pratique comme l’avait déjà observé Tourre-Malen909. Les
routines mises en place par ce biais permettent une normalisation des comportements de tout
cavalier passant en centre équestre. En ce sens, l’équitation constitue une pratique physique
particulière dans nos sociétés ou les rapports aux animaux sont de plus en plus empreints
d’affectivité910…
Puis, il faut apprendre à utiliser le « cure pieds ». Sorte de petit crochet en fer, il permet
de nettoyer les sabots du cheval, en enlevant la terre et les éventuels cailloux.
Enfin, il reste à seller le cheval et lui passer sa bride911. Ce sont ici les éléments les plus
techniques à intégrer : poser la selle se fait avoir mis le tapis. Celui-ci peut être accompagné
d’un amortisseur. Ils ont pour rôle de protéger le cheval d’éventuelles blessures.
En même temps que ces premières notions sont enseignées, le moniteur fait
systématiquement la démonstration et explique les premières notions anatomiques qui
contraignent telle ou telle action. La selle doit être posée délicatement, la sangle doit être
réglée précautionneusement, le tapis dégarroté… C’est ainsi un ensemble de rituels, mais
aussi un ensemble de rites d’interactions nécessaires au savoir-vivre avec l’animal. Ce que
confirme Maïwenn Compédeux :
« Quelles
différences,
quels
points
communs
tu
fais
entre
le
dressage/éducation du cavalier, et le dressage/éducation du cheval ?
Et bien si un cavalier est pas bien dressé, il peut pas monter à cheval, c'est pas
possible. Non, mais faut qu'il ait des bases, quoi. C'est clair que si ton cavalier, il
prend le cheval comme une mobylette, et ben il y a du travail à faire, quoi, il y a
toute l'éducation à faire, quoi. C'est clair que quelqu'un qui arrive devant un
908
Ou en fer quand elle est américaine.
Tourre-Malen, Catherine, « Les à-côtés de l'équitation », rapport à l'animal et pratique sportive, Etudes
rurales, 2003/1 n° 165-166, p. 133-146.
910
Gouabault, Emmanuel et Burton-Jeangros, Claudine, L’ambivalence des relations humain-animal : une
analyse sociologique du monde contemporain, in Sociologie et sociétés, vol. 452, n°1, 2010, pp. 299-324.
911
Il s’agit de l’ensemble constitué des rênes, de l’ensemble qui entoure la tête du cheval et au bout desquelles se
trouve le mors.
909
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
220
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
cheval, qui en a jamais vu de sa vie, si tu lui donnes pas les bases, mais il va se
faire tuer, quoi! C'est...
Il va se faire tuer ?
Eh bien, pff, c'est clair! Un coup de pied de cheval, c'est vite parti, hein. Euh,
allez, passer sous le ventre, le cheval a une mouche "ah ben c'était ta tête! »
Rires. Tant pis, hein. Enfin, je veux dire, voilà, quoi.
Ah oui, le dressage du cavalier va dès avant de monter à cheval, quoi.
Ben bien sûr, à pieds, ça commence hein. Un débutant qui rentre dans une écurie,
déjà, le dress… enfin l'éducation du cavalier commence ». (28 ans, face à face)
Dans les deux centres observés pendant l’étude, il est apparu qu’absolument
systématiquement, le moniteur ou la monitrice contrôle le travail de chacun des cavaliers
préparant leur cheval et intervient le cas échéant pour réguler les comportements.
Une fois parvenus sur le manège, explication est donnée pour là encore monter en selle,
quelles saisies faire (la crinière du garrot et le côté opposé de la selle, le pied gauche à l’étrier
du côté gauche du cheval). Là encore, les raisons de ce côté gauche sont explicités sous la
forme d’une question : pour quelle raison ? A cause de l’épée, portée à gauche par les
chevaliers. Dans cette présentation, le moniteur n’a pas idée de nos pratiques antérieures et
indique directement cette information qui fait partie des premiers indices qui conduiront à
l’enquête future.
La première chose enseignée à cheval est… l’arrêt. La position est expliquée, tant assis
qu’enlevé ou en équilibre. Puis, rapidement vient le pas, et avant la fin de la première heure,
le trot enlevé est abordé : « ça y est, tu sais monter à cheval ». La première séance peut
pratiquement être appréhendée, en tant que « forfait découverte » comme la promesse d’un
apprentissage aisé (en tous cas dans la manière qui nous a été proposée). Les muscles,
pourtant, ont travaillé, et les courbatures vont se faire sentir malgré cette courte expérience.
Le premier cours d’équitation « naturelle » ne ressemble absolument en rien au cours
classique. En effet, celui-ci ne se passera pas près du cheval, mais uniquement en salle, à
rédiger un contenu exposant les objectifs de la formation et les grandes lignes, les auteurs, les
« grands maîtres ». En cela, on reconnaît une nouvelle fois que la formation dispensée est
réellement destinée à un public adulte. C’est au second cours que le premier contact animalier
est réalisé, mais par un biais surprenant. En effet, les élèves sont séparés en deux groupes. Le
premier vient chercher le second et par la gestuelle uniquement doit interagir avec l’autre.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
221
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
L’objectif est de faire comprendre aux élèves l’importance du corporel dans la relation non
seulement à l’autre mais aussi dans celle au cheval. Ainsi, la formatrice ne fait ni plus ni
moins qu’une sorte d’interaction symbolique appliquée912. Par un système rôdé, l’explication
est faite que l’interaction verbale n’est pas la seule manière de communiquer et que les
dispositions corporelles usuelles indiquent à elles seules la cordialité d’un individu et sa
manière d’aborder la relation. La parole étant réduite à la part congrue avec l’animal,
l’expression corporelle, apprend-t-on, est le moyen le plus simple de se faire comprendre.
L’ensemble des cours suivants sera basé sur ce postulat de départ.
La référence aux rites d’interaction de Goffman est intéressante. Non seulement, elle
provoque un glissement vers l’anthropo-zoologie dont nous parlerons un peu plus loin, et ce
n’est qu’un phénomène logique : rappelons-nous que ses travaux sont directement issus des
premières recherches éthologiques menées à l’époque. Ainsi l’explication de l’équitation
« naturelle » est basée sur une gestuelle d’emblée, sur un versant éthologique qui en fait serait
plutôt à mettre au compte de la sociologie, au vu des interactions humains-animaux.
L’explication classique est a contrario basée sur l’histoire et un héritage classique de bon aloi.
La progression technique
L’apprentissage de base du cavalier d’équitation classique consiste dans un premier
temps à maîtriser plusieurs aspects techniques relatifs à la position du cavalier. En effet, le
réflexe « naturel » est celui de s’asseoir à cheval comme on s’assoit sur une chaise. A
l’expérience, cet effet était accentué par l’achat d’une première selle de type western pour
accéder aux premières randonnées extérieures avant même d’apprendre une quelconque
technique. L’utilisation des selles anglaises ou dites « mixtes » permet de redresser au fil du
temps la position. Celle-ci est évoquée par Kenny Moniseize :
« Non. Déjà, quand on regarde, on... Latéral. Un cavalier, on se met sur le
côté on regarde, on devrait avoir une position où, si on était capable avec notre
imagination d'effacer le cheval, on devrait être capable de voir cette personne
debout ».
912
Goffman, Erving, Les rites d’interaction, 1974, Paris, Editions de Minuit.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
222
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Le cavalier est donc dans une position non pas assise, mais au contact de ses étriers, les
pieds à l’aplomb de son bassin, talons descendant plus bas que le niveau des étriers. Cela
constitue la base de la pratique, et nécessite un apprentissage sur le long terme. Des tenues
vestimentaires spécifiques donnent une meilleure chance d’accéder à la maîtrise technique.
Ainsi, le moniteur d’équitation traditionnelle conseillera, alors que le choix vestimentaire, issu
de la pratique de randonnée, était constitué d’un jean et de « chaps »913 en tissu, d’opter pour
un pantalon d’équitation en toile, favorisant le contact des fesses à la selle, et de bottes ou de
chaps en cuir, favorisant la fixité des jambes à la selle.
Les mouvements du bassin sont supposés suivre ceux du cheval. Ainsi au pas, le
mouvement de balancier d’avant en arrière nécessite d’acquérir une souplesse des lombaires.
Le rythme, dès lors prend une importance capitale. Alors qu’au pas, le mouvement de
l’animal se produit en quatre temps, fixés par la pose de chaque pied du cheval, il s’accélère
au trot pour passer à un deux temps. Premier enseignement à ce rythme, le trot enlevé
s’effectue un temps « assis », un temps en suspension sur les étriers. L’ensemble du
mouvement doit être fait en souplesse, l’assise est maîtrisée et douce, le relevé nécessite de
rester à l’aplomb de ses pieds. On retrouve précisément la technique évoquée en avant-propos
des arts asiatiques nommée en japonais « Kiba Dachi » et en chinois « ma bo ».
Parallèlement à cette posture à acquérir, les placements des membres supérieurs sont à
travailler également. Ce n’est pas le plus simple : les mains doivent idéalement se placer audevant de la selle, près du garrot du cheval. Elles sont liées à la bouche du cheval par
l’intermédiaire du mors et des rênes. Il est donc nécessaire au pas de suivre le mouvement de
balancier qu’effectue la tête du cheval au pas, et au contraire une fixité au garrot au trot, le
cheval ne bougeant alors plus l’encolure. Dans tous les cas de figure, les coudes doivent rester
au corps, tout comme dans les pratiques de combat, où ce défaut rédhibitoire peut entraîner
l’ouverture de la garde du combattant. L’ensemble a pour but, pour le débutant de ne pas
nuire au bien-être du cheval Au fur et à mesure de la progression, ces positions revêtent un
intérêt pour l’accession aux techniques supérieures, à commencer par la « mise en main »914.
Par conséquent, l’ensemble de ces techniques en apparence simples requiert ce que les
cavaliers nomment « liant ». C’est-à-dire une capacité à conserver une mobilité articulaire des
chevilles, genoux et hanches pour le membre inférieur, et des poignets, coudes et épaules pour
913
Les chaps sont des sortes de guêtres qui permettent d’éviter les frottements indésirables sur les étrivières, qui
relient la selle aux étriers.
914
Placement de la tête du cheval le chanfrein vers la verticale pendant le déplacement de celui-ci.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
223
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
le membre supérieur. Les épaules, par contre, ne « bougent » pas ou peuvent être au départ
ramenées vers l’arrière pour permettre la découverte du trot assis. Le mouvement appris
nécessite alors une antéversion/rétroversion du bassin qui permet d’accompagner le
mouvement du cheval au trot, sinusoïdal. Lors de la phase « d’envol » du trot, le bassin est en
rétroversion. Lors de la pose des pieds au sol, il part en antéversion. L’objectif est de
maintenir un contact permanent avec l’animal, et ainsi une maîtrise de la situation constante.
Par ailleurs, elle facilite l’accès aux techniques, là encore, de haute école. Celles-ci peuvent
éventuellement être réalisées en trot enlevé, mais l’expérience montre que la technique assise,
quand elle est maîtrisée, est nettement favorable. Antoine Randoquatre va dans ce sens et
insiste sur la nécessité de la maîtrise de l’assiette :
« Y a toute une génération de cavalier qui se sont cassés le nez, enfin qui se
sont cassés les reins, quelque part, sur le trot assis ! Et dans le temps, on
enseignait le trot assis en faisant enlever les étriers aux cavaliers, et puis...
D'ailleurs c'est intéressant de monter à cru, parce que... On s'aperçoit de la
souplesse du... A part que, on est moins bien fixé sur le cheval. Mais si on a un
cheval qui est tranquille et qui trotte, tu vois, on sent bien le mouvement de la
colonne vertébrale du cheval, et donc l'assiette qui épouse… Mais le trot assis,
c'est tout un programme, hein ! Ce que j'en dis, moi, tu vois c'est, là encore…
C'est du senti, et, et le cavalier qui trotte assis, tu vois, c'est que... Il a acquis la
décontraction, il a acquis la souplesse, c'est pour ça, la base, c'est bien la
décontraction... Pour un cavalier, c'est ça, la base de tout ». (76 ans, distance)
Lors de cet apprentissage, le moniteur constatant les difficultés d’accès de l’enquêteur,
finit par indiquer à la fin d’un cours et dans le plus grand sérieux : « faut que t’engrosses ton
pommeau de selle ! » Faisant ainsi un lien clair au mouvement copulatoire, l’objectif est
semble-t-il de permettre l’accès intellectuel à un mouvement que l’enquêteur est capable
d’appréhender. Il montre par ailleurs un indice des liens et représentations en cours dans le
domaine équestre.
Le galop arrive en tant que technique, mais aussi en termes de sensation, assez
discrètement au départ915. L’objectif premier est clairement le ressenti du cavalier. La vitesse
est en effet supérieure et la stabilité moins grande. Pratiqué en premier lieu en suspension, il
915
Tourre-Malen, Catherine, 2006, Femmes à cheval, Paris, Belin, p. 106.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
224
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
nécessite là encore du cavalier un rapport à l’équilibre en mouvement qu’on peut rapprocher
des techniques de ski ou de glisse. Ce qu’effectivement certains témoins prennent comme
référent, tel Jean-Jacques Dressept :
« Le cheval a ce point commun avec le ski, c'est que c'est un sport de glisse,
parce que nos appuis sur le cheval sont fuyants. Au même titre que sur des skis,
des patins à roulettes, du ski nautique, tous les sports de glisse. D'accord ? Et
qu'il faut d'une part assurer notre équilibre et notre stabilité sur cet appui fuyant,
pour pouvoir exercer notre influence sur la fuite des appuis. Et pour pouvoir
diriger cette fuite vers la droite, vers la gauche, en arrière, en avant, au-dessus,
de l'autre côté de l'obstacle, et cetera, et cetera ». (62 ans, face à face)
Le discours de certains pratiquants rappelle d’ailleurs les propos qu’avait relevés
Sayeux dans son étude sur les populations de surfeurs916.
Pratiqué assis, il est beaucoup plus facile d’accès que le trot du même nom. Le rythme
du galop est un trois temps. Le cheval pose par exemple le postérieur droit, l’antérieur droit et
le postérieur gauche en même temps, puis l’antérieur gauche. Ce temps supplémentaire laisse
plus de temps entre la rétroversion et l’antéversion du bassin. La vitesse est un élément de
gêne et de stress supplémentaire qui invite à la concentration. Là encore, le mouvement des
mains doit suivre celui de la tête de l’équidé.
La prééminence du bassin dans les techniques d’équitation, l’assiette, est un point
commun supplémentaire à mettre au crédit de la comparaison avec les arts guerriers. En effet,
les techniques de combat fonctionnent en premier lieu sur la dynamique du bassin. Les
projections de judo se font par son judicieux placement. Les techniques de percussion se
développent par ce fouetté du bassin transmettant les forces du sol vers le partenaire ou
l’adversaire.
L’apprentissage devient au fil du temps de plus en plus subtil, les mouvements doivent
être de plus en plus fins, de plus en plus discrets. La rêne d’ouverture917 apprise dans les
premiers temps de la pratique perd de son amplitude et l’importance est accordée
préférentiellement au placement du haut du corps du cavalier. Les épaules prennent ainsi une
916
Sayeux, Anne-Sophie, Surfeur, l’être au monde. Analyse socio-anthropologique de la culture des surfeurs,
entre accords et déviances, thèse présentée pour le doctorat de l’université de Rennes 2, mention STAPS, 2005,
p. 74.
917
Technique de base faisant partie des « cinq effets de rênes ». Elle consiste à écarter le bras et donc la rêne
pour faire tourner le cheval. On « ouvre la porte » pour que le cheval s’y engouffre.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
225
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
plus grande importance au fil du temps et entrent également dans l’ensemble corporel
permettant la communication avec l’animal.
L’apprentissage de l’équitation « naturelle » démarre par le travail à pieds du cheval. La
philosophie sous-tendant cette vision de la pratique suppose que l’ensemble du travail soit
engagé à pieds pour faciliter le travail en selle. C’est un ensemble de codes de fonctionnement
corporels qui s’engage alors. Equipé d’un matériel spécifique (carot-stick ou bâton carotte, il
est appelé ainsi pour sa capacité à récompenser ou sanctionner selon les circonstances
l’animal, licol éthologique et longe de 3,50 mètres précisément). Tout commence par la mise
en place du licol, spécifique, après pansage du cheval. Puis, la majorité des cours se passe au
sol. Au fil des deux années de pratique d’équitation « naturelle », le travail en selle a eu la part
congrue. Ainsi, l’évolution principale entre la première et la seconde année de pratique tient
en l’utilisation d’une longe deux fois plus grande que celle de première année. L’objectif est
ici d’augmenter la distance entre le cheval et le cavalier tout en parvenant à réaliser toujours
les mêmes exercices. Enfin, et par la pratique du cheval « en liberté », c’est-à-dire sans aucun
moyen de contention. De par les règles tacites de fonctionnement du centre d’équitation
« naturelle », l’accent est clairement mis sur les mouvements corporels avant toute autre
chose. Ce faisant, cette pratique comble un vide laissé par l’équitation classique et explique
son relatif succès, supérieur de ce point de vue à la simple dérive supposée par Digard918. En
même temps que les placements du corps viennent les notions spécifiques à la discipline.
Ceux-ci sont axés sur une « intention » couplée à une « énergie ». « L’intention » est
symbolisée par quatre phases systématiques, routinisées ici aussi, qu’il s’agisse d’acupressure
ou d’une gestuelle avec ou sans carrot-stick. Ces stades sont graduels et provoquent, en cas de
non réponse, un inconfort croissant de l’animal. Marie Monisix exprime cette graduation au
travers des quatre mots suivants :
« Suggérer demander, dire, promettre.
Et après tu donnes (une sanction).
Et bien oui, tu, tu dis c'est bon, t'as essayé. T'as essayé que ça se passe bien,
t'as essayé, t'as pas voulu faire la phase 4. Mais si l'autre en face, il n’a pas capté,
t'es obligé de dire "bon et bien, tant pis". »
918
Digard, Jean-Pierre, « Des manèges aux tipis. « Equitation éthologique » et mythes indiens ». Techniques &
Culture [En ligne], 43-44, 2004, mis en ligne le 15 avril 2007, p. 5. URL : http://tc.revues.org/1139
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
226
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Les quatre phases correspondent à quatre niveaux d’intensité pour lesquels une action
est réalisée. La plus grande intensité étant représentée par le contact physique avec ou sans
carott-stick. La digipression s’effectue pour sa part à quatre endroits précis : l’inter-ars919, la
tête et l’épaule simultanément et enfin les hanches. Les quatre stades se retrouvent également
dans l’expression « poil, peau, muscle, os », symbolisant la vigueur de la pression.
L’apprentissage vaut aussi bien pour le cavalier que le cheval puisque l’objectif affiché par ce
type de formation est comme le rappelle Marie « Enseigner aux gens à enseigner aux
chevaux. » Le cavalier doit ici apprendre à maîtriser la technique ainsi qu’à se maîtriser soi.
L’ensemble de la formation se fait avec la répétition de « mantras », de phrases tirées des
enseignements de Parelli920 ou d’autres maîtres rencontrés par la formatrice. L’animal doit
apprendre pour sa part à éviter au mieux d’arriver jusqu’en quatrième phase, et dans l’idéal,
donc, réagir à la première. Kenny Moniseize donne une explication très précise du
fonctionnement de ce type de pratique :
« Donc, sur l'équitation éthologique, je divise l'équitation en trois parties :
l'apprentissage associatif et non associatif. Donc associatif, il y a un stimulus, il y
a une réponse... Y a une réaction, une réponse par rapport au stimulus. Après,
non associatif, il y a des stimulus (sic) pour lesquels y a pas de réponse, donc...
Tout ce qui est sanglage, vétérinaire, maréchal... Beaucoup de pansage, sur
lequel peut-être c'est gênant pour le cheval, mais y a pas une action qui enlève le
stimulus. Donc il faut expliquer aux gens... Faut que les gens, les humains,
surtout, ils comprennent que pour le cheval, c'est pas simple! C'est un côté, on
serre les jambes, on dit que ça, ça veut dire avancer, mais quand on serre la
sangle, il faut pas qu'il bouge. La seule manière que le cheval peut comprendre,
ces choses-là, c'est par conditionnement. Particulièrement sur le côté associatif.
Quand il y a l'apprentissage associatif, non associatif, sur l'apprentissage
associatif, y a le conditionnement, sur le conditionnement il y a deux types, il y a
opérant et classique. (...) Ah, c'est scientifique, oui! Après on explique. Par
exemple... Tu tires sur deux rênes, jusqu'il arrête ses pieds, tu relâches les deux
rênes, bon ça c'est opérant. L'opérateur a fait un stimulus à la recherche d'une
réponse à laquelle il a enlevé le stimulus. Donc c'est le renforcement négatif.
Mais... Après, on peut par exemple faire assiette avant la main, et le cheval peut
919
920
Les ars se trouvent au niveau du poitrail du cheval, en avant sous l’encolure.
Parelli, Pat, Natural Horseman-ship, 1999, Paris, Zulma.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
227
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
apprendre de s'arrêter à l'assiette. Qui est plutôt classique ou pavlovien. Après,
on décide dans cette éducation, on explique ce que c'est... Le conditionnement
opérant type Skinner, on a expliqué ce que c'est le conditionnement pavlovien ou
classique, et à quel point, à quel niveau on va dans les détails... Il faut qu'il y ait
un conditionnement opérant avant qu'il y a un conditionnement classique ». (42
ans, distance)
La pratique cherche en équitation « naturelle » une validation scientifique, peut-être afin
de légitimer son existence et de reposer sur une valeur par rapport à une pratique présente
depuis plusieurs siècles, et avec laquelle elle éprouve un certain nombre de tensions, comme
nous avions pu le voir avec Tourre-Malen921, ce qu’exprime Christelle Moniquatorze :
« Par contre, y a donc cette tendance, de ces jeunes cavaliers qui passent
par l'équitation dite éthologique, et notamment du haras de la Cense et autre. En
tous cas vers ce mouvement de recherche plutôt de communication privilégiée
avec le cheval, qui allègent complètement le matériel, qui montent à cru, qui ont
une recherche de contact physique, affective, qui enlèvent les brides et cetera, et
donc et ce que ça valorise, au contraire, d'avoir un résultat avec le cheval dans la
plus grande des libertés. Donc d'avoir un animal, qui met le plus de bonne volonté
possible à faire les choses, quasiment dans leur esprit pour leur faire plaisir. Ça,
ce sont deux jonctions intéressantes à observer qui sont totalement parallèles et
qui ne se rencontreront jamais ». (36 ans, distance)
L’éthique du cavalier
L’enquête se posant la question initiale de savoir si l’équitation est ou non un art
guerrier, il paraissait important d’interroger les témoins sur les vertus, les valeurs que
l’équitation serait susceptible d’amener au pratiquant d’équitation. Bien que l’échantillon soit
multiple dans les étiquettes apposées aux pratiquants (moniteurs, artistes, dresseurs, touristes,
auteurs, équithérapeutes), il semblait a priori que les réponses apportées iraient toutes dans le
même sens, à l’image du code moral du judo, par exemple. L’accent était posé initialement
sur ce code moral pour deux raisons : il existe dans une pratique de combat, et est un outil de
921
Tourre-Malen, Catherine, 2007, op. cit., pp. 221-226.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
228
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
comparaison probant. Par ailleurs, au vu de sa création, occidentale et basée sur un
malentendu initial : la source, japonaise, était somme toute déjà très occidentalisée (baptisée,
parlant anglais, etc.). De ce fait, les réponses devaient tomber dans ce cadre sans trop de
difficultés. Cela n’a pas tout à fait été le cas. Certes, un certain nombre de réponses se
recroisent, permettant de valider partiellement cette hypothèse. Cependant, des réponses –
négatives – à la marge laissent perplexe et renvoient justement à d’autres critères de pratique
de l’activité.
Les réponses positives entrent non seulement dans le cadre dudit code moral, mais
ressort également le titre d’un livre de l’auteur de ce code, Jazzarin. En effet, l’équitation
serait une « école de vie » pour certains des professionnels enquêtés. Jean-Pierre
Compespectun partage cette idée avec, Patrick Autun plus dissert :
« Pour moi, c'est la meilleure école de vie. (...) Le cheval était pour les...
Pour les gouvernants une manière de se... En gros, depuis la monarchie jusqu'à
la, jusqu'aux pires périodes des dictatures, le cheval était une manière de
paraître. Les... Les chefs avaient besoin de se montrer à cheval, voilà, ça les
grandissait pour de mauvaises raisons. Moi, mon discours est différent, c'est plus
sur les vertus politiques de... De l'équitation, c'est-à-dire sur les... l'application à
la vie sociale des.... Qualités que l'équitation procure et exige ». (56 ans, distance)
Les spécialistes dans leur grande majorité attribuent en effet à leur pratique des vertus
permettant la formation d’un « esprit cavalier ».
Trois personnes ont cependant récusé la capacité à l’équitation d’être pourvoyeuse de
vertus particulières. Il s’agit de Jean Compétrois, autodidacte de la discipline et pratiquant
d’endurance, Boris Compécinq, pratiquant le dressage handisport, et enfin Fanny Monitreize,
possédant également un DU en éthologie. Les deux premiers considèrent que les qualités sont
intrinsèques aux individus.
Boris :
« (...) c'est plein de techniques qu'on doit acquérir et qu'on doit, au fil du
temps... Avec beaucoup de, beaucoup de, de... avec beaucoup d'envie, avec de la
rage de vaincre, voilà, (...) La mental, la mentalité, c'est quelque chose qu'on a,
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
qui est inné, quoi. Je dirais c'est comme celui qui s'impose demain formateur, si
on n'a pas une fibre quelque part de cachée, on peut être un très bon ouvrier et
être un très mauvais formateur ». (38 ans, face à face)
Boris présente la particularité d’avoir été jockey dans une première vie. Suite à un accident de
voiture tôt dans sa carrière, il se retrouve amputé d’une jambe. Il fait un détour par du basket
handisport, puis finit par revenir vers l’équitation tout d’abord par le saut d’obstacle. Cette
discipline n’étant pas reconnue comme paralympique, il se dirige alors vers le dressage. Son
parcours, ancré dans la dynamique de la réussite, malgré une rupture biographique manifeste,
permet d’expliquer l’orientation de ses représentations, tournées vers la performance
personnelle à tout point de vue. Le discours de Jean est par contre moins affirmatif :
« (...) Je pense que, à mon avis, ça ne forge pas le caractère des gens. (...)
ça ne forge, peut pas forger ton caractère, par contre ça t'aide à avoir plus de
patience, t'es obligé, d'avoir toutes façons. (...) L'endurance forge pas le
caractère, puisque t'arrête. (...) Ça n'apprend pas la patience, (...) Ça impose la
patience ». (50 ans, face à face)
Enfin, celui de Fanny est à rapporter à sa représentation du monde équestre dans son entier,
relativement pessimiste :
« Non. Il faut qu'il ait envie à la base. De le faire. Y a des… Non ça rend
pas meilleur. Je vous garantis que ça rend pas meilleur. (…) Ah ouais. Ah ouais,
non, non. J'ai des exemples, oui, ça rend meilleur, forcément, mais j'ai des
exemples, ça rend pas meilleur. (...) Dans mon DU, là, y avait un gars de la
MSA... Et justement il dit, il aurait bien aimé faire une étude, un profil
psychologique de certaines personnes qui montent à cheval, hein. (...) Ah ben y a
des troubles du comportement, hein. La violence... Oui, oui. Violence envers
l'animal, oui, oui. (…) Voilà. Donc de là à améliorer une personnalité... Il faut
déjà que cette personnalité elle ait des aptitudes. Pour amener la belle fleur.
Mais... je ne pense pas, au contraire, je pense pas non. Parce que j'ai vraiment vu
des fadingues, moi. » (55 ans, face à face)
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Ce dernier témoignage, négatif, mais également les témoignages positifs montrent que
parmi les attendus intellectuels de l’équitation, le bien-être animal est constant. Le corpus est
composé de trois personnes se déclarant autodidacte, au sens où ils n’ont pas fréquenté de
centre équestre durant leur évolution : Paul Randotrois, Denis Randoquatre et Jean
Compétrois. Les deux « touristes » autodidactes sont donc principalement randonneurs
équestres. Ils contredisent ainsi l’assertion d’Henriquet signifiant que nul ne l’avait jamais
été922. Leur discours à tous deux insiste sur le respect dû à l’animal. Seul Jean Compétrois
n’évoque pas cet éventuel respect. En fait, il est celui qui a le rapport à l’animal le moins
ancré dans une rhétorique de communication avec l’animal. En-dehors de son cas, les
personnes interrogées manifestent cette attitude de respect à l’animal, corollaire d’une
communication, d’une interaction inter-espèces qui pourra alors se passer dans les meilleures
conditions.
Une communication inter-espèce éminemment corporelle
Si la dimension historique de l’activité évoquent sans difficulté une acception martiale
de la pratique, les entretiens dans leur totalité permettent de rendre compte de la prééminence
du corporel dans la pratique de l’équitation. Et ce d’abord du point de vue de l’animal, comme
nous le rappelle Kelly Moniquinze :
« Un cheval, il est capable de sentir les pattes d'une mouche sur sa croupe !
Vous voyez le poids d'une mouche ! Bon. Il est capable de sentir quand une
mouche se pose sur sa croupe, même avec du poil. Donc ça veut dire que quand
vous lui mettez un cavalier de, mettons, 70 kilos sur le dos, le moindre
mouvement, le moindre tressaillement du cavalier, il le sent. Donc le moindre
tressaillement sera une indication. Une indication de geste, une indication
d'émotion, voilà. Il a un odorat excessivement développé. Si vous avez le malheur
de faire passer, de piquer une bonne trouille et d'évacuer de l'adrénaline, alors
vous, vous ne le sentez peut-être pas, quand c'est votre voisin de table, mais lui, il
le sent. Donc il sent tout ! Donc, pour que tout ce qu'il sente puisse être une
indication positive, il faut apprendre à donner ces indications positives. Et on ne
peut les donner a priori qu'avec son corps ».
922
Henriquet, Michel, L’œuvre des écuyers français. Un autre regard, 2010, Paris : Belin, p. 102.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
231
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La relation équitant-équidé est une relation par corps, nécessitant un apprentissage par
corps. La base absolue par laquelle passe la maîtrise équestre est en tout premier lieu le
bassin. C’est aussi sans doute la plus difficile. Les premières séances, et ce pour un long
moment, est axé sur le pas, le trot enlevé et le galop. Le trot assis n’arrive que bien plus tard.
Or c’est la maîtrise de ce trot assis qui ouvre la voie aux techniques les plus élaborées. En
effet, les techniques de haute école, transmises depuis la Renaissance sans discontinuer, se
font au contact du cheval. Le travail de l’animal en équilibre et le trot enlevé ne permettent
que difficilement le travail de plus haut niveau. Malgré tout, faute de mieux, c’est en trot
enlevé que le moniteur, quand le trot assis n’était pas assez maîtrisé, demandait de « mettre en
main » le cheval923 pendant la pratique.
Tourre-Malen explique que la relation du cheval à son cavalier est objet d’une
« soumission » à ce dernier924. Cette soumission ne peut de toute évidence pas être envisagée
sous l’action de la punition, contre-productive925. La question ne se posait pas de savoir pour
quelles raisons il « faisait » mal, attendu que pour l’auteure, peut-être, cela allait de soi. On ne
se posait pas non plus la question du « pourquoi il fait bien » ? La pratique et les entretiens
permettent d’apporter des réponses à ces questions. Tout particulièrement le témoignage de
Paul Randotrois. En effet, celui-ci présente un parcours de vie tout à fait particulier : il est un
cavalier sans maître. Ce faisant, son arrivée dans l’activité est directement liée au cheval.
N’ayant jamais connu de « maître » autre que les chevaux, et en tant qu’ingénieur,
scientifique lui-même, il s’est agi pour lui de les observer. Aussi, dans sa représentation,
construite ex nihilo par l’observation in situ, le cheval n’a pas besoin de l’homme pour faire,
et ce dernier n’a qu’à se laisser porter par l’animal :
« Alors, là, justement je sors d'une semaine de transhumance, donc on a vu
des cavaliers très surpris. Mais moi, je n'explique rien aux cavaliers. Les chevaux
savent. C'est eux, les professionnels. Ça me fait penser, vous voyez dans le saut
d'obstacle... Les cavaliers qui sont en train de dire où le cheval doit mettre ses
foulées. Je fais remarquer que des deux individus, le cheval et l'homme, le
923
Il s’agit alors de placer le chanfrein (le nez) du cheval proche de la verticale.
Tourre-Malen, Catherine, La relation enseignant/enseigné à l’épreuve de la mercantilisation des activités
équestres, Equ’Idées n°46, 2003, p. 40.
925
McGreevy, Paul D., McLean, Andrew N., Punishment in horse-training and the concept of ethical equitation,
in Journal of Veterinary Behavior, 2009, 4, pp. 193-197.
924
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
232
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
meilleur sauteur c'est le cheval. Et ben c'est l'homme qui se permet d'expliquer au
cheval. C'est compliqué, ça !
Oui, c'est original, oui.
Oui. Et on voit que ça marche difficilement, parce qu'on peut regarder des
vidéos, on voit que c'est compliqué, cette bagarre de domination. Donc, quand on
est en, mais quel que soit le groupe, qu'il soit... d'une même espèce ou de
plusieurs espèces, suivant les situations, y en a un qui est meilleur que l'autre.
Quand on fait du saut d'obstacles, par exemple, le cheval c'est un bon sauteur.
Par contre, si on veut jouer avec lui, il connaît pas l'ordre des obstacles. Hein ?
Donc le cavalier va intervenir sur l'ordre des obstacles, et point barre ! Le reste,
c'est le cheval qui va le produire et qui va savoir mieux le faire. C'est un peu
comme à l'intérieur d'un groupe, et là on retrouve les travers, encore. (...) Alors,
les cavaliers, pendant la transhumance, ils étaient surpris, au départ ils me
disaient "mais, il marche, là, il se débrouille tout seul, et moi j'essaye de..." Mais,
parce que c'est lui, le professionnel ! »
Il s’agit dans ce cas d’une vision de la réalité décontextualisée de tout apprentissage
social du milieu équestre traditionnel, proposant ainsi une autre perception de la réalité. Il
légitime constamment ses représentations par les tenants et aboutissants scientifiques, en
quelques sortes comme l’équitation « naturelle » pour faire valoir son point de vue d’outsider
absolument underground vis-à-vis de l’ordre équestre traditionnel. Ce faisant, et en toute
logique, cette perception est globalement récusée par les tenants de l’équitation traditionnelle.
D’ailleurs, l’ensemble des actions de Paul vont à l’encontre des traditions équestres établies –
et non discutées par ailleurs – des mondes équestres. En effet, Paul Randotrois est partisan et
surtout tient un rôle d’entrepreneur de la morale926 de la monte sans fers et du déferrage des
chevaux. Il constate les difficultés qu’il éprouve face aux caciques traditionnels :
« Je suis allé voir les dirigeants de la fédération française d'équitation, ils
m'interdisent même de leur envoyer des mails, maintenant. C'est... C'est un truc
ahurissant! (...) On rentre, après le déni, maintenant y a eu la colère. Les
syndicats de maréchaux ferrants (…) me menacent de porter plainte contre moi.
926
Au sens de Becker.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Bon ils le feront pas, parce qu'ils savent que de toutes façons ça mène nulle part,
mais ils écrivent, hein, ils m'envoient des recommandés. »
Le cheval, sur ses quatre jambes, ne peux exécuter à chaque moment qu’un certain
nombre de mouvements. A l’arrêt, il est difficile de le déplacer par la force, compte tenu de
son poids. C’est d’abord le mouvement qui permet ces déplacements du fait de l’homme. Et
ce mouvement doit se faire prioritairement dans la douceur, sans violence ni physique ni
mentale. C’est la formule du général L’Hotte qui réapparaît927 : « Calme, en avant, droit »
sont dans l’ordre les trois règles qui permettent la bonne entente entre les deux protagonistes.
Elle montre également la prééminence du mental sur le mouvement (calme est le premier
terme de la formule).
Il semble important de noter que l’ordre de déplacement des jambes de l’animal permet
ou non des actions. Le bassin, pierre angulaire de la position du cavalier, permet d’influencer
en premier lieu le mouvement du cheval. Les « aides », autrement dit les mains et les jambes,
terminent la réalisation du mouvement. Il est compliqué de comprendre à quel moment la
« soumission » bascule du versant mental tel qu’il est compris majoritairement au versant
corporel, qui peut alors dépasser la soumission mentale. En effet, il est permis de penser
qu’une soumission mentale, d’un animal ou d’un humain d’ailleurs, permettra une soumission
corporelle, mais une soumission corporelle ne permettra pas forcément une soumission
mentale. On bascule du contrôle au partenariat, et à la formule japonaise qui prend tout son
sens en équitation : Tori, celui qui agit, le cavalier, et Uke, celui qui subit. Car en effet, c’est
majoritairement la vision équestre des pratiquants ayant été formé par un enseignant
d’équitation. Encore une fois, seul Paul Randotrois va à l’encontre de cette vision de la
pratique.
« Y a un type qui a dû travailler des mois et des mois pour faire la cabriole.
Mais c'est pas ça du tout, c'est une arnaque ça ! Qu'est-ce qui se passe ? On en
voit, des chevaux qui comme ça, dans les prés, font des cabrioles. Le seul truc,
l'éducation qu'on doit avoir par rapport à lui, c'est qu'il veuille bien le faire à la
commande ! Pour le spectacle, par exemple. Voilà, c'est ça qui nous intéresse !
Donc dans notre relation. Mais sinon, le type il passe pas des mois à faire faire
927
Nous l’avions évoquée au chapitre 1, p. 47.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
une cabriole. C'est juste à la commande. Y’a des types dans le monde qui lui
disent "tiens, j'ai un cheval, là, il se cabre bien, ça marche, vous le voulez ? C'est
tant". Et c'est comme ça que ça se passe. Mais c'est pas… c'est un peu comme les
trotteurs, on aurait pu penser, alors là, y a des types ils sont forts, hein ! Ils
mettent les chevaux au trot, là pendant 20 minutes, et le cheval il ne part pas au
galop. Mais non ! C'est tout un appareillage, là, incroyable, pour éviter que le
cheval lance son centre de gravité trop devant et parte au galop. Et on le
contraint d'une façon très sévère ! Mais c'est pas... C'est pas une relation
tranquille, là ! C'est de la contrainte. Et le cheval, dans le monde équestre, il est
sans arrêt dans la contrainte. Alors qu'il n’y a pas besoin. Parce que l'homme a
peur. L'homme a des exigences, il est impatient, il veut, donc il y va par la
contrainte. » (55 ans, entretien à distance)
Un autre cas limite de notre échantillon permet de cerner un peu plus les critères
d’apprentissage sociaux relatifs à la transformation de l’individu cavalier. Henri Monionze928,
est employé dans une grande firme française. Souhaitant se reconvertir dans l’enseignement
équestre et l’aide à la gestion aux structures, il est entré en formation au monitorat équestre, le
BPJEPS. L’entretien est atypique dans la mesure où les réponses apportées aux questions qui
lui sont posées reçoivent bien souvent la réponse « je ne sais pas ». Ce cas, accompagné du
constat que les plus jeunes moniteurs font le moins référence à la culture livresque équestre.
D’ailleurs, il est intéressant de constater que cette culture est plus souvent l’apanage des
« dresseurs », ces moniteurs extérieurs aux centres de formation qui interviennent plus
volontiers au domicile des particuliers.
Le bassin est fondamental dans ces pratiques. Il permet d’asseoir une bonne position,
son déplacement permet successivement l’attaque et la défense, le changement de position.
Son placement permet ou non la réalisation d’une technique, tout comme en arts de combat.
Mais pour ce qui concerne la relation inter-espèce, il prend une dimension
supplémentaire. Cette relation prend une dimension anthropo-zoologique. Guillo estime que
le chien est un animal particulier, ayant ses propres spécificités. Comme le cheval, le chien est
aux yeux des éthologues un animal comme les autres. C’est donc l’acte social entre un animal
et son interactant humain qui créé la spécificité de cet animal. Et de ce point de vue, pour les
cavaliers en tous cas, le cheval est un animal spécifique. Il est réputé pour être
928
44 ans, entretien réalisé en face à face.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
particulièrement sensitif. En effet, muni de capteurs épidermiques fins929, comme nous le
rappelait Kelly Moniquinze. Il est aussi compris par les enquêtés comme étant un être
sensible, avec ses caractéristiques individuelles. Et la spécificité du rapport de l’humain à
l’équin passe par la primauté accordée à la communication corporelle à pieds et à cheval. Le
respect est la valeur la plus souvent émise par les personnes interrogées. L’esprit de nonviolence envers l’animal est revendiqué par pratiquement chacun d’entre eux. Ce fait est
corrélé par la relation qu’estiment les cavaliers dans leur grande majorité, qu’ils soient
autodidactes ou non, devoir rechercher avec leur interactant équin. De ce fait, l’accent dans le
discours est orienté vers une relation harmonieuse entre l’équitant et sa monture. Et ce en
fonction de la discipline travaillée, car le dressage est la base de toutes les autres pratiques,
comme le rappelle Hélène Dresstrois :
« Et Michel Henriquet, encore lui, c'est quelqu'un qui dit justement la même
chose que vous, que le dressage, c'est la base de tout le reste.
Oui, c'est vrai. Parce que ça c'est la langue pour parler avec le cheval. Et
après, on choisit de se spécialiser dans le dressage pour être encore plus fin, ou
l'obstacle, parce que l'obstacle sans bon dressage, c'est juste suivre un cheval !
Mais dans certains niveaux internationaux, c'est impossible, parce que
maintenant c'est technique. On doit avoir du dressage. » (45 ans, entretien en face
à face)
La pratique équestre est fonction en premier lieu de l’assiette, qui conditionne
l’équilibre du cavalier. L’expérience corporelle est sur ce point la plus ardue. La maîtrise de
l’assiette se fait dans un premier temps au pas et au trot enlevé. La projection dans ce dernier
cas du bassin vers l’avant ne doit pas compromettre la position des appuis sur les étriers. Le
trot enlevé nécessite sur ce point un apprentissage de plusieurs mois. Le trot assis, plus
complexe, nécessite outre une bonne stabilité une excellente mobilité des lombaires. Ce
qu’Antoine Dresscinq exprime d’une façon claire :
« Le déplacement, le mouvement du cheval et le mouvement du cavalier sont
liés par le bassin. C’est le bassin qui est relié à la colonne vertébrale du cheval.
Donc à partir de ce moment-là, y’a une adéquation, une harmonie à créer, qui ne
929
Roche, Hélène, Comportements et postures, que devez-vous savoir et observer, 2008, Paris, Belin, pp. 27-29.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
peut se créer que par la décontraction du rein. Si tu as pas le rein décontracté, si
tu as le rein bloqué, automatiquement la liaison est mauvaise. Donc c'est pour ça
que moi je dis que la première... aptitude à apprendre au cavalier, c'est la
décontraction. » (69 ans, entretien à distance)
Si la décontraction est la clé d’une pratique réussie, la selle et les étriers jouent à plein
leur rôle de « béquilles » permettant l’apprentissage de l’assiette. Cet équilibre est travaillé
selon Christelle Moniquatorze, ainsi :
« Par exemple, on utilise une selle pour apprendre à monter à cheval parce
que l'homme a des récepteurs d'équilibre sous les pieds. Donc quand on le met à
cheval, il faut que ces récepteurs d'équilibre se délocalisent, et que ce soit
l'assiette, c'est-à-dire l'endroit où on est assis, qui est en contact avec le cheval...
L'assiette doit devenir le point récepteur de l'équilibre au détriment des
pieds. Pourtant au début, on met des étriers parce que ça rassure le cavalier de
sentir le sol sous lui, si on peut parler de sol pour définir le plancher de l'étrier.
Petit à petit, on enlève les étriers. » (36 ans, entretien à distance)
L’apprentissage par corps a permis de constater cette évolution de la pratique. En
l’occurrence, le moniteur proposait à chaque début de séance de marcher sans étriers. Au fur
et à mesure de la progression, le trot et le galop assis étaient proposés dans les mêmes
conditions. Mais l’interaction corporelle entre les deux protagonistes dépend d’un critère
supplémentaire pour pouvoir fonctionner, tout du moins quand le cavalier est sur le cheval :
Jean Monitrois : « L'équitation, c'est un sport dynamique. Donc y’a du
mouvement. (...) soit tu peux agir par des aides de contact, c'est-à-dire ton
assiette, le poids du corps, tout le poids du corps, ou... tes jambes, tes bras où tu
vas appuyer sur le corps du cheval pour demander quelque chose. Et tu peux
aussi demander des choses à ton cheval parce qu'il est dans le mouvement. » (45
ans, entretien en face à face)
En ce sens, l’équitation se rapproche de nouveau des arts guerriers de préhension. Car
c’est le mouvement réalisé par celui, cheval ou homme, sur lequel on souhaite appliquer une
technique qui rend sa réalisation possible. Ainsi, un homme bien campé sur ses pieds sera
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
difficile à déplacer ou faire chuter. Un cheval immobile sera très difficile, impossible, à
déplacer par la force. Après avoir insisté sur la notion de mouvement, Jean Monitrois
continue :
« C'est-à-dire que ton cheval il trotte par exemple, si tu veux emmener tout
son corps vers l'extérieur, tu peux simplement aussi, avec ta jambe extérieure,
appuyer sur l'étrier à chaque petite foulée de trot, clac; clac, clac, sans le pousser,
et en, en appuyant sur ton étrier, en ramenant ton pied vers l'extérieur, ton cheval
va se déplacer vers l'extérieur. Et pourtant tu le touches pas. Donc t'as bien une
action sur son corps, grâce au mouvement, grâce à la dynamique. »
La communication cheval-humain est constituée de codes mis en place au fil du temps
pour permettre l’interaction entre les deux espèces. Il s’agit bel et bien de techniques du corps
au sens que leur donne Mauss930, construites par les hommes pour parvenir à ce but.
Par ailleurs, l’interaction homme-cheval va dépendre d’un paramètre supplémentaire de
celui de l’individu humain, dont les capacités physiques, le corps même, la mentalité, l’état
d’esprit peuvent être changeant d’un individu à l’autre. Il en va en effet de même pour le
cheval :
Michael Monidressun, homme, 58 ans, face à face : « Un cheval n'est pas les chevaux. Y
a, un cheval, c'est un cheval, il a sa mentalité, sa corpulence, son apparence... »
L’ensemble de ces savoirs équestres et des relations qu’entretiennent les humains et les
équins doit semble-t-il être envisagé comme une société anthropo-canine, avec ses rites, ses
routines et ses codes931. Elle est occupée par des individus de deux espèces différentes, qui
communiquent par un langage commun, construit par l’homme sur une base compréhensible
pour l’animal.
Peu d’individus témoignent en fait d’un discours radicalement différent du reste des
témoins. Jean Compétrois, autodidacte et compétiteur d’endurance, explique ainsi au travers
930
Mauss, Marcel, Les techniques du corps, Article originalement publié Journal de Psychologie, XXXII, ne, 34, 15 mars - 15 avril 1936. Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934. Édition
numérique disponible dans Les Classiques des sciences sociales. Un document mis en ligne le 8 février 2010, 24
pages. [EN LIGNE] DOI: http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mam.tec.
931
Elle dispose également de ses propres chaînes de télévision. En effet, en France le cheval est le seul animal
pour lequel deux chaînes sont aujourd’hui dédiées. D’ailleurs, les interviewés regardaient fréquemment l’un de
ces chaînes télévisées lorsque l’enquêteur arrivait pour l’entretien.
Source : http://www.equidia.fr/
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d’un événement particulier, une attitude que récuseraient la plupart des tenants de
l’équitation :
« C'est une jument qui avait, quand elle a couru, elle devait avoir dix ans,
quelque chose comme ça. Donc, c'est mon gars qui la prenait, il a voulu la monter.
La jument, elle ne monte pas. Donc je prends la jument, pareil, reste devant le
pont, elle ne voulait pas monter. Alors je lui ai donné un grand coup de pieds dans
les côtes, et c'est tout. Et puis après, j'ai fait un tour, j'ai rebouclé, et puis elle est
montée dans le van, elle n’a pas bougé. Rires. Par contre, avec un jeune cheval,
faut pas s'amuser à faire ça, quoi. Parce que sinon, il verra le van, il en aura peur.
Rires. Tandis que là, elle le savait, elle ne voulait pas aller, bon j'ai eu fait ça
quelques fois, ça marche très bien. »
Il est rejoint en ce sens par Patrice Gardun. Garde à cheval, il explique ainsi :
« je veux dire le cheval peut être, le caractère du cheval. Le caractère,
chaque cheval a son caractère, est différent. Donc si le cheval est con, ben moi je
vais être con deux minutes avec lui ! Et, j'ai toujours eu le dernier mot avec les
chevaux, hein. Toujours eu le dernier mot avec les chevaux. Et s'il veut se fâcher,
moi je me fâche aussi ! »
La transmission équestre agirait en ce sens comme un élément formateur de l’éthique du
cavalier envers sa monture. Tout se passe comme si un adoucissement des usages équestres
était désormais exigé de tous les cavaliers. Les contrevenants à cette règle progressivement
établie peuvent parler de leur expérience, mais quasi en catimini, presque honteusement. Un
cavalier célèbre s’est toutefois permis de contrevenir (malgré lui ?) justement à cet
adoucissement des relations entre l’Homme et le cheval. Clint Eastwood ne cache pas en effet
avoir des rapports difficiles avec les chevaux (il est parfois présenté comme allergique aux
chevaux !), à qui il doit pourtant tant en termes de carrière cinématographique932. Cette
« résistance » qui parait incongrue désormais mériterait une analyse spécifique, peut-être en
termes de peur de l’Autre, de la Nature sauvage933.
932
933
http://freepages.genealogy.rootsweb.ancestry.com/~smason/html/eastwood.htm, consulté le 8 octobre 2013.
Cf. la thèse soutenue par S. Chanvallon à Rennes 2.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
L’homme de cheval, l’idéal cavalier
Digard934 et Bacharach935 offraient des définitions de l’homme de cheval très
positivement connotées et dépourvue d’équivalent féminin. Cette notion936 a été questionnée
auprès des enquêtés et revêt à cet égard la plupart des qualités que les témoins accordent à
leurs modèles, voire à la personne qu’ils aimeraient être ou représenter. Les réactions sont
diverses, dans le sens où certains se placent directement comme n’étant pas des hommes de
chevaux. Paul Randotrois reste fidèle à lui-même, en tant qu’outsider de l’équitation :
« Moi je suis pas un homme de cheval. Déjà. Moi je suis un homme. (…)
Mais homme de cheval, ça veut dire quoi ? Ça veut rien dire ! Etre homme de
cheval... D'ailleurs, on dit pas femme de cheval, déjà. (…) Ça devrait déjà mettre
la puce à l'oreille, ça. Non, moi je ne suis pas un homme de cheval. Je suis un
individu homme, qui depuis 35 ans vit avec un groupe de cheval à proximité. Mais
actuellement, ils sont tous dans la montagne, ils vivent leur vie de chevaux, eux.
Moi je vis ma vie d'homme. Et on se rencontre, de temps en temps. Voilà, ça va
pas plus loin. » (55 ans, entretien à distance)
La notion de respect à l’animal étendue au respect des hommes est celle qui revient le
plus fréquemment. Pour certains enquêtés, l’homme de cheval n’est pas nécessairement un
cavalier. Il peut être soigneur palefrenier, propriétaire… Ou avoir complètement disparu, ce
que Pauline Autdeux et Jean-Jacques Dressept estiment. Sophie Randun, estime pour sa part :
« Alors, moi j'aime bien l'expression "descendre dans son cheval".... En
même temps je pense pas que ce soit lié si tu veux à une pratique quelconque.
C'est vraiment lié à une proximité. Donc je dirais qu'on devient... D'abord c'est un
peu comme l'autre, là, qui faisait de la... des figures de style sans le savoir, rires.
Ah oui … Molière, ça.
Oui.
Bourgeois gentilhomme.
934
Digard, Jean-Pierre, Cheval, mon amour, Terrain [En ligne], 25 | 1995, mis en ligne le 07 juin 2007. URL :
http://terrain.revues.org/2845, p. 3.
935
Bacharach, René, Tableau synoptique des écuyers français du 16e au 20e siècle, p. 43.
936
Pour cette enquête, nous avons demandé ce qu’était un homme ou une femme de cheval.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Oui. Rires. Et du coup, je pense qu'on le devient insidieusement, ça se fait ou ça
se fait pas, parce qu'on est tellement souvent avec les chevaux qu'on finit par les
connaître, quand même. C'est au moment que tu commences à comprendre que
t'auras jamais fini et que c'est une relation... Ad vitam aeternam, en perpétuel
mouvement et changement et progrès et cætera. Là, tu commences à devenir, je
pense, homme ou femme de cheval ! (...) Je pense pas que ça puisse se passer si tu
vis pas avec. Là, faut être clair... (41 ans, face à face)
De ce point de vue, et selon de nombreux enquêtés, l’individu devient « humain de
cheval », pour reprendre le mot de Marie Monisix937 par imprégnation. C’est la pratique, et la
pratique sur le long terme, qui permet cette imprégnation et donc cette transformation. Cela
peut se résumer par le premier échange sur cette question, avec Romain Compéun, le premier
entretien :
« Homme de cheval c'est un état d'esprit. Tu l'es certainement autant voire plus
que certains professionnels du cheval. Homme de cheval, c'est quelqu'un qui va se
soucier avant tout du bien-être de son cheval avant… c'est ce que je disais tout à
l'heure, avant la performance.
J'ai envie de paraphraser quelqu'un de très célèbre : "on ne naît pas homme de
cheval, on le devient" ?
Eh bien oui, c'est exactement ça ! »
Peu de témoins estiment en être ou en avoir été un. Jacky Dressun938 et retiré des milieux
équestres considère en avoir été un :
« Un homme de cheval, ça va être quelqu'un… qui va savoir le gérer, s'en
occuper, le soigner, enfin du début à la fin. Je veux dire, moi je me considérais
comme un homme de cheval, quoi. Parce que je côtoyais en permanence des
chevaux, que ben je les soignais, je les ferrais, j'entretenais, le matériel… »
Maïwenn Compédeux939 donne son explication et l’exemple qui l’accompagne au
travers d’une expérience vécue peu de temps avant l’entretien :
937
938
35 ans, entretien en face à face.
45 ans, entretien en face à face.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
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« C'est la personne qui est vraiment le plus à l'écoute, pour moi, du cheval, qui
peut être le plus sensible possible, pour comprendre son cheval, qui est vraiment
à l'écoute de son cheval, pour en obtenir le meilleur (...) y’en a qui le font très,
très bien, on l'a… enfin moi je l'ai vu très récemment… on a un cheval de
concours, qui est confié (à un cavalier). Un jour de concours, le cavalier allait
monter à cheval, il a tout arrêté, enfin il a marqué un temps d'arrêt, il a observé
la jument, il dit "euh, je pense qu'il faut que tu lui donnes un seau d'eau". Nous
qui sommes professionnels, qui avons l'habitude d'avoir la jument à la maison,
d'avoir d'autres chevaux, même en concours, d'avoir le sentiment de les observer,
et de les connaître, en l'occurrence en plus c'était notre jument qu'il venait
d'observer, la jument a descendu un seau d'eau ! »
Ainsi, un ou un.e professionnel.le peut très bien constater un manquement de sa propre
part, et reconnaître une somme de progrès à accomplir. Ce qui, selon d’autres témoins, est
aussi une qualité de l’homme de cheval… Cette notion semble relever non pas de
l’inaccessible, mais du moins du but recherché par les professionnels dans la constitution de
leur carrière. La relation au cheval, ses soins, son entretien relèvent de ce point de vue des
critères à améliorer pour atteindre cet état touchant dans le discours à la perfection, donc
inatteignable.
V – 4 L’équitation, un art guerrier comme un autre ?
La transformation équestre : de la guerre à l’art et de l’art au sport
L’évolution de l’équitation, telle que les chapitres 1 et 2 ont permis de le concevoir,
peut indubitablement être appréhendée comme un art guerrier. Dans la définition d’Audiffren
et Crémieux940 étaient considérés les arts de combat. Ceux-ci étaient séparés en d’une part les
sports de combat, et d’autre part les arts martiaux. Il semble que le vocable d’art guerrier
permette une acception plus large des pratiques considérées. En effet, la boxe française
939
940
28 ans, entretien en face à face.
Audiffren, Michel, Crémieux, Jacques, op. cit.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
242
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
pourrait elle aussi être pratiquée selon les mêmes modalités que le Taïchi dans une dimension
spirituelle.
Aussi, en s'appuyant sur le tableau proposé par Brousse941 comparant la hiérarchie des
priorités des arts de combat :
Priorités
1
2
3
Bu-jutsus classiques
combat
discipline
éthique
Bu-jutsus modernes
éthique
discipline
Esthétique
Nous pouvons proposer une réflexion équivalente pour intégrer les pratiques équestres :
Priorités
1
2
3
Equitation de combat
combat
discipline
éthique
Equitation moderne
éthique
discipline
esthétique
La notion d’éthique en équitation est basée sur un certain nombre de valeurs. Certaines
sont communes, nous l’avons vu, avec celles par exemple proposée dans le code moral du
judo. D’autres ont à voir directement avec le statut anthropo-zoologique spécifique942 des
disciplines équestres. Nous y reviendrons un peu plus loin.
Le processus de civilisation a permis la transformation d’une activité guerrière en art,
puis à la faveur des évolutions plus récentes en sport. La moindre tolérance relative aux
choses du corps ainsi qu’à la violence est allée dans ce sens. Parlebas précise pour sa part que
« L'adoucissement du contact antagonistique est illustré par les règles de la joute sportive :
l'entropie du combat ludo-guerrier est jugulé par la discipline du ring et du stade. En
retenant le bras qui pourrait frapper, en canalisant la furie agonale, en se contentant de la
mort symbolique du vaincu, le sport donne l'image souveraine de la maîtrise et de la
941
942
Brousse, 1996, Le judo son histoire ses succès, Liber, Genève, p. 21.
A niveau olympique, tout du moins.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
243
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
discipline des corps »943. Ainsi, « Le sport est une continuelle tentative pour déplacer les
pratiques ludomotrices du pôle "sauvagerie" vers le pôle "domestication" »944. En ajoutant le
versant artistique évoqué plus haut, un nouvel outil comparatif permet enfin de proposer un
tableau permettant d’appréhender les transformations opérées d’une forme de pratique à
l’autre :
Dissipation de l'entropie du combat guerrier
1
2
3
Combat à mort réelle
Guerre Tout est permis
Désordre
Cavalerie de guerre
Conservation des techniques de
Combat à mort symbolique
Paix
Art, puis art et sport
combat (katas, taos…dressage, Ordre
école de tradition française)
Le galop et ses turpitudes : la ceinture noire de l’équitation
La notion de « galop », en tant que niveau individuel de pratique, se révèle soumise à
caution, en raison du manque de régularité d’un établissement à l’autre dans les critères de
réussite aux examens visant à l’obtention de ces galops. Notons qu’il ressort des discours que
les galops passés dans les autres centres que celui dans lequel travaille la personne interrogée
sont toujours (ou pratiquement) mis en doute quant à leur valeur, contrairement aux leurs. La
qualité du travail d’autrui est ainsi questionnée constamment. Les jugements peuvent ne pas
être plus tendres, en fonction de la réputation de tel ou tel club. Cela rappelle les discours qui
peuvent être entendus parmi les pratiquants d’arts de combat. Ainsi, les enseignants
rencontrés durant les enquêtes précédentes945 étaient souvent particulièrement durs avec ceux
issus d’autres pratiques, ou d’une même pratique, mais dans laquelle l’orientation n’était pas,
aux yeux de la personne interviewée, digne d’intérêt.
943
Parlebas, Pierre, La dissipation sportive, in Culture technique, 1984, n°13, p. 31.
Ibid.
945
Régnier, Patrice, op. cit.
944
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
244
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Mais le galop 7, en tant que tel, porte en lui ce qui semble être l’exact pendant de ce que
peut représenter la ceinture noire pour un pratiquant d’art guerrier asiatique. Ils
représenteraient tous deux un graal, objectif définitif de la pratique par l’étiquette qui y est
accolée, ce que la FFJudo tend par ailleurs à valider sur son site internet : « Si la ceinture
noire confère à celui qui la porte un prestige certain, elle donne en même temps la
responsabilité d’être un exemple »946. Cependant, dans les deux cas, le niveau obtenu ne
représente pas un but, mais une base : « La ceinture noire 1er Dan n’est pas une fin en soi »947.
Elle représente l’acquisition de l’ensemble des bases techniques vues durant la
progression. Les ceintures de couleur, invention à destination des Occidentaux, n’existaient
pas initialement. Sophie Randun948 pratiquante de judo et cavalière voyageuse, travaillant ses
chevaux dans la logique artistique en fait la démonstration :
« (...) Alors en même temps, le passage du qualitatif, il a des limites... C'est
là encore le capitalisme, je dirais, la limite du truc. Je vois par exemple en judo.
En judo, avant y avait une blanche et une noire. Après, y a eu des ceintures.
Maintenant, y a tellement de paliers entre les ceintures que t'en finis plus ! T'as
l'impression que c'est vraiment un business. Tous les ans, t'achète ton ticket pour
la ceinture d'après quoi. Jaune et blanche, jaune et blanche et verte, et ça va être
l'arc-en-ciel949, bientôt ! Rires, c'est complètement délirant ! Et... Je pense que là,
alors là, on a une autre limite du capitalisme dans la tentative de faire, de passer
du quantitatif au qualitatif. C'est-à-dire que du coup, on démultiplie pour générer
de l'argent, et, et moi je vois plein de ceintures noires, franchement je suis morte
de rire, quoi. (...)
Exactement! On voit le galop 7 comme un but.
Oui ! C'est rien.
Alors que c'est que le début.
C'est le début ou rien. Moi j'ai toujours ma marron, là, ça fait 20 ans, rires !
Mais ça, ça me fait rire, parce que je les vois progresser en ceintures et cetera,
alors que moi ça m'intéresse… enfin je m'en fous ! »
946
http://www.ffjudo.com/ffj/Minisites/Grades-CSDGE/Contenu/Les-ceintures/La-ceinture-noire, consulté le 6
octobre 2013.
947
Ibid.
948
41 ans, entretien en face à face.
949
Notons que le drapeau arc-en-ciel est l’emblème des mouvements gays et lesbiens.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
245
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Jean Monitrois a un discours relativement similaire pour cette comparaison arts guerriers,
équestres ou non :
« C'est… Mais moi je me rappelle, quand j'étais gamin, c'était pareil pour l'éperon
d'argent. L'éperon d'argent, pour nous c'est donc le galop 7, ou le deuxième degré.
C'était quelque chose de pfffff, c'était la quête du graal, c'est le graal, pour eux,
pour les gamins, le galop 7 ! Le galop 7, c'est le graal ! La ceinture noire, moi
quand je faisais un peu de judo, les mecs qu'on voyait arriver, ou les nanas qu'on
voyait arriver et qui étaient ceinture noire, pour nous c'était le graal, quoi. C'est le
graal ! C'est "the best of the world !" rires. T'es arrivé au sommet ! On se rend pas
compte de la bêtise qu'on disait, c'est normal, toi t'es encore plus bas que l'échelle,
tu vois, toi tu commences tout juste. Mais, pour toi c'est le graal. Voilà. Y a
quelque chose de magique. »
Le pratiquant arborait une ceinture blanche jusqu’à ce que son sensei lui accorde la ceinture
noire. Elle s’acquiert en judo, cependant, par une commission autonome950, au contraire du
galop 7 qui est passé aujourd’hui au sein même des centres équestres formant les cavaliers, ce
que confirment les témoins interrogés sur ce sujet. Cela permet de donner une explication de
la valeur jugée inférieure des galops actuels versus les galops ou éperons passés sur un même
mode opératoire par le passé, bien que la situation pouvait déjà exister, comme nous
l’explique Maurice Monisept951 :
« Réponse : Ouais, mais alors, ça c'est quelque chose qui existant à l'état
larvaire, je dis bien à l'état larvaire il y a quelques décennies, un jour, une, la
présidente d'un club, une femme très sympathique me dit "mais dites donc, le
monitorat, vous l'avez passé où ?" Et je lui dis "Mais à Strasbourg, madame." Elle
me répond "ah bon, vous me rassurez, c'est donc un vrai monitorat. Vous m'auriez
dit à Nice ou à Marseille, j'aurais tiqué". Donc, y avait déjà des petits problèmes.
Mais ça n'empêche qu’à l'époque où j'avais quinze, vingt ans, qu'on monte à Lille,
à Brest, à Strasbourg ou à Bordeaux, étant donné que ce n'étaient que des
950
http://www.ffjudo.com/ffj/Minisites/Grades-CSDGE/Contenu/Les-ceintures/La-ceinture-noire, consulté le 6
octobre 2013.
951
65 ans, entretien en face à face.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
246
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
militaires, pratiquement, qui enseignaient, on entendait le même son de cloche de
partout.
Depuis que c'est plus militaire, ça a, de fait, perdu.
Ça a perdu, bien sûr, ça a perdu. »
La perte d’homogénéité des « grades », des récompenses distribuées de plus en plus, est
largement déclarée par les enquêtés.
Plus loin, le même témoin évoque justement la différence entre la situation actuelle et
cette expérience consistant à passer son examen avec un inconnu :
« Alors, la petite fille vient de passer son galop 6, pan, la monitrice lui a
refusé. La mère arrive "quoi, vous n’avez pas donné le galop 6 à ma fille ? Et ben
elle va monter ailleurs"! Et puis voilà ! Donc c'est mal foutu, ça. Ça peut pas aller.
Alors que si c'est quelqu'un qui vient de l'extérieur, ben la monitrice elle va
répondre "écoutez madame, moi j'y suis pour rien, c'est monsieur untel, que je ne
connaissais d'ailleurs pas". (...) Moi j'ai été recalé à un seul examen, c'était le
premier degré, justement. Alors, j'ai été recalé pour quoi ? Parce que ça se passait
sur une carrière chez Maître Couillot, et même pour le premier degré, il y avait
des examinateurs qui venaient de l'extérieur à cette époque. On me demande de
me présenter, je m'arrête en X, au milieu de la carrière, je salue, j'enlève ma
bombe, et là mon cheval (siffle) se met tout debout. Bon, je remets ma bombe, je
me ré-avançais, le cheval, debout. Debout ! Il a fait comme ça pendant cinq
minutes. Alors on m'a dit, "monsieur, dehors". Rentrez votre cheval", ça a été
terminé, recalé. »
Globalement, le galop 7 ouvre l’accès aux compétitions dites officielles, c’est-à-dire
mises en place par les organismes officiels et non plus les seuls clubs. La ceinture noire
également permet cette ouverture générale à tous les niveaux de compétition. Mais la majorité
des cavaliers insistent sur le fait que, tout comme pour les arts guerriers, le galop 7 n’est que
la maîtrise des bases, et que l’évolution des cavaliers n’en est en réalité qu’à ses débuts. La
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
247
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
pratique, qui peut être poussée jusqu’à un âge très avancé, sera l’histoire de toute une vie.
Patrick Autun952 dit par exemple :
« En fait, les deux, le cheval et son cavalier passent leur vie à courir après
une perfection qui est en soi un peu inatteignable. C'est ça aussi le, la beauté de ce
geste. C'est que... On répète les mêmes choses, mais... En croyant que toujours ça
sera mieux, et puis voilà, et puis c'est toujours en-dessous de ce qu'on voudrait ! »
Clarisse Monidressun, évoquant son enseignant, déterminant pour la poursuite de sa carrière,
fait également ce constat :
« C'est le travail de toute une vie. Le mari de madame de Padirac, le
Commandant de Padirac. Il était à cheval trois jours avant sa mort, et il ne cessait
d'apprendre ! »
Ces réflexions parmi tant d’autres, l’adjonction de tous les éléments cités au fil des
entretiens, au travers des représentations évoquées rappellent continuellement celles évoluant
dans les pratiques de combat. Entre le caractère éducatif de la discipline entendu – avec
quelques restrictions, certes – comme un allant de soi953, les points communs interactionnels
qui peuvent être explicités entre l’apprentissage par corps et le discours des professionnels, les
critères exposés amènent à penser comme légitime cette comparaison, voire cette intégration
aux arts guerriers.
L’art martial : ce que disent les professionnels
L’équitation telle qu’elle existe aujourd’hui est souvent réduite à la part congrue, sport
versus loisir, compétition contre loisir. Aussi, partir du principe que l’opposant du sport de
combat est l’art guerrier permet d’appliquer la même référence à l’équitation. Les entretiens
réalisés montrent que tout comme les études le laissaient supposer, le loisir est effectivement
dans la bouche des spécialistes le pendant immédiat du sport. Tout se passe comme si, devant
l’incapacité à définir la pratique autrement que compétitive, les pratiquants finissaient in fine
par retomber sur ce duo. C’est alors qu’est évoquée la corporéité à cheval que les réflexions
952
56 ans, entretien en face à face.
Julhe Samuel, « Le judo et l'enfant. Regards et pratiques d'enseignants »,
Staps, 2012/2 n°96-97, p. 121-137. DOI : 10.3917/sta.096.0121, p. 126.
953
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
248
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
sur les liens sont réalisées avec les pratiques de combat. Aussi, les réactions des personnes
interrogées quand nous leur parlons « d’art martial » par opposition à la pratique compétitive
sont variées.
Ainsi, Pauline Autdeux à l’évocation de cette idée fait référence immédiatement à
l’histoire équestre et aux techniques pratiquées en haute école :
« Oui. Oui, oui. Mais je pense qu'effectivement... C'est fort probable. Parce que
de toute façon, le travail en manège n'existait... Pas, on va dire, vraiment... Y a
qu’au 16e siècle, 15e-16e siècle que l'on a commencé, mais les tournois, les
joutes équestres existaient avant. Et on a seulement fait, de l'équitation au 15e,
16e siècle et seulement les manèges se sont... vulgarisés un petit peu plus au
18e, fin 18e et 19e surtout... Mais effectivement, l'évolution, oui, c'est déjà la
guerre, vraiment, les déplacements et puis… Oui, les jeux, les tournois. Qui
étaient réservés qu'aux hommes, hein, en particulier, à part une ou deux femmes
qui ont fait des joutes comme Jeanne d'Arc, par exemple, mais voilà, quoi. (...)
La levade954, c'était aussi pour impressionner les fantassins... Eventuellement
jeter un fantassin par terre, par exemple, ou un autre cavalier qui était tombé de
son cheval. C'était une façon d'impressionner et de, d'écraser l'adversaire, aussi,
la levade. » (63 ans, entretien à distance)
Bien que le choix d’art guerrier semble pour une compréhension maximum pouvoir être
préféré à celui d’art martial, c’est l’acception martiale qui a été conservée à dessein : la raison
pour laquelle le terme martial, pouvant inviter une représentation « asiatique » des activités
concernées, pour les besoins de l’étude est la raison précise pour laquelle il a été conservé tel
quel. Pour les entretiens, la comparaison de l’équitation à un art martial permettait réellement
de provoquer une sorte de choc des cultures, proposée « innocemment » lors des entretiens.
Les réponses à cette proposition ne sont pas toutes positives. Lorsque le parallèle est fait entre
les techniques, par exemple, de judo, il y a certes un acquiescement, mais qui ne peut être
considéré comme autre chose qu’un constat. N’ayant pas d’expérience personnelle permettant
la comparaison, cela paraît encourageant malgré tout, d’autant que le rapport à la formation
du cavalier est affirmé. Catherine Théradeux955 estime par exemple :
954
955
Consiste pour le cheval à se mettre sur ses postérieurs , les antérieurs en l’air.
55 ans, entretien à distance.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
249
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
« Ben euh... Ça pourrait, enfin je dirais que si on le... Si c'était un art
martial, ce serait bien. Mais... Je sais pas, enfin je pense que ça serait bien, si ça y
était, mais... Enfin... Je sais pas ce qu'on dit par art martial. Enfin, art martial ça
me fait penser à travail aussi, travail sur soi, au niveau du corps et au niveau de
l'esprit. (...) Le problème, c'est que dans les manèges et l'équitation que je vois,
moi, autour de moi, dans les centres équestres, je trouve que ça ressemble pas
beaucoup à ça. (...) Rires. Dans l'idéal, oui! Tout à fait! Enfin moi, je dirais, je le
vis comme ça. Mais art martial, dans le sens noble de la chose, dans le côté où...
Ben éducation du corps et de l'esprit, quoi en fait. »
Jean Compétrois estime pour sa part que la comparaison n’a pas lieu d’être :
« Ouais, c'est un peu tiré par les cheveux, je pense. Rires. C'est un peu tiré
par les cheveux. Je pense que... La société a évolué, théoriquement y a moins de
guerre. Je vais dire les chevaux ont été remplacés par les tanks, donc… tout ça
fait que…... c'est passé, ça a été aussi une époque une discipline élitiste. Parce
que faut pas rêver, ça coûte, ça coûte quand même cher, donc... maintenant, ça
redevient... Ca redevient une chose qui était à l'origine populaire, parce que
c'était… Tout le monde avait des chevaux avant, maintenant de là à voir non, je
ne vois pas... Je ne vois pas la continuité entre le cheval de guerre et un cheval de,
je vais dire un cheval d'endurance, ou le cheval qu'on voit maintenant, quoi. » (50
ans, entretien face à face)
Les réactions des enquêtés sont aussi parfois circonspectes, telle Fanny Monidouze :
« Non, l'équitation c'est quelque chose qui s'est démocratisé, c'était quelque
chose de snob, ça s'est démocratisé avec l'arrivée des poneys, voilà, les gamins
qui sont venus, et puis aujourd'hui c'est... Y a pas de côté combat, le cheval c'est
le loisir, et puis... Effectivement, on peut garder le mot "art", puisque monter à
cheval, c'est quand même, quand on monte bien, c'est de l'art. Mais voilà, après...
Après, c'est beaucoup dire, là, c'est trop compliqué pour moi. Rires. » (30 ans,
entretien en face à face)
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
250
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Après analyse de contenu, les personnes établissant le plus facilement le lien avec les arts
guerriers sont :
- Les personnes qui se revendiquent d’un « maître » ou d’une école,
- Les personnes possédant une érudition équestre, livresque notamment,
- Les personnes ayant les moyens de la comparaison : ceux qui ont pratiqué ou
pratiquent encore les arts guerriers.
Pour Maurice Dressix en tous cas, les choses paraissent évidentes :
« Je vois pas pourquoi un, un moniteur de l'an... de l'an 2011 irait vous
parler d'un art martial ! Ce fut un art martial. Et toutes les bases restent, portent
les caractéristiques de l'art martial, parce que c'est une épreuve extrêmement
souvent violente.
(…) D'accord. Et vous pensez que cette notion d'art martial a disparu
aujourd'hui ?
Ben non, elle a pas disp... En tant que notion, elle subsiste. Comme
problème culturel, mais si vous allez à... Demain chez X, ou je sais pas, en
weekend, vous allez dans un centre équestre. Aller parler d'art martial aux braves
pékins qui montent au poney-club, ils écarquilleront les yeux ! Pour eux, c'est un
sport comme un autre, un loisir ! Posez-leur des questions sur les origines de
l'équitation, ils ne vous répondront pas ! Néanmoins, cette… je vous répète : à
l'origine les premiers cavaliers... il y a plusieurs millénaires, se servent du cheval
pour se battre contre des adversaires, et aussi pour se sauver, et aussi pour courir
après les adversaires, pour les fuir, et cætera ! Donc on est déjà dans un... art de
combat. » (88 ans, entretien à distance).
Cela semble confirmé par l’attitude d’Henri Monionze durant l’ensemble de l’entretien.
Démarrant sa formation de moniteur à l’époque, il s’agit pour lui surtout d’obtenir un
« laisser-passer » pour le monde équestre. Il est peu doté culturellement dans le domaine
équestre. Aussi, quand on lui pose la question de l’homme de cheval, il ne connaît pas
l’expression…
Nous avons recherché pendant une longue période un ou une cavalière qui,
incidemment, pratiquerait en parallèle une activité d’art de combat. En effet, il semblait
intéressant d’avoir parmi les enquêtés non seulement des personnes au profil opposé au notre,
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
251
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
mais également des profils similaires. En outre, l’enquête a montré que les personnes
interrogées, quand la question guerrière est abordée, répondent souvent « je ne fais pas d’arts
martiaux », ou « je n’y connais rien aux arts martiaux ». Aussi sont-ils dans ce cas soumis, en
quelques sortes, à un jugement de valeur commun qui tient lieu de « bonne parole » qu’ils ont
loisir ou non de tenir pour vraie. La question d’avoir une autre personne validant,
corporellement parlant une trajectoire proche apportait une assurance à l’hypothèse de départ.
La formatrice d’équitation « naturelle » a été la première rencontre couplant les deux
pratiques. Mais ayant récemment démarré le taïchi, et cette pratique mettant relativement à
distance la notion de combat réel (puisque la technique, très lente, bien qu’étant une pratique
de combat n’en laisse pas de prime abord percevoir l’apparence), une autre personne aurait été
intéressante.
C’est pendant certains entretiens que nous avons découvert que nos témoins pratiquaient
ou avaient pratiqué incidemment un art guerrier. C’est par exemple lors d’un des entretiens
téléphoniques que nous avons appris que l’une des monitrices était également pratiquante
d’arts de combat :
« Oui, ce qui m'intéresse, c'est que... Ben alors, moi figurez-vous
qu'initialement, je suis dans les arts martiaux.
Ah ! Enchantée ! Rires.
Et quand je regarde un petit peu les livres d'histoire...
Allô, allô, qu'est-ce que vous faites comme art martial ?
Ah pardon ! J'ai pratiqué plusieurs arts martiaux, et depuis je sais pas,
quinze, seize, dix-sept ans, je fais du Kung-fu.
D'accord ! Moi je fais de l'Aïkido !
D'accord! Ah oui, bien!
Bodo, jodo, et caetera. »
L’entretien est relativement atypique, jusque dans la prise de rendez-vous. Kelly
Moniquinze956 pratique l’équitation centrée. Technique spéciale prenant appui notamment sur
les arts de combat, mais aussi les méthodes Feldenkrais et Alexander, elle fut créée aux EtatsUnis par une femme ayant énormément souffert durant son enfance. Il était intéressant de
pouvoir rencontrer une personne pratiquant cette forme équestre. Alors que nous prenions
956
45 ans, entretien à distance.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
252
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
rendez-vous téléphoniquement, Kelly affirme d’emblée notre statut de cavalier. Malgré les
esquives, rendez-vous est pris, et Kelly raccroche convaincue de cet état de fait. Elle revient
d’ailleurs sur ce point quand elle cherche à expliquer la communication équestre :
« Donc, la communication entre le cavalier à pieds ou dessus, et son cheval,
c'est corporel ?
Ah, pour moi c'est essentiellement corporel, oui. Puisque de toute façon,
c'est… Alors, avant on nous disait... Vous ETES cavalier, donc je peux vous
parler de mots techniques. Je suis sûre. Tout du moins, je pense que vous savez de
quoi je vais parler. Quand vous ouvrez un bon vieux manuel d'équitation, les
machins, passer les galops, là et tout, ces petits bouquins-là, par exemple, on vous
apprend la rêne d'ouverture. On vous dit "la rêne d'ouverture c'est avec la main
droite, pour tourner à droite, basculer le poignet, les ongles vers le ciel, écartez la
main, bras tendu et cetera, et cetera, mettez des jambes, regardez dans la
direction où vous allez, mettez des jambes et votre cheval tournera à droite." C'est
vrai ?
Oui. Oui, oui, on dit ça.
On dit ça. Vous êtes d'accord avec moi, vous êtes bien cavalier !
Rires. J'ai lu ! Rires. »
Conformément à la méthodologie adoptée, c’est d’abord le statut de combattant qui est
donc abordé, et comme à l’accoutumée, le rapport est fait entre l’histoire et l’évolution de
l’équitation, puis celui d’équitant dans la foulée. C’est alors le moment d’une discussion à
bâton rompu. Les positions traditionnelles japonaises de Tori et Uke avaient été évoquées
précédemment957. Dans cet exemple, les pratiquants sont des partenaires. Il s’avère très
important pour permettre la confrontation de l’équitation à l’idée d’« art guerrier ». Car dans
de nombreux cas, même si l’hypothèse est confirmée du point de vue historique, les
professionnels opposent fréquemment la notion d’adversaire, insistant sur le fait que le cheval
ne peut être considéré comme tel. Mais justement, le principe d’Uke dans les pratiques
japonaises ne représente pas un adversaire, mais un partenaire.
957
Chapitre 2, p 107.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
253
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
D’autres personnes se sont avérées pratiquantes d’arts de combat. Dans tous les cas de
figure, la comparaison est validée par ces individus. En ce sens, nous obtenons par leur biais
de connaisseurs des deux disciplines un début de confirmation de l’hypothèse de départ :
l’équitation peut, pour les personnes connaissant les arts guerriers, être tout à fait comparable
avec ces activités.
Cependant, un entretien invite à ne pas prendre les jugements positifs entièrement au
pied de la lettre. En effet, la comparaison réalisée entre les sensations ressenties par
l’enquêteur à la fois dans les arts de combat et en équitation invite généralement un
acquiescement. Soit parce que le témoin adhère au discours en reconnaissant sa propre
pratique, soit parce qu’il pratique lui-même une activité de combat. Jean-Jacques Dressept958
révèle cependant un détail auquel il nous invite à prêter attention :
« Ça me fait tout à fait penser en fait à ce que sont les arts martiaux ?
Ben complètement, oui!
Parce que...
Moi je fais pas du tout d'arts martiaux, mais... C'est un peu le même
cheminement. A ceci près, c'est que dans les arts martiaux, l'art c'est la maîtrise
de son corps, alors que dans l'équitation c'est la maîtrise du corps de l'autre.
Ouais. Mais y a aussi ça dans les arts martiaux, la maîtrise du corps de
l'autre.
Oui. Oui, oui, c'est vrai, oui, oui, pardon, oui. Mais je suis pas du tout féru,
dans ce truc-là. Pour moi les arts martiaux, c'est plus... Enfin non, je disais une
connerie, je pensais plus au contrôle de soi-même, pour porter les coups comme il
faut, vous voyez ? C'est vraiment un... Mais c'est vrai que dans le judo, c'est la
maîtrise du corps de l'autre, oui, c'est sûr. (...)
Parce que le placement du bassin .... Est fondamental.
Ah oui, oui, oui, bien sûr, oui, oui.
Et que... Selon ce placement on déplace le corps de l'autre.
Oui, oui, tout à fait.
Et, et je prends souvent l'exemple d'une projection qu'on peut faire en judo,
il faut que mon bassin soit bien placé, je déplace le corps de l'autre, je transforme
son mouvement...
958
62 ans, entretien en face à face.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
254
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Je comprends bien.
En chute.
A ceci près, c'est que... A cheval, il ne faut pas déplacer son bassin.
Pas déplacer son bassin ?
Non. Il faut que ce soit le cheval qui déplace le bassin. Il faut mettre le
bassin dans une bonne posture, de façon à ce que le cheval emmène votre bassin.
Si vous déplacez votre bassin, vous déplacez du poids sur son dos. En déplaçant
du
poids
sur
son
dos,
vous
provoquez
des
contractions.
Parce
qu'automatiquement, pour récupérer ce poids, il va se contracter. Vous voyez ?
Donc il faut que ce soit... Votre bassin soit très moelleux. Voilà. Les actions elles
vont se situer au-dessus du bassin, c'est au niveau du nombril. Voilà. Mais ce que
vous dites, c'est la même chose, hein, à ce détail près. Voilà. (...) »
Jean-Jacques Dressept fait référence à ce moment-là au hara japonais, correspondant
théoriquement au centre de gravité occidental. Aussi ce dernier est-il évoqué plus loin :
« Donc si vous voulez, j'ouvre ma jambe droite, enfin j'écarte un peu ma
jambe droite, et j'appuie avec ma jambe gauche au niveau de la sangle, tout en
déplaçant légèrement mon centre de gravité vers l'endroit où je veux aller.
Vous n'avez pas de centre de gravité.
Comment ça ?
Ben non ! Y a un centre de gravité pour l'ensemble. Vous, vous n'en avez
pas. Vous faites partie du cheval959. D'accord ?
D'accord.
Faut bien prendre conscience de ça. C'est qu'il y a un centre de gravité pour
LA masse. Y a pas deux masses indépendantes, sauf si vous êtes au-dessus du
cheval, isolé de lui. Ce qui n'est pas le cas. »
La discussion permet d’évoquer un niveau de pratique confirmé de la discipline. Mais
en précisant ce discours, il met l’enquêteur face au doute corporel. En effet, il est compliqué
au vu du niveau actuel dans la pratique de pouvoir arbitrer sur cette réflexion.
959
La remarque mettant en jeu l’image d’un seul corps partagé par deux entités rappelle celle du Centaure. On
retrouve ici en creux l’idée de symbiose, comme l’évoquent les surfeurs chez Sayeux (op. cit.).
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
255
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
L’étiquetage du moniteur, ce maître qui ne donne pas son nom
Parmi les personnes rencontrées, le discours et les représentations révèlent parfois une
importance de l’enseignant, du transmetteur de savoir960. Lors de la discussion autour de son
professeur, justement, Clarisse Monidressdeux discute de sa conversion de la pratique
compétitive vers l’art :
« A un moment donné, vous avez évoqué votre passé de compétitrice, vous
faisiez quoi comme types de concours ?
Oh, des petits concours, des concours poney et chevaux. En saut
d'obstacle. CSO.
Et vous avez basculé vers le dressage.
Oui. Euh, oui parce que je me sentais un peu en panne en CSO, et puis je
me disais "mais il faut que je travaille mon dressage, pour progresser, pour le
CSO." Et c'est à ce moment-là que je suis tombée dans cette écurie. Voilà.
Et oui, tout à l'heure, vous avez évoqué la notion d'école, de maître, vous
avez trouvé un maître.
Oui. Au sens ancien tu terme, ouais, vraiment.
Au sens...traditionnel, je dirais ?
Oui, voilà, au sens traditionnel. Là c'est pareil, c'est plus un mot qui est
très courant. Mais oui, pourquoi on dit maître ? Parce que...parce qu'on est
quand même au-delà de l'enseignement. Pur. On est dans la recherche d'un art.
Donc c'est pour ça qu'on dit maître. On est dans la recherche artistique.
Résolument dans la recherche artistique. Donc... donc y a des maîtres. Voilà.
Et...ils sont...très abordables, pour certains, et d'autres beaucoup moins. Et
après ça dépend de leur personnalité. Mais euh ... ce sont des gens qui
maîtrisent parfaitement bien un langage artistique. Voilà. Et c'est pareil, c'est
pas quelque chose d'éculé, c'est un chemin normal, en fait. C'est un chemin
normal. A partir du moment où vous décidez de faire ça, au début vous dites "ça
va me prendre un an, deux ans". Et en fait, ça va vous prendre 20 ans. Donc,
quand vous avez quelqu'un qui, qui vous suit de manière bienveillante pendant
près de quinze ans... c'est pas juste pour la gloire. C'est pour l'intérêt artistique
960
La question de la transmission de maitre à l’élève est une constante retrouvée dans d’autres enquêtes auprès
de pratiquants, experts ou non (Héas, 2010, 2011).
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
256
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
de la chose. Voilà. Et là on a envie de dire « maître », ouais ! » (36 ans,
entretien en face à face)
Les personnes qui se représentent l’image d’un maître ou d’une école, qu’elle soit
Bauchériste ou autre, évoquent des réflexions similaires. Jean-Jacques Dressept961 estime
ainsi que « Tout est écrit dans Baucher », ou encore :
« Mais, moi qui suis Bauchériste, enfin quand je dis que je suis Bauchériste,
non je suis D'Auriste aussi! Mais c'est vrai que quand je monte à cheval, j'utilise
plus les principes de Baucher, parce que je fais plus de l'équitation d'école, de
l'équitation de Cour, comme on disait autrefois, qu'équitation d'extérieur. Mais
j'ai été cavalier de concours complet, et j'ai fait plus de D'Aurisme à ce momentlà. Mon éducation est adaptée à la discipline que je pratique. Et au style de
chevaux que je monte en fonction de leur destination finale. Aujourd'hui, je suis
en train de débourrer deux chevaux, y en a un que je débourre selon les principes
de Baucher, parce que ça va me faire un cheval de dressage, alors que l'autre, je
l'ai débourré selon les principes de D'Aure, parce que ça va faire un cheval de
saut d'obstacles. »
Antoine Dresscinq962 de son côté considère :
« Vous choisissez vos maîtres. C'est vous qui allez choisir vos maîtres. Et je
vous conseille de ne pas vous tromper. Moi, mon maître, absolu, c'est François
Baucher. »
Mais cela va également dans un autre sens : les personnes qui sont passées par tel ou tel
formateur réputé s’en servent comme d’un sauf-conduit, un étiquetage valorisant pour les
personnes concernées. Un laissez-passer qui est supposé faire montre de leur savoir-faire
intrinsèque. Etre passé par l’établissement de tel ou tel champion, telle ou telle gloire passée
ou actuelle, tel commandant, tel écuyer, induit des connaissances implicites chez les
personnes qui en font état. Au point presque que ce fait puisse valider un niveau sans même
démonstration. L’étiquette du « maître » rejaillit invariablement chez les professionnels,
961
962
62 ans, entretien à distance.
69 ans, entretien à distance.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
257
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
comme autant de médailles démontrant leurs connaissances. En-dehors de démontrer une
image réellement prééminente du « maître », les réflexions de quelques enquêtés laissent
penser cependant que cela ne suffit pas à faire d’autrui le digne descendant d’une lignée de
cavaliers. Aussi, quand lors d’une discussion impromptue, une de nos interviewées apprend
qu’une autre personne va être interrogée, elle s’en étonne vu la maigre capacité à cheval dont
la personne faisait état lorsqu’elles montaient ensemble.
Une pratique du temps qui passe, une pratique de l’instant
La dimension temporelle est ce qui sépare les pratiques, mais également les réunit. Le
temps passé à éduquer un cheval est ainsi différent selon que le pratiquant s’oriente plutôt
vers le sport ou plutôt vers l’art…. En effet, la principale différence notable entre l’artiste et le
compétiteur est un rapport au temps. Le compétiteur a ceci de spécifique qu’il doit préparer
un cheval pour des échéances. Son temps est donc compté en fonction des objectifs qu’il s’est
assigné. Le cavalier artiste, au contraire, a pour lui le temps d’arriver au meilleur résultat
possible. Travaillant « pour l’art », l’objectif avéré est de produire la meilleure performance
dans les meilleures conditions.
Antoine Dressinq,: « Le sport équestre, on vous met une barre à une
hauteur bien précise, avec un parcours et un chronomètre qui vous court audessus... Dans le spectacle, on n'a pas cette contrainte-là. » (69 ans, entretien en
face à face)
Il s’agit là d’une différence qui in fine conditionne la relation à la pratique, mais aussi la
relation à l’animal.
Mais également, le « timing », le moment, l’instant auquel se produisent les choses se
révèle capital, rapprochant ainsi l’équitation des pratiques guerrières. Car en effet, placer une
technique en arts de combat peut se révéler fructueux autant qu’inefficace. Parer un coup de
poing l’instant d’avant ou l’instant d’après peut sans conteste influer sur la suite des
événements. Il en est de même en équitation. Kenny Moniseize l’exprime clairement :
« Ben, l'enlèvement de pression, en étant immédiat, il est surtout basé sur le
timing, parce qu'il faut que ça soit enlevé au bon moment. La progressivité de la
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
258
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
pression va impliquer la notion de timing. Donc c'est positionné exclusivement,
c'est appliqué progressivement et c'est enlevé immédiatement. Mais le timing, c'est
vital, parce que... quand on parle à la base de l'associatif et du non associatif, une
seconde de timing peut changer le panier. Si je fais l'anti mouche963 et le cheval il
bouge et j'arrête, il met l'anti mouche dans son panier associatif. Pour arrêter
l'éclaboussure, je bouge. Donc il pense que l'anti mouche c'est associatif, mais en
fait l'anti mouche c'est non associatif. (...) Donc le timing, c'est capital, parce que
le... En fait, il manque de timing, et le cheval... Il peut comprendre deux choses
totalement différentes. »
En effet, la pratique in situ montre que quand bien même un élément clé est compris et
intégré corporellement, la réussite n’est pas garantie. C’est sur ce point d’ailleurs que
l’équitation éthologique telle que nous l’avons vécue et l’équitation classique se rejoigne, tant
dans la pratique que dans les retours d’entretien. L’accent est effectivement mis sur
l’importance de l’instant tant pour l’équitant, ce qui lui permettra de réussir sa figure ou pas,
que pour le moniteur : « Là ! Tu as senti ? ». Le moniteur, dans le triptyque qu’il constitue
avec l’équitant et le cheval, est aux premières loges de la pratique de l’apprenant. Il se
retrouve ainsi spectateur de la pratique mais connaisseur des erreurs. Ce fait peut provoquer
des frustrations chez l’enseignant, qui ne peut pas toujours permettre à son élève de saisir la
subtilité de sa pratique. Clarisse Monidressdeux fait le constat suivant en évoquant la place du
moniteur dans l’enseignement :
« (...) Parce qu'en fait, c'est une histoire de sensations. Parce que c'est un,
c'est à trois. Y a le cavalier, ce qu'il comprend, ce qu'il ressent, y a le cheval et y a
le décalage entre ce que vous voyez et ce que vous venez de dire. Tout d'un coup,
vous voyez quelque chose, vous voulez réagir par rapport à ça, il s'est passé peutêtre quatre secondes. Mais ça va, c'est tellement instantané ce qu'il se passe à
cheval que, en règle générale, c'est déjà trop tard. Donc, plus ça va, plus j'essaye
d'adapter, et plus je dis pas "faites-ci, faites-ça", plus je dis "il s'est passé ça à cet
endroit-là, à cause de ça, est-ce que vous avez senti ?" Il faut se référer à la
sensation du cavalier et pas à ce que vous vous voyez. Parce que vous avez votre
œil, vous, vous imaginez les sensations qu'il peut y avoir, parce que vous êtes
963
L’anti mouche est un produit appliqué généralement l’été sur les chevaux pour leur éviter une nuée d’insectes
autour d’eux.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
259
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
vous-mêmes cavalier parce que vous montez, mais si ça se trouve c'est pas les
mêmes sensations. Et là... »
La difficulté de l’enseignant se trouve alors dans l’incapacité de transmettre son savoir
autrement que par le biais du cheval, sans pouvoir partager sa propre expérience au-delà de ce
que l’élève sera capable d’appréhender par son propre corps. C’est là une différence majeure
avec les arts guerriers, liée directement à l’interaction avec l’animal. Quand deux humains
exercent ensemble une activité, ils peuvent partager leur expérience corporelle immédiate.
Quand elle a lieu avec un animal, seule la correspondance des ressentis de chacun, au travers
du médiateur équin est possible.
L’univers équestre : des galaxies entre art et sport
Les activités équestres peuvent être de fait réparties sur un continuum s’étendant d’un
pôle « sport équestre » à un pôle « art équestre ».
Sports équestres
Arts équestres
Au sein de ce continuum peuvent être placés chacun des protagonistes interrogés, en
fonction de l’orientation qu’il donne à sa pratique. Simplement, il suffit d’analyser les
représentations que chacun des interviewés se fait de la pratique compétitive. La majorité des
personnes interrogées sont alors relativement simples à placer sur le continuum.
Une autre dimension peut être associée à ce continuum, tout comme d’ailleurs à celui
déjà proposé pour les arts de combat. En effet, Antoine Dressinq964 artiste de cirque, a une
réponse atypique lorsqu’il lui est posé la question du sport et de l’art :
« L'art équestre pour moi, est tout ce qui touche le cheval.
Tout ?
Tout.
Y compris le sport ?
Tout !
964
69 ans, entretien en face à face.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
260
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
D'accord. Est-ce que ça a un intérêt dans ce cas-là le sport...
Y’a pas les mêmes règles ! C'est tout ! (…) voilà, à la fin du compte, pour
finir, notre rôle c'est de divertir le public, d'apporter des émotions... Point barre.
C'est fini, après. Alors quand les uns veulent se mettre dans une catégorie, c'est
qu'ils n'ont pas la compétence de se mettre dans l'autre. Voilà. »
Cette réponse permet de revenir sur les analyses d’Heinich965 et entrent totalement dans
leur cadre si on prend en compte la question du don. Pour elle, le don provoque la perte de
l’équité entre les individus. Son statut de reçu passif, donc immérité appelle un contre-don,
constitué en la vocation pour l’art. Ainsi, les propos ci-dessus donnent au sport de haut niveau
le même statut que l’art, par le fait que les deux activités comprises comme des
représentations publiques, du spectacle, se rejoignent par le talent, celui-ci étant différent pour
l’un et pour l’autre des pôles.
Spectacle
(Don/don de soi)
Sports équestres
Arts équestres
Cependant, il convient d’apporter une touche de complexité à un simple axe sur lequel
on pourrait disposer une à une chacune des personnes interviewées. En effet, Christelle
Moniquatorze966 par exemple, pourrait être située au pôle sportif du continuum, au vu de son
parcours personnel. Ayant pris part aux activités fédérales aux plus hauts niveaux, elle a
néanmoins pratiqué le Bajutsu, mais également les spectacles équestres. Rappelons que
Christelle a fait la démarche de venir contacter l’enquêteur après avoir effectué une recherche
sur l’internet qui lui a permis de trouver une communication évoquant l’étude et ses premières
conclusions. Son discours, très empreint de notions en rapport avec les arts guerriers et l’art
965
Heinich Nathalie, « Avoir un don. Du don en régime de singularité », Revue du MAUSS, 2013/1 n° 41, p.
235-240. DOI : 10.3917/rdm.041.0235.
966
36 ans, entretien à distance.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
261
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
équestre n’interdit pas le fait que la compétition soit pour elle un élément fondamental de sa
pratique :
« C'est important, alors pour moi, personnellement, la compétition c'est
important parce que c'est une espèce d'objectif à moyen terme et à long terme
dans ma vie, comme si je me disais "c'est quelque chose que je peux faire si...Si la
providence me le permet assez longtemps. »
De même, Jean-Jacques Dressept967 dépositaire de savoirs transmis de génération en
génération, pour qui l’ensemble du système se fourvoie est un défenseur convaincu de la
compétition. Il considère que les pratiquants dans leur grande majorité ne sont pas « dignes »
de recevoir l’enseignement équestre.
(Parlant de l’équitation de spectacle) : « Elle est faite par les mal baisés de
l'équitation sportive, ils n'ont pas trouvé leur place dans l'équitation sportive
parce qu'il fallait faire de la mise en selle, il fallait et alors ils sont partis sur des
principes complètement idiots, les éthologues en font partie, d'ailleurs, des
principes complètement idiots, et ils font de la frime. »
Paul Randotrois, qui n’a jamais fréquenté aucun établissement ni aucun pratiquant
d’équitation est un individu totalement en-dehors du système et renvoie dos à dos tous les
pratiquants d’équitation classique ou différenciée telle que l’équitation « naturelle ». Il se
place ainsi hors de toute acception telle que proposée ici.
« On dit souvent le cheval est par exemple, est un animal craintif. Il n’est
pas du tout craintif ! L'homme est plus craintif que le cheval, hein. Il observe.
Mais l'homme a besoin à chaque fois de trouver des prétextes pour... contraindre
l'autre. Et ouais, et avec le cheval, c'est le souffre-douleur, hein. Le cheval c'est
vraiment un souffre-douleur. Dans le monde équestre, allez à Saumur, vous allez
voir les mecs, c'est des fous furieux, pour moi. Alors que c'est le modèle. »
A ses yeux, l’ensemble de la population équestre traditionnelle, qu’elle soit sportive,
artistique ou autre est à considérer comme se fourvoyant par définition. En rupture complète
967
62 ans, entretien à distance.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
262
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
avec le système traditionnel des représentations collectives transmises par les différentes
manières établies de pratiquer, il réinvente une équitation « mécréante »968. Mais on constate
enfin une attitude générale des personnes interrogées qui tient autant de la croyance en ses
propres représentations que de la tendance à se rapprocher de ceux qui sont du même avis. Il
est possible de la résumer en une phrase : « tout le monde se trompe, sauf moi et ceux qui
pensent comme moi ! ».
V – 5 L’univers équestre au prisme des auteurs de référence
La compétition
Le Mancq969 faisait part dans son analyse de l’équitation de compétition d’un non suivi
des cavaliers, considérés comme passagers, et peu suivis sur le plan médical. Les entretiens
menés permettent de constater une perception différente de la part des personnes interrogées,
mais également d’un changement en cours.
Chevalier970 considérait dans sa production de l’époque que la pratique de l’équitation
ne pouvait que peu se faire en-dehors des centres équestres. L’étude montre que l’équitation
de compétition semble bien se cantonner dans les centres équestres ou chez les compétiteurs.
Cependant, elle permet de constater que d’une part, les centres équestres ne sont pas tous
orientés vers la pratique compétitive. Deux des trois centres équestres observés n’étaient pas
orientés vers ce domaine d’activité. Par ailleurs, la rencontre des dresseurs et moniteurs
indépendants permet de mettre en évidence la pratique artistique comme une autre manière
d’envisager la discipline équestre. Il paraît, dès lors, par trop réducteur d’envisager
l’équitation du seul point de vue de la compétition. Les discours des compétiteurs confirment
cependant une prégnance de l’argent qu’avait évoqué Le Mancq971 et des intervenants
extérieurs dans la vie des cavaliers, que ce soit le sponsoring, l’achat de montures ou
l’engagement en compétition.
968
Le terme est employé à dessein, car nous avons pu constater au cours des lectures scientifiques de spécialistes
équestres, ou au travers des entretiens réalisés des avis tranchés laissant peu de place à l’avis contraire.
969
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 383.
970
Chevalier Vérène. Une population de pratiquants sportifs et leurs parcours : les cavaliers titulaires d'une
licence. In: Population, 51e année, n°3, 1996, p. 573.
971
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 90.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
263
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Chevalier évoquait trois stades dans la carrière du compétiteur équestre : « la
« découverte », la « formation » et la « confirmation »972. Au surplus de ces stades s’en ajoute
un, l’inadéquitation973 entre le formateur et le cavalier, qui ne conduisent pas nécessairement à
l’abandon, mais plutôt à la recherche soit d’un nouvel enseignant, soit d’une pratique
autonome, soit, probablement, de l’abandon.
Des effets néfastes à la compétition sont mis en évidence lors des entretiens. JeanJacques Dressept évoque une mainmise de l’équitation allemande sur la pratique compétitive
du dressage :
« (…) Aujourd'hui y a les Allemands, l'équitation allemande, qui domine le
dressage mondial, avec leurs clones que sont les Hollandais et les Danois, qui ont
englobé avec eux les D'Auristes Français... Ils ont implanté un lobby des juges !
Ce qui fait qu'aujourd'hui le jugement de dressage ne donne des bonnes notes
qu'aux gens qui pratiquent l'équitation allemande issue de l'école de D'Aure.
Donc des D'Auristes. Si vous vous présentez avec un cheval qui n'est pas un
cheval allemand. Un cheval espagnol, par exemple. Et que vous pratiquez
l'équitation en légèreté, celle de Baucher, vous êtes massacré ! Par un lobby des
juges qui a été mis en place par les marchands de chevaux allemands et
hollandais et uniquement pour vendre, vendre, vendre des chevaux. Parce qu'il y
a un marché des chevaux de dressage qui est très, très important, et qui est
aujourd'hui aux mains des Allemands, des Hollandais, des Danois. »
Antoine Randoquatre, pour sa part, a une réflexion intéressante dans le sens où elle
permet de mettre en évidence un hiatus à ses yeux entre la compétition et l’art dans le
dressage :
« C'est intéressant dans le saut d'obstacle ou dans le concours complet,
parce que ça créé toute une dynamique. En ce qui concerne le dressage, c'est
beaucoup plus suspect. Pour la bonne raison que le dressage, c'est un art, tu vois
? Et par conséquent, enfermer un art dans des règles et dans des techniques...
bon, il perd son âme. Voilà. Et donc... la compétition de dressage, on a essayé
justement, parce qu'à partir du moment où il y a des juges qui vont te juger, ils
vont te juger forcément par rapport à des textes de loi, par rapport à des critères,
qui sont écrits et d'ailleurs sinon, ils ne peuvent pas te juger, tu vois ? On ne juge
972
973
Chevalier, Vérène, 1996, Op. cit., p. 579.
Néologisme personnel déjà évoqué dans le chapitre 2, p. 91.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
264
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
pas d'une manière subjective, on peut juger qu’objectivement par rapport à des
normes et à des règles qui sont fixées. Et quelque part, c'est complètement
antinomique avec la notion d'art. »
La place des femmes
Concernant la présence restreinte des femmes en compétition, la recherche de témoin
ayant été infructueuse pour les compétitrices de plus haut niveau, il aura fallu se baser sur les
représentations des pratiquant(e)s. Ainsi, pour les personnes interrogées, la maternité continue
de garder une part importante dans la difficulté des femmes à atteindre le haut niveau. Les
marqueurs masculins continuent également d’apparaître dans certaines des réflexions
récoltées, comme Le Mancq l’avait constaté974. Par ailleurs, les témoins valident, d’autant
plus qu’ils connaissent le milieu compétitif, le fait que la maternité provoque une baisse de
confiance de la part des propriétaires vis-à-vis des femmes. Le plafond de verre975 semble
donc toujours être une réalité dans ces disciplines. Cela est à mettre au compte des embuches
que Le Mancq envisageait pour celles-ci976.
La pratique des femmes en haute compétition est ressentie habituellement, comme
inférieure à celle des hommes et est plutôt partagée par notre échantillon. Il convient de
vérifier cela dans les faits. Nous proposons donc le tableau suivant, prenant en compte les
licences professionnelles enregistrées par la FFE, séparées par genre, le total, le différentiel, le
pourcentage que ce différentiel représente et la majorité qui s’en dégage.
974
Le Mancq, Fanny, 2008, op. cit., p. 273.
Méda, Dominique, Le temps des femmes, 2002, Paris, Flammarion.
976
Le Mancq, Fanny, Des carrières semées d’obstacle : l’exemple des cavalier-e-s de haut niveau, in Sociétés
contemporaines, 2007/2 n°66, pp. 127-150.
975
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
265
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Evolutions des effectifs en licences professionnelles de 2001 à 2012 (source site FFE977)
Total
Différence
Pourcentage
(100%)
H/F
(%)
75.5
2890
1470
67.4
Hommes
2345
74.6
3143
1547
65.9
Hommes
26.4
2296
73.6
3121
1471
64
Hommes
858
28
2200
72
3058
1342
61
Hommes
2005
833
28.4
2103
71.6
2936
1270
60.3
Hommes
2006
847
29.6
2018
70.4
2865
1171
58
Hommes
2007
908
30.3
2084
69.7
2992
1176
56.4
Hommes
2008
1041
32.2
2189
67.8
3230
1148
52.4
Hommes
2009
1134
33.5
2252
66.5
3386
1118
49.6
Hommes
2010
1238
35.1
2292
64.9
3530
1054
45.9
Hommes
2011
1115
34.9
2083
65.1
3198
968
46.5
Hommes
2012
1118
36.7
1927
63.3
3045
809
41.9
Hommes
509
39.8
769
60.2
1278
4.1
Hommes
Année
Femmes
%
Hommes
2001
710
24.5
2180
2002
798
25.4
2003
825
2004
%
2013
(prévisio
nnel ?)
260 (au
8/02/2013)
Majorité
Note : Jusqu’à 2007, une séparation est effectuée entre les licences pro 1 et les licences pro 2 sans jamais qu’une
licence pro 2 ne soit comptabilisée. D’où l’abandon sans doute de cette distinction.
Depuis 2001 et jusqu’en 2012, même si la population des compétiteurs professionnels
reste dominée par les hommes, on constate une diminution constante de cette domination qui
passe de trois quarts de participants masculins et un quart de participantes pour arriver en
2008 à une présence féminine comptant pour un tiers des pratiquants totaux. La population
féminine rattrape donc progressivement et avec une régularité presque constante celle des
hommes dans un contexte où l’ensemble des pratiquants de haut niveau tend à être moins
nombreux. En somme, les hommes sont devenus moins de deux fois plus nombreux que les
femmes alors qu’auparavant il étaient plus de deux fois plus nombreux.
977
https://www.telemat.org/FFE/sif/
?milles=2001&dep=&reg=&cs=4.709c6f2a6e00eb338825f862c06c6b16a816a9130356d9e6aef4e47cdc04341a6
1141e48479360722fa279a80a603e4e3a93e2b74f8f384df661e1a78f41db3a2c54
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
266
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
En effet, entre 2001 et 2003, la population totale des compétiteurs de haut niveau tend à
augmenter. Cependant, elle régresse sensiblement jusqu’en 2006, pour repartir à la hausse
jusqu’en 2010 et paraît régresser depuis lors jusqu’à une baisse drastique cette année.
Tourre-Malen978 évoquait dans les centres équestres la tendance infantilisante et
féminisante de la notion de « cheval-barbie ». Celle-ci est confirmée par plusieurs entretiens,
qui auraient plutôt tendance à dénoncer cette attitude, bien que la laissant malgré tout exister,
sinon se développer. Il ressort en tout état de cause que « les femmes aiment le cheval, les
hommes aiment l’équitation ». L’auteure évoquait également une paillardise encore présente
dans les centres de formation979. Les femmes sont à ce qu’il semble encore parfois amenées à
subir de la part des hommes des réflexions portant sur le sexe dans ou même hors les clubs
comme ce fut le cas pour Clarisse Dresshuit :
« C'est vrai qu'on m'avait fait une remarque mais vraiment très
désobligeante à l'époque. J'aidais un de mes voisins à faire de l'entretien de son
jardin, chez lui, pour avoir de l'argent de poche, tout ça. Et donc voilà, le
monsieur complètement, extrêmement bedonnant. Pas un fantasme pour une jeune
fille, quoi. Et qui me dit à un moment "ah ouais, tu fais du cheval ?", "ben oui,
oui, oui." Et il me dit "ah, à ce qu'il paraît le pas...", comment il m'avait dit ça ?...
"Les femmes, quand elles font du pas, ça les fait jouir". J'avais seize ans, rires.
J'étais ravie ! Et voilà, enfin j'étais restée... Evidemment, après j'y avais réfléchi
"mais n'importe quoi, mais quelle connerie", rires. Et la fois après, où je suis
montée à cheval, évidemment, j'étais très perturbée. "Ben non, mais
techniquement, on ne peut pas, c'est impossible", n'est-ce pas ? Et euh, ouais non,
mais par contre, même dans l'esprit des gens, il y a ce côté sexuel, en fait.
Apparemment. »
L’homosexualité pour sa part est, elle, évoquée notamment par les auteurs anglo-saxons.
Dashper évoquait la représentation ouverte de cette catégorie au sein notamment de la
978
979
Tourre-Malen, Catherine, 2006, Femmes à cheval, pp. 78-83.
Ibid., p. 84.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
267
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
discipline de dressage980. L’enquêteur a été violemment confronté, lors de l’évocation du
mouvement copulatoire par cette réflexion de jean-Jacques Dressept981 :
Non, ce n’est pas la position, c'est que.... Mettre une femme à cheval, ça lui
faisait écarter les jambes, et de là, imaginez le fantasme du bonhomme, et cætera.
C'est uniquement, uniquement lié à ça. Encore une histoire de cochonneries. (...)
Rires. J'ai l'impression qu'il y a quand même pas mal de ça, enfin... Un peu
de ça, dans l'équitation ? Cette notion de... cochonneries, comme vous disiez.
Non, non. Les gens de mon âge, oui.
Rires.
Oui, les gens de mon âge, les gens qui ont la soixantaine, là, les
professionnels qui ont la 60aine, on regardait les filles se frotter, en disant voilà,
mais c'étaient plutôt des plaisanteries grasses et de mauvais goût. Qu'on utilisait
pour empêcher les filles de gesticuler. Quand elles gesticulaient à cheval, on
disait "mais arrête de te frotter là-dessus, cochonne". Rires, voilà, c'est... C'était
de mauvais goût, et c'étaient les procédés pédagogiques des sous-officiers. Hein.
Mais non, pas du tout. Aujourd'hui, on est arrivé à un point où... la majorité des
cavaliers de haut niveau sont hermaphrodites. C'est-à-dire ni hommes, ni femmes.
Voilà.
Ah bon ?
Oh oui, oui, le champion du Monde est pédé comme un phoque, la
championne du Monde est gouine, elle en peut plus, et cætera.
Rires. Ah bon ?
On se déplace plus dans le haut niveau, quand on est normal, parce que...
Voilà. Rires.
Totalement ébahis par la saillie du témoin, c’est désarçonné que l’entretien s’est déroulé
ensuite. Notons la confusion entre l’hermaphrodisme supposé de tous les compétiteurs
équestres et l’homosexualité avérée aux dires de cet enquêté des champions et championnes.
Là encore, les exagérations, les approximations voire les dégradations sociales semblent
courantes…
980
Dashper, Katherine, ‘Dressage is full of Queens!’ Masculinity, sexuality and equestrian sports, Sociology
published online 16 May 2012, p. 2.
981
62 ans, entretien à distance.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
268
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Un mouvement copulatoire
La dimension sexuelle de la pratique équestre ne peut en tous cas que difficilement être
voilée à la face de l’observateur débutant. Tourre-Malen l’avait évoqué sans détour982. En
effet, la découverte du mouvement du trot et du galop assis, pour un néo-pratiquant adulte,
peut évoquer la gestuelle copulatoire sans aucun doute possible. Pour ce thème, l’information
est venue spontanément du terrain. Lors du premier entretien féminin réalisé, alors que la
conversation tourne autour de la communication cheval-cavalier, Sophie Moniquatre exprime
une réflexion qui s’inscrira dans l’étude :
« Non, mais pourquoi monter dessus ? Y a, enfin, monter dessus pour avoir
les sensations corporelles, justement, hein d'oreille interne, de plaisir charnel,
quoi, hein, vraiment ! »
Il se trouve que peu de temps après cette remarque de l’interviewée, le moniteur
cherchant à évoquer ce mouvement du trot assis évoque le fait « d’engrosser le pommeau de
selle ». Dès lors, muni de l’information initiale du terrain et de la compréhension corporelle
du mouvement, l’enquêteur interroge d’autres témoins. Les réponses sont le plus souvent
positives, parfois amusées, parfois légèrement offusquées. Il arrive également que la question
soit totalement éludée, le témoin répondant alors à côté de la question posée. Quelques
réflexions orientent le débat au niveau militaire ou au stéréotype machiste de la pratique
équestre traditionnelle. Aurélie Dresstrois983 renvoie la question à un problème d’adultes qui
ne vaut pas plus de questionnements que cela. Annie Thérapun984 renvoie pour sa part aux
réflexions que proposait Digard985 sur l’interprétation psychologique de la question :
« Je suis persuadée que beaucoup, je vous dis, beaucoup d'adolescentes à
un moment donné arrêtent le cheval parce que justement y’a cette découverte de
l'aspect sexuel, là, cette montée de sève j'allais dire, qui arrive là, et ça pose un
problème. Donc il y a vraiment quelque chose. Je pense que y’a beaucoup de
femmes… enfin moi j'ai des amis, ils ont un cheval, ils sont célibataires. Voilà ! »
982
Tourre-Malen Catherine, 2007, op. cit., p. 168.
26 ans, entretien en face à face.
984
46 ans, entretien en face à face.
985
Digard, Jean-Pierre, Les Français et leurs animaux. Ethnologie d’un phénomène de société, 1999, Paris,
Fayard, pp. 59 – 61.
983
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
269
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Certains dédramatisent la question, à l’image d’Antoine Randosix986 pour qui :
« effectivement, c'est, c'est le mouvement de copulation... mais quelque part, c'est un
mouvement passif, c'est pas un mouvement actif. » Ou encore Régis Dressquatre987 qui
répond :
« Alors, c'est, c'est un mouvement érotique dé-érotisé. (...) Moi je le perçois
pas du tout érotisé, ce mouvement-là à cheval. (...) Parce que moi, si ça
provoquait les mêmes états d'excitation que dans la sexualité, je pourrais plus
agir sur le cheval ! Enfin, on n'est pas du tout dans le même contexte
psychologique. Dans la relation sexuelle, on est enfermé dans soi, en fait, le
monde n'existe plus. On est dans une bulle. Un cheval, on peut pas… faut être
conscient du cheval. Non? »
Pauline Autdeux988 par exemple, se réfugie derrière la dimension historique, évitant
ainsi de répondre à la question :
« Je suis réservée, sur ce point-là. Je suis réservée. Je pense que
maintenant, on a... bon, comme on avait dit que les femmes ne pouvaient pas
monter à califourchon... parce qu'on pensait... qu'elles perdraient leur virginité et
cætera en montant comme ça. Je pense que dans le temps, il y avait une pudeur
d'expression, une pudeur corporelle qu'on n'extériorisait pas. (...) Des choses que
l'on n’exprimait pas comme maintenant. Et on ne voyait pas les choses comme
maintenant. Aussi librement, aussi... voilà, les histoires de sexe, ou les sensations
liées au sexe ou au corps humain, on n'en parlait pas comme maintenant ».
Un enquêté et deux enquêtées racontent la même anecdote. Les deux femmes se connaissent
puisqu’une discussion avec l’une d’entre elles avait entraîné la découverte qu’elle connaissait
l’autre. Aussi, il est fort possible que ce soit leur formateur commun qui leur ait enseigné cette
histoire. En recoupant les trois témoignages, on apprend qu’une personnalité a été soumise par
Nuno Oliviera à cette remarque :
986
76 ans, entretien à distance.
65 ans, entretien en face à face.
988
63 ans, entretien à distance.
987
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
270
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Kenny Moniseize : « Oliviera, une fois dans un stage, quelqu'un lui disait "je ne
comprends pas l'antéversion et la rétroversion du bassin". Et c'est lui qui a dit à
la personne "est-ce que vous avez déjà fait l'amour debout ?" Et la personne a
répondu "oui, maître". "Et ben c'est exactement la même chose". » (42 ans,
distance)
Kelly Moniquinze n’y va pas par quatre chemins :
« Ouais, c'est hyper chaud, c'est clair. Alors, y’a deux problèmes qui se
posent. On est dans une société de toutes façons de type judéo-chrétien. Qu'on soit
rat de sacristie, ou bien qu'on n'y ait jamais foutu les pieds, malheureusement on
a été imprégné. C'est clair et net, on est dans une société judéo-chrétienne. Le
péché originel... alors,... je vais pas m'enquiquiner sur les mots que je vais
utiliser, je vous préviens.
D'accord.
Le péché originel, c'est quand même la baise, quoi ! D'accord ? Donc tout
ce qui peut avoir trait à ça, même si on n'en est quand même plus là, on n'en est
plus... à... papa qui vient dans maman avec la chemise à trou et la lumière éteinte,
mais malgré tout, il y a quand même quelque part dans nos sociétés pour une
bonne majorité des gens, une difficulté à avoir un regard lucide, non émotionnel,
j'allais dire, sur tout ce qui a trait à la sphère du bassin. On va dire ça comme ça.
Donc c'est vrai qu'un cavalier, à cheval, c'est d'abord un corps sur un autre, c'est
un mouvement, parce que... un cheval qui marche, c'est un mouvement de bassin,
c'est un... mouvement qui est assez suggestif au niveau du bassin, et c'est un
lâcher prise au niveau du bassin pour pouvoir effectuer ce mouvement dans le
rythme, dans l'amplitude, et cætera, du cheval. Et c'est vrai que y’a des gens à qui
ça pose un gros problème. » (45 ans, entretien à distance)
Christelle Moniquatorze ouvre une nouvelle et inattendue dimension à cette question
sexuelle :
« Pff, je me suis pas posée la question. Y’a un auteur qui utilise ça pour le
fonctionnement du galop un canadien je crois, qui s'appelle Le Guillou, qui a écrit
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
271
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
l'équitation angulaire, et qui à un moment donné utilise cette comparaison. Je ne
sais pas, oui, ça peut être psychologiquement à étudier (...) Dans un de ses livres,
il utilise ça, oui. Oui, oui, oui, oui. Ecoutez, il y a peut-être, je sais pas, c'est dans
un... ça doit être du domaine de l'inconscient, mais... (...) Voilà, ça doit être du
domaine de l'inconscient. Maintenant... j'aurai quand même tendance à dire, mais
alors là, je vais sur un terrain que je ne maîtrise pas, que c'est plus masculin que
féminin, comme point de vue. Mais j'en sais rien. » (36 ans, entretien à distance)
Une rapide recherche internet permet effectivement de découvrir les travaux de
monsieur Le Guillou qui sont on ne peut plus explicites sur la question989. En tout état de
cause, la question n’a manifestement jamais laissé indifférent, car tant dans le déclaratif le
plus direct que dans l’évitement le plus discret, l’existence de ce rapport nécessairement
fortuit (puisqu’effectivement l’objectif du mouvement n’est pas le même dans le cas d’un coït
et dans celui de l’équitation) explique sans doute partiellement les attitudes machistes dont ont
pu être victimes les femmes et la paillardise équestre ayant eu cours, et existant encore
aujourd’hui sans doute, des milieux cavaliers990.
Les dérives animalitaires
La perception d’une équitation en danger par Digard991 prend un sens surprenant. La
démarche de Paul Randotrois semble placée dans une rupture avec la perception traditionnelle
de l’équitation. Le cheval y est un partenaire intégral, respecté dans son individualité.
L’attitude est telle pour lui qu’il rejette les pratiques traditionnelles et « éthologique ». Il
accepte au contraire totalement qu’un propriétaire puisse éventuellement n’avoir un cheval
que pour le voir paître ou le sortir en licol. De ce point de vue, Digard s’inquiétait d’une
éventuelle disparition possible de l’équitation. Loin d’arriver à des conclusions aussi nettes, il
semble devoir être tout de même conscient des transformations en cours et des démarches
effectives d’un certain nombre d’entrepreneurs de la morale pour voir modifier des habitudes
ancrées telles que le ferrage des chevaux, considéré par Paul comme aujourd’hui inutile.
989
http://www.autoposture.com/equitation_sensuelle.htm, consulté le 3 octobre 2013.
Le site en question renferme notamment des extraits de discours féminins et masculins tout à fait explicites.
990
D’où également une acception possible de l’attitude cavalière en langage courant.
991
Tourre-Malen, Christine, 2006, op. cit., p. 71.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
272
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
La baisse de niveau
Souvent révélée par les entretiens, la baisse de niveau globale des équitants ne cesse
d’être rappelée. Mais y a-t-il vraiment une baisse de niveau ou est-elle la conséquence logique
de l’évolution de la pratique ? L’évolution du niveau dans le cadre de l’Education Nationale
semble de ce point de vue tout à fait comparable avec celle des pratiques équestres. Comme le
rappelle Dubet992, l’école avait pour fonction avant les évolutions de ces trois dernières
décades de former l’élite, les aristocrates et bourgeois. Elle était en cela une institution, au
même titre que l’armée993. Fondée comme le rappelle Durkheim sur l’universalisme chrétien,
son but n’est en aucun cas de former les masses. Or, avec les transformations successives de
l’école, celle-ci prend pour objectif non plus de former l’élite, mais « l’ensemble994 » de la
population. Il est bien sûr sous-entendu qu’une élite doit malgré tout émerger de cette masse
d’individus. Ainsi, l’école perd son statut d’institution. Parallèlement, le maître disparait au
profit de l’enseignant. Ce qui amène une réflexion assez atypique parmi les personnes
enquêtées de la part d’Antoine Dressinq :
« [Evoquant la différence entre le dressage et l’éducation du cheval] Parce
que nous, on ne parle pas de dressage.
C'est de l'éducation.
C'est de l'éducation. C'est un des grands problèmes de notre société
moderne, je le disais à la dame des... de la Bibliothèque de France. Parce que
l'art a un rôle fondamental dans l'éducation des humains. TOUTES les formes
artistiques ont un rôle fondamental dans l'éducation des humains. Je dirais que
c'est le ministère qui devrait justement s'appeler Ministère de l'Education
Nationale. Parce que quand vous demandez à un employé de l'Education
Nationale ce qu'il fait comme métier, il vous dit je suis enseignant. Donc y a un
truc qui ne va pas.
Il devrait dire qu'il est éducateur ?
C'est... C'est un métier qui est compatible avec d'autres et qui est dissocié
d'autres. Car vous pouvez être très instruit et mal élevé! Moi j'en connais un
992
Dubet, François, op. cit., p. 167.
L’institution vise ainsi notamment à la transformation de valeurs en normes.
994
Il y a toujours des populations qui sortent très vite du système scolaire, voire n’y entre que ponctuellement et
partiellement….
993
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
273
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
paquet, là! Et comme par hasard, ça se reproduit à une vitesse vertigineuse! Des
gens très instruits et mal élevés.
Qui ont été enseignés mais pas éduqués.
Oui! Et, ça c'est parce qu'un jour, en 1968, on a dit qu'il était interdit
d'interdire, qu'on allait dans un endroit pour apprendre, pour être instruit et
éduqué. On appelait ça un "maître", et on a dit "non, lui c'est un professeur!" …
Ah ouais ? Et... J'ai eu une conversation hier avec des gens qui m'ont dit
qu'aujourd'hui il y avait un brouhaha dans les escaliers, et dans les couloirs entre
le préau de la cour de l'école et la classe... Et le directeur de l'école dit à
"l'enseignant" de se préoccuper un peu de cette organisation, de réorganiser un
petit peu le ... le passage de la cour à la classe, et l'enseignant a dit "non, moi je
suis enseignant, je suis là pour enseigner, je ne suis pas là pour éduquer". »
La modification du statut de l’école va de pair avec celle de ses acteurs. Avec
l’équitation, alors que les années 1970 voient la transformation définitive de l’activité
guerrière en activité sportive, les enseignants d’équitation majoritairement militaires tendent
progressivement à être remplacés par des civils. De ce fait, la manière même de transmettre
les savoirs évolue, la pratique se massifie également, et comme le disent moult enquêtés « le
niveau baisse ». Est-ce vraiment le cas ? Suite à une discussion informelle avec le moniteur
d’un de nos centres enquêtés, celui-ci fait remarquer que le niveau olympique des années
1980 serait grosso modo le niveau pro 2 qui existait lors de cette discussion (en 2011).
Christelle Moniquatorze nous donne une explication de la situation assez similaire :
« Autrefois on était dans un geste... Les exigences techniques ont évolué. Un
parcours d'obstacle en 1960 ne présente pas les mêmes exigences techniques
qu'un parcours d'obstacle du même niveau aujourd'hui. Autrefois, Jean d'Orgeix,
avec qui j'ai eu la chance de monter un petit peu, et qui était vraiment quelqu'un
d'extraordinaire, qui a été aux Jeux Olympiques, en 48, qui a amené en 76, je
crois, c'est l'année de ma naissance, en tant qu'entraîneur national l'équipe de
France aux Jeux Olympiques, et qui gagnent une médaille d'or, avec des chevaux
d'ailleurs pas terribles au départ. C'est vraiment un grand cavalier, un grand
entraîneur et qui a eu une vie extra. Un grand enseignant. Eh bien, il disait que...
Je sais plus quelle était l'idée de départ. Oui voilà, par exemple, y avait sur douze
efforts, douze sauts. Admettons dix sauts, douze efforts. Enfin bon, avec les
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
274
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
combinaisons et cætera, sur un parcours d'obstacle international. Comme on
n'avait pas des chevaux de la même qualité qu'aujourd'hui, donc on avait des
obstacles à 1m30, par exemple, je vous parle des Jeux Olympiques de Mexico,
avec Jean-Pierre d'Oriola, qui gagne Mexico en 68 et cætera. On avait des
obstacles à 1m30, des obstacles voyants, de l'eau, des choses qui se rapprochaient
un petit peu plus de ce qui était en fait encore un peu l'influence militaire du
cheval, des compétitions du cheval militaire, au départ. Bon, l'équitation elle n'est
plus exclusivement militaire que depuis 1960, hein. Donc... on est vachement
jeune, en fait. Eh bien, on avait des obstacles à 1m30 et puis d'un coup, un
obstacle à 1m50, ou un mur très, très important, qu'on appelait le juge de paix.
Donc on avait deux, trois juges de paix dans le parcours, et on disait "ah ben
voilà. La faute on l'attend là, est-ce que le cheval va être capable d'avoir la
puissance de couvrir cet oxer large, ou au contraire est-ce qu'il va avoir la
possibilité de se rééquilibrer pour verticaliser son saut pour sauter ce juge de
paix ? Et souvent c'était ce juge de paix-là qui faisait la différence. Aujourd'hui,
nous ne sommes plus dans la même logique. Nous sommes dans des élevages,
dans des sélections de chevaux qui sont des machines, qui sont soit des chevaux
de vitesse pour des épreuves de vitesse, soit des chevaux de puissance pour des
efforts de puissance, donc on n'a plus, même physiologiquement, les mêmes
filières énergétiques, à la limite, à solliciter. On a des chevaux qui sont dans
l'obligation de fournir entre 12 et 14 efforts sur un tour, le plus vite possible en
général. De même intensité. Donc des obstacles qui vont jusqu'à 1m40, 1m60, sur
des sauts de largeur importante, et douze ou treize sauts avec des difficultés de
rivières, de soubassements, de choses qui font peur... Des alignements, des oxers
au carré, des choses extrêmement piégantes... Qui nécessitent de la part du
cavalier de compter ses foulées, ou encore une fois de trouver une stratégie de
trajectoire. »
Si le niveau élitiste continue de progresser alors que selon les représentations collectives
le niveau baisse, ce que Dubet lui-même tend à confirmer995, alors cela est tout à fait
comparable avec le milieu scolaire. Passer d’une institution élitiste, formant un certain
nombre de personnes formant une élite, à un outil avec le collège unique, visant à former 80%
995
Brizard, Caroline et Gonzague, Arnaud, Ecole : les réformes passées au crible. Un entretien avec François
Dubet, in Le Nouvel Observateur, n°2547, du 29 aout au 4 septembre, pp. 70-72.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
275
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
d’une promotion au baccalauréat suppose un certain nombre de sacrifices. Même si le niveau
de l’élite tend à augmenter, le niveau général tendra à baisser pour permettre l’acquisition
d’un même niveau à toute une population en dépit des différences interindividuelles.
En équitation, la transmission du savoir est passée du maître au disciple entre militaires
au moniteur à l’élève dans une partie non négligeable de la population. Même si le niveau de
l’élite, des compétiteurs tend à augmenter, le niveau général semble s’abaisser, tant par les
diminutions des exigences pour entrer en formation BPJEPS, que dans l’obtention des galops
ou le nombre grandissant de personnes formées en même temps dans un centre équestre.
V – 6 Le loisir et le sport ou le sport et l’art
Le vocabulaire employé classiquement par les pratiquants de diverses disciplines tendait
à opposer au sport le loisir. Le distinguo que permet le vocabulaire proposé ici et employant à
l’opposé du sport celui d’art est susceptible de permettre une perception plus fine de
l’ensemble des pratiques de loisir basées sur l’activité corporelle. Comme le rappelle
Héas, « Les sports semblent constituer de bons révélateurs à la fois des positions et des
sensibilités socioculturelles. Car, les bagages culturels de chacun interviennent
obligatoirement dans l’adhésion à une pratique physique, dans son évaluation intime ou
collective, donc in fine dans la classification des pratiques corporelles. Qu’on le veuille ou
non cette grille de lecture du goût personnel et par conséquent du Goût des autres est
active »996.
Nous l’avons vu au chapitre précédent, l’importance du « maître » est capitale dans la
représentation de soi lorsque les enquêtés présentent leur parcours. Avoir été formé par
Padirac, Pulls, Vigeanel, avoir fait des stages chez Blondeau, Henriquet, avec un tel ou tel
autre revêt parfois plus d’importance que le simple diplôme ou le niveau d’instructorat. Et ce,
quelle que soit la carrière exercée ensuite. Cela rappelle d’autres enquêtes, parmi lesquelles
notamment le travail mené par Héas sur les virtuoses. Ainsi, en tant que marqueur, que
justification pourrait-on aussi dire, tel virtuose du cirque vantera « avoir fait l’école Alexis
996
Héas, Stéphane, 2011b, op. cit., p. 13.
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
276
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Grüss » 997. « L’enseigne patronymique »998 jusqu’alors réservée à la seule famille artistique
devient une marque. Du point de vue équestre, l’enseigne patronymique est l’équivalent du
diplôme. Elle permet, selon l’évocation par les professionnels des personnes qui ont permis de
progresser de poser une capacité technique supposée réelle sur ce simple constat que les
événements ont eu lieu. Il en va exactement de même dans les pratiques de combat :
l’ascendance est valorisée à l’extrême comme le signe d’une capacité intrinsèque de
l’individu concerné999.
Pour le moins, la rencontre du maître semble déterminante dans les pratiques à
dominante artistique, au vu des entretiens réalisés. L’évocation de la figure tutélaire, ouvrant
la voie à une pratique personnelle semble devoir trouver écho dans d’autres milieux que
l’équitation ou les arts de combat. Cela permet d’imaginer une ouverture des recherches dans
de multiples directions, de manière à tenter d’appréhender les possibilités qu’offrent aux
individus les pratiques en-dehors des pratiques classiquement étudiées notamment en STAPS.
La valeur marchande attachée à la pratique sportive ne peut être la seule valeur à laquelle
doivent s’intéresser les sciences sociales. En effet, comme l’évoque Héas1000, la mesure des
activités corporelles ne peut pas exclusivement être envisagée avec le seul œil quantitatif.
Balandier qu’il cite ainsi en introduction est clairement une direction pour les recherches à
venir : « Avec la modernité, nous vivons dans une société de plus en plus métrisée ou
s’affirme la supériorité du nombre, de la mesure, où l’individu semble réduit à l’existence
statistique pour constituer un effectif, un marché, un public, un électorat ou tout simplement
un échantillon de sondage. Le recours anthropologique permet de réintroduire la
considération qualitative, de reporter l’accent sur le rapport du social aux valeurs, aux
symboles, à l’imaginaire et aux croyances, sur l’exigence de différenciation. Ce recours
conduit à traiter de la question du sens du point de vue de l’individu et des collectifs, et non
pas seulement de s’en tenir à l’efficace et à la performance »1001.
997
Ibid., pp. 114, 116.
Ibid., p. 134.
999
Une rapide visite de sites internet de spécialistes de combat permet de s’en faire une idée.
1000
Héas, Stéphane, La mesure des performances corporelles extraordinaires dans les métiers du sport, du luxe et
de l’art, in J. Dubois (dir.), Le corps comme étalon de mesure, M@gm@ vol.7 n.3 Septembre-Décembre 2009.
1001
Balandier, Georges, Postface, où il est question de la modernité, in G. Gosselin, (dir.), Les nouveaux enjeux
de l’anthropologie. Autour de Georges Balandier, 1993, Paris, L’Harmattan, p. 297.
998
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience
277
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Conclusions
Alors, un art martial, un art guerrier ou un sport ?
La question posée au début de cette recherche était la suivante : l’équitation ne serait-elle pas
un art martial ? Le parcours que nous avons mené depuis lors donne un certain nombre de réponses
à cette question initiale.
Il a été considéré dans un premier temps l’histoire équestre. L’homme et le cheval se côtoient
depuis le Néolithique. Très rapidement, les humains vont utiliser l’animal pour sa force et sa
vélocité, en tant qu’outil de travail, de déplacement, de combat. Le traité le plus ancien parvenu
jusqu’à nous laisse apparaître des remarques, des modes opératoires qui pourraient être qualifiées
aujourd’hui de savoir-faire de haute école équestre. Mais difficile sans réaliser un travail de
recherche d’histoire spécifique d’expliquer que ces techniques aient disparu. Peut-être ont-elles pris
un chemin culturel hors Europe, pour arriver finalement par l’Italie à la Renaissance. Auparavant,
les chevaliers sont les seuls utilisateurs du cheval de guerre, dont il est une arme comme l’épée et la
lance.
Les transformations de la pratique guerrière en art équestre se produisent au profit des
périodes de paix toujours plus fréquentes, et toujours plus longues. En même temps que le
processus de civilisation voit les mœurs évoluer et les violences se restreindre, les Nobles sont
incités à fréquenter assidument la Cour sous peine d’exclusion progressive des cercles de pouvoir.
La curialisation des guerriers se fait en même temps que l’équitation voit sa facette artistique
prendre de l’importance. Le cheval devient un outil pour briller à la Cour, auprès du Roi. Antoine
de Pluvinel publie en France l’un des premiers traités d’équitation, qui représente la somme de ses
leçons au Roi. Les relations et la « gestion » de cet animal représente alors une allégorie du peuple :
savoir monter, c’est savoir commander. La technique évolue continuellement en même temps que
les moyens de coercition de l’animal tendent progressivement à diminuer d’intensité. Les écuyers se
succèdent au fil de l’Histoire, améliorant les techniques progressivement. La geste napoléonienne
transforme ensuite profondément la manière d’envisager la pratique équestre pour faire la guerre.
Les combats ne se font plus au sabre, un contre un sur un cheval, mais en masse. La cavalerie prend
la place de la chevalerie. Les cavaliers n’ont plus besoin de techniques évoluées pour partir au
combat, le minimum suffit. Se produisent alors les premiers conflits entre une armée désireuse de
cavaliers nombreux et peu érudits tandis qu’un certain nombre de tenants d’une équitation classique
maintiennent une pratique artistique poussée.
Conclusions
278
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Au 19e siècle, deux grands courants s’opposent. L’équitation du Comte d’Aure, rapide, de
campagne, toute en vitesse et en extérieur, et celle de François Baucher, roturier, artiste de cirque,
qui construit dans le cercle circassien une équitation artistique de haute école. Suite à un accident
qui le blessera sévèrement à une jambe, ses techniques robustes initiales cèdent la place à la
« deuxième manière », beaucoup plus fine. Les rares femmes en ce siècle à monter à cheval le font
en amazone, technique spécifique permettant de monter sans enfourcher sa monture… donc sans
écarter les jambes. Néanmoins, les écuyères prennent possession de la piste de cirque en proposant
elles aussi une équitation artistique.
La Révolution Industrielle apporte avec la modernité le charbon puis le moteur à explosion.
Le cheval perdra alors progressivement son emprise. L’équitation, perdant progressivement de son
utilité pratique dans les champs, sur les routes ou sur les champs de bataille, disparaît
progressivement au profit de la machine. Le cheval n’est plus utile et est amené à disparaître. Les
chevaux de trait sont recyclés en nourriture sous l’impulsion de la SPA, qui avec sa toute première
action permettra ainsi aux races de trait d’être maintenues. Le cheval de selle trouve son évolution
dans la pratique sportive, qui se développe au 20e siècle. Les compétitions de saut d’obstacle, de
complet et de dressage se développent pour devenir disciplines olympique. Parallèlement se
développent les courses hippiques et les paris1002.
Le développement historique ne permet pas alors de répondre tout à fait à la question, mais au
moins partiellement. Comparée aux développements qu’ont pu connaître les pratiques asiatiques, ou
au moins japonaises, l’étude permet de constater une corrélation entre ces deux types d’activités. Au
vu de son développement historique, de l’utilisation qui en a été fait, l’équitation a – au moins – été
un art martial, ou comme nous préférons l’évoquer, un art guerrier. Il convient alors de se demander
si l’équitation est aujourd’hui toujours un art guerrier et sous quelle forme.
Les études menées en équitation dans les sciences humaines sont, au vu du nombre de
licenciés de la fédération, relativement peu nombreuses. Les premiers travaux constatent la
transformation interne en cours des disciplines équestres en disciplines sportives au cours des
années 1970. Les militaires, alors, sont les seuls enseignants d’équitation. Ils seront
progressivement remplacés par des civils, formés dans un premier temps par ces mêmes militaires.
Les pratiquants sont étudiés d’abord sous la forme de cohorte dans les années 1980 afin de
déterminer les raisons de la déperdition des populations équestres. Elles tendent à considérer la
pratique équestre d’abord comme un sport de compétition, voie royale du développement de
l’équitant, à côté duquel subsiste un ensemble de cavaliers de loisirs. Les disciplines nouvelles se
1002
La pratique des paris équestres est importante en Angleterre notamment bien avant son développement en France.
Conclusions
279
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
développent encore. Tourisme équestre, hunter, voltige, et plus récemment équitation
« éthologique »… La fédération française d’équitation englobe en son sein l’ensemble de toutes les
pratiques à cheval, et revendique plus de 700 000 pratiquants. Il est alors logique que le sport soit
l’alpha et l’oméga de l’activité. Elle est donc mise en valeur en dépit des éventuelles perceptions
différentes de la discipline. Soit le pratiquant acquiert l’ensemble des critères que la carrière de
compétiteur requiert, soit il ne pourra atteindre la « voie royale ». Les compétiteurs de saut
d’obstacles sont étudiés, les femmes également. On constate des disparités dans la pratique de
l’équitation : 80% de femmes montent dans des centres équestres et la majorité des compétiteurs
demeurent des hommes. Il apparaît que les femmes font face à un plafond de verre, qui joue
notamment du fait de la maternité, handicapante dans la réussite sportive. L’étiquetage homosexuel
ne semble pas ouvertement poser problème au sein des pratiques équestres, notamment de dressage.
Les études anglo-saxonnes révèlent des axes différents, s’intéressant plus particulièrement aux
interactions entre chevaux et humains. Elles portent alors plus souvent sur la relation
qu’entretiennent les femmes avec leurs montures. Mais elles s’intéressent à cette équitation des
« nouveaux maîtres », venue des Etats-Unis, et qui éclot en France au début des années 2000. Cette
pratique est elle aussi intégrée à la fédération. La plupart des études sont alors menées par des
cavaliers intégrés à la pratique de compétition, cela provoquant une vision de la pratique orientée
vers les principes fédéraux et compétitifs. Ils permettent, de ce fait, de proposer une voie originale.
Les « dérives animalitaires » dénoncées par certains auteurs représentent de notre point de vue
une évolution des mentalités semblant aller dans la droite ligne de l’évolution culturelle des
civilisations. L’attention toujours plus grande témoignée envers les autres espèces témoigne d’un
accroissement des intolérances à la violence visible. Les procès à répétition semblent l’attester. En
l’occurrence, envisager des « dérives » constitue une forme de prise de parti non scientifique.
Certes, une évolution des règles pourrait tout bonnement mettre à bas le principe même
d’équitation. La bascule de l’équidé dans la sphère du loisir pourrait tout aussi bien interdire la
monte équestre. Les entrepreneurs de la morale, en tous cas, ne semblent pas souhaiter cette
évolution. Les évolutions en cours montrent une multiplication des orientations dans la relation
homme-cheval. Auparavant utilitariste, l’équitation est devenue pratique de loisir. Que les
possesseurs d’équidés décident de les utiliser d’une autre manière que montée ne veut pas dire que
toute autre forme de relation tend à disparaître, mais que de nouvelles optiques, en effet, se créent.
L’ensemble de ces informations a permis de prendre la direction de cette étude. Qualitative,
elle s’intéresse à la complexité même des expériences équestres aujourd’hui. Expérience corporelle
de l’enquêteur, qui par le biais de la participation observante et de l’observation participante met en
Conclusions
280
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
jeu son propre corps pour tenter d’appréhender une pratique inconnue initialement. Des rapports
entre les placements corporels des pratiques asiatiques et équestres sont réalisés et comparés aux
histoires de vie des cavaliers enquêtés. Ils sont des « professionnels » dans le sens où ils se
revendiquent d’une activité particulière, même si celle-ci n’est pas toujours rémunératrice. En effet,
un « compétiteur » n’est, à quelques exceptions près, jamais uniquement cela. Il a bien souvent un
autre métier pour subsister : moniteur, éleveur, instructeur… Ils sont professionnels de l’activité,
entendus comme ayant une carrière, une évolution et une expérience donnée où le cheval reste
toujours prépondérant.
La pratique in situ, les observations in vivo et les entretiens permettent de relever des indices
parlant pour la question initiale. L’apprentissage par corps permet d’appréhender la pratique
équestre dans sa réalité la plus intime, par l’utilisation du corps et l’importance du ressenti
nécessaires à une pratique considérée comme maîtrisée. La souplesse, la décontraction, la finesse de
la gestuelle, la maîtrise de l’équilibre sont autant de capacités personnelles à acquérir pour
communiquer efficacement avec sa monture. Au vu de l’expérience, cet enseignement tend vers une
subtilité que l’on retrouve au sein des arts guerriers. Le galop 7 représente une sorte
d’accomplissement personnel pour les pratiquants au même titre que peut l’être la ceinture noire des
arts guerriers asiatiques. Ils représentent au contraire aux yeux des professionnels l’apprentissage
des bases techniques qui permettront au cavalier de progresser tout au long de sa vie. La pratique
peut être perçue comme une discipline du temps long, à laquelle on peut s’adonner jusqu’à, pour
ainsi dire, ses derniers jours.
Leurs représentations permettent de mettre au jour de nouveaux points de corrélation entre
l’art guerrier et l’équitation. L’apprentissage technique met l’accent sur le bassin, clé de voûte de
l’ensemble de la pratique. Sans la maîtrise de l’assiette, aucune pratique n’est possible sur le long
terme. Elle est éminemment corporelle car elle place le corps dans une interaction permanente avec
l’animal. Il s’agit alors d’une communication avec le cheval qui s’apprend par corps. La technique,
de plus en plus fine au fil des apprentissages, peut se faire sur l’ensemble d’une vie. Les cavaliers
d’un âge avancé ne sont pas rares. Il n’est pas rare que les cavaliers estiment les possibilités infinies
d’apprentissage de la pratique tout au long de la vie. Cet apprentissage n’est jamais uniquement
technique et impacte souvent fortement les vies des cavaliers qui ajustent leur usage équestre à leur
propre vie, lorsque ce n’est pas tout bonnement l’inverse…
La variété des expériences équestres rencontrées lors de cette enquête semble révéler une
éthique, faite du contrôle de soi nécessaire à la maîtrise technique, à la gestion des peurs provoquées
au fil des apprentissages par les réactions des chevaux. La patience est une vertu qui est affirmée
Conclusions
281
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
par la relation à l’animal. Le respect, enfin, est la pierre angulaire de la relation au cheval dans la
grande majorité des cas. Mais la pratique équestre est aussi un construit social : le passage par un
centre de formation, que ce soit un centre équestre ou une autre structure, conditionne la perception
même de l’activité. Ainsi, un cavalier « sans maître » n’a pas les représentations attendues dans les
milieux équestres. Il est totalement outsider à la pratique et a un raisonnement, du point de vue de la
majorité cavalière, dissonant. Il montre ainsi les limites de l’univers cavalier, dans ce qu’il est un
construit social et, d’une certaine manière, la reproduction d’un savoir transmis d’une génération à
l’autre.
D’autres dissonances sont apparues au fil des rencontres et de l’accès approfondi aux
différents terrains équestres. Les moniteurs de centre équestre les plus jeunes ont également une
culture livresque moindre. Les dresseurs et moniteurs extérieurs ou plus âgés ont au contraire une
culture équestre plus étendue. Ils se réfèrent souvent à un « maître », ou une école. Ils se disent
parfois d’Auristes, souvent Bauchéristes. Ils sont parfois également en rupture avec l’optique
compétitive et déclarent alors avec force pratiquer un art. Certains acceptent sans difficulté que leur
pratique équestre soit qualifiée de martiale. Il y a bien un versant art martial et un versant sport
dans l’équitation qui peut s’appliquer plus ou moins suivant les orientations déclarées voire
revendiquées par les pratiquant.e.s.
La relation humain-cheval, en tous cas, est une relation interactionnelle basée sur une
expérience corporelle complexe et actualisée, dans la grande majorité des cas. Les interactions
verbales sont possibles, donner des indications ou des ordres peut se faire par ce biais. Mais en
raison des caractéristiques de l’animal, un quadrupède à la vision particulièrement fine et au toucher
extrêmement prégnant, se développe une relation sans possibilité de se cacher, sans dissimulation.
En témoignent les pratiques d’équithérapie rencontrées, mettant en confrontation l’homme et le
cheval à pieds. L’équidé étant capable de décoder l’attitude corporelle d’un congénère, mais
également d’une autre espèce tel que l’humain, il semble également capable de ressentir finement
l’ensemble des comportements corporels de son cavalier, réagissant parfois au plus petit début de
mouvement de celui-ci. L’ensemble des techniques corporelles équestres fonctionne comme un
système de communication inter-espèce. Il est basé sur des codes créés par des humains à
destination d’un animal apte à les comprendre. La totalité des relations qui résultent de ces
communications, dans tous les domaines où le cheval peut intervenir, conduit à considérer
l’existence d’une société anthropo-équine comme un fait établi tant par l’évocation historique que
l’observation in situ. En ce sens, la norme reste malgré tout la formation par un centre équestre ou
un moniteur dûment agréé par la fédération. L’entrée dans la pratique se produit fréquemment par le
Conclusions
282
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
truchement d’un tiers, et c’est cet autre qui autorise l’accès à la société anthropo-équine, ou plus
précisément qui invite le nouvel arrivant dans cette société.
Quelle que soit l’optique dans laquelle l’équitation est pratiquée, que ce soit dans une optique
traditionnelle ou éthologique, qu’il s’agisse d’une pratique de cheval montée, de relation à pieds, de
compétition, d’art, de tourisme, de travail ou de soin, la façon dont les professionnels évoquent leur
relation à l’animal révèle des rites d’interaction, une routinisation méthodique ainsi qu’un
apprentissage des normes en cours dans l’activité, des règles de bienséance tant sur le manège
qu’autour des chevaux. Mais l’apprentissage autonome produit une forme nouvelle de relation à
l’animal, affranchie des représentations séculaires d’une activité initialement utilitariste et de
combat, pour laquelle tout ou partie des évolutions technologiques (selle, étriers, harnachement,
ferrage des chevaux) jugés par les outsiders à la pratique équestre normée comme inutile voire
dangereuse pour le bien-être équin.
A l’issue de cette étude, il semble possible de considérer que l’équitation est comparable à un
art guerrier, tant du point de vue historique que de la manière d’envisager sa pratique, comme le
considère la définition initiale de cette recherche. Les expériences équestres s’étendent sur un
continuum de pratiques, de l’art au sport avec une multitude de représentations et pratiques s’étalant
de l’un à l’autre de ces extrêmes. Mais l’art équestre et le sport équestre ont ceci de commun que
chacun d’eux peut, le cas échéant, devenir un spectacle à destination du public. Ainsi, s’ouvre une
nouvelle voie des possibles.
Cependant, l’enquête démontre qu’un individu qu’il serait possible de classer sur le versant
« art guerrier » au vu des représentations de sa pratique et de notre proposition peut très bien se
trouver en totale adéquation sur le plan compétitif avec un autre individu qui serait classé dans le
versant sportif. Les multiplicités des représentations invitent à ne pas limiter la perception de la
réalité à un schéma qui permet de décrire l’activité, et ceux qui la pratiquent, sans épuiser
totalement la variété de leurs expériences avec et sans cheval.
En tout état de cause, les disciplines équestres sont multiples, et les manières de s’y investir
également. Elles ne peuvent en aucun cas être réduites comme c’est majoritairement le cas à une
dichotomie sport/loisir. Le vocable de martial ou guerrier est un exemple de représentation
différente du versant compétitif. De ce point de vue, le terme d’art est plus couvrant et un
continuum s’étendant de l’art au sport, sans autre qualificatif présente l’intérêt d’être
éventuellement applicable à d’autres activités physiques.
L’étude menée a été réalisée de manière originale, différente des travaux réalisés
précédemment par des pratiquants avérés de la discipline. Elle n’est pour autant pas en opposition
avec ces travaux, mais invite à proposer des études en complémentarité avec les travaux réalisés par
Conclusions
283
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
les praticiens plus intégrés. Il s’agit là sans doute une voie exploratoire pour des études futures. En
effet, la recherche sur ce terrain ne peut être que bénéfique si est rendue possible la diversité des
points de vue initiaux sur un même monde social.
Ce travail s’est intéressé majoritairement à l’étude de deux « familles équestres » :
l’équitation de tradition française classique et l’équitation « naturelle ». Il semblerait également
intéressant d’envisager une étude basée sur une comparaison des écoles équestres en Europe ou en
tous cas des équitations en Europe. La prédominance des pays comme l’Allemagne dans certains
compartiments du monde équestre, ou bien l’importance des traditions dans des pays arabes par
exemple disposant de moyens financiers considérables constituent autant de pistes d’élargissement
des recherches futures.
Les études permettant de creuser l’ensemble des thèmes abordés durant cette recherche
permettront d’aller plus avant dans la connaissance de la société anthropo-équine et des interactions
qui la constituent. C’est principalement la relation au cheval de selle qui a été abordée ici, au travers
de l’ensemble des activités qui le concernent. Le cheval de trait, dont nous avons pu apercevoir le
retour au travers des études et des discours des personnes interrogées serait une ouverture
intéressante pour des recherches futures. L’équitation est multiple, ce travail le démontre. Les
diverses sphères qui la constitue reste encore à explorer.
Conclusions
284
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
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Bibliographie
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Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Index des auteurs
A___________________________________
Abe, 107
Adelman, 83, 84
Andrieu, 19, 135, 156, 157, 177, 183, 184
Arbogast, 36
Arluke, 104
Arnaud, 23, 28, 128
Aubert, 68
Audiffren, 8, 24, 25, 29, 30, 31, 36, 53, 141,
241
B
_________________________________
Bacharach, 81, 122, 123, 124, 125, 127, 138,
239
Balandier, 276
Baratay, 163
Baschet, 40
Beaud, 177, 186, 188, 189, 190, 200, 201
Becker, 14, 15, 17, 57, 86, 88, 142, 143, 147,
149, 212, 232
Bernard, 2, 13, 19, 22, 58, 135, 157, 177, 183
Bernardeau, 62
Bertaux, 190, 192, 208
Bigo, 169
Birke, 110, 111, 112
Blanqui, 26
Bodin, 17, 25, 31, 53, 148, 156
Boilleau, 22
Bouchet, 48, 50
Bourdieu, 12, 144, 147
Bouvier, 134
Brandt, 102, 103, 104, 106, 110, 112
Braunstein, 23
Brizard, 274
Brohm, 8
Brousse, 30, 44, 58, 124, 242
Bui-Xuan, 23
Burgat, 163
Burton-Jeangros, 161, 164, 165, 219
Cartron, 181
Cazalbou, 26
Chanvallon, 17, 238
Chartier, 22
Chénière, 51
Chevalier, 13, 62, 63, 66, 67, 69, 74, 86, 87,
88, 89, 90, 91, 92, 93, 97, 120, 129, 130,
142, 143, 160, 196, 262, 263
Cleary, 33
Clément, 28, 30, 128
Cognot, 26, 41, 43, 185
Commaille, 95
Coornaert, 135
Crémieux, 8, 24, 25, 29, 30, 31, 36, 53, 141,
241
D___________________________________
Dashper, 82, 83, 84, 266
De Léséleuc, 158
Deblaise, 43
Defrance, 63
Délebecque, 37
Delzescaux, 38
Deshimaru, 34
Despret, 157, 158
Digard, 12, 13, 35, 36, 42, 43, 44, 45, 47, 48,
51, 51, 53, 55, 75, 77, 81, 95, 96, 98, 103,
111, 117, 118, 119, 161, 170, 225, 239, 268
Drévillon, 35
Dubet, 143, 144, 146, 147, 149, 150, 272, 274
Duby, 40, 41
Dumazedier, 57, 135
Dumoulin, 95
Dunning, 21, 22, 23, 29, 41, 44, 51
Duprez, 133
Durand, 47, 53
Duret, 136, 137, 138
Dussart, 89, 91, 92
C___________________________________
E___________________________________
Calmet, 4, 59, 124
Carbonell, 40, 41
Carré, 31
Ehrenberg, 137, 147
Index des auteurs
306
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Elias, 21, 22, 23, 29, 30, 38, 41, 44, 51, 78,
116, 124, 139, 140, 142, 147, 148, 149,
150, 154
Ellis, 39
F___________________________________
Fernandez, 181
Fez, 98
Fisher, 184
Fleuriel, 79, 89, 135
Fontaine, 57
Fournier, 157, 181, 196
Franchet d'Esperey, 43
Franchet d'Espèrey, 38, 40, 42, 43, 45, 46, 49,
55, 121, 122, 123, 124, 129, 138, 140
Franchet, d’Espèrey, 36
Fureix, 166, 180
G___________________________________
Game, 108
Gaudin, 45, 160
Giraud, 163
Goffman, 18, 102, 104, 147, 164, 169, 186,
188, 209, 221
Gonzague, 274
Goodger, 29, 30
Goodger, B. C, 29
Goodger, J. M, 29
Gouabault, 161, 163, 164, 165, 219
Gouraud, 35, 76
Guillo, 162, 163, 165, 174
H___________________________________
Habersetzer, 6, 7, 27, 33
Hausberger, 166, 180
Héas, 4, 17, 23, 25, 31, 53, 59, 96, 122, 156,
157, 194, 218, 255, 275, 276
Heinich, 21, 25, 134, 139, 143, 144, 147, 151,
152, 153, 154, 155, 172, 260
Henriques Pereira, 36, 41
Henriquet, 41, 50, 85, 106, 122, 123, 124,
126, 127, 129, 138, 230
Henry, 166
Huberman, 188
J____________________________________
Jaquet, 43
Jez, 87, 93, 94, 95, 96
Index des auteurs
Jodelet, 133
K___________________________________
Juhle, 150, 160
Karl, 113, 114
Krempp, 49
L___________________________________
Lagier, 48
Lagoutte, 41, 43, 44, 45, 46, 57, 61
Lamothe, 209
Lancosme-Brèves, 80
Laslett, 16
Latour, 140, 147, 189
Le Breton, 122, 156, 157
Le Mancq, 13, 58, 69, 70, 72, 74, 75, 79, 81,
82, 83, 87, 89, 90, 100, 116, 120, 129, 136,
139, 142, 186, 192, 196, 262, 264
Le Yondre, 17
Lebreton, 17, 156
Lee, 140
Legoff, 37, 39, 40
Lesimple, 166, 180
Lizet, 55
M___________________________________
Malherbe, 61, 68, 69, 89, 92
Martin, 12, 37, 61, 62, 63, 63, 73
Mauger, 199
Mauss, 99, 155, 156, 159, 237
Mazac, 29
McGreevy, 168, 231
McLean, 168, 231
Méda, 93, 264
Menguy, 166, 180
Mennell, 30
Mennesson, 74, 75, 84, 212
Michalon, 163, 165
Miles, 188
Molénat, 149
Monahan, 184
Morin, 176
Musashi, 33
N___________________________________
Norman, 32
Noulens, 52
O___________________________________
307
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Olivier de Sardan, 182, 185, 195
P___________________________________
Papin, 158
Parelli, 18, 111, 226
Parlebas, 242, 243
Peneff, 179
Perera, 158
Perreau, 18
Perrier-Cornet, 68
Philippe, 43, 68, 113, 114, 181
Pidancet-Barrière, 49, 106
Pinçon, 198
Pinçon-Charlot, 198
Pruvost, 202
Pujol, 107
R___________________________________
Raimbault, 106
Raveneau, 157, 158
Ravet, 153
Régnier, 24, 25, 28, 29, 31, 53, 59, 129, 150
Reischauer, 31, 32
Robert, 119
Roche, 36, 44, 45, 46, 47, 56, 115, 124, 165,
166, 170, 171
Roche, Hélène, 235
Rouanet, 158
Routier, 17, 156
S____________________________________
Sanders, 104
Sapiro, 154
Savvides, 113
Sayeux, 17, 224, 254
Scali, 18
Schaeffer, 151, 152
Schmitt, 22
sciences, 12, 13, 18, 28, 37, 45, 51, 55, 61, 99,
124, 140, 149, 150, 153, 154, 155, 157,
158, 161, 163, 184, 199, 208, 237
Index des auteurs
Shilling, 158
Simmel, 144, 145, 147, 148, 149, 150
Slimani, 61, 68, 69, 89, 92
Sorignet, 212
Suaud, 153
Sun Tzu, 27
T___________________________________
Terret, 135
Tourre-Malen, 52, 59, 60, 62, 76, 77, 78, 82,
83, 85, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 108, 112,
115, 116, 118, 120, 127, 129, 130, 135,
136, 159, 219, 223, 227, 231, 266, 268, 271
V___________________________________
Valade, 13, 14
Valera, 7
Vanpoulle, 156, 158, 177, 185
Vial, 68
Villerbu, 14
Vinciane, 157, 158
Visser, 166
Voegtli, 85
W___________________________________
Wacquant, 157
Wanless, 110
Weber, Eugen, 37, 40
Weber, Florence, 177, 186, 188, 189, 190,
200
Weber, Max, 25
X___________________________________
Xénophon, 18, 36, 37, 38, 37, 39, 50
Z___________________________________
Zolesio, 202, 203
308
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Table des matières
Remerciements _____________________________________________________________ 4
Avant-propos _______________________________________________________________ 6
Introduction ______________________________________________________________ 11
PREMIERE PARTIE : Regards équestres ______________________________________ 21
Chapitre I – L'histoire des arts équestres _______________________________________ 21
I – 1 Le processus de civilisation, une focale pour expliquer une évolution de la pratique équestre
____________________________________________________________________________ 21
I – 2 Des notions d'art martial, d'art guerrier et de sport de combat ______________________ 24
I – 3 Les arts guerriers asiatiques _________________________________________________ 28
La place du cheval au Japon et en Asie. ...........................................................................................31
I – 4 En Europe : L'origine guerrière de l'équitation _________________________________ 35
La Chute de l’Empire romain et ses conséquences ...........................................................................36
De l’époque féodale à la curialisation des guerriers ........................................................................39
Un changement dans la guerre: l'Empire. ........................................................................................45
La révolution industrielle et ses conséquences .................................................................................47
Le 20e siècle : les femmes investissent l’équitation devenue loisir ...................................................51
I - 5 Conclusions partielles ______________________________________________________ 53
Chapitre II – Sociologie(s) équestre(s) _________________________________________ 55
II – 1 Les études portant sur l’équitation ___________________________________________ 55
Perceptions sociales de la pratique équestre et de ses pratiquants ..................................................57
La constitution d’une discipline sportive ..........................................................................................62
La compétition pour seul horizon ?...................................................................................................65
L’équitation : sport de filles ? ...........................................................................................................73
Carrières cavalières ..........................................................................................................................86
Le cheval et ses pratiques aujourd’hui .............................................................................................93
Corporéité, sociologie et équitation ..................................................................................................99
La paillardise équestre : à tort ou à raison ?..................................................................................116
Loisir, plaisir, art et sport ...............................................................................................................117
II – 2 La transmission du savoir au fil des siècles : la relation maître-élève_______________ 123
Du 16e au 19e siècle.........................................................................................................................124
Le 20e siècle.....................................................................................................................................128
II – 3 Conclusions partielles ____________________________________________________ 131
Table des matières
308
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
DEUXIEME PARTIE : Démarche sociologique ________________________________ 133
Chapitre III - Quelle(s) sociologie(s) pour quelle(s) équitation(s) ? _________________ 134
III – 1 Quels concepts pour cette recherche ?_______________________________________ 134
Représentation sociale, représentation collective ...........................................................................134
L’équitation de compétition ............................................................................................................135
Engagement, distanciation : configuration et invisibilité sociale ...................................................140
III – 2 Axes de recherche _______________________________________________________ 143
Une sociologie des carrières dans et hors les normes ....................................................................143
Une sociologie de l’expérience .......................................................................................................144
La notion d’association, de Simmel à Becker en passant par Elias...............................................148
Valeurs, art et vocation ..................................................................................................................152
Une sociologie du corps ..................................................................................................................156
Une sociologie « animalitaire » ......................................................................................................162
L’éthologie, frontière de notre étude...............................................................................................167
De la violence ? Sous quelle(s) forme(s) ? ......................................................................................169
III – 3 Prémisses à la recherche : questionnement de la population _____________________ 170
La perception du cheval de nos jours, ce que disent les gens .........................................................170
III – 4 Conclusions partielles ___________________________________________________ 175
Chapitre IV – Pratiques de l'équitation, sensations et expériences __________________ 177
IV – 1 Prolégomènes au choix du terrain et de l’étude _______________________________ 177
IV – 2 Observation et participation _______________________________________________ 178
Observation : apprendre par imitation ...........................................................................................179
Participation : apprendre par corps ...............................................................................................185
IV – 3 Méthodologie de réalisation des entretiens ___________________________________ 187
Quel public interviewer ? ................................................................................................................187
Comment réaliser les interviews ? ..................................................................................................189
Entretiens téléphoniques/via Skype© versus entretiens en face à face ? ........................................191
Entretiens en face à face .................................................................................................................192
Entretiens par téléphone ou Skype© ...............................................................................................193
Quelles questions poser ?................................................................................................................195
IV – 4 L’abord du terrain et ses spécificités ________________________________________ 197
Un exemple de difficulté : la personne ressource ...........................................................................198
Une « imprévue » dans l’entretien ..................................................................................................202
IV – 5 Retranscription, analyse et anonymisation des entretiens _______________________ 203
Retranscription ................................................................................................................................203
Anonymisation .................................................................................................................................203
IV – 6 Retours des entretiens ____________________________________________________ 205
IV – 7 Conclusions partielles ____________________________________________________ 211
Table des matières
309
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
TROISIEME PARTIE : L’univers équestre exploré ______________________________ 21
Chapitre V – Devenir cavalier : constitution d’un statut par l’expérience ____________ 213
V –1 La rencontre du cheval : une entrée dans la pratique marginale ?__________________ 213
V – 2 Devenir cavalier : description de quatre lieux de pratiques _______________________ 215
V – 3 Comment devient-on cavalier ? _____________________________________________ 219
Premiers cours ................................................................................................................................219
La progression technique ................................................................................................................222
L’éthique du cavalier ......................................................................................................................228
Une communication inter-espèce éminemment corporelle .............................................................231
L’homme de cheval, l’idéal cavalier ...............................................................................................240
V – 4 L’équitation, un art guerrier comme un autre ? ________________________________ 242
La transformation équestre : de la guerre à l’art et de l’art au sport ............................................242
Le galop et ses turpitudes : la ceinture noire de l’équitation .........................................................244
L’art martial : ce que disent les professionnels ..............................................................................248
L’étiquetage du moniteur, ce maître qui ne donne pas son nom .....................................................256
Une pratique du temps qui passe, une pratique de l’instant ...........................................................258
L’univers équestre : des galaxies entre art et sport ........................................................................260
V – 5 L’univers équestre au prisme des auteurs de référence __________________________ 263
La compétition.................................................................................................................................263
La place des femmes........................................................................................................................265
Un mouvement copulatoire .............................................................................................................269
Les dérives animalitaires ................................................................................................................272
La baisse de niveau .........................................................................................................................273
V – 6 Le loisir et le sport ou le sport et l’art ________________________________________ 276
Conclusions _____________________________________________________________ 278
Bibliographie ____________________________________________________________ 285
Index des auteurs _________________________________________________________ 306
Table des matières
310
Devenir cavalier : une expérience d’apprentissage par corps
Essai de socio-anthropo-zoologie des pratiques et techniques équestres
Résumé
« L’équitation est une activité pratiquée par les riches ou les homosexuels ! ». Les stéréotypes entourant les
pratiques équestres sont nombreux minimisant la variété même des pratiques et usages existants. Si le saut
d’obstacle, le dressage ou le complet sont des disciplines olympiques, les courses en hippodrome, la randonnée,
l’endurance, l’équithérapie, etc., mobilisent des dizaines de milliers de personnes en France chaque année.
Les études qui se sont jusqu’ici intéressées à la question équestre sont nombreuses, mais s’intéressent bien
souvent à la pratique compétitive à côté de laquelle vivoterait un « loisir » sans autre intérêt que de passer du
temps, voire en prenant du plaisir, à cheval. Pourtant, s’intéresser à l’histoire équestre invite à la réflexion. En
effet, l’équitation, quelle que soit sa forme actuelle, est issue d’une pratique guerrière. D’où la question que
pose cette étude : l’équitation ne serait-elle pas, en fait, un art martial qui s’ignore ?
Au travers d’une étude socio-historique de l’activité, de l’observation participante dans plusieurs centres
équestres, d’équitation traditionnelle mais aussi éthologique, des entretiens avec des cavalières-cavaliers (n =
50) l’étude s’attache à comprendre ce que signifie devenir cavalier au 21e siècle voire se revendiquer comme tel.
La recherche menée constate l’ascendance guerrière de l’équitation au plan historique, mais aussi pour certains
cavaliers au niveau d’une éthique à défendre, de valeurs à restaurer. « L’apprentissage par corps » adossé à
l’observation et aux entretiens avec des professionnels équestres, au sens de leur engagement social dans leur
discipline, autorisent largement la comparaison, si ce n’est l’intégration, de l’équitation avec les arts guerriers ou
martiaux.
Mots-clés : Art, sport, équitation, guerrier, expérience, corps, cheval
Becoming a horse-rider: a body learning experiment
Socio-anthropo-zoologic essay in equestrian practices and techniques
Abstract
“Horse-riding is practiced by rich people or homosexuals!” There are plenty of stereotypes regarding equestrian
activities which minimize the variety and even the existing kinds and uses. If jumping, dressage and eventing are
Olympic disciplines, racing, trail riding, endurance, equine therapy and so on, mobilize tens of thousands of
people in France each year.
Studies which talk about the equestrian question are numerous, but often focus their interest on the
competitive practice rather than a “leisure activity” whose interest is to spend time, even having fun on horse.
However, an interest in equestrian history provokes thought. Indeed, horse-riding, in whatever actual form, is
the result of war practice. Here comes the question asked by this study: should horse-riding , in fact, be seen as
an ignored martial art?
Through a socio-historian study of the activity, observations in several equestrian centres of traditional horseriding and also natural horseman-ship, interviews with horse riders (n=50) the study focuses on understanding
what is to become of a horse rider in the 21st century or even to claim being one of them.
The research conducted reports the warriors ascendance in horse-riding from an historical point, and also for
some horse riders, the values to restore. “The body learning” backed by observation and interviews with
equestrian professionals, understood as a social engagement in their discipline, largely allows the comparison,
and if not the integration, of horse-riding in war or martial arts.
Key-words: art, sport, horse-riding, warrior, experience, body, horse
VIP&S (EA 4636)
Laboratoire Violences, Identités, Politiques et Sport