Le bal paré-masqué / Un aspect du carnaval de la Guyane française

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Le bal paré-masqué / Un aspect du carnaval de la Guyane française
Préface
Se faire le devoir de réaliser une étude sur le bal paré-masqué
guyanais est une gageure qu’Aline BELfort-ChAnoL a merveilleusement bien tenu.
Certes, le pari portait sur une recherche complexe et difficile.
Mais l’auteur mûrissait ce projet depuis fort longtemps et avait à
l’avance bien pesé les termes de cette équation.
La première revendication de l’identité guyanaise s’est cristallisée autour de la langue du carnaval.
Ces deux éléments qui constituaient une pression à « penser »
l’identité apparaissaient comme des rêves de réenracinement.
Aline BELfort-ChAnoL tout au long de son analyse, nous rappelle que l’optique évolutive du bal paré-masqué contient en germe,
la rupture idéologique qui eut lieu entre les coutumes carnavalesques venues d’Europe et les motivations créoles qui préludaient à
l’avènement de la société Guyanaise.
L’intéressée a tour à tour passé en revue les nombreux orchestres
qui ont contribué au succès des bals parés-masqués, énumérant une
infinité de musiciens qui donnent un éclat exceptionnel au décor et
qui émaillent la toile de fond d’une foule d’anecdotes croustilleuses
qui n’auraient pas pu être passées sous silence, sous peine de rendre
le tableau incomplet.
J’ai fort bien connu dans mon enfance et mon adolescence les
grandes vedettes de la musique : Antoine Vincent surnommé Antoine
Clarinette, Chari l’inégalable improvisateur, Cabéria le joueur
débordant de vie, Munian robert le saxophoniste, son frère Lelette
Eugène le banjoïste très populaire, Linton le banjoïste plein de ressources, Sébastien Charles, tarcy, Gabriel, tibodo, Polydore,
Zamor…
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LE BAL PAré-MASqUé - Un ASPECt DU CArnAVAL DE LA GUYAnE frAnçAISE
La liste des musiciens dressée tout au long de l’ouvrage par
Aline BELfort-ChAnoL est impressionnante et nous donne une idée
avantageuse et particulière de l’importance du carnaval d’antan.
Elle a raison de souligner pour ceux qui n’ont aucune précision
sur l’époque, que les hommes comme les femmes se déguisaient au
dancing et que c’est vers les années 1955 que les hommes abandonnèrent le masque dans les salles de bals.
Dès lors, seules les femmes seront appelées « touloulous » et il
ne sera pas rare d’entendre la question : « est-ce qu’un touloulou t’a
invité à danser ? »
Aline BELfort-ChAnoL se pose la question délicate de savoir
pourquoi et comment s’est opéré l’abandon (brusque ? progressif ? )
du masque par les hommes, dans ces bals parés-masqués ?
Pour répondre à cette question, elle passe en revue divers
aspects de la mentalité de l’époque et elle sème des points d’interrogation non comme des clous sur une route mais plutôt comme des
semences de doutes féconds.
Elle se découvre, malgré elle, en face, d’une réalité tantôt absurde, tantôt profonde. Une réalité qui ne laisse pas d’être à la fois permanente et inépuisable.
Le carnaval de Venise a t-il été l’inspirateur numéro un de celui
de Guyane ? Venise pratiquait du jour de l’épiphanie au mardi gras
sans interruption, style qu’a conservé le bal paré-masqué guyanais.
La chaleur vénitienne raffolait des bals constellés d’aventures et
d’intrigues amoureuses que lord Byron, poète britannique, a rendu
inoubliables dans ses vers et sa correspondance. Il savait combien
dans les soirées masquées de Venise les maris surveillaient les
épouses et ne manquaient pas de les passer à tabac quand elles les
avaient bernées. C’était un peu le climat des bals du samedi soir au
Petit Balcon.
Mais sur bien des points, la Guyane a cessé de suivre Venise.
Une Venise qui n’a guère changé son mode d’amusement. Chacun
se déguise comme il l’entend et va dans le groupe qui lui plaît de
sorte que les masques se côtoient sans se connaître !
Ce n’est pas le cas des Guyanais. Aujourd’hui le carnaval guyanais a un visage mondial. Il reflète tous les grands mouvements de
la planète. Il fait une synthèse prodigieuse des différentes exhibi-
PréfACE
tions du monde. Il a un fort goût de défilé niçois. Il a un grand air de
parade brésilienne. Il dégage toujours de puissantes bouffées de chaleur vénitienne. Il affiche un bon soupçon de procession suisse. Il a
aussi une petite allure des troupes jamaïcaines qui paradent dans le
quartier de notting hills.
Pour comprendre le carnaval guyanais d’aujourd’hui, pour comprendre d’abord son évolution à travers les âges créoles, il est avantageux de lire cette étude réalisée par Aline BELfort-ChAnoL sur le
bal paré-masqué d’hier et d’aujourd’hui et l’on comprendra pourquoi le carnaval guyanais est « unique » au monde.
Auxence ContoUt
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INTRODUCTION
Le bal paré-masqué a été institutionnalisé en Guyane au début
du xxe siècle. Il s’agit d’une manifestation qui se déroule le samedi
soir pendant le carnaval et qui se caractérise notamment par l’intervention d’un personnage original, le touloulou.
Le touloulou est une personne déguisée et masquée dont l’identité véritable doit demeurer inconnue des différents participants au
bal paré-masqué. Aujourd’hui, le touloulou est une femme, ce qui
n’a pas toujours été le cas. C’est donc la femme masquée qui conduit
le jeu dans ces lieux spécialisés que sont les dancings, c’est elle qui
invite les cavaliers qui ne peuvent se dérober, elle leur impose son
rythme, sa manière de danser ainsi que la nature de l’éventuelle relation qui se noue.
C’est autour du touloulou que s’est bâti tout l’environnement du
bal paré-masqué, qui a pris ces dernières années une dimension
sociale et économique telle que cette manifestation unique dans le
bassin caribéen et sur le continent américain ne peut que conduire à
une interrogation sur l’origine et le sens de cette pratique carnavalesque et sur son évolution. Ces éléments sont en effet étroitement
liés à l’histoire du pays, à la nature et au fonctionnement de la société guyanaise.
Cette manifestation revêt différents aspects qui expliquent l’attraction qu’elle exerce. nombreux sont les touloulous et les cavaliers pour qui le jeu codé, l’expression gestuelle et corporelle sont
source de plaisir et occupent une place importante dans la danse. Le
bal paré-masqué met en évidence les rapports existant entre l’homme et la femme, l’évolution de la place qu’occupe cette dernière
dans la société guyanaise. Le bal paré-masqué a permis la révélation
de musiciens qui ont eu l’occasion d’exercer leur talent en Guyane
mais aussi à l’étranger. Espace de créativité, le bal paré-masqué a été
et demeure un lieu de création musicale, chorégraphique et vestimentaire. Les dancings où se déroulent ces manifestations ont une
configuration qui leur est propre et qui permet aux différents acteurs
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LE BAL PAré-MASqUé - Un ASPECt DU CArnAVAL DE LA GUYAnE frAnçAISE
de jouer leur rôle. Une véritable dialectique du jeu s’instaure grâce
à l’inversion des rôles, aux rapports de séduction inavoués, à la
manifestation de tendances narcissiques, à l’exercice du pouvoir
sous des formes multiples. S’y côtoient en toute légitimité : l’ordre
et le désordre, le permis et l’interdit, le sérieux et le comique et ce,
grâce à la complicité du masque. L’occident chrétien a toujours
porté un regard désapprobateur sur la danse, explique Jocelyne
VAYSSE1 puisque, favorisant « la vigueur pulsionnelle, l’effet libératoire, l’échappement extatique » elle provoque une contre régulation,
elle est source de désordres sociaux et moraux. Enfin, l’organisation
de ces soirées et leur succès tient compte de l’aspect touristique qui
tend à se développer.
Le bal paré-masqué est pour certains objet de plaisir grâce aux
jeux subtils mis en place par le touloulou, tandis que pour d’autres,
il est objet de rejet. Cette atmosphère qui se dégage des dancings,
chaque samedi de carnaval, les transforme soit en « temples de l’érotisme » soit en « lieux de débauche », selon la perception de chacun.
Pour mener cette étude, une centaine d’enquêtes orales et écrites
ont été conduites auprès d’hommes et de femmes âgés de 18 à 87 ans
résidant ou de passage en Guyane, appartenant aux différentes communautés présentes dans le pays. L’un des objectifs était aussi de
recueillir l’avis de ceux qui étaient pour ou contre le bal paré-masqué. Des ordonnances coloniales, des arrêtés municipaux, divers
rapports de la commission de sécurité et des articles de journaux ont
été étudiés.
Ainsi, touloulous, cavaliers, propriétaires, gérants de dancing et
musiciens ont marqué les différentes époques qu’a traversées le bal
paré-masqué. Ces acteurs de la vie carnavalesque ont contribué à
maintenir la vivacité de cette tradition dans laquelle s’inscrit le bal
paré-masqué. Sa forme marque une des originalités de notre société
et comme toutes les autres valeurs structurantes, elle participe à la
construction, mais aussi à l’évolution constante de l’identité.
1
VAYSSE Jocelyne, La danse thérapie, histoire, technique, théorie. Paris, Desclée de
Brouwer, 1997.

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