Mise en page 1 - Actualité Cgt63

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Mise en page 1 - Actualité Cgt63
politis.fr
Violences :
à qui la faute ?
ÉTUDIANTS,
ENSEIGNANTS, CHERCHEURS,
ILS TÉMOIGNENT :
« Nous ne sommes
pas à vendre ! »
EUROPÉENNES
PS : mensonges
et omissions
SRI LANKA
La tragédie
des Tamouls
IMMIGRATION
En réponse
à Éric Besson
3:HIKNOG=VUXUUZ:?b@a@f@k@q;
I Semaine du 30 avril au 6 mai 2009 I n°1050 I
M 03461 - 1050 S - F: 3,00 E
Politis
Politis
Social
DURBAN II
Après la conférence
de Genève
SOMMAIRE
L’ÉVÉNEMENT
SÉQUESTRATIONS.
Violences
sociales : à qui
la faute ?
FEDOUACH/AFP
Pages 4 et 5
ÉCONOMIE
avec
Claire Villiers :
« Le travail, une valeur
subversive ? » Page 6
ENTRETIEN
POLITIQUE
EUROPÉENNES. Parti
socialiste : mensonges
et omissions. Pages 8 et 9
CULTURE
GASTRONOMIE.
« Une journée
à El Bulli », de Ferran Adrià.
Pages 24 et 25
EXPOSITION. « Jacques Tati,
deux temps, trois
mouvements ». Page 25
THÉÂTRE. « Britannicus »
et « Médée ». Page 26
MÉDIAS
TÉLÉVISION.
« Les Bouffeurs
de fer », de Shaheen
Dill-Riaz. Page 27
IDÉES / DÉBATS
TRIBUNES.
SOCIÉTÉ
MONTEFORTE/AFP
SÉCURITAIRE. La police nous
sert ses vieux poulets. Page 10
ÉCOLOGIE
CLIMAT.
Une crise des
subprimes carbone ? Page 12
MONDE
SRI LANKA.
La tragédie
des Tamouls.
« La loi et la
jungle »,
par Éric Fassin
et Aurélie
Windels. Pages
28 et 29
« Des boycotteurs très
présents », par Michèle
Sibony. Page 30
DE BONNE HUMEUR. Chronique
de Sébastien Fontenelle.
Page 31
Pages 14 et 15
RÉSISTANCES
ÉDUCATION. Apprendre et
penser local. Pages 16 à 18
LE POINT DE VUE
DES LECTEURS
Pages 32 et 33
BLOC-NOTES
Pages 34 et 35
Couverture : Éric Cabanis/AFP
DOSSIER
JANE
UNIVERSITÉS
Qui veut la peau
de l’université
publique ?
Une précarisation
massive.
Chercheurs sous
pression. Pages 20 à 23
LA SEMAINE PROCHAINE DANS POLITIS
POURQUOI
2I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
LA COLÈRE SOCIALE
?
ÉDITORIAL
PAR DENIS SIEFFERT
Printemps social
A
Dépositaire
d’intérêts
catégoriels
irréductibles,
le gouvernement ne
cédera que
devant une
mobilisation
d’une autre
ampleur.
insi donc, le 1er mai sera
« unitaire ». Ce sera bel et bien la
première fois depuis le grand
schisme syndical de 1947 que les
dirigeants de la CGT, de FO et de
la CFDT, héritière défroquée de la CFTC,
battront le pavé en cadence. Les petits derniers
de Solidaires, les enseignants de la FSU et les
fonctionnaires de l’Unsa seront à leurs côtés.
Fallait-il que la pression de la « base » soit
forte pour produire un tel effet ? Que nous
soyons arrivés à ce point extrême où les
directions syndicales ne peuvent même plus
faire valoir leurs différences pour marcher
chacune sur leur boulevard est un signe
politique qui ne trompe pas. La tension dans le
pays est extrême. Et la peur dans les classes
dirigeantes, palpable. Mais, en même temps,
un autre processus est déjà à l’œuvre. Une
autre peur, qui n’est pas celle du mouvement
social face aux plans gouvernementaux, mais
l’angoisse contagieuse qui fait craindre aux
petites gens que la révolte ne soit, pour eux et
pour leurs biens, plus redoutable que ses
causes. Ce spectre par lequel, in extremis, les
patrons du CAC 40 tirent par la manche une
partie des classes moyennes. Comme si les uns
et les autres avaient en définitive partie liée. Du
classique. Les contre-feux sont déjà en place.
Et certains journalistes ne sont pas les moins
actifs dans le déroulement de cette stratégie.
Depuis deux semaines, il n’y a plus une
interview d’un syndicaliste, ou d’un
responsable politique de gauche, ou supposé
tel, qui ne commence par cette objurgation en
forme d’interrogation : « Et vous, vous
désavouez ces violences ? » On l’aura compris,
la violence dont il s’agit, c’est toujours la
violence vulgaire de l’ouvrier. Le bris de
matériel. La séquestration. La liasse de papier
jetée au sol.
Ce pays a une expérience si consommée
de l’insurrection que désormais le contre-feu
précède l’incendie. Même Martine Aubry
(dans le JDD) a eu droit à la fameuse question
préalable destinée à mettre la révolte hors-laloi. Comme on l’imagine, la première
secrétaire du Parti socialiste a aisément franchi
l’obstacle. Elle n’a pas raté la bonne réponse,
celle qu’il convient de faire quand on est de
gauche, et qui est à peu près celle-ci : « Non, je
ne peux approuver pareille violence, mais je la
comprends. » Seul le délégué syndical CGT de
Continental a bravé courageusement l’interdit
en plein « 20 heures » sur France 2, renvoyant
David Pujadas dans ses dix-huit mètres par un
effronté : « Vous plaisantez, j’espère ! » Et il a
eu raison, car cette question-piège est tout
simplement indécente en regard des
conséquences de la violence sociale qui est faite
à ces femmes et à ces hommes jetés à la rue
pour mieux valoriser les dividendes de
quelques actionnaires. À propos, on est
curieux de savoir ce que voteront les députés
de gauche quand viendra à l’ordre du jour de
l’Assemblée la proposition de loi déposée par
Marie-George Buffet, soutenue par le Parti de
gauche, visant à l’interdiction de ce qu’on
appelle les licenciements boursiers. Ce sera le
28 mai. À cette date, il est vrai, le printemps
social aura livré une partie de son message. Et
ce 1er mai, unitaire, donc, aura connu le succès
que l’on imagine. On peut attendre
raisonnablement plus de trois millions de
personnes, vendredi, dans la rue. Le troisième
volet du triptyque syndical, après le 29 janvier
et le 19 mars, ne devrait pas être inférieur en
audience aux deux précédents.
pour un total record de 2 millions et demi. On
ne s’attend pas davantage à une remise en
cause rapide des projets universitaires. Ceux
que les étudiants qui nous ont prêté main-forte
pour la réalisation de ce numéro analysent
avec tant de pertinence dans notre dossier
(voir pages 20 à 23). C’est qu’il y a entre la
crise financière, la cascade des plans de
licenciements qui accablent le monde du
salariat, les lois du couple Pécresse-Darcos, et
celle de Mme Bachelot dans les hôpitaux, une
terrible cohérence. Une même logique est à
l’œuvre, celle qui privilégie les intérêts de
quelques-uns sur ceux de la collectivité.
La politique qui consiste à transformer
l’université et l’hôpital en entreprises – car c’est
bien de cela qu’il s’agit – est la même que celle
des banquiers, des traders et des gros
actionnaires. N’en doutons pas : l’objectif est
que certains tirent un jour un profit financier
du succès de quelques universités d’élite,
ouvertes à une minorité. C’est le repli des
dépenses publiques. La poursuite du transfert
du travail vers le capital. La machine que l’on
tente d’installer tant dans le domaine de
l’enseignement que dans celui de la santé vise à
intégrer au système néolibéral des secteurs
d’activité qui lui échappent encore en partie.
Mais ce trop de cohérence est aussi la faiblesse
de Nicolas Sarkozy. La multitude des fronts,
leur convergence en terrain découvert, est aussi
un redoutable facteur de mobilisation. Alors
1788 ? Avril 1968 ? Mai 1936 ? Laissons les
références aux prophètes. L’histoire ne manque
jamais d’imagination.
Mais après ? La question restera entière.
Et les centrales syndicales seront vendredi soir
face à leurs responsabilités. Car on ne voit pas
le gouvernement proposer soudain un plan de
relance à la consommation, soutenir
significativement les bas salaires, brider les
hauts revenus. Dépositaire d’intérêts
catégoriels irréductibles, il ne cédera que
devant une mobilisation d’une autre ampleur,
ou dans la dynamique d’une crise qui continue
de se développer, comme en témoignent ces
deux chiffres publiés lundi, et qui sont
probablement en deçà de la vérité :
63 400 chômeurs de plus au mois de mars
Retrouvez l’édito en vidéo sur www.politis.fr
30 avril 2 0 09 I P O L I T I S I 3
•Dégradations, séquestrations,
.Les exigences des actionnaires
.Ces insurgés rejettent
L’ÉVÉNEMENT SÉQUESTRATIONS
Violences sociales : à qui
Des gestes désespérés à mettre en rapport avec ce que subissent les salariés licenciés. FEDOUACH/AFP
t maintenant, les voilà eux
aussi « voyous ». Pas les
patrons de Continental, ni de
Caterpillar, ni d’autres groupes
industriels, mais des salariés.
Interpellations et déferrements ont lieu
un peu partout en France, pour des
dégradations volontaires, des séquestrations de quelques heures et pour de
banals blocages d’usine. Ces actions
« coups-de-poing » très médiatiques ont
déclenché récemment une riposte gouvernementale, avec à sa tête un Nicolas Sarkozy affirmant qu’il ne « laisserait pas faire ». Le Premier ministre,
François Fillon, n’est pas en reste et a
réclamé des poursuites judiciaires contre
les fauteurs de trouble. Au passage, l’attitude des médias et des politiques, accusés de mettre l’huile sur le feu, est montrée du doigt.
Pourtant, ces gestes désespérés sont à
mettre en rapport avec ce que subissent
les salariés quand ils perdent leur emploi.
E
4I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
Qui sème la misère récolte
la colère : face aux outrances
du patronat, des salariés
se radicalisent.
TROIS REN DEZ-VOUS
1er mai
Nouvelle journée de
manifestation à l’appel des
huit syndicats (CGT, CFDT,
FO, CFTC, CFE-CGC, FSU,
Solidaires et Unsa)
regroupés dans une plateforme commune depuis
début janvier.
14 au 16 mai
Des journées européennes
d’action sont organisées
par la Confédération
européenne des syndicats
sur le thème : « Combattre
la crise, priorité aux
citoyens ».
28 mai
Une proposition de loi
contre les licenciements
boursiers, déposée par le
PCF, sera débattue à
l’Assemblée nationale.
Ils sont « face aux décisions violentes des
actionnaires qui sacrifient la vie des salariés et de leur famille sur l’autel de leurs
bénéfices », a lancé au gouvernement
Jacky Hénin, député européen du PCF,
à propos de Continental. Cette violence
sociale, invisible et impunie, Nicolas Sarkozy en avait pourtant pointé l’origine
quand il s’attaquait, en 2007, aux
« patrons voyous » qu’il opposait à la
« France du travail ».
La crise et les quelque 3 000 chômeurs
de plus enregistrés chaque jour ont depuis
exacerbé cette situation. La publication
des rémunérations des dirigeants des
grandes entreprises donne le vertige : un
salaire annuel de grand patron représente trois siècles de Smic, alors que les
mêmes rationalisent des stratégies purement financières.
Comme Total, Rexel, numéro un mondial de la distribution de matériel électrique, est un modèle du genre. Ses dirigeants ont programmé un nouveau plan
de licenciements et la suppression de plus
de 400 emplois en France. En raison de
la crise ? Non, dénoncent les cinq confédérations syndicales, qui soupçonnent
des actionnaires accrochés à leurs profits. L’entreprise se porte bien, ainsi que
le salaire de Jean-Charles Pauze, son dirigeant mondial, qui est le quatrième au
palmarès des patrons les mieux payés du
CAC 40. L’homme a touché la bagatelle de 8,82 millions d’euros de rémunération en 2007, en progression de
687 % par rapport à l’année précédente.
Presque 7 000 Smic !
« Quitte à perdre mon emploi, autant
partir avec plus. Quitte à être mis
dehors, pourquoi ne pas recourir à des
actions illégales ? », entend-on dans ces
entreprises où le sentiment d’injustice
est le moteur des dégradations et des
séquestrations. Cas d’école, l’usine de
l’équipementier Continental de Clairoix, dont la fermeture entraînera la
suppression de 1 120 emplois. Pendant
qu’un millier de salariés partaient en
train spécial à Hanovre pour manifester devant l’assemblée générale des
actionnaires, le tribunal de Sarreguemines autorisait la direction de Continental à poursuivre ses projets de fermeture du site. Pas de condamnation
sur les engagements pris il y a deux ans,
non tenus par les dirigeants d’un groupe
entre les mains de Maria-Elisabeth
blocages : des salariés réagissent aux licenciements injustes.
et les salaires faramineux des grands patrons exacerbent la révolte.
le discours affirmant que personne n’est responsable des décisions économiques.
ALAIN REFALO
Professeur
des écoles*
la faute ?
Schaeffler, la septième plus grande fortune d’Allemagne. « Au final, Continental, quatrième fabricant mondial de
pneus, aura été dépouillé pour qu’un
autre groupe, trois fois plus petit que lui,
puisse se refaire une santé financière »,
lance, indigné, Jean-Luc Mélenchon,
sénateur et fondateur du Parti de gauche,
qui a soutenu avec Die Linke les salariés
de Continental.
Le sentiment de révolte est à son
comble quand les salariés apprennent
que le géant du pneu avait programmé
la fermeture du site dès janvier 2008
en laissant croire le contraire pour arracher le passage aux 40 heures à des salariés qui, finalement, se retrouvent floués
sur toute la ligne. Car les bénéfices importants (près d’un milliard d’euros dans
la branche pneu en 2008, dont Clairoix fait partie) s’accompagnent d’embauches dans l’usine de Roumanie. Crise
ou pas crise, le groupe délocalise vers des
horizons plus rentables pour ses actionnaires : les salaires de Timisoara varient
entre 280 et 420 euros par mois, contre
une moyenne de 1 700 euros en France.
« Les politiques crient tous au scandale,
ils ont l’air tout effarés mais, normalement, ils sont là pour faire voter des lois.
Et s’ils faisaient correctement leur travail, la direction de Continental n’aurait
pas pu réaliser son projet », proteste
Xavier Mathieu, syndicaliste à la CGT
de l’usine de Clairoix (1).
Les déclarations politiques se sont multipliées : en mars, le sénateur UMP de
l’Oise, Philippe Marini, jugeait la décision de fermeture du site « complètement
inacceptable ». De Berlin, Nicolas Sarkozy donne le change, prenant note de
la promesse faite par Continental de
« doubler les aides à la conversion ».
La chancelière allemande y va aussi de
son couplet, tandis que Christine
Lagarde, ministre de l’Économie, se dit
« choquée ». Mais le sort des « Conti »
n’a pour l’instant pas changé d’un iota.
Pas plus que celui des salariés de Caterpillar, qui n’ont pas oublié le quasiserment de Nicolas Sarkozy : « Caterpillar, je vais la sauver. » Le scénario est
le même pour l’usine Molex, celle de Sony
France et l’équipementier automobile
Refus de
collaborer
Faurecia, dont les salariés en colère ont
séquestré des cadres dirigeants et sont
aujourd’hui poursuivis.
Comme le dit le sociologue Jérôme
Pelisse : « On a essayé de faire croire que
plus personne n’était vraiment responsable des décisions économiques, qu’elles
s’imposaient d’elles-mêmes… Mais chacun est responsable à son niveau, c’est
ça que les séquestrations rendent visible
à nouveau (2). » Pas étonnant que les
salariés cherchent des moyens d’action
pour se faire entendre. Ils se trouvent
aussi confrontés à l’absence d’intervention du gouvernement contre les
licenciements boursiers, et sont victimes
d’un dumping social. Tout en agitant le
bâton, le gouvernement est partisan
d’un laisser-faire destructeur d’emplois
et de protections sociales. Un avenir
particulièrement violent, qui rend inaudible le discours sur la moralisation
du capitalisme.
_Thierry Brun
(1) L’Humanité du 14 mars.
(2) Libération du 10 avril.
Les dirigeants d’entreprise disposent d’un arsenal judiciaire pour se protéger.
Mais les salariés mis en danger sur leur lieu de travail peuvent-ils se défendre ?
Certains droits s’arrêtent à la porte des entreprises
«
n les retient vingt-quatre heures, DÉCRYPTAGE très argumenté (1), ce sentiment d’injustice
vient notamment du fait que certains droits
et on risque vingt ans de
fondamentaux s’arrêtent à la porte des
prison », fustige, amer, le
entreprises. En particulier les atteintes à la vie, à la
secrétaire CGT du comité d’entreprise de Molex.
santé et à la dignité des salariés, ce qui relève « de la
La séquestration de patrons entre en effet dans la
catégorie de délits reconnus par la loi et sanctionnés
mise en danger délibérée d’autrui dans les choix
pénalement comme professionnellement. Les salariés de
d’organisation et de conditions du travail ainsi que dans
Continental, eux, s’attendent à des poursuites judiciaires
les politiques publiques les rendant légitimes ».
après le saccage de leur lieu de travail. De même, le
Dans ces rapports de domination et d’exploitation, « les
tribunal de grande instance de Grenoble a condamné dixstratégies de résistance, individuelles et collectives,
neuf salariés de Caterpillar pour occupation illicite, leur
informelles ou organisées, sont constamment en butte à
ordonnant de laisser libre l’accès à l’usine grenobloise,
des formes impitoyables de répression », explique la
sous peine de payer chacun 200 euros d’astreinte par
sociologue, qui pose cette question fort dérangeante :
jour. En substance, a dit François Fillon, les coupables
« Est-ce le travail qui tue ou ceux qui, autour des tables
doivent être châtiés de façon exemplaire.
ovales des conseils d’administration, décident de son
L’arsenal judiciaire souvent utilisé contre l’intensification
organisation ? » Ce qui revient à s’interroger aussi sur la
des luttes pour sauver les emplois accentue le sentiment
création d’un tribunal pénal international du travail.
d’injustice chez des salariés désespérés pour avoir subi
_T. B.
une dégradation généralisée de leurs conditions de
travail. Or, remarque la sociologue et directrice de
(1) Travailler peut nuire gravement à votre santé, Annie Thébaud-Mony,
La Découverte, 2008.
recherches à l’Inserm Annie Thébaud-Mony, dans un livre
O
« En conscience, nous refusons d’obéir! »
Tel est le leitmotiv de près de
3000 enseignants du primaire en
résistance pédagogique aux «réformes»
de Xavier Darcos. Nouveaux «vieux»
programmes favorisant les automatismes
au détriment de la réflexion des élèves,
évaluations nationales sous forme de
tests préparant la mise en concurrence
des écoles, dispositif d’aide personnalisée
hors temps scolaire entérinant la perte de
deux heures de classe pour tous les
élèves, mise en place du fichier de
contrôle social Base élèves… Les
enseignants désobéisseurs utilisent
toutes les prises possibles pour ne pas
collaborer à des dispositifs qui
conduisent au démantèlement et à la
privatisation de l’Éducation nationale.
Ils s’affichent au grand jour en informant
par lettre leur hiérarchie de leur action de
désobéissance. Celle-ci est publique,
assumée et motivée en conscience, ce qui
permet de la différencier de la
désobéissance dite «délinquante» et de
contrer les tentatives de criminalisation
par le pouvoir. Face à ce mouvement
inédit de résistance, les inspections
académiques sont dans l’embarras.
Certaines ferment les yeux, d’autres
sanctionnent par des retraits de salaire.
Dans tous les cas, en refusant le dialogue,
elles avouent leur impuissance.
Les désobéisseurs subissent
régulièrement pressions, visites
d’inspecteurs, menaces et parfois
sanctions. Mais la répression s’avère
inefficace puisque la désobéissance
continue grâce à la mise en place de
caisses de solidarité. Dans notre «Appel du
21avril» à l’insurrection non-violente de la
société civile, nous pressons les syndicats
de reprendre à leur compte le mot d’ordre
de la désobéissance en tant qu’action
radicale et constructive, pour faire échec
aux lois qui déconstruisent le service
public d’éducation. Il est en effet grand
temps de renouveler notre logiciel de
résistance sociale face à un pouvoir
autoritaire et autiste qui s’accommode trop
bien des jours de grève sans lendemain.
* Initiateur du mouvement de désobéissance
pédagogique. Une journée de la désobéissance dans
l’Éducation nationale est organisée le mercredi 6 mai.
Blog Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école.
30 avr il 2 0 09
I
POLITIS
I 5
ÉCONOMIE
ENTRETIEN Quelle est la place du travail en période de crise ? Claire Villiers*, à l’initiative d’un appel
sur la démocratie dans le travail, veut replacer cette question au centre du débat politique à gauche.
Le travail, une valeur subversive ?
POLITIS I La crise remet
en cause la place du travail,
expliquez-vous en substance
dans un appel lancé par le
collectif Travail & Démocratie.
Cela ne révèle-t-il pas
des enjeux de société
contradictoires ?
Claire Villiers I On le voit bien dans
les conflits actuels : les salariés se battent
pour garder un emploi, y compris un
emploi dur, sur les finalités sociales
duquel on peut s’interroger. Ils sont prêts
à risquer la taule pour ça. Au fondement
de cette situation, il y a la remise en cause
du fait que le travail est devenu une marchandise. Le travail est quelque chose
qui permet aussi l’échange, qui permet
de se construire. Le mouvement ouvrier
pas plus que les organisations de chômeurs n’ont réussi à prendre à bras-lecorps cette contradiction.
Pourquoi relancer un débat
sur ce sujet aujourd’hui ?
Nous avons souvent une conception doloriste du travail. On rappelle toujours la
racine latine de ce mot, le tripalium, l’instrument de torture, sans considérer que le
travail peut être aussi une force de subversion et de lutte. Certes, les organisations du travail peuvent rendre fou ou
conduire au suicide. Elles sont fondées sur
la délation, le mensonge et la concurrence… Elles sont exactement ce qu’on ne
veut pas. Et pourtant, dans une espèce
de soumission individuelle et collective,
les salariés, au nom du besoin de gagner
leur vie et également du besoin de travailler,
s’y soumettent. Il faut se réinterroger sur
cette exigence de travailler tous et moins
pour la satisfaction des besoins sociaux.
Mais les luttes actuelles
autour du travail révèlent
aussi une violence sociale de
plus en plus forte…
C’est une violence sociale et surtout politique. Aujourd’hui, les orientations du
gouvernement privilégient la rémunération du capital au détriment de celle du
travail. Le choix politique est d’assigner
certains à beaucoup de travail dans des
conditions détestables, pendant que
d’autres sont livrés au chômage et à la précarité. La défiscalisation des heures supplémentaires et, dans un autre registre,
la mise en œuvre du revenu de solidarité
active (RSA) vont dans ce sens. C’est à
l’opposé du choix de réduction du temps
de travail pour tous que nous revendiquions dans les mouvements de chômeurs
6I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
Le travail peut être aliénant et destructeur comme il peut permettre d’échanger et de se construire. DANIAU/AFP
dans les années 1990, et qui était porté
par des organisations syndicales.
N’est-il pas nécessaire
de recourir à d’autres voies
que la valeur travail comme
pilier de notre société ?
L’expérience montre que notre manière
traditionnelle de dire qu’on voudrait ne
pas travailler, cela ne marche pas. Il faut
revenir sur ce qui fonde l’envie à la fois
individuelle et collective de travailler pour
en faire de la bonne transformation et
de la subversion.
Oui, mais dans un cadre
démocratique… Or, n’est-on pas
en train de sacrifier
la démocratie sociale ?
On est en train de nous vendre cette
période de crise comme s’il y avait une
guerre, pour nous faire accepter une restriction des libertés. Cela suscite beaucoup d’interrogations, notamment chez
les syndicats, qui n’arrivent pas à trouver le moyen d’organiser une radicalité
majoritaire, parce que cela pose la question immédiate du mode d’organisation
de la société et de sa traduction politique.
Il n’y a pas de force politique qui prétende
assumer cette radicalité pour proposer
une autre organisation sociale. Quand
Nicolas Sarkozy dit qu’il faut refonder
le capitalisme, il faut répondre non et
opposer au capitalisme un autre système
d’échange.
Autour de quelles pistes ?
Une démocratie sociale plus active et participative dans les lieux de travail est une
des pistes. Il existe des solutions dans
l’économie sociale et solidaire, et évidemment dans les services publics. Mais
deux questions sont peu posées par les
forces politiques et syndicales : la propriété
privée et l’autogestion. Ce qui est invraisemblable dans cette crise, c’est qu’on n’en
profite pas pour dire que des pans de l’économie nous appartiennent. Au lieu de
remettre de l’argent dans les banques pour
qu’elles continuent la même politique, on
devrait en faire un bien collectif.
_Propos recueillis par Thierry Brun
*Vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France,
ancienne responsable syndicale et cofondatrice
d’Agir ensemble contre le chômage.
Travail & démocratie, premier acte
Grève interprofessionnelles, grève
générale en Guadeloupe, en Martinique et
à LaRéunion, multiplication des conflits
sociaux dans les entreprises et les
services publics, appels divers… Cette
escalade sociale est l’occasion pour le
collectif Travail &Démocratie d’organiser
un «premier acte public» le 2mai(1) sur le
déficit des pratiques démocratiques dans
le monde du travail et sur la place du
travail. On doit cette initiative à Claire
Villiers, vice-présidente du conseil
régional d’Île-de-France, et à l’association
Les Périphériques vous parlent, qui ont
créé il y a deuxans ce collectif qui réunit la
coopérative Direction humaine des
ressources, Peuples et Cultures, et la
Fraternelle de recherche et de
propositions. Travail & démocratie est
aussi à l’origine d’un appel s’adressant « à
tous ceux et toutes celles qui veulent
remédier au déficit de démocratie dans le
travail et remettre le travail au cœur de la
démocratie».
(1) Le samedi 2 mai, de 9 h 30 à 22 h, Maison des
métallos, 94, rue Jean-Pierre-Timbaud, 75011 Paris,
M° Couronnes, Parmentier. Rens. : collectif Travail
& Démocratie, 01 40 05 05 67, 06 82 45 54 63, [email protected], www.travaildémocratie.org
SOCIAL
À CONTRE-COURANT
JEAN GADREY
Professeur émérite à l’université Lille-I.
Le chiffon rouge
de la croissance verte
GANGNE/AFP
SANTÉ La loi Bachelot « HPST » mobilise désormais
contre elle l’ensemble du secteur hospitalier.
Allergiques à la loi
e conflit hospitalier prend une
nouvelle ampleur. Personnels
et médecins des hôpitaux, qui
ont organisé le 28 avril une
manifestation nationale, sont
désormais vent debout contre la loi
Bachelot dite « Hôpital, patients,
santé, territoires » (HPST) et sa
logique d’hôpital « entreprise ».
La ministre de la Santé n’a pas réussi
à désamorcer la contestation lancée il y a plus d’un mois par le Mouvement de défense de l’hôpital
public (MDHP), les médecins de
l’Assistance publique-Hôpitaux de
Paris (AP-HP), le Syndicat de la
médecine générale, les syndicats
hospitaliers, la Coordination nationale des comités de défense des
hôpitaux et maternités de proximité, alors que le projet de loi HPST
reviendra en discussion au Sénat à
partir du 11 mai. La plupart de ces
organisations demandent le retrait
pur et simple du projet de loi. « De
simples amendements ne sauront
répondre aux exigences du maintien et du développement d’un service public hospitalier répondant
aux besoins de la population. Le
bon sens voudrait que ce projet de
loi soit retiré et que s’engagent de
véritables négociations prenant en
compte les revendications des personnels et les attentes des usagers »,
prévient la fédération CGT de la
santé et de l’action sociale.
L’appel des 25 contre la loi Bachelot,
« destructrice et injuste », signée par
L
des professeurs hospitaliers renommés, a relancé la grogne contre un
projet de loi que le gouvernement
pourrait, certes, accepter d’amender pour calmer le jeu. Mais le cap
libéral est pour l’instant immuable
et même renforcé. La ministre de la
Santé a récemment déclaré qu’elle
« s’opposerait » à l’amendement,
voté par les députés en première lecture, qui limite les dépassements
d’honoraires en cliniques privées.
Roselyne Bachelot écoute ainsi les
plaintes des lobbies les plus libéraux, et renie au passage l’un des
engagements de restriction des
dépassements d’honoraires abusifs,
lequel pose un problème d’accès
aux soins.
Et le processus de privatisation des
hôpitaux est déjà bien engagé avec
une loi créant des fonds de dotation,
adoptée en 2008. Elle ouvrira la
porte des hôpitaux aux financements privés par le biais de « fondations hospitalières » créées dans
la loi HPST. Et les règles de fonctionnement de ces fondations
devraient être déterminées par
décret en Conseil d’État. Ce que le
gouvernement ne manquera pas de
faire. En catimini.
_Thierry Brun
Retrouvez le blog de Thierry Brun
sur www.politis.fr
L’un des personnages les plus en vue du parc Sarkoland, Nicolas Baverez,
a trouvé une formule désopilante: « L’EPR et la voiture électrique sont les deux
mamelles du développement durable.» Son maître à penser, un autre Nicolas, avait
déclaré quant à lui, dans l’une de ses saillies politiques majeures, que « la voiture,
symbole de la croissance d’hier, sera le vecteur de la croissance de demain». Quant à
Jean-Louis Borloo, plutôt discret par ces temps de relance anti-Grenelle, il a quand
même estimé le 30 mars dernier que « la crise actuelle est l’occasion de poser les
bases de la croissance verte». Ainsi, le développement durable, concept déjà un peu
fourre-tout, est-il en passe d’être détrôné par la croissance verte.
Personne n’en propose de définition, mais on peut supposer qu’il s’agitd’une
croissance (augmentation des quantités produites) compatible avec les exigences
écologiques les plus importantes: réduction forte du recours aux énergies fossiles et
à l’eau, préservation de la biodiversité, arrêt de l’artificialisation des sols, sauvetage
des mers et des espèces qui s’y trouvent, division par quatre à cinq des émissions de
gaz à effet de serre d’ici à 2050, etc.
Prenons alors l’exemple du climat. Pour ne pas aggraver un réchauffement
déjà irréversible, il faudrait réduire de 4 % par an les émissions globales de la
France d’ici à 2050. En cas de croissance du PIB de 2 % par an, cela veut dire une
réduction de 6 % par an par unité de produit, alors que depuis 2000 on atteint
péniblement le chiffre de 2 %. Réduire trois fois plus vite? Pas facile d’y croire.
Oui mais, nous disent les modernes, le salut par la croissance verte viendra des
nouvelles technologies, des services et surtout de la fameuse «économie de la
connaissance».
Ces gens-là n’ont assurément jamais mis le nez dans certaines connaissances
pourtant à leur portée: les bilans matières et les bilans carbone de ces activités. Un
ordinateur de bureau standard «pèse» 1,3 tonne de CO2 pour sa production et son
transport, et 1 500 litres d’eau. Dans un monde durable, les
On ne voit guère émissions par personne et par an ne devraient pas dépasser
1,7 tonne de CO2 (et 1,2 tonne en 2050, s’il y a 9 milliards
comment
d’humains). Un seul ordinateur, sans compter l’énergie
dépensée pour son fonctionnement, «bouffe» déjà les trois
la poursuite
quarts des «droits de tirage» annuels actuels par personne.
de la croissance Faut-il encourager la croissance indéfinie de leur production,
ou faire d’autres choix pour une informatique accessible,
pourrait être
produite et utilisée autrement, recyclable sans trop de
compatible avec ressources, à très longue durée de vie, ce qui est très mauvais
pour les chiffres de croissance?
les contraintes
de survie.
L’économie de la connaissance ? Ceux qui nous en
vantent les mérites, chercheurs habitués des colloques
internationaux, ont-ils seulement effectué un bilan carbone de leurs déplacements au
nom de la connaissance «hors-sol» ? L’ont-ils fait pour l’activité quotidienne d’un
campus avec ses milliers de déplacements induits? Ces services, comme d’autres,
fonctionnent aujourd’hui avec des déplacements massifs de personnes. Et les
économies où il y a le plus de services sont aussi celles dont les niveaux d’émissions
et de consommation de matières sont les plus élevés… À nouveau, est-ce leur
croissance perpétuelle en quantité qu’il faut viser ou l’amélioration de leur
organisation spatiale, de leur qualité, de leur capacité de réponse aux besoins de
tous? Faire croître de 2 % par an le volume des services d’enseignement et de santé?
Pendant une période, peut-être, mais, au-delà, cela voudrait dire qu’en 2050 on en
fournirait 2,2 fois plus, et 6 fois plus en 2100. Indépendamment du bilan écologique,
c’est stupide.
On ne voit guère comment, dans les pays riches en tout cas, la poursuite de la
croissance des quantités, quelle qu’en soit la nature, pourrait être compatible avec les
grandes contraintes collectives de survie. Verdir une production dont le volume
augmenterait sans cesse est une impasse, un chiffon rouge qu’agitent ceux qui, après
nous avoir plongés dans la crise, prétendent nous en sortir sans changer vraiment de
modèle de production ni de mode de vie, et sans s’en prendre aux inégalités.
30 avr il 2 0 09
I
POLITIS
I 7
POLITIQUE
ÉLECTIONS EUROPÉENNES. Le PS, qui a donné le coup d’envoi de sa campagne à Toulouse, s’échine à
repeindre en rose une social-démocratie européenne qui a renoncé à transformer le monde.
Mensonges et omissions
gauche toute ! Sous le patronage
de Jean Jaurès, dont on fête cette
année le cent-cinquantième anniversaire de la naissance, Martine
Aubry a donné, à Toulouse, le 24 avril,
le coup d’envoi de la campagne du Parti
socialiste pour les élections européennes.
« Il nous faut construire une Europe nouvelle, un peu moins sauvage », a lancé la
Première secrétaire du PS en reprenant les
termes du dernier article du député de Carmaux.
À gauche toute encore ! Les socialistes redescendent dans la rue. Pas question pour eux de regarder passer les défilés du 1er mai cette année, alors que les
syndicats, pour une fois unis, battront le
pavé d’un même pas. Depuis un mois,
les militants ont reçu leur ordre de mobilisation. Le PS veut « son » cortège. À Paris,
où celui-ci devrait être le plus important,
Martine Aubry défilera en compagnie de
Bertrand Delanoë et de… Ségolène Royal.
Laquelle avouait récemment ne pas se souvenir avoir jamais participé à une manifestation pour la Fête du travail. À en juger
par le tract national édité pour l’occasion,
il s’agit d’ailleurs moins d’une manifestation que d’une « marche » pour dire
« Sarkozy-Barroso stop ! »
« Les Français ne veulent plus de cette
Europe-là », ils rejettent « l’Europe de
la droite », assure Martine Aubry. Un discours rodé à Toulouse où, entourée du
gratin de la social-démocratie européenne,
À
Martine Aubry à Toulouse avec Poul Nyrup Rasmussen, président du PSE, Martin Schulz, président du groupe PSE,
Georges Papandreou, président de l’Internationale socialiste, et les têtes de liste d’une vingtaine de pays.. M. SOUDAIS
elle a assuré que le bilan actuel est celui de
la droite, de « ceux qui ont préféré l’économie derrière la finance, ceux qui ont
accepté la précarisation, ceux qui nous
ont fait croire que les services publics qui
étaient des protections gênaient l’initiative, ceux qui préfèrent l’autoritarisme
dans la société et l’atlantisme comme politique étrangère ». « C’est leur bilan, ce
n’est pas le nôtre », a-t-elle martelé.
Europe-décroissance entre en lice
L’aile politique des tenants de la décroissance veut faire entendre sa voix pendant la campagne pour
élections européennes.
erra-t-on un clip sur la décroissance
Vaux heures de grande écoute média-
tique, lors de la campagne pour les européennes? C’est probable: le Mouvement
des objecteurs de croissance (MOC) et le
Parti pour la décroissance (PPLD), les
deux groupes politiques de la mouvance
décroissante, ont décidé de faire cause
commune pour se lancer.
En décembre dernier, quatre militants
(Paul Ariès, Rémy Cardinale, Vincent
Cheynet et Vincent Liegey) lançaient un
appel pour la constitution de listes
«décroissance» aux prochaines
élections européennes. Signé par
1700 personnes, il justifiait la réunion à
8I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
Paris, samedi dernier, d’une soixantaine
de sympathisants pour mettre en
chantier une campagne intitulée
«Europe-décroissance» (1). « L’objectif
n’est pas d’obtenir des élus, répète
Christian Sunt (MOC) à ceux qui en
douteraient, mais de faire avancer nos
idées lors d’une campagne autogérée,
sobre et décentralisée.»
Un lancement à la bonne franquette qui
vire au bout d’une heure à l’assemblée
générale improvisée, entre l’explication
de texte sur le sens du terme
«décroissance», l’art d’être visible sans
moyens financiers (c’est sur Internet que
les électeurs potentiels seront invités à
imprimer leur bulletin de vote) et
l’exposé des obligations légales d’une
participation –une liste dans au moins
cinq des huit régions électorales. « Nous
devrions être présents dans toute la
métropole, assure Vincent Liegey, porteparole du PPLD. Il s’agira de mettre à
profit toutes les tribunes qui se
présenteront pour présenter des
réponses à la crise que personne d’autre
n’énoncera.» Un élan de campagne qui
pourrait être mis à profit par le MOC et le
PPLD pour lancer en commun un
nouveau mouvement politique.
_Patrick Piro
(1) www.europedecroissance.eu
Le contraste avec la vulgate professée par
la direction socialiste depuis son ralliement au traité constitutionnel européen
en 2004 est saisissant. « Quand nos engagements européens sont en cause, il n’y
a plus de clivages politiques qui demeurent », déclarait encore François Hollande,
le 21 octobre, sur RTL. Mais à six
semaines du scrutin, le clivage droitegauche ressurgit. Simple, tranché, il oppose
les tenants « d’une Europe nouvelle, un
peu moins sauvage », aux dirigeants de
« l’Europe actuelle », assure la patronne
du PS. Les socialistes et les sociaux-démocrates, qui « n’ont jamais été aussi unis »
pour mener ce combat, aux conservateurs
et aux libéraux ; les « partis frères » du
PS aux amis de Nicolas Sarkozy et de
l’UMP ; le Parti socialiste européen (PSE)
au Parti populaire européen (PPE)… Évolution sincère ou manœuvre électorale ?
Ce choc titanesque entre les deux plus
gros groupes du Parlement européen peut
« changer le cours de l’Europe en changeant la majorité au Parlement », garantit la maire de Lille en dramatisant l’enjeu. « Si le 7 juin la majorité reste la même,
prévient-elle, c’est la santé qu’il faudra
POLITIQUE
investie au Parlement européen par la
droite et le PSE. Six de ses membres, et
non des moindres, appartiennent à des
formations politiques issues du PSE. Viceprésident de la Commission, membre du
SPD allemand, Günter Verheugen est
chargé des entreprises et de l’industrie.
Vice-présidente également, membre du
SAP, le parti social-démocrate suédois,
Margot Wallström est chargée des institutions. Membre du Labour Party, Catherine Ashton, qui a succédé à un autre travailliste, Peter Mandelson, à la tête du
commerce international, représente l’UE
dans les négociations internationales,
notamment à l’OMC, où elle n’a de cesse
d’imposer le libre-échange en tous
domaines. Membre du PSOE espagnol,
Joaquim Almunia, commissaire chargé
des affaires économiques et monétaires,
traque avec une orthodoxie libérale inébranlable les déficits, défend le Pacte de
stabilité et l’indépendance de la banque
centrale. Membre du parti social-démocrate tchèque CSSD, Vladimir Spidla est
chargé de l’emploi et des affaires sociales ;
si son bilan social est inexistant, on lui doit
la directive sur le temps de travail – bloquée pour l’instant – qui portait à
65 heures la durée maximale autorisée.
Enfin, Laszlo Kovacs, membre du parti
social-démocrate hongrois MSZP, a en
charge la fiscalité et l’union douanière,
deux domaines où l’UE se distingue par
son inaction contre le dumping fiscal et
son impuissance douanière.
Seuls des électeurs mal informés peuvent
croire que le bilan de l’Europe actuelle est
uniquement « celui de la droite ». Difficile aussi d’avaler l’idée que les socialistes
européens ne repousseraient pas l’âge de
la retraite quand, au gouvernement, la
plupart d’entre eux l’ont déjà porté audelà de ce que François Fillon et Nicolas
Sarkozy ont pu faire.
Enfin, il est pour le moins erroné de
prétendre que l’atlantisme serait l’apanage de la droite européenne. Le 26 mars
dernier, le PSE, dont les socialistes français, mais aussi les Verts ont voté avec la
droite une résolution qui prône un rapprochement systématique de l’UE et des
États-Unis dans de nombreux secteurs,
dont la politique étrangère et la défense.
Cette résolution non seulement « souligne
l’importance de l’Otan en tant que pierre
angulaire de la sécurité transatlantique »,
mais appelle aussi à accélérer la réalisation d’un « marché transatlantique unifié
d’ici à 2015 ». Un projet soigneusement
caché aux électeurs, initié pourtant en
2006 avec le rapport d’Erika Mann, une
eurodéputée SPD.
_Michel Soudais
Retrouvez le blog de Michel Soudais
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PARLEMENT EUROPÉEN Le démantèlement des
services publics et les déréglementations se poursuivent.
Une folle semaine
FLORIN/AFP
payer ou alors ne pas se faire soigner ; c’est
l’âge de la retraite qu’il faudra toujours
repousser ; c’est la Sécurité sociale dont
on se demande si elle ne coûte pas trop
chère ; c’est les emplois qui seront fragilisés… »
Les campagnes électorales s’accommodent mal d’une pensée nuancée. Et
Martine Aubry n’y fait pas exception.
À Toulouse, elle a multiplié les petits mensonges et les grandes omissions pour
repeindre en rose une social-démocratie
européenne qui a depuis longtemps
renoncé à transformer le monde.
S’il est vrai que le
Au Parlement
Parti populaire
européen, quatre
européen (PPE)
forme le premier
textes sur cinq
groupe au Parlesont votés en
ment européen, s’il
commun par le
est non moins exact
PSE et la droite.
que le président de
la Commission
européenne, le très
libéral et conservateur José Manuel Barroso, appartient à
cette famille politique, le bilan de l’Europe
actuelle est celui d’une cogestion entre
les deux principaux partis européens avec
l’appui des Libéraux démocrates européens (ELDR), le troisième groupe à Strasbourg, au sein duquel siègent les élus du
MoDem.
Cogestion au Parlement européen où,
faute d’avoir la majorité à lui seul, le PPE
a besoin de l’appoint du PSE. Selon des
estimations sérieuses, quatre textes sur
cinq y sont votés en commun par le PSE
et la droite. C’est ainsi que toutes les directives de libéralisation ont été adoptées avec
l’appui total ou partiel du PSE. Rail, poste,
électricité, gaz… La liste est longue. Et
cette convergence de vue, justifiée au nom
de la nécessaire recherche de compromis,
se poursuit (voir p. 9). Elle n’est d’ailleurs
pas l’apanage des seuls travaillistes, comme
voudrait le faire croire un préjugé très
répandu. Incontournable spécialiste des
transports au PS, l’eurodéputé Gilles
Savary s’excusait ainsi, le 22 avril, dans
l’hémicycle strasbourgeois, de ne pouvoir
totalement supprimer tous les obstacles à
la libre prestation de services dans le transport routier : « Oui, nous voulons le marché intérieur, mais l’opinion publique et
les chefs d’entreprise ne comprennent pas
que le marché intérieur soit parfois l’obligation du suicide pour certains d’entre
eux, de la régression économique ou du
chômage. »
Cogestion au sein de la Commission aussi.
Cible principale de la campagne électorale du PS, José Manuel Barroso a reçu
le soutien des chefs de gouvernement,
socialistes et travailliste, espagnol, portugais et britannique pour un second mandat. En 2004, sa Commission avait été
six semaines des élections européennes, le Parlement européen
continue de démanteler les services publics, de déréglementer
des secteurs économiques et d’en offrir de
nouveaux à l’appétit du marché. Si les
eurodéputés ont décidé, la semaine dernière, lors de l’avant-dernière session de
la mandature, de limiter le prix des SMS
au sein de l’UE, ils ont aussi pris des décisions moins populaires, que les grands
médias préfèrent taire.
Le Parlement européen a ainsi parachevé la libéralisation du marché européen de l’énergie en adoptant le « 3e paquet
énergie » constitué de deux directives et
trois règlements qui devront être transposés d’ici un an dans tous les pays membres. Cet ensemble vise à durcir encore
l’application des règles de la sacro-sainte
concurrence avec deux éléments clés : la
fin programmée des derniers tarifs réglementés fixés par les gouvernements pour
protéger les consommateurs, et la « séparation patrimoniale » qui fait obligation
aux sociétés historiques de service public
de se séparer des réseaux de distribution
qu’elles ont bâtis, ou d’en assurer une
stricte indépendance, par filialisation ou
location. Cette disposition, qui démantèle
EDF, a été votée par la quasi-totalité des
députés européens du PSE, Français compris. Il est vrai, le rapporteur de la directive sur l’électricité était une travailliste
britannique.
Jeudi, les eurodéputés assouplissaient
le droit du travail des chauffeurs d’autocars : à compter de janvier 2010, ils pourront travailler douze jours d’affilée lors de
voyages à l’international, contre 6 jours
aujourd’hui. Dans la foulée, le Parlement
décidait d’autoriser les poids lourds qui
effectuent une livraison internationale à
À
effectuer trois opérations de transports
supplémentaires entre des villes européennes en sept jours avant de rentrer.
Ce « cabotage », qui fait craindre la généralisation du dumping social dans un secteur déjà sinistré –581 entreprises de transport ont déposé le bilan au premier
trimestre –, a reçu l’aval du groupe PSE.
Un camion en provenance d’un pays à très
bas salaires pour livrer sa marchandise
au Havre pourra donc à loisir prendre
un nouveau chargement pour Grenoble,
de là un autre pour Rungis, puis Montpellier, et concurrencer ainsi des transporteurs nationaux aux salaires plus élevés. Le même jour, les députés examinaient
une directive sur les « droits des patients
en matière de soins transfrontaliers ». Si
l’idée de faciliter les soins de santé à l’étranger, notamment grâce à un remboursement adéquat, est séduisante, le groupe
GUE/NGL demandait toutefois que cette
directive se base sur l’article 152 du traité
instituant la Communauté européenne,
relatif aux coopérations en matière de
santé, et non sur l’article 95, qui n’organise « l’harmonisation du marché intérieur » que sous l’angle des intérêts économiques.
« La notion de marché unique de la
santé est aux antipodes d’une conception de service public », détaillait Francis Wurtz, pour qui il s’agit du « retour
subreptice de l’esprit de la directive Bolkestein dans un secteur qui avait été retiré
du champ d’application de ladite directive à la suite des mobilisations sociales et
du vote du Parlement ». En s’abstenant
sur la demande du groupe de gauche, le
groupe PSE a néanmoins permis ce retour.
Et indirectement approuvé le fait que les
intérêts économiques sont plus importants
que les intérêts des patients.
_M. S.
30 avr il 2 0 09
I
POLITIS
I 9
SOCIÉTÉ
SÉCURITAIRE Élaborée par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur, l’utilisation des policiers
réservistes se met en marche. Pour faire des économies. Et préparer une politique encore plus répressive ?
La police nous sert ses vieux poulets
’information circule sur des
sites militants : tous les réservistes de la police nationale
auraient reçu l’ordre de réintégrer leurs postes avant le 20 juin.
Pour preuve, un mail signé de la Mission nationale pour la réserve civile
(Minatrec) mentionnant « un plan de
rappel » et des affectations de
« manière opérationnelle ». Or, cette
réserve, dite statutaire et assurément
obligatoire, ne peut « faire l’objet d’un
rappel au service qu’en cas de menaces
ou de troubles graves à l’ordre
public », selon la Loi pour la sécurité intérieure. Guère rassurant, mais
pas tout à fait exact. Car si cette information a débusqué un lièvre – à savoir
la création d’une telle réserve et plus
généralement l’utilisation de policiers
retraités –, l’animal n’est pas encore
armé jusqu’aux dents.
« Il ne s’agit en aucun cas d’un plan
de rappel mais d’une étape dans la
mise en place de la loi du 18 mars
2003, d’un recensement effectué par
les services de police territoriaux »,
assure-t-on à la Direction générale de
la police nationale (DGPN). Quid
alors des « premières affectations opérationnelles en cours... » que signale
un document officiel et interne de la
Minatrec, intitulé « La mise en ordre
de marche de la réserve statutaire » et
publié le 31 mars dernier ? « Depuis
L
« L’utilisation accrue de réservistes fait partie d’une gestion moderne et
efficiente de la ressource humaine », estime la DGPN. FURLONG/GETTY IMAGES/AFP
2005, chaque nouveau retraité reçoit
une affectation de réserve statutaire,
explique François Dalbignat, trésorier de l’union fédérale des retraités
CGT de la police nationale. Cette
année, des contrôles sont effectués
afin de vérifier, voire de réaffecter chacun au plus près de son domicile. »
Par ailleurs, un réel rappel à titre individuel ou collectif ne peut être fait,
précise le décret du 31 décembre 2003,
que « par arrêté du ministre chargé
de la Sécurité intérieure ». Et de tel
arrêté, il n’y a point.
Cette histoire de réserves n’en est pas
pour autant innocente. Premier
indice : les réserves statutaires (obligatoires), contractuelles (volontaires)
et bénévoles ont été élaborées par
Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Elles répondent parfaitement
à ses deux « dadas ». D’un côté, rogner
Restaurer l’image de la restauration
Face à la crise, les patrons de restaurants revoient leurs prix à la baisse pour faire revenir une clientèle
devenue volage. Générosité soudaine ou stratégie de communication ?
E
ffet de manches ou effet de crise ?
L’un n’empêche pas l’autre. Depuis le
début de l’année, quelques restaurants
ont affiché à leur carte un «menu crise»,
ou plutôt un menu anticrise. La tendance
parcourt l’Hexagone. De Rouen à Perpignan, de Saint-Malo à Strasbourg.
Compter entre quatre et sept euros pour
une entrée et un plat, ou bien un plat et
un dessert. Des menus plutôt proposés
en semaine, et au déjeuner. C’est ici le
triomphe de l’œuf mayo, de la carotte râpée, du rôti de porc et de la crêpe Suzette. Et une manière de faire revenir une
clientèle (réfugiée du côté de la restauration rapide). On cuisine des produits
modestes, on réduit ses marges.
10 I
POLITIS
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Forcément, c’est intéressant pour le
consommateur. Qui, tout de même, peut
se poser deux questions : pourquoi
n’avoir pas proposé ces prix auparavant?
Et qu’en sera-t-il après la crise ? À vrai
dire, ces opérations relèvent de la com
et répondent moins au budget défaillant
des consommateurs qu’à celui d’une profession qui (après avoir abusé du passage à l’euro) périclite. Selon le Syndicat
des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et
traiteurs (Synhorcat), au premier trimestre 2009, la diminution du chiffre
d’affaires atteindrait entre 20 et 30% en
région, et 10 % à Paris. Addition salée qui
s’ajoute aux 6 500 fermetures d’établissement en 2008.
Si le ticket moyen chute, c’est surtout
la restauration traditionnelle qui trinque.
Il est temps pour elle de se remettre en
question, de repenser la table et l’assiette. C’est dans ce contexte délicat que
se sont ouverts les États généraux de la
restauration le 28 avril. Avec, en perspective, dès le 1er juillet, la baisse de la
TVA, de 19,6 % à 5,5 %, alignée ainsi sur
la restauration rapide. Un serpent de mer
pour le secteur. Lequel s’est engagé, en
contrepartie, sur une baisse des prix, une
réévaluation des salaires et des créations
d’emploi. Parions que cette baisse de la
TVA ne servira qu’à remplir les caisses
des restaurateurs. Ni plus ni moins.
_Jean-Claude Renard
sur les budgets des services publics ;
de l’autre, préparer la répression plutôt que la prévention. Décidée en
2003, la réserve contractuelle, qui permet d’embaucher ponctuellement des
réservistes, a été mise en place l’année
suivante. Dans une note de service de
2008, la DGPN indique qu’il faut
« accompagner la montée en puissance de ce dispositif ». Elle rappelle
notamment que la durée maximale
et annuelle d’emploi est passée de 90
jours à 150 pour le national. Et que
« l’utilisation
accrue de réservistes volontaires
« Que les
fait partie intéretraités soient
à la retraite, avec grante d’une gesune bonne pension, tion moderne et
et que des jeunes efficiente de la
ressource
soient
humaine »... Traembauchés »,
duction, proposée
réclame la CGT.
par l’Unsa Police :
« On fait des économies en termes
d’emplois. » Des économies qui coûtent cher. Le budget global est passé
de 9 à 10 millions entre 2008 et 2009.
Il pourrait encore augmenter. Ne
serait-ce que pour financer les « délégués de cohésion police-population »,
issus du plan « Espoir banlieue » et
d’abord expérimentés en Seine-SaintDenis, qui vont être recrutés parmi
les réservistes.
« Que les retraités soient à la retraite,
avec une bonne pension, et que des
jeunes soient embauchés », réclame
Michel Gastaldi, secrétaire général de
la CGT Police. Un tel bon sens n’est
pas goûté par tous. Après la réserve
contractuelle, c’est maintenant au tour
de la statutaire de devenir potentiellement utilisable d’ici à juin. « Pour
avoir un outil efficace, si jamais… »,
explique la DGPN. Si jamais quoi ?
C’est bien là où le bât blesse. « Entre
la situation de crise, la politique de nonrecrutement, les effectifs qu’on laissent
filer, commente un syndicaliste, bref,
entre ce qui reste de la police et ce qu’on
attend comme troubles, on voit bien
où se situe le problème. » Pendant que
les jeunes des commissariats feraient
la police dans la rue, les réservistes
pourraient prendre le relais, eux qui
ne peuvent assurer ni mission de l’ordre
ni contrôle d’identité.
_Marion Dumand
ÉCOLOGIE
CLIMAT La croissance des marchés de droits à émettre du CO2 pourrait à terme provoquer l’explosion de la plus
grosse bulle financière jamais créée, affirment les Amis de la Terre aux États-Unis.
Une crise des subprimes carbone ?
a bouge désormais furieusement aux États-Unis sur le
front du dérèglement climatique, après huit ans de déni
de l’administration Bush. Un projet
de loi est en discussion pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre du
pays de 20 % d’ici à 2020 par rapport
à 2005. Et l’Agence de protection de
l’environnement vient d’accroître la
pression en les décrétant « danger pour
la santé publique ».
Une large majorité du Congrès restant
viscéralement opposée à toute réglementation contraignante (taxe « carbone », etc.), le débat fait donc rage
autour du choix de mécanismes de
marché. À l’étude : une bourse
d’échange de permis d’émission de
CO2 (le principal des gaz à effet de
serre), qui pourrait démarrer en 2012.
Deux modèles fonctionnent actuellement. Dans l’Union européenne
d’abord, où depuis 2005 les États
membres tentent de limiter les émissions de CO2 de leurs plus gros industriels (cimenteries, sidérurgie, etc.) en
leur allouant des « quotas ». Qu’ils
peuvent soit « consommer » (1 quota
correspond à 1 tonne de CO2), soit
vendre, via une bourse spécialisée, à
d’autres industriels. Les entreprises
peuvent ainsi opter pour le moyen le
moins coûteux de remplir leurs obligations – réduire leurs émissions (par
des investissements, par exemple) ou
acheter des quotas sur le marché.
Autre mécanisme de marché, celui des
« crédits carbone » issus du Protocole
de Kyoto. Les États industrialisés qui
Ç
En 2008, il s’est échangé dans l’Union pour 25 milliards d’euros de quotas
d’émissions. C’est peu pour le moment, mais ce marché croît. MORIN/PLATT/AFP
l’ont ratifié peuvent s’acquitter de leurs
engagements par une compensation
similaire : plutôt que de s’astreindre
à des réductions d’émissions domestiques, ils peuvent financer des projets les induisant dans un pays du Sud.
C’est le « Mécanisme de développement propre » (MDP), qui génère des
« crédits carbone » au bénéfice de l’investisseur (un par tonne de CO2 évitée). Ils sont validés par le bureau exécutif de la Convention climat des
Nations unies, à condition que le projet présente, entre autres, une « additionnalité » – à savoir que l’investissement permettra une réduction qui
n’aurait pas été acquise à défaut.
Supprimer les crédits MDP
Le marché européen de quotas de CO2 est
loin d’avoir rempli ses promesses. Ainsi,
lors de la première période (2005-2007),
plusieurs États avaient «triché» en
allouant trop de quotas à leurs
entreprises, faussant le marché. La valeur
du quota était tombée à un euro alors que
le mécanisme l’avait prévue aux alentours
de 20euros afin d’induire des réductions
d’émissions significatives. Il faudra
attendre fin 2012 pour juger de l’efficacité
des correctifs apportés depuis par la
Commission européenne.
Les crédits MDP concentrent des
12 I
POLITIS
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critiques plus sévères encore. Les
Nations unies elles-mêmes reconnaissent
que la vérification des critères imposés
(additionnalité, entre autres) manque de
fiabilité. Les Amis de la terre, constatant
que les marchés financiers n’ont toujours
pas corrigé les graves failles
d’encadrement et de transparence qui ont
mené à la crise des subprimes, vont
jusqu’à juger irresponsable de miser sur
de tels mécanismes de marché pour
juguler la dérive climatique, et réclament
l’interdiction pure et simple des crédits
_P. P.
MDP.
Les entreprises européennes soumises
à quotas peuvent couvrir une partie
de leurs obligations (jusqu’à 20 %
dans certains pays) avec ces « crédits MDP ». Ainsi, un cimentier belge
pourra en acquérir à hauteur du
nombre de tonnes de CO2 évitées par
un parc éolien qu’il financera en Indonésie, alors qu’une centrale au charbon y était projetée.
Mais l’entreprise pourrait être n’importe quel investisseur non soumis à
une obligation de réduction d’émissions, désireux de faire commerce de
ses crédits : c’est le début d’un marché dit « dérivé », car non immédiatement lié à la finalité de ces « droits
d’émission de CO2 ».
Toute une ingénierie financière peut
alors se développer, spéculant sur la
valeur à terme de la tonne de carbone
– cotée sur le marché comme le
pétrole, le blé, etc. Ainsi, l’investisseur
en éoliennes indonésiennes, soucieux
de rentabilité immédiate, peut décider de vendre ses crédits avant leur
validation (qui peut prendre deux à
trois ans), en les mettant sur le marché « à terme » sous forme de « promesses », à un tarif attrayant. Ces titres
peuvent ainsi changer de main des
dizaines de fois avant d’être acquis
in fine par une entreprise soumise à
une obligation de réduction d’émissions – une tonne de pétrole est en
moyenne revendue 200 fois, au sein
de produits financiers divers par exemple, avant d’être effectivement livrée.
Supposons alors que la Convention
climat n’octroie finalement pour les
éoliennes indonésiennes que la moitié des crédits allégués par la « promesse » initiale. Ou pire encore : qu’ils
aient été fondés sur la plantation d’une
forêt (qui fixe le CO2) subitement partie en fumée par accident… Les crédits en circulation deviennent alors
du « junk carbon », titres
« pourris » dont
Les crédits
la valeur subiteen circulation
peuvent devenir du ment effondrée
peut déclencher
« junk carbon »,
des titres pourris des crises financières, comme
susceptibles
celle des « subde déclencher
primes » immodes crises.
bilières. C’est la
menace qu’illustre un rapport que
viennent de publier les Amis de la
terre-États-Unis (1).
Les risques de « bulle carbone » explosive restent cependant limités pour
l’instant : en 2008, il s’est échangé
dans l’Union pour 25 milliards d’euros de quotas d’émissions (aujourd’hui
le principal marché de carbone), soit
autant qu’en actions lors d’une petite
journée à la Bourse de New York.
Mais jusqu’à quand ? La Mission climat de la Caisse des dépôts relevait
fin 2007 (2) que « le nombre de fonds
avec un objectif de plus-value financière a crû davantage que ceux visant
à fournir des crédits CO2 pour la
conformité des acteurs » – c’est-à-dire
la couverture des obligations de réduction d’entreprises ou d’États.
Un analyste cité par les Amis de la
terre, évaluant l’impact de l’irruption
programmée des États-Unis sur ces
marchés, estime que la finance carbone pourrait déjà constituer, dans
quatre ans, le plus gros de tous les marchés dérivés.
_Patrick Piro
(1) Voir www.foe.org, « subprime carbon ? »
(2) www.caissedesdepots.fr/spip.php?article650,
note d’étude n° 12.
À lire sur ce sujet : le Climat otage de la finance,
Aurélien Bernier, éd. Mille et Une Nuits, 2008.
Retrouvez le blog de Patrick Piro
sur www.politis.fr
ÉCOLOGIE
CHANGER D’ÈRE
PAUL ARIÈS
Coorganisateur du contre-Grenelle
et directeur de Sarkophage.
Contre
le « capitalisme vert »
La loi Grenelle 1 même pas encore adoptée, Tsarkozy veut enfoncer le clou
MULLER/AFP
OGM À l’approche d’échéances européennes importantes, la
mobilisation se renforce contre les plantes transgéniques.
Les batailles de l’été
lus de cent plantes transgéniques sont en attente d’autorisation sur le sol européen.
Malgré les moratoires récemment décrétés par le Luxembourg et
l’Allemagne sur les cultures en plein
champ du maïs Mon810 de Monsanto, rien n’est gagné.
Après la campagne Stop-OGM de
2007-2008 et le lancement de
Semons la biodiversité en octobre 2008 (1), 200 militants d’organisations paysannes, environnementales et citoyennes se sont
rassemblés les 18 et 19 avril à Toulouse lors d’états généraux, pour
signifier qu’ils ne baisseront pas la
garde face au péril transgénique.
Le calendrier européen va donner le
la. Le 25 juin, lors du conseil des ministres de l’Environnement, deux maïs
transgéniques pourraient être autorisés à la culture : le BT11 de Syngenta
et le TC1507 de Pioneer, tolérant à
l’herbicide « glufosinate ». « Pour le
moins paradoxal !, commente Michel
Dupont, de la Confédération paysanne. En janvier, l’Union a placé le
glufosinate sur une liste d’une vingtaine de pesticides à retirer progressivement du marché (2). »
Au sujet du Mon810, l’Agence européenne de sécurité des aliments doit
émettre un nouvel avis le 13 juillet
2009. Il a déjà été suspendu par six
P
pays (3) et il n’est pas sûr que son
autorisation soit renouvelée. Mais
le front est mouvant : désormais, les
militants redoutent aussi l’avènement des plantes « mutées », dont
on a forcé l’évolution du génome (par
irradiation, par exemple). Elles sont
exclues du champ d’application de
la directive 2001-18 sur les OGM ;
et du tournesol et du soja mutés, en
cours d’homologation, pourraient
ainsi être inscrits au catalogue des
semences sans obligation d’information des consommateurs.
La « tolérance zéro », principe européen selon lequel aucun OGM non
autorisé par l’Union ne saurait être
présent dans les produits importés,
est aussi menacée. « Un lobby très
puissant critique les délais d’autorisation trop longs, rapporte Hélène
Gassie, des Amis de la Terre, et pousse
à l’adoption d’une tolérance de
0,1 %. » La porte serait alors ouverte
à une augmentation progressive et
subreptice de la présence d’OGM dans
l’alimentation animale et humaine.
_Sophie Chapelle
(1) www.semonslabiodiversite.org
(2) Pétition sur www.gmo-free-regions.org puis stopthe-crop-action
(3) Voir Politis n° 1049.
Le 16 mai à Sète, port où débarquent chaque jour des
cargaisons de soja pour l’alimentation du bétail
français, est organisée une journée d’information et
d’actions sur les importations d’OGM.
avec Grenelle 2. Les gauches, les milieux écologistes, les antiproductivistes et les
objecteurs de croissance sous-estiment encore la gravité de ces mauvais coups. Non,
les Grenelle 1 et 2 ne sont pas seulement des « mascarades vertes» mais expriment la
volonté d’adapter la planète et les humains aux besoins du productivisme, que ce
dernier soit bleu, rose, rouge ou vert. Ses partisans se sentent désormais
suffisamment forts pour montrer leur vrai visage: celui d’un «capitalisme vert».
On n’a jamais autant entendu autant parler de «croissance propre», « verte» et
d’« écocroissance» depuis que Borloo Ier a manœuvré l’opinion publique. Le
«développement durable» qui est à l’ordre du jour n’est même plus celui du gentil
Hulot et des ONG complices ou dupées («polluer moins pour pouvoir polluer plus
longtemps»), mais celui d’une alliance historique entre les milieux d’affaires, les
techno-scientistes et la droite. Ce «capitalisme vert» marque le retour de la foi béate
dans la techno-science en faisant oublier au passage des catastrophes
technologiques comme Bhopal, Tchernobyl ou l’amiante. Puisque les problèmes
seraient de nature technique, les solutions seraient aussi techniques: manipulation
du climat, développement des puits de carbone, pollinisateurs artificiels, nanorobots,
aliments ionisés, etc. Tout est prêt: les capitaux, les fantasmes (culte de la toutepuissance, d’un monde sans limites), les connaissances scientifiques, notamment
avec la «révolution NBIC». Ses chantres ne cessent de le clamer: il faudrait passer
« d’une écologie dénonciatrice et culpabilisatrice à une écologie réparatrice»
(Allègre), « un peu de croissance pollue, beaucoup dépollue» (Parisot).
Tout sera fait plutôt que de renoncer à la domination des uns sur les autres et
de tous sur la planète. Tout, y compris avancer vers un véritable démontage de
l’espèce. Certains fantasment déjà sur le passage des OGM aux humains
génétiquement modifiés (HGM), tandis que se prépare le tri des embryons humains.
D’autres, comme Attali, rêvent d’aller vers des transhumains.
Tout sera fait
Tout sera fait plutôt que de remettre en cause les logiques et
les acteurs économiques. Le capitalisme vert a déjà
plutôt que de
remporté une solide victoire: les firmes, un temps montrées
du doigt, deviendraient les meilleurs agents de l’écologie en
renoncer à la
reléguant les militants aux oubliettes. Ce «capitalisme vert»
domination
repose ainsi sur la fusion de l’écologie et de l’économie
capitaliste: ses solutions consistent à marchandiser la
des uns sur les
pollution et à avancer vers une monnaie carbone.
autres et de tous
sur la planète.
Les deux années passées depuis le premier contre-
Grenelle prouvent que nous avions raison. Le Grenelle était
bien sarko-compatible, mais le sarkozysme ne sera jamais
écolo-compatible. Le journal la Tribune le dit avec
délectation: « Le vert vaut de l’or. Green is business», avant
d’ajouter: « un Grenelle juteux pour les entreprises». Le
nouveau contre-Grenelle que nous organisons (1) entend
donc aller encore plus loin dans la dénonciation du «capitalisme vert» et dans les
alternatives. À l’initiative du journal la Décroissance, il sera l’un des grands rendezvous unitaires d’avant les européennes, puisque le Front de gauche, le NPA, des
écologistes, des objecteurs de croissance, des membres d’Utopia, des élus, des
syndicalistes et des militants associatifs engageront le débat pour dire trois fois
«non» : non au bradage de l’écologie politique sous couvert d’une ouverture aux
écologistes de marché; non aux capitulards du développement durable, même
maquillés en défenseurs d’une nouvelle régulation capitaliste; non aux tartufes de
l’écologie médiatique qui pillent le vocabulaire de la décroissance et de
l’antiproductivisme sans jamais parler une seule fois d’anticapitalisme. Nous serons
aussi à Lyon pour dire trois fois «oui». Oui à un autre partage du gâteau : la première
des décroissances doit être celle des inégalités; oui à un vrai débat démocratique
dans la clarté : on ne changera pas le monde dans la confusion idéologique et avec les
transnationales comme partenaires; oui à une autre Europe démocratique où chaque
pays soit capable de relocaliser ses activités économiques.
(1) Samedi 2 mai, 9 h-18 h, salle Victor-Hugo, 33, rue Bossuet, 69006 Lyon. Inscriptions : www.contre-grenelle.org
30 avr il 2 0 09
I
POLITIS
I 13
MONDE
SRI LANKA Alors que l’armée sri-lankaise tente de porter le coup de grâce à la guérilla tamoule au nord-est
du pays, la population civile paie un lourd tribut à son rêve d’indépendance.
La tragédie des Tamouls
cculés dans un réduit de quelques
kilomètres carrés, autour de Chalai et de Kilinocchi, au nord-est
de l’île de Sri Lanka, les Tigres
tamouls livrent peut-être leur dernier combat contre l’armée sri-lankaise. Sous la
pression internationale, le gouvernement
de Colombo a certes annoncé lundi qu’il
ralentirait ses offensives militaires, qui
ont fait 6 500 victimes depuis le mois de
janvier, selon un chiffre de l’ONU, mais
on est loin du cessez-le-feu demandé par
les capitales occidentales.
Le gouvernement a tout juste ordonné
à ses forces armées de « cesser d’avoir
recours aux armes de gros calibre, avions
de combat et bombardements aériens »
dans leurs opérations contre les Tigres
A
tamouls, mouvement séparatiste en conflit
armé depuis trente-sept ans. Les opérations militaires n’avaient pourtant pas
cessé lundi en début de soirée. La guérilla tamoule était toujours acculée sur une
bande côtière de 10 km2 au nord-est du
pays avec quelque 50 000 civils pris au
piège. Selon les autorités, 15 000 de ces
civils serviraient de bouclier humain. Mais
on sait que ce discours est au centre de
la communication gouvernementale, qui
tente ainsi de se disculper des nombreuses
victimes civiles causées par son offensive. D’après le porte-parole des Tigres,
Seevaratnam Puleethevan, les insurgés
et les civils essuyaient toujours des attaques
aériennes à l’arme lourde. Le cessez-lefeu proclamé dimanche par les Tigres
tamouls était donc caduc. Selon les mots
mêmes du secrétaire à la Défense sri-lankais, Gotabhaya Rajapakse, frère cadet
du président, Mahinda Rajapakse, le gouvernement a interprété ce cessez-lefeu comme « une
Face à
blague ».
l’intransigeance
des autorités, les Au cours du weekend, la violence des
Tigres ont répété
leur détermination combats a fini par
attirer l’attention de
à poursuivre la
la communauté
lutte armée.
internationale. Le
responsable des affaires humanitaires aux
Nations unies, John Holmes, est arrivé
lundi à Colombo. Il s’est entretenu avec
le président Rajapakse. À l’issue de cette
Des civils tamouls s’enfuyant après un bombardement par l’aviation sri-lankaise. HO/AFP
14 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
entrevue, il a réclamé une « pause humanitaire pour faire entrer les travailleurs
humanitaires dans la zone de conflit ».
Mais la zone des combats demeurait lundi
totalement inaccessible aux ONG. John
Holmes n’a pas obtenu le feu vert de son
interlocuteur pour l’envoi d’une équipe
humanitaire de l’ONU, comme l’avait souhaité Ban Ki-moon, secrétaire général de
l’organisation, dont il était l’émissaire.
Les ministres des Affaires étrangères français et britannique, Bernard Kouchner
et David Miliband, probablement accompagnés de leur homologue suédois, Carl
Bildt, devaient se rendre sur l’île mercredi.
Le chef de la diplomatie française « vérifiera la mise place de l’hôpital de campagne
qui devait être opérationnel à compter
MONDE
de lundi », selon le secrétaire d’État aux gouvernement indien, qui ne s’est jamais
Affaires européennes, Bruno Le Maire. engagé dans le soutien à un état tamoul
La France avait en effet annoncé samedi au Sri Lanka.
l’envoi d’une unité d’intervention sani- C’est à partir de 1983 que la confrontaire de 71 personnes, équipée de 30 tonnes tation entre le LTTE et l’armée sri-lankaise
de matériel, de lits d’hospitalisation et défendant la majorité cinghalaise a véritablement tourné à la guerre civile. La
de blocs opératoires.
Mais, lundi soir, l’impasse semblait totale. situation a été rendue plus complexe
Face à l’intransigeance des autorités, qui encore par la terrible répression qui a
exigeaient la reddition complète et sans frappé à partir de 1987 une insurrection
condition des insurgés, les Tigres ont répété d’extrême gauche, dans la partie sud de
leur détermination à poursuivre la lutte l’île. On a estimé à 20 000 le nombre des
armée. Le gouvernement sri-lankais avait victimes de ce soulèvement, qui n’était pas
lié à la question tamoule. En
lancé l’assaut en janvier der2002, le Front national uni
nier, espérant porter un coup
(parti libéral), au pouvoir à
fatal à l’organisation séparaColombo, propose au LTTE un
tiste. 6 500 morts et 14 000 de Cinghalais
cessez-le-feu. Celui-ci est resblessés plus tard, la résistance bouddhistes,
pecté pendant deux ans. Au
tamoule n’a toujours pas cédé. environ 18 % de
cours de cette période, la docMais, le 20 avril, les populaTamouls (à
trine des Tigres évolue d’une
tions civiles ont entamé un
majorité
revendication séparatiste vers
exode pour fuir les combats.
hindouiste),
une solution d’autonomie dans
Plus de 100 000 personnes,
et 7 % de
un cadre fédéral.
selon l’ONU, ont réussi à quitmusulmans
Mais, en novembre 2005, la
ter le nord-est du pays,
de langue
victoire électorale de l’actuel
aujourd’hui dévasté.
tamoule.
Dans cette région du monde
président, Mahinda Rajapakse,
comme dans beaucoup d’auhostile aux négociations, sonne
tres, on comprend difficilement l’actua- le glas de l’hypothèse fédérale. Ironie du
lité si l’on ne remonte pas à la période sort, ce sont sans doute les Tigres tamouls
coloniale. Longtemps soutenues et pri- qui ont contribué à porter au pouvoir leur
vilégiées par le colonisateur britannique, futur bourreau en appelant à boycotter
les élites tamoules hindouistes ont, au un scrutin qui a été extrêmement serré.
moment de l’indépendance, en 1948, payé L’assassinat du ministre des Affaires étranle prix de cette collaboration. D’autant gères sri-lankais, sans doute par le LTTE,
plus qu’avec 18 % de la population les a fini de radicaliser la population cinTamouls se sont trouvés dans la posi- ghalaise contre les Tamouls. Parallèletion d’une minorité dominée par la majo- ment, l’isolement international des Tigres,
rité cinghalaise bouddhiste. À la suite aggravé par plusieurs défections dans les
de pogroms dont ils ont été les victimes rangs de ses dirigeants, a affaibli le moupeu après l’indépendance, les Tamouls vement. Mais c’est peut-être finalement
ont pris les armes et créé en 1976 une le tsunami de décembre 2004 qui aura
armée de guérilla. Mais les Tigres de libé- porté le coup de grâce à tout espoir d’isration de l’Eelam tamoul (LTTE), d’abord sue pacifique à cet interminable conflit.
auréolés du prestige de la résistance, ont Le raz-de-marée a causé la mort de plus
eu tôt fait d’exercer sur la population civile de 38 000 personnes. La bataille pour l’apun pouvoir autoritaire sans partage. Leur propriation de l’aide internationale a
organisation militaire est devenue d’au- ensuite déchiré un peu plus le fragile tissu
tant plus redoutable qu’elle disposait d’une petite nation qui n’est jamais pard’une sorte de sanctuaire dans l’état du venue à réaliser son unité après la période
Tamil Nadu, situé au sud-est de l’Inde. coloniale.
Cela, malgré la position ambiguë du
Alain Lormon
SOLIDARITÉ Les Tamouls de France se sont mobilisés
pour sensibiliser la communauté internationale.
« Sauvez-nous ! »
69%
Conflit du Proche-Orient
Quelles perspectives stratégiques ?
Quel rôle pour les opinions publiques ?
Jeudi 7mai, à 18h30, à l’Espace Kiron*, à Paris
Conférence-débat autour de Pascal Boniface, directeur de l’Iris,
à l’occasion de la réactualisation de Vers la 4e guerre mondiale?
(Armand Colin) et de Denis Sieffert, directeur de Politis, à l’occasion
de la parution de la Nouvelle Guerre médiatique israélienne (La Découverte).
Inscription obligatoire dans la limite des places disponibles : [email protected] ou 01 53 27 60 80.
* Espace Kiron, 10, rue de la Vaquerie, 75011 Paris.
Manifestation de Tamouls à Paris le 20 avril. SAGET/AFP
ous une pluie battante, lundi, ils
avaient établi un campement de
fortune place de la République en
plein cœur de Paris. Après plusieurs soirées passées place des Invalides,
les Tamouls de la région parisienne restaient mobilisés pour venir en aide à leurs
familles, menacées par l’offensive de l’armée sri-lankaise. Samedi, entre 11 000 et
20 000 Tamouls ont manifesté dans les
rues de la capitale. En tête de cortège, deux
jeunes gens en fauteuil roulant, précédés
d’une banderole : « Grève de la faim
jusqu’à la mort ». « Ils ont cessé de s’alimenter depuis onze jours, et leur état se
dégrade rapidement », insistait un porteparole. Ce qui en dit long sur la détermination de cette population que l’on rencontre ordinairement dans les restaurants
– ils sont souvent cuisiniers – ou dans les
quartiers du Sentier et surtout de la gare
du Nord, où ils sont manutentionnaires.
Samedi, un portrait géant de Nicolas Sarkozy dominait la manifestation, surmonté
de cet appel: «Monsieur le Président, sauvez-nous de l’enfer ! »
Devant une grande partie de la communauté tamoule (on en recense 70 000
dans toute la France), venue souvent en
famille, un des responsables a mis en cause
la communauté internationale : « Après
7 000 morts en trois mois, nous avons
S
eu en quatre jours 4 000 civils qui ont péri,
et cela continue. Pour l’instant, aucune
action concrète permettant d’arrêter le
massacre n’a été entreprise.»Dans la foule,
la plupart des jeunes gens arboraient des
tee-shirts marqués de ces mots : « Stop
au génocide des Tamouls!» Mais la manifestation était surtout dominée par les
nombreux drapeaux rouges frappés d’une
tête de tigre, celle de la rébellion des Tigres
de libération de l’Ealam tamoul (LTTE).
Une organisation classée « terroriste »
par l’Union européenne. Au milieu du
cortège, des manifestants en haillons et
aux visages maculés de peinture rouge
symbolisant le sang de leur peuple
avaient pris place dans une cage. D’autres manifestants, en rangers et treillis,
faisaient le geste de les bastonner. Une
manifestation aux accents tragiques où
les slogans lancés par les voix stridentes
des femmes étaient repris par les
hommes. Rares, très rares étaient les
Européens dans cette foule homogène.
Ici, deux drapeaux du NPA marquaient
une présence politique. Lundi, au terme
d’une nouvelle manifestation, officieuse
et improvisée, Marie-George Buffet a
demandé dans un message à François
Fillon que « la France ne se désintéresse
pas de cette tragédie ».
_D. S.
30 avril 2 0 09
I
POLITIS
I 15
RÉSISTANCES
ÉDUCATION Les systèmes éducatifs d’Afrique francophone et la conception des manuels scolaires, hérités de la colonisation, encouragent les jeunes à émigrer. En réaction, des éditeurs indépendants s’engagent pour la «bibliodiversité ».
Apprendre et penser local
’est l’histoire d’un désenchantement. Un rêve de
gosse construit sur les bancs
de l’école, brisé par la
confrontation avec la réalité. Tout au long de sa scolarité au
Sénégal, Omar Ba écoute, lit, apprend
et idéalise avec gourmandise l’extraordinaire destin de l’Europe et des
pays « développés » du Nord (voir
encadré p. 18). Tout y brille, tout y
semble confortable, facile. Les heureux professeurs passés par la France
jouissent d’une aura sans bornes et
entretiennent le mythe. L’un d’eux
se fait appeler Pierre de Ronsard par
ses élèves, en toute simplicité. Les programmes se concentrent sur l’ailleurs :
« J’ai appris le fonctionnement de
l’Union européenne, l’Accord de libreéchange nord-américain (Alena), le
modèle économique japonais, les deux
C
guerres mondiales. Le prof était fier
de maîtriser tout ça, et nous, ça nous
faisait rêver », nous confiait Omar Ba
lors de son passage à Politis. « L’école
publique africaine est une fabrique
à clandestins : on apprend tout ce
qui se fait ailleurs et seulement après,
très brièvement, ce qui se passe ici.
Donc, on part. »
Au cœur de cette « fabrique » d’un
genre particulier, le marché des
manuels scolaires est pointé du doigt
par certaines associations et personnalités du monde de l’édition indépendante. Supports des programmes
décidés par les États, les outils pédagogiques utilisés en Afrique francophone posent deux grandes questions : l’absence de « bibliodiversité »
locale dans un marché écrasé par
quelques poids lourds comme
Hachette, Nathan ou Belin, d’une
part ; d’autre part, le processus de
création et d’édition des contenus
destinés aux petits Sénégalais, Camerounais ou Togolais.
Dans l’édition, le marché scolaire
est celui « qui rapporte le plus », pose
en préambule Étienne Galliand, directeur de l’Alliance des éditeurs indépendants (1), engagée en faveur de
la coédition et de la « bibliodiversité ».
Hachette, principal acteur de la place
et filiale de Lagardère, évoque un
chiffre d’affaires de « plusieurs millions d’euros pour l’Afrique ». Depuis
une quinzaine d’années, et surtout
pour le primaire, ces marchés fonctionnent de manière singulière. « Des
institutions internationales, le plus
souvent la Banque mondiale, explique
Étienne Galliand, octroient des crédits sous certaines conditions aux
États africains pour l’acquisition d’ou-
vrages scolaires. Ces États émettent
ensuite des appels d’offres auxquels
les éditeurs répondent. » Ces « lots »
concernant souvent plusieurs centaines de milliers d’ouvrages, seuls les
grands groupes d’édition du Nord ont
les ressources nécessaires pour postuler. Par un joli tour de passe-passe,
l’argent prêté par le Nord, sous la
condition expresse de libéralisation
des marchés, revient au Nord. Il ne
fait que transiter au Sud, où, comme
plusieurs sources nous l’ont confirmé,
corruption et dessous-de-table sont
légions. Les maisons d’éditions locales,
sous-dimensionnées, n’ont pas voix
au chapitre. Beau joueur, Jean-Michel
Ollié, directeur éditorial d’Hachette
livres international, et à ce titre directeur des maisons Edicef et Hatier international, spécialisées sur l’Afrique,
reconnaît l’injustice de la situation :
Les livres scolaires à destination de l’Afrique francophone véhiculent une mentalité et des valeurs françaises. VERDY/AFP
16 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
DE QUELS DROITS ?
EXPULSIONS
CHRISTINE TRÉGUIER
Sinistre ironie
FLORIN/AFP
À Drancy, en région
parisienne, il faut expulser
ces Roms que l’on ne
saurait voir. Surtout s’il
s’agit de faire place nette
pour les cérémonies de
commémoration du
génocide nazi, organisées
dans le cadre de la
Journée nationale de la
déportation du 25 avril.
Que les Roms aient été victimes d’un plan
d’extermination orchestré par le IIIe Reich ne change
rien à l’affaire.
D’après les faits relatés par le Collectif national
droits de l’homme Romeurope, le 22 avril 2009 à 7 h
du matin, la police a procédé à l’expulsion de plus de
200 personnes qui occupent l’ancienne gare de
déportation de Drancy. « Neuf caravanes qui
tardaient à libérer le terrain ont été emmenées à la
fourrière et leurs propriétaires physiquement
empêchés de récupérer les affaires qu’elles
contenaient. » Une ordonnance d’expulsion avait bien
été rendue le 1er avril, « mais les personnes n’ont
reçu ni signification de ce jugement par voie
d’huissier, ni commandement de quitter les lieux »,
d’après le collectif. Romeurope dénonce une
procédure d’expulsion bâclée et rappelle que « la
mémoire de la déportation concerne aussi les Roms,
qui ont connu pendant la période nazie la déportation
et le génocide, et en France l’internement ».
_X. F.
www.romeurope.org
« Les achats de manuels par les États
avec l’aide de la Banque mondiale
créent une situation de domination
des gros éditeurs. Cela nous laisse la
quasi-exclusivité du marché du livre
scolaire et exclut d’emblée les éditeurs
locaux. » Et comme « ces éditeurs
ne peuvent pas vivre sans ce marché,
il faudrait qu’ils y aient accès. On souhaite que se développe un vrai réseau
en Afrique ». Via des « partenariats
sincères », comme le souhaite ardemment l’Alliance des éditeurs indépendants ? « Le partenariat sincère,
c’est très compliqué à gérer entre
deux entités dont le rapport de taille
est de 1 à 1000, avoue Jean-Michel
Ollié. Le seul moyen que nous ayons,
c’est de faire de vraies coéditions.
Hachette apporte sa puissance
financière et récolte le profit qui
va avec, mais si en face l’éditeur
apporte des choses que nous n’avons
pas, sa légitimité par exemple, c’est
un partenariat efficace. » Un discours plein de bonnes intentions
accueilli avec fraîcheur par d’autres
acteurs du milieu.
Pour Stéphane Marill, éditrice spécialisée, fondatrice d’une toute jeune
société de services d’édition scolaire
pour les éditeurs d’Afrique francophone subsaharienne, « les éditeurs
locaux ne sont bien souvent que des
prête-noms d’Hachette. Quand un
appel d’offres favorise les éditeurs
locaux dans ses conditions d’attrisuite p. 18
bution, Hachette fait
Quand la prison
condamne à mort
L’Intersyndicale CGT/FO/Ufap des personnels pénitentiaires a lancé un
appel unitaire à l’action pour les 4, 5, 6 et 7mai. Parmi les
revendications, la lutte contre la surpopulation carcérale – qui dégrade
les conditions de travail –, le recrutement de personnels
supplémentaires, mais aussi « l’ouverture d’un débat sérieux sur la
prévention des suicides et la sécurité dans les prisons».
La question des suicides en milieu carcéral est récurrente,
et syndicats et associations tirent la sonnette d’alarme depuis le début
de l’année. Les chiffres, qui avaient légèrement baissé en 2006
(95 décès) et en 2007 (97), sont remontés à 118 en 2008. En janvier,
l’Observatoire international des prisons (OIP)
La politique
dénombrait pas moins de treize suicides en quinze
jours. Un chiffre alarmant – on en comptait 6 en
pénitentiaire
2008 pour la même période – qui fait de la France
engendre un
le pays d’Europe où le taux de suicide en détention
est le plus élevé. La direction de l’Administration
suicide ou une
pénitentiaire elle-même avait dû admettre dans un
mort suspecte
communiqué une situation « préoccupante».
tous les trois
jours, soit sept
fois plus qu’en
milieu libre.
Les choses ne se sont pas améliorées depuis.
L’Observatoire des suicides et des morts
suspectes, créé en 2002 par l’association
Ban public, dénombre déjà 52 décès pour la
période de janvier à avril2009. Soit en quatre mois
près de la moitié des 118 suicides enregistrés sur
l’année 2008. Pour l’association, la politique
pénitentiaire engendre « un suicide ou une mort
suspecte tous les trois jours, soit sept fois plus
qu’en milieu libre».
Plus de 20 % de ces suicides se produisent lors des placements en
quartier disciplinaire. Des lieux réputés pour leur inhumanité et qui
aggravent le désespoir des détenus déjà psychiquement fragiles. Dans
son rapport de 2003 sur la prévention du suicide des personnes
détenues, le professeur Terra avait considéré que «les détenus dont la
crise suicidaire prend le masque de l’agressivité ne peuvent pas être mis
au quartier disciplinaire sans risquer d’accélérer la progression de leur
détresse». Mais cette recommandation n’est bien souvent pas prise en
compte par les chefs d’établissement, comme en atteste un cas récent:
un détenu de Roanne a écopé de treize jours de mitard, alors que son
état psychologique était connu et qu’il avait avalé quelques jours
plus tôt une lame de rasoir. L’intervention de l’OIP a permis de le sortir
de là après quatre jours d’isolement. Vivant!
Pour les associations, l’explosion des suicides est très directement
liée à la surpopulation carcérale. La France est, là encore, un des
mauvais élèves européens avec 63 619 détenus pour 50 963 places.
C’est également la conviction du docteur Louis Albrand, sollicité par
Rachida Dati pour présider la commission chargée d’un nouveau rapport
sur le suicide en détention. Mais cette hypothèse a disparu du rapport
final, remplacée par une autre pénitentiairement plus correcte.
Les suicides en prison, c’est la faute aux médias, trop anxiogènes.
Ce qui a conduit Louis Albrand à boycotter la remise de son rapport,
et l’OIP à demander la constitution d’une commission d’enquête
indépendante placée sous l’égide du Contrôleur général des lieux
de privation de liberté.
30 avril 2 0 09
I
POLITIS
I 17
RÉSISTANCES
« Pour ce qui est de notre connaissance
du Sénégal et de l’Afrique, elle se résumait
à quelques feuilles distribuées par les
enseignants à la fin de l’année, sur
lesquelles ils avaient rédigé un bref
résumé de la partie des cours qui
concernait l’Afrique en général et le
Sénégal en particulier. Après quelques
années passées en Europe, j’ai pris
conscience de la dangerosité du système
éducatif dans lequel j’ai été formaté. […]
Inévitablement je devais considérer
l’Europe comme le paradis sur terre. Je
n’avais aucune contre-information
pouvant susciter en moi une véritable
réflexion sur ce qu’on m’apprenait.»
Extrait de Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus,
Omar Ba, éditions Max Milo, 246 p., 18 euros.
affaire avec un éditeur sur place en lui payant un forfait,
et empoche l’appel d’offres. Ce n’est
ni de la coédition, ni un partenariat. »
Étienne Galliand estime lui aussi
qu’« il n’y a aucun transfert de savoirfaire » dans ce schéma, tout en épinglant les chaînes de production éditoriales locales, qui « ne sont peut-être
pas assez revendicatives ».
Derrière cette écrasante dissymétrie
économique Nord/Sud, bien connue
dans d’autres activités (coton, énergie…), pointe l’écueil de la « souveraineté culturelle » défendue par l’Alliance et bafouée dans les grandes
largeurs. Un domaine où l’influence
de l’ancienne puissance coloniale reste
très vivace.
Jean-Michel Ollié le certifie, Hachette
« ne produit que des contenus originaux pour les marchés africains.
Ensuite, certains établissements privés haut de gamme qui en font une
question de prestige nous commandent des ouvrages français, mais cela
représente une petite minorité ».
« Ce que dit Hachette n’est pas faux,
mais ce n’est qu’une partie de la
vérité », nuance Stéphane Marill, tout
en rappelant qu’un manuel est
d’abord l’outil d’un programme
décidé par les États, dont la responsabilité ne doit pas être occultée.
« Pour tout ce qui est des manuels
d’université, poursuit-elle, ils sont
pour la plupart purement et simplement exportés de France vers l’Afrique
francophone. C’est scandaleux, car
cela conditionne la formation des
élites, dont certaines deviendront
plus tard rédacteurs des programmes
scolaires. » D’autres seront embauchées par les maisons françaises
suite de la p. 17
18 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
comme auteurs. « S’il existe encore
une certaine forme de colonisation,
elle est là », dénonce l’éditrice. Et
l’État français, plutôt que de soutenir directement la coédition ou
l’édition locale, de subventionner…
les frais de transport des manuels
français vers l’Afrique.
Quant aux auteurs, si « les éditeurs
français font travailler des locaux, les
contenus qu’ils produisent reviennent
en France et sont modifiés de nombreuses fois avant d’être validés, toujours en France, explique Stéphane
Marill. Et surtout, le travail éditorial est fait dans l’Hexagone par des
gens qui ne connaissent pas forcément
le pays concerné. » En outre, la mise
en page, la présentation de l’information, les documents liés au texte,
le format et la qualité des livrets ne
sont pas « décidés là-bas » ni validés en fonction de la culture et des
référents du pays. Exemple : le manuel
d’histoire l’Afrique et le monde pour
les 5e, édité par Hatier. L’ouvrage est
destiné au Cameroun mais il faut
se pencher sur les dix dernières pages
(sur 232) pour voir parler du pays.
Le programme officiel camerounais
est ainsi fait. En revanche, tout l’aspect éditorial du manuel est qualifié de « très français » par Stéphane
Marill. « Il y a un cours théorique
sur la page de gauche, avec sur la page
de droite les documents qui illustrent
le cours et vont aider à sa compréhension, dans lesquels l’enseignant
peut piocher. Mais ce n’est pas adapté
à l’Afrique, où la plupart du temps
l’enseignant conduit le cours page
par page, à la suite l’une de l’autre.
Donc, ici, toutes les pages de droite
ne servent à rien. » Le livre est
luxueux, lourd et pas vraiment destiné à être « gribouillé ».
À l’inverse, un fascicule de sciences
pensé localement pour Madagascar
devient un livret léger, simple, au
déroulé linéaire. Plus généralement,
l’importance de la culture orale n’est
pas non plus prise en compte dans les
systèmes éducatifs africains, hérités de
la colonisation. Pas plus que la langue,
même si les États se réapproprient peu
à peu leurs idiomes à la place du français, que certains élèves ne parlent
pas au quotidien en dehors des classes.
En clair, « il faut revoir les programmes
scolaires, résume Omar Ba. Il faut partir de nous, être fiers de nous ».
_Xavier Frison
(1) www.alliance-editeurs.org
Retrouvez le portrait d’Omar Ba
sur www.politis.fr, rubrique Exclu Web.
ici
C’est tous les jours dimanche
BUREAU/AFP
« La dangerosité
du système éducatif »
LES ÉCHOS
On attendait avec impatience la première
déclaration du nouveau ministre du Travail,
Brice Hortefeux. Et on n’est pas déçu. Lors
du «Grand Rendez-Vous» Europe1LeParisien du 26avril, l’homme a invoqué
l’urgence de ressortir du placard une vieille
promesse sarkozienne. Comme s’il ne s’était
rien passé depuis 2007, une nouvelle
proposition de loi sur le travail du dimanche
sera déposée « dans les toutes prochaines
semaines». Voilà qui emballera les masses
laborieuses au chômage.
Sensible Michel!
Dans le supplément télé du Parisien (24 avril), le toujours délicat Michel Charasse rend
un vibrant hommage posthume à Pierre Bérégovoy: « Il était profondément gentil et
humain, avec un réel souci d’améliorer le sort des gens.» Émouvant. Mais juste après,
ça se gâte: Béré, dans le souvenir de cet admirateur atypique, était aussi « usant, car il
avait sans cesse des états d’âme, […] dramatisait tout et n’était jamais franchement
heureux, même quand tout allait bien.» D’ailleurs –décidément très malade: « Il était
scrupuleux au point d’être maniaque.» Et le gracieux témoin de narrer: « J’étais près
de Vichy quand le téléphone a sonné. […] François Mitterrand m’a dit: “Alors, vous avez
vu, pour Bérégovoy? C’est fait, il s’est tiré une balle.” » Un vrai sensible, Charasse.
L’Europe selon Sarkozy
Pas question de réviser la très régressive directive européenne sur le temps de
travail. Les représentants des États membres ont réussi à faire capoter
définitivement, le 28avril, une éventuelle révision de celle-ci pour limiter la casse
sociale. On doit cette situation à Sarkozy et à Berlusconi, qui ont poussé, en
juin2008, à l’adoption de cette directive généralisant à l’ensemble des États
membres le principe de l’opt out, un système dérogeant à la durée maximale de
travail hebdomadaire autorisé de 48heures. En mettant un peu la pression sur ses
salariés, n’importe quel employeur peut ainsi les exploiter jusqu’à 78heures
hebdomadaires. On remercie qui?
LES ÉCHOS
BUREAU/AFP
François Bayrou a vanté, samedi, à
Hérouville-Saint-Clair (Calvados), l’Europe
sociale: « Le social doit revenir au cœur du
projet européen», a lancé la nouvelle
coqueluche des électeurs de gauche (si l’on
croit le sondage publié lundi par Libération).
Et comment le MoDem va-t-il s’y prendre?
« Seule une Europe vraiment compétitive,
créant des emplois et des opportunités pour
tous, garantira la dimension sociale du
marché unique», explique la plate-forme
électorale des Libéraux démocrates européens (ELDR), groupe auquel appartient le
MoDem. Elle affirme encore ceci: « Le marché unique devrait être renforcé et élargi
dans les domaines de l’énergie, des services postaux, des services financiers, des
chemins de fer et des soins de santé, tout en facilitant la libre circulation des services
et des travailleurs.» Mais François Bayrou, qui n’est pas à une contradiction près,
plaide « pour une convergence des systèmes de protection sociale européens» bien
qu’il ait approuvé le traité de Lisbonne, qui continue d’interdire expressément « toute
harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres» en
matière d’emploi, de politiques sociales et de protection sociale.
là-bas
Non-violence…
Combien de fois a-t-on entendu reprocher aux Palestiniens de ne pas développer
contre la colonisation une action non-violente? Or, celle-ci existe. Chaque
vendredi, à Bil’In, village proche de Ramallah, des manifestants armés du seul
drapeau palestinien témoignent de leur opposition au «mur». Vendredi 17avril,
comme à chaque fois, Bassem, 29 ans, habitant de Bil’In, était parmi les
manifestants, immobile face à l’armée israélienne. Soudain, ordre fut donné aux
soldats de tirer des grenades à jet tendu sur les premiers rangs. Bassem a reçu le
projectile en pleine poitrine. Il est mort, dans l’indifférence des médias. Pour la
non-violence, il faut être deux.
No comment list
Chers journalistes de Politis, qui souvent fustigez la politique des États-Unis, peutêtre figurez-vous sans le savoir sur la «no fly list» qui interdit l’entrée du pays aux
«terroristes» suspectés. Hernando Calvo Ospina, chercheur franco-colombien qui
fréquente les colonnes du Monde diplomatique, est dans ce cas. Ce qui a valu au vol
d’Air France qu’il empruntait il y a dix jours l’interdiction inopinée de survol du
territoire états-unien alors qu’il se rendait… au Mexique. Les compagnies s’étaient
déjà soumises à l’obligation de transmettre aux États-Unis la liste de leurs passagers,
mais uniquement pour les vols s’y posant. Qui a cafté, pour Hernando? Air France
envisage de réclamer… une compensation pour frais d’escale imprévue à Fort-deFrance. Et les autorités françaises? No comment sur l’escalade des privautés que l’on
s’octroie avec le fichage de leurs ressortissants.
Zinelabidinicolas
François Fillon, en déplacement la semaine dernière en Tunisie, a rencontré le
président Zine el-Abidine Ben Ali, démocrate fameux. Les deux hommes ont
naturellement (ça ne mange pas de pain) « abordé la question des droits de
l’homme». Le Premier ministre français, plein d’une touchante envie de complaire à
son hôte, a formulé cet aphorisme, dont la phénoménale hardiesse fera encore
l’objet d’infinies exégèses en l’an 3450: « S’agissant des problèmes de droits de
l’homme, ils se posent à peu près dans tous les pays du monde.» Fin diplomate,
François Fillon a tu que ces problèmes se posent tout de même avec plus d’acuité à
Bizerte qu’à Saint-Julien-de-Concelles, préférant ajouter que: « La
démocratisation, c’est un processus continu.» Et certes: la Tunisie de Zine elAbidine Ben Ali n’est sans doute pas le pays le plus avancé dans ledit processus –
mais il est vrai aussi que la France de Zinelabidinicolas Sarkozy donne souvent
l’impression de faire de gros efforts pour se mettre à son niveau.
en 2 mots
D’OLIVIER BRISSON
ENTENDU
Michel Barnier, ministre
UMP de l’Agriculture et de la
Pêche, n’en fait pas mystère
(France Inter, 27avril): il
est consterné par le niveau
de l’argumentation que
développent les
«socialistes», dans la
campagne européenne.
Harlem Désir qui « appelle à
faire du scrutin un
référendum anti-Sarkozy»,
par exemple? Ces tout
petits personnages du
P«S» dont « le seul discours
européen» est de
« critiquer Nicolas
Sarkozy», et d’appeler à un
vote sanction contre le chef
de l’État français – comme
si la consultation du 7juin
avait pour fonction de
régler de mesquins petits
comptes franchouillards?
C’est « assez médiocre et
désespérant», assène
Michel Barnier, qui se fait
tout de même une plus
haute idée de la politique.
Aussitôt après avoir
diagnostiqué l’accablante
faiblesse de la propagande
électorale «socialiste»,
Michel Barnier confirme
qu’il boxe quant à lui dans
une catégorie (très)
supérieure, et lance:
« J’appelle à un vote
sanction contre le Parti
socialiste.» Heureusement
qu’il y a l’UMP, pour relever
le niveau.
BUREAU/AFP
Bayrou schizophrène
Après la fraude à la chaussette ,
nouveau slogan de la liste UMP invalidée
aux municipales à Perpignan :
Demain, j’enlève le bas.
VU
Déclaration du porte-voix de
l’UMP, Frédéric Lefèbvre,
dont le monde nous envie la
discrète élégance et la
sobre élocution (et dont le
coiffeur est une légende):
« Je défends la
dénonciation au sens du
code pénal» (Canal+,
26 avril). Et bien sûr:
d’autres que lui ont
également défendu la
dénonciation au sens du
code pénal, il y a de cela une
(grosse) soixantaine
d’années. Mais ce n’est pas
du tout la même chose, c’est
le tambourinaïre du parti
présidentiel qui l’affirme.
Frédéric Lefèbvre est
d’ailleurs mécontent que
d’aucun(e)s lui aient « collé
un tampon» en établissant
un parallèle avec la période
de l’Occupation quand il a
« essayé d’expliquer que
délation et dénonciation, ce
n’est pas pareil». De fait: la
délation, dit le dictionnaire,
est une « dénonciation
inspirée par des motifs
méprisables», alors que le
courageux (et bon) Français
qui dénonce aujourd’hui un
sans-papiers (sous les
applaudissements nourris
de Frédéric Lefèbvre) est
évidemment mû par des
motifs d’une admirable
noblesse –par cet
humanisme raffiné qui
caractérise le sarkozysme.
LU
Les deux patrons de Molex
apparaissent à la une du
Parisien (du 23 avril) et
dans une double page pour
raconter « ce qu’ils ont
vécu», c’est-à-dire une
gravissime séquestration de
« 26 heures». Visiblement
encore secoué par le choc
de la « prise d’otage»,
Marcus Kerriou a analysé la
situation avec une grande
humanité envers les
« manipulés» : « Derrière
tout ça, il y a les centrales
syndicales, à commencer
par la CGT.» Et d’en déduire
« qu’au final, c’est l’anarchie
totale». Pas un mot sur les
300personnes à la rue,
mais plutôt le constat du
« décalage entre le
professionnalisme» de la
« communication» et le
« niveau intellectuel de
certains salariés», sans
doute au plus bas… Certains
patrons devraient fermer
leur gueule.
le chiffre
1,3 mi l li a rd d ’ euros
C’est le montant annoncé par Nicolas Sarkozy du « plan
d’urgence » pour l’emploi et la formation des jeunes. En vérité, il
ne sera que de 583 millions d’euros en 2009. Le gouvernement
avait aussi retiré 200 millions d’euros aux crédits alloués aux
contrats de professionnalisation dans le budget 2009.
30 avril 2 0 09
I
POLITIS
I 19
.Pourrissement ou intensification ? Le mouvement
.Au cœur de la mobilisation, le refus de la loi
.Cette loi, qui transforme
DOSSIER UNIVERSITÉS
« NOUS NE SOMMES
PAS À VENDRE ! »
éjà profs ou chercheurs et encore étudiants, à 22, 23 ou
24 ans, ils sont à la croisée des chemins. Depuis quatre
mois, Alice, Ariane, Grégoire et Mathias sont engagés
corps et âme contre la machine de guerre que le
gouvernement tente d’imposer aux universitaires. Nous
leur avons demandé de prendre la plume pour présenter dans Politis
leur analyse et expliquer les raisons de leur combat. Ce dossier est
entièrement leur œuvre. Jusqu’aux illustrations, signées Jane,
étudiante en philosophie à l’École normale supérieure de Paris (ENS),
qui a donné formes (et quelles formes !) à cette Princesse de Clèves
devenue symbole de la lutte. On se souvient que Nicolas Sarkozy, pas
encore président, mais déjà bruyamment candidat, avait jugé
scandaleux que ce grand roman du XVIIe siècle puisse figurer au
programme d’un concours d’entrée dans la Fonction publique. À quoi
bon, avait-il ironisé, quand on est guichetière ? Les femmes avaient
particulièrement apprécié. Tout est là, dans cette mutilation de la
personne humaine réduite à une fonctionnalité professionnelle. La
D
guichetière « guichette ». Toutes les réformes qui mobilisent
aujourd’hui les étudiants, les enseignants et les chercheurs sont
marquées par cette conception pusillanime. Évaluation de rendement
et de rentabilité, faux critères d’efficacité, c’est la tyrannie du
quantifiable. Il en va donc de l’idée que l’on se fait de notre société, de
la place de la culture, du rôle des enseignants, de la vision que l’on
inculquera aux générations futures. Autant dire que l’enjeu dépasse de
beaucoup le sort particulier des étudiants et des enseignants
aujourd’hui en lutte. L’analyse qui est ici proposée par Alice, jeune
agrégée de lettres modernes, Ariane, élève certifiée de philo à l’ENS,
Grégoire, agrégé, enseignant-chercheur en mathématiques, et
Mathias, élève en lettres modernes à l’ENS, est aussi le fruit d’une
réflexion collective mûrie au sein des assemblées générales. Derrière
l’humour, et parfois une pointe d’autodérision, il y a chez nos
journalistes d’un jour une réelle gravité. À la veille d’une rentrée où va
se décider le destin de ce mouvement, nous leur donnons la parole.
_D. S.
Qui veut la peau
de l’université publique ?
La loi d’autonomie des universités relève d’une architecture néolibérale
classique. Il s’agit ni plus ni moins d’imposer à l’enseignement
supérieur les critères de l’entreprise.
oilà plus de trois mois que les universités sont en mouvement. Les universités :
c’est-à-dire l’ensemble de ceux qui les
composent, étudiants, enseignants et personnels. Parti de la lutte contre cinq décrets, le
mouvement a connu un spectaculaire changement d’échelle. Il a élargi ses revendications à
l’abrogation de la loi Liberté et responsabilités
des entreprises (LRU) puis à la contestation de
son cadre supranational, le processus de Bologne,
qui aura dix ans cette année. La mobilisation
V
20 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
est unitaire, cela n’a rien d’un hasard : cette fois,
devant la charge gouvernementale, c’est l’université dans toutes ses composantes qui se sent
menacée par des réformes qui visent à faire d’elle
une entreprise « efficace », et de l’éducation un
service au rabais.
Retour en 1998 : Claude Allègre, alors ministre
de l’Éducation nationale, initie un projet d’unification du système universitaire européen. En
juin 1999, le processus de Bologne est lancé. Officiellement, il s’agit de rendre les diplômes plus
transparents et de faciliter les échanges. Mais
ce processus entame en réalité un changement de
fond : sous le nom d’« autonomie », il promeut
la mise en concurrence des universités et des
diplômes, le désengagement de l’État et l’uniformisation sur le modèle anglo-saxon – frais
d’inscriptions compris. Ce processus théoriquement non contraignant exerce une contrainte collective diffuse. Il a partout où il est appliqué des
conséquences similaires : l’autonomie n’est pas
synonyme d’indépendance dans la gestion ou
dans les choix scientifiques, mais d’une privatisation de fait de l’université.
En France, le processus de Bologne s’est d’abord
traduit par une réforme de la scolarité universitaire en 2003. Premier mouvement étudiant,
premiers doutes sur le devenir des diplômes
étudiants-enseignants-chercheurs va décider ces jours-ci de son destin.
Liberté et responsabilités des universités, votée en douce à l’été 2007.
l’université sur le modèle de l’entreprise, interpelle toute notre société.
nationaux et sur l’apparition de la sélection. Le
Pacte pour la recherche est ensuite voté en 2006.
Il crée une agence d’évaluation, l’Aeres, et une
agence de financement, l’ANR, dont les modes
de fonctionnement et les orientations scientifiques sont immédiatement contestés : ces deux
agences apparaissent comme une mise sous
tutelle de la recherche selon les critères inadaptés
du tout-quantitatif et de la recherche « applicable ». En 2007, les choses s’accélèrent. Dans
la débauche de réformes du service public de ce
début de mandat présidentiel, la loi Liberté et responsabilités des universités (LRU) passe en catimini à l’été 2007. Donnant des pouvoirs accrus
au président d’université, devenu une sorte de
manager, elle met en place un système de concurrence entre facs. Nouveau mouvement étudiant.
Les enseignants-chercheurs sont pour la plupart dans une position attentiste.
Mais l’attente ne dure pas longtemps : une
série de projets de décrets appliquant la LRU
est annoncée durant l’été et l’automne 2008 et,
cette fois, le doute n’est plus permis : précarisation, mise en concurrence, dévalorisation de l’enseignement et hiérarchisation des tâches sont
les mots d’ordre évidents. Compétition et répartition de l’enseignement aux « moins méritants »
sont à l’ordre du jour pour les enseignantschercheurs. Les doctorants écopent du « contrat
doctoral unique », sorte de CPE du jeune chercheur qui peut être interrompu au terme de chaque
année. La formation des enseignants pâtit à son
tour : moins coûteuse et de moins bonne qualité,
elle précarise les futurs enseignants. L’augmentation des frais d’inscription est en projet. La
LRU met enfin en place l’externalisation de tous
les services subitement considérés comme « périphériques » : accueil, secrétariat, bibliothèques…
Les personnels non enseignants des universités
sont de plus en plus des contractuels, souvent
précaires, et leur précarité fragilise tout l’édifice de la recherche.
Cette batterie de réformes est soutenue par
une certaine vision du service public, ou plutôt par une certaine défiance à son égard ; dans
ce sens, la réforme de l’université est cohérente avec celle du reste de l’éducation, de l’hôpital, de la justice. Valérie Pécresse est une enfant
de l’école privée. Elle partage avec Nicolas Sarkozy une vision managériale du service public,
et une certaine méconnaissance des rouages
de l’université et de la recherche, et de la notion
même de production collective du savoir.
« Évaluer », « valoriser », « rendre performant » : encore faudrait-il s’intéresser à la façon
dont l’université fonctionne. Rendre plus « efficaces » les universités en les mettant en concurrence entre elles est contraire à la dynamique
du savoir. On peut du reste en imaginer l’impact social : qui ira dans les petites facs
pauvres ? Qui ira dans les grandes écoles et
les prestigieuses universités et paiera « le prix
de l’excellence » ? Mais ce type de séquelle
semble parfaitement assumé.
Face à ce profond mépris, ce mouvement, qui
regroupe tant ceux qui se battent depuis des
années que des universités jamais mobilisées,
a pris, depuis le 2 février et le début de la grève,
des formes étonnantes. Entièrement autogérée par des coordinations nationales, la mobilisation a envahi les villes par des actions coupde-poing et des manifestations hebdomadaires.
Mais le mouvement s’est aussi ressaisi, profitant de son unité, de l’université elle-même,
questionnant le rapport au savoir avec les cours
alternatifs, réquisitionnant l’espace, de façon
de plus en plus radicale : c’est aussi une manière
de dire à ceux qui ne veulent pas l’entendre que
l’université est à ceux qui la font vivre et non
à ceux qui la gouvernent.
Les négociations n’ont apporté que des aménagements à la marge et des moratoires. D’année en année, le ministère joue l’inertie. Avec
cette mobilisation sans précédent, le combat
s’avère sans ambiguïté idéologique : ce sont
deux visions du système qui s’affrontent, et nul
ne peut prédire ce qui résultera de cette lutte.
_Ariane
30 avril 2 0 09
I
POLITIS
I 21
DOSSIER UNIVERSITÉS
Une précarisation massive
C’est une pierre de l’édifice, et non la moindre. On appelle ça la
« masterisation ». Il s’agit de créer une vaste catégorie de vacataires
et de profs « hard discount ».
Les masters
professionnels
d’enseignement sont
dénués de
tout contenu
intellectuel.
epuis longtemps, on s’indignait de la baisse
régulière du nombre de postes aux
concours d’enseignement, si bien que leur
officialisation était chaque année différée au
printemps, sans doute pour ne pas plonger dans
des abîmes de mélancolie les candidats en cours
de préparation… Nous n’avions encore rien
vu du processus de fragilisation de la formation
des enseignants. Le projet de « masterisation »
– dont les sonorités anglo-saxonnes annoncent
D
bien malheureusement la couleur libérale – présenté par Xavier Darcos en octobre 2008 offre
une solution plus radicale pour faire des économies de fonctionnaires et de culture (oui, des économies de culture !) que ces réductions cyniques
d’admissions aux concours. Il s’agit de coupler
l’année de préparation au concours du Capes
avec un diplôme de master qui, à défaut d’entraîner ses candidats à la recherche universitaire,
sera consacré à des cours de didactique, reflétant
Retour de politique
« On n’a pas vu ça à l’ENS
depuis 1986 !», s’enthousiasme
en pleine assemblée générale
Laure Léveillé, ancienne élève
d’Ulm, aujourd’hui directrice de
la bibliothèque littéraire.
D’où vient alors la réputation de
«nid de gauchistes» de cette
grande école de la montagne
Sainte-Geneviève? Celle-ci
s’enorgueillit régulièrement
d’avoir hébergé l’âge tendre
d’intellectuels estampillés
«de gauche». Pourtant, la vie
politique n’y semble pas à la
hauteur du mythe fondateur:
à côté des clubs «GeorgesPompidou» et autres
22 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
organisations de fils de famille,
les «think tanks» du PS
feraient presque figure de
dangereux révolutionnaires.
C’est que les élèves de l’école,
enfants de cadres à 77 %, se
destinent de moins en moins à
l’enseignement: libres de
quitter la Fonction publique,
ils considèrent de plus en plus
Normale Sup’ comme une
grande école de prestige, un
«label de qualité» à faire
reluire sur leur CV. La direction
actuelle, dans son grand
maternalisme, abonde en ce
sens: rien ne sert de vouloir
changer la société, il faut
arriver premier!
En 2006, une trentaine de
chercheurs, étudiants et
employés ont lutté contre le
CPE dans l’indifférence de leurs
congénères. Un syndicat
étudiant, SUD-Étudiants-ENS,
s’est constitué à cette occasion.
En 2009, les assemblées
générales comptent jusqu’à
200 participants: est-ce parce
que la LRU empiète sur les
plates-bandes normaliennes?
Ou serait-ce le signe d’un
renouveau du discours politique
dans cette prestigieuse
maison?
_Alice
bien notre soif de savoir-faire dépourvu de tout
contenu disciplinaire. L’argument du gouvernement consiste à dire que les professeurs certifiés bénéficieront d’une année supplémentaire
d’enseignement et seront recrutés à bac + 5 au
lieu de bac + 4. C’est passer sous silence la
suppression de l’année de stage qui suivait la
réussite au concours, réduite à six mois non
rémunérés, censés remplacer par là même la formation en IUFM. C’est aussi passer sous silence
l’absence de tout contenu intellectuel dans ces
masters professionnels d’enseignement, qui
seront effectués au détriment des masters de
recherche et entre deux concours blancs pour
le Capes ou l’agrégation.
En outre, les concours sont eux-mêmes transformés. Désormais, l’oral du Capes portera sur
la capacité des candidats à enseigner – ce qu’ils
n’auront alors jamais eu l’occasion de faire –
ainsi que sur la connaissance du système éducaLes élèves auront tif français – celui que nous
souhaitons ne jamais
face à eux des
profs peu formés, connaître. Une idée de ce
système ? Un candidat au
méprisés par
Capes d’anglais n’aura,
leur hiérarchie,
par exemple, jamais à prosous-payés,
noncer la moindre phrase
abandonnés
en anglais devant un jury
par l’État.
qualifié. Et pour cause,
puisque ce dernier sera essentiellement constitué par la hiérarchie administrative. Mais le
meilleur reste à venir : qu’adviendra-t-il des candidats qui réussiront l’examen du master mais
échoueront au concours ? Ces « reçus collés »
viendront sans doute s’ajouter à la liste des vacataires et des précaires de l’enseignement, engagés dix mois par an ou sur deux cents heures,
privés de chômage, de congés payés, et pour qui
le statut d’intermittent du spectacle est un luxe
réservé aux autres.
Ces précaires existent déjà, mais il est certain qu’une fois institutionnalisé et officialisé,
ce phénomène s’amplifiera. Il suffit de jeter
un coup d’œil en Italie, où les directeurs de lycées
piochent directement dans les listes d’attentes
« permanentes » des collés aux concours. Le
Capes et l’Agrégation, devenus de plus en plus
inaccessibles, ne seront guère plus que des appâts
faisant saliver les jeunes candidats, qui constitueront au final du prof hard discount pour
lycées réformés. Le plus grave dans cette affaire,
au-delà des échecs personnels et des injustices
réservées aux candidats à l’enseignement, est
encore les conséquences que cette fragilisation aura sur le contenu et la qualité des enseignements dispensés du primaire à la fac. Les
élèves auront face à eux des professeurs peu formés, méprisés par leur hiérarchie, sous-payés,
abandonnés par l’État. Vaste programme pour
une société ambitieuse !
_Mathias
ALICE
Agrégée de lettres modernes.
Le fantasme
américain
Chercheurs sous pression
Dans son brillant discours du 22 janvier dernier, Nicolas S. a
expliqué aux chercheurs français que leurs multiples succès et
récompenses n’étaient que l’«arbre qui cache la forêt» de leur
incompétence. Il a même trouvé le modèle à imiter: l’université de
Californie, à Berkeley.
Cette recommandation du chef de l’État n’est pas que le
ressassement du rêve américain de son ami Johnny appliqué au
monde de l’enseignement supérieur. Nico se moque en effet de ce
qu’à Berkeley la recherche soit loin d’être «pilotée» par les
objectifs à court terme du gouvernement; et peu lui importe que les
universités américaines aient découvert les graves inconvénients
des subsides privés quand la crise fut venue (Yale a dû renvoyer
cette année 18% de ses effectifs).
Cet éloge d’un système américain en grande partie fantasmé
peine à masquer qu’il est surtout une
Ce que la LRU et reformulation d’un modèle concurrentiel tout
Ce que la LRU et ses suites
ses suites ont de àontfaitdeclassique.
plus américain, c’est de mettre fin à la
plus américain, valeur nationale et à l’équivalence des
diplômes. Rappelons qu’aux États-Unis un
c’est de mettre diplômé de Harvard « vaut » plus, quel que
soit son domaine de spécialisation, qu’un
fin à la valeur
diplômé au même degré de l’université du
nationale et à
Kansas. Chaque université est une
entreprise dont le produit, le diplôme,
l’équivalence
s’insère sur un marché. Facile alors de
des diplômes.
ressortir des cartons un argumentaire selon
lequel il n’y aurait pas de performance sans
concurrence, y compris quand le champ
concerné ne s’y prête pas, et que l’exemple
des États-Unis ne convainc guère.
Cette logique trouve d’ailleurs un terreau favorable dans le
Travailler plus pour gagner autant, c’est le marché de dupes que
le gouvernement tente d’imposer aux enseignants-chercheurs.
ujourd’hui, un enseignant-chercheur
donne en plus de ses activités de recherche
192 heures de cours. Le gouvernement
essaie de faire passer en force un décret autorisant une modulation de cette durée entre 64
et 384 heures, sur décision du président d’université. Il est évident que les suppressions de
postes vont entraîner en moyenne une modulation à la hausse.
Après quatre mois de mobilisation, le gouvernement reste inflexible. Seuls des aménagements
à la marge ont été obtenus. Le nouveau texte stipule ainsi que cette modulation ne peut se faire
contre l’avis de l’intéressé. Mais cet aménagement
doit être mis en balance avec le deuxième volet du
décret, qui délègue au président d’université l’attribution de la plupart des promotions et des
dispositifs permettant à un enseignant-chercheur
d’aménager sa carrière à son gré. Il est évident
que, dans ces conditions, peu d’enseignantschercheurs contesteront les décisions arbitraires,
prévisibles, des présidents d’université.
Au-delà de ces aspects comptables, la logique
de ce décret nous a été donnée par Nicolas
A
Sarkozy dans son discours du 22 janvier. Il s’agit
bel et bien d’introduire une concurrence saine
et stimulante entre ces fainéants d’enseignantschercheurs et d’ériger le président d’université
en chef d’entreprise distribuant les bons et les mauvais points à ses administrés. La réforme est en
adéquation complète avec l’idéologie libérale,
mais en décalage total avec les méthodes de travail des chercheurs, fondées sur la collaboration
et sur l’indépendance.
Ce décret, ainsi que le décret « masterisation »,
a mis le feu aux poudres en janvier. Mais, rapidement, la mobilisation a révélé qu’il ne s’agissait que de la partie visible de l’iceberg. La loi
LRU, votée à la hussarde en juillet 2007, donne
en effet aux présidents un pouvoir accru dans
la gestion des personnels. Il est dès lors logique
pour le gouvernement de préciser ces pouvoirs
par décret, tout comme il est logique pour les
enseignants de se battre contre la loi LRU en
général, aux côtés des étudiants et des autres
personnels qui subissent, eux aussi, les conséquences de cette loi.
système français. La mise en concurrence des universités y est en
effet à peine ébauchée, mais l’opposition entre grandes écoles et
facs est en revanche totalement assimilée. Notre système
d’enseignement supérieur, aussi incohérent qu’élitiste, dépense
12000 euros par an et par étudiant en classe préparatoire contre
7000 euros pour un étudiant de licence. Plutôt que de soulever le
problème, d’autant plus épineux qu’il pose directement des
questions de sélection et de reproduction sociales, on l’ignore. Et on
joue les égalitaires en «proposant» aux grandes écoles les mêmes
réformes qu’à l’université.
Le but avoué est donc de remplacer l’opposition grandes écoles vs
universités par un classement national de tous les établissements
universitaires mis en concurrence. Classement dont les grandes
écoles viendraient naturellement prendre la tête, pour prix de leur
docilité. Le déplacement est si naturel que ces nobles institutions
parlent déjà d’elles-mêmes comme d’universités. Pas n’importe
lesquelles quand même: « Je veux faire de notre école une vraie
graduate school », déclare comme beaucoup d’autres Monique
Canto-Sperber, directrice et manager de l’ENS d’Ulm, qui rêve peutêtre, elle aussi, de Berkeley.
Ce processus de transformation de l’enseignement supérieur
français est donc moins une imitation de l’Amérique, quoi qu’on en
pense, que l’aboutissement d’un phénomène bien français: hisser
les meilleurs en haut de l’échelle, accuser le reste de retard
terrifiant, et recouvrir le tout d’un vocabulaire à la mode. Yeah!
_Grégoire
30 avr il 2 0 09
I
POLITIS
I 23
CULTURE
GASTRONOMIE
Créer n’est pas copier !
L
a bâtisse plonge en pente
douce sur une petite crique,
Cala Montjoi, le long d’une
côte escarpée, entre Rosas et
Figueras. Pleine Catalogne.
Restaurant El Bulli. Le couloir franchi, deux pièces se suivent au décor
hétéroclite, un tantinet désuet, en
dehors des effets de mode. Tableaux,
vases, colonnes de bois, murs de pierre.
Aucune carte, mais un menu dégustation. « Snacks, tapas, platos, avantpostres, postres. »
Au coup d’envoi, un gin-fizz froid
et chaud, présenté dans une coupe
alternant glace et mousse de blanc
d’œuf tiédie. Puis un caramel d’huile
d’olive vierge sur un lit de gros sel, en
forme de spirale. Quelque chose de
fondant en bouche. Préliminaires à
suivre par une eau d’huître passée
au siphon, imitant alors une
meringue, puis une déclinaison de
« feuilles », mangue et cassis, ragoûtant bonbon parfumé à l’huile d’eucalyptus, aux tonalités acidulées.
Le reste est affaire d’emballements.
Des saveurs époustouflantes, qui s’agitent, affolent, des chauds et froids qui
bavardent entre eux. Des turbulences
qui s’amusent des certitudes. Comme
cette gaufrette de laitue de mer et
beurre de sésame blanc ponctuée de
yuzu, ou cette chips de noix et thon
sec, friable mikado à saisir au bout
d’une languette, ou encore ce caviar
de melon formé de petites boules de
fruit traité en sphérification, disposées dans une boîte ronde métallique
(façon caviar donc), taquinées par une
feuille de menthe et rehaussées de
graines des fruits de la passion. Avec
le « monde des graines », le siphonneur se mue en coloriste. L’assiette
blanche est parsemée de petits tas colorés. Se côtoient aubergine, basilic, pois
chiche, tomate rouge et verte, sésame,
pousse de coriandre, semoule,
concombre, amande, fruit de la passion, pignon frais, cacahuète… Une
salade folle de pépins, dont le jeu serait
d’identifier chaque élément, assaisonnée d’une émulsion au vinaigre de
Xérès. Ça laisse sur le cul. Ou plutôt
sans voix.
El Bulli n’est pas qu’une symphonie
de textures et de températures, un
paso doble rebondissant sur des associations étonnantes, une cuisine
gavée de ruptures, de provocations,
24 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
Chef de file de la cuisine
d’avant-garde, Ferran
Adrià publie la somme
volumineuse de sa
philosophie de la table :
beaucoup de travail,
aucun hasard.
d’humour. C’est aussi un bal hurlant
d’onomatopées.
Ferran Adrià est aujourd’hui considéré
comme le chef de file d’une cuisine
dite d’avant-garde – récompensé par
le prix du Design européen de la Fondation Raymond-Loewy, en 2006 ;
premier cuistot, en 2007, invité à la
Documenta de Kassel, cette Mecque
de l’art contemporain. Démiurge
outillé, compagnon de l’innovation.
L’utilisation du siphon en dehors de
JEAN-CLAUDE RENARD
la crème chantilly, c’est lui. Le siphon,
qui rend 100 % du produit, permet
des écumes sans beurre ni crème. La
cuiller en porcelaine, contenant à part
entière, c’est lui (la température est
maintenue, la texture reste intacte).
L’effacement de la frontière entre le
sucré et le salé, c’est encore lui – le sorbet de mangue servi avec un foie gras
chaud en donne un exemple.
Dans la musette du casseroleur, se
bousculent aussi la gélatine chaude
et le verre, moulant sans moule une
préparation, nouveau jeu de températures et de superpositions. Inspiré par les techniques de l’industrie,
le cuisinier réalise des sphères à partir d’un alginate, produit naturel
dérivé des algues. S’ajoute encore la
déconstruction : un plat classique,
avec ses ingrédients, recomposé différemment en textures, en forme et
en température. La tradition culinaire est ainsi « renversée », éloignée
de sa référence originelle.
Voilà juste quelques lignes d’un curriculum vitae long comme deux
Larousse gastronomique. Et décliné
dans cet épais volume, Une journée
à El Bulli, organisé selon une journée
type, du matin au bout de la nuit. Une
somme d’images (sans doute trop)
entrecoupées d’éléments biographiques, d’encarts sur le restaurant,
son fonctionnement, sur les méthodes
de travail, et agrémentée d’une trentaine de recettes, dont le niveau technique et le choix des ingrédients ne
s’adressent guère au petit péquin de
la casserole.
Retour aux origines. Modestes.
Années 1980 : épluche et plonge pour
toile de fond. Sésame pour des
vacances à Ibiza. Adrià passe commis. Première fiche de paye, premiers
fifrelins. Décroche un stage chez
El Bulli, humble paillote. El Bulli, à
traduire littéralement par « petits bouledogues ». Sa propriétaire en est
férue. Le caboulot en bord de plage
vire en restaurant. C’est encore le
temps des baigneurs crapahutant audessus des galets pour mettre les pieds
sous la table. En 1984, Adrià devient
chef de cuisine. L’époque est aux classiques français. Moelle au caviar, millefeuille à la mousse de foie gras truffée, salade de homard, minute de
rougets en escabèche. Comme un
peintre en herbe reproduisant les
maîtres anciens, le Catalan pique ses
trilles de l’autre côté des Pyrénées.
Chez Guérard, Troisgros, Maximin.
Il possède la collection complète, chez
CINÉMA
EXPOSITION
Robert Laffont, des « recettes originales de… », véritable manuel de la
Nouvelle Cuisine. Lu, pratiqué. « S’il
m’est arrivé d’adapter certains plats,
en changeant, par exemple, le cerfeuil
par le basilic, je me contentais généralement de les copier. J’ai appris
comme ça. Ce sont aussi les premiers
livres illustrés. Avant ceux-là, c’était
très difficile de “voir” la cuisine. »
En saison creuse, Adrià voyage. En
France. Il enquille tables et grandes
tables avec Juli Soler, son complice
et maître d’hôtel à El Bulli. 1985 : rencontre de Jacques Maximin à Nice au
cours d’une conférence. Une phrase
tombe : « Créer, c’est ne pas copier ! »
C’est une maxime, la ligne à suivre.
Les bases solides permettent de passer à une cuisine d’auteur. Qui n’a rien
à voir avec la cuisine moléculaire.
Adrià est un cuisinier. Punto finale.
Qui use des ustensiles de son temps
(siphon, thermomix et tournevis électrique) comme ses
Au restaurant
aînés avaient proEl Bulli :
fité des premiers
Ferran Adrià
mixers et de la
de dos, potassant poêle Tefal. En
devant sa brigade. coulisses, c’est le
bastringue traditionnel, une sarabande de calottes,
fouets, couteaux,
cuves, bacs, cocottes sur des plaques
à induction. Et des produits tout
ce qu’il y a de plus authentiques,
coquillages et crustacés, herbes et
produits laitiers.
Aujourd’hui, El Bulli est ouvert d’avril
à septembre, seulement au dîner, le
reste de l’année est consacré à la création. Cinquante couverts. Pas plus.
Beaucoup de demandes, peu d’attablés. Réservations bouclées d’une
année sur l’autre. De quoi forcer les
jalousies. Et susciter les répliques.
Ça n’a pas loupé. Le Catalan est copié,
recopié. C’était le cas de Michel Guérard dans les années 1970. Seulement
voilà, fallait posséder le goût iconoclaste et le génie d’un Guérard pour
ne pas tomber dans ce qui était devenu
alors une caricature de la Nouvelle
Cuisine (soit trois petits pois et le kiwi
sur la frange de l’assiette). « On a parfois l’image du fou génial qui se réveille
chaque matin avec une idée, mais cela
ne marche pas comme ça ! » À El Bulli,
l’innovation, c’est six mois de
recherches par an, à raison de huit
heures par jour pour quatre ou cinq
personnes. Les clés d’une révolution
gastronomique.
_Jean-Claude Renard
Une journée à El Bulli, à la découverte des idées, des
méthodes et de la créativité de Ferran Adrià, éditions
Phaidon, 528 p., 49 euros.
Le Pays à l’envers
Du neuf chez Tati
h, tiens, on remet Tati en route.
Pourtant plus que centenaire,
le bougre (1907-1982). Le
Centquatre a remonté grandeur
nature la fameuse turne de Mon
Oncle, la villa Arpel, créée pour l’occasion en 1956, aux studios de la
Victorine, dans l’encolure niçoise.
Une bâtisse cubique de style MalletStevens, clin d’œil ludique aux arts
ménagers triomphant alors, cuisine
robotisée comprise, tandis que Boris
Vian, cette même année, claquait en
musique la Complainte du progrès.
Et madame Arpel de briller en maîtresse de cérémonies jubilant dans le
tout-électrique, entre un poisson cracheur selon la tête du client et la télécommande retorse du garage.
En termes d’hommages, cette reconstitution de la villa est une antichambre
de l’exposition de la Cinémathèque
française, outre la projection de ses
films, « Jacques Tati, deux temps, trois
mouvements ». Nom de baptême calé
sur la gestuelle d’un amateur de tennis (les Vacances de monsieur Hulot),
au jeu de jambes hésitant, saccadé,
cycliste aussi (Jour de fête), en Solex
souvent, mais aussi boxeur à l’occasion d’un court-métrage ahurissant (Soigne ton gauche, 1936).
Conçue par Stéphane Goudet et Macha
Makeïeff, l’exposition, foisonnante,
se veut une virée dans la cosmogonie enchantée de Tati, entre palpable et visuel. Les objets d’abord (la
raquette, le fameux imper, les curieux
mobiliers, l’épuisette), puis des extraits
de films, des affiches, d’autres éléments comme la correspondance
(avec Pasolini), les dessins (Sempé,
Etaix et Saul Steinberg), la photographie (Doisneau, Ronis et Cartier-
A
Playtime, 1967 LES FILMS DE MON ONCLE
Parmi d’autres hommages
consacrés à Jacques Tati,
la Cinémathèque
de Paris propose
un parcours jubilatoire
dans l’univers du cinéaste.
Bresson) et la sculpture (César et Tinguely). Un arc-en-ciel de matières,
de supports, qui dit la désobéissance
du réalisateur, d’un anti-héros burlesque, autoproclamé « auteur et artisan », cador du pas de côté, marqué
à la culotte par la modernité, ses torts,
hasards et travers.
Ultime ingrédient dans ce concert
d’honneurs, comme un gag de mauvais goût : les affiches de l’exposition, tirées de Mon Oncle, droit
comme un piquet sur son Solex, diffusées par la RATP et la SNCF ont
remplacé la pipe de père Hulot par
un moulin à vent, au motif que
l’image n’est pas raccord avec la loi
Evin sur le tabac. Grotesque et ridicule. Simenon et Bogart n’ont qu’à
bien se tenir. Cette pipe est la partie constitutive d’une identité. Pour
les mêmes raisons du sanitairement
correct, en 2005, la BNF avait déjà
effacé le clope de Sartre sur une
photo de Boris Lipnitzk. Là où il est,
sans doute, Jacques Tati doit s’enfumer du rictus d’un pince-sans-rire.
_J.-C. R.
Jacques Tati, deux temps, trois mouvements,
cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris XIIe.
Jusqu’au 2 août. Catalogue, éd. Naïve, 310 p.,
45 euros. La Villa Arpel, Centquatre, 104, rue
d’Aubervilliers, Paris XIXe, jusqu’au 3 mai.
La cinéaste Sylvaine Dampierre,
Guadeloupéenne vivant en métropole,
revient sur l’île de ses aïeux pour faire une
recherche généalogique sur son nom. Plus
qu’à une quête personnelle d’identité (bien
qu’elle interviewe aussi son père sur ses
grands-parents), son documentaire, lePays
à l’envers, invite à renouer avec une
mémoire collective, le plus souvent non
explicite. Voire impossible à retrouver dans
son intégralité, comme l’explique le
généalogiste qui accueille Sylvaine
Dampierre: « Le peuple guadeloupéen se
retrouve comme s’il était né sous X, parce
que dans la remontée de l’arbre
généalogique des familles, le premier
ancêtre est toujours de parents inconnus,
parce qu’il est né quelque part en Afrique.»
Sylvaine Dampierre filme aussi une
danseuse, Léna Blou, qui transmet aux
jeunes une danse traditionnelle, le gwo-ka.
Ici, l’histoire se dit par l’expression
corporelle. LePays à l’envers suit ainsi
plusieurs modes de remémoration. Un film
subtil, loin des discours présupposés et
monolithiques.
Maghreb
Durant le long week-end du 1er mai, le
Panorama des cinémas du Maghreb se
déroule pour la quatrième année au cinéma
l’Écran de Saint-Denis. À travers une riche
programmation, cette manifestation a pour
ambition, notamment, de « transformer une
perception parfois caricaturale de la
culture musulmane et arabe».
Panorama des cinémas du Maghreb,
du 30 avril au 3 mai, L’Écran,
14, passage de l’Aqueduc,
93200 Saint-Denis, 01 49 33 66 88.
MUSIQUE
Simha Arom
Les disques publiés par les
ethnomusicologues ne constituent qu’une
partie de leur travail. Simha Arom est réputé
pour ses enregistrements de polyphonies
pygmées, mais l’essentiel de ses recherches
a porté sur les systèmes musicaux. D’abord
corniste d’orchestre symphonique, il créa un
musée à Bangui avant de découvrir les
musiques africaines. Dans laFanfare de
Bangui, il retrace comment il a, pas à pas,
trouvé les méthodes pour expliquer la
complexité qui se cache derrière leur
beauté. Il montre, de manière accessible,
comment elles sont liées à la vie sociale et
aux visions du monde. Àpartir de là, le
travail de Simha Arom rejoint les sciences
cognitives parce qu’il éclaire les procédures
de construction des connaissances. C’est
pour cela que la Fondation Fyssen lui
remettra son prix le 15mai.
La Fanfare de Bangui, itinéraire
enchanté d’un ethnomusicologue,
Simha Arom, La Découverte, « Les
empêcheurs de penser en rond »,
204 p., 13 euros.
30 avr il 2 00 9
I
POLITIS
I 25
CULTURE
THÉÂTRE
LITTÉRATURE
Passion muette
Le goût des monstres
Médée, jouée dans un feu de braises douces par Élodie Navarre.
ans doute n’avons-nous pas
assez de personnages monstrueux dans l’actualité ! Les
monstres d’antan continuent à nous
accompagner, mythologiques ou historiques. Entre les horreurs du quotidien et les terreurs culturelles, à nous
de choisir ! Britannicus, de Racine,
par exemple, c’est un sacré micmac
de haines, de passions et de meurtres,
avec Néron aux commandes. La mise
en scène qu’en donne Jean-Louis
Martin-Barbaz au Théâtre 14, et qui
s’achève prochainement, mérite
d’être signalée car voilà une équipe
qui n’a pas peur de la tragédie classique, l’empoigne dans un double
mouvement d’élégance et de violence,
maintient sans cesse l’émotion sous
la rigueur de la cérémonie. JeanChristophe Laurier (Néron), Alberte
Aveline (Agrippine), Hervé Van der
S
26 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
PASCAL GELY
Du Néron racinien à
Médée vue par Anouilh,
les criminels d’antan
continuent à nous
fasciner.
Meulen (Narcisse), Patrick Simon
(Burrhus), Antoine Rosenfeld (Britannicus) et Vanessa Krycève (Junie)
sont les beaux interprètes de ce spectacle qu’on espère voir repris un jour
prochain.
Et Médée ! Une meurtrière de haute
volée puisqu’elle liquida ses deux
mouflets pour se venger de l’homme,
Jason, qui l’avait quittée. On ne s’en
passe pas non plus. En un lointain
festival d’Avignon, Jacques Lassalle
et Isabelle Huppert tentèrent en vain
de nous convaincre que la tueuse était
une simple et attachante héroïne de
fait divers, même en gardant le texte
d’Euripide. À la Comédie de Picardie, à Amiens, mais à présent au Vingtième Théâtre, à Paris, où le spectacle vient d’arriver, c’est une Médée
d’une autre sensibilité qui surgit.
Ladislas Chollat – l’un des metteurs
en scène les plus doués de la nouvelle
génération – a choisi, lui, le texte
d’Anouilh, qui se libère beaucoup
des données antiques. Anouilh fut
un méchant droitiste mais son obsession du mal et de la pureté, associée
à un sens diabolique du dialogue, ne
lui fit pas toujours écrire de mauvaises pièces.
Cette Médée oubliée est pourtant aussi
touchante que l’Antigone du même
auteur. Dans sa cruauté, elle a une part
d’innocence, une immaturité que n’a
pas le monde féroce qui l’entoure.
C’est du moins ce que Chollat met très
bien en lumière. La tragédie se passe
de nos jours sous un ciel étoilé. Une
remorque occupe une partie de cet
univers bleuté où fume le foyer de
quelques nomades. Un peu gitan, un
peu forain, tel est le climat de cette
nuit où Médée va commettre l’irréparable : Médée jouée dans un feu de
braises douces par Élodie Navarre,
belle et poignante sorcière aux
jambes peintes et blottie dans sa peau
de lapin. Autour d’elle, les hommes
ont la solennité répugnante ou la placidité déplaisante : Créon interprété
par Gildas Bourdet portant le chapeau et la cravate du notable, Jason
incarné par Benjamin Boyer, qui, en
costume bleu nuit, se fond dans l’obscurité. Il n’y a que les femmes qui
écoutent la vérité du cœur : Médée
et la nourrice joliment interprétée
par Sylviane Goudal.
Sans doute le dernier tableau, où
Médée parle debout sur le toit de
la caravane, sacrifie-t-il trop à une
volonté de spectaculaire. Mais la soirée saisit bien les secrets et les ombres
derrière la beauté d’un étrange
tableau nocturne.
_Gilles Costaz
Britannicus, Théâtre 14, Paris, 01 45 45 49 77.
Jusqu’au 2 mai.
Médée, Vingtième Théâtre, Paris, 01 43 66 01 13.
Jusqu’au 14 juin.
Didier Blonde ressuscite
une star du cinéma
des années 1910.
u départ, il y a la fascination que
seules les actrices de cinéma
peuvent exercer. Fascination plus
grande encore quand il s’agit de
jeunes femmes pâles et graciles dont
la silhouette et le visage, depuis longtemps oubliés, hantent les films des
débuts du cinéma. Telle Suzanne
Grandais, qui fut dans les années 1910 une star du muet. C’est
à Didier Blonde, déjà auteur des Fantômes du muet (Gallimard, 2007),
que l’on doit cette exhumation de
l’héroïne du Chrysanthème rouge,
où, écrit-il, elle est « si belle en ensorceleuse aux grâces minaudières ».
Le voilà définitivement mordu.
De même que le fut un certain Jean D.,
l’autre personnage important du récit
de Didier Blonde, contemporain de
Suzanne Grandais, son amoureux
le plus assidu, puisque son sentiment
perdura au-delà de la mort de l’actrice, fauchée en pleine gloire en 1920
par un accident d’automobile. Mais
amoureux transi et resté secret. D’où
le titre, Un amour sans paroles, qui
a plus d’un sens.
A
Sans paroles, mais pas sans écrits,
puisque Jean D. a laissé derrière lui
un manuscrit consacré à Suzanne,
où, notamment, il consigne ses tentatives, toujours avortées, pour entrer
en relation avec la jeune femme. C’est
donc à travers les yeux de Jean D.,
en tentant de reconstituer quelles ont
été ses « stratégies d’approche », que
Didier Blonde retrace la carrière et
la vie de Suzanne Grandais. Le récit
est ainsi vibrant d’une passion rentrée, qui devient plus bouleversante
encore que le charme disparu de la
jolie comédienne.
_Christophe Kantcheff
Un amour sans paroles, Didier Blonde, Gallimard,
« L’un et l’autre », 158 p., 19,50 euros.
MÉDIAS
À VOS POSTES
Condamnés à la tôle
TÉLÉVISION
l’histoire. C’est là un chassé-croisé
amoureux, aux récits emboîtés. Comme un
train peut en cacher un autre.
SAMEDI 2 MAI
à où la mer finit, où se dressent les montagnes. Chittagong,
le royaume de la paix éternelle,
dit-on. Dans le golfe du Bengale,
au sud du Bangladesh. Chaque
année, la saison des pluies et son
lot d’inondations contraignent les
paysans du Nord à migrer, en quête
de travail. Beaucoup débarquent aux
chantiers de démolition des navires,
à Chittagong. Dans les années 1960,
un gros bateau s’était échoué sur la
plage. Les habitants l’ont démonté
pour le revendre pièce par pièce.
Ça a débuté comme ça.
Aujourd’hui, la production sidérurgique de Chittagong couvre tous les
besoins du pays, les chantiers font
vivre trois millions de personnes par
an. Une fourmilière âpre à la tâche,
mêlée de câbleurs, tireurs, découpeurs. Les « bouffeurs de fer », selon
le titre du documentaire. Sans vêtements de protection, pieds nus, ils
tirent sur le sable des monstres
bateaux, à mains nues, dépècent des
épaves bourrées de composants
toxiques. Les pires besognes sous l’œil
des contremaîtres du Sud. En dehors
des chantiers, les autochtones ont
aussi la mainmise sur le commerce.
Ils ont ouvert des magasins d’alimentation. Les ouvriers, payés avec
retard, achètent à crédit. Les prix sont
prohibitifs. Les dettes s’accumulent,
les empêchant de rentrer chez eux au
moment crucial des récoltes.
C’est un cercle infernal que très peu
d’ouvriers parviennent à rompre, un
cercle entretenu par les patrons de
chantier, baptisés les « contractants »,
complices des commerçants. Quand
certains réussissent à revenir chez
eux, c’est sans le sou, humiliés,
épuisés, calés dans leur défaite intime.
L
Au sud du Bangladesh,
Shaheen Dill-Riaz a filmé
le quotidien infernal des
ouvriers attelés à dépecer
les bateaux.
Et sans autre choix que de recommencer plus tard. Les contractants
n’attendent que ça, sûrs de leur maind’œuvre à bon compte.
Originaire de la région de Chittagong,
le réalisateur, Shaheen Dill-Riaz, a
voulu « savoir qui sont ces hommes
qui viennent quelques mois chez
nous, dans le Sud, pour un salaire de
misère ». Et de filmer alors une tragédie humaine, un système d’exploitation, dans un langage formel
époustouflant, celui de la démolition : les chants, les chœurs en file
indienne des tireurs de câble, les
lumières vives des chalumeaux
déchirant l’obscurité des nuits de turbin, le pas mal assuré d’une frêle
silhouette au-dessus des brics et
brocs de tôles, le remorquage de
gigantesques bateaux sur un océan
de boue, les assiettes de riz sous les
halos faibles, les empilements de
barres d’aciers, le râle du métal.
Chaque plan vocifère la dissection
des matériaux, hurle dans les limites
du cadre, beugle sous un ciel bas.
Une féerie aux confins du désastre.
_Jean-Claude Renard
Les Bouffeurs de fer, mercredi 5 mai, 20 h 45, Arte
(1 h 25).
Cut up
Arte, 18 h 10
Coup d’envoi d’une nouvelle revue
hebdomadaire, constituée de courts
extraits de documentaires aux écritures et
aux styles différents, sur un thème donné.
Non pas un zapping, mais un
enchaînement de morceaux qui font sens.
Le titre de cette émission, « Cut up », est
tiré du procédé littéraire créé par William
Burroughs et Brion Gysin: couper de façon
aléatoire différentes parties d’un texte
pour les combiner et voir ce que ça donne.
Les sept premiers numéros ont pour thème
l’argent, le pouvoir, le travail, la famille, la
jeunesse, la méchanceté et le plaisir.
L’humoriste Jackie Berroyer intervient en
préambule et entre les séquences.
DIMANCHE 3 MAI
Good Morning Babylonia
France 3, 0 h 40
Le film des frères Taviani clôture le cycle
consacré au cinéma italien. Récit d’une
migration réussie vers les États-Unis, à
travers l’expérience de deux frères
embarqués dans les tournages de Griffith.
MARDI 5 MAI
Violences conjugales
France 5, 21 h 40
En attendant la mise en place de référents
chargés d’accompagner les femmes
battues dans leurs démarches, Carole
Tresca a choisi de suivre le travail en
réseau d’assistantes sociales, de policiers
et de psychologues. Tel est le cas de
Florence Simon, assistante sociale dans
un commissariat, qui accueille les femmes
qui veulent porter plainte, celles qui
n’osent pas aller jusque-là aussi. Parce
que la réalité est celle du silence, de
l’emprise.
RADIO
DU LUNDI 4 AU JEUDI 7 MAI
La Vie dans les collèges
France Culture, de 16 h à 17 h
Série de quatre reportages articulés
autour du second degré. Le premier,
enregistré près de Tours, à la frontière de
l’urbain et du rural, dans un établissement
refait à neuf et accueillant 550 élèves et
où, chaque année, deux collégiens sur
trois, plus ou moins en échec, se tournent
vers l’apprentissage (sachant que
l’établissement n’est classé ni en ZEP ni en
ZUP). Le deuxième reportage se penche
sur une «section d’enseignement général
et professionnel adapté» (Segpa), à
Romainville (Seine-Saint-Denis),
structure spécialisée intégrée dans un
collège ordinaire, chargée des élèves en
difficulté, pour lesquels les actions de
prévention et de soutien intervenues
auparavant, dans les classes élémentaires,
n’ont rien donné. À l’instar des Réseaux
d’aide spécialisée aux enfants en difficulté
(Rased), les Segpa manquent aujourd’hui
de moyens et de places, sont soumis aux
coupes budgétaires et aux suppressions
de postes. À suivre par deux autres
reportages, sur un collège privé (NotreDame-de-la-Providence à Enghien-lesBains) et sur l’enseignement de la
musique.
DU LUNDI 4 AU VENDREDI 15 MAI
Les Lettres de Capri
France Culture, de 20 h à 20 h 50
Feuilleton de Fabrice Colin, adapté du
roman de Mario Soldati (1954), histoire
d’amour et de trahison dans l’Italie postmussolinienne (réédité chez Autrement).
DU MARDI 5 AU VENDREDI 8 MAI
Le Dessous des cartes
Alfred Döblin
Arte, 22 h 10
France Culture, de 22 h 15 à 23 h 30
Un numéro consacré au droit d’asile
(réfugiés, déplacements forcés des
populations, demandeurs d’asile). Une
histoire qui remonte à l’Antiquité, évolue au
gré de l’influence des Églises, toujours
présentes, de la forme des empires et des
États, et surtout des conflits.
Portrait de l’écrivain allemand (18781957), le plus important des écrivains
d’avant-garde de la République de Weimar,
auteur de Berlin Alexanderplatz, né à
Stettin, pourchassé en 1933, naturalisé
français en 1936, converti au catholicisme
en 1945 à Hollywood, mort en 1957, dans
l’isolement, la pauvreté et la maladie.
JEUDI 7 MAI
Conte de cinéma
Les «bouffeurs de fer» : une fourmilière âpre à la tâche. ZAHIDUL KARIM SELIM/LEMME FILM
VENDREDI 8 MAI
Arte, 23 h 55
Nécessité et hors la loi
Un film dans le film, par Hong Sang-soo.
Au sein d’une fiction, la rencontre par
hasard d’un étudiant et de son ex-petite
amie, le projet d’un suicide commun, le
ratage de ce suicide et une nouvelle
rencontre entre la jeune femme et un
cinéaste, partis pour une répétition de
France Culture, de 16 h à 17 h
Une réflexion sur la notion de
désobéissance civile et sur l’état de
nécessité, où il sera notamment question
du délit de solidarité. Avec des membres de
l’association l’Appel de la pioche, de Terre
d’errance et des Déboulonneurs.
30 avr il 2 00 9
I
POLITIS
I 27
DÉBATS & IDÉES
La loi et la jungle
Contrairement à ce qu’affirme
Éric Besson, il existe bien
un « délit de solidarité »
à l’encontre des militants
et des familles qui défendent
les sans-papiers.
DR
ÉRIC FASSIN
est
sociologue.
DR
AURÉLIE
WINDELS
est
journaliste.
Ils sont
tous deux
membres
de « Cette
France-là ».
28 I
POLITIS
En 1987, Gary Hart, candidat à la nomination
démocrate pour l’élection présidentielle aux
États-Unis, mettait les journalistes au défi de
prouver la liaison adultère que la rumeur lui
prêtait. Aussitôt, la presse publiait une
photographie qui mettait un terme à sa
campagne. Aujourd’hui, Éric Besson évoque
Gary Hart, non pas du fait de ses confidences
conjugales (« en ce moment, ça tangue un peu
dans le couple »), mais depuis qu’il a mis au
défi les associations de prouver l’existence d’un
« délit de solidarité ».
Interpellé le 11 mars à l’Assemblée nationale
par George Pau-Langevin, le ministre
affirmait déjà : « L’article L. 622-1 du code
d’entrée et de séjour des étrangers en France a
permis de démanteler à peu près 4 000 filières
d’immigration clandestines. En soixante-cinq
ans, seules deux condamnations, avec dispense
de peine, et c’est très rare, sont intervenues. »
Depuis, sur les blogs (Combat pour les droits
de l’homme, Journal d’un avocat) et du côté
des associations (Gisti, Amoureux au ban
public), les réfutations se multiplient. En
réponse au communiqué de presse des
associations (« Si la solidarité devient un délit,
nous demandons à être poursuivis pour ce
délit »), le ministre n’en déclare pas moins le
8 avril, jour de la manifestation nationale :
« Le délit de solidarité n’existe pas ; c’est un
mythe. Donc celles et ceux qui manifestent
pour cela doivent être rassurés : ils manifestent
contre un mythe. » Tantôt, il se fonde sur les
seules décisions de justice, et non sur les
poursuites (« personne n’a jamais été
condamné ») ; tantôt, il s’abrite derrière la
séparation des pouvoirs (s’il y a bien « trois ou
quatre affaires en cours », elles « ne dépendent
pas de moi », car « l’autorité judiciaire est
indépendante en France »). Toutefois,
confronté aux condamnations recensées par le
Gisti, Éric Besson finit par perdre patience : s’il
annonce le 21 avril qu’il « a pris connaissance
avec intérêt de cette liste, et s’engage à apporter
I 30 avr il 2 0 0 9
Dans la « jungle » de Calais et au-delà, la loi a-t-elle vocation à protéger le faible
du fort — ou bien l’inverse ? MONTEFORTE/AFP
une réponse circonstanciée », dès le lendemain
il change de ton : « Je le dis avec pondération :
la crédibilité du Gisti en la matière, elle est
quasiment nulle. »
Gary Hart a chèrement payé son pari perdu ;
Éric Besson, hier chargé d’évaluer ses collègues
du gouvernement et aujourd’hui encore
chantre de la « culture du résultat », en sortirat-il indemne ?
Dans le Monde du 21 janvier, il avouait que,
responsable du pamphlet socialiste de 2007 sur
« Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy », il
n’avait « pas écrit un mot sur la partie
concernant l’immigration. Ce n’était pas ma
compétence ». Autrement dit, l’auteur de cette
charge était compétent dans ce domaine – pas
Éric Besson. On touche ici à l’essentiel : la
politique d’immigration actuelle n’est pas
fondée sur la compétence, mais sur l’illusion du
sérieux ; non sur la raison, mais sur l’apparence
raisonnable ; non sur les résultats, mais sur la
culture du résultat. Dans les débats suscités par
le film Welcome, Éric Besson est très à l’aise
pour dénoncer le Parti socialiste : « Il y a cet
écran de fumée du délit de solidarité, qui
arrange bien, parce que ça permet de jouer sur
le registre émotionnel. » Toute la force
rhétorique de sa position tient à une seule
proposition : l’émotion « droit-de-l’hommiste »
ne serait que l’envers d’une « incapacité à
proposer une politique migratoire alternative »
raisonnable.
En revanche, quand on l’attaque sur le terrain
de la raison et non du cœur, il perd pied. La
contestation associative, relayée par
l’opposition politique, a ainsi ouvert une
brèche dans son dispositif. Deux propositions
de loi sont déposées le 18 mars, l’une à
l’Assemblée, l’autre au Sénat. Si le délit de
solidarité n’existe pas, ou n’est jamais appliqué,
pourquoi ne pas restreindre l’article L. 622-1
du Ceseda (revendication du Gisti en 1995 et
encore en 2003) à ceux qui interviennent « à
titre onéreux » ou « dans un but lucratif » ?
Éric Besson ne trouve-t-il pas lui-même
« maladroit » le mot « aidant », qui figure dans
la loi de finances (5 000 personnes devraient
ainsi être interpellées en 2009) ? Selon lui, la
« traque » ne viserait en fait que les
« trafiquants ». L’initiative de la gauche devrait
d’autant plus séduire le ministre qu’elle est
conforme à une directive européenne du
28 novembre 2002 : n’est-il pas attentif à
rappeler à ses anciens amis socialistes « que la
politique française d’immigration, c’est la
politique européenne », également soutenue
par des gouvernements de gauche ?
Or, confronté aux faits, Éric Besson ne peut
plus se contenter de dire qu’il n’y a pas besoin
de changer la loi. Il lui faut reconnaître qu’il ne
le souhaite pas. À Calais le 23 avril, il rejette
donc ces propositions de loi : « Le principal
instrument juridique pour lutter contre ces
filières, l’article L.622-1 du Ceseda, ne sera pas
modifié. Tous ceux qui contribuent de manière
active, et en toute connaissance de cause, à ces
filières, doivent être poursuivis, qu’ils agissent
dans un but lucratif – c’est le cas de l’immense
majorité des passeurs – ou par idéologie ou par
passion – ce qui est exceptionnel mais peut
arriver. » Comment justifier ce retournement
apparent ? « Ne soyons pas naïfs. Les passeurs
facturent une prestation globale, incluant
l’intervention éventuelle de bénévoles et
d’associations. La passion quelquefois
imprudente des uns peut faire la fortune des
autres. » Les bénévoles qui aident les sanspapiers travailleraient en réalité pour les
« passeurs » : la limite s’estompe ici.
« Par idéologie ou par passion » ? Ce sont les
deux grandes catégories que vise, sinon la loi,
du moins la pression policière actuelle : d’un
côté, les militants ; de l’autre, les familles. Les
exemptions prévues dans l’article L. 622-4
protègent sans doute théoriquement celles-ci,
voire ceux-là. Il n’empêche : en dépit de la loi,
même les conjoints ne sont pas à l’abri – les
Amoureux au ban public n’ont pas manqué de
le rappeler. L’intimidation est claire. Du côté
familial, la lettre de mission que Nicolas
Sarkozy adresse le 31 mars à son nouveau
ministre de l’Immigration en donne la clé : il
faut « poursuivre le rééquilibrage entre
immigration professionnelle et familiale », ce
qui, « dans le contexte actuel de l’emploi »,
implique bien moins la relance de
l’immigration de travail que la réduction de
l’immigration familiale, avec « un
renforcement de la lutte contre les abus et la
fraude, notamment les mariages de
complaisance, les mariages forcés, ou les
situations d’immigration illégale débouchant
sur une régularisation pour motif de vie privée
et familiale ». Conjoints et familles sont donc
a priori suspects.
Du côté associatif, certes, comme insiste Éric
Besson, « l’action humanitaire en direction des
étrangers en détresse, quelle que soit leur
situation au regard du droit au séjour, est
parfaitement légale ». Ce qui est donc visé,
c’est bien l’idéologie : l’action humanitaire est
légitime à condition de n’impliquer aucune
critique de la politique menée. Le ministre
aime à le dire, c’est à tort qu’on lui reproche
de faire la guerre aux bénévoles : dans sa
lettre du 7 avril aux associations mobilisées
contre le « délit de solidarité », il rappelle
ainsi que l’État « apporte, avec les
collectivités locales, un important soutien
technique et financier, plus de 20 millions
d’euros par an, aux associations venant en
aide aux immigrés en situation irrégulière,
dont le rôle humanitaire est indispensable ».
Cette générosité ne va pas sans contrepartie :
le rappel prépare le rappel à l’ordre.
Certains l’apprennent à leurs dépens. Selon
la Croix du 31 mars, « après un échange très
vif avec le président national de la Cimade sur
les “aidants” », Éric Besson déclare en effet :
« J’ai compris : s’il faut, je vais cogner. » De
fait, c’est le 10 avril que le ministère rend
publics les résultats de l’appel d’offres lancé
pour l’accompagnement des étrangers dans les
centres de rétention administrative, soit un
marché de 5 millions d’euros dont la Cimade
perd ainsi le monopole. Des associations moins
critiques bénéficient de la répartition nouvelle.
L’apolitisme n’est pourtant pas requis :
le Collectif respect, constitué en 2002 en
réaction aux sifflets qui avaient accueilli
« la Marseillaise » lors d’un match au Stade de
France pour promouvoir le respect dû aux
symboles de la République, se voit attribuer le
« lot » de l’outre-mer (voir Politis n° 1049).
Sans expérience humanitaire, sans rapport avec
des territoires où l’on expulse à une autre
échelle, et même sans salariés, l’heureux
bénéficiaire de la manne publique n’est connu
que pour ses liens avec l’UMP. Comme le dit
encore Éric Besson : « Le respect de la loi, ce
n’est pas l’arbitraire, mais la protection contre
l’arbitraire. Entre le fort et le faible, c’est la loi
qui protège. » À lire cette phrase, on
s’interroge sur son sens : dans la « jungle » de
Calais, et au-delà, la loi a-t-elle vocation à
protéger le faible du fort – ou bien l’inverse ?
Les rendez-vous du documentaire engagé
Politis et l’association Voir&Agir présentent
Mercredi 6 mai à 20h
au centre culturel La Clef - Images d'ailleurs
21, rue de la Clef, 75005 PARIS
M° Censier-Daubenton
LES FEMMES DE LA BRUKMAN
Un film d'Isaac ISITAN, 2008, 88 min.
L’usine Brukman est sans doute le plus bel exemple des
nombreuses expériences d’autogestion en Argentine. En 2001,
pendant la crise financière argentine, les ouvrières de cette
manufacture de vêtements décident d'occuper leur usine
désertée par les patrons. Très vite, elles deviennent l'emblème
de l'Argentine démocratique, prenant toutes les décisions
en assemblée et s'octroyant toutes le même salaire.
Fortes d'un large soutien populaire, elles mènent une lutte
courageuse tant sur le plan légal que politique pour conserver
leur gagne-pain et retrouver leur dignité dans le travail.
Au-delà d'un témoignage sur la persévérance de ces ouvrières,
Isaac Isitan nous entraîne dans une aventure humaine
touchante et empreinte d'espoir.
Les Femmes de la Brukman vient de remporter le Grand
Prix 2009 du Figra (Festival international du grand reportage
d'actualité et du documentaire de société).
La projection sera suivie d’un débat animé par Isabelle BOURBOULON,
avec Denise MENDEZ, Commission internationale d'ATTAC.
- Libre participation aux frais 30 avr il 2 00 9
I
POLITIS
I 29
DÉBATS & IDÉES
Des boycotteurs très présents
MICHÈLE
SIBONY
est
coprésidente
de l’Union
juive
française
pour la paix
(UJFP).
Officiellement absent de la
conférence de Genève sur les
droits de l’homme, Israël
a en réalité exercé sur cette
manifestation un contrôle
de tous les instants.
Nous avons décidé à quelques militants
associatifs, de l’AIC, l’ATMF, CCIPPP, CMF,
FTCR, et l’UJFP (1), de nous rendre à la
Conférence de réexamen de Durban à Genève,
unis par un sentiment mêlé d’inquiétude et de
nécessité. Notre message commun était clair : le
refus de l’exception. La Conférence de
réexamen de Durban contre le racisme et pour
le respect des droits de l’homme dans le monde
ne pouvait faire l’impasse sur ces violations du
racisme colonial et ces discriminations légales
contre les citoyens palestiniens d’Israël. Le dire
ensemble nous semblait important. Mais perdus
dans ce cadre immense, et en l’absence de la
plupart des ONG et associations françaises du
mouvement social, qu’allions-nous pouvoir y
faire d’autre que constater et surtout, en
témoignant, tenter de lutter contre la lourde
artillerie médiatique qui conditionnait depuis
des mois les esprits sur cet événement ?
Nous avons vite compris où nous étions. Dès le
19 avril, une Conférence alternative était
organisée à Genève avec des invités de choix,
dont Caroline Fourest, venue défendre les
thèses du choc des civilisations, et désigner
l’ennemi musulman. Puis une manifestation
contre l’antisémitisme visant directement la
Conférence, suivie d’une veillée d’armes le 20 et
d’un meeting le 22 devant le Palais des Nations
avec Nathan Chtaranski, l’ex-dissident
soviétique passé à l’extrême droite israélienne,
ministre des Relations avec la Diaspora, et Alan
Dershovitz, célèbre avocat américain
néoconservateur.
Mais c’est avec l’ouverture de la Conférence
des États que nous avons mesuré l’ampleur de
l’opération. Dès le matin, des groupes sionistes
manifestent devant les entrées du Palais des
Nations, scotch noir sur la bouche, avec
pancartes et tracts dénonçant une conférence
conduite selon eux par les États racistes ne
respectant pas les droits humains. Ils appellent à
quitter la Conférence en soutien aux États
luttant vraiment contre le racisme et pour ces
droits, États-Unis, Canada, Israël et quelques
pays européens. Israël, bien qu’officiellement
absent de la Conférence, y a assuré sa présence
et son contrôle avec un lobby de près de
30 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
1 500 personnes entourées et protégées par une
forte présence de barbouzes israéliennes, et
l’arrogance de colons en territoire conquis :
l’Union des étudiants israéliens, l’Union des
étudiants juifs de France, des groupes
d’étudiants américains, anglais, et aussi des
chrétiens sionistes. L’accréditation a été retirée
au 3e jour de la conférence à « Coexistence » et
à l’UEJF, en raison de leur comportement
« délinquant » pour dénoncer le racisme de la
conférence dans toutes les commissions
susceptibles d’aborder le colonialisme israélien,
les violations des droits humains en Palestine ou
les discriminations et le racisme vis-à-vis des
Palestiniens citoyens d’Israël. La méthode est
binaire et monothématique. Chaque fois qu’il
sera question de la Palestine, le lobby présent
opposera une batterie de questions : quid du
Darfour, du Congo, du Sri Lanka, des droits des
femmes et des homosexuels en Iran, etc. ?
Et quid de l’antisémitisme ?
Plus grave encore, le fruit d’un lobbying
coordonné par UN Watch – ONG au service de
la cause – auprès des groupes africains, entre
autres, les persuadant que ce sont les
Palestiniens qui veulent monopoliser l’attention
avec leurs problèmes et sont indifférents aux
autres discriminations.
Pour comprendre ce qui se passe, il faut
obstinément déconstruire la massive
propagande à l’œuvre, qui présente l’ensemble
de l’opération comme l’attaque d’un Sud
antisémite, essentiellement arabo-musulman,
opposé à la liberté d’expression, et pour
l’essentiel contre la démocratie, qui est
évidemment représentée par tous les pays
absents. Or, en réalité, c’est l’inverse qui s’est
passé. Depuis le lendemain de Durban I jusqu’à
Genève, la conférence contre le racisme a été
soumise aux lignes rouges des démocraties du
Nord : ne pas condamner Israël et ne pas
évoquer la Palestine, quitte même à imposer
pour y parvenir qu’aucun pays n’y soit
nommément désigné.
Depuis Durban, huit années ont passé, huit
années d’ultralibéralisme néoconservateur qui
ont imposé l’unilatéralisme comme mode de
négociation, la guerre préventive et la
recolonisation comme modalité de pacification,
laminé les droits civiques, le droit international
et les institutions de l’ONU, réuni dans l’Otan
la nouvelle direction mondiale, provoqué une
crise économique mondiale majeure.
Genève est le sinistre reflet de cette période, et
de la violence sans merci de la rencontre NordSud contemporaine. C’est la confiscation de
cet espace d’expression des peuples du tiers
monde, ceux qui souffrent, jusque dans nos
contrées, du racisme et des violations des
droits humains. Dans le Forum de la société
civile, ceux-là ont demandé que des sanctions
de ces violations visent aussi les pays d’accueil
des millions de réfugiés.
Mais, au total, l’imposture médiatique de
Genève aura consisté à faire croire à un boycott
d’Israël et d’un certain nombre d’États, alors
que ceux-ci ont été omniprésents, qu’ils ont
imposé un diktat préalable sur le texte de la
déclaration finale, vidant comme une coquille le
cadre de travail, et exercé un contrôle
permanent à l’intérieur comme à l’extérieur de
la conférence.
(1) Alternative information centre-Jérusalem/Bethléem,
Association des travailleurs maghrébins de France, Campagne
civile pour la protection du peuple palestinien, Collectif des
musulmans de France, Fédération des Tunisiens citoyens des
deux rives, Union juive française pour la paix.
Le 20 avril, un rescapé des camps de concentration assiste à une commémoration de
la Shoah lors de la Conférence de Genève. MONTEFORTE/AFP
DE BONNE HUMEUR
MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY
GRILLE N° 15
HORIZONTAL :
I II III IV V VI VII VIII IX X
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
1. Pour se croire à la hauteur
d’Obama. 2. Anarchie. C’est une
bâtarde, cette lentille. 3. Reste.
Ce prix Nobel yougoslave a
raconté une véritable histoire
de pont. 4. Symbolise un
élément radioactif. Forme
d’avoir. 5. Réduite en miettes.
Fort teuton. 6. Avec un appareil
photo, c’est moins violent.
7. Saint de la région de Bayrou.
Écrivain loin d’être sans
qualités. 8. Ces lettres
moquaient Jésus-Christ. Bruit
qui suit l’éternuement.
9. Inconnu. La pompe Afrique.
10. Galiléenne.
VERTICAL :
Solution de la grille n° 14 :
1. Stipendier.
2. Européenne.
3. Merci. Moas.
4. Éolien.
5. PME. En. DCA
6. Héler. Méru.
7. Oc. Redorer.
8. Rémiz. Data.
9. En. Ré. On.
10. Sévèrement.
SÉBASTIEN FONTENELLE
I. Sémaphores.
II. Tué. Mécène.
III. Irréel.
IV. Poco. Érine.
V. Épilerez.
VI. Né. In. Ré.
VII. Dème. MoDem.
VIII. Inondera.
IX. ENA. Creton.
X. Restaurant.
I. Un olibrius au nom burlesque.
II. Recueil. Possessif. III. Tentait
de rendre la balle intouchable.
Bon quand il est gluant.
IV. Pascal Boniface a dialogué
avec son président. Finit. V. Fit
l’innocent. Méfiance si elle dort.
En Israël. VI. Robert. Sortie.
VII. Ville d’Ulysse. VIII. Théologien
chrétien. IX. Sélection. Note.
Il a pris les armes en Algérie.
X. Olibrius à la hauteur
d’Obama.
Pensées du sage
sino-poitevin
Dans leMonde (27 avril), « M.Raffarin», penseur poitevin, juge que « la France ne peut
pas donner le sentiment de ne pas être un État de droit, en matière sociale», et cette
observation (frappée au coin du bon gros sens bien d’cheux nous dont M.Raffarin, de
longue date, porte haut le gonfalon) a dans un premier temps semé la panique au
Medef, où l’on a (sottement) cru que l’« ancien Premier ministre» exigeait par ces mots
plus de justice sociale, et (donc) la prompte réduction des patrons licencieurs qui n’en
finissent plus de martyriser la plèbe.
Ce n’était bien entendu pas le cas: M.Raffarin, par son crâne rappel au « droit»,
réclame, certes, plus de résolue « fermeté» – mais cette rigueur, de son point de vue,
doit s’appliquer aux impudents « salariés en colère» qui ont le front de séquestrer leurs
employeurs, et non aux employeurs qui sacrifient leurs salarié(e)s à de pansus fonds
de pensions de Corpus Christi, Texas.
Cette rude exhortation de M.Raffarin à soumettre les insolents qui osent (enfin)
répondre aux inconcevables brutalités que leur fait subir le patronat n’est pas
complètement surprenante: M.Raffarin est (non moins que MmeRoyal, qui nous vient
du Poitou itou) d’une famille politique où la satisfaction du prolétariat n’est pas
exactement une tradition.
Plus étonnante est l’argumentation qu’il développe pour fonder cette admonestation,
et que le Monde résume ainsi: « Les séquestrations de
C’est donc énoncé
patrons nuisent à l’attractivité du pays.» Pour le dire
nettement par
autrement: l’investisseur étranger pourrait s’offusquer, si
on
ne les mate pas très rapidement, de ce que des
M. Raffarin :
salarié(e)s françai(se)s interpellent (fût-ce un peu
les principales
vivement) les fabricants de plans sociaux du patronat,
victimes de
plutôt que de se laisser virer en paix comme font les
esclaves bien élevés. Pis: l’investisseur étranger pourrait
« l’insécurité
faire le choix, tragique, de mettre son argent ailleurs
sociale
– sous des latitudes où la main-d’œuvre serait mieux
française »
dressée que sous la nôtre.
sont les patrons. M. Raffarin sait de quoi il parle: « J’étais en Chine, au
Canada, il y a quelques jours, je lis la presse étrangère: il
n’y a pas un jour sans que la séquestration des patrons,
l’insécurité sociale française ne soient mises en avant, y
compris par un certain nombre de nos concurrents qui
expliquent qu’il n’est pas sain d’aller développer des
affaires en France.» Explique-t-il. Posément.
C’est donc énoncé nettementpar M.Raffarin: les principales victimes de « l’insécurité
sociale française» sont les patrons (1). Surtout: c’est à l’aune de ce qu’il a constaté en
Chine (populaire) que M.Raffarin juge qu’il est urgent de réprimer l’agacement du
prolétariat hexagonal.
Le minuscule détail que le droit social pékinois, fusion réussie du totalitarisme
«communiste» et de l’horreur économique, est une franche abomination n’a bien sûr
pas échappé à M.Raffarin: M.Raffarin n’est pas si malvoyant qu’il n’ait vu le misérable
état des travailleurs chinois – mais leur condition toutefois semble moins le heurter que
les séquestrations made in France.
M. Raffarin a des fins de capitaliste conséquent –il veut que rien n’entrave le business
franco-chinois, et qu’on use pour cela des moyens nécessaires à la résipiscence du
travailleur hexagonal: le gars serait en somme d’une excessive moralité.
(1) Que n’organisons-nous impromptu quelque Patronthon, pour leur venir en aide ?
Retrouvez le blog de Sébastien Fontenelle sur www.politis.fr
30 avr il 2 0 09
I
POLITIS
I 31
LE POINT DE VUE DES LECTEURS
Peut-on encore parler de démocratie
quand des millions de citoyens qui
manifestent ne sont pas entendus ?
Quand un seul décide ? Quand on ne tient
pas compte des demandes des citoyens
après un semblant de concertation
(les Grenelles, par exemple) ?
Alain Brunel, Bégard
Une autre politique européenne
Je voudrais répondre au courrier de
R. Joumard, paru dans le n° 1047.
Nous sommes très nombreux à
avoir souhaité que les adversaires de
la politique européenne néolibérale
présentent un front unique aux
élections de juin prochain. Je l’ai
souhaité, exprimé il y a plus d’un
an, et j’ai même prétendu que ça ne
devrait pas être très difficile
d’élaborer, pour des élections
européennes, une plate-forme
commune à tous ceux qui avaient
exprimé un « non » de gauche au
référendum de 2005.
Or, nous faisons le constat que non,
cela n’a pas été possible. Nous
sommes nombreux à le regretter,
dans le lectorat de Politis et dans les
organisations et partis politiques de
gauche et d’extrême gauche, NPA,
PG, Fédération…
Est-ce le moment, à quelques
semaines du scrutin, d’en accuser tel
ou tel acteur, et de taper sur l’un ou
l’autre, avec des arguments dont
certains frisent le grotesque, comme
la mise en page des affiches ? Si c’est
à cela que nous consacrons notre
énergie, alors, oui, « les néolibéraux
n’ont aucun souci à se faire ».
Il me semble que nous avons mieux
à faire : participer, chacun à notre
place, à la dénonciation de la
politique européenne et de son
immobilisme face à la crise.
Nous devons expliquer que, si la
Communauté européenne apparaît
muette et paralysée, c’est que son
histoire, ses institutions, ses
responsables actuels baignent dans
l’idéologie néolibérale, et ne
peuvent donc pas fournir de
réponse adéquate, car tous sont
prisonniers de « la concurrence libre
et non faussée », de la
déréglementation financière, du
dumping social, du poids des
lobbies industriels, etc. Et ce n’est
pas non plus avec cette idéologie
libérale que l’on pourra mettre en
œuvre la nouvelle politique
environnementale indispensable.
Nous devons surtout montrer
qu’une autre politique européenne
est possible : sociale, financière,
environnementale, étrangère…
C’est le plus urgent, et le plus utile.
Sabine Laurent, PG, Marseille
Lecteur critique régulier de la
version papier de Politis, je pensais
avoir circonscrit le spectre de la
représentation politique que vous
semblez trouver honorable pour
défendre « la gauche ». Si j’en crois
la présentation sur votre site,
Politis, « c’est surtout un certain
point de vue sur l’actualité, la
défense des services publics et des
biens communs de la société. C’est
le refus d’un marché omnipotent où
tout s’achète et tout se vend ».
Pensez-y !
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Paiement sécurisé * voir conditions
Quelle n’est donc pas ma surprise
en lisant dans le n° 1048, en page 7,
la « petite phrase » suivante à
propos du Nouveau Parti
anticapitaliste par rapport au Parti
ouvrier indépendant, sous la plume
de Michel Soudais : « On est
toujours le réformiste de
quelqu’un. »De deux choses l’une :
soit Politis estime qu’organiser une
marche unie à Paris pour interdire
les licenciements est « trop (?) »
révolutionnaire ou pas assez
« réformiste (?) », soit le refus du
NPA de contribuer à une marche
unie contre les licenciements est
considéré comme positif. Donc il ne
faut pas s’allier contre les
licenciements. Étrange
positionnement.
Alexandre Vignaud, Guadeloupe
Hors du monde Actuellement
détenu, j’ai eu l’opportunité de lire
votre hebdo et particulièrement
votre article sur Julien Coupat.
Vous avez raison de dénoncer ce
scandale ; cependant, connaissezvous le nombre de détenus en
détention provisoire sans motif
politique sous le bon vouloir des
juges ? La présomption d’innocence
n’existe pas, l’instruction à charge
et à décharge n’existe pas. Il n’existe
que la conviction du juge. Je suis
d’accord avec le fait que la
suppression du juge d’instruction
rendrait encore pires les conditions
de recherche de la vérité, mais
comment une personne qui se
persuade de sa propre explication
selon ses propres valeurs peut-elle
contre-argumenter elle-même ? Je
ne suis même pas sûr qu’un saint
puisse remettre en question sa
manière de penser. Et savez-vous
Rendez-vous sur
notre nouveau site
www.politis.fr
32 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
AGENDA
POLITIS courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris.
01 43 48 04 00 (fax) [email protected] (e-mail)
Rochefort (17) : le 2 mai,
Je souhaite (ré)adhérer à l’association Pour Politis
Nom : ..................................................
Prénom : .............................................
Adresse : ............................................
...........................................................
Code postal : .......................................
Ville : ..................................................
Courriel : ............................................
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Téléphone : .........................................
Propositions, motivations : ....................................................................................
.............................................................................................................................
.............................................................................................................................
.............................................................................................................................
Montant de la cotisation 2009 : 10 euros (chèques à l’ordre de Pour Politis)
Bulletin à renvoyer à Pour Politis, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris
Renseignements au 01 55 25 86 75 ou à [email protected]
quelles sont les conditions de
détention ? Les conditions
matérielles ne seraient rien s’il n’y
avait pas les conditions
d’anéantissement psychologique.
Il n’y a pas plus de fous ou de
déprimés qu’avant. Il y a une
désespérance nourrie et provoquée.
Les statistiques, en tête celles de
M. Bauer, montrent bien qu’il n’y a
jamais eu une société aussi
sécurisée. Et on veut nous faire
croire à une insécurité croissante ?
Si vous connaissiez la population
des prisons, vous seriez sidérés.
Non, il n’y a pas de Jack l’éventreur
ou d’assassins récidivistes à tirelarigot. L’écrasante majorité des
détenus sont ici pour des délits
mineurs avec, c’est vrai, beaucoup
d’affaires liées à la drogue. Sinon,
c’est quoi ? Petits vols, bagarres et
ivrogneries ! La justice et la prison
sont des mondes hors du monde
avec un discours et une vision
idéologique déconnectés du réel.
Dans un climat politique qui veut
détourner le regard de l’essentiel et
entretenir la peur de tout.
Cangina, maison d’arrêt
Saint-Joseph, Lyon
La honte des Français Il y a
quelque chose que le désolant
Frédéric Lefebvre, porte-parole de
l’UMP, semble ne pas avoir
compris, c’est que depuis près de
deux ans, depuis l’élection de
Nicolas Sarkozy, depuis ses
premières prestations en tant que
chef d’État sur la scène
internationale, un grand nombre de
Français ont honte d’être
représentés au plus haut niveau par
un tel personnage. Ce sentiment est
renforcé lorsqu’on a suffisamment
d’amis dans plusieurs pays
étrangers pour connaître de
manière objective la façon dont il
est perçu hors de l’Hexagone et qui
est fort différente de ce que voudrait
nous faire croire une trop grande
partie des médias français. Au
moins, avec le président précédent,
on avait certes de temps en temps
un sentiment de honte, mais on
pouvait également ressentir parfois
un sentiment de fierté : rappelonsnous le comportement de Chirac à
Jérusalem et, surtout, le refus de
s’aligner aux côtés de Bush fils dans
sa guerre en Irak.
Il se trouve, M. Lefebvre, que le
discours du 26 juillet 2007
prononcé à l’université de Dakar
par Nicolas Sarkozy me fit ressentir
une très grande honte lorsque j’en
pris connaissance. Dans ces
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(de lundi au vendredi de 10 h à 17 h)
ou envoyez un courrier
électronique à
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Un site des NMPP indique
également où trouver Politis :
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conditions, le contre-discours de
Ségolène Royal, prononcé à Dakar
le 6 avril, m’a mis du baume au
cœur : il est tellement vrai que les
« paroles humiliantes » de Nicolas
Sarkozy n’auraient jamais dû être
prononcées et qu’« elles n’engagent
ni la France ni les Français » ! En
tenant ce discours, M. Lefebvre,
Ségolène Royal a rehaussé l’image
de la France et non le contraire,
comme vous le prétendez. Sur ce
sujet, elle a eu 100 % raison. En
revanche, concernant l’« affaire
Zapatero », elle a eu tort de
continuer sur le chemin des excuses.
Certes, les formules à l’emportepièce mises dans la bouche de
Sarkozy ne sont malheureusement
que trop crédibles, mais
contrairement à son discours de
Dakar, officiel, il ne s’agit que d’ondit ne recueillant pas un consensus
absolu. Et puis, s’il lui faut réagir
par des excuses chaque fois que
Nicolas Sarkozy nous « met la
honte », elle n’a pas fini !
Jean-Jacques Corrio, Les PennesMirabeau (Bouches-du-Rhône)
l’Association d’animation populaire du
quartier Petit-Marseille organise une
journée festive intitulée «Gens du
voyage, gens d'ici: de ci, de là, partout
chez soi», au cœur de la vie et de la
culture des voyageurs à travers
différentes manifestations artistiques.
05 46 87 07 00, [email protected]
Nîmes (30) : le 5 mai,
à 19 h, rencontre/débat sur le thème
«Après l'unité dans la rue, quelles
conditions pour un rassemblement dans
les urnes en région LanguedocRoussillon? » Avec Clémentine Autain,
Christophe Cavard et de nombreux
militants de la gauche de gauche.
Brasserie La Grande Bourse (face aux
Arènes), [email protected]
Cournon-d'Auvergne (63) :
du 7 au 10 mai,
l'Université populaire et citoyenne du
Puy-de-Dôme, en partenariat avec
Paroles de Bibs, organise son 3e Festival
du film engagé.
http://upc63.ouvaton.org
Paris : du 7 au 17 mai,
le Festival des résistances et alternatives
de Paris (Frap) organisede nombreuses
manifestationsdans Paris. Les événements
d’Athènes, la crise, les quartiers et l'école,
l'Europe-forteresse, etc.
37, rue Pajol. http://frap.samizdat.net
Un bon outil Merci pour la qualité
toujours renouvelée de votre
journal. Je réponds à la campagne
d’abonnement que vous faites
actuellement. Je me disais que
j’aimerais bien diffuser un peu plus
autour de moi l’existence et le
plaisir de lire Politis, car il reste des
gens qui ne savent pas ce qu’ils
ratent (par méfiance des médias
d’opinion le plus souvent).
Et comme je reçois parfois (grâce à
mon abonnement chez vous et au
partage des fichiers abonnés, ce que
je n’approuve pas, cela dit) des
extraits du Monde ou du Diplo, du
genre 6 pages qui donnent envie de
découvrir, je me demandais si un tel
outil serait intéressant à avoir pour
l’envoyer aux copains. Pas au
format papier, pour les raisons que
vous savez, mais au format PDF ou
autre, à envoyer par courriel. Voilà,
je sais que c’est du boulot, mais je
pense que ça en vaut le coup.
Mathieu Vallet
Erratum L’auteur de la lettre
intitulée « Consommation et
pauvreté », publiée dans le courrier
du n° 1049 de Politis, est Pascal
Pavie, et non Pascal Paysan. Avec
nos excuses.
Avignon (84) : les 9 et 10 mai,
l’Association vauclusienne d'éducation
aux énergies non-polluantes,
indépendantes et renouvelables organise
la Fête écologique NaturAvignon, en
partenariat avec Politis. Le thème:
« Une seule terre: tous responsables! »
http://avenir84.org/
Paris XIXe : le 9 mai,
de 14 h à 19 h, l’Association de culture
berbère, avec le soutien du Cercle FrantzFanon de Paris, organise un colloque sur
le thème: « Frantz Fanon, une présence
toujours en acte».
Rés. : 01 43 58 23 25,
[email protected]. Salle de la
CFDT, 2, boulevard de la Villette.
Marseille (13) : le 26 mai,
à 18h30, l’association Approches, culture
et territoires (ACT) organise une
rencontre-débat sur le thème «École et
discrimination, une frontière intérieure».
www.approches.fr. Cité des
Associations, 93, la Canebière.
www. p oli tis. fr
Consulter l’agenda militant
mis à jour régulièrement
30 avril 2 0 0 9
I
POLITIS
I 33
BLOC-NOTES
FIÈVRES
rippes On guettait l’aviaire, c’est
la porcine qui déboule. À vos
masques ! Dans la guerre
permanente que l’homme est
contraint de mener contre la
maladie, la victoire n’est jamais acquise, les
virus mutent et le mal court. Vite. La
modernité est nomade et, pour être
mexicaine de naissance, une grippe a tôt fait
de devenir citoyenne du monde. Un frisson,
toujours, vous court l’échine à l’évocation de
la fameuse grippe espagnole (qui n’avait du
reste d’espagnole que le nom, elle aurait
plutôt été chinoise, à ce qu’on dit), cette mère
de toutes les grippes, qui fit – quand même !
– quelque trente millions de morts (le double,
selon certaines sources, voire jusqu’à cent
millions, et au moins 400 000 en France en
quelques semaines) en 1918-1919 : plus que
la Grande Guerre, qui venait juste de fermer
boutique, pas vraiment de quoi rigoler ! On
comprend que le corps médical mobilise sec
et que les médias tambourinent. D’autant
que, transmissible d’homme à homme (et à
femme, hein, faut pas croire, même si nous
autres mâles abritons des cochons qui
sommeillent), le virus atteint en priorité les
jeunes adultes de 35 à 50 ans. Heureusement,
à en croire notre sémillante ministre de la
Santé, notre pays est moins exposé que les
autres, s’étant bien mieux préparé. Comme
d’hab’, on est les meilleurs.
C’est drôle, les déclarations de Dame
Roselyne m’ont fait penser à celles de cet
éminent professeur, dont j’ai oublié le nom,
après la catastrophe de Tchernobyl (1).
G
arapheurs Grave ou pas, on verra
bien, cette pandémie en gestation
offre en tout cas une utile diversion
à la grippe sociale (aussi appelée
« grippe des patrons ») qui se
répand en France et file les jetons aux
profiteurs de tout poil.
Car si les salariés n’en finissent pas de
trinquer en subissant la crise de plein fouet,
banquiers, patrons et cadres de haut vol n’en
finissent pas de s’en mettre plein les fouilles :
pas de jour sans une fermeture de boîte,
l’annonce d’un chômage technique, une
compression de personnel, avec ces dizaines
ou centaines de gus laissés sur le carreau ;
avec chaque jour en écho la découverte d’un
nouveau scandale bancaire, d’une pluie de
stock-options, de l’ouverture d’un nouveau
P
34 I
POLITIS
I 30 avr il 2 0 0 9
parachute en or ou d’une sympathique
retraite-chapeau et, maintenant – nouvelle
gâterie, ou si c’est qu’on ne la découvre que
sur le tard ? –, le golden hello, pour souhaiter
la bienvenue à un nouvel arrivant dans la
boîte (en haut de l’échelle, bien sûr). Alors,
forcément, les salariés sont pas bien contents.
Et quand ils sont (un peu) colère, même
qu’ils le font (un peu) savoir à leurs singes en
les retenant parfois (un peu) plus longtemps
au bureau que ne le nécessite l’ampleur de
leur tâche de singes – soit le volume du
courrier à signer dans le parapheur (rouge),
qui est le signe distinctif du patron, comme la
combinaison (bleue) est celui de l’ouvrier, et
le col (blanc) celui de l’employé aux
écritures. Et le patron retenu (séquestré, si
vous y tenez), qui va rater son parcours de
golf ou la soirée mondaine de son épouse,
après un mouvement de colère froide,
connaît un grand moment de solitude, voire
une grosse suée de frousse mouillée.
« Mais Firmin, jusqu’où vont-ils aller, ces
cons-là, manipulés par les trotskistes, comme
je l’ai lu ce matin dans Le Figaro ? »
eoffroy Pas plus loin, rassurezvous. Enfin, jusqu’à maintenant.
Car, comme la grippe, la colère
sociale est contagieuse, et personne
ne sait – même pas un agitateur
trotskiste ! – jusqu’où ça peut mener. Pas vrai
Geoffroy ?
Car (je n’invente rien), il s’appelle Geoffroy.
Geoffroy Roux de Bézieux – et, avec un blaze
commack, si ce n’est pas de la vieille noblesse
remontant aux Croisades, ça, c’est drôlement
bien imité ! – est ce jeune (47 ans) patron
dynamique qu’on n’arrête pas de voir sur les
plateaux de télé dans les émissions dites « de
débat », genre chez M’ame Chabot, voyez ?
Mais si : un physique à la Madelin, à peine
moins cabossé ; il adore débattre avec nos
trois Pieds Nickelés syndicaux – le
Ribouldingue de la CFDT, le Croquignol de
la CGT et le Filochard de FO –, et même,
G
pasque c’est un gars qui en a, le Geoffroy, et
des burnées (comme dirait Tapie, qui est sans
doute un pote à lui), avec notre copain le
facteur, qui n’a pas non plus la langue dans
sa sacoche… Bon, vous situez ? Eh bien,
même Geoffroy Roux de Bézieux (GRB,
quoi, je suis sûr qu’il adore qu’on l’appelle
comme ça, par ses initiales…), patron de
l’Unedic, commence à avoir le trouillomètre
à zéro : « Rien n’excuse jamais la violence, at-il déclaré sur RTL. On commence par des
séquestrations, et puis ça finit… On tire sur
Georges Besse. »
Cette référence à Action directe, dont les
deux principaux acteurs n’en finissent pas de
payer en prison l’assassinat du patron de
Renault, en 1986, sera, n’en doutons pas,
reprise et exploitée par un pouvoir politique
paranoïaque qui, faute de pouvoir y
répondre, ne cesse de chercher de nouveaux
moyens de museler le mouvement social.
renelle Pour une fois, Bernard
Thibault a eu la bonne réaction :
propos « inacceptables », a jugé le
« patron » de la CGT. Mais le
moins qu’on puisse dire, c’est que
les leaders syndicaux ne font pas grand-chose
pour encourager leurs troupes à s’engager
dans des combats musclés…
[J’en profite pour répondre (2) à ce lecteur,
ancien militant du Snes, qui m’écrit : « Vous
évoquez aussi “l’éternel problème des
groupes radicaux minoritaires” (en bref :
comment promouvoir les actions massives
capables de créer un rapport de forces
favorable), sans vraiment vous prononcer, ce
qui se comprend, sur un sujet qui incombe au
mouvement syndical. Mais alors pourquoi
glisser une incidente sur “la revendication
gentillette et bien polie (chère au Schtroumpf
jaune et consorts)”. On devine l’identité du
“Schtroumpf jaune”. Mais celle des
“consorts” ? Est-ce pour vous l’ensemble des
dirigeants syndicaux […] ? » La réponse est
non. Je ne mets pas tout le mouvement
syndical, de la base au sommet et toutes
orgas confondues, dans le même sac à
com(pro)missions. Mais je constate que la
troïka gouvernante, qui donne le la, est
davantage préoccupée par le souci
d’encadrer, de contenir, voire de désarmer la
colère de la base que par celui de
l’encourager à se faire entendre haut et fort –
c’est-à-dire autrement que dans un défilé
rituel tous les mois et demi. Me trompé-je ?]
Or je crois que les défilés, même unitaires,
même réussis, comme les derniers et comme
G
Les défilés ne
suffisent pas
à arracher
les
concessions
nécessaires
au camp des
exploiteurs.
PAR BERNARD LANGLOIS
(on l’espère) celui de ce vendredi 1er mai, ne
suffisent pas à arracher les concessions
nécessaires au camp des exploiteurs. Seuls
des mouvements durs – grève illimitée,
occupation des entreprises, séquestrations de
patrons, etc. – peuvent obliger, sous l’effet de
la trouille, le patronat à reculer et le politique
à légiférer. Après tout, même si ma
génération a été frustrée en 68 de n’avoir pas
abouti à un renversement du pouvoir (voire à
un changement de société, de civilisation
pour les plus exigeants d’entre nous), le
monde du travail y a tout de même gagné des
avantages non négligeables arrachés lors des
négociations de Grenelle (3).
Il me semble que tel devrait être le boulot des
centrales syndicales : aider à organiser dans
les entreprises de vraies batailles, dans le
cadre d’une lutte des classes qui n’a rien
d’obsolète, et sans se tromper de camp ;
susciter la solidarité (y compris financière) de
tous ceux qui le peuvent et ne sont pas
directement exposés envers ceux qui se
battent en première ligne.
thèse du « double génocide » (celle de Péan,
entre autres), on n’est pas prêt à donner au
vainqueur tutsi le Bon Dieu sans confession
(après tout, le sort des Hutus au Burundi
sous le règne des Tutsis n’était guère enviable
non plus…), il faut lire (ou relire) ces
Complices de l’inavouable (5), ne serait-ce
que pour se forger une opinion.
Ça ne peut vous laisser de marbre.
-B. L.
(1) Le nuage radioactif s’était arrêté aux frontières, affirmait-il.
Tchernobyl, dont on vient de commémorer le 23e anniversaire. En
France, à l’initiative du réseau Sortir du nucléaire, qui
recommande de visionner « absolument » le film le Sacrifice :
http://www.chernobyl-day.org/spip.php?article212
(2) Au fait, ne m’en veuillez pas trop de ne pas toujours répondre
à vos lettres ou même à vos messages électroniques : pas le
temps d’engager un dialogue avec chaque lecteur
individuellement, j’espère que vous le comprendrez. Mais soyez
sûrs que je vous lis ! Je constate du reste que semble se
développer une campagne contre notre journal, alimentée par
certains militants du tout beau tout neuf NPA. Politis serait un
peu trop critique à l’égard du parti d’Olivier Besancenot (et un
peu trop complaisant envers celui de Mélenchon). Et si c’était
vrai, serait-ce une raison de nous boycotter ? Vous pensez
vraiment qu’on est trop nombreux, dans la presse, à nous engager
dans le camp des dominés contre les dominants ?
(3) Ce Grenelle, qui fut critiqué à l’époque (y compris par
beaucoup de travailleurs) comme un enterrement prématuré de
la lutte (et il l’était sans doute), a aujourd’hui l’allure d’une
grande victoire, tant nous avons depuis régressé sur le plan social
et… progressé dans l’aliénation et la restriction des libertés !
Grenelle, utilisé maintenant à toutes les sauces : à quand un
Grenelle des choux farcis ?
(4) Patrick de Saint-Exupéry est aujourd’hui rédacteur en chef de
l’excellente revue XXL.
(5) Aux éditions Les Arènes, 316 p., 19,80 euros.
’inavouable Ma suggestion de
lecture de la semaine ne porte guère
à l’allégresse. Il s’agit en fait, quinze
ans après le génocide au Rwanda
(avril 1994), d’une réédition, avec
une préface nouvelle, d’une terrible enquête
d’un ancien grand reporter du Figaro (4),
non tant sur les massacres eux-mêmes –
800 000 tués, tutsis pour la plupart, par les
milices du pouvoir hutu – que sur
l’implication du pouvoir politique et des
forces spéciales françaises dans la
préparation de l’opération (secrète),
l’entraînement des troupes et milices,
l’assistance au et le soutien sans faille du
gouvernement génocidaire, et l’exfiltration
[email protected]
des principaux responsables après la victoire
du FPR de Kagamé. Nous vous avions
signalé la sortie de ce livre lors de sa première
parution, en 2004. C’est un réquisitoire
accablant pour tous ceux, de gauche comme
de droite, dont le nom figure en couverture :
tous complices, à des degrés divers et – c’est
la thèse de l’auteur – sujets à ce syndrome qui
relève du passé colonial français, qui
décidément ne passe pas, ce que SaintExupéry appelle « la mémoire jaune » de la
France – du moins de ses dirigeants.
L
POLITIS
Politis, 2, impasse Delaunay
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Politis est édité par Politis, société par actions
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Et même si l’on pense (c’est mon cas) qu’il
faudrait sans doute mettre quelque nuance
dans ce noir tableau (globalement juste et à
coup sûr sincère) ; même si, sans adopter la
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