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politis.fr Violences : à qui la faute ? ÉTUDIANTS, ENSEIGNANTS, CHERCHEURS, ILS TÉMOIGNENT : « Nous ne sommes pas à vendre ! » EUROPÉENNES PS : mensonges et omissions SRI LANKA La tragédie des Tamouls IMMIGRATION En réponse à Éric Besson 3:HIKNOG=VUXUUZ:?b@a@f@k@q; I Semaine du 30 avril au 6 mai 2009 I n°1050 I M 03461 - 1050 S - F: 3,00 E Politis Politis Social DURBAN II Après la conférence de Genève SOMMAIRE L’ÉVÉNEMENT SÉQUESTRATIONS. Violences sociales : à qui la faute ? FEDOUACH/AFP Pages 4 et 5 ÉCONOMIE avec Claire Villiers : « Le travail, une valeur subversive ? » Page 6 ENTRETIEN POLITIQUE EUROPÉENNES. Parti socialiste : mensonges et omissions. Pages 8 et 9 CULTURE GASTRONOMIE. « Une journée à El Bulli », de Ferran Adrià. Pages 24 et 25 EXPOSITION. « Jacques Tati, deux temps, trois mouvements ». Page 25 THÉÂTRE. « Britannicus » et « Médée ». Page 26 MÉDIAS TÉLÉVISION. « Les Bouffeurs de fer », de Shaheen Dill-Riaz. Page 27 IDÉES / DÉBATS TRIBUNES. SOCIÉTÉ MONTEFORTE/AFP SÉCURITAIRE. La police nous sert ses vieux poulets. Page 10 ÉCOLOGIE CLIMAT. Une crise des subprimes carbone ? Page 12 MONDE SRI LANKA. La tragédie des Tamouls. « La loi et la jungle », par Éric Fassin et Aurélie Windels. Pages 28 et 29 « Des boycotteurs très présents », par Michèle Sibony. Page 30 DE BONNE HUMEUR. Chronique de Sébastien Fontenelle. Page 31 Pages 14 et 15 RÉSISTANCES ÉDUCATION. Apprendre et penser local. Pages 16 à 18 LE POINT DE VUE DES LECTEURS Pages 32 et 33 BLOC-NOTES Pages 34 et 35 Couverture : Éric Cabanis/AFP DOSSIER JANE UNIVERSITÉS Qui veut la peau de l’université publique ? Une précarisation massive. Chercheurs sous pression. Pages 20 à 23 LA SEMAINE PROCHAINE DANS POLITIS POURQUOI 2I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 LA COLÈRE SOCIALE ? ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT Printemps social A Dépositaire d’intérêts catégoriels irréductibles, le gouvernement ne cédera que devant une mobilisation d’une autre ampleur. insi donc, le 1er mai sera « unitaire ». Ce sera bel et bien la première fois depuis le grand schisme syndical de 1947 que les dirigeants de la CGT, de FO et de la CFDT, héritière défroquée de la CFTC, battront le pavé en cadence. Les petits derniers de Solidaires, les enseignants de la FSU et les fonctionnaires de l’Unsa seront à leurs côtés. Fallait-il que la pression de la « base » soit forte pour produire un tel effet ? Que nous soyons arrivés à ce point extrême où les directions syndicales ne peuvent même plus faire valoir leurs différences pour marcher chacune sur leur boulevard est un signe politique qui ne trompe pas. La tension dans le pays est extrême. Et la peur dans les classes dirigeantes, palpable. Mais, en même temps, un autre processus est déjà à l’œuvre. Une autre peur, qui n’est pas celle du mouvement social face aux plans gouvernementaux, mais l’angoisse contagieuse qui fait craindre aux petites gens que la révolte ne soit, pour eux et pour leurs biens, plus redoutable que ses causes. Ce spectre par lequel, in extremis, les patrons du CAC 40 tirent par la manche une partie des classes moyennes. Comme si les uns et les autres avaient en définitive partie liée. Du classique. Les contre-feux sont déjà en place. Et certains journalistes ne sont pas les moins actifs dans le déroulement de cette stratégie. Depuis deux semaines, il n’y a plus une interview d’un syndicaliste, ou d’un responsable politique de gauche, ou supposé tel, qui ne commence par cette objurgation en forme d’interrogation : « Et vous, vous désavouez ces violences ? » On l’aura compris, la violence dont il s’agit, c’est toujours la violence vulgaire de l’ouvrier. Le bris de matériel. La séquestration. La liasse de papier jetée au sol. Ce pays a une expérience si consommée de l’insurrection que désormais le contre-feu précède l’incendie. Même Martine Aubry (dans le JDD) a eu droit à la fameuse question préalable destinée à mettre la révolte hors-laloi. Comme on l’imagine, la première secrétaire du Parti socialiste a aisément franchi l’obstacle. Elle n’a pas raté la bonne réponse, celle qu’il convient de faire quand on est de gauche, et qui est à peu près celle-ci : « Non, je ne peux approuver pareille violence, mais je la comprends. » Seul le délégué syndical CGT de Continental a bravé courageusement l’interdit en plein « 20 heures » sur France 2, renvoyant David Pujadas dans ses dix-huit mètres par un effronté : « Vous plaisantez, j’espère ! » Et il a eu raison, car cette question-piège est tout simplement indécente en regard des conséquences de la violence sociale qui est faite à ces femmes et à ces hommes jetés à la rue pour mieux valoriser les dividendes de quelques actionnaires. À propos, on est curieux de savoir ce que voteront les députés de gauche quand viendra à l’ordre du jour de l’Assemblée la proposition de loi déposée par Marie-George Buffet, soutenue par le Parti de gauche, visant à l’interdiction de ce qu’on appelle les licenciements boursiers. Ce sera le 28 mai. À cette date, il est vrai, le printemps social aura livré une partie de son message. Et ce 1er mai, unitaire, donc, aura connu le succès que l’on imagine. On peut attendre raisonnablement plus de trois millions de personnes, vendredi, dans la rue. Le troisième volet du triptyque syndical, après le 29 janvier et le 19 mars, ne devrait pas être inférieur en audience aux deux précédents. pour un total record de 2 millions et demi. On ne s’attend pas davantage à une remise en cause rapide des projets universitaires. Ceux que les étudiants qui nous ont prêté main-forte pour la réalisation de ce numéro analysent avec tant de pertinence dans notre dossier (voir pages 20 à 23). C’est qu’il y a entre la crise financière, la cascade des plans de licenciements qui accablent le monde du salariat, les lois du couple Pécresse-Darcos, et celle de Mme Bachelot dans les hôpitaux, une terrible cohérence. Une même logique est à l’œuvre, celle qui privilégie les intérêts de quelques-uns sur ceux de la collectivité. La politique qui consiste à transformer l’université et l’hôpital en entreprises – car c’est bien de cela qu’il s’agit – est la même que celle des banquiers, des traders et des gros actionnaires. N’en doutons pas : l’objectif est que certains tirent un jour un profit financier du succès de quelques universités d’élite, ouvertes à une minorité. C’est le repli des dépenses publiques. La poursuite du transfert du travail vers le capital. La machine que l’on tente d’installer tant dans le domaine de l’enseignement que dans celui de la santé vise à intégrer au système néolibéral des secteurs d’activité qui lui échappent encore en partie. Mais ce trop de cohérence est aussi la faiblesse de Nicolas Sarkozy. La multitude des fronts, leur convergence en terrain découvert, est aussi un redoutable facteur de mobilisation. Alors 1788 ? Avril 1968 ? Mai 1936 ? Laissons les références aux prophètes. L’histoire ne manque jamais d’imagination. Mais après ? La question restera entière. Et les centrales syndicales seront vendredi soir face à leurs responsabilités. Car on ne voit pas le gouvernement proposer soudain un plan de relance à la consommation, soutenir significativement les bas salaires, brider les hauts revenus. Dépositaire d’intérêts catégoriels irréductibles, il ne cédera que devant une mobilisation d’une autre ampleur, ou dans la dynamique d’une crise qui continue de se développer, comme en témoignent ces deux chiffres publiés lundi, et qui sont probablement en deçà de la vérité : 63 400 chômeurs de plus au mois de mars Retrouvez l’édito en vidéo sur www.politis.fr 30 avril 2 0 09 I P O L I T I S I 3 •Dégradations, séquestrations, .Les exigences des actionnaires .Ces insurgés rejettent L’ÉVÉNEMENT SÉQUESTRATIONS Violences sociales : à qui Des gestes désespérés à mettre en rapport avec ce que subissent les salariés licenciés. FEDOUACH/AFP t maintenant, les voilà eux aussi « voyous ». Pas les patrons de Continental, ni de Caterpillar, ni d’autres groupes industriels, mais des salariés. Interpellations et déferrements ont lieu un peu partout en France, pour des dégradations volontaires, des séquestrations de quelques heures et pour de banals blocages d’usine. Ces actions « coups-de-poing » très médiatiques ont déclenché récemment une riposte gouvernementale, avec à sa tête un Nicolas Sarkozy affirmant qu’il ne « laisserait pas faire ». Le Premier ministre, François Fillon, n’est pas en reste et a réclamé des poursuites judiciaires contre les fauteurs de trouble. Au passage, l’attitude des médias et des politiques, accusés de mettre l’huile sur le feu, est montrée du doigt. Pourtant, ces gestes désespérés sont à mettre en rapport avec ce que subissent les salariés quand ils perdent leur emploi. E 4I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 Qui sème la misère récolte la colère : face aux outrances du patronat, des salariés se radicalisent. TROIS REN DEZ-VOUS 1er mai Nouvelle journée de manifestation à l’appel des huit syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Solidaires et Unsa) regroupés dans une plateforme commune depuis début janvier. 14 au 16 mai Des journées européennes d’action sont organisées par la Confédération européenne des syndicats sur le thème : « Combattre la crise, priorité aux citoyens ». 28 mai Une proposition de loi contre les licenciements boursiers, déposée par le PCF, sera débattue à l’Assemblée nationale. Ils sont « face aux décisions violentes des actionnaires qui sacrifient la vie des salariés et de leur famille sur l’autel de leurs bénéfices », a lancé au gouvernement Jacky Hénin, député européen du PCF, à propos de Continental. Cette violence sociale, invisible et impunie, Nicolas Sarkozy en avait pourtant pointé l’origine quand il s’attaquait, en 2007, aux « patrons voyous » qu’il opposait à la « France du travail ». La crise et les quelque 3 000 chômeurs de plus enregistrés chaque jour ont depuis exacerbé cette situation. La publication des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises donne le vertige : un salaire annuel de grand patron représente trois siècles de Smic, alors que les mêmes rationalisent des stratégies purement financières. Comme Total, Rexel, numéro un mondial de la distribution de matériel électrique, est un modèle du genre. Ses dirigeants ont programmé un nouveau plan de licenciements et la suppression de plus de 400 emplois en France. En raison de la crise ? Non, dénoncent les cinq confédérations syndicales, qui soupçonnent des actionnaires accrochés à leurs profits. L’entreprise se porte bien, ainsi que le salaire de Jean-Charles Pauze, son dirigeant mondial, qui est le quatrième au palmarès des patrons les mieux payés du CAC 40. L’homme a touché la bagatelle de 8,82 millions d’euros de rémunération en 2007, en progression de 687 % par rapport à l’année précédente. Presque 7 000 Smic ! « Quitte à perdre mon emploi, autant partir avec plus. Quitte à être mis dehors, pourquoi ne pas recourir à des actions illégales ? », entend-on dans ces entreprises où le sentiment d’injustice est le moteur des dégradations et des séquestrations. Cas d’école, l’usine de l’équipementier Continental de Clairoix, dont la fermeture entraînera la suppression de 1 120 emplois. Pendant qu’un millier de salariés partaient en train spécial à Hanovre pour manifester devant l’assemblée générale des actionnaires, le tribunal de Sarreguemines autorisait la direction de Continental à poursuivre ses projets de fermeture du site. Pas de condamnation sur les engagements pris il y a deux ans, non tenus par les dirigeants d’un groupe entre les mains de Maria-Elisabeth blocages : des salariés réagissent aux licenciements injustes. et les salaires faramineux des grands patrons exacerbent la révolte. le discours affirmant que personne n’est responsable des décisions économiques. ALAIN REFALO Professeur des écoles* la faute ? Schaeffler, la septième plus grande fortune d’Allemagne. « Au final, Continental, quatrième fabricant mondial de pneus, aura été dépouillé pour qu’un autre groupe, trois fois plus petit que lui, puisse se refaire une santé financière », lance, indigné, Jean-Luc Mélenchon, sénateur et fondateur du Parti de gauche, qui a soutenu avec Die Linke les salariés de Continental. Le sentiment de révolte est à son comble quand les salariés apprennent que le géant du pneu avait programmé la fermeture du site dès janvier 2008 en laissant croire le contraire pour arracher le passage aux 40 heures à des salariés qui, finalement, se retrouvent floués sur toute la ligne. Car les bénéfices importants (près d’un milliard d’euros dans la branche pneu en 2008, dont Clairoix fait partie) s’accompagnent d’embauches dans l’usine de Roumanie. Crise ou pas crise, le groupe délocalise vers des horizons plus rentables pour ses actionnaires : les salaires de Timisoara varient entre 280 et 420 euros par mois, contre une moyenne de 1 700 euros en France. « Les politiques crient tous au scandale, ils ont l’air tout effarés mais, normalement, ils sont là pour faire voter des lois. Et s’ils faisaient correctement leur travail, la direction de Continental n’aurait pas pu réaliser son projet », proteste Xavier Mathieu, syndicaliste à la CGT de l’usine de Clairoix (1). Les déclarations politiques se sont multipliées : en mars, le sénateur UMP de l’Oise, Philippe Marini, jugeait la décision de fermeture du site « complètement inacceptable ». De Berlin, Nicolas Sarkozy donne le change, prenant note de la promesse faite par Continental de « doubler les aides à la conversion ». La chancelière allemande y va aussi de son couplet, tandis que Christine Lagarde, ministre de l’Économie, se dit « choquée ». Mais le sort des « Conti » n’a pour l’instant pas changé d’un iota. Pas plus que celui des salariés de Caterpillar, qui n’ont pas oublié le quasiserment de Nicolas Sarkozy : « Caterpillar, je vais la sauver. » Le scénario est le même pour l’usine Molex, celle de Sony France et l’équipementier automobile Refus de collaborer Faurecia, dont les salariés en colère ont séquestré des cadres dirigeants et sont aujourd’hui poursuivis. Comme le dit le sociologue Jérôme Pelisse : « On a essayé de faire croire que plus personne n’était vraiment responsable des décisions économiques, qu’elles s’imposaient d’elles-mêmes… Mais chacun est responsable à son niveau, c’est ça que les séquestrations rendent visible à nouveau (2). » Pas étonnant que les salariés cherchent des moyens d’action pour se faire entendre. Ils se trouvent aussi confrontés à l’absence d’intervention du gouvernement contre les licenciements boursiers, et sont victimes d’un dumping social. Tout en agitant le bâton, le gouvernement est partisan d’un laisser-faire destructeur d’emplois et de protections sociales. Un avenir particulièrement violent, qui rend inaudible le discours sur la moralisation du capitalisme. _Thierry Brun (1) L’Humanité du 14 mars. (2) Libération du 10 avril. Les dirigeants d’entreprise disposent d’un arsenal judiciaire pour se protéger. Mais les salariés mis en danger sur leur lieu de travail peuvent-ils se défendre ? Certains droits s’arrêtent à la porte des entreprises « n les retient vingt-quatre heures, DÉCRYPTAGE très argumenté (1), ce sentiment d’injustice vient notamment du fait que certains droits et on risque vingt ans de fondamentaux s’arrêtent à la porte des prison », fustige, amer, le entreprises. En particulier les atteintes à la vie, à la secrétaire CGT du comité d’entreprise de Molex. santé et à la dignité des salariés, ce qui relève « de la La séquestration de patrons entre en effet dans la catégorie de délits reconnus par la loi et sanctionnés mise en danger délibérée d’autrui dans les choix pénalement comme professionnellement. Les salariés de d’organisation et de conditions du travail ainsi que dans Continental, eux, s’attendent à des poursuites judiciaires les politiques publiques les rendant légitimes ». après le saccage de leur lieu de travail. De même, le Dans ces rapports de domination et d’exploitation, « les tribunal de grande instance de Grenoble a condamné dixstratégies de résistance, individuelles et collectives, neuf salariés de Caterpillar pour occupation illicite, leur informelles ou organisées, sont constamment en butte à ordonnant de laisser libre l’accès à l’usine grenobloise, des formes impitoyables de répression », explique la sous peine de payer chacun 200 euros d’astreinte par sociologue, qui pose cette question fort dérangeante : jour. En substance, a dit François Fillon, les coupables « Est-ce le travail qui tue ou ceux qui, autour des tables doivent être châtiés de façon exemplaire. ovales des conseils d’administration, décident de son L’arsenal judiciaire souvent utilisé contre l’intensification organisation ? » Ce qui revient à s’interroger aussi sur la des luttes pour sauver les emplois accentue le sentiment création d’un tribunal pénal international du travail. d’injustice chez des salariés désespérés pour avoir subi _T. B. une dégradation généralisée de leurs conditions de travail. Or, remarque la sociologue et directrice de (1) Travailler peut nuire gravement à votre santé, Annie Thébaud-Mony, La Découverte, 2008. recherches à l’Inserm Annie Thébaud-Mony, dans un livre O « En conscience, nous refusons d’obéir! » Tel est le leitmotiv de près de 3000 enseignants du primaire en résistance pédagogique aux «réformes» de Xavier Darcos. Nouveaux «vieux» programmes favorisant les automatismes au détriment de la réflexion des élèves, évaluations nationales sous forme de tests préparant la mise en concurrence des écoles, dispositif d’aide personnalisée hors temps scolaire entérinant la perte de deux heures de classe pour tous les élèves, mise en place du fichier de contrôle social Base élèves… Les enseignants désobéisseurs utilisent toutes les prises possibles pour ne pas collaborer à des dispositifs qui conduisent au démantèlement et à la privatisation de l’Éducation nationale. Ils s’affichent au grand jour en informant par lettre leur hiérarchie de leur action de désobéissance. Celle-ci est publique, assumée et motivée en conscience, ce qui permet de la différencier de la désobéissance dite «délinquante» et de contrer les tentatives de criminalisation par le pouvoir. Face à ce mouvement inédit de résistance, les inspections académiques sont dans l’embarras. Certaines ferment les yeux, d’autres sanctionnent par des retraits de salaire. Dans tous les cas, en refusant le dialogue, elles avouent leur impuissance. Les désobéisseurs subissent régulièrement pressions, visites d’inspecteurs, menaces et parfois sanctions. Mais la répression s’avère inefficace puisque la désobéissance continue grâce à la mise en place de caisses de solidarité. Dans notre «Appel du 21avril» à l’insurrection non-violente de la société civile, nous pressons les syndicats de reprendre à leur compte le mot d’ordre de la désobéissance en tant qu’action radicale et constructive, pour faire échec aux lois qui déconstruisent le service public d’éducation. Il est en effet grand temps de renouveler notre logiciel de résistance sociale face à un pouvoir autoritaire et autiste qui s’accommode trop bien des jours de grève sans lendemain. * Initiateur du mouvement de désobéissance pédagogique. Une journée de la désobéissance dans l’Éducation nationale est organisée le mercredi 6 mai. Blog Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école. 30 avr il 2 0 09 I POLITIS I 5 ÉCONOMIE ENTRETIEN Quelle est la place du travail en période de crise ? Claire Villiers*, à l’initiative d’un appel sur la démocratie dans le travail, veut replacer cette question au centre du débat politique à gauche. Le travail, une valeur subversive ? POLITIS I La crise remet en cause la place du travail, expliquez-vous en substance dans un appel lancé par le collectif Travail & Démocratie. Cela ne révèle-t-il pas des enjeux de société contradictoires ? Claire Villiers I On le voit bien dans les conflits actuels : les salariés se battent pour garder un emploi, y compris un emploi dur, sur les finalités sociales duquel on peut s’interroger. Ils sont prêts à risquer la taule pour ça. Au fondement de cette situation, il y a la remise en cause du fait que le travail est devenu une marchandise. Le travail est quelque chose qui permet aussi l’échange, qui permet de se construire. Le mouvement ouvrier pas plus que les organisations de chômeurs n’ont réussi à prendre à bras-lecorps cette contradiction. Pourquoi relancer un débat sur ce sujet aujourd’hui ? Nous avons souvent une conception doloriste du travail. On rappelle toujours la racine latine de ce mot, le tripalium, l’instrument de torture, sans considérer que le travail peut être aussi une force de subversion et de lutte. Certes, les organisations du travail peuvent rendre fou ou conduire au suicide. Elles sont fondées sur la délation, le mensonge et la concurrence… Elles sont exactement ce qu’on ne veut pas. Et pourtant, dans une espèce de soumission individuelle et collective, les salariés, au nom du besoin de gagner leur vie et également du besoin de travailler, s’y soumettent. Il faut se réinterroger sur cette exigence de travailler tous et moins pour la satisfaction des besoins sociaux. Mais les luttes actuelles autour du travail révèlent aussi une violence sociale de plus en plus forte… C’est une violence sociale et surtout politique. Aujourd’hui, les orientations du gouvernement privilégient la rémunération du capital au détriment de celle du travail. Le choix politique est d’assigner certains à beaucoup de travail dans des conditions détestables, pendant que d’autres sont livrés au chômage et à la précarité. La défiscalisation des heures supplémentaires et, dans un autre registre, la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA) vont dans ce sens. C’est à l’opposé du choix de réduction du temps de travail pour tous que nous revendiquions dans les mouvements de chômeurs 6I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 Le travail peut être aliénant et destructeur comme il peut permettre d’échanger et de se construire. DANIAU/AFP dans les années 1990, et qui était porté par des organisations syndicales. N’est-il pas nécessaire de recourir à d’autres voies que la valeur travail comme pilier de notre société ? L’expérience montre que notre manière traditionnelle de dire qu’on voudrait ne pas travailler, cela ne marche pas. Il faut revenir sur ce qui fonde l’envie à la fois individuelle et collective de travailler pour en faire de la bonne transformation et de la subversion. Oui, mais dans un cadre démocratique… Or, n’est-on pas en train de sacrifier la démocratie sociale ? On est en train de nous vendre cette période de crise comme s’il y avait une guerre, pour nous faire accepter une restriction des libertés. Cela suscite beaucoup d’interrogations, notamment chez les syndicats, qui n’arrivent pas à trouver le moyen d’organiser une radicalité majoritaire, parce que cela pose la question immédiate du mode d’organisation de la société et de sa traduction politique. Il n’y a pas de force politique qui prétende assumer cette radicalité pour proposer une autre organisation sociale. Quand Nicolas Sarkozy dit qu’il faut refonder le capitalisme, il faut répondre non et opposer au capitalisme un autre système d’échange. Autour de quelles pistes ? Une démocratie sociale plus active et participative dans les lieux de travail est une des pistes. Il existe des solutions dans l’économie sociale et solidaire, et évidemment dans les services publics. Mais deux questions sont peu posées par les forces politiques et syndicales : la propriété privée et l’autogestion. Ce qui est invraisemblable dans cette crise, c’est qu’on n’en profite pas pour dire que des pans de l’économie nous appartiennent. Au lieu de remettre de l’argent dans les banques pour qu’elles continuent la même politique, on devrait en faire un bien collectif. _Propos recueillis par Thierry Brun *Vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, ancienne responsable syndicale et cofondatrice d’Agir ensemble contre le chômage. Travail & démocratie, premier acte Grève interprofessionnelles, grève générale en Guadeloupe, en Martinique et à LaRéunion, multiplication des conflits sociaux dans les entreprises et les services publics, appels divers… Cette escalade sociale est l’occasion pour le collectif Travail &Démocratie d’organiser un «premier acte public» le 2mai(1) sur le déficit des pratiques démocratiques dans le monde du travail et sur la place du travail. On doit cette initiative à Claire Villiers, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, et à l’association Les Périphériques vous parlent, qui ont créé il y a deuxans ce collectif qui réunit la coopérative Direction humaine des ressources, Peuples et Cultures, et la Fraternelle de recherche et de propositions. Travail & démocratie est aussi à l’origine d’un appel s’adressant « à tous ceux et toutes celles qui veulent remédier au déficit de démocratie dans le travail et remettre le travail au cœur de la démocratie». (1) Le samedi 2 mai, de 9 h 30 à 22 h, Maison des métallos, 94, rue Jean-Pierre-Timbaud, 75011 Paris, M° Couronnes, Parmentier. Rens. : collectif Travail & Démocratie, 01 40 05 05 67, 06 82 45 54 63, [email protected], www.travaildémocratie.org SOCIAL À CONTRE-COURANT JEAN GADREY Professeur émérite à l’université Lille-I. Le chiffon rouge de la croissance verte GANGNE/AFP SANTÉ La loi Bachelot « HPST » mobilise désormais contre elle l’ensemble du secteur hospitalier. Allergiques à la loi e conflit hospitalier prend une nouvelle ampleur. Personnels et médecins des hôpitaux, qui ont organisé le 28 avril une manifestation nationale, sont désormais vent debout contre la loi Bachelot dite « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) et sa logique d’hôpital « entreprise ». La ministre de la Santé n’a pas réussi à désamorcer la contestation lancée il y a plus d’un mois par le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP), les médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le Syndicat de la médecine générale, les syndicats hospitaliers, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, alors que le projet de loi HPST reviendra en discussion au Sénat à partir du 11 mai. La plupart de ces organisations demandent le retrait pur et simple du projet de loi. « De simples amendements ne sauront répondre aux exigences du maintien et du développement d’un service public hospitalier répondant aux besoins de la population. Le bon sens voudrait que ce projet de loi soit retiré et que s’engagent de véritables négociations prenant en compte les revendications des personnels et les attentes des usagers », prévient la fédération CGT de la santé et de l’action sociale. L’appel des 25 contre la loi Bachelot, « destructrice et injuste », signée par L des professeurs hospitaliers renommés, a relancé la grogne contre un projet de loi que le gouvernement pourrait, certes, accepter d’amender pour calmer le jeu. Mais le cap libéral est pour l’instant immuable et même renforcé. La ministre de la Santé a récemment déclaré qu’elle « s’opposerait » à l’amendement, voté par les députés en première lecture, qui limite les dépassements d’honoraires en cliniques privées. Roselyne Bachelot écoute ainsi les plaintes des lobbies les plus libéraux, et renie au passage l’un des engagements de restriction des dépassements d’honoraires abusifs, lequel pose un problème d’accès aux soins. Et le processus de privatisation des hôpitaux est déjà bien engagé avec une loi créant des fonds de dotation, adoptée en 2008. Elle ouvrira la porte des hôpitaux aux financements privés par le biais de « fondations hospitalières » créées dans la loi HPST. Et les règles de fonctionnement de ces fondations devraient être déterminées par décret en Conseil d’État. Ce que le gouvernement ne manquera pas de faire. En catimini. _Thierry Brun Retrouvez le blog de Thierry Brun sur www.politis.fr L’un des personnages les plus en vue du parc Sarkoland, Nicolas Baverez, a trouvé une formule désopilante: « L’EPR et la voiture électrique sont les deux mamelles du développement durable.» Son maître à penser, un autre Nicolas, avait déclaré quant à lui, dans l’une de ses saillies politiques majeures, que « la voiture, symbole de la croissance d’hier, sera le vecteur de la croissance de demain». Quant à Jean-Louis Borloo, plutôt discret par ces temps de relance anti-Grenelle, il a quand même estimé le 30 mars dernier que « la crise actuelle est l’occasion de poser les bases de la croissance verte». Ainsi, le développement durable, concept déjà un peu fourre-tout, est-il en passe d’être détrôné par la croissance verte. Personne n’en propose de définition, mais on peut supposer qu’il s’agitd’une croissance (augmentation des quantités produites) compatible avec les exigences écologiques les plus importantes: réduction forte du recours aux énergies fossiles et à l’eau, préservation de la biodiversité, arrêt de l’artificialisation des sols, sauvetage des mers et des espèces qui s’y trouvent, division par quatre à cinq des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, etc. Prenons alors l’exemple du climat. Pour ne pas aggraver un réchauffement déjà irréversible, il faudrait réduire de 4 % par an les émissions globales de la France d’ici à 2050. En cas de croissance du PIB de 2 % par an, cela veut dire une réduction de 6 % par an par unité de produit, alors que depuis 2000 on atteint péniblement le chiffre de 2 %. Réduire trois fois plus vite? Pas facile d’y croire. Oui mais, nous disent les modernes, le salut par la croissance verte viendra des nouvelles technologies, des services et surtout de la fameuse «économie de la connaissance». Ces gens-là n’ont assurément jamais mis le nez dans certaines connaissances pourtant à leur portée: les bilans matières et les bilans carbone de ces activités. Un ordinateur de bureau standard «pèse» 1,3 tonne de CO2 pour sa production et son transport, et 1 500 litres d’eau. Dans un monde durable, les On ne voit guère émissions par personne et par an ne devraient pas dépasser 1,7 tonne de CO2 (et 1,2 tonne en 2050, s’il y a 9 milliards comment d’humains). Un seul ordinateur, sans compter l’énergie dépensée pour son fonctionnement, «bouffe» déjà les trois la poursuite quarts des «droits de tirage» annuels actuels par personne. de la croissance Faut-il encourager la croissance indéfinie de leur production, ou faire d’autres choix pour une informatique accessible, pourrait être produite et utilisée autrement, recyclable sans trop de compatible avec ressources, à très longue durée de vie, ce qui est très mauvais pour les chiffres de croissance? les contraintes de survie. L’économie de la connaissance ? Ceux qui nous en vantent les mérites, chercheurs habitués des colloques internationaux, ont-ils seulement effectué un bilan carbone de leurs déplacements au nom de la connaissance «hors-sol» ? L’ont-ils fait pour l’activité quotidienne d’un campus avec ses milliers de déplacements induits? Ces services, comme d’autres, fonctionnent aujourd’hui avec des déplacements massifs de personnes. Et les économies où il y a le plus de services sont aussi celles dont les niveaux d’émissions et de consommation de matières sont les plus élevés… À nouveau, est-ce leur croissance perpétuelle en quantité qu’il faut viser ou l’amélioration de leur organisation spatiale, de leur qualité, de leur capacité de réponse aux besoins de tous? Faire croître de 2 % par an le volume des services d’enseignement et de santé? Pendant une période, peut-être, mais, au-delà, cela voudrait dire qu’en 2050 on en fournirait 2,2 fois plus, et 6 fois plus en 2100. Indépendamment du bilan écologique, c’est stupide. On ne voit guère comment, dans les pays riches en tout cas, la poursuite de la croissance des quantités, quelle qu’en soit la nature, pourrait être compatible avec les grandes contraintes collectives de survie. Verdir une production dont le volume augmenterait sans cesse est une impasse, un chiffon rouge qu’agitent ceux qui, après nous avoir plongés dans la crise, prétendent nous en sortir sans changer vraiment de modèle de production ni de mode de vie, et sans s’en prendre aux inégalités. 30 avr il 2 0 09 I POLITIS I 7 POLITIQUE ÉLECTIONS EUROPÉENNES. Le PS, qui a donné le coup d’envoi de sa campagne à Toulouse, s’échine à repeindre en rose une social-démocratie européenne qui a renoncé à transformer le monde. Mensonges et omissions gauche toute ! Sous le patronage de Jean Jaurès, dont on fête cette année le cent-cinquantième anniversaire de la naissance, Martine Aubry a donné, à Toulouse, le 24 avril, le coup d’envoi de la campagne du Parti socialiste pour les élections européennes. « Il nous faut construire une Europe nouvelle, un peu moins sauvage », a lancé la Première secrétaire du PS en reprenant les termes du dernier article du député de Carmaux. À gauche toute encore ! Les socialistes redescendent dans la rue. Pas question pour eux de regarder passer les défilés du 1er mai cette année, alors que les syndicats, pour une fois unis, battront le pavé d’un même pas. Depuis un mois, les militants ont reçu leur ordre de mobilisation. Le PS veut « son » cortège. À Paris, où celui-ci devrait être le plus important, Martine Aubry défilera en compagnie de Bertrand Delanoë et de… Ségolène Royal. Laquelle avouait récemment ne pas se souvenir avoir jamais participé à une manifestation pour la Fête du travail. À en juger par le tract national édité pour l’occasion, il s’agit d’ailleurs moins d’une manifestation que d’une « marche » pour dire « Sarkozy-Barroso stop ! » « Les Français ne veulent plus de cette Europe-là », ils rejettent « l’Europe de la droite », assure Martine Aubry. Un discours rodé à Toulouse où, entourée du gratin de la social-démocratie européenne, À Martine Aubry à Toulouse avec Poul Nyrup Rasmussen, président du PSE, Martin Schulz, président du groupe PSE, Georges Papandreou, président de l’Internationale socialiste, et les têtes de liste d’une vingtaine de pays.. M. SOUDAIS elle a assuré que le bilan actuel est celui de la droite, de « ceux qui ont préféré l’économie derrière la finance, ceux qui ont accepté la précarisation, ceux qui nous ont fait croire que les services publics qui étaient des protections gênaient l’initiative, ceux qui préfèrent l’autoritarisme dans la société et l’atlantisme comme politique étrangère ». « C’est leur bilan, ce n’est pas le nôtre », a-t-elle martelé. Europe-décroissance entre en lice L’aile politique des tenants de la décroissance veut faire entendre sa voix pendant la campagne pour élections européennes. erra-t-on un clip sur la décroissance Vaux heures de grande écoute média- tique, lors de la campagne pour les européennes? C’est probable: le Mouvement des objecteurs de croissance (MOC) et le Parti pour la décroissance (PPLD), les deux groupes politiques de la mouvance décroissante, ont décidé de faire cause commune pour se lancer. En décembre dernier, quatre militants (Paul Ariès, Rémy Cardinale, Vincent Cheynet et Vincent Liegey) lançaient un appel pour la constitution de listes «décroissance» aux prochaines élections européennes. Signé par 1700 personnes, il justifiait la réunion à 8I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 Paris, samedi dernier, d’une soixantaine de sympathisants pour mettre en chantier une campagne intitulée «Europe-décroissance» (1). « L’objectif n’est pas d’obtenir des élus, répète Christian Sunt (MOC) à ceux qui en douteraient, mais de faire avancer nos idées lors d’une campagne autogérée, sobre et décentralisée.» Un lancement à la bonne franquette qui vire au bout d’une heure à l’assemblée générale improvisée, entre l’explication de texte sur le sens du terme «décroissance», l’art d’être visible sans moyens financiers (c’est sur Internet que les électeurs potentiels seront invités à imprimer leur bulletin de vote) et l’exposé des obligations légales d’une participation –une liste dans au moins cinq des huit régions électorales. « Nous devrions être présents dans toute la métropole, assure Vincent Liegey, porteparole du PPLD. Il s’agira de mettre à profit toutes les tribunes qui se présenteront pour présenter des réponses à la crise que personne d’autre n’énoncera.» Un élan de campagne qui pourrait être mis à profit par le MOC et le PPLD pour lancer en commun un nouveau mouvement politique. _Patrick Piro (1) www.europedecroissance.eu Le contraste avec la vulgate professée par la direction socialiste depuis son ralliement au traité constitutionnel européen en 2004 est saisissant. « Quand nos engagements européens sont en cause, il n’y a plus de clivages politiques qui demeurent », déclarait encore François Hollande, le 21 octobre, sur RTL. Mais à six semaines du scrutin, le clivage droitegauche ressurgit. Simple, tranché, il oppose les tenants « d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage », aux dirigeants de « l’Europe actuelle », assure la patronne du PS. Les socialistes et les sociaux-démocrates, qui « n’ont jamais été aussi unis » pour mener ce combat, aux conservateurs et aux libéraux ; les « partis frères » du PS aux amis de Nicolas Sarkozy et de l’UMP ; le Parti socialiste européen (PSE) au Parti populaire européen (PPE)… Évolution sincère ou manœuvre électorale ? Ce choc titanesque entre les deux plus gros groupes du Parlement européen peut « changer le cours de l’Europe en changeant la majorité au Parlement », garantit la maire de Lille en dramatisant l’enjeu. « Si le 7 juin la majorité reste la même, prévient-elle, c’est la santé qu’il faudra POLITIQUE investie au Parlement européen par la droite et le PSE. Six de ses membres, et non des moindres, appartiennent à des formations politiques issues du PSE. Viceprésident de la Commission, membre du SPD allemand, Günter Verheugen est chargé des entreprises et de l’industrie. Vice-présidente également, membre du SAP, le parti social-démocrate suédois, Margot Wallström est chargée des institutions. Membre du Labour Party, Catherine Ashton, qui a succédé à un autre travailliste, Peter Mandelson, à la tête du commerce international, représente l’UE dans les négociations internationales, notamment à l’OMC, où elle n’a de cesse d’imposer le libre-échange en tous domaines. Membre du PSOE espagnol, Joaquim Almunia, commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, traque avec une orthodoxie libérale inébranlable les déficits, défend le Pacte de stabilité et l’indépendance de la banque centrale. Membre du parti social-démocrate tchèque CSSD, Vladimir Spidla est chargé de l’emploi et des affaires sociales ; si son bilan social est inexistant, on lui doit la directive sur le temps de travail – bloquée pour l’instant – qui portait à 65 heures la durée maximale autorisée. Enfin, Laszlo Kovacs, membre du parti social-démocrate hongrois MSZP, a en charge la fiscalité et l’union douanière, deux domaines où l’UE se distingue par son inaction contre le dumping fiscal et son impuissance douanière. Seuls des électeurs mal informés peuvent croire que le bilan de l’Europe actuelle est uniquement « celui de la droite ». Difficile aussi d’avaler l’idée que les socialistes européens ne repousseraient pas l’âge de la retraite quand, au gouvernement, la plupart d’entre eux l’ont déjà porté audelà de ce que François Fillon et Nicolas Sarkozy ont pu faire. Enfin, il est pour le moins erroné de prétendre que l’atlantisme serait l’apanage de la droite européenne. Le 26 mars dernier, le PSE, dont les socialistes français, mais aussi les Verts ont voté avec la droite une résolution qui prône un rapprochement systématique de l’UE et des États-Unis dans de nombreux secteurs, dont la politique étrangère et la défense. Cette résolution non seulement « souligne l’importance de l’Otan en tant que pierre angulaire de la sécurité transatlantique », mais appelle aussi à accélérer la réalisation d’un « marché transatlantique unifié d’ici à 2015 ». Un projet soigneusement caché aux électeurs, initié pourtant en 2006 avec le rapport d’Erika Mann, une eurodéputée SPD. _Michel Soudais Retrouvez le blog de Michel Soudais sur www.politis.fr PARLEMENT EUROPÉEN Le démantèlement des services publics et les déréglementations se poursuivent. Une folle semaine FLORIN/AFP payer ou alors ne pas se faire soigner ; c’est l’âge de la retraite qu’il faudra toujours repousser ; c’est la Sécurité sociale dont on se demande si elle ne coûte pas trop chère ; c’est les emplois qui seront fragilisés… » Les campagnes électorales s’accommodent mal d’une pensée nuancée. Et Martine Aubry n’y fait pas exception. À Toulouse, elle a multiplié les petits mensonges et les grandes omissions pour repeindre en rose une social-démocratie européenne qui a depuis longtemps renoncé à transformer le monde. S’il est vrai que le Au Parlement Parti populaire européen, quatre européen (PPE) forme le premier textes sur cinq groupe au Parlesont votés en ment européen, s’il commun par le est non moins exact PSE et la droite. que le président de la Commission européenne, le très libéral et conservateur José Manuel Barroso, appartient à cette famille politique, le bilan de l’Europe actuelle est celui d’une cogestion entre les deux principaux partis européens avec l’appui des Libéraux démocrates européens (ELDR), le troisième groupe à Strasbourg, au sein duquel siègent les élus du MoDem. Cogestion au Parlement européen où, faute d’avoir la majorité à lui seul, le PPE a besoin de l’appoint du PSE. Selon des estimations sérieuses, quatre textes sur cinq y sont votés en commun par le PSE et la droite. C’est ainsi que toutes les directives de libéralisation ont été adoptées avec l’appui total ou partiel du PSE. Rail, poste, électricité, gaz… La liste est longue. Et cette convergence de vue, justifiée au nom de la nécessaire recherche de compromis, se poursuit (voir p. 9). Elle n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls travaillistes, comme voudrait le faire croire un préjugé très répandu. Incontournable spécialiste des transports au PS, l’eurodéputé Gilles Savary s’excusait ainsi, le 22 avril, dans l’hémicycle strasbourgeois, de ne pouvoir totalement supprimer tous les obstacles à la libre prestation de services dans le transport routier : « Oui, nous voulons le marché intérieur, mais l’opinion publique et les chefs d’entreprise ne comprennent pas que le marché intérieur soit parfois l’obligation du suicide pour certains d’entre eux, de la régression économique ou du chômage. » Cogestion au sein de la Commission aussi. Cible principale de la campagne électorale du PS, José Manuel Barroso a reçu le soutien des chefs de gouvernement, socialistes et travailliste, espagnol, portugais et britannique pour un second mandat. En 2004, sa Commission avait été six semaines des élections européennes, le Parlement européen continue de démanteler les services publics, de déréglementer des secteurs économiques et d’en offrir de nouveaux à l’appétit du marché. Si les eurodéputés ont décidé, la semaine dernière, lors de l’avant-dernière session de la mandature, de limiter le prix des SMS au sein de l’UE, ils ont aussi pris des décisions moins populaires, que les grands médias préfèrent taire. Le Parlement européen a ainsi parachevé la libéralisation du marché européen de l’énergie en adoptant le « 3e paquet énergie » constitué de deux directives et trois règlements qui devront être transposés d’ici un an dans tous les pays membres. Cet ensemble vise à durcir encore l’application des règles de la sacro-sainte concurrence avec deux éléments clés : la fin programmée des derniers tarifs réglementés fixés par les gouvernements pour protéger les consommateurs, et la « séparation patrimoniale » qui fait obligation aux sociétés historiques de service public de se séparer des réseaux de distribution qu’elles ont bâtis, ou d’en assurer une stricte indépendance, par filialisation ou location. Cette disposition, qui démantèle EDF, a été votée par la quasi-totalité des députés européens du PSE, Français compris. Il est vrai, le rapporteur de la directive sur l’électricité était une travailliste britannique. Jeudi, les eurodéputés assouplissaient le droit du travail des chauffeurs d’autocars : à compter de janvier 2010, ils pourront travailler douze jours d’affilée lors de voyages à l’international, contre 6 jours aujourd’hui. Dans la foulée, le Parlement décidait d’autoriser les poids lourds qui effectuent une livraison internationale à À effectuer trois opérations de transports supplémentaires entre des villes européennes en sept jours avant de rentrer. Ce « cabotage », qui fait craindre la généralisation du dumping social dans un secteur déjà sinistré –581 entreprises de transport ont déposé le bilan au premier trimestre –, a reçu l’aval du groupe PSE. Un camion en provenance d’un pays à très bas salaires pour livrer sa marchandise au Havre pourra donc à loisir prendre un nouveau chargement pour Grenoble, de là un autre pour Rungis, puis Montpellier, et concurrencer ainsi des transporteurs nationaux aux salaires plus élevés. Le même jour, les députés examinaient une directive sur les « droits des patients en matière de soins transfrontaliers ». Si l’idée de faciliter les soins de santé à l’étranger, notamment grâce à un remboursement adéquat, est séduisante, le groupe GUE/NGL demandait toutefois que cette directive se base sur l’article 152 du traité instituant la Communauté européenne, relatif aux coopérations en matière de santé, et non sur l’article 95, qui n’organise « l’harmonisation du marché intérieur » que sous l’angle des intérêts économiques. « La notion de marché unique de la santé est aux antipodes d’une conception de service public », détaillait Francis Wurtz, pour qui il s’agit du « retour subreptice de l’esprit de la directive Bolkestein dans un secteur qui avait été retiré du champ d’application de ladite directive à la suite des mobilisations sociales et du vote du Parlement ». En s’abstenant sur la demande du groupe de gauche, le groupe PSE a néanmoins permis ce retour. Et indirectement approuvé le fait que les intérêts économiques sont plus importants que les intérêts des patients. _M. S. 30 avr il 2 0 09 I POLITIS I 9 SOCIÉTÉ SÉCURITAIRE Élaborée par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur, l’utilisation des policiers réservistes se met en marche. Pour faire des économies. Et préparer une politique encore plus répressive ? La police nous sert ses vieux poulets ’information circule sur des sites militants : tous les réservistes de la police nationale auraient reçu l’ordre de réintégrer leurs postes avant le 20 juin. Pour preuve, un mail signé de la Mission nationale pour la réserve civile (Minatrec) mentionnant « un plan de rappel » et des affectations de « manière opérationnelle ». Or, cette réserve, dite statutaire et assurément obligatoire, ne peut « faire l’objet d’un rappel au service qu’en cas de menaces ou de troubles graves à l’ordre public », selon la Loi pour la sécurité intérieure. Guère rassurant, mais pas tout à fait exact. Car si cette information a débusqué un lièvre – à savoir la création d’une telle réserve et plus généralement l’utilisation de policiers retraités –, l’animal n’est pas encore armé jusqu’aux dents. « Il ne s’agit en aucun cas d’un plan de rappel mais d’une étape dans la mise en place de la loi du 18 mars 2003, d’un recensement effectué par les services de police territoriaux », assure-t-on à la Direction générale de la police nationale (DGPN). Quid alors des « premières affectations opérationnelles en cours... » que signale un document officiel et interne de la Minatrec, intitulé « La mise en ordre de marche de la réserve statutaire » et publié le 31 mars dernier ? « Depuis L « L’utilisation accrue de réservistes fait partie d’une gestion moderne et efficiente de la ressource humaine », estime la DGPN. FURLONG/GETTY IMAGES/AFP 2005, chaque nouveau retraité reçoit une affectation de réserve statutaire, explique François Dalbignat, trésorier de l’union fédérale des retraités CGT de la police nationale. Cette année, des contrôles sont effectués afin de vérifier, voire de réaffecter chacun au plus près de son domicile. » Par ailleurs, un réel rappel à titre individuel ou collectif ne peut être fait, précise le décret du 31 décembre 2003, que « par arrêté du ministre chargé de la Sécurité intérieure ». Et de tel arrêté, il n’y a point. Cette histoire de réserves n’en est pas pour autant innocente. Premier indice : les réserves statutaires (obligatoires), contractuelles (volontaires) et bénévoles ont été élaborées par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Elles répondent parfaitement à ses deux « dadas ». D’un côté, rogner Restaurer l’image de la restauration Face à la crise, les patrons de restaurants revoient leurs prix à la baisse pour faire revenir une clientèle devenue volage. Générosité soudaine ou stratégie de communication ? E ffet de manches ou effet de crise ? L’un n’empêche pas l’autre. Depuis le début de l’année, quelques restaurants ont affiché à leur carte un «menu crise», ou plutôt un menu anticrise. La tendance parcourt l’Hexagone. De Rouen à Perpignan, de Saint-Malo à Strasbourg. Compter entre quatre et sept euros pour une entrée et un plat, ou bien un plat et un dessert. Des menus plutôt proposés en semaine, et au déjeuner. C’est ici le triomphe de l’œuf mayo, de la carotte râpée, du rôti de porc et de la crêpe Suzette. Et une manière de faire revenir une clientèle (réfugiée du côté de la restauration rapide). On cuisine des produits modestes, on réduit ses marges. 10 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 Forcément, c’est intéressant pour le consommateur. Qui, tout de même, peut se poser deux questions : pourquoi n’avoir pas proposé ces prix auparavant? Et qu’en sera-t-il après la crise ? À vrai dire, ces opérations relèvent de la com et répondent moins au budget défaillant des consommateurs qu’à celui d’une profession qui (après avoir abusé du passage à l’euro) périclite. Selon le Syndicat des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs (Synhorcat), au premier trimestre 2009, la diminution du chiffre d’affaires atteindrait entre 20 et 30% en région, et 10 % à Paris. Addition salée qui s’ajoute aux 6 500 fermetures d’établissement en 2008. Si le ticket moyen chute, c’est surtout la restauration traditionnelle qui trinque. Il est temps pour elle de se remettre en question, de repenser la table et l’assiette. C’est dans ce contexte délicat que se sont ouverts les États généraux de la restauration le 28 avril. Avec, en perspective, dès le 1er juillet, la baisse de la TVA, de 19,6 % à 5,5 %, alignée ainsi sur la restauration rapide. Un serpent de mer pour le secteur. Lequel s’est engagé, en contrepartie, sur une baisse des prix, une réévaluation des salaires et des créations d’emploi. Parions que cette baisse de la TVA ne servira qu’à remplir les caisses des restaurateurs. Ni plus ni moins. _Jean-Claude Renard sur les budgets des services publics ; de l’autre, préparer la répression plutôt que la prévention. Décidée en 2003, la réserve contractuelle, qui permet d’embaucher ponctuellement des réservistes, a été mise en place l’année suivante. Dans une note de service de 2008, la DGPN indique qu’il faut « accompagner la montée en puissance de ce dispositif ». Elle rappelle notamment que la durée maximale et annuelle d’emploi est passée de 90 jours à 150 pour le national. Et que « l’utilisation accrue de réservistes volontaires « Que les fait partie intéretraités soient à la retraite, avec grante d’une gesune bonne pension, tion moderne et et que des jeunes efficiente de la ressource soient humaine »... Traembauchés », duction, proposée réclame la CGT. par l’Unsa Police : « On fait des économies en termes d’emplois. » Des économies qui coûtent cher. Le budget global est passé de 9 à 10 millions entre 2008 et 2009. Il pourrait encore augmenter. Ne serait-ce que pour financer les « délégués de cohésion police-population », issus du plan « Espoir banlieue » et d’abord expérimentés en Seine-SaintDenis, qui vont être recrutés parmi les réservistes. « Que les retraités soient à la retraite, avec une bonne pension, et que des jeunes soient embauchés », réclame Michel Gastaldi, secrétaire général de la CGT Police. Un tel bon sens n’est pas goûté par tous. Après la réserve contractuelle, c’est maintenant au tour de la statutaire de devenir potentiellement utilisable d’ici à juin. « Pour avoir un outil efficace, si jamais… », explique la DGPN. Si jamais quoi ? C’est bien là où le bât blesse. « Entre la situation de crise, la politique de nonrecrutement, les effectifs qu’on laissent filer, commente un syndicaliste, bref, entre ce qui reste de la police et ce qu’on attend comme troubles, on voit bien où se situe le problème. » Pendant que les jeunes des commissariats feraient la police dans la rue, les réservistes pourraient prendre le relais, eux qui ne peuvent assurer ni mission de l’ordre ni contrôle d’identité. _Marion Dumand ÉCOLOGIE CLIMAT La croissance des marchés de droits à émettre du CO2 pourrait à terme provoquer l’explosion de la plus grosse bulle financière jamais créée, affirment les Amis de la Terre aux États-Unis. Une crise des subprimes carbone ? a bouge désormais furieusement aux États-Unis sur le front du dérèglement climatique, après huit ans de déni de l’administration Bush. Un projet de loi est en discussion pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays de 20 % d’ici à 2020 par rapport à 2005. Et l’Agence de protection de l’environnement vient d’accroître la pression en les décrétant « danger pour la santé publique ». Une large majorité du Congrès restant viscéralement opposée à toute réglementation contraignante (taxe « carbone », etc.), le débat fait donc rage autour du choix de mécanismes de marché. À l’étude : une bourse d’échange de permis d’émission de CO2 (le principal des gaz à effet de serre), qui pourrait démarrer en 2012. Deux modèles fonctionnent actuellement. Dans l’Union européenne d’abord, où depuis 2005 les États membres tentent de limiter les émissions de CO2 de leurs plus gros industriels (cimenteries, sidérurgie, etc.) en leur allouant des « quotas ». Qu’ils peuvent soit « consommer » (1 quota correspond à 1 tonne de CO2), soit vendre, via une bourse spécialisée, à d’autres industriels. Les entreprises peuvent ainsi opter pour le moyen le moins coûteux de remplir leurs obligations – réduire leurs émissions (par des investissements, par exemple) ou acheter des quotas sur le marché. Autre mécanisme de marché, celui des « crédits carbone » issus du Protocole de Kyoto. Les États industrialisés qui Ç En 2008, il s’est échangé dans l’Union pour 25 milliards d’euros de quotas d’émissions. C’est peu pour le moment, mais ce marché croît. MORIN/PLATT/AFP l’ont ratifié peuvent s’acquitter de leurs engagements par une compensation similaire : plutôt que de s’astreindre à des réductions d’émissions domestiques, ils peuvent financer des projets les induisant dans un pays du Sud. C’est le « Mécanisme de développement propre » (MDP), qui génère des « crédits carbone » au bénéfice de l’investisseur (un par tonne de CO2 évitée). Ils sont validés par le bureau exécutif de la Convention climat des Nations unies, à condition que le projet présente, entre autres, une « additionnalité » – à savoir que l’investissement permettra une réduction qui n’aurait pas été acquise à défaut. Supprimer les crédits MDP Le marché européen de quotas de CO2 est loin d’avoir rempli ses promesses. Ainsi, lors de la première période (2005-2007), plusieurs États avaient «triché» en allouant trop de quotas à leurs entreprises, faussant le marché. La valeur du quota était tombée à un euro alors que le mécanisme l’avait prévue aux alentours de 20euros afin d’induire des réductions d’émissions significatives. Il faudra attendre fin 2012 pour juger de l’efficacité des correctifs apportés depuis par la Commission européenne. Les crédits MDP concentrent des 12 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 critiques plus sévères encore. Les Nations unies elles-mêmes reconnaissent que la vérification des critères imposés (additionnalité, entre autres) manque de fiabilité. Les Amis de la terre, constatant que les marchés financiers n’ont toujours pas corrigé les graves failles d’encadrement et de transparence qui ont mené à la crise des subprimes, vont jusqu’à juger irresponsable de miser sur de tels mécanismes de marché pour juguler la dérive climatique, et réclament l’interdiction pure et simple des crédits _P. P. MDP. Les entreprises européennes soumises à quotas peuvent couvrir une partie de leurs obligations (jusqu’à 20 % dans certains pays) avec ces « crédits MDP ». Ainsi, un cimentier belge pourra en acquérir à hauteur du nombre de tonnes de CO2 évitées par un parc éolien qu’il financera en Indonésie, alors qu’une centrale au charbon y était projetée. Mais l’entreprise pourrait être n’importe quel investisseur non soumis à une obligation de réduction d’émissions, désireux de faire commerce de ses crédits : c’est le début d’un marché dit « dérivé », car non immédiatement lié à la finalité de ces « droits d’émission de CO2 ». Toute une ingénierie financière peut alors se développer, spéculant sur la valeur à terme de la tonne de carbone – cotée sur le marché comme le pétrole, le blé, etc. Ainsi, l’investisseur en éoliennes indonésiennes, soucieux de rentabilité immédiate, peut décider de vendre ses crédits avant leur validation (qui peut prendre deux à trois ans), en les mettant sur le marché « à terme » sous forme de « promesses », à un tarif attrayant. Ces titres peuvent ainsi changer de main des dizaines de fois avant d’être acquis in fine par une entreprise soumise à une obligation de réduction d’émissions – une tonne de pétrole est en moyenne revendue 200 fois, au sein de produits financiers divers par exemple, avant d’être effectivement livrée. Supposons alors que la Convention climat n’octroie finalement pour les éoliennes indonésiennes que la moitié des crédits allégués par la « promesse » initiale. Ou pire encore : qu’ils aient été fondés sur la plantation d’une forêt (qui fixe le CO2) subitement partie en fumée par accident… Les crédits en circulation deviennent alors du « junk carbon », titres « pourris » dont Les crédits la valeur subiteen circulation peuvent devenir du ment effondrée peut déclencher « junk carbon », des titres pourris des crises financières, comme susceptibles celle des « subde déclencher primes » immodes crises. bilières. C’est la menace qu’illustre un rapport que viennent de publier les Amis de la terre-États-Unis (1). Les risques de « bulle carbone » explosive restent cependant limités pour l’instant : en 2008, il s’est échangé dans l’Union pour 25 milliards d’euros de quotas d’émissions (aujourd’hui le principal marché de carbone), soit autant qu’en actions lors d’une petite journée à la Bourse de New York. Mais jusqu’à quand ? La Mission climat de la Caisse des dépôts relevait fin 2007 (2) que « le nombre de fonds avec un objectif de plus-value financière a crû davantage que ceux visant à fournir des crédits CO2 pour la conformité des acteurs » – c’est-à-dire la couverture des obligations de réduction d’entreprises ou d’États. Un analyste cité par les Amis de la terre, évaluant l’impact de l’irruption programmée des États-Unis sur ces marchés, estime que la finance carbone pourrait déjà constituer, dans quatre ans, le plus gros de tous les marchés dérivés. _Patrick Piro (1) Voir www.foe.org, « subprime carbon ? » (2) www.caissedesdepots.fr/spip.php?article650, note d’étude n° 12. À lire sur ce sujet : le Climat otage de la finance, Aurélien Bernier, éd. Mille et Une Nuits, 2008. Retrouvez le blog de Patrick Piro sur www.politis.fr ÉCOLOGIE CHANGER D’ÈRE PAUL ARIÈS Coorganisateur du contre-Grenelle et directeur de Sarkophage. Contre le « capitalisme vert » La loi Grenelle 1 même pas encore adoptée, Tsarkozy veut enfoncer le clou MULLER/AFP OGM À l’approche d’échéances européennes importantes, la mobilisation se renforce contre les plantes transgéniques. Les batailles de l’été lus de cent plantes transgéniques sont en attente d’autorisation sur le sol européen. Malgré les moratoires récemment décrétés par le Luxembourg et l’Allemagne sur les cultures en plein champ du maïs Mon810 de Monsanto, rien n’est gagné. Après la campagne Stop-OGM de 2007-2008 et le lancement de Semons la biodiversité en octobre 2008 (1), 200 militants d’organisations paysannes, environnementales et citoyennes se sont rassemblés les 18 et 19 avril à Toulouse lors d’états généraux, pour signifier qu’ils ne baisseront pas la garde face au péril transgénique. Le calendrier européen va donner le la. Le 25 juin, lors du conseil des ministres de l’Environnement, deux maïs transgéniques pourraient être autorisés à la culture : le BT11 de Syngenta et le TC1507 de Pioneer, tolérant à l’herbicide « glufosinate ». « Pour le moins paradoxal !, commente Michel Dupont, de la Confédération paysanne. En janvier, l’Union a placé le glufosinate sur une liste d’une vingtaine de pesticides à retirer progressivement du marché (2). » Au sujet du Mon810, l’Agence européenne de sécurité des aliments doit émettre un nouvel avis le 13 juillet 2009. Il a déjà été suspendu par six P pays (3) et il n’est pas sûr que son autorisation soit renouvelée. Mais le front est mouvant : désormais, les militants redoutent aussi l’avènement des plantes « mutées », dont on a forcé l’évolution du génome (par irradiation, par exemple). Elles sont exclues du champ d’application de la directive 2001-18 sur les OGM ; et du tournesol et du soja mutés, en cours d’homologation, pourraient ainsi être inscrits au catalogue des semences sans obligation d’information des consommateurs. La « tolérance zéro », principe européen selon lequel aucun OGM non autorisé par l’Union ne saurait être présent dans les produits importés, est aussi menacée. « Un lobby très puissant critique les délais d’autorisation trop longs, rapporte Hélène Gassie, des Amis de la Terre, et pousse à l’adoption d’une tolérance de 0,1 %. » La porte serait alors ouverte à une augmentation progressive et subreptice de la présence d’OGM dans l’alimentation animale et humaine. _Sophie Chapelle (1) www.semonslabiodiversite.org (2) Pétition sur www.gmo-free-regions.org puis stopthe-crop-action (3) Voir Politis n° 1049. Le 16 mai à Sète, port où débarquent chaque jour des cargaisons de soja pour l’alimentation du bétail français, est organisée une journée d’information et d’actions sur les importations d’OGM. avec Grenelle 2. Les gauches, les milieux écologistes, les antiproductivistes et les objecteurs de croissance sous-estiment encore la gravité de ces mauvais coups. Non, les Grenelle 1 et 2 ne sont pas seulement des « mascarades vertes» mais expriment la volonté d’adapter la planète et les humains aux besoins du productivisme, que ce dernier soit bleu, rose, rouge ou vert. Ses partisans se sentent désormais suffisamment forts pour montrer leur vrai visage: celui d’un «capitalisme vert». On n’a jamais autant entendu autant parler de «croissance propre», « verte» et d’« écocroissance» depuis que Borloo Ier a manœuvré l’opinion publique. Le «développement durable» qui est à l’ordre du jour n’est même plus celui du gentil Hulot et des ONG complices ou dupées («polluer moins pour pouvoir polluer plus longtemps»), mais celui d’une alliance historique entre les milieux d’affaires, les techno-scientistes et la droite. Ce «capitalisme vert» marque le retour de la foi béate dans la techno-science en faisant oublier au passage des catastrophes technologiques comme Bhopal, Tchernobyl ou l’amiante. Puisque les problèmes seraient de nature technique, les solutions seraient aussi techniques: manipulation du climat, développement des puits de carbone, pollinisateurs artificiels, nanorobots, aliments ionisés, etc. Tout est prêt: les capitaux, les fantasmes (culte de la toutepuissance, d’un monde sans limites), les connaissances scientifiques, notamment avec la «révolution NBIC». Ses chantres ne cessent de le clamer: il faudrait passer « d’une écologie dénonciatrice et culpabilisatrice à une écologie réparatrice» (Allègre), « un peu de croissance pollue, beaucoup dépollue» (Parisot). Tout sera fait plutôt que de renoncer à la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète. Tout, y compris avancer vers un véritable démontage de l’espèce. Certains fantasment déjà sur le passage des OGM aux humains génétiquement modifiés (HGM), tandis que se prépare le tri des embryons humains. D’autres, comme Attali, rêvent d’aller vers des transhumains. Tout sera fait Tout sera fait plutôt que de remettre en cause les logiques et les acteurs économiques. Le capitalisme vert a déjà plutôt que de remporté une solide victoire: les firmes, un temps montrées du doigt, deviendraient les meilleurs agents de l’écologie en renoncer à la reléguant les militants aux oubliettes. Ce «capitalisme vert» domination repose ainsi sur la fusion de l’écologie et de l’économie capitaliste: ses solutions consistent à marchandiser la des uns sur les pollution et à avancer vers une monnaie carbone. autres et de tous sur la planète. Les deux années passées depuis le premier contre- Grenelle prouvent que nous avions raison. Le Grenelle était bien sarko-compatible, mais le sarkozysme ne sera jamais écolo-compatible. Le journal la Tribune le dit avec délectation: « Le vert vaut de l’or. Green is business», avant d’ajouter: « un Grenelle juteux pour les entreprises». Le nouveau contre-Grenelle que nous organisons (1) entend donc aller encore plus loin dans la dénonciation du «capitalisme vert» et dans les alternatives. À l’initiative du journal la Décroissance, il sera l’un des grands rendezvous unitaires d’avant les européennes, puisque le Front de gauche, le NPA, des écologistes, des objecteurs de croissance, des membres d’Utopia, des élus, des syndicalistes et des militants associatifs engageront le débat pour dire trois fois «non» : non au bradage de l’écologie politique sous couvert d’une ouverture aux écologistes de marché; non aux capitulards du développement durable, même maquillés en défenseurs d’une nouvelle régulation capitaliste; non aux tartufes de l’écologie médiatique qui pillent le vocabulaire de la décroissance et de l’antiproductivisme sans jamais parler une seule fois d’anticapitalisme. Nous serons aussi à Lyon pour dire trois fois «oui». Oui à un autre partage du gâteau : la première des décroissances doit être celle des inégalités; oui à un vrai débat démocratique dans la clarté : on ne changera pas le monde dans la confusion idéologique et avec les transnationales comme partenaires; oui à une autre Europe démocratique où chaque pays soit capable de relocaliser ses activités économiques. (1) Samedi 2 mai, 9 h-18 h, salle Victor-Hugo, 33, rue Bossuet, 69006 Lyon. Inscriptions : www.contre-grenelle.org 30 avr il 2 0 09 I POLITIS I 13 MONDE SRI LANKA Alors que l’armée sri-lankaise tente de porter le coup de grâce à la guérilla tamoule au nord-est du pays, la population civile paie un lourd tribut à son rêve d’indépendance. La tragédie des Tamouls cculés dans un réduit de quelques kilomètres carrés, autour de Chalai et de Kilinocchi, au nord-est de l’île de Sri Lanka, les Tigres tamouls livrent peut-être leur dernier combat contre l’armée sri-lankaise. Sous la pression internationale, le gouvernement de Colombo a certes annoncé lundi qu’il ralentirait ses offensives militaires, qui ont fait 6 500 victimes depuis le mois de janvier, selon un chiffre de l’ONU, mais on est loin du cessez-le-feu demandé par les capitales occidentales. Le gouvernement a tout juste ordonné à ses forces armées de « cesser d’avoir recours aux armes de gros calibre, avions de combat et bombardements aériens » dans leurs opérations contre les Tigres A tamouls, mouvement séparatiste en conflit armé depuis trente-sept ans. Les opérations militaires n’avaient pourtant pas cessé lundi en début de soirée. La guérilla tamoule était toujours acculée sur une bande côtière de 10 km2 au nord-est du pays avec quelque 50 000 civils pris au piège. Selon les autorités, 15 000 de ces civils serviraient de bouclier humain. Mais on sait que ce discours est au centre de la communication gouvernementale, qui tente ainsi de se disculper des nombreuses victimes civiles causées par son offensive. D’après le porte-parole des Tigres, Seevaratnam Puleethevan, les insurgés et les civils essuyaient toujours des attaques aériennes à l’arme lourde. Le cessez-lefeu proclamé dimanche par les Tigres tamouls était donc caduc. Selon les mots mêmes du secrétaire à la Défense sri-lankais, Gotabhaya Rajapakse, frère cadet du président, Mahinda Rajapakse, le gouvernement a interprété ce cessez-lefeu comme « une Face à blague ». l’intransigeance des autorités, les Au cours du weekend, la violence des Tigres ont répété leur détermination combats a fini par attirer l’attention de à poursuivre la la communauté lutte armée. internationale. Le responsable des affaires humanitaires aux Nations unies, John Holmes, est arrivé lundi à Colombo. Il s’est entretenu avec le président Rajapakse. À l’issue de cette Des civils tamouls s’enfuyant après un bombardement par l’aviation sri-lankaise. HO/AFP 14 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 entrevue, il a réclamé une « pause humanitaire pour faire entrer les travailleurs humanitaires dans la zone de conflit ». Mais la zone des combats demeurait lundi totalement inaccessible aux ONG. John Holmes n’a pas obtenu le feu vert de son interlocuteur pour l’envoi d’une équipe humanitaire de l’ONU, comme l’avait souhaité Ban Ki-moon, secrétaire général de l’organisation, dont il était l’émissaire. Les ministres des Affaires étrangères français et britannique, Bernard Kouchner et David Miliband, probablement accompagnés de leur homologue suédois, Carl Bildt, devaient se rendre sur l’île mercredi. Le chef de la diplomatie française « vérifiera la mise place de l’hôpital de campagne qui devait être opérationnel à compter MONDE de lundi », selon le secrétaire d’État aux gouvernement indien, qui ne s’est jamais Affaires européennes, Bruno Le Maire. engagé dans le soutien à un état tamoul La France avait en effet annoncé samedi au Sri Lanka. l’envoi d’une unité d’intervention sani- C’est à partir de 1983 que la confrontaire de 71 personnes, équipée de 30 tonnes tation entre le LTTE et l’armée sri-lankaise de matériel, de lits d’hospitalisation et défendant la majorité cinghalaise a véritablement tourné à la guerre civile. La de blocs opératoires. Mais, lundi soir, l’impasse semblait totale. situation a été rendue plus complexe Face à l’intransigeance des autorités, qui encore par la terrible répression qui a exigeaient la reddition complète et sans frappé à partir de 1987 une insurrection condition des insurgés, les Tigres ont répété d’extrême gauche, dans la partie sud de leur détermination à poursuivre la lutte l’île. On a estimé à 20 000 le nombre des armée. Le gouvernement sri-lankais avait victimes de ce soulèvement, qui n’était pas lié à la question tamoule. En lancé l’assaut en janvier der2002, le Front national uni nier, espérant porter un coup (parti libéral), au pouvoir à fatal à l’organisation séparaColombo, propose au LTTE un tiste. 6 500 morts et 14 000 de Cinghalais cessez-le-feu. Celui-ci est resblessés plus tard, la résistance bouddhistes, pecté pendant deux ans. Au tamoule n’a toujours pas cédé. environ 18 % de cours de cette période, la docMais, le 20 avril, les populaTamouls (à trine des Tigres évolue d’une tions civiles ont entamé un majorité revendication séparatiste vers exode pour fuir les combats. hindouiste), une solution d’autonomie dans Plus de 100 000 personnes, et 7 % de un cadre fédéral. selon l’ONU, ont réussi à quitmusulmans Mais, en novembre 2005, la ter le nord-est du pays, de langue victoire électorale de l’actuel aujourd’hui dévasté. tamoule. Dans cette région du monde président, Mahinda Rajapakse, comme dans beaucoup d’auhostile aux négociations, sonne tres, on comprend difficilement l’actua- le glas de l’hypothèse fédérale. Ironie du lité si l’on ne remonte pas à la période sort, ce sont sans doute les Tigres tamouls coloniale. Longtemps soutenues et pri- qui ont contribué à porter au pouvoir leur vilégiées par le colonisateur britannique, futur bourreau en appelant à boycotter les élites tamoules hindouistes ont, au un scrutin qui a été extrêmement serré. moment de l’indépendance, en 1948, payé L’assassinat du ministre des Affaires étranle prix de cette collaboration. D’autant gères sri-lankais, sans doute par le LTTE, plus qu’avec 18 % de la population les a fini de radicaliser la population cinTamouls se sont trouvés dans la posi- ghalaise contre les Tamouls. Parallèletion d’une minorité dominée par la majo- ment, l’isolement international des Tigres, rité cinghalaise bouddhiste. À la suite aggravé par plusieurs défections dans les de pogroms dont ils ont été les victimes rangs de ses dirigeants, a affaibli le moupeu après l’indépendance, les Tamouls vement. Mais c’est peut-être finalement ont pris les armes et créé en 1976 une le tsunami de décembre 2004 qui aura armée de guérilla. Mais les Tigres de libé- porté le coup de grâce à tout espoir d’isration de l’Eelam tamoul (LTTE), d’abord sue pacifique à cet interminable conflit. auréolés du prestige de la résistance, ont Le raz-de-marée a causé la mort de plus eu tôt fait d’exercer sur la population civile de 38 000 personnes. La bataille pour l’apun pouvoir autoritaire sans partage. Leur propriation de l’aide internationale a organisation militaire est devenue d’au- ensuite déchiré un peu plus le fragile tissu tant plus redoutable qu’elle disposait d’une petite nation qui n’est jamais pard’une sorte de sanctuaire dans l’état du venue à réaliser son unité après la période Tamil Nadu, situé au sud-est de l’Inde. coloniale. Cela, malgré la position ambiguë du Alain Lormon SOLIDARITÉ Les Tamouls de France se sont mobilisés pour sensibiliser la communauté internationale. « Sauvez-nous ! » 69% Conflit du Proche-Orient Quelles perspectives stratégiques ? Quel rôle pour les opinions publiques ? Jeudi 7mai, à 18h30, à l’Espace Kiron*, à Paris Conférence-débat autour de Pascal Boniface, directeur de l’Iris, à l’occasion de la réactualisation de Vers la 4e guerre mondiale? (Armand Colin) et de Denis Sieffert, directeur de Politis, à l’occasion de la parution de la Nouvelle Guerre médiatique israélienne (La Découverte). Inscription obligatoire dans la limite des places disponibles : [email protected] ou 01 53 27 60 80. * Espace Kiron, 10, rue de la Vaquerie, 75011 Paris. Manifestation de Tamouls à Paris le 20 avril. SAGET/AFP ous une pluie battante, lundi, ils avaient établi un campement de fortune place de la République en plein cœur de Paris. Après plusieurs soirées passées place des Invalides, les Tamouls de la région parisienne restaient mobilisés pour venir en aide à leurs familles, menacées par l’offensive de l’armée sri-lankaise. Samedi, entre 11 000 et 20 000 Tamouls ont manifesté dans les rues de la capitale. En tête de cortège, deux jeunes gens en fauteuil roulant, précédés d’une banderole : « Grève de la faim jusqu’à la mort ». « Ils ont cessé de s’alimenter depuis onze jours, et leur état se dégrade rapidement », insistait un porteparole. Ce qui en dit long sur la détermination de cette population que l’on rencontre ordinairement dans les restaurants – ils sont souvent cuisiniers – ou dans les quartiers du Sentier et surtout de la gare du Nord, où ils sont manutentionnaires. Samedi, un portrait géant de Nicolas Sarkozy dominait la manifestation, surmonté de cet appel: «Monsieur le Président, sauvez-nous de l’enfer ! » Devant une grande partie de la communauté tamoule (on en recense 70 000 dans toute la France), venue souvent en famille, un des responsables a mis en cause la communauté internationale : « Après 7 000 morts en trois mois, nous avons S eu en quatre jours 4 000 civils qui ont péri, et cela continue. Pour l’instant, aucune action concrète permettant d’arrêter le massacre n’a été entreprise.»Dans la foule, la plupart des jeunes gens arboraient des tee-shirts marqués de ces mots : « Stop au génocide des Tamouls!» Mais la manifestation était surtout dominée par les nombreux drapeaux rouges frappés d’une tête de tigre, celle de la rébellion des Tigres de libération de l’Ealam tamoul (LTTE). Une organisation classée « terroriste » par l’Union européenne. Au milieu du cortège, des manifestants en haillons et aux visages maculés de peinture rouge symbolisant le sang de leur peuple avaient pris place dans une cage. D’autres manifestants, en rangers et treillis, faisaient le geste de les bastonner. Une manifestation aux accents tragiques où les slogans lancés par les voix stridentes des femmes étaient repris par les hommes. Rares, très rares étaient les Européens dans cette foule homogène. Ici, deux drapeaux du NPA marquaient une présence politique. Lundi, au terme d’une nouvelle manifestation, officieuse et improvisée, Marie-George Buffet a demandé dans un message à François Fillon que « la France ne se désintéresse pas de cette tragédie ». _D. S. 30 avril 2 0 09 I POLITIS I 15 RÉSISTANCES ÉDUCATION Les systèmes éducatifs d’Afrique francophone et la conception des manuels scolaires, hérités de la colonisation, encouragent les jeunes à émigrer. En réaction, des éditeurs indépendants s’engagent pour la «bibliodiversité ». Apprendre et penser local ’est l’histoire d’un désenchantement. Un rêve de gosse construit sur les bancs de l’école, brisé par la confrontation avec la réalité. Tout au long de sa scolarité au Sénégal, Omar Ba écoute, lit, apprend et idéalise avec gourmandise l’extraordinaire destin de l’Europe et des pays « développés » du Nord (voir encadré p. 18). Tout y brille, tout y semble confortable, facile. Les heureux professeurs passés par la France jouissent d’une aura sans bornes et entretiennent le mythe. L’un d’eux se fait appeler Pierre de Ronsard par ses élèves, en toute simplicité. Les programmes se concentrent sur l’ailleurs : « J’ai appris le fonctionnement de l’Union européenne, l’Accord de libreéchange nord-américain (Alena), le modèle économique japonais, les deux C guerres mondiales. Le prof était fier de maîtriser tout ça, et nous, ça nous faisait rêver », nous confiait Omar Ba lors de son passage à Politis. « L’école publique africaine est une fabrique à clandestins : on apprend tout ce qui se fait ailleurs et seulement après, très brièvement, ce qui se passe ici. Donc, on part. » Au cœur de cette « fabrique » d’un genre particulier, le marché des manuels scolaires est pointé du doigt par certaines associations et personnalités du monde de l’édition indépendante. Supports des programmes décidés par les États, les outils pédagogiques utilisés en Afrique francophone posent deux grandes questions : l’absence de « bibliodiversité » locale dans un marché écrasé par quelques poids lourds comme Hachette, Nathan ou Belin, d’une part ; d’autre part, le processus de création et d’édition des contenus destinés aux petits Sénégalais, Camerounais ou Togolais. Dans l’édition, le marché scolaire est celui « qui rapporte le plus », pose en préambule Étienne Galliand, directeur de l’Alliance des éditeurs indépendants (1), engagée en faveur de la coédition et de la « bibliodiversité ». Hachette, principal acteur de la place et filiale de Lagardère, évoque un chiffre d’affaires de « plusieurs millions d’euros pour l’Afrique ». Depuis une quinzaine d’années, et surtout pour le primaire, ces marchés fonctionnent de manière singulière. « Des institutions internationales, le plus souvent la Banque mondiale, explique Étienne Galliand, octroient des crédits sous certaines conditions aux États africains pour l’acquisition d’ou- vrages scolaires. Ces États émettent ensuite des appels d’offres auxquels les éditeurs répondent. » Ces « lots » concernant souvent plusieurs centaines de milliers d’ouvrages, seuls les grands groupes d’édition du Nord ont les ressources nécessaires pour postuler. Par un joli tour de passe-passe, l’argent prêté par le Nord, sous la condition expresse de libéralisation des marchés, revient au Nord. Il ne fait que transiter au Sud, où, comme plusieurs sources nous l’ont confirmé, corruption et dessous-de-table sont légions. Les maisons d’éditions locales, sous-dimensionnées, n’ont pas voix au chapitre. Beau joueur, Jean-Michel Ollié, directeur éditorial d’Hachette livres international, et à ce titre directeur des maisons Edicef et Hatier international, spécialisées sur l’Afrique, reconnaît l’injustice de la situation : Les livres scolaires à destination de l’Afrique francophone véhiculent une mentalité et des valeurs françaises. VERDY/AFP 16 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 DE QUELS DROITS ? EXPULSIONS CHRISTINE TRÉGUIER Sinistre ironie FLORIN/AFP À Drancy, en région parisienne, il faut expulser ces Roms que l’on ne saurait voir. Surtout s’il s’agit de faire place nette pour les cérémonies de commémoration du génocide nazi, organisées dans le cadre de la Journée nationale de la déportation du 25 avril. Que les Roms aient été victimes d’un plan d’extermination orchestré par le IIIe Reich ne change rien à l’affaire. D’après les faits relatés par le Collectif national droits de l’homme Romeurope, le 22 avril 2009 à 7 h du matin, la police a procédé à l’expulsion de plus de 200 personnes qui occupent l’ancienne gare de déportation de Drancy. « Neuf caravanes qui tardaient à libérer le terrain ont été emmenées à la fourrière et leurs propriétaires physiquement empêchés de récupérer les affaires qu’elles contenaient. » Une ordonnance d’expulsion avait bien été rendue le 1er avril, « mais les personnes n’ont reçu ni signification de ce jugement par voie d’huissier, ni commandement de quitter les lieux », d’après le collectif. Romeurope dénonce une procédure d’expulsion bâclée et rappelle que « la mémoire de la déportation concerne aussi les Roms, qui ont connu pendant la période nazie la déportation et le génocide, et en France l’internement ». _X. F. www.romeurope.org « Les achats de manuels par les États avec l’aide de la Banque mondiale créent une situation de domination des gros éditeurs. Cela nous laisse la quasi-exclusivité du marché du livre scolaire et exclut d’emblée les éditeurs locaux. » Et comme « ces éditeurs ne peuvent pas vivre sans ce marché, il faudrait qu’ils y aient accès. On souhaite que se développe un vrai réseau en Afrique ». Via des « partenariats sincères », comme le souhaite ardemment l’Alliance des éditeurs indépendants ? « Le partenariat sincère, c’est très compliqué à gérer entre deux entités dont le rapport de taille est de 1 à 1000, avoue Jean-Michel Ollié. Le seul moyen que nous ayons, c’est de faire de vraies coéditions. Hachette apporte sa puissance financière et récolte le profit qui va avec, mais si en face l’éditeur apporte des choses que nous n’avons pas, sa légitimité par exemple, c’est un partenariat efficace. » Un discours plein de bonnes intentions accueilli avec fraîcheur par d’autres acteurs du milieu. Pour Stéphane Marill, éditrice spécialisée, fondatrice d’une toute jeune société de services d’édition scolaire pour les éditeurs d’Afrique francophone subsaharienne, « les éditeurs locaux ne sont bien souvent que des prête-noms d’Hachette. Quand un appel d’offres favorise les éditeurs locaux dans ses conditions d’attrisuite p. 18 bution, Hachette fait Quand la prison condamne à mort L’Intersyndicale CGT/FO/Ufap des personnels pénitentiaires a lancé un appel unitaire à l’action pour les 4, 5, 6 et 7mai. Parmi les revendications, la lutte contre la surpopulation carcérale – qui dégrade les conditions de travail –, le recrutement de personnels supplémentaires, mais aussi « l’ouverture d’un débat sérieux sur la prévention des suicides et la sécurité dans les prisons». La question des suicides en milieu carcéral est récurrente, et syndicats et associations tirent la sonnette d’alarme depuis le début de l’année. Les chiffres, qui avaient légèrement baissé en 2006 (95 décès) et en 2007 (97), sont remontés à 118 en 2008. En janvier, l’Observatoire international des prisons (OIP) La politique dénombrait pas moins de treize suicides en quinze jours. Un chiffre alarmant – on en comptait 6 en pénitentiaire 2008 pour la même période – qui fait de la France engendre un le pays d’Europe où le taux de suicide en détention est le plus élevé. La direction de l’Administration suicide ou une pénitentiaire elle-même avait dû admettre dans un mort suspecte communiqué une situation « préoccupante». tous les trois jours, soit sept fois plus qu’en milieu libre. Les choses ne se sont pas améliorées depuis. L’Observatoire des suicides et des morts suspectes, créé en 2002 par l’association Ban public, dénombre déjà 52 décès pour la période de janvier à avril2009. Soit en quatre mois près de la moitié des 118 suicides enregistrés sur l’année 2008. Pour l’association, la politique pénitentiaire engendre « un suicide ou une mort suspecte tous les trois jours, soit sept fois plus qu’en milieu libre». Plus de 20 % de ces suicides se produisent lors des placements en quartier disciplinaire. Des lieux réputés pour leur inhumanité et qui aggravent le désespoir des détenus déjà psychiquement fragiles. Dans son rapport de 2003 sur la prévention du suicide des personnes détenues, le professeur Terra avait considéré que «les détenus dont la crise suicidaire prend le masque de l’agressivité ne peuvent pas être mis au quartier disciplinaire sans risquer d’accélérer la progression de leur détresse». Mais cette recommandation n’est bien souvent pas prise en compte par les chefs d’établissement, comme en atteste un cas récent: un détenu de Roanne a écopé de treize jours de mitard, alors que son état psychologique était connu et qu’il avait avalé quelques jours plus tôt une lame de rasoir. L’intervention de l’OIP a permis de le sortir de là après quatre jours d’isolement. Vivant! Pour les associations, l’explosion des suicides est très directement liée à la surpopulation carcérale. La France est, là encore, un des mauvais élèves européens avec 63 619 détenus pour 50 963 places. C’est également la conviction du docteur Louis Albrand, sollicité par Rachida Dati pour présider la commission chargée d’un nouveau rapport sur le suicide en détention. Mais cette hypothèse a disparu du rapport final, remplacée par une autre pénitentiairement plus correcte. Les suicides en prison, c’est la faute aux médias, trop anxiogènes. Ce qui a conduit Louis Albrand à boycotter la remise de son rapport, et l’OIP à demander la constitution d’une commission d’enquête indépendante placée sous l’égide du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. 30 avril 2 0 09 I POLITIS I 17 RÉSISTANCES « Pour ce qui est de notre connaissance du Sénégal et de l’Afrique, elle se résumait à quelques feuilles distribuées par les enseignants à la fin de l’année, sur lesquelles ils avaient rédigé un bref résumé de la partie des cours qui concernait l’Afrique en général et le Sénégal en particulier. Après quelques années passées en Europe, j’ai pris conscience de la dangerosité du système éducatif dans lequel j’ai été formaté. […] Inévitablement je devais considérer l’Europe comme le paradis sur terre. Je n’avais aucune contre-information pouvant susciter en moi une véritable réflexion sur ce qu’on m’apprenait.» Extrait de Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus, Omar Ba, éditions Max Milo, 246 p., 18 euros. affaire avec un éditeur sur place en lui payant un forfait, et empoche l’appel d’offres. Ce n’est ni de la coédition, ni un partenariat. » Étienne Galliand estime lui aussi qu’« il n’y a aucun transfert de savoirfaire » dans ce schéma, tout en épinglant les chaînes de production éditoriales locales, qui « ne sont peut-être pas assez revendicatives ». Derrière cette écrasante dissymétrie économique Nord/Sud, bien connue dans d’autres activités (coton, énergie…), pointe l’écueil de la « souveraineté culturelle » défendue par l’Alliance et bafouée dans les grandes largeurs. Un domaine où l’influence de l’ancienne puissance coloniale reste très vivace. Jean-Michel Ollié le certifie, Hachette « ne produit que des contenus originaux pour les marchés africains. Ensuite, certains établissements privés haut de gamme qui en font une question de prestige nous commandent des ouvrages français, mais cela représente une petite minorité ». « Ce que dit Hachette n’est pas faux, mais ce n’est qu’une partie de la vérité », nuance Stéphane Marill, tout en rappelant qu’un manuel est d’abord l’outil d’un programme décidé par les États, dont la responsabilité ne doit pas être occultée. « Pour tout ce qui est des manuels d’université, poursuit-elle, ils sont pour la plupart purement et simplement exportés de France vers l’Afrique francophone. C’est scandaleux, car cela conditionne la formation des élites, dont certaines deviendront plus tard rédacteurs des programmes scolaires. » D’autres seront embauchées par les maisons françaises suite de la p. 17 18 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 comme auteurs. « S’il existe encore une certaine forme de colonisation, elle est là », dénonce l’éditrice. Et l’État français, plutôt que de soutenir directement la coédition ou l’édition locale, de subventionner… les frais de transport des manuels français vers l’Afrique. Quant aux auteurs, si « les éditeurs français font travailler des locaux, les contenus qu’ils produisent reviennent en France et sont modifiés de nombreuses fois avant d’être validés, toujours en France, explique Stéphane Marill. Et surtout, le travail éditorial est fait dans l’Hexagone par des gens qui ne connaissent pas forcément le pays concerné. » En outre, la mise en page, la présentation de l’information, les documents liés au texte, le format et la qualité des livrets ne sont pas « décidés là-bas » ni validés en fonction de la culture et des référents du pays. Exemple : le manuel d’histoire l’Afrique et le monde pour les 5e, édité par Hatier. L’ouvrage est destiné au Cameroun mais il faut se pencher sur les dix dernières pages (sur 232) pour voir parler du pays. Le programme officiel camerounais est ainsi fait. En revanche, tout l’aspect éditorial du manuel est qualifié de « très français » par Stéphane Marill. « Il y a un cours théorique sur la page de gauche, avec sur la page de droite les documents qui illustrent le cours et vont aider à sa compréhension, dans lesquels l’enseignant peut piocher. Mais ce n’est pas adapté à l’Afrique, où la plupart du temps l’enseignant conduit le cours page par page, à la suite l’une de l’autre. Donc, ici, toutes les pages de droite ne servent à rien. » Le livre est luxueux, lourd et pas vraiment destiné à être « gribouillé ». À l’inverse, un fascicule de sciences pensé localement pour Madagascar devient un livret léger, simple, au déroulé linéaire. Plus généralement, l’importance de la culture orale n’est pas non plus prise en compte dans les systèmes éducatifs africains, hérités de la colonisation. Pas plus que la langue, même si les États se réapproprient peu à peu leurs idiomes à la place du français, que certains élèves ne parlent pas au quotidien en dehors des classes. En clair, « il faut revoir les programmes scolaires, résume Omar Ba. Il faut partir de nous, être fiers de nous ». _Xavier Frison (1) www.alliance-editeurs.org Retrouvez le portrait d’Omar Ba sur www.politis.fr, rubrique Exclu Web. ici C’est tous les jours dimanche BUREAU/AFP « La dangerosité du système éducatif » LES ÉCHOS On attendait avec impatience la première déclaration du nouveau ministre du Travail, Brice Hortefeux. Et on n’est pas déçu. Lors du «Grand Rendez-Vous» Europe1LeParisien du 26avril, l’homme a invoqué l’urgence de ressortir du placard une vieille promesse sarkozienne. Comme s’il ne s’était rien passé depuis 2007, une nouvelle proposition de loi sur le travail du dimanche sera déposée « dans les toutes prochaines semaines». Voilà qui emballera les masses laborieuses au chômage. Sensible Michel! Dans le supplément télé du Parisien (24 avril), le toujours délicat Michel Charasse rend un vibrant hommage posthume à Pierre Bérégovoy: « Il était profondément gentil et humain, avec un réel souci d’améliorer le sort des gens.» Émouvant. Mais juste après, ça se gâte: Béré, dans le souvenir de cet admirateur atypique, était aussi « usant, car il avait sans cesse des états d’âme, […] dramatisait tout et n’était jamais franchement heureux, même quand tout allait bien.» D’ailleurs –décidément très malade: « Il était scrupuleux au point d’être maniaque.» Et le gracieux témoin de narrer: « J’étais près de Vichy quand le téléphone a sonné. […] François Mitterrand m’a dit: “Alors, vous avez vu, pour Bérégovoy? C’est fait, il s’est tiré une balle.” » Un vrai sensible, Charasse. L’Europe selon Sarkozy Pas question de réviser la très régressive directive européenne sur le temps de travail. Les représentants des États membres ont réussi à faire capoter définitivement, le 28avril, une éventuelle révision de celle-ci pour limiter la casse sociale. On doit cette situation à Sarkozy et à Berlusconi, qui ont poussé, en juin2008, à l’adoption de cette directive généralisant à l’ensemble des États membres le principe de l’opt out, un système dérogeant à la durée maximale de travail hebdomadaire autorisé de 48heures. En mettant un peu la pression sur ses salariés, n’importe quel employeur peut ainsi les exploiter jusqu’à 78heures hebdomadaires. On remercie qui? LES ÉCHOS BUREAU/AFP François Bayrou a vanté, samedi, à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), l’Europe sociale: « Le social doit revenir au cœur du projet européen», a lancé la nouvelle coqueluche des électeurs de gauche (si l’on croit le sondage publié lundi par Libération). Et comment le MoDem va-t-il s’y prendre? « Seule une Europe vraiment compétitive, créant des emplois et des opportunités pour tous, garantira la dimension sociale du marché unique», explique la plate-forme électorale des Libéraux démocrates européens (ELDR), groupe auquel appartient le MoDem. Elle affirme encore ceci: « Le marché unique devrait être renforcé et élargi dans les domaines de l’énergie, des services postaux, des services financiers, des chemins de fer et des soins de santé, tout en facilitant la libre circulation des services et des travailleurs.» Mais François Bayrou, qui n’est pas à une contradiction près, plaide « pour une convergence des systèmes de protection sociale européens» bien qu’il ait approuvé le traité de Lisbonne, qui continue d’interdire expressément « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres» en matière d’emploi, de politiques sociales et de protection sociale. là-bas Non-violence… Combien de fois a-t-on entendu reprocher aux Palestiniens de ne pas développer contre la colonisation une action non-violente? Or, celle-ci existe. Chaque vendredi, à Bil’In, village proche de Ramallah, des manifestants armés du seul drapeau palestinien témoignent de leur opposition au «mur». Vendredi 17avril, comme à chaque fois, Bassem, 29 ans, habitant de Bil’In, était parmi les manifestants, immobile face à l’armée israélienne. Soudain, ordre fut donné aux soldats de tirer des grenades à jet tendu sur les premiers rangs. Bassem a reçu le projectile en pleine poitrine. Il est mort, dans l’indifférence des médias. Pour la non-violence, il faut être deux. No comment list Chers journalistes de Politis, qui souvent fustigez la politique des États-Unis, peutêtre figurez-vous sans le savoir sur la «no fly list» qui interdit l’entrée du pays aux «terroristes» suspectés. Hernando Calvo Ospina, chercheur franco-colombien qui fréquente les colonnes du Monde diplomatique, est dans ce cas. Ce qui a valu au vol d’Air France qu’il empruntait il y a dix jours l’interdiction inopinée de survol du territoire états-unien alors qu’il se rendait… au Mexique. Les compagnies s’étaient déjà soumises à l’obligation de transmettre aux États-Unis la liste de leurs passagers, mais uniquement pour les vols s’y posant. Qui a cafté, pour Hernando? Air France envisage de réclamer… une compensation pour frais d’escale imprévue à Fort-deFrance. Et les autorités françaises? No comment sur l’escalade des privautés que l’on s’octroie avec le fichage de leurs ressortissants. Zinelabidinicolas François Fillon, en déplacement la semaine dernière en Tunisie, a rencontré le président Zine el-Abidine Ben Ali, démocrate fameux. Les deux hommes ont naturellement (ça ne mange pas de pain) « abordé la question des droits de l’homme». Le Premier ministre français, plein d’une touchante envie de complaire à son hôte, a formulé cet aphorisme, dont la phénoménale hardiesse fera encore l’objet d’infinies exégèses en l’an 3450: « S’agissant des problèmes de droits de l’homme, ils se posent à peu près dans tous les pays du monde.» Fin diplomate, François Fillon a tu que ces problèmes se posent tout de même avec plus d’acuité à Bizerte qu’à Saint-Julien-de-Concelles, préférant ajouter que: « La démocratisation, c’est un processus continu.» Et certes: la Tunisie de Zine elAbidine Ben Ali n’est sans doute pas le pays le plus avancé dans ledit processus – mais il est vrai aussi que la France de Zinelabidinicolas Sarkozy donne souvent l’impression de faire de gros efforts pour se mettre à son niveau. en 2 mots D’OLIVIER BRISSON ENTENDU Michel Barnier, ministre UMP de l’Agriculture et de la Pêche, n’en fait pas mystère (France Inter, 27avril): il est consterné par le niveau de l’argumentation que développent les «socialistes», dans la campagne européenne. Harlem Désir qui « appelle à faire du scrutin un référendum anti-Sarkozy», par exemple? Ces tout petits personnages du P«S» dont « le seul discours européen» est de « critiquer Nicolas Sarkozy», et d’appeler à un vote sanction contre le chef de l’État français – comme si la consultation du 7juin avait pour fonction de régler de mesquins petits comptes franchouillards? C’est « assez médiocre et désespérant», assène Michel Barnier, qui se fait tout de même une plus haute idée de la politique. Aussitôt après avoir diagnostiqué l’accablante faiblesse de la propagande électorale «socialiste», Michel Barnier confirme qu’il boxe quant à lui dans une catégorie (très) supérieure, et lance: « J’appelle à un vote sanction contre le Parti socialiste.» Heureusement qu’il y a l’UMP, pour relever le niveau. BUREAU/AFP Bayrou schizophrène Après la fraude à la chaussette , nouveau slogan de la liste UMP invalidée aux municipales à Perpignan : Demain, j’enlève le bas. VU Déclaration du porte-voix de l’UMP, Frédéric Lefèbvre, dont le monde nous envie la discrète élégance et la sobre élocution (et dont le coiffeur est une légende): « Je défends la dénonciation au sens du code pénal» (Canal+, 26 avril). Et bien sûr: d’autres que lui ont également défendu la dénonciation au sens du code pénal, il y a de cela une (grosse) soixantaine d’années. Mais ce n’est pas du tout la même chose, c’est le tambourinaïre du parti présidentiel qui l’affirme. Frédéric Lefèbvre est d’ailleurs mécontent que d’aucun(e)s lui aient « collé un tampon» en établissant un parallèle avec la période de l’Occupation quand il a « essayé d’expliquer que délation et dénonciation, ce n’est pas pareil». De fait: la délation, dit le dictionnaire, est une « dénonciation inspirée par des motifs méprisables», alors que le courageux (et bon) Français qui dénonce aujourd’hui un sans-papiers (sous les applaudissements nourris de Frédéric Lefèbvre) est évidemment mû par des motifs d’une admirable noblesse –par cet humanisme raffiné qui caractérise le sarkozysme. LU Les deux patrons de Molex apparaissent à la une du Parisien (du 23 avril) et dans une double page pour raconter « ce qu’ils ont vécu», c’est-à-dire une gravissime séquestration de « 26 heures». Visiblement encore secoué par le choc de la « prise d’otage», Marcus Kerriou a analysé la situation avec une grande humanité envers les « manipulés» : « Derrière tout ça, il y a les centrales syndicales, à commencer par la CGT.» Et d’en déduire « qu’au final, c’est l’anarchie totale». Pas un mot sur les 300personnes à la rue, mais plutôt le constat du « décalage entre le professionnalisme» de la « communication» et le « niveau intellectuel de certains salariés», sans doute au plus bas… Certains patrons devraient fermer leur gueule. le chiffre 1,3 mi l li a rd d ’ euros C’est le montant annoncé par Nicolas Sarkozy du « plan d’urgence » pour l’emploi et la formation des jeunes. En vérité, il ne sera que de 583 millions d’euros en 2009. Le gouvernement avait aussi retiré 200 millions d’euros aux crédits alloués aux contrats de professionnalisation dans le budget 2009. 30 avril 2 0 09 I POLITIS I 19 .Pourrissement ou intensification ? Le mouvement .Au cœur de la mobilisation, le refus de la loi .Cette loi, qui transforme DOSSIER UNIVERSITÉS « NOUS NE SOMMES PAS À VENDRE ! » éjà profs ou chercheurs et encore étudiants, à 22, 23 ou 24 ans, ils sont à la croisée des chemins. Depuis quatre mois, Alice, Ariane, Grégoire et Mathias sont engagés corps et âme contre la machine de guerre que le gouvernement tente d’imposer aux universitaires. Nous leur avons demandé de prendre la plume pour présenter dans Politis leur analyse et expliquer les raisons de leur combat. Ce dossier est entièrement leur œuvre. Jusqu’aux illustrations, signées Jane, étudiante en philosophie à l’École normale supérieure de Paris (ENS), qui a donné formes (et quelles formes !) à cette Princesse de Clèves devenue symbole de la lutte. On se souvient que Nicolas Sarkozy, pas encore président, mais déjà bruyamment candidat, avait jugé scandaleux que ce grand roman du XVIIe siècle puisse figurer au programme d’un concours d’entrée dans la Fonction publique. À quoi bon, avait-il ironisé, quand on est guichetière ? Les femmes avaient particulièrement apprécié. Tout est là, dans cette mutilation de la personne humaine réduite à une fonctionnalité professionnelle. La D guichetière « guichette ». Toutes les réformes qui mobilisent aujourd’hui les étudiants, les enseignants et les chercheurs sont marquées par cette conception pusillanime. Évaluation de rendement et de rentabilité, faux critères d’efficacité, c’est la tyrannie du quantifiable. Il en va donc de l’idée que l’on se fait de notre société, de la place de la culture, du rôle des enseignants, de la vision que l’on inculquera aux générations futures. Autant dire que l’enjeu dépasse de beaucoup le sort particulier des étudiants et des enseignants aujourd’hui en lutte. L’analyse qui est ici proposée par Alice, jeune agrégée de lettres modernes, Ariane, élève certifiée de philo à l’ENS, Grégoire, agrégé, enseignant-chercheur en mathématiques, et Mathias, élève en lettres modernes à l’ENS, est aussi le fruit d’une réflexion collective mûrie au sein des assemblées générales. Derrière l’humour, et parfois une pointe d’autodérision, il y a chez nos journalistes d’un jour une réelle gravité. À la veille d’une rentrée où va se décider le destin de ce mouvement, nous leur donnons la parole. _D. S. Qui veut la peau de l’université publique ? La loi d’autonomie des universités relève d’une architecture néolibérale classique. Il s’agit ni plus ni moins d’imposer à l’enseignement supérieur les critères de l’entreprise. oilà plus de trois mois que les universités sont en mouvement. Les universités : c’est-à-dire l’ensemble de ceux qui les composent, étudiants, enseignants et personnels. Parti de la lutte contre cinq décrets, le mouvement a connu un spectaculaire changement d’échelle. Il a élargi ses revendications à l’abrogation de la loi Liberté et responsabilités des entreprises (LRU) puis à la contestation de son cadre supranational, le processus de Bologne, qui aura dix ans cette année. La mobilisation V 20 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 est unitaire, cela n’a rien d’un hasard : cette fois, devant la charge gouvernementale, c’est l’université dans toutes ses composantes qui se sent menacée par des réformes qui visent à faire d’elle une entreprise « efficace », et de l’éducation un service au rabais. Retour en 1998 : Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation nationale, initie un projet d’unification du système universitaire européen. En juin 1999, le processus de Bologne est lancé. Officiellement, il s’agit de rendre les diplômes plus transparents et de faciliter les échanges. Mais ce processus entame en réalité un changement de fond : sous le nom d’« autonomie », il promeut la mise en concurrence des universités et des diplômes, le désengagement de l’État et l’uniformisation sur le modèle anglo-saxon – frais d’inscriptions compris. Ce processus théoriquement non contraignant exerce une contrainte collective diffuse. Il a partout où il est appliqué des conséquences similaires : l’autonomie n’est pas synonyme d’indépendance dans la gestion ou dans les choix scientifiques, mais d’une privatisation de fait de l’université. En France, le processus de Bologne s’est d’abord traduit par une réforme de la scolarité universitaire en 2003. Premier mouvement étudiant, premiers doutes sur le devenir des diplômes étudiants-enseignants-chercheurs va décider ces jours-ci de son destin. Liberté et responsabilités des universités, votée en douce à l’été 2007. l’université sur le modèle de l’entreprise, interpelle toute notre société. nationaux et sur l’apparition de la sélection. Le Pacte pour la recherche est ensuite voté en 2006. Il crée une agence d’évaluation, l’Aeres, et une agence de financement, l’ANR, dont les modes de fonctionnement et les orientations scientifiques sont immédiatement contestés : ces deux agences apparaissent comme une mise sous tutelle de la recherche selon les critères inadaptés du tout-quantitatif et de la recherche « applicable ». En 2007, les choses s’accélèrent. Dans la débauche de réformes du service public de ce début de mandat présidentiel, la loi Liberté et responsabilités des universités (LRU) passe en catimini à l’été 2007. Donnant des pouvoirs accrus au président d’université, devenu une sorte de manager, elle met en place un système de concurrence entre facs. Nouveau mouvement étudiant. Les enseignants-chercheurs sont pour la plupart dans une position attentiste. Mais l’attente ne dure pas longtemps : une série de projets de décrets appliquant la LRU est annoncée durant l’été et l’automne 2008 et, cette fois, le doute n’est plus permis : précarisation, mise en concurrence, dévalorisation de l’enseignement et hiérarchisation des tâches sont les mots d’ordre évidents. Compétition et répartition de l’enseignement aux « moins méritants » sont à l’ordre du jour pour les enseignantschercheurs. Les doctorants écopent du « contrat doctoral unique », sorte de CPE du jeune chercheur qui peut être interrompu au terme de chaque année. La formation des enseignants pâtit à son tour : moins coûteuse et de moins bonne qualité, elle précarise les futurs enseignants. L’augmentation des frais d’inscription est en projet. La LRU met enfin en place l’externalisation de tous les services subitement considérés comme « périphériques » : accueil, secrétariat, bibliothèques… Les personnels non enseignants des universités sont de plus en plus des contractuels, souvent précaires, et leur précarité fragilise tout l’édifice de la recherche. Cette batterie de réformes est soutenue par une certaine vision du service public, ou plutôt par une certaine défiance à son égard ; dans ce sens, la réforme de l’université est cohérente avec celle du reste de l’éducation, de l’hôpital, de la justice. Valérie Pécresse est une enfant de l’école privée. Elle partage avec Nicolas Sarkozy une vision managériale du service public, et une certaine méconnaissance des rouages de l’université et de la recherche, et de la notion même de production collective du savoir. « Évaluer », « valoriser », « rendre performant » : encore faudrait-il s’intéresser à la façon dont l’université fonctionne. Rendre plus « efficaces » les universités en les mettant en concurrence entre elles est contraire à la dynamique du savoir. On peut du reste en imaginer l’impact social : qui ira dans les petites facs pauvres ? Qui ira dans les grandes écoles et les prestigieuses universités et paiera « le prix de l’excellence » ? Mais ce type de séquelle semble parfaitement assumé. Face à ce profond mépris, ce mouvement, qui regroupe tant ceux qui se battent depuis des années que des universités jamais mobilisées, a pris, depuis le 2 février et le début de la grève, des formes étonnantes. Entièrement autogérée par des coordinations nationales, la mobilisation a envahi les villes par des actions coupde-poing et des manifestations hebdomadaires. Mais le mouvement s’est aussi ressaisi, profitant de son unité, de l’université elle-même, questionnant le rapport au savoir avec les cours alternatifs, réquisitionnant l’espace, de façon de plus en plus radicale : c’est aussi une manière de dire à ceux qui ne veulent pas l’entendre que l’université est à ceux qui la font vivre et non à ceux qui la gouvernent. Les négociations n’ont apporté que des aménagements à la marge et des moratoires. D’année en année, le ministère joue l’inertie. Avec cette mobilisation sans précédent, le combat s’avère sans ambiguïté idéologique : ce sont deux visions du système qui s’affrontent, et nul ne peut prédire ce qui résultera de cette lutte. _Ariane 30 avril 2 0 09 I POLITIS I 21 DOSSIER UNIVERSITÉS Une précarisation massive C’est une pierre de l’édifice, et non la moindre. On appelle ça la « masterisation ». Il s’agit de créer une vaste catégorie de vacataires et de profs « hard discount ». Les masters professionnels d’enseignement sont dénués de tout contenu intellectuel. epuis longtemps, on s’indignait de la baisse régulière du nombre de postes aux concours d’enseignement, si bien que leur officialisation était chaque année différée au printemps, sans doute pour ne pas plonger dans des abîmes de mélancolie les candidats en cours de préparation… Nous n’avions encore rien vu du processus de fragilisation de la formation des enseignants. Le projet de « masterisation » – dont les sonorités anglo-saxonnes annoncent D bien malheureusement la couleur libérale – présenté par Xavier Darcos en octobre 2008 offre une solution plus radicale pour faire des économies de fonctionnaires et de culture (oui, des économies de culture !) que ces réductions cyniques d’admissions aux concours. Il s’agit de coupler l’année de préparation au concours du Capes avec un diplôme de master qui, à défaut d’entraîner ses candidats à la recherche universitaire, sera consacré à des cours de didactique, reflétant Retour de politique « On n’a pas vu ça à l’ENS depuis 1986 !», s’enthousiasme en pleine assemblée générale Laure Léveillé, ancienne élève d’Ulm, aujourd’hui directrice de la bibliothèque littéraire. D’où vient alors la réputation de «nid de gauchistes» de cette grande école de la montagne Sainte-Geneviève? Celle-ci s’enorgueillit régulièrement d’avoir hébergé l’âge tendre d’intellectuels estampillés «de gauche». Pourtant, la vie politique n’y semble pas à la hauteur du mythe fondateur: à côté des clubs «GeorgesPompidou» et autres 22 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 organisations de fils de famille, les «think tanks» du PS feraient presque figure de dangereux révolutionnaires. C’est que les élèves de l’école, enfants de cadres à 77 %, se destinent de moins en moins à l’enseignement: libres de quitter la Fonction publique, ils considèrent de plus en plus Normale Sup’ comme une grande école de prestige, un «label de qualité» à faire reluire sur leur CV. La direction actuelle, dans son grand maternalisme, abonde en ce sens: rien ne sert de vouloir changer la société, il faut arriver premier! En 2006, une trentaine de chercheurs, étudiants et employés ont lutté contre le CPE dans l’indifférence de leurs congénères. Un syndicat étudiant, SUD-Étudiants-ENS, s’est constitué à cette occasion. En 2009, les assemblées générales comptent jusqu’à 200 participants: est-ce parce que la LRU empiète sur les plates-bandes normaliennes? Ou serait-ce le signe d’un renouveau du discours politique dans cette prestigieuse maison? _Alice bien notre soif de savoir-faire dépourvu de tout contenu disciplinaire. L’argument du gouvernement consiste à dire que les professeurs certifiés bénéficieront d’une année supplémentaire d’enseignement et seront recrutés à bac + 5 au lieu de bac + 4. C’est passer sous silence la suppression de l’année de stage qui suivait la réussite au concours, réduite à six mois non rémunérés, censés remplacer par là même la formation en IUFM. C’est aussi passer sous silence l’absence de tout contenu intellectuel dans ces masters professionnels d’enseignement, qui seront effectués au détriment des masters de recherche et entre deux concours blancs pour le Capes ou l’agrégation. En outre, les concours sont eux-mêmes transformés. Désormais, l’oral du Capes portera sur la capacité des candidats à enseigner – ce qu’ils n’auront alors jamais eu l’occasion de faire – ainsi que sur la connaissance du système éducaLes élèves auront tif français – celui que nous souhaitons ne jamais face à eux des profs peu formés, connaître. Une idée de ce système ? Un candidat au méprisés par Capes d’anglais n’aura, leur hiérarchie, par exemple, jamais à prosous-payés, noncer la moindre phrase abandonnés en anglais devant un jury par l’État. qualifié. Et pour cause, puisque ce dernier sera essentiellement constitué par la hiérarchie administrative. Mais le meilleur reste à venir : qu’adviendra-t-il des candidats qui réussiront l’examen du master mais échoueront au concours ? Ces « reçus collés » viendront sans doute s’ajouter à la liste des vacataires et des précaires de l’enseignement, engagés dix mois par an ou sur deux cents heures, privés de chômage, de congés payés, et pour qui le statut d’intermittent du spectacle est un luxe réservé aux autres. Ces précaires existent déjà, mais il est certain qu’une fois institutionnalisé et officialisé, ce phénomène s’amplifiera. Il suffit de jeter un coup d’œil en Italie, où les directeurs de lycées piochent directement dans les listes d’attentes « permanentes » des collés aux concours. Le Capes et l’Agrégation, devenus de plus en plus inaccessibles, ne seront guère plus que des appâts faisant saliver les jeunes candidats, qui constitueront au final du prof hard discount pour lycées réformés. Le plus grave dans cette affaire, au-delà des échecs personnels et des injustices réservées aux candidats à l’enseignement, est encore les conséquences que cette fragilisation aura sur le contenu et la qualité des enseignements dispensés du primaire à la fac. Les élèves auront face à eux des professeurs peu formés, méprisés par leur hiérarchie, sous-payés, abandonnés par l’État. Vaste programme pour une société ambitieuse ! _Mathias ALICE Agrégée de lettres modernes. Le fantasme américain Chercheurs sous pression Dans son brillant discours du 22 janvier dernier, Nicolas S. a expliqué aux chercheurs français que leurs multiples succès et récompenses n’étaient que l’«arbre qui cache la forêt» de leur incompétence. Il a même trouvé le modèle à imiter: l’université de Californie, à Berkeley. Cette recommandation du chef de l’État n’est pas que le ressassement du rêve américain de son ami Johnny appliqué au monde de l’enseignement supérieur. Nico se moque en effet de ce qu’à Berkeley la recherche soit loin d’être «pilotée» par les objectifs à court terme du gouvernement; et peu lui importe que les universités américaines aient découvert les graves inconvénients des subsides privés quand la crise fut venue (Yale a dû renvoyer cette année 18% de ses effectifs). Cet éloge d’un système américain en grande partie fantasmé peine à masquer qu’il est surtout une Ce que la LRU et reformulation d’un modèle concurrentiel tout Ce que la LRU et ses suites ses suites ont de àontfaitdeclassique. plus américain, c’est de mettre fin à la plus américain, valeur nationale et à l’équivalence des diplômes. Rappelons qu’aux États-Unis un c’est de mettre diplômé de Harvard « vaut » plus, quel que soit son domaine de spécialisation, qu’un fin à la valeur diplômé au même degré de l’université du nationale et à Kansas. Chaque université est une entreprise dont le produit, le diplôme, l’équivalence s’insère sur un marché. Facile alors de des diplômes. ressortir des cartons un argumentaire selon lequel il n’y aurait pas de performance sans concurrence, y compris quand le champ concerné ne s’y prête pas, et que l’exemple des États-Unis ne convainc guère. Cette logique trouve d’ailleurs un terreau favorable dans le Travailler plus pour gagner autant, c’est le marché de dupes que le gouvernement tente d’imposer aux enseignants-chercheurs. ujourd’hui, un enseignant-chercheur donne en plus de ses activités de recherche 192 heures de cours. Le gouvernement essaie de faire passer en force un décret autorisant une modulation de cette durée entre 64 et 384 heures, sur décision du président d’université. Il est évident que les suppressions de postes vont entraîner en moyenne une modulation à la hausse. Après quatre mois de mobilisation, le gouvernement reste inflexible. Seuls des aménagements à la marge ont été obtenus. Le nouveau texte stipule ainsi que cette modulation ne peut se faire contre l’avis de l’intéressé. Mais cet aménagement doit être mis en balance avec le deuxième volet du décret, qui délègue au président d’université l’attribution de la plupart des promotions et des dispositifs permettant à un enseignant-chercheur d’aménager sa carrière à son gré. Il est évident que, dans ces conditions, peu d’enseignantschercheurs contesteront les décisions arbitraires, prévisibles, des présidents d’université. Au-delà de ces aspects comptables, la logique de ce décret nous a été donnée par Nicolas A Sarkozy dans son discours du 22 janvier. Il s’agit bel et bien d’introduire une concurrence saine et stimulante entre ces fainéants d’enseignantschercheurs et d’ériger le président d’université en chef d’entreprise distribuant les bons et les mauvais points à ses administrés. La réforme est en adéquation complète avec l’idéologie libérale, mais en décalage total avec les méthodes de travail des chercheurs, fondées sur la collaboration et sur l’indépendance. Ce décret, ainsi que le décret « masterisation », a mis le feu aux poudres en janvier. Mais, rapidement, la mobilisation a révélé qu’il ne s’agissait que de la partie visible de l’iceberg. La loi LRU, votée à la hussarde en juillet 2007, donne en effet aux présidents un pouvoir accru dans la gestion des personnels. Il est dès lors logique pour le gouvernement de préciser ces pouvoirs par décret, tout comme il est logique pour les enseignants de se battre contre la loi LRU en général, aux côtés des étudiants et des autres personnels qui subissent, eux aussi, les conséquences de cette loi. système français. La mise en concurrence des universités y est en effet à peine ébauchée, mais l’opposition entre grandes écoles et facs est en revanche totalement assimilée. Notre système d’enseignement supérieur, aussi incohérent qu’élitiste, dépense 12000 euros par an et par étudiant en classe préparatoire contre 7000 euros pour un étudiant de licence. Plutôt que de soulever le problème, d’autant plus épineux qu’il pose directement des questions de sélection et de reproduction sociales, on l’ignore. Et on joue les égalitaires en «proposant» aux grandes écoles les mêmes réformes qu’à l’université. Le but avoué est donc de remplacer l’opposition grandes écoles vs universités par un classement national de tous les établissements universitaires mis en concurrence. Classement dont les grandes écoles viendraient naturellement prendre la tête, pour prix de leur docilité. Le déplacement est si naturel que ces nobles institutions parlent déjà d’elles-mêmes comme d’universités. Pas n’importe lesquelles quand même: « Je veux faire de notre école une vraie graduate school », déclare comme beaucoup d’autres Monique Canto-Sperber, directrice et manager de l’ENS d’Ulm, qui rêve peutêtre, elle aussi, de Berkeley. Ce processus de transformation de l’enseignement supérieur français est donc moins une imitation de l’Amérique, quoi qu’on en pense, que l’aboutissement d’un phénomène bien français: hisser les meilleurs en haut de l’échelle, accuser le reste de retard terrifiant, et recouvrir le tout d’un vocabulaire à la mode. Yeah! _Grégoire 30 avr il 2 0 09 I POLITIS I 23 CULTURE GASTRONOMIE Créer n’est pas copier ! L a bâtisse plonge en pente douce sur une petite crique, Cala Montjoi, le long d’une côte escarpée, entre Rosas et Figueras. Pleine Catalogne. Restaurant El Bulli. Le couloir franchi, deux pièces se suivent au décor hétéroclite, un tantinet désuet, en dehors des effets de mode. Tableaux, vases, colonnes de bois, murs de pierre. Aucune carte, mais un menu dégustation. « Snacks, tapas, platos, avantpostres, postres. » Au coup d’envoi, un gin-fizz froid et chaud, présenté dans une coupe alternant glace et mousse de blanc d’œuf tiédie. Puis un caramel d’huile d’olive vierge sur un lit de gros sel, en forme de spirale. Quelque chose de fondant en bouche. Préliminaires à suivre par une eau d’huître passée au siphon, imitant alors une meringue, puis une déclinaison de « feuilles », mangue et cassis, ragoûtant bonbon parfumé à l’huile d’eucalyptus, aux tonalités acidulées. Le reste est affaire d’emballements. Des saveurs époustouflantes, qui s’agitent, affolent, des chauds et froids qui bavardent entre eux. Des turbulences qui s’amusent des certitudes. Comme cette gaufrette de laitue de mer et beurre de sésame blanc ponctuée de yuzu, ou cette chips de noix et thon sec, friable mikado à saisir au bout d’une languette, ou encore ce caviar de melon formé de petites boules de fruit traité en sphérification, disposées dans une boîte ronde métallique (façon caviar donc), taquinées par une feuille de menthe et rehaussées de graines des fruits de la passion. Avec le « monde des graines », le siphonneur se mue en coloriste. L’assiette blanche est parsemée de petits tas colorés. Se côtoient aubergine, basilic, pois chiche, tomate rouge et verte, sésame, pousse de coriandre, semoule, concombre, amande, fruit de la passion, pignon frais, cacahuète… Une salade folle de pépins, dont le jeu serait d’identifier chaque élément, assaisonnée d’une émulsion au vinaigre de Xérès. Ça laisse sur le cul. Ou plutôt sans voix. El Bulli n’est pas qu’une symphonie de textures et de températures, un paso doble rebondissant sur des associations étonnantes, une cuisine gavée de ruptures, de provocations, 24 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 Chef de file de la cuisine d’avant-garde, Ferran Adrià publie la somme volumineuse de sa philosophie de la table : beaucoup de travail, aucun hasard. d’humour. C’est aussi un bal hurlant d’onomatopées. Ferran Adrià est aujourd’hui considéré comme le chef de file d’une cuisine dite d’avant-garde – récompensé par le prix du Design européen de la Fondation Raymond-Loewy, en 2006 ; premier cuistot, en 2007, invité à la Documenta de Kassel, cette Mecque de l’art contemporain. Démiurge outillé, compagnon de l’innovation. L’utilisation du siphon en dehors de JEAN-CLAUDE RENARD la crème chantilly, c’est lui. Le siphon, qui rend 100 % du produit, permet des écumes sans beurre ni crème. La cuiller en porcelaine, contenant à part entière, c’est lui (la température est maintenue, la texture reste intacte). L’effacement de la frontière entre le sucré et le salé, c’est encore lui – le sorbet de mangue servi avec un foie gras chaud en donne un exemple. Dans la musette du casseroleur, se bousculent aussi la gélatine chaude et le verre, moulant sans moule une préparation, nouveau jeu de températures et de superpositions. Inspiré par les techniques de l’industrie, le cuisinier réalise des sphères à partir d’un alginate, produit naturel dérivé des algues. S’ajoute encore la déconstruction : un plat classique, avec ses ingrédients, recomposé différemment en textures, en forme et en température. La tradition culinaire est ainsi « renversée », éloignée de sa référence originelle. Voilà juste quelques lignes d’un curriculum vitae long comme deux Larousse gastronomique. Et décliné dans cet épais volume, Une journée à El Bulli, organisé selon une journée type, du matin au bout de la nuit. Une somme d’images (sans doute trop) entrecoupées d’éléments biographiques, d’encarts sur le restaurant, son fonctionnement, sur les méthodes de travail, et agrémentée d’une trentaine de recettes, dont le niveau technique et le choix des ingrédients ne s’adressent guère au petit péquin de la casserole. Retour aux origines. Modestes. Années 1980 : épluche et plonge pour toile de fond. Sésame pour des vacances à Ibiza. Adrià passe commis. Première fiche de paye, premiers fifrelins. Décroche un stage chez El Bulli, humble paillote. El Bulli, à traduire littéralement par « petits bouledogues ». Sa propriétaire en est férue. Le caboulot en bord de plage vire en restaurant. C’est encore le temps des baigneurs crapahutant audessus des galets pour mettre les pieds sous la table. En 1984, Adrià devient chef de cuisine. L’époque est aux classiques français. Moelle au caviar, millefeuille à la mousse de foie gras truffée, salade de homard, minute de rougets en escabèche. Comme un peintre en herbe reproduisant les maîtres anciens, le Catalan pique ses trilles de l’autre côté des Pyrénées. Chez Guérard, Troisgros, Maximin. Il possède la collection complète, chez CINÉMA EXPOSITION Robert Laffont, des « recettes originales de… », véritable manuel de la Nouvelle Cuisine. Lu, pratiqué. « S’il m’est arrivé d’adapter certains plats, en changeant, par exemple, le cerfeuil par le basilic, je me contentais généralement de les copier. J’ai appris comme ça. Ce sont aussi les premiers livres illustrés. Avant ceux-là, c’était très difficile de “voir” la cuisine. » En saison creuse, Adrià voyage. En France. Il enquille tables et grandes tables avec Juli Soler, son complice et maître d’hôtel à El Bulli. 1985 : rencontre de Jacques Maximin à Nice au cours d’une conférence. Une phrase tombe : « Créer, c’est ne pas copier ! » C’est une maxime, la ligne à suivre. Les bases solides permettent de passer à une cuisine d’auteur. Qui n’a rien à voir avec la cuisine moléculaire. Adrià est un cuisinier. Punto finale. Qui use des ustensiles de son temps (siphon, thermomix et tournevis électrique) comme ses Au restaurant aînés avaient proEl Bulli : fité des premiers Ferran Adrià mixers et de la de dos, potassant poêle Tefal. En devant sa brigade. coulisses, c’est le bastringue traditionnel, une sarabande de calottes, fouets, couteaux, cuves, bacs, cocottes sur des plaques à induction. Et des produits tout ce qu’il y a de plus authentiques, coquillages et crustacés, herbes et produits laitiers. Aujourd’hui, El Bulli est ouvert d’avril à septembre, seulement au dîner, le reste de l’année est consacré à la création. Cinquante couverts. Pas plus. Beaucoup de demandes, peu d’attablés. Réservations bouclées d’une année sur l’autre. De quoi forcer les jalousies. Et susciter les répliques. Ça n’a pas loupé. Le Catalan est copié, recopié. C’était le cas de Michel Guérard dans les années 1970. Seulement voilà, fallait posséder le goût iconoclaste et le génie d’un Guérard pour ne pas tomber dans ce qui était devenu alors une caricature de la Nouvelle Cuisine (soit trois petits pois et le kiwi sur la frange de l’assiette). « On a parfois l’image du fou génial qui se réveille chaque matin avec une idée, mais cela ne marche pas comme ça ! » À El Bulli, l’innovation, c’est six mois de recherches par an, à raison de huit heures par jour pour quatre ou cinq personnes. Les clés d’une révolution gastronomique. _Jean-Claude Renard Une journée à El Bulli, à la découverte des idées, des méthodes et de la créativité de Ferran Adrià, éditions Phaidon, 528 p., 49 euros. Le Pays à l’envers Du neuf chez Tati h, tiens, on remet Tati en route. Pourtant plus que centenaire, le bougre (1907-1982). Le Centquatre a remonté grandeur nature la fameuse turne de Mon Oncle, la villa Arpel, créée pour l’occasion en 1956, aux studios de la Victorine, dans l’encolure niçoise. Une bâtisse cubique de style MalletStevens, clin d’œil ludique aux arts ménagers triomphant alors, cuisine robotisée comprise, tandis que Boris Vian, cette même année, claquait en musique la Complainte du progrès. Et madame Arpel de briller en maîtresse de cérémonies jubilant dans le tout-électrique, entre un poisson cracheur selon la tête du client et la télécommande retorse du garage. En termes d’hommages, cette reconstitution de la villa est une antichambre de l’exposition de la Cinémathèque française, outre la projection de ses films, « Jacques Tati, deux temps, trois mouvements ». Nom de baptême calé sur la gestuelle d’un amateur de tennis (les Vacances de monsieur Hulot), au jeu de jambes hésitant, saccadé, cycliste aussi (Jour de fête), en Solex souvent, mais aussi boxeur à l’occasion d’un court-métrage ahurissant (Soigne ton gauche, 1936). Conçue par Stéphane Goudet et Macha Makeïeff, l’exposition, foisonnante, se veut une virée dans la cosmogonie enchantée de Tati, entre palpable et visuel. Les objets d’abord (la raquette, le fameux imper, les curieux mobiliers, l’épuisette), puis des extraits de films, des affiches, d’autres éléments comme la correspondance (avec Pasolini), les dessins (Sempé, Etaix et Saul Steinberg), la photographie (Doisneau, Ronis et Cartier- A Playtime, 1967 LES FILMS DE MON ONCLE Parmi d’autres hommages consacrés à Jacques Tati, la Cinémathèque de Paris propose un parcours jubilatoire dans l’univers du cinéaste. Bresson) et la sculpture (César et Tinguely). Un arc-en-ciel de matières, de supports, qui dit la désobéissance du réalisateur, d’un anti-héros burlesque, autoproclamé « auteur et artisan », cador du pas de côté, marqué à la culotte par la modernité, ses torts, hasards et travers. Ultime ingrédient dans ce concert d’honneurs, comme un gag de mauvais goût : les affiches de l’exposition, tirées de Mon Oncle, droit comme un piquet sur son Solex, diffusées par la RATP et la SNCF ont remplacé la pipe de père Hulot par un moulin à vent, au motif que l’image n’est pas raccord avec la loi Evin sur le tabac. Grotesque et ridicule. Simenon et Bogart n’ont qu’à bien se tenir. Cette pipe est la partie constitutive d’une identité. Pour les mêmes raisons du sanitairement correct, en 2005, la BNF avait déjà effacé le clope de Sartre sur une photo de Boris Lipnitzk. Là où il est, sans doute, Jacques Tati doit s’enfumer du rictus d’un pince-sans-rire. _J.-C. R. Jacques Tati, deux temps, trois mouvements, cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris XIIe. Jusqu’au 2 août. Catalogue, éd. Naïve, 310 p., 45 euros. La Villa Arpel, Centquatre, 104, rue d’Aubervilliers, Paris XIXe, jusqu’au 3 mai. La cinéaste Sylvaine Dampierre, Guadeloupéenne vivant en métropole, revient sur l’île de ses aïeux pour faire une recherche généalogique sur son nom. Plus qu’à une quête personnelle d’identité (bien qu’elle interviewe aussi son père sur ses grands-parents), son documentaire, lePays à l’envers, invite à renouer avec une mémoire collective, le plus souvent non explicite. Voire impossible à retrouver dans son intégralité, comme l’explique le généalogiste qui accueille Sylvaine Dampierre: « Le peuple guadeloupéen se retrouve comme s’il était né sous X, parce que dans la remontée de l’arbre généalogique des familles, le premier ancêtre est toujours de parents inconnus, parce qu’il est né quelque part en Afrique.» Sylvaine Dampierre filme aussi une danseuse, Léna Blou, qui transmet aux jeunes une danse traditionnelle, le gwo-ka. Ici, l’histoire se dit par l’expression corporelle. LePays à l’envers suit ainsi plusieurs modes de remémoration. Un film subtil, loin des discours présupposés et monolithiques. Maghreb Durant le long week-end du 1er mai, le Panorama des cinémas du Maghreb se déroule pour la quatrième année au cinéma l’Écran de Saint-Denis. À travers une riche programmation, cette manifestation a pour ambition, notamment, de « transformer une perception parfois caricaturale de la culture musulmane et arabe». Panorama des cinémas du Maghreb, du 30 avril au 3 mai, L’Écran, 14, passage de l’Aqueduc, 93200 Saint-Denis, 01 49 33 66 88. MUSIQUE Simha Arom Les disques publiés par les ethnomusicologues ne constituent qu’une partie de leur travail. Simha Arom est réputé pour ses enregistrements de polyphonies pygmées, mais l’essentiel de ses recherches a porté sur les systèmes musicaux. D’abord corniste d’orchestre symphonique, il créa un musée à Bangui avant de découvrir les musiques africaines. Dans laFanfare de Bangui, il retrace comment il a, pas à pas, trouvé les méthodes pour expliquer la complexité qui se cache derrière leur beauté. Il montre, de manière accessible, comment elles sont liées à la vie sociale et aux visions du monde. Àpartir de là, le travail de Simha Arom rejoint les sciences cognitives parce qu’il éclaire les procédures de construction des connaissances. C’est pour cela que la Fondation Fyssen lui remettra son prix le 15mai. La Fanfare de Bangui, itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue, Simha Arom, La Découverte, « Les empêcheurs de penser en rond », 204 p., 13 euros. 30 avr il 2 00 9 I POLITIS I 25 CULTURE THÉÂTRE LITTÉRATURE Passion muette Le goût des monstres Médée, jouée dans un feu de braises douces par Élodie Navarre. ans doute n’avons-nous pas assez de personnages monstrueux dans l’actualité ! Les monstres d’antan continuent à nous accompagner, mythologiques ou historiques. Entre les horreurs du quotidien et les terreurs culturelles, à nous de choisir ! Britannicus, de Racine, par exemple, c’est un sacré micmac de haines, de passions et de meurtres, avec Néron aux commandes. La mise en scène qu’en donne Jean-Louis Martin-Barbaz au Théâtre 14, et qui s’achève prochainement, mérite d’être signalée car voilà une équipe qui n’a pas peur de la tragédie classique, l’empoigne dans un double mouvement d’élégance et de violence, maintient sans cesse l’émotion sous la rigueur de la cérémonie. JeanChristophe Laurier (Néron), Alberte Aveline (Agrippine), Hervé Van der S 26 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 PASCAL GELY Du Néron racinien à Médée vue par Anouilh, les criminels d’antan continuent à nous fasciner. Meulen (Narcisse), Patrick Simon (Burrhus), Antoine Rosenfeld (Britannicus) et Vanessa Krycève (Junie) sont les beaux interprètes de ce spectacle qu’on espère voir repris un jour prochain. Et Médée ! Une meurtrière de haute volée puisqu’elle liquida ses deux mouflets pour se venger de l’homme, Jason, qui l’avait quittée. On ne s’en passe pas non plus. En un lointain festival d’Avignon, Jacques Lassalle et Isabelle Huppert tentèrent en vain de nous convaincre que la tueuse était une simple et attachante héroïne de fait divers, même en gardant le texte d’Euripide. À la Comédie de Picardie, à Amiens, mais à présent au Vingtième Théâtre, à Paris, où le spectacle vient d’arriver, c’est une Médée d’une autre sensibilité qui surgit. Ladislas Chollat – l’un des metteurs en scène les plus doués de la nouvelle génération – a choisi, lui, le texte d’Anouilh, qui se libère beaucoup des données antiques. Anouilh fut un méchant droitiste mais son obsession du mal et de la pureté, associée à un sens diabolique du dialogue, ne lui fit pas toujours écrire de mauvaises pièces. Cette Médée oubliée est pourtant aussi touchante que l’Antigone du même auteur. Dans sa cruauté, elle a une part d’innocence, une immaturité que n’a pas le monde féroce qui l’entoure. C’est du moins ce que Chollat met très bien en lumière. La tragédie se passe de nos jours sous un ciel étoilé. Une remorque occupe une partie de cet univers bleuté où fume le foyer de quelques nomades. Un peu gitan, un peu forain, tel est le climat de cette nuit où Médée va commettre l’irréparable : Médée jouée dans un feu de braises douces par Élodie Navarre, belle et poignante sorcière aux jambes peintes et blottie dans sa peau de lapin. Autour d’elle, les hommes ont la solennité répugnante ou la placidité déplaisante : Créon interprété par Gildas Bourdet portant le chapeau et la cravate du notable, Jason incarné par Benjamin Boyer, qui, en costume bleu nuit, se fond dans l’obscurité. Il n’y a que les femmes qui écoutent la vérité du cœur : Médée et la nourrice joliment interprétée par Sylviane Goudal. Sans doute le dernier tableau, où Médée parle debout sur le toit de la caravane, sacrifie-t-il trop à une volonté de spectaculaire. Mais la soirée saisit bien les secrets et les ombres derrière la beauté d’un étrange tableau nocturne. _Gilles Costaz Britannicus, Théâtre 14, Paris, 01 45 45 49 77. Jusqu’au 2 mai. Médée, Vingtième Théâtre, Paris, 01 43 66 01 13. Jusqu’au 14 juin. Didier Blonde ressuscite une star du cinéma des années 1910. u départ, il y a la fascination que seules les actrices de cinéma peuvent exercer. Fascination plus grande encore quand il s’agit de jeunes femmes pâles et graciles dont la silhouette et le visage, depuis longtemps oubliés, hantent les films des débuts du cinéma. Telle Suzanne Grandais, qui fut dans les années 1910 une star du muet. C’est à Didier Blonde, déjà auteur des Fantômes du muet (Gallimard, 2007), que l’on doit cette exhumation de l’héroïne du Chrysanthème rouge, où, écrit-il, elle est « si belle en ensorceleuse aux grâces minaudières ». Le voilà définitivement mordu. De même que le fut un certain Jean D., l’autre personnage important du récit de Didier Blonde, contemporain de Suzanne Grandais, son amoureux le plus assidu, puisque son sentiment perdura au-delà de la mort de l’actrice, fauchée en pleine gloire en 1920 par un accident d’automobile. Mais amoureux transi et resté secret. D’où le titre, Un amour sans paroles, qui a plus d’un sens. A Sans paroles, mais pas sans écrits, puisque Jean D. a laissé derrière lui un manuscrit consacré à Suzanne, où, notamment, il consigne ses tentatives, toujours avortées, pour entrer en relation avec la jeune femme. C’est donc à travers les yeux de Jean D., en tentant de reconstituer quelles ont été ses « stratégies d’approche », que Didier Blonde retrace la carrière et la vie de Suzanne Grandais. Le récit est ainsi vibrant d’une passion rentrée, qui devient plus bouleversante encore que le charme disparu de la jolie comédienne. _Christophe Kantcheff Un amour sans paroles, Didier Blonde, Gallimard, « L’un et l’autre », 158 p., 19,50 euros. MÉDIAS À VOS POSTES Condamnés à la tôle TÉLÉVISION l’histoire. C’est là un chassé-croisé amoureux, aux récits emboîtés. Comme un train peut en cacher un autre. SAMEDI 2 MAI à où la mer finit, où se dressent les montagnes. Chittagong, le royaume de la paix éternelle, dit-on. Dans le golfe du Bengale, au sud du Bangladesh. Chaque année, la saison des pluies et son lot d’inondations contraignent les paysans du Nord à migrer, en quête de travail. Beaucoup débarquent aux chantiers de démolition des navires, à Chittagong. Dans les années 1960, un gros bateau s’était échoué sur la plage. Les habitants l’ont démonté pour le revendre pièce par pièce. Ça a débuté comme ça. Aujourd’hui, la production sidérurgique de Chittagong couvre tous les besoins du pays, les chantiers font vivre trois millions de personnes par an. Une fourmilière âpre à la tâche, mêlée de câbleurs, tireurs, découpeurs. Les « bouffeurs de fer », selon le titre du documentaire. Sans vêtements de protection, pieds nus, ils tirent sur le sable des monstres bateaux, à mains nues, dépècent des épaves bourrées de composants toxiques. Les pires besognes sous l’œil des contremaîtres du Sud. En dehors des chantiers, les autochtones ont aussi la mainmise sur le commerce. Ils ont ouvert des magasins d’alimentation. Les ouvriers, payés avec retard, achètent à crédit. Les prix sont prohibitifs. Les dettes s’accumulent, les empêchant de rentrer chez eux au moment crucial des récoltes. C’est un cercle infernal que très peu d’ouvriers parviennent à rompre, un cercle entretenu par les patrons de chantier, baptisés les « contractants », complices des commerçants. Quand certains réussissent à revenir chez eux, c’est sans le sou, humiliés, épuisés, calés dans leur défaite intime. L Au sud du Bangladesh, Shaheen Dill-Riaz a filmé le quotidien infernal des ouvriers attelés à dépecer les bateaux. Et sans autre choix que de recommencer plus tard. Les contractants n’attendent que ça, sûrs de leur maind’œuvre à bon compte. Originaire de la région de Chittagong, le réalisateur, Shaheen Dill-Riaz, a voulu « savoir qui sont ces hommes qui viennent quelques mois chez nous, dans le Sud, pour un salaire de misère ». Et de filmer alors une tragédie humaine, un système d’exploitation, dans un langage formel époustouflant, celui de la démolition : les chants, les chœurs en file indienne des tireurs de câble, les lumières vives des chalumeaux déchirant l’obscurité des nuits de turbin, le pas mal assuré d’une frêle silhouette au-dessus des brics et brocs de tôles, le remorquage de gigantesques bateaux sur un océan de boue, les assiettes de riz sous les halos faibles, les empilements de barres d’aciers, le râle du métal. Chaque plan vocifère la dissection des matériaux, hurle dans les limites du cadre, beugle sous un ciel bas. Une féerie aux confins du désastre. _Jean-Claude Renard Les Bouffeurs de fer, mercredi 5 mai, 20 h 45, Arte (1 h 25). Cut up Arte, 18 h 10 Coup d’envoi d’une nouvelle revue hebdomadaire, constituée de courts extraits de documentaires aux écritures et aux styles différents, sur un thème donné. Non pas un zapping, mais un enchaînement de morceaux qui font sens. Le titre de cette émission, « Cut up », est tiré du procédé littéraire créé par William Burroughs et Brion Gysin: couper de façon aléatoire différentes parties d’un texte pour les combiner et voir ce que ça donne. Les sept premiers numéros ont pour thème l’argent, le pouvoir, le travail, la famille, la jeunesse, la méchanceté et le plaisir. L’humoriste Jackie Berroyer intervient en préambule et entre les séquences. DIMANCHE 3 MAI Good Morning Babylonia France 3, 0 h 40 Le film des frères Taviani clôture le cycle consacré au cinéma italien. Récit d’une migration réussie vers les États-Unis, à travers l’expérience de deux frères embarqués dans les tournages de Griffith. MARDI 5 MAI Violences conjugales France 5, 21 h 40 En attendant la mise en place de référents chargés d’accompagner les femmes battues dans leurs démarches, Carole Tresca a choisi de suivre le travail en réseau d’assistantes sociales, de policiers et de psychologues. Tel est le cas de Florence Simon, assistante sociale dans un commissariat, qui accueille les femmes qui veulent porter plainte, celles qui n’osent pas aller jusque-là aussi. Parce que la réalité est celle du silence, de l’emprise. RADIO DU LUNDI 4 AU JEUDI 7 MAI La Vie dans les collèges France Culture, de 16 h à 17 h Série de quatre reportages articulés autour du second degré. Le premier, enregistré près de Tours, à la frontière de l’urbain et du rural, dans un établissement refait à neuf et accueillant 550 élèves et où, chaque année, deux collégiens sur trois, plus ou moins en échec, se tournent vers l’apprentissage (sachant que l’établissement n’est classé ni en ZEP ni en ZUP). Le deuxième reportage se penche sur une «section d’enseignement général et professionnel adapté» (Segpa), à Romainville (Seine-Saint-Denis), structure spécialisée intégrée dans un collège ordinaire, chargée des élèves en difficulté, pour lesquels les actions de prévention et de soutien intervenues auparavant, dans les classes élémentaires, n’ont rien donné. À l’instar des Réseaux d’aide spécialisée aux enfants en difficulté (Rased), les Segpa manquent aujourd’hui de moyens et de places, sont soumis aux coupes budgétaires et aux suppressions de postes. À suivre par deux autres reportages, sur un collège privé (NotreDame-de-la-Providence à Enghien-lesBains) et sur l’enseignement de la musique. DU LUNDI 4 AU VENDREDI 15 MAI Les Lettres de Capri France Culture, de 20 h à 20 h 50 Feuilleton de Fabrice Colin, adapté du roman de Mario Soldati (1954), histoire d’amour et de trahison dans l’Italie postmussolinienne (réédité chez Autrement). DU MARDI 5 AU VENDREDI 8 MAI Le Dessous des cartes Alfred Döblin Arte, 22 h 10 France Culture, de 22 h 15 à 23 h 30 Un numéro consacré au droit d’asile (réfugiés, déplacements forcés des populations, demandeurs d’asile). Une histoire qui remonte à l’Antiquité, évolue au gré de l’influence des Églises, toujours présentes, de la forme des empires et des États, et surtout des conflits. Portrait de l’écrivain allemand (18781957), le plus important des écrivains d’avant-garde de la République de Weimar, auteur de Berlin Alexanderplatz, né à Stettin, pourchassé en 1933, naturalisé français en 1936, converti au catholicisme en 1945 à Hollywood, mort en 1957, dans l’isolement, la pauvreté et la maladie. JEUDI 7 MAI Conte de cinéma Les «bouffeurs de fer» : une fourmilière âpre à la tâche. ZAHIDUL KARIM SELIM/LEMME FILM VENDREDI 8 MAI Arte, 23 h 55 Nécessité et hors la loi Un film dans le film, par Hong Sang-soo. Au sein d’une fiction, la rencontre par hasard d’un étudiant et de son ex-petite amie, le projet d’un suicide commun, le ratage de ce suicide et une nouvelle rencontre entre la jeune femme et un cinéaste, partis pour une répétition de France Culture, de 16 h à 17 h Une réflexion sur la notion de désobéissance civile et sur l’état de nécessité, où il sera notamment question du délit de solidarité. Avec des membres de l’association l’Appel de la pioche, de Terre d’errance et des Déboulonneurs. 30 avr il 2 00 9 I POLITIS I 27 DÉBATS & IDÉES La loi et la jungle Contrairement à ce qu’affirme Éric Besson, il existe bien un « délit de solidarité » à l’encontre des militants et des familles qui défendent les sans-papiers. DR ÉRIC FASSIN est sociologue. DR AURÉLIE WINDELS est journaliste. Ils sont tous deux membres de « Cette France-là ». 28 I POLITIS En 1987, Gary Hart, candidat à la nomination démocrate pour l’élection présidentielle aux États-Unis, mettait les journalistes au défi de prouver la liaison adultère que la rumeur lui prêtait. Aussitôt, la presse publiait une photographie qui mettait un terme à sa campagne. Aujourd’hui, Éric Besson évoque Gary Hart, non pas du fait de ses confidences conjugales (« en ce moment, ça tangue un peu dans le couple »), mais depuis qu’il a mis au défi les associations de prouver l’existence d’un « délit de solidarité ». Interpellé le 11 mars à l’Assemblée nationale par George Pau-Langevin, le ministre affirmait déjà : « L’article L. 622-1 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France a permis de démanteler à peu près 4 000 filières d’immigration clandestines. En soixante-cinq ans, seules deux condamnations, avec dispense de peine, et c’est très rare, sont intervenues. » Depuis, sur les blogs (Combat pour les droits de l’homme, Journal d’un avocat) et du côté des associations (Gisti, Amoureux au ban public), les réfutations se multiplient. En réponse au communiqué de presse des associations (« Si la solidarité devient un délit, nous demandons à être poursuivis pour ce délit »), le ministre n’en déclare pas moins le 8 avril, jour de la manifestation nationale : « Le délit de solidarité n’existe pas ; c’est un mythe. Donc celles et ceux qui manifestent pour cela doivent être rassurés : ils manifestent contre un mythe. » Tantôt, il se fonde sur les seules décisions de justice, et non sur les poursuites (« personne n’a jamais été condamné ») ; tantôt, il s’abrite derrière la séparation des pouvoirs (s’il y a bien « trois ou quatre affaires en cours », elles « ne dépendent pas de moi », car « l’autorité judiciaire est indépendante en France »). Toutefois, confronté aux condamnations recensées par le Gisti, Éric Besson finit par perdre patience : s’il annonce le 21 avril qu’il « a pris connaissance avec intérêt de cette liste, et s’engage à apporter I 30 avr il 2 0 0 9 Dans la « jungle » de Calais et au-delà, la loi a-t-elle vocation à protéger le faible du fort — ou bien l’inverse ? MONTEFORTE/AFP une réponse circonstanciée », dès le lendemain il change de ton : « Je le dis avec pondération : la crédibilité du Gisti en la matière, elle est quasiment nulle. » Gary Hart a chèrement payé son pari perdu ; Éric Besson, hier chargé d’évaluer ses collègues du gouvernement et aujourd’hui encore chantre de la « culture du résultat », en sortirat-il indemne ? Dans le Monde du 21 janvier, il avouait que, responsable du pamphlet socialiste de 2007 sur « Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy », il n’avait « pas écrit un mot sur la partie concernant l’immigration. Ce n’était pas ma compétence ». Autrement dit, l’auteur de cette charge était compétent dans ce domaine – pas Éric Besson. On touche ici à l’essentiel : la politique d’immigration actuelle n’est pas fondée sur la compétence, mais sur l’illusion du sérieux ; non sur la raison, mais sur l’apparence raisonnable ; non sur les résultats, mais sur la culture du résultat. Dans les débats suscités par le film Welcome, Éric Besson est très à l’aise pour dénoncer le Parti socialiste : « Il y a cet écran de fumée du délit de solidarité, qui arrange bien, parce que ça permet de jouer sur le registre émotionnel. » Toute la force rhétorique de sa position tient à une seule proposition : l’émotion « droit-de-l’hommiste » ne serait que l’envers d’une « incapacité à proposer une politique migratoire alternative » raisonnable. En revanche, quand on l’attaque sur le terrain de la raison et non du cœur, il perd pied. La contestation associative, relayée par l’opposition politique, a ainsi ouvert une brèche dans son dispositif. Deux propositions de loi sont déposées le 18 mars, l’une à l’Assemblée, l’autre au Sénat. Si le délit de solidarité n’existe pas, ou n’est jamais appliqué, pourquoi ne pas restreindre l’article L. 622-1 du Ceseda (revendication du Gisti en 1995 et encore en 2003) à ceux qui interviennent « à titre onéreux » ou « dans un but lucratif » ? Éric Besson ne trouve-t-il pas lui-même « maladroit » le mot « aidant », qui figure dans la loi de finances (5 000 personnes devraient ainsi être interpellées en 2009) ? Selon lui, la « traque » ne viserait en fait que les « trafiquants ». L’initiative de la gauche devrait d’autant plus séduire le ministre qu’elle est conforme à une directive européenne du 28 novembre 2002 : n’est-il pas attentif à rappeler à ses anciens amis socialistes « que la politique française d’immigration, c’est la politique européenne », également soutenue par des gouvernements de gauche ? Or, confronté aux faits, Éric Besson ne peut plus se contenter de dire qu’il n’y a pas besoin de changer la loi. Il lui faut reconnaître qu’il ne le souhaite pas. À Calais le 23 avril, il rejette donc ces propositions de loi : « Le principal instrument juridique pour lutter contre ces filières, l’article L.622-1 du Ceseda, ne sera pas modifié. Tous ceux qui contribuent de manière active, et en toute connaissance de cause, à ces filières, doivent être poursuivis, qu’ils agissent dans un but lucratif – c’est le cas de l’immense majorité des passeurs – ou par idéologie ou par passion – ce qui est exceptionnel mais peut arriver. » Comment justifier ce retournement apparent ? « Ne soyons pas naïfs. Les passeurs facturent une prestation globale, incluant l’intervention éventuelle de bénévoles et d’associations. La passion quelquefois imprudente des uns peut faire la fortune des autres. » Les bénévoles qui aident les sanspapiers travailleraient en réalité pour les « passeurs » : la limite s’estompe ici. « Par idéologie ou par passion » ? Ce sont les deux grandes catégories que vise, sinon la loi, du moins la pression policière actuelle : d’un côté, les militants ; de l’autre, les familles. Les exemptions prévues dans l’article L. 622-4 protègent sans doute théoriquement celles-ci, voire ceux-là. Il n’empêche : en dépit de la loi, même les conjoints ne sont pas à l’abri – les Amoureux au ban public n’ont pas manqué de le rappeler. L’intimidation est claire. Du côté familial, la lettre de mission que Nicolas Sarkozy adresse le 31 mars à son nouveau ministre de l’Immigration en donne la clé : il faut « poursuivre le rééquilibrage entre immigration professionnelle et familiale », ce qui, « dans le contexte actuel de l’emploi », implique bien moins la relance de l’immigration de travail que la réduction de l’immigration familiale, avec « un renforcement de la lutte contre les abus et la fraude, notamment les mariages de complaisance, les mariages forcés, ou les situations d’immigration illégale débouchant sur une régularisation pour motif de vie privée et familiale ». Conjoints et familles sont donc a priori suspects. Du côté associatif, certes, comme insiste Éric Besson, « l’action humanitaire en direction des étrangers en détresse, quelle que soit leur situation au regard du droit au séjour, est parfaitement légale ». Ce qui est donc visé, c’est bien l’idéologie : l’action humanitaire est légitime à condition de n’impliquer aucune critique de la politique menée. Le ministre aime à le dire, c’est à tort qu’on lui reproche de faire la guerre aux bénévoles : dans sa lettre du 7 avril aux associations mobilisées contre le « délit de solidarité », il rappelle ainsi que l’État « apporte, avec les collectivités locales, un important soutien technique et financier, plus de 20 millions d’euros par an, aux associations venant en aide aux immigrés en situation irrégulière, dont le rôle humanitaire est indispensable ». Cette générosité ne va pas sans contrepartie : le rappel prépare le rappel à l’ordre. Certains l’apprennent à leurs dépens. Selon la Croix du 31 mars, « après un échange très vif avec le président national de la Cimade sur les “aidants” », Éric Besson déclare en effet : « J’ai compris : s’il faut, je vais cogner. » De fait, c’est le 10 avril que le ministère rend publics les résultats de l’appel d’offres lancé pour l’accompagnement des étrangers dans les centres de rétention administrative, soit un marché de 5 millions d’euros dont la Cimade perd ainsi le monopole. Des associations moins critiques bénéficient de la répartition nouvelle. L’apolitisme n’est pourtant pas requis : le Collectif respect, constitué en 2002 en réaction aux sifflets qui avaient accueilli « la Marseillaise » lors d’un match au Stade de France pour promouvoir le respect dû aux symboles de la République, se voit attribuer le « lot » de l’outre-mer (voir Politis n° 1049). Sans expérience humanitaire, sans rapport avec des territoires où l’on expulse à une autre échelle, et même sans salariés, l’heureux bénéficiaire de la manne publique n’est connu que pour ses liens avec l’UMP. Comme le dit encore Éric Besson : « Le respect de la loi, ce n’est pas l’arbitraire, mais la protection contre l’arbitraire. Entre le fort et le faible, c’est la loi qui protège. » À lire cette phrase, on s’interroge sur son sens : dans la « jungle » de Calais, et au-delà, la loi a-t-elle vocation à protéger le faible du fort – ou bien l’inverse ? Les rendez-vous du documentaire engagé Politis et l’association Voir&Agir présentent Mercredi 6 mai à 20h au centre culturel La Clef - Images d'ailleurs 21, rue de la Clef, 75005 PARIS M° Censier-Daubenton LES FEMMES DE LA BRUKMAN Un film d'Isaac ISITAN, 2008, 88 min. L’usine Brukman est sans doute le plus bel exemple des nombreuses expériences d’autogestion en Argentine. En 2001, pendant la crise financière argentine, les ouvrières de cette manufacture de vêtements décident d'occuper leur usine désertée par les patrons. Très vite, elles deviennent l'emblème de l'Argentine démocratique, prenant toutes les décisions en assemblée et s'octroyant toutes le même salaire. Fortes d'un large soutien populaire, elles mènent une lutte courageuse tant sur le plan légal que politique pour conserver leur gagne-pain et retrouver leur dignité dans le travail. Au-delà d'un témoignage sur la persévérance de ces ouvrières, Isaac Isitan nous entraîne dans une aventure humaine touchante et empreinte d'espoir. Les Femmes de la Brukman vient de remporter le Grand Prix 2009 du Figra (Festival international du grand reportage d'actualité et du documentaire de société). La projection sera suivie d’un débat animé par Isabelle BOURBOULON, avec Denise MENDEZ, Commission internationale d'ATTAC. - Libre participation aux frais 30 avr il 2 00 9 I POLITIS I 29 DÉBATS & IDÉES Des boycotteurs très présents MICHÈLE SIBONY est coprésidente de l’Union juive française pour la paix (UJFP). Officiellement absent de la conférence de Genève sur les droits de l’homme, Israël a en réalité exercé sur cette manifestation un contrôle de tous les instants. Nous avons décidé à quelques militants associatifs, de l’AIC, l’ATMF, CCIPPP, CMF, FTCR, et l’UJFP (1), de nous rendre à la Conférence de réexamen de Durban à Genève, unis par un sentiment mêlé d’inquiétude et de nécessité. Notre message commun était clair : le refus de l’exception. La Conférence de réexamen de Durban contre le racisme et pour le respect des droits de l’homme dans le monde ne pouvait faire l’impasse sur ces violations du racisme colonial et ces discriminations légales contre les citoyens palestiniens d’Israël. Le dire ensemble nous semblait important. Mais perdus dans ce cadre immense, et en l’absence de la plupart des ONG et associations françaises du mouvement social, qu’allions-nous pouvoir y faire d’autre que constater et surtout, en témoignant, tenter de lutter contre la lourde artillerie médiatique qui conditionnait depuis des mois les esprits sur cet événement ? Nous avons vite compris où nous étions. Dès le 19 avril, une Conférence alternative était organisée à Genève avec des invités de choix, dont Caroline Fourest, venue défendre les thèses du choc des civilisations, et désigner l’ennemi musulman. Puis une manifestation contre l’antisémitisme visant directement la Conférence, suivie d’une veillée d’armes le 20 et d’un meeting le 22 devant le Palais des Nations avec Nathan Chtaranski, l’ex-dissident soviétique passé à l’extrême droite israélienne, ministre des Relations avec la Diaspora, et Alan Dershovitz, célèbre avocat américain néoconservateur. Mais c’est avec l’ouverture de la Conférence des États que nous avons mesuré l’ampleur de l’opération. Dès le matin, des groupes sionistes manifestent devant les entrées du Palais des Nations, scotch noir sur la bouche, avec pancartes et tracts dénonçant une conférence conduite selon eux par les États racistes ne respectant pas les droits humains. Ils appellent à quitter la Conférence en soutien aux États luttant vraiment contre le racisme et pour ces droits, États-Unis, Canada, Israël et quelques pays européens. Israël, bien qu’officiellement absent de la Conférence, y a assuré sa présence et son contrôle avec un lobby de près de 30 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 1 500 personnes entourées et protégées par une forte présence de barbouzes israéliennes, et l’arrogance de colons en territoire conquis : l’Union des étudiants israéliens, l’Union des étudiants juifs de France, des groupes d’étudiants américains, anglais, et aussi des chrétiens sionistes. L’accréditation a été retirée au 3e jour de la conférence à « Coexistence » et à l’UEJF, en raison de leur comportement « délinquant » pour dénoncer le racisme de la conférence dans toutes les commissions susceptibles d’aborder le colonialisme israélien, les violations des droits humains en Palestine ou les discriminations et le racisme vis-à-vis des Palestiniens citoyens d’Israël. La méthode est binaire et monothématique. Chaque fois qu’il sera question de la Palestine, le lobby présent opposera une batterie de questions : quid du Darfour, du Congo, du Sri Lanka, des droits des femmes et des homosexuels en Iran, etc. ? Et quid de l’antisémitisme ? Plus grave encore, le fruit d’un lobbying coordonné par UN Watch – ONG au service de la cause – auprès des groupes africains, entre autres, les persuadant que ce sont les Palestiniens qui veulent monopoliser l’attention avec leurs problèmes et sont indifférents aux autres discriminations. Pour comprendre ce qui se passe, il faut obstinément déconstruire la massive propagande à l’œuvre, qui présente l’ensemble de l’opération comme l’attaque d’un Sud antisémite, essentiellement arabo-musulman, opposé à la liberté d’expression, et pour l’essentiel contre la démocratie, qui est évidemment représentée par tous les pays absents. Or, en réalité, c’est l’inverse qui s’est passé. Depuis le lendemain de Durban I jusqu’à Genève, la conférence contre le racisme a été soumise aux lignes rouges des démocraties du Nord : ne pas condamner Israël et ne pas évoquer la Palestine, quitte même à imposer pour y parvenir qu’aucun pays n’y soit nommément désigné. Depuis Durban, huit années ont passé, huit années d’ultralibéralisme néoconservateur qui ont imposé l’unilatéralisme comme mode de négociation, la guerre préventive et la recolonisation comme modalité de pacification, laminé les droits civiques, le droit international et les institutions de l’ONU, réuni dans l’Otan la nouvelle direction mondiale, provoqué une crise économique mondiale majeure. Genève est le sinistre reflet de cette période, et de la violence sans merci de la rencontre NordSud contemporaine. C’est la confiscation de cet espace d’expression des peuples du tiers monde, ceux qui souffrent, jusque dans nos contrées, du racisme et des violations des droits humains. Dans le Forum de la société civile, ceux-là ont demandé que des sanctions de ces violations visent aussi les pays d’accueil des millions de réfugiés. Mais, au total, l’imposture médiatique de Genève aura consisté à faire croire à un boycott d’Israël et d’un certain nombre d’États, alors que ceux-ci ont été omniprésents, qu’ils ont imposé un diktat préalable sur le texte de la déclaration finale, vidant comme une coquille le cadre de travail, et exercé un contrôle permanent à l’intérieur comme à l’extérieur de la conférence. (1) Alternative information centre-Jérusalem/Bethléem, Association des travailleurs maghrébins de France, Campagne civile pour la protection du peuple palestinien, Collectif des musulmans de France, Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives, Union juive française pour la paix. Le 20 avril, un rescapé des camps de concentration assiste à une commémoration de la Shoah lors de la Conférence de Genève. MONTEFORTE/AFP DE BONNE HUMEUR MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY GRILLE N° 15 HORIZONTAL : I II III IV V VI VII VIII IX X 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1. Pour se croire à la hauteur d’Obama. 2. Anarchie. C’est une bâtarde, cette lentille. 3. Reste. Ce prix Nobel yougoslave a raconté une véritable histoire de pont. 4. Symbolise un élément radioactif. Forme d’avoir. 5. Réduite en miettes. Fort teuton. 6. Avec un appareil photo, c’est moins violent. 7. Saint de la région de Bayrou. Écrivain loin d’être sans qualités. 8. Ces lettres moquaient Jésus-Christ. Bruit qui suit l’éternuement. 9. Inconnu. La pompe Afrique. 10. Galiléenne. VERTICAL : Solution de la grille n° 14 : 1. Stipendier. 2. Européenne. 3. Merci. Moas. 4. Éolien. 5. PME. En. DCA 6. Héler. Méru. 7. Oc. Redorer. 8. Rémiz. Data. 9. En. Ré. On. 10. Sévèrement. SÉBASTIEN FONTENELLE I. Sémaphores. II. Tué. Mécène. III. Irréel. IV. Poco. Érine. V. Épilerez. VI. Né. In. Ré. VII. Dème. MoDem. VIII. Inondera. IX. ENA. Creton. X. Restaurant. I. Un olibrius au nom burlesque. II. Recueil. Possessif. III. Tentait de rendre la balle intouchable. Bon quand il est gluant. IV. Pascal Boniface a dialogué avec son président. Finit. V. Fit l’innocent. Méfiance si elle dort. En Israël. VI. Robert. Sortie. VII. Ville d’Ulysse. VIII. Théologien chrétien. IX. Sélection. Note. Il a pris les armes en Algérie. X. Olibrius à la hauteur d’Obama. Pensées du sage sino-poitevin Dans leMonde (27 avril), « M.Raffarin», penseur poitevin, juge que « la France ne peut pas donner le sentiment de ne pas être un État de droit, en matière sociale», et cette observation (frappée au coin du bon gros sens bien d’cheux nous dont M.Raffarin, de longue date, porte haut le gonfalon) a dans un premier temps semé la panique au Medef, où l’on a (sottement) cru que l’« ancien Premier ministre» exigeait par ces mots plus de justice sociale, et (donc) la prompte réduction des patrons licencieurs qui n’en finissent plus de martyriser la plèbe. Ce n’était bien entendu pas le cas: M.Raffarin, par son crâne rappel au « droit», réclame, certes, plus de résolue « fermeté» – mais cette rigueur, de son point de vue, doit s’appliquer aux impudents « salariés en colère» qui ont le front de séquestrer leurs employeurs, et non aux employeurs qui sacrifient leurs salarié(e)s à de pansus fonds de pensions de Corpus Christi, Texas. Cette rude exhortation de M.Raffarin à soumettre les insolents qui osent (enfin) répondre aux inconcevables brutalités que leur fait subir le patronat n’est pas complètement surprenante: M.Raffarin est (non moins que MmeRoyal, qui nous vient du Poitou itou) d’une famille politique où la satisfaction du prolétariat n’est pas exactement une tradition. Plus étonnante est l’argumentation qu’il développe pour fonder cette admonestation, et que le Monde résume ainsi: « Les séquestrations de C’est donc énoncé patrons nuisent à l’attractivité du pays.» Pour le dire nettement par autrement: l’investisseur étranger pourrait s’offusquer, si on ne les mate pas très rapidement, de ce que des M. Raffarin : salarié(e)s françai(se)s interpellent (fût-ce un peu les principales vivement) les fabricants de plans sociaux du patronat, victimes de plutôt que de se laisser virer en paix comme font les esclaves bien élevés. Pis: l’investisseur étranger pourrait « l’insécurité faire le choix, tragique, de mettre son argent ailleurs sociale – sous des latitudes où la main-d’œuvre serait mieux française » dressée que sous la nôtre. sont les patrons. M. Raffarin sait de quoi il parle: « J’étais en Chine, au Canada, il y a quelques jours, je lis la presse étrangère: il n’y a pas un jour sans que la séquestration des patrons, l’insécurité sociale française ne soient mises en avant, y compris par un certain nombre de nos concurrents qui expliquent qu’il n’est pas sain d’aller développer des affaires en France.» Explique-t-il. Posément. C’est donc énoncé nettementpar M.Raffarin: les principales victimes de « l’insécurité sociale française» sont les patrons (1). Surtout: c’est à l’aune de ce qu’il a constaté en Chine (populaire) que M.Raffarin juge qu’il est urgent de réprimer l’agacement du prolétariat hexagonal. Le minuscule détail que le droit social pékinois, fusion réussie du totalitarisme «communiste» et de l’horreur économique, est une franche abomination n’a bien sûr pas échappé à M.Raffarin: M.Raffarin n’est pas si malvoyant qu’il n’ait vu le misérable état des travailleurs chinois – mais leur condition toutefois semble moins le heurter que les séquestrations made in France. M. Raffarin a des fins de capitaliste conséquent –il veut que rien n’entrave le business franco-chinois, et qu’on use pour cela des moyens nécessaires à la résipiscence du travailleur hexagonal: le gars serait en somme d’une excessive moralité. (1) Que n’organisons-nous impromptu quelque Patronthon, pour leur venir en aide ? Retrouvez le blog de Sébastien Fontenelle sur www.politis.fr 30 avr il 2 0 09 I POLITIS I 31 LE POINT DE VUE DES LECTEURS Peut-on encore parler de démocratie quand des millions de citoyens qui manifestent ne sont pas entendus ? Quand un seul décide ? Quand on ne tient pas compte des demandes des citoyens après un semblant de concertation (les Grenelles, par exemple) ? Alain Brunel, Bégard Une autre politique européenne Je voudrais répondre au courrier de R. Joumard, paru dans le n° 1047. Nous sommes très nombreux à avoir souhaité que les adversaires de la politique européenne néolibérale présentent un front unique aux élections de juin prochain. Je l’ai souhaité, exprimé il y a plus d’un an, et j’ai même prétendu que ça ne devrait pas être très difficile d’élaborer, pour des élections européennes, une plate-forme commune à tous ceux qui avaient exprimé un « non » de gauche au référendum de 2005. Or, nous faisons le constat que non, cela n’a pas été possible. Nous sommes nombreux à le regretter, dans le lectorat de Politis et dans les organisations et partis politiques de gauche et d’extrême gauche, NPA, PG, Fédération… Est-ce le moment, à quelques semaines du scrutin, d’en accuser tel ou tel acteur, et de taper sur l’un ou l’autre, avec des arguments dont certains frisent le grotesque, comme la mise en page des affiches ? Si c’est à cela que nous consacrons notre énergie, alors, oui, « les néolibéraux n’ont aucun souci à se faire ». Il me semble que nous avons mieux à faire : participer, chacun à notre place, à la dénonciation de la politique européenne et de son immobilisme face à la crise. Nous devons expliquer que, si la Communauté européenne apparaît muette et paralysée, c’est que son histoire, ses institutions, ses responsables actuels baignent dans l’idéologie néolibérale, et ne peuvent donc pas fournir de réponse adéquate, car tous sont prisonniers de « la concurrence libre et non faussée », de la déréglementation financière, du dumping social, du poids des lobbies industriels, etc. Et ce n’est pas non plus avec cette idéologie libérale que l’on pourra mettre en œuvre la nouvelle politique environnementale indispensable. Nous devons surtout montrer qu’une autre politique européenne est possible : sociale, financière, environnementale, étrangère… C’est le plus urgent, et le plus utile. Sabine Laurent, PG, Marseille Lecteur critique régulier de la version papier de Politis, je pensais avoir circonscrit le spectre de la représentation politique que vous semblez trouver honorable pour défendre « la gauche ». Si j’en crois la présentation sur votre site, Politis, « c’est surtout un certain point de vue sur l’actualité, la défense des services publics et des biens communs de la société. C’est le refus d’un marché omnipotent où tout s’achète et tout se vend ». Pensez-y ! Abonnement web à partir de 8 € par mois* www. poli t i s. fr Paiement sécurisé * voir conditions Quelle n’est donc pas ma surprise en lisant dans le n° 1048, en page 7, la « petite phrase » suivante à propos du Nouveau Parti anticapitaliste par rapport au Parti ouvrier indépendant, sous la plume de Michel Soudais : « On est toujours le réformiste de quelqu’un. »De deux choses l’une : soit Politis estime qu’organiser une marche unie à Paris pour interdire les licenciements est « trop (?) » révolutionnaire ou pas assez « réformiste (?) », soit le refus du NPA de contribuer à une marche unie contre les licenciements est considéré comme positif. Donc il ne faut pas s’allier contre les licenciements. Étrange positionnement. Alexandre Vignaud, Guadeloupe Hors du monde Actuellement détenu, j’ai eu l’opportunité de lire votre hebdo et particulièrement votre article sur Julien Coupat. Vous avez raison de dénoncer ce scandale ; cependant, connaissezvous le nombre de détenus en détention provisoire sans motif politique sous le bon vouloir des juges ? La présomption d’innocence n’existe pas, l’instruction à charge et à décharge n’existe pas. Il n’existe que la conviction du juge. Je suis d’accord avec le fait que la suppression du juge d’instruction rendrait encore pires les conditions de recherche de la vérité, mais comment une personne qui se persuade de sa propre explication selon ses propres valeurs peut-elle contre-argumenter elle-même ? Je ne suis même pas sûr qu’un saint puisse remettre en question sa manière de penser. Et savez-vous Rendez-vous sur notre nouveau site www.politis.fr 32 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 AGENDA POLITIS courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris. 01 43 48 04 00 (fax) [email protected] (e-mail) Rochefort (17) : le 2 mai, Je souhaite (ré)adhérer à l’association Pour Politis Nom : .................................................. Prénom : ............................................. Adresse : ............................................ ........................................................... Code postal : ....................................... Ville : .................................................. Courriel : ............................................ ........................................................... Téléphone : ......................................... Propositions, motivations : .................................................................................... ............................................................................................................................. ............................................................................................................................. ............................................................................................................................. Montant de la cotisation 2009 : 10 euros (chèques à l’ordre de Pour Politis) Bulletin à renvoyer à Pour Politis, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris Renseignements au 01 55 25 86 75 ou à [email protected] quelles sont les conditions de détention ? Les conditions matérielles ne seraient rien s’il n’y avait pas les conditions d’anéantissement psychologique. Il n’y a pas plus de fous ou de déprimés qu’avant. Il y a une désespérance nourrie et provoquée. Les statistiques, en tête celles de M. Bauer, montrent bien qu’il n’y a jamais eu une société aussi sécurisée. Et on veut nous faire croire à une insécurité croissante ? Si vous connaissiez la population des prisons, vous seriez sidérés. Non, il n’y a pas de Jack l’éventreur ou d’assassins récidivistes à tirelarigot. L’écrasante majorité des détenus sont ici pour des délits mineurs avec, c’est vrai, beaucoup d’affaires liées à la drogue. Sinon, c’est quoi ? Petits vols, bagarres et ivrogneries ! La justice et la prison sont des mondes hors du monde avec un discours et une vision idéologique déconnectés du réel. Dans un climat politique qui veut détourner le regard de l’essentiel et entretenir la peur de tout. Cangina, maison d’arrêt Saint-Joseph, Lyon La honte des Français Il y a quelque chose que le désolant Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, semble ne pas avoir compris, c’est que depuis près de deux ans, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, depuis ses premières prestations en tant que chef d’État sur la scène internationale, un grand nombre de Français ont honte d’être représentés au plus haut niveau par un tel personnage. Ce sentiment est renforcé lorsqu’on a suffisamment d’amis dans plusieurs pays étrangers pour connaître de manière objective la façon dont il est perçu hors de l’Hexagone et qui est fort différente de ce que voudrait nous faire croire une trop grande partie des médias français. Au moins, avec le président précédent, on avait certes de temps en temps un sentiment de honte, mais on pouvait également ressentir parfois un sentiment de fierté : rappelonsnous le comportement de Chirac à Jérusalem et, surtout, le refus de s’aligner aux côtés de Bush fils dans sa guerre en Irak. Il se trouve, M. Lefebvre, que le discours du 26 juillet 2007 prononcé à l’université de Dakar par Nicolas Sarkozy me fit ressentir une très grande honte lorsque j’en pris connaissance. Dans ces DIFFUSION EN KIOSQUE Pour connaître le point de vente le plus proche de votre domicile, de votre lieu de travail ou même de votre lieu de vacances ; si vous souhaitez que votre marchand de journaux soit approvisionné sous huitaine ; appelez le 01 42 46 02 20 (de lundi au vendredi de 10 h à 17 h) ou envoyez un courrier électronique à c ontact @kdpresse.c om Un site des NMPP indique également où trouver Politis : w w w.t ro uverlapresse.c om conditions, le contre-discours de Ségolène Royal, prononcé à Dakar le 6 avril, m’a mis du baume au cœur : il est tellement vrai que les « paroles humiliantes » de Nicolas Sarkozy n’auraient jamais dû être prononcées et qu’« elles n’engagent ni la France ni les Français » ! En tenant ce discours, M. Lefebvre, Ségolène Royal a rehaussé l’image de la France et non le contraire, comme vous le prétendez. Sur ce sujet, elle a eu 100 % raison. En revanche, concernant l’« affaire Zapatero », elle a eu tort de continuer sur le chemin des excuses. Certes, les formules à l’emportepièce mises dans la bouche de Sarkozy ne sont malheureusement que trop crédibles, mais contrairement à son discours de Dakar, officiel, il ne s’agit que d’ondit ne recueillant pas un consensus absolu. Et puis, s’il lui faut réagir par des excuses chaque fois que Nicolas Sarkozy nous « met la honte », elle n’a pas fini ! Jean-Jacques Corrio, Les PennesMirabeau (Bouches-du-Rhône) l’Association d’animation populaire du quartier Petit-Marseille organise une journée festive intitulée «Gens du voyage, gens d'ici: de ci, de là, partout chez soi», au cœur de la vie et de la culture des voyageurs à travers différentes manifestations artistiques. 05 46 87 07 00, [email protected] Nîmes (30) : le 5 mai, à 19 h, rencontre/débat sur le thème «Après l'unité dans la rue, quelles conditions pour un rassemblement dans les urnes en région LanguedocRoussillon? » Avec Clémentine Autain, Christophe Cavard et de nombreux militants de la gauche de gauche. Brasserie La Grande Bourse (face aux Arènes), [email protected] Cournon-d'Auvergne (63) : du 7 au 10 mai, l'Université populaire et citoyenne du Puy-de-Dôme, en partenariat avec Paroles de Bibs, organise son 3e Festival du film engagé. http://upc63.ouvaton.org Paris : du 7 au 17 mai, le Festival des résistances et alternatives de Paris (Frap) organisede nombreuses manifestationsdans Paris. Les événements d’Athènes, la crise, les quartiers et l'école, l'Europe-forteresse, etc. 37, rue Pajol. http://frap.samizdat.net Un bon outil Merci pour la qualité toujours renouvelée de votre journal. Je réponds à la campagne d’abonnement que vous faites actuellement. Je me disais que j’aimerais bien diffuser un peu plus autour de moi l’existence et le plaisir de lire Politis, car il reste des gens qui ne savent pas ce qu’ils ratent (par méfiance des médias d’opinion le plus souvent). Et comme je reçois parfois (grâce à mon abonnement chez vous et au partage des fichiers abonnés, ce que je n’approuve pas, cela dit) des extraits du Monde ou du Diplo, du genre 6 pages qui donnent envie de découvrir, je me demandais si un tel outil serait intéressant à avoir pour l’envoyer aux copains. Pas au format papier, pour les raisons que vous savez, mais au format PDF ou autre, à envoyer par courriel. Voilà, je sais que c’est du boulot, mais je pense que ça en vaut le coup. Mathieu Vallet Erratum L’auteur de la lettre intitulée « Consommation et pauvreté », publiée dans le courrier du n° 1049 de Politis, est Pascal Pavie, et non Pascal Paysan. Avec nos excuses. Avignon (84) : les 9 et 10 mai, l’Association vauclusienne d'éducation aux énergies non-polluantes, indépendantes et renouvelables organise la Fête écologique NaturAvignon, en partenariat avec Politis. Le thème: « Une seule terre: tous responsables! » http://avenir84.org/ Paris XIXe : le 9 mai, de 14 h à 19 h, l’Association de culture berbère, avec le soutien du Cercle FrantzFanon de Paris, organise un colloque sur le thème: « Frantz Fanon, une présence toujours en acte». Rés. : 01 43 58 23 25, [email protected]. Salle de la CFDT, 2, boulevard de la Villette. Marseille (13) : le 26 mai, à 18h30, l’association Approches, culture et territoires (ACT) organise une rencontre-débat sur le thème «École et discrimination, une frontière intérieure». www.approches.fr. Cité des Associations, 93, la Canebière. www. p oli tis. fr Consulter l’agenda militant mis à jour régulièrement 30 avril 2 0 0 9 I POLITIS I 33 BLOC-NOTES FIÈVRES rippes On guettait l’aviaire, c’est la porcine qui déboule. À vos masques ! Dans la guerre permanente que l’homme est contraint de mener contre la maladie, la victoire n’est jamais acquise, les virus mutent et le mal court. Vite. La modernité est nomade et, pour être mexicaine de naissance, une grippe a tôt fait de devenir citoyenne du monde. Un frisson, toujours, vous court l’échine à l’évocation de la fameuse grippe espagnole (qui n’avait du reste d’espagnole que le nom, elle aurait plutôt été chinoise, à ce qu’on dit), cette mère de toutes les grippes, qui fit – quand même ! – quelque trente millions de morts (le double, selon certaines sources, voire jusqu’à cent millions, et au moins 400 000 en France en quelques semaines) en 1918-1919 : plus que la Grande Guerre, qui venait juste de fermer boutique, pas vraiment de quoi rigoler ! On comprend que le corps médical mobilise sec et que les médias tambourinent. D’autant que, transmissible d’homme à homme (et à femme, hein, faut pas croire, même si nous autres mâles abritons des cochons qui sommeillent), le virus atteint en priorité les jeunes adultes de 35 à 50 ans. Heureusement, à en croire notre sémillante ministre de la Santé, notre pays est moins exposé que les autres, s’étant bien mieux préparé. Comme d’hab’, on est les meilleurs. C’est drôle, les déclarations de Dame Roselyne m’ont fait penser à celles de cet éminent professeur, dont j’ai oublié le nom, après la catastrophe de Tchernobyl (1). G arapheurs Grave ou pas, on verra bien, cette pandémie en gestation offre en tout cas une utile diversion à la grippe sociale (aussi appelée « grippe des patrons ») qui se répand en France et file les jetons aux profiteurs de tout poil. Car si les salariés n’en finissent pas de trinquer en subissant la crise de plein fouet, banquiers, patrons et cadres de haut vol n’en finissent pas de s’en mettre plein les fouilles : pas de jour sans une fermeture de boîte, l’annonce d’un chômage technique, une compression de personnel, avec ces dizaines ou centaines de gus laissés sur le carreau ; avec chaque jour en écho la découverte d’un nouveau scandale bancaire, d’une pluie de stock-options, de l’ouverture d’un nouveau P 34 I POLITIS I 30 avr il 2 0 0 9 parachute en or ou d’une sympathique retraite-chapeau et, maintenant – nouvelle gâterie, ou si c’est qu’on ne la découvre que sur le tard ? –, le golden hello, pour souhaiter la bienvenue à un nouvel arrivant dans la boîte (en haut de l’échelle, bien sûr). Alors, forcément, les salariés sont pas bien contents. Et quand ils sont (un peu) colère, même qu’ils le font (un peu) savoir à leurs singes en les retenant parfois (un peu) plus longtemps au bureau que ne le nécessite l’ampleur de leur tâche de singes – soit le volume du courrier à signer dans le parapheur (rouge), qui est le signe distinctif du patron, comme la combinaison (bleue) est celui de l’ouvrier, et le col (blanc) celui de l’employé aux écritures. Et le patron retenu (séquestré, si vous y tenez), qui va rater son parcours de golf ou la soirée mondaine de son épouse, après un mouvement de colère froide, connaît un grand moment de solitude, voire une grosse suée de frousse mouillée. « Mais Firmin, jusqu’où vont-ils aller, ces cons-là, manipulés par les trotskistes, comme je l’ai lu ce matin dans Le Figaro ? » eoffroy Pas plus loin, rassurezvous. Enfin, jusqu’à maintenant. Car, comme la grippe, la colère sociale est contagieuse, et personne ne sait – même pas un agitateur trotskiste ! – jusqu’où ça peut mener. Pas vrai Geoffroy ? Car (je n’invente rien), il s’appelle Geoffroy. Geoffroy Roux de Bézieux – et, avec un blaze commack, si ce n’est pas de la vieille noblesse remontant aux Croisades, ça, c’est drôlement bien imité ! – est ce jeune (47 ans) patron dynamique qu’on n’arrête pas de voir sur les plateaux de télé dans les émissions dites « de débat », genre chez M’ame Chabot, voyez ? Mais si : un physique à la Madelin, à peine moins cabossé ; il adore débattre avec nos trois Pieds Nickelés syndicaux – le Ribouldingue de la CFDT, le Croquignol de la CGT et le Filochard de FO –, et même, G pasque c’est un gars qui en a, le Geoffroy, et des burnées (comme dirait Tapie, qui est sans doute un pote à lui), avec notre copain le facteur, qui n’a pas non plus la langue dans sa sacoche… Bon, vous situez ? Eh bien, même Geoffroy Roux de Bézieux (GRB, quoi, je suis sûr qu’il adore qu’on l’appelle comme ça, par ses initiales…), patron de l’Unedic, commence à avoir le trouillomètre à zéro : « Rien n’excuse jamais la violence, at-il déclaré sur RTL. On commence par des séquestrations, et puis ça finit… On tire sur Georges Besse. » Cette référence à Action directe, dont les deux principaux acteurs n’en finissent pas de payer en prison l’assassinat du patron de Renault, en 1986, sera, n’en doutons pas, reprise et exploitée par un pouvoir politique paranoïaque qui, faute de pouvoir y répondre, ne cesse de chercher de nouveaux moyens de museler le mouvement social. renelle Pour une fois, Bernard Thibault a eu la bonne réaction : propos « inacceptables », a jugé le « patron » de la CGT. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que les leaders syndicaux ne font pas grand-chose pour encourager leurs troupes à s’engager dans des combats musclés… [J’en profite pour répondre (2) à ce lecteur, ancien militant du Snes, qui m’écrit : « Vous évoquez aussi “l’éternel problème des groupes radicaux minoritaires” (en bref : comment promouvoir les actions massives capables de créer un rapport de forces favorable), sans vraiment vous prononcer, ce qui se comprend, sur un sujet qui incombe au mouvement syndical. Mais alors pourquoi glisser une incidente sur “la revendication gentillette et bien polie (chère au Schtroumpf jaune et consorts)”. On devine l’identité du “Schtroumpf jaune”. Mais celle des “consorts” ? Est-ce pour vous l’ensemble des dirigeants syndicaux […] ? » La réponse est non. Je ne mets pas tout le mouvement syndical, de la base au sommet et toutes orgas confondues, dans le même sac à com(pro)missions. Mais je constate que la troïka gouvernante, qui donne le la, est davantage préoccupée par le souci d’encadrer, de contenir, voire de désarmer la colère de la base que par celui de l’encourager à se faire entendre haut et fort – c’est-à-dire autrement que dans un défilé rituel tous les mois et demi. Me trompé-je ?] Or je crois que les défilés, même unitaires, même réussis, comme les derniers et comme G Les défilés ne suffisent pas à arracher les concessions nécessaires au camp des exploiteurs. PAR BERNARD LANGLOIS (on l’espère) celui de ce vendredi 1er mai, ne suffisent pas à arracher les concessions nécessaires au camp des exploiteurs. Seuls des mouvements durs – grève illimitée, occupation des entreprises, séquestrations de patrons, etc. – peuvent obliger, sous l’effet de la trouille, le patronat à reculer et le politique à légiférer. Après tout, même si ma génération a été frustrée en 68 de n’avoir pas abouti à un renversement du pouvoir (voire à un changement de société, de civilisation pour les plus exigeants d’entre nous), le monde du travail y a tout de même gagné des avantages non négligeables arrachés lors des négociations de Grenelle (3). Il me semble que tel devrait être le boulot des centrales syndicales : aider à organiser dans les entreprises de vraies batailles, dans le cadre d’une lutte des classes qui n’a rien d’obsolète, et sans se tromper de camp ; susciter la solidarité (y compris financière) de tous ceux qui le peuvent et ne sont pas directement exposés envers ceux qui se battent en première ligne. thèse du « double génocide » (celle de Péan, entre autres), on n’est pas prêt à donner au vainqueur tutsi le Bon Dieu sans confession (après tout, le sort des Hutus au Burundi sous le règne des Tutsis n’était guère enviable non plus…), il faut lire (ou relire) ces Complices de l’inavouable (5), ne serait-ce que pour se forger une opinion. Ça ne peut vous laisser de marbre. -B. L. (1) Le nuage radioactif s’était arrêté aux frontières, affirmait-il. Tchernobyl, dont on vient de commémorer le 23e anniversaire. En France, à l’initiative du réseau Sortir du nucléaire, qui recommande de visionner « absolument » le film le Sacrifice : http://www.chernobyl-day.org/spip.php?article212 (2) Au fait, ne m’en veuillez pas trop de ne pas toujours répondre à vos lettres ou même à vos messages électroniques : pas le temps d’engager un dialogue avec chaque lecteur individuellement, j’espère que vous le comprendrez. Mais soyez sûrs que je vous lis ! Je constate du reste que semble se développer une campagne contre notre journal, alimentée par certains militants du tout beau tout neuf NPA. Politis serait un peu trop critique à l’égard du parti d’Olivier Besancenot (et un peu trop complaisant envers celui de Mélenchon). Et si c’était vrai, serait-ce une raison de nous boycotter ? Vous pensez vraiment qu’on est trop nombreux, dans la presse, à nous engager dans le camp des dominés contre les dominants ? (3) Ce Grenelle, qui fut critiqué à l’époque (y compris par beaucoup de travailleurs) comme un enterrement prématuré de la lutte (et il l’était sans doute), a aujourd’hui l’allure d’une grande victoire, tant nous avons depuis régressé sur le plan social et… progressé dans l’aliénation et la restriction des libertés ! Grenelle, utilisé maintenant à toutes les sauces : à quand un Grenelle des choux farcis ? (4) Patrick de Saint-Exupéry est aujourd’hui rédacteur en chef de l’excellente revue XXL. (5) Aux éditions Les Arènes, 316 p., 19,80 euros. ’inavouable Ma suggestion de lecture de la semaine ne porte guère à l’allégresse. Il s’agit en fait, quinze ans après le génocide au Rwanda (avril 1994), d’une réédition, avec une préface nouvelle, d’une terrible enquête d’un ancien grand reporter du Figaro (4), non tant sur les massacres eux-mêmes – 800 000 tués, tutsis pour la plupart, par les milices du pouvoir hutu – que sur l’implication du pouvoir politique et des forces spéciales françaises dans la préparation de l’opération (secrète), l’entraînement des troupes et milices, l’assistance au et le soutien sans faille du gouvernement génocidaire, et l’exfiltration [email protected] des principaux responsables après la victoire du FPR de Kagamé. Nous vous avions signalé la sortie de ce livre lors de sa première parution, en 2004. C’est un réquisitoire accablant pour tous ceux, de gauche comme de droite, dont le nom figure en couverture : tous complices, à des degrés divers et – c’est la thèse de l’auteur – sujets à ce syndrome qui relève du passé colonial français, qui décidément ne passe pas, ce que SaintExupéry appelle « la mémoire jaune » de la France – du moins de ses dirigeants. L POLITIS Politis, 2, impasse Delaunay 75011 Paris Tél. : 01 55 25 86 86 Fax : 01 43 48 04 00 www.politis.fr [email protected] Fondateur : Bernard Langlois. Politis est édité par Politis, société par actions simplifiée au capital de 941 000 euros. Actionnaires : Association Pour Politis, Christophe Kantcheff, Denis Sieffert, Pascal Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis Gueydon de Dives, Valentin Lacambre. Président, directeur de la publication : Denis Sieffert. Directeur de la rédaction : Denis Sieffert. 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