Bretagne - Albert Kahn

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Bretagne - Albert Kahn
Bretagne
voyageren couleurs
AUTOCHROMES 1907-1929
La sardine, de la mer à la boîte
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La pêche à la sardine est une pêche côtière qui existe depuis le XVe siècle en Bretagne. Encore artisanale au début
du XIXe siècle, elle se transforme en une véritable industrie à partir de 1850, surtout sur les côtes du Finistère et du
Morbihan. La sardine est un poisson qui vit en pleine mer, plutôt en surface et se déplace en bancs compacts.
Elle disparaît au début du XXe siècle, provoquant une crise économique et sociale.
La pêche
La pêche à la sardine est une pêche saisonnière qui suit le mouvement des bancs portés par le Gulf Stream. La
saison débute au printemps, à Saint-Jean-de-Luz, se poursuit le long des côtes atlantiques et se termine dans la
Manche à l’automne. Jusqu’au début du XXe siècle, la pêche à la sardine est pratiquée sur des chaloupes à voiles
d’environ 10 m de long qui tirent des filets immergés verticalement. Pour
attirer le poisson, chaque chaloupe possède son canot de pêche qui
embarque quatre hommes. Deux d’entre eux propulsent l’embarcation en
ramant, un autre jette l’appât et le quatrième sert d’aide. L’appât est
constitué d'œufs de poissons salés, nommé « rogue ». Les plus prisés sont ceux
de morue venant de Bergen en Norvège. Les sardines appâtées se prennent
dans les mailles du filet. Une fois celui-ci halé sur le pont, elles sont
démaillées et prêtes à être débarquées.
En 1920, environ 3 700 embarcations venant de la côte sud de la
Bretagne partent pêcher la sardine. L’inscription maritime (créée à la fin du
XVIIe siècle) recense les gens et les bâtiments de mer français par leur port
d’attache, appelé « quartier maritime ». Les chaloupes sardinières portent
ainsi les initiales de leur quartier maritime (ex : « CC. » correspond au port de
Concarneau et « DO. A. » celui de Douarnenez). Vers 1920, les chaloupes à
Pêcheurs de Douarnenez, vers 1911
Autochrome 12x9, Jules Gervais Courtellemont,
voiles disparaissent progressivement pour faire place à de gros canots à
Inv. A 734, Cinémathèque Robert-Lynen,
moteur qui peuvent également servir à la pêche au thon.
Mairie de Paris
Les filets
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les filets sont en chanvre ou en lin, tressés à la main et traités avec une décoction
d’écorce de chêne ou de bouleau pour les protéger de l’eau de mer, leur donnant une couleur brune.
Avec la révolution industrielle, les filets de coton usinés, plus solides, plus
légers et moins chers, remplacent les anciens filets réalisés sur place. Vers
1880, les sardiniers adoptent un nouveau traitement des filets à base de
sulfate de cuivre, déjà utilisé par les pêcheurs de hareng et qui leur donne
une couleur bleue.
Le départ pour la pêche, M. Masson fils avec son équipe de marins pêcheurs,
Roscoff, Finistère, 6 avril 1920
Autochrome, 9x12, Georges Chevalier, Inv. A 20840, Archives de la Planète
© Musée Albert-Kahn – Département des Hauts-de-Seine
La vente de la pêche
La sardine fraîche est d’abord vendue à l’unité ou « au mille » pour les petits poissons. Chaque conserverie possède
une baraque en bois sur le port où est comptée et vendue la marchandise. La moitié de la somme récoltée est réservée
à l’entretien du navire et l’achat du « rogue », le reste de la somme étant réparti entre l’équipage, une part pour chaque
pêcheurs, une demi-part pour le mousse et une part et demie pour le patron pêcheur. À partir de 1930, la vente à
l’unité est progressivement remplacée par la vente au poids.
La conservation du poisson
Au XVIIe siècle, la sardine fraîche salée et pressée se conserve quatre mois. Un siècle plus tard, elle est mise en
saumure dans de grands barils (des « manestrans ») pendant une quinzaine de jours avant d’être pressée, améliorant
ainsi sa conservation jusqu’à huit mois.
L’invention et la fabrication de la « boîte de conserve » au XIXe siècle fait de la sardine un produit industriel.
L’appertisation ou comment mettre en boîte
Le principe de la boîte de conserve actuelle a été inventé en 1802 par le confiseur Nicolas Appert
(1749-1841). Il consiste à stériliser les aliments par la chaleur (au-dessus de 100°C) dans des
récipients clos hermétiquement, ce qui permet de les conserver sans ajouter des conservateurs.
Cette méthode est aussi appelée « appertisation », du nom de son inventeur qui la réalise
d’abord avec des bouteilles en verre. En 1810, Appert publie Le livre de tous les ménages ou l’art
de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales ou végétales. L’utilisation
de boîtes en fer blanc soudées après remplissage est due aux britanniques qui ont accès à un
minerais bon marché et qui peuvent les fabriquer en série, mais elles sont difficiles à ouvrir
jusqu’à l’invention de l’ouvre-boîte au milieu du XIXe siècle. Les systèmes d’ouverture « facile »,
avec une clé, une languette, un anneau ou une bande sont inventés vers 1970.
La mise en boîte
Les premières usines de conditionnement de sardines apparaissent
en Bretagne dans les années 1850. À la fin de ce siècle, les anciennes
presses à sardines ont entièrement disparu, en faveur d’une trentaine de
conserveries à Concarneau, d’une cinquantaine à Douarnenez et
d’autres disséminées le long de la côte sud. Ces usines sont
familièrement appelées « friteries ». En effet, après un rapide saumurage,
les sardines sont éviscérées et étêtées à la main. Ainsi préparées, elles
sont disposées sur des grilles avant d’être plongées dans une grande
friture pendant quelques minutes. Égouttées et séchées, elles sont enfin
prêtes à être emboîtées. Les queues et les têtes sont coupées pour être
égalisées. Elles sont ensuite rangées « au blanc » pour que leur ventre
soit sur le dessus ou « au bleu » pour que leur dos soit visible la boîte
ouverte. L’huile et les épices sont ensuite ajoutées avant que le soudeur
ne referme la boîte. Les boîtes ainsi remplies sont alors chauffées à la
vapeur en autoclave pour les stériliser. L’ensemble de ce travail
saisonnier (mis à part la soudure des boîtes) est réalisé à l’usine par des
femmes qui viennent de toute la région. Mêmes les brodeuses viennent
chercher à la friterie un complément de revenus.
Concarneau, vers 1911
Autochrome 9x12, Jules Gervais-Courtellemont,
Inv. A 708, Cinémathèque Robert-Lynen, Mairie de Paris.
Les crises de la sardine
Les grands courants maritimes comme le Gulf Stream dépendent de multiples facteurs (rotation de la terre,
différences de salinité et de températures, changements climatiques...) dont les variations se répercutent sur la
faune. La sardine suit ces fluctuations qui l’empêchent à certaines périodes d’atteindre les côtes françaises et
bretonnes. De 1880 à 1887, de 1902 à 1908 et de 1911 à 1914, l’économie bretonne subit les crises de la sardine. Les
équipages restent au port et les conserveries ferment. Le numéro du 5 octobre 1902 de l’Illustration s’en fait l’écho
avec un article intitulé Concarneau, la jolie ville malheureuse où l’auteur prédit une « grande misère sur les côtes
bretonnes ». En 1906, La vie illustrée publie un article avec pour titre La misère
en Bretagne : « Des familles de pêcheurs, éprouvées par la raréfaction de la
sardine, ne gagnent plus leur pain quotidien «. Au XXe siècle, la pêche intensive
à la sardine ne survit pas aux crises traversées et disparaît de Bretagne. Dès le
début du siècle, les pêcheurs commencent à se reconvertir dans d’autres pêches,
comme celle du thon. Les thoniers se multiplient à Concarneau et à
Douarnenez, les deux principales villes sardinières bretonnes.
À partir de 1920, une double crise touche l’économie côtière, la disparition
de la sardine et la concurrence des conserveries espagnoles. La pêche reste
Un coin à part, le départ pour la pêche,
néanmoins encore en 1932 la principale ressource économique de la région. En
Roscoff, Finistère,
1927, Lorient inaugure un port moderne avec une criée et des entrepôts
4 avril 1920
Autochrome 9x12, Georges Chevalier,
frigorifiques à Kéroman et à partir des années 1930, les chalutiers à moteur
Inv. A 20832, Archives de la Planète
remplacent les anciennes embarcations de pêche.
© Musée Albert-Kahn
Département des Hauts-de-Seine.