Les bases de l`entraînement cérébral
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Les bases de l`entraînement cérébral
Les bases de l'entraînement cérébral RAPPORT SCIENTIFIQUE I° Acteurs majeurs de la controverse : Professeur Ryuta Kawashima : Neuroscientifique japonais, il a développé plusieurs jeux d’entraînement cérébral (des tests de mémoire, des jeux de calcul ou de décompte rapide, des jeux utilisant l’effet Stroop…) réunis dans le célèbre jeu Nintendo « Programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima : Quel âge a votre cerveau ?», sorti en 2005 sur Nintendo DS. Alain Lieury : A. Lieury est professeur en psychologie cognitive à l’université de Rennes II. A l’origine passionné par la biologie, il montera plus tard de nombreux projets dans le cadre de la psychologie cognitive, aidé par la proximité de son laboratoire avec France Télécom. Dans les années 1990, il sera régulièrement invité sur des plateaux de télévisions pour ses travaux sur la mémoire à cause de la médiatisation de la maladie d’Alzheimer. Il a aussi beaucoup travaillé, à partir des années 80, sur l’apprentissage scolaire. Sonia Lorant-Royer : maître de conférences en psychologie cognitive à l'IUFM d'Alsace. Elle a publié des articles concernant la controverse étudiée en collaboration avec A. Lieury. Michael M. Merzenich : M. Merzenich est un neuroscientifique, professeur à l’université de Californie, à San Fransisco. Son champ de contribution dans le domaine neurologique est vaste, avec notamment un travail sur la carte du cortex établie par certain de ses prédécesseurs. En 1999, il a été honoré par la National Academy of Sciences pour ses recherches sur la plasticité du cerveau, qui infirment la thèse prétendant que les capacités du cerveau déclinent à partir de 16 ans. Il a publié plus de deux cents articles. Shlomo Breznitz : Breznitz est un auteur israélien, professeur de psychologie, recteur et président de l’université de Haifa. Il est aussi le président et fondateur de l’entreprise Cognifit qui conçoit des logiciels de Brain fitness. Jocelyne de Rotrou : neuropsychologue et spécialiste de la stimulation cognitive, à l'hôpital Broca (Paris) II° Autres acteurs identifiés : -Ont contribué aux études menées par le docteur Kawashima : Rui Nouchi, Yasuyuki Taki, Hikaru Takeuchi, Hiroshi Hashizume, Yuko Akitsuki, Yayoi Shigemune, Atsushi Sekiguchi, Yuka Kotozaki, Takashi Tsukiura et Yukihito Yomogida -Ont mené une étude sur plusieurs milliers de personnes pour évaluer l’efficacité des jeux d’entraînement cérébral : Adrian M. Owen, Adam Hampshire, Jessica A. Grahn, Robert Stenton, Said Dajani, Alistair S. Burns, Robert J. Howard et Clive G. Ballard -On mené une étude sur les effets positifs à court terme des jeux vidéos : Kenji Nihei, Hitoshi Yamagata, Hirofumi Tashiro, Tadashi Yamazaki Sato et Takashi III° Les enjeux de l’émergence des jeux d’entraînement cérébral Les différents articles journalistiques publiés sur le sujet sont unanimes : les neurologiciels, c’est à dire les logiciels proposant des exercices, ludiques ou non, visant à développer nos capacités cognitives, sont un secteur en pleine expansion (un chiffre d’affaire estimé à 70 millions d’euros, en progression de 7.5% par rapport à l’année précédente, comme l’indique cet article (Sussan, 2007)). Pourquoi un tel engouement ? Le blog de M. Merzenich et les propos de J. de Rotrou recueillis par Le Monde (voir bibliographie) permettent d’identifier deux causes principales : -La plasticité du cerveau. Jusqu’à une période récente, il était couramment admis que le cerveau se développait jusqu’à l’âge de 16 ans ; à partir de cette date, les neurones n’étaient plus renouvelés et le nombre de neurones décroissait continuellement. Les recherches de Michael M. Merzenich ont contribué à infirmer cette croyance en mettant en évidence la remarquable plasticité du cerveau : même âgé de 50 ans, un humain peut tout à fait développer sa mémoire, améliorer ses capacités de calcul ou sa réactivité si son cerveau est suffisamment entraîné. En d’autres termes, la perte des capacités n’est plus une fatalité, mais la conséquence d’un manque d’entraînement : lorsqu’une activité intellectuelle est pratiquée régulièrement, le cerveau est capable de se reconfigurer, ce qui correspond à une modification des connexions entre les neurones et de la transmission des influx nerveux (la plasticité du cerveau intervient à de très nombreux niveaux, du niveau moléculaire au neurone lui-même). Le cerveau est donc un système dynamique, et il est susceptible de recouvrer certaines capacités (mémoire, réflexes…). S’ils ignorent pour la plupart les mécanismes liés à la plasticité du cerveau, les utilisateurs ont néanmoins bien compris que les capacités cognitives qu’ils ont perdu peuvent, dans une certaine mesure au moins, être réacquises. Conséquemment, ils sont de plus en plus attirés par des logiciels susceptibles de leur fournir l’entraînement adapté. -L’échec relatif de l’industrie pharmaceutique. Beaucoup de chercheurs le clament : la pilule miracle qui booste l’intelligence n’existe pas. Les pilules vendues promettant aux étudiants la réussite aux examens étaient au mieux des compléments alimentaires ou des substances agissant sur la fatigue – et au pire, néfastes pour la santé. En effet, si certains médicaments utilisés pour le traitement des maladies du cerveau (modafinil, donepzil…) semblent accroître les performances cognitives des individus sains qui en consomment, leurs effets ne sont pas à prendre à la légère : il s’agit de drogues, provoquant à terme une accoutumance, et qui peut aisément pousser à la consommation d’antidépresseurs, celui qui en consomme devenant très rapidement « sur les nerfs » à cause de l’effet stimulant de la substance. Plus encore, non seulement leurs effets à long termes sont mal connus, mais il n’y a de plus pas de certitudes sur l’effet réel de ces substances sur le cerveau. Si l’on en croit cet article (Duperrin, Haberfeld, mars 2009), les logiciels d’entraînement cérébral viennent à contrepieds de la déception des utilisateurs, qui ressentent le besoin de croire en l’amélioration de leurs performances cognitives : ils promettent ce que promettaient certains médicaments et plus encore, en s’appuyant sur des données scientifiques – expériences et recherches en psychologie cognitive. On assiste donc à une lutte entre deux camps, bien que, si l’on en croît Le Parisien, certains (Râpée, 2012) tentent encore de concilier les deux domaines : le premier promettant un effet immédiat et sans efforts à fournir, avec les risques décrits ci-dessus liés à la consommation d’une telle substance et les inconnus qui demeurent, le second propose une méthode saine, moins « miraculeuse », mais en laquelle les consommateurs auront plus aisément tendance à faire confiance et qui, contrairement au précédent, prétend avoir un effet qui ne disparaît pas en quelques heures. C’est donc un domaine neuf qui se développe, susceptible d’attirer les consommateurs, friands de jeunesse cérébrale. De cette récente naissance du domaine sont issues les premières controverses : les industriels s’investissent dans ce domaine à grand renfort de publicité pour ne pas être pris de vitesse par leurs concurrents, tirant parti de la croyance des consommateurs dans les mérites de l’entraînement cérébral, croyance ne s’appuyant pas, ou pas encore, sur de véritables résultats scientifiques. En analysant les positions des scientifiques concernant les effets des jeux d’entraînement cérébral, on discerne quatre définitions distinctes à partir desquels les chercheurs définissent leurs opinions : -Le niveau ludique : des jeux tels celui du docteur Kawashima seraient avant tout des distractions visant à produire un amusement. L’exercice intellectuel a un côté stimulant, ici entendu au sens d’excitant et de motivant, et procure un réel plaisir, comme l’illustrent certaines études, et serait à l’origine du succès de ces jeux peu représentés jusqu’à une époque récente. -L’entraînement spécifique : plusieurs études mettent en avant une efficacité réelle des jeux d’entraînement cérébral dans la maîtrise des activités directement pratiquées, et seulement pour ces pratiques là. Par exemple, un jeu faisant pratiquer le calcul mental fera progresser les utilisateurs en calcul mental mais n’aura pas d’effets notables sur ses capacités cognitives de façon plus générale. -L’entraînement général : c’est la position de la plupart des concepteurs de jeux d’entraînement cérébral ; elle consiste à affirmer qu’en pratiquant un certain nombre d’exercices spécifiques, étudiés et choisis de façon à être pertinent, le cerveau s’entraîne et se maintient en forme de la même façon qu’un exercice musculaire général, comme par exemple la natation, peut maintenir en forme l’ensemble du corps. Cette croyance est très intuitive pour l’homme, mais elle est remise en question par des chercheurs qui pointent la complexité du cerveau, bien plus grande que celle des « autres muscles » du corps humain, et les intérêts des industriels et des scientifiques qui soutiennent cette théorie. Néanmoins, elle correspond aux attentes des consommateurs, qui recherchent une amélioration « généralisée », aussi vague que soit ce terme, de leurs capacités cognitives. C’est donc à l’interface entre ce domaine et le précédent que se situe une bonne partie de la controverse : la perception que les consommateurs ont d’une amélioration « spécifique » ou « généralisée » étant floue, les études peuvent jouer sur cette méconnaissance en adaptant leur méthodologie pour mesurer un effet choisi – et les chercheurs peuvent s’accuser mutuellement de l’usage de ce genre de biais. -Le soin : plusieurs travaux et études récentes tendent à montrer que l’usage de logiciels d’entraînement cérébral pourrait faire bien plus que de simplement maintenir le cerveau « en forme » : lesdits logiciels permettraient en effet de soigner certaines affections d’origine cérébrale caractérisées par un déclin des capacités cognitives ou par une gêne forte de la capacité de concentration. Les études se focalisent essentiellement sur la maladie d’Alzheimer, très « à la mode » dans les médias, mais pour laquelle il est difficile d’affirmer l’existence de résultats persuasifs ; cependant, d’autres études peuvent sembler plus prometteuses concernant des affections moins graves – on peut notamment citer le cas des acouphènes. Lorsqu’une étude scientifique tente d’évaluer les effets d’un logiciel d’entraînement cérébral, elle se positionne implicitement dans l’un des quatre domaines sus cité de par la méthodologie qu’elle utilise. Si, par exemple, on réalise une étude évaluant l’évolution des performances en mathématiques d’élèves sains de primaires ayant pratiqué le calcul mental grâce à un jeu d’entraînement cérébral, on se positionne dans le second domaine, car on évalue les capacités cognitives dans un cadre spécifique correspondant à l’entraînement subi. IV° Caractéristiques et positions des acteurs de la controverse Accusé par certains d’être un charlatan, le docteur Kawashima reste un scientifique reconnu ; il est expert en imagerie cérébrale et en neurophysiologie et travaille à l’établissement d’une cartographie du cerveau en aires cérébrales. Il applique ses recherches fondamentales à des domaines cliniques, comme les capacités d’apprentissage des enfants ou le ralentissement des effets du vieillissement ; fort de cette expérience, il a publié en 2003 Train Your Brain : 60 Days to a Better Brain, livre divisé en deux partie, la première partie consacrée à des tests de calcul, de décompte et de mémorisation ; dans la seconde partie, des graphes sont fournis, pour permettre un évaluation de l’évolution des performances cognitives. Le livre a connu un grand succès au Japon et est à l’origine de l’adaptation qu’en a faite Nintendo sur console, le jeu sur DS proposant le même genre de tests (notamment, le test utilisant l’effet Stroop est directement repris du livre) mais utilisant le support du logiciel pour faciliter l’utilisation et accélérer l’évaluation des performances. Les ventes de ses jeux d’entraînement cérébral sont colossales : 2.5 millions d’exemplaires se sont écoulés à travers le monde. Il est reconnu que la formule « rajeunissez votre cerveau » est l’une des causes majeures de son succès : les utilisateurs sont très attirés par l’idée d’un cerveau plus jeune. Néanmoins, il explique lui-même dans la description du jeu, de façon discrète si l’on en croit ses détracteurs, que la notion d’ « âge du cerveau » n’est absolument pas scientifique ; il est calculé par un algorithme tenu secret à partir de résultats à des tests choisis aléatoirement dans une base de données. Aujourd’hui, sa célébrité et son succès lui donnent tout intérêt à crédibiliser autant que possible par ses recherches scientifiques la thèse de l’âge du cerveau Il a récemment mené une étude approfondie (Kawashima, 2011) pour évaluer l’effet de son jeu sur différentes capacités cognitives d’élèves de 14 à 16 ans ayant pratiqué ledit jeu pour une durée de 4 semaines, 15 minutes par jour, 5 jours par semaine, en comparant les résultats à ceux d’enfants pratiquant le jeu Tetris à la même fréquence. Les résultats indiquent que le jeu d’entraînement cérébral aurait un effet sur deux des quatre capacités mesurées, la capacité de calcul et la vitesse de réflexion. L’intégralité des notes relatives à l’expérience est gratuitement accessible sur le site PlosOne, plateforme de diffusion d’articles scientifiques, ce qui met en relief le désir de visibilité du docteur Kawashima, qui écrit cet article à destination d’un public septique autant qu’à celle de la communauté scientifique. Principal « opposant » du docteur Kawashima, co-auteur avec S. Lorant-Royer d’un article repris par plusieurs journaux (Lorant-Royer, Lieury, 2009) (ou ici) intitulé «Kawashima vs “Super Mario”! Should a game be serious in order to stimulate cognitive aptitudes? » publié dans la Revue Européenne de Psychologie Appliquée, Alain Lieury affirme que le jeu développé par Kawashima n’a rien à apporter aux programmes d’entraînement cérébral n’utilisant que le support classique papier / crayon. Auteur de nombreux articles et de manuels sur la psychologie cognitive et spécialiste de la mémoire, il est lui-même passionné de nouvelles technologies et ses recherches récentes sont orientées sur les programmes d’entraînement cérébral. Il n’est donc pas opposé à l’utilisation de tels programmes pour le développement des capacités cognitives. Cependant, il combat fermement la non-scientificité des logiciels conçus par des industries voulant profiter de l’engouement des gens pour ce type de jeux : il a travaillé en effet pour une université (Rennes II) jusqu’en 2007 et ses intérêts vont plus à la reconnaissances de résultats issus d’un réel travail de recherche scientifique qu’à une médiatisation et à la vente de jeux conçus pour bercer d’illusions un public non averti. Lui-même n’est pas directement bénéficiaire de la vente de tels jeux qui ne peuvent que masquer le besoin réel de recherches dans le domaine de la psychologie cognitive – néanmoins, la notoriété de ce nouveau domaine est déterminante pour la vente de ses ouvrages. Il a de plus réalisé une étude approfondie du jeu du docteur Kawashima dans laquelle il affirme que contrairement à ce qui est indiqué dans la notice, les jeux ne sont pas choisis au hasard (l’un des jeux tombant tout le temps, l’autre très souvent) ; de plus, il critique fortement la différence de difficulté entre les différents jeux (certains sont très faciles, d’autres presque impossibles) : en tombant sur des jeux faciles, ont peut tout à fait obtenir un excellent résultat, tandis que le hasard voudra qu’à la partie suivante, notre cerveau « change radicalement d’âge », devenant beaucoup plus âgé parce que les exercices étaient plus difficiles. Dans ces conditions, l’évaluation de l’âge du cerveau, dont Lieury conteste de toute façon la scientificité, ne peut pas fournir un résultat cohérent. Les concepteurs du jeu ont tenté de gommer cette étrangeté en ne retenant que le meilleur score de la journée, ce qui, selon Lieury, enlève tout crédit au jeu. Michael M. Merzenich est l’un des pionniers de la recherche concernant la plasticité du cerveau. Ses résultats nombreux – il a contribué à 232 publications – sont donc à l’origine même des programmes d’entraînement cérébral : ces derniers ne peuvent se prétendre efficace qu’à partir du moment où le cerveau peut réellement être entraîné de façon spécifique. A la suite de ses nombreuses études, il apparait désormais comme scientifiquement assuré que le cerveau dispose d’une réelle capacité de re-spécialisation, certaines zones du cerveau étant exceptionnellement développées chez les praticiens d’une activité spécifique (par exemple, l’hippocampe postérieur des chauffeurs de taxi londoniens est surdéveloppé, témoignant de leur remarquable capacité de navigation spatiale). Parmi les scientifiques identifiés dans le cadre de cette controverse, il apparaît comme le plus grand spécialiste de la plasticité du cerveau. Depuis plusieurs années, il participe à la conception de logiciels d’entraînement cérébral, dans un but essentiellement médical. Sur son blog, il fait état d’une étude tendant à prouver un effet absolument radical de son logiciel Brain Fitness Program Training sur le traitement de personnes souffrant d’acouphènes très dérangeants (c'est-à-dire provoquant de forts troubles du sommeil et de la concentration et leur interdisant la pratique de nombreuses activités). Dans de plus anciennes publications, il fait l’éloge de son programme DriveSharp Training qui se veut être une aide à la concentration pendant la conduite. Il a donc tout intérêt, pour promouvoir les logiciels qu’il développe, à soutenir la thèse « pro-logiciels d’entraînement cérébral », mais plus encore, il défend une position extrêmement marquée en ce qui concerne la plasticité du cerveau : selon lui, la compréhension de cette dernière révèle qui nous sommes, pourquoi nous agissons ainsi, nos passions, nos goûts, nos tendances et notre devenir, ainsi que le point fondamental qui nous différencie des autres animaux. Shlomo Breznitz est l’auteur d’une dizaine de livres dont les thèmes principaux sont le stress et la psychologie. Depuis l’émergence de l’étude de la neuroplasticité du cerveau, c'est-à-dire la capacité de ce dernier à réarranger les connexions entre les neurones, Breznitz travaille à la conception de logiciels susceptibles d’influer sur l’agencement desdites connexions par un entraînement cérébral adapté. L’entraînement cérébral ouvrirait donc de nouvelles opportunités à toutes les catégories d’âges, et non aux seuls adolescents, contrairement à ce qui a longtemps été admis (ainsi qu’en témoigne l’adage « you can’t teach old dog new tricks »). Il défend aussi l’usage de l’ordinateur : ce dernier possède une capacité de calcul permettant d’accéder à des résultats plus précis et permet aussi de mesurer de nombreux facteurs que Breznitz affirme être significatifs : le temps de réaction et toutes les hésitations, par l’intermédiaire de la souris, par exemple. L’autre avantage est pour l’utilisateur d’obtenir un retour immédiat sur ses performances. Il affirme de plus que les études menées tendent à affirmer que l’usage de tels logiciels a un réel impact sur les capacités cognitives, à tel point qu’il estime qu’il sera bientôt établi que ces logiciels sont une composante à part entière du « fitness » en tant qu’outils destinés à « muscler le cerveau ». Il est à l’origine du programme CogniFit, programme d’entraînement cérébral qui, contrairement au logiciel du docteur Kawashima, affirme être une réelle méthode d’entraînement avant d’être un jeu. Son logiciel est le plus connu des programmes s’affirmant comme totalement scientifiques : il est donc tenu de défendre en tout point l’efficacité « scientifiquement prouvée » des différentes activités proposées sur son logiciel, non seulement dans l’absolu, mais aussi relativement aux nombreux exercices de stimulation intellectuels qui peuvent être trouvés gratuitement sur le net mais ne sont pas issus d’un réel programme de recherche scientifique. Spécialiste de la stimulation cognitive à l’hôpital Broca, Jocelyne de Rotrou combat le « charlatanisme » des logiciels d’entraînement cérébral. Elle n’est pas contre l’usage de nouvelles technologies et est aussi bénéficiaire de l’engouement de la population pour ces programmes, car elle a contribué à la conception d’un programme nommé « Memo Peps » sorti fin février et peut donc logiquement désirer la promotion des logiciels d’entraînement cérébral. Néanmoins, la scientificité de la notion d’ « âge du cerveau » est, affirme t’elle, une ineptie et une arnaque. Sa principale crainte est qu’étant convaincu de l’efficacité de tels logiciels pour maintenir leur cerveau dans un état optimal, les seniors n’en oublient que les meilleurs remèdes améliorant la concentration et la mémoire sont encore une hygiène de vie saine, une pratique régulière du sport, une bonne alimentation et du sommeil. Dans le cadre d’affections réelles des capacités cognitives, il pourrait se révéler dangereux de croire en l’efficacité thérapeutique de jeux tels celui du docteur Kawashima : il faut avant tout consulter un médecin généraliste qui pourra alors diriger ou non le patient vers une consultation mémoire pour un bilan plus approfondi. V° Comparaison des différentes études menées par les protagonistes (Repris directement du rapport du théoricien, comme demandé) Etude de R. Kawashima6 : elle est décrite sous forme d’article scientifique accessible en ligne. Elle a été menée au Japon en 2010, sur 28 individus âgés, répartis en deux groupes : un groupe de test qui jouera au jeu Brain Age, et un groupe témoin qui jouera à Tetris. En tant qu’étude réalisée pour l’université de Tohoku avec nombre de chercheurs, elle fait preuve d’une très grande rigueur dans la présentation et analyse des protocoles et résultats. Les individus concernés sont tous droitiers, ont le Japonais comme langue maternelle, ne se sont jamais plains de troubles de la mémoire, ne souffrent pas de maladies neurologiques et ne prennent aucun médicament ayant un effet neurologique. Les groupes sont formés pour avoir des moyenne et écart-type d’âge très proches. Les deux groupes vont ensuite jouer à leur jeu par sessions de 15 minutes, cinq sessions par semaines, durant quatre semaines. Avant et après l’expérience sont réalisées des mesures de performance, via des tests reconnus et décrits précisément, selon quatre catégories : statut cognitif global, fonctions exécutives, attention et rapidité ; chacune de ces caractéristiques étant mesurées par deux tests différents. L’étude conclut, après analyse rigoureuse des résultats, à une corrélation entre utilisation du jeu Brain Age et amélioration des performances de fonctions exécutives et de rapidité, en ajoutant deux nuances : la mémoire n’a pas été prise en compte, et la transférabilité de ces performances hors des exercices type test n’a pas été évaluée. Etude d’A. Lieury8 : réalisée en 2008 pour le laboratoire de psychologie de l’université Rennes-2 avec deux autres chercheurs, ses résultats sont toutefois publiés dans la presse, à l’occasion des nombreuses interventions d’A. Lieury, ainsi que dans son livre Doper son cerveau : réalité ou intox ? à vocation de vulgarisation plus que scientifique. Quatre groupes d’élèves de CMI vont suivre un « entraînement » (non détaillé) pendant sept semaines : un avec le jeu Brain Age, le deuxième Cérébrale Académie, un autre jeu Nintendo DS, le troisième avec des jeux « papier-crayon » et le quatrième sert de témoin. Les performances sont évaluées sous deux formes : un test scientifique reconnu, mais différent des huit utilisés par Kawashima, évalue trois critères (raisonnement, mémoire à court terme et attention), et trois tests de nature scolaire sont menés en plus. Après calcul des taux de progression à chacun de ces six tests et comparaison entre les quatre groupes, A. Lieury conclut dans son livre que les jeux vidéo ne sont pas plus efficaces que ceux papier-crayon. L’attention, qui selon l’article de Kawashima était sensiblement améliorée, l’est de 20%, tout comme pour le groupe témoin. En outre on remarque que les résultats présentés paraissent assez aléatoires, variant brutalement d’un jeu à l’autre et d’un critère à l’autre. Ces deux études ne sont pas simplement opposées, elles sont totalement déconnectées l’une de l’autre. Tout diffère : la durée d’entraînement, la population sur laquelle sont menés les tests, les méthodes d’évaluation. Le choix des témoins en est significatif : là où l’étude de Kawashima choisit un témoin du type « jeu standard » pour se prévenir des effets liés aux réflexes habituels des jeux vidéo, Lieury lui utilise un groupe de témoin simple en insistant sur les effets d’habitude aux tests à cause de celui précédant l’étude (mais sur une population d’élèves scolarisés une progression n’est pas très choquante), un groupe de jeux papier pour mettre en question la spécificité de l’entraînement cérébral par rapport à une activité stimulante mais classique, et un groupe utilisant un autre jeu avec d’autres tests, qui produit des résultats si différents du premier groupe que cela semble mettre en question l’étude plus que le jeu. De plus A. Lieury justifie dans la presse son choix d’un groupe d’élèves de primaire par le fait que « c'est l'âge où vous avez le plus de chances de faire des progrès. Si ça ne marche pas sur les enfants, ça ne marchera pas sur les adultes ». Or ceci n’est absolument pas clair. La comparaison de ces études met donc en avant la difficulté de parvenir à un résultat inattaquable sur le sujet, tant le domaine est complexe. La seule corrélation possible à établir est évidemment celle entre position des acteurs et résultat de l’étude. Il paraît clair, étant donné le nombre invraisemblable de paramètres à définir dans une telle étude comme on vient de le voir, que ces études relèvent plus du fait scientifique construit par les chercheurs à dessein d’étayer leur argumentation que d’une réelle volonté de mettre le jeu à l’épreuve. On voit donc que la position des chercheurs concernant la controverse influe directement sur leurs recherches, la date des études en atteste. VI° En quoi ces avis sont-ils utiles pour comprendre la controverse ? On pourrait s’attendre à ce que les opinions soit très simplement réparties : d’un côté, les industriels, concepteurs de logiciels d’entraînement cérébral défendant leurs œuvres afin d’en retirer un bénéfice, de l’autre, les chercheurs en université, défendant la nécessité de leurs travaux en clamant la non-scientificité des logiciels proposés. Ce point de vue serait simpliste, et il n’en est rien : de nombreux chercheurs sont à l’origine de logiciels d’entraînement cérébral, et certains, tels J. de Rotrou, ont non seulement participé à la conception d’exercices spécifiques pour de tels logiciels, mais combattent de plus la non-scientificité de certains de ces logiciels. De façon générale, la neuroplasticité est désormais un phénomène admis par tous les acteurs de la controverse, et nul ne remet en question la capacité des seniors à agir de façon efficace sur le changement de spécialisation des zones de leur cerveau. En revanche, on distingue deux types de logiciels : ceux ayant avant tout un but ludique, comme le programme d’entraînement cérébral du docteur Kawashima, ou le site playwithyourmind.com d’Alex Colket. D’autres, comme le programme Brain Fitness Program Training du professeur Merzenich, le programme CogniFit de Breznitz ou le logiciel Memo Peps auquel a contribué J. de Rotrou, ont avant tout comme objectif d’agir sur les capacités cognitives des individus. Les logiciels « sérieux » mis en évidence sont moins « grand public », car moins ludiques, mais reposent sur des études scientifiques approfondies. Leurs concepteurs en font la promotion, soit en mettant en avant des études scientifiques diverses, soit en les comparants aux logiciels du premier type et en insistant sur la non-scientificité de certains des concepts mis en jeux par ces derniers. Les concepteurs des logiciels ludiques s’appuient beaucoup plus sur le marketing : fort de l’intérêt des gens pour les activités ludiques et du soutiens de grandes firmes, ils affirment l’existence de bases scientifiques solides pour les programmes qu’ils conçoivent, le « grand public » ne cherchant pas généralement à connaître lesdites bases et se contentant le plus souvent d’être assuré de leur existence (ce qui ne signifie pas que les bases scientifiques solides en question n’existent pas). La différence fondamentale entre ces deux logiciels se situe principalement au niveau de l’étendue du public visé : là où un logiciel ludique s’adresse à tous, et vise à satisfaire un besoin assez vague ressenti par le consommateur de faire travailler son cerveau, les logiciels tels ceux développés par M. Merzenich visent un public particulier (personnes souffrants d’acouphènes, conducteurs…) et répondent à un besoin spécifique (soulager les troubles, améliorer la réactivité…). Les deux domaines ne visent donc pas réellement le même public, pour le dire de façon un peu simpliste, les logiciels ludiques visent le grand public tandis que les autres visent un public plus spécialisé. Néanmoins, le grand public est susceptible de devenir ce « public spécialisé » : il faut pour cela que les concepteurs de logiciels d’entraînement cérébral non ludiques les amènent à penser, à tort ou à raison, qu’ils ont des besoins spécifiques que certains logiciels ont été conçus pour pallier et non seulement de vagues désirs d’amélioration de leurs capacités cognitives. D’une certaine façon, le public visé par les concepteurs des logiciels « sérieux » (par opposition aux logiciels ludiques, sans remettre en cause le sérieux éventuel de ces derniers) est plus large que leur public réel : un utilisateur « non-averti » donc ne se sentant pas concerné par les logiciels spécialisés d’entraînement cérébral peut tout à fait devenir un jour un utilisateur averti. L’autre domaine de controverse porte sur le résultat des études : une étude fait état d’une progression de 20% des résultats d’une classe ayant utilisé le programme d’entraînement cérébral du docteur Kawashima pendant plusieurs semaines tandis qu’une autre étude démontre que ce programme ne produit aucun résultat semblable en comparant la progression d’élèves l’utilisant à celle d’élèves pratiquant d’autres activités (les échecs, par exemple) ou n’en pratiquant aucune. De façon générale, les résultats d’une étude à l’autre sont hautement contradictoires, laissant supposer l’existence de biais cognitifs (issus d’intérêts divergents – notoriété académique, royalties…) et témoignant des incertitudes quant au protocole à appliquer pour la mise en œuvre d’une étude réellement représentative. En conséquence, il est aisé à des chercheurs de s’appuyer sur les résultats d’études réellement sérieuses pour soutenir leur position sur la controverse, quelle que soit ladite position : cela avait déjà été mentionné précédemment, il existe de grandes différences entre les méthodologies (certaines études trient une vingtaine de personnes selon plusieurs critères pour mener leur étude, d’autres choisissent plutôt des analyses portant sur des milliers de gens, les critères mesurés diffèrent…) VII° Bibliographie Article du magazine Cerveau&Psycho faisant suite à la publication d’A. Lieury et S. Lorant-Royer : http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/f/fiche-article-lentrainement-cerebral-une-imposture-intellectuelle-18869.php Article du Monde sur les limites des programmes d’entraînement cérébral : http://www.lemonde.fr/vous/article/2009/02/09/les-limites-des-programmes-dentrainement-cerebral_1152802_3238.html Blog de M. Merzenich : http://merzenich.positscience.com/ Brain fitness market : http://www.sharpbrains.com/toparticles/brain-fitnessmarket/ Bulletin de psychologie : http://www.bulletindepsychologie.net/vente/derniers/R498.php Dernière étude menée par le Professeur Kawashima : http://www.pearltrees.com/#/N-play=1&N-fa=4344681&N-u=1_529899&Np=35193102&N-s=1_4344845&N-f=1_4344845 Ergonomic evaluation of portable videogame software : http://www.digra.org/dl/db/07312.17098.pdf Frontal Cortex, site de Jonah Lehrer : http://www.wired.com/wiredscience/frontalcortex/ Internet Actu, le marché des logiciels qui boostent le cerveau : http://www.internetactu.net/2007/12/04/des-logiciels-qui-boostent-le-cerveau-etson-marche/ Interview de Breznitz concernant son logiciel d’entraînement cérébral CogniFit : http://www.articlesbase.com/mental-health-articles/brain-fitness-interview-withdr-shlomo-breznitz-of-cognifit-1161419.html « La supercherie de l’âge cérébral », Cerveau&Psycho : http://www.cerveauetpsycho.fr/e_upload/boutique/_done_20090106_123526_cerv eau_et_psycho-2009-janvier_fevrier_31-psychologie-synthese01cp_31_p016020_encadres1.pdf Putting Brain to the Test, étude réalisée sur plusieurs milliers de candidats : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2884087/ Site du logiciel d’entraînement cérébral Happy Neurone : http://www.happyneuron.fr/ Site du logiciel d’entraînement cérébral Luminosity : http://www.lumosity.com/about/partners#scientific-board Site du logiciel d’entraînement cérébral MidFit : http://www.mindfit.be/ Site du logiciel d’entraînement cérébral Posit Science : http://www.positscience.com/ Synthèse de deux articles sur la stimulation de la mémoire et ses limites : http://bien.vieillir.perso.neuf.fr/stimuler-sa-memoire.htm