Lettre

Transcription

Lettre
Gembloux, le 18 février 2009
Salut LaBul,
Tu nous as bien eus tu sais ! Je savais que tu crânais mais pas à ce point. Nous avions toujours une petite lueur
d’espoir.
Quand les médecins ont découvert en octobre que tes douleurs à la colonne étaient dues à une tumeur au poumon, il
était trop tard. Tu savais que c’était terminé pour toi ; ta femme et tes filles aussi le savaient. Tu avais le choix, ne
rien faire, et il te restait quelques semaines ; faire de la chimio et des rayons et ça te permettait de « classer tes
papiers » ; c’est ce choix que tu as fait. Tous les matins tu te levais pour déjeuner avec tes filles qui partaient à l’école à
des heures différentes. Comment as-tu fait ? Malgré la douleur …
Quand Anne M. m’a demandé si je pouvais faire un petit texte sur toi pour Factuel, je ne voyais vraiment pas ce que je
pourrais écrire. Et puis j’ai décidé de t’envoyer cette lettre.
Je l’ai commencée hier soir, je me suis même levée cette nuit pour t’écrire. Je voulais la terminer avant ton enterrement.
Tu as vu ? Je continue à t’appeler LaBul. Cela fait près de 33 ans que je t’appelle comme ça, pas de raisons que je
change. A cette époque nous étions en candi, tu ne te gênais pas pour chiper mes nounours en gomme dans la poche de
mon tablier de labo.
Ma cote d’exclusion en statistiques (j’pigeais pas grand chose) nous a éloignés quelques mois jusqu’aux travaux
pratiques en alimentation. C’étaient mes premiers TP en tant que technicienne et qu’est-ce que je stressais ! Vous, les
étudiants en élevage, je vous connaissais d’avoir été sur les mêmes bancs pendant 2 ans et parmi vous, il en était de
terribles ! Tu te souviens ? Certains jouaient au strip-poker pendant les TP de math.
Et tu te souviens des taurillons pendant ton TFE ? Nous avions seulement un tombereau à l’époque pour transporter
le fumier, toi tu le tirais et moi je le poussais jusqu’au centre de la cour près de l’Economie où on déversait tant bien que
mal tout cela. On s’amusait.
Et puis Jean-François R., qui était l’assistant de Monsieur Compère, est parti et il fallait quelqu’un pour le remplacer
et ce fut toi. Monsieur Compère m’a redit qu’il avait vraiment fait le bon choix en t’engageant, c’est lui qui t’a appris
le métier. Il a fait un petit texte à ta mémoire pour le prochain bulletin de l’AIGx.
Après combien de temps es-tu parti à Thiés au Sénégal ?
C’est juste avant de partir que vous vous êtes mariés, Marielle et toi. J’étais ton témoin. En attendant l’heure du
mariage, nous avons mangé un sachet de frites sur la place de la Ville haute à Charleroi.
Nous ne danserons plus de rock ensemble.
Alain et moi avons découvert l’Afrique noire en allant vous dire bonjour, c’était en
décembre 84. Les enfants de l’école où Marielle travaillait, chantaient « petit papa
Noël » accompagné du tam-tam autour d’un sapin artificiel. Surprenant ! En soirée, tu
chantais des chansons de Jean Ferrat, Georges Chelon … en t’accompagnant à la
guitare. J’te joins la photo où nous sommes ensablés près du lac Rose.
Savais-tu que certains doctorants dont notamment Severin B. t’appelait Andrépogon ?
L’Andropogon gayanus était ton herbe de bataille préférée en Afrique. Tu lui as
transmis, comme à beaucoup d’autres, ton amour pour l’agrostologie. Tu as
impressionné beaucoup de gens par tes connaissances aussi bien des zones tropicales que
maghrébines, ton professionnalisme … mais je ne suis pas ici pour faire ton éloge. Tout
de même, si tu voyais tous les messages reçus dans le service ! Tu étais apprécié pour ton
sourire, ta bonne humeur, ta gentillesse …
André T. a exactement 6 minutes tout à l’heure au crématorium pour résumer ta
carrière, c’est vraiment très court. Je mettrai son discours sur le site de la Zootechnie. André est très affecté tu sais,
comme nous tous au service. On se serre les coudes.
Tu te souviens quand tu avais quelque chose à me demander et que tu n’étais pas certain de ma réponse ? Tu envoyais
Bernadette S. en bouc émissaire qui parfois, toute paniquée par ma réponse (il m’arrivait de t’envoyer promener) me
disait « ah mais je n’oserais jamais dire cela à Monsieur ! ». Eh oui, pour elle tu étais et restera « Monsieur », pas
Monsieur Buldgen ni Buldgen ni André mais « Monsieur » avec un grand M et ici, ces derniers mois, tu as vraiment
montré que tu en étais un.
Au début qu’elle travaillait dans le service, au labo, nous l’appelions « Petit trot » et toi « Grand galop » comme dans le
dessin animé ; elle avait du mal de te suivre dans les couloirs, couloirs qui ne résonneront plus de tes sifflements, pas
toujours justes d’ailleurs.
Dites donc, quelle prestance avec ta toge à la cérémonie des Doctor Honoris causa !
Mais tu préférais ta vie de famille, ton jardin avec ses poules, les promenades avec
ton chien Manioc. Tes vacances, tu les passais sur les canaux de France. Vous
parliez d’acheter un bateau. On s’est rencontré un dimanche sur le Ravel, toi et
Marielle, Alain et moi, tu te demandais qui étaient ces deux fous qui arrivaient à
toute vitesse en roller.
Martine F. m’a écrit qu’elle gardait de toi le souvenir heureux d’une dernière
rencontre à vélo au bord de la Meuse, de tes éclats de rire et de tes blagues de
potache.
Tu étais trop fier ou trop courageux pour montrer ta souffrance.
Tu laisses beaucoup d’ « orphelins » dans ce monde. J’ai accroché tous les messages
sur le panneau dans le couloir près de mon bureau. Que de désarroi et de tristesse,
que de tendresse et d’amour !
Je ne pense pas qu’on ait joué « Cinq heures avec Mario » de Miguel Delibe au
théâtre de Namur où tu allais. Ici j’écris « Cinq minutes avec LaBul », le ton en est
tout différent, pas de reproche.
Un étudiant est passé hier dans le service, je crois que c’est le président de
l’AG ; il voulait avoir quelques renseignements sur toi pour faire un petit
mot je suppose. Il était très étonné qu’un prof d’unif puisse animer des
journées pour les enfants de l’Atelier sorcier. Tu n’étais pourtant pas le
seul ici à la Fac à le faire. J’ai assisté à une de ces rencontres où tu parlais
du mouton. Tu en avais amené un, tu donnais ce cours de manière
extraordinaire. Tu étais épatant avec ces enfants ! Et puis il y a eu aussi
ces leçons sur le maïs pour le Printemps des Sciences ; nous avions fait un
puzzle et tous les enfants recevaient un sachet de pop corn que nous
préparions devant eux.
Merci pour le magnifique cadeau que tu m’as laissé avec la complicité de Marielle ; c’est elle qui me l’a annoncé après
ton décès. Cela m’a été droit au cœur. Ce bronze t’avait été offert par Hamadé K. à la fin de son doctorat. Combien de
fois t’ai-je dit que j’allais te le chiper ? Voilà qui est fait, il n’est plus sur la cheminée de ton bureau.
Eh bien pour nous une nouvelle tranche de vie commence.
Je te laisse, il est l’heure d’y aller. Je vais essayer d’avoir autant de courage et de dignité que toi mais ça va être dur,
très dur. Je serai à côté de Marielle et de tes filles.
Adieu l’André, je t’aimais bien tu sais.
Gene
P.S. J’ai oublié de te dire, depuis ce 11 février, j’ai deux nouvelles nièces, elles suivent des études d’infirmières, elles
s’appellent Céline et Clara Buldgen. Elles sont supers !

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