Faire tourner une crèche, c`est
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Faire tourner une crèche, c`est
10 PETITE ENFANCE Faire tourner une crèche, c’est Réduire le coût des crèches: le rêve de nombreux politiques, parents et éducatrices de la petite enfance ne semble pas prêt de se réaliser. Faut-il simplement l’accepter? Les crèches doivent aussi jouer un rôle éducatif. Dreamstime n janvier 2012, le conseiller natio- prix. Elles coûtent cher, ce qui a tennal PLR Otto Ineichen, sur- dance à irriter les politiques et les panommé Otto le soldeur, promettait rents. C’est pourquoi, jeudi dernier, le d’ouvrir cent crèches à bas prix: pour Grand conseil genevois discutait d’un 70 francs par jour et par enfant. Ça projet de loi visant à alléger les condis’est avéré moins facile qu’il ne l’avait tions d’encadrement des enfants en imaginé. A cause des bas âge, afin d’en rétracasseries adminis- «A moins de fac- duire le coût. Au grand tratives, expliqua-t-il. turer une fortune dam des professionnels Il ouvrit cependant sa de la petite enfance. par enfant, une Actuellement, dans les première crèche quelcrèche privée ne crèches genevoises, un ques mois plus tard à Beromünster (LU). Pas peut pas tourner.» adulte s’occupe de huit pour 70 francs, mais enfants de deux à trois pour 84 francs par jour. Otto Inei- ans. Si la loi est acceptée, le quota paschen décéda subitement peu après. Sa serait à dix enfants de cet âge par fondation, Speranza, abandonna le adulte. En outre, la loi abaisserait les projet. exigences de formation, en réduisant Depuis, les crèches n’ont pas baissé de de deux tiers à 50% la proportion de 23 MAI 2013 EVENEMENT E personnel détenteur d’un diplôme de la petite enfance par institution. ENFANTS PAS PROPRES «Même avec le ratio vaudois, plus généreux que le ratio genevois actuel, les conditions d’accueil sont considérées comme minimales. Les normes vaudoises requièrent un adulte pour sept enfants de 18 à 36 mois. C’est un âge où l’on doit être très présent. Les enfants socialisent, se disputent et leur sécurité requiert une attention de tous les instants. Beaucoup ne sont pas encore propres», remarque Marinette Maharjan, chargée d’évaluation à l’OAJE, l’Office de l’accueil de jour des enfants du canton de Vaud, l’autorité chargée du régime d’autorisation 11 difficile et de surveillance des crèches. Mais pourquoi les crèches coûtent-elles si cher? La situation des crèches privées, que les parents paient au prix coûtant et qui ne touchent pas de subventions de l’Etat, en donne une idée. «Les parents étaient contents, les enfants aussi, tout allait bien, sauf les finances», raconte Sandrine Buchet. En 2006, cette éducatrice de la petite enfance participe à la création d’une crèche avec une connaissance. Cette dernière s’occupe de l’exploitation et de la gestion, elle-même est engagée comme directrice. Six ans et beaucoup de désillusions plus tard, l’exploitante dépose le bilan. «Nos tarifs (environ 125 francs par jour et par enfant) étaient trop bas, remarque et les parents prêts à payer des somSandrine Buchet. Nous avons ouvert mes importantes. Et même ici, l’entrecette crèche suite à la fermeture d’une prise n’est pas très lucrative. Ingéautre. Nous avions donc déjà la clien- nieure de formation, Barbara Lax a tèle, mais nous avons dû mettre la travaillé pendant 15 ans dans l’indusmaison aux normes, ce qui a coûté trie, dans le domaine de la gestion de des milliers de francs. Les exigences projets. A la naissance de sa fille, elle sont strictes, tant du point de vue de constate que l’offre est peu diversifiée. la sécurité que du quota d’éducatrices Elle rêve d’une crèche proche de la par groupe d’enfants. Il faut payer le nature, internationale, où les langues loyer, les salaires, les charges sociales, s’apprennent par immersion et qui la nourriture, le matériel. A moins de offre du soutien et des solutions aux facturer une fortune par enfant ou femmes qui travaillent. Elle fonde d’être Rockfeller, une crèche privée alors Little green house, à Gland. La structure offre 73 places, des repas est difficile à faire tourner.» Pourtant, dans le canton de Vaud, où bio, beaucoup d’activités en plein air et des éducatrices de Sandrine Buchet avait langue maternelle anouvert sa crèche, une Les exigences, glaise, allemande et institution d’accueil d’enfants en bas âge sur tant en termes de française. trois est privée. sécurité que d’en- Après un an d’activité, Comment font-elles? cadrement, n’ont Barbara Lax estime que «ça va tourner». «D’une certaine mapas augmenté. «Il faut être derrière, nière, j’ai été trop honrechercher la qualité, nête, constate, sans regret, Sandrine Buchet. Il était avoir de l’ambition et l’envie de prenimportant pour moi de respecter dre des risques. Je ne me fais pas une scrupuleusement les normes afin de grande marge, mais je trouve imporne pas engager ma responsabilité en tant de créer quelque chose de valeur cas d’accident. Pour survivre finan- pour la société.» Preuve de son succièrement, certaines crèches privées cès, une deuxième Little green house annoncent plus de personnel qualifié ouvrira dès septembre à Morges. Prix qu’elles n’en ont en réalité ou accueil- de la journée: entre 133 et 144 francs lent plus d’enfants qu’elles n’en décla- par jour et par enfant, selon l’âge. rent.» L’OAJE n’a pas constaté de problèmes PROTECTIONNISME VAUDOIS particuliers liés aux crèches privées. Les salaires et les charges sociales «Pour obtenir l’autorisation d’exploi- représentent 80% du budget des crèter, elles doivent faire preuve d’une ches. Ni Sandrine Buchet ni Barbara base économique solide, explique la Lax ne contestent le bien-fondé des cheffe de l’OAJE, Patricia de Meyer. exigences mises en place par le canÇa ne s’improvise pas. Outre les com- ton, qu’elles estiment importantes pétences pédagogiques, la crèche pri- pour la sécurité et le bien-être des envée est une entreprise qui exige, fants. Mais Barbara Lax avoue avoir comme toutes les entreprises, de bon- quelque peu souffert du protectionnisme vaudois qui oblige certaines de nes compétences en gestion.» ses employées expérimentées, mais LES PARENTS PAIENT formées à l’étranger, à refaire un diPour qu’une crèche privée tourne, la plôme. Sandrine Buchet, titulaire gestion doit être très professionnelle d’un diplôme d’une école privée, a 13 elle aussi dû compléter sa formation. «Nous avons perdu la raison en ce qui concerne l’éducation des enfants. La formation est devenue académique, les éducatrices siègent derrière leur ordinateur et documentent les phases de développement des enfants plutôt que de jouer avec eux», constatait Otto Ineichen après s’être lancé dans son projet de crèches bon marché. Une observation que corrobore Sandrine Buchet: «La formation dispensée par l’Ecole supérieure en éducation de l’enfance est assez théorique. Les éducatrices diplômées de cette école observent les enfants, regardent comment ils évoluent, se chargent de l’entretien avec les parents. Les assistantes socio-éducatives détentrices d’un CFC ont une formation plus pratique: souvent, elles font plus d’activités avec les enfants, s’occupent d’eux. Il peut arriver qu’une assistante socio-éducative soit géniale et l’éducatrice, moins professionnelle. Mais chacune a son propre quota». Dans chaque crèche, le canton de Vaud demande 50% d’éducatrices de la petite enfance diplômées de l’Ecole supérieure et 30% d’assistantes socio-éducatives titulaires d’un CFC. Les 20% restants n’ont pas besoin de diplôme. ET L’ÉDUCATION? Contrairement à une idée reçue, les exigences, tant en termes de sécurité que d’encadrement, n’ont pas augmenté. «Je dirais même qu’entre les années 1990 et aujourd’hui, elles se PUBLICITÉ Keystone – a sont assouplies, observe Marinette Maharjan. Le ratio adultes / enfants est resté le même. En revanche, à l’époque, la totalité du personnel devait être au bénéfice d’un titre professionnel reconnu.» Réduire l’encadrement des enfants paraît difficile. A l’heure où les crèches se généralisent, les parents attendent non seulement certains standards de sécurité, mais aussi un rôle éducatif. Comme le remarque Sandrine Buchet, «les parents qui mettaient leur enfant chez nous avaient envie qu’il reçoive une bonne éducation». Les crèches ne sont pas considérées comme un lieu de gardiennage; elles doivent participer à l’évolution de l’enfant. Pour réduire les coûts, une des possibilités serait de baisser les exigences de formation. Cependant, entre une auxiliaire non diplômée et une éducatrice en début de carrière, la différence de salaire n’est que de 700 francs dans le canton de Vaud. Peut-être faut-il accepter que les crèches coûtent cher. Et que, comme l’école, elles doivent être prises en charge par l’Etat. C’est, en termes détournés, ce que proposait l’arrêté fédéral sur la politique familiale, rejeté lors des votations du 3 mars dernier. Les crèches privées restant destinées, comme les écoles privées, à une clientèle aisée. I Aude Pidoux Le repas de midi demande une grande organisation aux éducatrices.