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Année 2006-2007 Lionel DE OLIVEIRA Sous la direction de Monsieur Yves PERRIN RECHERCHE SUR LA VIE ANIMALE A ROME AU HAUT EMPIRE. Mémoire d’Histoire Ancienne Master Sciences humaines et sociales Mention Territoires, patrimoines et environnement Spécialité Cultures, représentations, formes et constructions territoriales Finalité recherche Centre de Recherche en Histoire (CERHI) Université Jean Monnet – Saint Etienne Introduction « L’homme antique se situe entre l’animal et le dieu, il peut s’approcher, par sa conduite, soit de l’un soit de l’autre »1. Paul-André BESOMBES Notre société moderne, dans sa course au développement et au progrès, s’est éloignée progressivement de la nature et de son rythme. Aujourd’hui, les voix sont abondantes à s’élever contre cet état de fait et à faire dissidence. L’écologie n’a jamais rencontré autant de bienveillance dans la population et suscité autant d’éloquence chez nos politiques. Paradoxalement, nombreuses sont les espèces animales et végétales qui ont disparu ou qui vont disparaître malgré les mesures de protection prises. L’homme s’est fait de plus en plus envahissant sur la planète et a perdu son lien avec la nature. L’intimité entre hommes et animaux était plus étroite chez les Anciens. Cette proximité est une caractéristique de l’Antiquité et des sociétés traditionnelles, qui prend racine dans les rapports même qu’entretiennent ces peuples avec la nature. Le cloisonnement strict entre le monde humain et le monde animal n’a pas lieu d’être. Ils vivent ensemble, partagent le même espace. Cette réalité ne s’interrompt pas aux murs des cités, il serait illusoire de vouloir calquer notre réalité contemporaine sur ces villes antiques. Ce constat s’applique avec la même rigueur à la cité de Rome, en dépit d’un développement inégalé parmi les sociétés antiques. Pouvant s’enorgueillir de flirter avec le million d’habitants sous le principat d’Auguste, la capitale de l’Empire Romain n’en vit pas moins au rythme de la nature et des saisons. Les animaux occupent même une place importante dans la culture romaine. Originellement peuple d’agriculteurs, la vie animale a dès ces temps, que les Romains se plaisent à penser immémoriaux, tenue un rang prépondérant. Elle fait tout simplement partie intégrante des mythes fondateurs de la cité part l’entremise de la louve qui recueillit et alimenta les deux premiers pères de la nation romaine, Rémus et Romulus. La matérialité de l’urbanisme romain est un des éléments capitaux à prendre en compte ici, il serait trompeur de se figurer Rome telle que nos villes contemporaines. Le 1 BESOMBES P.-A., La place de l’animal dans l’iconographie monétaire grecque et romaine, Les animaux dans la monnaie antique, acte des XVe Journées d’études numismatiques de Perpignan, Perpignan, 1999 2 tissu urbain de la Rome tardo-républicaine et impériale ne présentait que dans certaines zones une trame serrée d’habitations, domus et insulae, dont la multiplication devait répondre progressivement à la croissance démographique rapide de la capitale de l’Empire. Parallèlement à cette urbanisation persiste une multiplicité de jardins que ne connut, sous cette forme, aucune autre grande ville antique2. Selon Léon Homo, les monuments publics et les espaces verts représentaient de 40 à 50% de la surface totale de la cité3. La vie animale croît dans l’Urbs, dans ses rues, jardins, espaces publics, domus et insulae. En tout lieu les animaux sont présents en nombre, animal domestique, animal sacrifié, animal de compagnie ou de labeur. L’animal est le compagnon quotidien des Romains, en cela se trouve tout l’intérêt de cette recherche sur la vie animale à Rome au Haut Empire. On peut caractériser cette vie animale comme étant l’ensemble des espèces animales vivantes évoluant au sein de la cité, qu’elles soient indigènes ou pas. Néanmoins certaines restrictions sont inéluctables, ainsi notre intérêt se portera uniquement sur les espèces se déplaçant par elles-mêmes, que les Romains rencontrent dans leur vie quotidienne. De ce fait, l’importation et la revente de crustacés ne fait pas figure de point fondamental. De la même manière, les exhibitions d’animaux lors des jeux du cirque sont des évènements exceptionnels que nous ne prendrons pas ici en considération. Cette vie quotidienne a pour cadre les quatorze régions augustéennes 4, et leur proximité très immédiate, au Haut Empire. Cette période chronologique embrasse l’histoire romaine de la fondation du Principat (27 av. J.-C.) aux Antonins (192 ap. J.C.). Toutefois, dans un souci de cohérence et de continuité les auteurs des dernières années de la République ont été insérées à cette recherche et ceux de l’extrémité de la période non traités. Nous nous attacherons donc à présenter quelle est la réalité de la vie animale à Rome au Haut Empire ? En conséquent, afin de constituer une recherche homogène et dans un souci d’intelligibilité, il convient de détailler notre démarche et nos sources ; c’est à dire la 2 Cf annexe I JOLIVET V., Croissance urbaine et espace verts à Rome dans la Rome impériale, démographie et logistique, acte de la table ronde (Rome 25 mars 1994), EFR, 1997 4 Cf annexe II 3 3 méthode de travail utilisée, ses outils documentaires et les auteurs latins exploités. Ces bases indiquées, il est judicieux de commenter l’historiographie du sujet en préalable à un essai d’analyse. La critique des sources ne doit, bien entendu, pas être négligée. L’ensemble de ces étapes menées à leur terme aboutissent à un état des lieux des données existantes, de celles rassemblées et donc permettent une réflexion sur les perspectives de recherches envisageables. 4 C. Présence de la vie animale à Rome La base de données recueillie, et les ouvrages modernes, permettent un début d’analyse et ainsi de mieux cerner cette vie animale à Rome au Haut-Empire. Pour les Romains, la Terre, située au centre de l’univers, est peuplée également d’hommes et d’animaux. Il n’existe pas de véritable différence de nature entre eux. Les différentes philosophies antiques soulignent la parenté entre l’homme et l’animal. Cette vision qu’ont les hommes des animaux subit l’influence de leurs conceptions religieuses ou philosophiques et imprègne tous les domaines de la vie. Pour les Romains, les animaux paraissent le plus souvent privés d’âmes, mais ils ne manquent pas de sensibilité. Ils leurs concèdent une certaine mémoire, puisque c’est ainsi qu’ils sont susceptibles d’être dressés, mais aussi de l’ingéniosité. Les auteurs latins s’accordent sur le fait que les bêtes ont certaines facultés supérieures que l’homme ne possède pas. Le flair du chien est infiniment supérieur à l’odorat de son maître. A en croire certains auteurs les animaux ont des connaissances médicales. Ils sont capables « d’abord de discerner ce qui est bon et mauvais pour eux et ensuite de se soigner en pratiquant vomitifs et lavements »5. Cependant, malgré ces caractéristiques communes tous les animaux ne sont pas sur un pied d’égalité, certains sont inquiétants et de mauvais augures, d’autres sont bénéfiques. De l’ensemble des mentions se détachent distinctement plusieurs domaines, la gastronomie, la vie quotidienne, les animaux familiers et la religion dans lesquels les Romains entretenaient des relations quotidiennes avec les animaux. 1. Luxe, gastronomie et vie animale L'expansion impérialiste de Rome au IIe siècle avant notre ère a permis aux Romains de se familiariser avec le luxe matériel de l'Orient hellénistique. C'est l'époque où le luxe, que ce soit dans le décor de la vie publique, dans les distractions, dans la conception et la décoration des demeures, dans tous les aspects de la vie privée, devient une préoccupation pour de nombreux habitants de la Ville. 5 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 8, 41 5 Les portiques, inspirés des modèles grecs, ont fait leur apparition à Rome au IIe siècle av. J.-C. et leurs colonnades, destinées d'abord à abriter des boutiques, deviennent un lieu de promenade apprécié des Romains, venus s'y rencontrer et faire leurs emplettes. Les portiques jouent en quelque sorte le rôle de parcs publics. Ils sont complétés par des jardins qui s'élèvent au Ier siècle av. J.-C. autour de la ville6 et où abondent la vie animale. Cette mode des jardins vient d'Orient où les généraux romains conquérants ont pu admirer les « paradis » luxueux des souverains hellénistiques. La gastronomie est également élevée au rang des beaux-arts, et les riches contemporains de César n'hésitent pas à offrir à leurs invités des repas somptueux préparés par des cuisiniers réputés. Le luxe de la table tient à la fois dans l'introduction de mets importés de pays étrangers et dans la mise en scène présidant au service. Pétrone nous présente un exemple des plus manifestes de ce genre de festin dans son Satyricon. Beaucoup d'hommes célèbres à la fin de la République et au début de l’Empire se sont illustrés dans le domaine de la gastronomie. Aufidius Bassus a le premier l'idée d'engraisser des paons dont les Romains découvrent la chair. L'homme d'affaires Sergius Orata invente les parcs à huîtres. Scipion Metellus le premier, après avoir fait engraisser ses oies avec des figues, imagine de faire gonfler leurs foies dans un mélange de lait et de miel, créant ainsi le foie gras dont les Romains sont friands. Tous ces mets se retrouvent sur les riches tables de Rome et finissent dans les citations de nos auteurs latins. Pour répondre à cette mode d'une nourriture exceptionnelle et raffinée, la coutume se répand chez les riches Romains d'installer chez eux des élevages d'animaux recherchés pour leur chair. Ils ont une passion pour les viviers contenant des poissons de prix, au point que pour désigner la classe politique de l'époque, Cicéron invente le terme de piscinarii (éleveurs de poissons). Certains piscinarii se spécialisent dans l'élevage en eau douce ou en eau de mer d'espèces d'exception, comme les murènes, les esturgeons, les turbots ou les loups... Les gros poissons de cette espèce atteignent parfois sur le marché jusqu'à 8 000 sesterces la pièce. Pétrone dans son Satyricon évoque le vivier qui se trouve chez Trimalcion 7 , mais il s’agit là de la seule citation de ces viviers. Les nombreuses évocations de poissons nous illustrent tout de même bien ce goût. Sous Néron la mode s’est instaurée de ne manger que du poisson ultra-frais, c'est-à-dire 6 7 Cf annexe I Cf annexe III 6 encore vivant sur la table8. Cela nécessite donc l’existence de viviers conséquents afin de pouvoir fournir les tables de l’empereur et des riches Romains. La mode culinaire s’attaque aussi aux oiseaux de prix, Varron nous explique qu’ « il y a deux espèces de volières : l’une d’agrément […] ; l’autre de rapport, et dont on fait le commerce. On consacre à Rome des enclos fermés de murs à ce genre de spéculation »9. Les pigeons, tourterelles, grives, oies, poulet, paons et autres flamants ont un rôle culinaire important. Le paon devient la pièce obligatoire des festins de la haute société, cela même si Horace nous affirme que sa chair ne vaut pas celle du poulet. Le faisan et le flamant sont eux aussi des oiseaux qui étaient en premier lieu ornementaux, mais qui ont très rapidement terminé dans les plats des riches Romains10. La cigogne va subir le même châtiment de la cuisson, Horace raconte : « paisible, dans son nid, la cigogne, jusqu’au jour où vous instruisit l’exemple d’un personnage prétorien »11. Les riches gourmets se font installer dans leur villa à proximité de Rome des parcs à gibier, ou vivaria, dans lesquels ils font élever chevreuils, sangliers et autres lièvres. Ceux-ci sont ensuite apportés à Rome pour être servis abondamment lors des festins. Les auteurs latins, qui participent à cette vie mondaine, nous relatent longuement le service de ces aliments, certains offrant même à leurs convives des pièces de gazelle et d’ours12. La présence du lièvre et du sanglier dans la composition des plats est très souvent rapportée, le lièvre huit fois et le sanglier dix-huit fois. Le porc est une espèce qui est aussi fréquemment citée concernant la cuisine. Les Romains dépensent tant pour leurs repas que, régulièrement, des lois somptuaires tentent de limiter les dépenses autorisées. En -46, César promulgue un texte restreignant le luxe de la table et établit une liste de mets retirés de la consommation, comme les murènes ou les huîtres. Il crée même un corps d'inspecteurs envoyés dans les salles à manger des particuliers pour vérifier qu'on n'y consomme pas de plats interdits. Mais la plupart du temps, les gourmets trouvent moyen de contourner la législation et les restrictions restent de fait sans portée réelle. 8 J. Amat, op. cit., p. 205 Varron, De l’Agriculture, III, IV 10 Cf annexe III 11 Horace, Satires, 2, 2, 49-50 12 Pétrone, Satyricon, II, LXVI 9 7 2. Vie quotidienne et vie animale La vie quotidienne s’écoule au rythme de la vie animale car il est impératif de ne pas écarter cette donnée de la recherche, la cité de Rome vit au rythme de la nature. Les Romains croisaient, dans leur vie quotidienne, de très nombreux animaux, qu’ils s’agissent des animaux sauvages, familiers, consacrés aux dieux ou encore pour l’alimentation. Le Romain se réveille au chant du coq, les citations sont nombreuses à l’évoquer13. Menant ses activités ordinaires il traverse la ville, ses rues, ses jardins. Il rencontre la multitude de la vie animale que l’on peut concevoir dans une cité antique telle que Rome. Il repense à la « cacaphonie des troupeaux »14 dans la rue cette nuit, la circulation des chariots et du bétail étant interdite de jour afin de faciliter la fluidité des déplacements. Il croise des chiens errants se disputant un morceau de viande, l’agnelle que l’on porte au sacrifice, les volailles échappées d’une demeure voisine et « l’âne du boulanger »15 portants ses lourds sacs² de farine. Peut être passera-t-il se prélasser au chant des oiseaux un instant dans un jardin, il observera la riche romaine, heureuse d’exhiber son petit chien et le flatteur fier de son perroquet sachant saluer l’empereur. Ou encore ira-t-il admirer les poissons dans les bassins du Champ de Mars. Cette description a pour seule ambition de laisser entrevoir la vision d’un Romain, de cerner, même que sommairement, l’affluence de la vie animale que pouvaient rencontrer au quotidien les habitants de la cité. A partir du corpus de sources, il est intéressant de se pencher brièvement sur chaque famille animale, de noter les informations dont on dispose même si cela peut ressembler quelque peu à un catalogue. Les chiens errants pullulent la nuit dans les rues, ils font partie de l’insécurité de la ville et constituent un grave danger. Ceux-ci passent pour être toujours avides de charognes et d’entrailles. Leur férocité les pousse à commettre des actes affreux que les auteurs nous rapportent. Selon Tacite, Néron infligea aux chrétiens de se faire dévorer par les chiens errants : « on les revêtit de peau de bêtes et ils périrent sous la morsure 13 Cf annexe III Juvénal, Satires, 3, 1, 236 à 238 15 Catulle, Poésies, 97, 10 14 8 des chiens »16 . Suétone relate plusieurs anecdotes aussi macabres, ainsi un jour que Vespasien déjeunait, un chien errant lui apporta une main humaine17. Les chiens errant ont une réputation de nécrophages. De fait, tous les cadavres non ensevelis risquent d’être déchirés par les chiens et les oiseaux de proie. C’est une association devenue classique chez les auteurs latins. Les nuisances engendrées par leur présence ont fait d’eux des animaux de mauvais augures. Voir entrer dans la maison un chien noir constitue un mauvais présage. Circuler le jour à travers la ville n’enlève pas tout danger. Horace décrit dans une épître les embarras de la cité notant la présence de chien enragés18. Les aboiements nocturnes sont aussi de mauvais présages. Les hurlements de ces chiens, en pleine nuit aux carrefours, avertissent du passage d’Hécate Trivia, déesse des morts et de la magie noire. Ces aboiements deviennent l’incarnation des frayeurs nocturnes des Romains. Les parcs et jardins privés sont des lieux privilégiés pour les Romains, ils croisent de très nombreuses espèces animales. Les oiseaux y sont omniprésents, qu’ils soient apprivoisés et en volières, comme nous le verrons plus loin, ou qu’ils soient sauvages. La colombe, l’oiseau de Chaonie19, est le symbole d’innocence et de pureté. Ovide remarque, « vois comme les colombes se dirigent vers les blanches demeures »20. Elle se rencontre souvent dans les parcs, la scène des colombes buvant dans une vasque n’est pas uniquement un thème iconographique. Le paon supplante tous les autres oiseaux dans les parcs, il fait la joie de tous mais, comme nous l’avons vu, deviens vite le plat des gourmets. Il n’est pas le seul à subir ce dur châtiment. Cela peut paraître étonnant, mais le cygne était absent des horti, et donc très peu cité par les auteurs Romains. Il le doit certainement à sa funeste réputation, les poètes évoquant principalement la beauté de son chant funèbre, qu’il est censé pousser au moment de sa mort 21 . Dans l’ensemble l’image que se font les Romains des oiseaux est plutôt favorable, ainsi rêver d’oiseau est un bon présage. Le serpent représente dans l’ancienne Rome le génie de la domus, on le trouve près des Lares mais souvent uniquement de façon figurée car conserver un reptile est 16 Tacite, Annales, XV, XLVIII Suétone, Vespasien, V 18 Horace, Epitres, 2, 2, 75 19 Ovide, L’art d’aimer, II, 150 20 Ovide, les Tristes, I, IX, 7 21 Stace, Silves, 3, 3, 174 17 9 difficile. Les espèces les plus répandues sont certainement les même que de nos jours, la couleuvre et la vipère sont évoquées par les auteurs22. Pline l’Ancien signale la présence de serpents d’une taille telle que, sous Claude, on retrouva un enfant dans le ventre de l’un d’eux au Vatican 23 . Gardien des sanctuaires et des tombes, les serpents sont présents dans les demeures romaines. Essentiellement des couleuvres, ils pouvaient avoir un but utilitaire en se nourrissant des rongeurs, ou encore pour la médecine 24. Ils n’avaient pas forcement une image négative, en voir en rêve n’était pas de facto un mauvais présage. La médecine romaine utilise beaucoup d’ingrédients issus des animaux, comme les serpents, les grenouilles25, les araignées26, le fiel du bœuf27, … Associée à celle-ci, l’hygiène etait une chose très importante, la société entière est tournée vers elle. Tout cela n’empêche pas la présence des insectes et des parasites, comme le prouvent les extraits tirés des écrits des auteurs latins. Les rats et les souris sont fréquents dans la cité, comme le dit Pline l’Ancien « ces habitants de nos maisons, les rats »28. Ils devaient inévitablement provoquer des dégâts, mais ceux-ci ne sont pas relatés. A la fin de la République et au début de l’Empire, la société romaine est en quête d’exotisme. Les animaux exotiques ne manquent pas d’avoir leur place dans cette recherche. Des quatre coins de l’Empire sont capturés et rapportés à Rome des animaux de toutes espèces. Ils sont souvent destinés aux bestiaires impériaux, mais font aussi la joie des plus riches qui peuvent exhiber devant leurs amis ces bêtes rares. Les colonies envoient des antilopes, gazelles, éléphants29 et autres lions … Généralement prérogative impériale, quelques privilégiés possèdent chez eux certains de ces animaux. Ainsi un dénommé Numitor qui s’est offert un lion apprivoisé 30 , ou encore Flaccus qui « est heureux de posséder un lynx aux longues oreilles »31. Le cheval est l’élément indispensable de toutes les demeures aisées, il est l’emblème d’un rang social. Il est la cible de toutes les attentions et des soins les plus 22 Cf annexe III Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, VIII, XIV 24 Properce, Elegies, III, VI, 27-29 25 Varron, de l’agriculture, I, II 26 Pétrone, Satyricon, II, XCVIII 27 Varron, de l’agriculture, I, II 28 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, VIII, LXXXII 29 Cf annexe III 30 Juvénal, Satires, 31 Martial, Epigramme, 7, 87 23 10 dévoués32. Animal très cher33, on est attentif à son apparence extérieure et à sa bonne santé. Acteur indispensable de tous les triomphes, les auteurs commentent souvent leur présence, les différents empereurs avaient tous leur cheval favori. Caligula adorait littéralement son cheval34, selon Suétone il pensa même le nommer consul. Le cheval est bien l’emblème des classes les plus élevées, les personnes moins aisées et les artisans se contentant des mules et autres ânes. Horace nous parle de cet « entrepreneur qui se hâte, bouillant d’impatience, avec ses mules »35. Autre présence très importante et souvent commentée, celle des animaux familiers. 3. Animaux familiers Pour les Romains la plupart des animaux méritent le respect, puisque tous les dieux du panthéon gréco-latin ont pour compagnon un animal spécifique. Prendre un animal de compagnie, c’est simplement suivre l’exemple des divinités. Si l’intelligence des animaux est parfois mise en doute, on ne méconnaît pas leur affectivité et leur attachement à l’égard de leur maître, quand ils sont apprivoisés. Pline l’Ancien nous raconte le cas du chien d’un condamné à mort qu’on ne put chasser de la prison et qui ne quitta pas le corps de son maître, même lorsqu’il fut jeté dans le Tibre36. Comme de nos jours, la race canine semble être la cible de toutes les faveurs, 63% des citations sur les chiens évoquent celui-ci dans le cadre domestique. Ce chien romain se rencontre sous trois formes, il est chien de garde, animal de compagnie ou chien errant comme nous l’avons vu. Le chien est pour le Romain le compagnon indispensable de toute maison, il fait partie du foyer au même titre que les esclaves. Les foyers pauvres disposent eux aussi de leur compagnon. Il sert souvent de chien de garde, il est attaché durant la journée proche de la porte d’entrée37 et la nuit il est lâché pour protéger la maison des voleurs et des intrus. La protection d’un chien de garde n’est par superflue, l’insécurité des rues de 32 Horace, Epitres, 1, 1, 8-9 Ovide, Les Pontiques, II, XI, 21-22 34 Suétone, Caligula, LV 35 Horace, Epitres, 2, 2, 72 36 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, VIII, LXI 37 Pétrone, Satyricon, II, XXIX 33 11 Rome est notoire. Ils sont aussi très pratiques pour faire fuir les amants qui la nuit guettent l’occasion de se glisser dans les demeures. Les nombreuses citations des poètes sont là pour étayer cette utilité. Souvent on informe le passant, un avertissement signale le chien méchant, comme chez Trimalcion où on lisait « Gare au chien »38. Les Romains apprécient beaucoup aussi les chiens de compagnie. Généralement, il s’agit de petites races et souvent de femelles dont on préfère le caractère plus doux. Martial évoque à plusieurs reprises Issa « la petite chienne » de Publius pour laquelle celui-ci se passionne39, ou encore le caniche de Manneia, sur laquelle il fait une cinglante satire40. Ces animaux de compagnie sont très gâtés, telle les chiennes de Malchion auxquelles il fait manger des boyaux d’oie qui sont un met recherché41. La présence de ces animaux s’accompagne des nuisances, celles-ci sont mises en avant par les auteurs, que ce soit les aboiements intempestifs 42 ou les excréments 43 . Paradoxalement, comme nous l’avons vu précédemment, les chiens peuvent aussi être synonyme d’effroi pour les habitants de Rome du fait du très grand nombre de chiens errants. Contrairement à aujourd’hui, le chat demeure une rareté à Rome. Les historiens pensent qu’il arrive dans les murs de l’Urbs à l’époque d’Auguste. Il parait peu probable que les Romains avides d’exotisme, aient négligé cet animal égyptien. Cependant, le chat domestique n’apparaît pas dans la littérature latine. Les auteurs latins font de nombreuses allusions aux perroquets, mais, d’importation tardive, ils restent très rares à Rome. De plus, les descriptions que nous en avons, ou les représentations qu’on trouve à Pompéi, correspondent à la perruche à collier et non au perroquet que nous connaissons. Afin de remplacer les perroquets trop coûteux on dresse divers oiseaux pour les remplacer, comme le corbeau, la pie, … C’est une pie qui accueillait les arrivants dans la demeure de Trimalcion44, Martial évoque lui aussi une pie qui sait saluer45. Le corbeau est également éduqué pour imiter la voie humaine. Malgré cela et son statut sacré, il est l’oiseau d’Apollon et de Mithra, le 38 Ibid, II, XXIX Martial, Epigrammes, 1, 109 40 Ibid, 1, 83 41 Ibid, 3, 82 42 Perse, satires, I, 108-109 43 Juvénal, Satires, 14, 1, 64 44 Pétrone, Satyricon, II, XVIII 45 Martial, Epigramme, 3, 60 39 12 corbeau reste aussi un charognard qui s’attaque aux corps comme l’indiquent de nombreuses citations46. Contrairement à celui-ci, la corneille est presque toujours de bon augure. Pline témoigne de son talent pour la parole et nous dit « il y a dans Rome une corneille, […], elle prononce des phrases entières et, chaque jour, elle en apprend de nouvelles »47 . Les oiseaux chanteurs sont également très appréciés des Romains qui aiment beaucoup leur chant. Les nombreux jardins publics ou privés de la cité résonnent de leurs chants, qu’ils soient sauvages ou dans des volières. Le rossignol est le plus réputé des oiseaux chanteurs, selon les Romains il est doté d’un sens musical inné. Un bon rossignol se vend aussi cher qu’un perroquet et dépasse même le prix des esclaves. Martial cite une dénommée Telesilla qui fit construire un monument à son défunt rossignol 48 , Pline le Jeune parle d’un jeune romain qui possédait de très nombreux animaux de compagnie dont des perroquets et des rossignols49. Le développement du luxe et de la gastronomie voit même apparaître une certaine habitude à l’excentricité alimentaire chez les romains les plus riches. Horace nous rapporte ainsi le cas des fils de l’un des ces fortunés romains « qui avaient pour l’habitude de déjeuner avec des rossignoles achetés au poids de l’or »50. Le Merle est également apprécié comme oiseau chanteur, lui aussi va subir les assauts des gourmets romains et finir sur les tables51. Le moineau entre dans la catégorie des oiseaux chanteurs, il semble très facile à apprivoiser et fait la joie de tous, même des plus aisées telle cette amie de Catulle52. Comme le dit J. Amat, « la variété de ces espèces apprivoisées témoigne du plaisir esthétique et affectif qu’éprouvaient les Romains à voir voleter dans leur demeure des oiseaux de toutes sortes »53. Les poneys sauvages on été domestiqués par les Gaulois, ils gagnent l’Italie mais vont être un objet de luxe. On les offre aux enfants dans les riches demeures, Pline le Jeune relate le cas d’un jeune Romain qui possédait nombre d’animaux de toutes espèces dont des poneys gaulois54. 46 Cf annexe III p.27 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, X, 60 48 Martial, Epigramme, 7, 87 49 Pline le Jeune, Lettres, IV, 2, 3 50 Horace, Satires, 2, 3, 245 51 Ibid, 2, 9, 90 52 Catulle, Poésies, 3, 2-4 53 J. Amat, les animaux familiers dans la Rome antique, Paris, 2002, p.154 54 Pline le Jeune, Lettres, IV, 2, 3 47 13 Les reptiles comme animaux familiers devaient être peu courants. Martial nous cite tout de même une dénommée Glaucilla qui enlaçait à son cou un serpent55. Suétone prend pour exemple Tibère qui possédait un serpent et fut bien attristé par sa perte56. Le singe existe à Rome mais il reste un animal de luxe attaché à certaines riches demeures. C’est un animal de parade et d’amusement. Les Romains aiment ses grimaces, ils s’étonnent de son agilité et apprécient ses numéros de cirque. Martial évoque le cas d’un dénommé Cronius qui aime tout particulièrement son singe57. Les anciens ont été frappés par la ressemblance avec la morphologie humaine. Ils passent pour être les plus proches parents de l’homme et donc les plus évolués des animaux. Ils sont surtout dotés d’un grand talent pour l’imitation, Pline l’Ancien relate l’histoire d’une guenon apprivoisée qui aimait porter son petit dans ses bras et le montrer aux invités58. Les singes sont donc des animaux de grand luxe qu’il n’est pas habituel de trouver dans les rues de Rome. L’envie d’exotisme des Romains a touché les animaux familiers, certains souhaitant se détacher et acquerrant à grand frais des espèces rares, tel cet homme dont Martial nous dit qu’il se fait une joie de posséder un ichneumon 59, vraisemblablement une mangouste d’Egypte. L’éventail des animaux susceptibles de fournir une compagnie paraît plus large que de nos jours. Pratiquement tous les animaux sauvages peuvent être apprivoisés, sauf s’ils sont de mauvais augures. 4. Religion Pour les anciens, les animaux participent aussi de la religion ou de la superstition. A Rome, la religion s’inscrit dans l’ancienne tradition étrusque où l’art divinatoire est tenu en grand honneur. Les animaux sont des intermédiaires énigmatiques entre le monde des dieux et celui des hommes. Ils apportent signes et messages qu’il faut savoir déchiffrer. Cette vision et cet intérêt pour la religion transparaît au travers des citations en totalisant 10,5% des passages retenus. De part sa nature même, la religion romaine 55 Martial, Epigramme, 7, 87 Suétone, Tibère, 72 57 Martial, Epigramme, 7, 87 58 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, VIII, LXXX 59 Martial, Epigramme, 7, 87 56 14 est une grande consommatrice d’animaux. Cependant, « on ne sacrifiait pas aux dieux célestes comme on sacrifiait à ceux d’en bas, aux dieux comme aux déesses ; un sacrifice célébré devant un temple ou un autel en ville ne ressemblait pas tout à fait un sacrifice offert sur le territoire, dans un bois sacré ou sur l’eau. »60 Chaque divinité à donc son animal favori et son sacrifice privilégié. La colombe, symbole de pureté, est l’animal de Vénus. Properce évoque le sacrifice d’une colombe en l’honneur de la déesse61. Le paon est l’oiseau de Junon, la reine des dieux et du ciel prenait, disait-on, un soin particulier des parures et des ornements des femmes. Les Romains s’émerveillent devant le plumage du paon, Ovide s’exclame « loue son plumage, l’oiseau de Junon le déploie »62. Toutes les espèces animales servent aux sacrifices, des plus petites comme les grenouilles, aux plus grosses comme les bœufs. L’immolation des bovins est réservée aux plus riches et à l’Etat. Les personnes les plus aisées rivalisent de largesses et d’extraordinaires sacrifices afin d’attirer l’attention des dieux. Juvénal nous dit « on en voit qui promettent jusqu’à cent bœufs, puisqu’à Rome on ne vend pas d’éléphants au marché » 63 . Les moins fortunés se contentent de porcs, boucs, chèvres, brebis et animaux des mêmes espèces. La religion joue encore un rôle crucial aussi du fait de la répartition alimentaire des victimes sacrifiées. L’attribution et la répartition des portions joue un véritable rôle social. Elle révèle la hiérarchie de la société romaine, tout le monde n’est pas convié au sacrifice et ne reçoit pas une part de viande64. Ces différents facteurs, ainsi que l’importance du corpus de source se referant aux pratiques sacrificielles, prouvent l’intérêt de l’étude de la religion romaine pour cette recherche sur la vie animale à Rome. 60 J. Scheid, Quand faire, c’est croire, Paris, 2005, p.15 Properce, Elégies, IVn V, 65 62 Ovide, l’art d’aimer, I, 625-626 63 Juvénal, Satires, 12, 102-103 64 SCHEID J., Quand faire, c’est croire. Les rites sacrificiels des Romains, Paris, 2005 61 15 Table des matières Remerciements ………………………………………………………………………... p.3 Introduction …………………………………………………………………………... p.4 PARTIE I : Présentation de la démarche et des sources …………………….......... p.8 A. La méthode de travail ……………………………………………………………… p.10 B. Les outils documentaires …………………………………………………………… p.12 C. Les auteurs latins …………………………………………………………………… 1. Historiens ………………………………………………………………………... 2. Hommes politiques ……………………………………………………………… 3. Poètes ……………………………………………………………………………. 4. Polygraphes ……………………………………………………………………… 5. Auteurs étudiés mais non utilisés ……………………………………………….. p.14 p.15 p.16 p.17 p.19 p.20 PARTIE II : De l'historiographie à un essai d'analyse ……………………………. p.24 A. Historiographie et état de la question ……………………………………………… p.26 B. Critique des sources ………………………………………………………………... p.29 C. Présence de la vie animale …………………………………………………………. 1. Gastronomie, luxe et vie animale ……………………………………………….. 2. Vie quotidienne et vie animale ………………………………………………….. 3. Animaux familiers ………………………………………………………………. 4. Religion ………………………………………………………………………….. p.33 p.34 p.36 p.39 p.43 PARTIE III : Perspectives de recherches …………………………………………... p.46 A. Archéozoologie, biologie et médecine ……………………………………………... p.48 B. Commerce et droit ………………………………………………………………….. p.49 C. Peintures, mosaïques, sculptures et numismatiques ………………………………... p.50 16 D. Epigraphie, latin et littérture latine ………………………………………………… p.51 Conclusion ………..…………………………………………………………………... p.54 Bibliographie ………………………………………………………………………….. p.58 Table des matières …………………………………………………………………….. p.68 17