CATALOGUE DES COLLECTIONS DEF2 14 juin 2015

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CATALOGUE DES COLLECTIONS DEF2 14 juin 2015
CATALOGUE DES COLLECTIONS
Christian & Sylvie Mayeur
Entrepart
Crédit photos Donatien Rousseau (sauf mentions spécifiques)
La Coursive – juin 2015
1
La collection Christian et Sylvie Mayeur
Une collection manifeste
Christian Mayeur fit son premier achat il y a 20 ans, sans savoir qu’il allait constituer une collection d’oeuvres d’art. L’art occupe une place centrale dans sa vie
depuis l’enfance, en tant qu’artiste, puis entrepreneur, puis collectionneur.
Sa rencontre avec Sylvie dans les années 90 fut placée sous le signe du partage de la passion pour l’expérience de l’art. Bientôt, Christian et Sylvie se
préparèrent à une expérience extrême, celle du Land art dans la traversée des déserts américains. La découverte toute pionnière d’œuvres d’artistes comme
Robert Smithson, et Michael Heizer fut l’occasion de véritables voyages initiatiques.
Il y a 15 ans, convaincus de l’importance de l’art pour l’économie et la société, ils fondèrent Entrepart, entreprise dédiée aux coopérations entre artistes et
entrepreneurs pour ouvrir de nouveaux champs d’innovation. Ce qui les conduisit à multiplier les relations avec les artistes et à créer une approche unique
d’hybridation entre les processus de l’art et ceux de l’entreprise, qui constitue à ce jour l’essentiel de leur travail artistique, Christian pratiquant également
assidûment le dessin et Sylvie, la photographie et le collage.
Une logique s’ensuivit où les rencontres chaleureuses avec les artistes prirent une place primordiale. C’est à partir de ce moment là que Christian et Sylvie
Mayeur décidèrent d’ajouter la collection, comme une dimension supplémentaire à leur contribution à l’économie de l’art, ce qui généra un autre rapport aux
artistes. Par exemple, ils rencontrèrent et fréquentèrent Orlan, artiste pour qui l’hybridation concrétise une identité multiple, témoignage d’un être au monde
nomade, questions essentielles pour Christian & Sylvie Mayeur.
De fait, l’art est un ensemble de vérités contingentes, transitoires comme les entreprises qui s’inscrivent dans le mouvement perpétuel de l’innovation. Il y eut
aussi Frédérique Loutz, qu’ils rencontrèrent en 2005 lors une exposition individuelle de l’artiste au musée Raymond Lafage à Lisle-sur-Tarn, dans le Sud-Ouest
de la France, où les deux collectionneurs ont élu domicile, ou encore Bruno Botella avec qui Christian Mayeur entama un dialogue approfondi lors de la Foire
« Art Rotterdam », en 2013.
Pour Christian et Sylvie Mayeur, l’acte d’achat d’une œuvre implique un choix électif face aux autres produits de consommation, dans l’esprit de Joseph Beuys1.
De fait, acheter de l’art pour le couple répond à un désir, non pas à un besoin. C’est un acte d’engagement, au delà du coup de cœur pour l’œuvre d’art qui
fera partie de leur environnement immédiat et quotidien. C’est aussi un acte de partage, notamment pour les œuvres destinées à la collection Entrepart. En
dehors des commissions d’achats institutionnelles, acheter une œuvre pour un collectionneur est un acte fort, sans compromis et en dehors de toute mode.
« C’est un corps à corps à chaque fois unique avec l’artiste et son œuvre », relate Christian Mayeur. Mais aussi par l’acte d’achat, on met en circulation et on
établit en résonance des fragments du « grand tout » de l’art. Et surtout, c’est la valorisation du travail artistique qui est affirmée par cet acte. « Cependant, nous
restons des collectionneurs modestes, réfléchis, où le temps passé, directement ou virtuellement, avec chaque artiste est important, dans une relation de
découverte.»
« Vivre de manière intime avec les œuvres d’art crée des proximités : c’est une nourriture quotidienne, que l’on peut partager avec les autres, en l’occurrence
avec les amis, c’est aussi avoir en mémoire le fait que l’artiste et la nature résistent aux apparences du monde, face à un réel qu’on essaie en vain d’apprivoiser.
Mais c’est aussi, avoir à l’esprit l’intuition de ce qui nous échappe, de la forme sous-jacente aux apparences du monde »
« Vivre intimement avec une collection d’œuvres d’art, c’est se sentir rassérénés face à l’immense vide qui nous entoure. Pour les extrême-orientaux, le monde
est vide, derrière le ciel il y a le vide sidéral, l’homme a eu l’intuition de ce vide depuis la Préhistoire, en laissant des traces pariétales de son passage. A la
2
différence des temps anciens, grâce aux technologies modernes, on peut construire une ville en ayant toujours le désert sous les yeux, en gardant la connexion
avec le grand vide, c’est une des raisons de mon attirance pour Los Angeles, ville unique de la modernité accomplie, aujourd’hui post-moderne par excellence.
D’ailleurs, nous aimons les artistes qui représentent la ville postmoderne et ses habitats irréfléchis comme Bad Beuys Entertainment ou Simon Boudvin, qui
jonglent avec des hybridations de réalité qui nous échappent afin de construire une nouvelle fiction. Ici, à Lisle - sur - Tarn, nous vivons à l’opposé. Au XIIIème,
siècle, cette bastide s’est constituée comme une île anthropogène2 face au vide hostile environnant. »
Pour Michaël Heizer, pour qui Christian et Sylvie Mayeur ont une profonde admiration, les œuvres ouvrent justement sur le vide. La Coursive, lieu habité par
une collection dédiée à la tragédie du monde, se veut un univers de passage de Sud-Ouest à Sud-Ouest, de la France vers les Etats-Unis et vice-versa. Elle
est une hybridation en devenir entre le Moyen Age et le monde contemporain, un pont vers l’immémorial.
La tragédie du monde
Contre la modernité dramatique, raconteuse d’histoires rassurantes, les artistes que Christian et Sylvie Mayeur affectionnent rappellent la tragédie souterraine,
le réel sous-jacent du « Crime parfait », le destin et les stratégies fatales chères à Jean Baudrillard, un autre amoureux de Los Angeles. « Quand vous masquez
le réel, il finit par vous revenir en pleine figure », prévient Christian Mayeur. « Les artistes sont les témoins silencieux et vigilants de ce réel caché sous les
rassurantes réalités, de la beauté indicible du monde derrière les logorrhées socio-médiatiques. Ils sont les transmetteurs d’une mémoire immémoriale derrière
les apparences trompeuses des mises en récits du storytelling. L’art incarne aujourd’hui les mouvements profonds et imperceptibles de l’Histoire derrière
l’écume de l’actualité. Il transite l’énergie créatrice du désir derrière le miroir avilissant du divertissement. »
« En collectionnant, j’ai accordé une autre valeur à la tragédie du monde » affirme Christian Mayeur. Nombre d’artistes que choisit le couple sont de la même
lignée que Goya, Bacon ou Leroy. Ce sont des artistes de la béance, du cri, de la bouche d’ombre, témoignant d’un monde incertain, instable et en mouvance.
Ils portent dans leurs œuvres la conscience de la dégradation de la mort qui rend la vie plus vivante, et en l’occurrence la dimension d’un monde en
transformation. La question d’entropie est ainsi au cœur de la collection.
« L’art nous apprend à inventer et à vivre face à l’incommensurable et à la tragédie du monde. L’incommensurable - « The Surd » - est d’ailleurs un mot clé
pour Robert Smithson que nous admirons et dont nous avons collectionné quelques photos et éditions. C’est une dimension qui échappe à l‘échelle humaine
et à sa capacité d’entendement. »
En l’occurrence pour Sylvie et Christian Mayeur, l’art, au-delà du décoratif, constitue un des derniers bastions de liberté. Les grands mouvements du monde
traversent l’histoire de l’art dans un engagement d’hommes à hommes. Etre artiste est un acte héroïque, cela implique une discipline et un entrainement pour
se tenir droit3. L’humain se construit dans un travail de création et de relations avec les autres.
Comme Atlas, l’artiste porte le poids du monde. A la fin du XIXème siècle, l’historien d’art Aby Warburg, dans sa Mnémosyne, découvre, après l’avènement de
la photographie et la nouvelle circulation des images, la puissance de rapprochement et de coupure dans des images d’art, que sont les représentations de
peintures, de dessins, ou de danses. Cet atlas ou collection d’images pouvant sembler disparate, a été rendu possible pour la première fois grâce à la
photographie. Il a fait prendre conscience à son auteur de correspondances tragiques, au moment même où lui-même se trouvait écartelé au cœur de la
tragédie que fut la 1ère guerre mondiale.
Pour Christian et Sylvie Mayeur, le fatalisme est à bannir car les réalités peuvent se construire : « comme Lamarche-Ovize, dont nous possédons une installation
The Host vs ACME, nous pourrions dire que « nous sommes contraints d’utiliser un vocabulaire commun pour devenir individuels ».
En tension avec cette dimension qui couvre l’immensité du réel, la fragmentation est une caractéristique de notre époque postmoderne. Elle est un indice de la
fin de nos certitudes, de la disparition des identités stables et de la méfiance envers les mécanismes de totalisation. Dans la collection Sylvie et Christian
3
Mayeur, on trouve de nombreux collages, photomontages ou assemblages. Au delà du simple aspect technique, la conjonction de fragments ou de prélèvements
nés de la coupure (c’est le cut en littérature chez Burroughs ou Dos Passos) ou de la rupture, a une fonction poétique ou philosophique, produisant, comme
l’écrit Adorno, « des lignes de fuite.»
En lien avec la dialectique des sites et des non-sites propre au Land Art, les alignements de miroirs photographiés de Robert Smithson ou Double Negative de
Michael Heizer, sont des manifestations d’intervalles et de coupures dans l’espace-temps. Néanmoins, par le déplacement, ces œuvres s’instaurent comme
figures de rapprochement entre la réalité fragmentaire et la fiction, ouvrant à une dimension autre pour quiconque qui en fait l’expérience mentale ou, physique.
Le mouvement même du collage donne l’intuition d’un monde « feuilleté » et suggère non seulement l’existence d’une troisième dimension, celle du temps de
la gestation, du temps des possibles (kairos), entre les dimensions familières de l’espace et du temps chronologique (kronos), mais aussi d’une quatrième
dimension spirituelle, qui advient selon Christian Mayeur avec la double négation chez Heizer4. Cette dimension est par exemple très palpable dans les
« Beautiful Landscapes » de Pauline Bastard, artiste présente dans la collection.
Cette « double négation » qui intitule l'œuvre est une vraie coupure du vide dans le vide en plein Canyon, dans l’espace-temps illimité du désert américain. Elle
s’instaure comme œuvre à part entière, comme absence, dans ce qui a été déplacé. Vide dans le vide. Aporie matérielle. Ouverture à la béance spirituelle.
Mais aussi « échange impossible ».
« Je suis agnostique. Je crois au divin, non pas à la religion. Et j’insiste sur le fait que le monde est une grande déchirure, et qu’heureusement les artistes
existent », affirme Christian Mayeur. « Par et dans les œuvres d’art transite la pulsion vitale, nourrie par la conscience de la mortalité. Je crois à l’énergie de
l’entreprise artistique, à l’énergie de l’être-là, de l’expérience, dans le bruit assourdissant du silence, que ce soit dans les répétitions du soufisme, dans les
transes des quakers ou la puissance du rock n’roll » Et de citer Mireille Kassar, artiste de la collection : « Aucun dialogue ne remplacera le silence d’une œuvre
d’art.»
La sérendipité, qu’évoquent Jon Bernad et Helena Faneca, autres artistes présents dans la collection, est un concept cher à Sylvie Mayeur. Ce qui est inattendu
lors d’une expérience empirique de l’art et de la vie, ce qui relève d’un concours de circonstances non pas gratuit mais fortuit, est un des indices d’un flux, de
l’énergie traversant le monde visible et l’invisible. Bref, la sérendipité est l’un des contre-points à la rationalité froide qui nous enveloppe. Elle est encore alliance
avec le temps du Kairos.
Cette collection s’incarne comme un manifeste sans avoir la nostalgie des avant-gardes. Elle se fonde dans la conscience de notre propre finitude entre
mélancolie et énergie, dans une posture Dandy, régénérée dans le Rock n’roll par des artistes emblématiques comme Alice Cooper ou Lou Reed, porteurs de
l’idée du double. Christian Mayeur rappelle que dans l’ordre des valeurs, « l’esthétique est supérieure à l’éthique ».
L’art se révèle dans cette collection comme expérience de la tragédie du monde, en résistance aux vanités mondaines, à l’obscénité moderne et au fétichisme
de la matérialité des objets.
La collection Christian & Sylvie Mayeur est une invitation au partage, à une ouverture sur l’immémorial. Dans leurs choix comme dans sa disposition à La
Coursive, la collection met en relation des artistes qui ne se seraient jamais rencontrés. La confrontation des univers opère un arc de cercle dans l’architecture
du bâtiment.
« Pour rassembler ces œuvres, il faut une sacrée énergie, des années de sédimentation, de rapprochement, des intentions qui ont mûri, des réflexions sur la
condition humaine comme sur le cosmos, le supra-humain ou le post-humain », déclarent joyeusement Christian & Sylvie Mayeur.
Helena Faneca, sur la base d’un entretien avec Christian & Sylvie Mayeur
4
Liste des artistes
Artiste
Ancel, Franck
Bad Beuys Entertainment
Barto, Eva
Bastard, Pauline
Beck, Lisa
Beeri, Tuvia
Beloufa, Neil
Benchamma, Abdelkader
Bernad, Jon
Blais, Dominique
Bogaerts, Diane
Botella, Bruno
Boudvin, Simon
Bourgeois, Louise
Charroin, Julien
Nat.
F
F
F
F
USA
IL
F/DZ
F
USA
F
B
F
F
USA
F
Curnier-Jardin, Pauline
Desmerges, Jean-Claude
F
F
Faneca, Helena
Favero, Jean-Luc
F
F
Glasser, Jason
Heizer, Michael
USA
USA
Hubber Sloan, David-Alexander
Kassar, Mireille
Kreiss, Marcus
Lamarche-Ovize
USA
F/RL
D
F
Leroy, Sébastien
Loutz, Frédérique
Lutz, Estrid et Molde, Emile
Marsolier, Lauren
Mast, Emily
F
F
F
F/USA
USA
Mediums
Disques vinyles d’artiste
Photomontage numérique
Sculpture métallique
Photographie à partir de collages
Peinture huile sur bois
Eau forte
Impression photographique numérique
Lithographie 3 couleurs
Ticket de cinéma, ready made
Photographie couleur. Diptyque.
Huile; fusain
Silicone, tranches à la découpe
Photographie numérique
Lithographie numérotée et signée
Sculpture papier plastique, ruban adhésif,
ficelle
Disque vinyle d’artiste
Peinture vinylique ; Techniques mixtes sur
toile
Collage, feutre noir à pointe fine
Dessin au brou de noix sur feuilles de
registre comptable du XIXème siècle
Gouache sur papier Bristol
Affiche signée par l’artiste, technique offset
sur papier d’Art 300 grammes
Huile sur bois
Pigments naturels sur papier Arche
Vidéos sur DVD
Sculpture bois, corde, poignée, plexiglas,
aérosol
Bouteilles de verre de Grésigne emplies de
vin
Techniques mixtes sur papier
Sculpture, techniques mixtes
Photographie couleur. Diptyque.
Peinture acrylique originale sur papier
Date(s) de réalisation des œuvres
2013
2011
2014
2012
2012
1988
2012
2013
2013
2013
1999, 1999, 2000
2012
2005
2005
2008
Collection
Christian & Sylvie Mayeur
Entrepart
Entrepart
Entrepart
Entrepart
Christian Mayeur
Entrepart
Christian & Sylvie Mayeur
Christian & Sylvie Mayeur
Entrepart
Christian & Sylvie Mayeur
Christian Mayeur
Sylvie Mayeur
Sylvie Mayeur
Christian & Sylvie Mayeur
2008 - 2010
1988, 2000, 2000, 2001, 2003
Christian & Sylvie Mayeur
Christian & Sylvie Mayeur
2013
2014, 2014, 2014, 2014
Entrepart
Christian Mayeur
2014
1969 - 2012
Christian Mayeur
Entrepart
2009
2011 - 2013
2001, 2003
2008 - 2012
Christian Mayeur
Christian Mayeur
Christian & Sylvie Mayeur
Entrepart
2014
Christian Mayeur
2005
2014
2013
2012
Entrepart
Entrepart
Christian Mayeur
Christian Mayeur
5
Moriceau & Mrzyk
Mossé, Virginie
F, D
F
Nédélec, Julien
Nguyen, Thin
Op de Beeck, Hans
F
USA
B
ORLAN
Pettibon, Raymond
Poret, Jérôme
Prévieux, Julien
Price, Asher
Ramdani, Samir
Smithson, Robert
F
USA
F
F
USA
F
USA
Stecklow, Jesse
USA
Sugar, Janos
Sujin, Stella
Toma, Yann
Visser, Kees
Van Wolputte, Philippe
H
ROK
F
NL
B
Yu, Zhu
CHN
Encre et acrylique sur papier
Sérigraphies sur toile et châssis en bois, sur
papier
Céramique émaillée, livre d’artiste
Sculpture feutre, fils cousus, papier
Encre, aquarelle et crayon sur papier
Hahnemühle
Cibachrome collé sur aluminium
Gravure
Coffret 3 / 9, contenant 25 sérigraphies
Encre de Chine sur papier
Impression jet d’encre qualité « Archive »
Film HD, 40’
Photographie en noir et blanc ; Impression
lithophotographique en couleur
Plexiglas, impression numérique sur feuille
d’aluminium, châssis d’aluminium intégré à
l’œuvre
Encre sur papier
Aquarelle sur papier
Huile sur toile
Tressage sur papier
Impression sur feuilles transparentes,
scotch, aluminium, MDF, peinture
Aquarelle, acrylique, encre de Chine
2005, 2008, 2008
2012, 2012, 2012
Entrepart ; Christian & Sylvie Mayeur
Christian Mayeur
2011, 2012
2011
2014, 2014
Entrepart ; Christian Mayeur
Christian Mayeur
Christian Mayeur
1999
2005
2013
2014
2015
2014
1969, 1970
Entrepart
Christian Mayeur
Christian Mayeur
Christian Mayeur
Christian Mayeur
Christian Mayeur
Entrepart
2014
Entrepart
1987
2014
2006
2013
2014
Christian Mayeur
Christian & Sylvie Mayeur
Entrepart
Entrepart
Entrepart
2000
Christian & Sylvie Mayeur
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Franck Ancel
LBDLC Σ
Le Bruit de la Conversation
2013
Pochette de disque vinyle éditée en noir et blanc,
Avec la sculpture Sphère-trâme de François Morellet
2013
Edition n°289/333
Collection Christian & Sylvie Mayeur
7
Franck Ancel est né en 1970, en Île de France.
Il explore, entre autres, la numérisation avec des créations post-scénographiques produites par lui autour d’un Global Poétique Système. Il met en jeux tant le
visiteur que le spectateur, par un prisme créatif, hors des frontières, en projetant via des écrans réels-symboliques-imaginaires, une mise en réseaux de données
post-médiatiques.
Cela trace une ligne de crête depuis les avant-gardes artistiques du siècle dernier jusqu’aux récentes mutations de la création contemporaine à l’échelle
planétaire.
Sa coordination de la rétrospective du scénographe Jacques Poliéri à la Bibliothèque nationale de France, ses nombreux parcours ou divers commissariats,
naviguent entre théorie et pratique, du champ culturel à l’art d’aujourd’hui. Certaines de ses œuvres font partie de collections privées à Vienne et Bruxelles et,
il édite également des multiples limités à 27 exemplaires.
On peut ainsi découvrir la contextualisation de ses œuvres en néon dans des librairies à Paris ou Marseille, depuis le centenaire du néon, lire plus d'une
vingtaine de ses textes dans des publications en Français ou en Anglais.
Artisan de sa vie depuis plus de quarante ans, dont plus de la moitié consacrée à des projets connectés à travers une grille de 27 relations : 1987-2014 /
architecture-environnement / Kiesler-Polieri / néo-avant-garde / espace-temps / invisible-visible / technologie-science / langue-forme / réseau-donnée /
marathon-voile / histoire-mémoire / liberté-amour / écran-scène / son-couleur / phare-satellite / île-désert / communauté-être / corps-mouvement / passé-futur /
peau-âme / spiritualité-poésie / scénographie-zérographie / silence-bruit / mot-souffle / Sardaigne-Alsace / 0-1 / Méditation-Yoga.
Sa signature de séries artistiques variées, entre édition-installation-performance, sous forme de triptyque, triade ou trilogie n'est pas sans rapport avec des
nœuds borroméens, par-delà le spectacle, à l'horizon d'une équanimité.
Le nœud borroméen est une figure chère à Christian et Sylvie Mayeur, utilisée régulièrement dans les accompagnements stratégiques et artistiques de
dirigeants, notamment dans les phases de passation de transformation de gouvernance. Il est donc assez naturel que deux exemplaires de « Le Bruit De La
Conversation » figurent dans la collection de Christian & Sylvie Mayeur.
« Le Bruit De La Conversation » est une collection de disques vinyles d'artistes, initiée en 2013 par Franck Ancel, avec la complicité de Baptiste Houssin,
directeur de « Je me souviens / La mémoire neuve », co-fondateur avec Franck Ancel des éditions AH AH.
A noter Baptiste Houssin est un partenaire régulier d’Entrepart dans ses actions de Design relationnel,
Librement inspiré du principe de PechaKusha, chaque disque de la collection « Le Bruit De La Conversation » comprend une face textuelle (de 20 x 20
secondes) et l'autre musicale, chacune de 6m40s.
A l'occasion du centenaire du manifeste de L'art des bruits de Luigi Russolo, le premier Opus de la collection LBDLC OO sort le 13 mars 2013 et rassemble 4
projets. (8 tirages de têtes en coffret / 64 exemplaires)
En 2014, avec le soutien d'agnès b., le deuxième disque de la collection LBDLC Σ a mis en jeu 20 témoignages vivants du festival Sigma de Bordeaux et la
pièce du musicien Pierre Henry Lévitation qu'il a spécialement remixée pour l'occasion.
8
Le 26 septembre 2015, pour le Festival International du Disque de Perpignan, le disque LBDLC >< sera édité avec un remix de la pièce Composition pour
Marcel Duchamp de John Cage par Vincent Epplay et une lecture extraite du chapitre labyrinthe de l'Abrégé de littérature portative d'Enrique Vila-Matas.
L'une et l'autre de ces éditions sont en noir et blanc, avec la sculpture Sphère-trâme de François Morellet pour LBDLC Σ et la photo Rayon Vert de Denise
Bellon pour notre troisième opus LBDLC ><, et une pochette blanche percée par 4 balles de 9mm pour LBDLC OO.
Sources :
www.ahahah-editions.fr
[email protected]
Courtesy : Franck Ancel, Paris et ahahah editions, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Bad Beuys Entertainment
LOW TECH INDUSTRY RED MOTOR DRIVE
2011
Photomontage numérique, 1/1, 17 x 19 cm
Collection Entrepart
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Bad Beuys Entertainment est un collectif d’artistes créé en 1999 à Cergy-Pontoise et dissout en 2007.
Il a été fondé par Mourad Ben Sassi, Olivier Cazin, Matthieu Clainchard, Pascal François et Hugues Maréchal et a connu une carrière fulgurante, très vite
relayée au niveau international (Belgique, Danemark, Corée, Brésil, Suède, Irlande, Pays-Bas…).
Il est vrai que le travail de Bad Beuys Entertainment a fait irruption sur la scène artistique comme un uppercut.
Le collectif fonctionne sur le cliché de la « bande de jeunes », sans hiérarchie définie au sein du groupe, dont le nombre et l’implication varient. The CREW,
terme angliciste du hip-hop, est appliqué à un groupe d’individus réunis autour d’un médium partagé et collectif (Rap, graffiti, streetwear, breakdance). En
l’occurrence, il est appliqué ici à un groupe d’étudiants, réuni au début de l’aventure au sein de l’école Supérieure d’Art de Cergy Pontoise.
Bad Beuys Entertainment puise son étymologie dans la culture hip-hop du « Bad Boy » et, du patronyme de l’artiste allemand Joseph Beuys. Beuys qui voulait
une réforme de la société débutant par sa production culturelle. Le collectif reprend à son compte la démarche de « sculpture sociale » de Beuys et remet en
question les productions culturelles de masse, l’industrie du divertissement et du spectacle.
C’est un projet de sitcom tourné clandestinement dans un grand magasin de meubles suédois, lorsqu’ils étaient étudiants à Cergy, qui les implante sur la scène
de l’art contemporain.
Le paysage de la TECI (la « cité » en verlan) et de ses grands ensembles architecturaux, son contexte social périurbain, ses enjeux esthétiques, politiques et
utopiques devient le sujet de représentation du collectif. Ils travaillent avec les objets et des concepts de l’environnement familier, de l’ordre du quotidien, « du
tout ce qui est proche » qui est un terme utilisé par Michel Maffesoli à propos de l’imaginaire de la société postmoderne. BBE se réapproprient le Sample de
la culture Hip-Hop comme dispositifs sonores mais aussi visuels à l’exemple du photomontage de la collection Entrepart.
Dans les dynamiques qu’elle met en œuvre auprès des entreprises, Entrepart se réfère justement fréquemment à l’expression de Nicolas Bourriaud : « L’art
d’aujourd’hui est un banc de montage alternatif de la réalité, là où se redécoupent les scénarios sociaux. »5
Le Sample est un court passage musical emprunté à un morceau de musique déjà existant, mis en boucle afin de créer un nouveau morceau. Les DJs Grand
Master Flash et Afrika Bambaataa furent les pionniers de ce dispositif.
Les œuvres de Bad Beuys Entertainment sont dépouillées, minimalistes et revendiquées comme hétéroclites. Pour les artistes, « elles dépendent « des
perceptions, d'observations de modèles architecturaux, de standards de représentations médiatiques et décoratifs, révèlent des aspects, insolites, répressifs,
économiques, anthropiques, ludiques, sociaux, culturels et enfin esthétiques de notre milieu de vie » (extrait du site Internet de BBE). La standardisation, la
norme, le cliché, le vulgaire retiennent leur intérêt, « le standard est à coup sûr un caractère dominant de notre milieu de vie et du spectacle qui lui servent de
papier peint (élément décoratif périssable de recouvrement) », relatent ces artistes. Les normes ne vont pas sans les mesures et « prendre des mesures, pour
BBE est une expression synonyme de manœuvres de répression, d'interdiction, etc., qui appartient au champ lexical du pouvoir et de la domination) ». Ce qui
fait que « BBE porte une attention particulière aux mesures (métrage) ». En l’occurrence, le collectif « règle l'échelle de ses maquettes/dispositifs et la taille
réelle des objets reproduits, sur des standards de représentation et sur des formats usuels ». Par exemple la durée de leurs épisodes de SICTOM obéit à la
durée réelle d’un épisode de Sitcom.
11
BBE utilise les standards, les formatages qui nous conditionnent, de manière à nous faire réagir, revendiquant un art de proximité interactif et activiste dans
l’espace public. Souvent leurs installations confrontent le spectateur aux dispositifs spatiaux relevant des expériences de l’espace des paysages périurbains.
Elles sont conçues comme des formes singulières, afin que les spectateurs aient un rapport de proximité très physique, sensitif, avec elles, BBE aime lier le
monumental au banal. Dans Sanisette (4m x 1,5m x 2,8 m), installation de 2004, la coquille d’un module de toilette publique reproduite à même échelle 1
bouche la vue et obstrue le passage de l’exposition aux visiteurs.
LOW TECH INDUSTRY RED MOTOR DRIVE, œuvre de la collection Entrepart évoque les grands ensembles architecturaux, les no man's lands et autres
horizons périurbains, thème récurrent pour ce collectif. Les nombreuses actions artistiques d’Entrepart dans le secteur de l’habitat social (Pas-de-Calais habitat,
Nantes Habitat) ont permis de révéler que dans ce secteur où la réalité semble figée, des transformations sont possibles, sur la base d’une approche postmoderne de l’émergence de nouvelles réalités par d’autres arrangements des représentations de leur écosystème avec et par les habitants eux-mêmes.
Une petite histoire de l’urbanisme (2005), est une histoire arbitraire du collectif sur l’urbanisme et l’habitat, C’est un zapping d’images collectées en naviguant
sur Google, générant des analogies formelles, des perceptions subjectives. Et aussi d’hypothétiques paysages, des non-lieux, des simulacres en carton pâte
d’une réalité que représentent des hybridations fragmentaires d’images zappées. Un film composé de 900 images-documents fut construit comme un outil
pédagogique anachronique de vulgarisation. Son dispositif découle du sampling de la culture Hip Hop et, plus particulièrement de la technique du mash up. Le
mash up est une pratique de DJ qui consiste à pousser à l’extrême l’adjonction à la version instrumentale d’une chanson, les paroles d’un ou plusieurs autres
morceaux (et inversement). Mais, littéralement mash up signifie « mettre en purée ».
Dans LOW TECH INDUSTRY RED MOTOR DRIVE, une barre d’immeuble, agencée comme un « habitat bricolé » est placée au centre de l’image. Le mash
up est transposé visuellement avec la répétition des mêmes fragments, que sont les hypothétiques ouvertures constituées par des alignements de fenêtres en
étage, d’où s’abstrait tout mur porteur. BBE tourne en dérision les villes nouvelles et leur projet urbain utopique. Cependant le bricolé, le décalé, l’inattendu, la
mélancolie qui émane de ce photomontage gomme le cynisme qui peut en découler. Cette opposition à la norme objective, cette vérité des lieux et des objets
résonne également avec les célèbres réflexions de Joseph Beuys dans « Qu’est-ce que l’art ? ».
Le titre de l’œuvre, que l’on peut traduire approximativement par : « industrie à faible composante technologique conduite par un moteur rouge », mentionne la
voiture de la même couleur du photomontage qui nous « drive » vers la barre H.L.M. « Tu sais qu'en Afghanistan, ils décorent leurs maisons avec des photos
d'échangeurs autoroutiers?" relate l’un des membres, Stéphane Perrault.
Pour BBE c’est à la ville de s’adapter à l’homme et pas l’inverse.
Sources :
http://badbeuys.ent.free.fr
http://www.dailymotion.com/video/x3ownv_bad-beuys-entertainment-tracks-arte_fun
http://vimeo.com/5479362
Courtesy : Bad Beuys Entretainment, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Eva Barto
« Eat, stand »
Sculpture
2014
Production La BF15, Lyon
Crédit Images : © Jules Roeser / Blanche + Noire
Collection Entrepart
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Eva Barto est née en France en 1987. Elle vit et travaille à Paris.
Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Eva Barto a récemment suivi le programme de Post Diplôme des Beaux-Arts de Lyon,
dirigé par François Piron.
Son travail a fait l’objet de deux expositions personnelles à l’Institut Français d’Amérique Latine (Mexico) et à La BF15 (Lyon).
Actuellement en résidence à Triangle à Marseille elle participe en parallèle à une exposition en duo à la galerie Annex14, (Zurich) et prépare un nouveau projet
qui sera présenté à la l'espace Primo Piano (Paris) en mars 2015.
Par son travail dans le champ de l’art, Eva Barto déstabilise les enjeux qu’implique la propriété, une vaste notion d’appartenance qu’elle déjoue au travers du
contexte de l’exposition et du statut de l’auteur. Elle constitue des environnements ambigus et apparemment dénués de particularités dans lesquels il est difficile
de saisir ce qu’il faut considérer ou laisser pour compte.
Les objets qu’elle conçoit sont des emprunts au réel qu’elle copie, puis modifie pour leur donner une valeur d’imposture. Le paradoxe qu’elle met en place
convoque une fiction dans lesquels les avatars, les falsificateurs et les coupables de plagiat sont les acteurs même de sa réalité.
Dans le catalogue des diplômés 2013 - Ensba Edition -, Raphaël Brunel écrit, à propos d’Eva Barto : « Si le détournement d’objets du quotidien est une stratégie
artistique aujourd’hui largement éprouvée, il devient l’occasion chez Eva Barto d’une réflexion à la fois sérieuse et décalée sur le display et l’acte de montrer :
comment mettre en forme et en situation une œuvre, et ce sans crainte – il semble au contraire savamment cultivé – du paradoxe ? Gobelet, pare-soleil, plateaurepas ou tissu sont ainsi pliés, écrasés, découpés, cousus ou transformés afin de réagir à un contexte d’exposition singulier, de s’adapter à sa topographie. Il
en résulte une série d’agencements jalonnant l’espace comme autant d’indices à décrypter et parfois à trouver, certains d’entre eux ayant été dissimulés derrière
un recoin ou entre deux cloisons.
Dans cette enquête minutieuse où tout est affaire de détails, contenants et supports tiennent une place centrale, parfois réinjectés à leur tour dans ou sur une
autre structure porteuse. Eva Barto rejoue ici non sans humour certains présupposés de la sculpture tout en suggérant la possibilité d’un effondrement imminent.
De ces dispositifs émane une tension renforcée par des effets d’échos, réminiscences de formes, d’objets ou de logos, l’artiste nourrissant par ailleurs une
réflexion sur le faux-jumeau au travers de répliques « abîmées » ou de la duplication d’un site internet de galerie désormais consacrée aux hétéronymes et
artistes inventés. Elle produit ainsi une diversité de formes où le langage, notamment au travers des titres, sert de catalyseur, venant justifier ou transposer, de
manière volontairement exagérée, la nature et le sens de l’œuvre. »
« Eat, Stand », pièce de la Collection Entrepart, provient de l’installation d’Eva Barto intitulée « UNNOTICED REALITY », inscrite dans une programmation de
la BF15 à Lyon, liée aux enjeux, dispositifs et mécanismes inhérents à l’exposition.
Christian Mayeur a tiré de sa visite de l’exposition un article6 publié le 8 septembre 2014 par le site « la critique.org » et dont voici un extrait :
« Véritable dispositif de retournement de l’art contre son regardeur, « UNNOTICED REALITY » exposait tout d’abord… le visiteur à l’encerclement d’objets
doucement sarcastiques, de ces objets à qui Eva Barto possède le talent de donner vie, une vie née du déplacement de leur rôle.
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Le visiteur de ce jeu de réalités imbriquées peut croiser ses joies par les deux extrémités de l’expérience. Joie de l’analyse de chaque détail, de chaque fixationenfermement : Du cutter figé dans la surface d’un demi mange-debout (« Eat, stand », 2014) – la coupure, le tranchant sont indices d’analyse, aussi – au
tableau métallique avec sa chaîne et son stylo de plomb (« Signature », 2014) dont un coin légèrement tordu fait écho à l’esthétique du fiasco qui habite tout
l’espace. Joie de l’expérience globale du visiteur, rebondissant d’objet en objet comme la balle dans le flipper d’un serial cutter qui travaillerait dans le champ
de l’art. Expérience d’une exposition réalisée au scalpel, avec une belle espièglerie. Déplacer, bousculer, violenter avec application, puis figer. Trancher oui,
mais de biais. Amplifier le vide et étirer les distances. Cette exposition procède ainsi d’une cosmologie où minutie scripturale et scalpel mental font bon ménage,
sur fond de couleurs étain/argent (argent éteint). Travail sur l’échelle des objets et des temps. Travail sur le vide sidéral qui sépare et relie lesdits objets, sur le
vide de notre esprit, aussi. Ce vide est calculé, les trajectoires invisibles, "inaperçues", donnent le sentiment d’un microcosme où notre corps se déplace
traversant un faisceau de lignes immatérielles.
UNNOTICED REALITY marque avec légère ironie le retour de la tragédie du monde, tragédie de l’art, opérant ( !) par coupure. Car finalement (dans un final
sans fin), au-delà d’un discours étouffé par le crime parfait de la modernité, derrière le langage ou devant, il reste les objets qui, autonomes, tranchent dans le
vif. »
Avec cette pièce ressurgissent les motifs de la coupure et des réalités invisibles, de l’étrangeté même du Réel où se nourrit l’imaginaire, qui sont, du point de
vue des collectionneurs, des apports cruciaux de l’art à l’heure du lénifiant storytelling.
Sources :
www.evabarto.net
Christian Mayeur
Courtesy : Eva Barto, Paris
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Pauline Bastard
Beautiful Landscapes
2012
Photographie à partir de collage d’images déchirées dans de vieux manuels et albums photos
Collection Entrepart
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Pauline Bastard est une artiste française née à Rouen en 1982. Elle vit et travaille à Paris et New York. Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de BeauxArts de Paris après un doctorat et un master Art et médias numériques à la Sorbonne, elle s’intègre très vite à la scène artistique nationale et internationale.
Elle utilise la photo, l’installation ou la vidéo. Artiste nomade, elle expose et effectue recherches et résidences dans les deux Amériques, en Asie et en Europe.
Pauline Bastard fait partie d’une génération d’artistes pour qui l’image a un langage autonome. Elle produit des œuvres de fiction détournant souvent avec
humour des images prédéfinies et familières de notre quotidien. L’artiste démonte les codes des industries touristiques qui conditionnent l’imaginaire de nos
contemporains avec leurs images de paradis terrestres.
Beautiful Lanscapes est une photographie réalisée à partir d’un collage d‘images issues de vieux magasines et de manuels de géographie. Elle fait partie d’une
série de 7 images, toutes intitulées « Beautiful Lanscapes », dont certaines ont été acquises par le FRAC Aquitaine et qui présentent le même répertoire
iconographique (montagnes, rochers, vallées, lacs, végétation, villages et randonneurs) dans une composition à la verticale.
Ici, au premier plan, un triangle dirige notre regard vers les cimes montagneuses enneigées et lumineuses séparées du lointain par un lac. L’ascension du
beau par strates d’images prélevées et déchirées semble vertigineuse. Elle nous emmène vers des hauteurs conscientes et métaphysiques où nous croisons
dans la pénombre un groupe discret de randonneurs dans une cavité sombre et exigüe.
Cette œuvre opère comme la narration étrange d’un non-lieu, où la déchirure induisant le contraste, le changement de lieu ou le déplacement est, par le blanc
du papier, source de lumière, formant d’absurdes cimes intermédiaires comme autant d’horizons superposés.
La notion de sublime dans le paysage dépasse ici les codes et les poncifs de la simple critique des industries touristiques.
Par ce jeu de collage de fragments de paysages différents en formant un autre (une espèce de « tiers-paysage »), l’artiste suggère tout autant l’existence de
dimensions autres du réel, un Réel « feuilleté » - expression de Christian Mayeur - en couches d’espace et de temps où se faufilent un nombre infini de réalités
(et de possibilités) interstitielles.
Prêtant à l’art la vocation de nous maintenir en alerte vis-à-vis de la tragédie du Monde, Christian Mayeur notamment a été captivé par cette image qui témoigne
de la capacité de l’artiste à jouer avec différents niveaux de réalité, affirmant implicitement le caractère « multicouches » et donc voilé du Réel.
Par son jeu humoristique autant que démiurgique, Pauline Bastard introduit en effet une quatrième dimension, manière légère et contemporaine de répondre à
l’impérieuse affirmation de Walter de Maria : « The Invisible is Real ».
Notons enfin le paradoxe de cette image : du paysage sombre et contrasté, noir, bleu de Prusse, blanc et beige, sourd une lumière envoûtante, qui capte
immanquablement le regard de quiconque y porte une passagère attention. Parmi les œuvres exposées à La Coursive, elle est de celles qui intriguent, attirent,
arrêtent, capturent.
Le travail de Pauline Bastard est, pour les collectionneurs, un travail qui entre typiquement en résonance avec le Land Art (ou plutôt LES land arts). Il témoigne
de la trace et de l’ouverture qu’ont imprimées les pratiques en rupture des artistes de terrain.
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Christian & Sylvie Mayeur ont été confortés dans leur analyse en découvrant à la FIAC 2014 un projet récent de Pauline Bastard : « Etats de la Matière », qui
a donné naissance à plusieurs œuvres dont les 3 vidéos acquises cette année par le Fonds Municipal d’Art Contemporain de la Ville de Paris, (Le mur,
Recherches, Les états de la matière), projet né en 2013 de l’acquisition d’une maison dans les Landes, sans droit de propriété sur la terre et avec l’obligation
de déconstruire l’édifice.
Sans commentaire, dans les seuls bruits du vent et de l’obstinée destruction d’un mur, à mains nues ou avec les outils fournis par le lieu même; dans le rythme
lent de la dispersion de ses décombres, se donne à voir la patiente transformation de la matière, son redevenir poussière, qui rappelle à la fois la fragilité de
tout « état de la matière », et sa souveraine présence, sous des formes sans cesse renouvelées. En filigrane de cette œuvre, c’est la création elle-même (ou
l’artiste) qui se révèle très justement dans sa modestie et dans sa puissance.
Sources :
www.paulinebastard.com
Courtesy : Pauline Bastard, Paris, et galerie Eva Hober, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Lisa Beck
V.O.S.
2012
Huile sur bois, 51 x 82 cm
Collection Entrepart
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Lisa Beck est née à New York en 1958, où elle vit et travaille.
Elle fait ses études à la Rhode Island School of Design, qui est une des écoles de Beaux-Arts et de Design des plus connues aux Etats Unis. C’est aussi, une
des plus anciennes, fondée en 1877. Elle y étudie la peinture, la sculpture, et le cinéma. Ce qui expliquera l’influence de ces différents médiums sur son œuvre
qui couvre peintures, sculptures, installations et peintures murales.
Lisa Beck expose principalement aux Etats-Unis, d’Est en Ouest, et en Europe. Son œuvre fait l’objet d’une abondante bibliographie.
Lisa Beck prolonge la tradition du tableau comme fenêtre ouverte sur le monde. Elle explique que sa pratique a toujours été conduite par certaines
préoccupations, et obsessions en ce qui concerne le particulier et l’universel.
Le particulier concerne les différents aspects observables de la réalité, des choses qui nous environnent comme la terre, la nature, le paysage ou bien encore
le corps. L’universel se compose de choses trop vastes ou trop ténues, comme l’espace, la physique atomique, qui par leurs aspects insaisissables à l’échelle
de notre entendement deviennent nécessairement une sorte d’abstraction.
Lisa Beck questionne les relations et les points de rencontre, les différences et les divisions entre le particulier et l’universel. La terre et l’univers sont des objets
de perception, d’observation et de mesure. Lisa Beck se réfère aux instruments et aux accessoires d’observation optique comme les jumelles, les télescopes,
ou les microscopes. Les miroirs par leurs réflexions et leurs réfractions constituent pour Lisa Beck comme ils l’ont été pour Robert Smithson des outils
d’observation du monde.
« Nous faisons partie de toute chose», déclare l’artiste. Dans ce rêve d’unité de la conception du monde, il est question de microcosmes, de macrocosmes et
d’échelles face à l’infini. D’ailleurs, les ouvrages d’astronomie font partie de son environnement quotidien, car l’artiste aime s’inspirer de concepts et d’imageries
scientifiques.
L’artiste relate dans un entretien paru dans une monographie intitulée « Yes, no, something, nothing, never, always (oui, non, quelque chose, rien, jamais,
toujours) », que le chaos existe dans les formes naturelles, et que l’homme tente de contrôler la nature, qui lui résiste et lui répond.
Lisa Beck aime jardiner et, adore un merveilleux paysagiste belge, Jacques Wirtz qui fit des structures artificielles de jardins ordonnant la végétation dans des
schémas compacts et rigides. « J’essaie de regarder l’ordre et de contrôler mes illusions », ajoute l’artiste.
Dans son répertoire formel, on trouve d’après l’artiste, du vide et du plein, des cercles, des sphères, des atomes, des points, des cellules, des étoiles, des
nuages, des lacs, des horizons, et de l’éternité, etc. Les cercles, qui sont omniprésents dans son travail, sont « des figures joliment invulnérables », qui meublent
souvent ses fonds. Des effets d’optique aux formes radiantes sont également présents.
Au premier regard, sa pratique artistique se réfère aux avant-gardes du XXème siècle, s’inscrivant dans l’histoire de l’abstraction avec une peinture géométrique
et organique.
Lisa Beck utilise toujours le même format pour ses tableaux, qui donnent l’illusion d’être des shaped canvas.
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Les shaped canvas sont des œuvres à la fois picturales et sculpturales comme les œuvres de Frank Stella et qui présentent des formats non classiques, autres
que les formats rectangulaires ou carrés. Comme chez Lisa Beck la composition est ouverte, le contenu semble s’échapper du cadre du tableau. D’ailleurs, le
fait de placer ses tableaux en biais sur le mur amplifie cette illusion.
Le style de Lisa Beck évolue depuis les années 80, avec des peintures à cette époque plus proches de l’abstraction du hard edge. Ce terme qualifie la peinture
abstraite américaine des années 50, qui présente des formes géométriques et une économie formelle avec des couleurs en aplats, en opposition à l’abstraction
lyrique. Ellsworth Kelly et Kenneth Noland incarnent ce mouvement qui se réfère au travail de Josef Albers et Piet Mondrian.
Longtemps, Lisa Beck n’utilise que du noir et blanc dans ses peintures, qui par leur opposition semblent plus appropriés à l’idée de symétrie, chère à son travail.
C’est en découvrant des photos en couleur que l’artiste se découvre un goût pour la couleur.
Dernièrement au niveau de la représentation, Lisa Beck hybride le figuratif à l’abstraction organique et géométrique afin de construire des paysages mentaux.
En l’occurrence, entre la figuration et l’abstraction, la frontière n’est pas évidente, ce sont des concepts qui renvoient à des idées, voire même à des idéologies.
Une peinture composée de cercles est aussi réaliste pour l’artiste, qu’une peinture de figures ou de paysages. D’ailleurs, les cercles font partie de la vision
scientifique.
Son travail offre une proximité thématique avec des artistes visionnaires comme Charles Burchfield, ou bien le photographe Karl Blossfeld, ou bien encore le
libre penseur Ernst Haeckel, inventeur du concept d’ « écologie ».
Charles Burchfield (1893-1967), est un peintre visionnaire américain qui commence par construire des compositions abstraites avec des motifs floraux, ayant
pour l’artiste une portée symbolique. Puis, après 1920, il se tourne vers une peinture plus réaliste, notamment représentant des paysages de l’Ohio. Ce sont
alors le plus souvent de simples maisons, des forêts marquées par une étrangeté propre à l’artiste qui définit son style.
Lisa Beck admire Karl Blossfeld (1865-1932), qui est un artiste et botaniste amateur allemand, qui photographie les végétaux. Il pratique l’agrandissement
photographique, de 12 à 45 fois supérieur à l‘objet d’étude, ce qui révèle les architectures et les nombreux détails décoratifs du végétal. Pour lui, la nature
devient un modèle, voire un guide pour l’art mais aussi pour la technique.
Chez Ernst Haeckel, elle retrouve la complexité du mécanique dans la beauté microscopique. Ernst Haeckel (1834-1919) est un biologiste, philosophe et librepenseur allemand qui développe les théories de Darwin et s’interroge sur les origines de l’homme. Il réalise de nombreuses planches illustrant des microorganismes qui deviennent très populaires à l’époque, sous forme de cahiers révélant la nature à travers ses formes artistiques inhérentes. Ces tableaux
symétriques où naturel et artifices s’hybrident, ressemblent souvent aux mandalas.
Dans les contes de fées, comme ceux de Grimm dont Lisa Beck garde une édition aux illustrations psychédéliques, l’artiste est interpellée par la beauté et les
violences qu’ils transitent. Les contes de fées entretiennent le même rapport d’équivalence avec les choses, les arbres, les animaux et le monde. Pour l’artiste,
les drogues, tels les psychotropes sont des ouvertures pour l’observation de sujets ou d’images qui sans ces artifices n’auraient jamais été dignes d’intérêt et
de contemplation. Elles nous ouvrent des mondes enchantés.
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Lisa Beck procède par dessins préparatoires et nous révèle qu’il a toujours des écarts entre l’idée première et la réalisation. En effet, l’artiste joue avec les
accidents, introduit des réajustements qui reflètent le mouvement perpétuel de l’univers. La visibilité de la trace du pinceau est visible dans ses dessins à l’encre
en témoignage de la douceur de la touche. De nombreuses œuvres contiennent des objets réflectifs comme dans l’installation Top : Nothing So Rare (1993).
Ces peintures peuvent se regarder aussi à travers des sculptures comme les bulles transparentes en verre acrylique (Window Pane, installation, 2012).
Les miroirs, objets prismatiques, placés au – dessus de l’eau reflètent un axe horizontal qui devient vertical, de façon symétrique comme les tâches de
Rorschach (Curious Crystal, 2004 ). Comme Robert Smithson, Lisa Beck examine les structures des cristaux. Elle est attirée par la symétrie, qui selon l’artiste
est pénétrée d’une beauté naturelle. La symétrie permet de créer du sens dans la répétition, des patterns, des mécanismes mentaux, et génère de nouvelles
perceptions. Le miroir est le seul outil qui permet de se voir et de doubler les apparences, en cela ils sont empreints de résonnance, focalisant leur environnement
immédiat dans une illusion de réunion des choses. Lisa Beck utilise aussi le Mylar, qui est la marque d’une matière plastique réfléchissante, souvent utilisée
dans certains condensateurs et transformateurs, ainsi que dans les microphones. Cette matière réfléchissante permet de multiplier les univers et de faire sortir
le tableau de son cadre.
Comme chez Smithson, les intervalles et le vide font partie intégrante du monde et de la construction des images. Cet espace négatif est très important dans
le travail de l’artiste, c’est d’ailleurs, dit–elle, la seule chose apprise et retenue de ses cours à l’école. Les vides sont meublés dans l’univers par de la matière
noire, qui est invisible, dont le rôle est gravitationnel, et dont l’étendue est supérieure à celle de la matière visible. En parallèle, la magie, et certaines forces
inconnues invisibles sont proches la matière noire pour l’artiste.
Pour chaque espace de présentation, Lisa Beck fait des arrangements différents de ses œuvres. Elle met en place des « constellations » sans hiérarchie dans
la mise en espace de sa production. Ses œuvres fonctionnent à la fois par elles-mêmes mais font également partie d’un tout qui est l’espace d’exposition.
Une pièce peut se composer de plusieurs fragments. Ceci rappelle d’une part l’imagerie scientifique où une image est reconstituée à partir de plusieurs prises
de vue. Et aussi, comme l’affirme Lisa Beck cela rappelle les panneaux peints japonais, et en l’occurrence Hiroshige représentant des modules d’images
séparées, chacune à l’intérieur d’un tableau, et qui rassemblées en ligne reconstruisent un panorama. Ces panneaux sont des métaphores de la continuité du
temps, qui ne peut être perçu qu’en fragments séparés, en témoignage de notre expérience du monde, meublée de temps d’arrêt. « Une œuvre d’art est un
prélèvement d’un continuum comme un cliché de temps suspendu, » précise l’artiste.
Dans l’œuvre de la collection Sylvie et Christian Mayeur, V.O.S. (comme « Victory Of Sun », suggère Christian Mayeur), le regardeur se retrouve dans la
position de celui qui regarde à travers une lunette, une partie de l’ellipse est peinte sur un coin du tableau. Cette ellipse spatiale et temporelle ouvre sur un
espace monochrome où le jaune orangé irradie grâce à des touches picturales appliquées en douceur dans un même mouvement. Cette œuvre rappelle
irrésistiblement aux collectionneurs leur expérience des « Sun tunnels » de Nancy Holt.
Sources :
http://www.lisabeck.net
Courtesy : Lisa Beck, New York City, et galerie Samy Abraham, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Tuvia Beeri
Untitled
2008
Eau forte originale épreuve signée, 15,5 x 19 cm
Collection Christian Mayeur
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Tuvia Beéri est né en 1929 à Topoľčany, à l’Ouest de l’actuelle Slovaquie. Il a émigré en Israël en 1948. En 1957, il est entré à l’école d'art "Oranim", où il
étudie avec Marcel Janco et Jacob Wechsler, puis a décidé de poursuivre ses études à Paris. De 1961 à 1963, il a étudié la technique de gravure avec
comme professeur Johnny Friedlaender et a fréquenté l'atelier de lithographie à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. De retour en Israël, il a enseigné à l'École
Bezalel des Arts et Métiers. A partir de 1957, il enseigne la gravure à l'Institut Avni de l'Art, à Tel Aviv.
Beéri pratique la peinture et la gravure et est reconnu comme l'un des graphistes principaux d'Israël. Il a utilisé la gravure à l'aiguille et la pointe sèche, mais
favorise la technique d'impression à l'aquatinte, qui, par la création de la couleur et de la variation des plans, permet d'introduire la qualité de la peinture dans
le travail graphique.
Beéri a réalisé de nombreuses expositions personnelles et a participé à des expositions collectives aux Etats-Unis, au Canada, en Amérique du Sud, en
Australie, en Europe et en Israël. Il a également pris part à des Biennales d’art importantes - à Paris, Florence, et Tokyo. Son travail est représenté au Musée
d'Art Moderne de New York, à la Bibliothèque Nationale de France à Paris, et dans de nombreux musées à la fois en Israël et à l'étranger.
Il a remporté le Prix Milo à Tel-Aviv en 1969 et a reçu une médaille d'or à la Biennale de Florence en 1972.
Le monde de Beéri est un monde du rêve, de la couleur et de la forme. Ses tableaux rappellent des paysages mystérieux des Pyramides et de l'Antiquité. La
luminosité est réalisée par une impression de couleurs vives au-dessus de l'autre, réalisant ainsi la transparence, de la profondeur et de la plasticité des
formes.
La construction couleur des idées abstraites de Beeri semble se rapporter aux principes fondamentaux de paysage.
La Tribune de Genève parle de Beéri en ces termes : « Les poèmes graphiques de Beeri sont constitués de cercles et des nuages de formes à explorer. La
fusion de l'encre noire et du blanc astral emmènent le spectateur dans un espace infini. C’est un monde sans frontières que propose Beéri, qui est néanmoins
défini dans une stricte géométrie. Beéri est maître graveur et homme de vision ».
La gravure présente dans la collection de Christian Mayeur est un cadeau de Sylvie Mayeur, qui renvoie bien sûr au rêve, mais aussi à la dimension lunaire,
contemplative et multiple de Christian, à l’image des astres dont on ne sait trop s’ils sont dédoublés.
Cette œuvre extrêmement soignée et précise enferme et déploie tout un univers, contrastant avec la taille relativement modeste du support, une constante
chez Beéri.
Ici encore, l’imaginaire rencontre les apparences du réel, un réel voilé, la dimension poétique, onirique et tragique du réel, semi-voilée et magnifiée par l’esprit
de l’artiste.
Christian Mayeur
Courtesy : Tuvia Beéri, Tel Aviv, et galerie Michelle Champetier, Paris
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Neil Beloufa
Beyond Judgement
2012
Impression photographique numérique, 100 x 100 cm.
Collection Entrepart
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Né en 1985 et de nationalité française et algérienne, Neil Beloufa vit et travaille à Paris. Il est diplômé de l'école Nationale Supérieure des Beaux-Arts, des
Arts Décoratifs de Paris et du Studio National du Fresnoy à Tourcoing en 2010. Il a perfectionné sa formation aux États-Unis, à la prestigieuse CalArts (California
Institute of the Arts) de Los Angeles et à la Cooper Union de New York.
Neil Beloufa est un artiste multimédia reconnu sur la scène contemporaine internationale. Il utilise dans sa pratique artistique des installations où sculptures,
où photographies et vidéos se rencontrent.
Il travaille pour des institutions reconnues à Paris, Francfort, Los Angeles ou New York. En 2012, il fait une exposition individuelle au Palais de Tokyo à Paris
qui a un vif succès. En 2013, la Biennale de Venise l’invite à faire partie du pavillon international.
Il est également le lauréat de nombreux prix, comme par exemple le prix Videoforme de Clermont Ferrand en 2009, le grand prix Indie Lisboa 2009 et, le prix
'ARTE' pour un film européen du 54eme festival du film d'Oberhausen.
Ses œuvres sont présentes dans des prestigieuses collections, comme celles du Centre Pompidou à Paris ou la Goetz Sammlung à Munich.
Neil Beloufa questionne le rôle de l’artiste face à un monde contemporain médiatisé, globalisé et mondialisé. Il décortique les mass médias et leurs systèmes
d’information, les croyances, les images, les objets ou les produits standardisés qu’on nous matraque et qui nous conditionnent. Il nous donne à voir et nous
plonge dans des expériences où les réalités et les fictions, les causes et les effets, s’entremêlent et s’entrechoquent dans le monde socio-économique, politique
et géopolitique contemporain.
Pour cela, il utilise les mêmes outils et les mêmes concepts que les médias de masse, et a recours entre autres, aux techniques et aux récits de la vidéo et du
cinéma.
Sa pratique nous plonge dans une vision fragmentaire, divisée, de la réalité présente et de la mémoire, où le flux d’informations nous arrive en rapports
d’équivalence sans aucune hiérarchisation, et où de nouvelles virtualités sont crées par les effets du réel.
Dans les installations de Neil Beloufa, le spectateur est introduit dans des espaces d’exposition composés d’environnements aux décors modulables, souvent
construits d’assemblages composites, où il se retrouve face à des situations complexes et entremêlées. Ce démantèlement de l’espace, très souvent ponctué
d’écrans transparents, parfois tramés, met le regardeur autour d’images fixes, mais également face à ses vidéos. Les images fixes ont été prélevées lors du
processus de création filmique, ou bien collectées sur le Web. Des objets de l’ordre du quotidien comme des plantes, des lampes, des ventilateurs s’ajoutent
aux éléments du décor aux patterns géométriques et à l’allure précaire, généralement fabriqués en bois, ou avec des structures métalliques tubulaires.
De cette déambulation dans l’exposition, il ressort une opacité, un brouillage avec une narration discontinue. En effet, souvent, plusieurs histoires
s’enchevêtrent, superposant des images qui cachent, révèlent, ou obstruent le parcours du regardeur qui devient de ce fait labyrinthique. L’artiste n’a de cesse
de nous emmener d'un plan à un autre, et fait en sorte que la fiction des images animées se tisse et se confronte à la réalité tangible des objets disposés dans
l’espace de présentation. Ses installations évoquent l’effet « tuning », où sculptures et vidéos peuvent se paralyser mutuellement et se phagocyter. Patrick
Javault écrit sur le travail de l’artiste à propos de son exposition à la Fondation d’entreprise Ricard, en 2014 : « A l'heure où l'on parle beaucoup de l'exposition
comme d'un format, Neil Beloufa va chercher dans et sur l'écran de quoi dessiner dans l'espace, marquer des trajectoires, avec énergie, goût et sens du
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brouillage ».
Les thématiques des vidéos de Neil Beloufa nous plongent dans des mythologies contemporaines, ou bien dans des faits divers. Elles nous parlent entre autres,
de nationalismes, de terrorismes, des nouveaux rites sociaux et de leurs différentes tribus. Par exemple, l’iconographie de Tonight tourne autour du Red
Bandana. Cette vidéo est réalisée lors d’une résidence de l’artiste au Hammer Museum de Californie. Elle mêle les mouvements politiques aux cultures
alternatives, les gangsters, les hippies, les cow boys, les rocks stars et les anarchistes.
Les jeux de rôles, qui peuvent être perçus aussi comme technique de brouillage sont utilisés par exemple dans la vidéo Dans la domination du monde,
présentée dans les coulisses du BHV à Paris. Des comédiens amateurs se voient allouer les titres de chef militaire, de ministre de l’intérieur et de président
dans un pays fictif. Ils se lancent dans un débat à propos d’enjeux stratégiques autour des matières premières et des biens de consommation qui peuvent
engendrer de graves crises géopolitiques.
« Beyond Judgement », de la collection Entrepart, est une photographie numérique d’un banc de montage photographié, sur lequel est scotchée une mosaïque
d’images pixellisées de formats différents provenant du Web et de la téléréalité. Les images montrent des jeux télévisés, les scènes d’un procès, des icônes
comme Catherine Deneuve, des séries de portraits, des personnages sans visages, sans identité etc. Le fond de l’image et les vignettes des figures aux ombres
portées s’instaurent comme sujet photographique d’une réalité virtuelle aux images dématérialisées et pixélisées à outrance, sans aucune hiérarchie dans les
rapports d’équivalence sémantique.
Montrées sur le même plan que les scènes de jeux télévisés et réduites à l’état de vignettes comme dans les méthodes de storyboarding où les situations sont
interchangeables ou le brainstorming d’entreprise en mode « Visual Thinking », les scènes de procès deviennent donc des imitations des jeux et les jeux des
imitations des procès. La puissance du pixel multipliant les couches de réalités virtuelles et masquant le feuilleté du monde. Triomphe obscène de la dramaturgie
sur la tragédie, la thèse de Baudrillard est accomplie dans le geste artistique de Neil Beloufa. Nous sommes bien dans un méta-monde, au-delà du jugement,
dans ce monde contemporain où la connaissance croissante du « dessous des cartes », au lieu de favoriser la compréhension, brouille encore plus lesdites
cartes.
La recherche, non pas d’un sens caché, encore moins « donné » - dans combien d’entreprises entend-on encore l’injonction pathétique et complètement
obsolète : « il faut donner du sens » -, mais la recherche de production de sens, la seule démarche valable à l’heure de la virtualité réticulaire infinie, est une
préoccupation centrale d’Entrepart. Ses dirigeants ont donc immédiatement marqué leur intérêt pour cette œuvre, à l’occasion d’une exposition personnelle de
Neil Beloufa à la galerie François Ghébaly, à Los Angeles, œuvre dont ils ont fait l’acquisition dans cette même galerie, pour la Collection Entrepart.
Sources :`
http://www.neilbeloufa.com
Courtesy : Neil Beloufa, Paris – Los Angeles, galerie Balice Hertling, Paris et François Ghébaly Gallery, Los Angeles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Abdelkader Benchamma
Sans titre
2013
Lithographie (3 couleurs) sur vélin BFK Rives 250 gr., 50 x 65 cm
n° 12/40 d’une édition à 40 exemplaires numérotés et signés par l'artiste (+ 10 épreuves d'artiste)
Collection Christian & Sylvie Mayeur
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Abdelkader Benchamma est né en 1975 à Mazamet, dans le Tarn. Il vit et travaille à Montpellier et Paris. Sa première exposition a eu lieu à la galerie Agnès
B à Paris et s’intitulait « Draw »
Son talent lui vaut une renommée internationale, avec de nombreuses expositions en Europe (Barcelone, Berlin, Copenhague, Milan…), au Moyen-Orient
(Dubaï, Qatar) et en Asie (Hong Kong).
Son travail a également fait l’objet de magnifiques éditions: « Thinkhole » en 2009 et « Tas » en 2006 (chantiersBoîteNoire éditeurs)
Qu’elle porte sur l’origine de l’univers ou sur l’acte créateur, la création est au centre de l’œuvre dessinée de Benchamma. A travers un univers lyrique, absurde
et énigmatique, il nous plonge dans les obscurités symboliques et les mystères métaphysiques.
Pour Abdelkader Benchamma, le dessin est un médium à part entière, dans la grande tradition initiée par des artistes du XVIIème siècle comme l’illustre
Lislois Raymond Lafage. Ses travaux incorporent le dessin classique, Dürer (Allemagne, 1471 – 1528) et Patinir (Belgique, 1480 – 1524), la modélisation
scientifique et certains codes de la BD. Le dessin est épuré et présente une grande finesse d’exécution, une ligne claire. Ses médiums sont l’encre, les
feutres, le stylo-bille, assisté par ordinateur ou pas, le fusain utilisés sur des supports habituellement blancs. Notons que l’artiste réalise ses œuvres
directement sur le mur, le plafond ou le papier sans esquisse préalable, comme pour l’exposition Memory Time dans le cadre du Printemps de Toulouse en
2009. En effet, les dessins d’Abdelkader Benchamma sont des instantanés mentaux, des fictions immédiates où la représentation de l‘espace incorpore des
changements d’échelles et de dimensions entre le proche et le lointain. Des plans-séquences, avec des perspectives plongeantes ou des grandes ouvertures
de champ créent chez le spectateur une dynamique du regard et de l’esprit.
Le travail d’Abdelkader Benchamma évoque d’improbables scénarios catastrophes où le réel oscille et glisse parfois de manière imperceptible dans le
fantastique et l’absurde.
« Mobilier en lévitation, êtres embrassant du vide, architectures instables, nature recomposée, écrasante, menaçante,» écrit Marie Lechner dans Libération en
2008. Dans La série réalisée en 2012, BLUE BEAM, certains dessins comme Corrupted Theories sont inspirés d’obscures théories conspirationnistes, et aussi
des écrits de science-fiction de l’auteur Philip K. Dick. L’artiste revendique l’héritage de la Beat Generation, les atmosphères à la William Burroughs, à la John
Giorno.
Son répertoire iconographique s’étend de la sculpture comme sur le dessin Sculpture grillage (2012), à la construction ou à la ruine. Les chantiers représentent
une métaphore de l’acte créateur. Ses univers sont mouvants, en ébullition. L’artiste s’inspire de certaines théories scientifiques complexes et vulgarisées des
sciences dures, comme les trous noirs, la théorie des cordes, les univers parallèles.
Le genre du paysage, est chez Abdelkader Benchamma un spectacle naturel, marqué par l’entropie et la puissance du « chaosmos ». Les mouvements, le
feuilleté du monde, les forces cosmiques, la quatrième dimension peuvent devenir le véritable sujet de représentation dans le morcellement d’un réel fuyant et
de la tragédie du monde.
Son iconographie et son trait présentent des généalogies de formes qui vont du monolithe à la nuée en passant par des états intermédiaires de la densité de
la matière, du solide au gazeux. Le motif des tas et des trouées que l’on retrouve dans le répertoire de la science fiction, notamment dans 2001 Odyssée de
l’espace est récurrent dans son travail. Dans un très beau texte sur l’artiste, Kathy Alliou écrit : « Le tas qui peut être le produit d’une activité humaine, animale
ou le résultat d’un phénomène naturel, telle l’érosion, est un point d’intersection entre les états de culture et de nature. Cette frontière indiscernable était au
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cœur des préoccupations des artistes du Land art qui ont utilisé la figure du tas sous différentes acceptions, de l’empilement de pierres (Robert Smithson), en
cercles ou en lignes (Richard Long) au déplacement de volumes de terre (Michael Heizer) »7. Les trous que sont les « skinholes », les dolines en français,
« ces trous immenses qui apparaissant sans prévenir dans le sol » longent le travail d’Abdelkader Benchamma. Ce sont des figures de l’entropie, des
contrepoints mélancoliques à la verticalité ascensionnelle.
« Quelque chose se trame », un improbable scénario catastrophe dans une atmosphère explosive, en chantier, c’est ce que semble indiquer le paysage de la
collection Christian & Sylvie Mayeur. C’est une vue verticale bidimensionnelle affirmée, contrastée simultanément en noir et blanc, où le dessin est épuré. La
représentation oscille entre abstraction et figuration, comme souvent chez l’artiste et devient de ce fait énigmatique. L’invisible, le dissimulé sont conviés.
L’imaginaire est convié à faire son œuvre pour deviner, percevoir. Les œuvres d’Abdelkader Benchamma recèlent de nombreux objets empaquetés, couverts
et ficelés (comme ici), rappelant les empaquetages monumentaux de Christo et Jeanne-Claude. L’œuvre d’Abdelkader Benchamma est aussi un acte de
résistance au « crime parfait » de la modernité8.
Sources :
http://www.leschantiersboitenoire.com/artiste.php?id=2
http://www.gaite-lyrique.net/gaitelive/portrait-de-abdelkader-benchamma-dessiner-la-fin-du-monde
Courtesy : Abdelkader Benchamma, Montpellier, et galerie du Jour, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Jon Bernad
Herb and Dorothy
2013
Movie ticket, ready made
Collection Christian & Sylvie Mayeur
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« À un point inattendu et difficile dans sa vie, Jonathan Bernad est tombé amoureux du monde. Sa collection d'œuvres d'art et du musée a commencé ». C’est
une belle introduction d’Isabelle Le Normand, premier conservateur du Musée de la Destinée (« Museum of Destiny »).
Jon Bernard est un artiste américain né en 1983, qui vit et travaille la plupart du temps à Los Angeles. Il a eu très tôt un pied dans la fiction, étant le frère du
producteur de cinéma et de télévision, David Bernad.
Lorsque Christian Mayeur fait connaître à Jon Bernad le philosophe américain pragmatiste John Dewey et plus particulièrement son livre L’art comme
expérience9, l’artiste adopte sans peine sa théorie. Pour Dewey toute expérience véritable, c’est-à-dire toute expérience nous impliquant jusqu’au bout de nousmêmes, est une expérience esthétique. C’est dans le dépassement du familier et de l’anecdotique, dans l’ouverture d’esprit et la réception que se construit une
œuvre. Pour Dewey, l’art représente un groupe d’activités qui sont respectivement de l’ordre de « l’enregistrement, de la construction, de la logique et de la
communication ».
A propos de son travail, Jon Bernad parle de sérendipité, un concept cher à Sylvie & Christian Mayeur, d’œuvres du hasard de la vie fondées sur l’expérience
de l’art. Il met en place des processus de tissage entre la vie et l’art, des « Art Adventures ». Jon crée des vidéos, des photographies, des livres de contes
anecdotiques...
Jon Bernad arrive à Los Angeles pour un job d’été afin de s’occuper des bouledogues français de l’écrivain, metteur en scène, producteur de cinéma et de TV,
Mike White. Mike White est aussi le lauréat du « Independant Spirit of John Cassavetes Award », prix dédié au cinéma indépendant et aux films d’auteur. Jon
Bernad tombe vite amoureux de L.A. et reste 6 ans auprès de Mike White, qui devient son mentor. Il reprendra plus tard le motif des chiens et de leur rapport
aux espaces d’art comme expérience dans un travail photographique. Il note que « les chiens sont des extensions de leur environnement »,
A Los Angeles, les chiens « sont invités dans des endroits surprenants, par exemple chez les antiquaires et dans les musées… ». Sur http://artdogs.tumblr.com,
on peut voir cette série de portraits de chiens et l’art intitulée Art Dogs (animals who live for art).
DESTINY : THE B’S est une exposition dont la curatrice est Isabelle Le Normand. Celle-ci a « peu à peu remarqué l’importance dans sa vie des personnes
dont le nom commençait par B », et notamment dans son bataillon d’artistes. DESTINY : THE B’S rend hommage à cette histoire qui la lie aux B et aux artistes
qui prennent pour matériau le destin. Dans cette exposition, à la galerie Anne Barrault à Paris, Jon Bernad montre une série de photos qu’il a prises en
embrassant Isabelle Le Normand devant des œuvres. L’artiste l’a rencontrée dans un bus lors de son premier voyage à Los Angeles, et il a retourné la ville
pendant deux jours avant de la retrouver dans un musée.
Il expose aussi à Mains d’œuvres, et crée l’éphémère Museum of Destiny en 2013 à Los Angeles, avec Isabelle Le Normand et Eugénie Fremiot. Selon Isabelle
Le Normand, « plus importante que la taille ou la valeur financière de la collection, ce qui est essentiel dans le Museum of Destiny est la manière unique dont
la plupart de ces œuvres ont été obtenues, grâce à l'engagement passionné de Jon Bernad avec des inconnus. Dans cet esprit, le Museum of Destiny ouvre
de nouvelles possibilités pour une expérience muséale. Mais le Musée de la Destinée est plus qu’une simple expérience de développement des possibilités
d'un musée. Tout repenser dans la façon dont une personne arrive au musée (l'artiste et le conservateur viennent vous chercher), associer une boutique
personnifiée offreuse de cadeaux de temps à autre (dans ce cas, la boutique de cadeaux est un artiste dans une autre ville du nom de David Horvitz) sont déjà
des initiatives étonnantes. Mais la contribution la plus importante de musée est de vous faire prendre part à une histoire que vous avez aidé
à créer. »
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Il y a 6 ans, lorsque Jon Bernad arrive à Los Angeles de sa ville natale dans le nord de la Virginie afin de travailler avec son frère à Hollywood, il commence à
explorer cette ville postmoderne par excellence. Son engouement pour se lier d'amitié avec des voyageurs étrangers et leur offrir des visites de plus en plus
subtiles et surprenantes de L.A. a suscité des amitiés et des expériences inattendues. De pure distraction, cette activité est devenue un passe-temps. D'un
passe-temps, elle s’est transformée en obsession. D’obsession, elle est devenue une forme artistique, l'art de mettre un cadre autour de la vraie vie. Dans cet
esprit, Jon Bernad a commencé à recueillir et à faire des œuvres d'art pour sa propre collection, en réponse au monde autour de lui.
Christian & Sylvie Mayeur vivent l’expérience du Museum of Destiny (Los Angeles - Août 2013)
Quand un ami lui offrit une place de cinéma pour aller voir le film « Herb & Dorothy », de Megumi Sasaki son émotion ne pouvait être que grande… Pièce
exposée dans le Museum of Destiny, « Herb and Dorothy - movie ticket », œuvre présente dans la collection Christian & Sylvie Mayeur, est un ticket de
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cinéma du documentaire sur la vie de Dorothy et Herb Vogel. Ce couple se compose de deux modestes collectionneurs new yorkais ayant réuni une prestigieuse
collection d’art minimaliste et conceptuel réunissant des artistes aussi prestigieux que John Chamberlain, Christo, Chuck Close, Lynda Benglis, Sol Lewitt ou
bien encore Richard Tuttle. Le couple a un salaire de fonctionnaires puis une pension modeste, mais néanmoins s’offre une collection digne des plus grands
collectionneurs. C’est par une attitude spartiate – qui n’est pas pour déplaire à Jon Bernad -, vivant dans un petit appartement d’une pièce, transportant euxmêmes les œuvres d’art en métro et en taxi qu’ils se constituent leur collection. Ce couple enthousiasmé par les avant-gardes apporte un soutien inconditionnel
aux artistes. « Fusionner l’expérience de la vie avec celle de l’art à travers des scénarios intimes qui impliquent nos plus profonds désirs afin de créer un art de
vivre », voilà la démarche de Jon Bernad.
La ready made « Herb and Dorothy - movie ticket » symbolise donc la rencontre des vrais amateurs avec l’art. Il renvoie immanquablement à l’aventure de
ce couple de collectionneurs que sont Herb et Dorothy, qui comptèrent entre autre parmi les premiers soutiens d’un artiste du Land Art, Christo. Ce dernier leur
en est éternellement reconnaissant et en témoigne dans le film. De liens en liens, Christian & Sylvie Mayeur participent à cette chaîne d’amitié, vivant
l’expérience du Museum of Destiny dans la Old Chevy, conversant avec Jon durant la visite du musée, retenant le « movie ticket » comme talisman sur un
chemin cosmique, reliant des collectionneurs - voyageurs et entrepreneurs - des deux Sud-Ouests, entre La Coursive à Lisle sur Tarn et Los Angeles.
Sources :
https://www.facebook.com/official.jonbernad
http://artdogs.tumblr.com
http://my-american.tumblr.com
http://kissinginart.tumblr.com
Courtesy : Jon Bernad, Los Angeles, et Courtesy Gallery, Los Angeles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Dominique Blais
Ten Hours Stories (jan.15, 2013)
2013
Photographie couleur. Diptyque. Format image : 7,5 x 11 cm
Collection Entrepart
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Dominique Blais est né en 1974 à Chateaubriand, en France. Il vit et travaille à Paris.
Il est titulaire du Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique de l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Nantes, d’un DEA Média Multimédia du
Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris. 2004 et est également diplômé du Collège invisible, Ecole Supérieure des Beaux-Arts, Marseille, France.
Il est également membre du collectif Glassbox.
Son travail fait l'objet d'expositions personnelles au Mac/Val (Vitry-sur-Seine), à la Maison du Peuple (Clichy), à la BF15 (Lyon), au Transpalette (Bourges). Il
est présenté dans des expositions collectives telles que Art By Telephone … Recalled, Between Time and History, à l’Académie des Beaux-Arts (Vilnius),
L’apparition des images, à la Fondation Ricard (Paris). Il expose à Pékin, Rome et même à Grenfell, au cœur du Canada.
Dominique Blais réalise des installations sonores et lumineuses utilisant un répertoire d’objets composés par exemple de câbles électriques, de tubes, de boîtes
ou d’écrans lumineux, de micros, de magnétophones, de hauts parleurs, d’écrans de soie, et même de ballons à l’hélium.
Ses recherches s’appuient sur les perceptions physiques et sensorielles des spectateurs, jouant avec les interactions visuelles et sonores de notre
environnement. Le spectateur vit des expériences sensorielles dans des oppositions de l’ordre du visible et de l’invisible, de l’audible ou de l’inaudible. Il est
face à des figures de rhétorique comme la tautologie, mais aussi la contemplation, la mélancolie etc.
Le diptyque Ten Hours Stories (Jan.15, 2013) est composé de photographies encadrées du lever et du coucher de soleil du 15 janvier 2013 à Los Angeles.
Ces deux photos font partie d’une série dont les titres présentent le même écart spatio-temporel avec la même résonance, Ten hours stories (jan.15, 2013),
une histoire de 10 heures. Le motif du cycle solaire, d’un temps continu, ou suspendu est tautologique dans ce processus. C’est comme une série journalière,
un flux temporel, une expérience face à l’horizon et au temps. Pour chaque diptyque, seule change la date de la prise de vue. Sur les deux photos de la
collection, les premiers plans à contrejour d’un horizon orange, révèlent l’immuable ciel bleu de la mégalopole californienne, où se lisent quelques silhouettes
d’immeubles.
L’intervalle entre les deux espaces-temps de ces deux prises de vues n’est ni représenté, ni narré. Cet intervalle est un élément récurrent dans les notions qui
traitent de l’art et du temps dans le Land Art, ce qui n’est pas pour rien dans l’intérêt que Christian & Sylvie Mayeur portent à cette œuvre de Dominique Blais
et à son travail en général. Souvenons-nous de ce que Robert Smithson nomme les « intervalles vides », notion utilisée en 1964 dans The Eliminator, une pièce
en acier, miroir, néon, transformateur. Au vide entre les éléments de Robert Smithson, Dominique Blais répond par une parenthèse elliptique de l’invisible.
Dans cette parenthèse, le regardeur peut inscrire la journée qui lui plaît, ou pas. Avec ses moyens minimaux, l’œuvre est une porte sur l’imaginaire multiple
des regardeurs. Elle constitue à la fois une ouverture sur un moment visuel typique d’un point géographique sur la planète et récurrent : Los Angeles et sa
lumière, liée à la situation tellement particulière de cette ville postmoderne par excellence. Postmoderne car non enracinée dans une histoire, mais posée sur
des infrastructures dont elle dépend plus que toute autre, dans un présent aussi fragile que permanent, entre désert et océan.
L’œuvre de la collection Entrepart rend compte de l’expérience de l’artiste en ce point, de la répétition de moments quasi identiques chaque jour, en résonance
avec la notion d’expérience, centrale dans le travail de Design relationnel d’Entrepart.
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En négatif, elle constitue une allusion à un « trou » dans le temps, par le moment défini par son heure et sa récurrence et paradoxalement médiation entre le
regardeur et l’immensité du temps qui transcende le paysage urbain et son gigantisme dans le gigantisme. Le « trou dans le temps », tout autant que la
médiation avec un espace-temps qui transcende la vision du paysage que nous procure notre perception, est un élément récurrent du Land Art, ce qui a suscité
de la part de Christian & Sylvie Mayeur une profonde sensibilité à cette œuvre de Dominique Blais, découverte lors de sa présentation à Los Angeles même,
en janvier 2013.
Dominique Blais poursuit son travail dans cette direction, puisqu’il a réalisé en 2014, lors d’une résidence en Lituanie une installation lumineuse qui est une
suite au processus initié avec Ten Hours Stories (jan.15, 2013). Deux caissons lumineux renferment des images de lever et de coucher de soleil prises sur un
même lieu « pivot », au bout de la presqu’île de Nida, entourée par la mer Baltique. Rapportées dans le centre d’art, du site vers le non-site, ces images
s'illuminent une minute par jour, à l'heure précise de leurs prises de vue respectives.
Sources :
http://xippas.com/fr/i/artiste/dominique_blais
Courtesy : Dominique Blais, Paris, et galerie Xippas, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Diane Bogaerts
Sans titre
2000
Fusain sur papier, 138 X 100 cm, signé à droite
Collection Christian & Sylvie Mayeur
Sans titre
Sans titre
1999
Huile sur toile, 50 x 40 cm
Collection Christian &
Sylvie Mayeur
1999
Huile sur toile, 50 x 40 cm
Collection Christian &
Sylvie Mayeur
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Née en 1946 à Anvers, Diane Bogaerts a suivi une formation à l’école des Beaux-Arts de la ville. Après avoir longtemps conduit en parallèle son activité
artistique et l’enseignement auprès d’enfants de milieux défavorisés jusqu’à l’épuisement, un problème de santé l’oblige à l’âge de 50 ans à interrompre
provisoirement son travail. Sa santé recouvrée, elle décide de s’investir totalement dans la peinture et aussi la sculpture, avec cependant quelques semaines
d’enseignement par an à l’Ecole des Beaux-arts de Bruxelles, où elle accueillera en toute amitié Sylvie Mayeur en 2000, pour un atelier intensif de peinture de
3 jours. Elle poursuit aujourd’hui son activité dans l’atelier de sa maison anversoise.
Sa démarche est avant tout de nous faire partager sa vision de l’humanité. Elle nous livre à travers son oeuvre la force et la vigueur, les douleurs cachées sans
complaisances, les blessures et les cicatrices de la condition humaine.
Son œuvre se veut autobiographique et introspective. Elle porte, à travers la peinture et le dessin, sur la conscience de soi, des autres, extérieurs à nous, mais
parfois cachés en nous-mêmes. Pour Diane Bogaerts, l’identité́ et l’altérité, « le nous », « les autres » et « l’autre », sont des concepts chargés d’un passé de
rejet autant que de reconnaissance. Avoir une pratique artistique ouvre pour l’artiste des parts ignorées de soi-même et sur autrui. La tension entre identité et
altérité sera le thème central d’un atelier qu’elle anime avec Christian & Sylvie Mayeur à l’Université de Göteborg avec un groupe de 40 dirigeants d’entreprises,
associations et écoles européennes intéressés par les transformations du monde contemporain.
« Notre société́ nous pousse à tout comparer, pour réprimer la différence. Nous en perdons notre identité́ , submergée par les simulacres et l’imitation. Penser
en termes d’altérité, c’est penser les choses différentes, qui permettent d’accéder à ce qui est “unique”. C’est une échappée mentale hors des habitudes
nombrilistes. Le peintre américain Mark Rothko rappelait que l’art est une aventure hors de soi, qui n’est accessible qu’à ceux qui veulent bien prendre des
risques. Nous devons nous souvenir que l’altérité n’a pas de sens sans l’identité́ , et inversement, sinon, cela devient immédiatement très dangereux », relateelle dans Le manager à l’écoute de l’artiste, ouvrage écrit par Christian Mayeur en 2006.
Dans la production artistique de Diane Bogaerts, la figure est omniprésente avec pour représentation centrale le corps. Souvent, elle travaille avec des modèles
féminins ou masculins, mais certains dessins ou peintures peuvent émerger d’un souvenir. Elle explore le fond sexué des corps dans une grande liberté de
geste à travers des traits épais ou fluides, d’où s’échappent parfois de fines coulures.
L’artiste dessine, peint et parfois sculpte. Elle utilise encres, crayons, fusains, sanguines, aquarelles, craies grasses, peinture à l’huile et acrylique, papier
mâché, carton, ruban adhésif. Louise Bourgeois est une de ses références revendiquées.
Pour l’artiste, ce qui importe, c’est le processus du dessin, sa trace et ses étapes. Son œuvre est méditative et se construit avec une grande liberté de gestes,
toujours en mouvement. Cette attitude de l’artiste en perpétuel mouvement, bondissant vers l’avant, est très chère à Christian et Sylvie Mayeur. Tout est en
continu dans un flux. Pour citer Héraclite, « rien n’est permanent, sauf le changement ».
Le grand dessin de la collection Christian et Sylvie Mayeur représente une figure en buste, à contre jour sur un fond blanc en réserve. La lumière est posée en
chiasme sur une jambe et un sein. Ce corps en buste, sans bras ni tête, aux hanches opulentes rappelle la peinture flamande et Rubens, originaire d’Anvers
comme Diane Bogaerts. Le graphisme ondulant du fusain détoure le modèle. Cette représentation du corps est emblématique dans une série de dessins de
l’artiste avec des variations d’ombre et de lumière. Ce buste affirme sa présence à contre-jour frontalement, avec la liberté du geste qu’a l’artiste à faire
« dépasser la limite du format et de soi-même », sans frontière.
Pour Diane Bogaerts, les portraits et les autoportraits sont intuitifs, sans recherche de réalisme. Sur une toile de l’artiste de la collection Christian et Sylvie
Mayeur, un visage s’appuie sur une main, sur fond blanc. Ses yeux se dédoublent un peu plus bas, donnant une impression de mouvement, reflet d’étapes du
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processus créatif métaphore du flux qui nous lie au monde et soulignant la multiplicité des réalités présentes dans chaque instant de vie. Il est à noter que
certains portraits évoquent le masque chez l’artiste, dans une certaine parenté avec Orlan, artiste présente dans la collection Entrepart.
En revanche, le grand nu sombre, également présent dans la collection, est tendu entre Eros et Thanatos et ne présente aucun visage. Il évoque les sculptures
en arcs tendus de corps hystériques de Louise Bourgeois. Mais ici c’est de peinture qu’il s’agit, dans une pâte sombre assez typique de la manière flamande.
Diane Bogaerts expose régulièrement à la galerie ABC à Bruxelles.
Sources :
http://www.dianebogaerts.be/index.html
Courtesy : Diane Bogaerts, Anvers
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Bruno Botella
3487 (G. Dedlow # 3)
2012
Silicone, tranches à la découpe, 50 x 44 cm encadré
Collection Christian Mayeur
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Né en 1976, Bruno Botella vit et travaille à Paris. Après un Diplôme National Supérieur d’Arts Plastiques obtenu à l’ École Nationale Supérieure des BeauxArts, Paris et un cursus à la Cooper Union School of Arts de New York, il expose régulièrement et son œuvre fait partie de collections publiques comme par
exemple le Fonds National d’Art Contemporain, ou bien le Fonds Municipal d’Art Contemporain de la Ville de Paris.
Bruno Botella a reçu le « Mango Price », à la foire SWAB de Barcelone en 2013.
Bruno Botella expose dans de nombreux lieux publics et privés en France et en Europe. Sa sculpture moulage aux limites de la perception, présentée en juin
et juillet 2014 dans le cadre de l’exposition « Humain non humain » à la Fondation Ricard a intrigué de nombreux visiteurs. Bruno Botella a aussi participé à
l’exposition « L’art et la Santé, au siège de Sanofi, en 2013. Le géant pharmaceutique avait organisé une exposition à l’occasion du Cinquantenaire du Traité
Franco-Allemand et avait sélectionné 10 lauréats, 5 artistes allemands et 5 artistes français, dont Bruno Botella.
Sa pratique couvre le dessin animé, la sculpture, l’installation, et la photographie. Ses recherches n’ont pas comme finalité d‘aboutir à de simples images
rétiniennes, qui seraient ennuyeuses en premier lieu pour lui. Il investit et met en place des procédures qui témoignent d’« une force non représentative, toujours
en déséquilibre ». Puisqu’ « il n’y a aucune certitude dans le monde », les procédés sont négligés et non finis.
La notion de transformation, de métamorphose est au centre de la démarche de Bruno Botella. Mais c‘est, relate l’artiste, un « coup tordu », un geste de
défiguration « cherchant aveuglément à arrêter un flux », ce continuum cher à Henri Michaux, cité par Botella.
3487 (G. Dedlow # 3) a été présentée lors de l’exposition individuelle de l’artiste « Oborot » qui a eu lieu en 2013 à la galerie Samy Abraham, à Paris. Elle fait
partie d’une série de plusieurs travaux devant lesquels est posé sur une table un cône de silicone.
3487 (G. Dedlow # 3) a une forme détourée. Elle est métaphore d’une tranche de la tête de l’artiste. « Se payer une bonne tranche », c’est se payer un trip où
se construit un « film d’animation avec une machine absolument différente ». Ceci est pour l’artiste, « une façon détournée de faire un dessin animé dont le
mouvement se dévoile à mesure que la forme se voit amputée par tranches ». La tête est un réceptacle à l’imaginaire. Elle est une salle de projection intérieure
qui se donne à voir en coupes.
Botella a une prédilection pour les différentes possibilités qu’offrent les matériaux ainsi que leurs propriétés. En l’occurrence, les matières élastiques l’occupent
assez. Ici, la matière a métaphoriquement un lien direct avec le corps de l’artiste. Le lien d’incarnation matière-corps traverse l’œuvre de Botella.
Comme dans l’œuvre au noir, ce sont les états provisoires de la matière qui intéressent l’artiste. En l’occurrence, il met en place des procédés de fabrications
complexes et déroutants afin de faire émerger des plis et des volutes s’enchevêtrant révélant une architecture intérieure, témoignage d’un psychédélisme noir
et aveugle.
Mais 3487 (G. Dedlow # 3) est aussi captivante pour ses propriétés plastiques.
De retour d’un de ses voyages à Los Angeles, toujours ému par la plasticité des œuvres des artistes de la Californie du Sud, Christian Mayeur se rendit presque
directement à Art Rotterdam 2013, où il découvrit le travail de Bruno Botella sur le stand de la galerie Samy Abraham, dans la section « jeunes galeries ».
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Samy Abraham avait eu la bonne idée d’inviter l’artiste pour les trois jours de la Foire. Christian Mayeur fut intrigué dès sa première visite par le cône et les
tranches de matière qui laissaient apparentes les traces de fusion.
La spirale formée par la mince tranche du dessin enroulé dans le cône laissait entrevoir un mouvement d’entropie figée. A l’évidence, Bruno Botella était attaché
à valoriser le processus de création de l’œuvre, processus très modérément maîtrisé, à la manière des artistes du Land Art.
Ce que plusieurs conversations, étalées sur plusieurs heures, entre le collectionneur, l’artiste et le galeriste sur le stand même ou dans les rues de Rotterdam,
lors de trajets en commun vers les différents événements liés à la Foire, confirmèrent.
Après 3 jours, la décision était prise : 3487 (G. Dedlow # 3) rejoindrait la collection de Christian Mayeur, et en bonne place !
L’intérêt de Christian Mayeur pour le travail de Bruno Botella ne se dément pas aujourd’hui. La question de la limite, également très présente dans le travail de
l’artiste, intéresse beaucoup le collectionneur.
Travail aux limites de la conscience, des capacités de création, en lien avec les limites de la conscience et du corps, c’est une question pertinente autant pour
l’artiste que pour l’entrepreneur.
Sources :
http://samyabraham.com/Bruno-Botella
http://le-beau-vice.blogspot.fr/2012/09/bruno-botella-defoncer-lespace-et-le.html
Courtesy : Bruno Botella, Paris, et galerie Samy Abraham, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Simon Boudvin
Glass house,
2005
Photo numérique, exemplaire 5/20
Collection Sylvie Mayeur
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Simon Boudvin est né en 1979 et vit et travaille à Bagnolet. Il a une double formation de plasticien et d’architecte. Il enseigne l’architecture à Paris (Ecole
spéciale d’architecture, ESA).
Son langage plastique est riche et varié grâce aux médiums utilisés : sculpture sous forme d’objets et de maquettes, installations éphémères témoignant
photomontages, relevés topographiques,
Le travail de Simon Boudvin tourne essentiellement autour de l’architecture, de l’urbanisme. Il a une analyse sociologique de notre panorama quotidien et de
ses aberrations et anomalies, que génèrent une urbanisation irréfléchie, une défiguration du paysage, ou bien des habitats conçus dans leur collectivité
improbable. L’artiste s’apparente à un promeneur urbain, interpellé par les gaspillages et les dysfonctionnements de notre société qu’il transpose de manière
poétique, témoignant de la platitude des lieux communs.
Il expose principalement en France et dans le reste de l’Europe (Copenhague, Bruxelles, Naples, Londres, Hambourg…)
Glass House est un photomontage numérique, qui fait sans doute allusion à un coin de l’atelier de l’artiste, ou de son bureau d’architecte où est posée une
table à plateau noir contre un mur. Notons que Simon Boudvin a travaillé sur l’objet table.
Ici, cette table à tréteau est élevée par rapport à la taille du personnage. C’est une table à dessin, un espace de projections pour projets artistiques ou
architecturaux. Son plateau noir témoignerait-il des aberrations modernes évoquées plus haut.
Le titre en lui-même est un paradoxe, la maison renvoie métaphoriquement à la matrice individuelle, évoquant le confort d’un lieu, protégé du monde extérieur.
Or ici le lieu de l’intimité est transparent. Il est en verre et le personnage – l’artiste lui-même sans doute – est assis regardant devant lui.
Le lieu devient atypique et glisse par le montage numérique, vers un non-lieu.
En effet, l’artiste utilise les possibilités du collage et en fait des anomalies mimétiques qui passent presque inaperçues, nous appelons à la vigilance car comme
disait Hélas pour moi de Godard : « La taupe est aveugle, mais creuse dans une direction déterminée ».
Dans cette œuvre, nous retrouvons un des leitmotivs chers à Christian & Sylvie Mayeur : La coexistence de divers niveaux de réalité, avec lesquels
l’entrepreneur comme l’artiste sont invités à jouer pour transformer le monde vers le meilleur, dans la conscience d’une construction possible de réalités
contingentes qui permettent de créer, d’agir et de progresser, non pas par opposition à une réalité objective, mais dans l’acceptation de la coexistence du
construit et de l’objectif et de la possibilité de les conjuguer, en écho aux travaux de Paul Watzlawick, ou plus près de nous, de Bruno Latour.
Sources :
http://simonboudvin.fr
Courtesy : Simon Boudvin, Paris, et galerie Esther de Beaucé, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Louise Bourgeois
“The reticent child”
2005
Lithographie numérotée et signée 270 / 300, 15 x 9,5 cm
Collection Sylvie Mayeur
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Louise Bourgeois est une des grandes figures de l’art contemporain. Elle naît à Paris en 1911 et, décède à New York en 2010. En 1938, elle s’installe à New
York, après avoir épousé l'historien d'art américain Robert Goldwater (1907-1973) et fait l’essentiel de sa carrière aux Etats unis. Naturalisée américaine, elle
représente les Etats-Unis à la Biennale de Venise en 1993.
C’est à l’âge de 10 ans, dans l’atelier de restauration en tapisserie de ses parents, que son goût de la création se révèle. Louise Bourgeois dessine alors des
motifs décoratifs et remplace de temps en temps le dessinateur de l’atelier parental. Des accessoires de l’atelier de Choisy-le Roi deviendront plus tard des
objets détournés au sein de ses sculptures. On peut citer par exemple les portes-bobines de fil et les navettes.
Louise Bourgeois abandonne vite les études de géométrie qu’elle suit à la Sorbonne, pour débuter des études artistiques, tout d'abord à l'École des Beaux-Arts
de Paris. Ensuite, elle s’inscrit dans de nombreuses académies, telles l'Académie Ranson, la Grande Chaumière et aussi à l'École du Louvre. Elle a comme
professeurs des artistes comme Paul Colin, Cassandre et Fernand Léger, qui détecte son talent pour la sculpture.
Jusqu’à la fin des années 40, la peinture reste un des médiums privilégiés de l’artiste. On retrouve dans ses compositions, des procédés surréalistes dans
l’hybridation d’éléments incongrus.
C’est en 1947 que Louise Bourgeois commence son œuvre sculptée avec de figures monolithiques et totémiques en bois. Dans les années 1960, elle
expérimente des matériaux souples, comme le plâtre, le latex, le caoutchouc. Ce sont des œuvres biomorphiques dont le sujet est le nid ou le refuge, mais
aussi de nombreux fragments de corps, le plus souvent des parties sexuelles. Puis, c’est le bronze et le marbre que l’artiste travaille à la suite d’un séjour en
Italie à Pietrasanta. Ce matériau sera employé régulièrement, lui conférant l’illusion de la douceur de la peau.
L’art est chez Louise Bourgeois une catharsis, une libération des émotions et des affects refoulés. Ses sujets sont autobiographiques et ont trait à la mémoire,
plus particulièrement aux souvenirs d’enfance. On écrira que Louise Bourgeois « sculpte l’espace du psychisme »10. En l’occurrence comme affirme l’artiste,
« L’art est une garantie de santé mentale, mais aussi pour la société ». Elle s’explique à ce propos : « Etant donné que les peurs du passé étaient liées à des
peurs physiques, elles ressurgissent dans le corps. Pour moi la sculpture est le corps. Mon corps est la sculpture »11. Apparaît, dans les années 90, dans de
nombreuses œuvres, le vêtement, cet élément protecteur du corps qui le recouvre, le plus souvent ses anciens vêtements.
La métamorphose est inhérente au processus figural chez Louise Bourgeois, qui opère dans l’ambiguïté des matériaux, de la forme et du sens, par langage
métaphorique ou métonymique. Que ce soit au sein d’une même sculpture, ou bien à l’intérieur d’un groupe sculptural, la transmutation est à l’oeuvre. En effet,
la conception de la sculpture, chez l’artiste se fait en relation directe avec son environnement, par enchainements, articulations, interactions, produisant des
sens surprenants, parfois étranges et inattendus. Ce procédé rappelle les dispositifs surréalistes, mais ici, il est plus particulièrement au service de l’inconscient
de l’artiste faisant émerger des révélations dans l’étonnement de la découverte.
On trouve chez Louise Bourgeois des sujets récurrents comme la maison. Au-delà de la connotation féministe de la femme au foyer, la maison est le réceptacle
des souvenirs et plus particulièrement de ceux de l’enfance. D’ailleurs, son enfance est marquée par les tensions familiales que génère un père volage, trompant
sa mère avec sa nounou anglaise, et qui de surcroît dévalorise et humilie sa fille. Dès 1947 de nombreux œuvres s’intitulent la Femme-maison.
Après s’être consacrée largement à ses enfants et à son mari, Louise Bourgeois s’adonnera largement à son art à la mort de ce dernier et connaîtra alors, à
60 ans passés, une progression fulgurante sur la scène artistique mondiale.
Les « Cells » (les cellules) des années 1990, se réfèrent à « la plus petite unité biologique »12, mais également à « la maison, au refuge, et à la famille »13. Ce
sont des œuvres monumentales, à la fois ouvertes et fermées qui s’interprètent comme « des traversées de l’espace du dedans »14, où se joue la trame des
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souvenirs et des affects de l’artiste. Les cellules contiennent des objets appartenant à son univers intime imprégnés de ce fait, d’une grande charge émotionnelle.
En effet, chaque cellule renvoie à une peur, qui est une douleur, qu’elle soit physique, émotionnelle, psychologique, mentale ou intellectuelle.
La série des araignées renvoie à la figure maternelle, certaines s’intitulent Maman. L’artiste relate : « l’Amie (l’araignée, pourquoi l’araignée ?). Parce que ma
meilleure amie était ma mère et qu’elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable, indispensable, qu’une araignée. Elle pouvait se défendre
elle-même. » Le tissage de la toile de l’araignée renvoie également au travail de restauration qu’exerçait sa mère, qui se transpose sur le processus de travail
de Louise Bourgeois, comme « une toile d’émotions et de souvenirs qu’elle tisse et détisse et retisse.»15
Dans la collection de Sylvie Mayeur, la lithographie “The reticent child”, extraite de la série « Ex-libris » représente un nu féminin, en buste, aux bras absents,
et de profil. Cette femme au corps rose est enceinte d’un enfant visible à l’intérieur du ventre. Comme pour beaucoup de ses dernières œuvres, Louise Bourgeois
se réfère à la famille et aux relations mère-enfant. Il est à noter que quand elle attendait son premier enfant en 1940, l’artiste était obsédée par la peur de
tomber. Elle explique : « Au départ, mon travail c’est la peur de la chute. Par la suite c’est devenu l’art de la chute. Comment tomber sans se faire mal. Puis
l’art d’être ici, en ce lieu ».
L’instantanéité du dessin qu’elle emploie fréquemment lui permet de « décanter ses souvenirs complexes et les images du passé qui émergent à la conscience
suscitées par des émotions intenses. »16
L’annotation ex-libris au crayon que l’on lit sur cette œuvre renvoie aux gravures que l’on collait sur le contreplat (intérieur de la couverture). Cette estampe
relève donc du carnet intime, la pratique du dessin étant vécue chez Louise Bourgeois comme des notes consignées dans l’intimité d’un carnet.
Pour son œuvre imprimée, Louise Bourgeois fréquenta d’abord le célèbre Atelier 17 à New York. Puis, elle pratiqua la gravure chez elle, dans son propre atelier,
gardant contact avec les imprimeurs et éditeurs, rehaussant ses multiples au crayon et à l’aquarelle, comme sur cette œuvre de la collection Sylvie Mayeur.
Bien qu’ayant exploré de multiples mediums, Louise Bourgeois resta toujours fidèle à la gravure.
Sylvie et Christian Mayeur gardent un souvenir inoubliable de leur rencontre avec l’artiste à New York en septembre 1998, à l’occasion d’un des « salons »
qu’elle tenait de temps à autre pour quelques invités le dimanche dans sa maison de Chelsea. Sylvie Mayeur n’hésita pas à entamer une confrontation amicale
avec Louise Bourgeois, qui avait quelque peu bouleversé par ses provocations des visiteuses américaines. Il s’en suivit une discussion douce entre Louise et
Sylvie, une fois le salon terminé. Cadeau de Christian, la présence de cette lithographie dans la collection de Sylvie est aussi une référence à ce moment
d’exception.
Courtesy : ArtFlash Editionen, Berlin, et Hauser & Wirth Gallery, New York City
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Julien Charroin
DEVIL CAT
2008
76 x 27 x 14 cm
Papier, plastique, ruban adhésif, ficelle
Collection Christian & Sylvie Mayeur
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Julien Charroin est né en 1984 et vit et travaille à Saint-Etienne. Diplômé de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Saint-Etienne, il pratique principalement
la sculpture.
Julien Charroin expose dans divers centres d’art publics et privés en France. Il a notamment été sélectionné pour la fameuse exposition Who's afraid of design
?, à la Cité du Design de Saint-Etienne, en 2009.
Il a reçu une mention spéciale dans le cadre du Prix de l’Art et de l’Entreprise remis par Entrepart en 2008, dans le cadre de « Mulhouse 2008 ».
Julien Charroin conçoit et réalise des sculptures d’êtres fantasmagoriques à l’aide de matériaux de récupération (têtes d’animaux en plastique, animaux
empaillés, tissus, plastiques, mousse expansive, scotch).
Les "piètres" et "rifaudés" qui habitent sa « cour des miracles artistiques » sont des créatures de conte de fées kafkaiens, des batards nés des amours de Durga
et d'une horde de mutants. Mi-hommes mi-animaux, pendus, ligotés, ligaturés et bondagés au gros ruban, "chirurgiés" à la mousse polyuréthane, ce sont les
rescapés désenchantés d'une histoire mouvementée, le produit d'une fausse mythologie et d'un rire frontière, "revers des larmes".
Fantasmagorique, la sculpture de Julien Charroin n’est pas inquiétante pour autant. Plutôt familière et complice, éminemment postmoderne, entre médiévisme,
romantisme, et recyclage. Les créatures de Julien Charroin hurlent en silence la tragédie contemporaine, entre régression et low tech.
" J'appelle ça des sculptures photographiques. On a l'habitude de définir la photographie comme un instant x, passé, qu'on catalogue dans un album, en se
disant "on a bien aimé ce moment x au bord de la plage avec ses copains". Ma sculpture est une question: "comment aujourd'hui peut-on s'approprier un
volume, comment peut-on comprendre le volume d'un corps ?" C'est un modèle, un mannequin, voire un ami, que j'ai enrobé de cellophane, puis de scotch,
comme un cocon, et qui ensuite a été ouvert pour s'en extirper. La déchirure devient cicatrice avec des points de suture. Il reste un volume, une enveloppe
vide, une chrysalide qui est la trace, le témoin, l'empreinte d'un moment qui n'est plus valable..."
« Devil Cat », œuvre de la collection Christian & Sylvie Mayeur, est un hommage au chat mort de Julien Charroin, chat aimable et fantôme, chat obscur, chat
d’un réalisme surprenant. Habité.
Nombreux sont les visiteurs de La Coursive qui au premier regard croient voir un chat vivant, surtout dans la pénombre du soir.
" On passe dans la réparation à partir d'un élément du réel, la tête d'un animal empaillé, un ancien symbole bourgeois qu'on balance aujourd'hui à la poubelle
et qui vient contribuer à une forme plastique, un espèce d'hybride qui nous rappelle les Ewoks, qui tient un peu du conte de fée ou de la science-fiction. C'est
encore une fois complètement désuet, vieillot..."
" C'est un rire difficilement définissable. Il se passe que quand on met une peau d'animal empaillé, à côté d'un matériau d'isolation industrielle, de la mousse
expansive, il se passe quelque chose... C'est un rire sur le fil du rasoir..."
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Sculpture présentée dans le cadre de l’exposition personnelle de Julien Charroin : « Point de suture » à l’atelier Favier de Saint Etienne en 2011.
" Le point commun c'est avant tout la réparation, l'irréparable, le fait de montrer une espèce d'agglutinement, de conglomérat, qui va faire tenir une forme, un
volume. Peu importe le maquillage, le camouflage peu importe la belle toile en robe, elle [la forme] n'en reste pas moins un colosse aux pieds d'argile. Quelque
chose qui tient par une réparation, une réparation que je montre à 200%... Mais si la cicatrice prend une part, on va dire gravissime, qu'il y ait au moins un joli
nappé rose qui rattrape cet aspect. C'est un travail en balancier; une mise en abyme, entre gravité et légèreté..."
" C'est une fausse mythologie. Je m'amuse à faire un amalgame. C'est un peu grec, indien, avec ses cornes ça emprunte à l'iconographie judéo-chrétienne.
Une espèce de provoc, pour me moquer aussi de la sculpture cimetière et dire que je ne sais pas ce qu'est la mythologie. Comme les 3/4 des gens, et pourtant
tout le monde en parle..."
Courtesy : Julien Charroin, Saint-Etienne
Christian Mayeur
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Pauline Curnier-Jardin
Le Salon d'Alone
2008-2010
Disque vinyle d’artiste
Collection Christian & Sylvie Mayeur
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Pauline Curnier-Jardin est née à Marseille en 1980. Elle vit et travaille entre Berlin et Paris.
Titulaire d'un Master de la Vision Forum - Linköping Swedish University, elle a reçu en 2006 le « diplôme with honours » de l’ Ecole Nationale Supérieure des
Arts Décoratifs de Paris, après des Diplômes en arts plastiques, toujours avec mention, de l’ Ecole Nationale Supérieure d'Arts de Paris-Cergy.
Elle a conçu de nombreux projets d’expositions en France, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, au Palais de Tokyo, à la Fondation Cartier, au Centre
Georges Pompidou et à l’étranger, au ZKM de Karlsruhe, au List/MIT de Cambridge-Boston, et à la Haus der Kulturen der Welt à Berlin.
Elle fait partie du groupe de recherches «Vision Forum» de l’Université́ de Lïnkopping (Suède) qui est dirigé par l’artiste et commissaire Per Hüttner, depuis sa
création en 2008. Elle enseigne au Paris College of Art depuis 2013 et est représentée en Allemagne par la galerie PSM, Berlin.
Pauline Curnier-Jardin est une artiste multimédia, performeuse, qui utilise une multitude de techniques, poèmes, récits, chansons, musiques, photos, objets,
décors, dessins… Ces disciplines s’entremêlent dans son travail, avec des formes débordantes, dans une atmosphère néobaroque contemporaine, grouillant
d’êtres et d’objets bizarres. Ce sont des performances-films, des installations avec shows divers, des sortes de cabarets shows. «Je suis finalement plasticienne,
mais je me dis bonimenteuse», déclare l’artiste.
Durant ses études, parallèlement à ses dessins qu’elle développe, l’artiste constitue un groupe de personnes, avec lequel elle écrit des « entresorts ». Les
entresorts sont des spectacles forains dont le nom annonce la forme. La femme à barbe, le pois sauteur et autres dompteurs d’objets sont créés. Le cabaret et
le cirque deviennent des médiums plastiques à part entière, donnant lieu à des travaux scéniques.
En l’occurrence, avant d’être plasticienne, Pauline Curnier-Jardin a été comédienne et danseuse. D’ailleurs, elle continue d’aimer la scène comme le montre
sa pratique artistique. Elle est « une plasticienne sensible au langage du corps, aux jeux de la scène, à son histoire, à la vie et à l’esprit qui va avec. » Elle fait
partie des Vraoums, groupe composé de 4 femmes, sorte de « cabaret Dada, Queerdada, ou plutôt Dragdada ». Sur scène, les personnages y jouent des
sosies de personnages célèbres à la sexualité ambiguë, comme David Bowie ou Frida Kahlo.
Pauline Curnier-Jardin collabore avec d’autres créateurs, qui peuvent être par exemple des plasticiens, des danseurs, des musiciens ou des acteurs. Elle
s’explique dans un entretien à ce propos : « Les artistes avec lesquels je collabore (je pense à Rachel Garcia, Marguerite Vappereau, Maja Nilsen, Laura
Gozlan ou Catriona Shaw) ont en général un goût prononcé pour les formes généreuses, la série B, le punk, l’art brut… des aspects dérangeants, drôles,
moches, burlesques, bêtes, trash. Nous développons des formes plastiques comme le fou se raccroche aux légendes, au conscient et à l’inconscient… »
Comme dans un bric-à-brac, les thématiques de son œuvre mêlent la petite histoire, de « ce qui lui arrive et de ce qui l’entoure », à la grande histoire, avec ses
grands sujets et ses grandes idées. Pauline Curnier-Jardin dit adorer l’anthropologie, l’ethnologie, et s’intéresser aux récits des origines, de l’humanité, ou de
l’art. En effet, la plasticienne a beaucoup voyagé, au Liban, en Syrie, en Argentine en Chine, et a vécu en Finlande et en Allemagne. De ces déplacements, il
ressort un intérêt pour les rites païens et animistes.
Cependant, ses thèmes de prédilection sont vus sous un œil « socio-ironique ». Que ce soit dans ses films, ses installations ou ses dessins, ses personnages
sont burlesques, incarnant des idées ou des fantasmes. En l’occurrence, ils sont créés « un peu à la manière des cartes du tarot » devenant dans la narration
des figures allégoriques. Par exemple, dans Grotta profunda, le gouffre des humeurs, la sirène-singe matérialise l’interrogation : « descendons nous du singe
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ou du poisson ? »
Sa critique sociétale fait qu’elle préfère donner la parole à des petites gens, qu’elle intègre dans ses films comme dans Lov & Tuo, où l’employée d’une centrale
nucléaire tombe amoureuse d’un réacteur, au lieu de travailler.
Face aux obstacles et aux vicissitudes de la vie, le rire et l’aventure sont les seules issues possibles pour la plasticienne. En l’occurrence, le rôle de l’artiste est
de développer des formes délirantes et spectaculaires qui ont un impact populaire.
Cependant, le burlesque dans son œuvre ne se réfère pas tant à Matthew Barney qu’au surréalisme. En effet, elle juge l’œuvre de cet artiste trop « froide,
étroite, ne laissant aucune place à l’improvisation ». Par contre, l’humour et le traitement du son chez Fischli et Weiss l’ont interpellée. Et, des artistes comme
Claude Cahun ou Maya Deren l’ont motivée dans son travail.
Elle dit par ailleurs s’imprégner plus de cinéma expérimental que d’art contemporain, citant à ce propos des cinéastes comme Jean Rouch, Jack Smith,
Kenneth Anger ou Ulrike Ottinger. Christian Mayeur y voit aussi une résonance avec l’univers de Guy Maddin.
Les histoires de Pauline Curnier-Jardin sont rocambolesques, emportant le spectateur dans un dédale narratif et épique. Sa narration est comme un patchwork,
ponctuée d’une voix off, sa propre voix. Il est intéressant de noter que pour certains de ses projets, l’artiste dit faire « un tour de narralogie », disons qu’elle
raconte le récit du film à réaliser, élaborant une maquette récitée qui s’inspire d’une collecte d’images intimes ou provenant d’internet.
Son univers dénote une représentation rabelaisienne du monde, un intérêt pour le grotesque, le primitif et le carnaval. C’est un univers de pastiche, d’opulence,
de mauvais goût qui exalte les formes, les couleurs et les sentiments. Les décors et accessoires sont des objets d’art ou de décoration non fonctionnels.
La femme y a une place centrale avec un déploiement de rôles où elle peut incarner une pute, une femme-clown, une femme à barbe. En effet, les femmes
sont ses actrices, ses moteurs et ses alliées. Et souvent, elles ne peuvent concevoir « la vérité (de l’humain, du langage, de l’amour, de la mort) ou accéder au
savoir que grâce à des objets ou formules », ajoute-t-elle.
Le Salon d'Alone, disque en vinyle de la collection Christian et Sylvie Mayeur, est un opéra optique pour huit objets et une solitude, d’une durée de 30 minutes.
Il s’inscrit dans une installation-performance composée de 120 diapositives, d’un livret, d’une peinture sur teinture et de 4 peaux de rennes. C’est le fruit d’un
travail collaboratif où Pauline Curnier-Jardin a écrit le texte, s’est chargée des images et de la direction, et où la musique a été écrite et interprétée par Fred
Bigot et Catriona Shaw. Les prises de vue sont d’Elina Juopperi. Le projet est réalisé avec l'aide du Musée d''Art Moderne de la ville de Paris, de la DRAC Ilede-france, et de la Vision Forum Lingkopping Universitet.
Dans cette œuvre, Seule-alone est le principal personnage, qui est une femme seule au monde, persuadée que seul le langage la différencie des autres
animaux. Elle pense être un cheval, et s’absente tous les jours de chez elle, afin de trouver avec qui communiquer. Pendant son absence, les objets de son
salon s’adonnent à des discours métaphysiques et vont vite sombrer dans des monologues, et finalement générer une foire d’empoigne, peu doués qu’ils sont
pour les échanges.
Cet opéra est une fable sur la solitude et incarne le fantasme de l’opéra comme œuvre totale.
La pochette du vinyle a été sérigraphiée d’après un dessin au lavis. Toute une série de dessins, Les amis d’Alone ont été réalisés à ce propos.
Christian & Sylvie Mayeur ont découvert le travail de Pauline Curnier-Jardin et rencontré l’artiste dans le cadre du Festival International d’Art de Toulouse en
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2011, grâce à leurs amis Claus Sauer et Nathalie Thibat, directeurs du Centre d’art Caza d’Oro (Ariège), qui a accueilli l’artiste en résidence la même année.
Sources :
http://www.paulinecurnierjardin.net
http://mariemaertens.over-blog.com/article-pauline-curnier-jardin-102494425.html
Courtesy : Pauline Curnier-Jardin, Berlin et Paris, et galerie Christophe Jardin, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Jean-Claude Desmerges
Veste
2000
Techniques mixtes, 0,80 x 128 cm
Collection Christian & Sylvie Mayeur
Bouquet
2001
Peinture vinylique, 75 x 95 cm
Collection Christian & Sylvie Mayeur
Une paire de santiags
2000
Techniques mixtes, 45 x 60 cm
Collection Christian Mayeur
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Figures dans le paysage
1988
Peinture vinylique, 130 X 87 cm
Collection Christian Mayeur
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Paysages à l’ASSEDIC
2003
2 tableaux, techniques mixtes sur toile, 56 x 81 cm / toile
Collection Entrepart
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Jean Claude Desmerges est né en 1957 à Beuvrages, dans le Nord de la France.
Peintre, sculpteur, photographe et vidéaste, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de l’art.
Sa thèse, soutenue en 1998 sur le processus de création à l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis, s’intitule Il y a ce que voit la veste du 15
octobre. . . Ou la "toile au travail".
Après une première période marquée par de nombreuses expositions individuelles dans les galeries Antoine Candau à Paris en 1985, Fac Simile à Milan de
1986 à 1999 et NEON à Bologne en 2002, Jean-Claude Desmerges s’investit dans la recherche (enseignant chercheur à l'Institut National de Recherche
Pédagogique - Du photographique au numérique, images technologiques et didactique des Arts Plastiques, de 2001 à 2003) et confronte son travail au milieu
du travail et au contexte urbain.
En 2003, il entame une coopération avec Entrepart et présente une installation vidéo et sonore à la Tour Lafayette à la Défense. En 2007, sur le site d’habitat
social du Rotoy, à Courrières, c’est une installation photo et vidéo qui est montrée, travail obsessionnel, fondé sur une présence durant l’intégralité d’un chantier
de démolition, avec ses dimensions humaines et machiniques, la tendresse voisinant l’effroi. Les mâchoires des grues ne sont pas sans rappeler les engins de
chantier tyrannosauresques qu’affectait Robert Smithson, une référence pour Jean-Claude Desmerges autant que pour Christian & Sylvie Mayeur.
Jean-Claude Desmerges intervient d’ailleurs avec Entrepart dans différents ateliers-séminaires sur le thème de l’art et de l’entreprise. En 2001, il crée
l’événement à l’occasion d’une conférence-atelier internationale à l’Université de Versailles Saint-Quentin intitulée Ce que les dirigeants peuvent apprendre
de l'art, en lien avec la coopération franco-japonaise de Christian Mayeur, en tant qu’enseignant à l’IAE d’Aix en Provence, en charge de l’Innovation de
Service et Shoji Shiha, professeur au MIT.
Il apporte sa contribution au livre de Christian Mayeur, « Le manager à l’écoute de l’artiste », publié aux Editions d’Organisation en 2006 et où il est crédité.
Dans le cadre de son travail de recherche, il anime de nombreux colloques universitaires et, est également l’auteur de nombreux articles autour des enjeux
artistiques, comme « Le processus comme image » publié dans « Les dons de l'image » aux éditions L'Harmattan, USTL de Lille.
Jean-Claude Desmerges a commencé la peinture dès l’adolescence de manière quasi obsessionnelle. Cela constituait pour lui « un projet de vie sans attendre
aucun retour », un engagement total. « Ça peint », raconte l’artiste, c’est comme un automatisme psychique, une perception face au monde et aux objets. Il
s’explique sur cette détermination : « Je ne me demande pas pourquoi je peins, si c’est bon. Je fais. C’est l’acte, la façon de se mettre en situation inédite qui
détermine la peinture. »
Pour lui, la peinture est cosa mentale, « l’artiste est face à lui-même, face au rien, au vide ». le peintre est avant tout un chercheur, un observateur du corps qui
peint, de l’inconscient et, de ce qui se trame dans l’acte de peindre. Ce n’est pas la peinture en tant que médium qui l’intéresse, mais la réaction du peintre face
au réel, face au motif dans l’acte de représentation. Il nous donne à voir le processus de fabrication de l’image, se défigurant constamment, car pour JeanClaude Desmerges, « une image n’existe pas en soi ».
Le peintre peint devant le motif, il n’a pour ainsi dire presque jamais utilisé de modèle vivant. Si l’on voit des figures, ce sont des figures de l’histoire de l’art que
l’artiste interprète face aux tableaux des maîtres. Jean-Claude aime Le Titien, Cézanne, Matisse, Leroy, Rauschenberg, Bacon. A propos de sa pratique
picturale, le peintre parle d’objets et non de figures.
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A travers l’effet de peinture, l’objet ou le motif devient sans cesse mobile et semblant s’animer et devenir vivant. L’artiste doit se rapprocher de l’objet, être
l’objet, se mettre à sa place jusqu’à en « capter l’air », car « ici il n’y a que du corps ». En l’occurrence, l’air ou plutôt l’atmosphère est en continuum avec l’objet,
ce qui amène le peintre à homogénéiser fond et forme. Il est à noter, qu’au début de sa pratique, il établit la même équivalence de facture entre l’objet et son
enveloppe. En effet, le sujet s’inscrit et se perd dans le fond du tableau.
Les tableaux présentent une fragmentation de la touche et de la couleur, témoignant de sa vision de représentation des choses et du monde. Jean-Claude
Desmerges peint le fonctionnement du regard : « on décompose l’image car on voit tout en discontinu.» En effet, mouvements et discontinuité apparaissent
dans ses toiles. Le processus créatif est lisible dans la représentation, de façon labyrinthique, par trajectoires de touches fragmentées, ou par ruptures de plans.
De ce fait, le spectateur s’absorbe dans la peinture.
Il y a ce que voit la veste du 15 octobre. . . Ou la "toile au travail" est l’intitulé de la thèse de doctorat de l’artiste sur son processus de création picturale. Son
mémoire est écrit sous forme d’un journal de bord. En effet, cela permet un cheminement, une conscientisation, car au-delà de l’accident et du hasard, une
« œuvre est très construite ». Sa thèse rassemble un brouillon de différents types d’écritures, de l’ordre du « consignable », de l’attente, du non faire, qui
paradoxalement sont également à l’œuvre. « Je me suis risqué aussi à dépeindre l'impossibilité de peindre, le tout, le rien ou le presque rien, le point originel
d'où "ça" surgit ou se présentifie » écrit-il.
La peinture aide « à se forger une grammaire visuelle, à trouver un alphabet du réel », afin que le tableau devienne monde. « A partir de là on peut faire des
films, des scénographies de théâtre », continue l’artiste.
La Veste de la collection Christian Mayeur fait partie d’une série des 300 tableaux montrés lors de la soutenance de la thèse de doctorat de Jean Claude
Desmerges, à l’université du Cateau-Cambrésis.
Pour le peintre, une série représente « un moment singulier de la vie, une émotion qui rappellera une certaine durée de la vie, une certaine compression. »
Cependant « la répétition est de l’ordre de l’aléatoire et, font que les expériences ne sont jamais identiques. »
Le motif est ici la veste du père de l’artiste, décédé. On y décèle des bribes de papier collé et du sable mêlé au pigment. Les couleurs dominantes ont des
tonalités sombres et sont peu contrastées. Cependant le peintre personnifie cette veste en lui donnant vie, en la rendant mobile et présente, « les vestes
bougent continuellement dans leurs immobilité dans les rapports de couleur, de ton et de lumière ». C’est le regard du peintre à l’œuvre « qui se déplace sur la
veste », et qui appose « des petites virgules vivantes, comme un scanning inconscient.»
Mais dans cette série Jean-Claude Desmerges se déprend de lui même, des « tromperies de la vision », se donnant « un impouvoir. » « Au contraire, je
chercherai le "mal-voir", la vision par les ombres, le quasi non-être de la veste. L'œil verra- t-il ou se verra-t-il ? Cette série des vestes est une parabole de
l’aveuglement en peinture. »
Paysages à l’ASSEDIC, (2003), deux tableaux de la collection Entrepart, proviennent d’une série de toiles réalisées collectivement avec l’artiste et les employés
de l’ASSEDIC de l’Ouest Francilien, à La Défense, sur une proposition d’Entrepart et dans le cadre d’un déplacement du siège de cette institution aujourd’hui
disparue. Gérard Galpin, directeur de l’époque, et son adjointe Josette Pflug en furent de fervents soutiens. Elles ont été montrées à l’exposition Transitions,
Passages avec une installation, et une vidéo sonore. Des collages de photos insérés à la peinture donnent une vision fragmentaire de la réalité. Cependant la
peinture par ses passages glacés, ses jus colorés, irradient et relient les différents ensembles qui sont des vues de l’intérieur et de l’extérieur de l’environnement
de travail des employés.
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Dans Bouquet, de la collection Christian et Sylvie Mayeur, un magma de tâches composent le tableau afin de représenter les fleurs. On peut se référer à
Eugène Leroy qui nomme la représentation des fleurs, « l‘état de bouquet », qui est l’état de polychromie. Cette polychromie apparaît ici, moins par la vivacité
des couleurs que par la sur densification des touches picturales, témoignage d’un réel difficilement appréhendable parce qu’opaque pour le peintre.
Dans Une paire de santiags, une autre toile de la collection Christian & Sylvie Mayeur, sans doute celle pour laquelle les collectionneurs mais aussi les visiteurs
de la collection ont le plus d’affection – l’artiste Jean-Luc Favero s’arrêta devant la toile avec un cri d’admiration lorsqu’il la découvrit pour la première fois -,
l’objet est animé d’une série de taches auxquelles se mêlent des lambeaux de papier journal. Le fond de cette toile est composé d’un recouvrement de blanc
qui détoure les santiags de manière emblématique.
Dans Figures dans le paysage, toile de la collection personnelle de Christian Mayeur, la touche provient de brosses larges et les couleurs ont une vivacité
beaucoup plus importante que sur les autres toiles. Cette thématique donnée par le titre puise dans l’histoire de la peinture chez Cézanne ou Matisse. C’est
une toile de jeunesse, réalisée à une époque où la peinture était de retour après la vague conceptuelle des années 70.
Courtesy : Jean-Claude Desmerges, Lens et Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Helena Faneca
Paysages en bandes hallucinées
2013
Collage de vignettes de Comics Pocket, feutres noirs à pointe fine, 1,20 x 0,80 m
Collection Entrepart
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Helena Faneca est née en 1958 à Barreiro dans la banlieue sud de Lisbonne (Portugal). Elle vit et travaille à Lisle-sur-Tarn.
De son enfance jusqu’à 2012, elle a vécu dans le nord de la France, une période ponctuée de quelques séjours au Brésil.
Helena Faneca a obtenu une maîtrise en arts plastiques, en prenant comme thématique de référence l’œuvre gravée de l’artiste Eugène Leroy. « Plus que les
écoles, c’est ce peintre qui a éclairé ma pratique, avec ses méthodes et ses propres pratiques » relate-t-elle.
Son expérience de nombreux projets liés à la politique de la ville de Lille, et ses expositions dans différentes structures de la métropole lilloise comme les
Maisons Folies à Lille, (exposition Esprit papier en 2012) ont donné à l’artiste le goût de conjuguer l’art et la vie.
Pour autant, Helena Faneca aime le retrait et la concentration.
Son travail plastique se compose essentiellement d’œuvres sur papier, en l’occurrence de dessins et de collages. Pour Helena Faneca, le dessin est un médium
à part entière, dans la lignée d’un Raymond Lafage, artiste né à Lisle sur Tarn en 1656 et présent dans de nombreuses collections en Europe et aux EtatsUnis.
La démarche d’Helena Faneca s’inscrit dans le paysage mental. Elle nous met face à nos paysages intérieurs, et place le dessin sans dessein comme remise
en question de la nature et de la condition humaine. Le spectateur devient voyageur dans un espace paréidolique percevant des bribes d’une réalité volatile et
éphémère.
Après quelques années de peinture à travers un médium lourd qu’est l’huile, le travail d’Helena Faneca s’est orienté vers le dessin.
Le dessin présente une précarité captivante, au-delà des frontières de la technique, du matériel, et de l’objet. « J'emploie des outils et des supports qui me
rapprochent de l'écriture, me permettent un plus grand vagabondage graphique. Ce sont des stylos-billes, des feutres à pointes fines, des encres, ou encore
des aquarelles. » « C’est sans idée préconçue que je griffonne dans l’inspiration subite et l’abandon, sans programme de travail, ayant cependant seulement
en tête une idée diffuse. En l’occurrence, c’est souvent en faisant que j’apprends ce que je recherche. »
Le trait a dans les dessins d’Helena Faneca l’austérité du stylet de la gravure, incisif et précieux, ciselant l’espace comme la gravure maniériste ciselait les
corps.
On y trouve un sentiment d’urgence dans la durée besogneuse du processus créatif qui est en fait une manifestation de la contemplation.
« L’homme pressé est aujourd’hui moins intéressé par l’archéologie du passé que par le fait de vivre le moment présent, moins tenté par une longue recherche
sur ses zones d’ombres que par l’expérience de nouvelles sensations. Mes images, ou mes Fantaisies, vieux terme signifiant « Visions » sont des ImagesSouvenirs, des images accumulées en bribes d’histoires. C’est comme un automatisme psychique, un continuum d’images qui me viennent à l’esprit. Je brode
autour de ratures ou de fragments, des vignettes de Comics Pocket, des mondes en liaison. »
Une imagerie miniaturisée s’en suit, que ce soit dans les formats grand monde ou sur les pages d’humeurs. Ce sont des pages de carnets où le dessin prend
forme à une échelle de timbre-poste, car l’éloge de la paresse, l’économie de moyens, l’espace qui se rétrécit de plus en plus à l’échelle planétaire, mais aussi
le goût de l’enfance, ont poussé l’artiste dans le choix de la miniature.
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Au départ, tout part d’un jet, de quelques traits esquissés (l’étymologie du mot « esquisse » signifie «poème improvisé») afin qu’émergent ou disparaissent des
images, par analogies ou associations d’idées.
La pratique d’Helena Faneca s’inscrit dans la logique de l’atlas, largement analysée par Georges Didi-Huberman et dont « Paysages en bandes hallucinées »,
œuvre de la collection Entrepart, témoigne avec force. Il est d’ailleurs intéressant d’observer Helena Faneca opérer à sa table de travail.
La figuration est maladroite, raturée, écrasée parfois, car dans le processus créatif, l’artiste met à contribution l’accident et la trouvaille. La rature est pour elle
un acte de destruction créative, qui obscurcit le souvenir d’images perdues. Une pratique marquée par la sérendipité, un rapport à l’avènement / événement
cher à Christian & Sylvie Mayeur, mais aussi aux pratiques artistiques en entreprise d’Entrepart.
Le Disparate, le manque de propos, l’esthétique du grotesque, du caprice traversent le travail graphique d’Helena Faneca. Ici, sa fascination pour Goya
transparaît. Mais le caprice, qui a à voir avec « ce qui cloche avec les corps », mais aussi avec l’émergence de figures grotesques extirpées d’un chaos pictural
ou graphique, traverse tout autant la peinture flamande de Bosch ou de Breughel.
Par ces dispositifs délibérément « maladroits », la représentation se déréalise, à mi-mots entre le figuratif et l’abstrait, en métamorphoses, chahutée par des
images à figures multiples, ce qui lui confère un côté baroque, mystérieux ou énigmatique.
Le geste de l’artiste et son trait semblent enfouir ou exhumer. Ils renvoient au terme anglais « graver » qui se dit grave et signifie aussi « tombe », et à l’allemand
« Graben », qui signifie creuser.
Paysages en bandes hallucinées s’insère dans une série intitulée Formats Grands Mondes.
Cette série se compose de paysages mentaux à la verticale ou à l’horizontale dans lesquels se trouve une composition labyrinthique. Le labyrinthe, par son
côté sinueux, est destiné à perdre ou ralentir celui qui cherche à s’y déplacer. C’est un dispositif qui opère comme un sortilège ou un charme.
Des paysages isolés et reliés à la fois apparaissent, des repères connus dans un monde inconnu avec des formes humaines qui se dessinent et se devinent là
où on ne les voit d'abord pas. Un univers fantasmagorique et en mouvement grouillant apparaît.
Des images qui sont des flashs format carte postale pour l’artiste laissent percevoir le mythe de l’Atlas, dans la tradition initiée par Aby Warburg, chère à
Christian & Sylvie Mayeur, avec ses multitudes de tableaux dans le paysage.
Mais les Paysages en bandes hallucinées d’Helena Faneca sont aussi des voyages hybrides, entre paysages urbains, paysages industriels rappelant les
paysages de l’enfance communs à l’artiste et à Christian Mayeur, dans les contrées sidérurgiques du nord de la France.
Au cœur du paysage, deux enfants à bicyclette attirent le regard. Ils sont la vie, l’insouciance, l’espoir de chemins encore à inventer.
Autour de ces enfants faisant un signe de la main, le voyage apparait comme une dimension éminemment présente dans la trame même du dessin, qui incite
au déplacement du regard sur l’œuvre, composée de paysages imaginaires tissés entre des fragments de bandes dessinées. Ce voyage est une dimension
intrinsèque du rapport au monde de Christian Mayeur.
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Quant à l’hybridation, ouvrant à l’invisible, au millefeuille de réalités dont est tissé le Réel qui nous entoure, elle est un des ressorts artistiques d’Entrepart dans
sa mission d’ouverture des entrepreneurs à leur capacités d’invention de réalités autres, au tiers-lieu de l’imaginaire et même à la quatrième dimension d’un
cosmos à inventer,
Chaque image-souvenir paysagère est pour l’artiste un échantillon d’un chaos spatial, qui par exemple dans Paysages en bandes hallucinées se tiennent en
lignes disloquées, creusant l’espace de perspectives à rebours.
L’énergie sombre de ce paysage évoque la mélancolie, pour ne pas dire la Saudades, qui est quelque chose d’intime à l’artiste, par son déracinement du
Portugal vers les Flandres puis le Pays de Cocagne. La mélancolie souligne dans le champ créatif un rapport d’inaccessibilité́ au réel ou au contraire un trop
de réalité́ .
Pourtant, l’œuvre de la collection Entrepart, réalisée par Helena Faneca quelques mois après son installation dans le Tarn et sa lumière, marque une progression
de son travail vers de nouveaux espaces, plus lumineux, plus aérés, plus dynamiques, le mouvement de son dessin ouvrant à des espaces en boucles infinies,
où le regardeur peut librement faire circuler sa pensée.
Sources :
http://www.helenafaneca.com
Courtesy : Helena Faneca, Lisle sur Tarn
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Jean-Luc Favero
Arbres
2014
4 dessins au brou de noix sur feuilles de registre comptable du XIXème siècle
© Photo Christian Mayeur - 2014
Collection Christian Mayeur
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Jean-Luc Favero est né en 1969 à Albi (France). Il vit et travaille à Grazac, sur une colline du Tarn, à mi-chemin entre Toulouse et Albi.
Jean-Luc Favero est diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Toulouse. Il a reçu le Prix du Chevalier Rivalz et le Prix de dessin des Beaux-Arts en
1991.
Enfant difficile, compulsif, Jean-Luc Favéro a grandi dans un milieu où l'art était loin d'être une priorité. On l'installait à une table avec une feuille et des crayons,
seul moyen qu'il se tienne tranquille, calme ses obsessions. A l'issue d'une scolarité chaotique, qu'il interrompt en 3° sans le moindre bagage, il parvient quand
même à intégrer l'école des beaux-Arts de Toulouse. Il n'a que 17 ans. Il découvre avec bonheur le monde de l'art avec toutes ses étrangetés, un univers
entièrement nouveau et exotique pour lui. De jeunes professeurs l'éveillent à l'art conceptuel, à l'art de l'idée ; d'autres, de la vieille garde, le forment à un art
plus classique. Sans choisir entre l'un ou l'autre de ces enseignements, il apprend à manier les outils, travaille sans relâche le dessin.
« Je suis plus près du boxeur que de l'artiste. »
Jean-Luc Favero s'installe pendant 5 ans dans un grand hangar à la campagne avec d'autres artistes. Vivre dans la nature l'aide à envisager le monde
perméable, à le pénétrer petit à petit.
« Si je fais des grands formats, ce n'est pas par mégalomanie, c'est pour redevenir petit. »
Expulsé avec ses confrères du hangar, il a la chance d'acquérir une vieille ferme perchée sur une colline près de Rabastens, où il vit encore aujourd'hui. Plus
stable, plus serein, il commence à sculpter, l'aspect physique de cette activité convenant parfaitement à son âme de "boxeur".
Sans argent, et voulant faire des grands formats, il invente son matériau de base : le bidon de tôle, qu'il découpe, martèle, assemble et cisèle, réalisant ainsi
des œuvres à moindres frais. Un vaste territoire s'ouvre enfin devant lui et, partant de la phrase toute simple "fais ce que tu aimes", il domine peu à peu
l'angoisse de s'y perdre. Il entreprend d'explorer cette idée, tant sur le plan physique, que moral et spirituel, liant sans cesse le tout. Dans son obsession intime
de tout ritualiser, chaque sculpture requiert un nombre précis de coups de marteaux, il sait par avance lequel sera le dernier, manière de canaliser ses troubles
et son énergie, de leur donner forme, et par là même de se défouler, de s'épuiser physiquement et de guérir.
« Ce n'est pas le paysage qui est grand, c'est le regard porté dessus qui doit l'être. »
Un jour, lisant un article traitant d'archéologie celtique, la photo d'un objet et sa légende "pommeau d'épée celte sur âme de bois" provoquent en lui un déclic
poétique. L'œuvre, décor et enveloppement d'une âme de bois disparue, lui parlait à la fois de l'épée, d'un guerrier, de sa main, de matières et de volumes
générateurs de vie, de vécu, tendus par une volonté. Cette œuvre n'était plus en trois dimensions, mais liée à toutes les dimensions imaginables.
Jean-Luc Favéro oriente alors son travail vers cette idée d'âme contenue, et par ricochet de contenant, de sarcophage, de vaisseau, de véhicule. Il réalise des
containers, sortes de peaux de métal qui recouvrent une âme, un esprit. S'inspirant de ce qui l'entoure directement, il s'attache à considérer chaque élément
de la vie, à poser un regard d'amour sur toute chose. Les containers lui servent à raconter les histoires qui le touchent, en particulier celle de l'homme et de la
femme, celle de leur rencontre, celle de leur relation au monde....
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Jean-Luc Favéro expose tant dans des lieux étranges de son environnement local (La Garenne, un ensemble de chaix au bord du Tarn) que dans les centres
d’art et musées de sa région (Les Abattoirs à Toulouse, Caza d’Oro au Mas d’Azil) les Fondations prestigieuses (Hermès, Louis Vuitton) et plus récemment à
Sao Paulo (Brésil).
Son travail oscille entre une pratique « compulsive » - Jean-Luc Favero dixit - du dessin au brou de noix de facture classique, mais habitée de spiritualité, et
des sculptures et installations monumentales liées à ses mythologies personnelles autant qu’à son observation aigüe des mutations du monde contemporain.
Jean-Luc Favéro se définit comme un « chasseur-cueilleur « et part chaque jour de l’année sur le terrain en quête du beau, dans les magnifiques paysages
des collines tarnaises.
Mais sa vision d’un monde comme un ensemble de containers emboîtés, du rideau d’arbres au contour de la vallée qu’il a sous les yeux depuis son atelier
jusqu’à Fukushima, centrale nucléaire container répandant son poison invisible dans le container plus vaste de l’atmosphère terrestre le conduit à une
conscience des phénomènes de mutations globales qu’il transcrit dans son art.
Le travail avec les arbres est une régénération quotidienne de Jean-Luc Favero, au service d’un projet plus vaste. Cette vision du monde a quelque chose
d’une transcription esthétique de la théorie environnementale, sociale et topologique des « Sphères » du philosophe Peter Sloterdijk, cher à Christian Mayeur.
Tout comme la discipline de l’artiste-athlète renvoie à l’ouvrage « Tu dois changer ta vie » du Maître de Karlsruhe.
Se mouvant avec aisance au cœur de la Tragédie du Monde, tendu entre Eros (et la magnifique saga christo-érotico-coïtale « LOVNI ») et Thanatos (les cerfs
et sangliers mutants exposés en 2014 à l’Espace Culturel Louis Vuitton et au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne), Jean-Luc Favero crée
une œuvre protéiforme, habitée d’une vision où Vincent Van Gogh croise Marcel Duchamp.
Là où de tristes exégètes se limitent à la froideur des concepts, Jean-Luc Favéro voit dans le « porte-bouteilles » de Marcel Duchamp « une robe maritale
hérissée de phallus », comme il le confiait lors d’une conversation avec Christian Mayeur.
« Arbres » : les dessins de la Collection de Christian Mayeur.
La série de quatre dessins d’arbres de Jean-Luc Favero a été choisie par Christian Mayeur, non seulement pour la puissance du dessin et la force spirituelle
qui s’en dégage, mais pour les qualités graphiques, le jeu avec le support (des registres comptables dont l’artiste laisse délibérément apparaître les lignes et
les écritures) et donc pour le jeu entre réel et imaginaire, entre différents niveaux de réalité qui est le privilège du trickster qu’est l’artiste, et plus généralement
l’entrepreneur, au sens de celui qui entreprend sa vie et embrasse le monde.
Sous l’apparence d’un dessin classique se dégage un jeu de formes qui traduit à la fois l’amour de la vie de cet artiste du pays de Raymond Lafage, son
espièglerie et son énergie marquée par de fulgurants parti-pris graphiques.
Courtesy : Jean-Luc Favero, Grazac
Christian Mayeur
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Jason Glasser
TEXAS TUBES
2014
81 x 61 cm
Gouache sur papier Bristol
Collection Christian Mayeur
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Jason Glasser est né en 1968 dans le Connecticut, aux Etats-Unis. Aujourd’hui, il vit et travaille en France.
Jason travaille dans la peinture, l'installation, le cinéma et la musique.
Il a étudié l'art à l'Université du Massachusetts, à Amherst, et au Hunter College à New York.
Ses œuvres ont été exposées internationalement. Notamment au PS1 Contemporary Art Center de New York où fut présentée son installation de peinture
"Individual", qui y a été accrochée en permanence entre 1998 et 2003.
La Parker's Box Gallery à Brooklyn, New York, la Galerie Kamel Mennour et la galerie Samy Abraham à Paris ont également présenté ses expositions.
En France, son travail se trouve dans les collections du CNAP et du musée d'art contemporain de Toulouse, Les Abattoirs.
Cette peinture a été réalisée pour l'exposition "Distant Land" qui avait lieu à la galerie Design Matters de Los Angeles, en Août 2014 et où Christian Mayeur,
qui connaissait déjà le travail de Jason, en est tombé immédiatement amoureux, l’œuvre de Jason percutant directement son imaginaire notoirement situé à
l’Ouest.
Jason raconte la genèse de cette peinture : « Avant d'arriver en Californie, j’avais rendu visite à des amis à Austin, Texas. Une activité estivale populaire au
Texas est le « tubing », ce qui signifie de flotter sur une rivière, assis dans un tube gonflable en caoutchouc et de boire souvent de la bière. La peinture emprunte
à ma mémoire du « tubing » au Texas, mêlée à des réflexions sur l'Amérique et le temps de l'été. »
Le point de vue de l'image est flottant sur une rivière, au moment du passage sous un pont de chemin de fer rouillé. Les tubes jaunes ne portent personne et
ressemblent plutôt à des beignets ou des bagels, deux aliments que j’associe avec l'Amérique.
La composition d'ensemble est encadrée par les deux côtés sombres de la rivière, qui forment également une silhouette féminine à la taille haute.
Située entre réel et imaginaire, dans le royaume des souvenirs flottants, au sens propre comme au sens figuré, « Texas Tubes » est à la fois heureuse et
mélancolique. Le pont rouillé est un motif extrêmement important dans l’iconographie mentale du collectionneur, motif récurrent des paysages entropiques de
l’Ouest américain.
Un autre trait de cette œuvre qui intéresse beaucoup Christian Mayeur, c’est la joie simple de peindre et la spontanéité de l’artiste qui en émanent. Comme un
parti pris contre la tragédie de la vie.
Courtesy : Jason Glasser, Paris et Los Angeles, et galerie Design Matters, Los Angeles
Christian Mayeur
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Michael Heizer
MICHAEL HEIZER LEVITATED MASS
1969-2012
Affiche signée par l’artiste, technique offset sur papier d’Art 300 grammes, dimensions 46 pouces x 46 pouces, imprimé jusqu’aux bords, finition à plat.
Collection Entrepart
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Michael Heizer naît en 1944 à Berkeley, en Californie.
Il est le fils du Dr. Robert Heizer, archéologue réputé de l'Université de Californie, à Berkeley. Il a passé une année au collège en France.
Il effectue deux années d’études d’art à l'Art Institute de San Francisco (en 1963 et 1964), avant de déménager à New York City en 1966, où il trouve un loft
sur Mercer Street à SoHo. Là, il commence à produire des peintures et sculptures à petite échelle.
Mais, père de famille précoce, il devient, pour vivre, l’assistant d’atelier de Walter de Maria, ce sera une rencontre déterminante. La fréquentation de Walter de
Maria, croisée avec sa propre expérience archéologique et sa vision assez radicale de l’espace et du temps provoque une vocation d’artiste inouïe.
Dès l’enfance, Michael Heizer a été en contact, par l’intermédiaire de son père ethnologue et archéologue, avec de nombreux sites les plus signifiants des
civilisations passées, qu’il visite. Cela est déterminant dans sa pratique artistique.
Artiste au caractère rebelle, il inscrit sa réflexion et son engagement dans un contexte de remise en cause du marché de l’art et des espaces de présentation
conventionnels des œuvres, comme la galerie ou le musée.
Ses œuvres sont réalisées In Situ et se caractérisent pour la plupart par leur gigantisme - mais Heizer n’affirme-t-il pas : « Il n’y a pas d’art sans effroi » ?17 -,
entraînant pour l’artiste des chantiers titanesques. « L’homme ne créera jamais rien de très grand par rapport au monde, seulement par rapport à sa propre
taille. Les objets les plus imposants que l’homme ait touchés sont la terre et la lune. La plus grande distance qu’il comprenne est la distance qui les sépare,
mais ce n’est rien à côté́ de ce dont il soupçonne l’existence. »18
Figure emblématique du Land art, comme Robert Smithson, Nancy Holt ou Walter de Maria, sa production artistique se compose de ce type d’œuvres installées
par exemple dans les déserts de Californie et du Nevada, mais aussi de sculptures et d’installations habitant massivement les espaces où elles sont présentées.
Ce sont aussi des performances de déplacement de vide, assez impressionnantes, où l’artiste s’investit personnellement, mentalement et physiquement.
Michael Heizer subvertit les catégories. Ses œuvres, empruntées directement à al matière et au vide – ce qui, pour lui, est équivalent, juste une question
d’échelle – ne sont pas des sculptures, ce terme ayant une connotation de construction positive.
Elles sont des états intermédiaires, latents de la matière. Ni formes, ni négations de la forme. Plutôt des doubles négations.
Une œuvre de Michael Heizer « n’est pas un objet, mais l’implication d’un objet ou d’une forme qui, en réalité, n’est pas là ». Présence de l’absence, absence
de la présence. Impossibilité de la présence. Impossibilité de la représentation. Michael Heizer, artiste absolu, l’artiste préféré entre tous, avec Alice Cooper
pour d’autres raisons, dans le Panthéon de Christian Mayeur.
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Michael Heizer, "Dragged Mass Geometric", 1971
Depuis la fin des années 90, Michael Heizer s’est retiré dans les terres hostiles et désertiques du Nevada, œuvrant en grand secret à une ville sculpture,
Complex-city, qu’il construit sur le lieu où lui-même vit, dans la vaste « Garden Valley », très loin de toute zone urbaine mais pas si loin du Mont Yucca, qui
renferme en ses flancs un gigantesque entrepôt de déchets nucléaires. Plusieurs modules compacts et gigantesques de Complex City ont été réalisés,
s’inspirant des mastabas antiques sur des bases minimalistes tout en faisant appel aux technologies récentes les plus pointues en matière de construction,
certaines structures lancées sur le vide défiant étonnamment les lois de la pesanteur.
A noter que les œuvres in situ de l’artiste sont installées pour la plupart dans des lieux assez inaccessibles, comme son œuvre majeur, Double Negative (1969)
qui, selon les termes de la critique d’art Rosalind Krauss, constitue une rupture sans précédent dans l’histoire de la sculpture, sculpture de vide dans le vide,
hors de tout référent urbain ou domestique. Acte psychanalytique de décentrement, invitation aussi au saut spirituel vers la quatrième dimension, via la double
négation.
En ses travaux, Michael Heizer le solitaire se réfère à Jean Baudrillard et Maurice Blanchot.
Il est sans doute l’un des artistes au monde dont l’engagement est le plus total, ne supportant aucune médiation, hormis son art, entre lui-même et le réel,
chassant journalistes et visiteurs et consacrant tout son temps à son entreprise. Ce « Clint Eastwood de l’art contemporain », comme le surnomme Christian
Mayeur, incarne la figure de l’artiste entrepreneur à son paroxysme, éveillant la conscience de la tragédie du monde et y apportant ses réponses à coups de
défis technologiques et psychiques et d’actes qui refusent tout compromis avec le confort et les spéculations du marché de l’art.
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L’art de Michael Heizer est avant tout expérience, par les rapports qu’il crée à l’environnement, par l’effroi qu’il suscite, par la splendide beauté du jeu des
œuvres avec la lumière du ciel (Christian & Sylvie Mayeur gardent un souvenir inoubliable du lever de soleil sur Levitated Mass ou du silence sépulcral mêlé
au mouvement de la lumière qui règne dans les entrailles de Double Negative). L’expérience commence avec la quête des œuvres, qui se méritent, Double
Negative nécessitant de parcourir des centaines, voire des milliers de kilomètres pour en faire l’expérience. Et dans les œuvres de Michael Heizer, la rencontre
s’opère avec le murmure du vide, la présence du rien. La conscience que le vide est essence du monde, que la négation du non-être ouvre à une dimension
esthétique infiniment plus ouverte, vertigineuse et riche en potentialités que l’ouverture à l’être.
Levitated Mass est un projet conçu en 1969 (le dessin original fait partie de la collection Marzona19), et mis en place seulement en 2012 au LACMA (Musée
d’art moderne et contemporain du Comté de Los Angeles).
Michael Heizer, Levitated Mass, 1969 (detail). © Volker-H. Schneider / Marzona
Cette œuvre est composée d’une pièce maîtresse qui est un rocher, un mégalithe de granit de 340 tonnes que Michael Heizer ne découvrit que quelques
décennies plus tard à Riverside County en Californie. Car Michael Heizer, féru de géologie, dessine d’abord le rocher sculpture de ses rêves, puis le cherche
dans la nature. Quand il le trouve, il l’extrait, avec précaution et respect, sans le retoucher. Levitated Mass fut alors transportée sur le site par un convoi
exceptionnel, ce qui demanda plusieurs mois, le camion roulant au pas et uniquement la nuit, au prix d’innombrables autorisations de transit. Posé au-dessus
d’une tranchée de 456 pieds de long, il semble en lévitation.
74
L’œuvre terminée, dessin préparatoire de l’artiste et l’œuvre en déplacement depuis le désert vers le centre de Los Angeles.
Dans le rapport au paysage, ce sont les notions plastiques propres à la sculpture ou à l’architecture comme la masse et l’apesanteur qui retiennent l’attention
de l’artiste, générant une abstraction au paysage. Le spectateur entre dans la forme ouverte et fait l’expérience d’une perte de repères dans l’étrangeté du lieu.
Comme dans Double Negative, la forme monumentale négative est la clé́ de l’expérience de l’œuvre d’art.
Si Double Negative est composée de deux entailles verticales, séparées par le vide, et tracées à l’évidence par des engins modernes dans une pierre archaïque,
érodée et déformée par l’entropie, Levitated Mass apparaît comme l’envers, la négation de Double Negative. Levitated Mass est en effet un rocher massif,
puissant et informe posé au milieu du paysage géométrique des immeubles environnants et sur une tranchée aux arêtes parfaitement rectilignes.
Selon Michael Heizer, l’Ouest américain est le point de conflagration ultime entre terrain archaïque et technologies d’avant-garde.
L’œuvre mérite d’être visitée au lever du soleil ou à la tombée de la nuit, quand l’esplanade est déserte et qu’alors elle s’éveille. Littéralement elle entre en
lévitation sous les yeux du regardeur, dans le silence du petit matin, une expérience vécue et documentée par Christian Mayeur en août 2012.
Michael Heizer, qui travaille sur l’au-delà de l’humain (« Il faut se remémorer l’immémorial »), espère que son rocher survivra à la disparition de Los Angeles et
intriguera des visiteurs des siècles ou millénaires à venir, après la disparition de l’espèce humaine ou en tout cas, de notre civilisation.
Michael Heizer, définitivement sauvage et original.
Signée par l’artiste, l’affiche « MICHAEL HEIZER LEVITATED MASS », présente dans la collection Entrepart, témoigne de la posture héroïque de l’artiste
entrepreneur par excellence.
Plutôt que d’opérer par l’approche quelque peu documentaire du « non-site » ou des dessins préparatoires diffusés après la réalisation d’une œuvre difficile
d’accès ou tout simplement disparue, à la manière de Robert Smithson, Dennis Oppenheim ou Christo & Jeanne-Claude, Michael Heizer donne libre cours à
son talent graphique, à cette énergie du dessin qui préside à tout son travail, le dessin étant pour lui le lien avec les dimensions invisibles, atemporelles,
interscalaires et cosmiques d’un réel composé de vide où il cherche à faire trace par gestes et déplacements.
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L’affiche « MICHAEL HEIZER LEVITATED MASS » révèle ainsi également l’énergie et les extraordinaires qualités graphiques du dessin de Michael Heizer,
pour qui, à l’instar de Joseph Beuys, tout commence toujours par un dessin.
Pour approfondir la connaissance de « Levitated Mass », on se reportera utilement à la riche documentation de l’Observatoire du Land Art, animé par notre
ami Marc de Verneuil : http://obsart.blogspot.fr/2012/01/levitated-mass-1968-1983-pre-history.html
Courtesy : Michael Heizer, Hiko (Garden Valley, Nevada), LACMA Editions, Los Angeles et Gagosian Gallery, Los Angeles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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David-Alexander Hubbard Sloan
Dine Nation World Cup Team
2009
Huile sur bois, 0,27 x 0,81 cm
Collection Christian Mayeur
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David-Alexander Hubbard Sloan est un artiste américain d’origine Navajo né en Santa Fe, au Nouveau-Mexique en 1980.
Reconnu très tôt à travers la sélection d’oeuvres pour les expositions « In Business For Love » du prestigieux Institute of American Indian Art de Santa Fe en
2005 et 2006 et 8" x 8" x 8", au Center For Contemporary Arts de Santa Fe, NM en 2005, David-Alexander Hubbard Sloan est un artiste engagé dans la
défense des indiens Navajos et de leur culture.
Après un baccalauréat option Arts plastiques et une double formation artistique (B.A. 2-Dimensional Studio Arts, University of Arizona, 2003) et artisanale (Poeh
Jewelry 1-4 Classes, 2008-2010), il s’adonne à la gravure et à l’artisanat de bijoux, mais préserve son temps le plus précieux à la peinture, une peinture
d’évasion assez postmoderne. Comme, durant ses études, la culture Navajo est peu enseignée pour ne pas dire oubliée, l’artiste se penche sur la langue et
l’héritage des Navajo (« Dine », dans la langue de la tribu), et des Tohono O'odham, dont le nom signifie « peuple du désert », une tribu indienne du Sud-Ouest
des Etats Unis.
Dans son travail, David Alexander Hubbard Sloan introduit des mots de la langue Navajo et utilise des thèmes chers à cette culture. Il utilise aussi l’acrylique,
la gravure, le collage, le dessin. Comme de nombreux artistes Navajo ou Pueblo, il produit également des bijoux.
L’artiste indique que les mouvements tels que l’art conceptuel, l’expressionnisme, l’abstraction, et le Pop Art venant de l’enseignement qu’il a reçu en art
contemporain imprègnent aussi son travail. A ces références stylistiques enseignées, il conjugue la culture des Navajos, avec par exemple leurs peintures de
sable. Il veut transmettre aux nouvelles générations leur imagerie et leur symbolisme, affirmant l’importance de la spiritualité et de la nature chez ce peuple.
Son œuvre s’interroge aussi sur l’évolution environnementale du monde, où il dénonce le cynisme du capitalisme et du colonialisme. L’artiste souhaite que son
œuvre soit un melting-pot culturel et qu’elle milite pour une vie en symbiose avec la nature.
« Dine Nation World Cup Team » signifie « coupe du monde de la nation Navajo ». Elle incarne le rêve de l’artiste : voir l’équipe Dine Nation Team participer
à la coupe du Monde de Football en 2010. C’est ce qui est écrit en lettres capitales rouges sur un ciel bleu. Le format est panoramique pour que l’équipe de
football se déploie en frise sur la pelouse verte. Celle-ci est représentée par un large aplat de couleurs grattées confère de la lumière à la scène. Sur les maillots
des joueurs est peint un paysage solaire, orangé du territoire Navajo. A leur côté se trouve un animal mythique indien comme souvent chez lui. Les figures des
joueurs représentées frontalement sont expressives. On y distingue leurs traits de caractère. Elles sont doublement détourées par un trait noir et un trait blanc.
Comme souvent dans les choix de Christian Mayeur, la rencontre avec l’artiste a été déterminante dans son intérêt pour le travail et l’acquisition d’une œuvre.
C’est après une longue discussion sur un stand que l’artiste tenait sur le fameux « Indian Market » de Santa Fe, de notoriété mondiale, que la peinture de
David-Alexander Hubbard Sloan fut choisie pour quitter le Sud-Ouest américain, traverser le continent et l’Atlantique et rejoindre le Sud-Ouest de la France.
Ayant exploré durant plusieurs années avec Sylvie Mayeur les territoires indiens (Hopis, Navajos, Pueblos) du Sud-Ouest des Etats-Unis, sur les traces d’Aby
Warburg ou de Tony Hillerman, entre Mère Terre et Père Ciel, Christian Mayeur emporta, avec cette œuvre qui éclaire La Coursive d’une fenêtre donnant sur
un improbable désert d’Arizona herbeux, le regard et l’engagement de l’artiste, sa projection et l’image de son rêve inspiré par l’autre côté du monde. Ce côté
où elle se trouve maintenant, portant ici son regard.
Courtesy : David-Alexander Hubbard Sloan, Santa Fe (Nouveau-Mexique, USA)
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Mireille Kassar
Landscape strips
2011, 2013
Pigments naturels sur papier Arche – 27,5 x 7 cm chacun
Collection Christian Mayeur
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Mireille Kassar est née en 1963 au Liban. Elle vit et travaille actuellement entre Paris et Beyrouth.
Après avoir suivi des études en architecture à Paris-la-Seine-UP9, puis des études d’art à Beyrouth, Mireille Kassar entre à l’École Nationale Supérieure des
Beaux-Arts de Paris (ENSBA) en 1984 sous les encouragements de son professeur d’Arts Plastiques en architecture, Renaud Archambaud Debeaunes, qui
voyait en elle la peintre et l’artiste qu’elle allait devenir. Dans le cadre des ateliers d’architecture de Paris-La-Seine-UP9, Mireille Kassar fut invitée à assister
Renaud Archambaud de Beaune dans le soutien et l’aide apportés aux artistes post-diplômés.
Parallèlement à ses études, Mireille Kassar suit en auditeur libre un certain nombre de cours à l’École Speciale d’Architecture de Paris (ESA) dont ceux de Paul
Virilio et de Richard Peduzzi – comme professeur invité – avec qui elle participe à l’élaboration d’un environnement expérimental pour le décor de l’opéra
« Tristan und Isolde». Toujours avec l’Ecole Spéciale d’Architecture, elle accompagne Hervé Balley lors d’un voyage d’étude en Egypte.
À l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, elle fréquente les ateliers de dessin Iscan – anciennement Marcel Gili –, ainsi que les ateliers Augereau et
Boltanski. Elle se lie dans sa dernière année au sculpteur César, qui transmet aux élèves une direction passionnante dans le modelage. Ce dernier était assisté
et secondé par Jean-François Duffau, maitre sculpteur et personnage érudit ; avec qui Mireille Kassar travaille toujours autour le thème de la transmission. Par
ailleurs, Jean-François Duffau a invité Mireille Kassar à plusieurs reprises au titre « d’artiste invitée » pour l’encadrement de diplômes à l’École Nationale
Supérieure des Beaux-Arts.
Mireille Kassar sort diplômée des Beaux-arts en 1989 avec la Mention Très Bien, et entre à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne en 1990 en Arts Plastiques.
Son cursus universitaire la mène jusqu’à l’obtention d’un DEA en « Arts et Sciences de l’Art » (avec Mention Très Bien) et lui permet d’inscrire sa pratique
artistique au sein d’une recherche intellectuelle poussée et ouverte sur l’extérieur.
En effet, en tant que membre du CERAP (Centre d’Etudes et de Recherches en Arts Plastiques), elle participe à de nombreuses tables rondes et
expérimentations autour de la recherche en Arts Plastiques – débats, invitations, interventions scientifiques, articles, et montages d’expositions.
Son activité d’artiste chercheur en Arts Plastiques s’oriente plus particulièrement vers la question de l’altérité, au sein de sa pratique artistique, mais plus
largement aussi dans le champ de l’art et de la vie. La question de l’altérité intéresse particulièrement Christian Mayeur.
Dans la continuité de ces problématiques, Mireille Kassar développe et concrétise son approche de la transmission en menant des travaux de captation
filmiques, d’écritures, de lectures et de montage vidéo et plastique en collaboration avec plusieurs figures de l’art et du monde intellectuel, tels que JeanFrançois Duffau, Arnaldo Calveyra, et Etel Adnan. Par ailleurs, plusieurs projets ont été ou sont à l’œuvre avec Jayce Salloum, Dominique Lacloche, Anita
Dube, Sandra Vanbremeersch, Benjamin Cataliotti Valdina, et Haema Sivanesan.
Elle dédie une grande part de sa recherche à la pratique de la musique (classique, baroque) en tant que chanteuse interprète. Elle travaille actuellement sur
un projet de concert et de disque sous la direction artistique de Narine Simonian. Mireille Kassar occupe aussi le poste de responsable internationale de la
Amar Foundation - plus grande collection au monde d’archives musicales arabes.
Mireille Kassar est représentée par la Agial Art Gallery de Beyrouth. Ses œuvres sont exposées à l’international depuis 1996, avec, pour les plus marquantes
d’entre elles, des expositions à la Fondation Miro de Barcelone, au Turbine Hall de Copenhague, à la galerie YYZ et à la Galerie Michel Klein de Toronto (2009),
à la Biennale de Cuba, au Palazzo Montanari à Bologne (2012), et récemment, une exposition personnelle à la Agial Art Gallery de Beyrouth (2013). Elle a
aussi exposé à Art Dubaï en 2014. Plusieurs projets sont actuellement en cours, notamment le montage d’une série de films expérimentaux. Ainsi qu’un travail
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mêlant préoccupations picturales et musicales.
Mireille Kassar a participé à diverses performances artistiques et cinématographiques. Elle interprète son propre rôle dans le film Life is so easy, long métrage
de fiction réalisé par Lamia Joreige en 2014.
Sa dernière exposition, intitulée « La Conférence des Oiseaux » (inspirée du célèbre récit du poète persan Farid ud-Din Attar à la Agial Art Gallery de Beyrouth,
a connu un vif succès. Elle fût initiée par un long travail de recherche autour de ses travaux picturaux et de ses diverses rencontres et collaborations, notamment
avec Saleh Barakat, directeur de la Agial Art Gallery de Beyrouth. Convoquant collègues, architectes, artistes invités et chercheurs, Mireille Kassar a déployé
le temps de cette exposition une « énergie du silence » et une ouverture artistique, embryons d’une expérience artistique en devenir, en mutation, vouée à se
mouvoir dans d’autres lieux en d’autres temps.
Son travail a inspiré divers textes, dont ceux de Laura Marks, Hélène Chouteau Matikian, Fares Sassine, Sandra Vanbremeersch, Jayce Salloum, Maher
Abouzeid, Fabrice Hergot, Martin Sexton, Christian Mayeur (texte reproduit ci-dessous) et Fadi El Abdallah.
« Bouillant bouillon d’atomes. »
Article rédigé par Christian Mayeur pour le catalogue de l’exposition personnelle de Mireille Kassar à la Agial Art Gallery de Beyrouth (2013)
Dans les sombres nuages blancs qui couvrent en écran ses paysages limbiques, là où la colère muette porte son incandescent éclat, apparaît le travail du
peintre en matières d’océans, de terres, d’éthers et de feu.
L’espace en millefeuilles de Mireille K. / Mika, née en terre immémoriale, là où l’artisan écrit la vie de l’artiste, « là où l’on ne crée pas, mais où l’on participe à
l’acte de la création », l’espace en millefeuilles de silence abasourdi, ouaté et glauque des reflux de la conscience, épuré de l’esprit-souffle, déplié sous la
brosse légère du pinceau contre matière turbulente,
L’espace en millefeuilles qui hurle et se tait, quand Francis Bacon est convoqué dans l’épaisseur d’un miroir sans tain, âme animale retenue, emprisonnée dans
le lentissime mouvement de la catastrophe, muet silence, abrupte paroi de respiration en apnée.
L’espace en millefeuilles chante la louange de l’esprit – en deçà du souffle qui renverse la poussière sous la montagne – et devient réverbération stridente du
mutisme du spectateur.
L‘espace en millefeuilles de Mika happe le soleil et le renvoie hors du zénith sous les tâches cérébrales de la conscience traversée, traversante.
« En deçà ou au-delà du langage, là où un trou est un trou avant d’être un abîme », le travail lent et incontrôlé de la matière dans le grain du papier, des replis
et micro-boursouflures, là oui, nous rencontrons le travail de l’artiste en peinture comme élixir duveteux des neiges perdues dans les airs, de Vancouver à
Beyrouth, envolées dans les respirations du Dieu des morts et des vivants, »
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Au-delà de la parole et du Messie diaphane, au cœur du piétinement sec et dru des brebis d’un immense et impalpable troupeau métaphysique, là se tient le
geste rabot de la pulpe, l’apparition des marécages, des lambeaux lumineux de lunes et de brouillards scintillants, jeu d’échelle dans les millimètres carrés de
la feuille, explorés et tourmentés comme à Brest par tempête, à Alep par ouragan, à Vancouver par tremblement.
En un fleuve boueux, pâle et silencieux surgit l’humeur du monde, entre Dieu et la terre, et ce petit filament d’humanité à construire patiemment et sans fin, oui
dérisoire humanité flageolante, « fragilité solide », en un fleuve boueux et immaculé pourtant maculé sous les doigts, la salive, le petit mouvement de la main
et la moue des lèvres, en un érotisme baigné de l’amour du fruit, de la vulve des figues - en cela ici se noue le divin sans apparat, l’être-là sans image, l’image
sans figure, la tête n’étant plus absolument nécessaire sauf à se souvenir de l’humain visage qui déjà n’est plus.
« Se remémorer l’immémorial », disait Michael Heizer, ce à quoi Mika répond en un geste continu, léger et lourd.
L’art ici est passage dans les limbes, Artaud bien sûr est convoqué ou est-ce lui qui, après tout, convoque ? Cette peinture est un théâtre de Kantor autant
qu’une allégorie de la terreur du réel et du Divin sans Dieu.
Montrer. Surmonter la peur, celle qui survient quand on prend la montagne pour ce qu’elle est, le fleuve pour ce qu’il est, le soleil pour ce qu’il est,
incommensurable, aveuglant et bouillant bouillon d’atomes.
C’est en ce point-là, innommable et indiscernable, que Mireille K nous invite et nous convoque.
Le salut est derrière nous, vive l’aventure des temps d’après les temps.
Paris, avril 2013
Sources :
http://www.franceculture.fr/plateformes-mireille-kassar
http://www.agialart.com/textmireillekassar.htm
http://www.lebtivity.com/event/mantek-al-tayr-exhibition-at-agial-art-gallery
http://fares-sassine.blogspot.fr/2013/05/mireille-kassar-la-limite-et-lillimite.html
Courtesy : Mireille Kassar, Paris et Beyrouth
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Marcus Kreiss
Souvenirs from the Earth v 1.0
Kindergarten
Production en 2001
Vidéo sur DVD – 3 films en boucle : Camping France 27’, 2000 ;
Skating France 12’, 1999 ;
Beach Version 1 8’17 et Version 2 9’22, 1998
Collection Christian & Sylvie Mayeur
2003
Vidéopainting sur DVD (musique de Ferenc), réalisée pour le projet
éditorial « Chill Out / Cool spaces », Feierabend Verlag, Berlin
Collection Christian & Sylvie Mayeur
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Né en 1961 à Hambourg, en Allemagne, Marcus Kreiss a étudié le cinéma à Rome (Cinecittà) et a obtenu un diplôme de l’Ecole des Beaux-Arts d’Aix-enProvence avant de créer de l'art pour les espaces urbains, de travailler en tant que peintre et de s’adonner au VJing (videojaying) dans des festivals
internationaux.
A la recherche d’une troisième façon de produire et de diffuser des images, entre le cinéma et la peinture, Marcus Kreiss a inventé une nouvelle façon de
distribuer l'art vidéo: la télévision, et pour cela, il a créé sa chaîne : « Souvenirs from Earth ». Avant cela, il a dû imaginer une forme d’images aux qualités
particulières, images réalisées sous forme de vidéos présentes dans la collection Christian & Sylvie Mayeur.
Construite par l’artiste lui-même en 2006 à partir de réseaux câblés de télévisions locales en Allemagne, la chaîne, qui « transforme les écrans plats en œuvres
d'art» s’est rapidement installée en France où elle compte aujourd'hui parmi les premières chaînes gratuites diffusées en haute définition.
Le travail de Marcus Kreiss est représenté dans les grandes collections d'art, y compris ceux de la Deutsche Bank, le Fonds National d’Art Contemporain, et la
Collection Yvon Lambert en Avignon.
Des travaux récents mettent l'accent sur la consommation et les esthétiques industrielles avec une série de multiples, qu’il qualifie délibérément de "produits".
La chaîne Souvenirs from Earth diffuse en continu des oeuvres d'art vidéo en France et en Allemagne. Le concept a été lancé par Marcus Kreiss à Cologne en
2006. Pour lui, une chaîne peut "devenir une oeuvre d'art".
SFE diffuse sans interruption des vidéos réalisées par des artistes de toutes les nationalités. Paysages, scènes de la vie quotidienne, animaux, montages, etc.
réalistes ou imaginaires sont mis en musique et s'enchaînent à l'écran sans suite logique. Un seul objectif: diffuser des œuvres en continu pour que l'écran ne
soit plus que le cadre d'un objet d'art.
Plus de 600 artistes ont participé au programme de cette chaîne franco-allemande. Pour la plupart européens, ces artistes conçoivent des vidéos pouvant durer
de deux minutes à une demi-heure et dont la principale aspiration est de faire voyager le téléspectateur dans un univers réaliste ou imaginaire à travers une
image, des acteurs, un paysage en mouvement, une musique ou un simple regard.
SFE vit de la participation de contributeurs. Les exposeurs ou les exposants proposent des vidéos, les téléspectateurs sponsorisent un programme et peuvent
demander à récupérer certains films. Le financement est permis par la production, en parallèle, de films d'entreprise par les mêmes réalisateurs. Quatre
opérateurs diffusent SFE en France: Orange (125), Alice (123), Freebox (130) et la Neufbox de SFR (185). L'ambition de Marcus Kreiss, le fondateur de la
chaîne, va plus loin: diffuser dans le monde entier la même image à la même seconde afin de connecter les téléspectateurs devant le même objet d'art. Cette
ambition reste pour l'instant au stade du projet.
La chaîne Souvenirs from Earth ne soutient que les œuvres alternatives, indépendantes et émergentes. Les vidéos proposées défendent généralement un
symbole, une idée ou une cause. Les artistes soutenus par la chaîne sont généralement de jeunes créateurs, ils trouvent grâce à ce moyen le plus grand musée
d'art vidéo du monde puisqu'ils peuvent atteindre cinq millions de foyers20.
Souvenirs from the Earth v 1.0, la vidéo de la Collection Christian & Sylvie Mayeur, témoigne d’un moment historique. Elle correspond aux tests de l’artiste,
qui a réalisé ces videopaintings aux qualités particulières, conçues pour tourner en boucle des journées (et des nuits) entières sur les murs des collectionneurs,
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des lieux publics et sur sa future chaîne en continu. Les images et leur défilement sont conçus de telle manière à détendre le regardeur, y compris s’il a passé
toute la journée devant un écran d’ordinateur.
Œuvre de commande destinée à accompagner le catalogue de design « Chill Out / Cool spaces » aux Editions Feierabend, le « videopainting » Kindergarten
est de la même veine, avec cependant une dimension érotique et un parti pris de lien entre le regardeur et les personnages de la vidéo, alors que dans
« Souvenirs from the Earth 1.0 », le spectateur est mis à distance de scènes défilantes. La mise en regard des deux œuvres illustre la différence entre une
approche purement artistique et une approche influencée par le design, où la séduction du spectateur est présente.
Courtesy : Marcus Kreiss, Paris et Berlin
Christian Mayeur
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Lamarche-Ovize
The Host vs ACME
2008-2012
Bois, corde, poignée, plexiglas, aérosol
La sculpture est accompagnée d’une peinture murale
H 100 x 75 x 100 cm
Pièce unique
© Photo : Christelle Quessada - 2014
Collection Entrepart
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Florentine Lamarche est née en 1978, Alexandre Ovize est né en 1980. Ils vivent et travaillent à Paris.
Régulièrement invités en résidences au Canada, en Corée, au Mexique, ils exposent en France, en Espagne, au Royaume-Uni, en Bosnie et sont présents
dans les collections suivantes : Artothèque Hennebont,
Artothèque B.M, Lyon
FMAC, Ville de Paris, Artothèque Maison du livre de l'image et du son,
Villeurbanne, Collection Altadis, Collection Entrepart
Ils œuvrent en duo depuis 2006, générant une pratique hybride composée d’installations spatiales à travers le dessin, la photo, la peinture, le multiple (affiches,
sérigraphie) et la sculpture. Alexandre Ovize s’intéresse à l’image et à la mise en volume et Florentine Lamarche au dessin et à la peinture.
Le travail en binôme est pour ces deux artistes un véritable acte d’engagement face au diktat du « masculin l’emportant sur le féminin » dans le milieu des arts
visuels. Et puis, selon leurs propres termes, travailler à deux « permet de remettre en question l’ego, de parler concrètement de la forme en train de se faire,
de lui apporter un appareil critique constant et à distance, de savoir allier le regard au geste, d’instaurer un vrai rapport temps et dialectique »21.
Alexandre a permis à Florentine de faire des choses qu’elle n’aurait jamais faites seule, comme « hacher un dessin en deux ». En effet, Alexandre Ovize
introduit « une faille » et ses références notamment en ce qui concerne Raymond Pettibon, artiste californien présent dans la collection de Christian Mayeur,
contrant la pratique du dessin que Florentine juge elle-même trop virtuose.
En relation à leur complémentarité, le duo se réfère au couple célèbre de l’histoire de l’art moderne Sophie Taueber et Jean Arp. « J’ai du mal à envisager le
travail de Arp sans celui de Sophie Taueber. Leur travail est autant de collaboration que de dichotomie », déclare Florentine Lamarche.
Les deux artistes affichent une temporalité différente dans leur processus de création. C’est comme « un coup de poing », spécifie Alexandre Ovize, alors que
Florentine Lamarche est dans le flux. En effet, elle déclare travailler comme pour une bande dessinée, case par case.
Lamarche-Ovize pratiquent un art urbain composé d’objets de la vie quotidienne qu’ils trouvent lors de déambulations à travers la ville. Ce sont des objets de
rebuts, en provenance de poubelles ouvertes, ou bien même des barrières, des murs pourrissants, qui peuvent s’abimer ou moisir avec le temps. Ils reprennent
également des motifs de films classiques et de la BD et puisent même dans la nature morte. Ces motifs sont relatés comme populaires par les deux artistes,
induisant chez le regardeur une identification immédiate, et donc une entrée plus aisée dans les œuvres. « Nous sommes contraints d’utiliser un vocabulaire
commun pour devenir individuels ». A ces inspirations s’ajoutent des références en histoire de l’art et en littérature comme Melville, Gombrowicz ou Ponge.
Pour Lamarche-Ovize, l’être individuel se construit dans la société par le collectif. En cela, ils questionnent la société de consommation et son univers urbain,
avec sa précarité. Prolixe, leur production entretient un rapport avec la béance. « Il y a souvent chez nous un rapport à la chute, à quelque chose qui flanche,
à la Buster Keaton », déclarent les deux artistes dans un entretien.
Leur production s’insère dans les champs de filiation d’artistes comme Cady Noland, qui critique dans ses installations « l’american way of life », ou bien Sarah
Lucas, artiste anglaise féministe qui remet en question l’image de la femme en réutilisant dans son travail des images de pin-up et des titres de journaux issus
de la presse à sensation. Richard Tuttle est aussi une référence de choix pour l’utilisation et la conservation de l’erreur et de l’accident dans son œuvre. Et
ensuite, il y a aussi Kippenberger et Rockenschaub avec son travail funky minimal, à la représentation géométrique utilisant des aplats de couleurs vives.
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Au-delà des références au monde de la littérature, du cinéma et de la BD, les deux artistes entretiennent également un rapport à la narration dans le processus
créatif. « J’ai toujours l’envie, lorsque je fais une esquisse préparatoire, de quelque chose de très narratif, avec différentes strates à l’intérieur desquelles se
greffe le formalisme, car il nous sert, au même titre que le reste du vocabulaire, à construire », déclare Ovize. Très souvent les artistes écrivent un texte bref
ouvrant sur un projet. Ce texte « est relié à leur quotidien, comme une espèce de rapport trivial, et aussi aux intuitions qu’ils aimeraient développer dans les
pièces à venir. Il s’envisage plutôt comme une courte notice fictionnelle et narrative et permet par la même occasion d’éclairer le spectateur. »
Les deux artistes ont aussi travaillé sur la langue des signes, qui condense image, geste, sculpture et écriture. Par exemple, l’œuvre Sketch est « une
onomatopée sculpturale, de par sa forme, et une sorte de cri avec la prononciation de son titre. »
Plastiquement, les différents gestes des artistes sont narrés de façon discontinue, à travers l’accident et l’erreur.
Leurs installations déstructurent l’espace euclidien. Elles se décomposent en différents fragments de matières ou de motifs, véritables chocs visuels, semblant
issus d’une explosion qui s’épanche sur l’espace de présentation, que se soit sur le mur, le sol ou le plafond.
Leurs œuvres ont à la fois un côté frontal, direct, et un côté qui nécessite une lecture, un autre rapport au temps, relate Florentine Lamarche. La fiction investit
le réel, un réel bousculé, blackboulé.
La représentation est rythmée d’intervalles, de ruptures, de fractures. En effet, la narration n’y est pas linéaire. Les fragments issus de techniques et de
processus différents sont des indices d’une « enquête policière » que représente le sujet des œuvres. Différents fils narratifs se trament et s’entremêlent afin
de construire quelque chose de non fini, qui semble en construction, faisant la part belle à l’imaginaire.
The Host vs ACME, 2008-2012,
Dessin préparatoire – Encre et aquarelle
21 x 29,7 cm
Collection Entrepart
Acquise en 2009 et réalisée à La Coursive en 2012, l’installation sculpture & dessin de The Host vs ACME de la collection Entrepart est déposée au sol.
Comme les sculptures de Ovize, elle s’avère non érectile, anti monumentale, bricolée et ludique. On y retrouve l’opposition des textures, de formes et de
couleurs chère aux deux artistes. Elle est composée de matériaux de rebuts laissés bruts, abimés, altérés, peints ou laqués qui sont assemblés, entremêlés et
découpés. En cela, elle rappelle les combine paintings de Robert Rauschenberg.
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Le sujet de cette installation s’appuie sur les films d’horreurs coréens qu’Ovize affectionne, en l’occurrence sur l’histoire d’un monstre marin. Ce monstre a un
traitement abstrait. Seuls quelques indices de la sculpture, comme une enquête sur une narration fragmentée et discontinue, retracent le sujet. Ce sont entre
autres, la queue de l’animal ou bien les nageoires découpées décorativement, et plus loin sur le mur, un océan peint par Lamarche.
Cette Installation utilise les codes de la peinture et de la sculpture, auxquels les artistes sont habitués. Ce faisant, elle crée un territoire irrationnel, loufoque et
candide. C’est une « installation univers », située dans un entre-deux, une dimension interstitielle du monde, où les éléments acteurs sont évoqués afin que le
spectateur les recompose pour trouver un sens à l ‘énigme.
Monter, démonter, recréer des narrations pour laisser la place à des formes émergentes, c’est typiquement une pratique d’Entrepart, qui entre en résonance
avec celle de Lamarche-Ovize, qui ont été des partenaires de l’entreprise pour plusieurs projets de Design relationnel avec des clients aussi divers que le Crédit
agricole, la compagnie d’assurances MMA, l’organisme d’habitat social Pas-de-Calais habitat et la chaîne hôtelière haut de gamme Pullman (Groupe ACCOR).
Eux-mêmes ont déclaré puiser dans ces expériences, notamment les Atlas, de l’inspiration pour leurs travaux et des orientations pour leur stratégie d’artistes
entrepreneurs.
Entrepart a été d’autant plus fière d’accueillir dans sa collection les travaux de ces artistes aussi énergiques que sensibles.
Sources :
http://www.lamarche-ovize.com
Courtesy : Lamarche & Ovize, Paris, et Luis Adelantado galeria, Valence, Espagne
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Sébastien Leroy
Trois bouteilles extraites de l’installation « Optimum White – Optimum Red »
2014
Bouteilles de verre de Grésigne, soufflées par les maîtres-verriers du Musée du Verre de Carmaux sur dessin de l’artiste et emplies de vins « Nature » de
la région de Gaillac, produisant un jeu de couleurs.
Collection Christian Mayeur
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Sébastien Leroy est né à Pontorson (Manche, France) en 1970 et vit et travaille à Paris.
Elève de l’Ecole des Beaux-Arts de Quimper, puis de Valence (Diplôme DNEP) puis de La Villa Arson à Nice (DNSEP), il réalise des expositions performances
interventions, individuellement ou en tant que membre du collectif Catch2000, dans des institutions aussi audacieuses que la MAMCO de Genève ou le Magasin de
Grenoble.
A l’instar de Mireille Kassar, autre artiste de la collection de Christian Mayeur, Sébastien Leroy est un artiste discret, qui travaille avec puissance sous l’écran du
spectacle et de l’hyperexposition artistique. Mais quand le jeu de Mireille Kassar est principalement spirituel, celui de Sébastien Leroy procède d’une écologie politique.
En 2002, il réalise « Vente du sable du Mont Saint Michel » (http://lsppr.free.fr/) et « vote démocratique sur internet » (http://lsppr.free.fr/)
Il sera aussi régulièrement invité au MAC/VAL et au FRAC Limousin, avant de proposer en 2014 une exposition / installation au Musée Raymond Lafage à
Lisle-sur-Tarn : « Optimum white - Optimum red »
C’est à cette occasion, en Juillet 2014, que Christian & Sylvie Mayeur font la connaissance de l’artiste, qui leur est présenté par Olivier Michelon, directeur du Musée
« Les Abattoirs » de Toulouse et du FRAC Midi-Pyrénées.
L’économie de moyens qui caractérise les travaux de Sébastien Leroy est traversée par une réflexion dubitative sur la fascination pour les nouvelles
technologies et l’omniprésence d'un idéal de compétition et de compétitivité fondé sur le diktat publicitaire du « toujours plus loin, toujours plus haut,
toujours plus fort ».
Accompagnant un travail de vidéo relatif à un plan fixe de rangées de vigne, l’installation environnementale produite par Sébastien Leroy pour le
"Fruit de la rencontre" se compose d’objets communs issus du monde viticole : ceps de vigne, bouteilles de vin style « bouteille tarnaise » et tuyaux alimentaires qui
se déploient autour d’éléments iconographiques improbables, tels que ces pictogrammes pour le moins effrayants de produits phytosanitaires, largement utilisés dans
la fabrication du vin.
Plus loin, l’expérience proposée par « Optimum Red – Optimum White » semblait plus abstraite et globale. Elle faisait une utilisation révélatrice de la lumière nécessaire
au développement de la vigne via une succession de néons – brasier de vignes postmoderne diffusant une aura lumineuse émergeant d’un tas de ceps où étaient
glissées les étiquettes à cryptogrammes « gore » tout à fait officielles des produits violemment dangereux, ou l’adjonction olfactive d’un parfum à base de levure
chimique qui accueillait le visiteur à son arrivée dans la salle d’exposition. Cette idée d'une occupation du visuel, du domaine du sensible, répond ainsi chez Sébastien
Leroy à celle plus physique et "terre à terre" de l'occupation de l'espace.
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Vues de l’exposition au musée Raymond Lafage, été 2014 – sur la photo du bas, on reconnaît Claus Sauer, directeur du Centre d’Art Caza d’Oro (Le Mas d’Azil, Ariège, France), invité
par Christian Mayeur à visiter l’exposition le 24 juillet 2014 © Photo : Christian Mayeur - 2014.
Dans ses discussions avec Christian Mayeur, l’artiste indiquait que cette exposition – politiquement extrêmement courageuse dans le contexte d’une invitation par
des vignerons pour la plupart encore éloignés d’une agriculture biologique, a fortiori « naturelle » - présentait un regard rétrospectif sur une agriculture / viticulture
mortifère sous bien des aspects dont on pourrait rêver qu’elle appartienne au passé - une forme de viticulture en complète opposition avec la symbolique vitaliste de
la vigne incarnée notamment par la figure de Bacchus, chère à Raymond Lafage, artiste emblématique de Lisle sur Tarn, ville où est hébergée la collection - et
théâtre peu après l’exposition, mais sans aucun rapport de cause à effet, des violents affrontements largement médiatisés autour du chantier de réalisation de la
retenue de Sivens.
Si la ruralité a été ces dernières années un sujet privilégié dans le travail de Sébastien Leroy, ce n'est pas tant pour discourir ou témoigner à son sujet, mais bien
pour trouver l'espace nécessaire à l'examen d'un discours culturel et politique qui a évacué la campagne de ses représentations.
Dans Défilé, Sebastien Leroy a défilé au Salon de l'Agriculture, à la manière d'une brave bête. Montant sur le podium des animaux à la manière d'un modèle décalé,
il amplifie le cynisme sous-jacent à un tel événement, foire commerciale, événement populaire mais également "zoo".
Dans C'est dur la culture, Leroy a déplacé le langage du mécanique, de la machine, habituellement cantonné à la sphère industrielle dans le monde agricole. Une
bande-son électronique accompagne trois séquences, trois temps de l'élevage bovin qui capte une chaine de production et de diffusion.
L'animal et la terre y semblent définitivement confiés à un "ballet mécanique" pour reprendre le titre du célèbre film de Fernand Léger, célébration de la machine
réalisée au milieu des années 1920. Près de cent ans après, c'est par un autre titre à double tranchant que l'artiste s'enquiert d'une solidarité et d'une visée
commune entre l'artiste et l'agriculteur, manière de rappeler que pour tous "c'est dur la culture".
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Le souhait des Abattoirs – Frac-Midi Pyrénées d'inviter Sébastien Leroy à participer à cette nouvelle édition du "Fruit de la rencontre", s'est effectué au regard de cette
adéquation entre son travail et le contexte de cette résidence.
Plus en avant, l'artiste poursuit son cycle de recherches à partir d'une connaissance renouvelée et approfondie de la viticulture indépendante.
Son travail, tout comme ses expériences passées de résidence et d'atelier avec des publics, prolonge ce projet dont l’exposition « Optimum White –
Optimum Red » se voulait être une nouvelle tête de cuvée.
Autre motif d’intérêt de Christian Mayeur, pour l’engagement de Sébastien Leroy : le caractère hybride de son activité.
Cet épicurien (le recevoir chez Raymond Lafage était bien vu de la part d’Olivier Michelon) a ouvert en octobre 2014 un lieu de dégustation de vins, mets et herbes
« nature » à Paris :
« Sauvage »
60 rue du cherche Midi
75006 PARIS
Courtesy : Sébastien Leroy, Paris.
Christian Mayeur
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Frédérique Loutz
Fantasia
2005
Techniques mixtes sur papier, 224 x 185 cm
Collection Entrepart
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Frédérique Loutz est née en 1974 à Sarreguemines en Lorraine.
Titulaire d’une licence d’arts plastiques de l’Université Paris 8, et d’un diplôme de l’Ecole Nationale d’Arts Décoratifs Limoges-Aubusson, elle vit et travaille à
Paris
Frédérique Loutz a été résidente à la Villa Médicis, à Rome, de 2006 à 2007. Elle a été nominée pour le Prix du Dessin Contemporain de la Fondation Danièle
et Florence Guerlain en 2009.
Frédérique Loutz est aujourd’hui une des figures marquantes du dessin contemporain.
Lors de sa première exposition à la galerie Claudine Papillon en 2005, Philippe Dagen, qui s’est déjà mobilisé pour cette artiste, avec quelques autres, pour
qu’elle trouve une galerie, écrit dans le journal Le Monde un article sur ses « aquarelles spectrales » sur grand format. « L’artiste a 30 ans et n’a guère passé
de temps dans les écoles, préférant travailler seule dans son petit atelier. Dès ses premiers essais elle a trouvé son support – le papier – et ses instruments –
l’aquarelle, la gouache, l’encre. »
Chez Frédérique Loutz, le sombre côtoie le merveilleux. Lautréamont, Bataille, Kafka, les contes populaires et la fable sont présents. Elle entrechoque des
références esthétiques et historiques, parfois éloignées. Anne-Laure Draisey n’hésite pas à écrire, dans « Dérives autour du cinéma », qu’elle est dans la lignée
d’artistes comme Max Beckmann, Georges Grosz ou Otto Dix ! Ses recherches rappellent Topor, ont la dureté d’Albrecht Dûrer, et le fantastique
cauchemardesque d’un Dado.
L’étrangeté de son œuvre nous donne à voir des figures surréelles teintées d’ironie. Ce sont sur le papier, des lieux de confusions, où la narration est discontinue.
L’artiste joue avec la figuration, dans les proportions, les distorsions, les fragments. En l’occurrence, sur le grotesque et le disparate, ce qui génère des
hybridations diverses, avec des corps omniprésents et des démembrements.
Dans Fantaisie, les figures ont des couleurs « déluminées » et semblent flotter dans des espaces blancs, à travers une atmosphère baroque et intrigante. Ce
dessin de grand format - qui est un format que l’artiste continue d’utiliser - est montré en 2005 dans une exposition individuelle de l’artiste au musée Raymond
Lafage à Lisle-sur-Tarn. Cet événement a lieu lors du Fruit de la Rencontre, qui est une manifestation organisée depuis 1988 par un groupe de vignerons
convaincus des similitudes dans le rapport au monde entre, à l’origine, le peintre, puis l’artiste des arts visuels, et le vigneron. A partir de ces similitudes, ils
organisent des rencontres fécondes, invitant chaque année un artiste à résider chez l’un d’entre eux, puis à exposer au Musée Raymond Lafage, croisant fête
de l’esprit et des sens et joyeuses libations.
L’esprit de Raymond Lafage, artiste fameux de Lisle sur Tarn qui contribua au XVIIème siècle à donner au dessin ses lettres de noblesse, est bien présent,
jusque dans l’œuvre de Frédérique Loutz. En effet, les masques que l’on retrouve dans les fameuses bacchanales de Raymond Lafage, où les génies de la
terre et de la fécondité sont célébrés, établissent des parallèles entre ces deux artistes.
L’artiste écrit dans une lettre adressée à Christian et Sylvie Mayeur : « Les motifs des masques sont également issus de peintures françaises du Moyen Age.
Cette surabondance de motifs me semblait inquiétante et par les déités d’avantage dans un espace mythologique et onirique, que judéo-chrétien. J’avais vu
peu de temps avant un reportage sur Leigh Bowery, créateur de costumes dans les années 80 à Londres. Il avait une approche très singulière et troublante du
vêtement, et donc du corps (continuités des motifs vestimentaires par le maquillage, intégration de la tête au corps, « dissymétrie » du corps) ».
95
Dans sa lettre, Frédérique Loutz écrit être fascinée par un artiste du XVème siècle au Louvre, Enguerrand Quarton. La composition de Fantaisie est proche
du Couronnement de la Vierge. « Avec un ¾ haut consacré au divin et un premier ¼ de plan voué au terrestre. Il y a également cette mise en valeur triangulaire
qui tend à amener un relief au format rectangulaire. Cette forme triangulaire se rejoue également à plus petite échelle. Tentative de profondeur. »
Elle cite également le corps « en tension quasi abstraite » du Christ du Maître de la Pieta de Villeneuve.
Et plus loin dans la lettre : « Un dialogue s’installe. Ce sont les coulures d’aquarelles qui permettent aux petits terriens nus de grimper vers un monde supérieur,
plus vaste. »
Cette caractéristique de l’œuvre, reflétant le rapport au cosmos du Moyen-Age, où la sphère céleste - et virtuelle - était omniprésente dans les esprits et bien
plus valorisée que la sphère terrestre de la vie réelle, car porteuse pour beaucoup de l’espoir d’échapper à une misérable condition a retenu en particulier
l’attention d’Entrepart qui, dans ses interventions artistiques auprès des entreprises, souligne fréquemment, à l’instar d’un Michel Maffesoli, à quel point la
postmodernité renoue avec le rapport au monde typique de la pré-modernité, en notre temps où le virtuel reprend ses droits sur le réel (la place d’Internet et
des réseaux sociaux, lieux de lien et de joyeux hédonisme en sont une manifestation incontournable) et où la gémellité et les aspirations dionysiaques de la
tribu complètent l’émancipation mais aussi la solitude dues à l’individualisme moderne, voire en réparent les méfaits.
Aujourd’hui, Frédérique Loutz, dont Christian & Sylvie Mayeur suivent régulièrement le travail, développe également son travail graphique à travers l’édition,
dans des livres d’artistes comme par exemple Coup(o)les en 2013 aux éditions du Chemin de Fer avec Ernesto Castillo avec qui elle a de nombreuses
collaborations.
Grâce à la Collection Entrepart, une œuvre d’une artiste ayant participé à la belle saga du Fruit de la Rencontre est restée à Lisle sur Tarn et peut être admirée
dans le cadre de la collection. Il s’agit jusqu’à présent de la seule œuvre qui ait été acquise, à titre privé, comme à titre public, pour rester sur le territoire de
Lisle-sur-Tarn.
Sources :
http://www.frederique-loutz.com
Courtesy : Frédérique Loutz, Marseille, et Galerie Claudine Papillon, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Estrid Lutz & Emile Mold
Ripping Gear shortboard (back and front)
2014
Bois, plastique, mousse polyuréthane, impression jet d’encre, peinture, métal - 165 x 30 x 40 cm
Collection Entrepart
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Estrid Lutz & Emile Mold ont obtenu le diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, mais le surf et les transes sont autant formatrices
de ce duo qui sent la poudre et le sable, la rouille et les circuits imprimés.
« Nous provoquons des alliances corrosives, abrasives entre des mots, des symbôles, des images, des sons .
Ces particules que nous nous efforçons de se faire rencontrer avec la même violence qu'un collider de hadrons, qu'un crash aerial , subaquatique ou terrien
forge les premiers traits de caractères de ce que nous produisons. Souvent notre premier enjeu est d'arriver à simuler très rapidement des situations
catastrophes, des déviances , des états de
conscience limites. Nous réfléchissons à façonner un problème, un dysfonctionnement, un bogue, une intempérie, un syndrôme dégénératif dans nos
oeuvres qui nous stimule à détruire tout ce que nous touchons. Très attachés au travail de l'usure de nos matériaux
Nous reconstruisons nos objets ruines, nos environnements hostiles, vomitifs avec tous leur excédents.
Si nous ressentons ce besoin de détruire, de déconstruire c'est sans doute pour valoriser la décrépitude naturelle de notre environnement en surface. »
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Entre Estrid Lutz & Emile Mold et Christian & Sylvie Mayeur, tout a commencé à la galerie La GAD, de l’ami Arnaud Deschin, rencontré pour la première fois
dans le blockhaus abritant (une partie de) la collection Elie Broad, à Santa Monica (CA). Grâce à une autre amie, Isabelle Le Normand, d’ailleurs.
Venu goûter « A sip of cool », en plein Art-o-Rama Marseille 2014, le mangeur rongeur rageur de pensée et actes postmodernes qu’est Christian Mayeur est
saisi d’un choc d’évidence en se faufilant entre les pierres ornées, skateboards déjantés (oui, avec Estrid Lutz & Emile Mold, les skateboards peuvent perdre
leurs jantes !), les aspirateurs qui émettent des borborygmes, joyeux empilement foutraque. Jouissance immédiate.
Le soir, on se retrouve chez Leclère, à l’invitation du tandem Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani, où Estrid et Emile sont aux manettes pour distiller des
sons monstrueux. Laissant les collectionneurs assoupis dans leur cube à videos, Christian l’éternel DJ de radio LIBRE et Sylvie grimpent sur la table en
surplomb et se joignent à E & E pour tanguer face à la foule, quitte à la haranguer dans le bruit des rotors motors.
A la descente de ce monticule, Sylvie interpellera Laurent Godin pour retisser un lien perdu avec ce joyeux drille, puis Frédéric de Goldschmidt posera pour la
photo avec Arnaud Deschin, Christian et Sylvie.
La postmodernité débridée d’Estrid Lutz et Emile Mold mêle les pierres et les images pornographiques, les voitures de sport et les aspirateurs hurlants, ils se
fourrent la tête DANS les écrans pour sentir le monde, ils se moquent de l’idéologie des loisirs, qu’ils dévorent pourtant comme des ogres de 3 pouces et
demi.
Dans l’édition d’automne 2014 de code 2.0, Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani évoquent l’ « hypersensibilité au présent » des artistes, exprimée dans
« la violence des sons qu’ils produisent ». « Réceptacles de flux et fluides », comme les « éponges qu’ils utilisent de manière figurale comme figurée » (…)
« Densité, surplus, fluidité : Internet est à la source de leur pratique ». Chez eux, pas de sculptures dépendantes des vidéos, comme chez Neil Beloufa, mais
opération sans distinction dans une variété de média. « Le goût pour le transitoire, l’observation des changements de la nature, la sophistication des détails,
la sublimation de concrétions marines, le trop plein et la ligne torse sont aussi caractériqtiques de l’âge baroque. Or, ce dernier véhiculait un esprit de fin
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d’époque à la veille de la révolution bourgeoise qui détrôna l’aristocratie. Aujourd’hui, et depuis un certain jour de septembre 2001, c’est l’invincibilité des
démocraties occidentales qui se fissure et que donnent à voir Estrid Lutz & Emile Mold. »
Alors oui, nous sommes ici dans l’univers porté et colporté par Christian Mayeur depuis ses années de DJ, mais tout autant dans les questions partagées par
Entrepart avec ses clients curieux, avertis, alertés à l’heure du Design relationnel. Quelles expériences du monde vivre aujourd’hui ? La postmodernité,
hypermoderne ou altermoderne ? Les deux !
“Ripping Gear shortboard”, oeuvre de la collection Entrepart, conjugue l’esthétique techno et la rugosité de la récup’, magnifiquement esthétique, objet
baroque et bas-rock. On ne se lasse pas de la regarder, de la caresser, de la contourner et de l’embrasser. Elle témoigne de notre temps. Présent.
Sites :
http://to.be/estridlutzmoule
https://soundcloud.com/estridlutz
Courtesy : Estrid Lutz & Emile Mold, Paris, Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani, Marseille, et Galeries La GAD, Marseille et XPO, Paris
Christian Mayeur
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Lauren Marsolier
Street View Diptych,
2013
Photographies numériques - Edition 1/7, 2 de 76,2 x 76,2 cm / 30 x 30 inches
Collection Christian Mayeur
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Lauren Marsolier vit et travaille à Los Angeles.
Née à Paris en 1972, elle a reçu plusieurs récompenses dont le Houston Center for Photography fellowship 2013, dans le cadre duquel elle a présenté une
exposition personnelle.
Son travail a figuré dans la sélection « 31 Women in Photography » de la Humble Art Foundation à New York en 2012, « Looking at the Land » au Musée RISD,
ainsi que dans l'exposition londonienne notoire Landmark: The Fields of Photography à la Somerset House en 2013.
Ses images ont fait l'objet de nombreuses parutions dans la presse internationale, dont the British Journal of Photography qui l'a nommée parmi les 20
photographes à suivre en 2013.
Son travail fait partie des collections du Center for Creative Photography (AZ, USA), un lieu particulièrement prisé par Christian & Sylvie Mayeur, du Phoenix
Art Museum et du Los Angeles County Museum of Art. Elle est représentée par la galerie Robert Koch à San Francisco et la galerie Richard à New York et à
Paris.
La transition est le fil conducteur de l’œuvre de Lauren Marsolier. Lié à un événement personnel secret, ce thème s’est ouvert à l’universel, à travers des
paysages photographiques totalement et minutieusement construits.
Ici affleure la « transparence du mal », chère à Baudrillard. De ces paysages silencieux dont toute figure humaine est absente, l’obscénité numérique révèle la
perte de substance. A l’heure de la postmodernité accomplie, la présence au monde n’est plus ni réelle, ni virtuelle, mais interstitielle et fuyante. Ni sujet, ni
objet, mais trajet. Les paysages de Lauren Marsolier sont traces de trajets, de captations nomades. Mais témoignent aussi de l’impossibilité du « crime parfait ».
A la prétention du monde contemporain liquide à ne pas laisser de traces, Lauren Marsolier oppose envers et contre tout son patient et méticuleux travail
d’artiste. « Soustraire, soustraire, ôter, subtiliser. Ce que nous avons désappris de la modernité, c’est que la soustraction donne la force, c’est que de l’absence
naît la puissance (…) Pour retrouver la trace du rien, du crime parfait, il faut donc ôter à la réalité du monde. Pour retrouver la constellation du secret, il faut
ôter à l’accumulation de réalité. Soustraire, soustraire.»1.
Sur les images de Lauren Marsolier, les sables d’Espagne côtoient des asphaltes de Californie. Tout au long de l’œuvre, les surfaces représentées dépassent
généralement en planéité les surfaces du papier photographique. La force de gravitation semble absente. Tout comme le son. L’épaisseur des couches de
réalité laisse place à la planéité diaphane du réel. Bienvenue dans les limbes. Sur les traces d’une tragédie silencieuse. Dont la capacité démiurgique de l’artiste
rend compte, dans sa résistance à la pulsion fondamentale à ne pas laisser de traces (Henri Michaux).
« Ici, maintenant, nulle part ». C’est le titre donné au texte de W. M. Hunt dans le beau livre « TRANSITION »2 consacré à l’artiste. Le regard glisse à la surface
des images de Lauren Marsolier, intrigué par ces traces du crime presque parfait de la modernité, un crime perpétré autant sur notre capacité à percevoir que
sur le monde réel, toujours plus inaccessible dans sa totalité.
Toujours plus inaccessible aussi dans sa numérisation, de son inventaire par Google Maps à la superposition des réseaux sociaux virtuels ou à la profusion
1
2
Jean Baudrillard – « Le crime parfait » - 1993
Editions Kerber Photo Art - 2014
101
des images. « Marsolier nous invite à une réflexion dérangeante sur le démenti (Freud pourrait dire le désaveu)
Et puis apparaît, notamment avec le diptyque présent dans la collection, une nouvelle dimension, une nouvelle profondeur, un vertige et aussi une aspérité
bienvenue. Un arrière de pick-up truck perce le plan. Sa part cachée suggère une présence-absence humaine. Non pas l’absence de présence, mais la présence
de l’absence. La composition est magnifique. Elle rappelle Piero della Francesca. Le profil de l’artiste, présent sur l’Internet, renvoie d’ailleurs à un visage
qu’aurait pu peindre le maître de Borgho San Sepolcro.
Avec cette œuvre, Lauren Marsolier franchit sans doute un Rubicon intime, plus d’ombre la mène vers une lumière nouvelle.
Christian & Sylvie Mayeur ont eu la chance de visiter l’atelier de l’artiste, havre de lumière et de silence tamisée contrastant avec les éclats de soleil et de bruit
en provenance de la plage toute proche de Venice Beach.
La table de travail de l’artiste est nette, entourée de quelques tirages de quelques pièces. Tout près se trouvent les travaux de Marc Fichou, artiste lui aussi,
mari et extraordinaire complice. Entre Marc & Lauren et Christian & Sylvie est vite née une amitié complice, nourrie de longues conversations philosophiques,
d’histoires de vie et de moments festifs.
La réflexion lente et puissante de l’artiste, extrêmement palpable dans l’atelier, sa conviction et son travail méticuleux, son écoute quelque peu inquiète des
commentaires de son mari, mais aussi des amis et des collectionneurs eux-mêmes, sa progression vers la profondeur qu’un de ses amis philosophes a qualifiée
de transcendance, ont conduit Christian Mayeur à entrer dans le travail, autant par l’intellect que par la sensibilité, puis à décider d’accueillir Street View Diptych
dans sa collection, à une place de choix dans l’accrochage de La Coursive.
Au-delà de la présence très prégnante de la tragédie du monde et de la catastrophe du sens qui lui est consubstantielle, thèmes récurrents de la collection,
l’extraordinaire présence de Los Angeles / Venice Beach transfigurée, a ajouté au choc ressenti par Christian Mayeur dès la première rencontre de son regard
avec l’image.
Sources :
http://laurenmarsolier.com/
Courtesy : Lauren Marsolier, Los Angeles, Galerie Richard, Paris, New York City et Robert Koch Gallery, San Francisco
Christian Mayeur
102
Emily Mast
B!RDBRA!N
2012
Peinture acrylique originale sur papier, 57,5 x 69, 5 cm, faisant partie de Birdbrain, série de performances, tampon de l’artiste
Collection Christian Mayeur
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Emily Mast vit et travaille à Los Angeles.
Elle a reçu sa formation au Skidmore College de Saratoga Springs puis à l’Université de Southern California, de 2007 à 2009.
Son travail a été récemment présenté dans « Made in L.A. 2014 », à la biennale du Hammer Museum de Los Angeles.
Emily Mast a réalisé des représentations au LACMA, basées sur la poésie du poète catalan Joan Brossa, Elle a présenté des spectacles pour Performa22, à la
galerie new yorkaise Simone Subal, à la Robert Rauschenberg Foundation, à la Galeria Luisa Strina à Sao Paolo, et à la Night Gallery à Los Angeles. Son
travail a également été montré en Europe, à Mains d’Oeuvres à Paris et au MUHKA à Anvers.
A travers des pratiques collectives et collaboratives, l’artiste révèle les frontières ambiguës et mal définies qui existent entre les arts plastiques, le théâtre, la
performance et la poésie, afin de produire de la connaissance partagée au sein d’un travail collectif et interactif.
Via des performances et des installations éphémères, la vie et son principe d’incertitude représentent pour Emily Mast une matière sculpturale. En l’occurrence,
le son, les corps et les mouvements, les mises en situations d’expériences idiosyncratiques, leurs différentes formes réactives face aux évènements extérieurs
intègrent son travail. La communication et ses interactions dans un groupe de personnes génèrent, comme l’exprime l’artiste, de simples mises en situations
de réalités, et non pas du symbolique.
De manière singulière, Emily Mast travaille avec un large éventail de personnes afin qu’adviennent dans l’expérience collective des réalités ontologiques.
Chaque rencontre est considérée par l’artiste comme unique et éphémère. Chaque mise en situation ou en représentation révèle des lexiques visuels
qu’illustrent des comportements aux gestualités variées selon les expériences qui y sont vécues.
Le travail d’Emily Mast se réfère à celui de l’artiste l’artiste performer français Guy de Cointet, installé à Los Angeles de 1966 jusqu’à sa mort en 1983. Il est
l’un des pionniers de l’art de la performance, et aussi une figure artistique importante de la côte Ouest américaine. Guy de Cointet réalise des « tableaux
parlants » où les narrations sont absurdes et non-linéaires, utilisant comme dans le travail d’Emily Mast des « objets scéniques », afin de bouleverser les
relations entre les mots, les couleurs, les formes et les sens.
Comme Guy de Cointet, Emily Mast travaille sur la communication, elle est une artiste du langage, à laquelle s’ajoute une magnifique et subtile dimension
poétique.
B!RDBRA!N est une série 4 œuvres de l’artiste datant de 2012, véritables tableaux vivants avec performances incluant textes et objets, sculptures ou peintures
comme la pièce qui fait partie de la collection de Christian Mayeur.
Dans cette suite, comme chez Guy de Cointet, textes et sculptures s’intègrent aux performances.
On peut citer Birdbrain (Addendum), 2012, vidéo de 7 minutes, Birdbrain (Epilogue), exposition et performances, Birdbrain, performances de 40 minutes et
enfin Birdbrain (prologue), performance de 30 minutes présentée à la Blackbox, Pacific Standard Time Public Art & Performance Festival en janvier 2012.
Dans cette série, l’artiste intègre l’histoire vraie d’Alex, perroquet gris africain qui a fait l’objet pendant 30 ans d’expériences sur le langage. A travers ces
diverses performances, Emily Maes travaille entre autres avec un bègue, un cascadeur, un fanatique de sport, un interprète de la langue des signes, un acteur,
un danseur et une enfant. Dans Birdbrain, c’est l’expérience de l’artiste qui nous est présentée, face à l’imprécision du langage et de sa réception, à travers un
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paysage coloré d’objets scéniques rappelant les salles de classes élémentaires et l’art minimal.
La collection Christian Mayeur présente une « œuvre scénique » sur papier avec une composition minimaliste, composée de deux rectangles, un aplat de bleu
et un aplat de beige dans la même gamme de couleurs que les autres pièces ou accessoires de Birdbrain. Un rectangle comme une languette est rabattu sur
la partie beige de la peinture révélant un verso en vert flashy.
De cette œuvre, créée en résonance directe avec la performance, se dégage une étrange poésie abstraite. La texture du papier, le grain de la peinture, et cette
ouverture sobre et fantaisiste comme la porte d’une cage à oiseaux rappellent à Christian et Sylvie le moment inoubliable qu’ils ont vécu en voyant Birdbrain
au Redcat de Los Angeles.
Le souvenir d’un tel moment décida Christian à soutenir le projet d’Emily Mast, invitée à produire la performance au Rockefeller Center de New York, afin qu’elle
puisse assurer le transport de sa troupe éphémère, permettant notamment à la petite fille, non seulement de jouer sur une autre scène, mais de découvrir New
York, ville de ses rêves.
La pièce présente dans la collection de Christian Mayeur est trace non seulement de la performance, mais de cette contribution, parmi bien d’autres, pour que
le rêve rebondisse de Los Angeles à New York.
Le rêve de Christian & Sylvie Mayeur est d’accueillir un jour Emily Mast en France, pour Birdbrain ou une autre performance, peut-être par le biais d’Entrepart.
Sources :
http://emilymast.com
Courtesy : Emily Mast, Los Angeles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Moriceau et Mrzyk
Sans titre (10 juillet 2009)
2008
Encre et acrylique sur papier, cadre
31 x 22,5 cm
Hors cadre 29,7 x 21 cm
Edition 1/1
Collection Christian & Sylvie Mayeur
Sans titre (6 juillet 2009)
2008
Encre et acrylique sur papier, cadre
31 x 22,5 cm
Hors cadre 29,7 x 21 cm
Edition 1/1
Collection Christian & Sylvie Mayeur
Sans titre
2005
Encre et acrylique sur papier, cadre
31 x 22,5 cm
Hors cadre 29,7 x 21 cm
Edition 1/1
Collection Entrepart
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Jean-François Moriceau est né en 1974 à Saint-Nazaire et Petra Mrzyk en 1973 à Nuremberg. Leurs travaux ont été présentés dans des expositions
monographiques en Espagne (Caixa Forum, Barcelone) en Allemagne (Schnitt Ausstellungsraum, Cologne), en Suisse (Mamco, Genève) et aux Etats-Unis
(LACMA, Los Angeles). On peut les voir dans de nombreuses collections publiques, dont le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, avec une peinture murale
visible en permanence.
Quand le couple commence à travailler ensemble en 1998, le dessin n’a pas encore toute la notoriété d’un art autonome et majeur. Ce sont des « raisons
économiques et parce que l’on avait ras-le-bol de la technique, du matériel et de l’objet » qui ont incité ces deux artistes à utiliser ce médium, racontent-ils au
mensuel Les Inrockuptibles en novembre 2004.
En effet, le dessin a encore à cette époque cette précarité des œuvres préparatoires dites mineures, des esquisses au story-board. En juin 2005, lors d’un
entretien pour Beaux-Arts Magazine, ils relatent à propos du dessin : « Avec le dessin, toutes les portes sont ouvertes, dès qu’une idée jaillit, tu peux la mettre
en forme ». Paradoxalement, le trait « est plus résistant dans le temps que le volume ou la couleur. » C’est un médium économe et immédiat, qui permet une
production prolixe, voire boulimique.
Le couple collabore toujours dans des projets à plusieurs mains, comme dans une partie de ping-pong entre eux. « L’un commence et l’autre finit »
L’œuvre de Moriceau et Mrzyk se compose de dessins, certains pour des pochettes de disque, des clips publicitaires (Volvic, Peugeot) ou des clips musicaux
(Air et Philippe Katerine) et de wall-drawing. Leurs thèmes puisent dans le quotidien. Leur inspiration peut partir d’une blague, d’une phrase tirée d’un article,
d’une publicité, d’un souvenir télévisuel, d’un clip, ou bien d’images sorties de Google, qu’ils transforment ou maltraitent par la suite.
La bande dessinée est souvent citée à propos des œuvres de Moriceau et Mrzyk. Les artistes s’en expliquent dans un autre article de Beaux-Arts Magazine en
2006, à l’occasion d’un entretien titré C’est le grand bluff à deux balles : « Pourtant, nous ne sommes pas du tout férus de ce style.Notre inspiration vient plutôt
de Glen Baxter, Raymond Pettibon, des dessins d’Alain Séchas ou de Markus Retz. La BD ne « nous intéresse pas au niveau de l’histoire. »
Sans titre (10 juillet 2009) et Sans titre (6 juillet 2009) font partie d’une série de 365 dessins, Ephéméride 2009-2010.
Cette série est réalisée dans un processus similaire à celui de Robert Filliou : celui d’écrire un poème par jour. Cet ensemble de 365 dessins résonnent ensemble
dans un continuum boulimique. Ephéméride 2009-2010 fut présenté à la galerie Air de Paris, et existe aussi sous forme de publication aux Presses du Réel
dans la collection La Salle De bain.
Christian Mayeur fit l’acquisition de ces deux dessins à la galerie Air de Paris, tout simplement parce qu’ils correspondent aux dates de naissance respectives
de Sylvie et Christian. Mais l’intérêt des collectionneurs pour ces deux artistes se situe naturellement bien au-delà, en lien avec le temps notamment, son
élasticité, la dialectique entre Kronos et Kairos.
Le passage du temps nous plonge dans deux histoires d’un jour qui se suivent.
Dans Sans titre 10 juillet 2009, la date en diagonale dessinée dans la radicalité d’un noir et d’un rouge nous plonge au cœur d’une saynète. Deux personnages
en combinaison de plongée - l’un les fesses dénudées- attendent. Ils regardent à l’intérieur d’un trou noir, une bouche d’égout, où émerge une petite échelle.
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Dans Sans titre, 6 juillet 2009, le temps doit être aux vacances. Un personnage assis dessine au pinceau son environnement immédiat. Les traits du dessin
au premier plan sont lumineux. Le second plan, est rayé d’arbres comme le motif des chaussettes du dessinateur nu.
Ces histoires peuvent nous sembler ludiques, grotesques, absurdes et, ou même cyniques.
Dans ces deux dessins, photocopiables et reproductibles à souhait, la narration est condensée. Décalée et cocasse, elle abolit le récit comme dans l’espace
d’une blague potache.
Plus ancien, le dessin « Sans titre » de 2005 est le premier à être entré dans la collection, à l’occasion d’une visite des collectionneurs à la Fiac. Sylvie eut le
regard attiré par les étincelles surgissant des yeux des personnages. La correspondance avec la mission d’Entrepart, qui est de faire surgir l’énergie créative –
l’étincelle artistique - des personnes agissant en entreprise, lui parut évidente, sentiment bientôt partagé par Christian.
Sur un format A4 une série de petits personnages est dessinée verticalement sur une page blanche, qui s’anime de leurs différentes positions et attitudes.
Les têtes sont couvertes d’un aplat noir, où les yeux en forme d’étoiles blanches ressemblent à des étincelles. Certaines figures ont un buste dessiné à l’aide
d’une ligne claire et précise avec des membres également en aplat noir.
Le dessin traduit également la puissance collective d’un ensemble d’individus créatifs, au demeurant fort anonymes à titre individuel.
Pour les collectionneurs, il témoigne avec légèreté, mais droit au but, du petit miracle qu’ils vivent au quotidien avec les personnes qu’ils accompagnent dans
les stratégies d’innovation des entreprises.
Sources :
http://1000dessins.com
Courtesy : Moriceau & Mrzyk, Nantes, Galerie Air de Paris, Paris.
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Virginie Mossé
« Chimäre und Hand / Chimère et Main »,
d’après Max Ernst
2012
Sérigraphie sur toile et châssis en bois, 150 x 150 x 2
cm,
Collection Christian Mayeur
« Das ewige unbegreifliche an
der Welt ist ihre Begreiflichkeit /
L’éternelle inintelligibilité du
monde réside dans son
intelligibilité même »
« Outside »
2012
Sérigraphie sur toile et châssis en bois
Collection Christian Mayeur
2012
Sérigraphie sur papier
Collection Christian Mayeur
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Virginie Mossé est une artiste française qui travaille à Berlin. Elle a choisi Berlin, non par commodité financière, ni pour coller à l’air du temps, mais pour
engager un travail de révélation que seul le déplacement au pays de la Weltanschauung rendait possible.
L’engagement envers l’Allemagne commence, il y a dix ans, avec le choix de compléter son cursus artistique à l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe. Dans
un fulgurant passage de l’Ouest vers l’Est, l’artiste décide de s’implanter outre-Rhin, parce que son projet artistique exige d’adopter une manière allemande
d’habiter le monde. L’Allemagne est le lieu idéal pour un travail sur l’humanisme aux prises avec la modernité. Virginie Mossé élit donc domicile à Karlsruhe,
ville célèbre pour héberger la Cour Constitutionnelle allemande, mais aussi pour être le fief du Maître en Philosophie Peter Sloterdijk, référence importante pour
Christian Mayeur, puis elle migre vers Hambourg, puis Berlin. Elle admire le pays élu, parle sa langue, vit l’art et la vie «à l’allemande», pour déplacer son point
de vue de manière irréversible.
Le travail de Virginie Mossé est protéiforme. Il se compose d’objets et de tableaux, parfois accompagnés de son et de jeux de lumière. En effet, son travail
puise ses références à travers l’histoire, l’histoire de l’art avec ou sans les avant-gardes, les sciences physiques, la science-fiction, la psychologie, la philosophie
(Aristote, Platon, Sloterdijk, Stiegler), la psychanalyse et l’anthropologie (Marcel Mauss et Mark Rogin Anspach).
Son œuvre interroge la fonction du symbolique et, à travers cette fonction, le langage, l’iconographie et l’œuvre d’art.
La fonction du symbolique est d’émettre et de recevoir des significations, englobant le système des signes verbaux et des symboles. En l’occurrence, c’est une
activité propre au genre humain soumise au langage et prise dans un système d’échanges spécifiques à la culture et à l’inconscient. Cette catégorie fut introduite
par Lacan. Elle fait partie d’un ensemble symbolique-imaginaire-réel. Lacan utilisa la représentation de nœuds borroméens à partir de 1974. Ils sont représentés
par trois anneaux interdépendants et reliés entre eux dans des relations indissolubles et réciproques. Virginie Mossé transpose la figure des nœuds borroméens
à la création artistique, utilisant pour ce schéma les couleurs primaires et secondaires. On peut transposer l’étymologie grecque du symptôme (qui est une
manifestation d’un signe clinique) à l’œuvre d’art. Par permutation, l’œuvre relèverait de ce qui « survient ensemble », de ce qui « concourt ».
Autorévélation (2014) – Photo de l’artiste
Virginie Mossé nous renvoie à la question de la civilisation en jonglant sur les codifications que sont les mythes, les symboles, les signes, le langage et son
absurdité. D’une part, elle remet à plat nos mécanismes de perceptions, les convictions et formes établies afin de mettre en exergue la dimension abstraite de
l’histoire et de la culture.
Surtout, le travail de Virginie Mossé interroge la dévalorisation et la perte de signification des mythes et de leurs symboliques dans le monde
contemporain. Elle se réfère au philosophe Bernard Stiegler et à un de ses ouvrages, De la misère symbolique. Le désenchantement du monde actuel découle
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de la « canalisation de la libido », d’un conditionnement de l’individu qui se substitue à l’expérience, et d’un recours massif à l’industrialisation et au marketing.
Face à la perte d’individuation et au devenir machine de l’être humain, l’artiste devient une figure d‘appropriation de soi-même, où l’expérience au singulier
génère l’imprévisible et l’inespéré.
Le processus de perception s’insère au cœur de la démarche de Virginie Mossé. A travers les motifs abstraits ornementaux et répétitifs, l’artiste utilise les
illusions d’optique afin selon ses dires, « de créer un climat psychologique, de détecter les mécanismes de perceptions et de remettre en question l’objectivité
des clichés. »
Elle déclare se situer dans un champ de filiation artistique qui couvre le Surréalisme, le Dadaïsme, l’Arte Povera, le Minimal Art, mais aussi l’Art conceptuel.
Elle fait appel dans son travail à une économie maximale de moyens comme dans l’Art Minimal. Quant à l’Art Conceptuel, Virginie Mossé ne postule pas que
l’idée peut devenir œuvre à part entière, mais que la représentation formelle des œuvres tourne autour de l’idée de l’art. Une idée de l’art où l’inconscient
présent et structuré comme le langage, commande la pensée, sans préoccupation esthétique ou morale.
L’artiste travaille de manière associative, souvent en polyptiques, « de manière à pouvoir confronter dans un même laps de temps, des idées, des formes qui
n’ont a priori rien en commun et ainsi ouvrir un vaste champ imaginaire. » Elle confronte des icônes anciennes, souvent narratives, aux formes contemporaines,
pour rassembler le temps à la manière de Pistoletto. Virginie Mossé rompt avec la notion d’avant-garde, avec ce qu’Harold Rosenberg nommait la « tradition
du nouveau », cet académisme de la rupture.
L’artiste privilégie les médiums d’impression comme la sérigraphie, les impressions digitales et la lithographie, les autocollants, la peinture en bombe et les
objets trouvés.
Le fond de l’oeuvre « Chimäre und Hand / Chimère et Main », d’après Max Ernst, 2012 est décrit par l’artiste comme minimaliste, composé d’une toile « brute
de couleur indéfinie, obscure ». Un bras tendu et une main sur laquelle se pose ce qui pourrait être perçu comme un oiseau, sont représentés. En fait, cet
animal s’avère être une chimère issue du bestiaire surréaliste de Max Ernst. « Dans mon travail apparaissent régulièrement, sans devenir pour autant un thème
spécifique, des animaux. J'utilise leur symbolique forte par rapport au contexte socio-politique. Je les comprends comme les jumeaux émotionnels de l’homme»,
écrit l’artiste. Le bras et la main, au modelé condensé, - ce qui confère force et présence à la représentation - personnifient l’artiste, auquel rend visite une
chimère amie. Dans l’Egypte ancienne, l’animal est un messager entre les dieux et les hommes. C’est ici un personnage de fables incarnant force psychique
et métaphysique.
La référence à Max Ernst et au surréalisme apparaît comme un manifeste pour la liberté de la pensée sous l’emprise de la raison, pour l’automatisme psychique,
et aussi pour la découverte de l’inconscient à travers Freud. L’automatisme psychique se fondait alors sur la mémoire des rêves, des hallucinations et des
hasards de toute espèce. Max Ernst a traqué l’imaginaire à travers de nombreux dispositifs comme par exemple le collage, le frottage et la décalcomanie.
Virginie Mossé écrit : « A travers l'artiste, se développe une forme de continuité entre l'état de veille et l'état de sommeil, entre le réel et le pressenti, entre la
réalité et la fiction, cristallisées en une sorte de réalité absolue dégageant une impression de malaise. »
Ici, la chimère symbolise pour l’artiste le rêve éveillé et se réfère à la psychanalyse, (mais aussi probablement à l’art), dont la société contemporaine serait le
patient. Louise Bourgeois ne confiait-elle pas à Christian & Sylvie Mayeur, lors de leur rencontre à New York en septembre 1998 : « L’art est une garantie de
santé de la société » ?
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L’impact des formes, par leur économie de moyens, est immédiat. La sérigraphie est choisie spécialement pour cet aspect brut. L’utilisation de matériaux dits
« simples » par l’artiste, a son point de référence dans l’Arte Povera, qui signifie en Italien « art pauvre ». D’ailleurs, le comportement des artistes de ce
mouvement met à l’honneur des matériaux simples comme les objets de rebuts et les éléments naturels comme le sable, la terre, les chiffons, etc., en opposition
au Pop Art, et face aux excès du marché de l’art et à la société de consommation. Pour ces artistes des années 60, c’est le processus, l’acte créateur qui sont
privilégiés, au détriment de l’objet.
Cette œuvre de la collection de Christian Mayeur se positionne pour l’artiste comme un présage étrange face au monde d'aujourd'hui, incarnant un geste, une
pensée, l’acte créateur. Son format carré est posé sur le sol par un coin et devient losange géométrique.
Dans l’œuvre « Das ewige unbegreifliche an der Welt ist ihre Begreiflichkeit / L’éternelle inintelligibilité du monde réside dans son intelligibilité même
», le texte apparaît et disparaît dans les illusions d’optique générées par les motifs ornementaux mais aussi selon les points de vue du spectateur. « Le tableau
s’émancipe et s’auto-questionne, la volonté de discernement brouille la vue », écrit Christian Mayeur. L’œuvre est une allusion, dit l’artiste, au « genre d’effroi
qui saisit le scientifique à l’approche des lois qui tissent notre être-au-monde le plus intime, jusqu’à nous traverser, et qui pourtant échappent à notre
entendement. »
L’œuvre « Outside » se situe entre arts plastiques, astronomie, sociologie et culture pop.
Il s´agit d´une nouvelle interprétation de la gravure sur bois « au Pèlerin » (d’un artiste inconnu), qui apparut la première fois en 1888 dans le magasine
« l’Atmosphère. Météorologie populaire » dirigée par l´astronome français Camille Flammarion. Au fil du temps, la gravure devint extrêmement populaire et par
là, servit à maintes reprises d´illustration dans les journaux, manuels scolaires, etc.....
Très longtemps, personne ne remit en doute son origine datée du XVIème siècle. Un temps où, dit-on, l´humanité croyait que la terre était plate.
Seulement, à partir du début des années 1970, des doutes commencèrent à se lever autour de l´origine de cette œuvre et des spéculations mirent au jour que
Camille Flammarion lui-même aurait commandité la réalisation de cette œuvre, afin de démontrer à quel point la science - et notamment l´astronomie - avait
progressé depuis l´obscur Moyen-Age.
Fort de sa position d´homme contemporain évolué, Flammarion avait fait sous-titrer l´image de la légende suivante: « un missionnaire du Moyen-Age rapporte
qu´il aurait trouvé le point où le ciel et la terre se rencontrent ». Bien entendu, il n´existe aucune preuve de cette croyance médiévale comme quoi la terre serait
plate, bien au contraire. Ce mythe apparut au XIXe siècle lors d´une vague de propagande pro-progressiste. Il était alors de bon ton de porter aux nues le
progrès et le génie de l´époque contemporaine, au détriment des générations précédentes, considérées comme incultes et crédules.
Paradoxalement, ce mythe toucha les gens de manière telle que la gravure se hissa au rang d´icône de la culture populaire.
Cette image du pèlerin missionnaire passant la tête sous la coupole du ciel afin de découvrir la « vraie mécanique des choses », poursuit toujours et
éternellement sa mission de prouver aux contemporains à quel point l´on a progressé aujourd´hui, au regard de nos prédécesseurs des générations passées,
endoctrinés de croyances irrationnelles.
Avec « Outside », Virginie Mossé réinvestit et inverse ce mythe afin d´inviter à une méditation sur le thème du progrès aujourd´hui.
Il s´agit également d´un commentaire sur la fausse nostalgie du « avant, tout était mieux » et de « l’idée de nature... ». Dans une stratégie de « refalsification
du fake », Virginie Mossé remplace l´espace paisible et peuplé de nature vierge que le pèlerin laisse derrière lui, (afin de s´apprêter à recevoir la fameuse
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révélation), par l´enfer urbain que nous connaissons aujourd’hui, tout en conservant le style original de la gravure. Le motif central de la gravure reste comme
auparavant l´homme moderne, en proie à une inversion de son désir : sortir de cette prison dogmatique qu´est le monde dans lequel il vit, pour accéder à la
« vérité vraie ».
De fait, autrefois, personne n´a jamais cru que la terre était plate. Et aujourd’hui, une vie sans le confort technologique qu´autorise le capitalisme ne serait plus
possible. Non sans raison, le pèlerin a gardé ses vêtements originaux et ce qu´il observe est fidèle à la gravure des origines.
La gravure de Flammarion se voulait la fière porte-parole d´une humanité en pleine expansion. Elle annonçait des temps nouveaux. De même aujourd´hui,
nous proclamons notre fierté d´être encore plus ultra technicisés que les précédentes générations.
Les progrès quotidiens sont faramineux : plus vite, plus grand, encore mieux. Mais qu´en est-il de nous-mêmes? Virginie Mossé pose la question. La nature
humaine progresse-t-elle parallèlement aux progrès techniques, a-t-elle comme on le prétend vraiment changé depuis le début des temps ? Ou bien dans un
siècle, les prochaines générations nous décriront-elles comme de pauvres êtres naïfs, emprisonnés dans des dogmes futiles et aveugles, nourris de croyances
vaines ?
Peut-on, en ce qui concerne la nature humaine, parler de notion de progrès? Est-ce que l´on apprend du passé ou croyons-nous simplement le faire?
Ce que montrent les gravures « au pèlerin » puis « Outside », est que l´on croit toujours avoir dépassé ou élucidé une pensée démodée et erronée du passé,
pour la soi-disant Vérité.
Seulement, quelles seront les conséquences de cette Vérité si celle-ci se base sur un « fake » ?
Nous vivons en fait dans des réalités contingentes, le réel nous étant invisible au-delà des apparences, le rôle de l’artiste étant de nous rappeler par divers
moyens la 4ème dimension du monde, sa dimension tragique.
Courtesy : Virginie Mossé, Berlin
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Julien Nédélec
Comme une soucoupe qui ricocherait sur l’eau
2011
Céramique émaillée, numéro d’édition 21/29, dimensions variables
Collection Entrepart
Titrer
2012
Livre d’artiste « sculpté » personnellement pour chaque acquéreur
Collection Christian & Sylvie Mayeur
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Julien Nédélec est né en 1982 à Rennes. Il vit et travaille à Nantes. Il expose principalement en France, en Belgique et aux Pays-Bas, mais aussi au Japon
(Tokyo) et aux Etats-Unis (Indianapolis). Son travail a été présenté plusieurs fois au Musée des Abattoirs de Toulouse – dont il a intégré la Collection - ainsi
qu’à la médiathèque du Musée.
Auteur de nombreuses éditions de livres d’artistes et d’affiches rappelant les origamis, Julien Nédélec a développé un partenariat avec les excellentes
éditions Zédélé.
Ses œuvres ont été acquises par le Fonds National d’Art Contemporain, CNAP, le Fonds Régional d’Art Contemporain de Haute Normandie, les Artothèques
de Pau et de Pessac, le Cabinet du Livre d’artiste, Rennes, le Centre National des Estampes et Arts Imprimés, le Centre Des Livres d’Artistes de St Yrieix-laPerche, la Bibliothèque Nationale, Département des estampes, Paris et la Tate modern, artist book collection, à Londres.
Julien Nédélec questionne la représentation en manipulant le texte, le langage, le son ou les images dans des renversements sémantiques, brouillant les pistes
de l’entendement, sans toutefois perturber vraiment la lecture de ses œuvres.
En effet, le détournement, la mise en décalage est un terreau fertile pour l’artiste et n’est pas sans rappeler entre autres, des artistes comme Raymonds Hains,
Claude Closky, ou même l’OuLiPo, groupe que fondèrent dans les années 60 Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais.
Les procédures linguistiques sont au cœur du processus créatif de l’artiste. Elles sont indissociables des œuvres produites, dans une transposition de signes
en vase communicant. Les titres des œuvres peuvent s’appuyer sur des jeux de langage, où sont souvent conviés les lapsus et les calembours qu’ils soient
visuels ou textuels.
Son œuvre protéiforme ne peut se délimiter en particulier à un seul médium. En effet, le plasticien passe d’un médium à l’autre, les combinant dans des
glissements espiègles, dans une logique de brouillage de pistes, et de définitions. Par exemple, une édition peut s’avérer être une sculpture, et un multiple
s’avérer unique. On retrouve la référence au groupe Fluxus dans la fusion des différentes formes d’expression dans une esthétique de jeu, à travers l’humour
et la dimension poétique.
Ces œuvres à la fois graphiques, présentent une grande économie de moyens. Elles puisent dans le répertoire formel des abstractions modernistes, dans le
minimalisme, et plus particulièrement chez Sol Lewitt, dans ses systèmes modulaires avec ses principes de série et ses progressions géométriques. Cependant,
Julien Nédélec efface l’aspect tautologique du minimal art, et marque son individuation comme auteur à travers les procédures linguistiques.
Julien Nédélec convoque à la fois des références savantes comme Jorge Luis Borgès ou Lewis Caroll, un auteur cher à Robert Smithson, mais aussi des
références populaires, comme l’ufologie, l'univers du bricolage, le tangram.
Les arts appliqués comme le graphisme, le design et même l'architecture sont aussi utilisés.
Par exemple dans Sculpture d’intérieur, le titre et le sujet de la représentation brouillent les frontières entre les arts intéressés et les arts désintéressés, comme
transfiguration du banal et du quotidien En effet, cette sculpture tournée en bois reprend en positif et en 3D la forme intérieure, qui à l’origine est
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évidée, d’un objet utilitaire qu’est une lame de rasoir. Ainsi s’instaure dans la noblesse du matériau utilisé qui est le chêne, et à travers les enjeux plastiques
intrinsèques à la sculpture (le vide et le plein) l’objet.
Comme une soucoupe qui ricocherait sur l’eau, sculpture en céramique de la collection Entrepart fut présentée lors de l’exposition personnelle de l’artiste
à la galerie AC/DC, lors de la FIAC en 2011 au Grand Palais à Paris.
Le dispositif de conception pour cette œuvre relève d’un énoncé dont le simple principe est la représentation d’une forme dont on n’a pas de trace tangible (par
la photo ou la vidéo), et qui s’inspire de témoignages subjectifs écrits ou visuels, dont beaucoup transitent par Internet sous la forme de dessins, de sculptures
ou d’installations. Cette forme, c’est celle d’une « soucoupe volante ».
En 1947, l’aviateur Kenneth Arnold fut le premier témoin américain de la vue d’un OVNI (Objet Volant Non Identifié). Il fait alors une description imaginée d’un
objet s’inspirant d’un objet utilitaire en le nommant « Flying Saucer », soucoupe volante. L’image de l’OVNI marquera l’imaginaire et l’inconscient collectifs. Les
OVNI présentent des formes variables (triangles, ronds, cube, quille ou triangles) dont la seule constance est la simplicité formelle, facilement dessinable. De
ce fait par leur économie de moyens, les soucoupes volantes nous renvoient aux résonnances mystiques voire surnaturelles des œuvres minimalistes.
Cette œuvre de la collection Sylvie et Christian Mayeur, Comme une soucoupe qui ricocherait sur l’eau, fait partie d’une installation, où un ensemble de
sculptures en céramique représentant les OVNI, sont déclinées sous les différentes formes que ces OVNI ont pris sous les yeux – ou dans l’imaginaire – de
leurs observateurs.
Dans l’installation originale, une autre sculpture est posée au sol. Elle est composée de 1500 posters empilés, au centre de laquelle est découpée la silhouette,
en négatif du portrait-robot de l’OVNI dessiné par Kenneth Arnold. Un personnage assez discret et anonyme récite quelques phrases aux oreilles des visiteurs.
Ce sont des extraits de témoignages sur l’observation de ces « objets non identifiés ».
Le principe de dissimulation que caractérisent les soucoupes volantes fait partie de la conception de cet ensemble d’œuvres. Les sculptures des OVNI
accrochées au mur ne sont pas perceptibles au premier regard. La sculpture au sol en papier est condamnée à disparaître puisque les 1500 posters sont mis
à disposition des visiteurs qui peuvent les emporter. Et puis, la représentation de la « Flying Saucer » dans cette sculpture en papier est une simple silhouette,
en creux et évidée.
La couleur blanche de la pièce de la collection Entrepart comme dans l’ensemble des autres OVNI lave le regard et apporte une bouffée d’oxygène.
Cette soucoupe volante est en résonnance avec certaines œuvres amérindiennes qui ont inspiré les artistes du Land Art. Ce sont les tracés de dessins
gigantesques au sol, composés de figures géométriques, réalisés afin d’être visibles du ciel et, dont les plus célèbres sont les tracés de Nazca au Pérou. En
effet, les fantasmagories et les élucubrations sont nombreuses auprès d’hypothétiques pistes d’atterrissage pour les extra-terrestres.
« Titrer », présent dans la collection Christian & Sylvie Mayeur est un livre d’artiste qui fut dédicacé sous forme de sculptures personnalisées lors de la
présentation du livre par l’artiste à la galerie Florence Loewy à Paris, en novembre 2012.
A la fois livre de photographie et livre de sculpture, « Titrer » permet une nouvelle fois à Julien Nédélec de revisiter l’Art minimal, en y apportant une touche
sensible présente dans le jeu sur les formes et les nuances de gris des impressions.
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A la suite de Richard Serra, « j’ai réalisé ma propre liste de verbes d’action s’appliquant à ma pratique, et plus particulièrement à mon rapport au papier :
Tourner, Fendre, Déchirer, Couper, Masquer, Décomposer, Sectionner, Trouer, Mouiller, Plier, Titrer, Agrandir, Rouler, Dupliquer, Regarder, Ramasser,
Rabattre, Froisser, Raccourcir, Déplacer, Salir, Brûler, Rainurer, Mâcher, Elever, Recomposer, Courber, Empiler … Cette liste devient un protocole de travail.
Je l’utilise afin d’appliquer des actions simples au papier, la feuille devient alors sculpture. »
Sources :
http://www.julien-nedelec.net/wordpress/
Courtesy : Julien Nédélec, Nantes
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Thinh Nguyen
“Bound” – extrait de la série “Of Balls and Bounds”
2011
Feutre, fils cousus, papier
Dimensions variables
Collection Christian Mayeur
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Thinh Nguyen vit actuellement et travaille comme artiste à Los Angeles.
Thinh Nguyen est né et a grandi dans un village rural du centre du Vietnam sans électricité, ni eau courante, dessinant avec des branches d’arbres sur le sol.
A l'âge de onze ans, Thinh Nguyen immigre avec sa famille en Californie, ce qui lui permet de poursuivre des études artistiques à la Claremont Graduate
University.
Dans son travail, il utilise des installations, des dessins, des peintures, des sculptures, de la photographie numérique et des performances.
Il fait appel dans son œuvre à des techniques artisanales comme le tissage, la couture, remettant en question la culture d'entreprise que Thinh Nguyen juge de
plus en plus informatisée et industrialisée. La puissance du travail répétitif lors de la fabrication de ses objets se transforme pour l’artiste en méditation. Ces
techniques sont présentes afin de nous rappeler que l'artisanat est partie intégrante du discours politique sur la lutte pour l'égalité et, même l'égalité des sexes
et des genres.
« J'évite de créer plus de choses dans une culture qui en produit constamment, relate l’artiste. C’est pour cela que je collectionne souvent des détritus
d'artistes, comprenant à la fois les matériaux et les pratiques artistiques. Je transforme ces différents éléments en les coupant, les déchirant, en les privant de
l'autre, et les reconstituant en hybrides. »
La réorientation et la récupération artistique sont perçues par Thinh Nguyen comme stratégie écologique, dans un travail collaboratif avec d’autres artistes
impliqués indirectement dans sa pratique. Ce processus ouvre la possibilité d'avoir plusieurs auteurs, réexamine les questions de participation, d'exploitation,
de réorganisation, de l’individualité universelle, et l'autorité artistique en tant que politique.
Thinh explore le processus formel et conceptuel à travers différents médiums comme une stratégie de transgression esthétique. Il cite une de ses performances
dans laquelle il fit le tour de différents musées et lieux d'art masqué dans une cagoule en tricot géant et encourageant les visiteurs à le prendre en photo dans
un environnement artistique, comme un mashup conceptuel interrogeant les questions de paternité et d'identité artistique. En effet, son travail est comme un
remix d’histoire de l'art, de recyclages de matériaux, afin de générer de nouvelles perspectives.
Christian & Sylvie Mayeur ont rencontré Thinh dans son atelier de Hawthorne, en août 2014, pour une longue discussion qui s’est prolongée dans un
excellent petit restaurant indien : « Je fais ma différence avec d’autres pratiques de l’art de Los Angeles, pas une grande différence, je suis une seule
personne, mais je cherche à travailler sur une économie de l’art ouverte sur son environnement. Je donne des cours sur la durabilité : Comment faire de l'art
sans détruire l'environnement ? L'art a un pouvoir, de la créativité pour trouver des solutions.
« L'art américain» fait souvent référence au minimalisme dans l’esprit des gens, mais il y a bien d’autres voies à explorer. Il est important de renouer les liens
entre artisanat et art.
J’ai invité 7 artistes à réaliser des œuvres d'art en lien avec l'écologie, l'environnement et les préoccupations sociopolitiques, en une semaine. Il y a eu de la
sculpture, des installations faites avec des déchets. Pas des cow-boys et des cactus
Invitations de participation
La durabilité communautaire et la durabilité culturelle doivent être travaillées. Je travaille avec la mairie de Hawthorne, cette commune en grave crise
économique de Metropolitan L.A., pour que l’art nourrisse l’économie. Quand des artistes s’installent dans un quartier, comme je l’ai fait ici au milieu de ces
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ateliers de mécanique et de carrosserie, peu à peu le quartier revit. Ce n’est pas qu’une question d'argent
L'économie de la culture, c’est très important, Andy Warhol l’avait vu. Mais mon projet personnel n’est pas glamour. Je travaille avec la mairie de Hawthorne
sur un projet de regain économique durable de la ville grâce à l’économie artistique. Mais c’est important que les artistes puissent rester. Je négocie donc un
contrôle des loyers, une révolution dans une économie libérale comme celle de L.A.
Los Angeles est une ville fantastique. Je suis ici, dans ce petit garage transformé en studio, au cœur d’une zone éloignée de tout, et ils m’envoient la télé, car
je fais quelque chose de différent. Cela suffit pour qu’ils qualifient ma démarche d’avant-garde (Rire).
En art, il y a de toutes façons une règle à laquelle on ne peut échapper : « Il faut cultiver un réseau de fans, de supporters, de spectateurs, cultiver l’attention.
L’attention, l’attention, l’attention ».
La pièce de la collection de Christian Mayeur provient de Bound, une installation composée de 100 sphères, ou boules de différentes tailles en tissus réutilisés,
composées de feutre, et de fils de couture. Les matériaux recueillis proviennent des sweat - shop du Fashion District de Los Angeles, mais aussi d’ateliers
d'artistes ou des collèges ou les universités de Californie du Sud. L'intérieur des sphères contient en effet des catalogues déchiquetés d’artistes qui ont été mis
au rebut par les différents départements d’écoles d’art.
« J'ai d'abord modelé les morceaux déchiquetés des catalogues dans une sphère avec ma main puis j’ai appliqué des morceaux de tissus liés et cousus à la
surface avec du fil. Ce processus intensif de liaison lente de matières fragmentées en une sphère, crée un monde avec sa propre matérialité, liant
conceptuellement différents artistes, artisans, industries et institutions comme une métaphore de la pratique artistique au sein d’un Artworld. »
Le travail de Thinh Nguyen explore les notions d'identité malléable sur le plan social, culturel et historique. Il est participatif impliquant et faisant travailler le
public dans ses processus de création.
Sources :
www.thinhstudio.com
Courtesy : Thinh Nguyen, Los Angeles et Galerie Arnaud Deschin (La GAD), Marseille
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Hans Op De Beeck
Sleeping child
Clouds
2014
Encre, aquarelle et crayon sur papier Hahnemühle
20 x 30 cm – encadré : 49,1 x 648 cm
Collection Christian Mayeur
2014
Encre, aquarelle et crayon sur papier Hahnemühle
20 x 30 cm – encadré : 49,1 x 648 cm
Collection Christian Mayeur
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Hans Op de Beeck est né en 1969 à Turnhout en Belgique. Il étudie à l’école des Beaux-Arts à Sint Lucas à Bruxelles, puis fait un post-diplôme à la Higher
Institute for Fine Arts de Anvers. Ensuite il va à la Rijksakademie de Amsterdam où il travaille pendant deux ans.
Artiste plasticien réputé et connu internationalement, Hans Op de Beeck vit et travaille à Bruxelles. Il crée des installations imposantes comme œuvres d’art
totales, des paysages urbains imaginaires à l’échelle 1.
Il sculpte, réalise des installations, des vidéos, fait de la photographie, il peint et écrit. Et chaque nuit, il dessine. Les dessins qui surgissent dans la nuit donnent
naissance aux univers de ses œuvres créées le jour.
Hans Op de Beeck cherche la manière la plus efficace pour exposer le contenu concret de chaque œuvre en déterminant et sélectionnant de manière ultime
son médium. Hans Op de Beeck n’utilise pas seulement une grande variété de médias, mais emploie aussi délibérément une diversité de formes esthétiques,
alternant entre univers visuels minimalistes et surchargés dans le but d’articuler le contenu de son travail avec le maximum d’exactitude. Il utilise des échelles
variables entre la taille d’une aquarelle et une grande installation de 300 m2 en trois dimensions. Par leurs différentes échelles, ses œuvres qu’il nomme parfois
« propositions » induisent un décalage entre le temps et la réalité quotidienne. En effet, dans le monde du réalisme métonymique, ces figures de rhétorique
renvoient à quelque chose d’antérieur et d’extérieur. Elles nous offrent une expérience perceptive, du corps par rapport à l’espace. Par exemple, dans Table
(2006) qui est une installation présentant une table dressée à échelle 1, le spectateur se retrouve plongé dans l’enfance par rapport à la taille des objets. La
miniature renvoie également à l’expérience de la durée, d’un temps compressé et suspendu.
Par leurs environnements sensitifs, les installations sculptées de Hans Op de Beeck s’inscrivent dans un art de l’installation qui depuis les années 90 utilisent
les apparats de l’illusion.
Pendant plusieurs années, il a été impliqué dans de nombreux projets et expositions collectives. Ses œuvres ont été intensément exposées en Europe et aux
Etats-Unis. En 2003, il a pris part au projet PS1 à New York et en 2004, il a participé au salon « Art Unlimited » à Bâle, où il a exposé un restaurant d’autoroute
grandeur nature. Plus récemment, son travail a été présenté au Kunstverein de Hanovre, au Shanghai Art Museum, au PSK de Bruxelles et au Drawing Center
de New York.
Du point de vue thématique, les œuvres de Hans Op de Beeck nous plongent dans nos rapports complexes et problématiques avec le temps, l’espace et les
relations humaines. Parmi ses récentes expositions on peut énumérer celles de la Biennale de Venise 2011 avec l’installation Location (7), du Hirshhorn
Museum (Washington, 2010-2011), de la Aichi Triennale (Aichi, 2010), de la Galleria Borghese (Rome, 2009), de la Biennale de Singapore (Singapore, 2008),
de la Biennale de Shanghai (Shanghai, 2006). Son exposition Sea of Tranquillity voyage partout en Europe (France, Belgique, Suisse, Espagne) jusqu’en 2012.
Il est aussi l’invité de Beaufort 04 et de Lille 3000. En 2012, le Kunstverein Hanover (D) présente la première grande rétrospective de son travail.
Le spectateur est placé entre fiction et réalité, dans un univers à la fois familier et étrange, dans le temps suspendu des inter-mondes, afin qu’il explore son
rapport à l’univers et à l’humanité. « C’est comme un autre monde près de nous, un résidu de réalité qui n’est pas de l’ordre de la fantaisie, un monde parallèle,
où la science fiction devient vite ridicule (… )», relate l’artiste à Christian et Sylvie Mayeur lors d’une visite à l’artiste dans son atelier de Bruxelles.
Au monde d’aujourd’hui globalisé se rétrécissant sémantiquement dans le rapprochement des distances, Hans Op de Beeck répond en inscrivant dans ses
œuvres la notion de mise à distance, d’éloignement. Il tend un miroir au regardeur, afin que celui-ci s’interroge sur ses propres conditionnements et qu’il invente
d’autres réalités.
122
En effet, Hans Op de Beeck nous conte un monde désincarné, généré par nos changements de mode d’existence imposés par la standardisation, les médias,
ou les automatismes technologiques. C’est un monde habité de personnages fantomatiques, errant dans l’ennui et l’absurdité de la vie, dans une atmosphère
empreinte de mélancolie. Dans ses œuvres, il est d’ailleurs plutôt question d’atmosphère que de contenu spécifique. Il en ressort une émotion profonde, qui
participe au sentiment, non pas à la sentimentalité. L’artiste rappelle que ses professeurs d’art abstrait rejetaient l’émotion et cherche une voie.
Dans ses vidéos, les images se répètent éternellement dans des passages en boucle induisant un monde répétitif aux gestes banaux, où toute tentative de
communication semble vaine et vouée à l’échec. Hans Op de Beeck nous conte un monde « sans expression », nous renvoyant au « silence ». Mais ce faisant,
il crée une puissante complicité avec le regardeur, dont l’imaginaire, appelé par les images, investit les scènes qui lui sont offertes.
Il est pour ainsi dire toujours question de lieux, ou plutôt de non lieux dans le travail de Hans Op de Beeck. L’absence de temporalité générée de fait par un
temps abstrait et suspendu, mais aussi le refus de toute contextualisation, génèrent dans la représentation des espaces, des non-lieux : endroits génériques
sans détails formels, ni narration potentielle afin que l’œil glisse, et s’émancipe vers l’imaginaire. Par exemple, ses maquettes représentent des types
architecturaux plutôt que des bâtiments avec leurs spécificités stylistiques. D’ailleurs, pour l’artiste, « l’ordinaire manque de spécificité. »
Les paysages de Hans Op de Beeck ne sont jamais situés géographiquement. Ils sont dans la distance par simple évocation. On y perçoit l’éloge de la fadeur,
parfois de la blancheur, de la disparition, comme dans l’installation Location (6). « Un paysage comme un stage design (conçu comme une scène), sans
exotisme, sans « patronizing » (sans condescendance), et sans romantisme. » Ses maquettes de paysages de différentes échelles sont pratiquement toujours
désertiques. De ce fait les villes sans habitants, avec leurs autoroutes sans trafic, leurs supermarchés sans clients, leurs stades sans supporters perdent leur
spécificité et leur fonctionnalité, et deviennent de ce fait, étranges et problématiques. Elles ont l’empreinte du silence comme dans les œuvres de Morandi, et
se réfèrent à Dogville du cinéaste Lars Von Trier.
Les ensembles sculpturaux ou architecturaux sont des mises en scène de restes visuels, de traces de situations rêvées ou vécues. Ce sont des espaces
soignés d’architectures contemporaines non pas futuristes, aux dires de l’artiste. Ils sont des témoins silencieux de la dimension tragique et désabusée du
monde où « les montagnes n’ont rien à faire, de notre ridicule mise en scène » relate t-il, au sujet de son installation « Celebration », dans le désert d’Arizona,
dont il a tiré une vidéo.
La maison est utilisée dans l’œuvre de Hans Op de Beeck dans sa forme archétypale. Pour l’artiste, nous construisons toujours un cocon, notre propre monde
pour nous sentir en sécurité. Dans l’installation House of the sea de 2010, la maquette de la maison s’inspire de certains archétypes de maisons familiales
transités par les films tels Psychose d’Hitchcock ou The sacrifice de Tarkovsky. L’artiste la représente avec un mélange de styles conventionnels de l’Europe
de l’Ouest des années 20. Elle transpose l’histoire de plusieurs générations, leurs joies mais aussi leurs tragédies.
De nombreuses œuvres de l’artiste s’intitulent Location, mot qui traduit de l’anglais signifie lieu, emplacement, site, place, endroit. En l’occurrence, dans sa
définition en Français « lieu occupé par quelque chose ». Les Locations sont un groupe de pièces dans lesquelles Hans Op de Beeck construit de larges scènes
au sein de monumentales installations sculptées qui nous renvoient à l’idée, à l’image de paysages. On peut citer Carrefour, Restaurant d’autoroute,
Lotissement.
Location (6) est une installation spectaculaire où le spectateur fait une expérience d’immersion dans un espace fictif comprenant différents bâtiments. Avant de
pénétrer au sein de Location (6), le regardeur est face à une élévation, puis à l’intérieur, à un espace construit techniquement comme une scène, présentant
une structure apparente composée de panneaux en bois. Il passe par un long couloir obscur pour enfin trouver en son centre une lumière blanche de ce qui
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est une chambre d’observation, ou pourrait être une chapelle. Dans la chambre se trouve une fenêtre qui ouvre sur un panorama de 360°, proposant un monde
blanc infini composé de neige artificielle et, ponctué d’arbres effeuillés. C’est un espace idéal où le blanc, métaphore de l’absence domine, afin d’accueillir toute
expérience individuelle, solitaire et contemplative, en réfraction à l’expérience collective que nous impose notre système. « Les gens restent plus longtemps,
peuvent s'asseoir, prendre du temps, respirer, ressentir leurs émotions, » relate le plasticien. Effectivement, le collectif pour l’artiste peut élever mais aussi
détruire, « regardez les stades de foot ou le carnaval », s’exclame-t-il devant Christian & Sylvie lors de leur visite à l’atelier de l’artiste à Bruxelles.
Dans Location (6) comme dans de nombreuses œuvres du plasticien, le rapport intérieur-extérieur est récurrent avec « un extérieur observé de l’intérieur ».
Pour l’artiste, nous sommes toujours entre le fermé et l’ouvert dans un monde humanisé et dompté.
Pour Hans Op de Beeck, les seuls endroits qui ne sont pas complètement explorés sont les deux pôles. Certains paysages recréés par l’artiste ont cette
empreinte froide, aseptisée presque chirurgicale que l’on retrouve dans des endroits comme les cliniques et les hôpitaux. Ce sont des endroits avec « des
décors moches » où il se passe beaucoup de choses importantes de la vie, comme la souffrance et la mort, et qui restent tabous. L’hôpital incarne pour l’artiste
la métaphore de la vie. Dans le film The building, l’artiste construit son propre hôpital. « L’absurdité tragique de la vie avec la mort est différente du dramatique,
cependant je ne suis pas pessimiste », ajoute-t-il.
Cette question d’un « lieu occupé par quelque chose » traverse des sculptures telles des natures mortes comme Vanitas, qui se compose d’objets du quotidien
posés sur une table à côté du fameux crâne identificateur. On retrouve également cette notion de l’espace comme emplacement dans Shelves, ou bien dans
Street Dog où un chien est allongé sur un coin de marches.
« Je m'intéresse plus à la manière qu'au contenu en équilibrant dans les choses la forme et le contenu. » Hans Op de Beeck entretient un rapport à la mimésis,
questionnant les écarts entre la réalité et la représentation. En effet, la mimésis, terme grec signifiant « imitation » relève de conventions et de modèles auxquels
on nous fait croire. L’artiste réalise de sobres simulacres, c’est-à-dire des objets se donnant à voir comme réalité, mais qui ne sont pas des artifices trompeurs,
des leurres. « Je crois en l’authenticité du fake, je ne cache pas l’utilisation de l'artifice qui nous invite plus facilement à croire.» Pour l’artiste tout est kitsch et
fake dans le monde d’aujourd’hui. « Tout est faux et ça marche. Pas possible d'avoir plus d'illusion» dit-il à Sylvie et Christian Mayeur. « Ce que les archéologues
trouvent magique, ce ne sont finalement que des objets du quotidien, un quotidien ancien certes, mais c’est l'histoire qui crée l'illusion et le fétichisme, et cela
fonctionne même pour un scientifique. » C’est la mise à distance qui crée le simulacre pour Hans Op de Beeck. « Je crois plus aux métaphores qu’aux symboles
vides, car les métaphores (les analogies) portent une autre dimension, une énormité fictionnelle en résonance avec le réel, avec l’autre monde. »
L’artiste reprend dans son travail certains des éléments fondamentaux de l’histoire de l’illusion qui traversent la Renaissance de Rome à Florence, le Baroque,
puis le XIXème siècle et que l’on retrouve aujourd’hui dans les jeux vidéos.
Hans Op de Beeck utilise par exemple dans Location (6) cette machine à illusions qu’est le panorama. Au 19ème siècle, le panorama étend l’idée de loisirs,
exprimant la promesse de lieux exotiques sans déplacement du regardeur. Il est chez l’artiste une métaphore des voyages immobiles, sources de contemplation
et d’introspection, d’un temps compressé, puisque l’expérience du regardeur est de courte durée, variant de quelques minutes à quelques heures. En
l’occurrence, le panorama est une métaphore du temps comprimé dans un monde artificiel.
Dans une dimension descriptive et sculpturale de la réalité, les trompe-l’œil d’Hans Op de Beeck nous renvoient à un manque, nous plongent par la séduction
et le vertige dans un monde où l’artifice se meut en mode d’obscurcissement, et nous immergent dans une forme d’inconscience.
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La maquette et la miniature chez Hans Op de Beeck sont des figures du simulacre, de simples référents d’images et non pas des ersatz de la réalité. C’est
aussi une façon aussi de transformer la nature en sublime.
C’est par Sea of Tranquillity, présentée au centre d’art Le Grand Café, centre d’art contemporain de Saint-Nazaire en 2010 que Christian Mayeur a rencontré
l’œuvre de Hans Op de Beeck. Cette œuvre nous questionne sur les industries de loisirs et nous entretient plus particulièrement sur les croisières avec leurs
immenses paquebots, expériences de ce que l’on peut présenter comme des « non événements », témoins de la vacuité du monde postmoderne.
Traduit littéralement en néerlandais, le titre de cette installation, « Sea of Tranquillity », devient « Zee van Rust », une expression courante qui décrit l’expérience
d’un moment suspendu, hors du temps, dans la paix et le silence d’un océan de calme. Ce titre est empreint d’une part d’ironie, si l’on se réfère à ce qu’offre
une croisière, activité nivelée par l’industrie des loisirs. Face à la gravité ou, dirait Christian Mayeur, à la tragédie du monde, les œuvres de l’artiste ne sont
jamais sombres, mais en flottaison entre la tristesse et l’ironie, afin que le regardeur accepte sa condition. « L’image a un langage, et un contenant expressif.
Les images tristes, réconfortent, consolent car elles nous donnent le sentiment que nous ne sommes pas seuls face aux difficultés de la vie », explique l’artiste.
Sea of Tranquility se compose d’une immense sculpture représentant un vaisseau fictif, qui semble flotter et fendre la nuit, étrange et menaçant. Diverses
sculptures (personnages et paysages) accompagnent ce bateau fantôme, ainsi qu’un court-métrage mêlant acteurs réels et environnement 3D. Le récit s’installe
par une série de magnifiques dessins panoramiques en noir et blanc. Pour accentuer l’étrangeté de ses sculptures fictives, l’artiste s’entoure d’experts. Par
exemple, pour Sea of Tranquillity, il fait appel à un ingénieur maritime pour vérifier que le navire qu’il a imaginé pourrait réellement prendre la mer.
« Sleeping child », œuvre de la collection Christian Mayeur, est un dessin au lavis représentant au premier plan un petit enfant dormant sur le côté. L’arrièreplan est sombre et bouillonnant, comme une métaphore du « feuilleté d’un monde tragique » selon l’expression de Christian Mayeur. Goya s’invite, en filigrane
du dessin.
Il y a eu une interaction entre l’achat de ces deux dessins et un événement privé dans la vie du collectionneur, qui est la naissance rapprochée de ses deux
petites filles.
« Je trouve beaucoup de consolation dans un enfant qui dort, ce n'est pas spectaculaire, c'est fragile », confie l’artiste. Pour lui, « les petites choses, les presque
rien discrets, comme par exemple un bonjour peuvent porter le monde entier », ce qui est apparu par ailleurs à Christian Mayeur, né à quelques kilomètres de
Quiévrain, comme l’expression d’une sensibilité très belge. Ce qui est petit est pour l’artiste de l’ordre du subtil, du fragile. Hans Op de Beeck aime les choses
simples comme « les chansons très clichés sur un adieu de l’amour », car elles sont les incarnations de la vie et portent toute la tragédie du monde, thème de
rencontre de l’artiste et du collectionneur. D’ailleurs, pour Op de Beeck, on ne trouvera la paix qu’en acceptant cette tragédie.
Le portrait de l’enfant est un sujet que l’artiste a utilisé en 2003 dans une série de portraits photographiques dans une école multiculturelle de L’East Village à
New York. Cette série s’intitule Determination (New York Kids). Les enfants ont les yeux fermés devant imaginer être une personne différente à une place
différente. Ses portraits aux expressions calmes nous rappellent paradoxalement des masques mortuaires.
« Clouds » est un autre dessin original d’encre et d’aquarelle de l’artiste, faisant partie de la collection de Christian Mayeur. Il obéit comme le précédent à une
composition verticale. Notons que l’artiste dessine beaucoup, surtout la nuit.
« Clouds » représente un ciel nuageux. Les nuages sont des figures de la mélancolie du Spleen baudelairien. Ils introduisent Les petits poèmes en prose (le
spleen de Paris) : « J’aime les nuages…les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages ! » Ils induisent la fugacité du temps qui passe et le
désœuvrement de l’homme moderne chez le poète, mais aussi chez le plasticien, pour qui seul l’éphémère est hyperréaliste. Ils sont aussi une métaphore des
espaces ouverts, et de l’infini.
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Cette figure rhétorique du nuage se retrouve dans Staged Memory une installation de 2000 présentant une cours d’école élémentaire catholique déserte sur
laquelle est placée une sculpture religieuse de 1,20 x 1,22 x 1,22 m et une vidéo avec un écran 3 x 4m présentant des images en boucle d’un ciel couvert de
nuages. Staged Memory est un espace de mémoire autobiographique pour l’artiste.
Ces deux dessins de la collection peuvent s’interpréter en diptyque, nous présentant le cocon de l’enfance, fermé et rassurant face à l’infini et au feuilleté du
monde.
Sources :
http://www.hansopdebeeck.com
http://www.youtube.com/watch?v=o-pFw-IpE7M
http://www.youtube.com/watch?v=zxplzeHnTtw
Courtesy : Hans Op de Beeck, Bruxelles, et Galerie Ron Mandos, Amsterdam
Helena Faneca et Christian Mayeur
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ORLAN
Défiguration-refiguration. Self-hybridation précolombienne n°4
1999
Cibachrome collé sur aluminium, cadre, 100 x 150 cm
Collection Entrepart
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ORLAN est née en 1947 à Saint-Etienne « d’un père anti-curé, anarchiste, libertaire, résistant (dans l’électricité », qui fait du tandem avec sa mère, tandis que
derrière, çà pédale, tous deux nudistes et naturistes »23, elle vit et travaille à Paris depuis 1963, dans son espace de vie qui est son atelier.
Après des débuts marqués par la peinture, la poésie est le théâtre, ORLAN va engager tout son corps dans son art, jusqu’à devenir une des artistes les plus
extrêmes, les plus engagées et les plus captivantes de l’art contemporain depuis 1977, où elle vit sa grande révélation : Elle impose « Le baiser de l’artiste » à
la FIAC au Grand Palais à Paris. Assise derrière une photo grandeur nature de son buste nu, et à côté de son effigie en madone à qui on peut offrir un cierge,
ORLAN vend ses « baisers d’artiste » en échange de cinq francs.
Auteure d’’un « manifeste de l’art charnel », ORLAN s’interroge sur « le statut du corps dans la société et toutes les pressions sociales, politiques, religieuses
qui s’imprègnent dans les chairs » à travers sa présentation et sa représentation.
A travers les supports comme la photographie, la vidéo, le film, la performance, ORLAN puise dans les sciences, la chirurgie, les techniques de pointe, les
biotechnologies.
Contexte de l’œuvre de la collection Entrepart :
« Défiguration-refiguration. Self- hybridation précolombienne n°4 » est un portrait inscrit sous la dialectique défiguration-refiguration. Il s’insère dans
une série de photographies où l’autoportrait se manifeste comme le « Je est un autre » (titre d’une œuvre d’ORLAN de 1993).
Ce portrait fait partie d’une série de portraits hybrides. Les traits d’ORLAN transformés par la chirurgie esthétique se combinent aux caractéristiques d’objets
d’art provenant de civilisations précolombiennes et, sur d’autres, de portraits à des masques africains. ORLAN voyage et connaît le Mexique et certaines
contrées africaines. Elle étudie l’histoire et l’ethnologie de ces territoires, se penche sur leurs canons de beauté, leurs costumes, leurs rituels, et plus
particulièrement ceux qui sont liés à la mort.
L’hybridation se joue « sans discriminations » entre des cultures issues de territoires distincts, d’époques éloignées, de médiums différents (sculpture, masques
et photographies), du vivant (de sa peau et de ses cicatrices) et de l’inanimé. Ici le buste démembré évoque celui la statuaire, et la facture des ombres portées
n’est pas sans évoquer la terre glaise que l’on modèle.
Par le rouge-sang et la couleur mimétique de la chair, ce portrait est l’un des plus révulsifs de la série précolombienne. ORLAN s’exprime d’ailleurs dans ses
propres textes ou ses citations : « Disque dur, Réinitialiser : obsidienne mal taillée, extirpe le cœur : scalpel, donne la couleur. Les doigts se peindront euxmêmes sans douleur, Dr Norton »
Les traits d’ORLAN sont reconnaissables comme sur toute la série. On remarque ici ses yeux, ses lèvres mais aussi ses implants sur les tempes. La tête
contraste avec le fond comme dans toute la série précolombienne, alors que dans la série africaine, le noir et blanc rappelle les photographies des missions
ethnologiques.
Le crâne est déformé. L’œil gauche posé sur un nez démesuré, fait d’un portrait de profil et d’un portrait de ¾. On retrouve ici la difformité du grotesque qu’aime
ORLAN, animée d’une pointe d’humour.
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Cette Self-hybridation rencontre un thème cher à Entrepart. Celui de l’empathie, de la capacité à entrer en relation avec l’Autre, à se mêler à l’Autre, qu’il
s’agisse d’un autre issu de la même culture, d’une autre culture ou d’un autre temps. L’art est amitié, a écrit Maurice Blanchot.
ORLAN tisse un lien avec les archétypes féminins d’autres civilisations et, à l’heure de la biogénétique, nous questionne. Quel devenir pour ce qu’il est encore
convenu d’appeler l’être humain ? Quelle voie d’émancipation avec le règne du post-humain ? Quelle liberté de la femme par rapport aux regards archaïques ?
Quelles possibilités offertes par les nouvelles possibilités techniques et les nouvelles règles sociales, entre progrès et régression ? Christian et Sylvie Mayeur
ont choisi ce portrait de la série, parce que justement, il est interrogatif, à la différence des autres, où ORLAN a choisi une posture hiératique.
La résonance avec les travaux de Peter Sloterdijk sur la domestication de l’être humain est également évidente aux yeux des collectionneurs, même si ORLAN
ne fait pas de ce philosophe une référence explicite.
Les travaux de Christine Buci-Glucksmann, critique qui a su le plus intelligemment présenter la démarche d’ORLAN, et dont Entrepart a fait de l’ouvrage
« L’esthétique du temps au Japon » une référence de son approche des normes, ont également éclairé le choix de Christian & Sylvie Mayeur, qui par ailleurs
ont noué des liens d’amitié avec l’artiste et ont souhaité lui apporter par cette acquisition un modeste soutien, dans une période où elle accédait à un nouveau
stade de sa reconnaissance, avec tout l’investissement que cela supposait.
A noter que la Self-hybridation pré-colombienne n°4 fait partie d’une série de 10 multiples, dont l’un est entré dans les collections du Fonds National d’Art
Contemporain.
Sources :
http://www.orlan.eu
Courtesy : Orlan, Paris, et Galerie Michel Rein, Paris et Bruxelles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Raymond Pettibon
One more line.
2005
Gravure, édition 15 / 35, signée à droite
40 x 49,5 cm
Collection Christian Mayeur.
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Raymond Pettibon naît en 1957. Il incarne la contreculture punk - rock californienne de la fin des années 70 et 80.
Quatrième des cinq enfants de R.C.K. Ginn, un professeur d'anglais qui a publié plusieurs romans d'espionnage, Pettibon a grandi à Hermosa Beach, au sud
de Los Angeles, en Californie. Il a été élevé dans la religion « Christian Scientist ».
Titulaire d’un diplôme en économie d’UCLA en 1977, il a travaillé comme professeur de mathématiques du secondaire, dans le système public de Los Angeles
pour une courte période.
En 1977, son frère, le guitariste / compositeur Greg Ginn, fonde l'influent groupe de punk rock Black Flag. Initialement, Pettibon fut un bassiste dans le groupe
quand il était connu sous le nom de « Panic ». Quand le groupe a découvert qu'un autre groupe appelé Panic existait, Pettibon a suggéré le nom de Black Flag
et conçu leur logo distinctif à "quatre barres". Vers la même époque, Pettibon a adopté son nouveau nom de famille, du surnom de « bon petit », qui lui avait
été donné par son père. L'œuvre de Pettibon est apparue sur des dépliants, des pochettes de disque et des cadeaux (T-shirts, autocollants et planches à
roulettes) pour Black Flag jusqu'au début des années 1980. Il est ainsi devenu très connu dans le punk rock de la scène de Los Angeles.
Avec des artistes comme Mike Kelley et Paul Mac Carthy, Raymond Pettibon forme le « bad boy trifecta » pour reprendre l’expression de Cary Levine dans
son livre « Pay for Your Pleasures ». On retrouve chez ces artistes le même langage décalé, testant les limites de l’art et poussant le spectateur dans ses
retranchements. Ils remettent en cause la culture Hippy et Baba Cool ainsi que le reaganisme ambiant. Leur esthétique associe tradition, modernité et mauvais
goût. Peu importent les valeurs culturelles.
Avec ses dessins, Raymond Pettibon nous convie dans l’Amérique de la déglingue, traversée par le mythe et l’énergie du rock. Iconoclaste, il la revisite à
travers le graphisme de la B.D. américaine des années 40 / 50.
Le dessin est pour Raymond Pettibon un médium prolixe qui s’insère sur des supports divers et variés comme les pochettes de disques, les fanzines
underground, les posters, les t-shirts, les autocollants, les flyers, et aussi les planches de skateboard. Il réalise d’ailleurs des pochettes d’albums pour les
groupes Black Flag, Minutemen, ou bien encore Sonic Youth. Il commence par travailler avec son frère Greg Ginn, le fondateur de SST Records, à l’origine du
groupe punk Black Flag, dont Pettibon crée le logo.
Dans son œuvre graphique, Raymond Pettibon mêle des personnages de films noirs ou de série B et des serials killers, aux univers du rock, de la politique, de
la religion, au sexe et aussi à de simples faits divers.
« One more line » se rapproche par son titre d’un autre dessin « One line is enough », sur lequel il est aussi écrit : « Drawn a straight line through it ». Sur
cet autre dessin sont représentés un fil et une main tenant une aiguille.
Sur le bas du dessin de la collection présentée à La Coursive, un oiseau devant son nid tient des brindilles - ou quelques traits ? - dans son bec. La synergie
entre le texte et l’image condense la narration et lui donne un côté décalé.
Le style de Raymond Pettibon est ironique, parfois rude, violent ou encore macabre. Il revendique un côté gauche et un manque de subtilité tout à fait assumé.
Derrière cette apparence se profilent pourtant immanquablement un profond amour de la vie et une grande poésie.
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Cette tension entre tragédie et fragilité, présentée ici dans une hiérarchie inverse par rapport aux dessins de Hans Op de Beeck (chez Op de Beeck, la
fragilité est plutôt au premier plan de la sensation, comme dans « Child Sleeping, autre œuvre de la collection) est un caractère de cette gravure qui a séduit
Christian Mayeur, en complément de son intérêt pour l’engagement de l’artiste et sa culture rock.
Raymond Pettibon est aussi compositeur et musicien. Il s’est intéressé au film et à la vidéo, sous forme de collaborations, notamment avec Mike Kelley,
assumant par exemple dans Sir Drone en 1989 un certain « amateurisme » dans le rendu du film.
Sources :
http://www.2ndthought.net/raymondpettibon/gallery.htm#
Courtesy : Raymond Pettibon, Los Angeles, ArtFlash Editionen, Berlin, et Regen Projects Gallery, Los Angeles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Jérôme Poret
« Stage Divine / Stage diving »
2013
Coffret 3 / 9, contenant 25 sérigraphies coproduites avec Le Néant Editeur et l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Angers,
En partenariat avec Nicolas Ledoux
Collection Christian Mayeur
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Jérôme Poret est né en 1969 en France. Titulaire d’un DNSEP obtenu à Bourges en 2002 après un CFEM d’électroacoustique, toujours à Bourges, en 1994.
Il vit et travaille entre Berlin et Bourges.
Alliant une formation plastique et une culture musicale, Jérôme Poret place le son au cœur de sa démarche d’artiste plasticien qu’il conjugue avec une intense
activité musicale. En 2012, il réalise par exemple avec Nicolas Moulin le LP Weather Dust storm Center label Grautag. Il déploie son expérience sonore et les
codes des différents univers musicaux - Rock and Roll, Metal, ou musique industrielle - dans une pratique hybridant plusieurs médiums. Il restitue des énergies,
des vibrations sonores à travers des médiums comme le walldrawing, le dessin, l’écriture, les fanzines, la sérigraphie, la sculpture, divers objets, les projections,
l’installation, ou encore la performance. Artiste prolifique, Jérôme Poret est aussi auteur de nombreux articles.
Dans le walldrawing en vinyle noir Sound going to sit in the shade / Sonicdrawing, (2010), réalisé à partir de dessins vectorisés, la surface du dessin semble
vibrer visuellement, symbolisant de ce fait la vibration sonore. Jérôme Poret y utilise les codes de représentation du manga japonais, en l’occurrence le
« speedline », qui est une forme graphique traitant de la vitesse et de la tension.
Des conférences, des articles et des catalogues, des éditions sonores, comme Labelle69-éditions d’artistes dont il est le fondateur, ainsi que le Transpalette à
Bourges, dont il fut le responsable jusqu’en 2007, mais aussi la radiophonie complètent le champ d’activités protéiformes de ce plasticien prolixe.
Sa démarche lie l’espace, que ce soit l’architecture du lieu d’exposition, et la matière sonore dans une condensation, à la fois cognitive et sensuelle, comme
dans Isolation (2006), installation présentant un système d’amplification Nexo, dans un espace où de la moquette noire est posée, où le plafond est sonorisé,
et où un son de 40 mn tourne en boucle. En effet, Jérôme Poret aime explorer les notions de spatialisation, d’échelle, de rythmes, et de densité.
Jérôme Poret « appréhende l’architecture comme une structure amplificatrice et émettrice d’un environnement social et artistique donné », créant des
atmosphères in situ dans les lieux d’exposition.
Dans Ténébr(O), exposition de l’artiste de 2011, une atmosphère tragique est plantée par un décor qui se décline entre le profane et le sacré à l’aide de
rideaux, bougies, lumières et musiques. La mise en scène est dépouillée. Elle « réorchestre une dramaturgie à la mesure de l’espace local, géographique et
culturel » qu’est l’espace d’exposition du complexe culturel de la ville Vélizy-Villacoublay. En effet, les cercles concentriques caractérisant le bâtiment, la ville,
et leur histoire semblent se déplacer et intégrer l’espace de monstration dans une interprétation ténébriste.
Jérome Poret hybride les références artistiques, les codes de l’histoire de l’art, et la culture populaire, qu’incarnent ces nouvelles tribus du rock ou du post-rock
avec leurs rituels et leurs modes. Il interroge leur légitimité respective, leur rapport d’équivalences en jouxtant des événements historiquement éloignés de
l’ordre du manifeste, afin de questionner nos mécanismes de perceptions et d’interprétations dans une réalité fictionnelle. Dans un poster de l’artiste, ce qui est
aujourd’hui dénommé comme tract est posé au centre. Il y est écrit ART CONCRET, groupe et revue fondés en 1930 à Paris. Le tract est superposé sur une
ronde de mains aux croix tatouées, signes communs d’un groupuscule d’individus manifestant leurs croyances musicales et esthétiques.
Dans les projets du plasticien, la notion de fabrication et d’économie est corrélative à une dynamique du Doityourself, dit DIY, toujours en cohérence avec le
contexte et le lieu d’exposition. Depuis plusieurs années, le plasticien travaille en collaboration et par affinités, avec d’autres artistes (graphistes, musiciens,
différents éditeurs) pour la réalisation et la présentation de son travail dans une mutualisation de techniques et savoirs, en complémentarité de sa pratique
artistique.
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Stage Divine, de la collection Christian Mayeur, fait partie d’une série de 7 boites numérotées, réalisées en partenariat avec le graphiste Nicolas Ledoux.
Pour Jérôme Poret, cette œuvre s’associe à FlashForward. En effet, ces «deux projets proposent ensemble une lecture qui oppose l’horizontalité des corps
figés dans un saut sérigraphié à celui de l’évanescence des portraits filmés ». En effet, FlashForward présente une série de portraits contrastés en noir et blanc
accompagnée d’un son de basse grinçant et improvisé. Les différents acteurs des portraits filmés cachent leur visage, comme s’il fallait protéger leur identité
des paparazzis.
Ce sont des images glanées sur le Web obéissant toutes au même mot clé de recherche, qui est « stage diving ». Le stage diving appartient au vocabulaire du
Rock. C’est littéralement une plongée de la scène, en l’occurrence l'acte de plonger dans la foule depuis la scène d'un concert. Le premier stage diving connu
a été inauguré lors d'un concert des Rolling Stones en 1964 en Hollande, ce qui déclencha une émeute dans le public. Jim Morrison, Iggy Pop et Peter Gabriel
en furent les pionniers. Le Hardcore américain popularisa cette pratique au début des années 80.
Au fur et à mesure des décennies, cette forme sortit du domaine musical pour investir d’autres lieux de la manifestation.
C’est une pratique dangereuse qui peut causer la mort – c’est le cas d’une sérigraphie représentant une jeune fille morte allongée au sol, la seule image doublée
de la série, en deux couleurs, l’une noire, l’autre rouge – ou bien engendrer de nombreuses blessures, puisque le plongeur, s’il n’est pas rattrapé par la foule,
peut tomber sur le sol, avec parfois, la tête la première. Le plongeur peut également blesser le public qui le reçoit ou bien être piétiné par la foule dansante.
Dans cette œuvre, la gestuelle du stage diving est sublimée par des contrastes de noirs et blancs et de gris. Partenaire de Jérôme Poret, P. Nicolas Ledoux
joue sur des trames variées créant des clairs obscurs comme il peut le faire dans son propre travail. P. Nicolas Ledoux est un artiste pratiquant le dessin,
l’installation, le collage, et différentes techniques d’impressions. Il est membre du label Optical Sound et du collectif UltralabTM, il s’intéresse également à
l’écriture et à la réécriture des histoires de l’art, manipulant des images et s’interrogeant sur la notion de « valeur artistique ».
Dans Stage Diving, les corps représentés semblent dans des « états de fixation », « en apesanteur du temps et de l’espace ».
On peut citer un très bel article de Alexandre Castant dans le numéro 27 de la revue Particules à propos de l’énergie que dégage cette série de sérigraphies «
Cela restera l’un des mystères du XXème siècle, entre anamnèse et transe épileptique, sensualité hédoniste et invention anarchique, lyrisme viscéral et
dépassement matérialiste, élixir de jouvence et jeunesse mortifère, l’incandescence du rock et plus encore de sa variante post-rock est irradiante (…). »
Sources :
http://labellerevue.org/pdf-d27artistes/jerome-poret.pdf
http://www.pnicolasledoux.fr/
Courtesy: Jérôme Poret, Paris, et Galerie Olivier Robert, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Julien Prévieux
« Today is great 3 »
2014
Encre de Chine sur papier
Collection Christian Mayeur
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Julien Prévieux est un artiste parisien né en 1974 à Grenoble.
Il y a bien longtempsque Christian Mayeur et Julien se connaissent et se croisent. Comment effectivement aurait-il été possible que l’ancien étudiant d’HEC,
ayant « bien » tourné en artiste bien placé pour le délit d’initié, plein d’ironie, d’humour et d’amour, n’ait pas croisé le chemin de l’explorateur, défricheur
cultivateur des territoires émergents de l’entreprise artistique ? Come tant de connaisseurs de ce qu’il appelle les « entreprises grises », Christian a ri à gorge
déployée en lisant els fameuses « lettres de non-motivation » de Julien Prévieux.
Lors du Prix Marcel Duchamp 2014, Christian & Sylvie Mayeur avaient partagé la joie de Julien et de son émérite galeriste Philippe Jousse. Car l’œuvre What
Shall We Do Next?, composée d’un film et d’une performance, était vraiment exceptionnelle. Réalisé à Los Angeles et reproduit à Paris, son troisième
module est constitué des tout derniers « gestes du futur », prélevés par Julien Prévieux sur le site de l’agence américaine de la propriété industrielle, amis
aussi « dérobés » à l’insu de Google. Ce sont des gestes brevetés par des sociétés, principalement dans le domaine des nouvelles technologies.
Les gestes de Google ? En ballade à Los Angeles, Julien Prévieux se rend sur le site de l’implantation récente de la firme à Venice Beach, dans un bâtiment
mythique de Franz Gehry (là où l’architecte s’était lui-même installé, édifiant un édifiant immeuble en forme de « paire de jumelles de vue »). Scrutant le
bâtiment en entrepreneur (celui qui, littéralement « prend entre les choses »), Julien aperçoit des dessins sur les whiteboards d’une salle de réunion de la
firme. Il zoome et découvre des algorithmes prédictifs des gestes du futur. Il les capture soigneusement puis les redessine à l’encre de Chine, pour le travail
préparatoire au 3ème module de What Shall We Do Next?
Voici « Google googlisé », le grand prédateur d’images se fait prendre ses images ! Tout comme un certain Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur,
s’était fait prendre à son insu les empreintes digitales par le même Julien Prévieux.
En visite à Art Brussels avec Sylvie Mayeur et ses amis collectionneurs belges Laurette Favaro et Philippe Bossard, Christian découvre une série des dessins
algorithmiques, dont « Today is great 3 », en forme de… spirale. Les initiés auront compris ! Il y a trop de signe sconvergents pour que Christian se prive
d’acquérir, enfin, une pièce de Julien Prévieux.
Courtesy: Julien Prévieux, Paris, et Galerie Jousse Entreprise, Paris
Christian Mayeur
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Asher Price
« Olmec Funeral Mask »
2015
Impression jet d’encre qualité « Archive », avec cadre de résine réalisé à la main
Collection Christian Mayeur
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Asher Price est né 31 décembre 1988 à Los Angeles. Titulaire d’un BFA de CALARTS obtenu en 2012, il vit et travaille à Los Angeles, Californie.
Ses pratiques s’étendent de la sculpture à la vidéo en passant par des pratiques d’ « art social ».
Asher Price travaille souvent au sein d’un collectif. Il a créé récemment un « faux » collectif de designers nommé « Not Even Design », une étrange entreprise
de mobilier conceptualisée comme une manière de flouter les frontières entre l’art et la fonction.
Site : www.asherprice.us
Courtesy: Asher Price, Los Angeles, et Phil Gallery, Los Angeles
Christian Mayeur
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Samir Ramdani
Black Diamond
2014
Film HD, 40′
Collection Christian Mayeur
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Samir Ramdani est vidéaste, né en 1979, et vit à Paris.
Il a étudié à l’école des Beaux-Arts de Toulouse, et au Bauhaus-Universität de Weimar et a effectué des résidences au Palais de Tokyo et à Triangle, à
Marseille.
Ses films ont été vus au FID (Marseille), au Festival International du Film de La Roche-sur-Yon, au Festival de Cinéma de Clermont-Ferrand…
« Dans mes derniers projets, il s’est agi de faire se croiser, par différents biais, le monde des arts plastiques et celui du cinéma, ce qui induit une multitude de
pistes de recherche passionnantes, parmi lesquelles : Peut-on considérer la narration comme un espace potentiellement praticable par les artistes ? Une
sorte d’espace fictionnel aussi valide que les espaces traditionnels d’exposition type galerie ou musée?
Ce qui m’intéresse dans cet espace fictionnel est que sa finalité soit une projection sur un écran deux dimensions. C’est un changement d’état, comme si la
sculpture pouvait exister autrement que physiquement, comme si les architectures revenaient à l’état de formes abstraites. Black Diamond est mon premier
film qui va dans ce sens de recherche, et augure une série de films qui approfondiront ces questions… »
Black Diamond est l’histoire de Kevin, un jeune garçon de South Central, quartier populaire de Los Angeles. Kevin a deux problèmes : d’une part il est touché
par une passion pour l’art, et, de l’autre, il a un rappeur dans la tête. Un jour Kevin croise un artiste contemporain dans son quartier. La quête va
commencer… Mais le film est loin de se résumer à une narration. Images, mouvements, musique forment une trame visuelle et sonore d’une qualité artistique
qui nous a époustouflés lorsque Christian Mayeur a découvert le film à la galerie des Filles du Calvaire.
Ce film a été réalisé dans le cadre d’une résidence Hors les Murs de l’Institut Français. L’édition présente dans la collection de Christian Mayeur a été acquise
auprès des Editions RedShoes.
Christian & Sylvie Mayeur avaient rencontré Samir Ramdani par le biais d’une amie, Isabelle Le Normand, à Los Angeles, alors qu’il était en plein tournage.
Il était accompagné d’Eva Barto, jeune artiste alors étudiante, qui l’assistait mais qui est également créditée au générique en tant que coscénariste. Depuis,
Eva Barto nous a rejoints à plusieurs titres. Elle fait partie de l’équipe Entrepart et intervient régulièrement dans nos actions de design relationnel. Et une de
ses sculptures discrètes, « Eat/Stand » (2014), a rejoint la collection Entrepart à La Coursive.
Outre l’intention du film énoncée par Samir Ramdani, Christian Mayeur a été particulièrement sensible à la mise en valeur de sa ville préférée (Los Angeles)
et notamment à l’architecture vernaculaire de cette mégalopole totalement multicentrée, largement vide et définitivement postmoderne.
Courtesy: Samir Ramdani, Paris, et red shoes / SOME SHOES Productions, Paris
Christian Mayeur
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Robert Smithson
Mirror displacement, Sanible Island, Floride
1969
Photographie noir et blanc, 18,2 x 18,2 cm
Collection Entrepart
Torn Photograph from the Second Stop (Rubble), Second Mountain
of 6 Stops on a section
1970
Impression lithophotographique en couleur, 54,6 x 54,6 cm.
Collection Entrepart
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Robert Smithson nait en 1938 à Passaic, dans le New Jersey, et meurt en 1973 d’un accident d’avion, près d’Amarillo dans le Texas, lors d’une séance de
prise de vues du chantier d’ « Amarillo Ramp », en cours de réalisation. Cette œuvre sera terminée à titre posthume par sa femme l’artiste Nancy Holt et le
sculpteur Richard Serra. Amarillo Ramp reprend le schéma d’une œuvre d’Albrecht Dürer représentant un serpent en boucle, symbole de l’univers.
Il a étudié la peinture et le dessin dans la ville de New York. Après avoir obtenu son diplôme de l'Art Student's League en 1956, il s'inscrit à la Brooklyn Museum
School. D'abord orienté vers la peinture abstraite, le collage et notamment l’expressionnisme abstrait, Robert Smithson se tourne vers l’Art Minimal - il côtoie
durant un moment Sol Lewitt et d’autres artistes minimalistes -, qu’il délaissera pour se consacrer, dès 1962, à la sculpture. Celle-ci adopte rapidement des
formes géométriques simples, en partie influencées par la cristallographie.
Robert Smithson se hisse rapidement au-delà du mouvement minimaliste, pour s’attaquer à d’autres dimensions : l’espace et le temps. Donald Judd saisit très
vite cette évolution et pressent un génie en devenir. Aux critiques qui comparent les premiers alignements de sculptures faussement cubiques de Robert
Smithson à ses « progressions », il répond par un cinglant : « Robert Smithson is not my spokesman / Robert Smithson n’est pas mon porte-parole ». La relation
entre les deux artistes deviendra rapidement très tendue, Robert Smithson ne laissant aucun doute dans ses derniers écrits sur son opposition radicale aux
partis-pris de l’ermite de Marfa et à leurs conséquences.
Les œuvres de Robert Smithson sont, avec celles de Michael Heizer, Nancy Holt et Walter de Maria, les plus emblématiques de ce qu’il est convenu d’appeler
le Land Art, « art de terrain », et surtout pas « art de paysage » (il s’agirait alors de « landscape art »).
Elles sont présentes dans des endroits reculés, jugés inaccessibles, nécessitant chez le regardeur le désir de partir, de voyager à travers des lieux arides, afin
de vivre l’art comme expérience physique, intellectuelle et spirituelle, dans un face à face avec l’incommensurable (« The Surd ») et le cosmos. Monumentales,
ses œuvres nécessitent dans leur élaboration des moyens techniques importants, avec des chantiers d’envergure et tout un appareillage d’outils, de pelleteuses,
de bennes, mais aussi de nombreuses autorisations juridiques – Robert Smithson était devenu un expert en la matière -, et bien sûr l’aide du mécénat.
L’œuvre de Robert Smithson comporte différents supports matériels comme l’écriture, la photo, le cinéma, la sculpture, les environnements, le dessin et les
œuvres in situ. Ses écrits théoriques apportent à l’histoire de l’art une dimension poétique, préhistorique et cosmique autant que futuriste. Robert Smithson est
également un visionnaire sur les questions émergentes à l’époque, d’écologie et sur les effets du « rétrécissement du temps », auquel il oppose une volonté
d’étirement et de creusement du temps, à travers l’alliance avec l’entropie, l’expérience du voyageur. Kairos prend le pas sur Kronos.
Une des premières expositions des artistes du Land Art s’intitule Earthworks, « œuvres de terre ». La terre, avec sa charge archaïque et symbolique, devient
pour Robert Smithson et pour les artistes du Land Art un matériau et un support. Earthwork est un mot emprunté au génie militaire. Il signifie alors
« terrassement ». C’est aussi le titre d’un roman de science-fiction éponyme de Brian Aldiss qu’affectionnait Robert Smithson, où une catastrophe écologique
dévaste le monde. L’idée d’entropie qui traverse ce roman d’Aldiss est l’épicentre des recherches de Robert Smithson. Toute son œuvre tourne autour de
l’entropie.
L’entropie s’insère contextuellement à l’époque, à l’obsolescence programmée inhérente à la société de consommation de masse. D’ailleurs Claude LéviStrauss, dont Robert Smithson connaît l’œuvre, propose l’élaboration d’une nouvelle discipline, l’Entropologie. Plus une société a une organisation culturelle
complexe, plus elle produit de l’entropie. « Plus une structure donnée est élaborée, plus elle sera marquée par la désintégration. »24 « Fragmentation, corrosion,
décomposition, éboulement, désintégration, glissement de terrain, flot de boue, avalanche » 25 sont des mots récurrents chez Robert Smithson. En effet,
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l’entropie relève de l’esthétique de la désolation et de l’effondrement. C’est la « ruine à l’envers », qui est le contraire de la ruine romantique parce que pour
Robert Smithson, à l’ère de la modernité en voie de postmodernité, « les édifices s’élèvent en ruine avant d’être construits. »
Dans les années 60, l’artiste s’intéresse aux paysages désolés, dénués d’intérêt esthétique au sens classique – mais Robert Smithson en révèle une autre
esthétique -, insignifiants et obsolètes comme l’environnement des villes suburbaines touchées par l’effondrement de l’industrie, que composent des ponts, des
sablières, des sites industriels ou des paysages minéraux.
En effet, le travail de Robert Smithson tourne autour de la notion de « sites » et de « nonsites ». Le nonsite est la présentation d’un site, d’un lieu du monde
lors d’une exposition dans un lieu dédié à l’art. Le site est par opposition le lieu réel, dans le monde réel. Le nonsite est conçu dans un rapport d’absence au
site, et intègre des traces souvent minérales (sables, minerai), dites prélèvements de ce dernier, présentées dans des containers à l’esthétique minimale, ce
qui a pu, à l’origine, alimenter la confusion avec le courant minimaliste. Des cartes, des photographies, des dessins accompagnent la présentation.
Dans le contexte artistique de l’époque, les artistes spéculent sur la « redéfinition de l’art par l’art »26, sur la volonté de sortir de l’espace clos du musée et de
la galerie, dans une dynamique d’émancipation à l’égard du marché, à l’opposé d’un Judd dont ils pointent les contradictions entre les intentions et les pièces
vendues aux collectionneurs texans. Ils cherchent à mettre en évidence le lien indéfectible entre l’artiste et son œuvre, une œuvre « non-objet », le plus souvent
inscrite dans le « terrain » et dans l’espace public, ou au moins dans un espace ouvert gratuitement à la visite, fût-ce dans des contrées reculées, voire
dangereuses. Ils théorisent de manière radicale, se référant à une certaine idée qu’ils se font de l’art. En outre, ils remettent en cause la consommation de
masse et le mythe du progrès. « Produire peu », écrit Robert Smithson c’est « encore trop ». Robert Smithson est également imprégné comme cette génération
des idées des écrivains de la Beat Generation, partageant avec eux le goût du voyage, des distances et des paysages hors du temps linéaire. Artiste total et
honnête homme du XXème siècle, il s’intéresse en pionnier aux travaux du Professeur roumain Georgescu-Roegen, un illustre inconnu à l’époque, qui
deviendra célèbre pour avoir développé le concept de « décroissance durable », ce qui lui vaudra plus tard d’enseigner à la Harvard Business School.
Très tôt, Robert Smithson marque de ce fait un intérêt pour les sciences de la terre, la Préhistoire, l’archéologie, par exemple pour les tumulus antiques, et les
civilisations amérindiennes avec leurs figures à grande échelle, dessinées sur le sol, et recomposables en vues aériennes. Son domaine intellectuel s’étend
également à l’histoire de l’art, à la psychologie, à la littérature. Les ouvrages de science-fiction, avec entre autres les catastrophes de villes futures, leurs
bombardements de météorites et leurs cataclysmes nucléaires, alimentent son imaginaire. On retrouve leurs empreintes iconographiques dans ses œuvres de
jeunesse, dans ses dessins, ses peintures ou ses collages.27 L’imaginaire science-fictif ouvre la réflexion sur la notion la monumentalité architecturale dans le
paysage, ou face au cosmos. Cette monumentalité, Robert Smithson la retrouve de prime abord dans les objets des artistes minimalistes tels Judd ou Morris,
qualifiant les œuvres de Judd d’ « objets abstraits portables ». A la différence des minimalistes, la confrontation au réel est essentielle pour Smithson. En outre,
il y a dans l’œuvre de l’artiste comme chez les auteurs de science-fiction une volonté de décrypter les codes du monde en fouillant les codes de la nature.28
L’utilisation de la photographie est omniprésente dans le travail de Robert Smithson, lui qui voyage toujours avec son appareil photo, un Instamatic 400, très
utilisé dans les pratiques amatrices de l’époque grâce à sa portabilité et à sa simplicité technique, puisque la focale est figée de 1 mètre à l’infini et que le
réglage se fait uniquement entre soleil et nuage. L’instantanéité que permet l’Instamatic, facilite la capture de situations transitoires entre un « futur qui croise
le passé comme un présent inatteignable ».
Robert Smithson nomme l’appareil photo une « tombe portative ». Le succès de son œuvre isolée, d’accès difficile, comme la Spiral Jetty (1970) réalisée dans
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les eaux du grand lac salé en Utah, est avant tout dû à la photographie, car en réalité, peu de personnes se sont rendues sur le site, en regard de sa notoriété.
Dans la société américaine de consommation de masse des années 60, la photographie gagne un grand succès populaire à travers la publicité, la presse, la
mode, mais aussi à travers la photo d’amateur, avec la commercialisation de l’Instamatic et de la diapositive.
Nombreux furent les artistes de la génération de Robert Smithson à utiliser ce médium, que ce soit à travers l’art conceptuel, la performance ou le Land Art.
Dans ce cadre, la photo a une valeur fonctionnelle comme document et forme de reportage, mais aussi comme partie intégrante de l’œuvre (comme les films
et les textes d’ailleurs). Tout au service de l’expérience artistique, l’artiste y est en retrait, réalisant des photos distanciées, à l’esthétique froide le plus souvent.
« La présentation d’un médium en tant que tel ne m’intéresse pas »29 note Robert Smithson. D’ailleurs, certaines de ses photos sont surexposées, souvent
tirées d’après des diapositives. « Mon souci est de faire de l’art… » Cependant, après la prise de vue et le tirage qu’il confie à des laboratoires industriels,
l’artiste sélectionne soigneusement ses images. Par exemple, il utilise 7 rouleaux de pellicule pour photographier Passaic et n’en retient que 6 images composant
« The Monuments of Passaic ». La construction de ses photos obéit néanmoins à des indications précises. Sans doute aussi que certains de ses dessins
préparatoires ou post opératoires à ses earthworks annoncent certaines photos, comme des story-boards. En l’occurrence, ce n’est pas en tant que
professionnel mais en tant qu’amateur que Robert Smithson et les artistes de sa génération pratiquent la photographie, désacralisant la maitrise technique du
médium, optant pour une « économie de contraintes », selon Nancy Holt. En cela, l’artiste incarne un contre-modèle de la culture moderniste, dont le critique
d’art Clement Greenberg prône le caractère épuré et la qualité des médiums.
Robert Smithson écrit être complètement sous l’emprise surnaturelle de l’Instamatic, cette machine qui relève pour lui de la science-fiction. « Les appareils
photos ont une vie propre. Ils se foutent des cultes et des « ismes ». « Ce sont de yeux mécaniques violents, indifférents, prêts à dévorer tout ce qui se présente
à leur vue. »30 Et encore : « Il y a quelque chose d’abominable dans l’appareil photographique parce qu’il possède le pouvoir d’inventer plusieurs mondes ».31
Le travail photographique de Robert Smithson est interdépendant d’autres médiums comme le récit de voyage, dans « The Monuments of Passaic » (1967)
ou encore « Incidents of Mirror-Travel in the Yucutan » (1969). Il peut être présenté lors de slide shows. Notons à ce propos que Robert Smithson et sa
compagne Nancy Holt organisaient des soirées avec d’autres artistes où chacun projetait son slide show. Il est publié dans des revues américaines d’art
contemporain, comme Artforum, très prisée par les artistes, avec des articles combinant textes et photos.
Robert Smithson fait une grande utilisation de la diapositive, qu’elle soit tirée sur papier ou projetée lors de conférences comme celle en 1972, à l’université de
l’Utah devant les étudiants où sont présentées les différentes images de l’Hôtel Palenque.
Dans les nonsites, les photographies gagnent une valeur indicielle comme les cartes topographiques ou les éléments prélevés du site. Elles peuvent être
présentées en séquence de différentes prises et en frises panoramiques pour afficher l’état des lieux. Elles sont des traces, éclairent une fiction, « transmettent
le sens de l’œuvre ».32 C’est le « ça a été » de Barthes déployant l’espace-temps d’un site. Elles sont intimement liées à l’entropie. « Les photographies sont
les résultats d’une diminution de l’énergie solaire, et l’appareil photo est une machine entropique dans la mesure où il enregistre la perte graduelle de la
lumière », explique Robert Smithson.
Deux photographies de Robert Smithson sont présentes dans la collection Entrepart : « Mirror displacement, Sanible Island, Floride », tirage original daté
de 1969 et « Torn Photograph from the Second Stop (Rubble), Second Mountain of 6 Stops on a section », de 1970, impression lithophotographique.
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« Mirror displacement, Sanible Island, Floride, 1969 » est une photo prise à Sanible Island en Floride, lors d’un périple qui conduit l’artiste, accompagné de
sa femme artiste Nancy Holt et de leur amie galeriste Virginia Dwan dans la péninsule du Yucatan au Mexique, où il réalise la même année « Incidents of
Mirrors Travel in the Yucatan ». Il existe d’ailleurs d’autres photos en couleur du même site comme « Mirror Shore, Sanibel Island ». Ce lieu est une étape du
voyage, où il rend visite à son ami l’artiste Robert Rauschenberg qui y séjourne. Lors de ce voyage, il fait plusieurs suites d’arrangements de miroirs, variant la
disposition des miroirs, les prises de vue et les cadrages, et les photographiant à chaque fois. A chaque périple, les miroirs sont enlevés et repositionnés
ailleurs, comme un rite de passage, dans une société sans magies et sans rituel.
La photo de la collection Entrepart représente un arrangement de miroirs, alignés, disposés au sol, parallèles à l’horizon, « sur cette ligne où le ciel rencontre
la terre », et où « les objets cessent d’exister » écrit Robert Smithson. Le reflet des miroirs crée en effet une étrange réalité intermédiaire sur le sable.
Par ce dispositif simple, Robert Smithson fait également partager au spectateur son intuition du caractère plastique du temps, temps vu comme matériau dans
lequel couper des tranches, percer des trous, sculpter des expériences.
Les miroirs sont chez lui « des symboles d’illusion aussi immatériels qu’un film projeté».33 Ils dérivent et multiplient la réalité, brouillent notre vision centrale,
témoignant de cette « inaptitude à voir » dont parle l’artiste. En l’occurrence, ils mettent à mal toute stabilité formelle, la désintégrant, disloquant le temps et
l’espace, par fragmentations de reflets simultanés en provenance du hors champ.
Il est à noter qu’au XIXème siècle, la photographie était appelée « le miroir avec une mémoire » et que d’ailleurs, les miroirs sont utilisés dans les appareils
photos. Ils peuvent comme ici aussi étendre le champ photographique. Des photographes comme Atget et Brassaï ont utilisé le miroir pour rapprocher le « hors
champ » du « champ ».
Second Mountain of 6 Stops on a section, est une photo arrachée en 4 parties présentant un gros plan sur des cailloux, dans un processus analogue à celui
où l’artiste photographie des tas de ferraille rouillée ou des formations géologiques.
L’artiste écrit : « Pour moi, le monde est un musée. La photographie a rendu la nature obsolète. Le fait de penser en site ou non site me donne le sentiment
qu’il n’y a aucune nécessité de se référer à la nature. Mon souci premier est de faire de l’art et cela consiste avant tout en un acte de vision, en une activité
mentale dirigée vers des sites particuliers. »
Pour Robert Smithson, après la modernité, l’idée de nature en soi ne correspond plus à aucune réalité. La possibilité d’aborder la nature sans filtres mentaux
et sémantiques, sans outils et technologies issues de la culture n’existe tout simplement plus. S’opposant farouchement au mythe dangereux d’un « retour à la
nature » promu par les écologistes intégristes, il pose les bases d’une écologie fondée sur la dialectique entre site et nonsite, métaphore de la tension féconde
entre nature et culture, dorénavant indissociablement mêlées, voire fusionnées.
La déchirure est une autre manière de rappeler le feuilleté du monde et l’existence d’une infinie variété de réalités, là où se place la conscience de l’artiste,
comme y font écho d’autres œuvres des collections présentes à la Coursive : « Landscapes » de Mireille Kassar ou « Beautiful landscapes » de Pauline Bastard.
Sources :
http://www.robertsmithson.com
Courtesy: Estate of Robert Smithson, Galerie Zak Branicka, Berlin, James Cohan Gallery, New York City
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Jesse Stecklow
Sans titre (Variant)
2014
plexiglas, impression numérique sur feuille d’aluminium, châssis d’aluminium intégré à l’œuvre, 47 x 63 cm,
Collection Entrepart
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Jesse Stecklow est né en 1993 à Cambridge, près de Boston aux Etats Unis. Il passe une grande partie de son enfance en Europe, ses parents ayant
déménagé à Londres.
Il est déjà reconnu en tant que jeune plasticien alors qu’il poursuit ses études dans le département Design Media Arts à UCLA, la prestigieuse université de
Californie, située à Los Angeles.
Sa première passion est la peinture, qu’il malmène pourtant dans toutes les directions à l’heure de l’économie numérique et du rapport visuel et temporal à
l’image qu’elle génère.
C’est par attrait pour l’enseignement qui est donné à UCLA que l’artiste décide de s’installer à Los Angeles, ville considérée comme extrêmement dynamique,
qui contraste par rapport à son expérience de l’Est des Etats Unis.
Si l'école constitue pour lui un centre de ressources, c’est également en dehors de la vie scolaire que Jesse Stecklow se forme en tant qu’artiste et individu.
Par exemple, il relate que son expérience professionnelle au Hammer Museum de Los Angeles, un musée très ouvert aux expérimentations, l’a beaucoup
enrichi.
Pour l’artiste, la technologie a compliqué beaucoup d’aspects de notre vie quotidienne, en valorisant à outrance l’hyperconnectivité et le lissage de la perfection.
La démarche de Jesse Stecklow fait appel aux concepts d’une réflexion théorique, face aux enjeux actuels et aux préceptes des nouvelles technologies typiques
de la postmodernité. Les bases de données et d’informations (database) sont pour l’artiste des matériaux de travail.
En l’occurrence, ce n’est pas le Web Art en tant que médium qui intéresse l’artiste, mais le fait de repenser les concepts que génèrent les nouvelles virtualités
afin de trouver de nombreux horizons et de nouvelles procédures à son travail plastique. En effet, un travail mis en ligne sur le web permet paradoxalement
une expansion spatiale à mais aussi une dispersion, car vous ne savez jamais où vos données peuvent aller.
Cette notion de dispersion il l’interroge dans l’espace physique de la galerie, par exemple dans Passive collect, exposition collective à la galerie Chin’s Push
dont il fait partie avec d’autres artistes tels Morgan Canavan, Carlos Reyes, Sean Raspet et Lucy Chinen, exposition dont il est aussi le curateur, dans
l’interchangeabilité des rôles typiques du paradigme contemporain.
Dans cette exposition où en l’occurrence Morgan Canavan utilise des données du marché financier en provenance du Financial Times qui deviennent dans
l’espace de présentation de véritables entités abstraites et sculpturales aux chiffres illisibles, Jesse Stecklow présente une œuvre en collaboration avec Lucy
Chinen dont le titre est très explicite sur la démarche de l’artiste : L’art de la déception : la formation d’une nouvelle génération d’opérations secrètes en ligne :
guide de l’architecture publique, psychologie, une nouvelle forme de SIGVEN.
En effet, pour Jesse Stecklow, l’espace de la galerie constitue juste un point sur un circuit malléable en constante expansion, avec des groupes d’images ou
de données en parfaite dislocation.
Réalisée en 2014 et découverte par les collectionneurs en février de la même année à la Foire de Los Angeles sur le stand de la galerie M+B, Sans titre
(Variant), de la collection Entrepart, fait partie d’une série d’œuvres où l’artiste interroge le statut de la peinture à l’heure d’applications comme Snapchat, où
les images partagées ont une durée de visibilité de quelques secondes.
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Pour cette série, l’artiste commence par peindre sur toile à l’argile et à l’eau. La peinture sèche et l’artiste la photographie puis retravaille l’image sur Photoshop.
A cette nouvelle image il incorpore des détritus en provenance de son atelier et la photographie à nouveau. Ensuite, il réalise des impressions sur des fines
plaques d’aluminium, qu’il incorpore dans des caissons avec des cadres en aluminium protégés par du plexiglas.
L’artiste a toujours été entouré de peintures, à ce propos, sa mère est peintre, et Jesse Stecklow a beaucoup peint jusqu’à être désabusé des réalités physiques
de ce médium.
Dans cette série, le plasticien veut retrouver la facilité que procure l’impression numérique à travers la peinture, ce qui le conduit à hybrider différents médiums,
peinture, photo et reproduction. Cette hybridation des pratiques est un tremplin vers d’autres réalités. Une méta-œuvre en quelque sorte, empreinte d’un
fougueux relativisme postmoderne.
En effet, la reproduction technique par la multiplicité et la déclinaison de ses versions génère un aplatissement du médium peinture chargé de culture et
d’histoire, qui de ce fait se désincarne.
La planéité du support d’impression tranche paradoxalement avec l’image reproduite en trompe-l’œil, afin selon les vœux de l’artiste de briser les systèmes de
valeur traditionnels. Jess Stecklow souligne d’ailleurs qu’il opère dans un espace d’ambiguïté. Par quelque angle qu’on l’aborde, Sans titre (Variant) est une
énigme vide de sens intrinsèque connectée aux autres dimensions du medium. Le sens (méta-sens) de l’œuvre est dans les questions qu’elle pose.
Le processus de création de Jesse Stecklow est une belle illustration du célèbre ouvrage de Walter Benjamin : L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique, où l’œuvre d’art perd son aura au profit de la fascination pour les techniques de reproduction de masse. La peinture ici est devenue non plus image
mais objet de reproduction. Elle présente quelques percées, cercles « œilletons » permettant de percevoir ce qui est derrière l’objet à l’ère de sa déclinaison
rhizomique.
Mais il faut noter que chaque pièce de la série « Variant » est unique. A partir d’un principe commun, la déclinaison des variations est infinie.
Pour la collection Entrepart, il est apparu que ce questionnement du sens, entre contenu et medium, renvoie à la réalité auxquelles sont confrontées les
organisations contemporaines, les jeunes générations évoluant dans un rapport au monde très proche de celui suggéré par Jesse Stecklow.
Sources :
http://jessestecklow.com
Courtesy: Jesse Stecklow, Los Angeles, et M+B Gallery, Los Angeles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Janos Sugar
The Pentecostal Mummy Decocooning (Record and Play)
1987
Encre sur papier, 21 x 30 cm
Collection Christian Mayeur
150
Janos Sugar étudie au département de sculpture de l'Académie hongroise des Beaux-Arts de Budapest (1979-1984).
Il est depuis les années 80, un des artistes les plus influents de la scène artistique hongroise.
Parmi ses expositions récentes, on peut citer sa participation à l’exposition « Report on the Construction of a Spaceship Module » au New Museum de New
York en 2014 et ses expositions personnelles « Holy Shit », au Müszi de Budapest en 2013, Fire in the Museum, Museum Kiscell, Budapest, en 2012, “Power
Is Invisible Until You Provoke It” au B5 de Targu Mures en Roumanie en 2009.
Entre 1980 et 1986, Janos Sugar collabore avec Indigo. Indigo est un groupe d’art underground interdisciplinaire créé afin de s’opposer à l’art de type «social
réalisme» prôné par les dirigeants sous le contrôle communiste.
De 1990 à 1995, il fait partie du conseil d’administration du studio cinématographique « Bela Balazs ». Il enseigne l'art et la théorie des médias dans le
département Intermedia de l'Académie des Beaux-Arts de Hongrie depuis 1990. En 1992 il représente la Hongrie à la Documenta IX. Il a réalisé une résidence
Artslink à l'Institut d'Art de Cleveland en 1994, et bénéficié des bourses de « Experimental Intermedia », New York (1988 et 1999).
Ses films ont été projetés à l'Anthology Film Archives à New York en 1998.
Pour Janos Sugar, l’artiste doit avoir une implication politique, un rôle de provocation et de solidarité face aux difficultés complexes du monde actuel, qu’elles
soient politiques, économiques ou sociales. Ses recherches interrogent l’art, la politique et l’espace public. Par exemple, il recouvre la façade de musée
Mucsamok à Budapest d’une bâche géante le représentant retourné.
Pour Janos Sugar, « l’art est l’occasion de dépasser la trivialité de la vie quotidienne en élevant la réflexion sur les problèmes et en rendant les solutions moins
transparentes. »
Ses œuvres peuvent être interactives et conceptuelles. Elles se composent d’installations, performances, vidéos, films, sculptures, écrits théoriques, éditions,
et de photos et dessins.
Le dessin à l’encre « The Pentecostal Mummy Decocooning » (1987) fait partie d’une œuvre présentée lors d’une exposition à la galerie Kisterem de
Budapest et transportée à la foire Art Rotterdam 2013, où Christian Mayeur en fit la découverte et fut immédiatement séduit.
Réalisé avant la chute du socialisme en Hongrie, il exprime, avec une économie de moyens qui reflète la précarité de l’artiste, un rêve de cinéma, Venise et sa
mostra étant associés à ce rêve d’au-delà de la frontière fermée de l’époque, la momie bobine se déroulant dans un mouvement libératoire. L’oeuvre reprend
en son centre la représentation d’une sculpture qui se personnifie, couronnée d’un petit rectangle, paradoxe de ce qui pourrait être une momie. En fait, ce sont
des pellicules de films, rappel de son expérience de cinéaste. Les bobines sont posées sur des gondoles, métaphore d’une liberté incarnée par le festival de
Venise face à la dictature communiste que l’artiste subissait encore au moment de la réalisation du dessin.
Les symboles foisonnent dans cette œuvre d’une fausse naïveté.
151
Le dessin fut associé bien plus tard, et donc après la chute du Mur et l’ouverture du pays, à un alignement de 5 sculptures en taille décroissante, « Trash
Media » (2007), pouvant rappeler des objets gigognes qui cependant ne peuvent être emboîtés. Poupées russes sans fard et déglinguées, découverte d’une
société occidentale de la surconsommation, du déchet et du vide.
Le dessin de 1987 apparaît alors, rétrospectivement, comme teinté d’optimisme.
Dans ce type d’installation, Janos Sugar utilise des matériaux sans sophistication d’une manière abstraite et simple.
Courtesy: Janos Sugar, Budapest, et Kisterem Gallery, Budapest
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Stella Sujin
Pathos,
2014,
Aquarelle sur papier. 60 x 60 cm.
Collection Christian & Sylvie Mayeur
153
Stella Sujin est née en 1983 à Séoul, elle vit et travaille à Paris. Elle a commencé son cursus d’artiste en 2002, par une formation en peinture au lycée d’arts de
Kaywon, Kyunggi-do, Corée du Sud. Elle a ensuite obtenu deux licences, une d’arts plastiques à l’Université d’Ewha, à Séoul, toujours en Corée du Sud, puis
une de philosophie, à l’Université Paris 4 Sorbonne, à Paris, en France. Elle a poursuivi en 2012 par un master d’arts plastiques de l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne à Paris. Elle est aujourd’hui doctorante en doctorat d’arts à l’ Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3, Lab. MICA, à Bordeaux, toujours
en France
Artiste sud-coréenne inspirée par le spiritualisme recherchant la relation entre le corps et l’âme, Stella Sujin met en question le corps « soma », les vaisseaux
contenant l’esprit, en explorant la façon dont cette connexion se brise et se répare. Stella Sujin représente les corps, les pathologies et leurs symboles à
l’aquarelle de couleurs vives et oniriques à la fois. L’accent est mis sur l’aspect organique et circulaire de la naissance et de la mort, dont les limites, selon
l’artiste, deviennent « floues » lorsque l’on décide de comprendre « être né » et « mourir » en terme de convergence et de dispersion.
« Quand j’étais petite, il y avait un abattoir à côté de ma maison. Des animaux en cages étaient suspendus, dans l’arrière-cour, attendant d’être tués et
découpés en morceaux. J’y ai jeté un coup d’œil au-dessus de la clôture. C’est à ce moment que j’ai commencé à me poser des questions ontologiques sur la
relation entre le corps et son propriétaire, un être.
Platon a appelé corps (« soma »), les vaisseaux qui contiennent l’âme, et il a aussi remarqué que l’âme est immortelle mais le corps disparaît après la mort et
l’âme quitte donc les vaisseaux. Cependant, la mort des animaux dont j’ai été témoin était trop explicite pour être appelée « disparition ». En effet, la mort
était juste en face de moi et cela signifiait que je verrais les quartiers d’un bœuf mort suspendus dans l’arrière-cour alors que ce même bœuf était en vie la
veille.
Tel que je l’ai compris, la mort est le moment où l’âme et le corps émergent d’un groupe pour être séparés en raison de l’absence d’un facteur obligatoire. Ce
« facteur obligatoire », qui est similaire à de l’adhésif, représente l’esprit de l’individu et l’identité en terme d’âme; au contraire, en ce qui concerne le corps, il
représente sa perspective physique, à savoir, le travail et la reproduction basés sur la respiration, l’ingestion, l’excrétion et la croissance. Je crois que cette
connexion entre l’âme et le corps se brise quand l’un des facteurs obligatoires est perdu, ce qui signifie une mort ontologique en opposition avec le simple fait
d’être vivant.
Après avoir spéculé sur ce concept de mort, j’ai appris que des études existaient, montrant des recherches sur la relation l’âme et le corps. Elles trouvaient
leur essence dans le Spiritualisme exploré par Aristote et Henri Bergson.
A ce moment-là, je me suis rendue compte que la naissance et la mort n’étaient pas des concepts linéaires définis avec un début et une fin mais qu’ils étaient
une sorte de circulation.
La naissance est le moment de l’assemblage alors que la mort est l’état où corps et âme sont démontés. L’élément le plus important à comprendre est que la
naissance / la vie et la mort travaillent organiquement dans une circulation dense. Cette circulation dans laquelle des fragments démontés s’assemblent et se
séparent est également un organisme gigantesque. C’est ainsi que j’ai intitulé mes travaux « L’ Organisme Poétique » en mettant l’accent sur l’aspect
organique.
Les limites de la vie et de la mort deviennent moins claires lorsque nous décidons de comprendre « être vivant » et « mourir » en tant que termes de
convergence et de dispersion. « Etre vivant » n’est rien d’autre qu’un subside de groupe avec un facteur obligatoire travaillant activement. En ce qui concerne
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notre corps, nous avons tous été oxydés depuis notre naissance et cela s’arrêtera à un certain point. Comme je l’ai indiqué plus tôt, cette limite entre la vie et
la mort n’est pas claire. La naissance est le début de la mort et par conséquent, la naissance est une mort rituelle.
Je recherche les incidents qui arrivent dans ce groupe formé par l’âme et le corps, dans le processus de la naissance et de la mort. Mon travail consiste à
imaginer et à illustrer les moments de convergence et de dispersion tels la grossesse, la naissance, l’avortement, les changements du corps, la rupture,
abattage, les opérations chirurgicales et la mort. Je suis tout particulièrement intéressée dans la réinterprétation du corps humain par le biais de l’anatomie et
de la médecine. »
Christian et Sylvie Mayeur ont été intéressés par la pertinence de « Pathos ». Avec cette croix type enseigne de pharmacie , Stella Sujin frappe simplement et
fort. Cette œuvre radicale reflète son observation du phénomène très français de dépendance aux pharmacopées. Dans le pays champion du monde de la
consommation de médicaments, il n’est quasiment pas une rue qui n’arbore la croix verte, le plus souvent lumineuse la nuit.
Une œuvre légère, maniant l’humour et l’ironie, pour pointer une tragédie nationale.
La qualité de l’aquarelle a également marqué les deux collectionneurs, qui rencontrèrent Stella à l’occasion de l’exposition Comment l'art soigne avec des
mots? organisée par la GAD à Marseille, en février 2015.
Courtesy: Stella Sujin, Paris, et La GAD, Marseille
Site : www.stellasujin.com
Christian Mayeur
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Yann Toma
L'Epopée de la Direction de la qualité totale et de la Direction de la stratégie énergétique, série «Les Epopées»,
2006,
Huile sur toile. 150 x 246 cm.
Collection Entrepart
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Yann Toma est né en 1969 à Neuilly-sur-Seine. C’est un véritable enfant de la balle, descendant d’une famille d’artistes, ses parents sont danseurs étoiles et
l’un de ses grands-pères était le partenaire de music-hall de Mistinguett.
Après des études de commerce international, il bifurque et décide d’embrasser une carrière artistique, où il saura mettre à profit ce cursus initial.
Yann Toma se dit à la fois artiste entrepreneur et artiste chercheur, deux statuts complémentaires dans le champ des procédures entrepreneuriales et du
management.
Artiste chercheur, il est professeur des Universités, enseignant en arts plastiques et sciences de l’art à l’université Paris1 Panthéon Sorbonne. Il est membre
du CERAP (Centre d’Etudes et de Recherche en Arts Plastiques) et dirige au CNRS l’équipe de recherche Art et flux dont témoigne le site http://www.artflux.org.
L’artiste est pour lui un acteur social et politique, qui investit l’espace public et s’interroge sur les rapports entre l’art, l’économie, la politique et la société. Pour
plus d’impact militant, il siège en tant qu’artiste-entrepreneur, observateur au sein de l’ONU.
En1991, Yann Toma crée la société Ouest-lumière, entreprise-fiction dont il est le président à vie. Yann Toma s’entoure d’économistes, de philosophes,
d’industriels, de créateurs et d’acteurs d’horizons divers.
Ouest-Lumière est une ancienne compagnie d’électricité dont il a récupéré les archives et la mémoire. Elle génère des thématiques artistiques autour de
l’énergie, la lumière et les réseaux, mais aussi autour des moyens de production industriels, de la bureaucratie ou du monde de l’entreprise.
Les œuvres du Président à vie et de ses acolytes (actionnaires et divers chargés de mission tout aussi diverses qu’iconoclastes) constituent de véritables
entreprises artistes, entités symboliques, fictionnelles, pouvant interagir sur la réalité sociale et économique.
L’artiste convoque de nombreux médiums, photographies, vidéos, installations, performances, peintures, et autres produits, comme des sculptures de CO2
etc.
Ses œuvres sont ludiques et interactives. Par exemple en 2012, il collabore avec le parfumeur Francis Kurkdjian et crée l’Or Bleue, une eau parfumée magique
véhiculant dans son flux les deux identités créatrices.
« Sans titre » (2006) est une peinture à l’acrylique exécutée à Bombay dans le style Bollywoodien, dans le cadre d’une procédure d’externalisation et de
délocalisation de la production artistique entrant dans la stratégie de Ouest-Lumière.
Des portraits photographiques de Christian et Sylvie Mayeur, actionnaires de Ouest-Lumière et y occupant respectivement les fonctions de Directeur de la
Stratégie Entrepreneuriale et de Directrice de la Qualité Totale, et des images symboliques chères au couple y sont transposés.
Le rocher fait référence à la paroi interne de Double Negative de Michael Heizer, et le hêtre géant au fond du paysage à droite, représente un hêtre de la région
déserte du Contadour, en Haute-Provence, où Christian et Sylvie Mayeur avaient mis en place un rituel annuel de randonnée dans les années 90, sur les pas
de Jean Giono, jusqu’au hêtre solitaire dans le tronc duquel cet auteur imagina que le héros d’un de ses romans cacherait ses victimes. A noter que la famille
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paternelle de Christian Mayeur est originaire de Haute-Provence et que les légendes de cette région ont baigné son enfance. Les deux commanditaires sont
au premier plan, sourires aux lèvres. Leurs regards confiants et extatiques sont levés au ciel et semblent en attente. Plus loin, au centre Sylvie Mayeur est en
lévitation au-dessus du sol, sous l’effet d’une force émanant des mains de Christian Mayeur, animées et en mouvement.
Cette toile témoigne des services personnalisés en énergie artistique de la compagnie Ouest-Lumière. Elle représente un moment hypnotique ré-activateur de
vie et la puissance de la fiction comme régénératrice du réel, une thématique centrale pour Entrepart.
Sources :
http://ouestlumiere.wix.com/site#
Courtesy: Yann Toma, Paris, et Galerie Patricia Dorfman, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Kees Visser
Mondlicht #2 et Mondlicht #16
2013
Tressage de papier, 18,5 x 23 cm, pièces uniques
Collection Entrepart
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Kees Visser est un peintre néerlandais né en 1948 près de Haarlem aux Pays-Bas, cofondateur avec d’autres artistes du Living Art Museum de Reykjavik en
1978.
Il vit et travaille entre Haarlem, Paris et Reykjavik.
Kees Visser jouit d’une reconnaissance avant tout européenne. Le musée Matisse du Cateau-Cambrésis lui a consacré en 2003 une grande exposition
rétrospective et monographique sur les enjeux de l’abstraction et de la peinture, autour d’Herbin et de Matisse. Cette exposition présentait ses premières
œuvres, à côté d’œuvres récentes plus monumentales. L’artiste y a produit in situ une peinture murale en écho à l’œuvre de Matisse.
L’œuvre de Kees Visser est présent dans les collections de nombreuses instututions : Musée Matisse, Cateau-Cambrésis (FR) Frans Hals Museum,
Haarlem (NL) Stedelijk Museum, Amsterdam (NL) Gemeente Museum, Den Haag (NL) P.T.T., Holland (NL) Rijksverzameling, Holland [state]
(NL) National Gallery of Iceland, Reykjavik (IS) Nylistasafnid, the Living Art Museum, Reykjavik (IS) Museum of Modern Art (graphics), New York
(USA) Rauma Cultural Centre, Rauma (FI) The Victoria and Albert Museum (graphics), London (UK) Kjarvalstadir, Municipal Gallery, Reykjavik
(IS) Centre for Contemporary Art, Ujazdowski Castle, Warsaw (PL) Fonds National d'Art Contemporain (FNAC) (FR) Safn, Reykjavík, (IS) ASÍ Art
Museum, Reykjavík, (IS)
Sa pratique artistique s’inscrit dans une abstraction minimaliste semblant au premier regard rigoriste. Il travaille méthodiquement la couleur, la forme, et la série.
Cependant, ses œuvres présentent toujours une dérive, un décalage, un espace de liberté à la contemplation, par-delà la rigueur d’un processus créatif
méthodique. D’ailleurs, en 2004, l’artiste confiera au critique et commissaire d’exposition Hubert Besacier, « qu’il cherchait à introduire, dans la pratique de la
peinture monochrome, un paramètre qui viendrait déstabiliser le confort de la perception, et faire entrer dans l’économie du tableau, une discordance comparable
à celle de John Cage dans la musique.»34 Hubert Besacier indique en outre, que sa « méthode n’est pas un dogme, mais un moyen de conjuguer l’art et la vie
telle qu’il la voit »35.
Kees Visser est influencé par la tradition picturale hollandaise, dans la lignée d’un Vermeer ou d’un Mondrian. Par sa planéité et sa monochromie, sa peinture
s’inscrit dans les démarches radicales de la peinture des années 60. Comme pour beaucoup d’artistes de la décennie suivante, les écrits de Wittgenstein
nourrissent sa démarche, et plus particulièrement la logique de la pensée à travers l’imagination et le raisonnement.
Artiste autodidacte, Kees Visser se tient loin des mouvements artistiques, tout en restant un spectateur attentif. L’évolution de sa pratique se fait dans des
découvertes géographiques, par des rencontres avec d’autres artistes, mais aussi par le bilan et le recul que l’artiste pose sur son propre travail lors de sa
première grande exposition monographique, en 1992 au Living Art Museum de Reykjavik, ou bien lors du recensement de ses œuvres, dans un catalogue
raisonné qu’il constitue à partir de 1995.
Dès les années 1970 il développe un travail formaliste et minimaliste sur la couleur. Ce sont par exemple, des dessins de trames et de spirales à l’encre et à la
gouache, des tissages de bandes de papier et des tableaux-reliefs faits de planches de bois. Les lignes et les couleurs schématisent déjà de façon conceptuelle
le cheminement de la pensée.
160
A la fin de cette période, Kees Visser quitte les Pays–Bas pour l’Islande. Ce territoire insulaire avec ses volcans et ses geysers, marquera sa vie et son travail,
et lui apportera une autre dimension spatio-temporelle. C’est alors qu’il découvre la scène artistique internationale composée d’artistes comme Dieter Roth,
Donald Judd, Richard Serra, Roni Horn, Richard Long et encore Hrein Fridffinson, Adrian Schiess, Günter Umberg.
A partir des années 1990, il s’installe à Paris et son travail prend un nouveau tournant.
Dans un travail en séries, l’abstraction se constitue comme un moyen d’expression à travers la forme et la couleur, et non une transcription de la nature par la
mémoire.
Sa méthode, qui consistait à travailler et à rassembler ses œuvres en séries en permutant formes et couleurs multiples, donne lieu à un nouveau système.
C’est en réalisant un croquis préparatoire à une œuvre sur papier, que l’artiste prend conscience que l’essentiel de son travail découlera de cette recherche.
La figure de référence en sera le rectangle, décliné en différentes transformations de la couleur dans l’espace. A chaque croquis, le périmètre du rectangle va
évoluer différemment et générer une suite. En effet, sur papier millimétré l’artiste développe 32 permutations obtenues par soustraction ou addition d’une partie
de la surface des côtés du rectangle. L’orthogonalité du rectangle y devient biaisée. De cette altération, il obtient également une série de formes en négatif, des
chutes aux formes triangulaires. L’ensemble de cette série est recensé dans son catalogue raisonné. Chaque forme dessinée y est associée à un échantillon
de couleur avec des précisions annotées sur la composition.
En effet, Kees Visser est un artiste coloriste, travaillant des suites de gammes colorées et dynamiques, à la matérialité singulière, dense et profonde. Il travaille
par successions de couches picturales, imprégnant le papier dans un premier temps, affleurant sa surface ensuite, et révélant l’état pigmentaire de l’aspect
poudré et velouté de la couleur.
Au fil du temps, l’artiste intègre dans son œuvre l’espace de présentation, et réalise également des peintures in situ. En effet, Kees Visser décline les dispositifs
de présentation de ses peintures en les juxtaposant, les superposant, les posant au sol, les alignant dans de longues vitrines, ou en les recomposant en
mosaïque.
Depuis 1993, l’artiste élargit sa pratique par des peintures murales. Il utilise les « chutes » des rectangles, les fines bandes triangulaires qui vont rythmer les
compositions sur le mur selon ses calculs mathématiques. D’ailleurs, les chutes conçues sur papier millimétré se donnent à voir comme des partitions musicales.
Ces œuvres que l’artiste qualifie comme spatiales peuvent devenir sculpturales comme celles qu’il réalise pour l’espace de la chapelle de Thouars en 2006.
Cette installation est composée de 320 piliers aluminium de 6 m de haut et peint sur 3 faces. Elle est montrée sous une configuration différente à l’église Saint
Eustache à Paris en 2007.
Mondlicht, de la collection Entrepart, est un diptyque qui se regarde recto-verso, les deux œuvres étant insérées dans deux plaques de plexiglass.
Il est composé de deux pages de deux livres de la collection Täschen, l’un sur Mondrian et l’autre sur Lichtenstein. Les pages des deux monographies ont été
tissées ensemble. Le titre Mondlicht découle du tissage des noms des deux artistes, et signifie littéralement en néerlandais, « lumière de lune », que l’on peut
traduire en français par « clair de lune ». Mais c’est aussi la contraction de « Mondrian » et « Lichtenstein ».
La jonction des deux artistes n’est pas anodine en ce qui concerne l’histoire de l’art. Lichtenstein a fait des emprunts à de nombreux artistes dont Mondrian fait
partie, s’inspirant de livres ou de catalogues d’exposition. D’ailleurs l’artiste Pop produit en 1964 un faux Mondrian intitulé ironiquement Non-objective.
161
Croiser deux réalités pour donner naissance à une troisième réalité est un processus qui intéresse Entrepart, tout comme l’alliance d’un processus extrêmement
rigoureux et méticuleux et la poésie qui naît de cette procédure éminemment post-moderne.
C’est lors de sa première année passée en Islande que Kees Visser réalise son premier livre d’artiste tramé. Il tresse ensemble différents ouvrages qu’il achète
au poids chez un libraire de Reykjavik. Le processus créatif devient méticuleux dans la technique de réalisation et conceptuel dans l’utilisation des mots qui se
tissent entre eux.
En effet, l’artiste explore les mécanismes du langage en les déconstruisant, puis en les tressant, mais par le biais du regard, apportant une sémantique visuelle
à la langue. Kees Wisser s’intéresse à la poésie concrète et visuelle d’Emmet Williams, Carl André ou encore Dieter Roth qu’il découvre à Amsterdam grâce à
des amis islandais.
L’artiste utilise aussi pour ses tressages des pages de bandes dessinées, des journaux, des revues, mais aussi des billets de banques, des lettres, des partitions
de musique.
Au cours des années 70/80, Kees Wisser reconvertit ce processus créatif en peinture, s’appuyant sur un système fondamental de neuf couleurs, construisant
des compositions géométriques sur papier ou sur toile.
Kees Visser est représenté en France par la galerie Jérôme Poggi, Paris.
Sources :
http://www.galeriepoggi.com/fr/artistes/diaporama/3355/kees-visser
Courtesy: Kees Visser, Amsterdam et Reykjavik, et Galerie Jérôme Poggi, Paris
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Philippe Van Wolputte
Untitled (Misfits series)
2014
Impression sur feuilles transparentes, scotch, aluminium, MDF, peinture
Edition unique, 42 x 59,4 cm
Collection Entrepart
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Philippe Van Wolputte est né en 1982 à Anvers en Belgique. Il vit et travaille à Anvers et Amsterdam.
Il est diplômé de l’école St Lucas d’Anvers. De 2008 à 2010, il est artiste-résident à la Rijksakademie van Beeldende Kunsten à Amsterdam.
Son travail se compose essentiellement d’interventions dans l’espace public, d’installations sculpturales utilisant des matériaux de construction, et présentant
également divers médias comme des photos, des vidéos, des peintures, des collages, des tracts ou des affiches.
Philippe Van Wolputte nous révèle les espaces underground de notre environnement urbain. Il puise ses thématiques dans la magie et la beauté des lieux
abandonnés, désaffectés, imprégnés de la mémoire sociale et collective de notre urbanité.
Depuis 2005, il se lance dans un projet le Temporary Penetrable Exhibition Space, explorant et donnant à voir des lieux spécifiques, qui sont des espaces
abandonnés et détruits par les projets urbains des promoteurs immobiliers, ou bien des sites industriels désaffectés. Or, les plans de restructuration urbanistique,
rapides dans leur conception et leur réalisation, tendent à bannir toute irrationalité, tout aspect chaotique inhérent à notre esprit.
L’intention de Philippe Van Wolputte est de porter notre attention sur ces sites que l’artiste explore, et de les rendre accessibles durant la durée éphémère du
temps d’exposition. Par des trous creusés, des corridors étroits, l’artiste nous emmène dans des espaces presque impénétrables, qui est l’espace de la galerie.
Les Temporary Penetrable Exhibition Space pourraient se nommer « nonsites » comme chez Robert Smithson.
Philippe Van Wolputte recrée les zones intermédiaires qu’il a explorées, des zones d’errance où le regardeur erre lui même face aux différents médias présentés
dans l’espace d’exposition. Son travail trouve son autonomie et sa griffe dans ces zones intermédiaires. Une autonomie qui n’engage pas uniquement les
médiums impartis, mais qui trouve ses enjeux à travers les figures de la béance. Les trous, les fissures que l’artiste représente dans les lieux d’exposition sont
des métaphores des zones d’ombre du pouvoir et du contrôle.
La pratique de l’artiste est influencée par les stratégies d’occupation et l’esthétique du squatt. Il est fasciné par l’écrivain anarchiste Hakim Bey. Même si l’artiste
a utilisé le street art avant son entrée en galerie, il ne le revendique pas, à cause de la récupération récente de cette forme artistique par le marché de l’art. En
l’occurrence, par son côté « dark », sa démarche est plus complexe qu’un simple acte politique.
Où commence son travail ? Où s’arrête t-il ? Quelle est la part de reconstruction dans l’espace de présentation des zones intermédiaires explorées ? Si on
s’appuie sur une lecture « smithsonienne », où se situe la frontière entre le site et le nonsite dans le travail de Philippe Van Wolputte ? Réalité et fiction sont–
elles en hybridation ? Sous ces interrogations apparaissent les notions de dissimulation (chère à l’esthétique du squatt), de disparition mais également de
révélation.
La documentation en noir et blanc, que ce soit à travers la vidéo ou la photo, a une part importante dans le travail de l’artiste. Ses vidéos et ses photos font
souvent allusion aux performances et interventions historiques des années 1960-70. Elles existent en tant que traces, témoignages d’interventions éphémères,
mais aussi en tant qu’outils de prolifération de mythes urbains.
Philippe Van Wolputte se réfère par exemple à Office baroque de Gordon Matta-Clark, réalisé à Anvers en 1977. Matta-Clark est connu pour ses « coupes de
bâtiments », où il enlève, ou découpe, planchers, plafonds et murs des bâtiments abandonnés. Office baroque rend compte du travail in progress et in situ de
Matta-Clark par la photographie, sous forme de planches contact présentant un déroulement spatial et temporel semblable à une bande dessinée ou un film.
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Au-delà du déplacement des lieux explorés (des sites) vers l’espace d’exposition (nonsite), la documentation a une fonction informative. Par exemple, dans
Inside, Outside, Outside, présenté dans la galerie bruxelloise Elaine Levy en 2012, différents travaux sont rassemblés autour de l’amiante. D’abord, un montage
photographique nous éclaire sur les différents types de minéraux d’amiante issus de diverses mines, puis à ces côtés se trouve une représentation en triptyque
d’un mur fêlé et fissuré, où l’amiante est présente. Plus loin, un ensemble de collages photographiques nous présentent des produits des années 50-60
contenant de l’amiante, etc.
Untitled (Misfits series) de la collection Entrepart fait partie de l’installation sculpturale Misfits (2014).
« Misfits » signifie « désaxés » en Anglais et pourrait rappeler le célèbre film de John Huston de 1961, avec Marylin Monroe, Clark Gable et Monty Clift.
En fait, Philippe Van Wolputte ne fait pas référence à ce film mais à toutes les personnes qui sont hors du système, dont la crise est la cause première. Il nous
interpelle sur ceux qui sont inaptes à s’insérer « dans un monde qui nous dicte ce que l’on doit penser, comment on doit se comporter, et comment on doit
travailler », relate t-il.
L’installation Misfits est une installation sculpturale représentant une scène de rue apocalyptique. Elle utilise des affiches collées autour des colonnes, froissées
et en relief mais aussi marouflées sur des panneaux. Les papiers sont chiffonnés, les lettres mal imprimées, en témoignage de la ruine de notre société. « C’est
la ruine du papier, la ruine des bâtiments, la ruine dans tous les matériaux que je choisis » clame-t-il. La ruine est annonciatrice d’un futur « où presque tout le
monde est mort », « où les survivants se cachent dans des souterrains », raconte le plasticien.
Par exemple, à Detroit ou à Charleroi, les bâtiments abandonnés sont innombrables, « ils auraient pu être détruits par une guerre, une crise écologique ou
économique » car l’impact est le même. Sur l’œuvre de la collection Entrepart, le blanc est sale comme les objets endommagés de la rue, d’une manière un
peu abstraite. L’écriture anguleuse des mots sonne comme des éraflures.
Les textes de cette installation incarnent des appels au secours. Ils sont - au même titre que la documentation photographique – informatifs, afin de nous mettre
en garde. En effet, ils nous renvoient aux banderoles des manifestations. « Ce sont des cris pour attirer l’attention ou demander de l’aide, », explique l’artiste.
Certains se réfèrent aussi aux petites annonces des supermarchés, qui proposent des petits travaux de nettoyage, de jardinage et de baby sitting etc. Les mots
nous informent sur les catastrophes à venir comme la fin du monde, la crise économique ou une catastrophe nucléaire. L’artiste se réfère de ce fait au film « 12
monkeys », une adaptation du film « La Jetée » de Chris Marker, où nous pouvons voir des affiches nous alertant sur ce système funeste, et nous suggérant
de nous y opposer. Nous pouvons y lire: « Voilà ce que nous avons fait », « Nous avons changé le monde », etc.
L’idée de catastrophe, de peur inhérente, l’artiste l’a vécue lorsqu’il était grapheur. Il vivait alors avec « l’idée de se cacher, d’aller quelque part » quand il
travaillait.
Très inspirée par la théorie de la catastrophe totale de Peter Sloterdijk, ainsi que par la nécessaire écologie du déplacement et de la sculpture sociale de Joseph
Beuys, par les théories énergétiques de Rudolf Steiner et bien sûr par l’esthétique de l’entropie magnifiée par Robert Smithson, la collection Entrepart se devait
d’accueillir une œuvre de Philippe Van Wolputte, dont Christian & Sylvie Mayeur ont découvert le travail sur le stand de la galerie Elaine Lévy Project, devenue
depuis « Levy-Delval ».
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L’artiste affectionne toujours ces mêmes déambulations urbaines, où il ouvre les systèmes du métro, où il descend et monte les escaliers. D’ailleurs sur ses
vidéos, la caméra se focalise sur la déambulation des explorateurs sans en dévoiler le visage et l’identité. Découvrir et explorer des espaces de cette manière
implique d’être seul face à soi-même et loin des choses. Ce qui a constitué une véritable découverte pour Philippe Van Wolputte.
La pratique de l’affichage découle de son passage antérieur par le street art, à grand coup de photocopies et de sérigraphies en noir et blanc, lorsque l’artiste
n’avait pas accès aux galeries. Mais, Misfits est la première exposition où l’artiste utilise peinture et collages, ayant opté jusqu’à présent pour l‘intervention et
l’art vidéo.
Sources :
http://www.vanwolputteprogress.eu/work.html
http://www.youtube.com/watch?v=L9Bi_5KoJYw
http://www.youtube.com/watch?v=U80GDC1_PMM
Courtesy: Philippe Van Wolputte, Bruxelles, et Galerie Levy-Delval, Bruxelles
Helena Faneca et Christian Mayeur
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Zhu Yu
Paysage du Gers
2000
Aquarelle, acrylique, encre de Chine, 120 x 120 cm
Collection Christian & Sylvie Mayeur
167
Zhu YU est né à Nanning au Sud-Ouest de la Chine.
Réfugié en France depuis 1998, Zhu Yu a été accueilli par la Région Midi-Pyrénées et réside à Toulouse.
« Son art, influencé par la pensée et la philosophie de l’esthétique orientale nous amène vers d’autres horizons. Avec lui, la couleur s’associe plus
particulièrement à la ligne. Il dessine avec la couleur, on sent la main du calligraphe, le jeu du pinceau est présent, c’est par lui que naissent, dessins, valeurs
et fluidité qui, alors, se métamorphosent en espace vivant. », écrit dans son blog Jean-Claude Huyghe, peintre belge résidant à Castelnaudary.
En 2000, sensibilisés à la condition de réfugié de Zhu Yu, Christian & Sylvie Mayeur, touchés par les deux niveaux de réalité artistique présents dans ce
paysage du Gers, décident d’acquérir l’œuvre de l’artiste.
Une « acquisition plaisir », joyeuse, qui, derrière les apparences, reflète à sa manière la Tragédie du Monde.
Courtesy : Zhu Yu, Toulouse
Helena Faneca et Christian Mayeur
168
1
Joseph Beuys, « Qu’est-ce que l’argent ? » - Editions de l’Arche - 1997
Peter Sloterdijk, « Sphères III – Ecumes » - Editions Maren Sell – 2004.
Peter Sloterdijk, « tu dois changer ta vie » - Editions Maren Sell - 2011
4
Michael Heizer cite régulièrement Maurice Blanchot et Jean Baudrillard comme références de son travail.
5
Extraite d’un entretien avec l’auteur dans Le manager à l’écoute de l’artiste, ouvrage écrit par Christian Mayeur avec la collaboration de Jean-Claude Desmerges et de Jean-Pierre Raffaelli (2006).
6
http://www.lacritique.org/article-eva-barto-unnoticed-reality-a-la-bf15-lyon
7
In http://www.leschantiersboitenoire.com/artiste-texte.php?id=2&idTxt=43
8
Jean Baudrillard – « Le crime parfait » - Galilée - 1995
9
John Dewey, « L'art comme expérience », Ed. Originale : 1942, Trad. de l'anglais (États-Unis) en 1991 aux Presses Universitaires de Pau. Depuis 2010 en Collection Folio essais (n° 534),
Gallimard
10
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-bourgeois/ENS-bourgeois.html#bibli
11
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-bourgeois/ENS-bourgeois.html#bibli
12
ibid
13
ibid
14
ibid
15
ibid
16 ibid
2
3
17 Dans
un entretien publié in « Michael Heizer: Double Negative » de Mark O. Taylor et Michael Heizer (19 novembre 1991)
dans « Michael Heizer », The Museum of Contemporary Art, Los Angeles, 1984.
19 Que l’on peut découvrir dans le catalogue de dessins de la collection Marzona, consultable à la bibliothèque de La Coursive.
20 Source « L’Express » - blog « Zappeurs et sans reproches »
21 In Le Monde, Roxane AZIMI, avril 2008
22
http://performa-arts.org
23
Extrait de la « biographie poétique » d’ORLAN créée pour sa monographie multimédia sur DVD
24
In James Lingwood, In Robert Smithson, une rétrospective du paysage entropique 1960-1973, édition Réunion des musées nationaux, 1994, p. 29
25
In James Lingwood, In Robert Smithson, une rétrospective du paysage entropique 1960-1973, édition Réunion des musées nationaux, 1994, p. 35
26
In Land Art, Gilles Tiberghien, Dominique Carré éditeur, Paris 2012, p. 37
27
In http://osskoor.com/2012/06/14/limaginaire-science-fictif-de-robert-smithson/
28
In http://osskoor.com/2012/06/14/limaginaire-science-fictif-de-robert-smithson/
29
http://etudesphotographiques.revues.org/1292
30
ibid
31
ibid
32
http://etudesphotographiques.revues.org/1292
33
In Robert Smithson, une rétrospective du paysage entropique 1960-1973, édition Réunion des musées nationaux, 1994
34
Hubert BESACIER in Pratiques, réflexions sur l’art, printemps 2004, Presses Universitaires de Rennes, p. 56
35
Ibid
18 Cité
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