la cuisine libanaise avec un twist
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la cuisine libanaise avec un twist
Spécial ine Cuis ZABAD la cuisine libanaise avec un twist Karim Haidar est jeune, raffiné, cultivé, passionné et il sait faire la cuisine comme un dieu! Que demander de plus à un homme? Rien je pense. J’ai oublié de vous dire aussi qu’avant d’être chef en cuisine, Karim exerçait le métier d’avocat, et il y réussissait bien. Avant de vous emballer, Mesdames et Mesdemoiselles, sachez que je ne suis pas en mesure de vous confirmer s’il est célibataire ou non, parce que tout simplement je n’ai pas osé lui poser la question, car comme dit le proverbe : «mieux vaut rester dans l’ignorance». Je me suis donc contentée de l’écouter me parler de sa passion, qui est la cuisine et de son nouveau bébé, qui est Zabad, le nouveau it restaurant à Zaitunay Bay. Entretien. Comment est née votre passion pour la cuisine ? Depuis mon enfance j’aime faire la cuisine mais surtout j’aime manger. Je pense d’ailleurs que c’est parce que j’aime manger que j’aime faire la cuisine. Ma première recette a été pour le magazine de l’école, j’avais écrit la section cuisine et ce n’était pas encore la mode des recettes dans les magazines. Plus tard, quand j’ai commencé à voyager, j’ai découvert les cuisines étrangères, surtout lors de mes séjours en France. Avec la guerre, j’ai quitté le Liban à 16 ans avec mon frère pour aller poursuivre mes études à Paris, et là-bas à l’étroit dans notre petit studio, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à la cuisine, on avait juste une plaque chauffante mais je préparais chaque jour des plats chauds pour mon frère et moi pendant un an. Quand je suis devenu avocat, je sortais beaucoup dans les restos, j’aimais faire mes courses dans les marchés de Paris et inviter les gens chez moi à déjeuner ou à dîner, voilà pourquoi personne ne s’est étonné quand j’ai ouvert mon premier restaurant. Comment avez-vous eu le courage de quitter un métier stable pour faire quelque chose de plus risqué ? Ce n’est pas une question de courage, c’est plutôt plonger sans trop y penser. Je n’ai pas quitté le métier d’avocat pour devenir chef, j’ai Photo par Imad El houry Spécial 112 113 Spécial Photos des plats par Elie Bekhazi. Spécial ine Cuis vinaigré, une recette que j’avais trouvée dans un vieux livre, et beaucoup de clients me demandaient si c’était un repas libanais ! Jusqu’au jour où un vieux monsieur libanais, les larmes aux yeux, m’a avoué qu’il n’avait pas mangé ce plat depuis qu’il était enfant et que sa mère le lui préparait. C’est notre patrimoine et la richesse de nos produits qu’on est en train d’oublier, mais en même temps la cuisine c’est comme la culture, elle doit évoluer par des rajouts ; on peut faire des choses intéressantes. On est plus riches que ce qu’on croit être. La moghrabieh par exemple est cuisinée au Liban d’une seule façon et je trouve ça très triste, c’est comme ci une femme portait chaque jour des mêmes vêtements ! La moghrabieh est une graine extraordinaire, alors je l’ai travaillée d’une autre manière, avec du safran dans du bouillon de légumes et je la fais cuire comme un risotto par exemple. Et les gens aiment. Quel public apprécie votre cuisine ? Photo par Imad El houry pris des cours professionnels de cuisine pendant que j’étais encore avocat, mais mon idée n’était pas de quitter mon métier pour devenir chef. J’avais plutôt pris une année sabbatique car j’étais épuisé et pendant cette année je ne sais pas comment, mais je me suis trouvé en train d’ouvrir un restaurant. Remarquez, si j’avais su ce qu’exigeait vraiment l’ouverture d’un restaurant, je ne l’aurais pas fait. Le premier soir de l’ouverture de mon restaurant, j’étais seul et j’ai eu une table de 40 personnes. Je préparais les plats et je faisais la vaisselle, et cela a duré jusqu’à 5 heures du matin! Je suis allé dormir deux heures pour retourner de nouveau au restaurant à 8 heures! Je me suis demandé comment j’allais tenir à ce rythme tous les jours. Et ça m’a pris des semaines et des mois pour que je m’habitue et que je m’organise Quelle est votre vision de la cuisine en général et de la cuisine libanaise en particulier ? J’aime le produit et les choses simples à manger. Ce que je mange c’est souvent une viande telle quelle avec un filet d’huile d’olive et un peu de Spécial 114 fleur de sel. La cuisine pour moi c’est avant tout le partage d’un moment avec des gens, même si on est en cuisine on partage une expérience avec les clients. On donne du plaisir à quelqu’un comme tout dans la vie. La cuisine libanaise je l’ai connue petit mais je ne la cuisinais pas, pour moi comme pour toute une génération, c’était la cuisine qu’on nous imposait à la maison et on avait l’impression de manger toujours la même chose. Du coup, à l’adolescence je me suis éloigné de la cuisine libanaise et j’ai découvert avec mon frère la cuisine française et la cuisine asiatique et on était très contents de découvrir ces nouvelles saveurs ce qui nous a fait un peu snober notre cuisine. Ceci a duré jusqu’au jour où j’ai ouvert mon premier restaurant, qui est mystérieusement, et je ne sais pas pourquoi, un restaurant libanais, alors que je ne savais pas du tout cuisiner libanais ! Je suis venu au Liban pendant quinze jours, pour apprendre à le faire et c’est là que j’ai découvert à quel point notre cuisine était intéressante et riche. Le problème est qu’elle était servie de deux manières: à la mode du restaurant-brasserie ou la manière bourgeoise; personne n’est allé chercher une autre façon de faire, comme l’ont fait par exemple les chefs français avec leur cuisine dans les années 70, et qu’on apprécie aujourd’hui. J’ai essayé donc d’aller dans cette voie, qui est de faire bouger les choses parce que notre cuisine est riche en saveurs, en partage et en générosité. Pourquoi voulez-vous réinventer la cuisine libanaise qui est en elle-même assez appréciée internationalement ? Je ne veux surtout pas la réinventer ni la changer! Je veux y ajouter des expressions de cuisine qui ne sont pas offertes aujourd’hui aux gens et que je trouve très bonnes, ce sont souvent des vieux éléments de cuisine qui ont été oubliés et je trouve cela triste; par exemple le pain qu’on offre à Zabad est le pain libanais traditionnel que plus personne ne fait et moi je le prépare en le faisant évoluer un peu pour l’adapter à notre mode de consommation. Quand j’ai commencé ce métier il y a douze ans, j’ai remarqué qu’il y a une partie de notre terroir que de nombreuses personnes ne connaissaient pas et c’est dommage. Je me rappelle que j’avais préparé de l’agneau Les européens aiment beaucoup: l’européen qui vient pour le cliché de la cuisine libanaise n’aime pas, mais il y a aussi l’européen qui trouve que c’est raffiné, bon et intéressant. En Europe, la majorité de mes clients sont européens et non libanais. Ces derniers ont une double approche: il y en a qui aiment mais qui trouvent que ce n’est pas libanais puis il y a ceux qui apprécient de découvrir de nouvelles saveurs. Pourquoi avez-vous décidé de revenir au Liban et d’ouvrir Zabad ? Comme je travaille sur la cuisine libanaise depuis douze ans, et sans avoir un ego surdimensionné, j’ai commencé à me construire une carrure de chef libanais qui fait les choses autrement, je me suis dit que le cœur de la culture culinaire libanaise est ici et c’était donc impératif pour quelqu’un qui se veut un des nombreux ambassadeurs de la cuisine libanaise, d’avoir une attache au terroir. Cela faisait trois ans que je travaille sur ce projet, le temps de trouver le bon emplacement. Pour moi, Zabad est le restaurant du terroir libanais, du produit de chez nous qu’on essaie de mettre en valeur. Pourquoi Zabad ? Zabad c’est l’écume; bien sûr il y a le rapprochement du fait qu’on est sur la marina et qu’il y a la mer tout près, mais ce n’est pas seulement ça. Pour moi, Zabad c’est ce qui reste sur le sable quand la vague se retire, c’est un peu comme quand on a avalé une bouchée, l’impression du goût qui reste en bouche, le souvenir du produit. Pourquoi Zaitunay Bay ? On m’a proposé l’emplacement entre autres et je me suis dit que c’est intéressant pour plusieurs raisons: d’abord parce que c’est beau, ensuite être à la marina en face de la mer et en plein cœur de Beyrouth c’est rare, puis j’aime beaucoup le côté piétonnier où les gens viennent en marchant et on n’a pas le bruit des voitures, Enfin, l’idée sous-jacente de Zaitunay Bay est la tradition libanaise de ce quartier et le renouveau de Beyrouth, et cela correspond à ce que je recherche dans ma cuisine. Quel plat de votre création connaît le plus de succès, que ce soit en Europe ou ici ? Certains de nos plats traditionnels connaissent beaucoup de succès ici, comme l’agneau et riz aux cinq épices et le calamar à la coriandre aussi. En dessert, les poires pochées à l’arak sont très appréciées. Un ingrédient indispensable en cuisine? Trois ingrédients en fait : la fleur de sel que peu de gens utilisent, qui est d’excellente qualité ici et qui est un produit exceptionnel. Ensuite, L’amour de ce qu’on fait et l’envie de faire plaisir sont le cœur de notre métier. Pouvez-vous tomber amoureux d’une femme qui n’aime pas manger et qui est obsédée par sa ligne ? Je ne sais pas car on ne sait jamais ce que la vie nous réserve et l’amour ne se commande pas, mais je serais sûrement malheureux ! Si vous devez choisir entre faire l’amour et faire la cuisine, que choisiriez-vous ? Faire l’amour ! Avez-vous d’autres projets en tête au Liban ? Oui et non: pas de projets concrets qui avancent en ce moment mais c’est évident qu’en m’installant quasiment à Beyrouth avec Zabad, d’autres choses se présenteront. Chaque chose en son temps, pour le moment je me concentre sur Zabad. Zabad c’est fumeur ou non-fumeur ? C’est non-fumeur, c’est le respect de ce qu’on mange et le respect des autres. De toute manière comme la loi va bientôt entrer en vigueur, autant commencer ! Vous avez écrit des livres ? La cuisine libanaise d’hier et d’aujourd’hui avec Andrée Maalouf et préfacé par Amin Maalouf, traduit en espagnol et en anglais, et un deuxième livre que j’ai écrit avec toute la passion d’un libanais: Le barbecue, chose que j’adore faire depuis que j’étais tout petit. Quels conseils donnez-vous à des jeunes qui souhaitent se lancer dans ce métier ? Toute personne qui veut faire ce métier ne doit pas avoir peur des erreurs mais doit savoir que c’est un métier très dur techniquement, très éprouvant et qu’on ne peut pas faire si on manque de passion. Si on le fait pour gagner de l’argent ou pour la célébrité, autant faire autre chose. Hanane Tabet 115 Spécial