D-un(e)-prof-a-l-autre-Numero-78-Mai-2015

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D-un(e)-prof-a-l-autre-Numero-78-Mai-2015
Numéro 78 – Mai 2015
2015
Je crois qu’une feuille d’herbe n’est en rien inférieure au labeur des étoiles,
Et que la fourmi est également parfaite, et un grain de sable, et l’œuf du roitelet,
Et que la rainette est un chef-d’œuvre digne du plus haut des cieux,
Et que la ronce grimpante pourrait orner les salons du ciel,
Et que la plus infime jointure de ma main l’emporte sur toute mécanique,
Et que la vache qui broute tête baissée surpasse n’importe quelle statue
Et qu’une souris est un miracle capable de confondre des milliards d’incroyants.
Walt W HITMAN, Feuilles d’herbe
Au sommaire ce mois-ci :
p. 9
p. 2
p. 5
p. 6
p. 13
p. 8
FLES – Enseigner la langue-culture
Je suis Charlie : Ecouter les NIOUZZ
Un étudiant du 3e bac chez les
Moldaves (6)
Cartes postales
p. 14
p. 17
p. 18
Accueillir un écrivain en classe :
Patrick DELPERDANGE
Exploiter un spectacle théâtral avec le
GBEN
Album[s] (8) – 2 petits formats
Lu dernièrement
On vous informe !
D'un(e) prof ... à l'autre
La lettre du bac en français de HELMo Sainte-Croix
61, Hors-Château – 4000 Liège
Comité de rédaction : Sylvie Bougelet, Aurélie Cintori, Anne Dister, Pierre-Yves Duchâteau, Jean Kattus
Informations – abonnement – numéros précédents - index :
www.helmo.be > Formation continuée > D'un(e) prof à l'autre
Contact : [email protected]
1
Enseigner la langue-culture en FLES : les culturèmes
1. Lisez les titres de presse suivants, parus dans plusieurs journaux belges francophones en février
2015, Le Soir et La Libre Belgique. Par deux, faites des hypothèses sur le contenu des articles
qu’ils chapeautent. Vous pouvez vous aider d’un dictionnaire.
1.
L’obésité maternelle nuit à l’enfant
2.
Marie Gillain : « J’adore la liberté du théâtre »
(Le Soir : 25/2/2015)
(Le Soir : 25/2/2015)
3.
4.
Bruxelles, le centre-ville paralysé par les taxis ce
mardi (La Libre Belgique : 1/3/2015)
Les Dardenne ont eu leurs premiers Magritte…
(7 Dimanche : 8/2/2015)
5.
6.
La soirée des rhétos de Maredsous tourne au
vinaigre, alcool aidant (La Libre Belgique : 3/2/2015)
Les Français ont une brique belge dans le ventre
(La Libre Belgique : 3/2/2015)
7.
Hausse de la TVA : le Belge va le payer cher
(7 Dimanche : 8/2/2015)
8.
9.
Doit-on accepter le burkini à la piscine ? (Le Soir : 25/2/2015)
Plus d’échevines, moins d’échevins : une proposition
d’Ecolo pour assurer un meilleur équilibre
(Le Soir : 25/2/2015)
2. Entourez les mots et expressions que vous avez du mal à interpréter, malgré le recours au
dictionnaire.
2
Commentaires didactiques
Evidemment, comprendre un texte – et en particulier un titre de presse, forcément elliptique, dont la
fonction est avant tout de séduire le lecteur – suppose que l’on possède notamment des
connaissances du monde qui nous permettent d’établir ce que le texte ne dit pas explicitement. Ces
connaissances relèvent parfois d’une culture générale « de base ». Ainsi, le titre « Qui se soucie de
l’Ukraine ? » (La Libre Belgique : 7 et 8/2/2015), non repris ci-dessus, prendra tout son sens aux
yeux du lecteur un tant soit peu au fait de l’actualité et du conflit qui déchire ukrainophones et
russophones dans ce pays. Ou encore, « Bruxelles, le centre-ville paralysé par les taxis ce mardi »
(titre 3) déclenche des mécanismes d’inférence qui ne s’appuient pas sur une connaissance
approfondie de données culturelles particulières : l’un des moyens dont usent d’ordinaire les
chauffeurs de taxis pour manifester leur mécontentement consiste à entraver la circulation dans les
villes. Quant à Marie Gillain (titre 2), pour tenir de tels propos, il s’agit sans doute d’une
comédienne, pensera le lecteur allophone.
Ce même lecteur allophone, pourtant apprenant en français langue étrangère, pourra néanmoins
buter sur plusieurs des titres de la liste. Sait-il en effet que les Dardenne (titre 4) sont des cinéastes
belges souvent primés à Cannes ? Sait-il que Magritte n’est pas seulement un peintre surréaliste
mais aussi le nom des trophées que reçoivent en récompense de leurs talents les différents
intervenants dans la réalisation de films belges ? Il ignore peut-être que les rhétos (5), abréviation
de « rhétoriciens », sont des élèves de dernière année de l’enseignement secondaire et que ceux-ci
organisent traditionnellement des soirées pour fêter leur dernière année scolaire avant l’université
ou pour financer des voyages de fin d’études. Lui a-t-on jamais dit que les Belges sont réputés avoir
une brique dans le ventre (6), c’est-à-dire souhaiter devenir propriétaires d’une maison, et
qu’actuellement de nombreux Français achètent des biens immobiliers en Belgique, souvent pour
des raisons fiscales ? S’il lit la presse, il sait sans doute que la TVA (7), la taxe sur la valeur ajoutée,
va être prochainement augmentée en Belgique, en compensation d’une diminution des charges sur
les salaires (en gros, la part du salaire d’un employé qui revient à l’Etat). Quant au burkini (résultat
du télescopage de « burka » et de « bikini », titre 8), il renvoie à une réalité de la société belge : son
métissage culturel, parfois source de tensions.
Tous ces mots, dépositaires de réalités culturelles, Luc COLLÈS, universitaire belge spécialiste de
l’enseignement du français langue étrangère, les désigne par le terme de « culturèmes ». Il les
définit comme des mots à charge culturelle partagée (CCP)1, empruntant cette notion à un autre
spécialiste de la didactique du FLE, Robert Galisson. Un exemple trivial ? « Frite » est un
culturème. La frite chez nous n’est pas un simple accompagnement comme il peut l’être en France
ou ailleurs, c’est un objet de fierté nationale (CCP1) et c’est un plat à part entière (CCP2) comme
dans « On prend une frite ? ». « Magritte », nom propre, est également un culturème : les Belges
l’associent à son « Ceci n’est pas une pipe » et en font un peu l’ambassadeur de leurs prétendus
penchants au surréalisme. Depuis peu, un Magritte est une récompense attribuée dans le cadre d’un
concours portant sur le cinéma belge. « Ecolo » (titre 9) est un des 4 partis influents de la scène
politique du sud du pays et défend des idées progressistes : pas étonnant qu’il prône une meilleure
représentation des femmes parmi les « échevins », nom désignant en Belgique les adjoints du chef
d’une commune.
1 Luc COLLÈS, « Enseigner la langue-culture et les culturèmes », in Québec français, n°146, 2007, p.64-65 (article
disponible en ligne).
3
Ignorer ces connotations2 liées à certains mots peut s’avérer handicapant pour l’apprenant, lequel
passe alors à côté d’une dimension importante du sens de ce qu’il est amené à lire et à entendre dans
la langue apprise. Lui échappe du même coup cette complicité que crée la compréhension rapide
des non-dits de la communication verbale. Au professeur donc de lui donner « les moyens d’accéder
en profondeur à la culture comportementale partagée par les francophones, laquelle régit la plupart
de leurs attitudes, coutumes et représentations. »3
Etudier le français exclusivement à l’aide d’un manuel est la meilleure façon de passer à côté de
tous ces culturèmes : en effet, la plupart des manuels, édités en France, font la part belle aux faits
culturels français, même s’il est vrai qu’ils s’ouvrent de plus en plus largement à la francophonie
dans son ensemble. En outre, un manuel est un objet figé : il ne peut forcément pas recenser les
nouvelles représentations culturelles qui éclosent au fil de l’actualité.
Si l’on utilise un manuel, on veillera donc à proposer régulièrement aux apprenants des documents
dits authentiques, c’est-à-dire produits par des francophones pour communiquer avec des
francophones : il peut s’agir de textes littéraires, de contrats de bail, d’horaires de bus, d’articles
informatifs, d’opinions publiées sur des forums, etc. On familiarisera ainsi l’apprenant aux
multiples aspects de notre culture comportementale.
Pierre-Yves DUCHÂTEAU
« Le plat pays »
2 La charge culturelle partagée véhiculée par un mot correspond en gros à l’ensemble de ses connotations. Peut-on
ranger des termes comme « kot » ou « échevin » parmi les culturèmes ? Le fait que pour renvoyer à un certain référent,
les francophones de Belgique emploient un terme spécifique est plutôt une affaire de dénotation et un bon dictionnaire
suffit aux apprenants pour appréhender le sens de tels mots. Luc Collès les considère néanmoins comme des culturèmes,
dans la mesure où ils proposent parfois un découpage de la réalité propre à une ethnie. Suivons Luc Collès et
considérons que la CCP contenue dans un terme renvoie : 1. à ses connotations, 2. à une « saisie » particulière de la
réalité.
3 Luc Collès, ibidem.
4
Le 8 janvier, (presque) tout le monde
était Charlie. Mais le temps passe,
une préoccupation en chasse une
autre, Charlie passe à l'arrière-plan,
après le « bar à cocktails », la « bouffe grasse » et « l'ambiance de feu »...
photo prise aux valves de l'école
La fête, oui, bien sûr ! Mais n'oublions pas Charlie. Dans la ligne des articles précédents, je vous
suggère donc de recourir à un outil potentiellement très fructueux, tant en FLES qu'en FLM, et,
semble-t-il, sous-exploité (2 % d'audience seulement) : les NIOUZZ.
Le Soir, 13 mars 2015
Les Niouzz sont le premier journal télévisé
francophone pour enfants et jeunes
adolescents : huit minutes pour citer les trois
titres du jour, pour proposer un focus sur une
actualité qui touche les enfants et pour éclairer
sur un sujet plus complexe... Que demander de
mieux pour travailler les compétences
d'écoute et, du même coup, former de jeunes
citoyens au courant de l'actualité en leur
donnant des clés pour comprendre ce qui se
passe autour d'eux ?
Quelques atouts de cet outil pour le travail en
classe :
- C'est un support d'informations court,
attractif, aisément visionnable en classe via
www.rtbf.be/ouftivi. On peut même consacrer quelques minutes de chaque cours à l'écoute d'un seul titre des
Niouzz, en donnant aux élèves un projet d'écoute simple comme celui de résumer le reportage en une seule
phrase, la plus complète et précise possible. Phrase à écrire puis à proposer au groupe, qui pourra l'analyser
et l'amender. Ou, dans un 2e temps - les élèves étant alors habitués à la composition de telles phrases par écrit
- on demande à chacun de produire directement à l'oral la phrase résumante. On met ainsi en pratique un des
principes du travail de l'oral (volet écoute dans ce cas) : « chacun, un peu, souvent ».
- Des activités très diverses peuvent être mises en place, au-delà de la simple compréhension des reportages :
discussions, débats, comparaison du titre avec la lecture de la presse écrite, lecture d'images, interviews
prenant pour base celles de l'émission, création par sous-groupes de reportages à la manière des Niouzz, etc.
- La langue utilisée par les Niouzz est simple, à la portée des enfants, tout en fournissant un contenu sérieux.
Pas encore de projecteur disponible en classe ? Interpellez les responsables de votre école pour pouvoir
travailler dans des conditions dignes de 2015 à partir de septembre prochain ! ☺
Jean KATTUS
5
Les aventures de
FREDERIC
chez les Moldaves
Un étudiant du 3e bac français-FLES
chez les Moldaves (6)
Je ferme les yeux et me sens plonger dans ce monde des songes si
familiers. Les ombres m’envahissent et je laisse ce feutre
d’obscurité glisser sur ma peau telle une cascade d’eau de
montagne. Plus loin, encore plus loin ! Les abysses me happent et
rouvrent les vannes de ce torrent d’effroi juvénile.
Je suis seul dans un monde de brume où aucune étoile ne luit. Je
marche lentement, les sens aux aguets, sur un tapis de fumée
transparente, comme un spectre de minuit. Mon cœur s’accélère,
j’entends cogner mon sang dans mes tempes, la preuve que malgré
cette chute, je suis en vie. Le froid semble me geler, quand
j’aperçois deux rubis dans cet océan de vide. Ils flottent, me regardent, apparaissent et
disparaissent plusieurs fois avant de m’approcher. Ces deux lucioles de feu dansent autour de moi
et, pris dans cette ronde macabre, j’entends l’appel d’une fascination morbide qui me pousse à me
détendre et à me laisser emporter. Pour compléter ce tableau funeste, deux petits sabres de couleur
perle surgissent le temps d’un souffle avant de se loger dans le creux de mon cou. Une étreinte
éthérée m’enlace dans une caresse où ma vie nourrit ces yeux rougeoyants avant de s’éteindre pour
l’éternité. J’ouvre les yeux à nouveau sur le dernier mot d’une page jaunie en entendant l’écho
d’un cri percé par un pieu. Je ferme le livre et, en enlevant grossièrement la poussière qui
dissimulait ses lettres d’argent, je retrace du bout des doigts ce nom qui hantait mes cauchemars
d’enfant : Dracula.
Peut-être ressentez-vous quelques désagréables sensations évoquées par le mot
vampire ? Vous pensez, comme un grand nombre d’autres personnes, qu’il vit
dans le château de Bran en Transylvanie et que son véritable nom est Vlad
l’Empaleur ? …
Or, au risque de vous décevoir, ce personnage sanguinaire n'est qu’une simple fiction née sous la plume d’un
écrivain de la fin du XIXe siècle : Bram STOKER. En effet, son inspiration s’est nourrie de sa fascination de
l’étrange et d’une recherche assidue sur le phénomène du vampirisme en Europe de l’est, dont la Roumanie.
C’est également durant ces dix années de labeur que Bram STOKER a été fasciné par le profil du voïvode4
Vlad III Basarab Țepeș 5 Drăculea et par l’environnement des Carpates, une chaine de montagnes qui
délimite les frontières orientale et australe de la Transylvanie. Néanmoins, la diffusion et la reconnaissance
de son œuvre sont si fortes qu’elles nous poussent encore à confondre le château de Bran avec la demeure
réelle du personnage historique.
Pourtant, la réalité ne correspond pas tout à fait au mythe et j’estime important de distinguer le vrai du faux
avant que que vous ne vous lanciez vous-mêmes dans cette chasse aux vampires...
Premièrement, le prince Vlad III Basarab, bien que né pendant l’exil de ses parents à Sighișoara en
Transylvanie, a vécu la majorité de sa vie en Valachie dans les plaines du sud de la Roumanie, bien en
dessous de l’arc carpatique, et il est mort à Bucarest. De plus, durant ses nombreux déplacements à travers
l’actuelle Roumanie, il n’aurait peut-être séjourné à Bran que quelques jours. La croyance affirmant que
Vlad l’Empaleur vivait dans les montagnes transylvaniennes est donc fausse. C’est l’engouement pour cette
4 Voïvode est un terme d’origine slave qui désigne au départ le commandant d’une région militaire. Dérivé du slavon,
voï (armée) et voda (qui conduit), il était utilisé à l’époque médiévale dans toute la zone de l'Europe centrale et
orientale. (Wikipédia)
5 Țepeș : mot roumain signifiant épine et dérivé en Empaleur.
6
croyance et le tourisme qui ont déformé la réalité et qui nous poussent à affirmer que l’actuel château de
Bran est sa véritable demeure historique.
Deuxièmement, le titre d’Empaleur attribué au prince Vlad III
Basarab semble provenir d’une manipulation de certains
détracteurs durant ses périodes de règne6. En effet, il tenait son
territoire d’une main de fer et toute malversation était
sévèrement punie (mais rarement par le supplice du pal, la
mort par empalement). Pour illustrer la crainte qu’il inspirait à
son peuple, une légende raconte qu’il avait fait placer des
coupes d’or à chaque fontaine publique et que celles-ci n’ont
disparu que le jour de sa mort (ce qui d’ailleurs a permis de
propager l’annonce de la fin de son règne). Malgré cette
dureté, la Valachie s’épanouissait, enfin, sans banditisme ni
corruption. En dépit de cette image idyllique, le supplice du pal a bien été utilisé par le prince de Valachie. Il
l'aurait découvert étant enfant pendant sa période de captivité chez les Turcs. Les traces historiques attestent
qu’il a effectivement fait empaler des gens, mais pas de façon aussi abusive que vous le pensez. Ses actes
sont restés dans nos mémoires, car parmi les victimes figuraient des personnages de haut-rang, les Boyards,
responsables de la mort de ses parents, ce qui a provoqué des émules dans
les royaumes limitrophes. À cause de cette vengeance, le prince de Vlad III
Basarab a perdu le soutien du roi Corvin Ier de Hongrie. Tous ses opposants
saxons qui vivaient en Transylvanie en ont profité pour rapporter et
extrapoler à outrance les faits dans une lettre adressée au Pape Pie II. Les
termes de monstre dinant devant une exécution d’empalement et de buveur
du sang de ses victimes lui ont été attribués et diffusés dans toute l’Europe
sous forme de gravures dont la plus célèbre est tirée des chroniques de
Brodoc, un village situé en Moldavie, et représente un homme attablé
autour d’une foule d’empalés (d’où l’étiquette de Țepeș que les gens de
cette époque ont collée à notre prince valaque).
Enfin, le surnom Drăculea attribué au prince Vlad III Basarab a été dérivé de sa réelle signification par ses
détracteurs ainsi que par Bram Stoker. En effet, le mot Drăculea signifie le petit dragon en roumain. Le
prince Vlad III a reçu ce titre à sa naissance pour se distinguer de son père, Vlad Drăcul (le dragon), qui était
encore membre de l’Ordre du Dragon. Cependant, il existe une autre acception de Drăcul : le Diable. De ce
fait, les Saxons ont usé de ce stratagème pour renforcer leur plainte auprès du Pape Pie II en affirmant qu’un
homme qui, en plus des méfaits cités précédemment, se fait appeler le Diable ne peut être qu’un ennemi de
l’Eglise. Ainsi, à la suite de ces accusations et sans soutien extérieur, Vlad III Basarab Țepeș a perdu son titre
de prince et a séjourné pendant dix ans dans la prison de Buda 7 en Hongrie. Bram Stoker, lui, a effectué la
même démarche que les Saxons en associant les mots Drăculea et Drăcul, mais uniquement dans le but de
créer le nom de son célèbre vampire : Dracula.
En conclusion, j’aurais trouvé dommage de ne pas prendre le temps de vous écrire un article sur le
personnage emblématique de Dracula qui fascine encore aujourd’hui notre imaginaire et qui apporte à la
Roumanie une reconnaissance à travers le monde. J’espère également que vous ne verrez plus le vrai Vlad
Țepeș comme un vampire assoiffé de sang, vivant dans son château perdu dans les Carpates, mais bien
comme un voïvode, trop violent peut-être, qui a su diriger un territoire coincé entre plusieurs royaumes en
guerre.
Avant de vous quitter, une dernière pensée me taraude l’esprit : nous savons tous que les mythes ont
un fond de vérité… Alors méfiez-vous des ombres aux yeux rouges qui vous fixent pendant la nuit.
Frédéric KIENEN
6 Vlad III Basarab a été prince de Valachie pendant trois périodes : en 1448, de 1456 à 1462 et en 1476.
7 L’actuelle ville de Budapest, capitale de la Hongrie.
7
Cartes postales
Erasmus d'un quadrimestre, stages de 5 semaines en Afrique : quelques échos des voyageuses...
Sénégal
Salam aleikoum8 !
Pas trop froid en Belgique ? Ici : soleil, classe de 80 élèves et thieboudienne (plat national du
Sénagal)… Mais pas que ! Ici, le plus frappant, c’est la célèbre teranga9. Les Sénégalais ne sont
pas accueillants et chaleureux, ils sont bien plus que ça !
Même si le premier jour, en voyant la classe noire de monde (c’est le cas de le dire :-p), nous étions
un peu inquiètes, on en retire beaucoup. C’est ceux qui en ont le moins qui en donnent le plus. La
photo en témoigne : 77 élèves, 3 élèves par banc et pourtant, toutes les mains sont levées !
Bref, le bonheur ici, ça se vit dans les moments qu’on partage. Il faut le vivre pour le croire. Alors
qu’attendez-vous ? Venez nous rejoindre ! :-D
Nous, on ne regrette pas d’être parties ! Et on ne se réjouit pas de retrouver la célèbre pluie
belge... On vous envoie du soleil.
Florence BULDRINI et Stéphanie GROSJEAN
A suivre, dans le prochain numéro, l'interview complète des deux étudiantes :
« Qu'apporte un tel séjour à votre formation d'enseignantes ? »
8
9
Que la paix soit avec vous !
hospitalité
8
Gaëlle CARTIGNY
Accueillir un écrivain en classe :
Patrick DELPERDANGE
Dans le cadre des cours de didactique de la lecture et
de l'écriture, les étudiants de 2e année ont eu
l'occasion d'accueillir en classe l'écrivain Patrick
DELPERDANGE. L'espace d'une journée, ce dernier
s'est prêté avec entrain aux différentes activités. La
rencontre s'est terminée par une séance de questionsréponses entre l'auteur et les étudiants, désireux d'en
apprendre plus sur lui et son métier.
Préparation
La préparation de la venue de Patrick DELPERDANGE s'est déroulée en deux phases. La première
consistait à élaborer une série d'activités basées sur les livres de l'auteur afin de permettre aux autres
étudiants du groupe classe de découvrir ses
romans. L’objectif poursuivi était de leur donner
envie de découvrir les ouvrages et de développer
les compétences de lecture et d’écriture. La
seconde phase, quant à elle, consistait en la
formulation des questions que chacun souhaitait
poser à l'auteur.
Pour des raisons pratiques, la première phase de
préparation a été réalisée en sous-groupes. En
effet, Patrick DELPERDANGE étant un écrivain
assez productif, il aurait été impossible de lire
9
l'entièreté de son œuvre avant sa visite. Chaque sous-groupe s'est donc vu attribuer un roman, à
partir duquel il devait élaborer une activité originale, attrayante et interactive. L'animation de nos
activités devait, à la fois, inclure la participation de nos condisciples et celle de l'auteur.
Après plusieurs heures de travail, le résultat était au rendez-vous ! Les différents sous-groupes ont
réussi à proposer des introductions ludiques et originales aux romans de l'auteur, à l’aide de
différents supports (quizz, saynètes, photos, extraits, etc.).
LIRE - Tombé des nues - Nancy, Line, Adeline, Cindy, Pierre-Gil
Les cinq étudiants ont distribué un extrait du livre aux participants et l’ont lu à
voix haute. Après cette lecture, la classe avait pour consigne d’imaginer la suite
de l’histoire et de l’écrire en quelques minutes. Après cette activité d’écriture,
nous avons procédé à une socialisation des productions. Et quelle socialisation !
L’imagination débordante de certains nous a valu plusieurs fous rires... L’auteur
s’est d’ailleurs dit ravi et surpris. Patrick Delperdange a reconnu, en souriant, que
certains éléments lui avaient plu. Activité réussie, par conséquent !
ECRIRE - Le chien qui danse - Hervé, Charlotte, Gaël, Laure, Laura, Clémence
Le second groupe a réalisé une activité avec une introduction originale, à
savoir des images de chiens et de maitres qui se ressemblent. Vous connaissez
certainement le principe des brèves publications « Kiss and ride »10 que l’on
retrouve sur Internet ? Il s’agissait, lors de cette activité de rédiger un billet de
ce genre. La classe ne connaissant pas le roman Le chien qui danse, le groupe
a résumé le début en quelques mots : une adolescente a perdu son chien et un
jeune homme le retrouve dans le métro.
Qui ne connait pas l’adage « Tel chien, tel maitre » ? La suite de l’activité fut basée sur cette phrase.
Chaque participant recevait l’image d’un chien d’une certaine race et devait écrire, sur la base de
cette photo, un billet « Kiss and ride » (petite annonce sur Internet) adressé à la jeune femme en
imaginant son caractère et son physique grâce à celui du chien. Ensuite, selon la race de chien à
partir de laquelle ils avaient écrit, les étudiants se sont rassemblés et ont sélectionné la meilleure
production afin de la lire devant la classe. Rires garantis !
10 Voici les consignes de rédaction d’un « Kiss and tweet/ride » du journal Métro (genre de textes susceptible de
motiver les élèves à écrire et de développer leur appétence à l'écriture) :
KISS AND TWEET : « Vous avez rencontré l’amour de votre vie par hasard, perdu votre chaussette fétiche ou vous
avez tout simplement une envie soudaine de partager quelque chose avec le monde entier ? Un seul hashtag pour vous
aider : #kissandtweet via Twitter ou Instagram ! Tous les messages et photos paraitront ici. La rédaction sélectionnera
quotidiennement les kiss and tweet qui paraitront dans le journal. »
KISS AND RIDE : « Vous n’avez pas de compte Twitter, mais vous souhaitez faire passer votre message dans le
journal ? No worries, vous pouvez laisser votre message romantique ou votre appel pour un objet perdu ci-dessous.
Remplissez le formulaire ci-dessous et nous nous occupons du reste !
(http://fr.metrotime.be/kiss-and-tweet/)
10
LIRE - Comme une bombe - Arnaud, Lorine, Sylvie, Jeanne, Géraldine, Marie T.
Le but de cette activité était de faire découvrir la suite de l’histoire du roman
(dont la situation initiale avait été expliquée) grâce à une série d’indices
fournis selon le nombre de réponses correctes à des questions en lien avec
l’œuvre de Patrick Delperdange.
Les étudiants ont divisé la classe en plusieurs groupes de six ou sept
personnes et ont distribué un document avec une question par personne. Une
fois la mise en groupes réalisée, chaque personne apportait sa réponse à
l’ensemble de son sous-groupe et les étudiants en charge de l’activité validaient les réponses
données. Plus il y avait de réponses correctes, plus le sous-groupe recevait d’indices pour
recomposer l’histoire. A la fin de l’activité, une socialisation a permis de connaitre les récits
imaginés par chaque sous-groupe.
ECRIRE - La beauté Louise - Anne-Sophie, Elke, Louise, Manu, Olivia, Maxime
Pour introduire ce livre, le groupe a réalisé une présentation originale en créant trois grandes
affiches qui reprenaient les différentes couvertures du livre en question. Chaque étudiant devait y
inscrire deux mots en lien avec chacune des couvertures (sous forme de brainstorming). Cette
activité a clairement fait apparaitre que l’illustration et les couleurs choisies sont importantes pour
donner au lecteur un aperçu de l’histoire. Par exemple, une couverture sombre laissait supposer une
histoire triste, alors qu’une autre aux couleurs plus vives suggérait un récit amusant.
Une fois cette introduction et ce brainstorming réalisés, chaque participant fut invité à imaginer et
écrire le résumé de l’histoire en s’inspirant de la couverture qu’il préférait. Encore une fois, les
productions, diverses et variées, ont étonné l’auteur qui a reconnu que certains résumés
comprenaient de nombreux éléments de l’histoire qu’il avait lui-même imaginés. L’activité s’est
déroulée dans la bonne humeur, malgré l’évidente désapprobation de l’auteur concernant les choix
(posés par l’éditeur) des différentes couvertures de ses romans.
11
ECOUTER - Ishango, tome 1 - Jonathan, Nathalie, Elodie, Chloé, Camille
Le groupe a mis en place un quizz basé sur trois extraits lus par l’auteur,
devenu juge dans le cadre de ce « Questions pour un bouquin ».
Les étudiants étaient divisés en cinq sous-groupes. Après la lecture de chaque
extrait, un des étudiants responsables de l’activité lisait quelques questions
portant sur ce que le groupe venait d’entendre et ensuite… place au plus rapide
pour la réponse ! Questions générales, inférentielles, logiques… Tout y est
passé pour tester l’écoute des futurs professeurs de français. Véritable défi, aussi bien pour les
animateurs que pour les participants.
PARLER - Coup de froid - Delphine, Adèle, Hélène, Marie H., Aline, Jade, Léa
Pour faire découvrir ce roman, les étudiants du groupe ont distribué des
extraits du livre à mettre en scène sous la forme de saynètes. Rappelons-le, les
autres étudiants de la classe ne connaissaient rien du livre et ont dû totalement
improviser sur la base des informations reçues à propos des personnages
(quelques traits de caractère) et du texte qu’ils avaient sous les yeux
(comportant des paroles, un peu de narration et les personnages présents).
Cette activité fut réalisée avec enthousiasme par les participants qui ont mis
du cœur à l’ouvrage et ont très souvent improvisé sans avoir eu le temps
d’étudier davantage leurs répliques. Cela fut l’occasion, pour l’auteur, de percevoir la réception
immédiate de ses personnages. Il a d’ailleurs félicité tout le monde en répétant que lui-même aurait
été incapable de réaliser ces improvisations.
Une fois les activités terminées, nous avons posé nos questions à l'auteur, relevant de 6 thématiques
principales :
- les romans de l'auteur (sources d’inspiration, thèmes, …)
- la diversité des livres de l'auteur (romans pour la jeunesse ou les adultes, livres numériques,
B.D., ...)
- les procédés et conditions pour écrire (rituels, méthodologie, conseils,…)
- le monde de l'édition (fonctionnement de l'édition, obstacles, critères de
sélection, …)
- le métier d'écrivain (raisons du choix du métier, motivations, …)
- l'écriture et les livres en classe (exploitations, suggestions, …).
Cet échange sous la forme de questions-réponses constitua un moment essentiel
de la rencontre avec Monsieur Delperdange puisqu’il nous permit de percevoir
différents aspects de son métier d’écrivain. Nos représentations initiales furent
parfois bouleversées, mais l’enrichissement culturel n’en fut que plus évident.
L'auteur ne manque pas d'humour...
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Analyse des activités
En règle générale, nous avons remarqué que les activités favorisant les interactions (Ishango, Le
chien qui danse et Coup de froid) ont mieux fonctionné, car elles impliquaient davantage les élèves
et l’auteur. Cependant, nous retenons, pour nos pratiques futures, qu’il vaut mieux inclure les
questions de l’interview entre chaque activité pour laisser au groupe suivant le temps de s’installer
et ainsi éviter les temps morts. De plus, cela permettrait à l’écrivain de réagir par rapport au vécu
commun du groupe.
Grâce à ces riches échanges, l'auteur a pu apporter des informations et des clarifications par rapport
à sa pratique de l’écriture, à sa motivation et à ses envies pour le futur, même s’il n’avait pas l’air
très enclin à répondre à nos questions au début de l’interview. Ses interventions ont changé notre
vision du monde de l’édition et plusieurs réponses nous ont fortement bousculés.
Ainsi, à la suite d'une longue préparation (recherches sur l'auteur, découverte de ses livres,
préparation des activités, des questions), nous avons pu vivre une journée conviviale en compagnie
de Patrick DELPERDANGE. Cette rencontre fut enrichissante pour nous, futurs enseignants, d'une part
grâce à la préparation des activités et d'autre part, grâce aux réponses et aux conseils de l'auteur.
Merci à Patrick DELPERDANGE ainsi qu'à nos professeures, Aurélie CINTORI et Sylvie BOUGELET, de
nous avoir offert cette belle journée.
Nathalie AMIOUNI et Jonathan MATERNE, étudiants de 2e année.
Les étudiants de 3e année et plusieurs de leurs
enseignants ont assisté en octobre dernier (déjà !) au
spectacle de David DAUBRESSE intitulé Entre rêve et
poussière. Il y met en scène une jeune fille qui parvient
difficilement à concilier ses rêves et les obligations de
l’école.
Ils ont également assisté à l’exploitation de cette pièce proposée par des membres du GBEN11 : il
s’agissait d’écrire, dans un premier temps individuellement, quelques mots exprimant ce que chacun
retenait du spectacle. Après un échange au sein des sous-groupes, un bref texte de forme libre
(poème, texte philosophique, …) fut rédigé collectivement et socialisé. Un des objectifs consistait
également à entamer le dialogue avec l’auteur (qui était présent) en lien avec la partie
autobiographique du spectacle. Cette exploitation a permis à tous de partager les réflexions et les
ressentis de chacun après le spectacle et aux futurs enseignants d’engranger des idées d’activités
pour exploiter une lecture (d’un spectacle dans ce cas-ci).
Des tracts ont également été distribués par
les membres du GBEN qui ont invité le public
à y réfléchir. En voici un exemple :
En ce qui concerne les apprentissages,
le seul avantage que nous avons sur les enfants,
c’est que nous avons vécu plus longtemps.
Bonne méditation !
11 Le GBEN est né en 1983 de la rencontre entre un cercle d’amis, tous enseignants en recherche, et le Groupe
Français d’Education Nouvelle (G.F.E.N.). Il vise une transformation de la société à travers diverses institutions, dont
l’école. Afin de préparer une société plus juste, plus humaine, plus créative, moins mercantile et concurrente, plus
solidaire et non violente, ils agissent sur le système éducatif pour :
- valoriser la construction des connaissances toujours à remettre en question, dans une visée d’émancipation, tant des
apprenants que des enseignants
- favoriser la recherche en groupe, renforcée par une recherche individuelle préalable (auto-socio-construction des
savoirs) et cela, dès l’école maternelle.
Pour plus d’informations sur leurs activités et leurs publications : www.gben.be
13
album[s] (8)
Deux petits formats
Small
Moi, j'attends
Auteur - illustrateur : PEF
Auteur : Davide CALI
Illustrateur : Serge BLOCH
Editeur : Sarbacane, 2005
Format : rectangle horizontal 11,5 x 27,5 cm
Tout public
Editeur : Rue du Monde, 2013
Format : rectangle vertical 12,5 x 9,5 cm
Le mot de l'éditeur
C'est l'histoire d'un petit bonhomme, qui traverse la vie à
petits pas, sans ambition plus grande que lui et sans faire
grand bruit. L'amour y passe sans s'accrocher, le sens des
choses est à inventer. Menus plaisirs, belles rencontres,
jolies découvertes... Il pousse sa vie simple loin de ceux
qui mènent grand train et qui oublient trop souvent ce
qui fait la grandeur de l'existence des plus petits : savoir
être heureux avec ce qu'on a.
Le mot de l'éditeur
C’est l’histoire d’une vie, de l’enfance jusqu’à la
vieillesse, vue sous l’angle des attentes grandes ou
petites qui en ponctuent le parcours : l’amour, la fin de la
guerre, le mariage, les funérailles de l’être aimé, mais
aussi l’arrivée d’une lettre, la cuisson d’un gâteau, les
vacances, la sonnerie du téléphone ou l’arrêt de la pluie.
www.ruedumonde.fr
http://editions-sarbacane.com/moi-jattends-2
« Tiens, un tout petit livre... Qui s'appelle Small, en plus ! Et celui-là, tout allongé et qui s'appelle
Moi, j'attends... c'est vrai que souvent, l'attente parait longue... » Voici les réflexions que je me suis
faites dans cette librairie jeunesse au moment où j'ai découvert ces deux albums originaux. C'est
cela qui m'a décidé à les acheter. Atypiques l'un comme l'autre, ils partagent de nombreuses
caractéristiques.
Leur format, d'abord, qui correspond parfaitement à
leurs propos respectifs. Small est tout petit, environ
10 cm2, et tient dans une main. Small, c'est le nom du
personnage, qu'on appelle à sa naissance « le petit »
car « il est plus petit que grand » ; il conservera ce
nom Small toute sa vie, qui sera « normale »,
« ordinaire », une « petite vie » diront certains...
Le format de Moi, j'attends réserve quant à lui une surprise : c'est effectivement un petit format (10
cm de haut), mais horizontal, il joue pleinement sur l'espace de la double-page, réservant ainsi au
lecteur un panoramique impressionnant : sa largeur équivaut à 5 fois sa hauteur ! Longue est la
page... : le temps s'étire au fil (rouge) des multiples attentes de la vie...
14
Ces deux albums jouent aussi superbement avec la langue : Pef a répertorié dans Small un nombre
impressionnant d'expressions contenant les mots « petit » ou « grand » : un grand amour, le Grand
Méchant Loup, Petit Papa Noël, la petite et la grande école, les grands desseins, un grand dadais,
le petit bain et le grand bassin, le p'tit gars et sa petite amie, un grand chef aux petits soins pour
ses clients, etc. Deux ou trois occurences par page ! C'est d'ailleurs un jeu très amusant de les
retrouver et de débusquer ainsi les trouvailles de l'auteur qui s'ingénie à les présenter en paires
contradictoires : Elle a une petite robe à fleurs et un grand sourire / Il lui ressemble, ce bambin, pas
très grand, timide, un petit air de famille...
Dans Moi, j'attends, chaque double-page illustre une phrase d'autant plus efficace qu'elle est toute
courte et simple et qu'elle va droit au but, centrant le lecteur sur des attentes bien différentes (j'en ai
compté 23) qui rythment la vie du personnage, lui aussi un « monsieur tout le monde ». Ces attentes
sont anodines pour certaines (j'attends le début du film) ou beaucoup moins courantes : j'attends un
bébé, j'attends la fin de la guerre, j'attends qu'elle ne souffre plus... Ce qui unifie ce répertoire
d'attentes, double-page après double-page,
c'est l'évocation des émotions qu'elles
suscitent, heureuses ou tristes, reliées entre
elles par le fil rouge de la vie qui passe.
Celui-ci symbolise aussi, tout au long du
livre, les relations que le personnage tisse
avec son entourage : fil rouge, couleur du
sang, de l'amour et de la vie. Et quand la
mort approche, ce fil de la vie, celui qui
nous relie aux autres, devient ténu et se
réduit à quelques brins fragiles.
J'attends … qu'elle ne souffre plus.
Simplicité et sobriété de la technique graphique aussi pour ces deux ouvrages : simples traits noirs
pour figurer les personnages, quelques aplats bleus ou orange pour Small, et le seul rouge vif du fil
qui relie les pages de Moi, j'attends les unes aux autres. Ce qui est admirable dans ces deux albums,
c'est que le choix des moyens, graphiques ou langagiers, sert au mieux les objectifs poursuivis par
les auteurs : nous donner à voir la vie toute simple de chacun d'entre nous comme une suite de
moments variés, heureux ou malheureux, insignifiants ou essentiels. Parcourant des yeux ces deux
vies en quelques minutes, le temps de la lecture, nous prenons distance, nous relativisons et nous
nous interrogeons sur le sens que peut recouvrir notre propre vie, si semblable à celle des
personnages. Portée philosophique du propos donc, mais une philosophie tout empreinte de poésie,
de douceur et de tendresse à l'égard de la condition humaine.
Un autre plaisir de la lecture tient à l'épaisseur des livres, au fait qu'ils sont cartonnés et à leur dos
toilé : solides et résistants, ces livres renferment certainement des trésors ! Les animations pour
tablettes conçues au départ de Moi, j'attends12 aussi bien réalisées soient-elles, ne peuvent procurer
12 https://www.youtube.com/watch?v=xjjkuQHUXjc
https://www.youtube.com/watch?v=mCmysb9fF0o
15
le plaisir physique de tenir entre ses mains un objet presque précieux, à feuilleter à sa guise, à lire et
à relire pour y découvrir à chaque fois, avec un sourire, un élément non repéré jusque-là.
La relation texte-image13
Dans Small, texte et image sont
cloisonnés sur l'espace de la doublepage. La lecture du texte et de
l'image s'opèrent séparément et
successivement. Le texte étant court,
l'attention accordée à l'image peut
être importante : le texte ne porte
pas seul l'intégralité du récit.
Dans cette configuration, il y a
complémentarité entre le texte et
l'image : chacune de ces instances
apporte
une
dimension
supplémentaire à l'autre.
Dans Moi, j'attends, l'image occupe l'espace le plus important de la double-page, le texte, petit et
discret, se situant dans une partie laissée libre. L'image se présente en quelque sorte comme
première, le texte venant en léger décalage donner l'explication de l'illustration, vers laquelle il
renvoie immédiatement. D'autant plus que, de page en page, le lecteur se demande de quelle
nouvelle façon le fil conducteur rouge du livre va poursuivre son chemin.
J'attends... que ce soit l'autre qui demande pardon
La relation entre le texte et l'image est ici redondante : tous deux disent la même chose, mais
l'illustration le fait de façon différente du texte, et éminemment poétique...
Enfin, dans les deux albums, chaque double-page se superpose à la précédente, comme un nouveau
motif autonome, brodé sur le même thème. Mais chaque double-page repose aussi sur une évolution
temporelle : le personnage, d'abord bébé, devient adolescent, puis adulte et enfin personne âgée.
Petit/grand pour Small, J'attends pour Moi, j'attends : deux fils conducteurs chronologiques.
Jean KATTUS
13 Ces notes sont inspirées de l'ouvrage Album[s] de Sophie van der Linden.
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Lu dernièrement
Yôko OGAWA, Petits oiseaux. Actes Sud, 2014.
Dans une petite ville du Japon, deux frères, deux enfants complices pour aller
acheter des sucettes à la droguerie. L'ainé ne parle que le langage des oiseaux, que
seul son frère cadet peut comprendre. Devenu adulte, il passe de longs moments à
observer les oiseaux de la volière de l'école maternelle. La directrice le remarque et
lui en confie l'entretien. Souvent, les deux frères planifient de partir en voyage, mais
arrivés devant la volière, en écoutant les oiseaux, ils oublient leur projet...
Deux vies toutes simples, empreintes de douceur et de poésie. Une lecture lente,
presque onirique, en compagnie de personnages différents, qui vivent à un autre rythme, tout en retenue. Le
Japon en arrière fond, sa culture, son amour de la nature...
Nancy HUSTON, Bad girl. Actes Sud, 2014.
Qu'est-ce qui peut expliquer que l'on devienne romancière et essayiste ? « Les gens heureux
n'ont pas d'histoire » : faut-il vivre le malheur pour pouvoir en raconter ?
En s'adressant à Dorrit, le foetus qu'elle fut dans le ventre de sa mère, Nancy Huston
développe une réflexion extrêmement intelligente et personnelle sur son passé familial (les
liens entre les personnes de plusieurs générations d'une même famille constituent un thème
central de son œuvre) et sur ce qui l'a conduite à survivre en se lançant dans la création
littéraire.
Jean KATTUS
Saphia AZZEDDINE, Bilqiss. Stock, 2015.
« Contrairement à vous, je ne parlerai pas en Son nom. Mais j'ai une intuition. Vous
adorez Dieu mais, Lui, Il vous déteste. » Face à ses bourreaux, face à cette foule qui
l'entoure, Bilqiss, veuve musulmane, ne mâche pas ses mots. Déjà, elle sait que ce
simulacre de procès se soldera par sa mort. Une mort par lapidation. Son crime ? Avoir
déclamé l'adhan, l'appel à la prière, à la place du muezzin, un matin où ce dernier ne
s'est pas réveillé. De plus, Bilqiss n'a pas la langue dans sa poche, laisse parfois
échapper une mèche de cheveux de sa burqa, lit des poèmes, écoute de la musique et
s'épile… Pour toutes ces raisons, Bilqiss est une impure. Elle a trahi la religion, elle a
trahi Allah. De jour en jour, dans la salle d'audience, la voix de Bilqiss s'élève, afin de
dénoncer comment, par leurs actes, les hommes se sont détournés de Dieu. Etonné par
le virulent désir de liberté de Bilqiss, le juge va finalement se rendre compte de l'injustice de ce système qu'il
conforte. Au milieu de cette guerre de foi, Léandra, jeune reporter américaine pétrie de bonnes intentions,
essaie de comprendre la situation. Elle sait que Bilqiss est condamnée. La question qui subsiste est de savoir
qui lui jettera la première pierre…
A travers ce livre osé, efficace mais ô combien nécessaire en raison de l'actualité récente, Saphia AZZEDDINE
décide de mettre fin aux idées préconçues. Après Confidences à Allah, l'auteure de Bilqiss fait de la lutte
contre l'oppression des femmes son combat. L'auteure signe ici un roman engagé mais subtil, qui nous
renvoie à nos responsabilités et nous fait prendre conscience que rien n'est jamais tout blanc ou tout noir.
Elle nous interroge également sur notre liberté. Finalement, qui est le plus libre des trois : Léandra, le juge ou
Bilqiss ? Bilqiss est sans doute la personne la plus libre du roman. Même si elle est seule dans sa cellule, elle
se réapproprie son Dieu, qu'elle estime volé et perverti par les hommes. Elle refuse de céder sa foi à la charia
qui n'est qu'une invention humaine. Jusqu'au bout, Bilqiss reste musulmane et libre. Ce magnifique hommage
à l'islam confirme que Saphia Azzeddine est une écrivaine de poids dans la littérature francophone
contemporaine.
Jonathan MATERNE
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On vous informe !
www.changement-egalite.be
... notamment...
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