Le luxe et les réseaux sociaux L`exemple d`Instagram

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Le luxe et les réseaux sociaux L`exemple d`Instagram
 IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par M. Thibault Ribeil
Directrice du mémoire : Mme Alix Howard
Date : 2013
Le luxe et les réseaux sociaux
L’exemple d’Instagram
2 IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par M. Thibault Ribeil
Directrice du mémoire : Mme Alix Howard
Date : 2013
Le luxe et les réseaux sociaux
L’exemple d’Instagram
3 Remerciements
Observer les liens en luxe et digital à travers de l’angle de la photographie : la
contemporanéité et le prisme de ce sujet pouvaient paraître délicats. A cet égard, je
remercie Mme Alix Howard, ma directrice de mémoire, de m’avoir fait part de sa
confiance dès le départ.
Je remercie également Camille, Oriane et Jimmy pour leurs conseils et leur soutien
tout au long de cette entreprise.
Merci enfin à ma famille et à Hugo pour leur aide précieuse dans la relecture et leur
soutien immuable d’années en années.
4 Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les
mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur(e).
5 Abréviations et acronymes par ordre alphabétique
SEO : Search Engine Optimization
YSL : Yves Saint Laurent
6 Liste des figures
Fig. 1 – Capture d’écran d’une montre mise en ligne sur le site cartier.fr…………...16
Fig. 2 – Graphique illustrant la présence sur les réseaux sociaux des 100 plus grandes
marques globales en février 2013………………………………………………...…..20
Fig. 3 – Logo d’Instagram…………………………………………………...……….21
Fig.4 – Graphique illustrant l’adoption d’Instagram et ses modalités par les 100 plus
grandes marques globales au 1er février 2013 et au 1er mai 2013……………..……..27
Fig. 5 – Capture d’écran du top 10 des marques les plus influentes sur Instagram au
13 août 2013………………………………………………………………………….28
Fig. 6 – Capture d’écran du compte Instagram OscarPRGirl (13 août 2013)………..30
Fig. 7 – Capture d’écran d’un tableau illustrant le fort engagement des marques de
luxe dans l’écosystème Instagram………………………………………………...….32
Fig. 8 – Capture d’écran d’un tableau illustrant l’utilisation d’Instagram par les
marques de luxe………………………………………………………………..……..32
7 Sommaire
Introduction………………………………………………………………….…...……9
Partie 1. Le luxe dans la tourmente digitale……………………………….......….12
Chapitre 1. L’alchimie des paradoxes.....................................................................13
Chapitre 2. Le luxe et les réseaux sociaux………………………………………..18
Partie 2. Le déploiement des marques de luxe sur Instagram…………..……….26
Chapitre 3. Instagram fait flasher le luxe…………………………………………27
Chapitre 4. La photographie comme pierre d’achoppement ?................................34
Partie 3. L’activation d’un levier stratégique……………………………………..41
Chapitre 5. La puissance de l’image……………………….……………………..43
Chapitre 6. Un enjeu marketing considérable…………………………...………..48
Conclusion……………………………………………………………………………54
Table des Annexes…………………………………………………………………...56
Annexes…………………………………………………………………………..…..57
Bibliographie et sitographie.…………………………………………………………71
Table des Matières…………………………………………………………………...74
Résumé…………………………………………………………………………….....76
8 Introduction
L’image a toujours eu une portée pratique, directe et expressive, contrairement
au texte, qui a besoin d’être lu, d’être procédé, pour produire ces effets. Un long
chemin a été parcouru depuis les premières peintures rupestres, les premières
représentations picturales, jusqu’à l’image numérisée, malléable et volatile. Un long
chemin,
en
terme
d’innovations
techniques,
de
pratiques
nouvelles,
de
démocratisation du matériel et de la compétence. Bien que cette assertion soit sans
doute valable depuis 150 ans sans discontinuité, l’image est plus que jamais au centre
de nos communications : la télévision est toujours là, la presse se duplique sur les
écrans des tablettes tactiles, enrichies d’une dose de « multimédia » et d’ «
interactivité ». Via la technologie du cloud computing, qu’on peut décrire comme un
ensemble de solutions de stockage distant, tout un chacun alimente chaque jour un
immense amas de données comprenant de nombreuses photographies et images, qui
constitue une archive iconographique sans précédent de l’être humain.
Cette image se retrouve également portée aux nues dans les domaines du
marketing et de la communication, notamment depuis l’avènement d’Internet, offrant
aux marques un nouvel espace d’expression à composer. A travers les nouveaux
services tels que Pinterest ou Instagram, la photographie apparaît comme un nouvel
Eldorado pour la communication et le marketing, avec l’intégration de ce type
d’application dans leur stratégie digitale pour preuve. Dans cette profusion d’images
et de messages, qui plus est dans un environnement concurrentiel, les marques se
doivent d’être de plus en plus créatives et de cultiver leur différence. Il s’agit de
rappeler, qu’à travers sa communication, une marque vise en effet non seulement à «
informer, attirer, susciter du désir, être choisie, être remarquée et retenue1 » mais
aussi à « générer une image positive ». La duplication sinon la construction d’une
image de marque sur Internet semble aussi répondre à la plus grande problématique
de l’Internet commercial contemporain, l’économie de l’attention. De par la richesse
des contenus et du nombre d’informations présents sur Internet, l’attention humaine
se retrouve ainsi fractionnée, atomisée. Pour autant le temps n’a pas ralenti, et il
1 M. Chevalier et G. Mazzalovo, Management et Marketing du luxe, Paris, Dunod, 2008.
9 devient difficile d’assimiler ce torrent pluri-quotidien de données. Mais ne dit-on pas
qu’un dessin vaut mieux qu’un long discours ?
L’image dans le secteur du luxe revêt justement une valeur particulière. Pour
s’en convaincre, il suffit de songer à la présence massive de publicités – parfois
jusqu’à 75% du contenu – dans les magazines de mode. Réalisés pour la plupart par
des photographes renommés, les visuels des marques relèvent cependant souvent
d’univers semblables, mimétiques, formant une tautologie redondante du luxe. Les
pages se tournent, les visuels se ressemblent sans que l’on sache exactement les
rattacher à telle marque plutôt qu’à telle autre. Cette tendance pour la qualité et la
quantité ne fait que confirmer la nécessité pour les marques de luxe de se singulariser,
de se différencier. De nouvelles stratégies se font jour et investissent l’univers digital
des marques. Mais la photographie de luxe est-elle transposable sur l’écran d’un
smartphone ?
Initialement, ce mémoire devait être consacré à une étude du luxe sur Internet,
au travers des pratiques digitales des marques, et de la distorsion que crée le digital
sur cette notion ayant à voir avec la sélection, l’exclusivité, la distinction, le beau, car
cet angle d’attaque m’apparaissait relativement novateur en matière de recherche, tout
en restant dans la continuité des études sur les imaginaires d’internet et sur le
transposition des valeurs du luxe induite par leur digitalisation. Le luxe, comme le
beau, ignore les codes et le pragmatisme que l’on pourrait retrouver dans l’étude
d’autres objets et c’est en cela qu’il apparaît différent des autres sujets traités à travers
le prisme d’Internet. Sujet passionnant s’il en est, il s’est vite avéré bien trop
complexe pour être traité dans la quantité impartie pour ce mémoire. Le luxe, comme
objet d’étude, est absolument multidimensionnel et il semble difficile sinon mutilant
de ne pas le traiter dans sa globalité et sa porosité avec bon nombre d’autres
catégories d’objets sur lesquelles il est impossible de faire l’impasse, telles que les
arts, la sociologie ou la philosophie.
Cependant, en retournant le sujet initial, il est apparu qu’il pouvait être très
intéressant d’aborder le sujet de façon détournée, par un petit bout de raisonnement. Il
a donc été décidé d’orienter l’objet de ce mémoire sur l’analyse de l’usage digital de
l’image que font les marques à travers la photographie, qui apparaît comme
révélatrice des caractéristiques des pratiques autour du luxe sur Internet, pratiques que
l’on suspecte d’être homogènes à cause de l’effet dit « démocratique » d’Internet.
10 Comme mentionné plus haut, il existe un nouveau champion dans le monde de
l’image et de la photographie 2.0, et il s’appelle Instagram. Lors de la décision de
s’intéresser à la transposition et à l’usage de l’image par les marques du secteur du
luxe sur le terrain digital, cette application de photographie semble avoir la capacité
d’être déconstruite et questionnée afin de devenir un potentiel idéaltype de
l’imbrication du luxe, de la photographie et d’Internet. La naissance relativement
récente de l’application (la première version date du 6/10/2010), peut refroidir toute
entreprise de mise à jour et d’état de la recherche tant les évolutions sont rapides : ce
contexte m’a justement semblé digne d’intérêt.
Problématique
L’enjeu de l’étude est donc de questionner la manière d’exister des marques
du secteur du luxe sur un tout nouveau support. Comment sont transposées l’identité
et la ligne graphique d’une marque de luxe dans des codes et un espace qui ne lui sont
ni familiers, ni exclusifs ? Dans quelle mesure l’intégration efficace d’Instagram dans
une stratégie webmarketing constitue-elle une clé de réussite de la mue digitale d’une
marque de luxe ?
Dans un espace digital présentant une infinité de supports, emmener et
transposer une marque de luxe pourrait être une solution pour exister dans ce nouveau
monde. Or l’univers digital est pluriel et Instagram comme potentiel idéaltype de
l’imbrication du luxe, de la photographie et d’Internet soulève précisément des enjeux
par lesquels seules les marques du secteur du luxe sont directement concernées.
Dans une première partie, nous examinerons la porosité irrégulière entre le luxe et le
digital et la façon dont les marques de luxe investissent ce support en général et les
réseaux sociaux en particulier.
Dans une seconde partie, nous nous intéresserons spécifiquement à Instagram et aux
paradoxes que la digitalisation des marques de luxe présente sur cette application
photographique par essence amateur.
Dans une troisième partie, nous envisagerons Instagram, en tant qu’outil de marketing
de l’image, comme levier digital incontournable dans la stratégie webmarketing de
toute marque de luxe.
11 Partie 1
Le luxe dans la tourmente digitale
Le 19 juin 2000, LVMH, dans un communiqué2, annonce le lancement de
eLuxury, une boutique en ligne consacrée au luxe et à l’art de vivre. Les propos de
Bernard Arnault reflètent bien l’aspect pionnier voire expérimental d’une extension
du périmètre du luxe vers le web à date : « eLuxury est l’exemple parfait de
l’importance prise par l’Internet. Ce site donne la possibilité aux consommateurs
d’accéder à des biens et services qui jusqu’à présent, n’étaient disponibles que dans
un nombre limité de villes. Le site va rencontrer un large succès auprès des habitants
des abords des grandes métropoles qui pourront ainsi effectuer des achats
complémentaires de ceux effectués dans des magasins ; il s’adresse également aux
consommateurs qui ont un accès moins fréquent aux grands centres urbains ». Malgré
les importants moyens mis à disposition par LVMH (dont un centre logistique de 45
000 m2), l’expérience s’est conclue par un échec et eLuxury a fermé ses portes en
2009. En effet, à l’époque, les premiers sites de boutiques en ligne font encore figure
de prototypes et ne reflètent pas le faste et le somptueux que les marques de luxe sont
capables de produire dans le offline. Les siècles de savoir-faire accumulés par les
grandes Maisons du secteur du luxe ne les ont pas préparées à l’ère digitale qui s’est
présentée face à elles dans la décennie 1990.
13 ans après ces tâtonnements, les marques du secteur du luxe, longtemps
hermétiques à Internet, mettent aujourd’hui leur stratégie webmarketing au diapason
des dernières mises à jour des applications auxquelles elles sont inscrites. Le secteur
du luxe a fini par se rendre à l’évidence : ce média est incontournable. La question
n’est plus de savoir s’il faut ou non s’y investir mais comment en user au mieux.
2 http://www.lvmh.fr/press/170 12 Chapitre 1. L’alchimie des paradoxes
Le secteur du luxe est familier, comme de nombreuses sphères économiques, des
innovations en tout genre ; l’avènement d’Internet a été cependant porteur de
multiples perturbations auxquelles les entreprises du secteur n’étaient pas forcément
parées. Après avoir longtemps freiné des quatre fers, les entreprises du luxe se sont
digitalisées.
1. Une incompatibilité conceptuelle
Si, via la dématérialisation des supports d’accès, de visibilité et d’achats de produits,
le luxe (tel qu’on peut le définir par la possession d’un objet raffiné et coûteux), n’est
plus réservé à une élite qui perçoit des privilèges commet c’était le cas au XVIIème
siècle, le secteur a réactivé, au tournant de l’ère digitale, des réflexes conservateurs.
a. Des notions aux identités antinomiques
Aux paradoxes intrinsèques au luxe et à son positionnement (entre tradition et
modernité, entre instantané et durabilité ou entre perception occidentale et perception
des pays émergents), faisant parler Carmen Kervella de « schizophrénie du luxe »3, se
surimpose un éventail de contradictions dès lors qu’on le met en relation avec
Internet, l’univers digital. La conquête de ce nouveau territoire représenterait en effet
une antinomie supplémentaire, car les images et représentations de ces deux mondes
sont en totale opposition. Pour illustrer le propos on peut comparer de façon basique
les valeurs et caractéristiques de ces deux secteurs. A la rareté et à la perfection dans
l’exécution du luxe répondent la profusion et l’amateurisme d’Internet. L’élitisme et
la cherté des produits de luxe ne trouvent pas d’écho favorable dans le côté universel
et illimité du digital. Il en est de même pour les valeurs d’exclusivité et de voyage
chères au luxe, étrangères à la pose statique et « à la demande » d’Internet. Pour
Daniel Tribouillard, fondateur de la marque Léonard, spécialisée par le prêt-à-porter
féminin floral, étendre le périmètre de luxe au virtuel équivaudrait à passer « du luxe
3 C. Kervella, La schizophrénie du luxe, Influencia n°2, juillet-septembre 2012 13 sur mesure à l’internet sans mesure4 ». Internet semble donc en opposition avec
l’ADN typique des marques de luxe. Cette antinomie conceptuelle avec laquelle le
luxe va devoir négocier pour envisager sa digitalisation a néanmoins dessiné les
premiers instants de la présence timide des marques de luxe sur le web.
b. Entre hermétisme et réticences
L’entreprise de transposition des valeurs du luxe sur Internet ne s’avère pas naturelle
tant les contradictions sont grandes, faisant du digital la pierre d’achoppement du
luxe. Envisager une nouveau territoire d’expression est une chose, l’investir en est
une autre : on retrouve les mêmes réticences et tâtonnements de la part des entreprises
du secteur du luxe concernant le web. Si les oppositions exposées dans le paragraphe
précédent peuvent être qualifiées de conceptuelles et de théoriques, les hésitations du
monde du luxe sont bien d’ordre pratique. Internet est en effet longtemps apparu aux
marques de luxe comme un environnement trouble et chaotique. Le luxe se
nourrissant d’un certain mystère et d’une certaine distance, le principe de rareté
contrôlée cher aux marques de luxe, contradictoire avec une trop large accessibilité
des produits sur le web, a ralenti la mise en place de plateformes de vente en ligne. Le
développement du e-commerce de luxe a ainsi longtemps été freiné par les lacunes
évidentes qu’il présenterait par rapport à la vente en boutique : envie de toucher,
d’essayer le produit… Les marques ont en outre craint que les interactions avec leurs
clients ne soient trop dématérialisées. Les risques de contrefaçon, de détournement
d’image, de publicités mensongères et de cybersquatting5 les ont incité à la prudence.
Par ailleurs, le ravissement du monopole de leur communication par Internet et la
crainte de voir leur message remis en question par les avis des clients ont refroidi les
marques de luxe, tant leur image de marque est un actif capital qu’elles manipulent
avec précaution. L’ensemble de ces réticences du secteur du luxe à l’égard du digital
peut donc expliquer la lenteur et la frilosité des marques de luxe à intégrer
complètement Internet à sa stratégie. Même développés, les sites internet des grandes
marques de luxe ont trop longtemps ressemblé « à des brochureware 6 , à des
4 S. Le Bail, Le luxe entre culture et business, Paris, France Empire, 2011
5 Le cybersquatting est l’utilisation de mots-clés liés aux marques pour détourner du flux. Un problème
notamment rencontré par Lenôtre et Baccarat: les fraudeurs avaient utilisé un nom de domaine
détourné pour profiter abusivement de la notoriété des marques
6 On emploie le terme de brochureware pour évoquer un site web ou une page web dont la version en
ligne n’est que traduction de la version papier, sans appréhension des possibilités du nouveau media.
14 déclinaisons léchées mais le plus souvent au format flash, dont au passage
inaccessible sur mobile ou tablettes7 » rappelle Emmanuel Vivier, co-fondateur de
l’agence Vanksen.
2. Un tabou finalement dépassé
A cause des deux raisons présentées, les marques de luxe ont donc mis du temps (ou
pris leur temps) pour intégrer des dispositifs issus d’Internet dans leur stratégie. C’est
aujourd’hui une ère révolue qui a fait place à une prise de parole multiforme de la part
de marques digitalisées dont le but est de vendre et de communiquer.
a. L’essor du e-commerce
Quasi inexistant il y a 10 ans (on pense à l’enlisement de LVMH dans l’aventure
eLuxury) et parfois considéré comme une aberration, le marché du e-commerce a su
attirer les marques de luxe : il a crû d’environ 25% chaque année de 2008 à 2011,
pour atteindre fin 2012 près de 7 milliards d’euros8. Si le e-commerce de luxe
représente entre 3% et 4% du marché mondial du luxe (212 milliards d’euros en
2012), il pèsera en 5% à 6% soit 13 milliards d’euros à l’horizon 2015. Selon l’étude
2012 réalisée par PM Digital et Experian Hitwise North America, 85% des marques9
possèdent un site de vente en ligne. C’est d’ailleurs la vente en ligne qui tire le trafic
vers le haut puisque les marques possédant un site e-commerce regroupent 98% du
trafic total. Cette étude montre aussi que cinq des plus grandes maisons de luxe
captent 75% des parts de marché sur Internet (en nombre de visites totales), à savoir
Ralph Lauren, Gucci, Michael Kors, Louis Vuitton et Chanel. Appréhender l’essor et
le succès de l’e-commerce de luxe revient à prendre conscience de la transformation
digitale des marques du secteur du luxe. Si des marques rechignent encore à passer le
cap de la boutique en ligne mettant en avant la barrière du prix, la rareté, l’expérience
unique en magasin qu’elles craignent de ne pouvoir reproduire sur le web (des
marques comme Vacheron Constantin, Berluti, Céline et Guerlain sont ces résistants),
les marques du secteur du luxe ont pris pleine conscience que continuer à se dérober
7 E. Vivier, Le luxe socialise ses médias, Influencia n°2, juillet-septembre 2012
8 Etude Altagamma/Bain, Luxury Goods Market Study, 2012
9 Cette étude porte sur 46 marques (habillement et accessoires, à l’exception de la joaillerie). Seules les
marques ayant un trafic online significatif ont été étudiées.
15 face au digital reviendrait à terme à perdre la maitrise de leur image sur le web et
surtout à passer à côté d’un média incontournable qui bouleverse l’équilibre
concurrentiel du secteur et procure de nouvelles opportunités pour le luxe. La
digitalisation numérique des marques de luxe correspond à la création d’un nouvel
écosystème bénéfique pour les marques. Le e-commerce nécessite moins de frais de
logistique, de structure et de personnel que les boutiques traditionnelles. Il représente
aussi une alternative confortable pour des acheteurs voulant échapper aux
désagréments des transports, des contraintes horaires, de la foule ou pratiquant une
stratégie d’éviction des marques de luxe (on parle du syndrome du « pas de la
porte »). L’extension du périmètre commercial des marques de luxe permet en outre
de « se mettre au diapason des habitudes de la nouvelle génération d’internautes,
habituée à consommer en ligne, les digital natives », rappelle Federico Barbieri, qui
pilote la stratégie numérique de la holding Kering (ex-PPR). Si l’équation semblait au
départ compliquée, l’essor du e-commerce de luxe est une réalité commerciale du
secteur et représente un pan de la digitalisation du luxe, par la vente. Deux
manifestations récentes sont peut-être le signe de cette digitalisation en marche. La
première est la floraison de sites de comparaison e-shopping de luxe, comme le site
designerapparel.com ou shopstyle.fr. La seconde est le lancement début juin 2013 du
site de e-commerce de Cartier, alors que le secteur de l’horlogerie-joaillerie reste
encore très frileux quant à la transposition en ligne de leur commerce.
Fig. 1 – Capture d’écran d’une montre mise en ligne sur le site cartier.fr
16 b. Un panorama de la présence digitale des marques du secteur du
luxe
Outre la volonté de vendre, incarnée encore très récemment par le développement du
m-commerce, le commerce en ligne effectué depuis des terminaux mobiles, un autre
pan de la présence numérique des marques de luxe passe par la communication. 99%
des maisons de luxe ont un site internet de marque. 97% d’entre elles sont inscrites
sur au moins un réseau social. Si l’on se place du côté des mobinautes, 65% des
maisons de luxe possèdent une application mobile et 88% d’entre elles ont un site
adapté au mobile. Afin de dresser un panorama des types de prises de parole digitales
multi-supports, on peut suivre la typologie mise en place par l’agence Digitaluxury
dans son Marketing Trend Report10 paru fin 2012, séparée entre actions liées à l’ebranding (l’image de marque) d’une part, et actions liées à l’e-réputation (la gestion
de la relation client) d’autre part. Cette typologie nous permet de cerner tous les
leviers digitaux activés par les marques et ainsi d’observer l’activité plurielle des
marques sur Internet. Première catégorie d’analyse, la valorisation de l’image de
marque, la promotion de l’e-branding concernent quatre leviers digitaux que sont la
publicité sur internet, le site de marque, l’application sur mobile et le brand content.
Du côté de la publicité et afin de se démarquer des marques classiques, les maisons de
luxe utilisent des formats innovants, tels que les formats « rich media », utilisant
souvent des vidéos et ayant la particularité d’être interactifs (on peut citer par exemple
la campagne de publicité mise en place par Dior pour le lancement la montre Dior
VIII). Le site de marque reste pour les maisons de luxe la principale et première
vitrine vis à vis des internautes, il a donc une importance toute particulière et
s’enrichit de nouvelles fonctions pour être en continuité avec l’image de marque des
maisons. La présence des marques sur le support mobile passe par le développement
d’une application de marque, dont la tendance est à la diversification (Saint Laurent
Paris possède ainsi 5 applications mobiles). Enfin, le brand content, ou la tendance
des marques à développer leurs propres contenus afin de valoriser leurs produits,
actualités et valeurs et ainsi de créer des relations différents avec les clients,
typiquement littéraire, se transforme avec Internet et est à même de proposer du
contenu de marque exclusif. On peut citer par exemple à l’initiative Trough Glasses
de la marque Diane Von Furstenberg, proposant des vidéos ouvrant les portes du
10 Cette étude porte sur 151 marques de luxe présentes dans l’ensemble des secteurs du luxe.
17 quotidien des défilés en live ou à la plateforme Guerlain Make Up, mettant à
disposition des conseils maquillage spécifiques des produits de la marque. Seconde
catégorie d’analyse, les outils hors publicité dont disposent les marques pour
alimenter leur réputation sont nombreux. L’entretien de l’e-réputation concerne les
leviers digitaux suivants : le blog, le SEO et les médias sociaux. L’appel de la part de
grandes maisons de luxe à des bloggeurs pour promouvoir ou valoriser leurs produits
est une tendance grandissante et cette confiance accordée par les marques aux
bloggeurs va en s’affermissant. On peut par exemple mentionner la carte blanche
donnée à la créativité du bloggueur et photographe James Bort pour la promotion du
parfum Manifesto de la maison Yves Saint Laurent. Concernant le SEO, les moteurs
de recherches restent la principale porte d’entrée des internautes sur le média
internet ; ainsi il est essentiel pour une marque d’être bien positionnée lors des
requêtes Google. Aussi, l’ensemble des présences web des marques étudiées par
l’étude Digitaluxury montre que les résultats organiques Google placent le site de
marque en première position en moyenne, avant la page Wikipédia dédiée et les
réseaux sociaux associés. Les médias sociaux sont justement le dernier support de la
catégorie e-reputation. Ces derniers sont devenus essentiels dans la relation avec les
internautes, notamment grâce à l’interactivité et la proximité qu’ils permettent de
créer entre ces internautes et les marques du secteur du luxe. La tendance est à la
diversification : sur 151 marques observées par l’étude, 78% d’entre elles ont activé
en 2012 4 à 6 réseaux sociaux. Parler de digitalisation des marques revient donc à
peser leur présence multiforme sur les supports du web, qu’il s’agisse de vente ou de
communication.
Chapitre 2. Le luxe et les réseaux sociaux
97% des marques de luxe sont inscrites sur au moins un réseau social. Ces griffes ne
sont pas là uniquement pour montrer qu’elles sont connectées mais « cherchent à
aller où se trouvent les clients pour communiquer directement avec eux », explique
Nathalie Gennérat, experte auprès de l’observatoire économique de l’Institut Français
de la Mode.
1. Un investissement croissant
18 Longtemps considérée comme réservée aux plus privilégiés, l’industrie du luxe a bien
compris que pour attirer la clientèle, il est nécessaire d’investir plus dans les réseaux
sociaux.
a. Le digital comme levier marketing de proximité
Dans son ouvrage Le luxe, entre business et culture paru en 2011, Stéphanie Le Bail
écrit « Les maisons peuvent en outre apparaître sur les réseaux sociaux – Facebook,
Myspace – et ainsi entrer en contact avec des clients potentiels ». Force est de
constater que ce conseil prophétique s’est plus que réalisé et que la question n’est
plus, pour les marques de luxe, d’être ou ne pas être présentes sur les réseaux sociaux
mais de comment en user au mieux. Cet investissement progressif correspond à la
volonté des marketeurs de l’industrie du luxe, selon une étude réalisée conjointement
par Luxury Interactive, l’Institut de recherche Worldwide Business Research et la
plateforme shopIgniter. Pour l’année 2013, 85% des marketeurs envisagent d’investir
de manière conséquente dans les médias sociaux. Ils sont 72% à souhaiter augmenter
leur budget consacré au marketing via les réseaux sociaux et affirment à 65% qu’à
l’horizon 2015, cette forme de marketing dépassera toutes les autres. Les marques de
luxe se sont en effet taillé une place sur mesure dans la communauté sociale
d’Internet et y trouvent leur compte. Via l’interactivité et la proximité qu’ils créent,
les réseaux sociaux représentent pour les marques de luxe des moyens exclusifs pour
inclure les consommateurs dans le quotidien des grandes maisons en facilitant le
dialogue et l’échange via les différents contenus proposés. Les réseaux sociaux
permettent également de créer et mesurer l’engagement des internautes vis-à-vis des
marques de luxe, notamment grâce aux souhaits de ces derniers de suivre les marques
en s’abonnant puis en dialoguant, recommandant, commentant les contenus et les
informations qui leurs sont proposés. C’est ce qu’explique Olivier Billon, de l’agence
Ykone11: « Les maisons de luxe sont distribuées par des tiers, grands magasins ou
boutiques de parfumerie, et leur communication passe beaucoup par la presse
féminine. Là, avec les réseaux sociaux, elles peuvent s’adresser directement au
consommateur ». L’enjeu pour les marques non seulement de collecter des
11 Ykone est une agence parisienne qui conseille les marques dans la stratégie à adopter dans l’univers
digital.
19 informations potentiellement utiles pour leurs services commerciaux mais surtout de
construire une relation privilégiée et émotionnelle avec leurs fans. Olivier Billon de
conclure : « Le digital social transforme l’idée que les clients ont du luxe ».
b. Exemples d’utilisation des réseaux sociaux par des marques
La profusion des images dans le secteur du luxe évoquée plus haut fait écho à la
profusion des réseaux sociaux activables par les marques de luxe. La figure ci-dessous
donne un bon aperçu, certes restreint, de la présence des griffes sur les réseaux
majoritairement activés :
Fig. 2 – Graphique illustrant la présence sur les réseaux sociaux
des 100 plus grandes marques globales en février 2013
Les réseaux sociaux majoritairement utilisés sont Facebook, Twitter, Google+,
Pinterest et Instagram. Si 78% des marques observées ont activé au moins quatre des
cinq réseaux, 26% d’entres elles en ont activé plus de quatre12. Les marques de luxe
ayant activé le plus de réseaux en 2012 sont : Bottega Veneta, DKNY, Hermès, Hugo
Boss et Jaerger Lecoultre ; les plus suivies sur Facebook sont Burberry, Louis Vuitton
et Gucci13. Cette immersion dans les réseaux sociaux n’est anodine pour aucune
12 Etude Digitaluxury 2012
13 Id.
20 marque. Chaque maison semble avoir saisi l’importance de calibrer sa politique de
réseau social en fonction de leur identité. Les prises de parole des marques de luxe sur
les réseaux sociaux sont donc aussi nombreuses que différentes. Burberry compte par
exemple parmi les pionniers de l’exercice et diffuse son défilé londonien en ligne
depuis 2010. La marque permet aussi de suive chaque activité des coulisses depuis ses
comptes Twitter et Instagram A l’inverse, Saint Laurent pratique le lâcher
d’information à dose homéopathique sur sa page Facebook, en accord avec l’esprit
élitiste de Hedi Slimane, son directeur de la création, et le mystère propre au secteur.
Chaque marque choisit ses réseaux en fonction de ses besoins : aussi Facebook et
Twitter sont plus utiles pour communiquer qu’Instagram, réseau social fondé sur le
partage de photographies, quand LinkedIn connecte lui les professionnels du luxe sur
une plateforme dédiée à leur occupation. Si une marque active en moyenne deux à
quatre réseaux sociaux, des tendances globales peuvent être observées. Tel est le cas
de la production de contenus d’images : à la question « Quel type de stratégie
marketing sur les réseaux sociaux vous paraît la plus efficace ? », les marketeurs de
l’industrie du luxe, sondés par Luxury Interactive, répondent à 81% la diffusion de
photos.
2. Focus sur Instagram
Parce qu’Instagram se révèle avoir la valeur d‘un idéaltype avec l’imbrication du
luxe, de l’image et d’Internet et que « les marques de luxe ont rapidement adopté
cette plateforme parce que leur univers colle bien avec le côté visuel de
l’application14 », il s’agit de cerner les dynamiques qui sous-tendent ce réseau social.
Fig.3 – Logo d’Instagram
14 Propos tenus par Amy Cole, vice-présidente d’Instagram, chargée des opérations commerciales, lors
la deuxième édition de la conférence FLOW (conférence Social Media européenne dédiée aux marques
de luxe et réunissant ceux qui façonnent le web social de demain), organisée par O. Billon, directeur de
l’agence Ykone déjà mentionnée. La troisième édition aura lieu le 23 septembre 2013 à Paris.
21 a. Qu’est-ce qu’Instagram ?
Lancée en octobre 2010, Instagram est une application qui pourrait être qualifiée de
service de partage de photos associé à un réseau social Internet, uniquement
disponible sur téléphone mobile. Le service permet aux utilisateurs de prendre des
photos, de leur appliquer un filtre digital, et ensuite de partager ces photos avec les
autres utilisateurs du réseau social, ainsi qu’à ceux d’une grande variété d’autres
réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Flickr. C’est en quelque sorte la
possibilité de mettre en image le quotidien d’une manière originale. Plus récemment,
deux nouvelles fonctionnalités clés ont fait leur apparition, permettant d’appliquer des
flous sélectifs sur les photographies ainsi que de modifier la forme de la photographie
en modifiant sa taille et son contour à la manière des photos prises par les anciens
Kodaks et Polaroïds. En quelques mots, Instagram permet de valoriser la créativité et
l’originalité des utilisateurs en leur proposant à la fois le moyen de faire de belles
photos, et le moyen de les faire circuler. L’application n’a longtemps été disponible
que sur les terminaux de la marque Apple, tels que les iPhones, les iPad et les iPod
Touch. Elle est cependant désormais disponible sur tous les téléphones utilisant le
système d’exploitation de Google, appelé Android, à partir de la version 2.2, depuis le
3 avril 2012. La volonté des fournisseurs d’application étant de contrôler le marché,
les systèmes d’achat et d’installation sont extrêmement verrouillés. L’application
n’est donc disponible que sur le iTunes App Store et Google Play, plateformes étant
respectivement les propriétés de Apple et de Google.
L’histoire d’Instagram fait presque office d’un roman dans le paysage des
start-up. Son développement a démarré à San Francisco, lorsque Kevin Systrom et
Michel Krieger choisirent de modifier leur toute nouvelle application de
géolocalisation (application de check-in) afin de l’orienter vers la photographie
mobile. Comme c’est le but de toute start-up, l’entreprise réalisa quelques levées de
fonds, qui permirent au projet d’être lancé sur l’App Store d’Apple le 6 octobre 2010.
Dans les mois qui suivirent, de nombreuses fonctionnalités furent implémentées dans
l’application, comme les hashtags, importés de Twitter, permettant de catégoriser les
contenus mis en ligne sur l’application, où encore la possibilité de créer des flous. La
version (iPhone) actuelle, sur laquelle se fonde cette étude, est celle mise en service le
20 juin 2013, le jour de la mise à jour intégrant la vidéo. Elle représente la version
4.1.1 pour iPhone. La dernière actualité marquante en date pour Instagram a été son
22 rachat très médiatisé par Facebook, effectué le 12 avril 2012, au prix incroyable de 1
milliard de dollars. Chose importante à signaler, le deal fait par Facebook permet à
Instagram de conserver son indépendance, en garantissant qu’il ne sera pas assimilé
par Facebook, et apporte une assurance dans la pérennisation de son modèle
fonctionnel actuel.
En terme d’utilisateurs, Instagram a atteint son premier million d’utilisateurs
en décembre 2010, et vient récemment, en juin 2013, de passer le cap des 130
millions de comptes ouverts et des 4,5 milliards de photos. A titre de comparaison, la
barre symbolique des 100 millions d’utilisateurs, atteinte en deux ans par Instagram,
avait pris quatre ans à être dépassée par Facebook, cinq ans par Twitter et huit ans par
LinkedIn. L’entreprise est peu avare de chiffres, qui restent donc sujets à critiques et
doivent faire l’objet d’un certain recul quant à leur signification et leur exactitude. La
société a néanmoins laissé échapper quelques chiffres chocs, à destination des médias,
afin d’entretenir le mythe qui cache l’absence de modèle économique. Instagram
générerait 8500 like et 1000 commentaires par seconde et 40 millions de photos par
jour. En 2012, il y aurait donc eu, à chaque seconde, 58 photos mises en ligne et un
nouvel utilisateur enregistré.
b. Un réseau social et artistique
L’aspect communautaire est une lame de fond qui embrase le web ; pour Fred
Cavazza, blogueur e-spécialisé, les médias sociaux désignent d’ailleurs « un ensemble
de services permettant de développer des conversations et des interactions sociales
sur Internet ou en situation de mobilité ». Si Instagram se retrouve propulsé comme
aboutissement de l’esprit du web 2.0 en matière de photographie, en l’organisant
comme un réseau social largement inspiré de ses grands frères, tel que Facebook, la
teneur artistique de son contenu, entre réseau social et portfolio/book photo, fait de lui
un objet digital hybride.
On peut d’abord se demander ce qui fait que l’on qualifie Instagram de réseau
social au même titre que Facebook ou Twitter, et peser ainsi la place des relations
sociales dans le fonctionnement de l’application. Instagram suit en effet une trame
typique d’interaction. En plus d’une timeline similaire à celle de Facebook dans les
fonctionnalités (messages impersonnels avertissant simplement de l’activité du
réseau), les deux principales interactions mises à la disposition des utilisateurs sont les
photos et les commentaires. Point de poke, de messages privés pour Instagram. Sa
23 diffusion multimodale mais néanmoins centrée sur le mobile contraint l’application à
un devoir de simplicité au niveau de son interface et de ses fonctionnalités. Cinq
modes d’interlocution sont alors disponibles pour les utilisateurs. Tout d’abord, la
publication de photographies, que l’on peut choisir d’accompagner d’une légende. La
particularité étant que la photographie peut être retouchée à l’aide des filtres, de flous
et de bordures. Le commentaire général, classique, pouvant faire office de critique de
la photographie, constitue le second mode d’interlocution. Dans les commentaires, il
est possible d’envoyer un message de réponse, dit commentaire de citation, à travers
l’utilisation du « @ », sous la forme @pseudonyme, fonctionnalité directement
inspirée de Twitter. Cela permet de simplifier l’application tout en proposant par une
syntaxe particulière la possibilité de spécialiser les échanges en permettant de
s’adresser à un utilisateur en particulier, d’attirer son attention sur un message qui le
concerne en particulier. Toujours via les commentaires, il est possible, toujours via la
mention d’un utilisateur, de transmettre un message, de le rattacher à un utilisateur.
Ce mode se détache du message de réponse car il se rapproche plutôt du « cc
@pseudonyme » présent sur Twitter, qui fait que le contenu est directement adressé à
un utilisateur. Enfin, il est possible de liker les photographies mises en ligne par les
utilisateurs sur le même système de vote mis en place par Facebook. Instagram a
également récupéré chez Twitter, la notion de follower et de hashtag « # », permettant
de marquer un contenu avec mot-clé plus ou moins partagé15. Le profil « avatar »
s’avère pour sa part très peu informatif, affichant qu’une photo d’avatar, un nom ou
pseudonyme, l’adresse du site Internet de l’utilisateur s’il en possède un, le nombre de
photos postées, le nombre d’abonnés à l’utilisateur et le nombre d’abonnements
(following) de l’utilisateur. Il est en revanche possible de consulter une carte appelée
« carte photo », unique à chaque utilisateur, permettant de géolocaliser sur la base des
cartes de Google Maps, les lieux où ont été prises les photos de l’utilisateur.
Interactivité, contact, relations : on peut légitimement qualifier Instagram de réseau
social.
Mais cette organisation compose avec une autre dynamique dont la teneur
esthétique fait parler d’Instagram comme réseau social et artistique. A la différence
des autres réseaux sociaux majeurs où le contenu peut certes intégrer de la
photographie mais reste foncièrement textuel, le statut ou le tweet primant, le contenu
15 En sciences de la communication, cette catégorisation via un mot-clé s’apparente à un marqueur de
métadonnées. 24 d’Instagram est avant tout visuel et celui-ci se surimpose à la visibilité de l’identité de
l’utilisateur. Les formes de sociabilité d’Instagram, certes typiques des réseaux
sociaux, ont la singularité de s’activer par une motivation par l’image. Ce support
visuel catalyse d’ailleurs les interactions : liké, commenté, l’objet visuel est la
plateforme sans lequel les formes de sociabilités seraient inexistantes. Ce primat
général du contenu visuel sur l’utilisateur lui-même et la possibilité avec la batterie de
filtres de sublimer la photographie donnent une connotation artistique au réseau
social. On peut donc postuler que s’ajoute à ce qu’on pourrait appeler une ingénierie
sociale une ingénierie cette fois esthétique ou du goût. Via le like, l’utilisateurcréateur n’est pas seulement contemplatif mais approuve la qualité de ce qu’il voit.
Ainsi des photographies peuvent récolter un grand nombre d’approbations et devenir
populaires. Une sorte de e-galerie.
Instagram nous apparaît donc comme un objet hybride, qui tire en grande
partie, du moins pour sa partie réseau social, sa légitimité d’autres médias sociaux,
mais dont la teneur du contenu et le primat de l’image font de lui un réseau social et
artistique. Cependant, malgré le fait que la photographie soit considérée comme un
art, beaucoup refusent d’accepter comme concevable la possibilité de faire de l’art
avec Instagram, ou de considérer sa production comme pouvant relever du domaine
de l’art.
25 Partie 2
Le déploiement des marques de luxe sur Instagram
Fin novembre 2011, pour promouvoir le lancement de sa nouvelle fragrance
« L’homme libre », la maison Yves Saint Laurent a développé avec l’agence
Tigerlily16 un onglet dédié sur sa page Facebook. Dans ce dernier, intitulé « L’homme
libre », la marque invite sa communauté Facebook à découvrir son nouveau parfum à
travers son film publicitaire et des interviews exclusives de son égérie Benjamin
Millepied, alors danseur étoile du New York City Ballet et partenaire de Natalie
Portman dans Black Swan. Parallèlement, dans le même onglet, la marque invite ses
fans à partager leur vision de la liberté en s’appuyant sur le tout dernier né des
réseaux sociaux, déjà favori des maisons de luxe et des accros de la photographie,
Instagram. Le concept est simple : après avoir pris une photographie représentant la
liberté, lui avoir choisi un filtre le cas échéant et lui avoir hashtagué #breakfree, le
cliché s’affiche au bout de quelques minutes dans la mosaïque de l’onglet de la page
Facebook17. Participatif et original, s’inscrivant alors pleinement dans l’avènement
d’Instagram, l’initiative est un succès et le flot de photographies reçu par l’onglet est
sans cesse renouvelé. Cependant, bien que taggués #breakfree, on trouve aussi dans
cette galerie des clichés complètement incohérents avec le thème voire déplacés, ne
représentant de toute évidence pas la façon dont YSL imagine la liberté et posant
rapidement la question d’une modération de la part des administrateurs de la page.
Une surveillance plus étroite des photos partagées a par la suite été renforcée et a
évité à la marque un bad buzz.
Si l’affinité entre le secteur du luxe et Instagram est avérée, les marques de
luxe ont dû dépasser certains paradoxes liés aux modalités de l’application pour être
entièrement solubles dans ce réseau social et artistique.
16 Tigerlily est une start-up française spécialisée dans la réalisation de modules et d’outils clé-en-mains
permettent de personnaliser sa page Facebook.
17 Annexe 4.
26 Chapitre 3. Instagram fait flasher le luxe
Près de 1,5 million pour Louboutin, 900.000 pour Burberry, presque 1,1 million pour
Michael Kors : il ne s’agit pas de chiffres d’affaires ou d’exemplaires de leur dernier
it-produit mais du nombre d’abonnés rassemblés par ces griffes sur leur compte
Instagram.
1. L’état des lieux d’un engouement
Les poids lourds du luxe se sont progressivement positionnées sur Instagram si bien
qu’au 1er mai 2013, 67 griffes de l’Interbrand 100 possèdent un compte, contre 59
seulement trois mois auparavant.
a. Le poids des chiffres
Si l’existence de l’application est marquée par son rapide développement, son
évolution permanente ne doit ni laisser à penser la prescription d’une étude à date, ni
décourager tout travail de synthèse. Certes évolutifs, les chiffres d’Instagram sont
pour autant les témoins de tendances durables. Le tableau ci-dessous donne une bonne
illustration du débarquement massif des marques sur Instagram et de leur activité sur
la plateforme, renforçant l’idée d’une grande porosité entre les deux parties
prenantes :
Fig.4 – Graphique illustrant l’adoption d’Instagram et ses modalités
par les 100 plus grandes marques globales au 1er février 2013 et au 1er mai 2013
27 Outre la présence croissante des marques sur Instagram, le tableau témoigne de
l’activité grandissante de ces dernières sur l’application, témoignant de sa vivacité et
son usage récurrent par les marques : le pourcentage de marques actives (postant des
photographies) a gagné 10 points en trois mois. Cette donnée peut être corrélée à la
hausse significative de followers, faisant passer de 10 à 16 le nombre de marques
rassemblant plus de 100 000 abonnés et attestant de l’engagement de celles-ci. Jour
après jour, Instagram attire donc de plus en plus de marques du secteur du luxe dont
l’activité est la clé du succès auprès des abonnés : 40% des griffes inscrites postent
plus d’une photographie par semaine.
Si l’image est au centre du propos, il s’agit aussi de mettre à jour l’identité des
marques les plus suivies et commentées sur Instagram :
Fig. 5 – Capture d’écran du top 10 des marques les plus influentes sur Instagram au 13 août 2013
28 Réalisé par la société Nitrogram18, le classement, dont le calcul est basé sur le nombre
de followers et sur le nombre de hashtag mentionnant la marque, permet de peser le
poids des interactions de ces marques. Il apparaît ainsi que Louboutin génère
relativement peu d’interactions au regard du nombre de followers. Des marques telles
que Michael Kors, Louis Vuitton, Gucci font en revanche rimer popularité avec
interactivité, leur nombre de hashtag dédiés se révélant très important. Prada
représente à ce titre un exemple de choix, la marque étant suivie au 13 août 2013 par
159.127 abonnés mais ayant généré plus d’un million de hashtag la citant. L’affinité
entre les marques de luxe et Instagram est donc avérée et se montre comme une
tendance forte et durable. Le rapport de L2, thinktank américain spécialisé dans
l’innovation digitale, de conclure : « Instagram is fast establishing itself as the social
network of choice for luxury lifestyle brands (…) = Instagram s’est rapidement
imposé comme le réseau social de prédilection des marques de luxe (…)».
b. Les ressorts d’une adéquation
« …because they have inherently visual stories to tell. = parce qu’elles sont
naturellement pourvoyeuses d’histoires visuelles à raconter. » Le primat de l’image
développé par le réseau social et artistique qu’est Instagram semble en effet être la clé
de voûte de l’engouement des marques de luxe pour l’application. Sans faire appel
pour l’instant à l’histoire de l’art et à la philosophie de l’art pour définir ce qu’est une
photographie en général et de luxe en particulier, la prise de parole digitale par
l’image semble concorder avec l’un des codes du secteur du luxe, à savoir la
souveraineté de l’image. Les publicités dans les magazines, les expositions consacrées
aux photographes de mode, la qualité des visuels des dossiers de presse, les budgets
investis dans des shootings ou le choix d’une égérie sont autant de manifestations
illustrant l’importance dévolue à l’image, à la photographie dans le secteur du luxe.
Outre la possibilité globale d’offrir du contenu visuel de qualité, Instagram permet
aussi aux marques du secteur du luxe de proposer des contenus exclusifs et en temps
réel : « Lors de la Fashion Week, on voit des marques qui postent des photos en
amont de l’événement pour faire monter la tension. Pendant, il y a aussi les coulisses.
De façon générale, des marques comme Zac Posen, Marc Jacobs et Burberry sont
18 Nitrogram (http://50.nitrogr.am/) est une société franco-américaine qui offre un service d’analyse
pour les entreprises utilisatrices d’Instagram et réalise un classement permanent des marques les plus
influentes sur l’application.
29 très actives chez nous » explique Amy Cole, vice-présidente du réseau social. Les
expressions « amont de l’événement », « monter la tension » et « coulisses » ne sont
pas sans faire très justement écho au mystère et à l’exclusivité que cultive le luxe.
Cette part de rêve rendue publique et dont raffolent les afficionados du luxe et de la
mode19 est même devenue un créneau dont certaines marques comme Oscar de la
Renta usent. « En direct des coulisses d’une des plus prestigieuses marques de mode
au monde », telle est la phrase de présentation du compte d’Erika Bearman, chargée
des relations publiques pour le styliste Oscar de la Renta, et connue sur Instagram
sous le pseudonyme « OscarPRGirl ».
Fig. 6 – Capture d’écran du compte Instagram OscarPRGirl (13 août 2013)
« Avec son simple téléphone, elle a réussi à avoir plus de deux cent mille personnes
qui la suivent sur Instagram. Les gens adorent savoir à quoi ressemble la journée de
quelqu’un qui travaille pour Oscar de la Renta » commente Olivier Billon de
19 Ce qu’on appelle le off du luxe est une tendance forte et a fait se développer tout un évènementiel
qui va de la mise en place de portes ouvertes dans les ateliers des plus grandes griffes (on pense aux
Journées Particulières de Louis Vuitton) au succès de documentaires adoptant ce point d’observation,
comme la série documentaire Le Jour d’Avant, réalisée par Loïc Prigent et diffusée sur Arte pendant la
Fashion Week de Paris. Le concept du réalisateur est d’installer ses caméras dans les coulisses des
grands défilés un jour avant le jour-j.
30 l’agence Ykone. Galerie où se mêlent photographies de mannequins, de défilés,
d’articles de mode et de moments en compagnie du styliste dominicain, le compte
Instagram OscarPRGirl est un modèle du genre quand l’on s’intéresse aux atomes
crochus entre l’application et le secteur du luxe.
2. L’application dans les mains des marques
La transposition digitale des codes du luxe sur Instagram dessine des lignes fortes de
la présence des marques qui, observées de plus près, adoptent cependant des stratégies
différentes.
a. Un profil luxe ?
Si le secteur du luxe regroupe une kyrielle de griffes aux activités diverses et aux
univers variés, des traits communs définissent ce qu’on appelle les codes du luxe. Une
analyse de l’utilisation d’Instagram par les marques fait émerger un profil luxe. L’une
des dynamiques globales des marques de luxe sur le réseau social a trait à la
concentration de l’engagement qu’elles génèrent. En marketing, l’engagement est la
traduction du besoin d’implication des marques de la part de leurs consommateurs.
Cet engagement passe par la création d’un lien émotionnel, la mise à disposition d’un
supplément d’âme pour séduire la clientèle, la construction d’une « relation
privilégiée et émotionnelle qui peut être extrêmement forte », indique encore Amy
Cole. Une étude réalisée en février 2013 par SimplyMeasured, société spécialisée
dans la mesure des réseaux sociaux, et eMarketer, montre que les 8 marques de luxe
les plus présentes sur Instagram (à savoir, respectivement et à date : Michael Kors,
Louis Vuitton, Burberry, Gucci, Louboutin, Marc Jacobs, Versace et Armani)
recueillent 80% de l’engagement vis-à-vis des marques. Ce chiffre est cependant en
baisse car il était de 92% en novembre 2012. Ces 80% sont à analyser comme une
concentration de l’engagement des mobinautes envers leurs griffes favorites, en terme
d’abonnements, de like ou de hashtag dédiés. En regard des 92% précédents, il s’agit
aussi de noter une tendance rapide à l’ouverture de ce cartel, comme l’a aussi montré
l’augmentation des marques de l’Interbrand 100 regroupant plus de 100.000 followers
entre février et mai 2013, passant de 10 à 16 griffes. Le gonflement des effectifs des
abonnés des profils du secteur du luxe vaut aussi à toutes les échelles, en tant que
31 tendance globale de massification du nombre d’abonnés : 27 marques comptaient plus
de 20.000 abonnés en mai 2013 contre 19 en février 2013. Le tableau ci-dessous
permet en outre d’illustrer l’engagement fort que les marques de luxe génèrent en
regard des autres marques :
Fig. 7 – Capture d’écran d’un tableau illustrant le fort engagement des marques de luxe
dans l’écosystème Instagram
Les marques de luxe provoquent un engagement deux fois plus important que les
autres marques. Outre la concentration de l’engagement, une utilisation des modalités
graphiques de l’application par les marques du secteur du luxe se dessine, comme le
montre le tableau suivant :
32 Fig. 8 – Capture d’écran illustrant l’utilisation d’Instagram par les marques de luxe
Seulement 19% des photographies postées par les marques de luxe sur l’application
sont filtrées, contre 40% des clichés postés par les autres marques de l’Interbrand 100.
Parmi les photographies postées, les griffes utilisent le filtre « Lo-fi » deux fois plus
fréquemment que les autres filtres. Cette dernière indication concernant l’utilisation
des modalités photographiques d’Instagram nous amène à envisager une utilisation
singulière de l’application par les marques de luxe, celles-ci n’exploitant que très peu
la mise à disposition de filtres alors que ces derniers sont la marque de fabrique du
réseau social.
b. Des approches diverses
Pour autant que lignes fortes de l’utilisation du réseau social par les marques de luxe
se font jour, la présence de celles-ci sur Instagram ne saurait se réduire à une
description unique. Ainsi chaque griffe adopte une approche qui lui est propre pour
user au mieux des possibilités qu’elle souhaite exploiter. La marque anglaise
Burberry20 utilise par exemple Instagram pour renforcer ce qui fait son ADN, à savoir
sa « Britshness ». Cette promotion passe aussi bien par le postage de photographies de
la skyline de Londres que d’éléments de l’identité anglaise à côté de visuels produits
ou visuels issus des campagnes publicitaires en cours. Hermès a pour sa part adopté
une approche autrement plus produit : sous le nom d’utilisateur Hermès Paris, la
marque partage des photographies de ces accessoires, de sa ligne pour la maison ainsi
20 Annexe 6.
33 que des visuels produits et des clichés amateurs mettant en scène les produits phares
de la griffe. La plateforme est aussi de plus de plus utilisée à des fins de concours de
photographies. Des marques telles que Chloé, Tiffany & Co ou W Hotels se servent
de l’application pour activer des conversations avec leurs fans et étoffer leur
engagement. A cet égard, la société américaine d’hôtellerie de luxe W Hotels a
organisé début 2013 une exposition présentant le travail de six photographes
mandatés mais aussi celui de sa communauté Instagram ayant réalisé les plus beaux
clichés hashtagués #wdesign pour l’occasion. L’élaboration de concours et de jeux,
baptisée « gamification » est d’ailleurs une des clés de l’engagement selon Eric
Briones, directeur du planning stratégique de Publicis Et Nous : « Luxe et jeux vidéo
sont compatibles. Ils sont dans une logique d’esthétique, de superflu. Le jeu est
immédiat, c’est un support narratif puissant. Il propose une expérience, on est dans le
contenu. Les perspectives de créations sont énormes et encore peu utilisées21 ». Enfin,
Instagram se révèle être un outil très intéressant dans les mains des créateurs euxmêmes : le compte de Nicola Formichetti, co-designer de la marque de mode Mugler,
est un modèle du genre. Le choix de cette approche s’inscrit dans la tendance de
dévoilement des coulisses du luxe et active généralement un engagement fort de la
part des followers. Ainsi, l’utilisation d’Instagram par les marques de luxe reste
calibrée par chaque griffe en fonction de son identité et de son approche.
Chapitre 4. La photographie comme pierre d’achoppement ?
Le rapprochement « esthétique » évoqué par Eric Briones entre le luxe et l’application
est cependant à interroger tant la définition de la photographie diverge selon que l’on
se place du côté du luxe ou du côté d’Instagram.
1. Deux appréhensions différentes
L’équation entre le réseau social et artistique et les marques de luxe, pourtant prouvée
par la présence massive de ces dernières sur l’application, est à réévaluer à l’aune des
21 Propos tenus en novembre 2012 dans le cadre de la première édition des « Rencontres Luxe »,
conférence créée par MPublicité dont un des thèmes fut « La construction de l’engagement, du
fantasme à l’expérience vivante ».
34 conceptions contradictoires de la photographie, tantôt professionnelle et tantôt
amateur, que les deux parties prenantes exposent.
a. Le huitième art22
La popularisation d’Instagram a soulevé de nombreux débats dans les communautés
artistiques autour de la nature artistique ou non de ce service. Et beaucoup, malgré le
fait que la photographie soit considérée comme un art, refusent d’accepter comme
concevable la possibilité de faire de l’art avec Instagram, ou de considérer sa
production comme pouvant relever du domaine de l’art. Sans tomber dans les
méandres d’une analyse philosophique du concept d’art et de performance artistique,
il convient néanmoins de cerner les dynamiques qui sous-tendent l’activité
photographique dans le secteur du luxe en général et de la mode en particulier. Parce
que le « niveau de sophistication, dans le message que les marques de luxe diffusent,
est plus aspirationnel et complexe que celui d’un simple bien de consommation23 », la
photographie est un domaine que luxe prise et soigne : entre valeur esthétique et visée
commerciale, la photographie de luxe doit pouvoir raconter une histoire en une seule
image. Le travail du photographe, l’importance des moyens mis en œuvre et la postproduction sont autant de leviers activés par une marque afin de parvenir à un visuel
dont l’impact publicitaire doit être le plus étendu. Pour ce faire, les marques de luxe
font appel à des photographes dont l’œil aguerri, l’équipement et le talent garantissent
la réalisation d’un shooting photo réussi. Repérage, mise en scène, maîtrise de
l’éclairage, travail au flash, retouche (de la simple correction colorimétrique à
l’effacement de détails indésirables), gestion d’une équipe de coiffeurs et de
maquilleurs le cas échéant : la composition d’un shooting photo est un processus rodé
pouvant faire intervenir jusqu’à une cinquantaine de personnes pour les plus
importants magazines et répondant à des codes précis fixés par la marque. « Un des
impératifs les plus fondamentaux, quand on travaille avec l’industrie de luxe, est de
comprendre et de s’imprégner de la philosophie de la marque avant de travailler avec
elle » résume Mike Diver. Dans cet écosystème, la créativité des photographes est une
valeur ajoutée dont les marques de luxe sont clientes. Au sujet de leur dernière série
de photos, pour la ligne haute-couture printemps-été femme 2012 de Balmain, le duo
22 Suite à la classification de Hegel des six arts, appellation généralement donnée à la photographie.
23 Mike Diver, How Luxury brands are using photography, Luxury Society n°6, mai 2012
35 de photographes Inez & Vinoodh explique sa démarche photographique : « Ce que
nous cherchons, c’est une nouvelle forme de beauté. Pour le moment, nous sommes
très inspirés par la science fiction. Nous pensons que la recherche de la beauté, dans
tous les sens du terme, permet de découvrir de nouveaux territoires. Ce sont les
autres mondes et le fantastique qui nous font aller de l’avant24 ». Par analogie aux
codes du luxe, la photographie de luxe s’insère donc dans un système codé dont les
traits caractéristiques sont l’expertise professionnelle, l’œil du photographe et
l’importance des moyens et des équipements mis en œuvre. Franck Jehanne, cofondateur de l’agence Kalory, start-up anglaise spécialisée dans la création de visuels
corporate, de conclure « Photography is also Fine Art, and shares a lot of values with
the Luxury industry25 = La photographie fait partie des Beaux-Arts et partage bon
nombre de valeurs avec l’industrie du luxe ».
b. Instagram comme nouvelle photographie amateur
Si, à première vue, le seul fait que le contenu partagé soit visuel et retouchable
semblait légitimer la teneur artistique d’Instagram, force est de constater, qu’en regard
des attendus du secteur du luxe quant à la photographie, la qualification de
l’application comme artistique, si l’on se place du côté des marques, est clairement
mise en tension avec l’avènement de la photographie amateur qu’Instagram permet.
L’application développe en effet un paradigme tout étranger à celui convoqué
par le luxe lorsque ce secteur fait entrer la photographie en ligne de compte. Il s’agit
d’abord de remarquer comment Instagram améliore la photographie amateur. Une fois
le cliché pris, l’application met à disposition de l’utilisateur des fonctionnalités
permettant d’améliorer, de retoucher, de magnifier l’image. Ces options sont autant de
clins d’œil à la photographie professionnelle : application d’un filtre parmi un
échantillon adapté à une variété de situations, accentuation du contraste couleurs,
ajout de cadre ou simulation de profondeur de champ. Le format carré choisi par
Instagram s’adapte par ailleurs parfaitement aux cadrages centrés et se montre plus
tolérant sur la composition, en n’orientant pas le sens de lecture. Outre améliorer la
photographie amateur, Instagram s’avère être une application construite pour
légitimer l’utilisateur dans une position de photographe, de créateur. De par les
24 Interview réalisée par le webzine Meltyfashion.fr en mai 2012
25 Franck Jehanne, Is Instagram killing the luxury dream ?, Luxury Society n°6, mai 2012
36 fonctionnalités offertes par l’application, ces dernières remplaçant le temps
d’apprentissage et l’expertise professionnelle nécessaires à la légitimation en tant que
photographe, réaliser un cliché réussi va désormais de pair avec la possession d’un
smartphone, et Instagram permet de faciliter encore cette qualification, en instituant
l’utilisateur comme photographe à l’aide de la technique et des fonctionnalités de
l’application. La mécanique mise en place afin de simplifier les processus tant de
réalisation que d’appréciation (par la diffusion du contenu sur le réseau social) de
l’œuvre transparait alors clairement. Cette adhésion facilitée ainsi que cette mise en
auto-exposition cherchent à créer une conception particulièrement triviale de la
photographie. On s’éloigne donc ici assez fortement de ce qu’est censé être une
photographie, en se rapprochant d’un objet visuel simplifié, policé, à la fois flatté et
flatteur pour son créateur. Cette élaboration d’une photographie amateur comme
évidence d’une volonté de faire de la « belle » photographie est inexorablement mise
en tension avec les attendus de l’art photographique que le luxe porte aux nues.
Enfin, il semble désormais aller de soi que l’intention photographique
professionnelle et l’intention photographique amateur ne concordent pas. Quand le
but de la photographie professionnelle confine à l’esthétique, « à la recherche de la
beauté 26», le projet de la photographie amateur se rapproche plutôt de l’ordre du
souvenir et de la mémorisation. C’est d’ailleurs ce qu’évoque Mathieu BernardRaymond27 dans un article du quotidien suisse Le Temps en avril 2011 : « Même sans
filtre, même prises avec désinvolture, les photographies saisies par la plupart des
utilisateurs d’Instagram est estampillée « bon moment que je me réjouis de me
rappeler dans dix ans » ».
2. Une contradiction résolue
Instagram produit une photographie amateur à ambition artistique aux antipodes des
exigences du luxe. Bien que flagrant, l’antagonisme a dès le départ été dépassé par les
marques de luxe, dont la présence sur l’application revêt une visée purement business,
dessinant par-là un usage d’Instagram singulièrement propre aux marques du secteur
du luxe.
26 Inez & Vinoodh, interview pour le site Meltyfashion.fr, op. cit.
27 Mathieu Bernard-Raymond est un artiste-photographe spécialiste du traitement numérique des
images et enseignant à l’Ecole Supérieure d’Arts Appliqués de Vevey, en Suisse.
37 a. Un débarquement risqué
Bien qu’étrangère à l’amateurisme photographique que l’application génère et aux
fonctionnalités qui font son succès, la prise de parole digitale des marques de luxe sur
l’application doit composer avec des caractéristiques inhérentes à Instagram et
potentiellement peu profitables à l’image du luxe. L’une de ces particularités
concerne le fil d’actualité de l’application. La recherche d’un utilisateur étant
beaucoup moins intuitive que sur d’autres réseaux sociaux (Facebook par exemple,
avec sa barre de recherche), le contact entre le contenu visuel et l’abonné s’opère au
fil de la consultation du news feed. Le risque, pour un contenu de qualité produit par
un compte d’une marque de luxe est non seulement d’être noyé dans la profusion des
contenus mais aussi de passer inaperçu, de ne pas attirer l’œil de l’utilisateur dont
l’attention est sur le support web assez limitée. C’est une menace que semble indiquer
Michel Frizot, historien de la photographie ayant travaillé sur le renouvellement du
processus photographique, lors d’une conférence de l’Université de tous les savoirs28
sur le thème de l’image en novembre 2004: « La difficulté avec la photographie, c’est
que nous pensons la connaître, au prétexte que nous en sommes entourés. Nous
baignons littéralement dedans, et cette omniprésence de la photographie nous cache
la singularité de l’image photographique ». Il semble donc légitime de questionner
l’impact des visuels partagés par les comptes des marques de luxe parmi la multitude
d’instantanés pris sur le vif, rapidement diffusés et dont la circulation est
artificiellement conditionnée. Cet écueil fait directement écho à une autre
caractéristique de l’application, ayant trait au support mobile. Si les smartphones
produisent des contenus convenables et si la qualité des appareils photos est toujours
plus grande, le minimalisme et l’étroitesse des écrans, comparés aux pages des
magazines ou aux panneaux publicitaires, ne permettent pas la pleine exploitation des
qualités visuelles des productions photographiques des marques, pour lesquelles le
souci du détail est une constante. On retrouve cette même précaution dans les propos
de Franck Jehanne, spécialisé dans la création de contenus visuels : si les marques
utilisent principalement des visuels professionnels issus de leur banque d’images,
« elles ont aussi le devoir de produire et de créer régulièrement des contenus
28 L’Université de tous les savoirs est une initiative du ministère de l’éducation et de l’enseignement
supérieur français afin de diffuser les dernières avancées de la science. Des conférences sont organisées
tous les mois.
38 uniques29 ». Le fait est que ce type de photographie, pris depuis un mobile, peut
potentiellement diffuser un mauvais message si le visuel n’est pas qualitatif. Le
professionnel prend comme exemple la photographie d’une boutique dans laquelle la
silhouette du photographe d’un jour se refléterait dans la vitrine ou la photographie
zoomée d’un sac laissant apparaître des micro-rayures ou simplement mal mis en
valeur30. Ces derniers risques, liés à l’amateurisme d’un shooting, sont cependant
rares, les images partagées par les comptes des maisons de luxe étant soigneusement
contrôlées.
b. Un « profil utilisateur » singulier
Approchée par la description d’un profil luxe, l’utilisation d’Instagram par les
marques de luxe, si elle doit composer avec les caractéristiques de l’application,
répond à une grille de lecture définitivement business. Quand l’application représente
la possibilité de faire de la « belle » photographie pour les utilisateurs individuels, elle
devient dans les mains des marques un levier communicationnel à activer quand le
besoin de ces dernières se traduit par la recherche d’une mise en valeur de leur
identité. En d’autres termes, la question pour une marque n’est pas de savoir s’il faut
ou non s’y investir mais comment user au mieux de l’application. De cette
particularité de l’approche des marques de luxe découle un usage qui leur est propre.
Le fait que seulement 19% des photographies partagées par les marques de luxe soient
filtrées illustre bien l’indépendance et l’affranchissement que celles-ci prennent par
rapport au fonctionnement de l’application. Ce qui fait l’une des particularités
d’Instagram, à savoir la possibilité de magnifier un cliché par l’apposition d’un filtre,
ne rentre pas dans la logique des marques. Par ailleurs, si le contenu visuel partagé par
les marques de luxe oscille entre contenu corporate et contenu plus instantané, comme
le montre l’exemple du off et des coulisses, la nature des photographies est
résolument singulière : d’une part parce que le contenu corporate mis en ligne, issu
des campagnes publicitaires des marques, est forcément qualitatif puisqu’il a répondu
aux attentes photographiques de la marque lors du shooting, d’autre part parce que,
contrairement à la photographie amateur exposant des images universellement
représentatives, la photographie professionnelle est produite pour soutenir, porter un
29 Franck Jehanne, Is Instagram killing the luxury dream ?, op. cit.
30 Annexe 7.
39 message ou une intention précise et définie. Les images que font circuler les marques
sur Instagram sont ainsi volontairement productrices de sens. A leur valeur esthétique
appréciée est adjoint un but, une volonté, un sens. Enfin, l’usage business et affranchi
des marques s’illustre peut-être aussi par la particularité que, quand la plupart des
comptes du secteur du luxe affiche un nombre d’abonnements restreint mais honnête,
certaines marques ne suivent aucun autre compte. Tel est le cas du compte de
Balenciaga, regroupant plus de 110 000 followers mais affichant 0 abonnement31.
Bien qu’anecdotique, ce simple constat relève encore une fois l’usage business de
l’application qu’ont les marques de luxe.
31 Annexe 8.
40 Partie 3
L’activation d’un levier stratégique
Dès avril 2011, Rebecca Minkoff, jeune créatrice new-yorkaise, partage
quotidiennement sur Instagram une photographie de sa « paire de chaussures du
jour ». Adjoints au hashtag « #shoeoftheday » ou « #sotd » sous sa forme
acronymique, les clichés retouchés quotidiens de la designer de mode font florès : en
l’espace de quelques mois, le compte de Rebecca Minkoff32 compte déjà 20 000
abonnés et les like sur ses images se comptent par milliers. C’est en voyant la
réactivité des utilisateurs et pesant leur potentiel que la créatrice décide de faire
participer sa communauté à la fois au processus de conception de ses pièces et au mix
commercial. C’est ainsi que depuis, la plateforme est au cœur de la stratégie de la
marque : cette dernière s’en sert pour connaître les réactions instantanées des abonnés
quant au design d’une pièce, pour interagir avec les utilisateurs laissant des
commentaires ou encore pour orienter les consommateurs vers le point de vente le
plus proche. Les ventes ont conséquemment doublé entre 2011 et 2012. Pour la
première page de publicité papier de la marque, la communauté Instagram de la
créative a aussi fait partie intégrante du processus : la créatrice a demandé à ses fans
de tagguer les clichés de leurs pièces favorites avec le hashtag « #RebeccaMinkoff ».
La publicité finale33, qui a aussi inclus des photos professionnelles, a été publiée dans
la première version papier de Style.com. La styliste d’expliquer : « Je dois mon succès
à ma communauté, il m’est alors apparu comme logique et naturel de la faire
participer à l’élaboration de ma première campagne de publicité, parce qu’elle fait
aussi ma clientèle. Mes filles d’Instagram sont la raison de ma présence sur la scène
32 Annexe 9
33 Annexe 10
41 de la mode et j’ai pensé que les laisser partager leurs impressions sur la marque était
une bonne idée34 ».
En regard de la crise de l’économie de l’attention35, le choix du marketing de
l’image et l’intégration raisonnée d’Instagram à une stratégie globale de marketing
représentent autant d’enjeux et d’intérêts pour une marque de luxe.
34 http://mashable.com/2011/09/28/rebecca-minkoff-instagram-ad/
35 L’économie de l’attention est une nouvelle branche des sciences économiques et de gestion qui
traite l'attention comme une ressource rare en prenant appui sur les théories économiques afin de
problématiser "le fonctionnement de marchés dans lesquels l’offre est abondante (et donc
économiquement dévalorisée) et la ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs".
L'un des premiers chercheurs à formuler ce concept est Herbert Simon.
42 Chapitre 5. La puissance de l’image
Dans Sur la photographie 36 , l’essayiste américaine Susan Sontag écrit « Today
everything exists to end in a photograph = De nos jours, tout vit pour finir en
photographie ». Force est de constater que cette assertion trouve des échos plus que
favorables dans l’évolution actuelle de l’univers digital.
1. L’image de marque
Produit central de l’activité du luxe et levier marketing principal, l’image de marque37
des sociétés du secteur du luxe, sa production et son mangement, est partie prenante
de la réussite des entreprises. L’identité visuelle des marques joue dans cette
sublimation des codes identitaires un rôle prépondérant.
a. Identité visuelle et identification
Si l’image de marque n’est pas réductible aux campagnes visuelles des griffes mais
sujette à une réalité beaucoup plus complexe, les signes visibles que sont les visuels
d’une marque se révèlent être des supports à enjeux : la marque doit pouvoir raconter
une histoire, faire passer son message en une seule image. Cette transposition
identitaire prend dans le secteur du luxe une couleur particulière, expliquée par le
photographe Mike Diver :
« Obviously the audience is completely different. The level of
sophistication, in the message that is being conveyed by luxury
brands, is much more aspirational and complex than that of
consumer products. With luxury you are buying into a lifestyle,
becoming part of that fantasy and identity. Identification with a brand
is built up over time. Consistency of brand image in the marketplace
– through the use of photography – is ultimately what gives each
label its unique status and portrays the aspirational values that both
the brand stands for and the consumer wishes to indulge in. »
36 Susan Sontag, Sur la Photographie, Paris, Christian Bourgeois Editeur, 2008
37 « L’image de marque correspond à la façon dont celle-ci est perçue par les consommateurs. Cette
perception peut se faire sur des critères objectifs ou subjectifs. Elle est la résultante des
caractéristiques de la marque mais elle est aussi largement influencée par les actions publicitaires. »
d’après T.Albertini et J.-P. Helfer in Dictionnaire du Marketing, Paris, Vuibert, 2008.
43 = Le public est clairement différent. Le niveau de sophistication, dans
le message que les marques de luxe diffusent, est plus aspirationnel et
complexe que celui d’un simple bien de consommation. Acheter un
bien de luxe, c’est acheter un style de vie, faire la part belle au rêve, à
cette identité. L’identification à une marque se construit sur des
générations. La cohérence – à travers la photographie - d’une image
de marque sur le marché est en fin de compte ce qui donne à chaque
griffe son positionnement unique et ce qui incarne les valeurs
aspirationnelles que les marques représentent et auxquelles les
consommateurs veulent s’adonner.
De cette spécificité identitaire découle un usage calibré de la photographie.
L’utilisation d’un style, d’une couleur, d’une histoire ou d’une émotion permet
d’entrer en contact avec l’individu et de l’associer au message que la marque diffuse.
Une corrélation est d’ailleurs observable entre la popularité des marques et la création
à succès d’une image unique. Des marques telles que Armani, Dolce & Gabbana ou
Chanel ont créé des univers visuels mémorisables et impactants dans le milieu de la
mode. Si on s’intéresse au secteur global du luxe, des noms comme Cartier, Dior ou
Louis Vuitton ont aussi réussi à créer des univers visuels forts en basant leur ligne
iconographique sur les facteurs et éléments qui les ont fait passer à la postérité. Par
exemple, la marque Dolce & Gabbana est instantanément reconnaissable via ses
visuels aux mises en scène très théâtrales, Versace pour son style qui emprunte à la
mythologie ou Cartier avec l’utilisation d’une panthère iconique et la couleur rouge.
La fixation pérenne d’une identité est capitale et pose les jalons du travail pour une
transposition photographique. Deux éléments revêtent par ailleurs une importance
particulière pour Mike Diver, quand le sujet de la photographie appartient au domaine
du luxe. Le premier est la définition d’un angle. La photographie doit en effet
communiquer la valeur ajoutée unique de chaque marque. Il s’agira de la rareté des
matériaux pour une marque de diamants ou la spécificité des coupes pour une marque
de prêt-à-porter, ou encore l’importance de l’histoire de marque. Le second élément
concerne justement l’histoire et l’ADN de marque. Une connaissance indispensable
que doit avoir le photographe, rappelle Mike Diver : « With the luxury market is
really important to understand the brand philosophy before you work with them ;
when we worked for Graff, we needed to convey the purity of the diamonds ; whereas
for Viktor and Rolf it may be creating a fantasy that consumers believe in and
associate with = Un des impératifs les plus fondamentaux, quand on travaille avec
l’industrie de luxe, est de comprendre et de s’imprégner de la philosophie de la
44 marque avant de travailler avec elle ; quand nous avons travaillé avec Graff38, nous
avons du communiquer sur la pureté des diamants, alors que pour Viktor and Rolf39
notre mission était celle créer un imaginaire auquel les consommateurs pourraient
croire et s’y reconnaître ». La cohérence d’une image de marque en tant que donnée
identitaire stratégique ne peut se passer d’un univers visuel. En retour, le travail visuel
autour du luxe n’en est que plus pointu, l’image diffusant un message par définition
sophistiqué et complexe.
b. L’image de marque à l’heure du digital
Tant l’avènement du mobile, la révolution du numérique que la digitalisation des
marques de luxe ont bouleversé le cadre de ces signes visibles. Si l’on se place du
côté de la photographie, il s’agit de remarquer que les demandes des marques de luxe
ont changé, au fil de l’engagement digital progressif de ces dernières. Les étapes que
sont la retouche et la post-production sont désormais des champs d’action que les
photographes doivent maitriser. De ces nouveaux outils dépend le rendu du visuel,
voulu toujours qualitatif et cohérent avec la signature visuelle de la marque. Le
recrutement de photographes de renom entre aussi dans cette course à la qualité et
l’audace visuelles. L’intégration des médias sociaux dans les stratégies globales de
publicité des marques de luxe ont aussi poussé les photographes à adapter les visuels
pour tous les formats requis, notamment pour un usage digital. L’enjeu, pour une
adaptation au support mobile, est de gagner en rapidité d’ouverture ou de
téléchargement depuis le terminal mobile tout en gardant la qualité haute-définition
des visuels. Le boom du format vidéo, incarné par des plateformes telles que
YouTube ou Vimeo40, et son succès auprès de la communauté web a par ailleurs
inspiré les marques, dont les demandes vidéo auprès des photographes ont augmenté.
Cet essor se remarque bien dans la tendance du « off », les marques n’hésitant plus à
mettre en ligne des vidéos de courte durée faisant pénétrer le client dans les arcanes
des grandes maisons. En outre, la digitalisation, notamment mobile, des marques, a
non seulement requis une adaptation des visuels au support mais a aussi offert de
nouvelles possibilités pour s’adresser au consommateur. Tel est le cas de la réalité
38 Graff est une maison de joaillerie fondée en 1960 à Londres. Cette société est spécialisée dans le
négoce de joyaux historiques ou exceptionnels.
39 Viktor and Rolf est marque néerlandaise de prêt-à-porter et de parfums.
40 Vimeo est un site web communautaire lancé en 2004 destiné au partage et au visionnage de vidéos
faites par les utilisateurs. Le site comptait en avril 2012 plus de 8 millions de membres.
45 augmentée, technique visant à ajouter des éléments virtuels au « monde réel », en
offrant à l’utilisateur la possibilité d’être immergé dans cet environnement mixte. La
marque Tissot s’est par exemple illustrée dans ce domaine en permettant à ses
utilisateurs d’avoir un aperçu 3D d’une montre à leur poignet : l’utilisateur
sélectionne une montre, prend en photographie son poignet et un rendu 3D de la
montre à son poignet lui est proposé. Les signes visibles des marques de luxe, certes
fixes et stables pour pérenniser l’image de marque dont ils sont partie prenante,
évoluent cependant au gré des évolutions technologiques.
2. L’essor du marketing de l’image
Cette sublimation des codes identitaires via la photographie va de pair avec
l’avènement du marketing de l’image dans un écosystème où l’image semble avoir
pris l’avantage et dans lequel le luxe semble particulièrement soluble.
a. L’utilisation du beau dans une stratégie marketing
Les outils et applications de visualisations de données prolifèrent. L’e-commerce de
luxe a doté ses interfaces de fonctions de zoom de plus en plus efficaces pour mieux
mettre en valeur la qualité et le détail des produits. Le webdesign a de son côté
beaucoup évolué, faisant la part belle aux photographies et aux vidéos. Enfin, 800%
d’augmentation des recherches Google pour le terme « Infographie » ont été recensés
en l’espace de deux ans41. Le marketing de l’image, le marketing visuel ou encore le
picture marketing, sont autant de termes attestant de la tendance forte des marques à
utiliser le beau dans leur stratégie. Si l’image a toujours occupé une place de choix en
marketing, les nouvelles technologies que sont le mobile ou le numérique ont
optimisé le support photographique. La vue est en effet le premier sens sollicité et le
visuel joue de façon inconsciente un rôle prépondérant au moment de l’acte
d’engagement ou d’achat. Le choix d’une forme, d’une couleur est déterminant et
provoque une réaction cognitive, comportementale et émotionnelle chez le
consommateur qui influencera sa perception. La tendance pour le visuel revêt un sens
tout particulier pour les marketeurs en période de crise de l’attention quand des études
montrent que 90% de l’information transmissible au cerveau est visuelle, que le
41 http://c-marketing.eu/marketing-et-web-visuel/
46 cerveau traite les images 60 fois plus vite que le texte et que 40% des individus sont
plus réactifs aux contenus visuels qu’aux contenus textuels. Faire le choix du
marketing visuel, c’est-à-dire intégrer des images et des vidéos dans une stratégie
marketing, revient donc actuellement à développer la visibilité d’une marque, à capter
l’attention, à faire passer des émotions et à capitaliser sur la viralité du partage social.
b. Le contenu visuel et les réseaux sociaux
Par sa fluidité et sa simplicité de partage, le web social participe grandement à la
tendance visuelle du marketing et représente un levier de choix pour les entreprises
optant pour cette couleur de communication. Les réseaux sociaux sont en effet de
grands pourvoyeurs d’images. Google+ a misé sur une interface résolument visuelle,
Facebook a agrandi la photo de profil et a créé la page de couverture, Twitter a
changé l’interface utilisateur en y ajoutant une bannière visuelle, LinkedIn a, quant à
lui, opté pour un nouveau profil tourné vers l’image. Parallèlement, le partage de
photographies sur Facebook bénéficie de sept fois plus de like et de dix fois plus de
partages que les contenus textuels quand les images sont les liens les plus cliqués et
les plus retweetés sur Twitter. Dans l’écosystème des réseaux sociaux, ce primat de
l’image fait les belles heures de nombreuses plateformes, Instagram en première
ligne. Ainsi Instagram se révèle être un symptôme ou un déclencheur mais surtout le
porte drapeau du marketing de l’image. Instagram n’est pas en lui même du
marketing, ni un outil marketing, mais son crédo participe d’un paradigme visuel
prenant de l’ampleur dans le monde de la communication. À coté d’autres services,
l’application représenterait la tangibilisation de la maxime « mieux vaut un dessin
qu’un long discours ». L’image se substituerait donc, dans le contexte actuel de
l’économie de l’attention en crise, comme un moyen plus efficace de faire passer un
message commercial ou marketing, là où un discours échouerait. Ceci apparaît
d’autant plus pertinent aux yeux des communicants dans le cas de la publicité sur
téléphone mobile qui constitue un cadre de d’utilisation où il est encore plus difficile
de capter l’attention du consommateur que lorsqu’il est face à son ordinateur fixe, son
attention étant disputée entre l’écran de son téléphone et par ce que l’on pourrait
appeler le monde réel. Dans ce contexte là, il est compréhensible que pour les
47 développeurs, la volonté de tout sémiotiser 42 afin de réduire l’espace dédié au
discours, et donc de privilégier l’image dans la conception même de l’application,
s’impose. Ceci permet, en outre, de tendre vers ce que les communicants appellent le
frictionless43, notion souvent associée au marketing de l’image.
Chapitre 6. Un enjeu marketing considérable
En regard de la relative jeunesse d’Instagram, de la teneur strictement visuelle de son
contenu et du fait qu’il s’agit d’un réseau uniquement mobile, le nombre de marques
utilisant l’application est impressionnant et atteste de la pertinence d’Instagram
comme réseau et comme marché. A l’approche du troisième anniversaire de
l’application et des 150 millions d’utilisateurs, le réseau social et artistique parle à la
majorité des entreprises, et si la construction d’une stratégie exclusivement mobile et
photographique peut sembler périlleuse, l’engagement des mobinautes est fort, et les
marques, dont celles du secteur du luxe en première ligne, ont su cerner l’opportunité
marketing représentée par une telle plateforme. Les marques se montrant encore
aujourd’hui frileuses quant à cet investissement ignorent de fait 130 millions de
interlocuteurs potentiels.
1. Un éventail pertinent d’intérêts pour les marques de luxe
Social. Photo. Mobile. Les trois clés de définition d’Instagram semblent aujourd’hui
les trois éléments les plus addictifs du digital. Pour Mike Systrom, le co-fondateur de
l’application, la plateforme représente même « l’avenir de la publicité » : « What’s
really cool about this is, it does not feel like advertising. When you open Instagram, it
feels like entertainment44 = Ce qui est vraiment agréable avec l’application, ce qu’on
ne ressent pas le côté publicitaire. Quand vous ouvrez Instagram, vous accédez à du
divertissement ». Pour les marques du secteur du luxe, la plateforme représente
42 La sémiotique est l’étude signes de communication. Sémiotiser, dans le contexte d’Instagram,
revient à donner un sens, une signification à une image.
43 Concept récent concernant l’expérience utilisateur, consistant dans l’utilisation de symbolique afin
de proposer un minimum d’obstacles dans le parcours utilisateur.
44 Sophie Doran, What Instagram means for luxury brands, Luxury Society n°6, mai 2012
48 désormais un média social de choix à considérer lorsque vient le temps de construire
une stratégie webmarketing et demandant qui plus est un coût d’investissement très
faible.
a. L’enrichissement et la mise en valeur de l’identité de marque
Instagram peut s’avérer pertinent lorsque le besoin d’une marque se traduit par la
recherche d’une mise en valeur de son identité. L’application permet aux marques de
produire du contenu visuel exclusif et valorisant par ses qualités esthétiques. Il
apparaît cependant très important de savoir conserver un équilibre entre contenu
corporate et contenu plus instantané, afin de conserver l’impression de légèreté qui se
dégage de cette démarche sans prétention, par essence amateur. Il devient alors
possible de construire un véritable univers de marque sur cette application, dans
lequel le fan peut s’immerger au quotidien, et donc de travailler intensément sur
l’image de la marque. Un bon exemple d’entreprise suivant cette stratégie est la
marque de joaillerie américaine Tiffany & Co45. La marque propose à ses 740 000
fans des visuels mettant en avant le processus de fabrication des bijoux et l’expertise
dont elle se montre garante. Ce contenu différenciant et intense renforce la position
experte et de « valeur sûre » de l’entreprise et valorise un savoir-faire et une culture
d’entreprise. Cette stratégie de création d’un univers est aussi celle de la marque
Burberry, dont le contenu oscille entre visuels produits et photographies de la ville de
Londres, images ambassadrices de l’anglicisme de la marque.
b. La génération de trafic et la visibilité
Si Instagram fait communiquer la marque auprès de l’ensemble de ses abonnés,
l’application permet également de générer du trafic sur les autres plateformes sociales
de la marque, en fluidifiant sensiblement les mouvements entre ces plateformes,
Instagram devenant, à travers les photographies, une toile de connexions, pouvant
faire circuler l’internaute, de manière intentionnelle ou par la force de la sérendipité46,
de site en site. Par ailleurs, cette génération de trafic peut favoriser la curation47 de
45 Annexe 11.
46 Développé par Henri Kaufman, le concept de sérendipité désigne la trouvaille, par des hasards
heureux, de ce que l’on ne cherche pas.
47 Pratique qui consiste à sélectionner, éditorialiser et partager les contenus les plus pertinents du web
pour une requête ou un sujet donné.
49 contenus. Telle était l’intention de la marque YSL lors du lancement du parfum
« L’Homme libre » ou de la société Marc Jacobs avec l’initiative Marc Jacobs
Family, invitant ses fans à se prendre en photo pour rejoindre la communauté et être
mis en avant sur le site de la marque. Plus prosaïquement, Instagram peut être
simplement à l’origine d’un flux de photographie qui servira à nourrir les autres
plateformes, proposant un contenu bon marché, pouvant circuler rapidement, et
relativement flatteur dans le domaine de l’image fixe.
c. La création et l’animation d’une communauté
Il apparaît enfin nécessaire de s’intéresser à l’aspect communautaire d’Instagram,
étant donné la fréquentation en hausse continue de l’application. Du fait de son
ergonomie et de ses conditions d’utilisation relativement simples par rapport à celles
de Facebook, il peut s’avérer très intéressant de lancer des jeux concours via
l’application, utilisant les fonctionnalités telles que les like ou les commentaires
comme procédés d’inscription ou de vote, ce que ne permet pas Facebook, qui oblige
à passer par un application dédiée. Ce type d’initiative s’inscrit par ailleurs dans les
stratégies actuelles de gamification de marques telles que Rebecca Minkoff ou W
Hotels mais gagnerait à être plus exploité. Les hashtags peuvent eux aussi être très
intéressants pour une société, permettant de lancer des opérations de création de
contenu, ou plus simplement faisant office de véritables bouteilles à la mer, destinées
à être récupérées par la communauté. Découlant de cet usage, Instagram s’avère
extrêmement pratique de mise en œuvre dans le but de favoriser la co-création de
contenus entre la marque et les internautes, ce qui ouvre de nombreuses portes à la
créativité des communicants.
2. Recommandations pour une stratégie Instagram efficace
Si la présence des marques de luxe sur la plateforme est placée sous le signe de la
nouveauté, des lignes d’action se dessinent et permettent d’élaborer une batterie de
recommandations pour une utilisation pertinente et efficace.
a. Pour un usage calibré
50 Bien que le réseau paraisse accessible au premier abord, le développement d’une
stratégie de contenus est toutefois indispensable pour que la marque ne s’égare pas de
l’image qu’elle souhaite faire passer. Aussi la modération de la logique
transactionnelle, le goût pour la créativité et l’utilisation de hashtags appropriés
apparaissent comme des conditions sine qua none à une utilisation raisonnée et
efficace de plateforme. Comme l’a souligné la tendance des marques pour le « off »,
ces dernières doivent garder à l’esprit que leur présence sur Instagram s’inscrit
davantage dans une logique de construction d’une relation avec un public que dans
une logique transactionnelle. L’utilisateur d’Instagram ouvre l’application pour
partager et consulter du contenu visuel attrayant. La marque se doit ainsi de proposer
du contenu ludique et créatif : la ligne graphique et éditoriale de ce contenu, personnel
et sincère, est la clé pour donner de la personnalité au compte de la marque et
l’humaniser. La sélection des photographies est par ailleurs primordiale, et sur
Instagram, la qualité prime sur la quantité. Une fréquence de postage est tout aussi
importante à établir, afin de ne pas noyer l’utilisateur dans une avalanche de photos
qui pourraient inonder son flux d’actualité le cas échéant. En outre, l’utilisation des
hashtags est à maîtriser : tant le choix des mots pertinents que leur modération est
importante, les mobinautes ayant tendance à sauter par-dessus les photographies trop
riches en hashtags parce que ceux-ci se lisent difficilement et inspirent un sentiment
de spamming 48 . Enfin, l’abonnement à d’autres comptes, la géo-localisation des
visuels et la veille chez la concurrence sont autant de stratégies que les marques de
luxe peuvent entreprendre pour tendre à un usage calibré de leur compte.
b. Pour un usage maîtrisé
Comme tout réseau social, Instagram s’insère dans un système d’interaction dont les
manifestations ne dépendent pas que de lui. Si le risque concernant la piètre qualité
des photographies postées est évitable par une utilisation professionnelle du compte,
les commentaires écrits par les mobinautes sont un domaine où la marque n’a que très
peu de contrôle. Comme l’a montré l’exemple de l’initiative de YSL, invitant ses fans
à prendre une photographie représentant la liberté selon eux, le ton et la pertinence
des commentaires postés sont hétérogènes. De l’abondance de compliments à
48 Ce phénomène se rapproche de celui de l’évitement publicitaire (ad avoidance) qui consiste à
reconnaître et à éviter les publicités avant même de traiter leur message.
51 l’endroit de la marque à l’insulte de celle-ci, l’éventail des commentaires est large :
demandes de stage, langage internet abrégé, auto-promotion d’utilisateurs ou message
apparaissant comme l’œuvre de spammeurs. Néfaste pour l’image que diffuse la
marque, ce type de commentaire a, par analogie, le même effet que la vue d’une belle
campagne d’affichage dégradée par un graffiti.
c. Pour un usage pérenne
Placé sous le signe de la nouveauté et du succès, l’usage d’Instagram, en regard des
autres réseaux sociaux qui l’ont précédé, reste perfectible, et les mises à jour et
nouvelles fonctionnalités de la plateforme sont des manifestations de l’évolution de
l’application. Instagram, au même titre que l’ensemble des réseaux sociaux, a tout à
gagner dans l’évolution de son utilisation par les marques, ces dernières drainant des
utilisateurs toujours plus nombreux sur le réseau. En même temps que les marques
apprivoisent ce nouvel espace digital, Instagram subit aussi des mutations visant
l’affinement de son usage business. A ce titre, l’implémentation de nouvelles
fonctionnalités et outils permettant un meilleur management des comptes, et des
commentaires notamment, ne pourra qu’être bénéfique pour les marques et pour
l’application. L’engagement des fans est la clé et du succès non seulement des
marques sur le réseau mais aussi celle de la plateforme. La pérennité de l’utilisation
d’Instagram par les marques sera assurée si l’application leur permet d’exploiter au
maximum cette singulière opportunité de visibilité auprès de leur cible. Dans cette
optique d’optimisation de leur impact à destination du public, les marques de luxe
monitorent un éventail de leviers digitaux dont la coordination et la porosité sont
essentielles pour obtenir une visibilité maximale et proposer à la cible des expériences
innovantes. Instagram, dans cet écosystème, semble avoir de belles heures devant lui
de par le fait que l’application a su offrir aux marques de luxe une prise de parole
digitale inédite, humanisée et en lien étroit avec l’affinité du secteur du luxe pour la
photographie. Le photographe Mike Diver de projeter :
“I think that for luxury brands who are using photography as a
medium to express their brand, two things are going to be very
important: to fully embrace the digital and social media revolution
and to continue to offer its clientele something tangible and bespoke.
In fact it’s the combination of the two strategies that will further
increase the desirability of the luxury brand.
With the financial resources that luxury brands have behind them,
imagination will be the only limitation in fully exploiting both the
virtual and the real”.
52 = Deux éléments seront primordiaux pour les marques de luxe
utilisant la photographie comme media pour communiquer sur
leur marque : accueillir à bras ouverts la révolution digitale et
social-media et continuer à offrir à leur clientèle quelque chose de
tangible et de sur-mesure. La combinaison de ces deux stratégies
permettra d’accroitre la désirabilité des marques de luxe.
De par les ressources financières dont disposent les marques du
secteur du luxe, la créativité sera la seule limite à l’exploitation
intégrale et du virtuel et du réel.
53 Conclusion
« J’erre dans cette ville, dans cette meute, parmi tous ces
visages, parmi toutes ces images qui brillent, qui
m’éblouissent, qui me brûlent les yeux… Oh ! Je voudrais
ne plus voir, l’aveugle est un homme plus libre49 ».
Ainsi se clôt cette étude du luxe et des réseaux sociaux à travers l’analyse
d’Instagram. Au risque d’utiliser un poncif à ce stade de l’étude, Internet a
complétement modifié les façons de s’informer et de consommer, et l’usage des
médias sociaux est une lame de fond qui embrase la vie de chaque internaute. Dans
cet écosystème digital, les marques de luxe peuvent interagir avec leurs clients à tout
moment et partout. Longuement, la question de l’intérêt de la présence des marques
du secteur du luxe sur les médias sociaux s’est posée et tant l’exploration que la
conquête de l’espace digital, cette forme nouvelle, a mis bien plus de temps à émerger
pour ces griffes que pour les sociétés d’autres secteurs. Opposés sur les valeurs,
l’objectif est pourtant commun : partager l’information et augmenter la visibilité. De
plus, la présence des marques de luxe sur les réseaux sociaux semble presque
obligatoire étant donné que cet environnement est peuplé, que ce soit par leurs
concurrents que par les consommateurs. La gestion de l’information qui circule sur la
marque est également un point essentiel qui confirme cette idée, puisque l’image fait
partie des fondements des marques de luxe. En ce sens, l’avènement d’Instagram
n’est pas synonyme de vulgarisation du secteur du luxe. Au contraire, la plateforme, à
composante sociale et artistique, offre des opportunités qu’il serait dommage de
négliger. Et bien que l’on puisse penser que l’ouverture à une plus grande audience
pourrait dénaturer ces marques, il semble surtout que leur prise de parole digitale
permette de garder leur aspect d’exclusivité tout en augmentant leur notoriété. La
question, quand une marque de luxe investit Instagram, n’est donc pas uniquement
transactionnelle mais s’inscrit dans une logique de construction d’une relation avec un
49 Honoré de Balzac perdu dans le délire de ses derniers jours confie à un ami sa douleur de voir. Les
images qui grouillent autour de lui l’assaillent et finissent par le paralyser. Elles paraissent douées d’un
pouvoir hypnotique qui fixe leur victime dans un esclavage subtil. 54 public. Les 600.000 followers du compte de Louis Vuitton ne sont certainement pas
tous des clients de la marque. Pour autant, la marque les fait rêver, ce qui est un des
buts du luxe. C’est aussi en faisant rêver les gens que les marques séculaires du luxe
améliorent leur notoriété puis, indirectement, leurs ventes. Les stratégies digitales des
marques de luxe sur Instagram doivent se positionner sur du long terme, car les
spectateurs d’aujourd’hui pourront être les clients de demain. Mais la transposition
digitale n’est pas innée. Le chemin qui mène au succès sur Instagram n’est pas
dessiné, et les règles à respecter sont nombreuses. Les marques de luxe doivent
effectuer des choix en adéquation avec leurs valeurs, leurs aspirations et leurs
abonnés. Il est nécessaire pour ces dernières de garder une cohérence entre leur image
et leur stratégie digitale sur cette plateforme dont l’atome de communication est
l’image, ainsi que de publier du contenu exclusif afin de tirer tous les bénéfices de ce
nouveau venu dans l’arène des réseaux sociaux. Les moyens de créer de la valeur
ajoutée pour les marques de luxe via Instagram sont nombreux. Les moyens sont donc
donnés aux marketeurs pour créer des stratégies toujours plus pertinentes et créatives,
et il semblerait qu’Instagram ait trouvé sa place dans le secteur du luxe et des réseaux
sociaux quand il paraissait improbable que de nouvelles plateformes tirent leur
épingle du jeu dans l’écosystème mature du web social.
55 Table des Annexes
Annexe 1.
p.57
Capture d’écran des Conditions d’utilisation d’Instagram
Annexe 2.
p.58
Capture d’écran du lien de téléchargement d’Instagram sur l’AppStore
Annexe 3.
p.59
Infographie sur l’évolution d’Instagram
Annexe 4.
p.60
Capture d’écran de la galerie Instagram de l’Homme Libre de YSL
Annexe 5.
p.61
Capture d’écran du classement Nitrogram des marques de luxe
Annexe 6.
p.64
Capture d’écran du compte @burberry
Annexe 7.
p.65
Capture d’écran de contenu peu qualitatif issu du compte @versace_official
Annexe 8.
p.66
Capture d’écran du compte @balenciaga
Annexe 9.
p.67
Capture d’écran du compte @rebeccaminkoff
Annexe 10.
p.68
Visuels publicitaires de la marque Rebecca Minkoff
Annexe 11.
p.70
Capture d’écran du compte @tiffanyandco
56 Annexe 1
Capture d’écran des Conditions d’utilisation d’Instagram
57 Annexe 2
Capture d’écran du lien de téléchargement d’Instagram sur l’AppStore
58 Annexe 3
Infographie sur l’évolution d’Instagram
59 Annexe 4
Capture d’écran de la galerie Instagram de l’Homme libre de YSL
60 Annexe 5
Capture d’écran du classement Nitrogram des marques de luxe
61 62 63 Annexe 6
Capture d’écran du compte @burberry
64 Annexe 7
Capture d’écran de contenu peu qualitatif issu du compte @versace_official
65 Annexe 8
Capture d’écran du compte @balenciaga
66 Annexe 9
Capture d’écran du compte @rebeccaminkoff
67 Annexe 10
Visuels publicitaires de la marque Rebecca Minkoff
68 69 Annexe 11
Capture d’écran du compte @tiffanyandco
70 Bibliographie et sitographie
Ouvrages et thèses
C. Balagé, Facebook, Twitter et les autres. Intégrer les réseaux sociaux dans une
stratégie d’entreprise, Paris, Pearson, 2010
R. Barthes, La chambre claire, Note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980
M. Chevalier et G. Mazzalovo, Management et Marketing du luxe, Paris, Dunod,
2008.
S. Le Bail, Le luxe entre culture et business, Paris, France Empire, 2011
N. Thély, Le tournant numérique de l’esthétique, Paris, Gallimard, 2012
Articles et articles de revues
C. Kervella, La schizophrénie du luxe, Influencia n°2, juillet-septembre 2012
Etudes
Etude Altagamma/Bain, Luxury Goods Market Study, 2012
Etude Digitaluxury, Marketing Trend Report, 2012
Etude Luxury Interactive/Worldwide Business Research/shopIgniter, Social media
and luxury, 2012
Etude L2, Marketing Digital Innovation annual report, 2012
Etude SimplyMeasured/eMarketer, Social Media Study, 2013
Sites Internet
- http://www.lvmh.fr/press/170
- http://www.meltyfashion.fr/inez-et-vinoodh-l-histoire-des-photographes-de-modedejantes-a201982.html
71 -­‐ http://www.webandluxe.com/08/2011/pourquoi-­‐les-­‐marques-­‐de-­‐luxe-­‐
aiment-­‐instagram/ -­‐ http://visionsmag.com/instragram-­‐et-­‐le-­‐luxe-­‐la-­‐photo-­‐en-­‐strategie-­‐
marketing/ -­‐http://marchandsdeluxe.com/2012/02/09/instagram-­‐succes-­‐instantane/ -­‐ http://50.nitrogr.am/tag/luxury-­‐
brands/af34bd7f4e8916330fb7e595929a404ee3ceaf74/ -­‐ http://luxurysociety.com/articles/2012/08/what-­‐instagram-­‐means-­‐for-­‐
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photography-­‐diver-­‐aguilar -­‐ http://luxurysociety.com/articles/2012/05/is-­‐instagram-­‐killing-­‐the-­‐luxury-­‐
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Instagram-­‐Marketing -­‐ http://business-­‐on-­‐line.typepad.fr/b2b-­‐le-­‐blog/2012/10/instagram-­‐
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brands/11269 -­‐ http://trends.e-­‐strategyblog.com/2013/02/20/social-­‐network-­‐adoption-­‐by-­‐
worlds-­‐top-­‐100-­‐brands-­‐by-­‐site/8582 -­‐ http://trends.e-­‐strategyblog.com/2013/03/01/percent-­‐of-­‐top-­‐100-­‐global-­‐
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plus-­‐suivies-­‐sur-­‐instagram/38513 -­‐ http://flyconseils.com/blogue/utiliser-­‐efficacement-­‐instagram-­‐strategie-­‐
marketing/ -­‐ http://www.ignitesocialmedia.com/social-­‐media-­‐strategy/how-­‐to-­‐brand-­‐
marketing-­‐success-­‐instagram/ 72 -­‐ http://www.netpme.fr/info-­‐conseil-­‐1/commercial-­‐marketing/marketing-­‐
communication/fiche-­‐conseil/40799-­‐marketing-­‐visuel -­‐ http://fr.wikipedia.org/wiki/Instagram -­‐ http://sahloumi.com/le-­‐marketing-­‐visuel-­‐sur-­‐les-­‐medias-­‐sociaux-­‐infographie/ -­‐ http://g1site.com/comment-­‐debuter-­‐instagram-­‐marketing/ -­‐ http://www.lefigaro.fr/hightech/2013/02/27/01007-­‐
20130227ARTFIG00656-­‐instagram-­‐fait-­‐flasher-­‐100millions-­‐d-­‐utilisateurs.php -­‐ http://blog.kelkoo.fr/hightech/instagram-­‐histoire-­‐dun-­‐succes-­‐2012-­‐04 -­‐http://www.le-­‐webmarketeur.com/2012/04/13/lhistoire-­‐du-­‐succes-­‐
dinstagram-­‐en-­‐une-­‐infographie/ -­‐ http://www.blogoergosum.com/30991-­‐instagram-­‐la-­‐fausse-­‐emotion-­‐un-­‐vrai-­‐
business -­‐ http://www.entreprendre.ma/Qu-­‐est-­‐ce-­‐que-­‐Le-­‐marketing-­‐visuel_a982.html -­‐ http://obsession.nouvelobs.com/mode/20120217.OBS1643/la-­‐mode-­‐defile-­‐
sur-­‐les-­‐reseaux-­‐sociaux.html -­‐ http://www.livingwell.jo/content/features/photographers-­‐and-­‐art-­‐capturing-­‐
style -­‐ http://www.renaud-­‐joly.fr/index.php/post/instagram -­‐ http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-­‐marches/high-­‐tech-­‐
medias/internet/221164514/solomo-­‐pourquoi-­‐comment-­‐chose-­‐est-­‐sure-­‐faut-­‐ -­‐ http://www.culturecrossmedia.com/campagnes-­‐cross-­‐media/solomo-­‐social-­‐
local-­‐mobile-­‐comment-­‐bien-­‐integrer-­‐le-­‐solomo-­‐dans-­‐la-­‐communication-­‐cross-­‐
media/ 73 Table des matières
Introduction………………………………………………………………….…...……9
Partie 1. Le luxe dans la tourmente digitale………………………………....……12
Chapitre 1. L’alchimie des paradoxes ?..................................................................13
1.Une incompatibilité conceptuelle………………………………………..…13
a. Des notions aux identités antinomiques………………………………….13
b. Entre hermétisme et réticences…………………………………………...14
2. Un tabou finalement dépassé…………………………………………..….15
a. L’essor du e-commerce…………………………………………………..15
b. Un panorama de la présence digitale des marques du secteur du luxe…..17
Chapitre 2. Le luxe et les réseaux sociaux…………………………………...…...18
1. Un investissement croissant…………………………………………...…..18
a. Le digital comme levier marketing de proximité…………………….…..19
b. Exemples d’utilisation des réseaux sociaux par des marques……………20
2. Focus sur Instagram………………………………………...…………….21
a. Qu’est-ce qu’Instagram ?...........................................................................22
b. Un réseau social et artistique……………………………………….…….23
Partie 2. Le déploiement des marques de luxe sur Instagram…………………...26
Chapitre 3. Instagram fait flasher le luxe…………………………………………27
1. L’état des lieux d’un engouement…………………………….……………27
a. Le poids des chiffres……………………………………………………..27
b. Les ressorts d’une adéquation………………………………….......……29
2. L’application dans les mains des marques………………………………..31
a. Un profil luxe ?.........................................................................................31
b. Des approches diverses…………………………………..……………..33
Chapitre 4. La photographie comme pierre d’achoppement ?................................34
1. Deux appréhensions différentes...................................................................34
a. Le huitième art……………………………..……………………………34
b. Instagram comme nouvelle photographie amateur……………………..36
2. Une contradiction résolue…………………………………………...…….37
74 a. Un débarquement risqué……………………………………………...…37
b. Un « profil utilisateur » singulier……………………………………….39
Partie 3. L’activation d’un levier stratégique……………………………………..41
Chapitre 5. La puissance de l’image……………………………………………...43
1. L’image de marque………………………………………………………...43
a. Identité visuelle et identification………………………………………..43
b. L’image de marque à l’heure du digital…………………….…………..45
2. L’essor du marketing visuel…………………………………….…………46
a. L’utilisation du beau dans une stratégie marketing……………………..46
b. Le contenu visuel et les réseaux sociaux………………………………..47
Chapitre 6. Un enjeu marketing considérable…………………………………….48
1. Un éventail pertinent d’intérêts pour les marques de luxe………..………48
a. L’enrichissement et la mise en valeur de l’identité de marque…………48
b. La génération de trafic et la visibilité…………………………...………49
c. La création et l’animation d’une communauté…………………...……..50
2. Recommandations pour une stratégie Instagram efficace………………...50
a. Pour un usage calibré……………………………………………………50
b. Pour un usage maîtrisé………………………………………………….51
c. Pour un usage pérenne……………………………………………….….52
Conclusion………………………………………………………………………..…..54
Table des Annexes…………………………………………………………………...56
Annexes……………………………………………………………………………....57
Bibliographie et sitographie.……………………………………………………..…..71
Table des Matières…………………………………………………………………...74
Résumé…………………………………………………………………………….....76
75 Résumé
Ce travail d’étude propose une réflexion sur la solubilité des marques du secteur de
luxe dans l’écosystème des réseaux sociaux à travers l’exemple d’Instagram,
champion de la photographie artistique sur l’Internet mobile. Via le prisme de
l’image, il s’agit de peser les dynamiques qui sous-tendent une telle adéquation qui
semble au départ contre-nature et de mettre en lumière l’activation d’Instagram en
tant que levier dans une stratégie marketing.
Mots clés
Instagram ; Réseaux sociaux ; Luxe ; Digitalisation ; Photographie ; Amateur ; Image
de marque ; Marketing de l’image
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