droite et gauche incapables de comprendre la grogne des armées

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droite et gauche incapables de comprendre la grogne des armées
Liberte Politique
DROITE ET GAUCHE INCAPABLES DE COMPRENDRE LA
GROGNE DES ARMÉES FRANÇAISES
Article rédigé par Jean-Germain Salvan, le 15 mars 2002
[DECRYPTAGE/tribune] — Les mouvements d'indiscipline dans la gendarmerie, la grogne dans nos
armées, faut-il s'en étonner ? Très rapidement, il faut rappeler que le mouvement d'insubordination des
gendarmes apparu à la fin de l'année 2001 couvait depuis longtemps.
Dans les années 1989-1990, il y avait déjà eu une première alerte : des gendarmes revendiquaient dans les
médias à visage masqué.
Comme on le sait depuis longtemps, les dirigeants politiques français en sont restés à des idées mythiques en
ce qui concerne les armées. Que les personnels militaires, dans la gendarmerie ou ailleurs, éprouvent des
attentes, manifestent des comportements, expriment des idéaux très différents de ceux des soldats de la
Révolution ou de la guerre d'Algérie leur échappe totalement. La classe politique en est restée à la logistique
du Régiment de Sambre-et-Meuse : " Le régiment de Sambre-et-Meuse / Marchait toujours au cri de
liberté... / La gloire était leur nourriture, / Ils marchaient sans pain, sans soulier, / La nuit ,ils couchaient sur
la dure / Avec leur sac pour oreiller... "
La vérité, c'est que la droite et la gauche poursuivent depuis 1981 la même politique : réduction des effectifs
et des crédits militaires, recherche d'une hypothétique Europe de la défense, comme si dix faiblesses ou
quinze lâchetés pouvaient créer une puissance capable d'impressionner Saddam Hussein ou d'autres tyrans.
Certes, les Français sont toujours capables de reprocher aux Américains quelques manquements aux droits
de l'homme après qu'ils les aient tiré d'un mauvais pas ! Ils savent aussi pleurnicher, quand ils n'agissent pas
assez vite à notre place, comme dans les Balkans de 1990 à 1996 !
Avant de quitter le service actif en 1991, j'avais écrit que la politique militaire que nous menions nous
permettrait certes de participer dans le cadre de l'ONU à des opérations de maintien de la paix aux côtés de
troupes honorables mais peu qualifiées, et que nous ne serions plus dans la cour des grands en 2001. Comme
je voudrais m'être trompé !
Pouvait-on imaginer que les " soldats de la loi "que sont les gendarmes allaient accepter perpétuellement et
stoïquement de rester passifs alors qu'ils reçoivent l'ordre de laisser bafouer les lois de la République,
comme en Nouvelle-Calédonie de 1994 à 1998, comme chaque année en mai en Gironde, comme en Corse
depuis 1974 ? Pouvait-on imaginer que l'on allait considérablement accroître les moyens et les émoluments
de la police en 2001 sans penser aux gendarmes ?
De multiples erreurs, commises depuis 1981, ont créé les conditions de l'explosion à laquelle nous avons
assisté en 2001. D'abord, la gendarmerie fut soustraite à la tutelle de l'armée de terre. Ensuite, on a décidé
que l'on pouvait servir dans la gendarmerie sans avoir débuté sa carrière dans les autres armées. Enfin, on a
voulu que la gendarmerie quitte ses uniformes pour certaines missions : les spécificités de la gendarmerie et
de la police se sont brouillées et beaucoup ne voient plus les raisons de disposer de deux corps aux missions
et aux comportements apparemment semblables...
Quant aux armées, la décision d'abandonner la conscription et de passer à des armées professionnelles fut
prise sans la moindre concertation en 1995. Pire,le président Chirac décida simultanément de
professionnaliser les armées en diminuant leur budget, tout en engageant nos forces dans des actions variées,
dans les Balkans notamment. Rappelons que les Britanniques dans les années 60 et les Américains de 1970 à
1974 ont professionnalisé leurs forces à budget constant : il est évident que les fermetures de bases, les
mutations, le recrutement, l'attraction de spécialistes, médicaux ou informaticiens, ont un coût élevé.
Par ailleurs, l'engagement des forces françaises aux côtés de militaires d'autres nations a permis des
comparaisons presque toutes en défaveur de la France. Les équipements, les soldes, les matériels des autres
nations dont nous étions les alliés en 1990-1991, dans les Balkans, à Timor ou en Afghanistan étaient
supérieurs aux nôtres. Devoir acheter des munitions aux Américains pour nos avions lors du conflit du
Kosovo, l'incapacité d'obtenir rapidement les accords pour mettre en place nos militaires en Afghanistan
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furent ressentis comme d'intolérables humiliations. Enfin, les militaires acceptent mal que la France,
première puissance militaire en Europe occidentale jusqu'en 1995 soit aujourd'hui dépassée par la
Grande-Bretagne, sinon par l'Allemagne...
Nos soldats comprennent fort bien les spécificités du métier militaire : mobilité, disponibilité discipline,
risque de mort. Il est inimaginable de penser que les hommes et les femmes qui s'engagent à servir l'État et
la patrie dans les conditions les plus difficiles admettent longtemps de servir des matériels désuets et d'être
payés au rabais...
Jean-Germain Salvan est général CR, ancien professeur d'histoire militaire à l'université de Bordeaux.
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