J`étais sûre d`être une mauvaise mère

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J`étais sûre d`être une mauvaise mère
10 | Migros Magazine 4, 19 janvier 2009
«J’étais sûre d’être
une mauvaise mère»
Les jeunes mamans ne sont pas forcément comblées par la naissance de leur enfant.
Pendant deux ans, la Genevoise Chantal a souffert de dépression post-partum.
La dépression
post-partum touche
entre 10 et 18% des
nouvelles mamans
dans le monde.
récit
D
urant les deux premières
années de vie de son fils
Noam, Chantal a souhaité sa disparition. «Chaque matin, j’espérais qu’il ne se réveillerait pas. J’essayais de me
convaincre que ce n’était qu’un
cauchemar. A mon lever, Noam
n’existerait plus. L’idée de l’étouffer avec un oreiller m’a parfois
même effleurée...»
Nous voilà bien loin de l’image
de la jeune maman aimante, comblée et épanouie. Aujourd’hui
pourtant, alors que son fils est âgé
de 4 ans, cette Genevoise de
45 ans parle avec amour de son
«petit bout». La période sombre
qu’elle a traversée porte un nom:
dépression post-partum. Un trouble méconnu qui affecterait entre
10 et 18% des nouvelles mamans
dans le monde. En Suisse, plus de
7000 femmes seraient touchées.
Les causes? Comme pour toute
dépression, elles sont difficiles à
déterminer.
Les personnes photographiées sont des modèles et n’ont aucun lien avec l’article.
Du rêve...
au cauchemar
Dans le cas de Chantal, rien ne
laissait présager une telle épreuve.
Si ce n’est une fausse couche qui,
à l’âge de 40 ans, marque d’une
pierre noire ses velléités de maternité. Très rapidement, elle retombe enceinte. Une grossesse désirée, qui se déroule sans heurts
jusqu’à l’accouchement.
«J’ai vécu un moment extraordinaire, se souvient la maman.
Mon mari et moi étions très émus.
Cela n’a pas duré.» Deux jours
après la naissance de Noam,
Chantal se sent dépassée par les
événements.
«Je me suis rendu compte que
je n’avais pas fait le deuil du premier bébé. Lors de ma deuxième
grossesse, à aucun moment je n’ai
essayé d’imaginer à quoi ressemblerait mon enfant. Je ne croyais
pas qu’il viendrait au monde. En
fait, je me protégeais. A la naissance, j’ai dû rattraper les neuf
mois de grossesse.»
Elle peine alors à donner une
place à son enfant. Elle s’en occupe, pourtant. Mécaniquement.
«Je le nourrissais, le changeais, le
couchais. Rien de plus. En fait,
j’accomplissais ces gestes nécessaires comme si c’était mon bou-
MATERNITÉ | 11
lot, sans sentiments sous-jacents.
Une vraie corvée.»
Difficulté supplémentaire: le
nouveau-né est un bébé pleureur.
Epuisée, elle s’imagine que le petit est à l’origine du problème.
Avant de réaliser rapidement que
son comportement à elle n’est pas
naturel. Impossible de se tourner
vers sa propre mère pour obtenir
de sages conseils: cette dernière
est décédée. «J’avais conservé
l’image d’une maman parfaite.
J’avais l’impression que, pour elle,
tout était si simple. J’ai commencé
à culpabiliser. A me dire que j’étais
une mauvaise mère, que je m’étais
trompée en pensant désirer un
enfant.» Elle s’enfonce alors davantage dans la déprime. Un véritable cercle vicieux.
Partir sans laisser d’adresse a
longtemps été pour elle une éventualité. «J’étais sûre que Noam se
porterait mieux sans moi.» L’idée
d’en finir avec la vie lui a également traversé l’esprit. «Une petite
étoile m’en a empêchée. Un infime espoir...»
Objectif: lever
les tabous
Des femmes déroutées comme
Chantal, Martine Déruaz Bugnon
et Heike Emery en ont vu passer.
Membres de l’Arcade sages-femmes de Genève, elles ont créé en
2004 un groupe de parole dédié
aux «vécus difficiles autour de la
naissance». «Trop souvent encore,
on part du principe que seule la
santé physique de la maman et du
bébé importe, déplore Martine
Déruaz Bugnon. On n’entend pas
suffisamment l’éventuelle souffrance psychique de la mère.»
Entre 2004 et 2008, une cinquantaine de mamans ont ainsi
pu trouver une oreille compatissante pour évoquer leurs difficultés: du simple baby-blues à la vraie
dépression, du couple qui doit se
réinventer aux problèmes liés à la
sexualité, des grossesses délicates
aux accouchements traumatisants, de nombreux cas de figure
ont été abordés. Lorsque cela
s’avérait nécessaire, les mamans
en détresse ont été redirigées vers
des personnes spécialisées. AuLIRE LA SUITE
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récit
MATERNITÉ
Migros Magazine 4, 19 janvier 2009
Le traumatisme
de la césarienne
En bonne position parmi les
facteurs pouvant déclencher une
dépression post-partum: les
naissances par césarienne. «La
cicatrice est tout autant morale
que physique, assure la sagefemme Heike Emery, qui s’est
longuement penchée sur la
question. Les mamans concernées ressentent parfois de la
frustration, ainsi qu’une certaine
perte de contrôle.»
«On m’a ôté la possibilité
d’enfanter.» La naissance par
césarienne de sa deuxième fille a
plongé Anna, 40 ans aujourd’hui,
dans une profonde tristesse qui
ne s’est étiolée qu’au bout de
quelques mois.
«Pour la première, même si
l’accouchement avait été difficile,
j’avais vraiment senti que c’était
moi qui la mettais au monde. Cette
étape est fondamentale: elle
permet de créer un lien avec son
enfant.»
Etape sautée pour la naissance de
la cadette. «Comme j’avais perdu
beaucoup de sang, on l’a très vite
emmenée pour s’occuper de moi.
Je ne l’ai vue que quelques minutes.
Quand je me suis réveillée, deux
heures plus tard, elle n’était pas là:
j’ai ressenti une terrible angoisse.»
De retour à la maison, ce
sentiment persiste. «J’étais repliée
sur moi-même, je passais très peu
de temps avec mon bébé, j’avais
du mal à le regarder. Mon mari ne
comprenait pas ma tristesse.»
Deux mois après la naissance, elle
se rend au groupe de parole de
l’Arcade sages-femmes de
Genève et fait la connaissance
d’une mère dont l’enfant n’a vécu
que quelques minutes. «Ça m’a
aidée à relativiser. Ma fille était
vivante, c’était l’essentiel. J’ai
commencé à la regarder davantage. Bien souvent, la voie de la
guérison, c’est l’enfant lui-même.»
Aujourd’hui, deux ans plus tard,
tout est rentré dans l’ordre: «Le
lien avec la cadette s’est créé un
peu plus lentement qu’avec l’aînée,
c’est tout.»
Plus d’informations sur le traumatisme
lié à la césarienne sur le site de
Heike Emery: www.cesarienne.net
voir un psy deux mois après la naissance de Noam. Il m’a prescrit des
antidépresseurs et m’a aidée à trouver mon rôle de mère. J’ai réalisé
qu’il n’était pas nécessaire que je
sois une maman parfaite. Et puis,
Noam a grandi. Je peux avoir une
relation intellectuelle avec lui. Je
crois que je ne suis pas faite pour les
nourrissons.»
Le soutien
du mari
Heike Emery (à g.) et Martine Déruaz Bugnon, deux professionnelles à l’écoute des mamans déroutées.
jourd’hui, le groupe de parole n’existe plus. Mais les
deux sages-femmes planchent, en
collaboration avec d’autres spécialistes, sur un projet d’entretiens
prénatals axés sur le risque de dépression (lire encadré).
«Lever
un tabou»
«Il est indispensable de faire
connaître ce genre de problèmes,
confirme Chantal. A l’époque,
j’avais vraiment l’impression d’être
seule. Maintenant, j’ai compris que
d’autres femmes étaient touchées.
Il faut lever le tabou: une nouvelle
maman n’est pas forcément épanouie.»
Forte de son expérience, elle a
fondé début 2008 avec une autre
mère – rencontrée dans le cadre
du groupe de parole de l’Arcade
sages-femmes à Genève – une association: Swiss Maman-Blues. Un
site internet diffuse des informations sur la dépression post-partum
et permet aux femmes d’échanger
leurs vécus sur un forum. «Ainsi,
je peux aider d’autres mamans, se
réjouit la Genevoise. J’ai l’impres-
sion de ne pas avoir traversé cette
épreuve pour rien.» Par son témoignage, elle veut aussi montrer aux
autres femmes qu’il est possible de
s’en sortir. «Ce site, c’est peut-être
une manière de me racheter.»
Même si le sentiment de culpabilité semble ne pas l’avoir complètement quittée, Chantal est aujourd’hui rétablie. «J’ai commencé à
Elle a également eu la chance de
jouir du soutien inconditionnel
de son époux. D’autres auraient
peut-être pris la fuite avec l’enfant... «Il m’a beaucoup épaulée,
raconte Chantal. Il n’a jamais eu
peur pour Noam, même s’il m’entendait parfois crier. Je crois qu’il
s’est davantage inquiété pour
moi.»
Et Noam, dans tout ça? «J’espère qu’il n’a pas trop souffert de
la situation. Je lui ai très tôt raconté ce que j’avais traversé. Parfois, lorsque je lui en parle, il me
fait comprendre qu’il conserve
aussi de bons souvenirs de cette
époque. Ses éducatrices m’ont
toujours assuré qu’il était très
équilibré...»
En raison de son âge, Chantal
ne songe pas à avoir un deuxième
enfant. «Heureusement que la
question ne se pose pas, reconnaît-elle. Je crois que j’aurais peur
de mettre au monde un autre
bébé.»
Tania Araman
Photos Magali Girardin
Le site de Chantal: www.swissmamanblues.ch
on
Sur le chemin de la prévention
sion
Afin de lever le tabou sur le thème de la dépression
ent
périnatale (liée à la grossesse, à l’accouchement
emet à la période post-partum), l’Arcade sages-femmes et l’Hôpital cantonal de Genève, soutenus
par l’Alliance genevoise contre la dépression,
ont uni leurs forces pour mettre sur pied un
système d’entretiens de prévention pour les
femmes enceintes. Le projet en est aujourd’hui à sa
phase pilote. S’il convainc le canton, de tels entretiens seront ensuite
conduits de manière systématique.
Le but de l’opération: familiariser les futures mamans à ce problème et
évaluer, grâce à un questionnaire, les risques de dépression. Les
femmes pourraient être ensuite aiguillées vers des services spécialisés.
Plus d’infos: www.arcade-sages-femmes.ch ou 022 329 05 55.

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