23. Valentin le magicien que le camelot a étalé le
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23. Valentin le magicien que le camelot a étalé le
23. Valentin le magicien me rappelle que le camelot a étalé le calicot et la tarlatane à même le pavé Le premier livre de lecture d’Ernest s’appelle « Valentin le magicien ». Je me rappelle mon premier livre de lecture, celui de mon CP à moi. Chaque lettre était introduite par un dessin, supposé en faciliter la mémorisation. Je ne me souviens que du J, associé au Jet d’eau qui, reflété dans le bassin, dessinait un J. La Moute était outrée par les textes dénués de sens, prétextes à faire des phrases conçues non pour dire quelque chose, mais uniquement pour exercer le lecteur ; propres, selon elle, à dégoûter de la lecture l’enfant le plus doué. Moins de contenu que Pif Poche, en substance, mais plus de texte. Elle citait en exemple ce spécimen de phrase : Le camelot a étalé le calicot et la tarlatane à même le pavé. Si je me la rappelle mot pour mot, c’est sans doute à l’indignation persistante de ma grandmère que je le dois. La plupart des mots ne se référaient à rien que connussent des enfants — à part les pavés dont les arceaux dans les rues me fascinaient, et dont j’étudiais le dessin à chaque occasion pour comprendre comment l’arc des uns devenait le rayon des autres, et inversement. Je me rappelle aussi la cour de l’école et la lourde porte séparant les garçons des filles ; le jour où elles traversaient la cour pour aller à la visite médicale, nous les regardions en criant « Oh les quil-les ! Oh les quil-les ! » ; la peinture verte d’une rambarde qui s’écaillait, et que j’épluchais d’un ongle économe pendant les récréations — bonheur quand une longue pellicule s’en détachait, douleur parfois si un fragment s’enfonçait trop profondément sous l’ongle ; les bons points, le tableau d’honneur. J’imagine que l’institutrice était consciencieuse, qu’elle s’appliquait à nous transmettre des savoirs et des valeurs — et peut-être n’a-t-elle pas complètement échoué ; son empreinte, même indiscernable, doit exister en moi. Mais je ne sais plus ni son nom, ni son visage. Elle aura laissé dans mon souvenir moins de traces qu’une phrase arbitraire, une première expérience de la concupiscence, un minuscule vandalisme.