LA GUERRE DE L`ÉTOILE

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LA GUERRE DE L`ÉTOILE
J.-C. David, S. Müller Celka, Patrimoines culturels en Méditerranée orientale : recherche scientifique et enjeux identitaires.
2e atelier : Identités nationales et recherche archéologique (séminaire complémentaire du 24 novembre 2011),
Lyon, 2011. http://www.mom.fr/2eme-atelier.html.
L A G U E R R E D E L’ É TO I L E
LES CONTROVERSES S U R L’ A N T I Q U I T É M A C É D O N I E N N E
ENTRE LA GRÈCE ET L A R É P U B L I Q U E D E M A C É D O I N E
Tchavdar Marinov *
Résumé
Le présent article est consacré à la mobilisation identitaire du patrimoine macédonien ancien en
Grèce contemporaine et dans la République (ex-yougoslave) de Macédoine. Il essaie de tracer l’évolution,
depuis le xixe s., des références à la Macédoine ancienne – et à ses figures emblématiques Philippe II et
Alexandre III (Alexandre le Grand) – dans les discours nationaux grec et (slavo-)macédonien. La mise
en récit de l’histoire de l’État ancien et la construction de son patrimoine à travers l’historiographie
et l’archéologie en Grèce et en Macédoine (pendant et après l’époque yougoslave) sont examinées
ici, en tenant compte de la multiplicité des acteurs impliqués. Une attention particulière est portée à
l’instrumentalisation des références à l’Antiquité dans l’espace public en République de Macédoine
aujourd’hui. Les « batailles » entre Skopje et Athènes autour de l’appartenance « ethnique » de Philippe II
et d’Alexandre le Grand sont interprétées dans cet article comme les symptômes du refoulement de
problèmes identitaires spécifiques, hérités de l’époque moderne.
Le contexte international : la Grèce face à l’indépendance
de la République de Macédoine
En septembre 1991, la république la plus méridionale de la Yougoslavie socialiste a proclamé son
indépendance. Sa capitale Skopje, ville multiethnique avec un riche patrimoine culturel ottoman, est devenue
centre administratif d’un État souverain. Mais la désignation constitutionnelle de celui-ci – République de
Macédoine (Republika Makedonija) – a tout de suite provoqué la colère de son voisin du sud : la Grèce.
Celle-ci a refusé de reconnaître un pays qui porte la désignation « Macédoine », sous quelque forme que ce
soit. Selon la classe politique d’Athènes, « Skopje » aurait « usurpé » une appellation grecque qui remonte
à l’Antiquité hellénique et ainsi fait partie intégrante du patrimoine grec.
Un autre problème, plus immédiat que l’histoire ancienne, est l’existence d’une région en Grèce
du Nord dont la capitale est Thessalonique et qui s’appelle aussi Macédoine (Makedonía) (fig. 1). C’est
pourquoi la Grèce a accusé le nouvel État d’irrédentisme envers cette autre Macédoine qui, selon le point
de vue grec, est la seule Macédoine légitime. Et effectivement, un certain irrédentisme transparaît dans
*
Membre scientifique de l’École Française d’Athènes.
t. marinov
certaines dispositions de la république ex-yougoslave. Par exemple, un article de sa Constitution concernait
initialement les minorités ethniques macédoniennes habitant dans les « pays voisins ». Les autorités
d’Athènes avaient raison de supposer que ce texte impliquait des revendications concernant une partie de
la population de la Grèce du Nord.
Le nom du nouvel État reste jusqu’à aujourd’hui le grand point contentieux entre les deux pays.
Entre-temps, la Grèce a proposé des appellations alternatives pour son voisin du Nord. Mais malgré sa
revendication de droits exclusifs sur le nom « Macédoine », une variante de compromis s’est imposée peu
à peu sur le plan international : c’est l’appellation « Ancienne république yougoslave de Macédoine », en
anglais Former Yugoslav Republic of Macedonia. L’acronyme FYROM est ainsi devenu le nom « correct »
exigé par la Grèce, mais rejeté par l’État concerné. La reconnaissance inattendue, en 1994, de la Macédoine
sous son nom constitutionnel par des pays européens importants comme la France, la Grande-Bretagne,
l’Allemagne, l’Italie (et plus tard parles États-Unis) a provoqué la frustration de la Grèce qui a répondu par
un blocage total de la frontière avec son nouveau voisin. En mars 1994, à Thessalonique, environ un million
de personnes sont sorties dans les rues pour scander que « La Macédoine est une et elle est grecque » .
Fig. 1 - Les frontières des différentes Macédoines : la Macédoine ancienne, la « Macédoine géographique »
moderne, la région grecque de Macédoine et la République (ex-yougoslave) de Macédoine
(source : http://en.wikipedia.org/wiki/File:Macedonia_overview.svg, dernier accès : 19/06/2012).
. Sur les rapports tendus entre Athènes et Skopje pendant la première moitié des années 1990, voir Shea 1997.
la guerre de l’étoile
Mais en septembre 1995 à New York, les représentants d’Athènes et de Skopje ont signé un accord
temporaire de normalisation des rapports bilatéraux : la Macédoine a accepté certaines des exigences
grecques. Elle a abandonné, par exemple, les dispositions problématiques de sa Constitution. De son côté,
la Grèce s’est engagée à ne pas mettre d’obstacles à l’intégration du nouvel État au sein de l’OTAN et de
l’Union européenne. Pourtant, les négociations autour du nom du pays sont entrées ensuite dans une impasse.
Athènes a accusé à plusieurs reprises Skopje de ne pas vouloir faire les pas nécessaires à la résolution du
problème. Skopje, quant à elle, a refusé quelque modification que ce soit de son nom constitutionnel. On en
est arrivé ainsi à la situation d’avril 2008, où Athènes a bloqué l’invitation de Skopje à l’OTAN pendant la
rencontre au sommet de Bucarest. Skopje a répondu par une plainte contre la Grèce à la Cour internationale
de justice à La Haye : l’État macédonien estimait que son voisin avait violé l’accord de New York. En
décembre 2011, la Cour a accepté cette interprétation en confirmant que la Grèce, entre-temps déchirée
par la crise de sa dette publique, n’a pas respecté la formule de 1995. Cette décision n’a pas contribué à la
solution des problèmes entre les deux États, problèmes qui se sont largement aggravés depuis 2008.
L’enjeu du patrimoine macédonien antique : « l’Étoile de Vergina »
comme symbole identitaire
Parmi les objets principaux des polémiques, figure le patrimoine macédonien ancien, qui joue dans
ce contexte le rôle de capital culturel d’importance primaire. Le nom même Macédoine est étroitement lié
à l’Antiquité hellénique – comme le souligne régulièrement la Grèce. Mais il s’agit aussi d’un symbole
concret. En 1992, la République de Macédoine, nouvellement proclamée, a adopté un drapeau national
sur lequel figurait « l’Étoile (ou
le Soleil) de Vergina », remplaçant l’étoile communiste à
cinq branches qui figurait sur le
drapeau macédonien de l’époque
yougoslave. La nouvelle étoile
est à seize rayons et elle apparaît
sur une larnax en or trouvé en
1977 par l’archéologue grec
Manolis Andronikos (1919‑1992)
(fig. 2). C’est à Vergina, dans la
région grecque de Macédoine,
que ce dernier a découvert la
tombe supposée du célèbre
roi macédonien Philippe II :
la larnax faisait partie de son
inventaire . À cette époque, on
n’imaginait certainement pas
les controverses politiques que
la grande découverte du profesFig. 2 - La larnax.de la tombe de Philippe II
seur de l’Université Aristote de
(source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Image_larnax_of_philip.jpg,
Thessalonique allait provoquer.
dernier accès : 19/06/2012).
Le drapeau avec « l’Étoile
de Vergina » utilisé par Skopje a immédiatement déclenché l’indignation d’Athènes. Des hommes politiques
et des scientifiques ont alerté le public grec contre cette « appropriation du patrimoine hellénique ancien ».
.Pour une analyse ethnographique de la découverte faite par Andronikos, voir « The Archaeologist as Shaman : the
Sensory National Archaeology of Manolis Andronikos », chap. 4, in Hamilakis 2007, p. t. marinov
Evangelos Kofos, historien et conseiller au Ministère des Affaires étrangères à Athènes, a illustré la
situation de la manière suivante : « C’est comme si un voleur avait pénétré dans ma maison et avait pris mes
bijoux précieux – mon histoire, ma culture, mon identité » (Danforth 1995, p. 35). Outre le « cambriolage »
de patrimoine culturel, le choix de ce symbole par la république ex‑yougoslave pouvait signifier qu’elle
avait des prétentions territoriales, dans la mesure où Vergina (dont le site est identifié avec la capitale
macédonienne ancienne Aigai) et les autres centres du royaume macédonien (Pella, Dion) se trouvent sur
le territoire de la Grèce actuelle.
À la suite de l’accord temporaire de 1995, la République de Macédoine a de nouveau changé de
drapeau : « l’Étoile de Vergina » a été remplacée par un soleil stylisé à huit rayons (fig. 3). Cependant,
le drapeau précédent n’a jamais été complètement abandonné. Il a été fréquemment brandi par certains
milieux nationalistes macédoniens, à l’intérieur et en dehors de la république ex-yougoslave. Depuis le
veto grec contre l’intégration de celle-ci à l’OTAN, « l’Étoile de Vergina » a réapparu un peu partout dans
le paysage public de la Macédoine ex-yougoslave, bien que d’une façon informelle : on la retrouve sur des
drapeaux, des souvenirs touristiques et même sur des façades de bâtiments (fig. 4).
Fig. 3 - Les drapeaux de la République de Macédoine (de gauche à droite): drapeau de la période yougoslave ; le drapeau avec « l’Étoile de Vergina » ; drapeau actuel (source : http://en.wikipedia.org/wiki/Flag_of_the_Republic_of_Macedonia, dernier accès : 19/06/2012).
Malgré cette obstination, du point de vue grec, la nation slavophone de la république ex-yougoslave
ne peut pas avoir, par définition, de liens historiques avec les anciens Macédoniens, sans quoi leur langue
et leur culture auraient été helléniques. L’irrédentisme de Skopje serait du même coup absurde car, non
seulement sur le plan historique mais aujourd’hui aussi, selon les Grecs la Macédoine est grecque : ils
affirment que sa population est grecque et que son territoire appartient en tout cas à l’État hellénique. Le
territoire de la république ex-yougoslave correspondrait plutôt à la Péonie ancienne, tout en comprenant des
parties de la Dardanie et de l’Illyrie .
Les acteurs nationalistes de la République de Macédoine disposent, bien entendu, de leur propre
argumentaire. D’après celui-ci, les anciens Macédoniens n’étaient pas grecs sur le plan « ethnique » car
leur langue et leur culture étaient différentes de celles des Grecs. Pour le démontrer, ils citent souvent
les auteurs anciens qui, comme Démosthène, stigmatisaient les Macédoniens comme Barbares ou bien
faisaient référence, comme Quinte-Curce dans son Histoire d’Alexandre le Grand, à l’existence d’une
langue macédonienne distincte. Des publications historiques et archéologiques contemporaines qui
remettent en cause l’identité hellénique des anciens Macédoniens – surtout celles d’Eugene Borza (par
exemple, Borza 1990) – sont particulièrement utilisées. Selon le discours national(iste) macédonien, les
Macédoniens contemporains seraient les descendants des anciens Macédoniens, bien que, du point de
vue linguistique, ils soient slavophones. D’après l’interprétation historique qu’on peut considérer comme
dominante aujourd’hui encore, les anciens Macédoniens auraient été assimilés par les Slaves qui se sont
installés dans les Balkans au vie-viie s. ap. J.-C. (cf. Ristovski 1999, p. 13).
. Pour une présentation plus élaborée du point de vue grec, avec une discussion conceptuelle des catégories identitaires
dans l’Antiquité : Hatzopoulos 2010. Sur la question compliquée de la nature de la langue macédonienne ancienne :
idem, « The Speech of the Ancient Macedonians, in the Light of Recent Epigraphic Discoveries », accessible sur
http://macedonia-evidence.org/macedonian-tongue.html (dernier accès : 19/06/2012).
la guerre de l’étoile
Les académiciens de Skopje ne manquent jamais de relever également la présence historique d’une
population slavophone sur le territoire qui correspond à présent à la Grèce du Nord. En réalité, jusqu’à
la fin de l’époque ottomane
(c’est-à-dire avant les Guerres
balkaniques de 1912-1913), les
Slaves constituaient la population
majoritaire d’une bonne partie des
districts actuels de la Macédoine
grecque. L’intellectuel nationaliste
macédonien le plus important du
début du xxe s., Krste Misirkov
(1874-1926), est natif d’un village
qui s’appelait Postol à l’époque
et Pella aujourd’hui. Les ruines
de la capitale macédonienne
antique, généreusement montrées
aux touristes étrangers par des
tour-opérateurs grecs, se trouvent
aux marges d’un village qui était
complètement slavophone il y a
un siècle.
Fig. 4 - Ohrid, République de Macédoine (juillet 2011, photos de l’auteur).
t. marinov
La Macédoine ancienne dans le discours national grec,
XIX e - XX e siècles
En fait, dans les deux cas – le grec aussi bien que le macédonien slave – la référence identitaire à la
Macédoine ancienne n’est pas si ancienne que cela. Pendant ses premiers pas, le nationalisme grec moderne
n’avait pas d’attitude claire sur les mérites historiques des anciens Macédoniens et de leurs rois Philippe
II et Alexandre le Grand. Entre les années 1790 et 1840, quatorze illustres intellectuels grecs, y compris
Adamantios Koraïs (1748-1833), le plus
célèbre érudit des Lumières grecques,
étaient d’avis que les Macédoniens
étaient les conquérants de la Grèce
ancienne et qu’ils étaient des envahisseurs
barbares (Roudometof 2001, p. 102). Le
rejet n’était cependant pas total : Rigas
Vélestinlis (ou Féréos, 1757-1798),
célèbre précurseur de la Révolution
grecque et auteur du premier projet de
« République Hellénique » balkanoanatolienne, était un admirateur avoué
d’Alexandre : il a même fait imprimer
une gravure avec son portrait. Enfin,
c’est l’autorité du père de l’historiographie grecque moderne, Constantin
Paparrigopoulos (1815-1891) – auteur
de l’Histoire de la Nation hellène en
plusieurs volumes – qui, dès les années
1850, a inclus Alexandre et les anciens
Macédoniens dans le récit patriotique
(Hamilakis 2007, p. 117). Désormais,
ces derniers étaient censés compléter la
longue continuité historique du peuple
grec. Ils sont devenus symboles de l’unité
nationale grecque : on accepte l’idée que
Fig. 5 - Vergina (avril 2011) :
drapeau avec « l’Étoile de
Vergina » sur arrière-plan bleu,
représentant l’appartenance
hellénique de la Macédoine ;
boutique de souvenirs
(photos de l’auteur).
la guerre de l’étoile
Philippe II n’aurait pas conquis mais « unifié » les différentes poleis helléniques. Ainsi, les Macédoniens
ont été transformés en épitomé de la gloire grecque : au lieu d’être des « Barbares », ce sont eux qui auraient
diffusé la civilisation hellénique dans le monde barbare.
On peut facilement imaginer les enjeux politiques qui sous-tendent cette ré-interprétation. Circonscrit
d’abord autour d’Athènes, la ville exaltée par le culte occidental de l’Antiquité classique, vers le milieu
du xixe s., le petit royaume grec développe un vaste projet irrédentiste connu comme la « Grande Idée »
(Megali Idea). Dans ce projet, la Macédoine détient la position-clef : sans elle, l’unification des territoires
peuplés par les Grecs serait impossible. Dès les années 1880, la même région est pourtant convoitée par
l’irrédentisme bulgare : Sofia considère que la nombreuse population slavophone macédonienne est, sur le
plan ethno-linguistique, bulgare.
Dans ce contexte, l’image de la Macédoine ancienne, avec Philippe II et Alexandre le Grand, est
instrumentalisée par la Grèce pour démontrer le caractère hellénique de la région. En 1896, Margaritis
Dimitsas (1829-1903), natif de la ville d’Ohrid (aujourd’hui en République de Macédoine), publie sa grande
description de monuments épigraphiques et artistiques intitulée La Macédoine en pierres parlantes, censée
prouver la continuité historique et la domination de la culture grecque en Macédoine depuis l’Antiquité
(Dimitsas 1896). La lutte propagandiste autour de l’histoire de la Macédoine prend, entre 1904 et 1908,
le caractère d’une campagne armée, connue comme la « Lutte macédonienne » (Makedonikos Agonas) :
bien qu’elle se déroule sur un territoire toujours ottoman, la lutte est dirigée principalement contre les
nationalistes (macédo-)bulgares de la région (cf. Dakin 1966).
La seconde « Lutte macédonienne » de la Grèce, heureusement sans recours aux armes, commence
huit décennies plus tard. Cette fois-ci, l’adversaire est le nationalisme macédonien. C’est le moment
d’une activation politique de la grande diaspora macédonienne slave résidant en Amérique du Nord et en
Australie et des premières revendications de droits de minorité ethnique pour les habitants de la région
grecque de Macédoine (Danforth 1995, p. 79-141). L’existence de tensions est évidente en 1983 lorsque
des académiciens grecs publient le volume impressionnant La Macédoine : 4000 ans d’histoire et de
culture hellénique (Sakellariou 1983). Ce n’est sans doute pas un hasard si, en 1988, le Ministère de Grèce
du Nord a été renommé Ministère de Macédoine et de Thrace (Ypourgeio Makedonias-Thrakis). Dans
ce contexte, les découvertes de Manolis Andronikos à Vergina ont été particulièrement investies de
symbolisme identitaire (fig. 5).
Le développement de l’archéologie grecque en Macédoine
L’archéologie joue certes un rôle central dans la construction de l’image d’une Macédoine hellénique
depuis la nuit des temps. Mais à quelques exceptions près, avant les années 1970, la Macédoine grecque n’a
bénéficié d’aucun projet archéologique comparable à ceux de la moitié méridionale de la Grèce (Kotsakis
1998). Les missions archéologiques étrangères, actives en Grèce depuis le xixe s., regardaient la Macédoine,
d’après Kostas Kotsakis, avec une relative indifférence : le modèle philologique de l’archéologie ainsi que
son alliance étroite avec l’histoire de l’art ont mis les grands sites de Grèce centrale et méridionale au centre
des préoccupations des spécialistes.
Tout cela ne veut pas dire que les archéologues, qu’ils soient grecs ou occidentaux, n’ont pas entrepris
de missions en Macédoine. Le membre de l’École Française d’Athènes Léon Heuzey (1831-1922) a
effectué en 1861 les premières fouilles dans le site de Vergina. Heuzey a travaillé également à Philippes et
à Dion . Très tôt après l’incorporation de la plus grande partie de la Macédoine géographique dans l’État
grec, celui‑ci crée le Service archéologique de Macédoine. Une série de fouilles ont alors été initiées,
. Les résultats des recherches entreprises par Heuzey et par l’architecte Honoré Daumet sont présentés dans leur Mission
archéologique de Macédoine (Daumet, Heuzey 1876). En fait, la Vergina moderne n’a été fondée qu’en 1926 à partir
des villages de Koutles et de Barbes, propriété foncière du bey de Palatitsa.
t. marinov
par exemple, celles de Vergina dirigées par Konstantinos Romaios (1874-1966) ou bien celles de Dion,
commencées en 1928 par Georgios Sotiriadis (1852-1942), recteur de l’Université de Thessalonique.
Mais en fait, comme le montre Kotsakis, pendant une longue période la Macédoine est restée associée,
à travers les recherches archéologiques, au Moyen Âge byzantin plutôt qu’à l’Antiquité hellénique. Le
grand patrimoine tardo-antique et médiéval de Thessalonique, capitale géographique de la région mais
aussi ancienne résidence de l’empereur Galère et symprotevousa (« co-capitale ») de l’Empire byzantin, a
attiré dès le début l’intérêt des spécialistes. Des archéologues et des historiens de l’art, comme les membres
de l’École Française d’Athènes Gabriel Millet (1867-1952) et Paul Perdrizet (1870-1938), ont travaillé
en Macédoine. À part Thessalonique, ils ont étudié le patrimoine byzantin de villes comme Meleniko
(aujourd’hui Melnik, dans la petite partie de la région annexée par la Bulgarie en 1913) ou bien Serres
et Kastoria, en Macédoine grecque actuelle. Ainsi, tandis qu’Athènes incarnait l’Antiquité classique, la
Macédoine et Thessalonique étaient liées à la grandeur byzantine, elle aussi réhabilitée et incluse dans le
récit historique grec par le grand historien national Paparrigopoulos.
Pourtant, on peut observer aujourd’hui l’imaginaire d’une Macédoine largement plus antique que
médiévale. D’après les statistiques de Kostas Kotsakis, la plupart des publications grecques contemporaines,
aussi bien spécialisées que destinées à un public plus large (comme le volume La Macédoine : 4000 ans
d’histoire et de culture hellénique), consacrent à la période antique plus d’attention qu’à l’époque byzantine.
Depuis la découverte spectaculaire de Manolis Andronikos en 1977, la Macédoine grecque a été pratiquement
colonisée par les antiquisants. Vergina a mis l’archéologie au centre de l’intérêt public en Grèce, tout en
déplaçant le centre des recherches archéologiques, financées par l’État, vers le Nord. Cette évolution est
certainement dictée aussi par le besoin de consolider la cause nationale contre les « falsifications » de
l’histoire hellénique provenant du Nord slave.
La référence à la Macédoine ancienne dans le nationalisme
slavo-macédonien, xix e - xx e sIèCLES
En effet, l’argumentaire historique macédonien slave est, à bien des égards, vulnérable, et pas seulement
dans le domaine de l’histoire ancienne. Au xixe et au début du xxe s., la population slavophone de la
Macédoine ottomane n’avait pas encore, comme aujourd’hui, l’identité nationale macédonienne. L’identité
macédonienne existait certainement mais plutôt sous forme d’un « patriotisme local » qui présentait des
affinités électives avec trois nationalismes balkaniques présents dans la région : grec, bulgare et serbe. À la
veille du xxe s., les Slaves macédoniens se disaient souvent « Bulgares », fait constamment souligné par les
historiens de Sofia. Une autre partie de cette population, surtout dans les zones méridionales – les mêmes
qui constituent aujourd’hui la région grecque de Macédoine – était hellénophile : plusieurs partisans locaux
du nationalisme grec ne parlaient en réalité que slave. Dans certains petits districts du nord-ouest de ce qui
est aujourd’hui la République de Macédoine, les Slaves locaux se considéraient aussi comme « Serbes » .
Toutefois, l’identité macédonienne s’émancipe progressivement. L’ironie veut qu’elle constitue, dans
un premier temps, un produit de la scolarisation grecque des Slaves : en fait, les écoles grecques étaient
les plus nombreux et les mieux organisées de Macédoine ottomane. C’est grâce à cette éducation et cette
propagande nationale que les Slaves macédoniens ont fait connaissance avec les exploits des anciens rois
Philippe et Alexandre. Vers la fin de l’époque ottomane, des propagandistes grecs ont même publié des
proclamations et des brochures en langue slave macédonienne, mais avec des caractères grecs, qui relataient
l’histoire antique de la Macédoine (Voss 2003). Le but était de convaincre les Slaves locaux qu’ils étaient
descendants des anciens Macédoniens – c’est-à-dire des Grecs, et non des Bulgares. Et, effectivement, dès
.Expression d’un fin connaisseur britannique de la région (Brailsford 1906, p. 105, 121-122).
. Les luttes bulgaro-gréco-serbes en Macédoine ottomane sont bien présentées et analysées chez Aarbakke 2003.
la guerre de l’étoile
les années 1860-1870, les Slaves commencent à s’approprier Philippe II et Alexandre le Grand comme
emblèmes de fierté locale.
Dans un premier temps, cette appropriation ne génère pas forcément une identité nationale distincte.
Par exemple, l’enseignant Dimitar Makedonski (1848-1898), né à Embore (aujourd’hui Emborio Kozanis
en Grèce), affirmait que les « Bulgares macédoniens » étaient les descendants des anciens Macédoniens.
Le folkloriste Dimitrija Miladinov (1870-1962) – lui aussi d’identité nationale bulgare – a essayé de
convaincre un instituteur grec que non seulement Philippe, Alexandre et les anciens Macédoniens étaient
Slaves mais aussi Homère, Démosthène et Strabon (cf. Ristovski 1989, p. 219). Cependant, dans les années
1870, on assiste déjà aux premières manifestations d’un nationalisme slave macédonien individualisé.
Par exemple, le lexicographe et historien autodidacte Gjorgji Pulevski (1817-1893) pensait que Philippe
et Alexandre étaient Slaves et du même coup rejetait l’identité bulgare des Macédoniens.
Enfin, apparaissent aussi des nationalistes macédoniens qui ne montrent pas d’intérêt particulier
pour les anciens Macédoniens : curieusement, c’est le cas de Krste Misirkov, mentionné plus haut, malgré
la proximité de son village natal avec l’ancienne Pella. Il faut en tout cas préciser que, jusqu’à la fin
de l’époque ottomane, le nationalisme macédonien reste une idéologie marginale. On ne peut pas parler
non plus d’une recherche professionnelle ou d’une tradition scientifique macédonienne distinctes dans le
domaine de l’histoire ancienne. Les premiers archéologues de Macédoine, par exemple l’épigraphiste grec
Dimitsas et l’archéologue bulgare Georgi Balasčev (1869-1936), tous les deux natifs de la ville d’Ohrid,
n’avaient pas d’identité nationale macédonienne.
En revanche, après la Première Guerre mondiale, le nationalisme macédonien se développe très
visiblement. Dans le contexte spécifique de la Macédoine de l’Entre-deux-guerres, divisée entre trois
États balkaniques (la Grèce, la Yougoslavie et la Bulgarie), les jeunes générations slaves développent une
identité macédonienne exempte des sympathies pro-bulgares de l’époque précédente. Le processus est
particulièrement important dans la zone qui appartenait à la Yougoslavie royale. Cependant, on constate
que la référence identitaire à la Macédoine antique disparaît presque complètement pendant cette période.
La nouvelle génération de nationalistes macédoniens puise ses références historiques dans l’époque slave
médiévale et dans les luttes révolutionnaires de l’époque ottomane. C’est cette génération qui s’oppose
à l’occupation bulgare de la Macédoine pendant la Seconde Guerre mondiale et, en 1944, établit la République
macédonienne au sein de la Yougoslavie fédérative socialiste. L’histoire et l’archéologie macédoniennes ne
font leurs premiers pas que dans le contexte politique et culturel de la nouvelle Macédoine yougoslave.
L’archéologie et la patrimonialisation des sites archéologiques
en République yougoslave de Macédoine
L’archéologie macédonienne est donc nettement plus jeune que celle de Grèce : on peut même douter
qu’elles soient comparables en tant que traditions scientifiques. Les spécialistes macédoniens, surtout
les premiers, ont fait leurs études le plus souvent à Belgrade et ils travaillent en coopération étroite
avec leurs collègues yougoslaves ; en fait, certains des archéologues les plus importants (Boško Babić,
Ivan Mikulčić etc.) sont venus d’autres républiques yougoslaves. En Macédoine, les études et les
recherches archéologiques sont concentrées au sein de l’Institut d’histoire de l’art et d’archéologie de la
Faculté de philosophie de l’Université de Skopje. Cet institut, d’abord nommé Groupe d’histoire de l’art
et d’archéologie, n’est fondé qu’en 1973-1974. L’Association archéologique macédonienne est créée en
1972. Des activités archéologiques sont également menées par les différents Instituts de protection des
monuments culturels, dont l’institut central se trouve bien entendu à Skopje.
Les antiquisants locaux ont consacré de nombreux travaux aux sites les plus significatifs du territoire
de la petite république, comme Stobi dans la vallée du Vardar, Scoupi près de Skopje, Heraclea Lyncestis à
côté de la ville de Bitola ou Lychnidos à Ohrid et Trebeništa qui se trouve à proximité . Ces sites avaient
.Pour une bibliographie de l’archéologie macédonienne entre 1945 et 2000 – voir Miladinovska 2001.
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t. marinov
été étudiés avant la création de l’État macédonien
yougoslave déjà, par des archéologues serbes et bulgares,
mais ils ne seront patrimonialisés que pendant l’époque
communiste.
Notons tout de même qu’on ne peut pas parler
d’une « industrie identitaire » autour de ces sites. Même
ceux qui sont liés à l’histoire de la Macédoine antique
de manière certaine – comme Heraclea Lyncestis,
ville fondée par Philippe II – n’ont jamais bénéficié
d’un intérêt plus intense que celui de publications
spécialisées et de visites sporadiques de touristes, très
souvent étrangers. En Macédoine yougoslave et postyougoslave, la principale destination touristique, qui a
presque balayé les autres, reste la ville d’Ohrid, avec
son riche patrimoine de l’époque byzantine et ottomane.
Jusqu’à présent, peu d’objets issus de sites antiques sont
entrés dans l’imaginaire collectif et ont été popularisés
comme symboles de la culture du pays. Il y en a toutefois
des exemples, comme la statuette de la « Ménade de
Tetovo » (vie s. av. J.-C.) ou le masque en or de Trebeništa
(vie‑ve s. av. J-C.), qui figurent depuis 1996 sur les
billets de banque de la nouvelle monnaie macédonienne,
le denar (fig. 6).
Du point de vue historiographique, au
cours de la période communiste yougoslave, les
historiens macédoniens n’ont manifesté qu’un
intérêt minime pour la Macédoine de Philippe et
d’Alexandre. On trouve très peu de publications,
Fig. 6 - Billets de banque macédoniens avec la « ménade de tetovo » et le masque de trebeništa
(source : http://www.nbrm.mk/default.asp?itemid=5ecd92b2ae5a054bbf800b994cca68e5,
dernier accès : 19/06/2012).
avant la fin des années 1980, qui portent une attention particulière aux Macédoniens antiques. Ces
derniers sont certainement présents dans le récit général, mais pour les historiens académiques,
les Macédoniens actuels sont un peuple slave et leurs premières manifestations politiques propres
la guerre de l’étoile
11
ne remontent qu’à l’époque médiévale. L’appellation ethnique « Macédoniens » provient, d’après
l’historiographie de l’époque communiste, de la désignation traditionnelle de la région. En général, les
chercheurs macédoniens de cette époque étaient beaucoup plus occupés à contrecarrer les attaques de
l’historiographie bulgare, qui leur rappelait sans cesse que bien des figures de l’histoire de la Macédoine
– du Moyen Âge aux luttes révolutionnaires du début du xxe s. – étaient désignées ou se considéraient
comme des « Bulgares ». Dans le contexte des batailles historiographiques entre Skopje et Sofia, la question
de la Macédoine antique restait négligée .
Le développement du « macédonisme antique » à la veille et après
l’indépendance de la République de Macédoine
Vers la fin des années 1980, cette situation change. Commencent les premières « modifications » du
récit national. Elles sont lancées, en réalité, par la grande diaspora macédonienne résidant en Australie, au
Canada et aux États-Unis. Philippe II et Alexandre le Grand semblent être les personnages qui avivent le
plus la fierté nationale des émigrés. Dans la presse macédonienne publiée à Toronto, Détroit, Melbourne
ou Sydney, des amateurs para-historiens entrent avec aplomb dans le passé antique. Ils s’attaquent en
particulier aux « stéréotypes » yougoslaves qui réduisent les « descendants » d’Alexandre le Grand à des
Slaves « quelconques ». Le drapeau orné de « l’Étoile de Vergina » a été lancé notamment par la diaspora
d’Australie (Brown 2000, Danforth 1995, p. 142-184) (fig. 7).
Fig. 7 - Manifestation de la diaspora macédonienne à Sydney (mai 1993)
(source : http://www.antickimakedonci.com.mk/sliki.html, dernier accès : 19/06/2012).
. Sur l’historiographie macédonienne de l’époque communiste yougoslave, voir Troebst 1983.
12
t. marinov
L’explication de ce phénomène est certainement complexe. D’un côté, Philippe et Alexandre
fournissent un bon « label » dans la société d’accueil : ce sont des personnages historiques célèbres dans
le monde entier, à la différence des héros historiques slaves. D’un autre côté, les émigrés macédoniens
slavophones sont souvent natifs de la Macédoine grecque et ils ont initialement été éduqués et socialisés
dans des milieux grecs. Grâce aux informations qu’ils avaient sur le contexte grec, ils connaissaient par
exemple les découvertes de Vergina et leur utilisation en Grèce comme symboles de la Macédoine antique.
On peut donc parler, dans ce cas aussi, d’une sorte de ré-appropriation du récit hellénique dans le but de
construire une identité à part.
La référence identitaire à la Macédoine antique trouve un terrain propice au moment de la décomposition
de la fédération yougoslave gouvernée par Belgrade. À la suite de la proclamation de l’indépendance
de la République de Macédoine, la mise en cause de l’ancien establishment politique – et académique –
va de pair avec celle de l’ancien récit historique. à Skopje, les Macédoniens antiques envahissent la
presse, les éditions populaires, mais aussi le discours de certains politiques. La Macédoine antique apparaît
comme un symbole capable de mobiliser le soutien populaire nécessaire à un État dépourvu de sa légitimité
préalable, comme celle qu’avait la grande Yougoslavie de Josip Broz Tito, où six peuples slaves profitaient
d’une prospérité économique relative tout en tissant de nombreux contacts et une culture populaire
commune. La référence à la « grandeur » de Philippe et d’Alexandre permet aussi de construire une identité
exempte de références aux « frères » slaves dont certains nourrissent des aspirations pour le territoire de la
république ex-yougoslave. C’est pourquoi le slogan du journal nationaliste Makedonsko sonce (« Le Soleil
macédonien ») stipule que « seuls ceux qui se considèrent comme les descendants directs de Philippe et
d’Alexandre, dans une continuité historique ininterrompue, resteront immunisés contre les propagandes
assimilationnistes des États voisins et ne trahiront jamais la race macédonienne » .
Être « Slave » signifie de plus en plus être « Yougoslave » et certainement « pro-communiste ».
Ainsi, dès le début des années 1990, l’imaginaire antique s’entrelace avec un positionnement politique
anticommuniste et anti-yougoslave caractérisant en particulier le parti politique VMRO-DPMNE. En
revanche, Kiro Gligorov (1917-2012), premier Président de la nouvelle république et membre de l’ancienne
nomenklatura yougoslave, accrédite la thèse selon laquelle les Macédoniens actuels sont d’origine
purement slave, sans rapports avec les Macédoniens antiques. Aujourd’hui encore, beaucoup de gens liés à
l’ancien régime politique gardent une attitude méfiante et même ironique par rapport à l’idée des « origines
antiques » de leur nation. Pourtant, dans le contexte de la désintégration de la Yougoslavie et en l’absence
d’un récit concurrentiel puissant, la vogue des anciens Macédoniens s’affirme comme partie intégrante de
la vulgate historiographique
Résultat : l’Histoire du peuple macédonien, publiée en 1969 par l’Institut d’histoire nationale à
Skopje, consacre 20 pages seulement à la Macédoine antique, mais 200 pages dans la nouvelle édition de
l’année 2000 (cf. Panov 2000). Dans cette dernière, on considère que l’époque antique a été sérieusement
« sous-estimée » par rapport au Moyen Âge slave. Dès les années 1990, plusieurs ouvrages académiques
sur l’Antiquité voient le jour, par exemple, les Études sur les Anciens Macédoniens de l’historienne Nade
Proeva (Proeva 1997) ou les travaux de l’archéologue d’Ohrid Pasko Kuzman. Celui-ci s’affirme, au fil du
temps, comme l’archéologue numéro 1 de la république.
En réalité, comme en bien d’autres pays de l’Europe de l’Est, la poussée nationaliste de l’époque
post-communiste entraîne en Macédoine l’effacement des frontières entre la « haute » historiographie
et l’activité d’entrepreneurs patriotiques en tout genre. Ce processus s’est singulièrement aggravé
depuis 2006 avec l’arrivée au pouvoir du parti VMRO-DPMNE mené par le Premier ministre actuel
Nikola Gruevski.
.Cité par Drezov 1999, p. 47.
la guerre de l’étoile
13
« L’antiquisation » de l’identité macédonienne aujourd’hui
À la fin de l’année 2006, le gouvernement de Nikola Gruevski donne à l’Aéroport de Skopje le nom
d’Alexandre le Grand et assigne plus tard la même appellation à l’autoroute principale de la république. En
mars 2007, on installe devant le bâtiment même du Conseil des ministres à Skopje des statues antiques, qui
donnent à l’édifice à peu près l’apparence d’un musée archéologique. En février 2009, le stade de Skopje
est nommé « Arène Philippe II ». Plusieurs rues changent de nom et le choix des nouvelles désignations est
révélateur : en juin 2012, on annonce par exemple que la Rue Lénine dans la capitale portera désormais le
nom d’Amyntas III, père de Philippe II de Macédoine. Entre-temps, la place centrale de la ville de Bitola
reçoit un monument à Philippe II, tandis que d’autres villes comme Prilep et Štip hébergent des monuments
à Alexandre le Grand. En juin 2011, une statue colossale d’Alexandre est dressée sur la place centrale de
la capitale, Skopje, et elle est suivie en mai 2012 par une autre qui représente, bien entendu, Philippe II
(fig. 8).
Fig. 8 - Alexandre à Skopje et Philippe à Bitola (juillet 2011, photos de l’auteur).
Enfin, ces statues font partie d’un projet ambitieux de reconstruction du centre de Skopje qui est en
passe de modifier à jamais le paysage urbain. Intitulé « Skopje 2014 », le projet est dans une large mesure
déjà réalisé. Il comprend la construction d’une série de monuments en marbre et en bronze représentant des
figures de l’histoire nationale macédonienne ainsi que des fontaines, un arc de triomphe et des bâtiments
administratifs d’un style néo-classicisant largement éclectique. À cette occasion, l’architecte Vangel
Božinovski a expliqué que le baroque incarnait un style national macédonien : la place Saint-Pierre à
Rome aurait eu pour modèle le forum ovale de la ville jordanienne de Jerash, construit par des architectes
macédoniens 10.
10. « Barokot ne e tugj za Skopje [Le baroque n’est pas étranger à Skopje] », Dnevnik, 7 juin 2010, http://www.dnevnik.
com.mk/?ItemID=2801524FCC95874B990A8C431D0AFDC6 (dernier accès : 19/06/2012).
14
t. marinov
Dans ce cas, il s’agit d’une politique identitaire officielle, lancée et financée par le gouvernement. Elle
a été désignée comme antikvizacija (« antiquisation ») par ses adversaires à l’intérieur de la République de
Macédoine : pour ceux-ci, l’administration de Gruevski est en train d’effectuer un « engineering » identitaire
anachronique (cf. Vangeli 2011). L’antiquisation a pris un tour burlesque en juillet 2008, lorsque le Premier
ministre et d’autres représentants de l’État et de l’Église orthodoxe macédonienne ont solennellement
accueilli le prince Ghazanfar Ali Khan, chef de la tribu pakistanaise de Hunza, aussi appelée Bourouchos,
qui prétend tirer son origine des soldats d’Alexandre le Grand. En outre, le linguiste macédonien de Sydney
Ilija Čašule a découvert un lien entre sa langue – le bourouchaski – et le macédonien : il a établi des parallèles
entre le bourouchaski et le phrygien, cette dernière langue étant considérée comme une émanation de la
langue des Bryges, première population de la Macédoine d’après Hérodote (Čašule 2004). Le linguiste
considère également que le macédonien contemporain a préservé plusieurs mots bryges. Ainsi, en 2008,
les hommes politiques de la VMRO-DPMNE étaient heureux d’accueillir des « cousins » dont ils auraient
été séparés pendant deux mille trois cents ans. Il faut cependant rappeler que des Grecs enthousiastes
avaient déjà découvert une autre communauté pakistanaise – les Kalash – qui se considèrent aussi comme
les héritiers d’Alexandre (Neofotistos 2011) 11.
La différence entre science et pseudo-science n’est nullement évidente dans la quête d’une continuité
historique depuis les temps anciens. En 2006, deux professeurs ingénieurs, dont l’un est membre de
l’Académie macédonienne des sciences et des arts, ont déclaré qu’ils avaient déchiffré l’inscription centrale
sur la Pierre de Rosette et qu’elle était rédigée en macédonien. Ils prétendaient y avoir reconnu des mots et
des expressions de la langue macédonienne actuelle. Il est bien sûr question du texte qui est en réalité rédigé
en langue égyptienne et en écriture démotique. Même si des linguistes comme l’académicien Petar Ilievski
ont tout de suite attaqué la « découverte » et ont démontré son caractère charlatanesque (Ilievski 2008),
une bonne partie du grand public macédonien a gardé l’impression que la Pierre de Rosette confirmait son
origine antique.
L’archéologie macédonienne a été particulièrement instrumentalisée pour la démonstration de cette
origine. Dans ce domaine, la figure la plus populaire reste celle de Pasko Kuzman, ami personnel du
Premier ministre et concepteur d’une bonne partie des innovations de l’antiquisation. En novembre 2011,
Kuzman a même déclaré qu’il avait localisé la tombe d’Alexandre le Grand, qu’elle se trouvait bien sur le
territoire de la République de Macédoine, mais qu’il ne voulait pas y lancer des fouilles, notamment pour
éviter une guerre avec la Grèce 12. Cependant, l’époque de Philippe et d’Alexandre n’est pas le seul objet
de spéculations : les acteurs de l’antiquisation recherchent le point de départ de la continuité historique de
leur nation encore plus loin dans le passé.
Près de sa ville natale, Pasko Kuzman a fait reconstruire, sur le modèle des cités lacustres de l’arc
alpin, tout un village néolithique qui a été solennellement inauguré par le Premier ministre macédonien
à la fin de 2008 (fig. 9). À part attirer les touristes, le village préhistorique est censé attester les racines
profondes de la civilisation macédonienne : Kuzman l’a identifié comme une localité bryge 13. En 2007
déjà, le musée de la ville de Bitola abritait une exposition sur l’époque néolithique « macédonienne » et ses
concepteurs voulaient démontrer, en particulier, que les désignations « Macédoine » et « Macédoniens »
avaient été utilisées dès l’époque néolithique 14.
11.En 2003, la télévision publique grecque ERT a consacré aux Kalash un documentaire accessible sur http://www.ertarchives.gr/V3/public/main/page-assetview.aspx?tid=0000068695&tsz=0&autostart=0 (dernier accès : 19/06/2012).
12. « Pronajden grobot na Aleksandar Makedonski? [Le tombeau d’Alexandre le Macédonien est-il découvert ?] », Kurir,
10 novembre 2011, http://www.kurir.mk/makedonija/vesti/49133-Pronajden-grobot-na-Aleksandar-Makedonski
(dernier accès : 19/06/2012).
13. « Ohrigjani patuvaat niz vremeto [Les citadins d’Ohrid voyagent dans le temps] », Ohridnews.com, 8 décembre 2008,
http://ohridnews.com/index.php?mod=1&id=9066 (dernier accès : 19/06/2012).
14. Voir la réaction du philosophe Žarko Trajanoski : « Veruvale ili ne: Makedonski neolit [Que vous le croyiez ou non :
Néolithique macédonien] », Zombifikacija, 12 septembre 2007, http://jasnesumjas.blogspot.gr/2007/09/blog-post_
11.html (dernier accès : 19/06/2012). L’époque néolithique risque pourtant d’être trop tardive pour servir d’origine
à l’identité macédonienne. En effet, le charlatanisme a pris l’aspect d’un racisme choquant avec la vidéo intitulée
« Prière macédonienne », diffusée à la fin de 2008 par la première chaîne de la télévision publique macédonienne, dans
la guerre de l’étoile
15
Fig. 9 - La cité lacustre dans le Lac d’Ohrid (juillet 2011, photo de l’auteur).
Pourquoi cette obsession de la Macédoine antique ? Les traumas
du passé récent
Le blocage par la Grèce de l’intégration « atlantique » et européenne de la république ex-yougoslave
ne fait visiblement que renforcer les mythes identitaires de celle-ci. En même temps, la simple évocation de
la République de Macédoine provoque en Grèce des réactions souvent inexplicables pour les observateurs
internationaux. Dans les deux pays, on assiste à une focalisation populiste sur le passé ancien dont les
formes sont tantôt anecdotiques, tantôt monstrueuses. Reste néanmoins la question « pourquoi ? ». Quelle
est la raison de cette obsession pour la Macédoine de Philippe et d’Alexandre ?
Dans le cas grec, il s’agit sans doute de l’aboutissement de certaines frustrations historiques actualisées
par les crises politiques du moment. Ces frustrations sont dues au fait que la Macédoine moderne n’est pas
aussi grecque que celle des anciens rois. Il y a un siècle, une bonne partie de la population de la région qui
constitue aujourd’hui la Macédoine grecque parlait le slave et d’autres langues, et non le grec. Pendant
la décennie précédant les Guerres balkaniques, cette région s’est transformée en champ de bataille entre
nationalistes grecs et bulgares (ou macédo-bulgares). À l’époque du Makedonikos Agonas, la perspective
laquelle c’est le Dieu chrétien qui apparaît pour déclarer que toute la « race blanche » provient de Macédoine et que les
« Blancs » du monde entier sont, dans des proportions diverses, d’origine macédonienne. Le matériel reste accessible
sur http://www.youtube.com/watch?v=Xm0BG3Q-4zM (dernier accès : 19/06/2012). Malheureusement, les critiques
et les protestations exprimées à cette occasion par des intellectuels comme Trajanoski n’ont pas pu stopper la politique
d’antiquisation.
16
t. marinov
que la Macédoine devienne bulgare était un véritable cauchemar pour les politiques et les intellectuels grecs
tels que Ion Dragoumis (1878-1920), idéologue de la « Lutte macédonienne » 15.
L’héritage de cette lutte ne prendrait cependant pas autant d’importance sans le scénario d’une
séparation de la région macédonienne, annexée par la Grèce en 1913 puis en 1919, scénario qui est apparu
dès les années 1920. Fidèle à la ligne politique du Komintern, le Parti Communiste de Grèce (KKE) a
soutenu ce scénario en 1924. Le même parti est ensuite devenu l’un des protagonistes principaux de la
macabre Guerre civile grecque (1946-1949), pendant laquelle le slogan de la Macédoine indépendante a été
réitéré par les dirigeants communistes (cf. Kofos 1964). Sans surprise, la population slave macédonienne a
participé massivement à la guerre du côté du KKE. Ce fait, puis l’exode d’une partie considérable de cette
population, son activisme diasporique et les obstacles opposés par l’État grec à son rapatriement constituent
certains des éléments qui remettent en cause l’image d’une Macédoine parfaitement hellénique depuis la
nuit des temps 16. Ces expériences du passé ont profondément marqué la culture politique grecque. Elles
expliquent, au moins en partie, la fixation de la classe politique athénienne sur l’appellation « Macédoine »
et sur la question du patrimoine hellénique antique.
Pourquoi, enfin, cette obsession de la Macédoine antique en République de Macédoine ? La réponse
n’est pas évidente : pendant l’époque communiste yougoslave Philippe et Alexandre ne figuraient pas
parmi les personnages historiques centraux du panthéon national macédonien. Après une première phase
de fascination pour la Macédoine antique au début des années 1990, celle-ci a réintégré sa place marginale
dans l’imaginaire macédonien, avant que l’antiquisation ne soit lancée, d’une façon plutôt surprenante,
par l’administration de Gruevski. La réponse à cette question exige un examen détaillé de l’évolution des
relectures du passé récent en République de Macédoine, depuis son indépendance.
L’État macédonien a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale par le mouvement communiste
yougoslave de résistance, en tant qu’une des six républiques constitutives de la nouvelle Yougoslavie. Très
naturellement, la proclamation de l’indépendance de la république en 1991 a entraîné des dilemmes à la
fois dans la production historiographique et dans les articulations publiques de la mémoire nationale. En
l’occurrence, une révision du passé communiste yougoslave était indispensable à la légitimation du nouvel
État souverain, mais quasiment toutes les institutions et formes symboliques de la nation macédonienne
avaient été construites pendant l’ancien régime. Ce n’est qu’après 1944 que les Macédoniens ont obtenu
leur alphabet, leur langue standard et la possibilité de développer une culture nationale complètement
émancipée des influences bulgares du passé. Le récit historique national a pris sa forme définitive dans
un contexte politique et culturel yougoslave et communiste. Et, dans le cas macédonien, il n’existe pas
de tradition historiographique pré-communiste, revendiquant un caractère macédonien national, dont les
auteurs et les textes « classiques » auraient pu être ressuscités et servir d’inspiration pour la construction
d’une version anti- ou non-communiste du passé.
Au cours des années 1990, il y a pourtant eu beaucoup de tentatives de réexamen de l’histoire
nationale. Mais leurs résultats étaient en général contre-productifs (Brunnbauer 2005). En réalité, pendant
cette première période presque toutes les révisions aboutissaient à des interprétations qui rappelaient de
près les thèses bulgares niant l’existence et l’histoire d’une identité slave macédonienne différente de
l’identité bulgare. De plus, les mêmes révisionnistes étaient en général issus du parti anticommuniste
et anti-yougoslave VMRO‑DPMNE, ce même parti qui abrite aussi, sans doute paradoxalement, les
« antiquisants ». Il suffit de rappeler le cas de Ljubčo Georgievski, ancien chef du parti et Premier ministre
de la Macédoine entre 1998 et 2002, qui a par la suite sollicité la nationalité bulgare et l’a obtenue en 2006.
Tout cela a largement compromis le parti et, en général, la jeune droite macédonienne aux yeux du grand
public. Face à ces développements embarrassants et à une évaluation toujours incertaine du communisme
yougoslave, les nouvelles autorités du VMRO-DPMNE cherchent évidemment d’autres formes de
légitimation historique. Et elles les trouvent loin de l’histoire récente qui reste si problématique – dans un
passé quasiment légendaire.
15. Son ouvrage Le Sang des martyrs et des héros (Dragoumis 1907) est très représentatif à cet égard.
16. Sur le sort de ces émigrés, voir Monova 2001.
la guerre de l’étoile
17
Enfin, dans le cas d’Athènes aussi bien que dans celui de Skopje, la fixation sur l’histoire de la
Macédoine antique est le symptôme du refoulement de problèmes identitaires certainement hérités
de l’époque moderne. Très curieusement, dans les deux cas, l’histoire ancienne est entrelacée avec une
idéologie par excellence moderne – le communisme : dans une certaine mesure, la référence au passé
antique représente une réaction par rapport à l’héritage laissé par les partis communistes. Or, dans les
deux cas, il s’agit d’une quête idéologique de ce que, dans leur volume sur les « méta-histoires grecques »,
l’anthropologue Keith Brown et l’archéologue Yannis Hamalakis ont défini comme usable past (Brown,
Hamilakis 2003) : un passé interprété à travers les exigences du présent et utilisé pour consolider la cause
nationale. Cette « guerre de l’Étoile » montre, dans le même temps, à quel point même le passé le plus
lointain n’est jamais un objet d’étude innocent, ni isolé des expériences traumatiques et des stratégies
politiques du présent.
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