On ne peut pas faire un globule rouge qu`avec du fer
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On ne peut pas faire un globule rouge qu`avec du fer
1 On ne peut pas faire un globule rouge qu’avec du fer Pr Christian BERTHOU, Médecin Conseil FLE, CHU de BREST Une femme de 50 ans se plaint de fatigue inhabituelle depuis trois mois. Elle est contrainte de se reposer dans la journée, ce qui étonne son entourage familial, elle qui a toujours été une femme active, enseignante et s’occupant de ses 4 enfants. Depuis un mois, elle se plaint aussi d’un essoufflement à l’effort. Elle est obligée de s’arrêter un instant au 2eme étage car elle sent son cœur battre vite et elle « manque d’air ». Son mari la trouve pâle. Cette symptomatologie l’amène à consulter son médecin de famille. Il prescrit la réalisation d’une prise de sang, pour une détermination de l’hémogramme (numérationformule sanguine). Les résultats montrent une anémie, le taux d’hémoglobine étant diminué à 9 g/dL (normal > 12 g/dL). Les globules rouges ont augmenté de volume, le volume globulaire moyen (VGM) est à 102 fl (normal < 98 fl). Les autres paramètres de l’hémogramme (numération plaquettaire, taux de globules blancs et formule leucocytaire) sont normaux. Le déficit ne concerne donc que la production des globules rouges : c’est une anémie isolée. Comme en phase pré-ménopausique, la patiente a présenté des règles irrégulières et abondantes, il est retenu que la patiente manque de fer et un traitement par le fer par voie orale est mis en place pendant trois mois. Il n’y a aucune amélioration de la fatigue et le taux d’hémoglobine reste inchangé. Une consultation hématologique est organisée. Le bilan hématologique montre qu’il n’y a aucune carence en fer. L’anémie est liée à un déficit de production des globules rouges par la moelle osseuse. L’examen de la moelle osseuse (myélogramme) montre que les précurseurs médullaires des globules rouges (appelés érythroblastes) sont pourtant présents dans la moelle osseuse mais ils sont très mal conformés (Figure 1-A). Cette anomalie s’appelle une dysérythropoïèse, c’est-à-dire que la transformation des précurseurs en globules rouges matures ne se fait plus normalement. Un examen des chromosomes (caryotype) est réalisé sur la moelle osseuse. Il montre une anomalie d’un des deux chromosomes de la paire chromosomique 5 (Figure 1-B). Le bras long du chromosome 5 malade est, à l’évidence, plus court que celui du chromosome 5 homologue. Il a été victime d’une cassure chromosomique (sur un site fragile du chromosome), cassure chromosomique non réparée générant une perte (acquise pendant la vie) de matériel génétique. 2 Figure 1. Examen de la moelle osseuse dans l’anémie observée A- Examen globules Présence de blocs chromatiniens denses et fusionnels témoins d’une souffrance nucléaire des érythroblastes rouges) montrant (précurseurs des des anomalies nucléaires et cytoplasmiques (dysérythropoïèse) Ponctuations basophiles cytoplasmiques (corps de Jolly) Erythroblaste normal B- Examen des chromosomes : caryotype Délétion du bras long du chromosome 5 3 Cette entité hématologique s’appelle un syndrome 5q- (q signifiant le bras long d’un chromosome). Une analyse complémentaire par une technique de peinture chromosomique spécifique du chromosome 5 montre que, dans un des chromosomes de la paire, il existe bien une perte génétique (perte du « marquage rose » en Figure 2). Figure 2. Etude du chromosome 5 par la méthode de peinture chromosomique Noter la disparition de la couleur « rose » sur un des chromosomes de la paire 5 Chromosome 5 portant la délétion 5q- Chromosome 5 normal Avec l’amabilité du Pr M De Braekeller Laboratoire de Cytogénétique CHU de BREST Le syndrome 5q- est une anomalie génétique acquise concernant seulement les cellules de la moelle osseuse. Cette délétion chromosomique ne concerne pas les gamètes, l’anomalie n’est donc pas héréditaire ni transmissible à la descendance, elle n’est pas non plus constitutionnelle (la patiente n’est pas née avec l’anomalie chromosomique). Ce déficit génétique acquis génère la perte cellulaire de 41 gènes ! Mais c’est particulièrement la perte d’expression d’un gène, appelé RPS14, indispensable à la synthèse cellulaire des protéines, qui est responsable du défaut de production des globules rouges. Une touche du clavier vous manque et la synthèse des globules rouges est dysharmonique, leurs précurseurs avortent et disparaissent dans la moelle osseuse et il y a anémie. L’anémie s’aggravant, la patiente nécessitera des transfusions globulaires. Heureusement, la recherche médicale amènera à la découverte d’un nouveau médicament actif dans 2 cas sur 3 dans le traitement du syndrome 5q- : il s’appelle le lénalidomide (Revlimid*). Le traitement par lénalidomide, à la posologie de 10 mg par jour par voie orale, 4 entrainera chez la patiente le retour à la normale à un taux d’hémoglobine (à 12.1 g/dL) en 6 mois, taux d’hémoglobine qui se maintient normal actuellement. Ouf, plus besoin de transfusions de globules rouges et retour à une vie normale… La tolérance du médicament est bonne. Le lénalidomide n’a pas encore son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication. Pour l’obtenir, il faut déposer un dossier nominatif à l’AFSSAPS qui donne, après avis d’un comité, une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Le lénalidomide agit en provoquant la disparition des cellules porteuses de Un peu de chimie… l’anomalie Structure chimique du thalidomide O O génétique 5q-, par inhibition préférentielle de 2 enzymes dans ces cellules. Ouf, les cellules saines H N le dessus et produisent à nouveau de bons globules O N reprennent rouges. Les n’expriment cellules pas la saines délétion chromosomique 5q- (il reste toujours en nous une part de bonne santé). O Le lénalidomide est un dérivé plus actif d’un médicament ‘frère ainé’, le thalidomide, médicament qui avait été banni de la pharmacopée du fait des Lénalidomide (Revlimid*) O O N fœtopathies qu’il entrainait chez la femme consommait H N le quand thalidomide elle comme sédatif et somnifère. O Remarquez les 2 modifications chimiques du thalidomide aboutissant au lénalidomide doué NH2 enceinte d’une meilleure activité thérapeutique et d’une diminution des effets indésirables du ‘grand frère’. Il suffit parfois de peu de choses ! . La représentation sociale, et parfois médicale, de l’anémie est trop souvent celle d’une relation systématique avec un manque de fer (anémie ferriprive ou par carence en fer). C’est la raison pour laquelle on entend trop souvent la fausse affirmation que la correction de l’anémie passera par une alimentation riche en fer (alimentation d’origine animale) ou un traitement compensateur en fer par voie orale. Aussi aberrante est la relation régulièrement évoquée d’une anémie forcément liée à la survenue d’un saignement digestif (gastro-duodénal ou colique). Ceci conduit à une exploration endoscopique digestive parfois abusive chez le gastro-entérologue. Une telle démarche systématique est inappropriée et échappe à une analyse sémiologique organisée et efficace à la recherche de la cause de l’anémie. 5 . L’anémie est une entité complexe et multifactorielle. Il y a des arguments biologiques qui permettent d’affirmer avec certitude une carence martiale. Dans ce cadre de la carence en fer, l’anémie est associée à de petits globules rouges (diminution du VGM < 82 fl), les réserves en fer de l’organisme sont effondrées (ferritinémie basse < 20 µL/L). Seulement une telle affirmation d’anémie ferriprive nécessitera une exploration gynécologique (20% des femmes européennes présentent une carence en fer) et/ou digestive, à la recherche d’une hémorragie distillante. Une compensation martiale par voie orale sera alors réalisée pendant au moins trois mois et jusqu’à reconstitution complète des réserves en fer de l’organisme. Une anémie peut être liée à un déficit de production des globules rouges par la moelle osseuse (anémie dite centrale et arégénérative). Sa caractérisation passe alors par l’examen de la moelle osseuse (myélogramme) et parfois par un examen cytogénétique (caryotype). Si le myélogramme montre un contraste entre une moelle osseuse riche et un sang pauvre par anémie, on suspectera une maladie de la moelle osseuse responsable d’une disparition précoce des précurseurs avant qu’ils puissent générer une descendance : c’est ce qu’on appelle un avortement intra-médullaire. La maladie s’appelle un syndrome myélodysplasique. Le syndrome myélodysplasique est une maladie du vieillissement de la moelle osseuse, la médiane d’âge de survenue de la maladie étant de 70 ans. L’incidence globale de la maladie est de 35 nouveaux cas/an/100 000 habitants et de 30 nouveaux cas /an/100 000 habitants après 70 ans. L’anémie en est le mode d’expression le plus La moelle épinière est un Tissu nerveux fréquent (85% des cas) et est responsable d’un La moelle osseuse est riche dans les os plats (crâne, côtes, sternum, vertèbres, bassin) syndrome anémique clinique : pâleur cutanéo-muqueuse, Il existe de nombreuses causes d’anémie : asthénie ou fatigue, essoufflement à l’effort de plus en anémies carentielles par déficit en fer, en vitamine plus marqué. Ces symptômes imposent la réalisation B12 ou vitamine B9, destruction prématurée des d’un hémogramme pour confirmer l’anémie sur une globules rouges ou hémolyse, insuffisance rénale ou chute du taux d’hémoglobine (< 12 g/dL chez la femme, < hépatique, anémies d’origine centrale par déficit 13 g/dL chez l’homme). Il existe plusieurs sous-entités qualitatif du syndrome myélodysplasique, le syndrome 5q- en quantitatif (érythroblastopénie) de la production constituant l’une d’entre elles. des globules rouges par la moelle osseuse... (syndrome myélodysplasique) ou Le fer ne résume pas, loin de là, le monde des anémies. La carence en fer en constitue seulement une des causes qui va falloir confirmer par un bilan approprié. Si aucune carence en fer n’est attestée, son apport alimentaire ou médicamenteux ne corrigera rien. Il faut donc arrêter de dire : « Mangez de la viande et votre anémie guérira ».