Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie

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Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie
Fiches réalisées par Arnaud LEONARD
(Lycée français de Varsovie, Pologne)
à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur »
des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)
1
HC – L'Europe entre idées libérales et réaction de 1815 à 1849
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
J. CARPENTIER, F. LEBRUN (dir.), Histoire de l’Europe, Seuil, Paris, 1990.
P. MILZA, S. BERSTEIN, Histoire de l’Europe contemporaine. Le XIXe siècle, Hatier, Paris, 1992.
E. WEBER, Une histoire de l’Europe, t. 2, Fayard, Paris, 1987.
R. GIRAULT, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Hachette, « Carré », Paris, 1996.
J.-M. CARON, M. VERNUS, L’Europe au XIXe siècle. Des nations aux nationalismes, 1815-1914, Armand Colin, coll. « U »,
Paris, 1996.
B. MICHEL, Nations et nationalismes en Europe centrale, XIXe-XXe siècle, Aubier, Paris, 1995.
H. Schulze, État et nation dans l’histoire de l’Europe, Le Seuil, coll. « Faire l’Europe », Paris, 1998.
Documentation Photographique et diapos :
B. Michel, « États et nationalités dans l’Europe du XIXe siècle », La Documentation Photographique, n°6089, 1984.
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
La « première moitié du XIXe siècle » n’a pas une cohérence évidente. Le
découpage chronologique du programme est, à l’évidence, politique. Ni 1800, ni
1850, ne sont des dates très pertinentes pour l’évolution de la croissance des
activités ou de la mutation de la société. Les débordements en amont (enclosures
en Angleterre), voire en aval (essor de la Ruhr dans les années 1850), sont parfois
inévitables pour y voir clair. La chronologie politique nous invite à remonter
jusqu’à la Révolution française pour en apprécier les conséquences à l’échelle
européenne. Le Printemps des peuples, et son échec en 1848-49, peuvent
constituer une limite pertinente, mais la plupart des évolutions commencées dans
cette période se poursuivent dans la seconde moitié du siècle (l’unité italienne et
l’unité allemande par exemple). Quant à la chronologie économique, elle nous
oblige à remonter à la fin du XVIIIe siècle pour analyser les débuts de la
révolution industrielle en Grande-Bretagne.
Cet aspect de la question est au fond très classique. Il a été remis à l’honneur par
l’actualité, puisque la fin de la guerre froide a été marquée en Europe par le retour
des nationalismes. Tous ces peuples, que l’on croyait «noyés» dans le socialisme
ou dans le « camp occidental », ont brutalement fait leur retour sur la scène de
l’Histoire. Les observateurs avaient d’ailleurs spontanément qualifié les
événements de la fin 1989 en Europe centrale d’« automne des peuples », par
référence au «Printemps des peuples » de 1848.
Cette histoire politique et idéologique, longtemps jugée « ringarde », a été
renouvelée récemment, notamment par l’analyse des représentations et des
symboles, et par la réflexion sur la construction des identités.
La finalité civique du cours d’histoire est ici évidente : le professeur peut
réfléchir avec les élèves sur la manière dont une nation se construit (souvent
contre quelque chose), se dote de symboles, « s’invente » des origines, etc.
Entre 1800 et 1850, dans la lancée du XVIIIe siècle, l’Europe connaît une
mutation décisive. Elle entre dans un âge au cours duquel se forgent les bases de
sa domination de la planète jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Cette
mue est à la fois économique, sociale et politique. Notre continent, du moins ses
pays les plus avancés, passe à l’ère industrielle et nationale. Mais si le constat est
indiscutable et rend la période essentielle, ses modalités sont objet de remises en
cause historiographiques : dans le reflux actuel des thèses marxistes, le concept
même de révolution pose problème, qu’elle soit bourgeoise et nationale ou
industrielle et urbaine.
La naissance des nations
Cette question d’histoire politique et culturelle est « classique », mais
extrêmement utile à la compréhension de l’Europe d’aujourd’hui. Elle ne pose
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 2nde : « L'Europe en mutation dans la
première moitié du XIXe siècle
– Les transformations économiques et
sociales
– Les aspirations libérales et nationales
jusqu'aux révolutions de 1848
– Un tableau de l'Europe au milieu du XIXe
siècle
Ce dernier thème d'étude se conçoit à
l'échelle européenne. Il invite à mettre en
évidence les mutations durables qui
s'amorcent durant la première moitié du XIXe
siècle :
– les transformations économiques et sociales
induites par le démarrage de
l'industrialisation (Révolution industrielle)
qui se traduisent par l'affirmation de la
bourgeoisie, l'émergence de classes sociales
nouvelles (monde ouvrier) et le
développement du paupérisme ;
– le développement des aspirations nationales
et libérales accéléré par les transformations
économiques et sociales et les influences de
la Révolution française (nationalisme et
libéralisme). Sont ainsi mises en évidence la
nouveauté du sentiment national et la variété
des situations politiques en Europe, dans un
contexte de conflit entre les idées libérales et
une classe politique qui appartient encore à
l'Ancien Régime (réaction et vagues
révolutionnaires de 1830 et 1848) ;
– des cartes fournissent un tableau des
situations économique et politique de
l'Europe au milieu du XIXe siècle, afin
d'assurer la nécessaire transition avec le
programme de la classe de première. »
BO 4è actuel : « Les mouvements libéraux et
nationaux (3 à 4 heures)
À partir d’une carte, les mouvements libéraux
2
pas de problèmes historiographiques particuliers et elle figurait déjà dans le
programme précédent – à la différence que le romantisme n’est plus traité ici en
tant que tel, mais apparaît seulement comme un élément du contexte. Il faut
souligner les enjeux civiques de la question : faire l’histoire de la nation –
analyser comment elle est née, quelles définitions on a pu en donner, pourquoi
elle s’est développée –, c’est mieux comprendre les événements actuels dans les
Balkans ou les débats contemporains entre « souverainistes » et « fédéralistes
européens ».
En quoi la France a-t-elle été à la fois le modèle et le repoussoir des aspirations
nationales et libérales ?
Il convient de rappeler dans un premier temps les principes révolutionnaires
légués à l’Europe par la « Grande nation ». Abolition de l’Ancien Régime par la
destruction des structures féodales et l’introduction de la notion d’égalité (égalité
civique, c’est-à-dire face à la loi, ou fiscale), défense des libertés individuelles et
surtout affirmation de la souveraineté populaire, c’est-à-dire la possibilité pour un
peuple de choisir librement son destin. Ce sont ces principes qui inspirent les
libéraux d’Europe. Face à ces principes, on opposera la réalité de la domination
française en Europe, le pillage des richesses (Italie), l’utilisation de la répression
aveugle (Espagne), la soumission des États aux buts de guerre de la France
napoléonienne ou le partage de l’Europe au profi t des fi dèles et de la famille de
Napoléon.
Quels sont les principes que veulent imposer à l’Europe les signataires du congrès
de Vienne ?
On insistera sur la volonté des signataires de « restaurer la civilisation », c’est-àdire d’effacer les nouveautés introduites par la France révolutionnaire. Le congrès
de Vienne marque un retour à l’Ancien Régime et à ses valeurs. On notera que la
Sainte Alliance est placée sous la protection de Dieu et se donne pour buts
d’éviter la contagion révolutionnaire et donc la propagation des idéaux de 1789
en Europe. Les moyens préconisés pour atteindre ces buts sont l’alliance
militaire, une lutte sans merci contre les libéraux et la création d’un « cordon
sanitaire » autour de la France.
Comment se manifeste le sentiment national ?
Porté par l’enthousiasme et la détermination des élites intellectuelles, des artistes,
le sentiment national s’affirme le plus souvent de manière tragique. La conquête
de l’indépendance nationale ou de la liberté se fait par les armes : guerres
d’indépendance ou révolutions rythment la première moitié du XIXe siècle. Mais
le destin de ces mouvements est divers. Réussite plutôt heureuse pour la Belgique
ou douloureuse pour la Grèce, l’affi rmation du sentiment national est réprimée
dans le sang en Pologne et échoue face à la réaction à l’occasion du Printemps
des peuples. La manifestation du sentiment national pourra donc être l’occasion
d’une réfl exion autour des concepts de guerre d’indépendance ou de révolution.
On insistera volontiers sur le rôle des artistes romantiques qui, notamment,
prennent fait et cause pour la Grèce face à l’oppression ottomane, ou pour la
Pologne écrasée par l’Empire russe, et cherchent à mobiliser l’opinion publique
européenne en faveur des peuples qu’ils défendent. Leur contestation des valeurs
anciennes est aussi un ferment révolutionnaire car en affirmant leur mal-être face
à la société traditionnelle, ils participent au combat pour la liberté. Enfi n, on
pourra mettre l’accent sur le rôle de la bourgeoisie libérale qui porte le
mouvement national. En effet, la bourgeoisie montre un double intérêt : d’une
part, elle peut espérer participer au pouvoir politique en favorisant une
libéralisation des régimes politiques et en obtenant l’octroi de constitutions,
d’autre part, elle mise sur l’élargissement des marchés nationaux et donc une
possibilité accrue de développement économique et donc d’enrichissement.
et nationaux sont présentés comme les
épisodes de la lutte qui oppose l’Europe
traditionaliste restaurée en 1815 aux
aspirations nouvelles des peuples léguées par
la période révolutionnaire. Pour le montrer,
on prend pour exemples les révolutions de
1848, les unités nationales en Italie et en
Allemagne.
• Cartes : États et nations en Europe en 1914.
•Repères chronologiques : Rome, capitale de
l’Italie (1870) ; proclamation de l’Empire
allemand (1871). »
BO 4e futur : « L’AFFIRMATION DES
NATIONALISMES
Au cours du XIXe siècle, les revendications
nationales font surgir de nouvelles
puissances, bouleversent la carte de l’Europe
et font naître des tensions.
Une étude au choix parmi les suivantes :
- L’unité allemande.
- L’unité italienne.
- La question des Balkans.
L’étude s’appuie sur des oeuvres artistiques
ou sur la biographie d’un personnage
emblématique (Bismarck, Cavour) et
débouche sur la comparaison des cartes de
l’Europe en 1848 et en 1914.
Connaître et utiliser un repère chronologique
en liaison avec l’étude choisie
Situer sur une carte les principales puissances
européennes à la fin du XIXe siècle
Décrire et expliquer les conséquences des
revendications nationales au cours du XIXe
siècle »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Une approche strictement chronologique a paru peu pertinente, car il est
nécessaire d’expliquer en quoi consiste le libéralisme et ce qu’est l’idée nationale.
On commencera donc par mettre en place le nouvel ordre européen de 1815. On
peut partir de la défaite de Napoléon et du retour aux principes de légitimité et
d’autorité qui caractérisent la Sainte Alliance. En 1815, l’Ancien Régime semble
Éloge de la stabilité
Ce texte est extrait d’un mémoire rédigé par
Metternich pour exposer au tsar les principes
d’une saine politique européenne. Le
chancelier autrichien se méfie des idées
3
alors triompher des valeurs libérales et nationales. Puis on verra comment il est
contesté par le libéralisme et l’éveil des nationalités. L’idéologie libérale est la
grande force contestant l’ordre de Vienne. On peut évoquer l’adoption des
valeurs et des principes révolutionnaires par la bourgeoisie, les élites
intellectuelles et artistiques et par une fraction importante des peuples. Le cas
italien est un bon exemple. On montrera comment les aspirations libérales et
nationales sont étroitement mêlées dans des pratiques politiques typiques de l’âge
romantique. La lutte d’indépendance des Grecs est l’événement majeur de la
décennie 1820. On peut ensuite, plus classiquement, analyser la mise en oeuvre
de ces forces en 1830 et en 1848 et retracer de manière succincte les principales
étapes de l’affirmation du sentiment national et libéral en Europe. On évoquera
les affrontements en Grèce, Belgique ou Pologne. Les événements
révolutionnaires de 1830 et 1848 seront étudiés en indiquant les causes, les faits
et leurs conséquences sur le reste de l’Europe.
I. 1815 : Le nouvel ordre européen
Les nouvelles frontières de l’Europe en 1815
Les puissances bénéficiaires du redécoupage de l’Europe en 1815 sont
essentiellement les trois puissances continentales victorieuses de Napoléon
(Autriche, Prusse et Russie). Le Royaume-Uni ne cherche pas des gains
territoriaux sur le continent européen (il conforte sa présence en Méditerranée par
l’annexion de Malte et le protectorat sur les îles Ioniennes). Les frontières de la
France en 1815 sont les mêmes qu’en 1789-1790. Mais, bien sûr, cette apparente
stabilité masque une évolution considérable entre 1789 et 1814, due aux
conquêtes de la Révolution et de l’Empire. Les « États-tampons » destinés à
empêcher une nouvelle expansion de la France sont le royaume des Pays-Bas
agrandi de la Belgique, le Luxembourg (érigé en grand-duché, il fait partie de la
Confédération germanique, mais il est offert en possession personnelle au roi de
Hollande), la Confédération helvétique maintenue et le royaume de PiémontSardaigne agrandi de la Savoie et de Nice.
Beaucoup de nationalités européennes ne disposent pas d’un État en 1815, alors
qu’elles constituent aujourd’hui des entités souveraines. Les « principales »,
c’est-à-dire celles qui ont fait parler d’elles dans les années suivantes sont : les
Grecs, les Belges, les Polonais, les Irlandais. Mais on peut évoquer de nombreux
autres peuples. Les Hongrois et certains peuples slaves (Tchèques, Croates et
Slovènes…) se sentent mal à l’aise dans l’Empire d’Autriche. Outre les Grecs,
d’autres peuples de religion orthodoxe aspirent à s’émanciper de l’Empire
ottoman (Serbes, Roumains). Dans l’Empire russe, certains peuples commencent
à prendre conscience de leur identité, comme les Finlandais ou les Baltes. On
peut signaler enfin l’union forcée de la Norvège au royaume de Suède. Les
Italiens et les Allemands sont dans une situation particulière, puisqu’il s’agit dans
les deux cas d’une nationalité qui ne dispose pas d’un État unifié, mais qui
souffre en quelque sorte d’un trop-plein d’États.
L’Europe de 1815 n’est pas une Europe des peuples, mais une Europe des
princes, parce que les États sont fondés sur le principe de la légitimité dynastique
et non sur celui des nationalités.
Le pacte de la Sainte-Alliance (26 septembre 1815)
Les historiens s’interrogent encore sur la genèse de ce texte célèbre. Son principal
inspirateur est le tsar Alexandre Ier, personnage complexe soumis à toutes sortes
d’influences. Il semble avoir été proche un moment des idées libérales, puis
gagné par une pensée mystique, qui voulait pacifier l’Europe par un retour aux
valeurs chrétiennes. Il s’agit d’un texte très court : après le préambule et l’article
1, on trouve un article 2 définissant en termes très généraux la politique de la
Sainte-Alliance et un article 3 invitant les autres puissances à rejoindre les trois
signataires du Pacte. Les intonations religieuses du texte sont évidentes. Le titre
même du pacte, la Sainte-Alliance, montre qu’il s’agit d’une alliance fondée sur «
les préceptes de cette Religion sainte ». Celle-ci doit devenir le fondement de
toute politique, intérieure ou internationale, si l’on en croit le préambule. On
soulignera bien sûr qu’il s’agit ici du christianisme dans une définition
oecuménique, puisque les trois souverains professent des religions différentes :
l’empereur d’Autriche est catholique, le roi de Prusse protestant et le tsar de
Russie orthodoxe. L’article 1 demande aux chefs d’État d’appliquer à la lettre les
« paroles des Saintes Écritures », c’est-à-dire le message d’amour de Jésus tel
fumeuses d’Alexandre Ier et il lui explique
littéralement ce que signifie l’ordre mis en
place au Congrès de Vienne. Le concert
européen se préoccupe alors de Naples, où
une révolution a éclaté : les alliés sont réunis
en congrès à Troppau (petite ville de Silésie)
en octobre 1820, puis à Laybach (Ljubljana,
en Slovénie) en janvier 1821. Les factieux
dont parle Metternich sont ceux qui veulent
renverser l’ordre établi ou plutôt rétabli en
1815. Metternich désigne par ce terme
générique et péjoratif les partisans des idées
libérales et nationales. Il est persuadé qu’il
existe une sorte d’internationale de la
subversion, à l’échelle européenne, plus ou
moins dirigée par les libéraux français et
représentée dans tous les pays par des
sociétés secrètes, « cette gangrène de la
société ». Metternich songe ici aux loges
maçonniques ou aux carbonari. La mission
des gouvernants est définie par Metternich
par les termes de « conservation », « stabilité
», « fixité », qu’il oppose à « renversement »,
« destruction », « changement ». Pour lui, le
gouvernement est naturellement conservateur
: « que les gouvernements donc gouvernent,
qu’ils
maintiennent les bases fondamentales de
leurs institutions ». On peut noter que ce
conservatisme défini par Metternich se
défend d’être hostile à tout progrès (« la
stabilité n’est pas l’immobilité ») et se
présente comme le gardien de la légalité (il
s’agit de conserver un ordre légal, Metternich
insiste à plusieurs reprises sur ce point). Mais
il s’agit bien d’un conservatisme, clairement
assumé : les
gouvernants doivent rester fermes dans cette
mission, ne pas hésiter à réprimer les
opposants et se montrer « paternels » (on
retrouve la métaphore paternaliste : cf. doc.
2). Metternich a une vision manichéenne de
l’Europe au début des années 1820 : elle est
divisée entre les bons et les méchants, ce qui
apparaît explicitement dans la dernière
phrase. Il n’y a donc aucune place pour un
juste milieu : Metternich veut mettre ici en
garde le tsar contre les risques d’une attitude
trop compréhensive à l’égard des idées
libérales ; le chancelier autrichien est très
hostile notamment à l’évolution politique de
la France (une monarchie qui, d’une certaine
façon, a reconnu les acquis de 1789). D’un
côté donc, la « gangrène » et les « factieux »,
de l’autre, l’ordre légal défendu par les
gouvernements…
« La Restitution ou chacun son compte »
Caricature du Congrès de Vienne. Gravure,
1815. Musée Carnavalet, Paris.
Le titre de cette caricature désigne fort bien le
but du Congrès de Vienne : il s’agit de
restituer, c’est-à-dire de rendre aux différents
souverains de l’Europe ce qui leur a été pris
illégalement, par Napoléon bien sûr. La
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qu’il est retranscrit dans le Nouveau Testament, en se considérant comme des
frères. La Sainte-Alliance est une « fraternité véritable et indissoluble » et
l’Europe devrait donc être une grande famille. La métaphore familiale est filée
d’une manière plus ou moins cohérente, puisque cet « esprit de fraternité » doit
pousser les souverains à se comporter « envers leurs sujets et armées comme
pères de famille ». On retrouve ici une conception plus traditionnelle,
paternaliste, du rapport roi/sujets. Il est plus intéressant sans doute de souligner
que les trois chefs d’État se considèrent « comme compatriotes » et se prêtent
mutuelle assistance. L’interprétation de ce passage est plus délicate. Cette idée
est développée dans l’article 2 du pacte, où les trois souverains affirment se
considérer comme « membres d’une même nation chrétienne », comme «
délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille
(…) confessant ainsi que la nation chrétienne dont eux et leurs peuples font partie
n’a réellement d’autre souverain que (…) Dieu ». Les trois chefs d’État sont «
compatriotes » donc parce qu’ils appartiennent à une nation chrétienne qui
transcendent les frontières des États. On peut voir là le rêve réactionnaire d’un
retour à la chrétienté médiévale, à un ordre de droit divin. Mais on peut y voir
aussi l’idéal d’une Europe unie par des grands principes, dépassant les divisions
confessionnelles et nationales. À l’époque en tout cas, la Sainte-Alliance apparaît
bien comme un système politique dirigé contre les aspirations nationales.
Ce pacte ne pouvait avoir de portée réelle pour deux raisons intimement liées :
– d’abord parce qu’il s’agit d’un pacte abstrait, d’une déclaration de principes
dont l’application n’est pas vérifiable. Le caractère déclamatoire du texte est
particulièrement frappant, avec des formules ronflantes comme : « déclarent
solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de
l’univers leur détermination inébranlable…» ;
– ensuite parce que le tsar de Russie est pratiquement le seul à y croire. Les
dirigeants anglais ont refusé de signer ce document fumeux. Castelreagh souligne
« le caractère embarrassant de ce monument de mysticisme sublime et de nonsens, spécialement pour un souverain britannique » (Lettre à Lord Liverpool, 28
septembre 1815). Quant à Metternich, il s’empresse de signaler que le pacte n’a
nullement la valeur d’un véritable traité. Le vrai, c’est le traité de la QuadrupleAlliance, signé par le Royaume-Uni, et instaurant les règles du concert européen.
Pourquoi peut-on affirmer que la Sainte Alliance combat à la fois le sentiment
national et les aspirations libérales ?
La Sainte Alliance est née en 1815 alors que les souverains victorieux de
Napoléon se partagent les dépouilles de l’Empire. La carte de l’Europe est
redessinée selon les principes dynastiques et le droit de conquête. En ne tenant
pas compte des aspirations nationales et libérales, donc de la volonté des peuples,
le congrès de Vienne entendait effacer les bouleversements introduits en Europe
par la Révolution française. On croyait en revenir à la situation d’avant 1789.
C’était oublier la soif de liberté des peuples et leur volonté de créer des Étatsnations. Conscient du danger révolutionnaire, Metternich dote l’Europe d’Ancien
Régime, d’une arme idéologique et militaire : la Sainte Alliance. Cette alliance
chrétienne se donne pour tâche de maintenir partout en Europe les monarchies
absolues selon les principes dynastiques et de combattre sans relâche les
tentatives révolutionnaires qui doivent être étouffées dans l’oeuf par les armes
comme ce fut le cas en Espagne en 1823. Il s’agissait d’empêcher que ne soit
réitérée l’expérience française.Face aux idées libérales, Metternich est tout aussi
virulent. Il prône une défense de l’Ancien Régime en s’appuyant sur la religion et
ses valeurs qu’il oppose à celles de la Révolution (libertés individuelles, égalités
civique ou fiscale, libertés politiques, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes).
Cependant, les idées libérales avaient déjà gagné des pans entiers de la société
européenne. La bourgeoisie ou la noblesse libérale ont pris fait et cause pour
davantage de liberté et militent pour que se constituent des États-nations. Au droit
dynastique ils opposent la souveraineté populaire, à l’obscurantisme ils opposent
la connaissance, à l’oppression ils opposent la liberté.
II. La contestation libérale
Pour une représentation plus juste du peuple anglais
Le chartisme est le principal mouvement qui dénonce les limites et les
insuffisances de l’idéologie libérale dans l’Europe de la première moitié du XIXe
siècle, alors que le socialisme est encore peu organisé. Il s’appuie très largement
sur les ouvriers, même si ses revendications sont politiques. Les chartistes s’en
restitution, c’est donc le retour à la légalité, à
l’ordre d’avant la Révolution et l’Empire.
Chacun doit y trouver son
compte, ce qui suggère des notions plus
pragmatiques de partage, d’arbitrages, de
marchandages…
C’est cette dimension qui est mise en valeur
par le dessinateur. Il met en scène le partage
de l’Europe en le représentant très
concrètement : les souverains
(reconnaissables à leur uniforme ou costume
d’apparat) se partagent des « morceaux » de
territoire, matérialisés par des cartes (par
exemple on reconnaît très bien la carte de
l’Espagne que Ferdinand VII porte sous le
bras) et par des maquettes de villes (le roi de
Prusse ramasse ainsi Erfurt). Certaines cartes
sont roulées et déjà dans la poche des
bénéficiaires : l’empereur d’Autriche a ainsi
en poche Venise et le Piémont (ce qui est
assez curieux, puisque le royaume de
Piémont-Sardaigne est resté indépendant
en 1815). Les trois personnages centraux de
ce partage continental, qui semblent arbitrer,
sont logiquement le tsar de Russie,
l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse
(on peut voir d’ailleurs au milieu d’eux la
carte de la Pologne, territoire effectivement
partagé entre ces trois États). L’Angleterre,
représentée par Castlereagh (secrétaire
aux Affaires étrangères), ne participe pas
directement à ces marchandages territoriaux.
La situation particulière de la France apparaît
dans la caricature, qui représente une sorte de
passassion de pouvoir entre Napoléon et
Louis XVIII. L’empereur déchu
est assis, accablé, sur un trône : Castlereagh,
avec un sourire sarcastique, semble l’inviter à
se lever, pour céder sa place. Le tsar de
Russie s’apprête à donner la carte de
la France à Louis XVIII, qui arrive en portant
dans sa main la couronne. Les épaulettes qui
gisent à terre devant le trône sont-elles celles
de Napoléon, général vaincu ? En tout cas,
les alliés chassent l’usurpateur et rétablissent
la dynastie légitime des Bourbons. Dans les
coulisses du Congrès, on voit Talleyrand
(chef de la délégation française et grand
négociateur) et Murat, qui semble épier les
négociations pour savoir quel sort on va lui
réserver.
Le beau-frère de Napoléon a joué en effet un
rôle trouble : proclamé roi de Naples en 1808,
Murat a trahi Napoléon en 1814 en signant un
traité avec l’Angleterre et l’Autriche et il a
ainsi conservé son royaume en 1814. Mais
Murat savait que les Alliés préféraient
restaurer les Bourbons sur le trône de Naples
et il a tenté de se rallier
à Napoléon lors des Cent Jours (il est fusillé
en Calabre en octobre 1815).
La révolution polonaise de 1830-1831
En Pologne, une insurrection éclate contre la
domination russe en novembre 1830. Les
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prennent aux défauts du système électoral du Royaume-Uni. Ils dénoncent
d’abord le suffrage censitaire, comme un système de représentation « restreint et
injuste ». Le Parlement légifère pour tous, mais il n’est élu que par 900 000
personnes sur une population de 26 millions d’habitants. Malgré la réforme de
1832, le « pays légal » est donc très loin du « pays réel ». C’est pourquoi les
chartistes demandent le « droit à la représentation de tous les hommes adultes »,
c’est-à-dire le suffrage universel masculin (définitivement établi en 1918). Ils
demandent aussi « la suppression de l’obligation d’être propriétaire pour être élu
» et la création d’une indemnité parlementaire, qui permette aux pauvres de faire
de la politique. Jusqu’en 1858 en effet, la property qualification réserve le droit
d’être élu à la chambre des Communes aux propriétaires (d’un bien ayant un
revenu d’au moins 300 £ dans les bourgs et 600 £ dans les comtés). Les chartistes
critiquent ensuite le découpage des circonscriptions. On sait que le système
britannique, très complexe, permet à des « bourgs pourris » dont la population
décline d’avoir deux députés au même titre que des villes industrielles à la
population en pleine croissance. C’est pourquoi les chartistes demandent «
l’égalité des arrondissements électoraux », c’est-à-dire un découpage des
circonscriptions proportionnel à leur population. Les chartistes demandent enfin
le vote secret (établi en 1872), car la corruption électorale est rendue possible par
le vote public. Ce programme, au-delà de ses aspects techniques, constitue une
critique du libéralisme, comme idéologie inégalitaire, et il propose une forme de
démocratie plus avancée. Selon les chartistes, les libéraux n’ont pas institué un
vrai régime représentatif. Le Parlement ne représente pas le peuple dans son
ensemble, mais les seuls notables des campagnes et des villes, les « intérêts
fonciers et capitalistes ». Le libéralisme est une idéologie de la propriété : il
considère que seuls les propriétaires sont aptes à représenter la nation.
Le texte laisse aussi entendre que la minorité qui est élue au Parlement agit en
fonction de ses intérêts égoïstes et néglige les problèmes de la majorité, par
exemple les problèmes des ouvriers qui ont constitué le mouvement chartiste («
sans égards pour les malheurs, les injustices… »). Dans d’autres passages de la
Charte, la pauvreté est évoquée explicitement. Ce régime n’est pas vraiment
représentatif, il n’est donc pas vraiment parlementaire. Les chartistes affirment
que le Parlement « agit sans être responsable devant (le peuple) » et ils
demandent « des Parlements annuels ». Pour eux, on pourra parler d’une véritable
responsabilité politique quand le Parlement sera élu au suffrage universel et
renouvelé tous les ans.
Pourquoi l’insurrection grecque remet-elle en cause l’ordre hérité du congrès de
Vienne ?
Le congrès de Vienne avait conduit en 1815 au partage de l’Europe selon des
principes dynastiques. C’est-à-dire que l’on attribuait tel ou tel territoire à un
souverain sans tenir compte des peuples. Ainsi, le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes était nié. Il fallait au contraire museler les aspirations libérales et
nationales pour maintenir l’ordre hérité de l’Ancien Régime. Tous les grands
empires avaient intérêt à étouffer les prétentions nationales car tous tenaient sous
leur joug des minorités plus ou moins opprimées. Enfi n, en créant les conditions
d’une paix durable les souverains espéraient maintenir un équilibre entre les
différentes puissances européennes. La crise grecque allait remettre en cause cet
ordre hérité du congrès de Vienne. En affirmant son droit à l’existence, la nation
grecque remet en cause le principe dynastique car elle déclare le droit du peuple
grec à choisir librement son destin et donc à ne plus reconnaître l’autorité du
sultan. C’est ce qui explique, en 1822, la condamnation par la Sainte Alliance de
l’insurrection grecque et l’indifférence des souverains européens face aux
malheurs du peuple hellène vaincu en 1824 à la bataille de Missolonghi. Ce sont
les artistes et les élites intellectuelles et artistiques qui vont faire naître en Europe
un courant d’opinion publique favorable à une intervention aux côtés des Grecs.
Ils en appellent à la défense de la civilisation chrétienne contre l’ennemi
musulman. Mais là encore, l’intervention militaire conduirait à l’affaiblissement
de l’Empire ottoman et romprait le fragile équilibre européen. D’où les réticences
des Britanniques qui voient d’un mauvais oeil les Russes se rapprocher des
détroits qui séparent l’Europe de l’Asie mineure. Finalement l’opinion publique
est la plus forte, les grandes puissances européennes (Angleterre, France, Empire
russe) interviennent militairement et détruisent la flotte turque lors de la bataille
de Navarin (20 octobre 1827). Les Ottomans qui ont perdu définitivement la
maîtrise des mers sont contraints de signer le traité d’Andrinople (1829) et de
insurgés proclament leur indépendance en
espérant l’aide de la France et de la GrandeBretagne où les opinions publiques se
manifestent en leur faveur. Mais ces pays
refusent d’intervenir et la Russie mène une
répression terrible en septembre 1831.
La Pologne est soumise à une politique de
russification brutale.
La Pologne : une nation sans État depuis
1815
Cette carte permet de comprendre une
situation géographique complexe. Les
pointillés délimitent l’actuelle Pologne. Les
hachures permettent de visualiser, au sein
de l’actuelle Pologne, les territoires qui
dépendent en 1830 des trois puissances
dominatrices.
La domination russe vue par un Polonais
Ce témoignage contemporain de la révolution
(écrit en décembre 1830) émane d’un auteur
polonais qui dénonce l’oppression russe
comme l’une des causes de la révolution.
L’auteur montre que le statut d’autonomie du
« royaume de Pologne » n’est pas respecté
par la Russie, en expliquant que les
revendications, même les
plus modérées, sont immédiatement
réprimées. Pour mieux dénoncer l’oppression
russe, il insiste sur la
modération des Polonais : les « pétitions
adressées dans un esprit de modération et de
calme n’étaient pas prises en compte », « le
souhait le plus innocent » provoquait les
persécutions. La répression de la moindre
opposition rend la Constitution « mort-née »,
la non-publicité des débats à la Diète la prive
de son rôle. Les termes employés sont
extrêmement forts : « servitude », « despotes
» assistés d’espions et de tortionnaires, etc.
Bref, le statut d’autonomie du « royaume du
Congrès » est une mascarade.
« Le réveil des Polonais ». Gravure anonyme
française. B.N.F., Paris.
Cette gravure représente une scène de
l’insurrection de Varsovie, le 29 novembre
1830. Il faut souligner qu’il s’agit d’une
gravure française et donc d’un document qui
relève sans doute plus de la propagande que
de l’information. Le titre même de la gravure
est une façon de célébrer le « réveil » d’une
nation, trop longtemps plongée dans le
sommeil forcé de l’oppression. L’image
utilisée par les patriotes italiens est assez
proche, puisqu’ils parlent de Risorgimento
(une nation qui renaît, qui ressuscite, qui sort
du sommeil de la mort). L’image cherche à
montrer que toutes les catégories de la nation
polonaise participent à l’insurrection. Le
porteur du drapeau, au centre de l’image,
semble appartenir à la noblesse. À droite de
ce personnage,
à l’arrière-plan, on aperçoit la tête d’un
ecclésiastique. Une femme fait le coup de
feu. L’armée est très présente, avec l’officier
coiffé d’un bicorne (ou l’officier mort qui gît
6
reconnaître l’indépendance grecque. Pour la première fois, un peuple européen se
libérait du joug d’un souverain étranger. Cela ne pouvait qu’inspirer d’autres
minorités nationales qui ne manqueraient pas d’affirmer leur droit à l’existence.
La crise grecque rompait aussi le fragile équilibre européen, l’Empire ottoman
s’enfonçait plus encore dans un long déclin, il devenait « l’homme malade de
l’Europe », et laissait le champ libre à une concurrence acharnée entre Autriche et
Russie dans les Balkans. C’était toute l’oeuvre du congrès de Vienne qui se
trouvait ainsi remise en cause.
En quoi le Risorgimento prépare-t-il l’unité nationale italienne ?
Le Risorgimento ou « résurgence » est le mouvement national italien apparu dans
la première moitié du XIXe siècle qui doit permettre à la nation italienne de
renaître. En effet, l’Italie est divisée par le congrès de Vienne et se trouve de fait
placée sous la domination autrichienne. Certaines régions sont directement
soumises au joug autrichien (Lombardie-Vénétie ou duchés d’Italie centrale),
d’autres sont sous infl uence (royaume des Deux-Siciles ou États de l’Église).
Seul le royaume de Piémont-Sardaigne est indépendant et peut apparaître
comme le point de départ d’un mouvement national d’unification.
Toutefois, les moyens et les buts diffèrent selon les partisans de la cause
nationale. Certains, comme l’avocat Mazzini, rêvent d’une Italie républicaine et
centralisée à l’image de la France jacobine. C’est par la révolution que ce but
pourrait être atteint. D’autres, au contraire, souhaitent, comme le comte de
Cavour, une Italie unifi ée autour du royaume de Piémont-Sardaigne et au profit
de son roi Charles-Albert. Gagné aux idées libérales, partisan de la monarchie
constitutionnelle, Cavour mise sur le développement économique et la
bourgeoisie pour réaliser son oeuvre. Selon lui, le peuple n’est pas prêt à épouser
la cause nationale car sa conscience politique n’est pas assez développée. Pour
s’assurer le soutien de la bourgeoisie il favorise l’activité économique notamment
par la construction d’un réseau de voies ferrées. Ce réseau peut stimuler la
métallurgie mais aussi le commerce. De plus, il permet les déplacements des
hommes et donc des idées ce qui favorise l’apparition d’une solidarité nationale
et la disparition des particularismes locaux. La cause nationale est soutenue par
les dirigeants politiques mais aussi par les élites intellectuelles (professeurs,
étudiants) ou artistiques comme Verdi. Le Risorgimento correspond donc à une
période de maturation de la cause nationale. Le mouvement patriotique se
renforce. Mais l’Italie, isolée au sein de l’Europe du congrès de Vienne, ne peut
espérer exister qu’avec la défaite de l’Autriche. Or cette dernière est encore trop
puissante.
III. Révolutions et printemps des peuples (1830 et 1848)
L’éveil des nationalités, la politique à l’âge romantique et les espoirs déçus
(1830)
Les raisons du soulèvement général des peuples en 1830 sont multiples :
– persistance de l’idée de liberté dans les nations, notamment chez les étudiants ;
– espoir devant la réussite de la Révolution française qui obtient un changement
de régime, et de la révolution belge, qui conquiert l’indépendance du pays et y
instaure une Constitution. Les conséquences sont :
– la réussite des mouvements libéraux et nationaux dans certains pays
occidentaux où les régimes parlementaires dominent ;
– la répression, notamment dans le cas de la Pologne, mais aussi de l’Allemagne
et de l’Italie ;
– l’attente d’une nouvelle occasion, plus favorable, de se soulever, ce qui sera le
cas en 1848.
L’agitation libérale en Allemagne
L’autobiographie de Richard Wagner est écrite dans les années 1860 et publiée en
1911 par Cosima (fille du musicien Liszt et épouse de Wagner) et traduite la
même année en français.
Étudiant à Dresde et Leipzig, le jeune Wagner est gagné aux idées libérales. Dans
cet extrait, il raconte l’agitation libérale dans le royaume de Saxe en 1830-1831.
Wagner participe plus directement à la révolution de 1849 en Saxe (réprimée
dans le sang par les troupes prussiennes) et il doit ensuite s’exiler à Zurich, Paris
et Londres. L’influence de la France sur les événements allemands est soulignée
avec emphase par Wagner. C’est « la révolution de Juillet » 1830 qui marque
pour lui le début de « l’histoire politique du monde » ! Au-delà de l’exagération,
on voit ici combien la presse allemande suivait l’actualité française. On peut
au premier plan) et plusieurs soldats
au couvre-chef caractéristique (une sorte de
shako évasé). Les jeunes gens coiffés d’une
petite toque carrée sont des étudiants. Le
peuple apparaît avec les paysans portant la
faux.
Un accueil enthousiaste en France
Nous avons là deux exemples de la
mobilisation des intellectuels français en
faveur de la Pologne. Charles de
Montalembert (1810-1870) est le chef de file
des catholiques libéraux, avec Lamennais et
Lacordaire. Le journal L’Avenir, fondé en
1830, est l’organe du catholicisme libéral.
Montalembert salue la révolution polonaise
dans un article lyrique daté du 17 déc. 1830.
Le poète et chansonnier Casimir Delavigne
(1793-1843) écrit un hymne à la Pologne,
pour un concert de soutien organisé le 1er
mars 1831. La musique est composée par
Auber (1782-1871), sans doute le plus
célèbre musicien français de l’époque. On
peut faire remarquer aux élèves que les
musiciens s’engagent aussi en politique et
que la chanson ou l’opéra sont des vecteurs
des idées nouvelles. Ainsi l’opéra composé
par Auber en 1828, La Muette de Portici,
donna-t-il le signal de la révolution de 1830 à
Bruxelles. Montalembert s’intéresse
particulièrement à la nation polonaise parce
qu’elle trouve en grande partie son identité
dans le catholicisme. Défendre la Pologne,
c’est donc défendre la religion catholique
(opprimée par la Russie orthodoxe) et en
même temps défendre la cause des
nationalités. Or, c’est précisément le
programme des catholiques libéraux, qui
souhaitent « l’alliance de Dieu et de la
Liberté ». Le texte dénonce « l’oeuvre impie
du Congrès de Vienne », en refusant d’y voir
une « Sainte » Alliance. Des rois « sans foi »,
qui « ont oublié Dieu », n’ont pas
tenu compte de la foi des nations. Outre la
Pologne, Montalembert pense peut-être à
d’autres nations catholiques brimées comme
l’Irlande ou la Belgique. Casimir Delavigne a
bien sûr conçu cet hymne martial et
patriotique sur le modèle de La Marseillaise.
Les expressions comme « le jour sanglant »
ou le « jour de délivrance » font penser à
certains passages de l’hymne français (« le
jour de gloire », « l’étendard sanglant »). Le
refrain « Polonais, à la baïonnette ! » est
décalqué sur le fameux « Aux armes citoyens
! ». Et le titre même de l’hymne, La
Varsovienne, est construit à partir du nom
d’une ville comme La Marseillaise. L’Aigle
blanc est l’emblème de la Pologne (à ne pas
confondre avec l’Aigle noir qui symbolise la
Russie). Le « soleil de juillet », c’est bien sûr
la révolution parisienne des Trois Glorieuses,
qui vient de donner naissance à la monarchie
de Juillet.
« L’ordre règne à Varsovie » après la victoire
des Russes. Lithographie de Grandville,
7
noter que la prison prise d’assaut par les étudiants est qualifiée par Wagner de
« nouvelle Bastille », ce qui montre à quel point il est imprégné de l’histoire
révolutionnaire de la France. Ces événements inspirent à Wagner une
composition musicale, qu’il intitule Ouverture politique. Le jeune musicien y
célèbre la révolution en opposant deux périodes : l’oppression, puis la libération
du peuple, avec un thème qu’il intitule « Frédéric et Liberté ». Comme Wagner
l’explique lui-même, le régent Frédéric (qui devient roi de Saxe sous le nom de
Frédéric-Auguste II en 1836) accorde une Constitution en 1831. Le texte montre
bien que les étudiants sont les principaux acteurs de l’agitation libérale en Saxe,
comme dans toute l’Allemagne. La révolution consiste en affrontements entre la
police et la « jeunesse universitaire ». Celle-ci est organisée en associations
libérales (les Burschenschaften), auxquelles participent parfois aussi les
professeurs. Wagner fait référence à l’association locale, appelée « les
Compatriotes », qui porte sans doute les trois couleurs pangermaniques (noir,
rouge et or).
La révolution polonaise de 1830-1831 est emblématique du mouvement des
nationalités dans l’Europe de la première moitié du XIXe siècle. D’abord par ses
causes : c’est la révolte d’un peuple victime de la Sainte-Alliance de 1815, d’une
nation qui veut retrouver ses droits à la souveraineté. Ensuite par son
retentissement dans l’opinion européenne : les libéraux se sont enflammés pour la
cause polonaise, comme ils avaient soutenu la cause grecque. Enfin par son échec
: à la différence de la Grèce ou de la Belgique en 1830, la Pologne n’a pas gagné
son indépendance, parce que les gouvernements de Paris et de Londres n’étaient
pas disposés à affronter directement la Russie. L’échec de la révolution polonaise
s’explique en partie par l’éloignement de ce pays par rapport à la France dont les
Polonais espéraient une aide. Par ailleurs, la France de Louis-Philippe devient
conservatrice à partir de 1831 et hésite à soutenir cette nouvelle indépendance.
Les Polonais sont donc soumis à une effroyable répression menée par leurs
voisins russes qui imposent une politique de russification draconienne. La
répression russe qui s’abat sur la Pologne en 1830 est particulièrement brutale, à
l’image de ces militaires venus reprendre Varsovie et y rétablir la domination
russe : russification imposée, suppression des libertés, exil des intellectuels
engagés, persécution contre l’église catholique accusée de soutenir la
révolution…
Le mouvement des révolutions de 1848 répond à une double revendication :
– certains peuples réclament une Constitution : Autrichiens, Prussiens, Français
obtiennent une meilleure représentativité de la nation par l’octroi d’une
Constitution et des libertés fondamentales ;
– d’autres réclament et proclament leur indépendance : Tchèques, Hongrois…
Dans un premier temps, jusqu’en juin 1848, les forces révolutionnaires ont gain
de cause, les principes de 1815 reculent et les souverains européens semblent
accepter un nouvel ordre politique. Mais, dès l’été 1848, les grandes puissances
s’allient pour réprimer ces mouvements, restaurer la monarchie absolue et
reconstituer les grands empires rétablis au congrès de Vienne.
« Debout Hongrois ! ». Gravure du XIXe siècle.
Le 15 mars 1848, jour où la liberté de la presse est rétablie à Budapest, le poète
Alexandre Petöfi publie son poème « Debout Hongrois ! ». C’est un véritable
hymne national, qui appelle les Hongrois à secouer le joug autrichien : « La patrie
appelle, ô Hongrois ! / Debout ! à présent ou jamais ! / Être esclave ou bien être
libre, / Voilà la question, choisis ! / Par le Dieu des Hongrois / Nous jurons ! /
Nous jurons / Que nous ne serons plus esclaves. » Cette gravure, d’un style un
peu naïf, présente cette scène comme un événement fondateur de la la nation
hongroise moderne. Plusieurs symboles de la nation hongroise sont représentés
ici. Au centre de l’image est déployé le drapeau traditionnel de la Hongrie, avec
les trois couleurs (rouge, vert et blanc) et la couronne de saint Étienne. Le roi
Étienne Ier le Saint christianisa la Hongrie au XIe siècle, avec l’aide du pape
Sylvestre II (qui lui confia une croix blanche). Le rouge rappelle l’oriflamme du
prince Arpad, qui conquit la Hongrie à la fin du IXe siècle. Les trois couleurs se
retrouvent dans l’écharpe tricolore ceinte par Petöfi, version moderne du drapeau
national, adoptée précisément en 1848 sous l’influence de la France. On notera
aussi la chaîne brisée, au centre et au premier plan de l’image, qui symbolise la
fin de l’esclavage pour la nation hongroise (cf. le poème). Les divers acteurs de la
1831. B.N.F., Paris.
Cette lithographie du caricaturiste Grandville
(1803-1847), publiée en 1831, dénonce d’une
façon sarcastique l’inaction du gouvernement
français face à la répression russe. Le
personnage central est un cosaque, cavalier
russe qui symbolise la répression barbare. Il
est reconnaissable à son costume (pantalon
bouffant, chapeau)
et à ses armes (notamment la longue pique).
Grandville a accentué sa sauvagerie en
donnant à son visage une expression à la fois
bestiale (le personnage a l’air totalement
abruti de carnages) et macabre (de loin, sa
tête ressemble à une tête de mort). La force
de la caricature réside dans le contraste entre
son titre, inspiré d’une formule maladroite du
ministre des Affaires étrangères, et l’image
qui révèle que l’ordre est celui de la mort
(c’est la paix des cimetières !). Le cosaque
fume tranquillement la pipe, alors que ses
pieds baignent dans le sang, au milieu de
cadavres atrocement mutilés. Dans le
lointain, tout est désolation : incendie,
têtes sur des piques, gibets dressés par un
autre cosaque…
Le Manifeste de la Jeune Europe de Mazzini
Giuseppe Mazzini publie ce manifeste en
1834 en Suisse, où il s’est réfugié comme
beaucoup de militants libéraux. Il essaie ainsi
d’étendre à l’échelle européenne le combat
contre la réaction qu’il a commencé avec la
Jeune Italie.
Le style un peu emphatique de ce manifeste
est typique du mouvement libéral et national
de la première moitié du XIXe siècle, marqué
par l’enthousiasme et un certain lyrisme
romantique. On notera les mots « fraternité »,
« avenir », « progrès » et cette rhétorique de
la jeunesse qui caractérise la génération
romantique. Dans l’esprit de Mazzini, les
nationalités et l’Humanité ne sont nullement
contradictoires. L’Humanité a une « mission
générale » de progrès et, au sein de
l’Humanité, chaque nationalité a sa « mission
particulière ». Il n’y a donc pas opposition
entre les différents nationalismes, mais au
contraire une fraternelle coopération. Le
point commun entre les trois peuples associés
dans ce projet, c’est qu’il s’agit de trois
nationalités qui aspirent à « s’émanciper »
(art. 4), c’est-à-dire à accéder à un État
souverain et unifié. Les Italiens sont éclatés
en plusieurs États largement dominés par
l’Autriche. Les Allemands sont divisés, eux
aussi, en de multiples États et indirectement
soumis au contrôle de l’Autriche (gendarme
de la Confédération germanique). Les
Polonais ont été partagés entre la Prusse,
l’Autriche et la Russie en 1815. Les peuples
invités par Mazzini à rejoindre le mouvement
(art. 8) pourraient être les Irlandais (intégrés
au Royaume-Uni), les nationalités soumises à
l’Empire d’Autriche (Hongrois, Tchèques,
8
révolution hongroise sont mis en scène d’une façon très claire. Au centre de
l’image se trouvent les dirigeants de la révolution. Au-delà de l’érudition, la
présentation de ces personnages peut être un moyen de réflechir sur les hommes
qui font les révolutions de 1848 (origines, statut, etc.). Petöfi est l’exemple type
de ces « éveilleurs », de ces intellectuels engagés au service de l’identité
nationale. À sa droite sur l’image se trouvent, un peu en retrait, le général Klapka
et, surtout, Lajos Kossuth (qui tient son chapeau dans la main), véritable dirigeant
de la révolution. À gauche de Petöfi sur l’image, on voit le comte Batthyany
(chauve), président en titre du premier gouvernement hongrois et le général Jozef
Bem (barbe blanche, chapeau à plume), un officier polonais insurgé en 18301831 et passé au service de la révolution hongroise (c’est courant : on trouve des
généraux polonais dans presque toutes les révolutions européennes de 1848-1849
!). À gauche de l’image se trouve l’armée régulière constituée par le nouveau
gouvernement hongrois, essentiellement à partir des soldats et des officiers qui
servaient dans l’armée impériale d’Autriche. À droite de l’image est représenté le
peuple hongrois insurgé. On reconnaît facilement les paysans, vêtus de leur
costume traditionnel (notamment à l’arrière-plan, devant l’église) et armés de leur
faux. Certains personnages au premier plan semblent être plutôt des habitants des
villes, bourgeois ou artisans (le personnage à l’extrême droite avec casquette
d’ouvrier et tablier de forgeron), armés de fusils. Le cavalier qui tire en l’air avec
son pistolet est sans doute un noble, venu à la tête de « ses » paysans.
L’Italie n’est pas parvenue à l’unité nationale dans la première moitié du XIXe
siècle. Les aspirations libérales et nationales se sont exprimées de diverses
manières entre 1845 et 1849. Les patriotes italiens, comme Mazzini ou Mameli,
ont dénoncé les divisions politiques artificielles qui empêchaient l’unité nationale
et plus particulièrement l’oppression autrichienne. Le Printemps des peuples en
1848 a soulevé l’espoir d’un Risorgimento, d’une renaissance de l’Italie, qui se
ferait en expulsant l’Autriche et les souverains inféodés à elle. Le roi de PiémontSardaigne a certes pris la tête du mouvement national italien en 1848, mais celuici n’a pas été assez puissant face à l’Autriche. L’armée autrichienne a étouffé les
différentes révolutions et réussi à maintenir la domination directe ou indirecte des
Habsbourg sur des États italiens divisés. L’unité ne s’est pas réalisée pour
plusieurs raisons (qu’il est d’ailleurs plus facile d’analyser quand on connaît la
suite de l’histoire, c’est-à-dire la façon dont s’est faite l’unité italienne entre 1850
et 1861). Ces aspirations ont été étouffées par la répression de 1849 et les
patriotes italiens sont alors entrés dans une phase difficile de leur combat. Les
libéraux italiens sont trop divisés sur les moyens d’action et ils manquent de
soutiens à l’intérieur comme à l’extérieur (la France ne les soutient pas en 1849).
Malgré les défaites, l’idéal du Risorgimento a cependant progressé, l’opéra et le
chemin de fer étant des vecteurs de l’unité italienne sans doute plus efficaces que
la barricade.
La République universelle, démocratique et sociale. Lithographie de G. Sorrieu,
1848. Musée Carnavalet, Paris.
Cette lithographie de G. Sorrieu constitue une excellente illustration des
aspirations libérales et nationales qui se sont exprimées entre 1815 et 1848. Elle
est très caractéristique de « l’esprit de 48 » et des espoirs suscités par le «
Printemps des peuples ». La République universelle, c’est d’abord la
fraternisation de tous les peuples, menés par la France jusqu’à la statue des droits
de l’homme. L’immense cortège des nations suit un « fil rouge », au sens strict du
terme, qui mène au but. Les différentes nationalités sont identifiables par leurs
costumes traditionnels et surtout par les drapeaux qui ponctuent de leurs taches
colorées l’image. Un arbre de la liberté, pavoisé de multiples drapeaux, est même
planté dans le décor. L’Irlande a sa place dans le défilé, après l’Angleterre. La
Pologne est là aussi. Les drapeaux tricolores de l’unité allemande et de l’unité
italienne répondent au drapeau français. On peut noter au passage que les
différentes parties de l’Italie sont évoquées : on voit le drapeau du royaume des
Deux-Siciles, celui de la Lombardie, celui de la Romagne (région incluse dans les
États pontificaux). Les différentes composantes de la nation allemande sont aussi
présentes, avec le même drapeau noir, rouge et or pour l’Allemagne et pour
l’Autriche (bizarrement, le même drapeau est attribué à la Hongrie, à l’arrièreplan). Cette fraternisation des peuples, qui vont constituer la république
universelle, est rendue possible par la chute des monarchies issues de l’Ancien
Régime. Cette victoire du principe des nationalités sur celui de la légitimité
Slovènes et Croates…), voire les nationalités
soumises à l’Empire ottoman (Serbes,
Roumains…). Cette « ligue d’attaque et de
défense solidaire des peuples » (art. 4)
s’oppose évidemment pour Mazzini à la
Sainte-Alliance des princes organisée par le
Congrès de Vienne en 1815.
L’agitation à Prague vue par un observateur
français
Cet article rend compte de l’effervescence
qui gagne la bourgeoisie libérale de Prague
quand elle apprend la révolution de février
1848 à Paris. Les Praguois comptent adresser
leur pétition à l’empereur d’Autriche, qu’ils
considèrent toujours comme leur souverain
légitime, et au gouvernement de Vienne. On
peut rappeler que l’empereur d’Autriche est
aussi roi de Bohême. Le royaume de Bohême
et les deux autres « pays » tchèques, le
margraviat de Moravie et le duché de Silésie,
ont chacun leur Diète, qui garantit une
certaine autonomie au sein de l’Empire
d’Autriche. Leurs revendications sont à la
fois d’ordre politique (aspirations libérales) et
d’ordre culturel (aspirations nationales). Les
revendications politiques portent sur les
libertés fondamentales comme la liberté de la
presse ou la liberté de culte (ils demandent «
l’égalité de toutes les confessions » :
protestante, catholique) et sur l’égalité civile,
par abolition des vestiges de l’Ancien
Régime (droits féodaux et corvées). Ces
aspirations libérales sont en fait inséparables
des aspirations nationales, car il s’agit avant
tout d’obtenir « l’égalité des deux races »,
c’est-àdire un traitement égal pour les
Allemands et pour les Tchèques devant la loi.
On demande que le tchèque soit la langue de
l’administration à parité avec l’allemand. Il
faut souligner qu’à cette date les deux
communautés, tchèque et allemande, vivent
en relative harmonie. « L’élargissement des
bases de la représentation nationale » est
typiquement une revendication à la fois
politique et nationale. La pétition demande
une Diète unique représentant les trois pays
tchèques (Bohême, Moravie et Silésie), pour
accentuer leur autonomie au sein de l’Empire,
et en même temps un système qui
représenterait mieux la population dans cette
Diète (car les diètes dans l’Empire sont élues
au suffrage restreint).
Une barricade à Berlin dans la nuit du 18 au
19 mars 1848. Lithographie. Musée
historique, Berlin.
Cette lithographie allemande représente une
scène de la révolution de mars 1848 à Berlin.
Apprenant la nouvelle de la révolution à
Vienne, les libéraux prussiens demandent des
réformes. Le roi de Prusse FrédéricGuillaume IV leur en promet, mais le 18
mars, l’armée, paniquée, tire sur la foule qui
était venue acclamer le souverain. Les
9
dynastique est matérialisée au premier plan par un amas d’insignes brisés :
couronnes monarchiques, aigles impériaux, blasons nobiliaires… La fraternité ne
se joue pas seulement entre les peuples, mais aussi entre les sexes et les classes :
c’est la république démocratique et sociale. Les femmes sont bien représentées
dans le cortège. Et toutes les catégories sociales y figurent : on voit des ouvriers
vêtus de la blouse bleue, des bourgeois coiffés du chapeau haut-de-forme, des
paysans en costume traditionnel de leur pays, des militaires en uniforme… Les
diverses activités économiques, traditionnelles ou modernes, sont associées à la
fête : on voit à l’arrière-plan un berger, un laboureur qui salue, un train, un bateau
à vapeur… Le maître mot de l’allégorie est inscrit dans les cieux : Fraternité audessus d’un Christ qui bénit le défilé des nations. Rappelons que « l’esprit de 48 »
n’est nullement hostile à la religion et que les catholiques libéraux ou sociaux ont
joué un rôle important dans les révolutions.
On peut se demander : pourquoi cette République est-elle universelle, sociale et
démocratique ?
– Universelle car elle fait converger tous les peuples (on remarquera que ces
peuples sont exclusivement européens) vers la statue de la liberté qui s’appuie sur
les Droits de l’homme (valeurs universelles). Universelle car la République
associe toutes les couches sociales (au premier plan ouvrier et bourgeois). Ces
peuples sont placés sous la protection du Christ (le christianisme a aussi une
vocation universelle). Universelle et pacifi que car le lion, symbole de la force,
est docilement couché. Enfin la fraternité est la valeur mise en avant avec la
liberté. On remarquera que la France guide cette joyeuse communauté fraternelle.
– Démocratique car les droits de l’homme sont mis en avant ; de plus, les
symboles de l’absolutisme, couronnes et aigles, gisent, brisés, au premier plan.
– Sociale car elle doit assurer la prospérité de tous comme l’attestent la présence
des cornes d’abondance (symbole de la richesse et de la prospérité) et le fait que
les hommes, femmes et enfants sont habillés de manière soignée.
Pourquoi le Printemps des peuples n’est-il pas parvenu à remettre en cause
l’ordre du congrès de Vienne ?
La fièvre révolutionnaire qui s’empare de l’Europe en 1848 est à la fois un
mouvement politique, national et social. Favorisé par la crise économique des
années 1846-47, le Printemps des peuples est l’occasion de revendiquer à la fois
plus de liberté et la reconnaissance de la cause nationale. Les peuples rêvent de la
création d’États-nations en réalisant l’unité nationale comme en Allemagne et en
Italie. Les minorités, comme les Slaves, cherchent à affirmer leur existence face à
la menace que représentent pour elles les aspirations nationales des peuples
dominants. Mais cette revendication nationale se double d’une recherche de la
liberté. Libertés fondamentales d’abord face à l’arbitraire de régimes issus de
l’Ancien Régime, mais aussi liberté politique par la reconnaissance de la
souveraineté populaire jadis affi rmée par la Révolution française. Toutefois, les
libéraux d’Europe ne s’accordent pas sur la nature des régimes politiques qu’ils
souhaitent voir instaurés. Certains, les plus modérés, penchent pour une
monarchie constitutionnelle qui associerait le peuple au pouvoir par le biais d’une
assemblée élue (Allemagne). D’autres, plus radicaux, puisent leurs références
dans la République jacobine et rêvent d’instaurer un tel régime, républicain et
démocratique comme à Venise. Mais les mouvements nationaux et libéraux sont
affaiblis par leur manque de cohésion. Des divergences se font jour entre ceux qui
veulent une monarchie constitutionnelle (la bourgeoisie) et ceux qui aspirent à
une révolution démocratique. Enfin, les revendications nationales de certains vont
à l’encontre de celles des autres. Par exemple, la création d’une grande
Allemagne réunissant tous les territoires de la Confédération germanique telle
que l’imaginent un temps les députés du Parlement de Francfort ne manque pas
d’effrayer les minorités nationales de l’Empire d’Autriche. Finalement,
l’intransigeance des souverains finit par briser les revendications nationales et
libérales comme en Allemagne, où Frédéric-Guillaume IV ne reconnaît que les
principes dynastique et divin face à la souveraineté populaire. Parfois, c’est par
les armes que les souverains rétablissent leur pouvoir, comme en Hongrie où les
armées russes, appelées par l’empereur d’Autriche, brisent le mouvement
national magyar. En 1849, tout semble revenu à la normale, mais les aspirations
nationales ne sont pas éteintes, certains souverains savent alors les mobiliser pour
construire à leur profit des États-nations.
personnages qui combattent sur la barricade
sont essentiellement des étudiants ou
bourgeois, reconnaissables à leur chapeau
haut-de-forme. La révolution est faite par la
bourgeoisie libérale et les intellectuels. Le
drapeau qu’ils brandissent est celui de l’unité
allemande, alors que l’on s’apprête à élire un
Parlement national qui doit siéger à Francfort
et préparer l’unification des États allemands.
Ici, il faut surtout montrer que la barricade est
la forme d’action la plus caractéristique du
mouvement libéral et national. Ce
mouvement est essentiellement urbain
(bourgeois, étudiants et professeurs, parfois
soutenus par les ouvriers) et les lieux de
pouvoir se trouvent dans la ville. Faire la
révolution, c’est soulever une ville et
s’emparer des lieux stratégiques (l’hôtel de
ville, éventuellement le palais du souverain
ou le siège de l’assemblée, l’imprimerie
officielle, etc.). La répression est assurée par
l’armée, qui n’est pas formée à cette tâche de
maintien de l’ordre, ce qui explique le
caractère meurtrier de ces combats de rue.
Panorama de l’Europe en août 1849
Cette caricature montre la situation politique
et économique de l’Europe au milieu du xıxe
siècle. Elle présente tout d’abord la réaction
politique des souverains face aux désirs
d’indépendance des peuples manifestés au
cours du printemps des peuples de 1848.
Ainsi, Louis Napoléon Bonaparte exile les
opposants, tandis que l’empereur FrançoisJoseph Ier d’Autriche combat un
révolutionnaire autrichien et un nationaliste
hongrois. Au centre, le roi de Prusse Frédéric
Guillaume IV balaie pour expulser les
révolutionnaires allemands qui se réfugient
en Suisse sous un bonnet phrygien symbole
de liberté. Il tente également de réunir sous
son égide les souverains de la petite
Allemagne. Au nord, la reine Victoria
observe le tout d’un air ironique ; son char est
tiré par le génie du commerce.
Les nations de l’Europe en 1850
10
L’Europe de 1850 est directement issue de celle de 1815 et des décisions prises
au Congrès de Vienne. Les aspirations nationales n’ont abouti que dans deux cas :
la Belgique s’est séparée de la Hollande, mais connaît déjà une opposition entre
Flamands et Wallons ; la Grèce est devenue autonome de l’Empire ottoman. Par
contre, les tentatives d’unification allemande et italienne ont échoué. Dans
l’ensemble, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est encore peu respecté,
le printemps des peuples de 1848 ayant été suivi d’une réaction violente de la part
des souverains. De nombreuses nations, notamment en Europe centrale, restent
dominées par l’empire d’Autriche, tandis que les Polonais se trouvent partagés
entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. L’Empire ottoman, très affaibli, connaît
lui aussi des tensions de plus en plus virulentes de la part de peuples réclamant
leur indépendance et encouragés par l’exemple de la Grèce. À elle seule,
l’Autriche concentre une grande partie des revendications nationales, ayant sur
son territoire de nombreuses nations soucieuses de leur indépendance. Dans son
cas, le droit dynastique a prévalu sur le droit des nations, ce qui crée des tensions
de plus en plus graves qui aboutiront notamment au déclenchement de la
Première Guerre mondiale.
Les régimes politiques en Europe en 1850
Dans l’ensemble, malgré le « printemps des peuples » de 1848, les régimes
autoritaires prévalent en Europe, notamment en Europe centrale et orientale. Ces
régimes sont ceux qui négligent le plus le droit des peuples à disposer d’euxmêmes et qui se refusent à prendre en considération l’idée de nation. Il s’agit
surtout de grands empires attachés aux valeurs d’Ancien Régime, où l’aristocratie
terrienne est prépondérante. La démocratie libérale tend à progresser à l’ouest du
continent, notamment sous l’impulsion de la bourgeoisie dont l’influence est
renforcée par le mouvement d’industrialisation. Toutefois, cette tendance reste
fragile : ainsi la France retrouve un régime autoritaire dès 1851. L’est du
continent reste majoritairement soumis à des régimes politiques autoritaires,
tandis qu’à l’ouest il s’agit surtout de monarchies constitutionnelles ou
parlementaires ou même de républiques.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Les idées libérales et nationales sont transmises par la France à l’Europe :
– par l’intermédiaire des armées révolutionnaires ;
– par l’implantation de monarchies constitutionnelles imposées par Napoléon ;
– par l’idée de résistance à l’occupation française qui est l’une des sources du
nationalisme.
Les vainqueurs de Napoléon rétablissent en 1815 un ordre européen fondé sur des
principes d’Ancien Régime :
– rétablissement des monarchies absolues ;
– restauration de grands empires ou royaumes négligeant les aspirations
nationales des peuples dominés.
Les idées libérales et nationalistes resurgissent au cours des révolutions de 1830
et de 1848. Les peuples revendiquent :
– des Constitutions établissant une meilleure représentativité de la nation
souveraine, ainsi que le respect de libertés fondamentales ;
– l’indépendance ou, au contraire, l’unification des nations se sentant unies par
une langue et une histoire commune.
L’échec de ces révolutions n’est que provisoire. Il annonce de grands
bouleversements en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’Europe au
milieu du XIXe siècle est une Europe en devenir. Elle a déjà connu deux
bouleversements majeurs : sur le plan politique, avec les revendications
nationales manifestées notamment au cours du printemps des peuples en 1848 ;
sur le plan économique et social, avec la première révolution industrielle, l’essor
de l’urbanisation et le développement des tensions sociales entre la bourgeoisie,
de plus en plus influente, et la classe ouvrière très défavorisée. Cependant, il ne
s’agit que de l’esquisse de mouvements qui vont devenir plus nets et plus brutaux
dans la seconde moitié du siècle. Ainsi, en 1850, peu de régimes politiques
tolèrent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou l’intervention des
citoyens dans la gestion de l’État. De même, les phénomènes liés à
l’industrialisation restent encore restreints à quelques pays – Grande-Bretagne en
tête –, ou des régions. Ainsi, l’évolution politique et économique n’est pas
aboutie.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
11
HC – Art, littérature et politique en Europe dans la première moitié du XIXème siècle
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Michel Winock. Les voix de la liberté. Les écrivains engagés du XIXe siècle, Paris , Seuil – 2001, 636 p.
Paul BENICHOU, Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830, Essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne,
Paris, Librairie José Corti, 1973, rééd. Gallimard, 1996.
Sartre, Jean-Paul, « Qu'est-ce que la littérature ? », Situations II, Gallimard, 1948.
Dubois, Jacques, L'Institution de la littérature, Paris-Bruxelles, Nathan-Labor, 1978.
Viala, Alain, Naissance de l'écrivain. Sociologie de la littérature à l'âge classique, Minuit, 1985.
Bourdieu, Pierre, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992.
Bonnet, Jean-Claude, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Fayard, 1998.
Documentation Photographique et diapos :
« Roman et société au XIXe siècle », La documentation photographique, n° 6039, La Documentation française, février 1979.
Revues :
MONTOUT Serge, Les écrivains engagés du XIXe siècle, Le Monde : Dossiers et documents littéraires, 1999, n° 023. Dossier sur
l'engagement politique des écrivains du XIXe siècle : le naturalisme d'Émile Zola, l'utopisme de Charles Fourier, de Saint-Simon
et de Proudhon, le socialisme d'Eugène Sue, le communisme de George Sand et les convictions de Lamartine, Léon Bloy, Jules
Vallès, Léon Tolstoï. Panorama des événements historiques et des œuvres.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
" Stupide XIXe siècle ", ironisera Léon Daudet. Au cours de celui-ci, les hommes
de lettres ont participé à tous les combats politiques. Quel que soit le régime,
quelles que soient leurs tendances, ils paient de leur personne, de leurs deniers. Ils
créent des journaux, des revues, s'engagent dans leurs articles, ans leurs oeuvres
mêmes. Ils affrontent parfois la prison ou l'exil. Pour que triomphent leurs idées,
ils se jettent dans la bataille électorale, deviennent députés, sénateurs, parfois
ministres. Le public ne s'y trompe pas qui, à l'époque, connaît parfois mieux leurs
engagements publics que leurs oeuvres quand les deux ne sont pas confondus
dans un même combat. Leurs noms ? Chateaubriand, Constant, Guizot, Hugo,
Stendhal, Balzac, Sand, Michelet, Lamartine, Quinet, Renan, Flaubert,
Maupassant, Zola, Vallès, et tant d'autres qui ont su tisser le politique et la
littérature.
Un XIXe siècle qui annonce le XXe
Le XIXe siècle vu par Michel Winock est celui des écrivains engagés, à la plume
souvent vengeresse: ils s'efforcent de déchiffrer l'avenir, assistent aux
bouleversements des progrès techniques, de l'industrialisation.
Ils exposent les théories les plus audacieuses et aident à la montée du
républicanisme qui va de pair avec le travail de sape du catholicisme.
L’auteur fait commencer son siècle par la chute de Napoléon(1815) et le fait
terminer par les funérailles grandioses de Victor Hugo (1885). Se succèdent de
multiples révolutions ou changements (9 régimes en 80 ans),abdication ou retour
de rois, dissolutions des Chambres suivies d'élections législatives à répétition,
atteintes à la liberté de la presse, rétablissement de la censure faisant place à une
libération sporadique de celle-ci, surtout vers la fin du siècle, après la
proclamation de la République.
Les écrivains-utopistes foisonnent de même que les ingénieurs du social, les
inventeurs de mondes nouveaux, les doctrinaires, hommes de pensée et de
polémique qui participent tous à cette religion de l'avenir qu’ils s’échinent à
prophétiser: Auguste Comte, Saint Simon , Louis Blanc,Fourier, Proudhon ( en
prison de juin 1849 à juin 1852), Michelet, Taine, Louise Michel, Marx qui dans
une certaine mesure, va rafler toute la mise. Pendant tout ce siècle, la France
deviendra un "immense chaudron de sorcières où bouillonnent toutes les
révolutions européennes à venir." L’audace de ces précurseurs plaît diversement
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 2nde : « L'Europe en mutation dans la
première moitié du XIXe siècle
– Les transformations économiques et
sociales
– Les aspirations libérales et nationales
jusqu'aux révolutions de 1848
– Un tableau de l'Europe au milieu du XIXe
Ce dernier thème d'étude se conçoit à
l'échelle européenne. Il invite à mettre en
évidence les mutations durables qui
s'amorcent durant la première moitié du XIXe
siècle :
– les transformations économiques et sociales
induites par le démarrage de
l'industrialisation (Révolution industrielle)
qui se traduisent par l'affirmation de la
bourgeoisie, l'émergence de classes sociales
nouvelles (monde ouvrier) et le
développement du paupérisme ;
– le développement des aspirations nationales
et libérales accéléré par les transformations
économiques et sociales et les influences de
la Révolution française (nationalisme et
libéralisme). Sont ainsi mises en évidence la
nouveauté du sentiment national et la variété
des situations politiques en Europe, dans un
contexte de conflit entre les idées libérales et
une classe politique qui appartient encore à
l'Ancien Régime (réaction et vagues
révolutionnaires de 1830 et 1848) ;
– des cartes fournissent un tableau des
situations économique et politique de
l'Europe au milieu du XIXe siècle, afin
d'assurer la nécessaire transition avec le
programme de la classe de première. »
12
selon les régimes en place : la prison de Sainte Pélagie, maison d’arrêt, les
accueille généralement. Cette ancienne maison de correction pour filles de
mauvaise vie est devenue le refuge obligé des prisonniers politiques, des
appréhendés pour dettes ou délits de presse. (Sainte Pélagie sera démolie en
1895). Les conditions de détention y étaient beaucoup moins strictes que celles
d'aujourd'hui, les nantis pouvaient y faire venir des victuailles, recevoir leurs
amis, poursuivre une certaine forme d’action politique. Emprisonnés
fréquemment, ils étaient souvent relâchés à la faveur de fréquentes amnisties.
Tous les écrivains et penseurs ne préparent pas inconsciemment le Grand Soir ou
l’avènement du communisme, sous la poussée des masses exploitées et
misérables, mais ces écrivains exercent néanmoins une grande influence sur leur
époque. Michel Winock, excellent historien qui ne dédaigne pas la petite histoire,
si instructive, s'attarde à Chateaubriand, Benjamin Constant, Madame de Staël,
Lamennais et Lamartine, Sainte Beuve, Michelet, Georges Sand, Tocqueville,
Veuillot, Barbey d’Aurevilly Flaubert, Zola. Winock nous rafraîchit la mémoire
en ce qui concerne Béranger et Renan, un peu oubliés aujourd’hui mais dont
l’influence, le succès, furent énormes en leur temps.
Chacun connaît l’extraordinaire longévité de Victor Hugo qui batailla pendant 20
ans contre Napoléon III, plaida efficacement et inlassablement pour l’amnistie en
faveur des Communards et multiplia les messages prophétiques et humanitaires.
Il est le premier à défendre l'abolition de la peine de mort. "L'illustre poète est
devenu à la fin de sa vie la voix de la conscience républicaine, le héraut de la
liberté, le prophète de l'humanité, le défenseur des opprimés, et lui aussi le
champion des Etats-Unis d’Europe."
Quant à Jules Vallès, l’insurgé, dont le style fut admiré plus tard par Barrés, qui
le considérait comme un des maîtres de la prose française, il participa à la
tragédie de la Commune de 1871 (la première dictature du prolétariat, écrivait
Engels), s’échappa de la féroce répression des Versaillais en se faisant passer
pour un ambulancier chargé de ramasser les cadavres et parvint ensuite à gagner
la Belgique ( terre de transit) puis l’Angleterre. Il ne cessait de célébrer l'avenir
socialiste, d'appeler à la République sociale et universelle. " Si les damnés du
travail peuvent former une légion, s'organiser en armée au lieu de rester des
victimes, ils deviendront les dirigeants de toute cette mécanique de fer qui est la
mère de la production moderne. " Indifférent en matière de religion, Vallès
pratiquait pourtant peu l'anticléricalisme. Il discernait dans le thème anticlérical
un moyen commode pour les républicains conservateurs de se classer à gauche en
s’épargnant le souci d'une politique sociale.
Revenons à la presse. En amplifiant son audience, nous explique Michel Winock,
cette presse libérée (juste avant la chute de Napoléon III), devient un vaste champ
de bataille où écrivains de droite et écrivains de gauche, socialistes et libéraux,
républicains et catholiques ferraillent les uns contre les autres “se sentant
appartenir à une même communauté où la fulgurance des mots et la force des
formules rendent les tranchées attrayantes." (...) Le public de plus en plus large
aura tendance à préférer les sons de la grosse caisse à la musique
douce."Instrument chéri des démagogues autant qu’arme de combat des penseurs,
la presse est devenue un quatrième pouvoir, trop souvent acheté, vendu ,
corrompu. (affaire de Panama, etc.).
Le XXe siècle verra les sirènes des utopies finir par prendre forme, communisme,
socialisme, libéralisme, etc., se succéder ou s’entre-détruire avec les dérapages
sanglants que l’on sait pour aboutir aujourd'hui à la victoire totale d'un
capitalisme quasiment sauvage.
Les Voix de la liberté est une épopée politique et littéraire retraçant les itinéraires,
parfois entremêlés, de maints auteurs français ayant fourbi leurs plumes au nom
de la croyance ou de la condamnation d’une idée forte : la liberté.
Le XIXe siècle, « stupide » pour Léon Daudet, est aussi celui du « sacre de
l’écrivain ». Le mot n’est pas trop fort si l’on réalise à quel point les hommes de
lettres prirent fait et cause pour des idées. C’est la grande différence entre
l’écrivain engagé du XIXe siècle et l’intellectuel du XXe : si celui-ci limite le
plus souvent ses interventions aux écrits enflammés et aux pétitions, aux revues
militantes et aux pamphlets bien sentis, celui-là incarne plus souvent son idéal
aussi par l’action politique ou le geste d’envergure : Lamartine est chef de
gouvernement, Hugo s’exile tant que gouverne « Napoléon le petit », Vallès
participe à la Commune et de nombreux autres sont députés ou sénateurs,
ministres ou ambassadeurs, à la force du poignet.
13
L’ouvrage n’est pas une histoire de la littérature au XIXe siècle mais celle
d’écrivains dans leur rapport à la politique. La liste est longue : Chateaubriand,
Hugo, Lamartine, Balzac, Stendhal, Zola pour les têtes d’affiche, Sand, Vallès,
Musset, Tocqueville, Barbey d’Aurevilly, Flaubert, Michelet, Guizot, Quinet,
Proudhon et bien d’autres encore dont certains moins notoires comme le
chansonnier Béranger, sacré plus grand poète de son temps et méconnu du nôtre.
Cette somme érudite mais d’une lecture fluide et agréable, a deux grands mérites.
Le premier est d’insister sur le rapport étroit qu’entretiennent sous nos latitudes
les lettres et la politique. La plume, dans l’Hexagone plus qu’ailleurs peut-être,
est une arme. On comprend que, bien avant le « J’accuse » de Zola, qui ouvrira le
XXe siècle, l’engagement de l’écrivain est déjà de mise, dans la lignée de
combats plus anciens encore - pensons à Voltaire défendant Calas. Pour autant,
Michel Winock ne réduit pas son étude aux strictes limites de la France ; des
excursions sont proposés de l’autre côté de la Manche, des Alpes ou du Rhin.
L’Allemagne est présente chez nous, fortement, au temps du Romantisme et du
communisme naissant, avant que l’humiliation de 1870 ne remette quelques
pendules à l’heure : le nom du très francophile Henri Heine croise celui de Marx.
Garibaldi passe, de nombreux écrivains partent, s’exilent, à Londres, en Belgique
ou en Suisse. Cette esquisse de réseaux intellectuels dépassant nos frontières fait
souhaiter d’ailleurs une étude identique à l’échelle européenne.
La présentation des écrivains dans leur chair, dans leur milieu, leur époque et
soumis à leurs propres démons est l’autre grand atout du livre. Les sociabilités et
les personnalités comptent dans un parcours intellectuel et politique, de manière
peut-être plus fondamentale que le génie littéraire transparaissant à travers une
œuvre. Michel Winock, sans tomber dans une sociologie sèche, insiste sur ce
point comme il l’avait déjà fait dans son précédent opus. Porter attention aux
ambitions, aux défauts et aux qualités, aux caractères et aux mesquineries de ces
individus en interaction avec leur temps permet de comprendre les messages,
leurs idées et les évolutions auxquelles ils obéissent alors logiquement. Ainsi du
cheminement de Hugo depuis le légitimisme jusqu’à la République. Ainsi des
apparentes contradictions dans la pensée proudhonienne, révolutionnaire mais
aussi conservatrice. Les exemples sont nombreux de ces parcours non rectilignes
suivis par des hommes qui, par-delà leurs ouvrages majeurs, vivent et corrigent
leur vision du monde.
Au XIXe siècle, l'écrivain était engagé ou n'était pas. C'est l'épopée de ces héros
de la plume que Michel Winock retrace dans un essai. Retour sur une époque qui
a beaucoup à nous apprendre.
En ce temps-là, les intellectuels étaient des princes. Sous la Restauration, le
vocable n'existait pas encore, mais les trois grandes figures politiques de l'époque
se nommaient Chateaubriand, Benjamin Constant et François Guizot. Le poète, le
romancier et l'historien n'appartenaient pas à cette catégorie sociologique,
fabriquée ultérieurement, dans le flou des définitions, et baptisée d'un terme assez
vague: «les intellectuels».
Ceux dont l'historien Michel Winock retrace l'histoire dans les Voix de la liberté
se définissaient à la fois par leurs oeuvres et par leur action politique. En ces
temps d'apogée du papier imprimé, le verbe était roi.
Il n'y avait que deux voies pour entrer en politique: la plume ou le sabre. On
combinait parfois les deux, les généraux se faisaient mémorialistes et les
écrivains guerroyaient volontiers dans un camp ou dans l'autre. Il était alors
naturel qu'un écrivain s'engage et participe pleinement à l'activité politique.
L'expression «écrivain engagé» était presque un pléonasme.
Chateaubriand incarnait la droite, Benjamin Constant la gauche, et Guizot le
centre, précise Michel Winock, en ouvrant sa formidable saga des écrivains
engagés dans la France du XIXe siècle. Mais ces écrivains-là n'abdiquaient pas
leur liberté, ils ne suivaient pas aveuglément un parti. Le mot engagement a
retrouvé, un siècle plus tard, son origine militaire: au XXe siècle, des écrivains
iront s'enrôler dans des partis caporalisés, quand leurs aînés du XIXe siècle
imaginaient et pensaient la politique. De nos jours, comme dit Régis Debray,
«chacun se bagarre pour soi-même, avec les droits de l'homme en alibi». La fête
est finie, et le sens historique fait défaut.
Quel chemin ! Le consul Henri Beyle, dit Stendhal, les députés Lamartine, Edgar
Quinet ou Victor Hugo, les poètes révolutionnaires Charles Baudelaire et Arthur
Rimbaud, les philosophes Saint-Simon, Fourrier, Proudhon et Auguste Comte, les
historiens Michelet et Taine ne se situaient pas, eux, aux marges de la politique,
14
ils ne commentaient pas la presse, ils étaient au coeur de l'action. Et les politiques
eux-mêmes étaient des «intellectuels». Ainsi de Tocqueville, qui ne fréquenta pas
seulement les allées du pouvoir, de Guizot et de Thiers, qui, chacun à son tour,
dirigèrent des gouvernements. Ou de Flora Tristan, qui fonda tout à la fois le
féminisme et l'organisation ouvrière. La vie politique du XIXe siècle est, d'abord,
le roman des romanciers.
Et quel roman ! Celui de la jeune ouvrière Flora Tristan, fille d'un ami de Simon
Bolivar, celui du fils d'un général d'Empire et d'une conspiratrice royaliste, Victor
Hugo, qui deviendra l'emblème de la République. Il est difficile de trouver alors
un écrivain qui échappe aux passions de l'histoire. Pas même Alexandre Dumas que Winock néglige ! Le Comte de Monte-Cristo résonne, en son temps, comme
un pamphlet contre les pouvoirs bâtis sur le crime et la corruption. En aventurier
romantique, Alexandre Dumas précède Malraux, en partant combattre avec
Garibaldi.
Tous les écrivains n'eurent pas les mêmes engagements, mais tous laissèrent, dans
les romans, les mémoires et les poèmes, leur vision du temps. Marx lui-même
reconnaissait qu'il avait «plus appris dans Balzac que dans tous les gros livres des
économistes». Il est vrai que la Comédie humaine décrit le triomphe bourgeois
avec plus de couleurs que le Capital. Il n'y avait pas, alors, cette étrange
schizophrénie entre l'oeuvre et l'action: Eugène Sue et Victor Hugo ont donné aux
miséreux des visages, des noms, des destins. Nous ne sommes pas encore dans
cette «France byzantine» que Julien Benda devait dénoncer dans les années 20,
dans un monde d'intellectuels coupés du peuple, et qui, de temps à autre,
condescendent à quelques apparitions pétitionnaires sur l'agora.
La politique, la littérature et la pensée vivent ensemble, au long d'un siècle qui
s'ouvre sur les figures de Chateaubriand, de Constant ou de Guizot et qui
s'achèvera sur celles de Zola et de Maurras et sur l'apothéose de Victor Hugo. La
frontière entre les hommes politiques et les intellectuels sera tracée beaucoup plus
tard. Force est de constater, en lisant les Voix de la liberté, que ce que Michel
Winock avait appelé, dans un ouvrage précédent, le Siècle des intellectuels, le
XXe siècle, fut en fait celui de leur marginalisation. Au fond, Sartre est un bien
médiocre politique en regard de Victor Hugo. Malraux n'est que le barde du
général de Gaulle, il ne pèse pas plus sur sa politique que Louis Aragon sur celle
du Parti communiste. Tous se sont voulus, peu ou prou, compagnons de route,
mais il n'y avait déjà plus de route. Trop tard. La génération suivante, la nôtre, n'a
d'ailleurs fait que les mimer. Et maintenant, la politique s'est engluée dans une
activité de gestion qui laisse peu de place aux idées. La marginalisation des
intellectuels accompagne la dégradation du personnel politique. Au XIXe siècle,
le politicien professionnel d'aujourd'hui n'existait pas. Il n'y avait pas encore de
caste ni d'ENA pour condamner les électeurs à devoir choisir, à chaque échéance
majeure, entre les élèves d'une même école, répartis en sensibilités politiques à
peine différenciées. Lamartine en candidat contre Louis Napoléon Bonaparte,
Victor Hugo en exil à Guernesey: les écrivains n'étaient pas les plantes vertes des
tribunes de campagne et ils payaient, parfois, de leur personne.
Autre temps, certes. Le XIXe siècle est né dans les fracas de l'épopée
bonapartiste. Le siècle romantique est fait de combats grandioses, de révolutions
et de contre-révolutions. Le verbe peut claquer aussi fort que la poudre: on se bat
aussi pour Hernani, pour les Fleurs du Mal, pour Madame Bovary. La science et
l'Eglise s'affrontent. Par Renan et Michelet, l'histoire s'impose contre la religion.
Pourtant, la scène politique ne se résume pas à un tableau de Delacroix. Ces
poètes et ces romanciers entrés en politique ne se contentent pas de discours
lyriques. Ils pensent, débattent, conçoivent des réformes, construisent et abattent
des régimes. Ils détiennent un pouvoir considérable, surtout en regard de
l'impuissance des intellectuels d'aujourd'hui. Dans son exil à Guernesey, Victor
Hugo est une menace pour Napoléon III. Sa popularité, le formidable écho des
Misérables pèsent autrement sur la politique que toutes les pétitions et prestations
médiatiques des intellectuels d'aujourd'hui. Quel écrivain serait-il, à l'heure qu'il
est, sur son nom et sans campagne, triomphalement élu à Paris ? Les hommes
politiques du XIXe siècle étaient historiens ou avocats, journalistes ou poètes,
parfois mathématiciens, toujours orateurs. Flaubert avait d'ailleurs repéré le
maître des temps à venir: le conseiller général de Yonville, Seine-Inférieure, a
pris le pouvoir et il dispose d'une tribune permanente de comice agricole installée
dans le salon des Bovary. La dégradation à venir hante l'oeuvre de ce quarantehuitard aigri qu'est Gustave Flaubert. Notre modernité se situe, hélas, entre les
discours des sous-préfets de Seine-Inférieure et les affirmations péremptoires de
15
Bouvard et Pécuchet. Elle est aussi présente chez Zola moins par ce socialisme
très involontaire évoqué par Winock et qui a transformé Germinal en bible des
combats ouvriers, quand ce n'était qu'un avertissement aux classes possédantes,
que par sa formidable description des moeurs politiques mises en place sous le
Second Empire. La conquête de la circonscription de Plassans, la carrière de Son
Excellence Eugène Rougon, les mécanismes de corruption et de spéculation
immobilière dévoilés dans la Curée demeurent d'une bouleversante actualité.
Le siècle s'achève: Zola, à son insu, dessine le nouveau statut de l'intellectuel.
Journaliste, il assistait, impuissant, aux calamiteux débuts de la IIIe République.
Romancier, il fut fort surpris d'alimenter une idéologie sans jamais y adhérer:
l'auteur d'un livre, qui devait figurer pendant un siècle dans toutes les
bibliothèques socialistes, ne redoutait rien tant que la révolution sociale. «Il est
peut-être temps encore d'éviter les catastrophes finales», écrivait Zola, qui ne se
trompait pas tout à fait en annonçant le péril: «Les nations s'engloutiront dans un
des plus effroyables bouleversements de l'histoire.» Mais Zola sera surtout le
dernier intellectuel à jouer un rôle majeur dans une affaire d'Etat, en déclenchant
l'affrontement qui devait aboutir à la révision du procès Dreyfus.
Ce faisant, il n'avait pas seulement fait surgir une polémique qui, une fois de plus,
le dépassait, lui qui n'entendait pas défendre Dreyfus en tant que juif, mais parce
que innocent. Mais il avait aussi dessiné le nouvel espace politique des
intellectuels. Celui de la protestation, aux marges d'un système politique qui,
inexorablement, ramenait les écrivains et les penseurs vers la place qui était
assignée au théâtre dans la Cité antique, celle de l'imprécateur, qui conteste le
système, en corrige parfois les fautes et les excès, mais ne peut accéder au
pouvoir. Le livre de Winock se termine sur le triomphe final de Victor Hugo, sur
le plus extraordinaire enterrement populaire que Paris ait jamais connu. Avec
Victor Hugo, c'est d'ailleurs la forme la plus achevée de l'engagement des
écrivains que l'on a enterrée. Désormais, les écrivains ne pénètrent plus dans les
palais nationaux que pour y remettre des pétitions quand ce n'est pas pour se faire
décerner quelque décoration, misérable breloque par laquelle les pouvoirs les
remercient pour leur impuissance acceptée
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I.
Une « présentation » au roi en 1787
Dans cet extrait des Mémoires d'outre-tombe, l'initiateur du romantisme en
France (Atala, 1801 ; René, 1802) évoque son entrée à la cour de Louis XVI. Pardelà la description du cérémonial, François René de Chateaubriand (1768-1848)
exprime ses sentiments contradictoires à propos de la monarchie d'Ancien
Régime. Après 1830, il renonce à continuer sa carrière politique tout en
développant ses idées dans sa monumentale autobiographie commencée en 1809
et poursuivie jusqu'à la fin de sa vie. Il y évoque successivement sa jeunesse
alimentée de « désirs et de songes » (1768-1800), puis sa carrière littéraire (18001814) et politique (1814-1830) avant d'aborder la dernière partie de sa vie, «
mélange des trois précédentes ». Malgré son propos initial : « J’écris
principalement pour rendre compte de moi-même à moi-même », l'écrivain a
choisi de soigner son « tombeau ». Il rappelle ses souvenirs pour méditer sur la
fragilité humaine dans un livre conçu comme « l'épopée de son temps ». Sa
carrière politique est déterminée à la fois par sa fidélité à la monarchie légitime et
par sa conviction que la société moderne va inéluctablement vers la démocratie.
Ce texte écrit après la Révolution permet à l'auteur d'exprimer un sentiment de
nostalgie pour les fastes de la cour d'Ancien Régime (« on n'a rien vu quand on
n'a pas vu la pompe de Versailles »), mêlé au sentiment de la vanité de la «
destinée humaine » : « Ce souverain que je voyais pour la première fois, ce
monarque si puissant était Louis XVI à six ans de son échafaud ! » Louis XVI
apparaît ici comme un roi un peu gauche, plus embarrassé que le jeune vicomte
de 19 ans !
Une définition de la liberté
Benjamin Constant est, sous la Restauration, l’une des grandes figures du
libéralisme, après une carrière politique assez tortueuse. Opposant à Napoléon, il
a soutenu la Charte de 1814. Puis il s’est rallié à Napoléon lors des Cent Jours, en
Activités, consignes et productions des élèves
:
Engagement et création littéraire dans la
première moitié du XIXe siècle.
Colloque international
Le début du XIXe siècle est marqué par de
nombreux bouleversements politiques
(révolution, monarchie, république, empire),
mais aussi par la naissance du Romantisme et
du journalisme moderne. Ces événements,
qui vont modifier l’univers et les modalités
de la représentation, sont perçus, selon une
lecture sociale et politique de l’histoire
littéraire, comme étroitement liés.
Sainte-Beuve, auteur, académicien et critique
qui a vu naître la nouvelle ère culturelle et
pris part à son évolution, parle d’une «
brusque révolution » dans la mesure où le
Romantisme vient perturber les normes
académiques et qu’il est la conséquence de la
grande Révolution.
Traversé par l’Histoire, le texte littéraire tire
sa force des histoires existentielles et des
parcours individuels dans une dynamique très
complexe d’échanges et d’interactions.
Penser l’Histoire, s’y inscrire, tenter de la
modifier et en même temps révéler les
mystères de l’être et sonder l’inconnu sont les
paradoxes auxquels se heurte l’écrivain et qui
16
préparant pour lui la constitution d’un Empire libéral (Acte additionnel aux
Constitutions de l’Empire, 1815). Quand Louis XVIII revient sur le trône,
Constant s’exile un an en Angleterre, où il écrit son roman Adolphe. De retour en
France, Constant est élu député en 1819, 1824 et 1827. Il soutient le libéralisme
par ses discours à la Chambre, aux côtés de La Fayette, et ses articles théoriques
dans la presse d’opposition. Comme sa maîtresse Madame de Staël, c’est un
admirateur du modèle anglais. Dans cet extrait d’un discours célèbre, Constant
donne sa définition de la liberté, en évoquant explicitement les modèles anglais et
américain. Ce qui est caractéristique de ce libéralisme du début du XIXe siècle,
c’est que les libertés politiques et économiques sont intimement liées dans
l’affirmation des droits de l’individu. Parmi les libertés politiques, Constant
invoque d’abord les garanties judiciaires contre l’arbitraire (le modèle est
clairement l’Habeas Corpus anglais), puis les libertés fondamentales d’opinion,
de réunion et de culte. À la fin de l’extrait, il présente d’une manière plus floue «
le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement ». Cette
évocation assez vague du régime représentatif ne prend pas position clairement
sur le régime parlementaire ou sur la nature du suffrage (censitaire ? universel ?).
Constant semble surtout songer aux modèles anglo-saxons, puisqu’il évoque le
droit de pétition (Angleterre) et la possibilité d’élire les fonctionnaires (comme le
sheriff, officier de police élu aux États-Unis). Constant insiste sur les libertés
économiques, comme le droit « de choisir son industrie, et de l’exercer, de
disposer de sa propriété, d’en abuser même ». L’initiative individuelle doit donc
être totale : il n’y pas de limite aux droits de propriété et d’entreprise, l’État n’a
pas à réguler une économie fondée sur le profit. Constant affirme aussi le droit
d’aller et venir librement, qui va dans le sens du libre-échange. Ce texte montre
bien que le libéralisme est avant tout un individualisme. La société est fondée sur
la liberté individuelle (cf. la formule récurrente : « c’est pour chacun le droit…
»), définie ici d’une manière presque libertaire (le droit à l’excès, le droit à la
fantaisie).
La défense des libertés : « Ne vous y frottez pas ». Caricature d’Honoré Daumier,
1834. Paris, BN.
La caricature est en plein essor en France au début de la monarchie de Juillet,
grâce à la liberté de la presse acquise en 1830. Jusqu’en 1835, les journaux
satiriques (La Caricature, Le Charivari, etc.) et politiques se développent au point
d’inquiéter le roi. En 1834, les journaux sont engagés dans un rapport de force
avec le pouvoir. Celui-ci voit d’un mauvais oeil le développement de ces dessins
satiriques, où dominent deux grands noms de la caricature de l’époque : Daumier
(1808-1879) et Grandville (1803-1847). Dans cette époque de durs débats et
d’affrontements politiques parfois très violents, la caricature est bel et bien un
acte politique qui fait prendre des risques à ceux qui s’y engagent. Daumier fut du
reste arrêté et mis en prison pour six mois en 1832 en raison d’un de ses dessins
qui représentait le roi Louis-Philippe en Gargantua. En 1835, une série de lois
rétablit la censure sur la presse. La période 1830-1835 constitue de ce fait un
véritable âge d’or de la presse indépendante en France.
Le personnage central, un ouvrier typographe aux poings serrés, incarne la liberté
de la presse. Les personnages à droite qui « s’y sont déjà frottés» sont Charles X,
à terre, entouré par deux monarques étrangers : ils symbolisent la réaction
vaincue en 1830. Les personnages à gauche, à qui s’adresse l’avertissement, sont
Persil (procureur général chargé des poursuites judiciaires contre la presse),
Louis-Philippe (avec son costume de « roi-bourgeois »), et Odilon Barrot (avocat
et homme politique). La position de ce dernier est intéressante, comme s’il
cherchait à freiner Louis-Philippe et Persil. En effet, Barrot soutient l’orléanisme
tout en étant favorable aux réformes, hostile à la répression. On voit mieux après
cette description, que la presse, qui vient d’en découdre avec Charles X, est prête
à faire de même avec Louis-Philippe s’il veut s’opposer à elle. Dans la caricature,
le message est donc clair. Il est exprimé par un des représentants de la presse libre
et indépendante (Daumier) à l’attention de Louis-Philippe. Si le roi décide de
s’opposer à la liberté de la presse, l’ouvrier typographe saura quoi faire. La
liberté de la presse se défendra en mettant à terre le nouveau roi, comme elle le fit
de Charles X qui avait voulu revenir sur la libertéd’expression par les quatre
ordonnances de juillet 1830. Cette image signifie donc que la liberté de la presse
peut faire tomber les rois.
Lamartine et le choix du drapeau national en février 1848
font du texte romantique un lieu de tensions.
L’image hugolienne du poète guide ou porteparole du peuple en est l’illustration
Le développement du journalisme littéraire
(avec notamment le succès du roman
feuilleton) rapproche l’écrivain des lecteurs,
favorise l’engouement du public pour les
histoires « ordinaires » et en même temps
contribue à l’émergence du mythe du créateur
démiurge, au « sacre de l’écrivain », selon la
formule de Paul Bénichou.
Le colloque portera sur l’implication concrète
et active des romantiques de la première
génération (Chateaubriand, Lamartine, Hugo,
Sand…) dans la vie politique et sociale de
leur temps. Il y aura lieu de s’interroger, loin
des clichés et des à-priori, sur la façon dont
les écrivains ont perçu et assumé leur rôle.
Leur choix d’être acteurs plutôt que
spectateurs de « la marche des siècles » et la
conviction que leur savoir est utile à la nation
ne les empêchent pas de porter un regard
critique sur le monde, ou d’avoir un rapport
douloureux au réel.
L’engagement de l’écrivain romantique va de
pair avec une vigilance voire une
distanciation qui lui permet de préserver son
intégrité en évitant à la fois le repli sur le
passé et les illusions de l’avenir, les rêveries
nostalgiques et les sauts dans l’inconnu.
La littérature est devenue une haute valeur
culturelle depuis le milieu du XIXe siècle,
entre 1830 et 1850. C'est la thèse de Paul
Bénichou, qui, dans Le Sacre de l'écrivain,
1750-1830, fait l'histoire de la « dignification
de la littérature profane » (p. 13), c'est-à-dire
l'émancipation de la littérature par rapport à
l'autorité de la religion, et même la
substitution de l'autorité de la littérature à
celle de la religion. Les écrivains devinrent
les héros et les saints du xixe siècle. Sartre,
dans Qu'est-ce que la littérature ?, situait le
tournant autour de la Révolution de 1848,
après une transformation du statut de
l'écrivain qui remonte à 1789 : « Le
commerce qu'il entretenait avec la caste
sacrée des prêtres et des nobles le déclassait
réellement [...]. Mais, après la Révolution, la
classe bourgeoise prend elle-même le
pouvoir. » L'écrivain refuse alors de « rentrer
dans le sein de la bourgeoisie », qu'il méprise
après deux cents ans de faveur royale : «
parasite d'une classe parasite, il s'est habitué à
se considérer comme un clerc ». L'écrivain se
situe en dehors des classes. Belle âme, il
refuse l'utilitarisme bourgeois et oeuvre pour
le triomphe spirituel de la Contre-Révolution
: ce sera le grief de Sartre contre Baudelaire
et Flaubert, qui n'ont pas choisi le camp du
progrès en 1848 et après. Bourdieu, lui,
évoque l'« autonomie » croissante de la
littérature à partir de 1850, c'est-à-dire
l'identification de la valeur littéraire à une
17
À partir de février 1848, l'Europe entière connaît, dans un contexte de crise
économique qui dure depuis 1846, une vague révolutionnaire qui mêle, en France
comme en Allemagne, revendications sociales et aspirations politiques. Dans ces
années 1840, Alphonse de Lamartine fait figure d'opposant résolu au régime de
Louis-Philippe, tout en restant en marge des partis organisés. Écrivain célèbre dès
1820 et député depuis 1833, il vient de publier l'Histoire des Girondins dans
laquelle s'affirme son idéal de républicain humaniste. Sa notoriété est telle qu'en
février 1848, son nom s'impose au poste de ministre des Affaires étrangères,
véritable chef du gouvernement dans les faits. C'est donc à la fois le personnage
officiel et le poète de gauche qui s'expriment ici. Il choisit le drapeau tricolore de
la Grande Nation unie sous les armes, victorieuse de l'Europe pendant la
Révolution et l'Empire, et repousse le drapeau de la révolution sociale parce qu'il
fut celui de la guerre civile. Faisant cela, il renouvelle, mais face à la gauche
extrême, le choix effectué, contre les ultras de droite, le 29 août 1830 par LouisPhilippe qui avait remis le drapeau tricolore aux légions parisiennes de la garde
nationale, en lieu et place du drapeau blanc. Il s'agit bien d'un choix exaltant le
caractère avant tout national et non social de la révolution de 1848. Autrement
dit, pour Lamartine, 1848 est une révolution politique d'installation de la
République, la nature populaire de celle-ci étant encore à définir. Cette
indétermination qui recouvre une très large gamme de conceptions, explique
probablement que Lamartine disparaisse de la scène politique assez vite (7 900
voix seulement lors de l'élection à la présidence de la République le 10 décembre
1848).
II. Les causes des romantiques
La cause grecque est un bon exemple de l’engagement politique des intellectuels
romantiques. Les artistes ou les écrivains utilisent leurs moyens d’expression
propres pour manifester leur sympathie à l’égard des insurgés et sensibiliser
l’opinion publique. Ici, c’est la brutalité des Turcs qui est mise en scène. Le
soldat turc symbolise la barbarie, la répression féroce, de même que le cosaque
russe (cf. la Pologne).
Le peintre Eugène Delacroix (1798-1863) est au début de sa carrière quand il
expose ce tableau en 1824. Il utilise toutes les ressources de son style romantique
pour peindre une scène tragique. Le fond du tableau est occupé par des scènes
d’incendie et de destruction. Au premier plan, le mouvement du cavalier turc
contraste avec l’abattement des Grecs, qui attendent avec fatalisme le sort qui
leur est réservé : l’esclavage. La présence de femmes, de vieillards et d’enfants
accentue le pathétique.
En 1828, Victor Hugo (1802-1885) est un jeune écrivain qui a déjà pris parti pour
le romantisme. En 1829, dans Les Orientales, il cherche son inspiration dans
l’exotisme de l’Orient, ici la Grèce en quête d’indépendance. Le poème de Victor
Hugo a pour cadre l’île dévastée : dès les deux premiers vers, le poète évoque
clairement « les Turcs » et « Chio ». Le style de Victor Hugo est ici typique du
romantisme : goût de la virtuosité, recherche de l’effet. Le poète joue d’abord sur
un contraste entre le présent (« tout est ruine… tout est désert ») et le passé (la
douceur de vivre qui caractérisait Chio), pour souligner la barbarie des Turcs.
Surtout, il choisit comme personnage central un enfant, qui devient le symbole de
la cause grecque. Ce procédé est familier à Hugo, qui peint souvent des enfants
héros ou martyrs (Gavroche dans Les Misérables, l’enfant assassiné en décembre
1851 dans le poème Souvenir de la nuit du 4). Le procédé se fonde aussi sur une
certaine réalité historique : les contemporains avaient été étonnés par la
détermination des enfants grecs. Certains participèrent aux grands combats,
d’autres furent envoyés en France et « adoptés » par le Comité grec de Paris. Tout
le poème est bien sûr construit sur le contraste entre la symbolique de
l’innocence, couramment associée aux enfants, et la réponse lapidaire de l’enfant
grec, qui crée un effet de surprise et révèle sa détermination : « Je veux de la
poudre et des balles. »
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
littérature restreinte, une littérature de
littérateurs et pour littérateurs, coupée de la
vie sociale et de la « littérature industrielle »,
comme disait Sainte-Beuve. La date varie
quelque peu, mais tous ces auteurs observent
que les notions de littérature et d'écrivain
prirent, entre 1750 et 1850, les sens qui nous
sont familiers et comme naturels depuis lors.
Nos notions modernes de littérature et
d'écrivain sont toujours celles qui se sont
instituées au début du XIXe siècle.
Ces « populations saines »
Lorsqu'il écrit ses lignes à son ami Busoni, le
11 août 1848, Alfred de Vigny s'éloigne d'un
Paris marqué par la révolution de février et la
reprise en main conservatrice des journées de
juin. La tension sociale, avivée par les
rancoeurs politiques, est très grande dans la
capitale (c'est le sens de « nos malheurs »).
Par comparaison, la campagne paraît à cet
aristocrate qui vient d'échouer en politique un
havre de paix. Aussi, son tableau des ruraux
est idyllique, probablement peint avec les
yeux du ressentiment envers les Parisiens.
Le romantisme, la liberté dans l’art
Le républicain convaincu Victor Hugo fait un
parallèle entre le libéralisme politique et la
liberté artistique. Il y voit une condition de
progrès et d’avancée dans ces deux domaines.
En 1830, en présentant son drame Hernani au
Théâtre français à Paris, Victor Hugo
déclenche une célèbre querelle entre
classiques et romantiques, connue sous le
nom de « bataille d’Hernani », d’où cette
préface en forme de mise en garde. Au début
du xıxe siècle, la plupart des revendications
nationales sont soutenues par des opinions
publiques soulevées et encouragées
par les artistes et penseurs romantiques.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
18
HC – Les peintres dans la société européenne du XIXe siècle
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Anne Martin-Fugier, La Vie d'artiste au XIXe siècle, Editions Louis Audibert, 2007, Hachette Pluriel, 2008
Lorenz Eitner, La Peinture en Europe au XIXe siècle, Bibliothèque des Arts, Hazan, 2007 (Qu'il s'agisse des espagnols ou des
anglo-saxons, de Goya ou de Blake, des romantiques comme Delacroix ou des paysagistes comme Turner, cet ouvrage propose
une série d'études sur les 'phares' de la peinture en Europe, de l'époque des Lumières à l'impressionnisme. S'intéressant
principalement à la France, à l'Angleterre et à l'Allemagne, il néglige le reste de l'Europe, et notamment l'Italie et la Scandinavie,
ne tenant pas entièrement la promesse du titre)
Alain Bonnet, Véronique Coarin, Hélène Jagot, Emmanuel Schwartz, Devenir peintre au XIXe siècle : Baudry, Bouguereau,
Lenepveu, Editions Fage, 2007
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
L’artiste du XIXe siècle jouit d’une notoriété aussi extraordinaire que singulière.
Il est génial ou incompris… Entre deux mythes, l’artiste maudit et l’artiste nanti,
il y a quantité de nuances. Les artistes sont à présent contraints « de se vendre » et
dès lors d’être créatifs, de proposer de l’inédit et de se distinguer des autres. Le
marché de l’art est né. Le premier musée consacré aux artistes vivants s’ouvre à
Paris en 1818. La Ville Lumière fait alors la pluie et le beau temps.
Pour appréhender cette révolution artistique, nous levons le voile sur les
autoportraits, les vues d’atelier, les représentations de modèles, qui témoignent de
la vie et des pratiques artistiques du temps. Les collections du Musée d’Orsay,
particulièrement éloquentes à cet égard, alimentent cette analyse. Les ateliers ou
les résidences d’artistes sont également révélateurs de l’époque ; qu’un peintre,
sculpteur ou écrivain en vienne à désirer un musée à titre posthume est en soi
significatif. Gustave Moreau ou Auguste Rodin livrent, à travers les institutions
qui les célèbrent, nombre d’enseignements. La volonté des artistes de se mettre au
vert et de se regrouper entre eux témoigne aussi d’un nouvel état d’esprit. C’est à
Barbizon, au coeur de la forêt de Fontainebleau, là où Millet, Corot, Monet,
Sisley et tant d’autres ont installé leur chevalet que nous évoquons cette mode
que le XIXe siècle a cultivée.
La Vie d'artiste au XIXe siècle, par Anne Martin-Fugier
L'auteur met en scène tous les protagonistes du monde de l'art : les peintres et les
sculpteurs connus et moins connus, les modèles, les critiques et les aventuriers
qu'étaient parfois les marchands et les collectionneurs. Utilisant correspondances,
mémoires, presse, catalogues d'expositions, romans, elle rend compte des
pratiques des artistes et suit les étapes de leur carrière. Elle se penche sur les
relations passionnelles et complexes qu'entretiennent les artistes avec les
marchands et les collectionneurs. Elle analyse l'évolution des identités, celle de
l'artiste et celle de l'amateur. Que devient au cours du siècle la figure de l'artiste
victime de la société bourgeoise qui s'est constituée à l'époque romantique ?
C'est en 1818 que fut créé à Paris le premier musée consacré aux artistes vivants.
Au cours du XIXe siècle, la diffusion des oeuvres d'art change d'échelle, le
marché de l'art remplace le système académique des Beaux-Arts et, dans la
société en voie de démocratisation, se développent l'intérêt pour l'art et la
consommation de productions artistiques. Des lieux multiples d'exposition, salons
et galeries, succèdent au Salon annuel organisé par l'Etat et, dans les ventes aux
enchères, il apparaît que l'art contemporain (on disait '' moderne '' à l'époque) peut
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4è actuel : « L’âge industriel (7 à 8
heures)
À partir des transformations des techniques
de production de la fin du XVIIIe siècle à
l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits
majeurs du phénomène industriel et de ses
effets géographiques et sociaux. On
décrit idées et mouvements qui analysent ce
phénomène et en déduisent des conséquences
sociales et politiques. Parallèlement sont
tracés les grands traits de l’évolution
culturelle et artistique.
•Documents : Delacroix : La Liberté guidant
le peuple ; Picasso : les Demoiselles
d’Avignon.”
Socle : Nouveau commentaire
« Les principaux courants d’idées politiques,
les grands mouvements sociaux, les grands
traits de l’évolution culturelle et artistique
sont mis en évidence à partir de quelques
exemples significatifs. »
Accompagnement 4è : « L’évolution
culturelle et artistique est liée à l’évolution
économique et sociale sans en être
exclusivement dépendante. Ainsi, la
généralisation de l’alphabétisation coïncide
avec l’ouverture des terroirs mais elle
correspond, aussi, à l’affirmation de l’État.
De même la laïcisation des sociétés n’est pas
un phénomène univoque. Le XIXe siècle
voit, avec le développement des ordres
religieux, des pèlerinages et des missions,
une tentative des Églises pour s’adapter au
monde moderne. De même, dans le domaine
artistique, si la tour Eiffel, édifiée pour
19
valoir de l'argent. Les tableaux des artistes vivants deviennent objets
d'investissement et de spéculation.
, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I.
La peinture européenne du XIXe siècle
De David à Corot, de grands courants ont marqué la peinture française dans cette
première moitié du XIXe siècle. Friedrich et Lessing témoignent du romantisme
allemand tandis que les peintres belges, hollandais et autrichiens sont largement
représentés. Constable, Dadd, Füssli permettent d'évoquer l'Angleterre du XIXe
siècle. Pour les pays scandinaves, Balke, Eckersberg, Købke ou Dahl font
découvrir un art d'une grande sensibilité qui fleurit au Danemark, en Norvège ou
en Suède au XIXe siècle.
Tour à tour sont envisagés les grands peintres néoclassiques et préromantiques
français (David, Gros, Girodet, Gérard, Guérin, Prud'hon), espagnol (Goya),
anglo-saxons (West, Barry, Flaxman, Blake). Les romantiques allemands (Runge,
Friedrich), les paysagistes anglais (Constable, Turner). La grande époque
romantique/réaliste française (Géricault, Delacroix, Corot, Rousseau, Daumier,
Millet, Courbet) et l'impressionnisme, de Manet à Cézanne.
Au XIXe siècle, les peintres de l'Europe entière viennent découvrir en Italie une
nouvelle façon de peindre sur le vif, en extérieur, enfin sans le sujet historique ou
mythologique : c'est le paysage lui-même qui intéresse les peintres. Dans ce
nouvel espace, plus personne ne persiste à fabriquer de la peinture d'histoire.
Dans une Europe échappant à toute signification, marquée par les identités
nationales, il subsiste cependant des différences de styles et de techniques selon
les nationalités de chacun : italiens, allemands, anglais, français, scandinaves,
russes, les peintres apportent quelque chose de nouveau, un regard, une
technique. Tous s'inspirent les uns des autres, et trouvent ensemble une sorte de «
ton italien », caractérisé par des bruns et des verts sombres, éclairés par le bleu du
ciel. C'est le début d'une conscience européenne.
II.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
l’Exposition Universelle de 1889 est bien le
symbole de l’âge du fer, les recherches
artistiques, du romantisme au réalisme, de
l’impressionnisme au cubisme, ont une
évolution propre. Dans ce domaine comme
dans d’autres, il faut éviter la nomenclature.
Quelques exemples bien choisis pour leur
forte charge symbolique (cf. les documents
indiqués par le programme) suffisent pour
initier les élèves à la couleur artistique du
siècle. »
Activités, consignes et productions des élèves
:
Devenir peintre au XIXe siècle : Baudry,
Bouguereau, Lenepveu, par Alain Bonnet,
Véronique Coarin, hélène Jagot, Emmanuel
Schwartz
L'histoire de la formation des artistes a
longtemps été dédaignée par les historiens de
l'art. La formation académique était tenue
pour une entrave au libre développement du
génie de l'artiste. Les conditions pratiques de
l'enseignement, rejetées, sont tombées dans
l'oubli pendant de longues décennies. Depuis
quelques années, ces questions liées aux
conditions de la formation des artistes
reçoivent une attention plus marquée...
Devenir peintre a pour objectif de faire le
point sur les connaissances actuelles en
présentant de façon attractive le parcours des
aspirants artistes depuis les débuts dans
l'atelier jusqu'aux envois de Rome lors de
leur séjour à la Villa Médicis, en suivant plus
particulièrement la formation de trois artistes
académiques : Paul Baudry, William
Bouguereau et Jules-Eugène Lenepveu.
Par leurs parcours professionnels et leurs
places respectives au sein de l'histoire de l'art
du XIXe siècle, ils incarnent l'éclectisme de
l'esthétique académique du milieu du XIXe
siècle et reflètent la variété des stratégies de
carrière envisageables pour un ancien Prix de
Rome. Cet ouvrage permet d'approfondir
l'idéologie et le déroulement du cursus
studiorum académique à travers les parcours
de ces trois artistes et de replacer cette
formation dans les débats contemporains
autour de la peinture d'histoire. Il se clôt sur
une évocation de la mythologie romanesque
du Prix de Rome.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
20
HC – Les expériences politiques en France 1815-1852
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
AGULHON M., 1848 ou l'apprentissage de la République, Paris, Seuil, coll. « Points histoire », 1973.
M. Agulhon, P. Bonte, Marianne. Les visages de la République, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1992.
CARON J.-Cl., la France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, 2004.
J.-P. Chaline, La Restauration 1814-1830, PUF, 6e éd., Paris, 1998.
A. Jardin, A.-J. Tudesq, La France des notables (1815-1848) in Nouvelle histoire de la France contemporaine, vol. 6 et 7, Le
Seuil, coll. « Points Histoire »,1973.
A.-J. Tudesq, L’Élection présidentielle de Louis Napoléon Bonaparte, 10 décembre 1848, Armand Colin, coll. «Kiosque», 1965.
P. Lévêque, Histoire des forces politiques en France, 1789-1880, Armand Colin, coll. « U », Paris, 1992.
P. Rosanvallon, Le Sacre du citoyen, Gallimard, Paris, 1992.
P. Rosanvallon, Le Moment Guizot, Gallimard, Paris, 1985.
Id., La Monarchie impossible : les chartes de 1814 et de 1830, Fayard, Paris, 1994.
MOLLIER J.-Y., REID M., YVON J.-Cl. (sous la dir.), Repenser la Restauration, Paris, Nouveau monde, 2005.
J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, Flammarion, Paris, 1979.
J. Metellus, M. Dorigny, De l’esclavage aux abolitions, éditions du Cercle d’art, Paris, 1998.
M. Morabito, D. Bourmaud, Histoire constitutionnelle et politique de la France (1789-1958), Montchrestien, Paris, 1996.
M. Offerlé, Un Homme, une voix. Histoire du suffrage universel, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1993.
M. Pastoureau, Les Emblèmes de la France, éditions Bonneton, Paris, 1998.
S. Rials, Textes politiques français, PUF, coll. « Que sais-je ?», n° 2 171, Paris, 1987.
A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856 [nombreuses rééditions].
200 ans de code civil. Des lois qui nous rassemblent, exposition organisée par l’Assemblée nationale et la Cour de cassation,
Dalloz, Paris, 2004.
1848. Actes du colloque international du cent cinquantenaire, tenu à l’Assemblée nationale à Paris, les 23-25 février 1848, sous la
dir. de J.-L. Mayaud, Créaphis, 2002.
C. Georgel, 1848, la République et l’art vivant, Fayard/Réunion des Musées nationaux, Paris, 1998.
C. Ledré, La Presse à l’assaut de la monarchie, Armand Colin, coll. « Kiosque », 1960.
H. Néant, La Politique en France, XIXe-XXe siècle, Hachette, coll. « Carré Histoire », Paris, 2000.
Les Révolutions de 1848. L’Europe des images : une République nouvelle, Assemblée nationale, Paris, 1998.
Documentation Photographique et diapos :
La France 1814-1851 - n°7032 (1995) / Francis Démier
Revues :
Cent cinquantenaire de l'Abolition de l'esclavage, Dossier H&G, 365 janvier février 1999
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Préparée par l’expansion des idées des Lumières au 18e siècle, la Révolution
française ouvre la voie à diverses expériences politiques en France, de la
monarchie constitutionnelle à la république en passant par l’Empire. Entraînés
dans une révolution qui a du mal à s’achever, les Français découvrent et
appliquent des principes politiques parfois opposés, la question du droit de vote et
de la représentativité du peuple étant au coeur de bien des débats.
La période 1815-1851 est une période fondamentale au cours de laquelle la
France expérimente plusieurs formes de régime (royauté plus ou moins
modernisée, république), hésite entre suffrage censitaire et suffrage universel,
s’habitue progressivement au parlementarisme, etc.
La question clé est bien celle de l’héritage révolutionnaire : quelle traduction
concrète faut-il donner au principe de la souveraineté nationale ?
Les études récentes insistent sur la monarchie de Juillet, au cours de laquelle la
question sociale est posée de plus en plus clairement. Elles privilégient aussi une
histoire des représentations, des symboles, des lieux de mémoire.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 2nde : « La Révolution et les expériences
politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes
révolutionnaires
– Héritages conservés, héritages remis en
cause
Cette question est délibérément centrée sur la
France avec un triple objectif :
– faire percevoir la rupture fondamentale
représentée par cette période ;
– évoquer les grands repères chronologiques,
les moments forts et les acteurs de cette
période ;
– dégager un bilan des bouleversements
provoqués, en particulier dans les domaines
politiques et sociaux.
21
Socle : Nouveau commentaire
« La succession des régimes au cours de cette période manifeste la difficulté de
parvenir à une stabilité politique jusqu’à l’enracinement de la IIIe République
malgré les crises violentes qui ont marqué ses origines. »
BO 4e futur : « L’ÉVOLUTION POLITIQUE DE LA FRANCE, 1815-1914
La succession rapide de régimes politiques jusqu’en 1870 est engendrée par des
ruptures : révolutions, coup d’État, guerre. Les régimes politiques sont
simplement caractérisés ; le sens des révolutions de 1830 et de 1848
(établissement du suffrage universel et abolition de l’esclavage) est précisé.
L’accent est mis sur l’adhésion à la République, son oeuvre législative, le rôle
central du Parlement : l’exemple de l’action d’un homme politique peut servir de
fil conducteur.
Situer dans le temps
- Les régimes politiques successifs de la France de 1815 à 1914
- L'abolition de l'esclavage et suffrage universel masculin en 1848 »
Accompagnement 1ère : « Rappel :
Les questions des années 1848-1851 : démocratie sociale, articulation entre
représentation politique et suffrage universel, entre autorité et démocratie, entre
exécutif et législatif et entre Paris et province constituent le point de départ ainsi
que les enjeux durables. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. La monarchie constitutionnelle en France (1815-1830)
Pourquoi la Restauration des Bourbons est-elle impossible après 1815 ?
Une tentative de conciliation entre l’Ancien Régime et la Révolution
Le 4 juin 1814 octroie une Constitution monarchique, qui prend le nom de «
Charte », composée d’un préambule et de 76 articles. Le préambule marque la
volonté de restauration monarchique, dans la continuation de l’Ancien Régime :
la réaffirmation du droit divin (« la divine Providence »), l’affirmation de
l’autorité royale (« bien que l’autorité tout entière résidât dans la personne du roi
», « le libre exercice de notre autorité royale »). Malgré la condamnation de la
Révolution et de l’Empire (« de funestes écarts », « nous voudrions qu’on pût les
effacer de l’histoire »), Louis XVIII se rend compte qu’un retour à la monarchie
absolue est impossible : la « Charte constitutionnelle » montre la prise en compte
des changements ayant affecté le pays et la volonté des Français (« Une Charte
constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel du royaume, nous l’avons
promise et nous la publions », « nous avons accordé, fait concession et octroi à
nos sujets de la Charte constitutionnelle qui suit »)
En rétablissant la monarchie de droit divin (« divine Providence »), en rejetant le
principe de souveraineté nationale (« octroi de la Charte »), et en définissant le
peuple non pas comme des citoyens mais comme des « sujets », la Restauration
renoue avec des principes de l’Ancien Régime.
Les institutions de la monarchie constitutionnelle prévue par la Charte de 1814
Les pouvoirs ne sont pas séparés : le roi détient le pouvoir exécutif et une partie
du pouvoir législatif (il a l’initiative des lois et c’est lui qui les promulgue).
L’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas assurée, car les juges sont
nommés par le roi. Le régime n’est pas parlementaire car les ministres ne sont
responsables que devant le roi. Deux chambres, inspirées du modèle anglais, ont
le pouvoir de voter les lois. L’une d’elles est élue au suffrage censitaire : ce
régime n’est représentatif qu’en apparence. Les deux Assemblées détiennent
cepepndant des compétences importantes : elles votent les lois et l’impôt. Certes,
les élections de la Chambre des députés se font au suffrage censitaire, mais elles
Les expériences politiques qui se suivent
entre 1789 et 1851 ne doivent pas donner lieu
à une étude exhaustive, mais il convient de
définir les principaux régimes (monarchie
constitutionnelle, république, empire) et
d'amener les élèves à réfléchir sur la façon
dont les principes fondamentaux de la
Révolution ont été conservés ou remis en
cause durant la première moitié du XIXe
siècle.
Une attention particulière est accordée à
l'exclusion persistante des femmes de la vie
politique et à la difficile abolition de
l'esclavage. »
BO 4e actuel : « La France de 1815 à 1914 (4
à 5 heures)
L’accent est mis sur la recherche, à travers de
nombreuses luttes politiques et sociales et de
multiples expériences politiques, d’un régime
stable, capable de satisfaire les aspirations
d’une société française majoritairement
attachée à l’héritage révolutionnaire.
•Repères chronologiques : la monarchie
constitutionnelle en France (1815-1848) ; les
révolutions de 1830 ; les révolutions de 1848
; la Seconde République (1848-1852) ;
•Documents : Delacroix : La Liberté guidant
le peuple ; Victor Hugo : extraits des
Châtiments et des Misérables. »
Activités, consignes et productions des élèves
:
« Renouer la chaîne des temps »
Louis XVIII analyse l’histoire de France
depuis 1789 d’une manière assez ambiguë, ou
plutôt assez habile. À la première lecture, il
présente la Révolution comme une fâcheuse
parenthèse qu’il faut refermer au plus vite. Il
semble vouloir littéralement
gommer tout ce qui s’est passé depuis la mort
de son frère Louis XVI en 1793 : « En
cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps,
que de funestes écarts avaient interrompue,
nous avons effacé de notre souvenir, comme
nous voudrions
qu’on pût les effacer de l’histoire, tous les
maux qui ont affligé la patrie durant notre
absence ». En se plaçant sous l’égide de
la « divine Providence », en affirmant « les
droits et les prérogatives de notre couronne »,
Louis XVIII semble vouloir revenir
au temps de l’Ancien Régime. Mais une
lecture plus fine de ce texte montre que Louis
XVIII sait prendre en compte les
évolutions de la société française. Il le fait en
se plaçant dans la continuité des « rois nos
prédécesseurs », « depuis un demisiècle
», ce qui revient à présenter Louis XV et
Louis XVI comme des réformateurs. Même si
cette présentation est contestable,
l’important ici est la volonté affirmée de tenir
compte des «effets des progrès toujours
croissants des Lumières» et des « rapports
nouveaux que ces progrès ont introduits dans
la société ». Certes ces progrès ont entraîné
22
sont un premier pas vers un régime représentatif : la Chambre des députés
représente la nation, et sa légitimité peut contrecarrer celle du roi.
On ne peut pas parler de séparation des pouvoirs, parce que le roi détient le
pouvoir exécutif et une part importante du pouvoir législatif. Le roi a en effet seul
l’initiative des lois et il a aussi la possibilité de les suspendre. Du coup, les
assemblées n’ont que le pouvoir de voter les lois qu’on leur propose, sans être
assurées qu’elles ne seront pas suspendues. Par ailleurs, l’une des deux
assemblées, la Chambre des pairs, est nommée par le roi. L’exécutif contrôle
aussi le pouvoir judiciaire, mais l’organigramme ne permet pas d’aller plus loin
(le fait que l’exécutif nomme les juges n’est pas forcément en contradiction
avec l’indépendance de la justice).
Ces institutions permettent cependant à la vie politique de s’organiser. On ne peut
pas parler stricto sensu de régime parlementaire, puisque le gouvernement n’est
pas explicitement responsable devant la Chambre des députés. Mais celle-ci
dispose d’un droit d’adresse et, dans la pratique, on a pris l’habitude de changer
de ministres quand ceux-ci ne disposaient plus d’une majorité parlementaire.
Bien sûr, il faut rappeler que la Chambre des députés, élue au suffrage censitaire,
ne représente qu’une infime minorité de la population.
Les débuts du débat parlementaire
Les propos du député libéral montrent une évolution vers un régime
parlementaire : alors que la Charte stipule que « les ministres sont uniquement
responsables devant le roi », la chambre des députés tend à renforcer son contrôle
sur le ministère. Le vote du budget est l’une des prérogatives de la Chambre des
députés. Le vote des dépenses se transforme souvent en une suite
d’interpellations et permet d’exercer une surveillance sur les actes du
gouvernement. Pour les libéraux, le refus du budget est légitime : ils y voient le
seul remède contre l’obstination et l’arbitraire d’un gouvernement. Benjamin
Constant écrit en 1819 : « le budget est l’arme du peuple contre tous les abus,
politiques aussi bien que financiers ». Pour les ultras, le refus du budget constitue
un déni de justice, un véritable coup d’État.
La revanche de l’ancienne France, le « milliard des émigrés »
Effacer les traces de la Révolution consiste d’abord à condamner les actes
commis à l’encontre des propriétaires dont les biens ont été confisqués par la
Révolution : c’est ce qu’il fait avec la loi d’indemnisation du 27 avril 1825. Cette
caricature dénonce la loi du 27 avril 1825 qui prévoit de distribuer 30 millions (en
rente sur 5 ans, soit 1 milliard en capital) aux propriétaires ayant été dépossédés
pendant la Révolution. La cour, le clergé, la noblesse et l’armée se servent dans le
coffre de la richesse nationale. Le caricaturiste dénonce un retour aux privilèges
de l’Ancien Régime. On peut parler d’une victoire de la contre-révolution. Cette
loi vise à indemniser ceux qui avaient été dépossédés par la Révolution : c’est une
manière de restaurer l’ordre aristocratique de l’Ancien Régime. Parmi les plus
importants bénéficiaires de cette loi, on trouve le duc d’Orléans et La Fayette.
La tentation du pouvoir absolu, la préparation des ordonnances de 1830
De plus, l’attitude de Charles X en juillet 1830 s’explique en grande partie par le
traumatisme subi lors de la Révolution. Ce qui explique la Révolution, selon
Charles X, c’est le manque de fermeté et d’autorité de son frère Louis XVI (« la
première concession de Louis XVI fut le signal de sa perte »). Charles X a une
interprétation très restrictive de la Charte de 1814 : alors que celle-ci laisse la
possibilité d’évoluer vers une monarchie parlementaire, l’utilisation abusive de
l’article 14 montre la dérive vers une monarchie autoritaire. De plus, la
suspension de la liberté de la presse et la nouvelle loi électorale sont décidées
sans le vote des Assemblées, ce qui est contraire à la Charte de 1814.
Au printemps 1830, les tensions entre le roi et la Chambre se concentrent sur la
question de la responsabilité politique des ministres devant la Chambre. En mars
1830, 221 députés utilisent leur droit d’adresse pour indiquer que le ministère n’a
pas la confiance des députés. Charles X considère qu’il s’agit d’une remise en
cause de la monarchie elle-même : l’obliger à changer de ministres contre sa
volonté est une violation de la Charte et des prérogatives royales. Il dissout alors
l’Assemblée. Étant à nouveau désavoué aux élections de juillet 1830, qui
aboutissent au renforcement de l’opposition, il s’engage dans un véritable bras de
fer, se croyant en position de force après la prise d’Alger du 5 juillet 1830. La
publication des ordonnances le 25 juillet déclenche les journées révolutionnaires
de « graves altérations » (c’est-à-dire les
violences révolutionnaires) mais ils
contenaient un bon principe : la monarchie
tempérée (cf. «Charte constitutionnelle» et «
Constitution libre et monarchique »).
Pour désigner les Français, Louis XVIII
emploie trois expressions : « nos sujets », « le
peuple auquel nous sommes fiers de
commander» et «nos peuples». Ces
expressions renvoient plutôt à la monarchie
d’Ancien Régime et au principe de légitimité
dynastique, par opposition à la souveraineté
nationale. Mais, là encore, derrière la
phraséologie traditionnelle, qui rassure les
légitimistes, Louis XVIII annonce une
monarchie modernisée.
Un retour aux fastes de l’Ancien Régime ?
Charles accède au trône en septembre 1824 et
se fait sacrer à Reims le 29 mai 1825,
reprenant la symbolique du droit divin.
Cette cérémonie a choqué une partie de
l’opinion française, parce qu’elle renouait
d’une façon assez maladroite avec le rituel de
l’ancienne monarchie. Par ce geste, Charles
X semblait annuler toutes les concessions que
Louis XVIII avait faites au monde
«moderne». Lors de l’avènement de Louis
XVI déjà, le sacre avait été remis en cause, et
Turgot avait suggéré en vain au roi une
cérémonie simplifiée à Paris. Quant à Louis
XVIII, il avait fait annuler les préparatifs de
son sacre à l’automne 1814, jugeant la
cérémonie désuète et coûteuse. Charles X est
représenté comme les monarques de l’Ancien
Régime : on retrouve les mêmes symboles
politiques (couronne, sceptre, fleur de lys),
les mêmes symboles militaires (croix de
l’ordre du Saint-Esprit autour du cou), les
mêmes symboles religieux (la main de
Justice, les gants qui en font l’équivalent d’un
évêque).
Le tableau d’Hippolyte Lecomte montre que
plusieurs catégories de la population
parisienne, équipées et armées d’une façon
assez hétéroclite, participent à l’insurrection
de 1830. On peut voir des bourgeois,
reconnaissables à leur chapeau haut de forme
et à leur redingote, et même une dame de la
bonne société, au premier plan à droite. On
repère aussi des ouvriers, vêtus de leur blouse
(les deux personnages au premier plan à
gauche). La « jeunesse des écoles » est
incarnée par le personnage central qui lève
son épée, un polytechnicien. Les uniformes
sont soit ceux des nombreux soldats ayant
déserté l’armée, soit ceux de la Garde
nationale. Cette milice bourgeoise, supprimée
par Charles X en 1827, se reconstitua en effet
spontanément à Paris lors des «Trois
Glorieuses ».
Le « roi-citoyen »
Louis-Philippe apparaît en uniforme de
23
qui mettent fin au régime.
Les raisons de l’échec de la Restauration des Bourbons après 1815 sont tant
sociales et culturelles que politiques :
– les facteurs politiques sont liés à un refus de plus en plus marqué de l’héritage
révolutionnaire : le rejet de la notion de « souveraineté nationale » dans la Charte
de 1814, le refus de l’évolution vers une monarchie parlementaire ;
– les facteurs sociaux et culturels sont liés d’abord à une conception de la société
héritée de l’Ancien Régime, par ordres, mais qui ne prend pas en compte les
aspirations des classes sociales, en particulier des classes moyennes chez
lesquelles les legs des idéaux révolutionnaires sont ancrés. De même, la
Restauration n’a pas pris en compte l’évolution des mentalités, en particulier le
déclin du fait religieux. Cette coupure entre le régime et le pays explique
pourquoi cette greffe de la dynastie des Bourbons n’a pas pris.
II. Les révolutions de 1830 et la monarchie constitutionnelle en France (18301848)
AUX ORIGINES DE LA CRISE
Les 221 députés reprochent au gouvernement de ne pas prendre en compte
l’opinion de la majorité parlementaire : « Une défiance injuste des sentiments et
de la raison de la France est aujourd’hui la pensée fondamentale de
l’administration ». Cette attitude est qualifiée à la fin de l’extrait de « despotisme
». Le gouvernement ultra du prince de Polignac est en effet en décalage complet
avec la majorité libérale de la Chambre des députés. Les 221 s’adressent à
Charles X en des termes extrêmement déférents («Sire», «Votre Majesté», «votre
noble coeur »), en protestant de leur « loyauté » et de leur « dévouement » et en
feignant de croire que le roi n’est pas en accord avec son gouvernement. Cette
présentation mesurée des choses vise bien sûr à atténuer quelque peu la
protestation, à lui donner un caractère non révolutionnaire, à rallier les modérés.
Les 221 défendent le programme de la monarchie constitutionnelle et
parlementaire, selon une interprétation libérale de la Charte de 1814. Pour eux, la
Charte « consacre, comme un droit, l’intervention du pays dans la délibération
des intérêts publics », essentiellement par le droit d’adresse accordé à la Chambre
des députés. La base du système politique est selon eux le « concours permanent
des vues politiques de votre gouvernement avec les voeux de votre peuple »,
c’est-à-dire une forme d’accord entre le ministère et le Parlement. C’est une
façon de se réclamer d’un régime parlementaire. La majorité des députés (221 sur
402) estime ainsi parler pour la France, dans la logique du régime représentatif.
On peut souligner qu’ils ne représentent pas l’ensemble du peuple, puisqu’ils ont
été élus par une minorité fortunée, en raison du suffrage censitaire.
On peut considérer les ordonnances du 25 juillet comme une politique illégale, un
coup d’État, essentiellement parce que l’une d’entre elles suspend la liberté de la
presse, garantie par l’article 8 de la Charte. Sinon, l’article 14 de la Charte
donnait bien à Charles X le droit de légiférer par ordonnances et il disposait aussi
du droit de dissolution.
LES ACTEURS DE LA RÉVOLUTION
27-29 juillet 1830 : révolution des Trois Glorieuses
La presse joue un rôle considérable dans ces événements. En l’absence de partis
politiques modernes, les journaux sont alors les seuls guides de l’opinion et leurs
comités de rédaction constituent de véritables états-majors politiques. Le signal
de la révolte est donné par la « protestation des journalistes » le 27 juillet 1830 :
considérant l’atteinte à la liberté de la presse comme un acte illégal, les
journalistes décident d’entrer en résistance en faisant quand même paraître leurs
journaux et ils appellent la population à les soutenir. L’intervention des forces de
l’ordre contre ces journaux récalcitrants donne au « coup d’État » du
gouvernement une dimension concrète, emblématique. Adolphe Thiers est en
pointe dans cette révolution des journalistes. Il a lancé le 3 janvier 1830, avec
Armand Carrel et Auguste Mignet, le quotidien Le National. Le programme de ce
nouveau journal est l’opposition libérale à Charles X, programme ainsi résumé
par Thiers : « Enfermer les Bourbons dans la Charte, de manière à les mettre dans
la nécessité de sauter par la fenêtre» ! C’est dans les locaux du National que fut
rédigée la protestation des journalistes. Malgré la saisie de son imprimerie,
l’équipe du National diffuse la protestation des journalistes et des tracts appelant
au soulèvement. Thiers joue ensuite un rôle décisif dans la fin de la Révolution,
lieutenant-général, rappelant ainsi ses
combats au sein des armées de la République
en 1792. Posant sa main droite sur la Charte
de 1830, il fait le serment de la respecter.
Le régime de Louis-Philippe, en organisant le
« retour des cendres» de Napoléon, espère
canaliser à son profit la légende
napoléonienne, redorer son blason par une
politique d’affirmation nationale. Thiers, qui
mène une politique étrangère cocardière, est à
l’origine de ce projet (c’est lui, déjà, qui a
inauguré en 1836 l’Arc de Triomphe à Paris).
Après le retour en France de la frégate La
Belle Poule, les restes de Napoléon furent
conduits aux Invalides lors d’une grandiose
cérémonie à laquelle participa le roi LouisPhilippe (décembre 1840).
La révolte des canuts
Cet épisode révèle d’une part l’émergence de
la question sociale dans une France qui entre
dans l’ère industrielle, d’autre part la montée
du sentiment républicain dans certaines
catégories de la population (Lyon apparaît
sous la monarchie de Juillet comme l’un des
principaux foyers républicains). La
monarchie de Juillet réprime sévèrement les
émeutes des canuts lyonnais, en faisant
recours à l’armée pour les mater. La
répression brutale face aux revendications
sociales et politiques et le refus de toute
réforme politique témoignent de l’évolution
conservatrice de la monarchie de Juillet.
L’esclavage est aboli le 27 avril 1848. C’est
le député de la Martinique et de la Guyane,
Victor Schoelcher, qui prépare le décret
d’abolition de l’esclavage. Sur ce tableau, sur
lequel on distingue de gauche à droite les
républicains de métropole, les anciens
esclaves et les colons, le peintre magnifie
l’esprit de fraternité de la Seconde
République : le représentant de la République
(dont les idéaux d’égalité, de liberté et de
fraternité sont rappelés par le drapeau
tricolore) annonce l’abolition de l’esclavage
tandis que les anciens esclaves se redressent
et expriment leur reconnaissance à leurs
anciennes maîtresses.
Mais les relations entre les Noirs et les
Blancs ne sont pas vraiment caractérisées par
l’égalité. Les Blancs, vêtus de leurs habits
européens, sont dans une position de
supériorité par rapport aux Noirs, à moitié
nus et formant une masse plutôt indistincte.
Les planteurs sont clairement dans une
position dominante, comme le montre
l’attitude maternelle des deux femmes devant
lesquelles une ancienne esclave s’agenouille
ou l’air altier de l’homme qui se tient à droite
du couple central d’esclaves libérés. La
société coloniale est toujours en place,
comme en témoigne aussi la présence
des marins sur le tableau. De plus, ce tableau
24
en proposant la solution orléaniste.
LA SOLUTION POLITIQUE
Thiers refuse d’instaurer la république, parce qu’elle « nous exposerait à
d’affreuses divisions » et qu’elle « nous brouillerait avec l’Europe ». Selon lui, le
peuple français n’est pas prêt à accepter un régime républicain, trop lié aux
souvenirs de la Terreur en 1793 et qui liguerait contre la France l’Europe
monarchique. Thiers qualifie le duc d’Orléans de « roi citoyen », parce que celuici a prouvé son attachement au drapeau tricolore en combattant dans les armées
révolutionnaires. Fils aîné de « Philippe Égalité» (le duc d’Orléans qui vota la
mort de son cousin Louis XVI), Louis-Philippe a en effet servi sous les ordres du
général Dumouriez à Valmy et Jemmapes. Il a suivi ensuite Dumouriez dans sa
trahison, mais n’a pas rejoint les armées contre-révolutionnaires. Il est mal vu à la
fois des républicains et des légitimistes et incarne une solution intermédiaire, la
monarchie libérale. Partisan déclaré de la souveraineté nationale, le duc d’Orléans
accepte la « Charte comme nous l’avons toujours entendue et voulue », c’est-àdire un vrai régime parlementaire. La tendance politique qui n’a pas obtenu ce
qu’elle attendait de la révolution de 1830, c’est la tendance républicaine. Les
sociétés secrètes républicaines, qui regroupaient, à Paris, bourgeois progressistes,
étudiants et ouvriers, ont pourtant joué un grand rôle dans l’insurrection.
La monarchie de Juillet rompt complètement avec les idéaux de l’Ancien Régime
: c’est une monarchie parlementaire, qui repose sur les valeurs libérales (liberté
de conscience, liberté d’opinion, liberté de la presse…) issues de la Révolution de
1789. Étant issu d’une insurrection populaire, le nouveau régime a amorcé des
réformes politiques et sociales auxquelles les insurgés de 1830 aspirent.
Octroyée en 1814 par Louis XVIII, puis modifiée en 1830 par Louis-Philippe, la
Charte constitue le socle sur lequel ces deux monarques tentent d’établir une
monarchie constitutionnelle. Le texte de 1830 comporte des avancées libérales :
la religion catholique n’est plus la religion officielle (art. 6), la liberté de la presse
et d’opinion est restaurée (art. 7, « la censure ne pourra jamais être rétablie »), le
pouvoir des Chambres est renforcé (art. 13-14-15).
Les modifications par rapport à la Charte de 1814 vont dans le sens de la
démocratie pour plusieurs raisons :
– Le suffrage censitaire est élargi ;
– Le roi n’a plus le pouvoir de suspendre les lois (ce sont les ordonnances de
Charles X qui ont provoqué la révolution des Trois Glorieuses) ;
– Le pouvoir parlementaire est renforcé : les deux chambres partagent désormais
avec le roi l’initiative des lois.
On peut ajouter à ces progrès la suppression de l’hérédité de la pairie, qui avait un
caractère archaïque, rappelant les privilèges de l’Ancien Régime.
Des progrès restent à accomplir :
– Le suffrage est toujours censitaire (environ 250 000 électeurs en 1848 pour 8
millions d’hommes âgés de 25 ans ou plus) ;
– Le régime parlementaire n’est toujours pas établi clairement (principe de la
responsabilité du gouvernement devant le Parlement).
Chef de gouvernement de 1840 à 1848, Guizot se montre un ardent défenseur du
suffrage censitaire. Il se montre hostile à toute réforme démocratique, qui
aboutirait selon lui à la remise en cause de l’ordre bourgeois et libéral sur lequel
repose la monarchie de Juillet. Le principe de souveraineté populaire, issu de la
Révolution, n’a pour lui aucune légitimité : le suffrage n’est pas un droit, mais
une fonction qui repose sur une capacité, acquise par l’enrichissement et
l’éducation.
À l’inverse, François Arago (1786-1853), comme les autres républicains (LedruRollin…), critique le système électoral qui repose sur le suffrage censitaire, et se
prononce en faveur de son élargissement. C’est pourquoi il participe au
lancement du Journal de la réforme électorale. Arago retourne contre le régime
ses principes fondateurs, avec un raisonnement quasiment scientifique. Il part de
la souveraineté nationale (« Il faut revenir au principe de la souveraineté
nationale : c’est le principe de notre gouvernement, il est inscrit dans la Charte »),
pour montrer qu’elle est en fait bafouée par le suffrage censitaire (« Je soutiens,
moi, que le principe de la souveraineté populaire n’est pas en action dans un pays
où, sur quarante hommes, il n’y a qu’un électeur »). Pour lui, l’application du
principe de souveraineté nationale implique nécessairement le suffrage universel.
Il retourne aussi contre le régime l’idée selon laquelle il doit y avoir un lien entre
occulte un certain nombre de réalités
historiques : d’abord le mouvement
abolitionniste est international et se traduit
dès 1833 par l’abolition de l’esclavage en
Angleterre (la Seconde République n’est
donc pas pionnière en ce domaine) ; de plus,
les multiples insurrections des esclaves
montrent qu’ils ont joué un rôle actif dans le
combat abolitionniste. Ce tableau donne aussi
une image fausse des rapports entre maîtres et
esclaves dans le contexte abolitionniste : les
révoltes des esclaves se sont traduites par la
montée des violences visant à les réprimer.
C’est donc davantage dans un esprit de
discorde que de fraternité que s’est déroulé
cet événement.
La première élection au suffrage universel
Il s’agit de l’élection législative organisée en
avril 1848. Tocqueville nous décrit cette
élection dans son village (éponyme) du
département de la Manche. L’importance de
cette élection est signalée par la forte
mobilisation des électeurs : « toute la
population mâle au-dessus de vingt ans ». Ce
texte montre néanmoins le rôle encore
prépondérant des notables qui, à l’instar de
Tocqueville, encadrent ces premières
élections. Il faudra plusieurs décennies avant
que le suffrage universel ne remette en cause
cette influence.
Le 23 avril 1848 : la « pieuse cérémonie » du
suffrage universel
Lamartine, aristocrate romantique passé du
légitimisme à l’idée républicaine, incarne
bien l’illusion lyrique des premières
semaines de la IIe République. Cet extrait est
typique de « l’esprit de 48 ». En évoquant la
« pieuse cérémonie » du suffrage universel,
qui eut lieu d’ailleurs le dimanche de Pâques
(allusion à la sortie de la messe), il fait de la
politique un acte quasi
religieux. De nombreux termes du texte sont
empruntés au vocabulaire religieux : «
populations recueillies », « recueillement
», «repentir», etc. La République et le
patriotisme sont une « unanime inspiration du
bien ». Une autre caractéristique de
« l’esprit de 48 » est l’évocation d’un peuple
unanime : dans les campagnes, les paysans se
laissent guider par les notables ; dans les
villes, riches et pauvres se rendent ensemble
au bureau de vote. Le 24 février 1848,
Lamartine déclare que le gouvernement
provisoire est un «gouvernement qui suspend
ce malentendu qui existe entre les différentes
classes ».
Le suffrage universel
Sur cette lithographie, Sorrieu a représenté
Ledru-Rollin (en exil depuis 1849), le père du
suffrage universel, adossé à un arbre de la
Liberté, en train de contempler l’allégorie de
la République tenant dans la main gauche les
25
le droit de vote et la contribution fiscale. Il souligne en effet que c’est la masse
des citoyens exclus du suffrage qui paie la plus grosse partie des impôts.
Portée au pouvoir par la bourgeoisie libérale, la monarchie de Juillet a échoué
pour des raisons tant politiques que socio-économiques :
– la confrontation avec les républicains et leurs revendications démocratiques
pousse le régime dans le conservatisme social qui ne lui permet pas d’avoir une
assise populaire ;
– le refus de prendre en compte la question sociale et l’alliance du roi avec la
bourgeoisie sont deux éléments qui sont déterminants pour expliquer l’émergence
de nouvelles idéologies et la remise en cause du régime en cas de crise
économique.
III. Les révolutions de 1848 et la Seconde République en France (1848-1851)
24-25 février 1848 : révolution de février ; causes : le refus des réformes par la
monarchie de Juillet, la crise économique et sociale ; conséquence : instauration
de la IIe République.
Une République sociale ?
On peut dire que le gouvernement reconnaît le droit au travail dans la mesure où,
le 25 février 1848, «il s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail».
Mais cette déclaration n’est pas vraiment suivie d’effets. L’extrême gauche
républicaine réclame en vain la création d’un ministère du Travail (seulement
fondé en 1906 par Clemenceau). Le gouvernement se contente de nommer une «
commission du gouvernement pour les Travailleurs», qui siège au palais du
Luxembourg sous la présidence de Louis Blanc et de l’ouvrier Albert. Le
gouvernement provisoire ouvre des ateliers nationaux (6 mars 1848) pour donner
du travail aux chômeurs, nombreux dans la capitale. Ces ateliers nationaux ne
sont en fait que des grands chantiers de charité, et non l’organisation du travail
réclamée par Louis Blanc, supervisés par le ministre Marie (représentant des
républicains modérés fidèles au libéralisme). Tous les ouvriers sans travail y sont
admis, avec un salaire de 2 francs par jour. Les ateliers sont organisés sur un
modèle militaire (lieutenances, brigades, escouades), mais avec des chefs élus.
Au moment de leur dissolution, les ateliers nationaux employaient 130000
ouvriers (pour un coût de plus de 7 millions de francs). C’est la décision de
mettre un terme à cette expérience qui suscita l’insurrection parisienne de juin
1848. Les ateliers nationaux étaient considérés comme un foyer d’agitation et
coûtaient cher à l’État, qui avait dû augmenter de 45 % les impôts directs (c’est «
l’impôt des 45 centimes», sous-entendu par franc d’imposition, très impopulaire
dans les campagnes). Rapidement, des oppositions se lèvent, mettant en avant
leur coût exorbitant (« quarante-cinq millions par an », « une dilapidation
quotidienne et flagrante »). Des arguments d’ordre moral (« l’oisiveté y est
devenu une doctrine ») et politique (« foyer actif de fermentation menaçante »)
sont également avancés. Le décret du 21 juin conduit à la dissolution des ateliers
nationaux.
Deux raisons expliquent l’évolution de la position des élites politiques : d’une
part, le coût économique des mesures sociales prises au printemps 1848 (ateliers
nationaux…) ; d’autre part, la peur sociale après les massacres de juin 1848.
La Constitution du 4 novembre 1848
Cette constitution est ambiguë. Elle semble plutôt relever du régime présidentiel.
En effet, le suffrage universel élit directement une Assemblée unique et un
Président, qui ont donc une légitimité équivalente. Le Président ne dispose pas du
droit de dissolution, qui est un élément constitutif du régime parlementaire. Les
ministres sont nommés par le Président, mais la question de leur responsabilité
n’est pas clairement réglée. «Le Président de la République, les ministres, les
agents et dépositaires de l’autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui
les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration » (art. 68).
On ne sait pas ici s’il s’agit d’une responsabilité pénale individuelle, ou d’une
responsabilité politique collective. Dans un régime parlementaire, les ministres
sont collectivement responsables devant le Parlement; dans un régime
présidentiel, chaque ministre est responsable devant le Président. La pratique
politique de la IIe République fut d’abord parlementaire (ministres choisis dans la
majorité parlementaire), puis le Président Louis Napoléon Bonaparte décida en
1849 que les ministres étaient responsables devant lui seul.
L’élection présidentielle du 10 décembre 1848
LE PRINCIPE DE L’ÉLECTION AU SUFFRAGE UNIVERSEL
Droits de l’homme gravés dans le marbre et
dans la main droite un flambeau éclairant la
scène. Un ouvrier, symbolisant le peuple,
tient à ses côtés l’urne : la corne d’abondance
à ses pieds montre les bienfaits de la
République. À gauche, les citoyens électeurs,
toutes classes confondues, s’approchent de
l’urne pour y déposer leur bulletin. À droite,
ceux du parti de l’ordre, à la tête desquels se
trouvent Montalembert et Thiers ainsi que
des officiers et des membres de l’Église,
viennent de restreindre le suffrage universel
par la loi du 31 mai 1850.
Les journées de juin 1848
Ernest Meissonier (1815-1891), qui peint cet
épisode, n’est pas révolutionnaire : en 1848,
il est capitaine d’artillerie de la Garde
nationale. Pourtant, ce tableau montre bien la
violence de la répression qui s’abat sur les
insurgés. Au premier plan, derrière un tas de
pavés amoncelés, toute une série de morts
aux couleurs du drapeau tricolore sont
tombés sous les balles. Derrière eux, la rue
déserte et silencieuse s’étire vers le fond : un
fossé s’est creusé entre la République et le
peuple.
LA VICTOIRE DE LOUIS NAPOLÉON
BONAPARTE
Ce journal satirique présente la candidature
de Louis Napoléon Bonaparte comme une
tentative pitoyable de restauration de
l’Empire. Louis Napoléon, portant les
oripeaux de son oncle Napoléon Ier (le
bicorne, la redingote, ici en lambeaux), est
figuré en mendiant, portant en laisse un aigle
(symbole du Premier Empire). Il quémande :
« un petit empire s’il vous plaît », demandant
aux électeurs de voter pour lui. L’auteur ne
semble pas prendre cela au sérieux, puisqu’il
parle d’un « candidat pour rire ».
L’ampleur de la victoire de Louis Napoléon
Bonaparte est extraordinaire, puisqu’il a
obtenu 74,5 % des suffrages exprimés, soit
pratiquement les trois quarts des voix ! Cette
victoire est bien expliquée (à l’avance) par
Émile de Girardin : sur le nom de Louis
Napoléon Bonaparte se sont rassemblées
plusieurs tendances aux motivations
différentes (« S’il est un candidat dont le nom
se prête miraculeusement, il faut le dire, à cet
accord de toutes les opinions, c’est le
candidat qui s’appelle Louis Napoléon
Bonaparte.») En fait, tous les opposants à la
République bourgeoise ont voté pour lui : les
ouvriers qui rejettent un régime qui a tiré sur
eux en juin 1848; les paysans qui s’inquiètent
de l’agitation parisienne et qui sont
nostalgiques de la grandeur napoléonienne ;
les notables royalistes du Parti de l’ordre qui
veulent abattre la République, etc.
Louis Napoléon est donc loin de représenter
une tendance politique claire ! Le
bonapartisme peut apparaître à la fois comme
26
Ce mode d’élection du Président implique tous les risques de l’immaturité du
peuple et de la démagogie. Dans ce discours prononcé au cours des débats sur la
Constitution, Lamartine indique clairement que l’élection du Président au
suffrage universel est ce qui « semble le plus dangereux» à ses collègues.
L’orateur envisage une erreur du peuple (« si le peuple se trompe »), en émettant
l’hypothèse (prémonitoire) d’un vote bonapartiste (« s’il veut abdiquer sa liberté
entre les mains d’une réminiscence d’empire ») et celle d’un vote royaliste («s’il
dit : ramenez-moi aux carrières de la vieille monarchie»). L’autre mode de
désignation possible du Président de la République est l’élection par le Parlement,
comme cela fut pratiqué par la IIIe République.
La caricature dénonce les manipulations possibles du suffrage universel, avec un
dispositif graphique assez simple. L’élection présidentielle est un jeu de colinmaillard pour la République aux yeux bandés. Mais celle-ci est poussée dans les
bras de Louis Napoléon Bonaparte par Thiers, chef du Parti de l’ordre.
LES CANDIDATS EN PRÉSENCE
Les principaux courants politiques représentés à cette élection sont :
– Le Parti de l’ordre [droite], qui regroupe derrière la candidature de Bonaparte,
tous ceux qui ont peur des « rouges », c’est-à-dire la droite royaliste (légitimistes
et orléanistes) et une partie des républicains modérés. La candidature du général
Changarnier n’est soutenue que par une poignée de légitimistes qui veulent
exister en dehors du Parti de l’ordre.
– Les républicains modérés [centre], qui soutiennent le général Cavaignac,
l’homme qui a rétabli l’ordre en réprimant l’insurrection ouvrière de juin 1848 et
qui incarne le courant libéral qui domine depuis février 1848. Lamartine
appartient à la même mouvance politique, mais les événements de juin l’ont en
fait « ringardisé» (les envolées lyriques de février 1848 sont passées de mode ;
c’est l’ordre qui est désormais la priorité).
– Les républicains de gauche [gauche], qu’on appelle «démocrates », « radicaux »
ou « montagnards », qui souhaitent une politique sociale plus active et qui ont
pour leader depuis toujours Ledru-Rollin.
– Les socialistes [extrême gauche], qui soutiennent François Raspail. Ancien
carbonaro, combattant des «Trois Glorieuses », dirigeant de la Société des Amis
du Peuple, Raspail représente la frange la plus avancée du mouvement
républicain. Autodidacte, il voulait mettre la science au service du peuple, en
fondant une sorte de médecine pour tous. Le général Cavaignac a théoriquement
de nombreux atouts dans cette élection, puisqu’il est le représentant de la
tendance politique qui domine depuis février 1848 et qu’il apparaît comme le
sauveur de la République. C’est un authentique républicain, et en même temps un
homme d’ordre.
Cela se traduit par l’abandon de l’idéal démocratique et social qui caractérise «
l’esprit de 48 » : la fermeture des ateliers nationaux et la limitation du suffrage
universel creusent un fossé entre la République et le monde ouvrier.
Plusieurs facteurs expliquent l’échec de la IIe République :
– c’est d’abord la question sociale qui la fragilise en provoquant une guerre civile
et le retour d’un pouvoir autoritaire. La fermeture des ateliers nationaux, perçus
comme des foyers d’agitation sociale, signifie la fin du consensus républicain ;
– les journées sanglantes de juin 1848 et la limitation du suffrage universel
finissent de discréditer la république auprès des classes populaires, et notamment
du monde ouvrier. Lors du coup d’État du 2 décembre 1851, la mobilisation
populaire et ouvrière est faible ;
– l’apprentissage du suffrage universel est difficile, notamment dans les
campagnes où le poids des notables oriente le vote paysan dans un sens
conservateur.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
une tendance de droite (ordre, monarchie) et
comme un mouvement de gauche (héritage
de 1789, défense du peuple).
Le coup d’État du 2 décembre 1851
Louis Napoléon Bonaparte profite de l’effet
de surprise. Le coup d’État se déroule en
quelques heures. Au petit matin, les affiches
annonçant le coup d’État sont apposées sur
les murs de la capitale : le texte de cette
affiche a été porté à l’imprimerie nationale à
deux heures du matin et imprimé en des
milliers d’exemplaires en quelques heures.
Pendant ce temps, une liste de soixante-dix
huit personnes dont l’influence est importante
(seize représentants du peuple, des
généraux…) sont arrêtées et le palais de
l’Assemblée est occupé. Dans la nuit, le duc
de Morny (demi-frère de Louis Napoléon
Bonaparte) remplace Thorigny au ministère
de l’Intérieur.
La limitation du suffrage universel
Adolphe Thiers (1797-1877), qui a joué un
rôle politique éminent sous la monarchie de
Juillet, est l’un des chefs de file du parti de
l’ordre sous la Seconde République. Symbole
de la réaction conservatrice, la loi du 31 mai
1850 réserve le droit de vote aux
contribuables inscrits depuis plus de trois ans
dans leur commune, écartant ainsi des
ouvriers contraints de se déplacer pour
trouver du travail. Pour Thiers, cette «
misérable multitude », que l’on trouve dans
les basses couches des grandes villes,
constitue une menace pour la stabilité
politique du régime.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
27
HC – La révolution des transports au XIXe siècle
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
De la traction animale aux révolutions du rail et de l’automobile, les progrès
techniques et les enjeux économiques des transports au XIXe siècle transforment
en profondeur la nature des modes de communication et la société. La contraction
du temps et la « réduction » des distances changent le visage de la France.
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
F. Caron, Histoire des chemins de fer en France, 1740-1883, Fayard, Paris, 1997.
J.-C. Toutain. Les Transports dans la France de 1830 à 1965, Paris, Presses universitaires de France, 1967.
C. Studeny, L’invention de la vitesse, France XVIIIe-XXe siècle, Gallimard, Paris, 1995.
E. Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, Paris, 1983.
H. Le Bras et E. Todd, L’invention de la France, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1981.
Documentation Photographique et diapos :
La première industrialisation (1750-1880) - n° 8061 (2007) / Nadège Sougy, Patrick Verley
Revues :
Caron François et al., « Les transports au XIXe siècle : la France transformée », Textes et documents pour la classe, n° 797,
CNDP, juin 2000.
R. Marconis, « Le territoire français, XIXe-XIXe siècles », in Historiens et Géographes, n° 383, juillet-août 2003.
Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
BO 4è actuel : « L’EUROPE ET SON
EXPANSION AU XIXe SIÈCLE (1815La période qui va du milieu du XIXe siècle à 1914 est une étape décisive dans
1914) (16 à 18 heures)
l’unification nationale. Depuis le livre pionnier d’Eugen Weber, on sait qu’il est
L’âge industriel (7 à 8 heures)
difficile de parler d’une véritable conscience nationale, avant que le chemin de
À partir des transformations des techniques
fer et la route n’aient décloisonné les terroirs.
de production de la fin du XVIIIe siècle à
l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits
BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL
majeurs du phénomène industriel et de ses
L’industrialisation qui se développe au cours du XIXe siècle en Europe et en
Amérique du Nord entraîne des bouleversements économiques, sociaux religieux effets géographiques et sociaux.
• Cartes : l’Europe industrielle à la fin du
et idéologiques.
XIXe siècle.
Une étude au choix parmi les suivantes :
•Repères chronologiques : la machine de
- Une ville industrielle au XIXe siècle.
Watt (deuxième moitié du XVIIIe siècle) ;
- Le chemin de fer au XIXe siècle.
l’inauguration du canal de Suez (1869) ;
- Un entrepreneur et son entreprise au XIXe siècle.
exposition universelle à Paris (1900) ; la Ford
- Ouvriers et ouvrières à la Belle Époque.
modèle T (début du XXe siècle).
Cette étude est replacée dans le cadre de l’ensemble des bouleversements
•Documents : une locomotive à vapeur »
économiques et sociaux. Elle débouche sur une découverte des grands courants
de pensée religieux et idéologiques (libéralisme et socialisme).
Socle : Nouveau commentaire
Connaître et utiliser
« On aborde l’âge industriel à partir de cas
- Un repère chronologique en liaison avec l’étude choisie
concrets : une entreprise par exemple
- Le manifeste du Parti communiste 1848
(implantation, étapes de sa croissance et de sa
- Encyclique Rerum Novarum 1891
diversification, mode d’organisation, modes
Situer sur un planisphère les régions industrialisées à la fin du XIXe siècle
de vie de ses ouvriers, de son personnel
Décrire et expliquer un exemple de mutations liées à l’industrialisation
d’encadrement et des patrons, rapports
Caractériser les grandes idéologies (libéralisme et socialisme) »
sociaux).
On dégage ensuite les traits majeurs du
BO 1ere : « La France du milieu du XIXe siècle à 1914. Le cadre territorial et
phénomène industriel en s’appuyant sur des
démographique
cartes, une chronologie des inventions et un
On présente l’évolution du territoire national et sa maîtrise progressive tableau de l’évolution de la population active.
notamment grâce à l’achèvement du réseau routier et ferroviaire. »
Les principaux courants d’idées politiques,
Accompagnement 1ère : « L’unification se termine avec l’achèvement d’un double les grands mouvements sociaux, les grands
traits de l’évolution culturelle et artistique
réseau dense de voies de communication : routier (national, départemental et
sont mis en évidence à partir de quelques
vicinal, à ne pas négliger pour le désenclavement des campagnes) et ferroviaire.
Commencé sous la Monarchie de Juillet, l’équipement du pays en chemins de fer exemples significatifs. »
se poursuit sous le Second Empire et la Troisième République. Le plan Freycinet
de 1879 comble les vides, en même temps qu’il favorise la construction de
canaux. Au total, les voies ferrées passent de 3 500 km en 1850 à 45 000 km en
1914 ».
28
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Au XVIIIe siècle, le développement des échanges est considéré comme la source
principale de la richesse des nations. L’administration des Ponts et Chaussées
prévoit dès cette époque de créer un « système général de navigation de la France
», fondé sur la jonction des canaux des grands bassins fluviaux et sur un réseau de
routes nationales. À la veille de la Révolution, ce programme n’est qu’en partie
réalisé. En revanche, 25 000 km de routes sont achevés, irriguant tout le territoire.
LES TEMPS PRÉFERROVIAIRES
À l’aube de la révolution ferroviaire, la France dispose donc du réseau routier le
plus dense et le mieux entretenu d’Europe, complété durant tout le XIXe siècle
par une multitude de « chemins vicinaux » qui désenclavent les campagnes,
notamment les « isolats » de l’Ouest et les zones montagneuses. Une véritable
science de la route se développe, qui travaille sur la conception des tracés, la
technologie des ponts, l’empierrement, le revêtement des routes. Les « lacunes »
routières sont presque toutes supprimées, les pentes rectifiées, les courbes
élargies. Sur les routes nationales, les bacs sont remplacés par des ponts.
Parallèlement, l’utilisation des ressorts améliore le confort des voitures, et les
freins, rendus obligatoires en 1827, les rendent plus sûres. Les attelages, enfin,
sont plus efficaces grâce à une sélection des races de chevaux de trait.
Au milieu du siècle, la vitesse de la malle-poste, qui transporte courrier et
voyageurs, varie de 12 à 20 km/h, vitesse réglée sur le galop du cheval. Mais le
moyen de transport le plus utilisé est alors la diligence, mastodonte de trois
compartiments pour 16 places ! Si elle est trois fois moins rapide que la malleposte, elle fait toutefois des progrès considérables : entre 1814 et 1847, sa vitesse
horaire passe de 4,3 à 9,5, voire 12 km/h. De telle sorte qu’un Parisien qui met
sept jours et demi pour rejoindre Bordeaux en 1800 n’en met plus que trois en
1840 !
L’organisation des voyages repose à l’époque sur la poste aux chevaux, un
service d’État confié à des maîtres de poste, responsables des relais de la malleposte et des diligences.
En ville, le cheval règne là encore, et pour tout le XIXe siècle. Les premiers
omnibus à cheval, qui revêtent la forme des diligences, apparaissent à Nantes et
Paris vers 1820, où ils sont immédiatement plébiscités. En 1847, une vingtaine de
compagnies se disputent la clientèle parisienne. Elles sont bientôt toutes fondues
par le préfet Haussmann dans la monopolistique Compagnie générale des
omnibus (CGO).
DE LA TRACTION ANIMALE À LA TRACTION VAPEUR
Au cours du siècle, le transport de marchandises, ou roulage, concerne des
chargements de plus en plus lourds, des distances de plus en plus longues. La
différenciation entre le « roulage ordinaire » et le « roulage accéléré » souligne
une amélioration des services fournis par une multitude d’entreprises assurant des
liaisons toujours plus régulières. En effet, le roulage accéléré a la même allure
que le roulage ordinaire, mais il est pratiqué également la nuit et utilise les relais.
Aussi peut-il couvrir 80 km en 24 heures !
En 1843, on recense 75 entreprises de roulage accéléré à Paris. Si le roulage
ordinaire, plutôt rural, procure encore des ressources à de nombreux agriculteurs,
le grand roulage ne cesse de se professionnaliser.
Parallèlement au roulage subsiste et se développe le transport sur l’eau.
Dans la première moitié du siècle, le grand projet de réseau national de
navigation est relancé. Près de 5 000 km de canaux sont ouverts, dont ceux de
Bourgogne (1832) et du Rhône-Rhin (1833). Un vaste programme de canalisation
des rivières est entrepris, facilité par l’invention de l’écluse, en 1834, de
l’ingénieur Poirée : ce programme d’aménagement sera stoppé net dès que le
chemin de fer prendra son essor.
L’essentiel du trafic par la batellerie est assuré par des mariniers indépendants,
propriétaires de bateaux, dont les formes diffèrent d’un bassin fluvial à l’autre :
chalands sur les rivières moyennes, péniches dans le Nord, flûtes dans le Berry,
gabares en Gironde, etc. Le halage – ou tirage – est majoritairement effectué « à
col d’homme » ou par traction animale. Plus marginal, le touage à chaîne continu,
mû par une machine à vapeur, permet la traversée de Paris en 1839, tandis que se
développe, à partir de 1830, la navigation à vapeur sur la Seine et le Rhône.
L’EXTENSION DE LA TOILE FERROVIAIRE
Dans les années 1840, la pression accrue du trafic s’exerce sur l’ensemble des
Accompagnement 4è : « Le programme, mais
aussi la carte, les repères chronologiques et
les documents orientent l’étude. L’industrie
transforme l’Europe et les États-Unis, leurs
paysages et leurs sociétés. Il n’est pas
possible au collège d’entrer dans l’explication
complète des origines des révolutions
industrielles. Il suffit d’insister d’abord sur le
charbon et le textile, le rôle de la machine à
vapeur et ses multiples usages, la progressive
naissance de l’usine et des concentrations
ouvrières. Puis, l’énergie électrique et le
premier essor de l’automobile introduisent
aux transformations de la fin du siècle. La
construction des chemins de fer et du Canal
de Suez montrent l’ouverture des régions et
l’expansion économique de l’Europe dans le
monde. »
Les ouvrages d’art ferroviaire
Les ingénieurs chargés de construire les
lignes de chemin de fer du XIXe siècle
multiplient tunnels, ponts et viaducs, car, dès
l’origine, l’administration impose des normes
de tracé rigoureuses (faibles pentes, larges
courbes) obligeant à compenser les caprices
de la nature. Construits sous le second
Empire, les tunnels du Fréjus et du Cenis,
dont le percement est réalisé grâce à
l’utilisation de l’air comprimé, sont des
prouesses techniques. Cependant, la gloire de
l’ingénieur s’accomplit principalement dans
la construction de spectaculaires viaducs,
dont les premiers sont ceux de Val-Fleury
(sur la ligne de Paris à Versailles Rive
gauche, 1844) et de Nîmes (sur la ligne de
Nîmes à Tarascon, 1845). Avec l’extension
du réseau ferroviaire, les architectes
construisent des ouvrages toujours plus longs
et plus élevés. Face à cette contrainte, ils
arrivent à combiner monumentalité et
élégance, comme avec les viaducs de
Rocherolles (1854), Chaumont (1856) et
Morlaix (1863). La technique du pont en fer,
inaugurée par Eugène Flachat à Asnières, se
développe grâce à la coopération des
ingénieurs d’État et des constructeurs, tel
Gustave Eiffel. Dès les années 1860, les
nobles formes des viaducs métalliques
apparaissent dans le Massif central. Le viaduc
de Garabit (1884), conçu par Léon Boyer et
construit par Eiffel, est l’une de ces très
célèbres constructions : son tablier repose sur
un arc métallique plutôt que sur des piles en
maçonnerie ou métalliques. Le viaduc de
Garabit est un ouvrage d’art français connu
dans le monde entier pour son élégance. La
poutre métallique centrale est supportée par
sept piles de fer dont deux font 80 m de haut
et un grand arc métallique de 165 m de corde.
C’est ce qui permet à la ligne de chemin de
fer de passer à 122 m au-dessus du talweg, un
29
voies de communication.
L’entretien des routes et des canaux devient problématique. La construction du
chemin de fer apporte alors une réponse à ces difficultés. Jusqu’en 1914, le règne
du rail donne naissance à une France nouvelle, transformée par le développement
des échanges. Les Français sont d’abord réticents à l’idée de construire des
chemins de fer. Trop d’intérêts sont menacés : ceux des messagers, des maîtres de
poste, des transporteurs routiers, des commerces d’entrepôt, des industries
protégées par le coût exorbitant des transports. Certains craignent la disparition
d’une société à dominante pastorale et d’un ordre que beaucoup considèrent
comme immuable. Mais à cette méfiance succède assez vite un véritable délire
ferroviaire, très inspiré par le saint-simonisme : l’idée dominante est que le
chemin de fer doit, en intensifiant les échanges entre les hommes, assurer la
prospérité générale, réaliser l’unité de la nation et garantir la paix universelle.
Le chemin de fer des temps modernes naît en 1830, lorsque la ligne de SaintÉtienne à Lyon est concédée aux frères Seguin, puis en 1837, lorsqu’une
première ligne destinée au transport des voyageurs relie Paris à Saint-Germainen-Laye, prélude à d’importantes constructions : Strasbourg-Bâle, Paris-Orléans,
Paris-Rouen... Dès 1842, une loi fixe les grandes directions des « lignes
principales » du réseau futur : elles doivent converger vers Paris selon une
disposition en étoile. Celle-ci sera achevée en 1870, avec 16 400 km de lignes
progressivement reliées entre elles par des auréoles concentriques.
L’exploitation de ces lignes est confiée à six « grandes compagnies », dites du
Nord, de l’Est, de l’Ouest, du Midi, du Paris-Orléans et du Paris-LyonMéditerranée (PLM). Elles exploitent chacune un réseau desservant une partie du
territoire. Une part importante de leur capital est détenue par de grands banquiers
qui en contrôlent l’exploitation.
Le régime des grandes compagnies constitue l’aboutissement de longues
hésitations et de débats passionnés, auxquels Napoléon III met fin en 1852, en
obligeant alors les compagnies existantes, qui exploitent des lignes dispersées, à
se regrouper en réseaux. Les compagnies ainsi formées jouissent dès lors d’un
véritable monopole, puisque l’empereur leur accorde des concessions de 99 ans et
s’engage, en cas de déficit, à couvrir par des avances remboursables les charges
des emprunts émis pour construire les nouvelles lignes.
GRANDES ET PETITES LIGNES
Mais la « soif universelle de chemins de fer » n’est jamais assouvie. Sous tous les
régimes, les hommes politiques s’évertuent, pour des raisons électorales, à
étancher cette soif. Ainsi, de 1863 à 1883, une série de conventions obligent les
grandes compagnies à accepter la concession de lignes nouvelles, de moins en
moins rentables. Elles sont contraintes, après 1877, d’intégrer à leur réseau les
lignes formées à partir de 1865 qui, pour la plupart, ont fait faillite. Enfin, en
1879, les lignes non encore réunies intègrent le « réseau d’État » qui est situé
entre celui de l’Ouest et celui du Paris-Orléans. À son tour, le plan Freycinet, en
1879, prévoit la construction de 8 000 km de lignes d’intérêt général. Lors du
débat, les députés portent ce chiffre à 17 000 km ! Au total, de 1871 à 1913, 600
km de lignes sont ouvertes chaque année.
La prospérité des grandes compagnies est frappante. À leur apogée, vers 1900, les
deux compagnies les plus florissantes, celle du Nord et le PLM, desservent de
riches régions industrielles (vallée du Rhône, bassin minier du Nord). Elles
assurent en outre sur leurs lignes principales des services de voyageurs pour une
clientèle fortunée, notamment anglaise sur la ligne Paris-Calais. Pour sa part, la
Compagnie de l’Est profite de l’essor de la sidérurgie lorraine.
À ces profitables lignes d’intérêt général s’ajoutent, après 1850, une pléiade de
lignes « d’intérêt local » et de tramways. Elles sont concédées dans un cadre
départemental, construites et exploitées par des grands groupes financiers, tel
celui du baron Empain. Leur vocation initiale est alors de désenclaver les
campagnes et les petites villes – ce qui ne les empêche pas d’être l’enjeu de
spéculations visant à concurrencer les grandes lignes par la constitution de
réseaux parallèles. À la veille de 1914, la longueur totale du réseau ferroviaire est
de 59 000 km, dont 40 783 d’intérêt général (soit 72 %). La densité du réseau
ferré, en raison de la pléthore des lignes d’intérêt local, est alors la plus élevée
d’Europe.
L’IMPACT TECHNOLOGIQUE DU TRAIN
Très tôt, les compagnies adoptent une organisation qui témoigne de la
professionnalisation de l’univers du train et de la modernisation de la société en
général. Parallèlement, les ingénieurs exploitent les réseaux sous une triple
tracé direct qui évite de descendre par les
vallées affluentes pour traverser la Truyère
par un ouvrage plus modeste.
Dès lors, deux conceptions s’opposent : la
construction en fer la construction en
maçonnerie, selon qu’elles sont promues par
une compagnie ou une autre.
Ville et chemin de fer
Partout en France, l’implantation des gares et
des voies ferrées rencontre des difficultés
considérables et suscite d’âpres débats, en
particulier parce que les militaires ne
souhaitent pas la pénétration des locomotives
dans les villes. Les gares implantées en
centre-ville, comme à Rouen et à Nantes, sont
très rares. Elles s’inscrivent plus souvent aux
marges des agglomérations, constituant une
porte ouverte sur la ville, dans une position
largement déterminée par les voies de
pénétration antérieures. Cela explique qu’à
Paris les projets d’une gare centrale échouent.
Enfin, l’implantation des gares, « insinuées
au milieu des vides », est partout guidée par
les structures urbaines préexistantes et la
disponibilité de terrains vierges.
Entre la gare et le centre-ville sont ouverts de
grands axes de pénétration : les « avenues de
la gare ». À Paris, pour faciliter l’accès aux
gares, on trace de larges avenues qui les
placent en perspective (boulevard de
Strasbourg et rue de Rennes). Mais le
programme reste inachevé. La circulation aux
abords de Saint-Lazare est à jamais difficile,
la rue de Rennes débouche sur une impasse et
les gares d’Austerlitz et de Lyon conservent
des positions marginales. Dans tous les cas,
les terrains jouxtant la gare prennent de la
valeur. Les commerçants y créent hôtels,
entrepôts et magasins.
Des habitations de style souvent uniforme
sont édifiées le long des voies d’accès. Dans
plusieurs grandes villes (Nancy, Lille, Lyon),
une fusion s’opère progressivement entre ce
nouveau quartier et le centre ancien. À terme,
le nouveau quartier de la gare a donc
tendance à déplacer le centre de gravité des
villes vers la gare.
La sécurité des voyageurs
Le 8 mai 1842, sur la ligne Paris-Versailles
Rive gauche, un accident fait 57 morts et plus
de 100 blessés graves. Selon la formule
d’Alfred de Vigny, ce drame suscite «
l’horreur du chemin de fer ». Ce n’est que le
premier d’une longue série d’accidents ! En
réponse à la mauvaise réputation du train, les
dirigeants des compagnies rétorquent qu’il est
le plus sûr des moyens de transport. Selon
une enquête parue en 1858, le train tue en
effet 4 fois moins et blesse 14 fois moins par
km parcouru que la diligence. Toutefois, de
1907 à 1913, 408 voyageurs sont tués en
moyenne chaque année, dont 362 « morts par
imprudence ». Le désir de réduire le nombre
30
contrainte : sécurité, pression du trafic, réduction des coûts. Pour y parvenir, ils
font évoluer les technologies mises au service du train. Les locomotives à vapeur
doivent en effet tracter des trains toujours plus lourds et plus rapides. Les
premiers engins fabriqués en France imitent les modèles anglais. Mais très vite se
développe une industrie française qui, en liaison avec les compagnies, crée une
technologie originale. Parmi ses réalisations les plus remarquables figure la
locomotive « compound » à grande vitesse, inventée dans les années 1880. Les
compagnies avaient adopté un type de voitures courtes, à essieux et à
compartiments, qui étaient très inconfortables. La situation s’améliore vers 1880
grâce à l’adoption des voitures à couloir, à l’usage du frein à air comprimé, à
l’amélioration du confort intérieur. Les besoins ferroviaires entraînent une
véritable révolution dans l’industrie sidérurgique. Rails, aiguillages, pièces de
locomotives et de voitures sont soumis à des efforts exigeant l’utilisation de
métaux plus résistants et plus durables que le fer. Seul l’acier, aux coûts de
production réduits, répond à cette double exigence. Le rail stimule donc la
production sidérurgique.
Les gares deviennent des lieux d’innovation par excellence. En témoigne une
grande nouveauté architecturale : les vastes halls métalliques et leur toiture en
marquise. Les grandes gares parisiennes, celles de l’Est (1853), du Nord (1867),
Saint-Lazare (1889, après sa reconstruction), Orsay (1899), Saint-Jean à
Bordeaux (1889-1899), Tours (1896) sont les lieux privilégiés où s’expérimentent
les technologies modernes : machine à vapeur fixe, télégraphe, gaz d’éclairage,
électricité...
LE MONDE DES CHEMINOTS
Les contemporains de la révolution ferroviaire ont le sentiment qu’une société
nouvelle, distincte de la société française, naît sous leurs yeux : celle des «
cheminots », alors appelés « agents des chemins de fer ». En 1913, ils forment
une population de 355 000 agents, soit 6 % de la population des ouvriers,
hommes et femmes confondus ! Ils font vivre un monde constitué d’une
mosaïque de sous-ensembles et milieux : atelier, gare, dépôt, bureau, qui tous
intègrent plusieurs métiers, différenciés et hiérarchisés selon leur degré de
qualification, de pénibilité, de responsabilité et de rémunération. Certains métiers
sont anciens. Les autres naissent avec le train. Les statuts des conducteurs,
gardes-freins, chefs de trains, mécaniciens et chauffeurs transposent ceux connus
dans l’univers de la diligence. Le chef de gare rappelle le maître de poste. Les
ateliers et les bureaux mobilisent des savoir-faire traditionnels. En revanche, les
télégraphistes, lampistes, aiguilleurs, visiteurs et autres ouvriers des triages sont
de purs produits de l’exploitation du train et de ses technologies.
L’identité du milieu cheminot tient aussi à l’omniprésence du danger. Toutes les
catégories n’y sont pas également exposées. Mais les mécaniciens, les visiteurs,
les manœuvres dans les triages le sont particulièrement, tout autant que les
mineurs. Ainsi compte-t-on un peu plus d’un tué et deux blessés par an pour mille
cheminots entre 1907 et 1913 !
Le monde hétérogène des cheminots est solidarisé à travers l’expérience
quotidienne de la gestion du trafic, qui mobilise les compétences de chacun. Il est
également uni par un statut social original caractérisé par l’organisation d’un
régime de retraite. Ce statut est néanmoins soumis à une hiérarchie rigoureuse et
à une discipline stricte fondée sur un système de punitions et de récompenses.
L’univers des cheminots a souvent et justement été décrit comme un monde
endogène. Pourtant, si certains cheminots sont regroupés dans des cités, d’autres,
dans les grandes villes, côtoient des ouvriers issus de corps de métier différents.
En outre, si l’endogamie et l’appartenance à une compagnie transmise de père en
fils sont fréquentes, des études récentes montrent que ces pratiques n’étaient ni
systématiques ni généralisées.
L’IMPACT STRUCTUREL DU TRAIN
Les grandes pulsations de l’économie au XIXe siècle sont étroitement liées au
développement des transports intérieurs, principalement du train. Les chiffres
l’attestent : en 1913, le chemin de fer assure 70 % du trafic des marchandises et
95 % du trafic des voyageurs. Après avoir favorisé les transports en petite vitesse
de marchandises lourdes, nécessaires à l’alimentation des villes et au
développement de l’agriculture et de l’industrie, les compagnies privilégient, vers
1880, la promotion des voyages et des transports de marchandises à « grande
vitesse » (denrées périssables, fruits, légumes).
L’ouverture des marchés due à l’extension du réseau et à la baisse des tarifs offre
donc aux producteurs de nouvelles opportunités. Bref, si la croissance de la
et la gravité des accidents influence donc
l’évolution des techniques. L’amélioration de
la qualité des matériaux servant à la
fabrication des rails, des essieux, des
bandages vise à amoindrir le nombre de
déraillements. Le problème du freinage,
longtemps défectueux, n’est résolu, malgré
une multitude d’inventions, qu’en 1876-1877,
grâce au frein à vide direct et au frein à air
comprimé automatique Westinghouse, dont
l’adoption devient obligatoire sur les trains de
voyageurs. D’autre part, la signalisation
manuelle disparaît au profit de systèmes
préfigurant l’ère des automatismes, grâce
notamment au télégraphe, qui permet de
relier les gares. En outre, dans les années
1870, l’intensification du trafic oblige à
adopter le système du cantonnement des
trains (bloc-système), qui impose des
dispositifs permettant de coordonner l’action
des signaux en pleine voie. La maîtrise de
l’électricité autorise cette performance, de
même que l’installation simultanée de postes
d’enclenchement et de la signalisation afin de
régler les aiguillages à distance et de rendre
les collisions « impossibles ».
Un homme nouveau
Dès son invention, le chemin de fer suscite
les plus grands espoirs de transformation de
l’humanité. On juge que, concourant à
l’intensification des échanges et accroissant
la capacité de déplacement des citoyens, il
peut favoriser la prospérité générale,
renforcer l’unité de la nation, garantir la paix
universelle. En 1849, Victor Hugo affirme
que le train peut « créer un monde où tout est
vivant, uni, accouplé et confondu [...], dont la
France est le cerveau » et « les chemins de fer
[...] les artères ». Le train contribue en effet à
l’unification et à la prospérité nationales et
fait naître un homme nouveau, dont les
horizons sont élargis. Hommes d’affaires,
hommes politiques, scientifiques et
ingénieurs multiplient les rencontres et les
congrès. Les mondains se rendent aux
stations thermales et balnéaires dans des
trains de luxe. Les ouvriers, le monde
agricole, les classes moyennes, plus encore
les représentants de commerce, hantent les
wagons. Les familles dispersées se rejoignent
plus aisément. De nouvelles formes de
sociabilité se développent autour des
pèlerinages, des fêtes, des concours
musicaux, folkloriques et sportifs. La mer, la
montagne, la ville, les sites lointains
deviennent accessibles. La réduction du
temps des trajets transforme la perception de
l’espace : de local, il devient départemental,
national, voire international. Libéré de la
distance, l’homme est toutefois soumis aux
contraintes d’un horaire impitoyable. Le
temps du train, comme celui de l’usine, est
minuté et nourrit le stress. Le train marque
ainsi la première étape dans la formation de
31
production agricole résulte d’une intensification de la polyculture traditionnelle,
elle dépend surtout du développement régional de cultures spécialisées destinées
aux marchés urbains, qui sont de mieux en mieux desservis par le train. L’impact
de la réduction des tarifs, de l’accélération des services et le soutien à la
promotion commerciale des producteurs font du train un acteur central de
l’économie nationale.
Parallèlement, le chemin de fer favorise l’essor de la « grande » et de la « petite »
industries grâce à l’élargissement des marchés. Il relance de nombreuses
industries locales. Il en fait naître de nouvelles. Ainsi, l’intensification des
transports de charbon permet notamment une utilisation accrue de la machine à
vapeur. Au reste, le chemin de fer provoque aussi le déclin et la disparition
d’industries, rurales surtout, ayant jusqu’alors prospéré à l’abri de la concurrence.
À l’effet d’élargissement des marchés se superpose donc un effet sélectif
concurrentiel et désindustrialisant. À l’inverse, la formation de vastes
agglomérations industrielles, à commencer par la région parisienne, doit
énormément au boom ferroviaire.
REPRÉSENTATIONS ET USAGES DU TRAIN
À l’origine, le voyage ferroviaire est vécu comme une aventure périlleuse. Les
médecins redoutent notamment que l’exactitude des horaires et le stress du
voyage aient des effets pernicieux sur la santé. Toute une pathologie ferroviaire
se développe alors. Elle intègre le théâtre que constitue la gare, scène de toutes
les émotions liées aux séparations et aux retrouvailles. Mais ces frayeurs
s’estompent vite. En revanche, l’inconfort des voitures est légitimement mis en
accusation, tout comme la gestion de l’espace très cloisonné des gares.
Initialement, l’accès aux trains n’étant autorisé qu’à la dernière minute, les
voyageurs s’entassent dans les salles d’attente, puis prennent les quais et le
convoi d’assaut. Ce moment pénible disparaît dans les années 1860, les
compagnies supprimant alors la pratique barbare du confinement des voyageurs.
La contraction de l’espace et du temps liée à la vitesse des voyages impressionne
également les contemporains. Là où il fallait plusieurs jours, en 1820-1830, pour
parcourir les longs trajets interurbains, les meilleurs trains de 1870 mettent Lille à
4 heures de Paris, Lyon à moins de 9 heures, Bordeaux et Strasbourg à 10 et 12
heures.
Autre point essentiel : la massification du volume de voyageurs. En 1882, 189
millions de voyageurs prennent le train. En 1913, ils sont 529 millions. Le fait
qu’ils parcourent alors en moyenne 36,5 kilomètres par an met en exergue le rôle
du train dans l’extension des banlieues.
Le train devient un lieu de sociabilité – quoique la reconstitution du
compartiment de l’ancienne diligence se heurte à une promiscuité rendant les
voyages moins conviviaux. L’idéal de tout Français est d’ailleurs d’être seul dans
son compartiment, afin de s’abandonner à une douce somnolence, à une rêverie
hors du temps, dont nombre d’écrivains font l’éloge. Le chemin de fer fait
également naître une vision nouvelle du paysage, marquée par le défilement des
régions traversées à grande vitesse. Les peintres, dont les impressionnistes,
s’emparent du sujet.
Le train favorise enfin la croissance du tourisme. Grâce à la vente de billets à prix
réduits, les « trains de plaisir » mènent vers les bains de mer, les cures thermales,
les excursions, les pèlerinages, les foires, les fêtes, les expositions universelles...
Le train n’est du reste pas aussi facile d’accès pour toutes les classes sociales. De
surcroît, les compagnies luttent contre le « déclassement » des voyageurs :
contrairement aux Anglais, les Français tendent à choisir les classes inférieures,
même s’ils ont les moyens d’acheter un ticket plus cher.
À l’origine, les compagnies cherchent donc à rendre la troisième classe la plus
inconfortable possible et à limiter le confort de la deuxième classe. Cette stratégie
dissuasive échoue cependant et, sous la pression de l’État et de l’opinion
publique, les compagnies améliorent le confort de toutes les classes à partir des
années 1870. C’est alors que sont lancés, sur les longs parcours, les trains de luxe,
tel le célèbre Orient Express (1883), qui comprennent souvent des voitures de la
Compagnie internationale des Wagons-Lits (1872). Toutefois, le confort offert au
voyageur ordinaire laisse à désirer et, sur bien des parcours, il est franchement
désastreux.
1900-1914 : LE TEMPS DE LA POLYVALENCE
Si le chemin de fer emporte tout sur son passage, les routes ne sont pas pour
autant sacrifiées. Jusqu’en 1914, les dépenses qui leur sont consacrées
représentent entre un quart et un tiers de l’investissement alloué aux moyens et
l’homme du XXe siècle : un homme détaché
de la vie locale, ouvert sur le monde,
subjugué par la vitesse, la mobilité, bref un
homme ayant rompu avec les rythmes
naturels.
Peu développé encore en 1855, puisqu’il ne
relie que les grandes villes, le réseau
ferroviaire français est l’un des plus denses
d’Europe à la veille de la Première Guerre
mondiale. Le développement ferroviaire est
dû à une politique volontariste de l’État allié
à l’initiative privée. Les compagnies qui
gèrent ce réseau sont des entreprises privées
qui reçoivent une concession de l’État. Celuici garantit les dividendes versés aux
actionnaires, à charge pour les compagnies de
développer le réseau qu’elles exploitent.
Ainsi, les petites villes peuvent être
desservies, les régions sont décloisonnées,
mais cela ne manque pas aussi d’accélérer
l’exode rural. Grâce à ce réseau, les distances
sont réduites, on voyage plus rapidement en
France ; quelques heures suffisent là où il
fallait plusieurs jours au XVIIIe siècle. Ce
nouveau moyen de transport est rapide de par
la puissance grandissante des machines
utilisées, mais il peut parfois se révéler
dangereux, la sécurité
n’est pas totale. Enfin, si les voyageurs sont
pris en charge au coeur même de leur ville,
c’est au prix d’une emprise très importante
dans le paysage urbain. En effet, les gares,
notamment celles des grandes villes qui
doivent assurer aussi les fonctions de triage
ou de garage des machines et wagons,
nécessitent des infrastructures importantes.
Le rail exerce une fascination sur les
contemporains comme l’atteste le texte de
Zola.
L’ÉTOILE
La configuration du réseau de chemin de fer
français est fixée, au départ, par un projet de
loi de février 1838 (voté en 1842) établissant
le plan des lignes principales. Ce premier
canevas se fonde sur un principe majeur : le
train est un instrument de centralisation
administrative et de renforcement de l’unité
nationale. Les lignes partent donc de la
capitale vers les grandes villes de province,
en suivant un tracé le plus direct possible,
sans délaisser les centres de « population
agglomérée situés à peu de distance ».
On désigne ce plan sous le nom d’« Étoile
Legrand » (du nom du directeur des Ponts et
Chaussées auteur du projet). Autour des axes
principaux de cette étoile se constituent, à
partir de 1849 et par fusions successives, les
grandes compagnies : Compagnie du Nord
fondée autour de l’axe Paris-Lille-Belgique
(1846), de l’Est organisée à partir de ParisStrasbourg (1853), PLM créée sur la base du
Paris-Lyon-Marseille (1857), Paris-Orléans
avec la connexion Paris-Bordeaux (1855),
32
aux lieux de communication. Ce budget permet de maintenir en état le réseau
départemental et national, d’accroître le réseau vicinal (538 000 km en 1914
contre 330 000 en 1872) et d’achever le désenclavement des campagnes.
Certes, les maîtres de poste et les messageries à longue distance ne peuvent
résister à la concurrence du rail. Nonobstant, une fois franchies les portes de la
gare, l’animal reprend ses droits. Il règne sur les routes et en ville. Si, dans un
premier temps, le développement des omnibus urbains, en province, reste limité,
à Paris, au contraire, la CGO devient une riche entreprise qui exploite 39 lignes,
utilise 1 900 voitures et plus de 12 000 chevaux (en 1884). Dans les années 1870,
toutes les grandes villes s’équipent, utilisant en majorité la traction animale.
Néanmoins, le cheval, ne pouvant parcourir que 14 km par jour et coûtant cher en
main-d’œuvre humaine, est peu rentable. Les candidats à son remplacement,
tramways à air comprimé ou à vapeur, sont largement répandus sur le réseau des
chemins de fer sur route, où ils complètent les réseaux d’intérêt local. Mais ils
restent peu présents dans les villes. À la fin du XIXe siècle, l’électricité apporte
une solution adaptée au trafic urbain. Sa technologie encore incertaine
(alimentation par prise au sol, coûteuse et dangereuse, ou extérieure par fil jugée
inesthétique) s’impose lentement, mais irrésistiblement. L’équipement des villes
s’accélère : entre 1892 et 1902, le réseau des tramways électriques urbains
s’étend de 37 à 2 000 km ; en 1913, 80 villes en sont équipées, parmi lesquelles
Elbeuf, Épinal, Sète, Montauban, Saint-Chamond...
Longtemps la ville a été de dimensions restreintes et l’essentiel des déplacements
s’effectuait à pied. À partir de 1830, les omnibus apparaissent, suivis par les
tramways hippomobiles. Le premier tramway électrique est inventé par la firme
Siemens en 1879 et sera généralisé dès la fin du XIXe / début XXe siècle dans les
grandes villes françaises. La révolution automobile débute en France à la fin des
années 1880, 1 200 voitures y circulaient déjà en 1897 pour atteindre 17 000 en
1904.
C’est à l’apogée du tramway, en 1898, qu’est lancé l’ambitieux projet du
métropolitain parisien. Inauguré le 19 juillet 1900 entre la Porte Maillot et
Vincennes, le réseau comprend 92 km de lignes en 1912. Il connaît aussitôt un
grand succès.
Le métro de New York
L’histoire du métro de New York débute en 1898 avec la fondation du City of
Greater New York (le « Grand New York ») réunissant New York, Brooklyn, le
Queens et Staten Island. La nouvelle entité administrative décide de fonder le
Subway, un réseau de métro souterrain. La première ligne fut inaugurée le 27
octobre 1904. Cependant, la première Elevated line (voie aérienne de chemin de
fer métropolitain) avait été construite 35 ans auparavant, en 1868.
Le métro en Europe
Le premier métro est celui de Londres, construit en 1863 et tiré à l’origine par des
locomotives à vapeur. Toutes les lignes sont électrifiées entre 1890 et 1900. Le
premier métro continental européen est celui d’Istanbul en 1871, suivi de celui de
Budapest en 1896. En France, plusieurs projets sont élaborés pour Paris entre
1856 et 1890 sans qu’aucun n’aboutisse, car s’opposent les propositions de réseau
souterrain et de réseau aérien, à la manière des premiers métros américains. C’est
la détérioration des conditions de circulation dans la ville de Paris, l’exemple des
capitales étrangères et l’approche de l’exposition universelle de 1900 qui décident
les autorités à lancer la construction du métro. Les travaux commencent en 1898
et la première ligne de métro souterrain à traction électrique est mise en service
pour l’exposition universelle de 1900.
Le métro invente véritablement le transport de masse urbain – que le trolleybus et
l’autobus, apparus également en 1900, viennent conforter à Paris et en province.
Mais la bicyclette devient elle aussi, presque instantanément, un produit de masse
grâce au bon état du réseau routier. Ce dernier favorise enfin l’émergence, après
1895, de l’automobile, puis son essor rapide. Si les premiers clients de l’industrie
automobile sont de riches amateurs soucieux de prestige et désireux de suivre la
mode, ils sont vite imités par des médecins, des négociants, des instituteurs qui
achètent une automobile pour des raisons professionnelles. Dans les villes où se
sont développés les taxis, dans les campagnes où le besoin d’une liaison plus
rapide avec les centres urbains est vivement ressenti, l’automobile complète le
train, avant d’être sa concurrente. Son succès est marquant : de quelques
centaines d’unités en 1894-1895, le parc passe à 107 500 en 1914, propulsant
l’industrie automobile française au deuxième rang mondial derrière les ÉtatsUnis. Du côté de la modernisation du train, la traction électrique n’est utilisée, au
Compagnie de l’Ouest qui rayonne à partir du
Paris-Rouen (1855). Rejointes par la
Compagnie de l’État en 1879 (augmentée en
1908 du réseau de l’Ouest), ces compagnies
se partagent toujours la desserte du territoire
en 1913. Seule la Compagnie du Midi
(Bordeaux-Toulouse, 1852) échappe à cette
centralisation.
Une fois les lignes principales construites, le
chantier repart. Il faut satisfaire la soif de
train des Français ! Un réseau de lignes
concentriques est alors développé autour de
Paris, quelques transversales tracées, comme
Bordeaux-Genève (via Clermont-Ferrand et
Lyon), des lignes secondaires embranchées
sur les lignes principales, comme ToursClermont-Ferrand, Clermont-Ferrand-Nîmes.
Ces ajouts successifs donnent au réseau une
configuration en « arête de poisson ».
Quoique les lignes principales assurent les
trafics les plus denses, la toile ferroviaire
s’étend, se densifie jusqu’à recouvrir
l’essentiel du territoire.
LE TRIOMPHE DU RAIL
Le chemin de fer conquiert donc peu à peu
une position dominante dans l’univers des
transports. Pour le trafic des voyageurs, les
routes deviennent secondaires. Leur baisse de
fréquentation de 1830 à 1894 en témoigne.
Elles restent cependant très actives (certaines
accueillent même les chemins de fer et les
tramways) et leur bon état d’entretien
contribue au succès de l’automobile à l’aube
du XXe siècle.
S’agissant du trafic des marchandises, le fret
ferroviaire s’accroît considérablement entre
1850 et 1885. Dès lors, les parts de marché
du train ne cessent d’augmenter, malgré un
ralentissement après 1885. Le cabotage sur
mer et le transport sur voies navigables
souffrent particulièrement de la concurrence
ferroviaire. En raison de la longueur des
distances entre la plupart des ports, les
transports maritimes n’ont pas les moyens de
rivaliser avec le rail. Leurs parts de marché
s’effondrent entre 1845 et 1865. Le transport
fluvial et sur canaux voit ses parts de marché
chuter durant la même période. Le
redressement des années 1880-1890 est
éphémère. Cette évolution est le résultat de la
politique de l’État : les investissements
reprennent dans les années 1860, mais ne se
poursuivent guère au-delà des années 1880.
Quant à l’abolition des droits de navigation
en 1880, elle ne compense pas le fait que la
France batelière est essentiellement
concentrée au nord-est de la Seine.
Un an après le premier tour de France
automobile, profitant de la notoriété du
fabricant de pneus de Clermont-Ferrand
acquise dans les courses de vélo et de la
dynamique créée par l’exposition universelle
de 1900 à Paris, les frères Michelin, Édouard
et Michel, lancent le fameux Guide Michelin.
33
début du XXe siècle, que pour des « usages spéciaux » que la locomotion à
vapeur satisfait difficilement : souterrains urbains (ligne entre la gare d’Austerlitz
et la gare d’Orsay ouverte en 1900), desserte de la banlieue (ligne VersaillesInvalides équipée en 1902), funiculaires et lignes à fortes pentes (lignes
transpyrénéennes de la Compagnie du Midi en 1907-1912).
Il faut enfin revenir aux voies navigables. À partir de 1860, leur relance vise à
contrebalancer le monopole ferroviaire sur le transport. Cette tendance remporte
quelques succès jusque dans les années 1870, avec notamment les grands
chantiers sur la Seine et à la faveur de la suppression des droits de navigation. Le
plan Freycinet permet un véritable renouveau de la batellerie dans les années
1880-1890. Le parc fluvial se transforme grâce à l’augmentation de la capacité
des bateaux, au développement du remorquage à vapeur et à des techniques de
halage améliorées. Toutefois, la navigation ne parvient pas à accroître
durablement sa part de marché aux dépens du train.
La révolution ferroviaire en France et ses conséquences sociales et culturelles : la
rupture de l’isolement et le brassage social.
Le chemin de fer, inventé en Angleterre, apparaît en France en 1827. Mais il se
heurte aux réticences d’une nation encore très rurale et ce n’est qu’entre 1850 et
1900 que l’essentiel du réseau est mis en place. Dès les années 1830, les images
d’Épinal illustrent très souvent la fascination qu’exerce le chemin de fer sur un
public qui n’y est pas encore habitué. La lecture de l’image est riche
d’enseignements sur la société française du moment et sur la place sociale et
économique que commence à prendre le train. Les échanges s’intensifient comme
le montrent les wagons de marchandises, les citoyens se déplacent
plus facilement et renforcent l’unité de la nation proclamée par la Révolution
française. Le chemin de fer fait naître un homme nouveau dont l’horizon s’est
élargi et crée de nouvelles formes de sociabilité : les mondains se rendent aux
stations thermales et balnéaires ; les ruraux quittent leur «pays» pour tenter leur
chance ailleurs. C’est la première étape vers le monde moderne où l’homme se
détache de la vie locale. Cependant, le voyage ferroviaire est souvent vécu
comme une aventure périlleuse ainsi qu’en atteste la paysanne affolée par la
traversée du tunnel. Libéré de la distance, l’homme est soumis au stress des
horaires comme le montre l’une des vignettes. Les premiers trains reconstituent
les compartiments de diligences avec les avantages et les inconvénients de cette
promiscuité (cf. l’avant dernière vignette). On pourra aussi faire remarquer
l’inconfort des voitures, notamment celles de troisième classe : banquettes en
bois, pas de vitres. L’objectif des compagnies étant de pousser ceux qui en ont les
moyens à acheter des billets de première classe, stratégie qui échoue, d’ailleurs.
LA CONQUETE DU TERRITOIRE
On vise à montrer comment la conquête du territoire entraîne une nouvelle
perception de l’espace. Là où il fallait plusieurs jours, les meilleurs trains mettent
la destination à quelques heures.
L’évolution du réseau ferré et du trafic
L’édification du réseau ferré français connaît trois grandes phases:
– Entre 1837, date à laquelle s’ouvre la première ligne, Paris-Saint-Germain-enLaye, et 1850. La première ligne, longue de 19 km, connaît un succès prodigieux
; elle est bientôt beaucoup plus fréquentée que la route parallèle mais le roi ne
l’inaugure pas car son entourage jugeait ce mode de transport trop dangereux. La
loi Guizot de 1842 entraîne la construction de lignes importantes qui rayonnent
autour de Paris mais la France est loin derrière le Royaume-Uni (10 500 km) et
l’Allemagne (6 000 km).
– Le Second Empire dote la France d’un véritable réseau ferré (17 430 km en
1870). Toutes les lignes qui rayonnent autour de Paris aujourd’hui sont achevées :
ainsi les grandes villes françaises sont reliées à la capitale. Le réseau français est
relié à celui des États voisins.
– La IIIe République permet l’extension du réseau en resserrant le maillage : le
plan Freycinet (du 17 juillet 1879) permet de combler les vides afin de desservir
toutes les régions. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’ensemble du
réseau est constitué.
À partir du Second Empire, le réseau joue un véritable rôle économique. De
nouveaux métiers apparaissent comme celui de cheminot. Des secteurs entiers de
la production industrielle, comme la sidérurgie, se trouvent poussés en avant. Les
grands travaux publics se multiplient : ponts, viaducs, tunnels, constructions de
Tiré à 35 000 exemplaires de 800 pages, cet
ouvrage permet aux voyageurs de disposer
d’informations plus précises. Hôtels,
restaurants, mais aussi adresses
de garages pour d’éventuelles réparations. Ce
guide devient le compagnon de route de tout
voyageur. Ainsi l’automobiliste est assisté
dans sa nouvelle liberté. Coup
de marketing génial, ce guide est gratuit
jusqu’en 1920. En revanche les cartes qu’ils
éditent à cette époque sont payantes. Elles
deviennent indispensables aux
automobilistes. Elles traduisent le
développement de ce nouveau
moyen de transport qu’est l’automobile et
l’amélioration du réseau routier français.
L’évolution du réseau routier
Jusqu’au milieu du Second Empire, la route
et la voie d’eau sont incontestablement
prééminentes. Le réseau routier est hérité de
l’Ancien Régime. Les relations transversales
sont insuffisantes. La politique menée de
1850 à 1914 vise exclusivement à l’entretien
et à l’achèvement du réseau local. Ainsi, le
réseau national et départemental augmente
peu. L’action des pouvoirs publics, et en
particulier ceux de la IIIe République, porte
sur le « désenclavement des campagnes »
selon l’expression de F. Caron. Ce projet a
pour objectif, d’une part, la constitution d’un
marché national homogène, d’autre part,
l’uniformisation de la nation et la diffusion
des valeurs républicaines. Sous le Second
Empire, les dépenses routières dépassent les
200 millions de francs et, sous la IIIe
République, les 240 millions de francs. Cet
effort montre la volonté des pouvoirs
publics de maîtriser la totalité de l’espace
national. Mais, jusqu’au triomphe de
l’automobile, les capacités du transport sur
route demeurent insuffisantes : une diligence
transporte 16 voyageurs et les chariots de
roulage, 15 à 20 tonnes. Il reste aussi très lent
: en 1850, il faut deux jours pour aller de
Paris à Lyon, en 1880 moins de deux jours.
En revanche, l’aménagement des chemins
vicinaux correspond à l’achèvement des
lignes ferroviaires d’intérêt local. Toutefois,
le bon état d’entretien du réseau routier
contribue au XXe siècle au succès de
l’automobile.
Le réseau ferroviaire en 1855 et en 1913
On pourra comparer les deux cartes. Le
premier canevas se fonde sur un principe
majeur : le train sert la centralisation
administrative. Les lignes joignent donc la
capitale aux grandes villes de province. Ce
plan est désigné sous le nom d’«étoile
Legrand » du nom du directeur des Ponts et
Chaussées auteur du projet. Une fois ces
lignes principales construites, des
transversales sont tracées comme BordeauxGenève via Clermont- Ferrand et Lyon puis
34
gares, d’entrepôts. De nouvelles industries apparaissent comme les constructions
mécaniques (locomotives, wagons, ateliers de réparation…). Le coût des
transports se trouve considérablement diminué : par exemple, le transport d’un
hectolitre de blé de Marseille à Vesoul par la route et la voie d’eau est de 15
francs en 1847 alors qu’il n’est plus que de 3 francs en 1868 par chemin de fer.
Enfin, les liaisons étant plus faciles, le chemin de fer stimule les échanges de
marchandise mais aussi favorise l’exode rural.
La diminution de l’espace français
Ce document montre la contraction de l’espace et du temps due à la vitesse. Là où
il fallait plusieurs jours dans des conditions très inconfortables pour parcourir les
trajets interurbains dans les années 1830, il ne faut plus quelques heures : en
1870, Lille est à 4 heures de Paris, Lyon à moins de 9 heures, Bordeaux à 10
heures et Strasbourg à 12. La révolution ferroviaire accomplie, la perception de
l’espace diffère totalement, le regard porté sur les paysages aussi comme l’atteste
la peinture impressionniste.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
UNE FRANCE TRANSFORMÉE ?
L’histoire des transports évolue donc au rythme des innovations techniques.
L’univers ferroviaire, dominant, construit peu à peu un système cohérent capable
d’assurer des trafics sans cesse accrus et moins coûteux. Ce miracle doit à l’effort
de productivité permanent auxquels tous les moyens de transport ont participé.
Cependant, en 1914, la gestion du trafic sur les chemins de fer et les canaux exige
toujours un recours massif à l’énergie animale et humaine dans les gares, dans les
dépôts, sur la voie. D’autre part, la France a été transformée d’inégale façon. Si
certaines régions, telle la Bourgogne sidérurgique, subissent une
désindustrialisation massive, d’autres, dans le Nord, en Lorraine et en région
lyonnaise, profitent d’une forte concentration de leurs activités industrielles.
L’autre grand apport de la révolution des transports est le renforcement de l’unité
nationale. En 1837, le député libéral Armand Dufaure, futur ministre des Travaux
publics, affirme que « les grandes lignes de fer, ces merveilleuses voies de
communication, par la rapidité du voyage, engagent les populations à se mêler et
à confondre les produits de leur territoire et de leur travail », traduisent en acte le
vœu de « l’unité nationale ». En 1913, ce vœu est largement exaucé.
des lignes secondaires rejoignent les lignes
principales. Cela donne au réseau une allure
en « arête
de poisson ». Ce sont des compagnies privées
concessionnaires qui sont chargées
d’exploiter le réseau. Elles sont 33 en 1846
mais la crise ferroviaire de 1847-1848 met en
évidence l’insuffisante capacité financière de
la plupart des sociétés, ce qui conduit
Napoléon III à redéfinir les modalités
d’exploitation. C’est pourquoi elles se
concentrent pour n’être plus que 6 en 1857,
plus quelques petites compagnies locales,
avec un cahier des charges beaucoup plus
contraignant. La décision des pouvoirs
publics vise à préserver un compromis entre
service public et volonté de développer le
réseau par l’apport de capitaux privés.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
35
HC – Villes et industrialisation au XIXe siècle
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Quelles sont les relations entre industrialisation et urbanisation ?
Comment l’industrialisation transforme-t-elle les villes ?
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Bairoch P., De Jéricho à Mexico, villes et économies dans l’Histoire, Gallimard, 1985.
Gaillard (J.-M.), Lespagnol (A.), Les Mutations économiques et sociales au XIXe siècle (1780-1880), 1984.
G. Duby et E. Le Roy Ladurie (dir.), Histoire de la France urbaine, vol. 4 : La Ville de l’âge industriel, Seuil, Paris, 1980.
J.-L. Pinol, Le Monde des villes au XIXe siècle, coll. «Carré», Hachette, Paris, 1991.
J.-P. Pousou, La Croissance des villes au XIXe siècle, France, Royaume-Uni, États-Unis et Pays germaniques, SEDES,
Paris, 1992.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Usines et ateliers au XIXe siècle, Les deux vecteurs de l’aventure industrielle, MORET-LESPINET Isabelle, TDC, N° 736, du 15
au 31 mai 1997
Les campagnes au XIXe siècle, TDC, N° 770, du 15 au 28 février 1999
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Entre 1800 et 1850, dans la lancée du XVIIIe siècle, l’Europe connaît une
mutation décisive. Elle entre dans un âge au cours duquel se forgent les bases de
sa domination de la planète jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Cette
mue est à la fois économique, sociale et politique. Notre continent, du moins ses
pays les plus avancés, passe à l’ère industrielle et nationale. Mais si le constat est
indiscutable et rend la période essentielle, ses modalités sont objet de remises en
cause historiographiques : dans le reflux actuel des thèses marxistes, le concept
même de révolution pose problème, qu’elle soit bourgeoise et nationale ou
industrielle et urbaine.
La notion de « révolution industrielle » n’est plus contestée par les historiens
aujourd’hui. Le terme de « révolution » peut paraître moins adéquat que celui d’«
industrialisation » pour caractériser un processus lent et progressif, qui se
poursuit tout au long du XIXe siècle, à un rythme inégal selon les pays et les
différents secteurs économiques. Mais la notion de « révolution industrielle »
conserve l’avantage de bien rendre compte de la rupture qualitative qui intervient
dès la première moitié du XIXe siècle dans l’organisation de l’économie et de la
société : avec la révolution industrielle, ce sont des entrepreneurs, et non plus des
marchands, qui contrôlent la production ; l’industrialisation s’accompagne
désormais d’un essor de l’urbanisation, même si une part de la production
industrielle continue d’être assurée par la main-d’oeuvre des campagnes ; la
révolution industrielle a créé « peu à peu un nouveau type de travail, régulier, et
discipliné dans le cadre de l’usine» (Patrick Verley) ; elle modifie en profondeur
l’organisation du système économique, désormais beaucoup plus sensible aux
fluctuations d’un marché mondial (et non plus seulement aux calamités
naturelles) : « à économie nouvelle, comme l’écrit Jean-Pierre Rioux, crises
nouvelles ».
La question des origines de la révolution industrielle continue en revanche de
faire débat. Il n’est plus besoin, comme le faisait Marx, de faire l’hypothèse d’une
accumulation primitive de capital, provoquée par l’exploitation coloniale et par
l’expropriation des paysans parcellaires par le mouvement des enclosures : les
premières entreprises industrielles ne nécessitèrent en effet que peu de capitaux et
il faut attendre l’apparition des grandes entreprises de chemins de fer pour
assister à un drainage massif de l’épargne vers l’industrie. Par ailleurs, les effets
et la diffusion de la « révolution agricole » paraissent trop limités pour en faire le
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4è actuel : « L’âge industriel (7 à 8
heures)
À partir des transformations des techniques
de production de la fin du XVIIIe siècle à
l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits
majeurs du phénomène industriel et de ses
effets géographiques et sociaux. On décrit
idées et mouvements qui analysent ce
phénomène et en déduisent des conséquences
sociales et politiques. Parallèlement sont
tracés les grands traits de l’évolution
culturelle et artistique.
• Cartes : l’Europe industrielle à la fin du
XIXe siècle
•Repères chronologiques : exposition
universelle à Paris (1900).
•Documents : une locomotive à vapeur.
BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL
L’industrialisation qui se développe au cours
du XIXe siècle en Europe et en Amérique du
Nord entraîne des bouleversements
économiques, sociaux religieux et
idéologiques.
Une étude au choix parmi les suivantes :
- Une ville industrielle au XIXe siècle.
Cette étude est replacée dans le cadre de
l’ensemble des bouleversements
économiques et sociaux. »
La révolution industrielle ?
L’historiographie privilégie désormais le
terme de première industrialisation (et les
programmes celui d’âge industriel), car il
permet de lier les interrogations sur le
caractère et les rythmes d’un phénomène qui
36
moteur principal de l’industrialisation, comme a pu le suggérer l’historien Paul
Bairoch (Révolution industrielle et sousdéveloppement, Paris, 1963). Le rôle de
l’innovation technique, enfin, a été sans doute « nécessaire, mais non suffisant »
(Jean-Pierre Rioux). Depuis Marx et Toynbee, la révolution industrielle a été
théorisée, au temps du scientisme triomphant, comme une révolution technique.
La machine à vapeur aurait entraîné, comme le suggère David Landes (L’Europe
technicienne ou le Prométhée libéré, Gallimard, Paris, 1975), « une rupture avec
le passé beaucoup plus radicale que toute autre depuis l’invention de la roue ».
Cependant, les progrès du machinisme ont été lents et n’ont concerné que des
secteurs limités de la production : la machine à vapeur ellemême ne se répand
vraiment que dans la seconde moitié du XIXe siècle. À ses débuts,
l’industrialisation s’opère pour une bonne part dans le cadre des anciennes formes
d’organisation du travail, l’usine n’étant pas dominante, même en Angleterre.
Plus récemment, Patrick Verley a mis en évidence les changements intervenus
dans les conditions de la demande, et non plus seulement dans les conditions de
l’offre. Au XVIIIe siècle, un « changement d’échelle » dans l’organisation des
marchés accompagne la naissance d’une « société de consommateurs» : « si
l’industriel se mit à produire en plus grande quantité et à imaginer des produits
nouveaux, ce n’était peut-être pas uniquement parce qu’il disposait désormais des
moyens de le faire. Peut-être était-ce plutôt parce qu’il avait des débouchés
nouveaux qui lui permettaient de gagner plus d’argent en développant sa
production, avec les techniques anciennes ou avec de nouvelles techniques, avec
les formes d’organisation traditionnelles du travail ou dans de nouvelles formes ».
Les interrogations actuelles incitent par conséquent à se démarquer des
explications monocausales de la révolution industrielle. « Un consensus semble
se dégager aujourd’hui, suggère Patrick Verley, autour de l’idée que l’explication
du changement ne se réduit pas à l’effet d’une cause unique mais réside dans
l’interférence entre les modifications des facteurs économiques principaux et
l’environnement dans lequel ils étaient à l’oeuvre ».
Un autre débat porte sur les modalités de la diffusion de la révolution industrielle
sur le continent européen. Les historiens hésitent de plus en plus à évaluer les
performances des différents pays européens en termes de retard plus ou moins
prononcé par rapport au seul modèle de l’industrialisation en Angleterre, d’autant
que les statistiques nationales faussent l’observation d’un phénomène qui a une
dimension avant tout régionale. De ce point de vue, la théorie du take off naguère
exposée par W. W. Rostow est aujourd’hui dépassée. Les sociétés européennes
ont chacune expérimenté une voie d’industrialisation originale. Il en va ainsi de la
France qui, jusqu’aux années 1860, a connu une « industrialisation sans
révolution », du fait de l’emploi prolongé des énergies traditionnelles et du
maintien des anciennes structures de production : « Cette industrialisation à
l’économie, écrit Denis Woronoff, ne saurait être accusée d’archaïsme. Elle est,
au contraire, rationnelle et bien adaptée » à l’environnement auquel les
entreprises françaises étaient confrontées au XIXe siècle.
Quoi qu’il en soit, la révolution industrielle reste un phénomène inachevé au
milieu du XIXe siècle et les mutations sociales qu’elle entraîne restent d’ampleur
limitée. L’urbanisation progresse, mais l’immense majorité de la population
européenne vit encore dans les campagnes où les famines sont devenues plus
rares mais n’ont pas disparu. En dépit de la promotion d’une bourgeoisie
capitaliste au sein des sociétés européennes, les élites dirigeantes, qu’elles soient
nobles ou bourgeoises, vivent bien plus souvent encore du produit de la rente que
du profit. La révolution industrielle a certes favorisé la concentration des
travailleurs dans des usines, mais, même en Angleterre, les ouvriers travaillent
encore pour la plupart dans des ateliers. L’apparition d’un prolétariat d’usine –
Gérard Noiriel l’a bien montré pour la France – a été un « phénomène limité,
mais délibérément grossi » par les enquêtes sociales qui se multiplient à partir des
années 1830. En effet, la détérioration des conditions de vie et de travail des
ouvriers de manufactures a surtout contribué à changer le regard des
contemporains sur la pauvreté, et plus généralement sur l’organisation de la
société. Comme l’écrit André Gueslin, « ce n’est pas un hasard si, au mot
“industrialisme” se greffe, dès 1823, le mot “paupérisme”, emprunté au
vocabulaire d’outre-Manche. Par rapport à la misère du temps passé, la nouveauté
du paupérisme est d’être un état permanent et durable, touchant des pans entiers
de la société ». Il faudra attendre toutefois la seconde moitié du XIXe siècle pour
reste un problème historique ouvert. Les
derniers travaux insistent sur le rejet de l’idée
de rupture comme des explications
monocausales. Ils repoussent l’explication
par une révolution préalable, soit des
techniques, soit de l’agriculture, pour retenir
plutôt le rôle moteur de la demande en biens
de consommation, au sein de sociétés préindustrielles déjà en pleine évolution au
XVIIIe siècle. Les rythmes différents entre
les pays seraient moins liés à un retard par
rapport au modèle anglais pionnier, qu’à
l’adaptation des formes de la croissance aux
différentes conditions naturelles, sociales et
politique d’émergence des marchés. La
révolution agricole, comme la révolution
ferroviaire ou bancaire, apparaissent donc
plutôt comme des conséquences de ce
nouveau jeu de la croissance, qui a pu se faire
très largement en s’appuyant sur des formes
anciennes de production (exemple : le travail
à domicile des artisans textiles en ville ou à la
campagne). C’est ainsi que les sociétés
européennes deviennent lentement
industrielles, et que l’Europe conçoit
désormais son expansion internationale
comme une recherche d’élargissement des
marchés. Patrick Verley (La Révolution
industrielle, Gallimard, Paris, 1997, p. 121)
résume ainsi ces acquis récents : «
L’orientation qui semble aujourd’hui la plus
prometteuse est de comprendre qu’un grand
mouvement de croissance des activités
manufacturières – on pourra les appeler déjà
industrielles – s’affirma et se confirma dès la
fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe
siècle, avec des nuances chronologiques
selon les pays, faisant apparaître toute
l’Europe comme débordante d’“industrie”,
d’activités très différenciées, riche
d’innovation, saisie par un esprit nouveau de
progrès, d’industrialisme et de
consommation. Dans tous les pays, la
production industrielle augmenta
diversement, selon le caractère plus ou moins
favorable des pouvoirs d’achat de leurs
habitants et de leurs structures sociales, selon
la disponibilité de débouchés extérieurs, qui
dépendaient du jeu des relations
internationales. Cette croissance, dont le
moteur était le dynamisme de la demande des
biens de consommation, prenait place dans
des organisations du travail et avec des
techniques traditionnelles. Elle eut pour effet
de les modifier à long terme. On innova pour
produire davantage, on fit des progrès de
productivité. Durant un temps, cela permit
d’élargir socialement la demande, mais la
croissance ne pouvait que se heurter à la
faiblesse des revenus populaires dans des
sociétés encore très inégalitaires. Cela
conduisit ensuite à essayer de développer un
marché à la taille du monde, ce que rendait
désormais possible le progrès des transports
grâce aux acquis techniques de la première
37
que des réponses significatives soient apportées à la « question sociale », sous la
pression d’un mouvement ouvrier mieux organisé dont les prémices
ne s’observent guère qu’en Angleterre vers 1850.
industrialisation. »
Il faut répondre à la question de la rupture (Y a-t-il eu révolution industrielle ?)
par la présentation du processus de « première industrialisation » (causes /
caractéristiques originales / conséquences), qui reflète l’évolution actuelle de
l’historiographie. Les causes ne sont pas uniques, mais se conjuguent, ainsi que
les formes de production, où l’atelier côtoie encore l’usine, à peine naissante. Les
effets économiques et géographiques de cette industrialisation, encore très
largement mixte, sont donc contrastés, même si, en Angleterre, l’essor de la ville
industrielle dessine l’avenir de l’Europe manufacturière.
Jusqu’au XIXe siècle, c’est la société rurale qui domine le monde. Si le poids de
ce monde rural demeure considérable jusqu’en 1945, il s’efface cependant
lentement au profit de la société urbaine. Au lendemain de 1914, tous les grands
pays industriels dépassent les 50 % de population urbaine. Espace de
l’industrialisation, la ville est aussi le monde des deux classes qui en sont issues :
la bourgeoisie et les ouvriers.
À l’exception de la Grande-Bretagne, déjà largement engagée dans
l’urbanisation, l’Europe du milieu du XIXe siècle est largement rurale. La
seconde moitié du XIXe siècle est en revanche le temps de l’urbanisation
triomphante mais le rythme n’est pas le même dans tous les pays. Cette
urbanisation se traduit par le développement de grandes métropoles.
Symbole des sociétés modernes, lieu privilégié de l’industrialisation, la ville est
le creuset dans lequel les hiérarchies sociales se recomposent.
La société industrielle investit un cadre de vie et de travail progressivement
urbain. L’urbanisation est à mettre directement en relation avec l’industrialisation
puisque les deux phénomènes se recouvrent et concernent les mêmes espaces. En
1800, à peine 3 % de la population mondiale vit dans un cadre urbain, contre 15
% en 1900. Cette croissance exponentielle, surtout au début du XXe siècle,
s’explique par l’afflux de la main-d’oeuvre issue de l’exode rural à la recherche
d’un emploi en ville. Le cadre et le mode de vie urbains sont profondément
modifiés : l’architecture s’élève en hauteur, les transports se multiplient sous terre
ou en surface, le confort et l’hygiène ou encore les loisirs deviennent accessibles
pour un plus grand nombre.
En 1800, à peine 3 % de la population mondiale vivait dans un cadre urbain,
contre 15 % en 1900. Cette croissance exponentielle, surtout au début du XXe
siècle, s’explique par l’afflux de la main-d’oeuvre issue de l’exode rural à la
recherche d’un emploi en ville. À la campagne, la pression démographique et
l’introduction des machines remplaçant la main-d’oeuvre saisonnière libère des
hommes qui sont attirés par les emplois peu qualifiés en usines.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. Usines et ateliers, les deux vecteurs de l’aventure industrielle
Avant de devenir des friches industrielles ou des écomusées, les ateliers et les
usines ont été à la fois des lieux de production, de travail et de sociabilité. Ils ont
animé la vie économique au XIXe siècle et ont engendré une culture particulière,
tout en suscitant des rapports sociaux conflictuels.
La géographie industrielle du XIXe siècle témoigne de cette dualité typiquement
française : atelier et usine participent tous deux à l’industrialisation. Tous deux
cohabitent et se développent dans la complémentarité, à la campagne comme à la
ville, dans une France encore essentiellement agricole.
Mais l’usine, bien que symbole de l’industrialisation, est encore un phénomène
mineur en nombre d’actifs : un recensement effectué en 1851 révèle que, sur 1
000 actifs, 58 seulement sont employés dans la grande industrie, alors que 568
travaillent dans l’agriculture, 111 dans les professions libérales, 218 dans la petite
industrie et que 21 sont domestiques. Et, dix ans plus tard, l’industrie est encore
une affaire d’atelier : sur 4,7 millions d’emplois recensés dans ce secteur, on
dénombre 1,6 million de patrons et 2,9 millions d’ouvriers.
Accompagnement 4è : « Le programme, mais
aussi la carte, les repères chronologiques et
les documents orientent l’étude. L’industrie
transforme l’Europe et les États-Unis, leurs
paysages et leurs sociétés. Il n’est pas
possible au collège d’entrer dans l’explication
complète des origines des révolutions
industrielles. Il suffit d’insister d’abord sur le
charbon et le textile, le rôle de la machine à
vapeur et ses multiples usages, la progressive
naissance de l’usine et des concentrations
ouvrières. Puis, l’énergie électrique et le
premier essor de l’automobile introduisent
aux transformations de la fin du siècle. La
construction des chemins de fer et du Canal
de Suez montrent l’ouverture des régions et
38
ATELIERS ET USINES COEXISTENT LONGTEMPS
Une première vague d’industrialisation, correspondant à l’utilisation de nouvelles
énergies – le charbon et la vapeur – touche la France, du début des années 1800
aux années 1840. Elle concerne essentiellement le textile, l’extraction minière, la
métallurgie et la sidérurgie. Une seconde vague, marquée par une accentuation de
la concentration des usines et correspondant à l’utilisation de l’électricité,
s’amorce dans les années 1870-1880 et s’achève vers 1914. Les secteurs les plus
représentatifs sont la chimie, le caoutchouc et l’automobile. Il faudra attendre
1900 pour qu’une certaine concentration se dessine, sans doute sous les effets
conjugués de la seconde industrialisation et du redémarrage économique de la fin
du siècle : en 1906, un recensement des entreprises industrielles et commerciales
indique qu’un petit quart seulement des entreprises (22,4 %) emploie plus de 100
salariés, un cinquième (19,5 %) en emploie de 11 à 100, tandis que la majorité
(57,9 %) en compte de 1 à 10. Et encore cette concentration n’empêchera-t-elle
pas forcément les ateliers de perdurer, de se multiplier ou de naître. Un exemple :
la confection à domicile sera relancée à la fin du siècle par une autre
concentration, celle des grands magasins, qui préféreront avoir recours à une
main-d’œuvre de proximité, travaillant à la demande, qu’il est facile de contrôler,
dont les salaires sont très faibles, plutôt qu’à de grandes entreprises, bien moins
souples.
Atelier et usine vont donc de pair tout au long du siècle. L’archaïsme n’est pas le
point faible de l’un, tandis que la modernité serait l’apanage de l’autre, tant du
point de vue des moyens mis en œuvre, que dans le domaine social. En 1886, par
exemple, dans les deux secteurs confondus, les femmes représentent 30 % de la
main-d’œuvre, les enfants 15 % environ. Et dans les deux secteurs, la dangerosité
n’intervient pas pour écarter femmes et enfants – dès l’âge de six ou sept ans pour
ces derniers – de certains emplois... La mécanisation, avancée comme ligne de
partage, n’interviendra en tant que telle que dans les années 1870-1880, et
seulement dans certains secteurs. Auparavant, on trouve à l’origine d’un atelier
ou d’une usine un ou plusieurs entrepreneurs – souvent d’anciens ouvriers – qui
bénéficient de l’aide en capitaux de la famille ou d’amis. La mécanisation étant
peu poussée, l’investissement est faible et les profits permettent de réinvestir
facilement. C’est seulement lorsque le matériel se perfectionnera trop rapidement
pour que les petits entrepreneurs puissent le renouveler, lorsque les capitaux de
départ seront trop importants que se figera l’ascension sociale. S’il faut une
frontière bien visible, elle est donc à chercher essentiellement du côté du mode de
production qui différencie nettement l’usine de l’atelier.
L’ATELIER, HERITAGE DE L’ANCIEN REGIME
L’atelier du XIXe siècle est l’héritier direct de l’artisanat pré-industriel qui avait
essaimé sur l’ensemble du territoire. Cette dissémination à travers le pays se
poursuit à l’âge industriel. Toutefois, quelques poches de concentration se
rencontrent dans de grandes villes telles que Paris, Lyon, Saint-Étienne, ou dans
les bassins de main-d’œuvre que sont les Cévennes, les alentours de Troyes, le
Cambrésis ou la Vendée. Ces petites entreprises, individuelles ou familiales, « en
chambre », c’est-à-dire à domicile, ou non, dominent encore à la fin du siècle
dans trois secteurs : les industries alimentaires, le travail des étoffes et du bois,
activités peu mécanisées, pour lesquelles la concentration n’est pas source
d’avantages en termes de rentabilité. La fabrication de la chaussure dans le Cher,
du gant à Millau, de l’horlogerie dans le Jura..., se fait dans ce cadre.
En ville, l’atelier est intégré au tissu urbain, il est souvent même situé au cœur de
la cité. À la campagne, il vient en complément des activités agricoles : les
paysans profitent des temps morts laissés par le rythme des saisons pour
augmenter leurs revenus. Ainsi les bûcherons ou les paysans jurassiens
travaillent-ils durant l’hiver dans des scieries, des menuiseries ou à domicile dans
l’horlogerie.
L’atelier n’a pas fondamentalement changé depuis l’Ancien Régime. Une arrièreboutique, un logement, un hangar suffisent à planter le décor. Nombre de
descriptions de l’époque évoquent un espace confiné, sale et bruyant, tantôt
surchauffé, tantôt humide, une surface réduite, où chacun s’active. L’inconfort et
l’extrême dénuement s’imposent comme une réalité du premier XIXe siècle,
notamment pour les travailleurs à domicile. Ainsi le docteur Villermé, visitant les
ouvriers du textile à Lille, a laissé une description devenue classique des caves de
la rue des Étaques : « Leur mobilier ordinaire se compose, avec les objets de leur
profession, d’une sorte d’armoire ou d’une planche pour déposer les aliments,
d’un poêle, d’un réchaud en terre cuite, de quelques poteries, d’une petite table,
l’expansion économique de l’Europe dans le
monde. »
L’atelier
Qu'il soit rural ou urbain, lyonnais comme
celui des canuts, ou bourguignon, comme
pour cette forge du Châtillonais, l'atelier
domine le paysage du travail manufacturier
dans la première moitié du XIXe siècle.
Même en Angleterre, pourtant à la pointe de
la modernité, les ouvriers d'ateliers
représentent encore la majorité. Le monde de
l'atelier présente, en effet, de nombreux
avantages pour l'industrialisation naissante.
Familial et domestique, il permet la soustraitance de la production pour les
entrepreneurs, ce qui diminue les risques : en
cas de crise, le chômage est ainsi diffusé hors
de l'entreprise, et en période de forte
production, on n'a pas à se préoccuper
d'embauche. Il offre donc une grande
souplesse de redéploiement jusqu'au fin
fond des campagnes, une garantie
d'adaptation aux besoins du marché, ainsi
qu'une garantie de prix de production bas
en raison de la concurrence entre tous les
ateliers, depuis que les contraintes des
règlements corporatifs ont été supprimées
par la Révolution.
Mais, s'il est particulièrement bien approprié
pour l'industrie textile, tant qu'elle emploie le
métier manuel, l'atelier est dépassé dans le
cadre d'une industrialisation basée sur les
gisements de matière première pondéreuse,
ou lorsque la production se mécanise. Les
nouvelles machines, en particulier à partir du
moment où elles sont mues par la vapeur,
imposent un site autour duquel la maind'oeuvre est regroupée. Certes, les protofabriques, comme celles d'indiennes avant la
vapeur au XVIIIe siècle, avaient déjà
regroupé les ouvriers, mais désormais cela
devient indispensable lorsqu'il s'agit de
filatures utilisant des mule jennies.
La sidérurgie illustre idéalement cette voie
d'avenir pour l'industrie. Les usines de
Manchester, comme celles du Creusot,
regroupant des centaines d'ouvriers
autour de leurs hauts-fourneaux et de leurs
marteauxpilons, n'ont plus grand-chose à voir
avec les forges artisanales faisant vivre un
maître-forgeron et son aide autour de leur
marteau hydraulique.
Les rois de l’acier
La famille de Wendel, symbole de la
sidérurgie lorraine durant deux siècles, est
typique de la très grande entreprise française
et de la participation des anciennes élites à
l’industrialisation du pays.
Le fondateur de la dynastie, Jean-Martin
Wendel (anobli en 1719) achète une forge
entourée de bois à Thionville, en 1704. Ses
descendants agrandissent l’entreprise par des
achats successifs de mines de fer et de
39
de deux ou trois mauvaises chaises, et d’un sale grabat dont les seules pièces sont
une paillasse et des lambeaux de couverture. [...] Père, mère, vieillards, enfants,
adultes s’y pressent, s’y entassent. »
UN SAVOIR-FAIRE VALORISE
Dans l’atelier, l’espace est indifférencié : la distinction entre vie familiale et
travail est inexistante. Le patron, aidé par un ou deux ouvriers et par un apprenti,
travaille souvent à leurs côtés et de la même façon qu’eux, dans la même pièce,
partageant également les mauvaises conditions de travail et de vie. La journée est
longue (voir Repères), mais les pauses se multiplient. En général, l’outillage et la
mécanisation restent limités et le corps humain est mis à rude épreuve. À Thiers,
vers 1870, la coutellerie est toujours produite dans des ateliers où « les moyens
mécaniques n’ont pas encore une grande importance. [...] On comprend en effet
que la variété infinie des modèles est un obstacle à l’emploi des machines. Le
forgeage, la trempe, l’émoulage, l’aiguisage et le polissage n’ont rien de
particulier. Ces opérations sont faites au marteau, à la lime et à la meule 2 ».
Au fil du siècle, cependant, l’atelier se dote de machines nouvelles ; de machines
à coudre, par exemple, y compris chez les travailleurs à domicile. Mais le travail
est peu subdivisé, le même ouvrier étant responsable de plusieurs opérations
successives. Dès lors, dans l’ensemble, le travail reste valorisant, car il est le fruit
du savoir-faire de l’ouvrier, qui a connu un long apprentissage. Un savoir-faire et
une compétence qui lui confèrent une certaine autonomie et qui le mettent à
l’abri, au moins en partie, des pressions patronales.
L’USINE, SYMBOLE DE L’INDUSTRIALISATION
Si l’atelier est un des éléments de l’industrialisation, l’usine en est le symbole,
l’espace spécifique de l’âge industriel. Son ancêtre, la manufacture – l’usine sans
machines – avait opéré dès l’Ancien Régime la concentration de la production sur
un même lieu, avec un grand nombre d’ouvriers. La manufacture de toiles de
Jouy-en-Josas, fondée en 1759 par Oberkampf, et implantée à la campagne, en est
un exemple significatif. Au XIXe siècle, l’usine se caractérise, comme la
manufacture, par des effectifs importants, mais elle s’en distingue par une
production massive en série et par le machinisme. Même si elle s’impose d’abord
dans les secteurs où la mécanisation est facile et peu coûteuse, dans ceux où elle
peut se développer progressivement à partir du petit atelier. Ainsi, dans le textile,
elle touche le tissage avant de gagner la filature qui exige des machines plus
performantes. Cependant, plus on avance dans le siècle, plus la société
s’industrialise et plus les capitaux de départ deviennent importants. Aussi les
fondateurs d’usines sont-ils souvent des héritiers de rentiers ou de maîtres de
forges, comme la famille de Wendel qui domine la sidérurgie française durant
deux cents ans (voir encadrés supra).
Les principales zones d’implantation sont le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine et
les Vosges, les régions lyonnaise et grenobloise, celles de Carmaux et d’Albi, la
Normandie et la région parisienne. Elles coïncident avec un certain nombre de
facteurs locaux particulièrement favorables : lieux d’extraction ou d’arrivée des
matières premières, mais aussi réservoirs de main-d’œuvre et de savoir-faire. La
concentration des unités de production qui s’accélère à la fin du siècle
privilégiera une France du Nord, de l’Est, les régions lyonnaise et parisienne, au
détriment d’une France méridionale et centrale : ainsi les sites industriels de
Mazamet ou Decazeville, par exemple, périclitent à la fin du siècle.
AU TEMPS DES CHATEAUX D’INDUSTRIE
D’abord construites dans les bourgs ou dans les villes, les usines rejoignent
bientôt les faubourgs puis la banlieue. Trois avantages à cela : les terrains y sont
moins chers, et l’on cherche à écarter du centre de la ville d’une part des activités
polluantes, d’autre part une population agitée. C’est ainsi que l’usine va peu à peu
engendrer un espace spécifiquement industriel : lieux de production, entrepôts,
gares et voies ferrées, routes et docks.
Les caractéristiques propres aux usines, c’est bien sûr leur emplacement, mais
aussi leur taille et leur architecture. Encore largement ouvertes sur l’extérieur
durant les deux premiers tiers du siècle, elles sont ensuite bien souvent enfermées
derrière de hauts murs ou de hautes grilles, un enfermement très mal perçu par les
ouvriers. L’usage de matériaux spécifiques se généralise au fil du siècle,
matériaux eux-mêmes largement issus de la révolution industrielle : fer, fonte,
verre et brique. Une architecture particulière naît de ces besoins nouveaux.
Lorsque l’industrialisation arrive à maturité, certains patrons et certains
architectes recherchent une esthétique et une monumentalité qui singularisent et
charbon et, à chaque étape de l’évolution des
techniques, adoptent rapidement les
nouveaux procédés de transformation de la
fonte. Les usines de Wendel sont synonymes
de gigantisme : leur production est passée de
6 000 tonnes de fonte en 1828, à 135 000 en
1850 ; en 1828, elles employaient 325
personnes, elles en comptent 7 000 en 1870
(dont 800 mineurs de fer et 1 400 mineurs de
houille). Autour des usines lorraines de
Hayange, Stiring, Moyeuvre, Jœuf, les de
Wendel ont développé une politique
paternaliste de type catholique : garantie,
pour leurs ouvriers et employés, et de père en
fils, d’un emploi dans les usines du groupe
jusqu’à la crise des années 1930 ;
construction de cités ouvrières, d’écoles
(tenues par des religieux), de jardins publics,
d’églises... Jusqu’à la Première Guerre
mondiale, la soumission des ouvriers était de
règle et la vie syndicale muselée. La
longévité de la dynastie repose sur un savoirfaire technologique et commercial, sur une
politique familiale vouée à l’entreprise
(consolidation de la « maison » par l’apport
des dots des belles-filles, par le choix de
gendres ingénieurs des Mines...) ainsi que sur
une aptitude certaine à faire face aux aléas
politiques et nationaux (Révolution française,
guerres napoléoniennes, annexion de la
Lorraine par Bismarck, etc.).
Une puissante famille du Nord
La famille Motte est à l’origine de grandes
usines textiles du Nord de la France qui ont
employé des milliers d’ouvriers au XIXe
siècle.
Le fondateur de la dynastie, Motte-Brédard,
est fils d’un marchand-peigneur de Tourcoing
: les capitaux initiaux proviennent donc du
négoce. Motte-Brédard se retirant assez vite
des affaires, ce sont ses fils qui construiront
un véritable empire.
Louis Motte-Bossut (1817-1883), d’abord,
qui fonde en 1843, avec ses capitaux, la dot
de sa femme et les apports de son oncle et de
son beau-frère, une filature de coton à
Roubaix. Puis Étienne, son frère, après des
études de droit, revient dans le Nord et
implante une filature de laine à Tourcoing. Le
troisième frère, Alfred Motte-Grimonprez
(1827-1887) crée des usines de teinturerie
pour le textile à Roubaix. La génération
suivante, notamment en la personne de Louis
Motte, poursuit la marche vers la modernité
en construisant à Roubaix une usine de six
étages, tout en fer et en brique, de style «
féodal flamand ».
La dynastie a perduré à travers le gigantisme
des usines et grâce à une politique familiale
de l’entreprise. Les capitaux réinvestis, le
souci du travail et de l’économie personnelle,
l’adoption des nouveaux brevets techniques,
les mariages qui permettent d’étendre
l’industrie, l’association avec de jeunes
40
agrémentent le bâtiment de l’usine. C’est ainsi que l’on voit se dresser de
véritables « châteaux d’industrie ». Par exemple, la filature Motte-Bossu à
Roubaix, qui comporte 300 fenêtres, des tours crénelées, des façades à pignons à
redents, ou la chocolaterie Menier à Noisiel, qui atteste également de cette
esthétique ostentatoire. Et les hautes cheminées en brique (108 mètres à Rive-deGier) qui marquent symboliquement le territoire de l’usine, s’imposant dans le
paysage, et crachant à longueur de temps leur fumée, vont bientôt perdre leur
caractère austère. On voit, en effet, se dresser çà et là des cheminées tulipées et
baguées, décorées de faïences, comme à Anzin (1863). Toutefois, la majorité des
usines n’a pas bénéficié d’une telle ornementation et l’usine demeure repérable,
avant tout, par de vastes bâtiments en brique et par les matières premières
entreposées autour.
Au fil du XXe siècle, la concentration industrielle, amorcée après la Première
Guerre mondiale, s’accélère et l’usine endosse l’identité industrielle, reléguant
l’atelier à une image passéiste, usurpée en réalité. En effet, dans bien des régions,
l’atelier perdure jusqu’à nos jours, même s’il est davantage cantonné au secteur
artisanal ou à la sous-traitance.
II. Villes
La croissance et l’urbanisation de populations qui sont mieux nourries et mieux
soignées.
Le nombre des villes augmente. À partir des années 1880, la croissance urbaine
profite surtout aux cités les plus importantes. Les lignes de chemin de fer, les
tramways, les trolleybus, le métro, l’automobile favorisent l’extension de l’espace
urbain et la naissance des banlieues.
On construit énormément pour héberger ces populations venues des campagnes
ou de pays plus lointains (immigration étrangère aux États-Unis et en France).
Les rues et les avenues s’élargissent et sont bordées de nouveaux bâtiments qui
offrent un niveau de confort bien supérieur à ce qui existait auparavant. Aux
États-Unis, un paysage urbain nouveau surgit avec l’apparition des gratte-ciel
pour lesquels se généralise l’emploi du béton, du verre et de l’acier. Le
dynamisme des grandes agglomérations, dont New York devient le symbole,
n’entraîne pas pour autant la disparition de la ville provinciale traditionnelle.
Mais la ville industrielle inquiète, car elle concentre la brutalité des inégalités
sociales qu’engendre la société capitaliste : les « beaux quartiers » font face aux
faubourgs populaires, les centres-villes dégradés deviennent aux États-Unis des «
ghettos » qui contrastent avec les lotissements cossus des banlieues résidentielles
destinées aux classes moyennes. Le contrôle de la croissance urbaine et la
question du logement populaire préoccupent de plus en plus les pouvoirs publics.
Les plus grandes agglomérations, à quelques exceptions près (Rome, Los
Angeles...), sont aussi de grands foyers industriels. Ces cités sont bien reliées aux
grandes lignes ferroviaires, certaines sont des ports internationaux (New York,
Hambourg). Elles constituent des marchés importants et des réservoirs de maind'oeuvre pour le secteur manufacturier. La taille de ces grandes agglomérations
s'explique par une industrialisation qui, en attirant les travailleurs des campagnes,
a favorisé leur essor démographique. En Europe, les capitales, sièges du pouvoir
politique, qui concentrent les plus hauts revenus et qui sont des carrefours
majeurs sur leur territoire, jouent un rôle essentiel.
L’industrialisation de l’Europe occidentale entraîne une poussée de
l’urbanisation, alimentée par l’exode rural et l’immigration. Dans les régions
minières ou les vallées alpines, les villages se transforment en petites villes. Les
petites villes grossissent pour devenir des pôles urbains et industriels. Enfin, de
grandes villes structurent de vastes régions industrielles. Autour des grandes
villes, les banlieues s’étalent, elles accueillent la main-d’oeuvre « déracinée » de
l’industrialisation. Localisés à l’origine à proximité des gisements de charbon ou
de fer et autour des grands foyers de main-d’oeuvre, les bassins industriels vont,
au fil des années, opérer un glissement vers les littoraux. Cette nouvelle
localisation traduit une internationalisation croissante des économies. De plus, le
XXe siècle voit émerger de nouvelles régions industrielles, en particulier en
Europe de l’Est. À partir de 1850, les chemins de fer vont se déployer sur toute
l’Europe, permettant une mobilité croissante des hommes et des activités.
talents, l’extension par des filiales jusqu’en
Russie, l’implantation de comptoirs
coloniaux sont les armes de cette dynastie.
Les Motte tissent à travers le siècle et
l’Europe un réseau dense d’amis et
d’informateurs dans les sphères industrielles
françaises ou étrangères. Les fondateurs
oscillent entre la devise familiale « Aide-toi,
le ciel t’aidera » et celle d’Alfred Motte, «
Dieu et la République ». Catholiques
pratiquants, les Motte mènent une politique
paternaliste : bonnes œuvres florissantes et
syndicats bâillonnés.
La ville industrielle naît en Angleterre
La Grande-Bretagne est le laboratoire de la
nouvelle Europe industrielle et urbaine, aussi
a-t-elle attiré tous les esprits critiques du
temps qui cherchent à y forger ou à y
confirmer leurs analyses. Il est donc tout à
fait logique que ses villes industrielles aient
suscité l'attention d'un essayiste social
comme Eugène Buret, d'un penseur
socialiste comme Engels (qui resta vingt mois
à Manchester et en rapporta La Situation des
classes laborieuses en
Angleterre, véritable ouvrage de combat) et
d'un libéral emblématique comme
Tocqueville qui en nourrit son carnet
de notes personnelles. Ils ne furent pas seuls
et on pourrait aussi évoquer le cas de Flora
Tristan et de ses Promenades dans Londres.
Dans les années 1830-1840, les villes
britanniques connaissent toutes les effets de
l'industrialisation. Qu'elles soient d'anciennes
cités de premier plan, comme la capitale, ou
de modestes bourgs gallois comme Cardiff,
elles s'accroissent dans des proportions
inconnues jusqu'alors. Dès 1850, l'Angleterre
compte plus d'urbains que de ruraux. L'essor
de l'industrie est bien le moteur essentiel de
cette croissance, ainsi que le vérifie
l'augmentation plus rapide des
agglomérations manufacturières. Or, cet effet
de massification, qui fait exploser les villes,
s'accompagne d'une toute nouvelle répartition
de la population. À l'habituelle mixité sociale
des villes, dans lesquelles les regroupements
s'effectuent plutôt par métiers que par
quartiers, succède une ségrégation sociale
radicale. Elle a marqué les contemporains,
libéraux ou socialistes, car on ne l'observe
pas encore à Paris, où les classes se
répartissent selon les étages dans
un même immeuble. Les contrastes se lisent
désormais dans l'espace urbain. Engels, Buret
ou Tocqueville le constatent.
Quittant leurs demeures prises dans le tissu
urbain ancien, les élites se regroupent dans
les beaux quartiers, souvent situés à l'ouest
des villes en raison des vents dominants, ce
qui les met à l'abri des fumées nauséabondes
de l'industrie. Le West-End naît à Londres,
joignant les attraits du confort et de la
représentation sociale aux mérites des
41
L’Europe du Nord et de l’Ouest, plus industrialisée, est aussi celle où le maillage
est le plus dense.
L’aspect le plus essentiel de l’urbanisation de l’Europe entre 1850 et 1938 est la
concentration croissante de la population dans les plus grandes villes. Ce sont le
Royaume-Uni et l’Allemagne qui connaissent la plus forte urbanisation. Les
villes allemandes et britanniques sont, de loin, les plus nombreuses d’Europe en
1913. L’analyse fait apparaître, loin derrière, la France et l’Italie, dont les grandes
villes suivent une croissance presque exactement identique entre 1850 et 1913.
Londres, Berlin et Paris sont d’ailleurs – avec Moscou – au sommet de la
hiérarchie des villes d’Europe en 1938. La croissance des villes millionnaires est
le phénomène majeur de la période. Très largement minoritaires en 1850, les
villes de plus de 400 000 habitants se répandent dans pratiquement tout l’espace
européen. Les villes de plus de 100 000 connaissent une croissance également
spectaculaires : la population de ces villes représente un quart de la population
européenne de 1913 alors qu’elle n’en représentait qu’un vingtième en 1850.
Les régions les moins touchées par la croissance des grandes villes sont les
parties de l’Europe les moins concernées par l’industrialisation du continent : un
fort contraste apparaît en effet entre le nord-ouest et le sud et l’est de l’Europe, où
seules les capitales apparaissent. Dominé par les villes d’Asie en 1800, le sommet
de la hiérarchie urbaine mondiale est très clairement devenu européen et nordaméricain en 1900 : alors que 6 villes asiatiques – 3 chinoises et 3 japonaises –
faisaient partie des dix plus grandes villes du monde en 1800, seule Tokyo se
maintient dans ce groupe en 1900. À l’inverse, l’Europe, qui place à cette date 7
de ses villes dans les 10 premières du monde, n’en avait que 4 – dont
Constantinople – en 1800. Les États-Unis quant à eux commencent seulement en
1900 à placer leurs villes millionnaires dans les premières du monde.
Les deux modes de croissance des villes (horizontale et verticale)
L’augmentation de la population provoque une double croissance des villes qui
s’étendent dans l’espace en annexant les communes limitrophes et en étendant
leur influence sur les banlieues. L’afflux de population résultant de l’exode rural
entraîne la croissance des villes qui annexent les communes environnantes. Les
villes se développent le plus souvent le long des grands axes de transports,
fleuves et surtout voies de chemin de fer.
Mais les villes grandissent aussi en hauteur puisque le centre doit accueillir une
population sans cesse plus nombreuse. On peut penser aux immeubles
haussmanniens et évidemment aux gratte-ciel. Ces derniers sont aussi une
expression de la maîtrise technique et de la puissance. La mise au point de
nouvelles techniques et de nouveaux matériaux rend possible la construction des
gratte-ciel. Aux Etats-Unis, les structures sont plus résistantes grâce à
l’amélioration de l’acier et au ciment Portland. L’invention et le
perfectionnement des ascenseurs (Westinghouse) rendent la circulation verticale
aisée et confortable. L’Equitable Building est à l’origine de la Zoning Resolution,
un code d’urbanisme par lequel la municipalité réglemente la hauteur des
immeubles. Pour éviter d’obscurcir la rue, les architectes doivent désormais
dessiner des buildings à gradins.
La diversité des paysages urbains
Le phénomène de ségrégation spatiale touche les grandes villes, tel qu’il
a été analysé, par exemple, par les sociologues de l’École de Chicago (Robert E.
Park). Pour ces derniers, la ville, qui accueille en permanence de nouveaux
arrivants, n'est pas dominée, comme le village, par une communauté unie par sa
culture. La ville est un puzzle composé de groupes structurellement et
sociologiquement différents. Ces groupes se répartissent dans l’espace urbain
selon un processus permanent de filtrage et de regroupement. La ville est donc un
assemblage de zones et de quartiers, distincts et complémentaires.
Cette coupe permet de mettre en évidence la ségrégation sociale qui existe à
l’intérieur d’un immeuble puisque les premier et deuxième étages sont réservés à
une population aisée, alors que les étages supérieurs, dont les combles, sont
destinés aux classes populaires, aux domestiques voire aux indigents. Le rez-dechaussée est souvent à destination commerciale.
La naissance de l’urbanisme
nouveaux préceptes de l'hygiène. Mais c'est
le développement anarchique des quartiers
populaires, tel que ceux de l'East-End
londonien, qui préoccupe les observateurs.
Plus exactement, leur inquiétude provient de
la paupérisation à laquelle ils assistent. La
« misère » est le mot commun de ces
descriptions, bien illustrées par le cliché de
Glasgow, qu'elle soit « digne capitale
» pour Burdet, soeur du « vice » pour
Tocqueville, ou « la plus crasseuse » pour
Engels. Encore convient-il de noter que, pour
ce dernier, une telle urbanisation, loin
d'être une conséquence involontaire de
l'industrialisation, est le fruit d'« un souci
méthodique » des catégories dominantes.
Une des premières HBM
C’est en 1889, au cours de l’Exposition
universelle, qu’un Congrès des habitations
ouvrières crée l’appellation « habitations à
bon marché ». La loi Siegfried de 1894
encourage la création de sociétés HBM par
des exemptions d’impôts et l’ouverture de
crédits. Mais aucune obligation n’est
imposée, aussi le développement est très lent
(18 sociétés entre 1896 et 1906). En 1912, la
loi Bonnevay offre la possibilité aux
communes de créer des Offices publics
d’HBM.
Habitations à bon marché (HBM),
Aubervilliers, 1935
À partir de la fin du XIXe siècle, la vie du
petit bourg rural est bouleversée par
l’industrialisation. Des Belges, des Lorrains,
des Alsaciens, des Bretons, des Espagnols,
des Italiens arrivent par vagues successives.
La ville d’Aubervilliers connaît un important
essor dans l’entre-deux-guerres car les
ouvriers préfèrent habiter la banlieue, moins
chère que la capitale. Elle bénéficie alors de
deux grands programmes de
construction d’habitations à bon marché. Dès
1929, un groupe d’habitations à bon marché
(186 logements et 4 boutiques)
est édifié avenue Jean Jaurès par la Société
Anonyme d’HBM d’Aubervilliers. Puis, en
1931, commence la réalisation d’un groupe
d’habitations à bon marché (110 logements)
rue de la Goutte d’Or et rue Bordier par
l’Office Public d’HBM d’Aubervilliers.
CHICAGO, UNE VILLE-CHAMPIGNON
Née de l’industrialisation, la grande ville
américaine fascine ses contemporains. Elle
est un laboratoire social pour les sociologues,
un lieu d’expression privilégié pour les
architectes et les urbanistes.
Chicago est la ville américaine qui
connaît la croissance la plus spectaculaire
avec New York, puisque sa population est
multipliée par 143 entre 1850 et 1930.
Chicago est située au bord du lac Michigan
dans un site de plaine qui n’oppose aucun
42
Le terme d’urbanisme, science de l’organisation spatiale des villes, apparaît dans
la langue française en 1910. Sa constitution en tant que discipline autonome
résulterait des réflexions et écrits de l’ingénieur et architecte espagnol Cerda :
Téoria général de la urbanizacion (1867). Dans les années 1920, la ville est
critiquée pour son organisation sociale et ses conséquences sur les modes de vie
mais aussi pour ses tares esthétiques. Les destructions de la Première Guerre
mondiale semblent rendre possible la construction de nouvelles villes. Ainsi, Le
Corbusier, qui souhaite agir sur l’ensemble du processus urbain, se prononce pour
la solution radicale de la table rase. Il propose des plans de villes élaborés selon
un quadrillage strict et découpés en zones d'activités distinctes. Charles-Édouard
Jeanneret (1887-1965), dit Le Corbusier, est un grand architecte, urbaniste,
peintre et théoricien de l’art d’origine suisse. Il a renouvelé l’architecture en
fonction de la vie sociale et utilisé des volumes simples (influence du cubisme)
articulés avec une grande liberté (interpénétration des espaces). Il s’impose
progressivement comme le maître de l’architecture contemporaine.
Lotissement construit par Le Corbusier à Pessac (banlieue de Bordeaux) en 1925
Dans ce modeste lotissement de Pessac de 1925 apparaissent déjà les principes
essentiels de Le Corbusier :
– l’importance des lignes géométriques épurées ;
– des façades libres aux couleurs vives (cf Mondrian et le purisme en peinture) ;
– des fenêtres courant en bandeaux horizontaux sur toute la largeur du mur ;
– des toits terrasses parfois agrémentés de jardins ;
– l’utilisation d’éléments préfabriqués en béton armé.
On pourra préciser que, pour répondre aux besoins nés des destructions de la
Première Guerre mondiale, Le Corbusier met au point un procédé nommé «
Dom-Ino », permettant la réalisation de projets les plus divers à partir d’éléments
préfabriqués combinables. Tout au long de sa carrière, il utilise et améliore ce
système. On peut en outre signaler que la construction de cette banlieue de
Bordeaux en 1925 préfigure la Charte d’Athènes que l’architecte énonce en 1933
et qui préconise la nette séparation dans les métropoles des quartiers suivant leur
fonction :
– les zones résidentielles : immeubles-villas (le cas ici) ;
– les zones d’activités économiques : gratte-ciel ;
– les espaces verts et les voies de circulation principales.
Le problème posé par l’urbanisation est celui de la très forte concentration
humaine sur un espace réduit. Cette concentration pose de manière aiguë le
problème de l’hygiène. En outre, la taille des villes, le lien qui existe avec les
banlieues, posent la question de la circulation. Les villes ne sont plus désormais à
l’échelle du piéton. La construction de grandes avenues bordées d’arbres et
d’immeubles de plusieurs étages permet de répondre en partie à ces différents
problèmes. Grâce à la largeur des avenues, l’air et la lumière circulent plus
facilement. Les alignements d’arbres permettent de constituer un maillage végétal
reliant les différents parcs et squares réalisés dans la capitale. Enfin, les grands
immeubles permettent d’accueillir un plus grand nombre d’habitants. En
revanche, les travaux d’Haussmann ne répondent pas du tout au problème de la
ségrégation spatiale. Au contraire, ils lui donnent naissance puisque les ouvriers
voient leurs quartiers détruits par les grands travaux et doivent migrer vers les
espaces du Nord et de l’Est, chassés du centre par des loyers devenus trop élevés.
Le Corbusier repense l’habitation. Adoptant un système constructif dit du casier à
bouteille, il construit des appartements à l’intérieur d’une structure de fer et de
béton armé. S’inspirant du modèle du couvent, il cherche, dans ses immeubles à
établir un équilibre entre la vie privée et la vie collective. Il prévoit de grandes
barres d’habitations, qui peuvent donc permettre d’accroître la densité. Ces
grandes unités peuvent être dotées d’équipements collectifs : écoles, commerces,
etc. Pouvant accueillir un grand nombre de citadins, ses grandes unités
d’habitation permettent de réserver un espace important aux espaces verts et aux
axes de circulation. Pour Le Corbusier, les espaces verts doivent être présents
partout dans la ville afin que tous les citadins puissent en permanence disposer
d’un espace de repos et de récréation.
L’Exposition universelle de 1900
Organisée onze ans après l’exposition universelle qui a célébré le centenaire de la
Révolution Française, l’exposition de 1900 célèbre tout à la fois l’entrée dans un
nouveau siècle et la prospérité retrouvée de l’économie française. Marquée par de
multiples événements – dont l’organisation des Jeux Olympiques – cette
obstacle naturel à l’extension de la ville. Le
seul risque majeur est une possible
inondation, l’environnement marécageux des
bords du lac complique aussi l’installation
des égouts.
On distingue trois étapes dans la croissance
démographique de Chicago. De 1850 à 1880,
la croissance est relativement lente puis, entre
1880 et 1930, elle s’accélère justifiant ainsi le
qualificatif de ville-champignon. C’est
pendant cette période que la cité dépasse le
million d’habitants et devient la 2e ville des
États-Unis. Après
1930, la population a tendance à stagner à un
peu plus de 3 millions d’habitants.
Chicago n’est en 1840 qu’une petite ville de
5 000 habitants. Elle connaît une croissance
fulgurante grâce au développement
d’infrastructures de transports. Les travaux
du canal de l’Illinois lui font atteindre les
30000 habitants en 1850. Mais c’est l’arrivée
du chemin de fer en 1852 qui fait exploser sa
croissance (110000 habitants en 1860).
Chicago est un des principaux carrefours
ferroviaires des États-Unis. La ville est aussi
un noeud majeur de communication pour la
navigation. En effet, son port reçoit des
navires de haute mer grâce aux canaux
creusés entre les Grands Lacs et le fleuve
Saint Laurent. Son port communique
avec celui de New York, grâce au canal de
l’Érié, et avec le fleuve Mississippi, ce qui
rend faciles les liaisons fluviales avec le sud
du territoire américain. Cette position de
carrefour de Chicago lui permet d’être une
place commerciale de premier ordre : premier
marché de bois de l’Amérique du Nord,
premier marché de grains et de viandes. Les
industries agro-alimentaires sont donc très
développées (immenses abattoirs,
minoteries...) mais la ville a su diversifier ses
activités manufacturières dans de nombreux
domaines (raffineries, machines agricoles...).
Le grand incendie de Chicago, qui détruit, en
1871, une grande partie du centre-ville et qui
rend nécessaire sa reconstruction, fait
émerger une nouvelle approche de la
construction d’immeubles. Ce nouveau style
devient un modèle de développement urbain
pour toutes les villes américaines. Les gratteciel de plus de 100 mètres constituent la
grande nouveauté de l’après-guerre. Un des
plus célèbres, la Tribune Tower, a une
architecture inspirée de la « tour de beurre »
de la cathédrale de Rouen élevée entre le
XVe et le XVIe siècle en style gothique
flamboyant.
La ville de Chicago est organisée comme la
plupart des grandes villes américaines selon
un plan en damier. Les rues principales se
coupent en angle droit, délimitant des
blocs d’immeubles. Le centre ville est
caractérisé par la présence d’immeubles de
grande taille appelés gratte-ciel. Ce choix
urbanistique s’explique essentiellement par le
43
manifestation est aussi l’occasion de souligner le rayonnement international de la
France. Le site de l’exposition, installé sur 112 hectares entre les Invalides et le
Champ-de-Mars et dominé par une grande roue haute de 100 mètres, accueille
plus de 50 millions de visiteurs entre avril et décembre 1900. Après l’exposition
de 1889 qui laisse la tour Eiffel dans le paysage parisien, l’exposition de 1900 est
marquée par de nombreuses réalisations, toutes marquées par le triomphe de
l’architecture métallique, dont les plus remarquables sont le Grand et le Petit
Palais, la gare d’Orsay et le pont Alexandre III, ainsi baptisé en l’honneur du Tsar
d’une Russie devenue le principal allié de la France. Moins durable, l’exposition
elle-même n’en est pas moins aussi spectaculaire : couvrant 135 hectares entre le
Champ-de-Mars, les Invalides et le Trocadéro, elle se compose de pavillons
nationaux et thématiques, donnant à voir l’ensemble des techniques et des
réalisations de la Belle Époque.
Les grands magasins, un nouvel art de vendre
Au XIXe siècle, l’essor des villes et des transports, l’élévation du niveau de vie et
le développement de la production en série conduisent à une révolution
commerciale. À la date du texte, il existe de nombreux grands magasins à Paris :
la Belle Jardinière (1824), les Trois Quartiers (1829), le Bon Marché d’Aristide
Boucicaut (1852), les grands magasins du Louvre d'Auguste Chauchard et
d'Alfred Hériot (1855), le Printemps (1865). D'autres apparaissent plus tard : les
Galeries Lafayette (1895), le Bazar de l’Hôtel de Ville (1904), la Samaritaine
(1904). L’originalité des grands magasins se définit par une formule de vente
nouvelle. Elle comprend notamment le prix fixe et étiqueté des articles
supprimant le marchandage, la recherche du meilleur rapport qualité-prix en
réduisant la marge bénéficiaire (le profit est obtenu grâce à l’accroissement des
ventes), l’usage de la « réclame » et la pratique du retour pour faciliter l’achat.
Jean-Louis Félix Potin (1820-1871) a ouvert son premier magasin d’alimentation
à Paris en 1844. Il y propose des produits de bonne qualité avec une marge
réduite. Le succès rapide lui permet d’ouvrir de nouveaux magasins sur les
grands boulevards. Celui du boulevard Sébastopol est la première grande surface
d’épicerie. La photo des employés du magasin Félix Potin pointe la diversité des
groupes et des fonctions : vendeurs, manutentionnaires, livreurs. Le responsable
du magasin est présent (assis sur une chaise).
manque de place et le prix élevé des terrains
au coeur de la cité.
Le plan en damier et les blocks bien distincts
(avec des rues perpendiculaires à des
avenues) sont deux caractéristiques de la
grande ville nord-américaine. Cet aspect
géométrique s’explique par l’absence de
contrainte majeure lors de la construction et
de l’extension de la ville : celle-ci est en effet
édifiée ex-nihilo (ce n’est pas le cas en
Europe ou au Japon) et elle peut s’étendre sur
de vastes superficies. Robert Ezra Park donne
aussi quelques caractéristiques d’ordre
sociologique : la ville mêle les populations de
migrants (nous sommes aux sources du
mythe du melting-pot) ; les quartiers sont en
outre spécialisés : quartier du vice, quartier
du crime, quartier industriel ou quartier
résidentiel.
Chicago est cosmopolite car sa population est
composée à 72 % d’étrangers ou de fils
d’étrangers. Les migrants sont européens
pour la plupart. Ils fuient la misère (Polonais,
Italiens, Irlandais) ou la répression politique
(Russes, Hongrois, Irlandais). Tous sont
attirés par ce
« pays neuf » et ses grandes métropoles car
ils espèrent y faire fortune.
La ville américaine de Chicago est, à cette
époque, autant un symbole de modernité avec
ses gratte-ciel qu’un lieu emblématique des
problèmes urbains provoqués par une
expansion accélérée (cf. La jungle d’Upton
Sinclair, roman publié en 1906). Le contraste
est saisissant entre la modernité des gratteciel avec leurs ascenseurs et le manque
d’entretien d’une voirie défectueuse, le
réseau d’égouts déficient, l’insuffisante
présence policière pour régler la circulation.
Ces problèmes révèlent un manque
d’investissement dans les services publics.
Art et fonctions urbaines
Inauguré en 1900, le métro parisien est un
moyen de transport né de l’industrialisation et
des besoins liés à la croissance de la capitale.
Afin de joindre l’utile à l’agréable, Hector
Guimard fait des bouches de métro de
véritables oeuvres d’art, mariage par exemple
du fer et du verre.
La colonne Morris est à la fois un support
artistique – puisqu’elle a pour vocation
première d’afficher les programmes de
théâtre – et un mobilier urbain fonctionnel
– elle abrite des urinoirs ou du matériel
appartenant aux employés municipaux.
Les villes tentaculaires
Poète belge d’expression française, Émile
Verhaeren (1855-1916) décrit avec
enthousiasme la beauté poétique du monde
moderne et la grandeur de l’effort humain.
Rallié à un socialisme fraternel, il publie une
série de recueils d’un lyrisme puissant, dont
Les Villes tentaculaires en 1896. Il devient
44
ainsi le « poète de l’énergie, des nouveaux
paysages industriels et des machines ».
Les cabarets parisiens
Ouvert en 1889, le Moulin rouge devient très
vite l’un des plus célèbres cabarets parisiens.
Ouvert dans le quartier à la mode de
Montmartre, il est fréquenté par tous les
publics. Son intérieur délirant, aux décors
multiples, l’éléphant de plâtre qui se dresse
dans son jardin attirent autant les visiteurs
que la piste de danse gigantesque, sur
laquelle se déroulent les spectacles de «
french cancan » bientôt connus dans le
monde entier et immortalisés, entre autres,
par Toulouse Lautrec. À partir de 1902, le
Moulin rouge devient un music-hall, où sont
montées de nombreuses opérettes et où la
chanteuse Mistinguett fait ses débuts en 1907,
avant de devenir une salle de cinéma dans les
années 1930.
Une capitale des plaisirs
Ouvert en 1869, sous le nom de « Folies
Trévise », les Folies Bergère – du nom de la
rue où le cabaret est installé – se rend
rapidement célèbre par ses spectacles
musicaux, en particulier ses opérettes, et par
ses spectacles dansés. À partir des années
1880, le music-hall se lance dans une
surenchère d’attractions de plus en plus
spectaculaires et devient, à la Belle Époque,
un lieu réputé pour ses « revues ». Les Folies
Bergère, immortalisées par un tableau de
Manet, deviennent alors l’un des endroits les
plus renommés de Paris
Une capitale de la mode
Fondé en 1865, Le Printemps est avec La
Belle Jardinière, le Bon Marché, la
Samaritaine et les Galeries Lafayette l’un des
« grands magasins » qui font la renommée de
Paris à la Belle Époque. Fondés sur l’idée –
minutieusement décrite par Zola dans Au
Bonheur des Dames – d’offrir à leur clientèle
le choix le plus large des produits les plus
divers, ces premiers temples de la
consommation se livrent à une concurrence
acharnée pour attirer les clients les plus
fortunés. L’affiche publicitaire du Printemps
souligne l’ampleur de ces efforts.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
45
HC – Le Paris d’Haussmann
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
L’oeuvre de Émile Zola : La Curée (1871) sur le Paris Haussmannien
Ouvrages généraux :
Demier Francis, La France du XIXe siècle, 1814-1914, Le Seuil, 2000, coll. «Points Histoire», p. 163-322.
Michel CARMONA, Haussmann, Paris, Fayard, 2000, 647 p.
Georges Valance Haussmann le Grand, Flammarion - Grandes biographies 2000, 362 pages
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Le Paris d’Haussmann, Au nom de la modernité, YVES CLERGET, TDC, N° 693, du 1er au 15 avril 1995
Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
Jamais Paris n’aura connu une telle transformation. Hygiène, économie et
politique, tels sont les objectifs de Napoléon III. Pendant une vingtaine d’années,
la ville sera complètement restructurée ; on démolit, on aménage, on reconstruit
sans relâche. Sous la directive du baron Haussmann, voici que surgit une capitale
nouvelle qui revendique sa modernité. La bourgeoisie d’affaires s’y installe.
Mais, revers de la médaille : la ville « monumentalisée » qu’admirent les visiteurs
étrangers va obliger les petites gens à s’exiler dans les faubourgs où se créent de
misérables banlieues.
Après l’échec de sa tentative de coup d’État en 1836, Louis-Napoléon Bonaparte
s’exile momentanément à Londres. Il y découvre les résultats des premiers grands
travaux d’aménagements urbains. En effet, dès le début du XIXe siècle,
l’architecte John Nash a été chargé de rénover le West End. Regent Street est
percée entre 1817 et 1823, les travaux de Trafalgar Square commencent en 1830.
Devenu empereur, Napoléon III décide de moderniser Paris sur le modèle de
Londres. Il confie la mise en oeuvre de ce projet au préfet de Paris G. Haussmann
assisté des ingénieurs E. Belgrand et R. Alphand. Ils doivent rénover le tissu
urbain, élaborer un service de distribution des eaux et aménager de nombreux
espaces verts. Haussmann a pour mission d’agrandir la ville (annexion de
communes en 1860) et de l’embellir (parcs, opéra, immeubles résidentiels
bourgeois), tout en l’adaptant aux nécessités d’une grande ville moderne : la
circulation est améliorée par les percées, les grandes places et le dégagement des
gares ; l’assainissement est amélioré par le réseau des égouts ; halles, abattoirs,
aqueduc, magasins prestigieux assurent l’approvisionnement des habitants de la
capitale.
En s'attachant particulièrement à trois aspects de l'histoire du Second Empire,
l'organisation des institutions, la vie des élites et la politique extérieure, Michel
Carmona retrace, avec beaucoup de clarté et de maîtrise, la biographie du grand
préfet de Napoléon III. Refusant les polémiques qui ont entouré la carrière
d'Haussmann, il suit pas à pas les trois volumes de Mémoires que ce dernier a
publiés en 1890, nous proposant au total une biographie presque trop lisse de ce
personnage controversé.
Les débuts d'Haussmann sont typiques de ceux d'un préfet du premier XIXè
siècle. Né dans une bonne famille, ayant fréquenté les grands lycées parisiens, cet
"héritier" a d'abord dû faire montre d'ambition et d'opportunisme, se lançant dans
la carrière préfectorale en 1830, dans l'enthousiasme des Trois Glorieuses. Mais il
lui fallut surtout faire ses preuves sur le terrain et dans tous les domaines, au gré
d'affectations fort diverses: travaux publics à Saint-Girons, contrôle de
l'opposition à Toulon, préparation des élections à Auxerre… car à cette époque, le
préfet est plus souvent chargé de représenter la majorité au pouvoir que l'"intérêt
général".
Ayant réussi à faire accepter le coup d'Etat de décembre 1851 aux Bordelais,
Haussmann est, en 1853 -quand Napoléon III et son ministre de l'Intérieur,
Persigny, durent choisir un préfet de la Seine capable de mettre en oeuvre leurs
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projets grandioses pour la capitale- l'un des soutiens les plus fidèles du nouveau
régime. La destinée de ce Protestant, athlète retors, finaud et… sans scrupules,
épouse alors celle du Second Empire.
Deux ou trois années de labeur acharné lui permettent de lancer de grands projets,
avec l'appui des Pereire, qui ont flairé les bonnes affaires permises par la
transformation de Paris. La décennie 1860 est moins favorable au préfet: les
combinaisons juridiques auxquelles il recourt pour financer ses travaux sont
attaquées, et la haute banque, Rothschild en tête, prend sa revanche. Le 5 janvier
1870, Haussmann est sacrifié sur l'autel de l'Empire libéral.
Michel Carmona est plein de sympathie et de respect pour son personnage, dont il
restitue la figure ronde et pleine… jusque dans ses maîtresses. Mais son portrait,
parfois trop enlevé, manque par moments de nuances : les historiens de Paris,
parmi lesquels Pierre Casselle, se sont récemment efforcés de replacer l'oeuvre
d'Haussmann dans la continuité de celle de ses prédécesseurs, montrant comment
l'ancien préfet, s'attribuant, pour la commodité de son récit, des choix parfois bien
antérieurs, s'est efforcé, dans ses Mémoires, "d'apparaître pour la postérité
comme l'interlocuteur indispensable et unique de Napoléon III, seul capable de
mettre en oeuvre, voire d'influencer, la pensée du souverain". En faisant fi de ces
développements historiographiques, Michel Carmona s'inscrit dans une tradition
visant à magnifier l'oeuvre d'Haussmann, la plaçant dans la continuité de celle du
Premier Empire (pourtant bien hypothétique, si l'on se réfère au Journal de
Fontaine, l'architecte de Napoléon Ier) et sous-estimant celle de la IIIè
République.
Haussmann a certes organisé les services techniques parisiens, livrant la voie
publique aux ingénieurs des grands corps, les immeubles aux Prix de Rome et
autres architectes diplômés des beaux-arts, faisant partout triompher luxe et
grandeur, ses maîtres mots (devenus un siècle plus tard synonymes du "Paris
assassiné" de Louis Chevalier) et contribuant à créer un modèle d'unicité (et
d'uniformité).
Faut-il, pour autant, faire de ce redoutable adversaire de l'électricité le seul
magicien de la "ville lumière" ?
Cherchant l'homme derrière l'oeuvre, Georges Valance a rédigé un saisissant
portrait psychologique du grand préfet de Napoléon III. L'auteur a souhaité éviter
le ton convenu des hommages de circonstance : il précise qu'Haussmann fut
d'abord un déclassé, tenté de racheter une carrière administrative calamiteuse
sous la monarchie de Juillet par une dévotion aveugle et parfois bornée à
Napoléon III, avant de devenir un boulet pour un Empire autoritaire à bout de
souffle, lassé des trop fréquents échecs électoraux que lui valaient la politique
maladroite du préfet. Servi par un sens consommé de la citation, Georges Valance
réussit, avec un incontestable brio, à rédiger un ouvrage décapant sur un sujet
qu'on aurait cru rebattu.
L'auteur a saisi avec finesse les origines sociales d'Haussmann. Le grand-père du
futur préfet ayant préféré renoncer à une confortable carrière industrielle pour
rechercher de vaines gloires à la suite de Napoléon, sa famille se retrouva, sous la
Restauration, dépourvue de tout dans un monde peuplé de chimères. Obligé de
quémander l'appui de cousins devenus soudain prospères, son père, Nicolas,
n'occupa jamais que des emplois secondaires. Ruminant avec aigreur la
conscience de son déclassement, le jeune Georges-Eugène Haussmann, obtint à
vingt-deux ans, grâce à de bonnes études et à l'appui insistant d'un de ses oncles,
notable rallié à l'Orléanisme, un poste de secrétaire général de préfecture.
Mais Haussmann fut presque toujours mal noté par ses supérieurs. Il lui fallut
accepter du ministre de l'Intérieur, pendant vingt longues années, les affectations
les plus reculées (jusqu'à Saint-Girons, dans les Hautes-Pyrénées !) au point que,
malgré un mariage de raison dans une riche famille protestante qui ne l'accepta
jamais, il songea à quitter la carrière administrative pour s'occuper des affaires de
son beau-père. Il fallut, après la Révolution de 1848, l'élection à la présidence de
la République du petit-neveu de Bonaparte, Louis-Napoléon, pour qu'Haussmann
trouvât un chef -dont l'isolement était en quelque sorte semblable au sien- qui
voulût bien l'accepter à ses côtés. Une réputation d'autoritarisme maladroit, jointe
aux états de services de son grand-père, lui servirent de sauf-conduit dans
l'entourage de celui qui, en 1852, un an après le coup d'Etat du 2 décembre 1851,
allait rétablir l'Empire.
L'auteur exploite avec justesse le dossier personnel du préfet -il est vrai
particulièrement riche. Il rappelle les commentaires irrités ou gênés des préfets de
47
la monarchie de Juillet pour un jeune subordonné qui visiblement n'était pas des
leurs. Puis, il montre comment Haussmann sut exploiter à son profit la confiance
qu'avait placée en lui l'empereur, systématisant au besoin les indications que
celui-ci lui donnait, quitte à mécontenter ceux qu'il appelait -en privé- les "masses
grossières et stupides d'ouvriers à marteaux".
Car Haussmann peut-être sympathique par son originalité, son courage ou sa
capacité de travail, appartient à une race d'administrateurs imbus d'eux-mêmes,
méprisants et totalement dépourvus de sens politique : se montrant prêt à sacrifier
ses protecteurs à ses propres desseins, il abuse de toutes les facilités qu'il croit
pouvoir espérer d'un régime parlementaire tronqué, ce qui lui valut de concentrer
sur lui les attaques souvent justifiées des opposants à l'Empire… qui finirent par
obtenir sa révocation !
Faut-il donc vraiment s'étonner que l'auteur prête au grand préfet, à l'image de
l'ancien Premier ministre, Alain Juppé, la "tentation de Venise" ?
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Quand Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République, le 10
décembre 1848, il prend les rênes d’un pays déchiré par la révolution.
Les hommes politiques, les médecins, les prêtres (mais pas les architectes)
dressent le tableau dramatique de l’état physique et moral de la nouvelle classe
ouvrière qui croît fortement avec la révolution industrielle. En fait, les villes
explosent de toutes parts sans aucune maîtrise ; plus grave encore, elles implosent
du dedans. Comme aujourd’hui dans les pays en voie de développement, les
grandes métropoles industrielles d’alors sont synonymes d’extrême surpopulation
et de misère côtoyant la richesse. Alors que les campagnes se dépeuplent, les
transports – et tout particulièrement le chemin de fer – font déferler sur les villes
les paysans pauvres, devenus un sous-prolétariat déraciné et errant qui constituera
« l’armée de réserve » de l’industrie.
Louis-Napoléon, exilé à Londres, connaît bien ce phénomène. Adepte de SaintSimon, il croit que l’avenir réside dans des cités hygiéniques, technocratiques et
hiérarchisées, où les ingénieurs font régner discipline et ordre. Il ne voit pas là
seulement le moyen d’encadrer une classe ouvrière menaçante, mais surtout la
nécessité de lutter contre un chaos urbain chaque jour plus scandaleux. Paris
notamment offre l’exemple d’une ville où les espaces verts disparaissent au profit
de constructions spéculatives, dont les loyers sont exorbitants et où s’entassent les
misérables couches populaires. Parallèlement à ce délabrement des quartiers
populaires, les « riches » investissent les nouveaux lotissements nantis du nordouest (Chaussée d’Antin, quartier de l’Europe, Nouvelle-Athènes...).
Ce « décentrement » de Paris qui sera au cœur de l’analyse et des solutions
proposées par Napoléon III s’explique aussi par l’abandon des quartiers où la
mortalité due au choléra est à son comble : 1832 et 1848 sont deux dates sinistres
communes à Londres et à Paris ; la maladie se répand ici et là comme une traînée
de poudre. C’est dans ce contexte dramatique qu’il faut comprendre cet
acharnement thérapeutique sur la ville ancienne que l’on veut rendre saine,
baignée de lumière, ventilée, pleine de verdure, sans humidité, alimentée en eau
pure et avec des égouts clos pour évacuer les souillures...
La principale rivale de Paris. Londres, plus grande, est-elle mieux lotie ? Les
descriptions d’Engels, de Marx, les témoignages et les gravures de Gustave Doré
nous apprennent que non. Des masures s’étirent sans fin dans des conditions
d’hygiène effrayantes. Pourtant, Louis-Napoléon qui y vécut pendant deux
périodes en tirera quelques leçons pour l’avenir. Le chemin de fer a fait éclater
l’ancienne cité. De beaux quartiers s’ordonnent autour de squares verdoyants ; la
ville est parsemée de parcs magnifiques ; elle possède déjà son tout-à-l’égout,
l’éclairage au gaz, l’alimentation en eau par des pompes à feu et des trottoirs « à
l’anglaise », c’est-à-dire surélevés par rapport à la chaussée et qui séparent ainsi
piétons et voitures.
De tout cela Paris se souviendra, même s’il faudra retransformer le tout dans une
conception de « grandeur », attachée à la tradition française.
Une capitale pour la révolution industrielle
Napoléon III sera à l’initiative du grand dessein qui bouleversera la capitale : «
Paris est bien le cœur de la France ; mettons tous nos efforts à embellir cette
grande cité, à améliorer le sort de ses habitants. Ouvrons de nouvelles rues,
assainissons les quartiers populaires qui manquent d’air et de jour, et que la
lumière bienfaisante du soleil pénètre partout dans nos murs », déclare-t-il en
Activités, consignes et productions des élèves
:
À L’IMAGE DE ROME
Napoléon III cherchera ses racines aux
origines de la Rome impériale.
Au-delà de l’image symbole, celle-ci va
inspirer quelques grandes règles
d’organisation et de composition urbaine.
Déjà Tarquin l’Ancien (575 avant J.C.) avait
fait creuser le grand égout de Rome.
Haussmann présentera le grandiose collecteur
des eaux usées de Paris comme l’œuvre
majeure de son administration : c’est avec
fierté qu’il reprend à son sujet le terme
romain de cloaca maxima qui devient une des
curiosités touristiques les plus visitées de la
capitale.
De même, les aqueducs de l’ingénieur
Belgrand, qui vont chercher l’eau jusqu’à 150
km de Paris, rappellent ceux des Romains.
Sous César et Néron, des quartiers entiers
seront détruits pour une réorganisation
rationnelle générale de la ville, axée sur les
grands édifices publics d’une ville en
expansion.
Les villes romaines de construction coloniale
se bâtiront à partir du plan du castrum (le
camp militaire). Ainsi, deux axes majeurs se
croiseront à angle droit au milieu de la ville.
Auprès de cette croisée, s’organisent les
bâtiments civils les plus importants : le
Forum, les basiliques... La Lutèce antique
avait connu un tel plan. Napoléon III
cherchera aussi à réaliser une grande croisée
de Paris en son centre, sur la rive droite. Au
Châtelet, se croiseront, à angle droit, la rue de
Rivoli – véritable decumanus moderne –
menant à l’ouest aux Champs-Élysées et à
l’est à la Nation, et l’axe nord-sud
(boulevards de Sébastopol et Saint-Michel),
nouveau cardo, remplaçant l’ancien (rues
Saint-Martin et Saint-Jacques). Aujourd’hui
nous pourrions dire que le croisement de
RER Châtelet-les Halles constitue le dernier
maillon de ce schéma centralisateur.
D’ailleurs, si tous les chemins mènent à
Rome, tous les chemins de fer mènent à
Paris. Les gares-terminus deviennent les
nouvelles portes de la ville métropole.
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1850. Le programme est clair, d’autant qu’il décide lui-même du réseau général
des voies à percer et en définit le système.
Entre les nouvelles portes que sont les gares, il faut de larges voies circulatoires
qui mettront ainsi la capitale en relation avec les différentes régions de France. Le
cœur de Paris, replacé en son centre historique du Châtelet, devra être relié à ces
gares et sera complètement restructuré par une grande croisée. Son plan se
cantonne à l’intérieur de l’enceinte des Fermiers généraux (érigée entre 1784 et
1790) ; ce n’est qu’en 1860 que la ville s’étendra jusqu’aux fortifications,
absorbant les banlieues d’alors. La priorité est évidemment donnée au centre,
ainsi qu’à un rééquilibrage de la composition vers l’est avec la place du Trône
(aujourd’hui, de la Nation), contre-point populaire de la place de l’Étoile.
Si Napoléon III est bien à l’origine du vaste dessin des percées qu’il a tracées sur
un plan de Paris, c’est le grand commis de l’État, Haussmann, qui passera à la
postérité. Son nom est attaché au bouleversement le plus important qu’ait connu
la capitale : « chirurgie urbaine » avec la percée de nouvelles voies de circulation
bordées d’immeubles standardisés, création d’édifices publics et de monuments
(Opéra, Halles, gares, églises, mairies...), alimentation généralisée en « eau et gaz
à tous les étages », réseau d’égouts (voir encadré « La stratégie des égouts »),
trottoirs à l’anglaise, pavage en « queue de paon » et macadam pour les
chaussées, éclairage au gaz de la nouvelle « ville Lumière », omnibus sillonnant
l’agglomération, parcs et jardins. Administrateur, gestionnaire, responsable de la
mise en place des structures techniques municipales, articulées à un nouvel
appareil de lois et de décrets, Haussmann est le type même de l’homme moderne
qui naît en même temps que la vieille capitale de l’État-Nation devient métropole.
Cette ville nouvelle servira un vaste dessein politique : d’abord, contrôler la ville
par de larges voies circulatoires. Ensuite, assainir et faciliter les communications
et les échanges. Enfin, enraciner ces transformations, effectuées au nom de la
modernité, dans la grande tradition de la composition urbaine telle que nous
l’enseignent les Romains (voir encadré ci-dessus), les « renaissants », les
classiques.
En accord avec le rationalisme des Lumières
En fait, de 1600 à 1848, les grands travaux que réalisera Haussmann se trouvent
déjà en gestation.
Autour de la Seine, cette « nouvelle avenue triomphale », Henri IV avait souhaité
créer un espace public unifié où s’articulaient harmonieusement places, ponts et
quais. Ainsi le pont Neuf qu’il fait édifier est le premier à dégager des vues
lointaines sur la ville.
Louis XIV, quant à lui, changera l’échelle territoriale de la capitale en
coordonnant Paris aux châteaux royaux qui l’entourent. C’est à cette époque que
sont tracés – dans le prolongement de l’axe central du jardin des Tuileries – les
Champs-Élysées, perspective sans bornes, qui mènent au château de SaintGermain-en-Laye. Débute le règne des avenues qui, partant de la ville, se
transforment en allées cavalières jusqu’au plus profond des forêts domaniales. On
les relie aux boulevards, lieux de plaisir et de promenade, plantés d’arbres et
aménagés à l’emplacement des anciennes fortifications. Ce que les XVIIe et
XVIIIe siècles réalisent à la périphérie, Haussmann aura à cœur de le poursuivre
jusqu’au centre même de la ville.
Le siècle des Lumières prônera l’aménagement rationnel d’un espace urbain que
l’on veut hygiénique, ouvert, circulatoire, continu, au gabarit systématique. Pierre
Patte, architecte de Louis XV, envisage l’ouverture de voies droites traversant les
anciens quartiers, le déménagement des cimetières et des hôpitaux hors de la
ville. S’insurgeant contre « l’espace chaotique et embrouillé, amas de maisons
pêle-mêle où il semble que le hasard seul ait présidé », il ira jusqu’à proposer la
destruction de l’île de la Cité. Mais ces ambitieux projets ne connaîtront que de
maigres réalisations à l’échelle locale. Cependant, on voit déjà apparaître la
spécialisation de certains quartiers et naître l’opposition entre un Est industrieux
et un Ouest résidentiel.
De même, on a coutume d’identifier Paris à l’immeuble « haussmannien » qui
borde les boulevards. L’archétype date pourtant du XVIIIe siècle, avec
l’alignement aux normes des immeubles sur les nouvelles rues, à l’emplacement
d’anciens couvents ou d’hôtels particuliers. Même si l’on y trouve encore une
certaine mixité sociale, ces appartements seront majoritairement occupés par une
nouvelle classe moyenne enrichie qui cherche le « confort moderne ».
L’immeuble de rapport, déjà, se monumentalise, s’ordonnance autour de rues
pavées, numérotées et éclairées à l’huile.
ALIMENTER EN EAU LA CAPITALE
Haussmann revendique haut et fort la
paternité de la mise en place du système. La
qualité des eaux puisées, pompées dans la
Seine ou dans le grand canal de l’Ourcq fait
défaut. Aux carrefours, les anciennes
fontaines constituent toujours ce lieu de
sociabilité fréquenté par les 20 000 porteurs
d’eau. Haussmann opte pour une alimentation
en eau de source pour le réseau domestique.
Belgrand sera chargé par Haussmann de
repérer les sources propres pouvant être
captées pour alimenter Paris. Elles doivent
être abondantes, de capacité importante et
régulière. Leur élévation doit permettre un
écoulement par gravitation jusqu’aux grands
réservoirs à construire sur les points hauts de
la capitale. Il s’agit d’une sorte de drainage
du territoire où la ville-capitale s’affirme en
pleine campagne par des ouvrages d’art, des
aqueducs qui se dirigent vers elle.
Après des études statistiques en Bourgogne,
en Champagne, dans les bassins de la Seine,
de l’Aisne, de l’Aube, de l’Yonne, de la
Marne et de l’Eure, plusieurs sites sont
retenus. La prudence d’Haussmann consistera
à les acquérir avant que la spéculation ne s’en
mêle. Deux grands captages sont réalisés : la
Dhuys et le Surmelin (affluents de la Marne)
alimenteront le réservoir de Ménilmontant
(28 000 m3 par jour, soit un quart de la
consommation parisienne) ; tandis que la
dérivation de la Vanne (dans l’Yonne), après
173 km de canalisations dont 16 sur arcades
déversera 100 000 m3 par jour dans le
réservoir de la rive gauche, au parc
Montsouris.
Mais, si l’eau pure monte à tous les étages
par des canalisations nouvelles, en métal,
reste à nettoyer la ville de ses souillures. Les
eaux pompées dans la Seine, l’Ourcq et la
Marne y pourvoiront. Se crée ainsi un second
réseau, différencié du premier, avant que
leurs eaux, souillées, ne se retrouvent à
l’égout.
LA STRATÉGIE DES ÉGOUTS
En 1850, Paris possède déjà 100 km d’égouts,
ils sont de faible gabarit, souvent engorgés et
inopérants. En 1870, Haussmann et Belgrand
en auront réalisé 560 km. Sous les nouvelles
voies et avenues de surface, ils construisent
un véritable labyrinthe souterrain. Le modèle,
là aussi, est romain, grandiose.
Mais, des égouts, pour quoi faire ? Recueillir
les eaux de pluie et celles du nettoyage des
rues ; drainer aussi les eaux souterraines.
Pour les « eaux malsaines et incommodes »,
la réglementation changera petit à petit,
jusqu’à accepter tardivement (en 1899)
l’obligation du tout-à-l’égout. Sous
Haussmann, on pourra jeter à l’égout les eaux
ménagères, puis les eaux industrielles ; mais
pas les matières excrémentielles, qui devaient
être récupérées par les vidangeurs pour servir
49
En fait, si les idées ne manquent pas pendant cette période, l’incurie reste
flagrante dès qu’il s’agit de gérer des problèmes techniques à l’échelle de la
capitale : eaux de mauvaise qualité, égouts au milieu de la rue. Par ailleurs, c’est
dans les vieux quartiers « des Goths » que le peuple s’insurgera en 1848. De cela,
le baron Haussmann se souviendra : il cherchera à contenir stratégiquement la
capitale et ses quartiers populaires par de larges avenues droites, reliées à des
casernes.
Sous la Restauration, la ville garde la maîtrise des règlements de voirie, mais
l’urbanisation est l’œuvre d’investisseurs privés et de groupes financiers, associés
à des entrepreneurs et à des architectes, qui réalisent de vastes lotissements à la
périphérie. Ils acquièrent ainsi des terrains où ils effectuent des percées ; les rues
sont ensuite rétrocédées à la ville, tandis que les lots – bâtis ou non – sont
revendus : quartier de l’Europe, Nouvelle-Athènes, quartier Saint-Georges,
quartier François Ier... Les plans sont géométrisés, centrés, en étoile ou en
damier, formes « rationnelles » que l’on retrouvera chez Haussmann. Si on les
additionne, ces opérations constituent une transformation de grande ampleur sans
équivalent dans l’histoire : en effet, 37 rues sont ouvertes entre 1815 et 1830, et
112 entre 1833 et 1848. En outre, se met en place une importante armature
monumentale d’équipements publics dont se servira Haussmann. Cette période
voit aussi le développement, près des grands boulevards et de la Bourse, de voies
piétonnes et couvertes (les passages), bordées de boutiques aux larges vitrines,
ancêtres des grands magasins. Elles constituent une petite révolution sur le plan
de la morphologie urbaine : en effet, elles se situent à l’intérieur d’îlots peu
construits et privés, que des promoteurs ont rachetés à bon compte pour les livrer
au commerce et à la foule. Plus tard, Haussmann reprendra cette idée pour tracer
certains de ses boulevards, sciemment au travers des îlots, là où les terrains sont
meilleur marché et sur lesquels sont construits appentis et bâtisses insalubres. La
ville moderne retournera l’ancienne comme un gant, et ce qui était pauvre, triste
et caché deviendra lieu de parade.
Rambuteau, le précurseur
Les changements vont prendre de l’ampleur sous Louis-Philippe, avec le préfet
Rambuteau qui s’emploie d’abord à moderniser et à embellir la capitale. Son titre
de gloire sera la réalisation des nouveaux Champs-Élysées, qui deviennent une
superbe promenade : utilisation du nouveau revêtement de sol macadam venu de
Grande-Bretagne (pierres concassées agglomérées avec un agrégat sableux),
éclairage au gaz par des réverbères dessinés par Hittorff, construction de
restaurants, de cafés, d’un cirque d’hiver, d’un panorama. Hittorff est aussi
chargé de la réfection de la place de la Concorde : fontaines, colonnes rostrales
(en forme de proue), érection de l’obélisque. Il poursuivra son œuvre sous
Haussmann en édifiant la place de l’Étoile. En 1830, il borde les grands
boulevards de trottoirs « à l’anglaise », sur lesquels viennent s’aligner de
nouveaux arbres, tandis que, pour la première fois, la chaussée est asphaltée.
Dans tous ces travaux de mise en valeur d’espaces publics majeurs, il utilise
l’éclairage au gaz, multiplie les fontaines monumentales dessinées par Visconti.
En 1842, une loi centralise sur Paris le réseau de chemins de fer, tandis que les
gares terminus (appelées alors débarcadères) se construisent.
« Le Paris des riches » s’est donc embelli, mais rien n’est réglé quant au fond.
Néanmoins Rambuteau sera le premier à réaliser une percée dans un tissu urbain
dense et insalubre : cette rue porte aujourd’hui son nom. Elle sera sa fierté et celle
des habitants du quartier. Après une ordonnance d’utilité publique de 1838, il a
exproprié, démoli, puis reconstruit une rue droite qui relie le Marais aux Halles et
qui atteint treize mètres de large (ce qui est très important pour l’époque). Ainsi
se réalisait, mais trop partiellement, le vœu de Louis-Philippe : « Donner aux
Parisiens de l’eau, de l’air, de l’ombre ». Mais il était bien tard et le roi tombera
en même temps que la bourgeoisie égoïste, devenue rétrograde, qui l’avait porté
au pouvoir. C’est son successeur qui se chargera de mettre en œuvre, cette fois à
l’échelle de toute l’agglomération, cette tâche immense.
Une conception centralisatrice
La personnalité pragmatique, efficace, décidée d’Haussmann lui permet de créer
et de coordonner tous les moyens nécessaires à l’ambitieux projet général de
transformation de la capitale, longuement médité par Napoléon III. Il sait qu’il
doit affronter de nombreuses résistances, notamment celle du monde étriqué des
rentiers. Il trouvera les hommes, les capitaux, tournera les conflits, infléchira ses
projets en fonction des réalités et des obstacles et enclenchera la métamorphose
de la ville selon une véritable logique d’ensemble.
d’engrais.
Le système combine navigabilité,
déplacement par chemin de fer, éclairage,
signaux lumineux. Les galeries souterraines
servent de lieu de circulation pour tous les
réseaux : alimentation en eau potable,
canalisations de gaz, drainage des nappes
phréatiques, télégraphie et pneumatiques.
Le système est rationnellement hiérarchisé :
depuis le grand collecteur d’Asnières (digne
des Romains) jusqu’à l’égout secondaire, on
compte quatorze types de galeries différentes,
toutes suffisamment vastes pour le passage
d’un homme. Et dans cette ville du dessous,
on accroche des plaques de rues. Ce système
absolument exceptionnel sert de vitrine
prestigieuse à la capitale, et les chefs d’État
reçus à Paris viennent le visiter. Cela
explique aussi les réticences d’Haussmann à
y jeter les matières fécales. De façon plus
pragmatique, la IIIe République instaurera le
tout-à-l’égout en pensant récupérer les
produits sous forme d’engrais au champ
d’épandage d’Asnières.
Mais cette pratique se verra contredire par la
phobie microbienne. La peur de la
contamination du Comité d’hygiène publique
suscite la proposition d’un tout-à-l’égout
clos, sans contact avec la population...
Percée :
terme qui désigne la manière particulière
qu’utilise Haussmann pour ouvrir de
nouvelles voies dans la ville. Les deux
premiers objectifs de la percée sont
d’améliorer la circulation et de vaincre
l’insalubrité en laissant place à l’air et à la
lumière. Mais ces deux objectifs sont associés
à d’autres préoccupations, plus esthétiques,
telles que la mise en valeur des monuments
existants qui se trouvent, par exemple, placés
dans la perspective.
La percée est aussi conçue comme système
de croissance de la capitale. Elle est dessinée
aussi bien extra-muros qu’au sein même de la
ville existante où elle occasionne des
destructions, puis des reconstructions.
La percée répond donc à plusieurs objectifs :
concevoir et tracer de nouvelles voies
(plantées, dotées de mobilier urbain : bancs,
éclairage...), relier les monuments entre eux
et les mettre en valeur, contrôler socialement
et militairement la ville.
La grande croisée, élément majeur des
travaux, se constitue comme la figure
dominante des percées réalisées. Elle est
formée par les nouveaux boulevards, SaintMichel, du Palais et de Sébastopol, et la rue
de Rivoli, prolongés vers les points
cardinaux.
Paris en 1850 reste une ville peu adaptée à
l’ère nouvelle et totalement impropre à
répondre au défi que lui imposent
l’industrialisation et un nombre sans cesse
50
Plutôt que de se satisfaire de la rénovation de quartiers ou de groupes urbains qui
s’autonomisent (comme à Londres), Haussmann préfère l’idée centralisatrice
d’un système bien lié et unifié autour du centre. Les maîtres mots en sont :
accessibilité, circulation, plan général. Il faut rendre cohérent ce qui est pour
l’heure éparpillé. Cette vision globale va d’emblée affronter la ville dans son
ensemble : le problème des flux précédera les considérations de paysage et de
relief.
En fait, « hygiène » et « confort moderne » sont des notions qui vont lier l’espace
privé et individuel à l’espace public et collectif. Ainsi, les réseaux, les
canalisations monteront jusque dans les étages et les appartements. De plus, un
souci d’homogénéisation va prévaloir et s’exprimer jusque dans les petits
éléments du système, ceux qui répondent aux usages quotidiens ; par exemple, le
banc, la grille d’un arbre (conçus par Alphand) sont les mêmes partout et
signalent à chacun qu’il est sur un boulevard « parisien », planté à l’alignement.
Chaque détail renvoie au tout.
Pourtant, malgré cette volonté d’harmonisation, des dissymétries s’accentuent
entre l’Ouest riche, aux opérations prestigieuses (les boulevards s’y multiplient
sur la plaine Monceau, financés par les banquiers Pereire), et l’Est qui n’intéresse
pas beaucoup les spéculateurs (beaucoup de percées, considérées de première
urgence, seront abandonnées). La réalité, celle du corps social, des intérêts, des
inégalités, infléchit le projet global. D’ailleurs, en 1870, le centre prévu au
Châtelet par la grande croisée n’est pas le véritable cœur de la ville qui bat
toujours autour de l’Opéra et de Saint-Lazare. Le théâtre national de l’Opéra
constitue effectivement un point central de la capitale ; lieu de parade, il est
devenu aussi le quartier d’affaires de la nouvelle bourgeoisie. En liaison directe
avec la gare Saint-Lazare par la rue du Havre, il se trouve ainsi connecté à la
banlieue, la province et l’étranger ; le cosmopolitisme des échanges s’exhibe par
la réalisation des grands hôtels combinés aux gares. Le Grand Hôtel, les grands
magasins, la Bourse, voilà les nouveaux appareils mis en place par et pour une
bourgeoisie d’affaires dont l’importance et les possibilités d’investissement sont
décuplées.
Des lois qui confortent le pouvoir du préfet
Pour réaliser son œuvre, Haussmann va s’appuyer sur un appareil juridique et
financier qui lui permet de mener les opérations tambour battant.
Une loi de 1841 autorisait déjà l’expropriation « pour cause d’utilité publique ».
En 1848 et 1849, à l’occasion du prolongement de la rue de Rivoli, on rend
possible l’expropriation de toutes les parcelles touchées par la future voirie. En
1850, une nouvelle loi est votée qui permet d’exproprier pour insalubrité notoire.
Le 26 mars 1852 est franchie une nouvelle étape : désormais peuvent être
concernées les parcelles adjacentes, situées hors des emprises publiques
projetées, ce qui éviterait d’avoir des « immeubles placards », c’est-à-dire juste
une enfilade d’immeubles en bordure des nouvelles voies. Ainsi espère-t-on faire
entrer partout, et jusqu’au cœur du tissu urbain, la salubrité, l’air, la lumière. En
1852 aussi, les travaux d’utilité publique échappent aux parlementaires. Ils sont
publiés sous forme de décrets impériaux, mais sous contrôle du Conseil d’État,
qui se charge de défendre la propriété privée.
En 1859, en outre, est promulguée une nouvelle loi réglementant les gabarits :
corniches à 20 mètres de hauteur, maisons de 5 étages droits pour des voies de 20
mètres de large. Ce qui confirme a posteriori la pratique courante ; en effet, les
règles de hauteur, de composition des façades et des combles, des corniches, des
balcons, des pilastres, du retrait au dernier niveau, tous ces éléments
correspondaient déjà à des usages et des habitudes en vigueur chez les
architectes.
Un solide système financier et administratif
En janvier 1852, le ministre de l’Intérieur Persigny met au point une stratégie
pour mobiliser capitaux privés et publics à long terme et les faire fructifier
(théorie des dépenses productives). La première méthode est celle de la régie : la
ville emprunte, exproprie, achète les terrains et revend les nouvelles parcelles
constructibles aux entrepreneurs. Les bénéfices servent à rembourser les
emprunts et les intérêts. C’est ainsi que seront réalisées les opérations de la «
grande croisée » (boulevard Sébastopol, rue de Rivoli, boulevard Saint-Michel),
d’autant que l’on tient absolument à des reconstructions rapides. La seconde
méthode est celle de la concession, moins risquée : les entrepreneurs acquièrent
les terrains expropriés, paient tous les travaux, revendent les parcelles et
rétrocèdent la nouvelle voirie à la ville moyennant une forte subvention. Suivant
plus important de citadins. Le centre est
encore médiéval avec des rues étroites,
sombres et insalubres. Paris, comme les
autres grandes villes européennes, doit donc
subir une transformation globale et de très
grande envergure afin d’échapper à la
paralysie et à l’étouffement qui la menace.
S’il ne s’agit pas d’urbanisme à proprement
ici car le travail s’effectue, contrairement à
Barcelone par exemple, sur un espace et des
structures existantes, on peut parler d’un
urbanisme de régularisation.
Les transformations sont décidées en 1853
par Napoléon III ; c’est d’ailleurs lui qui a
tracé les premiers plans. Il désigne donc trois
hommes, G. Haussmann, E. Belgrand et R.
Alphand, chargés de mener à bien la
rénovation de la capitale. C’est cependant
le nom de Haussmann, préfet de la Seine, qui
reste le plus attaché à la politique de grands
travaux menée sous le Second Empire.
Le plan pointe la différence de superficie
entre Paris avant et après 1860. En 1841, on
avait décidé d'entourer la ville d'une nouvelle
enceinte bastionnée. Cette enceinte, dite de
Thiers, dépassait largement les frontières de
la ville et englobait des communes
environnantes. En 1860, les communes ou
parties de communes enfermées dans
l’enceinte sont annexées à Paris. La ville est
divisée en vingt arrondissements.
Le plan fait apparaître les grands boulevards
et avenues voulus par Haussmann. Le préfet a
décidé de doter Paris d’axes plus larges et
rectilignes bordés de grands immeubles en
pierre de taille où doit loger la bourgeoisie.
Il y a plusieurs raisons à ces aménagements.
Tout d’abord Haussmann souhaite rendre la
circulation plus fluide mais aussi désenclaver
les différents quartiers de Paris.
Ainsi le plan montre nettement l’élaboration
d’un axe Ouest-Est allant de la Bastille au
Louvre et un axe Nord-Sud partant de la gare
de l’Est pour rejoindre la place d’Enfer. Mais
ces grandes artères répondent aussi à une
visée hygiéniste. Afin de lutter contre la
maladie, il est indispensable de faire circuler
l’air et entrer la lumière dans la ville, ce qui
est rendu possible par les percées effectuées.
Enfin, on estime souvent que les boulevards
permettent un meilleur contrôle de la ville.
Non seulement, il chasse les ouvriers du
centre de la capitale, les repoussant vers les
quartiers non transformés de la périphérie
mais surtout du fait de leur largeur et de leur
structure rectiligne, ils permettent de mieux
contrôler les émeutes. La construction de
barricades est beaucoup plus difficile et
l’action des forces de l’ordre est rendue
plus aisée.
On peut noter la construction de bâtiments
51
la conjoncture, c’est le système de la régie ou celui de la concession qui sera
utilisé. Mais le recours aux emprunts est nécessaire dans les deux cas. Ils se
succéderont et s’amplifieront, créant une dette flottante. Pour que l’endettement
(qui s’accroît au fur et à mesure de l’augmentation des opérations jugées de
première urgence) soit reporté sur le long terme (jusqu’après 1920), on crée la
Caisse des travaux. Celle-ci reçoit les subventions de l’État, le produit de la
revente des terrains, et paie la totalité des travaux (par régie) ou la subvention
seule (par concession).
Haussmann va aussi s’entourer de services techniques compétents et efficaces
qu’il intègre au système général de l’administration centrale. À chaque choix
stratégique, il tranche et place l’un de ses hommes : le service des Eaux veut-il
garder un système qui repose sur une consommation des eaux de la Seine alors
que Haussmann préfère l’alimentation en eau de source conduite à Paris par
simple gravité (aqueduc à la romaine) ? Belgrand, ingénieur des Ponts-etChaussées rencontré dans l’Yonne, prend alors la commande. L’ingénieur Varé
se trompe-t-il dans les relevés planimétriques pour le lac du bois de Boulogne ?
C’est Alphand, ingénieur des Ponts-et-Chaussées connu à la préfecture de
Bordeaux, qui est nommé directeur du service des Promenades et plantations
(aidé par l’architecte Davioud), puis directeur de la Voie publique et des
promenades, poste clé qui l’amènera, sous la IIIe République, à devenir
responsable de tous les travaux de Paris. L’architecte Deschamps est nommé au
service du plan. Sa charge consiste non seulement à effectuer les relevés
topographiques, mais surtout à définir le tracé des voies nouvelles et des
alignements, tracé qui doit rester secret. En effet, les indiscrétions
bouleverseraient tous les plans financiers et fonciers. Sa minutie le fera passer du
plan d’ensemble à l’étude détaillée des parcelles. Il travaille également sur le type
de propriétés à acquérir ainsi que leur valeur. Pour diriger les opérations, il faut,
bien entendu, un plan de Paris, qui est dressé de façon précise au cinq-millième.
Haussmann s’y réfère en permanence comme à un plan de bataille. Reste le
service des Travaux d’architecture, des Beaux-Arts et des Fêtes, qui est confié à
l’ami d’enfance : Baltard. Il construira les Halles centrales de Paris, utilisant des
matériaux modernes : le métal et le verre.
La grande croisée et l’île de la Cité
Les premières décisions tournent autour du centre et des Halles dont la
construction avait été déjà décidée sous Rambuteau. On complétera le système
prévu par l’avenue Victoria et les quartiers du Louvre et de l’Hôtel-de-Ville.
Progressivement, la grande croisée se met en place. Le premier axe est celui de la
rue de Rivoli. « Que c’est beau, de Pantin on voit jusqu’à Grenelle ! Le vieux
Paris n’est plus qu’une rue éternelle / Qui s’avance, élégante et droite comme l’i /
En disant Rivoli, Rivoli, Rivoli », écrit Victor Hugo.
Le second est formé par le boulevard de Sébastopol qui vient prolonger le
boulevard de Strasbourg, en tranchant au beau milieu de l’ancien tissu urbain
entre les deux rues historiques de Saint-Denis et de Saint-Martin. Ce boulevard
arrive en chicane sur la place du Châtelet ; là, Deschamps et Davioud dégagent
un espace symétrique, en déplaçant la fontaine centrale et en implantant de part et
d’autre deux théâtres qui ouvrent la place à la Seine.
Au-delà du pont au Double, le nouveau cardo, souhaité par Napoléon III, arrive
place Saint-Michel et s’articule habilement, grâce à l’ingéniosité de Davioud,
avec le boulevard par une fontaine monumentale. Ainsi, sous la seule loi de la
circulation rectiligne, peut s’effectuer la grande traversée de Paris qui, de l’Arc de
triomphe, mène au château de Vincennes : Étoile-Nation. Mais ces percées, qui
structurent toute la ville, tranchent dans les quartiers anciens plus qu’elles ne
cherchent à les relier. Ainsi cette manière de sectionner la cité obligera les
habitants à se plonger au beau milieu du nouveau système circulatoire
métropolitain, en rupture avec les habitudes locales. Paris vit encore ce
dédoublement : être de tel quartier, mais aussi appartenir au grand tout.
Quant à l’île de la Cité, plus dense et plus complexe (l’ancienne Lutèce), elle
attendra 1865 pour connaître son sort à l’occasion de la reconstruction de l’HôtelDieu. Mais ce n’est pas en juxtaposant un Palais de justice, un grand hôpital, une
caserne, un Tribunal de commerce, une cathédrale et une morgue que l’on crée le
centre animé d’une grande métropole. Le lacis de rues anciennes le plus
enchevêtré qui fût à Paris permettait une mixité des usages et des occupations.
Sans négociation aucune avec ce patrimoine, la nouvelle cité érige des bâtiments
officiels, monofonctionnels, préfigurant le zoning de l’urbanisme moderne, c’està-dire la répartition en quartiers spécialisés.
administratifs, préfecture de police (qui est à
l’origine prévue pour être une caserne de la
garde municipale), palais de justice. Il s’agit
de renforcer et moderniser des services
administratifs dans une ville qui ne cesse de
grandir. Les masses ouvrières qui ont effrayé
en juin 1848 doivent être contrôlées, ce qui
explique la construction de casernes (Château
d’eau). Paris est aussi la capitale
de la France, elle doit donc être dotée des
services conséquents et l’on peut remarquer
les travaux de la Bibliothèque nationale, du
Palais de l’industrie ou de l’Opéra. La
capitale doit être bien reliée au reste du pays
et toutes les gares sont agrandies et
modernisées : gare de l’Est (1854), gare de
Lyon (1855), gare du Nord (1860), gare
d’Austerlitz (1862). La ville accueille une
population de plus en plus nombreuse qu’il
faut nourrir. C’est pourquoi les Halles sont
totalement reconstruites et équipées avec des
pavillons de fer et de verres dessinés par
l’architecte Baltard. Enfin on peut noter la
construction de nouvelles églises qui doivent
renforcer l’idée d’une capitale vitrine de la
grandeur du Second Empire. Ainsi l’église de
La Trinité devait être une église aussi
moderne que la gare Saint-Lazare et aussi
belle et grande que l’opéra de Paris.
Les grands espaces verts parisiens ont été
conçus par l’architecte Louis Alphand. Ces
aménagements répondent encore une fois à
une volonté affirmée de Napoléon III qui a
été impressionné par les grands parcs
londoniens. Ce désir de jardins s’explique par
des raisons très diverses. Napoléon III
souhaite que sa capitale puisse être comparée
à celle de l’Empire britannique
en terme de splendeur. Le jardin a ici une
fonction esthétique. Ensuite, les jardins
apportent aussi l’air et la lumière nécessaires
dans la perspective hygiéniste. Le jardin a
encore un rôle moral, il rétablit le contact
avec la nature saine et apaisante. Le jardin
régénère la ville. Enfin, le jardin répond aux
désirs d’une bonne partie des classes aisées.
Le jardin, c’est l’endroit où l’on peut voir et
être vu, où l’on peut se rencontrer, se divertir
et le jardin est donc un lieu de loisir et de
sociabilité. C’est pourquoi Alphand dote
Paris d’un maillage de grands parcs de
dimensions variées reliés entre eux par des
séries de squares et par des avenues bordées
d’arbres.
Paris est désormais une grande ville dont la
superficie a été fortement accrue, preuve de
la croissance très forte de sa population.
L’urbanisme de régularisation mené par
Haussmann a permis d’adapter la capitale à
cet afflux d’hommes. On doit rappeler ici la
construction des grands axes mais aussi la
rénovation des immeubles qui l’accompagne.
Paris avec ses grandes artères et ses
52
Créer un deuxième réseau
La stratégie urbaine se complète par la construction d’un « deuxième réseau ».
Tout d’abord, il s’agit de relier les gares entre elles (gare de l’Est, gare
d’Austerlitz) par des avenues monumentales (Magenta, Bastille). Mais une
question doit être résolue pour la création d’un système de voies concentriques :
si la rive droite possède déjà des grands boulevards, la rive gauche en est
dépourvue. On réalise donc de toutes pièces le « boulevard intérieur de la rive
gauche » : ce sera le boulevard Saint-Germain.
Pour fermer la rocade Étoile-Nation par le sud, le boulevard Montparnasse sera
prolongé à l’est par les boulevards de Port-Royal, Saint-Marcel, de l’Hôpital, et,
traversant la Seine, par le boulevard Diderot jusqu’à la place de la Nation. Tout
cet ensemble sera repris par le tracé des lignes du métropolitain. Ainsi Paris s’est
trouvé un nouvel axe de composition est-ouest, avec deux types de foyers : les
plus près du centre (Concorde-Bastille) et les plus éloignés (Nation-Étoile). Entre
ceux-ci se tendent des voies en forme d’arcs plus ou moins éloignées du centre,
créant une sorte de fuseau. La Seine n’est plus l’axe de composition ; on a préféré
la ligne droite, le « i » de Rivoli.
Paris sera longtemps considéré comme le modèle cohérent et magistral de la
métropole moderne. C’est la prolifération anarchique des banlieues qui viendra
faire grincer les rouages d’une mécanique que l’on croyait presque parfaite. Les
réalisations d’Haussmann serviront d’exemples tant en France qu’à l’étranger
(Lyon, Marseille, Montpellier, Toulouse, Rouen, Avignon, mais aussi Bruxelles,
Mexico, Rome et Florence), mais nulle part ailleurs qu’à Paris on n’arrivera à une
telle maîtrise générale de la transformation.
Après 1871, la capitale change d’échelle et il faut l’envisager comme une
agglomération bouleversée par le développement des banlieues que la voie ferrée
relie à Paris, et en totale inadéquation avec le découpage administratif et
politique. Même pour l’Exposition de 1900, Paris, retiré dans ses murailles,
construit son métro intra-muros. Les immeubles s’y embourgeoisent encore,
laissant proliférer balcons ornés, bow-windows, saillies, tourelles d’angles que le
nouveau règlement de 1902 autorise.
Face à cela, deux questions restent pressantes et ne trouveront que des réponses
partielles jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : le logement des plus démunis et
l’anarchie d’une banlieue incontrôlée. Ne faut-il pas voir là les deux limites de la
démarche haussmannienne dont la région tout entière porte aujourd’hui encore les
stigmates ?
Une vision de la spéculation immobilière à Paris au moment des travaux
d’Haussmann. La Curée est un roman à charge contre le Second Empire et son
atmosphère qualifiée de « décadente » au début de la IIIe République. La
violence de la charge explique la censure dont fut victime Zola à un moment où
le régime, très conservateur, essaye de redresser le pays après la défaite de 1870.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Les travaux et aménagements voulus par le baron Haussmann répondent à
plusieurs objectifs. L’embellissement de la ville est l’un d’eux, notamment par la
construction d’édifices comme l’opéra Garnier, mais le préfet de la Seine
souhaite aussi rendre la capitale plus salubre. Il répond aux préoccupations des
hygiénistes de l’époque qui dénoncent l’insalubrité de Paris et les menaces
d’épidémies (l’épidémie de choléra de 1832 est encore dans les esprits). Il faut
aérer la ville, en perçant de grandes artères ou en aménageant de nouvelles rues
dans les quartiers les plus denses pour éviter une mortelle promiscuité. C’est
également un moyen de contrôler une ville toujours frondeuse. Les leçons des
révolutions de 1830 ou 1848 sont tirées : il est facile de dresser des barricades et
donc de rendre impossible une charge de cavalerie ou l’utilisation du canon dans
des rues étroites et sinueuses. Avec ces grandes artères, les troupes peuvent plus
facilement entrer dans Paris et mener des opérations de maintien de l’ordre.
Haussmann veut stimuler l’économie de la capitale et donner de l’ouvrage aux
ouvriers, notamment aux ruraux qui sont venus s’installer dans la capitale en
quête d’un travail. L’économie est stimulée par la construction des grands
magasins qui créent une activité nouvelle et deviennent des lieux de sociabilité
très fréquentés.
immeubles de plusieurs étages n’est plus une
ville médiévale. Les rues étroites, les maisons
en bois se font de plus en plus rares. Il faut
aussi ajouter la construction de réseaux et
notamment le réseau d’adduction d’eau et
celui de l’évacuation des eaux usées (tout à
l’égout). Paris est désormais une ville plus
aérée, plus claire. Mais Paris est aussi une
ville industrielle car la ségrégation sociale y
apparaît. Les ouvriers ne peuvent plus loger
dans les quartiers rénovés. Ils migrent vers
l’Est et le Nord, abandonnant l’essentiel du
centre à la bourgeoisie, même si certains
quartiers comme le Marais demeurent très
populaires. Cette ségrégation sociale se
retrouvera lors de la Commune.
Cette politique a un coût élevé et entraîne
quelques opérations de crédits assez
douteuses. C’est pourquoi, après la
publication des comptes fantastiques
d’Haussmann par J. Ferry, le baron est
renvoyé en 1869 par le ministre E. Ollivier.
En 17 ans il a eu néanmoins le temps de
métamorphoser la capitale.
Le texte de Jules-Édouard Horn (1867)
apporte un jugement très critique sur les
travaux de Haussmann. Les grands travaux et
la spéculation foncière ont pour effet de
perturber la composition sociale diversifiée
des arrondissements du centre, de rejeter les
pauvres vers de nouveaux quartiers
populaires mal aménagés et d’accentuer les
clivages sociaux et spatiaux entre
arrondissements. Le centre et l’ouest
bourgeois s’opposent à l’est et au nord
populaires comme le montreront les
affrontements de la Commune.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
Ces travaux ont des conséquences négatives
comme la spéculation effrénée qui s’empare
des propriétaires souhaitant tirer de gros
profits des expropriations. Les travaux
sonnent la fin de la mixité sociale, qui
permettait à des classes sociales différentes
de coexister et créait des solidarités qui
disparaissent. Les ouvriers quittent les
quartiers centraux pour la périphérie est de la
capitale. La ségrégation sociale spatiale
remplace la mixité et donne naissance à deux
cités hostiles, celle des classes possédantes et
celle des classes populaires. Cette nouvelle
situation génère une méfiance et une hostilité
réciproques des classes sociales.
53
HC – Croissance et industrialisation du milieu du XIXe siècle à 1939
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Quel est le phénomène économique majeur de l’âge industriel et quelles en sont
ses manifestations ? Quels sont les facteurs fondamentaux expliquant la
croissance économique de l’âge industriel ? Par quelles transformations des
modes de production la croissance a-t-elle pu se développer ? Pourquoi les États
interviennent-ils de plus en plus dans la vie économique et sociale durant l’âge
industriel, et comment le font-ils ?
Pourquoi et comment les structures de l’économie sont-elles transformées ? La
croissance est-elle constante dans le temps et dans l’espace ?
En quoi l’industrialisation a-t-elle bouleversé les structures de l’économie ?
Quelles évolutions le monde du travail connaît-il ? Comment se manifestent les
crises de l’économie industrielle ?
Sources et muséographie :
Les Schneider, Le Creusot. Une famille, une entreprise, une ville (1836-1960), catalogue de l’exposition du Musée d’Orsay,
Paris, 1995.
Ouvrages généraux :
Verley Patrick, La Révolution industrielle, Gallimard, 1997, coll. «Folio Histoire», propose, p. 125 et suivantes, une série d’études
brèves sur «Acteurs et facteurs».
Verley (P.), Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Hachette Supérieur, 1994
P. VERLEY, L’Échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, Gallimard, Paris, 1997.
F. Caron, Les deux révolutions industrielles du XXe siècle, coll. « Agora », Pocket, 1999.
Caron (F.), Histoire économique de la France, XIXe-XXe siècle, Armand Colin, 1981.
Bairoch P., Mythes et paradoxes de l’histoire économique, La Découverte-Poche, 1999.
Paul Bairoch, Victoires et déboires, histoire économique et sociale du monde, 3 t., Gallimard, Paris, 1997.
Pierre Léon, Histoire économique et sociale du monde, tome IV, (1840-1914) et tome V, (1914-1947), A. Colin, Paris, 1978.
Rioux Jean-Pierre, La Révolution industrielle (1780-1880), coll. « Points », Seuil, 1989.
Crouzet François, Histoire de l’économie européenne, 1000-2000, Albin Michel, 2000, coll. «Bibliothèque de l’histoire», 440 p.
Barjot Dominique (dir.), Industrialisation et Sociétés en Europe occidentale, du début des années 1880 à la fin des années 60,
CNED/SEDES, 1997, 446 p.
Marseille Jacques (dir.), L’Industrialisation de l’Europe occidentale, 1880-1970, ADHE, 1999, coll. «Histoire économique», 378
p. (notamment la contribution de Jean-Charles Asselain sur le processus d’industrialisation, p. 7-43).
J. Marseille, Puissance et faiblesse de la France industrielle, Seuil, Paris 1997
Landes D. S., L’Europe technicienne : révolution technique et libre essor industriel en Europe occidentale de 1750 à nos jours,
Gallimard NRF, 1975.
Asselain J.-C., Histoire économique (de la révolution industrielle à la Première Guerre mondiale) et Histoire économique du XXe
siècle (t. 1 : la montée de l’État – 1914 à 1939), Presses de la FNSP.
Gilles P., Histoire des crises et cycles économiques : des crises industrielles du XIXe siècle aux crises financières du XXe siècle,
coll. « U », Armand Colin, 2004.
J. Brasseul, De la révolution industrielle à la Première Guerre mondiale, A. Colin, Paris, 2004.
D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, Seuil, Paris, 1994.
M. LÉVY-LEBOYER (éd.), Histoire de la France industrielle, Larousse, Paris, 1996.
Angus Maddison, L’économie mondiale : statistiques historiques, OCDE, Paris, 2003.
Paul Mantoux, La Révolution industrielle du XVIIIe siècle, Litec, Paris, 1958.
F. Cochet, Les révolutions industrielles, processus historiques, développements économiques, Collection U, Armand Colin, 1995.
Riemenschneider (R.), Industrialisation et régions industrielles, Actes des Conférences franco-allemandes, APHG et Georg Eckert
Institut, 2003
R. MARX, La Révolution industrielle en Grande-Bretagne, Armand Colin, Paris, 1970.
Documentation Photographique et diapos :
J. Michel, La mine, une histoire européenne, La documentation photographique, n° 8010, 1999.
« Les ouvriers au XIXe siècle », La documentation photographique, n°6079, La Documentation française, octobre 1985.
C. OMNES, L’Explosion de l’industrie en Europe, 1880-1914, dossier n° 6058, La documentation photographique, 1982.
La Terre, l’Usine et l’Homme au XXe siècle, n° 6013
« La vie rurale du XVIIe au XIXe siècle », La documentation photographique, n° 6011, La Documentation française, juin 1974.
Revues :
J.-M. Gaillard, « Les racines de la mondialisation », L’Histoire, n° 270, novembre 2002.
« Mille ans de croissance économique », L’Histoire, n° 239, janvier 2000.
Barjot (D.), « Où va l’histoire économique ? », in Historiens et Géographes, n° 378, mai 2002 et n° 380, octobre 2002
Carte murale :
54
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Tous les titres des pages des manuels scolaires conservent le terme croissance,
pour centrer la démonstration sur cette notion centrale. La démarche proposée
inverse ainsi ce qui est généralement traité en cours, et qui ne correspond plus
aux inflexions de l’historiographie.
Le sujet est traité sous l’angle majeur du phénomène de la croissance
économique, mis en relation avec la transformation des échanges et des marchés
et le processus d’industrialisation. Il ne s’agit donc pas de mettre l’accent avant
tout sur les évolutions techniques et la notion, aujourd’hui remise en cause, de
révolution industrielle.
BO 1ere actuel : « Le phénomène majeur est
la croissance économique. On présente le
processus d’industrialisation et les
transformations économiques et sociales qui
lui sont liées. Il s’agit de saisir les évolutions
et les ruptures majeures sur près d’un siècle
et non d’examiner le détail de la conjoncture.
En privilégiant le cas français, on étudie les
courants qui tentent d’analyser la société
industrielle pour l’organiser ou lui résister
(libéralisme, socialisme, traditionalisme,
syndicalisme).
Le programme de seconde (2001) se termine par l'analyse de la première
industrialisation à travers l'exemple de l'Europe entre 1800 et 1850. La différence
avec le programme précédent porte sur les limites chronologiques puisque,
désormais, les tout débuts de l’industrialisation sont abordés en classe de seconde
(programme 2001). L’intérêt de la question concerne donc l’identité de la période
1850-1939, pour laquelle on ne doit plus considérer le phénomène depuis ses
origines, mais dans sa maturité. Dès lors, les problèmes historiques ne sont plus
ceux de la naissance ou du déclenchement de la révolution industrielle, mais ceux
de la nature profonde, durable jusqu’à nos jours, de la croissance et de son
extension. Le chapitre économique qui inaugure le programme de première veut
montrer comment l'accélération des transformations du système productif conduit
les pays qui s'industrialisent à entrer dans une ère de forte croissance entre 1850
et 1939. En effet, la diffusion du progrès industriel entraîne une expansion
économique, dont la rapidité contraste avec les progrès plus lents et aléatoires de
l’ère préindustrielle. C’est une rupture fondamentale par rapport aux blocages
récurrents de l’économie d’Ancien Régime. Le signe le plus frappant est que les
famines disparaissent avec la fin des crises de sous-production agricole (dernière
famine: la crise de la pomme de terre en Irlande en 1847).Cependant, si elle est
plus rapide et plus importante, cette croissance reste irrégulière et des crises
profondes affectent le processus, sans pour autant remettre en question
l'accroissement continu de la richesse des États qui s'industrialisent. Cette
industrialisation s'accompagne d'une augmentation considérable des volumes
produits, ainsi que de la diversification, de la standardisation et de la diffusion
accrues des biens. La part de l’activité manufacturière dans le produit national et
l’emploi s'affirme, une industrie aux traits plus modernes prend son essor et tous
les secteurs d’activité finissent par adopter le modèle industriel. Entre 1850 et
1939, l’industrie est donc le moteur de la croissance, c'est pourquoi le programme
parle d'« âge industriel ». La part du secteur manufacturier diminue, par la suite,
avec l'essor des services dans l'économie des pays industrialisés.
L’industrialisation est un thème très riche, qui combine histoire économique,
histoire du travail, histoire sociale et histoire culturelle. On s’intéresse plus
particulièrement aux thèmes du travail, des techniques et de la consommation.
Les années 1880 marquent l’essor de la « deuxième révolution industrielle », qui
repose sur l’électricité, la chimie et le pétrole. La science et les techniques, ainsi
que la recherche et le développement, sont désormais étroitement liés à
l’économie dont elles sont le moteur. La croissance n’est pas un processus
ininterrompu ; elle est ponctuée par des crises et des périodes de dépression qui
amènent les contemporains à s’interroger sur leur modèle de développement.
Cette question comporte un aspect comparatif important. En effet, les différentes
puissances ont connu des rythmes d’industrialisation propres (avance du
Royaume-Uni, rattrapages américain et allemand, industrialisation française plus
progressive, etc.), même si de vastes phénomènes dépassent les frontières,
comme les dépressions ou les crises économiques (celle de 1929 en tête), ou
encore la Première Guerre mondiale.
La période 1850-1939 associe deux phases de l’industrialisation : la première –
née de la vapeur, du charbon, du textile et de l’acier – connaît son pic à la fin du
XIXe siècle. La seconde industrialisation est fondée sur l’essor de l’électricité et
du pétrole, de l’automobile et de l’avion, de la mécanique et de la chimie. Selon
Patrick Verley, le fait majeur réside dans le passage d’une croissance extensive à
productivité constante, à une croissance de la productivité par intensification.
Accompagnement 1ere : « Il s’agit de prendre
la mesure de la croissance sur près d’un
siècle et de la mettre en relation avec son
origine : le processus d’industrialisation.
L’approche des formes et des phases de ces
mutations majeures et des décalages existant
entre les espaces européens de ce point de
vue doit partir du milieu du XIXe siècle, sans
s’astreindre à remonter au démarrage. C’est
dans ce cadre d’ensemble que les crises
majeures qui ont marqué ces mutations
(Grande Dépression du XIXe ou crise de
1929) sont étudiées : événements
conjoncturels aux conséquences graves, qui
infléchissent l’évolution sans en remettre en
cause les données essentielles. »
BO 1ère STG : « Capitalisme, société
industrielle, culture européenne à la conquête
du monde (milieu XIXe siècle milieu XXe siècle).
On étudie la montée du capitalisme industriel
qui invente de nouveaux modes de
production (usine, entreprise) et dynamise
l’Europe, puis les États-Unis et le Japon.
Cette extension n’est pas linéaire, elle connaît
des cycles et passe par des moments de crise.
Elle entraîne la croissance des villes,
transforme en profondeur les sociétés et
suscite des mouvements de résistance.
L’industrialisation se diffuse à l’échelle du
monde de manière très inégale et selon des
modalités différentes. »
Accompagnement 1ère STG :
« Capitalisme, société industrielle, culture
européenne à la conquête du monde (milieu
XIXe - milieu XXe siècle)
On étudie cette partie du programme dans la
longue durée.
Il s’agit de montrer, dans la longue durée,
comment est né le capitalisme industriel basé
sur la propriété privée des moyens de
production, sur la liberté des échanges et la
recherche continue du progrès technique ainsi
que la séparation des possesseurs des moyens
de production et les salariés. On insiste sur ce
que le nouveau mode de production
55
L’industrialisation se caractérise par d’importantes mutations technologiques et
des nouveaux procédés qui exigent beaucoup de capitaux. Cependant, au-delà de
ces constats se pose la question clé de la genèse du processus industriel :
l’industrialisation n’est pas fille de la révolution technique comme
l’historiographie l’a classiquement expliqué. Si la hausse de la productivité
dépend de l’incorporation du progrès technique dans les procédés de fabrication,
les travaux actuels montrent que c’est la marché qui commande : une innovation
ne devient opérationnelle dans le champ de la fabrication que si elle compense
une pénurie de main-d’oeuvre ou permet des gains de coût pour faire face à la
concurrence. Autrement dit, l’ouverture des marchés implique des
investissements et des innovations.
Le débat historiographique s’est déplacé : longtemps centré sur les crises
cycliques (Grande dépression, crise de 1929) analysées de manière marxiste,
comme reflétant la crise générale inhérente au système capitaliste, il s’oriente
plutôt sur le phénomène de longue durée que représente la croissance. Les crises
sont alors vues, de manière libérale, non pas comme des ruptures voire des
remises en cause, mais comme des moments, paradoxaux, de dépassement des
blocages permettant par la suite une accélération de la croissance. De manière
encore plus récente, c’est autour du concept de mondialisation (proprement
économique au départ, le terme englobe aujourd’hui l’activité économique dans
un ensemble bien plus vaste, culturel et politique qui désigne grossièrement la
diffusion du libéralisme) et de ses racines que s’orientent les réflexions : après
un « premier âge d’or » au XIXe siècle, la mondialisation connaît un « grand
recul » dans l’entre-deux-guerres (cf. J.-M. Gaillard, in L’Histoire, n° 270,
novembre 2002).
Les notions de croissance et d’industrialisation, induisant longue durée et large
diffusion, seront employées de préférence à celle de « révolution industrielle »,
qui devrait être réservée aux transformations rapides de la Grande-Bretagne à
partir de la fin du XVIIIe siècle. On sait que le débat historiographique relatif aux
notions de révolution(s) industrielle(s) et de croissance est présenté de façon
lumineuse par Jean-Pierre Rioux. Le terme de « révolution industrielle » est à
l'origine d'interminables débats et controverses entre historiens. Les uns l'utilisent
parce qu'ils adhèrent aux interprétations traditionnelles, formulées au XIXe siècle
par Adolphe Blanqui (1837), puis par Arnold Toynbee en 1884. À leurs yeux, il
s'est produit un changement rapide et brutal, séparant deux modes de croissance
économique. Ce bouleversement est expliqué par une révolution préalable soit
des techniques, soit de l'agriculture (Paul Bairoch, 1963). Cependant, de
nombreux chercheurs (encore récemment Nicholas F.R. Crafts), en s'appuyant sur
des analyses statistiques, montrent la lenteur des progrès, ce qui remet en
question la théorie du take-off ou décollage (Rostow, 1962). Cette approche
gradualiste conduit à préférer le terme d' « industrialisation » afin de bannir l'idée
de rupture avec l'ère économique précédente et de rejeter l'explication des
mutations économiques par un simple effet de cause à conséquence. Selon les
historiens gradualistes, il faut, au contraire, mettre en évidence la multiplicité des
facteurs qui ont rendu possible la croissance industrielle, le poids relatif de ces
facteurs pour chaque pays (faible rôle de l'État en Angleterre, important en
France et en Allemagne) et l'interaction qui a existé entre divers phénomènes. Par
exemple, l’augmentation de la productivité agricole accompagne l’augmentation
de la population et la croissance démographique tire le progrès agricole.
Toutefois, l'expression « révolution industrielle » n'est pas pour autant
abandonnée. Elle apparaît sous la plume de Patrick Verley qui n'en voit qu'une et
refuse de dépasser les années 1880. En revanche, François Caron utilise le
concept pour rendre compte des profondes mutations techniques qui
accompagnent le processus d'industrialisation du XVIIIe au XXe siècle. Il
distingue ainsi trois révolutions industrielles successives, dont deux concernent la
période 1850-1939.
Étapes, taux et enchaînements de la croissance industrielle sont aujourd’hui bien
connus. Plus discutée est la relation entre les fluctuations de cette croissance et
l’histoire sociale et politique. Si la crise de 1929 a bien déstabilisé les sociétés des
pays industriels, et y a favorisé des bouleversements politiques, comme la montée
du nazisme en Allemagne, on se défie aujourd’hui des explications trop simples :
les ruptures politiques n’ont pas que des causes économiques. Ce thème, sans
capitaliste a de particulier: usine, entreprise,
nouvelles formes d’énergie (vapeur puis
électricité), modification des paysages
urbains, villes nouvelles industrielles.
La croissance connaît des cycles et passe par
des moments de crise. La première crise de
l’ère industrielle est celle de 1873-1896 (la
Grande Dépression). Les crises à l’ère
industrielle sont des crises de surproduction
qui éclatent du fait d’un marché solvable trop
étroit par rapport à une production de plus en
plus massive. On n’entrera pas le détail des
crises, mais on évoquera la crise de1929 et
ses conséquences en terme de théorie
économique (régulation du capitalisme par
l’intervention de l’État : New Deal et les
théories de Keynes).
L’industrialisation s’accompagne de la
transformation des villes qui voient leur
population augmenter très rapidement. Il
s’agit d’évoquer l’exode rural et en
conséquence les transformations
économiques dans les campagnes.
L’industrialisation transforme
considérablement les sociétés européenne,
nord-américaine et japonaise. Elles
connaissent d’importantes mutations sociales
: apparition de nouvelles classes sociales
(bourgeoisie capitaliste industrielle,
prolétariat) et mutations des classes
moyennes (artisans et commerçants
constituent une classe moyenne indépendante
qui se transforme mais l’industrialisation
donne naissance à une nouvelle classe
moyenne salariée d’employé(e)s et
fonctionnaires). Il sera important de préciser
la notion de classe sociale.
Les transformations sociales s’accompagnent
de résistances. Le libéralisme, idéologie
triomphante de l’âge industriel est contesté
sur sa droite par le traditionalisme (qui rêve
d’un retour à l’âge pré-industriel) et le
socialisme qui milite pour dépasser le
capitalisme et instaurer une société égalitaire
sur la base de la propriété collective des
moyens de production. On montrera que la
résistance ouvrière s’est exprimée à travers le
mouvement syndical et au moyen de son
arme principale : la grève.
L’industrialisation transforme la production
culturelle, l’accès à la culture et les modes
d’expression traditionnelle. En France, les
années, 1860-1930 correspondent à un
premier âge de la culture de masse (on ne
manquera pas d’évoquer les débuts du sportspectacle avec le Tour de France et les
premières courses automobiles).
Les puissances européennes les plus
transformées par l’industrialisation animent
un mouvement d’expansion et
d’européanisation, indissociable d’un fort
sentiment de supériorité d’une volonté
civilisatrice et d’une suprématie scientifique
et technologique. Ce mouvement, qui
constitue un fondement durable du rapport de
56
trancher à lui seul ce problème, peut être l’occasion d’en prendre conscience.
La Grande Transformation, oeuvre majeure de l’économiste Karl Polanyi, est
redécouverte de nos jours, en particulier par tous les courants critiques du
libéralisme et de la mondialisation. Cette oeuvre, publiée en 1944, a été
longtemps éclipsée par les travaux de Keynes et le poids de la pensée marxiste
dont pourtant Polanyi s’inspire. Dans cet ouvrage, l’auteur montre dans une
analyse historique et anthropologique l’avènement de l’économie de marché et
son arrachement progressif des sphères du social et du politique, puis
l’émergence des tensions entre libre concurrence et concentration des entreprises,
entre extension des marchés et protection des sociétés (lois sur le travail, droits de
douane). Pour lui, le marché autorégulateur s’effondre en 1929, la crise produit la
« Grande Transformation », soit la mort du libéralisme et l’accouchement du
fascisme. Karl Polanyi décrit par exemple un des piliers de la civilisation qui
s’effondre dans les années 1930 : le système d’équilibre des puissances. Les
autres piliers sont l’étalon-or, l’État libéral et, donc, le marché autorégulateur.
Le titre est « La paix de cent ans » : 1914 marque le terme d’une période ouverte
en 1815 durant laquelle les grandes puissances ne se sont fait la guerre que 18
mois au total, la plus longue étant la guerre de 1870-1871. Karl Polanyi postule
que derrière cet état de fait exceptionnel et le rôle majeur du Concert des Nations,
existe une force bien supérieure et anonyme qu’il nomme la haute finance : cette
institution a agi dans le dernier tiers du XIXe siècle et le premier tiers du XXe
siècle, comme un microcosme permanent du système international, qui aurait
ainsi assuré un effet régulateur sur les relations entre les États, avec pour mobile
premier le gain. John Maynard Keynes soutient que pour casser la spirale de
crise, l’État doit relancer la machine économique par la dépense publique. Pour
Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942), le capitalisme
n’est pas condamné par le chômage et la paupérisation, mais par la
bureaucratisation de l’économie, l’effacement des entrepreneurs au profit des
administrateurs, et par les excès de la fiscalité ; la seule issue est le socialisme,
qui doit conduire non à la servitude mais à une liberté contrôlée. Les faits ont
démenti cette thèse. On en revient donc à la thèse de Karl Polanyi selon laquelle
la crise des années 1930 traduit la mort du libéralisme économique tel qu’il s’est
déployé jusqu’à cette période noire (cf J. Maucourant, Avez-vous lu Polanyi ?, La
Dispute, 2005).
l’Europe avec le monde, ne se confond pas
avec le colonialisme : il se traduit par
plusieurs autres manifestations
d’impérialisme (exportations de capitaux) et
d’influence. Mais le phénomène
emblématique n’en demeure pas moins la
constitution d’empires coloniaux grâce
auxquels les métropoles étendent leur
domination sur d’immenses territoires
continentaux et maritimes. »
Les orientations historiographiques les plus récentes relativisent aussi les
difficultés britanniques de la fin du XIXe siècle. Si la prépondérance anglaise est
remise en cause, ce déclin est relatif : la Grande-Bretagne demeure la grande
puissance commerciale et financière et subit un rattrapage normal des autres pays.
De plus, on nuance aussi aujourd'hui l'idée de modèles nationaux
d'industrialisation. En effet, Jacques Brasseul rappelle que des processus
régionaux peuvent transcender les frontières nationales.
L’innovation est au coeur du processus d’industrialisation, comme l’a
admirablement montré l’historien François Caron.
Enfin, chaque pays évolue à son propre rythme dans le processus
d’industrialisation. Cette dernière idée prévaut actuellement chez les historiens,
elle remplace l’idée selon laquelle tous les pays seraient engagés dans un
processus unique, fait de phases successives et de passages obligés. On reconnaît
aujourd’hui qu’il y a une voie anglaise, tout comme il y a une voie française ou
italienne d’industrialisation.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Le plan s’ouvre ce faisant sur le constat de la croissance sur la longue durée, sur
ses différenciations spatiales et sur les crises qui infléchissent le rythme, sans le
remettre en cause d’une manière durable. Ce n’est qu’après l’étude de l’ouverture
des marchés que sont analysés les évolutions techniciennes de la production, des
modes d’organisation du capitalisme et du rôle des États.
On insiste sur l’examen de la croissance qui est, à partir du milieu du XIXe
siècle, « le phénomène majeur » des économies en pleine industrialisation. Ceci
permet d’envisager ensuite comment et pourquoi l'industrie, principal moteur de
cette expansion, devient le secteur majeur de l'économie, pour enfin montrer que
Ce chapitre porte sur la croissance et
l’industrialisation qui vont de pair. Nous
pouvons choisir de présenter le
développement de l’industrie en plusieurs
phases, selon le schéma classique des «
révolutions industrielles », pour intégrer plus
facilement la chronologie des alternances
de croissance et de dépression et parce que
cela permet de rendre plus visible le « temps
57
les succès de l'industrie bouleversent l'ensemble de l'économie, donnant naissance
à ce qu'on appelle désormais le système capitaliste.
I. La croissance, « phénomène majeur » des économies en pleine industrialisation
La croissance économique des pays d’Europe et d’Amérique du Nord s’accélère à
partir de 1850. Cette croissance plus rapide est irrégulière, deux périodes de forte
expansion (1850-1873 et 1896-1913) alternent avec une période de dépression
(1873-1896). Cette accumulation plus rapide des richesses est liée à l’essor
spectaculaire de l’industrie. La première révolution industrielle atteint alors son
apogée ; une deuxième révolution industrielle s’amorce à partir de 1880.
Les cycles et les accidents de la croissance
Bien que les alternances de hausse et de baisse de l'activité économique ne soient
pas d'une périodicité régulière, elles sont désignées par le terme de « cycle ». Les
cycles courts ont été les plus perceptibles par les contemporains, les cycles longs
ont été repérés par les économistes qui distinguent quatre phases dans un cycle
long : la phase ascendante, la crise économique, la phase descendante et la
reprise. La phase ascendante (« phase A ») est caractérisée par une hausse de la
production, une amélioration des salaires, de l'emploi et des bénéfices. Les
entrepreneurs investissent pour accroître leurs capacités de production.
Cependant, au fur et à mesure de l'expansion, les producteurs se heurtent à des
obstacles qui freinent la croissance (hausse des coûts de production, des taux
d’intérêt, des prix, et donc baisse de la consommation). Parce que les stocks
s'accumulent, les prix baissent, les industriels réduisent leur production et
licencient. Survient alors une crise économique qui marque le point de
retournement du cycle. Les crises peuvent être de différentes natures : les crises
de type ancien sont dues à une sous-production agricole et les crises de l'âge
industriel à une surproduction. Durant la phase descendante ou « phase B »,
l'économie cherche comment sortir de la récession économique. Les innovations
se multiplient et permettent le retour de la croissance. La reprise est alors le point
de retournement entre la phase descendante et la phase ascendante. Le trend est
une évolution économique sur une période encore plus longue. Celui de la
production révèle un fort accroissement des richesses entre 1815 et 1939, il croise
celui des prix car l'augmentation des biens produits a permis la baisse globale de
leurs prix : c’est un des moteurs essentiels de la croissance.
Un cycle comprend donc les deux phases (hausse et baisse), aussi bien quand il
est court que quand il est long.
Le document fait apparaître les deux « rythmes » : le rythme court, décennal,
des cycles de Juglar (1862) et le rythme long des dépressions durables qui
annonce les analyses de Kondratiev des années 1920 sur les cycles de 50 à 60
ans. Clément Juglar, économiste français, est l’un des premiers à s’être avisé de la
régularité du retour des phénomènes de crise et d’avoir tenté d’en mesurer la
périodicité. On lui doit la définition des cycles décennaux. Le texte de Juglar,
quant à lui, présente les crises comme un mécanisme naturel et inévitable,
expliqué par les deux phénomènes de saturation (« tous les canaux paraissent
remplis ») et de spéculation (« dépréciation de toutes les valeurs, obligation de se
liquider dans les plus mauvaises conditions »). Il invoque la « nature humaine »,
soulignant le rôle de la psychologie au-delà des règles purement rationnelles qui
sont censées gouverner l’économie. Kondratiev (1892-1930) est un économiste
russe qui décrit dans son ouvrage Les Grands Cycles de la conjoncture (1922)
l’existence de cycles auxquels son nom demeure attaché. Le schéma met en
évidence ces cycles, en les reliant aux évolutions techniques et à la conjoncture
guerrière et révolutionnaire. Kondratiev ne situe pas le tournant en 1929, mais en
1920, ce qui relativise la prospérité des années 1920.
La théorie des grappes d’innovations, expliquant les cycles Kondratiev, défendue
par Joseph Schumpeter en 1939, n’est que la traduction de mouvements
économiques de fond. La seule analyse mécaniste est revisitée dorénavant par une
approche plus globale et systémique. Il y a décalage entre les vagues d’inventions
et les pics d’innovations : les pics traduisent l’incorporation des inventions dans
le champ de la fabrication et correspondent aux périodes de l’industrialisation
entre 1850 et 1939. L’expression « grappe d’innovation » fait référence à
l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950) : les entrepreneurs
(souligner la connotation positive du terme, induisant le risque, l’initiative, le
travail...) à la recherche de nouvelles occasions de profit, introduisent des «
long » de l’économie : une innovation
technique, qu’elle porte sur un produit ou sur
l’organisation du travail (comme le
taylorisme), ne se diffuse pas instantanément
dans l’ensemble des pays industrialisés, soit
en raison des réticences et résistances
diverses (des patrons aux ouvriers), soit
en raison des investissements nécessaires, qui
ne sont pas faciles à rentabiliser. Nous
devons aussi bien distinguer
l’industrialisation de la croissance, dont le
rythme est plus incertain encore
et dont les effets sont inégalement partagés
avant la Seconde Guerre mondiale.
On peut faire observer aux élèves la
concentration des inventions dans la période
1870-1910, qui correspond plutôt à une
période de dépression économique.
Ce chapitre doit permettre à l’élève d’aborder
le processus d’industrialisation dans sa
complexité, en effectuant un va-et-vient
incessant entre histoire économique,
histoire sociale, histoire des idéologies et des
représentations. Le deuxième objectif est de
maîtriser la chronologie, qu’elle soit fine
(concernant par exemple les inventions liées
à l’électricité) ou bien qu’elle serve à dégager
les grandes périodes de l’industrialisation :
périodes de croissance,
de dépression ou de crise. Enfin, les
documents sont variés : statistiques, textes,
chansons, affiches, photographies, etc.
L’élève ne doit pas perdre de vue que les
matériaux de l’historien sont nécessairement
multiples si l’on veut saisir la complexité
d’une époque.
Une photographie très célèbre de Margaret
Bourke-White, prise en 1937 lors des
inondations de l’Ohio à Louisville, permet
une lecture au premier degré : le contraste
entre la confiance manifestée par l’affiche et
la situation de dénuement des victimes des
inondations ; l’expression du « standard de
vie » américain : un couple, deux enfants, un
chien, une automobile (rappeler le slogan
électoral de Hoover en 1928 : « un poulet
dans chaque marmite et deux voitures dans
chaque garage »). Mais elle peut aussi
permettre un travail sur l’image et sa valeur
symbolique : en opposant une famille blanche
et une file de Noirs, la photographie se place
d’emblée dans la dénonciation des inégalités
sociales et de la ségrégation (nous sommes
dans le Kentucky, ancien État sudiste) ;
pourtant, les hommes et les femmes
photographiés ne donnent pas l’impression
d’être particulièrement pauvres (voir les
vêtements, globalement de qualité) et le fait
d’être victimes d’inondations n’est pas
forcément lié à la ségrégation.
Parce que les États-Unis sont le premier pays
entré dans la civilisation de la consommation
58
déséquilibres créateurs » par leurs innovations : nouveaux produits, nouveaux
procédés de fabrication, nouvelles méthodes de gestion. Schumpeter relève que
les innovations sont fréquemment contemporaines et liées entre elles.
Hector Denis oppose la crise, phénomène brutal, que l’on peut qualifier de «
retournement de tendance », et la dépression, qui est une situation de faible
croissance qui se prolonge. La différence essentielle entre les deux notions est
donc la durée, la dépression finissant par être plus menaçante, bien que moins
violente, parce qu’elle semble sans fin. Ainsi, on peut extrapoler en évoquant
le risque d’une perte de confiance consécutive à la dépression – ce qui peut être
illustré par la dépression des années 1930, consécutive à la crise de 1929.
On pourrait définir une « dépression » comme une période de ralentissement
prolongé de la croissance ou de décroissance, par opposition aux crises brutales,
donc plus courtes. Il est évidemment impensable de retracer tous les cycles
décennaux ; il faut donc se concentrer sur les cycles « longs » : de 1815 à 1850
apparaît une tendance à la dépression ; de 1850 à 1873, une phase d’expansion ;
de 1873 (krach) à 1896, « dépression fin de siècle » ou « grande dépression » ; de
1896 à 1929, nouvelle phase d’expansion puis ultime chute après 1929. On fera
observer que ces cycles sont mis en évidence par le mouvement des prix, g
globalement orienté à la baisse, ce qui n’est pas forcément négatif même si cette
baisse des prix témoigne en général de difficultés de vente, donc d’un marasme,
et s’accompagne à cette période d’une baisse des salaires, pour restaurer les taux
de profit. En revanche, la « tendance longue » de la production (le trend des
économistes) est globalement orientée à la hausse (c’est ce qui permet de parler
de « croissance » globale pour l’ensemble du siècle, indépendamment des
fluctuations ponctuelles ou plus longues).
Dans la crise de 1873-1896 les États se réfugient dans la solution protectionniste,
dans celle des années 1930, ils interviennent surtout pour soutenir la
consommation intérieure et encadrer plus fortement l’économie. Ces deux crises
n’ont toutefois pas entamé la croissance sur le long terme.
Les facteurs que l’on peut faire intervenir pour expliquer les fluctuations de la
croissance sont de deux ordres. D’une part, les découvertes de mines d’or, qui
provoquent un enrichissement réel et donnent la possibilité d’accroître les
ressources monétaires en circulation, étant donné que les monnaies sont à cette
époque définies par un poids de métal précieux, or ou argent, les deux étalons
étant liés par un rapport fixe. L’accroissement de richesse permet de stimuler les
échanges et la production et conduit aussi à une hausse des prix (plus de monnaie
pour un stock de biens qui augmente moins vite). D’autre part, les inventions et
l’apparition de nouveaux « secteurs moteurs ». On retrouvera ainsi, pour la phase
d’expansion du début du XXe siècle, le rôle de la « deuxième industrialisation »
autour du moteur, de l’électricité et de la chimie.
Le texte de Paul Reynaud évoque les différentes composantes de la crise, y
compris les signes « avant-coureurs ». On y retrouve bien sûr la forte spéculation
boursière et la saturation des marchés les plus dynamiques (l’automobile) ; on
peut ajouter comme élément explicatif l’accroissement de la part des ventes à
crédit dans les secteurs « porteurs » (automobile, électroménager) et l’amorce
d’une surproduction, perceptible « en amont » par la baisse des prix des produits
de base (agriculture, matières premières). Le déclenchement de la crise par le
krach est évidemment central ainsi que l’effet d’entraînement via l’agriculture et
les faillites bancaires, qui sont ici plutôt rattachées aux défaillances des
exploitants agricoles qu’aux pertes dues à la spéculation boursière (autre cause
aggravante, mais qui ne s’applique pas forcément aux mêmes établissements
bancaires ; penser aussi à évoquer les défaillances industrielles lorsque la crise
s’étend et que le crédit n’est plus assez facile pour « porter » la consommation).
Le mécanisme de transmission de la crise identifiable ici est lié à l’effondrement
du commerce mondial. Le graphique dit « en toile d’araignée » est bien adapté
aux phénomènes cycliques et notamment saisonniers. On voit clairement ici qu’à
chaque mois la valeur du commerce mondial est inférieure à celle de l’année
précédente et que cette « spirale » de baisse ne s’interrompt pas avant mars 1933
(dernier mois présenté). On prend ainsi conscience de la réaction protectionniste
généralisée et durable qui aggrava les effets de la crise et la propagea à
l’ensemble du monde. On notera toutefois que l’utilisation de la valeur des
échanges accentue le phénomène du fait de la baisse des prix, mais l’évolution en
volume (en dollars constants et non plus courants) irait dans le même sens.
La dépression des années 1930 et les mécanismes de la dépression
de masse, la crise des années
1930 a correspondu à un désarroi
exceptionnel pour les classes populaires,
surtout rurales, et à une prise de conscience
fondamentale pour les artistes. Toute une
génération intellectuelle a été marquée par
cette prise de conscience, à l’instar de la
photographe D. Lange, du chanteur Woodie
Guthrie (ancêtre des compositeurs de protest
songs, père spirituel de Bob Dylan et de
Bruce Springsteen, il crée ses « Dustbowl
ballads » en 1940), et, bien sûr de John
Steinbeck.
Parue en 1939, portée à l’écran par John Ford
dès 1940, l’œuvre de Steinbeck raconte
l'histoire d'une famille de paysans, qui, ruinée
par des catastrophes naturelles et par la crise
des années 1930, doit quitter l'Oklahoma et
venir chercher du travail en Californie. Peu à
peu, cette famille voit la terre promise
californienne se transformer en un véritable
enfer. Le titre Les Raisins de la colère (The
Grapes of Wrath) fait référence à un passage
de l'Apocalypse de Saint-Jean (« And the
angel thrust in his sickle into the earth, and
gathered the vine of the earth, and cast it into
the great winepress of the wrath of God »)
ainsi qu'à un chant patriotique américain The
Battle Hymn of the Republic, écrit pendant la
Guerre civile américaine. Cette chanson
demandait la libération des esclaves du Sud.
La destruction des stocks d'oranges est
nécessaire pour que les prix remontent et
qu’il soit à nouveau rentable d'en produire.
Cette logique économique inhumaine est
condamnée par Steinbeck car elle conduit à
détruire de la nourriture alors qu'il y a « un
million d'affamés » et que des enfants
meurent à cause de la sous-nutrition.
Les Temps modernes est le dernier film muet
tourné à Hollywood (1936), il marque
également la dernière apparition à l’écran du
personnage de Charlot, créé en 1914.
Pauvreté, chômage, grève, tyrannie des
machines… les thèmes développés dans ce
film reflètent les préoccupations de nombreux
Américains dans les années 1930.
KRUPP : UNE REUSSITE INDUSTRIELLE
L’essor d’une grande entreprise
On évoque la constitution progressive du
Konzern qui devient une multinationale entre
1811 et 1918 en pratiquant à la fois la
concentration horizontale et la concentration
verticale. À chaque fois, il ne s'agit que
d'exemples (datés et localisés) d'acquisitions
d'entreprises symboliques de l'essor du
Konzern. On montre la volonté d'Alfred
Krupp de toujours se trouver à la pointe du
progrès, notamment par le recours aux
machines les plus modernes. On montre
l'extension spatiale des usines Krupp à Essen
en 1912. En 1811, il n'existait qu'un atelier
59
La bonne santé de l’économie américaine dans les années 1920 a entraîné une
intense spéculation boursière. Entre 1925 et 1929, l’indice des valeurs cotées à
Wall Street augmente deux fois plus vite que l’indice de la production
industrielle. La spéculation atteint un niveau record en 1929, ce d’autant que de
nombreux agents de change l’encouragent en négociant les actions à crédit. Aussi
la publication de mauvais chiffres en octobre déclenche un mouvement de
panique et, le 24 octobre, plus de 16 millions de titres sont jetés sur le marché,
provoquant son effondrement. Le krach est dû à une spéculation, favorisée par un
système d'achat d'actions à crédit. Nombre d'Américains aisés, séduits par la
hausse spectaculaire des cours de la bourse, achètent alors des actions en
s'endettant. Ils espèrent rembourser cet emprunt et obtenir un gain important par
la revente de leurs titres quelque temps plus tard. Le krach réduit à néant ces
espoirs et ruine de nombreux ménages qui ont jusqu'alors profité d'une hausse de
leur pouvoir d'achat pour consommer des produits industriels. Après le krach
boursier, les acteurs financiers deviennent réticents à investir. Aussi, l'économie
sombre dans une crise grave, connue par
les Américains comme la « grande dépression ».
On utilise souvent la notion de « spirale »pour parler de la situation dans les
années 1930. Le document met en évidence l’effondrement des cours de Bourse,
l’impossibilité de rétablir durablement la confiance, ce qui contraste totalement
avec la période antérieure caractérisée par quatre années de hausse ininterrompue.
Au contraire, à quelques brefs moments près, la chute des cours est continue et
plus brutale puisqu’en un an environ le marché « efface » trois années de hausse
(on revient fin 1930 au niveau de 1926). Les cours ne commencent à se redresser
qu’en 1932, mais pas de façon décisive et seulement après une division par 6 par
rapport à 1929. De nombreux pays et toutes sortes de professions sont touchés par
la crise, mais le graphique montre néanmoins que le rythme et l’intensité ne sont
pas identiques : le recul de la production industrielle est moins élevé au
Royaume-Uni qui connaît, comme les États-Unis, une rechute en 1937 ; en
France, la crise s’apparente plutôt à une longue stagnation.
Deux réponses théoriques à la dépression : plus d’impôts ou moins d’impôts ?
Face à la crise, deux politiques sont tour à tour adoptées dans les années 1930 : la
politique libérale déflationniste classique d’abord puis, devant son échec, la
politique keynésienne. Pour les libéraux classiques, s’il y a crise, c’est qu’il y a
déséquilibre entre les recettes et les dépenses de l’État ; en même temps, du fait
du déficit budgétaire, la monnaie s’affaiblit (parce que du fait de ce déficit, elle
inspire moins confiance), ce qui entraîne l’accroissement des dépenses de l’État
(la monnaie ayant moins de valeur, il en faut davantage pour financer les mêmes
achats) et aggrave donc le déficit. C’est pourquoi les libéraux souhaitent revenir à
une monnaie forte en rétablissant l’équilibre budgétaire par réduction des
dépenses de l’État. Mais un tel choix ralentit l’économie et aboutit à une baisse
des recettes de l’État, ce qui impose de nouvelles baisses de dépenses : un cercle
vicieux est ainsi engagé. C’est pour en sortir que Keynes accepte un déficit
temporaire de l’État, donc un affaiblissement de la monnaie, pour relancer
l’activité par des commandes qui favorisent le redémarrage des entreprises, puis
la consommation de ceux qui y travaillent. Cela enclenche une dynamique de
reprise, qui augmente les recettes fiscales, et donc permet le rétablissement
de l’équilibre budgétaire.
En 1932, le « New Deal », ou « Nouvelle donne », porte le démocrate Franklin D.
Roosevelt à la présidence des États-Unis. Ce programme économique ambitieux
entend sortir le pays de la dépression. Le président Roosevelt critique la logique
du capitalisme et la trop grande place occupée par « les seuls profits mercantiles
». Le discours du président Roosevelt utilise l’analogie guerrière pour stimuler
l’économie et résorber le chômage, après l’échec de la politique déflationniste
d’Hoover. Plusieurs solutions sont envisagées pour sortir de la crise :
– l’État va surveiller les transactions financières : « il devra y avoir une stricte
surveillance de toutes les activités bancaires, financières et d’investissement ; il
faudra mettre un terme aux agissements de ceux qui spéculent avec l’argent des
autres. »
– L’État va devenir employeur et s’impliquer davantage en économie : « un
recrutement direct du gouvernement » ; « en planifiant et en surveillant, au niveau
national, toutes les formes de transport, de communications et de services qui ont
manifestement un caractère d’intérêt public. »
– Les États-Unis vont mettre en place des barrières douanières fortes : « Nos
accolé à la maison d'habitation de la famille
Krupp. En 1912, c'est une véritable ville dans
la ville. La visite d’un Suisse dans les usines
Krupp à Essen en 1877 révèle la fascination
exercée sur les contemporains
par le récent développement des grands
complexes sidérurgiques. L'auteur insiste sur
tout ce qui est spectaculaire (prouesses
techniques, immensité et organisation
complexe de l'entreprise, mouvements,
bruits...). L'essor de Krupp est lié à la
fabrication d'armes de guerre (50% du chiffre
d'affaires vers 1880). C'est en 1847 que
l'entreprise fabrique son premier canon en
acier et Alfred Krupp est vite surnommé le
roi du canon (Kanonenkönig). En 1914 la
fabrication de ces canons applique déjà les
principes de l'organisation scientifique du
travail. L'entreprise Krupp s'est fortement
diversifiée et s'est implantée à l'étranger afin,
surtout, de sécuriser son approvisionnement.
Spécialisée d'abord dans la sidérurgie, elle a
acquis des mines, des activités industrielles
qui ont besoin d'acier et enfin une compagnie
de transports maritimes. Krupp est donc
devenu un Konzern en pratiquant la
concentration
horizontale et verticale. Le chemin de fer est
essentiel aux usines d'Essen pour le transport
des matières premières et des produits finis.
L’entreprise possède ses propres wagons et
un réseau ferroviaire qui relie entre eux les
divers bâtiments. Par ailleurs, le
développement des chemins de fer dans toute
l'Europe a créé un besoin croissant d'acier qui
a profité aux entreprises sidérurgiques telles
que Krupp. La ville d'Essen et la Ruhr sont
situées dans le nord-ouest de l'Allemagne.
L'usine Krupp bénéficie de la proximité de
gisements de charbon, source d'énergie et
matière première essentielle à la production
d'acier. Son essor est aussi favorisé par sa
proximité avec le Rhin et la mer du Nord
(port de Rotterdam) ainsi que par sa position
dans la partie de l'Europe la plus
industrialisée, la plus urbanisée et la mieux
intégrée au réseau des principales voies
ferrées. L'usine d'Essen est gigantesque, ses
nombreux bâtiments ont des formes variées
car ils sont spécialisés dans un type d'activité
(forges, fabrication de canons...). Certaines
bâtisses sont de grande taille et les cheminées
sont immenses. Cette architecture de brique,
très fonctionnelle, est typique des
constructions industrielles de l'époque. Cet
ensemble est
traversé par de larges avenues et par un dense
réseau de voies ferrées. La fumée et le bruit
suggèrent une intense activité et révèlent la
pollution engendrée par la métallurgie.
L'espace ainsi créé est représentatif des
paysages industriels qui naissent avec
l'industrialisation. L'usine Krupp est une des
usines les plus mécanisées d'Europe dès la fin
du XIXe siècle. Reybaud remarque « qu'il
60
relations commerciales internationales, en dépit de leur extrême importance, ne
sont, au regard de la situation actuelle et des impératifs qu’elle entraîne, que
secondaires face à l’établissement d’une politique nationale saine. »
– L’État va jouer sur la demande, assurer la relance par la consommation et
l’investissement (c’est l’approche keynésienne) : « accroissant les prix des
produits agricoles et, avec eux, le pouvoir d’achat des agriculteurs. » En
définitive, le libéralisme qui avait triomphé jusque là est remis en cause : l’idée
selon laquelle l’État ne doit pas intervenir en économie n’a pas résisté à l’épreuve
des faits. La crise de 1929 accélère la mise en place de l’État-Providence, qui
s’épanouit après la Seconde Guerre mondiale.
Les liens entre J.-M. Keynes et F.-D. Roosevelt ne sont pas directs. L’Anglais
Keynes ne fit jamais partie de l’équipe du président américain, il finit
brillamment sa carrière à la banque d’Angleterre et fut fait pair. Toutefois
l’influence de ses idées sur la politique de Roosevelt est patente. C’est
globalement la même analyse des causes de la crise qui anime les deux points de
vue : le chômage est lié au ralentissement de l’activité, lui-même explicable par le
recul de la consommation. C’est donc sur la demande qu’il faut agir ! À partir de
cette analyse convergente des raisons de la crise, les solutions proposées
convergent elles aussi : elles repoussent le modèle socialiste, mais n’hésitent pas
à faire intervenir l’État pour «réamorcer la pompe». Il est nécessaire de creuser le
déficit, dans un premier temps, en se lançant dans des investissements de
développement économique dont la TVA (Tennessee Valley Authority) est
l’exemple le plus abouti. On en escompte la redynamisation de l’activité grâce
aux salaires distribués qui accroîtront, mécaniquement, la consommation, et
aussi, à terme, le budget. Politiquement, cela nécessite de donner à l’État des
pouvoirs plus forts pour légiférer (cf. NIRA National Industrial Recovery Act et
AAA Agricultural Adjustement Act voté en 1933 aussi), ce qui heurtait la
pratique libérale en vigueur et entraîna une lutte constante de l’administration
Roosevelt contre les juges de la Cour suprême.
II. L'industrie, secteur majeur de l'économie
La part de l’industrie dans la richesse nationale
La tendance générale est la même pour chacune des quatre grandes puissances
industrielles : la richesse nationale repose de plus en plus sur le secteur
manufacturier. Cependant, seul le Royaume-Uni est, dans les années 1930, dans
une situation où l’industrie fournit la moitié du PIB. Dans les autres pays, le
secteur primaire reste important tandis que les services connaissent un essor
remarquable, surtout aux États-Unis.
On peut représenter l’entrée de différents pays dans l’ère industrielle, en se basant
sur la chronologie du « take-off » de W. Rostow (démarrage et accélération de la
croissance, suite à des taux d’investissements élevés dans l’industrie). On observe
une extension du phénomène à partir de la Grande-Bretagne (avant 1800) vers
l’Europe continentale : Belgique, France et États-Unis dans une première phase ;
l’Allemagne et Suède ensuite ; à la fin du siècle : Russie, Italie et Canada.
L’industrialisation du Japon, à partir de l’ère Meiji (1868) peut être
éventuellement évoquée, avec ses spécificités nationales : un rôle décisif de
l’État, une bourgeoisie industrielle liée aux élites traditionnelles, une stratégie
commerciale mercantiliste. Elle aboutit à faire du Japon une puissance
industrielle et militaire dès le début du XXe siècle, capable de triompher de la
Chine (1895) et de l’Empire russe (1905) pour établir une domination régionale.
À elle seule, l’Angleterre domine le monde avec près du quart de la production
manufacturière mondiale (le tiers en 1870) et près de 60 % du commerce des
produits manufacturés. La City concentre le pouvoir bancaire, la livre sterling en
est son instrument. Cette hégémonie prend sa source dans les mutations
économiques et démographiques que connaît l’Angleterre dès la fin du XVIIe
siècle, tandis que la France prend alors du retard en raison de transferts de main
d’œuvre vers l’industrie et les villes plus lents, la productivité agricole et la
croissance de la population étant beaucoup plus faibles. En Allemagne,
l’industrialisation démarre bien avant l’unification, elle s’accélère à partir des
années 1870 grâce au soutien de l’État et aux commandes militaires. Vers 1913,
avec 66 millions d’habitants l’Allemagne est devenue une puissance industrielle.
L’essor des États-Unis doit beaucoup à l’immigration européenne et à sa propre
dynamique démographique, ainsi qu’au développement de son réseau de chemin
n'en est aucune qui ait poussé aussi loin le
luxe des instruments de précision ». Elle
possède le plus grand marteau pilon du
monde. Krupp, qui dispose d'une nette avance
technologique, peut fabriquer un acier spécial
qui « permet de couler d'une seule pièce les
plus gros canons ». Krupp fabrique ses
canons en série de différents calibres. Leur
production est donc standardisée. La
rationalisation du travail conduit à spécialiser
les ouvriers dans une tâche précise. Pour
limiter leurs efforts, les canons
sont placés à hauteur d'homme et transportés
par un appareil mécanique de levage.
Une dynastie d'industriels allemands
Malgré la transformation de l'entreprise en
société anonyme après la mort de FriedrichAlfred Krupp, l'aîné(e) de la famille (ou son
conjoint) conserve le contrôle de l'entreprise.
Le portrait de Gustav et Bertha Krupp von
Bohlen und Halbach avec leurs enfants en
1931 orne encore aujourd'hui le grand hall de
la villa Hügel. Elle montre que la famille est
une des valeurs essentielles de la bourgeoisie.
Cette peinture est un hymne à la famille.
C'est le portrait d'une communauté heureuse
regroupée autour de son chef. Gustav Krupp,
l'air grave, en position dominante, pose une
main protectrice sur l'épaule de sa femme qui
tient tendrement la main de son plus jeune
fils. Les sages coiffures, la sobriété des
vêtements sont représentatifs d'un
conformisme bourgeois rejetant
l'extravagance. La place de la femme dans la
bourgeoisie est ambivalente. D'un côté,
l'homme lui doit le respect et la galanterie, ce
qui commande qu'une dame dispose des
sièges confortables d'une pièce (ici les
fauteuils). De l'autre, elle est cantonnée dans
le rôle de mère et de maîtresse du foyer.
Bertha, principale propriétaire de la société
car fille aînée de Friedrich-Alfred Krupp, doit
céder la direction des usines à son mari. Dans
la tradition familiale, les héritiers de sexe
masculin ont toujours pris la tête de
l'entreprise. La villa Hügel, résidence de la
dynastie Krupp, illustre autant la richesse et
le somptueux train de vie des Krupp que leur
volonté d'impressionner les visiteurs. Le train
de vie des Krupp est fastueux. La résidence
familiale est un immense palais à la belle
façade de pierre. La villa est précédée d'un
vaste parc fleuri. La pièce représentée sur la
peinture exprime le désir de paraître de ses
propriétaires. Des tapisseries de valeur
pendent au mur de la pièce, les meubles de
style sont richement ornés... Ce mode de vie
n'appartient qu'à la bourgeoisie la plus
fortunée qui copie le modèle aristocratique.
Les autres bourgeois ont une vie plus simple
même s'ils tentent d'imiter la haute
bourgeoisie avec les moyens dont ils
disposent. Dans leurs appartements, le salon
devient la pièce qui exprime avec force cet
61
de fer. Cette politique de construction et d’aménagement ferroviaires est
également suivie par la Russie dans la seconde moitié du XIXe siècle, en même
temps que le développement des exploitations minières et de l’industrie lourde,
grâce à des capitaux extérieurs, notamment d’origine française. Enfin, le Japon se
convertit au libre échange après 1853, et se lance dans un important programme
de transferts de technologies occidentales ; l’État y joue, là encore, un rôle
primordial en créant des pans entiers de l’industrie (textile, chantiers navals) et de
la finance, avant de les céder au secteur privé.
L’originalité de l’industrialisation en France de 1850 à 1939
L’industrialisation de la France s’est opérée à un rythme régulier, progressif, qui
ne correspond guère au modèle britannique de la « révolution industrielle ». La
France est pourtant clairement une puissance industrielle, puisque l’industrie
représente plus de 40 % de son PIB en 1930 (pourcentage supérieur à celui de
l’Allemagne ou des États-Unis). Plutôt que de parler de «retard» français, il faut
donc souligner l’originalité de l’industrialisation « à la française », qui a su
concilier différentes formes d’organisation du travail. Le travail à la chaîne
suscite encore les résistances des ouvriers dans les usines modernes des années
1920-1930. Le travail rural à domicile a subsisté longtemps, dans une France où
l’industrialisation ne signifiait pas nécessairement urbanisation. Le travail quasi
artisanal des ouvriers qualifiés, héritiers du monde de l’atelier et du métier,
conserve de l’importance, y compris dans des secteurs modernes comme la
construction aéronautique (ou automobile).
La répartition de la population active dans les grands pays industrialisés
L’industrie voit sa main-d’oeuvre progresser nettement. Toutefois, les situations
de départ des quatre puissances sont dissemblables. Au milieu du XIXe siècle, le
Royaume- Uni emploie 43 % de sa population active dans l’industrie. En
revanche, en Allemagne, aux États-Unis et en France, les employés du secteur
manufacturier représentent entre 21 et 26 % de la population active. À la fin de la
période, le Royaume-Uni est le seul pays dont près de la moitié des actifs
travaille dans l’industrie. L’Allemagne et la France sont dans une situation proche
(près de 40 %) alors que les Etats-Unis sont en retrait (32,5 %).
L’autre secteur en progrès pour tous les pays est celui des services. Il est déjà
assez développé au Royaume-Uni vers 1850, ce qui explique sa progression plus
lente par la suite. Aux États-Unis, il devient le secteur majeur dès les années
trente. Cette tertiarisation de l’économie correspond à de fortes créations
d’emplois nouveaux dans les administrations et les entreprises. L’Allemagne et
surtout la France connaissent un retard dans ce domaine qui s’explique, pour
notre pays, par le poids de l’agriculture familiale.
La production mondiale de charbon augmente très fortement entre 1850 et 1913
(1 340 %) surtout aux États-Unis (plus de 7 000 %) et en Allemagne (près de 4
000 %). C’est entre 1870 et 1913 que le rythme est le plus rapide. Pour la
sidérurgie, l’augmentation de la production est aussi impressionnante. En Europe,
c’est l’Allemagne qui connaît la progression la plus rapide (plus de 3 500 %). Les
Etats-Unis surclassent tous les pays européens grâce à une croissance de plus de
12 000 %. Là encore, c’est de 1870 à 1913 que le rythme est le plus rapide. Cet
essor s’explique par les progrès de l’industrialisation, fondée d’abord sur les
techniques de la première révolution industrielle qui fait du charbon la première
source d’énergie. Quant à la production sidérurgique, elle bénéficie de la
demande en métal (machines, bâtiments…) et d’innovations telles que le procédé
Bessemer.
LE CREUSOT : UNE VILLE, UNE FAMILLE, UNE ENTREPRISE
Le Creusot est le complexe industriel le plus exemplaire de l’hexagone
concernant les liens qui se tissent entre la ville et ses habitants d’un côté,
l’entreprise et ses patrons de l’autre (même si Michelin à Clermont-Ferrand est à
bien des titres comparable). Rarement on ne retrouve une telle emprise de
l’industrie sur la ville et un paternalisme aussi abouti qu’au Creusot, comme en
témoigne la statue à la gloire de la famille Schneider, qui aujourd’hui encore
se dresse sur la place centrale de la ville.
Le peintre a simplifié l’organisation du Creusot et mis en valeur la partition
fonctionnelle et sociale des activités. Au centre, l’ancienne Fonderie royale avec
ses cheminées, et à gauche, une caserne de logements ouvriers nous rappellent
art de vivre fondé sur le goût du décor chargé
et le désir de paraître. Alfred Krupp est un
patron célèbre pour sa politique paternaliste,
il justifiait son attitude par ces mots : « nous
ne voulons que des ouvriers fidèles qui nous
aient au fond du coeur de la reconnaissance
pour le pain que nous leur faisons gagner ».
Alfred Krupp apparaît comme un libéral
conservateur qui s'oppose autant à l'idéologie
socialiste qu'à l'émancipation politique de ses
employés. Alfred Krupp condamne le
socialisme parce qu'il remet en cause la
propriété privée et prône une révolution
violente. Cette solution politique est
inacceptable pour un capitaliste libéral tel que
lui, qui défend un système permettant
de s'enrichir « honnêtement » génération
après génération par « le labeur et l'économie
». L'entreprise construit des logements, des
écoles et des hôpitaux pour ses ouvriers. Elle
a mis en place un système
d'assurances sociales. Enfin, Alfred Krupp
accorde des crédits à ses employés et les
intéresse à la réussite de l'entreprise puisque
« l'ouvrier a une prime sur les bénéfices de
l'usine ». Alfred Krupp attend de ses
employés fidélité et soumission en échange
des bienfaits qu'il octroie. Pour lui, les
ouvriers sont incapables de réflexion
politique. Leur seul souci doit être de profiter
de la générosité de leur patron pour
s'occuper de leur foyer et de l'éducation de
leurs enfants. L'attitude d'Alfred Krupp est un
comportement d'autorité sous couvert de
protection qui rappelle celui d'un père, d'un
chef de famille. Les employés sont
considérés comme des enfants qu'il faut
aider, orienter mais aussi encadrer. Les
œuvres sociales sont, en effet, autant un
moyen de s'attacher l'ouvrier que de le
contrôler pour éviter toute agitation sociale.
Un monde nouveau : l’usine
Tableau de 1873. Archives Krupp,
Allemagne.
Parce que le monde de l'usine n'est pas un
sujet noble pour les peintres et que l'industrie
sidérurgique de la Ruhr ne connaît son
véritable essor que dans les années 1850, il
est logique que les représentations de la
première industrialisation de l'entreprise
Krupp soient assez tardives.
Celle-ci est d'autant plus exceptionnelle
qu'elle décrit avec qualité les ouvriers, saisis
au plus près de leurs gestes de travail. Le plus
surprenant, peut-être, est la relative
absence des machines. Dans son premier âge,
l'industrie reste encore une affaire d'équipes
humaines, toutefois considérablement
multipliées par rapport au monde artisanal,
comme le montre la densité impressionnante
qui anime ce hangar.
Emblématique de l’industrialisation
allemande, relativement tardive et
62
que le Creusot est avant tout une ville laborieuse ; au fond, le château de la
Verrerie et l’église Saint-Laurent sont les deux symboles du pouvoir qu’exercent
sur la ville la religion et la famille Schneider ; à droite des habitations
bourgeoises. Rappelons que le Creusot doit son nom à son site en creux de vallée
; on distingue à l’arrière-plan les montagnes dominant la plaine. Le peintre et Guy
de Maupassant ne distinguent pas la ville de ses activités minières et industrielles.
On peut même dire que la ville du Creusot incarne l’industrie. Comme le dit
Monsieur Gertal à Julien dans Le Tour de France par deux enfants : « nous
sommes en face du Creusot, la plus grande usine de France et peut-être d’Europe
». Guy de Maupassant mobilise tous ses sens afin de nous faire partager ses
impressions. La vue : « un nuage s’élève, tout noir, opaque (…) qui obscurcit
l’azur clair du jour ». Le toucher : «Une poussière de charbon voltige, pique les
yeux, tache la peau, macule le linge. Les maisons sont noires comme frottées de
suie ». L’odorat : «Une odeur de cheminée, de goudron, de houille flotte,
contracte la gorge ». Le goût : « une âcre saveur de fer, de forge ». L’ouïe : «Un
bruit sourd et continu fait trembler la terre ». L’imagination est enfin mobilisée :
«Quelle féerie ! C’est le royaume du Fer, où règne sa Majesté le Feu ! ». C’est
donc l’être tout entier qui perçoit et ressent Le Creusot.
Le Creusot est devenu un centre sidérurgique dès le début du XIXe siècle grâce
aux mines de charbon situées juste au nord et sous l’impulsion de la famille
Schneider. Le marteau-pilon, destiné à former les pièces, est le symbole de cette
activité. Celui représenté sur cette gravure sera remplacé dix ans plus tard par un
appareil de 100 tonnes. Les hommes apparaissent tout entiers au service de la
production ; la lumière est produite par la pièce qui sort de la forge, les hommes
sont dans l’ombre et manoeuvrent péniblement le bloc d’acier. Ils transportent à
l’aide d’un système de poulies et de volants la pièce chauffée et rendue malléable
vers le marteau-pilon, où elle sera emboutie, aplatie.
Adolphe et Eugène Schneider sont issus d’une famille de notaires et propriétaires
terriens en Lorraine. Mais les deux frères sont bien connectés avec le banquier et
manufacturier parisien Seillière. Adolphe a été son homme de confiance et
Eugène a dirigé deux entreprises financées par la banque Seillière. C’est grâce à
des capitaux apportés par cette banque qu’ils peuvent se porter acquéreurs des
fonderies du Creusot en faillite en 1836. Quatre générations se succèdent à la tête
de cette entreprise familiale, politique dynastique que les Schneider ont
soigneusement mise en avant car elle implique pour eux la cohésion, la
continuité, le respect des valeurs morales. Ils ont conquis leur pouvoir en
s’affirmant comme des entrepreneurs très dynamiques mais aussi en menant une
judicieuse politique d’alliances matrimoniales (mariage avec la nièce d’un
banquier) et enfin en occupant des postes de décision politique. Deux axes
principaux de politique matrimoniale apparaissent : la consolidation de
l’entreprise (famille d’industriels et de banquiers : Neuflize) ; la prétention
nobiliaire (de Brantes ; de Brissac). Une exception : Henri épouse successivement
les deux filles de Madame Asselain, maîtresse officielle de son père... Sentiments
ou fidélité familiale ?
Henri Schneider (1840-1898) est membre de la dynastie des Maîtres de forges qui
a fondé le complexe sidérurgique du Creusot. Avec les De Wendel en Lorraine, la
famille Schneider appartient au puissant Comité des forges, créé en 1860 et
dissout par le gouvernement de Vichy en 1940. Henri Schneider est représenté en
1890 sur un vitrail de l’église Saint-Henri du Creusot agenouillé devant SaintÉloi, patron des forgerons. Ce portrait symbolise l’inspiration religieuse du
courant paternaliste, car l’utopie sociale n’a pas été portée uniquement par les
courants visant la fin du capitalisme sauvage (Fourier, Proudhon, Marx) ; elle
relève également d’un patronat soucieux d’éviter les conflits sociaux et
d’apporter une amélioration de la condition matérielle et morale de leurs ouvriers.
Considérant les ouvriers comme des enfants qu’il faut encadrer mais aussi
protéger, de nombreux patrons comme les Schneider, les Thyssen ou les Dolfuss
de Mulhouse, s’engagent dans une politique paternaliste en s’efforçant
d’améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers. Cette politique,
inspirée par les travaux de Le Play, permet aussi de fixer une main-d’œuvre
souvent jugée trop instable et de contrôler les tensions sociales.
La composition du tableau de Aimé Morot s’inspire des représentations de
souverains désignant leur domaine sur une carte. Ici, Eugène II montre le plan de
la ville du Creusot à son fils aîné, héritier désigné. Le plan du château de la
Verrerie occupe le mur du fond. Plus qu’un chef d’entreprise qui mène une habile
stratégie (voir la chronologie des productions), il est le maître du Creusot,
remarquablement efficace, l’entreprise
Thyssen permet de donner un exemple
concret du processus de concentration
des activités qui a fait l’efficacité du
capitalisme industriel dans la Ruhr comme
ailleurs. D’abord spécialisée dans la petite
métallurgie (la tréfilerie du père emploie sept
ouvriers dans les années 1840), l’entreprise
Thyssen est avant tout liée à la fonderie. Puis,
pour contrôler les prix de ses fournitures et
pour s’assurer les meilleures marges de vente,
le groupe en vient à se développer, se
concentrer, à la fois horizontalement (rachat
des fonderies concurrentes) et verticalement
(en amont comme en aval).
Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que
le monde de l’usine fascine les artistes, ou
plus exactement pour que la classe ouvrière
soit un sujet pictural (Rivera, Léger).
Auparavant, les peintres d’usines sont des
spécialistes, souvent liés à cette activité par
une commande (cf R. Picco-Rückert qui peint
une fonderie métallurgique moderne).
« DETROIT INDUSTRY », 1931-1933
Fresque peinte par Diego Rivera (1886-1957)
pour et dans la cour du Detroit Institute of
Arts à Détroit (Michigan)
Que le muraliste mexicain marxiste, Diego
Rivera, ami de Trotsky, mari de Frida Kahlo,
peintre révolutionnaire, ait pu accepter cette
commande des Ford à Detroit, bastion du
capitalisme américain, montre bien la
fascination commune pour l’industrie qui
anime les hommes du premier XXe siècle.
Alors que sur le mur nord figure la «
production du moteur et de la boîte de vitesse
de la Ford V8», le mur sud représente la «
production de la carrosserie
et l’assemblage final» d’une voiture Ford.
Contrairement à ce qui se passa en mai 1933
à New York avec la famille Rockefeller
(Rivera ayant inclus sur sa fresque L’Homme
au croisement, du Rockefeller Center, un
portrait de Lénine, non prévu sur l’esquisse
préalable, son contrat fut résilié et sa fresque
détruite), l’entente avec Edsel Ford fut
excellente. Celui-ci défendit l’oeuvre de
Rivera face aux accusations, issues en
particulier du lobby religieux, de
«pornographie, de communisme,
d’antiaméricanisme, d’insulte
à Detroit et de gadget publicitaire inventé par
Edsel Ford», en employant l’argument
esthétique d’un mécène milliardaire : s’il
avait fait réaliser ces fresques, c’est qu’il les
aimait ; la ville, et les autres, n’avaient qu’à
s’occuper de leurs affaires ! Il est vrai qu’ici
il n’y a point de Lénine et que la
mécanisation tout au long de la chaîne de
montage est peinte de façon précise (aucun
détail n’est oublié, Rivera avait réalisé toute
une série de croquis à l’usine Ford Rouge de
63
exerçant son patronage sur les ouvriers. Quatre générations sont associées sur le
tableau : Eugène I en buste ; Henri sur un tableau de Morot, mur du fond, à
gauche ; Eugène II assis au centre de la composition ; ses trois fils, aux prénoms
traditionnels dans la famille : Jean, Henri, Charles. Imitation royale pour les deux
derniers ? La fille est écartée du groupe, exclusivement masculin.
Jules Huret est un célèbre journaliste de la fin du XIXe s. Dans un ouvrage paru
en 1897, il publie une série d’interviews de grands patrons de l’époque, dont le
banquier A. de Rothschild et l’industriel H. Schneider dont les déclarations
constituent une véritable « profession de foi » du libéralisme. Henri Schneider est
un patron libéral car il n’admet pas l’intervention de l’État dans l’économie, il la
considère comme une « entrave ». Il refuse aussi bien la mise en place d’une
législation sociale que l’intervention du préfet en cas de grève. Il est hostile à la
journée de
8 heures et mobilise un argument économique : « les salaires diminueront ou le
prix des produits augmentera » ; un autre d’ordre moral : « un ouvrier bien
portant peut très bien faire ses dix heures par jour », ajoutant non sans ironie que
lui-même travaille plus de huit heures, ce qui est une manière de relativiser la
pénibilité du travail ouvrier. C’est le paternalisme qui est au coeur du système
Schneider au Creusot. Une chanson, chantée par les ouvriers, est une louange au
fondateur de la dynastie des Schneider. Dans de nombreuses entreprises, et au
Creusot en particulier, le mythe du père fondateur est entretenu, afin d’encrer
historiquement et symboliquement la domination du patronat sur les employés.
H. Schneider s’est représenté en patron des ouvriers, affirmant ainsi que le
pouvoir de la famille n’est pas uniquement économique et revêt une dimension
religieuse. C’est une manière pour les Schneider de légitimer leur domination sur
les ouvriers. Cette mainmise économique et symbolique des Schneider sur la ville
est contestée par Léo Lagrange (député de la SFIO entre 1932 et 1940, soussecrétaire d’État aux Sports et Loisirs en 1936-1937, 1938), qui dénonce par
ailleurs les manoeuvres politiques antidémocratiques de la famille. L’intervention
de Léo Lagrange, député SFIO du Nord, devant la Chambre des députés a pour
but de demander l’invalidation de l’élection législative du canton du Creusot («
C’est pourquoi je demande à la Chambre [...] »). Ce texte montre le poids social
du grand patronat (le deuxième paragraphe montre qu’on est Schneider de la
naissance – la maternité est Schneider – à la mort, – les pompes funèbres aussi
sont Schneider.) Il permet de constater aussi que leur poids politique (on est au
moins maire et député de père en fils et on fait élire des hommes de paille tel V.
Bataille) s’appuie sur leur domination économique et sociale (syndicalistes et
socialistes licenciés après une élection municipale).
Pour Jean-Baptiste Dumay, militant ouvrier originaire du Creusot, le pouvoir
local des Schneider, « féodalité financière et industrielle », ne peut être renversé
par le suffrage universel. L’élection d’une municipalité ouvrière affaiblirait certes
l’« omnipotence » des Schneider, mais seule la révolution socialiste pourrait
l’anéantir véritablement. L’influence marxiste est manifeste : la lutte des classes
exacerbée doit nécessairement déboucher sur la révolution sociale. Mais
l’influence de Proudhon est également perceptible dans le style et la véhémence
d’un discours de grande qualité, révélant le niveau de formation atteint par
Dumay, grâce à l’école primaire relayée par le militantisme ouvrier.
Véhiculé par les partis politiques et les syndicats de gauche ou d’extrême gauche,
le thème des « 200 familles » est très populaire durant l’entre-deux-guerres.
L’expression désigne les patrons qui pèsent véritablement dans la vie
économique, sociale et politique de la nation (le chiffre 200 vient du fait que la
Banque de France comprenait un conseil d’administration de 200 membres,
représentants d’une élite issue de la haute bourgeoise). Les Schneider figurent en
bonne place dans ces 200 familles, ils sont la cible de nombreuses attaques.
L’auteur de cette affiche les accuse d’appartenir à une « Internationale du canon
», c’est-à-dire une association de grands patrons qui s’enrichissent en vendant des
armes, et donc encouragent les peuples à s’entre-tuer. Derrière cette accusation,
c’est aussi le caractère présumé apatride des Schneider qui est critiqué : établie en
Alsace, la famille fut divisée en deux branches, l’une allemande et l’autre
française, à partir de l’annexion de 1871. La légende noire des Schneider veut
que ces grands patrons aient vendus des armes permettant aux Allemands de faire
couler le sang des Français.
Au Creusot, les Schneider ont créé de toutes pièces la ville, avec écoles,
dispensaires, hôpital et logements, au point que les employés – malgré
d’inévitables grèves – se cotisèrent pour ériger des statues à la gloire de leurs
Detroit) et lyrique (ballet des pièces, couleur
chaude des ouvriers qui s’oppose à la
froideur, très relative, des machines) à la fois,
sous le regard des clients à l’arrière-plan.
Bien sûr il faut remarquer la figure peu
amène du contrôleur à gauche qui incarne
l’impératif des cadences. Mais le seul
élément politique de la scène est fort
dissimulé : sur le calot en papier d’un ouvrier
qui martèle une carrosserie au centre gauche
figure l’inscription «We want ». De l’autre
côté, masqué, était écrit « beer » : « Nous
voulons de la bière » était une des
revendications ouvrières durant la crise qui
touche alors l’usine Rouge (en tout cas
d’après Patrick Marnham, Diego Rivera, Le
rêveur éveillé, Seuil, 2000).
La Mécanisation, autre fresque, fait
apparaître à la fois l’asservissement des
travailleuses à la machine – elles sont muettes
et courbées sur leur tâche – ainsi que le rôle
croissant des personnels d’encadrement,
représentés ici en blouses
blanches. Autant qu’une allégorie, cette
oeuvre est une dénonciation puissante de
l’application des méthodes tayloristes.
LA FABRICATION INDUSTRIELLE DES
AMPOULES EDISON
L’épopée du self made man Thomas Edison
est une des success stories du mythe
industriel américain. Mais elle n’est pas que
cela, elle renseigne sur les ressorts du
capitalisme pionnier des Américains. Le
talent d’Edison est autant celui d’un
inventeur génial que celui d’un homme
d’affaires qui joue gros et ramasse gros
parce qu’il a confiance dans l’industrie. Son
pari, qui sera le même pour Henry Ford, son
employé d’alors, repose sur la certitude que
le progrès de la mécanisation industrielle va
permettre d’abaisser considérablement les
prix de revient. Dès lors, l’important est
d’anticiper les prix de vente qui permettront
de forts profits parce qu’ils sont adaptés au
marché, ce qui force à inventer les techniques
pour y parvenir: en un an, il rattrape et
dépasse trois ans de pertes !
ANDRE CITROËN
L'entreprise de construction automobile,
créée en 1919 par André Citroën (18781935), devient en 1934 une société anonyme
par actions. Dès 1928, elle emploie 30 000
ouvriers, a une capacité de production de 1
000 voitures par jour, possède 14 succursales
en France (usines Citroën du quai de Javel à
Paris) et en Afrique du Nord, 10 sociétés et 4
usines à l’étranger. Les ventes hors du
territoire représentent 45 % des exportations
automobiles françaises. Citroën est réputée
pour avoir, à plusieurs reprises, révolutionné
l’automobile. La société crée ainsi la Traction
64
patrons. Érigée au coeur de la ville, la statue à la gloire d’Eugène Schneider
montre une femme et son enfant reconnaissants envers le fondateur de la
dynastie, envers celui qui a apporté non seulement du travail aux familles mais
qui a également mis en place des mesures afin de les protéger des aléas de
l’existence. Ces politiques, qui ont aussi pour avantage de mieux encadrer,
surveiller, voire punir les populations ouvrières, comblent les carences de l’État
qui, à la notable exception de l’Allemagne bismarckienne, ne s’implique pas dans
le domaine de la protection sociale, au moins jusqu’en 1914.
Qu’elles soient spontanées ou préméditées, les infractions collectives peuvent être
le prélude à des mouvements de contestation entraînant parfois des violences, des
détériorations de l’outil de travail, du sabotage, voire des grèves et occupations
d’usines. Dans le règlement des usines du Creusot vers 1900, sont interdits :
– les absences injustifiées, les retards, les abandons de poste ;
– le manque de respect et la désobéissance au chef, les inscriptions injurieuses ou
obscènes
– le refus d’exécuter un travail ou la négligence dans l’exécution ;
– les atteintes à la sécurité des travailleurs ;
– les vols ou fabrication d’objets personnels.
La communication d’un secret de fabrication, l’introduction d’étrangers dans
l’usine, l’entrée dans l’usine par effraction sont des infractions se rapportant à la
protection des secrets de fabrication. Les insultes ou menaces entre ouvriers
souvent dues à un état d’ivresse, les propos injurieux, les vols au préjudice d’un
ouvrier, l’infraction aux lois et règlements touchant la sécurité des travailleurs
concernent les relations entre les ouvriers.
La révolution du chemin de fer
Les lignes de chemin de fer transcontinentales ont été construites aux États-Unis
après la guerre de Sécession. (la première ligne est-ouest est achevée en 1868).
Les compagnies de chemin de fer ont d’abord cherché à rassurer la clientèle (le
train faisait peur à ses débuts, en raison des accidents ou de risques supposés pour
la santé) puis ont développé des publicités à caractère touristique. Cette affiche
d’une compagnie dont le réseau est orienté nord-sud le long du Mississippi, est
plutôt de la première catégorie. Le chemin de fer est associé à l’image de vitesse
(ligne télégraphique, contraste avec le transport fluvial par la vignette à droite), à
la sécurité et au confort (contraste avec une diligence sur le point de se renverser
en haut à droite, présence de familles avec de jeunes enfants pour embarquer dans
le train). L’ouverture du réseau sur l’ensemble des États-Unis, donc sur l’accès à
des régions jusque-là enclavées, est aussi un des avantages figuré par la carte en
arrière-plan.
L’électricité, une innovation au cœur de l’industrialisation
L’électricité est sans doute l’innovation la plus spectaculaire de notre période,
puisqu’elle intéresse aussi bien les particuliers que les industriels, séduit et étonne
par la multitude de ses usages. Son essor au tournant du siècle, qui répond à un
besoin social profond, change la face du monde. Déjà force motrice dans
l’industrie, elle se « domestique » depuis les inventions d’Edison. Reste à
accomplir son transport, en suivant les travaux de Deprez, premier à réussir
à élever suffisamment la tension pour cela.
De nombreux domaines sont concernés : l’éclairage (éclairage urbain ou chez les
particuliers, éclairage sur le lieu de travail – au fond des mines par exemple), les
transports (train, métro, automobile, ascenseur, et même la navigation – le phare),
les communications (TSF), l’industrie enfin (apparition des appareils électriques,
particulièrement utiles en chimie – ici l’électrolyse de l’aluminium). L’affiche
montre les multiples applications dans le domaine de ce que l’on nommera plus
tard l’électroménager : fer à repasser, grille-pain, aspirateur, mais aussi ballon
d’eau chaude ou ventilateur, etc. Cette innovation va changer la perception
du temps qui passe, accélérer le rythme des activités humaines. L’électricité a en
effet profondément modifié le rapport des sociétés au temps, en permettant
d’allonger la journée de travail, en accélérant le rythme et la fréquence des
transports et des communications.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’appareils électriques reste très
faible en France. Ce n’est que dans les années 1950 que l’électricité, désormais
bien installée, permettra de développer le nombre d’appareils électriques des
ménages au pouvoir d’achat plus fort. En revanche, en Suisse et aux États-Unis,
cette innovation s’est répandue de manière plus précoce, ce qui révèle dans les
Avant en 1934 mais elle connaît néanmoins
des difficultés financières. En 1935, Michelin
prend le contrôle de Citroën qui se rétablit
grâce au succès de la Traction Avant.
André Citroën applique les mêmes principes
que Ford, il entend « lutter contre le
gaspillage de temps et de matière » et «
supprimer les emplois improductifs ».
Selon André Citroën, la nouvelle organisation
du travail doit permettre de baisser le prix de
revient, ce qui aura pour conséquence de
baisser le prix de vente des automobiles,
désormais accessibles à toutes les bourses.
Populariser l’automobile permettra en retour
de dynamiser l’industrie automobile. C’est
donc un cercle vertueux de la croissance (très
keynésien) qui est ici proposé.
L’action de Citroën permet de bien voir les
deux parties de ce type de document.
L’action proprement dite en partie haute
(l’action est « au porteur » et non nominative,
ce qui veut dire que sa possession est
indispensable pour bénéficier de revenus) ; il
s’agit d’une part du capital de cette société
dite « anonyme » (aucune personne n’est
propriétaire exclusive, même si l’entreprise
porte le nom du fondateur), ce qui signifie
que le porteur de l’action est propriétaire
d’une partie de l’entreprise, proportionnelle à
nombre d’actions qu’il détient et lui ouvrant
droit au partage des bénéfices distribués.
Cette part de bénéfice est remise au porteur
de l’action en échange d’un coupon détaché
chaque année parmi ceux qui figurent dans la
partie basse.
Afin de susciter la demande auprès des
consommateurs, les producteurs, notamment
ceux du secteur automobile, développent
fortement la publicité durant l’entre-deuxguerres. Particulièrement dans les années
1930, le contexte de crise économique oblige
à redoubler d’imagination afin de capter une
clientèle plus rare. Dans ce domaine, André
Citroën fait figure de précurseur, lui qui en
1925 déjà illumina la tour Eiffel pour
l’Exposition des Arts décoratifs. Son
entreprise participe au développement de
l’automobile en transformant « l’opinion
publique » grâce aux procédés nouveaux que
représentent la publicité et le marketing.
André Citroën évoque les « efforts constants
de publicité et de propagande, d’expositions
ininterrompues, de toute une campagne
d’instruction et de préparation du public. » Il
insiste sur l’importance des médias et du
cinéma également.
L’originalité de l’aventure industrielle des
automobiles Citroën est celle d’un échec
pionnier. Le rôle d’avant-garde de la
modernité industrielle est frappant et
le succès de la marque aux chevrons est
particulièrement rapide. Reconverties en
1918, les anciennes usines d’armement
produisent dix ans plus tard 40 % de
l’ensemble des voitures françaises. Cela est
65
deux cas un niveau de vie supérieur, et pour les États-Unis une industrialisation
plus avancée.
De nouveaux secteurs d’activité
Le Furan est la rivière qui coule à Saint-Étienne. Cette ville du Massif Central,
spécialisée depuis longtemps dans la fabrication des armes (la Révolution la
rebaptise même « Armeville ») et la passementerie, connaît un très gros essor
avec l’exploitation du bassin charbonnier et le développement des industries
métallurgiques et mécaniques. À côté de la très importante « Manufacture des
armes et cycles » (future Manufrance), qui développe sa clientèle par l’un des
premiers catalogues par correspondance, de multiples entreprises plus modestes
se lancent aussi dans la fabrication des cycles.
III. La naissance du système capitaliste
Les bourses de valeurs
La Bourse de Paris est installée dans un bâtiment baptisé le palais Brongniart du
nom de l’architecte qui en commença la réalisation en 1808. On en voit ici
l’intérieur, qui reflète bien le style néo-classique de l’édifice, véritable « temple
de l’argent », caractérisé par son dépouillement et sa symétrie après les
extravagances plus ou moins scandaleuses de la fin de la monarchie et du
Directoire. On voit clairement un triple espace sur ce dessin : au centre, la partie
appelée la « corbeille » ; autour, une foule compacte se presse derrière des
barrières (en bois, semble-t-il) avec des petits groupes disséminés dans l’espace
intermédiaire; enfin les galeries, à l’étage. Les espaces du bas sont ceux où l’on
travaille, où l’on fait fructifier l’argent. On n’y voit que des hommes : des agents
de change autour de la « corbeille », en train de donner leurs ordres ;
probablement des banquiers et hommes d’affaires derrière les barrières. Les
groupes en discussion se concertent pour décider leur stratégie à venir. L’artiste a
disposé trois femmes au premier plan du niveau galerie pour mieux souligner leur
absence dans le monde des financiers « en bas » : l’étage est réservé au public qui
observe sans forcément comprendre.
La naissance des grandes entreprises
Le terme de trust désigne généralement une forme de concentration horizontale
d’entreprises visant à obtenir une situation de monopole ou, au moins,
d’oligopole. La holding est une entreprise financière qui détient des participations
dans le capital de plusieurs entreprises ; certaines participations sont majoritaires,
ce qui donne le contrôle de l’entreprise au holding, d’autres sont minoritaires, ce
qui permet seulement de profiter des bénéfices éventuels. La holding ne produit
rien par elle-même mais peut peser fortement sur certains secteurs.
Il y a deux modes de croissance des entreprises : la croissance interne et la
croissance externe. Dans le premier cas, les succès de l’entreprise et la logique de
concentration verticale (vers l’amont et l’aval) expliquent la croissance et la
diversification des activités du groupe, qui part d’un métier purement industriel
pour aboutir à un ensemble comportant aussi des activités tertiaires (transports,
banques). Le second cas est un exemple de diversification et d’une logique de
conglomérat, puisque cette banque contrôle près de 2 500 entreprises dans des
secteurs sans rapport productif les uns avec les autres, tout en ayant aussi
développé une concentration horizontale dans l’acier.
dû à une série de paris industriels qui vont
tous dans le même sens, celui de la
modernité, d’abord à l’imitation de Ford, puis
plus audacieux ensuite que les Américains.
Malencontreusement, cette course à la
modernité s’accélère à contre-conjoncture :
c’est en pleine crise des années 1930 qu’est
lancé le modèle le plus novateur de tout
l’entre-deux-guerres,
la «Traction avant », dont même les
Américains souhaitent acheter le brevet.
Mis en faillite en 1934, André Citroën voit
toutefois sa marque lui survivre grâce à une
autre des originalités qu’il avait impulsées : la
construction d’une image moderne appuyée
sur un usage pionnier de la publicité.
Louis Renault (1877-1944) est le fondateur
avec son frère Marcel en 1899 de l’usine
Renault frères à Billancourt. D’abord
spécialisée dans la construction de voitures
de course, de moteurs d’avion et de tanks
pendant la Première Guerre mondiale,
l’entreprise prend progressivement la
première place dans le marché français de
l’automobile. Avant la Première Guerre
mondiale, les usines Renault étaient situées à
Boulogne-Billancourt. Leur fondateur, Louis
Renault acheta l’Île Seguin durant les années
1920 et rasa les guinguettes qui s'y trouvaient
pour les remplacer par l'immense
construction en acier et en béton qui perdura
jusqu'à sa destruction récente. Inaugurée en
novembre 1929, la nouvelle usine fut
considérée comme la plus moderne et la plus
grande d'Europe : elle comptait alors 30 000
ouvriers. Construite en hauteur pour éviter
d’être endommagée par d’éventuelles crues,
elle mesurait un kilomètre de long. Elle était
dotée de sa propre centrale thermique et
d’une piste d’essais en sous-sol.
Mais Louis Renault, ayant travaillé pour la
Wehrmacht pendant la Seconde Guerre
mondiale est inculpé pour fait de
collaboration et meurt en prison en 1944. Son
entreprise est nationalisée.
L’organisation scientifique du travail
La fin du XIXe siècle est marquée par l’aboutissement de réflexions sur
l’organisation du travail, entreprises dès le XVIIe siècle, mais surtout au XVIIIe
avec Perronet, qui « invente » la division du travail, Coulomb ou même
Lavoisier. C’est Taylor qui va le plus loin dans la voie de la réflexion sur une
organisation optimale du travail, visant à la fois à supprimer la perte de temps, à
diminuer la fatigue inutile et à aligner tous les ouvriers sur un « standard » de
productivité (the one best way : la meilleure combinaison de gestes productifs)
établi grâce à l’observation et au chronométrage des meilleurs ouvriers. Ses
principales oeuvres : Shop Management (1903) et Principles of Scientific
Management (1911). F. W. Taylor travaille d’abord dans la sidérurgie ; il gravit
tous les échelons, depuis manoeuvre, puis chef d’atelier, pour finalement devenir,
en 1884, ingénieur en chef. Enfin, il entame une carrière d’ingénieur-conseil
66
indépendant donnant de nombreuses conférences pour propager ses idées sur ce
qui l’appelle l’organisation scientifique du travail. Il écrit de nombreux ouvrages
dont celui d’où provient cet extrait puis il expose l’ensemble de ses conclusions
dans un livre intitulé The Principles of Scientific Management (1911). Sa
méthode est largement empirique car elle repose sur l’observation de faits (les
gestes d’un ouvrier maniant une pelle), qu’il cherche ensuite à simplifier (pour
obtenir le minimum d’efforts et le maximum de résultats).
Les principes du fordisme et le travail à la chaîne
Henry Ford est un authentique révolutionnaire du capitalisme. Après deux
tentatives ratées, il crée en 1903 la Ford Motor Company et l’oriente vers une
fabrication de grande série, standardisée et bon marché: c’est le principe de la
Ford T, un modèle aussi simple à fabriquer qu’à conduire. Sous sa direction, Ford
sera une entreprise perpétuellement innovante : première chaîne de montage,
participation des salariés aux bénéfices, salaires de 5 $ par semaine en 1914,
invention du crédit automobile…
Ford cherche d'abord à appliquer les principes de Taylor. Cette volonté le conduit
à installer des chaînes de montage mobiles en 1913. Ensuite, dès 1914, il
augmente fortement le salaire horaire de ses ouvriers afin de lutter contre une
rotation trop rapide du personnel. C'est seulement plus tard qu'il présente cette
politique comme un moyen d'accroître ses débouchés. Cette idée est novatrice car
elle considère l'ouvrier non seulement comme un facteur du processus de
production, mais également comme un consommateur du produit fini. Elle repose
ainsi sur la redistribution partielle des gains de productivité aux travailleurs par
des augmentations de salaires. Le fordisme associe donc la production en série, le
travail à la chaîne et la consommation de masse.
On a pu dire de Ford qu’il était celui qui avait le mieux compris Marx et qui avait
évité au capitalisme la saturation fatale en inaugurant la société de consommation
de masse. Dans le fordisme, c’est le prix de vente qui conditionne le prix de
revient et non l’inverse. Ford veut vendre le plus de voitures possible et fixe donc
les prix les plus bas possible ; il s’arrange ensuite pour obtenir les gains de
productivité nécessaires, grâce à l’application du système de Taylor, à l’invention
du travail à la chaîne, introduit en 1913, à la standardisation des pièces détachées
et des modèles, imaginée dès 1908 avec la Ford T. Après la Première Guerre
mondiale, Ford fabrique un modèle T toutes les dix secondes, dans les différentes
usines de la firme, dont les principales sont à Detroit (usine Ford de Highland
Park).
Henry Ford adopte la taylorisation pour fabriquer à bas prix la Ford T en 1908,
vendue à 18 millions d’exemplaires jusqu’en 1927. Pour atteindre ce résultat il
améliore la productivité grâce à la standardisation des produits comme il la fait
pour les tâches, principe contenu dans cette formule célèbre : « Vous pouvez
choisir la couleur que vous voulez, à condition qu’elle soit noire ». Keynésien
avant l’heure il paye bien ses 100 000 salariés, afin qu’ils puisent consommer et
acheter les véhicules qu’ils fabriquent eux-mêmes.
Le fordisme révolutionne l'organisation de la production ; il permet de produire
en masse en abaissant les coûts de production, le prix de l'objet fini et il permet
donc de multiplier les ventes. La politique de salaires élevés est un progrès
incontestable pour le niveau de vie des ouvriers qui deviennent de véritables
consommateurs. Mais cette amélioration se fait au prix de dures conditions de
travail qui conduisent à l'abrutissement d'un travailleur déshumanisé. Les ouvriers
spécialisés, déqualifiés composent désormais la majorité de la main-d'oeuvre des
usines qui adoptent le fordisme.
Pour une approche transversale avec l’enseignement de Lettres, l’épisode de
Bardamu, ouvrier chez Ford, est un grand classique très riche pour les historiens :
L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
67
HC – Contestations et mouvements ouvriers de 1850 à 1914
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Il s’agit de montrer les deux temps de l’évolution des combats sociaux avec
l’émergence de différentes idéologies critiquant le capitalisme libéral triomphant,
surtout dans les années 1860-1880, puis la légalisation progressive des combats
donnant lieu à des réformes sociales.
On devra mettre en évidence :
– les revendications ouvrières (diminution de la journée de travail sans
diminution des salaires), les formes d’action (grèves et manifestations parfois
violentes) et les modalités d’organisation du mouvement ouvrier en France
(syndicats, parti).
– les débats, les divergences et les divisions du mouvement ouvrier (syndicalistes
révolutionnaires/socialistes, socialistes/communistes).
– les obstacles à l’action des ouvriers
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
KAEBLE Harmut, Vers une société européenne 1880-1980, Belin, 1990.
Jean-Pierre Daviet, La Société industrielle en France, 1814-1914, coll. « Points Histoire », Le Seuil, Paris, 1997.
Noiriel G., Les Ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècles, coll. « Point » Seuil, (1986) 2002.
Lequin Y., Ouvriers, villes et société, Nouveau Monde, 2005.
C. WILLARD, La France ouvrière, tome 1 : Des origines à 1920, éditions de l’Atelier, 1994.
Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXe siècle, coll. « Points Histoire », Seuil, 1991.
Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, coll. « Pluriel »,
Hachette, Paris, 1984.
J. Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, PUF, Paris, 1979.
C. WILLARD, Le socialisme de la Renaissance à nos jours, coll. « SUP », PUF, 1971.
P. Ory, Nouvelle Histoire des idées politiques, coll. « Pluriel », Hachette, 2002.
M. Winock , Le Socialisme en France et en Europe, XIXe-XXe siècles, coll. « Points-Histoire », Seuil, Paris, 1992.
E. J.Hobsbawm, L’ère du capital, éditions Pluriel, 1978.
A. NATAF, La Vie quotidienne des anarchistes en France, 1880-1910, Hachette, 1986.
A. Dewerpe, Le Monde du travail en France 1800-1950, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1989.
A. Gueslin, L’État, l’économie et la société française XIXe-XXe siècle, Hachette, coll. « Carré Histoire», Paris, 1992.
M. Lévy-Leboyer, dir., Histoire de la France industrielle, Larousse, Paris, 1996.
G. Procacci, Gouverner la misère. La question sociale en France (1789-1848), Seuil, Paris, 1993.
D.Woronoff, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Seuil, Paris, 1994.
F. Bedarida, La Société anglaise du milieu du XIXe siècle à nos jours, Seuil, coll. « Points Histoire», Paris, 1990.
M. Charlot et R. Marx, La Société victorienne, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1978.
F. Crouzet, L’Économie de la Grande-Bretagne victorienne, CDU-SEDES, Paris, 1978.
Documentation Photographique et diapos :
Demier Francis, « La société européenne au XIXe siècle : hiérarchies et mobilités sociales», La Documentation photographique,
n° 8024, La Documentation française, décembre 1991 (2001).
Rebérioux Madeleine, Georgel Chantal, Moret Frédéric, «Socialisme et utopie», La Documentation photographique, n° 8016, La
Documentation française, août 2000.
N° 8010, août 1999 : La Mine, une histoire européenne.
D. Borne, « La Société française », in La Documentation photographique n° 7035, juin 1996.
N° 6079, octobre 1985 : Les Ouvriers au XIXe s., émergence d’une classe 1840-1914.
Revues :
Collectif, « Le temps de la lutte des classes, patrons et ouvriers dans l’aventure industrielle », L’Histoire, n° 195, 1996.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Comment les ouvriers s’organisent-ils pour améliorer leurs conditions de vie et
de travail ?
Cette problématique est classique. Depuis la Révolution française, les ouvriers,
notamment en France, ont perdu des droits fondamentaux comme le droit de
réunion avec la loi Le Chapelier. Dans ce monde libéral, l’ouvrier est seul, c’est
un individu seul face à son patron. Cela pour respecter l’égalité entre les êtres
humains. Dans la réalité, il y a des distorsions de force et de pouvoir. Les
1ère STG : « Le mouvement ouvrier
Le mouvement ouvrier est appréhendé à
travers son évolution et la diversité de ses
manifestations dans l’espace.
Il est conseillé de prendre pour sujet d’étude,
un pays (la France, le Royaume-Uni ou les
États-Unis). Par mouvement ouvrier, il faut
68
ouvriers, dans tous les pays d’Europe, lutteront souvent durement et parfois au
péril de leur vie pour obtenir certains droits et une amélioration de leurs
conditions de vie. Il convient de réflechir aussi sur la diversité des mondes
ouvriers : des domestiques, aux paysans-ouvriers à façon, aux ouvriers qualifiés
des anciens métiers, jusqu’aux ouvriers à la pièce des usines.
Si les ouvriers de la première moitié du XIXe siècle ont été surnommés la «
génération sacrifiée », ceux qui leur succèdent parviennent à s’organiser et à
améliorer leurs conditions de vie et de travail. Ces progrès restent relatifs.
Beaucoup d’ouvriers demeurent soumis à la précarité. Dans les villes, ils se
concentrent dans les quartiers périphériques, loin des espaces modernisés
et bien équipés où demeure la bourgeoisie.
Le prolétaire, c’est d’abord l’ouvrier, un ouvrier qui rompt très progressivement
avec ses attaches rurales parce que l’essor de la grande usine urbaine est tardive
et que des formes de production protoindustrielles se perpétuent longtemps
comme le domestic system. Même si l’usine conduit à une déqualification du
travail ouvrier, à une augmentation des cadences, qu’elle s’apparente souvent à
une caserne (règlements stricts, discipline sévère, hiérarchies contraignantes...) et
qu’elle rend donc les rapports sociaux plus tendus, elle permet une augmentation
du pouvoir d’achat, notamment par des gains de productivité et par la salarisation
croissante de la population active ouvrière. Dès les années 1890, on constate ainsi
une nette amélioration des conditions de vie des ouvriers, favorisée, en Europe,
par les premières lois sociales.
Les conditions de vie des ouvriers parisiens sont très précaires au début de la
période, notamment à cause de la faiblesse des salaires et de la dureté des
conditions de travail. Elles s’améliorent progressivement grâce à une hausse du
pouvoir d’achat, sous l’effet de l’action des prolétaires eux-mêmes (grèves, essor
des syndicats) mais aussi grâce à une prise de conscience des élites et des
autorités publiques. Cependant, tous les ouvriers ne bénéficient pas de ces
progrès réels et de nombreux prolétaires vivent toujours dans la misère à la veille
de la Seconde Guerre mondiale.
Quelle voie doit permettre de changer le capitalisme mondial ?
Cette problématique est plus difficile car elle demande de maîtriser les critères du
capitalisme, de savoir à quelle période on se place. Le débat n’est pas le même en
1850, en 1900 ou en 1930. Les conjonctures économiques interfèrent sur lui. La
question de l’acceptation, de la négociation ou du rejet total du capitalisme est
récurrente dans notre période. Il divise les syndicats, les partis et hommes
politiques, les gouvernements. L’exemple soviétique sert à la fois d’espoir et
d’épouvantail selon les points de vue.
Accompagnement 1ere : « L’industrialisation transforme considérablement les
sociétés européennes et nord-américaines. L’importante mobilité spatiale à
différentes échelles, les reclassements sociaux, le jeu d’acteurs collectifs
déterminants – bourgeoisie dynamique et prolétariat – ou l’apparition des classes
moyennes, symbole d’une ascension sociale et catalyseur des inquiétudes
politiques au moment des crises, constituent des entrées possibles pour analyser
ces transformations. Ils invitent à ne pas réduire la société de l’âge industriel à un
antagonisme simpliste et mettent à jour la complexité des réalités sociales.
La pluralité des courants qui analysent le capitalisme et la société pour les
théoriser, les adapter ou les combattre est un autre trait de cette complexité. Le
libéralisme est le courant triomphant de l’âge industriel. Il est contesté à la fois
par le socialisme, l’action et la réflexion syndicales et le traditionalisme (qui
condamne le salariat industriel de masse et la pauvreté des catégories
défavorisées, en même temps qu’il exprime sa nostalgie d’un monde rural – trait
durable de la culture française, porté au paroxysme en 1940-1944 – et d’une
société hiérarchisée). Le cas français étant privilégié, on peut illustrer la diversité
du socialisme au travers de quelques grandes figures (Proudhon, Guesde, Jaurès)
ou aborder des temps forts du mouvement syndical tels que la constitution de la
CGT ou la Charte d’Amiens. À un moment jugé opportun, une étude plus
développée de tel facteur, acteur individuel, entreprise, forme d’organisation de la
production ou situation localisée permettrait d’incarner et de mieux comprendre
les mutations étudiées. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
entendre l’ensemble des organisations issues
de la classe ouvrière (syndicats, partis
ouvriers) qui ont lutté pour l’amélioration de
la condition ouvrière, certaines voulant
réformer le capitalisme et d’autres voulant le
renverser pour établir une société socialiste. »
BO 1ere actuel : « Le phénomène majeur est
la croissance économique. On présente le
processus d’industrialisation et les
transformations économiques et sociales qui
lui sont liées. Il s’agit de saisir les évolutions
et les ruptures majeures sur près d’un siècle
et non d’examiner le détail de la conjoncture.
En privilégiant le cas français, on étudie les
courants qui tentent d’analyser la société
industrielle pour l’organiser ou lui résister
(libéralisme, socialisme, traditionalisme,
syndicalisme).
BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL
L’industrialisation qui se développe au cours
du XIXe siècle en Europe et en Amérique du
Nord entraîne des bouleversements
économiques, sociaux religieux et
idéologiques.
Une étude au choix parmi les suivantes :
- Ouvriers et ouvrières à la Belle Époque.
Cette étude est replacée dans le cadre de
l’ensemble des bouleversements
économiques et sociaux. Elle débouche sur
une découverte des grands courants de pensée
religieux et idéologiques (libéralisme et
socialisme).
Connaître et utiliser
- Un repère chronologique en liaison avec
l’étude choisie
- Le manifeste du Parti communiste 1848
Décrire et expliquer un exemple de mutations
liées à l’industrialisation
Caractériser les grandes idéologies
(libéralisme et socialisme) »
Activités, consignes et productions des élèves
:
69
I. LES CONDITIONS DE VIE
LA NAISSANCE DU PROLETARIAT
Comme l’atelier, l’usine est bruyante, malodorante, surchauffée dans les
verreries, humide dans les filatures. Et, à quelques exceptions près (l’usine Berliet
à Lyon, que l’on décrit comme un lieu clair, aéré, net), l’espace intérieur n’est pas
encore très organisé ; il ne le sera qu’après la Première Guerre mondiale, en
relation avec la rationalisation du travail. Toutefois, l’utilisation de grandes
vitres, qui permettent un éclairage naturel gratuit une partie de la journée, donne
des espaces plus lumineux que dans les ateliers. L’intérieur s’organise autour de
la machine à vapeur – qui fournit l’énergie aux autres machines et nécessite la
construction de grandes halles –, autour des fours, des presses mécaniques ou des
mule-jennys, qui servent à filer le coton. Avec la transformation de l’outil de
production, c’est la machine, ou le feu, qui donnent la cadence aux ouvriers,
durant de très longues heures. L’ouvrier approvisionne ou seconde les machines
ou bien exécute les tâches qui ne peuvent être mécanisées : il raccorde des fils sur
les bobines, présente la pièce de ferraille au marteau, tourne le verre, assemble
deux pièces de cuir... Le travail est divisé et le produit fini est le résultat de
l’intervention de plusieurs ouvriers, qui se cantonnent chacun dans une opération,
et ne contrôlent plus l’ensemble de la fabrication.
Conséquence sociologique fondamentale de cette segmentation du travail, de cet
asservissement à la machine : elle donne naissance au prolétariat. En effet,
davantage que par son savoir-faire, c’est désormais par sa force de travail que se
définit l’ouvrier. D’où l’emploi d’une main-d’œuvre moins qualifiée, donc moins
payée, et surtout interchangeable. Ainsi, la période d’apprentissage étant
désormais extrêmement courte, lorsque le travail est très pénible ou que la maind’œuvre est insuffisante, les usines font appel à des travailleurs étrangers,
essentiellement polonais, belges, italiens ou espagnols : à Roubaix, 30 % des
tisseurs et 50 % des peigneurs sont des Belges ; au Creusot, les Italiens sont un
millier à la fin du siècle et subissent l’hostilité des ouvriers du cru.
L’EXPLOITATION DES ENFANTS ET DES FEMMES
Prolétariat du prolétariat, les femmes et les enfants sont rudement soumis aux
contraintes maximales du travail dans la phase la plus brutale du développement
de l’industrie. La première industrialisation se caractérise, en effet, par une
absence de législation sociale et une recherche d'exploitation des capacités de
travail sans frein qui frappent les contemporains et motivent enquêtes et
témoignages scandalisés. Les hommes ne sont pas épargnés, mais leur plus
grande qualification en moyenne et leur plus grande habitude du monde du travail
les rendent à la fois plus indispensables et moins dociles. Il faut craindre leurs
révoltes comme celle des canuts à Lyon en 1831 et 1834. D'autre part, l'industrie
nouvelle a grand faim d'emplois sous-qualifiés. On le constate en particulier, très
précocement, dans la filature de laine et dans toute la filière textile. Femmes et
enfants constituent ainsi 57 % des ouvriers du coton en Angleterre. Mais la mine
connaît le même phénomène. Quelle que soit la branche d'activité, pour ces
catégories surexploitées, les rythmes et les conditions de travail sont à la limite de
l'esclavagisme si l'on en croît les témoignages concordants des enquêtes
parlementaires. Les tâches les moins qualifiées, les plus prolétarisées incombent
donc avant tout aux femmes et aux enfants dont les salaires pâtissent de cette
position subordonnée. Ils sont moins élevés que ceux des hommes. Mais ici se
place une première différence notable entre les deux catégories, les femmes sont
payées deux fois moins que les hommes, les enfants quatre fois moins.
L'exploitation de leur travail, alors que leur corps, pas encore formé, subit plus
rudement encore la discipline industrielle, est donc plus grande et plus inique
encore.
LA QUESTION DU LOGEMENT OUVRIER
L’afflux de main-d’œuvre, provenant d’autres régions ou d’au-delà des frontières,
n’a pas pour autant entraîné une politique concertée du logement et de
l’urbanisme : les constructions anarchiques se multiplient, le surpeuplement et
des conditions de vie précaires sont souvent la règle, comme à Saint-Étienne,
dans le quartier du Soleil-Noir. Ou encore à Ivry, en banlieue parisienne, qui
comptait 7 000 habitants en 1861 et qui, vingt ans plus tard, en compte 18 000,
des usines chimiques et mécaniques étant venues s’y installer.
Plus tard dans le processus d’industrialisation, et notamment dans les régions
minières, métallurgiques ou textiles, l’habitat ouvrier sera programmé et greffé
aux usines. L’initiative en reviendra parfois aux patrons eux-mêmes qui, par un
Accompagnement 4è : « Les transformations
sociales sont analysées sans schématisme car
le monde paysan est très inégalement
bouleversé, et la croissance du monde ouvrier
ne fait pas disparaître l’artisanat traditionnel.
Il faut aussi se défier d’un excessif
misérabilisme : certes, les ouvriers subissent
la précarité et des conditions de vie très
difficiles ; le salariat est encore vécu, dans
une société qui considère que la propriété est
un signe de notabilité, comme une
malédiction ; la très grande inégalité de la
répartition des richesses perdure. Cependant,
la croissance économique permet un mieuxêtre général et les luttes sociales contribuent à
améliorer la condition ouvrière. Les résultats
des recherches de Louis Pasteur sont un bon
indice de la progressive transformation des
conditions de vie. Nombreux sont ceux qui
dénoncent les conséquences de
l’industrialisation. Les textes de Marx, mais
aussi la pensée de Jean Jaurès témoignent des
aspirations à une égalité qui ne serait pas
seulement juridique (principes de 1789), mais
aussi sociale. Leur analyse permet d’évoquer
la diffusion du socialisme, la naissance et le
rôle des organisations syndicales. »
Budget d’une famille ouvrière de Lille en
1848
Les conditions de vie des ouvriers nous sont,
bien connues grâce à la multiplication des
enquêtes sociales dans les années 1830-1850,
au plus fort de la phase anarchique de
développement du prolétariat. Pour les
historiens actuels (Noiriel, Les Ouvriers), ces
enquêtes ont parfois des résultats
délibérément grossis à des fins
politiques, par les catholiques sociaux par
exemple. Elles sont cependant une mine
d'informations précises et sont à
l'origine de la prise de conscience qui aboutit
aux lois sociales en France. Le libéral Jérome
Adolphe Blanqui retranscrit ici un budget
particulièrement tendu. Les
recettes équilibrent avec difficulté les
dépenses. Le chômage créerait un problème
grave (dans le cas de l'épouse), ou serait un
drame (dans le cas du mari). Le pain
représente de très loin le premier poste du
budget, presque la moitié des dépenses. On
est donc, pour cette famille d'ouvriers du
textile, dans une situation très proche de la
misère durant une année de crise économique
comme celle de 1848.
Les sociétés mutuelles de secours sont une
des premières formes d’organisation ouvrière.
Elles sont encouragées par l’État qui délivre
ici un diplôme d’honneur à un mutualiste
méritant. La société de secours mutuels,
antérieure aux syndicats instaure une forme
de solidarité entre les ouvriers qui
mutualisent une partie de leurs revenus pour
bénéficier d’une assistance multiforme. Le
70
intérêt bien compris, doublé d’une philanthropie souvent chrétienne, se lanceront
dans une politique sociale ambitieuse et à grande échelle : ils dessineront, près
des usines, un urbanisme répétitif de petits pavillons indépendants ou mitoyens
comme dans les corons du Nord, accompagné d’équipements collectifs –
cantines, crèches, clubs sportifs, économat, parfois une église... Cette volonté
paternaliste visait à améliorer l’état sanitaire et moral de la population ouvrière et
à la sédentariser : devenu locataire ou même propriétaire de sa petite maison,
l’ouvrier s’attachera à l’entreprise, préférera le statu quo à la revendication, et
peut-être délaissera-t-il le cabaret pour cultiver son jardin... Elle visait aussi à
forger un sentiment d’appartenance à l’entreprise et à son environnement qui a
marqué des générations d’ouvriers pris en main du berceau à la tombe. Si les
conditions de vie de la population ouvrière s’en trouvent améliorées, le pouvoir
patronal en sort renforcé, mais sa contestation aussi...
DES CONDITIONS DE VIE DIFFICILES POUR TOUS
En tête des revendications, figurent l’amélioration des conditions de travail, les
augmentations de salaire ainsi que la diminution du temps de travail. Les journées
sont longues, à l’atelier comme à l’usine, et dans tous les secteurs de l’activité
industrielle – en moyenne, entre 12 et 15 heures par jour (voir Repères). Le
salaire quant à lui n’est pas assez élevé pour mettre le monde ouvrier à l’abri en
cas de chômage ou d’accident. En général, une femme gagne deux fois moins
qu’un homme, un enfant trois fois moins. Les immigrés, souvent moins qualifiés,
acceptent des salaires moindres. Comme les femmes, ils se voient accusés de
casser le marché du travail par leur salaire de misère. Dans de nombreux métiers,
notamment dans les ateliers des bronziers, des doreurs, des horlogers, l’ouvrier
doit déduire certaines dépenses de son salaire. « Les travailleurs de Reims avaient
à leur charge tous les frais d’éclairage, de chauffage ainsi que l’huile pour le
graissage des laines », témoigne Norbert Truquin, ouvrier-tisserand. Les patrons
prétendaient que si ces frais généraux étaient à leur charge, les ouvriers
gaspilleraient l’éclairage ou les fournitures... Près de 60 % des ouvriers sont
payés à l’heure ou à la journée. 30 % environ sont payés au rendement ou « aux
pièces ». Une troisième forme de rémunération, le travail « à la tâche » ou « à
l’entreprise », qui a entraîné la pratique du marchandage (c’est-à-dire la
concurrence entre les tâcherons), a été dénoncée par les syndicats comme l’une
des causes essentielles des accidents, notamment dans le bâtiment. D’une manière
générale, les conditions sanitaires sont déplorables et les maladies
professionnelles se développent : silicose dans les mines, saturnisme chez les
peintres, cancers dans les usines chimiques, tandis que les accidents du travail se
multiplient dans les ateliers aussi bien que dans les mines et dans les usines, et
notamment à cause des machines : 15 par an en moyenne à Montceau-les-Mines
en 1860. Outre les dures conditions de travail et l’entrée précoce dans la vie
active, la mauvaise nourriture et le logement insalubre font de l’ouvrier d’atelier
ou d’usine un être chétif à l’espérance de vie réduite. Les conseils de révision
s’alarment de voir de plus en plus de jeunes ouvriers réformés pour rachitisme,
malformation ou « débilité » (61 % de réformés dans le Nord en 1841).
L’espérance de vie d’un ouvrier, durant le premier XIXe siècle, ne dépasse pas
les 35-40 ans. La mortalité infantile est extrêmement forte, témoignant de la
précarité de la vie de la famille et des conditions de travail de la mère. Sous la
pression des ouvriers et des réformateurs sociaux, une législation du travail se
met en place. Elle est tardive et ne touche souvent que les grands établissements
industriels (voir Repères). Les petites et moyennes entreprises y échappent,
comme elles échappent davantage que les grandes aux contrôles de l’Inspection
du travail. On assiste ainsi, à la fin du siècle, à une amélioration des conditions de
travail à l’usine tandis qu’elles se dégradent dans les ateliers.
Les conditions de vie
En 1906, les familles ouvrières consacrent l’essentiel de leur budget à la
nourriture et au logement, à des besoins vitaux donc, et ne disposent que d’une
somme infime pour les autres postes de dépense. La petitesse du budget consacré
à la santé et l’absence de budget consacré aux loisirs témoignent de la dureté de
l’existence de familles vivant au bord de la misère. Entre 1906 et 1937, la part du
budget consacrée à la nourriture et au logement recule, ce qui est le signe d’un
progrès du niveau de vie et du pouvoir d’achat. Les postes vêtement et santé
progressent fortement, les loisirs font même leur apparition. Ces évolutions nous
conduisent à relativiser notre vision misérabiliste du monde ouvrier : si les
ouvriers sont les perdants de l’industrialisation, il n’en demeure pas moins vrai
que leur pourvoir d’achat et leurs conditions de vie progressent.
diplôme témoigne d’un soutien aux personnes
âgées, d’une assistance médicale, d’une aide
à l’instruction et à la garde d’enfants. Ce
soutien permet à l’État de limiter son
engagement dans le domaine social. En 1870
on compte près de 6 000 sociétés de secours
et 800 000 sociétaires. C’est la loi du 1er
avril 1898 qui donne à la mutualité un
véritable statut ouvrant tous les champs
d’activité de la protection sociale : assurance
vie, assurance invalidité, retraite, oeuvres
sanitaires et sociales (dispensaires et
pharmacies), allocations chômage. En 19001901, 15 000 sociétés de secours mutuel
protègent 2,6 millions d’adhérents. Avec les
lois de 1928-1930, les mutualistes vont jouer
un rôle de premier plan dans leur gestion.
L’ordonnance du 19 octobre 1945 abroge la
charte de 1898 et définit de nouvelles
orientations aux « sociétés mutualistes », en
complémentarité avec la Sécurité sociale.
Les huit heures pour demain ?
Tout au long du XIXe siècle, les ouvriers
placent la réduction du temps de travail parmi
leurs revendications essentielles. La lutte
pour la réduction du temps de travail à 8
heures est devenu un objectif essentiel de la
lutte ouvrière. Définie aux États-Unis puis
repris par la IIe Internationale lors de sa
fondation en 1889, la journée de 8 heures a
fait l’objet d’une longue quête pour les
syndicats ouvriers. Cette lutte a été à
plusieurs fois marquée par des épisodes
tragiques : grève de Chicago en 1886,
fusillade de Fourmies en 1891. Ce chiffre de
8 heures permettait de diviser la journée en
3 parts égales, le travail, le loisir, le repos.
Des journées plus longues grâce au gaz
Limitée au siècle précédent par la durée du
jour, la journée de travail s’allonge au cours
du XIXe siècle – au moins jusqu’en 1860 –,
notamment à la faveur du développement de
l’éclairage au gaz : en moyenne, elle s’établit
entre 12 et 15 heures dans toutes les branches
d’activité industrielle. Vers 1880, telle usine
de moulinage de la soie en Ardèche ou telle
filature lilloise imposent encore
respectivement 15 heures et demie et 16
heures par jour à leurs employées. Dans les
années 1890, la journée est moins longue
dans les grandes usines que dans les petites et
dans les ateliers ; et les ouvriers parisiens
travaillent en moyenne une ou deux heures de
moins que leurs collègues de province.
Variations saisonnières
Mais, plus que la durée du travail, c’est sa
régularité et son intensité qui caractérisent
l’industrialisation. Le travail humain doit
s’adapter aux cadences des machines, ce qui
densifie le temps et le rend plus pénible. Les
fluctuations selon les lieux, les branches
d’activité et les moments de l’année sont
également représentatives du mode de
71
II. L’EMERGENCE DE DIFFERENTES IDEOLOGIES CRITIQUANT LE
CAPITALISME LIBERAL TRIOMPHANT (ANNEES 1860-1880)
Il convient de ne pas oublier les premiers mouvements ouvriers du XIXe siècle,
qui ne sont pas des mouvements pour l’amélioration des conditions de vie mais
des mouvements contre les nouvelles machines, contre le progrès, contre la peur
du chômage et de la concurrence de la part d’une main-d’oeuvre prolétaire, non
formée. C’est le cas de la révolte de 1831 des canuts lyonnais contre les
nouveaux métiers à tisser, le luddisme. On peut relier cela aux mouvements
populaires du XIXe siècle, notamment les émeutes de 1848 qui amènent les
gouvernements à prendre des mesures sociales, à créer des ateliers. La loi Le
Chapelier, la pratique du livret ouvrier mettent le travail sous la dépendance du
patron. Les dates de naissance des premiers syndicats (des unions) sont
significatives des difficultés pour le monde ouvrier de s’organiser.
L’objectif du réformisme politique est d’obtenir des gouvernements en place, par
des pressions comme la grève, mais sans aller jusqu’à des destructions de
machines, sans violence, des mesures législatives en faveur des travailleurs. Il
donne lieu à de grandes lois sociales.
MAITRISER L’AGITATION OUVRIERE
Canaliser l’instabilité et l’agitation des ouvriers a été une préoccupation constante
au XIXe siècle. Leur instabilité, qu’ils travaillent en atelier ou en usine, c’est une
mobilité et un comportement empreints d’un certain esprit libertaire, du moins
tant que l’embauche est importante : ils pratiquent occasionnellement
l’absentéisme, lorsque les travaux des champs voisins le nécessitent, ou lors du «
saint lundi », journée qu’ils s’octroient de temps à autre pour se divertir ; ils
quittent leur place assez souvent pour tenter de trouver mieux ailleurs. À l’époque
napoléonienne, les autorités politiques ont donc cherché à les « assagir » avec le
livret ouvrier où sont consignés leurs dates d’arrivée dans l’entreprise et de
départ, ainsi que les manquements au règlement ou attitudes de rébellion. Très
décrié, ce livret ne sera aboli qu’en 1893.
L’agitation des ouvriers, c’est leur riposte à la discipline qui leur est imposée.
Bien que les responsables syndicaux et les socialistes actifs soient souvent issus
du monde de l’atelier, les revendications, les conflits et les grèves éclatent
davantage dans les usines que dans les ateliers. Car, afin d’obtenir un meilleur
rendement et une production plus fiable, les patrons d’usines multiplient les
moyens de contrôle et d’intimidation. Les règlements d’usines fleurissent ; ils
énoncent de nombreuses interdictions (manger, fumer, cracher, sortir, chanter),
des obligations (nettoyer sa machine) et des sanctions (les amendes sur salaires
pour malfaçon, les renvois). Selon l’Office du travail, dans les années 1890, 22 %
des établissements parisiens et 6 % des établissements provinciaux pratiquent
systématiquement les amendes. De nombreux conflits naissent de la contestation
de cet ordre patronal, de cette mise au pas de l’ouvrier par la machine. Le
luddisme (bris de machines) en est la première et archaïque manifestation, la
grève démarrant à cause d’amendes injustes ou d’un contremaître jugé
tyrannique.
DE NOUVEAUX RAPPORTS DE FORCE
Face à ces revendications d’une réforme du salariat par une législation du travail,
les patrons d’ateliers et d’usines ont déployé beaucoup de résistance. La volonté
de conserver un régime libéral s’explique par la notion du patron maître chez lui.
Pour les patrons, toute intervention de l’État ou toute collaboration des ouvriers
sont considérées comme des ingérences intolérables, une violation du droit de la
propriété privée. Pour eux, la recherche de la paix sociale à l’intérieur de l’atelier
et de l’usine passe essentiellement par le paternalisme. Au sein de l’atelier, la
démarche est presque naturelle, il suffit de garder ou de retrouver un aspect
familial : les repas pris en commun, les conditions de vie et de travail partagées et
même les aspirations politiques qui, du petit patron à l’ouvrier d’atelier, ne sont
pas très différentes. On les retrouve d’ailleurs côte à côte lors des barricades de
1830 ou 1848. Ainsi cohabitent, le plus souvent sans heurts, maître et
compagnons, proches socialement et idéologiquement. Lorsque conflit il y a, il
oppose généralement le monde de l’atelier uni à un ennemi extérieur. Les révoltes
des canuts lyonnais, au début des années 1830, le montrent : ouvriers et patrons
canuts, tisseurs de soie à Lyon, combattent unis pour imposer un tarif, c’est-à-dire
un prix fixe, aux fabricants qui leur fournissent la matière première et ont le
production industriel. Ainsi, dans les ateliers
de confection, particulièrement sensibles aux
variations saisonnières, les ouvrières peuvent
travailler seize heures durant lorsque les
commandes pressent, notamment lors des
changements de saison : les ateliers renouent
alors avec la coutume de la veillée des
sociétés pré-industrielles.
En revanche, lors de la morte saison, le
chômage peut durer deux ou trois mois. Les
usines, elles non plus, ne sont pas à l’abri de
ces fluctuations. Ainsi, aux usines Renault, la
durée hebdomadaire du travail est de 72
heures en 1898, elle tombe à 60 heures en
1904 et remonte à 72 heures en 1914.
Rythmées par la cloche puis par la sonnerie,
entrées, sorties et rares pauses encadrent
étroitement la journée de travail dans les
usines. Celle-ci commence tôt le matin, à six
heures, et se termine vers vingt heures,
parfois vingt et une heures. Une pause sur
place pour le déjeuner, parfois une autre dans
la matinée. Si, dans les ateliers, la journée est
souvent plus longue, la presse est moindre et
les pauses un peu plus fréquentes. Elles
peuvent se prendre sur place, mais il n’est pas
rare que l’on se retrouve au cabaret voisin.
Quand la loi n’a pas force de loi
La durée du travail est fixée essentiellement
par le marché du travail, par l’exigence
patronale et éventuellement par le
mouvement revendicatif ouvrier. Le cadre
législatif est inexistant aux débuts de
l’industrialisation et peu contraignant ensuite.
La législation en la matière est longue à
s’imposer, elle ne touche au départ que
certaines catégories de travailleurs et elle
n’est pas véritablement respectée avant la fin
du siècle.
1841
Au départ, les législateurs ont eu tendance à
protéger les femmes et les enfants, dans une
optique morale, familiale et eugénique. Les
réticences à légiférer pour les hommes sont à
replacer dans le contexte du libéralisme. La
loi de 1841 fixe l’âge minimum des
travailleurs à 8 ans. Elle interdit de dépasser 8
heures de travail quotidien pour les enfants de
8 à 12 ans et 12 heures pour les enfants de 12
à 16 ans. Cette loi ne s’applique qu’aux
entreprises de plus de 20 ouvriers ; encore
n’est-elle pas appliquée.
1848
La IIe République, en 1848, fixe par décret la
journée de travail en usine à 12 heures en
province et à 10 heures à Paris. Ce décret ne
fait qu’entériner un état de fait antérieur. Le
principe qui dicte cette mesure est énoncé par
Louis Blanc : « L’intention du gouvernement
provisoire [...] a été de ménager les forces du
travailleur et de faire une part de temps à son
intelligence. » Mais, dès juillet 1848, le
revirement politique et la résistance patronale
permettent l’abrogation de ce texte.
La loi du 9 septembre 1848 fixe à 12 heures
72
monopole de la commercialisation. Ceux-ci refusent, au nom du libéralisme, tout
prix imposé et général, recevant le soutien des pouvoirs publics. Le conflit
oppose donc deux mondes, celui de la production et celui de la
commercialisation.
Le travail en usine, en revanche, engendre une lutte des classes plus
systématique, par l’opposition très visible entre le capital et le salariat. De ce fait,
se développent une culture ouvrière spécifique et une forme de sociabilité
prolétarienne originale, marque de cette appartenance de classe. Elle se manifeste
par un patriotisme d’atelier, par la fréquentation commune du cabaret, plus tard
du stade de football.
De leur côté, les ouvriers ont cherché à contrôler l’espace de l’atelier et de l’usine
en fondant des coopératives de production. Les travailleurs sont associés pour le
capital, la production et la vente ; l’atelier ou l’usine sont autogérés, comme la
Verrerie ouvrière de Carmaux ou les Charpentiers de Paris. D’une certaine
manière, la revendication du droit d’exercer l’activité syndicale au sein de
l’entreprise correspond aussi à une autre forme de contrôle de l’entreprise. Lieux
de production, mais aussi d’exploitation, l’atelier et l’usine deviennent les
principaux foyers de la contestation syndicale, voire politique.
III. LA LEGALISATION PROGRESSIVE DES COMBATS DONNANT LIEU
A DES REFORMES SOCIALES.
INDUSTRIALISATION ET NOUVELLES LOIS SOCIALES
Entre 1880 et 1939, de nombreuses lois viennent protéger les travailleurs, qu’ils
soient actifs, chômeurs ou retraités. Ces lois sont-elles le fruit du combat acharné
des syndicats et des partis représentant les ouvriers, ou bien ne sont-elles
redevables qu’au patronat (philanthrope et soucieux d’éviter le fort turn-over des
ouvriers) et aux gouvernements désirant assurer la paix sociale (à l’image d’un
Bismarck par exemple) ? Certainement faut-il voir dans ces lois le fruit d’un
compromis nécessaire, autant de réponses à la « question sociale » qui ébranle les
sociétés industrielles.
La législation sociale s’applique dans de très nombreux domaines : droit de
grève, constitutions de syndicats, limitation du travail pour les femmes et les
enfants, temps de travail, accidents du travail, repos des ouvriers, retraites, congés
payés, chômage, assurances maladie. Autant de thème se rapportant à la
protection sociale dont on a ici les prémices (en attendant les années 1940).
Les patrons membres de l’UIMM ont développé les oeuvres sociales. Les raisons
invoquées par l’auteur relèvent de la philanthropie : il s’agit de sortir le monde
ouvrier de la misère sociale et psychologique qui le caractérise, « toute une
oeuvre de relèvement moral et matériel à entreprendre ». Mais l’on sait que les
grands patrons obéissent également à d’autres motifs : fidéliser la main-d’oeuvre,
éviter le fort turn-over des ouvriers, assurer la paix sociale dans les ateliers (voir
la définition du paternalisme).
Comme beaucoup de grands patrons (Henry Ford ou André Citroën, Henri
Schneider), c’est un regard plein de dégoût, mêlé de mépris et de compassion, un
regard très moralisateur en somme que Robert Pinot porte sur le monde ouvrier («
la dégénérescence physique et morale », etc.).
La grève et le drapeau rouge
Au XIXe s., la grève est devenue une des armes les plus fortes de la classe
ouvrière. Bien qu’interdites par la loi Le Chapelier (1791) et par le code
Napoléon, les grèves se multiplient au XIXe s. et la répression se montre de plus
en plus inefficace ; elles sont alors autorisées par la loi d’avril 1864, à condition
qu’elles ne provoquent « ni violences ni voies de fait, ni menaces ». Ces limites
permettent de réprimer les grèves en invoquant l’atteinte à la liberté du travail.
Pour les anarchistes, la grève devient le moyen de donner au mouvement un
caractère révolutionnaire. La question de la grève divise dès lors les dirigeants
socialistes. Contre Jules Guesde et les marxistes orthodoxes, les anarchosyndicalistes, dont Georges Sorel est le théoricien, défendent le principe de la
grève générale comme « mythe » social entretenant l’antagonisme entre les
classes ouvrières et bourgeoises. Cette tendance influence la charte d’Amiens et
domine le syndicalisme français jusqu’à la Première Guerre mondiale… Depuis
1946, le droit de grève est inscrit dans la Constitution française.
maximum la durée journalière pour les
établissements industriels et les chantiers
utilisant un outillage mécanique et employant
uniquement des adultes, en nombre supérieur
à vingt. Le texte permet des allongements de
cette journée : « La journée de l’ouvrier dans
les manufactures et les usines ne pourra
excéder 12 heures de travail effectif. »
Autrement dit, rien n’empêche que l’entretien
du matériel soit effectué au-delà des douze
heures...
1874
La IIIe République statue à plusieurs reprises
sur cet aspect du travail qui semble essentiel
aux ouvriers, comme aux réformateurs
sociaux ou aux philanthropes. Tous veulent
remédier aux longues journées exténuantes,
considérées comme un fléau social, moral et
familial. La loi de 1874 fixe à 12 heures
maximum la journée des femmes et des
enfants. Pour la première fois, un système
répressif accompagne la loi : des inspecteurs
départementaux, cependant trop peu
nombreux, sont chargés de vérifier
l’application de cette loi.
1892
La loi du 2 novembre 1892 revient sur le
sujet et abaisse la durée – toujours pour les
femmes et les enfants – à dix heures. Face
aux nombreux conflits qui éclatent sur cette
inégalité entre les travailleurs, Millerand, le
ministre du Commerce et de l’Industrie, fait
voter en 1900 la loi des dix heures pour tous
les ouvriers des établissements industriels
employant des femmes et des enfants.
L’obligation, décrétée par Viviani (ministre
du tout nouveau ministère du Travail en
1906), d’afficher les horaires de travail est
une étape non négligeable dans le processus
de légalisation du temps de travail.
1906
Aucune législation n’encadre la durée du
travail dans les ateliers et les chantiers
n’utilisant pas de moteur mécanique et
occupant exclusivement des ouvriers adultes
en nombre inférieur à vingt. Seule la loi sur le
repos hebdomadaire (« six jours bien
employés ») s’applique à tous ; toutefois, les
dérogations sont nombreuses. Le repos du
dimanche était pratiqué largement avant
1906, s’étant généralisé dans la deuxième
partie du XIXe siècle. Auparavant, le
dimanche matin était souvent consacré au
nettoyage et à l’entretien des machines ;
l’après-midi était un moment de repos pour
presque tous les ouvriers.
1919
Ces revendications en matière de temps de
travail se focalisent sur les huit heures, à
partir de 1889 et jusqu’à leur obtention en
1919. Cette lutte connaît son temps fort lors
des premiers mai, jours de manifestation et de
chômage volontaire. L’objectif visé est la
préservation de la santé des travailleurs et
leur accès à la culture, aux loisirs, à la vie
73
Les lois sociales des grands pays industrialisés
Le libéralisme classique n’admet pas l’intervention de l’État dans l’économie.
Pour les premiers libéraux, la lutte contre la misère et la prise en charge des
besoins des ouvriers doivent demeurer un choix individuel, celui des
philanthropes ou des patrons paternalistes. Cette position ne peut être tenue.
Ainsi, en Allemagne, les réflexions de « l’École historique » poussent Bismarck à
initier des réformes sociales. La montée en puissance du mouvement ouvrier
prolonge ce mouvement dans les autres États européens.
Les lois sociales ne sont pas uniquement un résultat de l’action ouvrière
puisqu’elles étaient désirées par certains hommes politiques et économistes. De
même, la mise en place du suffrage universel a obligé les dirigeants politiques à
être plus attentifs aux voeux du monde ouvrier. Il est cependant incontestable que
la pression de syndicats de plus en plus puissants et l’organisation de grèves
longues et parfois dures (grève des dockers en 1889) ont accéléré le mouvement
de réforme. On peut cependant remarquer que le rythme n’est pas le même dans
tous les pays. Si le Royaume-Uni a été le premier à réduire la durée du travail
pour les femmes, il tarde à poursuivre le mouvement et c’est dans l’Allemagne
des années 1880 que l’on assiste à une nouvelle impulsion. L’Allemagne semble
en avance puisque la plupart des lois évoquées y ont été votées entre 1880 et
1891. Pour la France et le Royaume-Uni, il faut souvent attendre le XXe siècle.
On peut cependant noter que la France est la première à interdire le travail des
enfants en 1874. Mais les dispositions de la loi du 19 mai 1874 sur le travail des
enfants ne sont manifestement pas appliquées dans des établissements inspectés
dix ans après. Cela permet de relativiser l’efficacité de la législation sociale,
malgré les contrôles institués.
Les idées politiques des ouvriers
Le socialisme, tout en reconnaissant l’héritage des Lumières, veut supprimer les
inégalités sociales en mettant fin à la propriété privée. Il prend véritablement son
essor à la fin du XIXe siècle. Cependant, ce courant est extrêmement divisé. En
France, avant la Grande Guerre, le socialisme de parti, marqué par le marxisme
rigoureux de Jules Guesde et les aspirations réformistes de Jean Jaurès, peine à
faire son unité avant 1905. Il se heurte à la puissance du syndicalisme
révolutionnaire inspiré par l’anarchisme, lequel refuse toute compromission avec
les organisations politiques. Aux lendemains du premier conflit mondial,
socialisme et syndicalisme se déchirent à nouveau au sujet de la révolution
bolchevique et le socialisme se trouve durablement affaibli jusqu’en 1934.
Pour Marx et Engels, deux classes sociales s’opposent depuis le début de
l’histoire humaine : une classe possédante, les bourgeois, et une classe laborieuse,
les prolétaires. Ils identifient au cours de l'histoire trois modes de production :
l'esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme. La bourgeoisie a renversé le
régime féodal et a engendré le prolétariat. Les bourgeois détiennent les moyens
de production, dominent, exploitent et oppriment les prolétaires. Marx et Engels
préconisent la révolution du prolétariat qui doit aboutir à une nouvelle forme de
société, le communisme, sans classe et sans État, mettant fin à l’exploitation. La
transition vers le communisme doit se faire en deux étapes, l'une courte de
dictature du prolétariat pour garantir le triomphe de la révolution, et l'autre longue
phase d'élaboration du socialisme avec la collectivisation des moyens de
production et d'échanges. Mais tout d’abord, le prolétariat doit s'organiser sur les
plans politique et syndical en défendant l’internationalisme ouvrier, qui devient la
réponse à l’internationalisation des structures d’échanges, de production et
d’oppression du capitalisme.
L’anarchisme a pour but de créer une société dans laquelle les hommes coopèrent
librement sans avoir recours à une hiérarchie que ce soient la famille, l’État ou la
religion, ou une quelconque institution incarnant l’autorité. Il en existe plusieurs
tendances : socialiste, individualiste ou écologiste. La tendance libertaire ou
socialiste revendique l'abolition de la propriété et l'appropriation collective des
moyens de production. Instaurée initialement par Proudhon puis Bakounine,
c’était le courant majoritaire au sein de la Ière Internationale, jusqu'à leur
exclusion menée par Marx. Leurs moyens d’action sont divers : de la propagande
par la parole et par l'écrit à création d’un mouvement anarcho-syndicaliste en
France. Puis fin XIXe, la « propagande par le fait » consiste au passage à l’action
directe, c’est-à-dire, la résistance ou contestation y compris à l’usage du poignard
et de la dynamite.
familiale et associative. Le slogan « huit
heures de travail, huit heures de repos et huit
heures de loisirs » résume bien ces
aspirations nouvelles.
Un membre de l'élite ouvrière
Agricol Perdiguier, dit Avignonnais la Vertu,
symbolise le parcours de ces ouvriers
d’ateliers urbains très qualifiés du premier
XIXe siècle dont les conditions de vie et de
travail ne sont pas fondamentalement
modifiées par l’industrialisation.
Il est né en 1805 dans les faubourgs
d’Avignon, d’un père menuisier et d’une
mère couturière. Il débute dans l’atelier de
son père qui lui apprend les rudiments du
métier ; puis il poursuit son apprentissage en
ville. À 19 ans, il s’affilie aux Compagnons
du Devoir de liberté : il s’agissait d’une
association fraternelle assurant la formation
et le placement des ouvriers, par une
circulation de ville en ville – le tour de
France –, organisée le plus souvent par
métier. La stricte observance des rites, des
règles et de la hiérarchie s’ajoute à une
organisation efficace d’accueil et de
placement des ouvriers grâce au « rouleur », à
la « mère » qui les loge et les nourrit.
Dans ses Mémoires d’un compagnon, Agricol
Perdiguier évoque « tout un monde, un
monde distinct, ayant des mœurs, des
habitudes, des costumes, des fêtes, des
cérémonies qui ne pouvaient se rencontrer
nulle part ailleurs ». Aux côtés d’un autre
compagnon, il va travailler durant quatre
années à Marseille, Nîmes, Montpellier,
Béziers, Bordeaux, Nantes, Chartres, Paris,
Chalon-sur-Saône et Lyon.
À l’issue de ce tour de France, il s’installe à
son compte à Paris, complète sa culture
d’autodidacte et enseigne le dessin, tout en
tenant avec sa femme un hôtel pour ouvriers.
En 1848, il entame une carrière politique dont
les temps forts sont la IIe République et la
Commune. Il meurt en 1875.
Parcours d'un dirigeant syndical
Alphonse Merrheim est né dans le Nord en
1871 dans une famille d’ouvriers et, comme
la plupart des enfants d’ouvriers, il quitte
l’école à 10 ans. Il entre d’abord dans une
savonnerie puis, à douze ans, il commence
son apprentissage dans une chaudronnerie de
Roubaix. De dures conditions de travail et
une mauvaise santé l’obligent à quitter
momentanément le métier. Il rejoint alors une
usine de tissage et, deux ans plus tard, il la
quitte pour travailler à nouveau dans la
chaudronnerie.
Il s’engage dans l’action syndicale et crée un
syndicat professionnel de la chaudronnerie
dont il est le secrétaire de 1893 à 1904. Puis,
travaillant à l’unification et à la concentration
syndicale, il crée la Fédération des métaux. Il
est à la tête de nombreux mouvements
74
Le syndicalisme ouvrier
Avec des taux de syndicalisation avoisinant 10 % en 1930, les travailleurs
allemands ou britanniques sont davantage syndiqués que leurs homologues
américains, japonais ou français. Partout, c’est durant la période 1900-1913 que
le syndicalisme progresse le plus. C’est une période qui voit aussi foisonner les
courants politiques de gauche et d’extrême gauche (socialisme, communisme ou
anarchisme).
La CGT est née en 1895 de la fusion de la Fédération des syndicats (d’inspiration
guesdiste) et de la Fédération des bourses (bureau de placement puis lieu de
réunion des syndicats) qui est de tendance anarchiste. La CGT est
idéologiquement proche des socialistes, des communistes et des anarchistes. La
lutte doit être quotidienne, coordonnée par les syndicats, qui revendiquent des
améliorations immédiates (« diminution des heures de travail, augmentation des
salaires, etc. »). Mais pour la CGT, c’est la grève générale qui reste le moyen le
plus efficace afin de mener à bien cette lutte. La constitution de la SFIO, qui unit
les différents courants socialistes en 1905, fait craindre à certains syndicalistes la
mainmise des socialistes sur la CGT. Aussi au Congrès d’Amiens
de 1906 est adoptée une charte qui est une déclaration d’indépendance syndicale
rejetant toutes les affiliations. La Charte d’Amiens est un texte à valeur
patrimoniale, resté célèbre car il consacre l’indépendance du syndicat vis-à-vis
des partis politiques. Cette séparation est à bien des égards une spécificité
nationale : en Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple, syndicats et partis
sont plus proches les uns des autres. La Charte d’Amiens illustre les hésitations
du syndicalisme français entre le syndicalisme réformiste et le syndicalisme
révolutionnaire. Les objectifs « réformistes » sont l’augmentation des salaires et
la diminution des horaires. Mais la CGT affirme aussi sa reconnaissance de la
lutte des classes et se donne donc comme objectif l’émancipation de l’ouvrier qui
ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste par le moyen de la grève
générale. L’objectif final de la CGT est de créer une société sans classes (assurer
« la disparition du salariat et du patronat »). Pour cela, il faut émanciper les
ouvriers et exproprier les capitalistes. Le champ lexical de ce discours emprunte
les principaux thèmes du marxisme : « lutte des classes », « exploitation et
oppression », « émancipation » des travailleurs, « expropriation capitaliste ».
Sur l’affiche, l’objectif de la CGT est ici de convaincre tout un chacun de la
nécessité d’adopter la journée de 8 heures. Il faut noter la construction dialectique
et pédagogique de l’affiche de la CGT : sans les 8 heures, les ouvriers, qui
travaillent trop, sont mal payés ou au chômage ; leur quotidien est fait de misère,
de maladie et de débauche. La famille, présentée ici dans la rue, est malheureuse,
et ce père alcoolique et indigne se détourne de sa fillette. Inversement, les 8
heures apportent joie et prospérité à la famille, dont on nous donne ici une vision
idéalisée : le travailleur syndiqué (voir le journal dans sa poche) s’empresse de
rentrer dans un foyer aisé (voir mobilier, vêtements, jouet), où l’attendent sa
femme (aux fourneaux) et son mignon bambin. Il s’agit donc d’une
argumentation d’ordre moral, très répandue durant cette période.
Le temps des grandes grèves ouvrières
La Belle Époque n’est pas une période paisible pour la société française. Brisé
par la féroce répression de la Commune et longtemps bridé par une législation
très défavorable, le mouvement ouvrier renaît dans les années 1890, suite à la loi
de 1884 qui autorise les syndicats. Influencée par les thèses anarchistes, la CGT,
qui est le principal syndicat français, adopte un programme révolutionnaire – la
Charte d’Amiens – où chaque grève est conçue comme une étape vers le
renversement du capitalisme. Patrons et pouvoirs publics, surtout sous la
direction de Clemenceau de 1906 à 1909, n’hésitent pas à adopter des positions
très dures vis-à-vis de ces mouvements qui sont brutalement réprimés.
Lors du 1er mai 1906, les tensions sociales et les inquiétudes sont fortes dans un
contexte de campagne électorale. La CGT a décidé cette année-là d’organiser une
manifestation d’une très grande ampleur et de focaliser l’effort syndical sur la
seule revendication de la journée de huit heures. Alors qu’il est ministre de
l’Intérieur (dans le cabinet Sarrien), Clemenceau fait occuper les rues de Paris par
l’armée et fait arrêter des militants syndicalistes à titre préventif (de la même
façon qu’en avril 1906, après la catastrophe de Courrières qui causa 1 100 morts,
il avait fait occuper le bassin minier par 20 000 soldats). En provoquant les
incidents, Clemenceau veut accréditer la thèse d’un complot antirépublicain de
l’extrême gauche alliée à l’extrême droite.
revendicatifs symbolisant le syndicalisme
d’action directe, notamment à Longwy en
1905 ou à Hennebont (Morbihan) en 1906
dans la longue grève pour les huit heures. Il
participe également à la grande grève des
mineurs de 1907 et, à Denain, il protège
Clemenceau, en difficulté devant l’émeute.
Mais, la même année, il est poursuivi par ce
même gouvernement pour une affiche
virulente « Gouvernement d’assassins ».
Hostile à la collaboration de la CGT avec le
Parti socialiste, il prône le syndicalisme
comme unique moyen de défense du monde
ouvrier. Durant les années 1905-1914,
Merrheim se lance dans des enquêtes sur le
travail. Il tente aussi d’alerter les milieux
ouvriers face à une guerre qui lui semble
inévitable. Lorsqu’elle éclate, Merrheim est
nommé secrétaire intérimaire de la CGT. Il
est hostile à la politique d’Union sacrée qui a
rassemblé tous les partis politiques et toutes
les composantes sociales dans un même
gouvernement. Son pacifisme durant la
guerre l’isole de la majorité syndicale. Il
meurt en 1925.
Le 1er mai
Au cours du IVe Congrès des « Trade
Unions » à Chicago en 1884, l’American
Federation of Labor se fixe comme objectif
d’imposer en deux ans une limitation de la
journée de travail à 8 heures. L’action
commence le 1er mai, jour où nombre
d’entreprises américaines entament l’année
comptable. Un meeting d’ouvriers pour la
journée de 8 heures de travail est brutalement
réprimé par les forces de
l’ordre à Chicago en 1886. En 1889, lors du
Congrès international socialiste à Paris, la IIe
Internationale fixe à son tour les 8 heures
comme un objectif impératif et décide
d’organiser une grande manifestation
internationale à date fixe afin de faire
pression sur les pouvoirs publics. Elle choisit
le 1er mai qui est devenu une date
symbolique. En 1890 l’idée d’une « fête du
travail » fut associée à cette revendication. La
fusillade de Fourmies (Nord), le 1er mai
1891, qui fait 9 morts, est un événement
emblématique de la revendication ouvrière en
France, qui enracine le 1er mai dans la
culture ouvrière. Le 1er mai, journée
internationale de revendication depuis 1889,
n’étant pas encore chômé, est un de ces
grands jours de grève, souvent brutalement
réprimée. Après la fusillade de Fourmies en
1891, les affrontements de 1906 provoquent
de nombreuses arrestations et la mort de deux
manifestants.
L’Internationale
En juin 1871, durant l’incarcération que lui a
valu sa participation à la Commune de Paris,
Eugène Pottier, convaincu que les classes
populaires peuvent croire à un avenir
75
Les années 1906-1910, qui voient la rencontre d’un mouvement syndical tout
juste doté de son programme révolutionnaire et d’un gouvernement Clemenceau
qui affirme sa volonté de s’y opposer, sont incontestablement celles qui
connaissent les grèves les plus importantes : elles sont à la fois les plus
nombreuses, celles qui regroupent le plus de grévistes et celles qui entraînent les
plus grandes pertes de journées de travail. Mais cela ne veut pas dire que les
autres années de la Belle Époque ignorent les grèves. Il suffit de regarder les
chiffres de 1904 ou de 1913 pour s’en rendre compte.
Quelles critiques l’extrême gauche adresse-t-elle à la République ?
Les républicains modérés s’accommodent du capitalisme libéral. Les radicaux,
également attachés à la propriété privée envisagent des réformes, notamment
fiscales, permettant d’aller vers une plus grande égalité sociale. Mais l’extrême
gauche dénonce leur politique sociale, qu’elle juge trop favorable au capitalisme.
Les socialistes appellent à la république sociale, prolongement de la démocratie
politique mise en place progressivement depuis 1879. Les anarchistes prônent
l’action directe et la grève générale pour réaliser la révolution sociale.
Le parti radical et radical-socialiste, créé en 1901, a souvent été accusé de ne pas
avoir de programme social. C’est sans doute là une accusation infondée. En effet,
depuis la fin du XIXe siècle, la nébuleuse radicale a fait sien le solidarisme
théorisé par Léon Bourgeois (1851-1925). Ancien préfet, puis préfet de police en
1887, Bourgeois fut élu député de la Marne en 1888, avant d’accéder à des
fonctions gouvernementales dans le cabinet Floquet en 1889. Sa théorie du
solidarisme, définie dans un livre au titre éponyme en 1896, inspirée du
rationalisme kantien, est une tentative de théorisation d’une politique réformiste
et égalitaire. Elle repose sur l’idée d’un contrat entre la société et les individus ;
pour chacun d’eux, l’existence sociale se définit par un certain nombre
d’avantages reçus de la société et par une dette contractée à son égard. Mais
l’inégale répartition des avantages, révélatrice d’injustice, en désaccord avec les
exigences du droit et de la Raison, rend nécessaire une législation qui permettra à
chacun de s’acquitter de sa dette envers la société. L’État, représentant de
l’intérêt général en est le garant, mais une fois la dette soldée, il doit laisser
l’homme totalement libre de ses initiatives. Le solidarisme demeure donc un
libéralisme, dans lequel l’État n’intervient que pour corriger des excès. Il rejette
le projet socialiste qui, selon Léon Bourgeois, serait synonyme de privation de
liberté individuelle, mais également le libéralisme pur et « les conceptions
égoïstes du laisser-faire », qui serait générateur d’inégalités jamais corrigées. Il se
veut le modèle d’un réformisme progressiste qui évitera tout à la fois
l’affrontement de classes et l’inégalité brutale. Développé par tous les caciques
du parti radical, notamment Ferdinand Buisson (La politique radicale, 1908), il
inspira les réformes sociales mises en oeuvre entre 1906 et 1914 : instauration du
repos hebdomadaire obligatoire en 1906, retraites ouvrières par la loi du 5 avril
1910 (contre la C.G.T. et une partie de la S.F.I.O., dont Guesde et ses amis, qui y
voyaient un détournement du revenu ouvrier et craignaient que la majorité des
ouvriers ne puisse bénéficier d’une retraite fixée à 65 ans), vote de l’impôt sur le
revenu à l’initiative de Joseph Caillaux en 1914. Si l’on ajoute la volonté, mal
concrétisée, de mettre en place un système d’assurance-maladie, il n’est sans
doute pas absurde de considérer que les radicaux eurent leur part dans
l’élaboration des premiers linéaments d’un État-providence, dès la fin du XIXe
siècle.
Le patronat français contre la loi des 8 heures en 1921.
Il s’agit d’une motion émanant de la CGPF, la première organisation historique
du patronat français. Le nom du rédacteur de la motion n’est pas indiqué. Elle est
destinée en priorité aux parlementaires et demande la suspension et le réexamen
de la loi des 8 heures votée en avril 1919 en France. Des réductions de la durée
du travail analogues sont mises en place dans les principaux pays industrialisés.
En 1921, le contexte politique et social n’est pas favorable au mouvement
ouvrier. Les avancées sociales de 1919 (augmentations salariales, loi des 8
heures) sont suivies d’une réaction patronale en 1920 et 1921. Le mouvement
ouvrier est de plus affaibli par les divisions politiques et syndicales liées à la
scission entre socialistes et communistes. La critique de la loi qui aurait affaibli
l’industrie française se fonde sur trois arguments. La réduction de la durée du
travail est appliquée de façon rigoureuse en France, avec souplesse dans les
autres pays... Elle est à l’origine d’une chute de la production. Il en résulte la
glorieux, écrit L'Internationale, publiée en
1887 dans un recueil intitulé Chants
Révolutionnaires. L’année suivante, la
section lilloise du parti ouvrier français
demande à Pierre Degeyter de la mettre en
musique. Dans le Nord, les chansons étaient
très prisées par les militants socialistes.
L’arme de la grève
Robert Koehler (1850-1917) est un peintre né
en Allemagne mais qui a fait l’essentiel de sa
carrière aux États-Unis. Il est cependant
revenu en Allemagne en 1873 afin d’étudier
les beaux-arts à l’Académie royale. C’est
durant cette période qu’il peint ce tableau
illustrant une violente discussion entre un
patron et ses ouvriers qui est, par
la suite, réintitulé Grève dans la région de
Charleroi. Le tableau illustre bien la difficulté
qu’il y a à représenter une grève qui est, par
définition, une absence de travail
et donc d’action. Il faut donc représenter un
à-côté de la grève ou l’une de ses
conséquences. Le peintre montre une
discussion violente entre un patron et ses
ouvriers sur le point de dégénérer : l’ouvrier
qui ramasse une pierre. Cependant
l’attroupement qui se crée peut suggérer la
possibilité d’une grève.
Programme du Parti ouvrier français (1890)
La Commune de Paris a porté un rude coup
au socialisme français, qui ne réapparaît que
vers 1879. Le journaliste Jules Guesde (18451922) va être un des principaux artisans de
cette renaissance : après avoir créé à
Marseille, en 1879, la FPTSF (Fédération du
parti des travailleurs socialistes en France), il
part en mai 1880 à Londres avec Paul
Lafargue pour élaborer, avec l’aide de Marx,
un « Programme électoral des travailleurs
socialistes ». Mais ce programme est mal
accueilli au sein de la FPTSF : la marxisation
(conversion au socialisme scientifique)
souhaitée par Guesde révèle les aspirations
très diverses
d’un mouvement ouvrier encore très divisé.
Guesde doit quitter la FPTSF : le programme
qu’il a élaboré sert finalement de base, en
1882, à la création, à Roanne, du
Parti ouvrier (qui devient le POF en 1893)
dont il prend la tête. Confirmé en 1883, ce
programme se fixe pour objectif la
collectivisation des moyens de production par
l’action révolutionnaire. Le guesdisme
affirme le primat de la révolution, mais la
masse prolétaire paupérisée doit s’organiser
en parti et recourir à tous les moyens dont
elle dispose (grève, propagande, révolution,
vote) pour remporter sa lutte. Si Guesde
préconise l’action révolutionnaire, il envisage
toutefois l’usage d’autres moyens, y compris
du suffrage universel, pour obtenir la
collectivisation des moyens de
76
cherté des prix à l’intérieur et à l’exportation. Les industriels étrangers auraient
pu émettre les mêmes critiques contre la loi, l’argument d’une application plus
rigoureuse en France qu’ailleurs étant sans doute contestable. Au lendemain de la
guerre, le France subit des problèmes liés à l’héritage de la guerre : pertes
humaines, manque de main-d’oeuvre, régions dévastées, dépenses publiques
fortes, inflation forte et tendance à la dépréciation du franc. Les industriels se
focalisent sur la réduction de la durée du travail d’une façon partiale. Les
industriels, manifestement partisans de l’abrogation de la loi, ne demandent
qu’une suspension suivie d’un réexamen et d’aménagements ultérieurs. Cette
position modérée évite de heurter le Parlement qui vient de voter la loi et les
syndicats. Le texte met en présence le patronat et l’État, avec en toile de fond le
mouvement ouvrier qui a milité pour la réduction du temps de travail. Ce conflit
illustre la divergence d’intérêts entre patronat et mouvement ouvrier, arbitrée par
l’État qui met en place une législation sociale. Le débat sur la réduction de la
durée du travail est récurrent en France : il resurgit notamment avec la loi des 40
heures en 1936 et avec les lois Aubry mettant en place les 35 heures, remises en
cause depuis 2002.
production. Cet « électoralisme » pousse, dès
1881, les militants anarchistes à s’opposer à
Guesde, tandis que la nature « révolutionnaire
» du programme provoque le
refus de la partie modérée des militants.
Fondé en 1880 par Jules Guesde et Paul
Lafargue (gendre de K. Marx), c’est le
premier parti marxiste français. Son but
est d’abolir le capitalisme par la révolution,
pour fonder une société communiste. Surtout
implanté dans le Nord, le Pas-de-Calais, la
Loire et l’Allier, il fusionne en 1902 avec le
Parti socialiste révolutionnaire et l’Alliance
communiste révolutionnaire pour former le
Parti socialiste de France, qui fusionne à son
tour en 1905 avec le Parti socialiste français
(Jean Jaurès) pour former la SFIO.
La Terre promise du socialisme
Allégorie publiée par le journal social-démocrate viennois Glühlichter, en 1891,
et reproduite avec les textes en français dans le Figaro-Graphic, en mai 1892).
Tel Moïse montrant la Terre promise aux Hébreux, Karl Marx (reconnaissable à
sa barbe blanche et au Capital qu’il tient sous son bras) désigne dans le lointain, à
son peuple de prolétaires, une île ensoleillée vers laquelle il veut les faire
embarquer (présence de navires prêts à appareiller). Il s’agit
là d’une image allégorique montrant le peuple, guidé par le socialisme
scientifique, en route vers un monde idéal où la devise de la République
française, « liberté, égalité, fraternité », deviendrait une réalité. Les inscriptions
sur les voiles font référence aux grandes revendications ouvrières de la fin du
XIXe s. (journée de huit heures, lois de protection sociale) et aux conquêtes
politiques (suffrage universel, référendum). Cette image de propagande rappelle
certaines utopies des premiers socialistes, notamment la référence à une île
imaginaire où, depuis Thomas More, on place volontiers les utopies.
Ce document est une allégorie du socialisme. La doctrine marxiste est ici
symbolisée par Karl Marx, guidant le prolétariat vers «la terre promise du
socialisme», comme l’indique le titre de l’image. Cette allégorie mêle des
éléments réalistes (les personnages vêtus comme des prolétaires par exemple) et
des éléments symboliques. Karl Marx lui-même est représenté d’une manière
réaliste : on reconnaît ses traits et il porte sous le bras son principal ouvrage, Le
Capital. Mais il est aussi identifié à Moïse, le prophète qui a fait sortir le peuple
hébreu de l’Égypte et l’a guidé vers la Terre promise. Marx est ici représenté à la
manière de Moïse, comme un patriarche barbu, montrant, d’un geste prophétique,
la voie de l’avenir. Cet avenir que Marx prophétise sera radieux. Il montre du
doigt la Terre promise, qui ressemble à une sorte d’île des bienheureux, de
paradis luxuriant et ensoleillé, par contraste avec le monde sombre que les
ouvriers veulent quitter. Cette Terre promise c’est le socialisme enfin réalisé, un
monde sans classes où régnera l’égalité. Pour y parvenir, les ouvriers s’apprêtent
à embarquer sur des navires qui doivent les conduire dans l’île. Dans le système
de l’allégorie, ces bateaux, qui portent sur leurs voiles des sortes de slogans,
représentent donc les moyens d’accéder au socialisme. Leur drapeau représente
une poignée de mains autour d’un marteau, ce qui semble symboliser l’union des
travailleurs du monde entier. Le dessinateur a ici associé l’héritage de la
Révolution française aux luttes du mouvement ouvrier du XIXe siècle. La
Révolution française apparaît à travers la devise de la République française
(Liberté, Égalité, Fraternité), figurée deux fois sur l’image (au-dessus de la Terre
promise et sur un drapeau tenu par un ouvrier). Les luttes plus récentes
apparaissent avec :
– le suffrage universel, acquis en France depuis 1848, mais qui n’est pas encore
instauré partout (le marxisme prône le combat parlementaire, avec un parti
ouvrier) ;
– les lois protectrices du travail, c’est-à-dire la législation sur les accidents du
travail ou sur les assurances maladie (qui n’existe vraiment qu’en Allemagne à
cette date) ;
– la journée de travail de 8 heures, qui est le grand objectif de l’époque,
notamment lors de la journée d’action du 1er mai (c’est un jour de grèves et de
Le tableau de Jules Adler (1899) évoque
un épisode de la grève de septembre 1899 au
Creusot. Il s’agit de l’une des représentations
les plus célèbre de la grève. Le peintre veut
symboliquement faire ressortir l’unité du «
peuple » en marche : hommes, femmes,
enfants en rangs serrés et mains unies. Le
rouge du drapeau tricolore est en évidence.
Noter le paysage morne de la ville-usine à
l’arrière-plan, l’atmosphère lourde et
dramatique évoquant les luttes sociales. Les
ouvriers défilent dans un paysage triste et gris
(la ville et les usines du Creusot). Vêtus de
couleurs sombres, ils ont l’air fatigués,
déprimés presque, usés en tout cas par leur
dur labeur. Le défilé donne l’impression
d’une bonne organisation puisque les ouvriers
sont rangés en file (à l’exception du jeune
homme au premier plan), ils arborent des
drapeaux tricolores et semblent chanter ou
crier des slogans syndicaux. Jules Adler peint
la condition ouvrière comme un modèle de
fraternité et comme une promesse de
libération : la femme portant le drapeau au
premier plan peut être comparée à la « liberté
guidant le peuple » immortalisée par Eugène
Delacroix.
La condition ouvrière
Haut fonctionnaire du ministère des Travaux
publics – il fut aussi chargé de dresser le
bilan de l’exposition universelle de 1900 –
Alfred Picard dresse dans les six volumes du
Bilan d’un siècle, un tableau complet de
la société française de la Belle Époque. Son
étude très documentée des revenus et des
niveaux de vie ouvriers fait apparaître de
nettes améliorations, mais aussi le maintien
d’une pauvreté insupportable. Une telle
attention portée aux conditions de vie des
ouvriers est exactement contemporaine de la
création du ministère du Travail.
La condition ouvrière s’améliore autant grâce
à la hausse de salaires – que Picard ne chiffre
pas dans cet extrait – que par la diminution de
la durée quotidienne de travail, qui est passée
en moins d’un siècle de 13 à 10 heures en
77
manifestations en France depuis le 1er mai 1890).
Il n’est pas aisé de déterminer exactement le regard porté par le dessinateur. À
première vue, il ne semble pas être partisan du marxisme orthodoxe. En effet,
l’image de la Révolution prolétarienne est totalement absente de cette illustration.
En revanche, il a placé des allusions au référendum universel, laissant entendre
que le prolétariat doit participer au système démocratique mis en place par le
système libéral. Il est aussi partisan des réformes (loi sur les 8 heures, lois
sociales, etc.). En fait, ce dessin illustre probablement la doctrine du SPD telle
qu’elle ressort du programme d’Erfurt de 1891. En effet, si le SPD y entérine le
triomphe du langage marxiste, il maintient des revendications concrètes et
notamment la journée de huit heures et la nécessité de la lutte électorale. C’est ce
qui explique qu’en 1899, les thèses de Bernstein rencontreront un écho certain au
sein du SPD.
Jules Grandjouan (1875-1968) fut un artiste engagé, utilisant son art pour mettre
en avant ses convictions de militant anarchiste et de défenseur du syndicalisme
d'action directe. Il fut l’un des caricaturistes les plus prolifiques des années 19001930. De 1901 à 1911, il réalise plus de mille dessins pour l'Assiette au Beurre et
collabore à des publications comme la Voix du peuple, le Libertaire et la Guerre
sociale. Il travaille beaucoup avec les organisations syndicales de la CGT, se
révélant plusieurs années durant comme leur affichiste quasi exclusif. On le
présente parfois comme un inventeur de l’affiche sociale. Très marqué à
l’extrême gauche, proche des milieux libertaires et anarcho-syndicalistes, il
diffuse des dessins violemment anticoloniaux, antimilitaristes, anticléricaux et
antiparlementaires. Ennemi des capitalistes, militaires, magistrats et curés, il les
représenta sous les traits d’animaux : pieuvres, vautours, corbeaux et par le biais
de journaux illustrés populaires, il affirma ses convictions politiques.
La veille du 1er mai 1906, le dessinateur anarchiste Grandjouan publie à la « Une
» de L’Assiette au beurre cette illustration qui semble célébrer la victoire du
mouvement ouvrier. Trois jeunes femmes nues, têtes tournées vers le ciel,
allégories du « printemps révolutionnaire », guident le peuple. La révolution
semble faite : la lutte sociale a été remportée et un pêcher en fleurs annonce une «
nouvelle ère » pour le prolétariat. Les « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8
heures de sommeil », selon le slogan inventé par le socialiste réformateur gallois
Robert Owen (1771-1858), ressemblent aux « oeufs » prêts à éclore d’un
mouvement ouvrier triomphant. Le contexte, en 1906, paraît en effet favorable au
succès des revendications ouvrières : progrès de la SFIO, émotion provoquée par
la catastrophe de Courrières (mars). Le mouvement ouvrier veut faire du 1er mai
une démonstration de force : la mobilisation du prolétariat sera certes importante,
mais le ministre de l’Intérieur, Clemenceau, répond par la fermeté à l’agitation
qui se développe et les revendications ouvrières ne sont pas entendues. Le
gouvernement instaure cependant en 1906 le repos dominical qui interdit
d’employer un salarié plus de 6 jours par semaine, mais refuse d’accorder la
journée de 8 heures.
Sur cette affiche on retrouve une foule en grève derrière deux drapeaux aux
couleurs noire, pour l’anarchisme et rouge pour le socialisme. Pour lui, en effet,
la République telle qu’elle fonctionne depuis les années 1880, avec les
opportunistes, puis les radicaux, n’est qu’une parodie de République, oublieuse
de ses origines et traîtresse à ses principes. Elle ne serait plus qu’un régime
bourgeois, gangrené par le capitalisme et ses miasmes, notamment la corruption,
serait passée dans le camp des défenseurs de l’ordre et de l’argent roi. Elle est
assimilée à une pieuvre dont les tentacules emprisonnent et étouffent le peuple
laborieux. Même si elle se pare du visage de la patrie, elle ne peut tromper les
masses sur sa réalité bourgeoisie, capitaliste et répressive. On est aux lendemains
de la répression par le gouvernement Clemenceau des mouvements sociaux du
Nord et de la région parisienne en 1906-1907, et la C.G.T. mobilise ses adhérents
à l’occasion de la fête du Travail pour mener l’assaut contre le « premier flic de
France », en brandissant les drapeaux rouges. Le Parlement serait le symbole de
ces trahisons successives, quels que soient les partis qui le composent, de droite
ou de gauche, républicain opportuniste, radical-socialiste ou socialiste
indépendant. Face à cela, une seule solution, la révolte populaire contre les
nouveaux privilégiés : l’on voit donc sur le dessin une foule en colère monter à
l’assaut d’un groupe de députés tenant en mains le prix de leur trahison ; puisque
le vote n’est qu’une illusion, manipulée par la bourgeoisie, seule la Révolution
produira le coup de balai salvateur et permettra de retrouver la République
moyenne. Mais ces progrès incontestables ne
peuvent pas occulter la faiblesse des revenus
d’une immense majorité d’ouvrier : à cause
d’un grand nombre de jours chômés – de 70 à
190 selon les années –, nombre d’ouvriers ne
disposent que de 100 F par mois et nombre
d’ouvrières ont des salaires mensuels de 50 à
75 F.
Émile Pouget (1860-1931) appartient aux
milieux libertaires de la fin du XIXe siècle.
Auteur de chansons, responsable d’un journal
anarchiste, Le Père Peinard, entre 1889 et
1894, puis de L’Almanach du Père Peinard
de 1895 à 1896, il fut également le rédacteur
de La Voix du Peuple, organe de la C.G.T.
créé en 1900, dans lequel il développe une
thématique anticapitaliste
et antiparlementaire. Dans l’extrait proposé
ici, cet antiparlementarisme est
particulièrement évident : rejet de la politique
et des politiciens, portrait à charge du député
hypocrite, sournois, corrompu. Émile Pouget
dénonce la tromperie que constituerait la
république parlementaire. Le
vote ne serait qu’une illusion, une apparence
de souveraineté destinée à calmer les citoyens
et leur faire oublier leur misère sociale. Dans
la réalité, la souveraineté appartiendrait aux «
capitalos », détenteurs
du pouvoir économique. Pouget esquisse
ainsi une distinction entre démocratie
formelle et démocratie réelle, appelée à une
longue postérité. Face à une telle tromperie,
une seule solution : refuser de voter (« ne
plus être votard », « cracher au visage du
candidat »), désobéir en refusant l’impôt,
cesser de produire, c’est-à-dire organiser la
grève générale qui précédera l’appropriation
des moyens de production par le prolétariat.
Il s’agit donc d’un appel à l’action directe,
chère aux anarchistes de la fin du XIXe
siècle.
La naissance de la classe ouvrière
Pellizza a peint plusieurs tableaux sur le
thème de la « marche des travailleurs ».
L’idée de ce tableau est venue à ce lecteur de
Marx, Engels, Bebel, en 1891 alors qu’il
réalise l’esquisse d’une scène devant
s’intituler Les ambassadeurs de la faim. Il
commence à peindre en 1898 Le chemin des
travailleurs dont le titre définitif, Le
quatrième état est trouvé en 1902 après une
relecture de L’histoire socialiste de la
Révolution française de Jaurès. Le flot
humain semble se mettre en chemin, quitter
peut-être la campagne pour se diriger vers la
ville. La construction de l’oeuvre, les
attitudes, les vêtements renvoient à l’idée
d’homogénéité et de solidarité de ce groupe à
la force tranquille. Le pas est décidé, la
démarche lucide comme le laissent supposer
les échanges entre les marcheurs. Cette
métaphore de l’humanité en marche,
78
sociale. Cet appel à la révolution populaire, au renversement par la force d’un
parlement corrompu, dessine les contours d’un antiparlementarisme de gauche,
peu différent dans ses slogans de l’antiparlementarisme de droite, et pose les
bases d’un mouvement populiste qui refuse le réformisme et le légalisme des
radicaux (dont on notera sur l’affiche l’aspect particulièrement caricatural).
témoigne de l’émergence des masses dans les
consciences. Elle nous donne un point de vue
sur les profondes mutations socioéconomiques et politiques de l’époque.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
La limitation à 8 heures de la journée de travail est votée le 23 avril 1919 : le
retour des soldats fait alors craindre la montée du chômage, tandis que l’arrivée
des bolcheviques au pouvoir en Russie pousse le gouvernement Clemenceau à
faire des concessions aux ouvriers.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
79
HC – Etre bourgeois (1850-1914)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Comment la bourgeoisie domine-t-elle la société industrielle ?
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Daumard A., Les Bourgeois et la bourgeoisie en France depuis 1915, Aubier, 1992.
M. Flamant, Histoire du libéralisme, coll. « Que sais-je ? », PUF, Paris, 1992.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
L’industrialisation s’accompagne du triomphe de la bourgeoisie. L’étude de cette
catégorie à l’échelle de l’Europe et de l’Amérique du Nord est très difficile car le
terme bourgeoisie n’existe qu’en France et recouvre une réalité complexe. Cette
notion inclut, en effet, une hiérarchie sociale allant d’une élite qui s’investit dans
les affaires et qui cumule un important capital économique, social et culturel aux
classes moyennes moins dotées, fascinées par le mode de vie et le système de
valeurs des grands bourgeois.
Nouvelle classe dominante, la bourgeoisie n’est cependant pas uniforme, du fait
de l’inégalité des responsabilités et des fortunes. Les différents groupes qui la
composent sont pourtant unis par des aspirations, des valeurs et un mode de vie
communs.
Des études sur la grande bourgeoisie allemande constatent une recherche de titres
et de distinctions nobiliaires de la part des grands entrepreneurs entraînant une
féodalisation de la bourgeoisie d’affaires.
Il est difficile de définir exactement ce que sont les classes moyennes, groupe
hétéroclite aux contours indéterminés, sans véritable conscience collective et
traversé par de multiples contradictions. C’est une classe intermédiaire entre la
classe ouvrière et la haute bourgeoisie. C’est une catégorie plutôt urbaine. Les
classes moyennes n’exercent pas un métier manuel. Elles ne disposent pas du
pouvoir financier ou politique de la haute bourgeoisie. Les classes moyennes
rassemblent une série de couches sociales ou professionnelles dont le point
commun est de vivre d’autre chose que du travail de leur bras. Au coeur de ces
classes, les cols blancs sont un groupe en expansion rapide notamment dans le
privé du fait de la bureaucratisation d’une économie qui devient de plus en plus
concentrée et donc difficile à gérer. Convaincus de leur supériorité sur le
prolétariat, souvent plus du fait de l’instruction que du niveau de salaire, les cols
blancs refusent toute attache ou communauté d’idée avec lui.
L’embourgeoisement de la société
Il n'est pas un contemporain de ces temps nouveaux qui ne place la bourgeoisie
au centre de la société industrielle. Incontestablement, en France comme en
Angleterre, l'évolution de la vie politique vient confirmer cette ascension
bourgeoise. La figure de M. Bertin l’illustre fort bien pour la période de la
monarchie de Juillet, quitte à reléguer les légitimistes comme Chateaubriand dans
l'outre-tombe de l’Histoire. Fort peu s'en soucient à la vérité parmi tous ceux qui
préfèrent s'attacher à définir la nouvelle catégorie dominante par sa puissance
économique. En 1832, dans le Journal des Débats, fondé par M. Bertin pour
servir d'organe aux bourgeois d’affaires, le conservateur Saint-Marc Girardin la
qualifie de « classe qui possède » par opposition avec « la classe qui ne possède
pas ». Nul doute que Marx, Dickens ou Flora Tristan souscrivent à cette formule
d'affrontement qui fait du bourgeois la figure cardinale de l'industrialisation face
au prolétaire.
80
Mais là s'arrêtent les points communs, tant l'affrontement ne revêt pas le même
sens pour les libéraux ou les socialistes. L'assurance prêtée par Dickens à
Podsnap, que semble refléter le regard de M. Bertin ou la démarche du « bon
bourgeois » de Daumier, recouvre bien un sentiment de supériorité mais il cache
aussi un sentiment croissant d'inquiétude devant des « classes laborieuses » en
train de devenir des « classes dangereuses ». La perspective est logiquement
inversée chez les écrivains sociaux ou les penseurs socialistes : la bourgeoisie
tient le rôle révolutionnaire de la classe exploiteuse. On peut s'indigner comme
Flora Tristan au sujet de l'exemple concret d'un parvenu avignonnais, monstre de
travail pour lui et pour les autres. On peut aussi, à la manière de Marx et d'Engels,
théoriser en une synthèse riche d'avenir la part essentielle de la bourgeoisie dans
la lutte des classes : au total, la condamnation morale rejoint la certitude
historique.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. Tenir les leviers du pouvoir
a. Les leviers de direction économique
Ce qui caractérise les bourgeois américains, c’est la capacité à innover et l’esprit
d’entreprise. Les selfmade men savent se saisir d’une idée, la développer en une
application pratique et l’exploiter.
Louis Motte-Bossut appartient à une riche
dynastie de négociants et fabricants de laine
dans la région de Roubaix.Vers 1860 il
possède, dispersés dans de nombreuses
usines, quelque 100 000 broches (bobines de
métier à tisser), ce qui fait de lui l’un des
géants de l’industrie textile. Sa
correspondance avec sa femme, Adèle
Bossut, fille du maire de Roubaix, est un
témoignage précieux sur la mentalité de la
haute bourgeoisie. Comme pour la plupart
des bourgeois de l’époque, morale et religion
sont, pour les Motte, indispensables à la
bonne marche des affaires et à la préservation
de l’ordre social. D’après
l’auteur du texte, les vertus bourgeoises
peuvent se résumer par les mots « travail »
(travaux scolaires et domestiques), «
économie » (refus des mondanités, frugalité
des repas) et par l’acceptation d’une vie
simple au service de sa famille.
L’éducation des aristocrates de l’Ancien
Régime se faisait généralement par
l’intermédiaire de précepteurs. C’était une
éducation davantage tournée vers ces
mondanités et événements culturels où l’on
doit « paraître », que réprouve Louis MotteBossut : spectacles, ballets, concerts,
voyages, etc.
b. Les leviers de direction politique
Enfin, la bourgeoisie s’engage dans la gestion des affaires politiques. Leur
élection était rendue facile puisque les électeurs étaient en grande partie ouvriers
des établissements de la ville.
Le libéralisme, courant triomphant de l’âge industriel, est porté par la bourgeoisie
car, selon elle, il rend possible l’ascension sociale et le progrès.
Le traditionalisme condamne le salariat industriel de masse, la pauvreté des
catégories défavorisées et l’individualisme libéral. Mais, à la différence du
socialisme, il rejette le monde moderne et exprime sa nostalgie des communautés
rurales et des hiérarchies dites naturelles incarnées par le père, le patron et le
clergé, et il place la religion au coeur de ses préoccupations. Ce courant inspire le
catholicisme social, certains partis politiques européens comme le Zentrum en
Allemagne et, dans sa forme extrême, laquelle rejette la démocratie libérale, les
courants nationalistes qui triomphent en France avec le régime de Vichy.
Louis-Philippe Ier en bourgeois. Détail d’une lithographie, XIXe siècle. B.N.F.,
Paris.
Dans une attitude curieusement napoléonienne, le roi Louis-Philippe pose ici en
bourgeois. La lithographie complète le montre avec sa famille, sans décorum
royal. On est loin de l'image de prince en uniforme que nous renvoient les
gravures de 1830 lorsqu'il prend le pouvoir. Sa volonté de paraître en bourgeois
correspond en effet au souhait de stabilisation du régime. Elle est prolongée par
son souci d'envoyer ses fils au collège ou de se promener à pied, parapluie sous le
bras. Réalité d'adhésion aux valeurs bourgeoises ou nécessité de se concilier le
tribunal de l'opinion ? Quoi qu'il en soit, le roi donne l'exemple d'une époque qui
se pense et se veut bourgeoise, c'est un changement radical avec les normes
aristocratiques traditionnelles de la monarchie... qui ne suffira pas à la préserver.
II. Assurer la progression de la famille
a. Une supériorité fondée sur une morale de l’effort
Si le niveau de vie peut être très différent entre bourgeois, il existe cependant de
fortes proximités. Il y a la volonté de progresser, de réussir. Il faut savoir
provoquer le succès. Il peut aussi y avoir une certaine proximité dans les revenus.
En effet, les grands avocats et les grands médecins ne sont pas très éloignés de la
grande bourgeoisie avec laquelle ils entretiennent souvent des relations. Enfin, on
peut noter la similitude de comportement notamment dans la stratégie
matrimoniale. Le regard sur la femme est aussi le même. La femme ne doit pas
travailler, sa place est au foyer. Ce n’est que dans les familles pauvres que
l’épouse doit chercher un emploi afin de compléter le salaire du mari.
La moyenne bourgeoisie ne travaille pas de ses mains. La moyenne bourgeoisie
peut posséder son outil de travail et elle dispose d’un patrimoine. Elle a donc
quelque chose à transmettre. Elle se distingue aussi par son instruction et son
Le salon, qui est la pièce où l’on reçoit, doit,
par sa décoration et son ameublement,
manifester le degré de réussite sociale du
ménage.
Ce salon est un modèle de conformisme
bourgeois : les meubles sont « de style »,
deux vaisseliers exposent aux yeux de tous
les plus belles pièces de vaisselle et
d’argenterie de la famille, le sol est fait d’un
beau parquet recouvert d’un tapis, la table est
revêtue d’une nappe très ouvragée...
Cette photo permet de découvrir un salon
véranda bourgeois : pièce haute et spacieuse,
claire et aérée, aux murs ornés de peintures et
de stucs, magnificence du lustre, verrière à
l’armature métallique, plantes recréant un
espace de nature en intérieur.
81
éducation. Il faut être cultivé pour tenir sa place dans la société. Enfin, elle
cherche clairement à prendre ses distances avec les classes populaires.
Les bourgeois sont présentés comme une classe sociale se reconnaissant par des
codes vestimentaires et comportementaux. On voit dans le texte de Proust les
efforts d'un homme de classe moyenne pour copier les bourgeois dans leur
comportement. Les bourgeois sont les seuls à pouvoir accéder à des loisirs et à
l’oisiveté, comme les vacances au bord de mer au début de la période étudiée.
La petite bourgeoisie conquérante
Féroce avec les conformismes bourgeois, Balzac peint ici le portrait d'une famille
petite bourgeoise, alliance entre le fonctionnaire et la marchande. Leurs valeurs
de référence sont typiques et conjuguent le paraître (collège, bals, dot de la fille,
opéra, Légion d'honneur...) et l'économie, ici à la limite de la lésine (une seule
cuisinière, un salon étriqué, des quinquets). Leur carrière se voit couronnée de
succès au bout d'une vie. C'est donc une peinture un rien outrée qu'effectue
Balzac dont le modèle de référence est l'aristocratie dépensière et prodigue.
L’immeuble bourgeois. Gravure de L’Illustration, 1850.
En plein développement depuis la monarchie de Juillet, le public de la presse
d'illustration affectionne les coupes sociales qu'elle lui propose : celle de
l'immeuble parisien est un grand classique. Elle reflète la réalité d'une ville dont
les quartiers sont encore mixtes, où la ségrégation sociale se fait par l'étage. La
spécialisation des espaces urbains par l'industrie viendra modifier cela par la
suite. Pour d'évidentes raisons de pénibilité d'ascension et de séparation avec la
promiscuité de la rue, réservée aux cuisines et aux concierges, le premier étage
est l'étage noble, fastueusement occupé par la grande bourgeoisie visiblement
oisive ici. Ensuite, plus on monte, plus le standing décroît jusqu'à l'artiste qui
danse (pour se réchauffer ?) et l'ouvrier alcoolique qui fait le désespoir de sa
famille trop abondante, alors que l'harmonie règne autour de la chambre petite
bourgeoise du second étage. Ne seraient-ce pas ses valeurs, les idéaux des classes
moyennes, qui se trouvent ici valorisées par le dessinateur de L'illustration ?
« Ce qu’on appelle le dîner bourgeois » à Paris
Composé de trois volets (entrée/plat de résistance/dessert), le « dîner bourgeois »
se diffuse à toute la société urbaine. Dechastellus a raison de noter qu'à cette
époque l'alimentation urbaine s'oppose à l'alimentation rurale par sa plus grande
richesse en viande. Le Parisien moyen en consomme le double du villageois
provincial. Mais pour y parvenir, il faut adopter la valeur bourgeoise d'épargne si
l'on veut prétendre à celle d'« ostentation ».
b. La fusion des élites
Des alliances sont passées avec les anciennes classes dirigeantes. Il y a volonté
d’imiter le style de vie de la noblesse. Le bourgeois veut être gentilhomme. La
transformation de l’habitat, la construction d’une demeure de type seigneurial est
un symbole fort de ce désir de noblesse. Une autre pratique reprise par la
bourgeoisie est celle de la commande de grands tableaux représentant la famille
dans toute sa force. C’est en Allemagne que la fusion des élites a été la plus
poussée.
c. Les stratégies matrimoniales permettent la création de réseaux
On constate une stratégie de mariages soigneusement pensée. Dans une famille
bourgeoise, l’individu doit se sacrifier pour le groupe afin d’en assurer la
pérennité et la progression. Il n’y a donc que peu de mariages d’amour. L’union
doit permettre de progresser dans la hiérarchie sociale. Les mariages permettent
donc de créer et de consolider un réseau de relations utiles.
III. Une bourgeoisie en proie au doute
a. La bourgeoisie frappée par les crises
b. Une bourgeoisie séduite par les systèmes fascistes.
Cette thèse, énoncée dès 1939 et admise par l’historiographie postérieurement,
consiste à dire que les classes moyennes ont apporté leur soutien aux régimes
totalitaires durant l’entre-deux-guerres. Mécontentes de voir leur pouvoir d’achat
baisser ou pensant que l’ascenseur social ne fonctionnait plus, les classes
moyennes ont porté au pouvoir Hitler ou Mussolini. En France, les ligues
d’extrême droite recrutent aussi dans leurs rangs durant la même période.
L’Allemagne de la république de Weimar doit affronter de nombreuses crises tant
politiques qu’économiques. Les classes moyennes en souffrent particulièrement.
Portraits de la bourgeoisie
Bourgeois et bourgeoisie sont au coeur des
portraits d'une époque qui se définit avant
tout, même s'il s'agit de le déplorer, comme
bourgeoise. Hormis celui, si fameusement
classique, de M. Bertin par Ingres (1832), les
documents sont plutôt à charge. En effet, en
dehors de cette oeuvre de commande réalisée
par un artiste lié à l'élite de la monarchie de
Juillet (il est le protégé de la famille
d'Orléans), ce sont des regards critiques qui
se croisent, mais leur ton est bien différent, et
leur fond plus ou moins
virulent. Daumier comme Dickens ont choisi
la légèreté parfois acidulée de la caricature.
Les « bons bourgeois » du peintre français,
que la monarchie de Juillet fit emprisonner
pour son impertinence politique, sont
empesés comme il convient. M. Podsnap est
le type même du bourgeois anglais de la
civilisation du profit que Dickens attaque en
1864 dans Notre ami commun. Militants
convaincus de la cause socialiste, Marx,
Engels et Flora Tristan n'usent pas
d'humour. Révoltée par la situation faite aux
ouvriers, Flora Tristan, qui effectue la
tournée de promotion de son ouvrage
L'Union ouvrière, note sur son carnet
personnel le dégoût que lui inspire
l'exploiteur M. Thomas. Dépassant le cadre
du simple témoignage, amusé ou accusateur,
Marx et Engels, qui collaborent depuis 1844,
posent en 1848 les bases théoriques de
l'action socialiste « scientifique » : la
bourgeoisie est au coeur de la lutte des
classes moderne.
La bourgeoisie au centre de la lutte des
classes
C'est en raison du primat de l'économique
sur le social, de la part décisive des rapports
de production dans la théorie du matérialisme
historique, que l'industrie est placée en
position motrice. La bourgeoisie
ne peut être que son « agent sans volonté et
sans conscience », de même que le patriciat
romain dans le mode de production
esclavagiste. La seule différence mise en
exergue par Marx et Engels est la
simplification contemporaine des rapports de
classe qui en découlent. « L'époque de la
bourgeoisie » étant la dernière étape
avant la révolution socialiste, les oppositions
de classe se sont clarifiées : le prolétariat face
à la bourgeoisie.
« Les bons bourgeois ». Caricature de
Daumier parue dans le journal Le Charivari
du 16 septembre 1846. B.N.F., Paris.
Pour montrer qu'il s'agit de « bons bourgeois
», Daumier insiste sur le souci de la bonne
éducation du fils, habillé en collégien, ainsi
que sur l’unité familiale autour du père de
famille, mis sobrement et marchant dans la
certitude de son importance, comme le
recommande le Code civil depuis Napoléon
et comme l'attitude soumise de sa femme le
82
Les petits commerçants dont le nombre ne cesse d’augmenter (+21% entre 1907
et 1925) souffrent de la concurrence des grands magasins. On estime qu’en 1925
près de la moitié ont des revenus proches de ceux des ouvriers. La crise de 1929
frappe aussi violemment les employés qui souffrent alors d’un sentiment de
déclassement. Chez les ouvriers et paysans, le pourcentage d’électeurs du parti
nazi est inférieur au pourcentage atteint par les classes moyennes dans l’ensemble
de la société. Pour les employés et les indépendants, il est en revanche nettement
supérieur, près du double dans le cas des indépendants. Les classes moyennes,
déboussolées, ont souvent rendu les régimes en place responsables de leurs
difficultés et de leur déchéance et ont donc été très sensibles à la propagande
menée par les partis fascistes.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
souligne.
Monsieur Podsnap, bourgeois anglais
La répétition drôlatique de la séquence du «
lever » de M. Podsnap, mettant l'accent sur
l'étendue particulièrement étriquée de son
horizon, souligne le caractère ironique de ce
passage. Au demeurant, il s'agit pour Dickens
de nouer l'enrichissement et l'esprit borné,
tous deux également « prodigieux », de ce
bourgeois d'affaires londonien. Mais c'est
bien entendu sur le second point qu'il peut
faire porter le mieux l'ironie afin d'entraîner
la condamnation de la recherche, ici
remarquablement imbécile, du profit.
Un bourgeois d’Avignon en 1844
Issu du monde ouvrier, M. Thomas s'est payé
un hôtel aristocratique, comble du parvenu en
ce début de XIXe siècle. Il recherche donc
l'ostentation la plus spectaculaire, en même
temps qu'il produit le travail le plus acharné,
poussant ainsi jusqu'à la caricature les deux
valeurs centrales de la bourgeoisie.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
83
HC – Essor d’une culture de masse des années 1850 aux années 1930
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Dir. J.-Y. Mollier, J .F. Sirinelli, F. Vallotton : Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques, 18601940, PUF, 2006.
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La culture de masse en France, Fayard, Paris, 2002.
Rioux Jean-Pierre, Sirinelli Jean-François (dir.), Histoire culturelle de la France, tome 4, «Le temps des masses : le XXe siècle»,
Le Seuil, 1998, p. 9-201.
Michel Fragonard, La Culture du XXe siècle, Bordas, 1995.
Dominique Kalifa, La Culture de masse en France, 1860-1930 (vol. 1), coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2001.
B. Gauthier, Histoire du cinéma américain, Hachette supérieur, Paris, 2007.
E.CAZENAVE et C.ULLMANNN-MAURIAT, Presse, radio et télévision en France de 1631 à nos jours, coll. « Carré Histoire »,
Hachette, 1994.
P.GRISET, Les Révolutions de la communication, XIXe-XXe siècle, coll. « Carré Histoire », Hachette, 1991.
Jacques Portes, De la scène à l’écran, Naissance de la culture de masse aux États-Unis, Belin, 1997.
Christian-Marc Bosseno, Hollywood : l'usine à rêves, Découvertes Gallimard, 1992.
J. Wolgensinger, La Grande aventure de la presse, coll. « Découvertes », Gallimard, Paris, 1992.
Brigitte Schroeder-Gudehus et Anne Rasmussen, Les Fastes du Progrès. Le guide des expositions universelles (1851-1992),
Flammarion, Paris, 1992.
F. Barbier, C. Bertho-Lavenir, Histoire des médias de Diderot à Internet, Armand Colin, Paris, 2003.
C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou, Histoire générale de la presse française, de 1871 à 1940, tome 3, PUF, Paris, 1972.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
TDC : n° 696 15 Mai 1995 : La naissance du cinéma, l’invention d’un art populaire
Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
Accompagnement 1ere : « L’industrialisation
En quoi la civilisation industrielle a-t-elle modifié les pratiques culturelles ?
transforme la production culturelle, l’accès à
Les progrès technologiques liés à l’avènement de l’âge industriel (développement la culture et les modes d’expression
des transports, radiodiffusion, industrie du livre et de la presse) contribuent à
traditionnels ; en France, les années 1860démocratiser et à généraliser l’accès aux pratiques culturelles. Combinés à la
1930 correspondent à un premier âge de la
diffusion de l’instruction et au développement des loisirs, ils permettent, au
culture de masse. Mais les données nouvelles
tournant du siècle, l’émergence d’une culture de masse qui s’impose
et les bouleversements qu’elles induisent
progressivement dans tous les domaines.
trouvent aussi leurs répercussions dans une
réflexion originale des penseurs, des
Il s’agit de construire une définition de la notion de culture de masse. On évite ici écrivains, des artistes qui traduisent, chacun à
trois écueils. Le premier c’est d’associer la culture de masse à la notion de «
leur manière, à la fois le désarroi devant les
démocratisation culturelle ». La culture de masse permet d’accéder à différentes
changements et la recherche d’expressions
capables de dire le monde nouveau. S’il
formes culturelles ; mais elle procure aussi aux États totalitaires des moyens
d’endoctrinement efficaces. En second lieu, on simplifie : une « proto-culture »
s’agit donc d’inscrire culture et arts dans
de masse s’est mise en place bien avant 1851: mais on suivra Jean-Yves Mollier
l’évolution des sociétés, on ne peut le faire de
(« L’émergence de la culture de masse dans le monde » in Culture de masse et
manière exhaustive : le principal danger est
ici celui de l’énumération sans ligne
culture médiatique… pages 65 à 80) pour constater que c’est seulement la
seconde moitié du XIXe siècle qui réunit toutes les conditions nécessaires à son
directrice. On s’attache donc aux lignes de
forces, en sélectionnant quelques oeuvres
réel avènement. Enfin, en troisième lieu, on ne méconnaît pas comme le fait
Daniel Halévy la dimension authentiquement culturelle de la culture de masse.
significatives (voire types d’oeuvres – le
Redonnons la définition qu’Edgar Morin donne de la culture de masse : La
roman feuilleton, la peinture reflet et
culture de masse est une culture : elle constitue un corps de symboles, mythes et
interprétation de l’âge industriel, etc. – ou
images concernant la vie pratique et la vie imaginaire, un système de projections situations), qu’on analyse avec précision pour
et d’identifications spécifiques. Elle se surajoute à la culture nationale, à la
en faire des points de repère favorables à la
culture humaniste, à la culture religieuse et entre en concurrence avec ces
construction du savoir et de la culture
différentes formes de cultures. (Edgar Morin, L’esprit du temps, Grasset, 1974,
personnelle des élèves. »
page 14, 1ère édition1962). L’écrit se transforme, s’allège et s’illustre. L’image
et le son envahissent l’espace culturel.
84
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Il faut analyser le complet renouvellement et la massification des pratiques
culturelles qui donnent de nouveaux contenus à la culture du plus grand nombre,
et font apparaître de nouveaux loisirs et un sport devenu un spectacle.
À partir du XIXe siècle, le contenu de la
presse se diversifie considérablement : le
pionnier de cette presse moderne est Émile de
Girardin, qui fonde La Presse en 1836.
Réduisant le coût de son journal au minimum
grâce au recours à la publicité, il élargit aussi
le champ des sujets traités dans ses articles,
introduit les feuilletons
littéraires et des distractions, mesures qui lui
permettent de séduire un public très vaste : le
succès est rapide et les concurrents de
Girardin suivent bientôt son exemple,
engageant la presse dans une logique
industrielle. Combinés aux progrès
techniques qui permettent une impression
plus rapide, la diversification des sujets
traités par les journaux et la baisse des coûts
aboutissent à la fin du XIXe siècle à l’essor
d’une presse de masse.
I. Les industries de la culture de masse
Cette « révolution culturelle » est étroitement liée aux transformations
économiques de la seconde moitié du XIXe et de la première moitié du XXe
siècle : la naissance de la radio et du cinéma tout comme l’essor du livre à bon
marché s’appuient sur de nombreuses innovations rendues possibles par la
seconde industrialisation et, plus particulièrement, par le développement des
industries électriques. Mais ce sont plus généralement les transformations
sociales qui accompagnent l’industrialisation qui favorisent le plus le
développement des industries de la culture de masse. Jusque-là majoritairement
orale et rurale, la culture du plus grand nombre devient urbaine et doit être écrite
ou enregistrée pour être diffusée. Ce changement essentiel des pratiques
culturelles suscite sans cesse de nouveaux besoins et favorise de nouvelles
demandes que viennent satisfaire les industriels de la culture.
L’écrit accessible à tous
À la fin du XIXe siècle, le nombre de titres et les tirages de la presse augmentent
considérablement pour atteindre 9,5 millions en 1914 (pour une population totale
de 40 millions de Français) : c’est l’âge d’or de la presse, qui prend une place
essentielle dans la vie des Français et dans le débat public. Pendant cette période,
quatre journaux populaires à grand tirage représentent à eux seuls près de 40 %
du marché : Le Petit Journal (qui atteint 1 million d’exemplaires en 1890), Le
Petit Parisien, Le Matin et Le Journal. Au tournant du siècle, la presse périodique
française est la seconde du monde derrière la presse américaine. À partir de 1900,
on observe un reflux du nombre de titres, lié à un phénomène de concentration
que ne compense que partiellement la poursuite de l’augmentation des tirages.
Paris tient une place centrale dans la presse française : les titres parisiens
représentent 74 % des tirages en 1874 ; 57,8 % des tirages en 1914. La fin du
XIXe siècle apparaît toutefois marquée par la vivacité de la presse provinciale,
qui, avec des titres comme La Petite Gironde, La Dépêche de Toulouse ou Le
Progrès de Lyon, réussit à « gagner du terrain » sur la presse parisienne, très lue
dans les grandes villes de province.
La fin du XIXe siècle est l’âge d’or de la presse écrite. La généralisation de
l’alphabétisation explique cet essor. En 1914, les lecteurs parisiens ont cinq fois
plus de choix qu’aujourd’hui : 57 titres leur sont proposés et 299 quotidiens en
province. En 1863, Le Petit Journal lancé à 5 centimes fait date. Le prix du
quotidien permet de toucher la masse populaire et engendre un énorme
accroissement des tirages de tous les journaux. Le tirage moyen est de 25 000
exemplaires mais ces journaux à grande diffusion tirent entre 2 et 3 millions
d’exemplaires. Les quatre grands (Le Petit Parisien, Le Journal, Le Petit Journal
et Le Matin) représentent alors 40 % de la presse quotidienne française. Cette
presse à bon marché publie de nombreux romans sous forme de feuilletons. Le
Petit Parisien avait 75 rédacteurs à Paris, 400 correspondants en provinces, 400
employés et 370 ouvriers. Il avait 20 000 points de vente et disposait de sa propre
imprimerie. C’était un journal d’information non directement politique alimenté
en nouvelles par l’agence Havas mais qui avait une influence politique et
idéologique immense en répandant le colonialisme, le nationalisme, la morale
bourgeoise.
Parallèlement à l’alphabétisation, ce sont les progrès techniques qui permettent de
produire davantage de journaux et de répondre à cette demande nouvelle des
populations. Les presses rotatives sont mises au point en 1870. Les formes
imprimantes d’une rotative sont cylindriques. Animées d’un mouvement rotatif
(d’où leur nom), elles permettent une grande vitesse d’impression sur du papier
qui se présente sous forme de rouleaux. Les rotatives peuvent atteindre 600 à 900
tours par minute. Il faut aussi ajouter les progrès économiques qui donnent à la
presse écrite un rôle publicitaire qui contribue de façon importante à son
financement. De même qu’il est le pionnier de la presse bon marché, c’est Le
La loi sur la liberté de la presse, qui reprend
la proposition faite en 1876 par Alfred
Naquet, est discutée puis ratifiée par le
Parlement entre janvier et juillet 1881 et
promulguée le 29 juillet 1881. Ses 70 articles
garantissent d’abord la totale liberté
d’expression et d’opinion. La loi supprime les
démarches administratives préalables
(autorisation de publication, cautionnement,
censure) qui entravaient la parution des
journaux : une simple déclaration suffit
désormais pour la distribution sur la voie
publique. Elle simplifie aussi les démarches
pour fonder un organe de presse, libère le
droit d’imprimerie, d’affichage, de diffusion.
La création de nouveaux journaux
est ainsi facilitée et la parution quotidienne
accélérée. Libérée de ces entraves, la presse
joue désormais un rôle central dans le débat
républicain. Des limites sont fixées :
l’incitation aux crimes et à la désobéissance
militaire, les outrages aux bonnes moeurs, la
diffamation (institution du « droit de réponse
»), la publication de fausses nouvelles, le non
respect du secret de l’instruction ou l’outrage
aux présidents de la République sont
passibles du tribunal d’assises. Cette
loi, qui est la plus libérale au monde à
l’époque, ne sera remise en cause qu’en
1893-1894, suite à la vague d’attentats
anarchistes qui secoue la France : le
gouvernement adopte alors les « lois
scélérates » qui, censées museler la
propagande et la presse anarchistes, limitent
la liberté de l’ensemble de la presse pour une
brève période.
Ressuscité en 1854 par Hippolyte de
Villemesant, Le Figaro, d’abord
bihebdomadaire, devient quotidien en
1866 : de tendance monarchiste jusqu’en
1875, il adopte ensuite des positions
85
Petit Journal, dirigé par l’imprimeur Marinoni, qui adopte le premier les presses
rotatives.
L’image de plus en plus présente
Créé en 1932, de sensibilité communiste, Regards est l’un des premiers journaux
d’information à avoir donné une place prédominante aux reportages
photographiques, bien avant Life (1936) ou Paris-Match (1949). Robert Capa et
Henri Cartier-Bresson sont les photographes attitrés de cette revue hebdomadaire.
Le Moulin de la Galette est un authentique moulin installé depuis 1622 sur la
Butte Montmartre. Transformé en salle de bal puis en cabaret à partir de 1830, il
est immortalisé par les tableaux d’Auguste Renoir, Vincent van Gogh et Henri de
Toulouse-Lautrec. Ses propriétaires multiplient les attractions pour rivaliser avec
les autres cabarets de Montmartre, dont le Moulin rouge. Ses affiches, réalisées
par les plus grands illustrateurs, comptent parmi les plus célèbres de la « Belle
Époque ».
Image d’Épinal.
L’expression est généralement utilisée pour désigner toute image populaire de
couleurs vives, grossièrement gravée sur bois et coloriée au pochoir. Les centres
producteurs de telles images ont été nombreux en France sous l’Ancien Régime
mais c’est celui d’Épinal, attesté dès le XVIIe siècle, qui devient rapidement le
plus important et prend une position de quasi monopole dès le XIXe siècle. C’est
d’abord la maison Pellerin qui domine la production d’Épinal et contribue à
propager la légende napoléonienne. Puis en 1860, Pinot installa une maison
concurrente. À la fin du siècle, les thèmes deviennent plus républicains, Épinal
fournit des planches d’histoire naturelle, des leçons de chose, d’hygiène pour les
écoles. Mais le recul de l’analphabétisme au début du XXe siècle élimine les
raisons d’être de l’imagerie d’Épinal.
Les débuts de la bande dessinée
Si les origines de la bande dessinée moderne sont disputées et provoquent encore
la polémique, le succès du genre participe à l’émergence d’une culture de masse.
Les Katzenjammer Kids (en français, Pim Pam Poum) sont sans doute les plus
anciens héros de bande dessinée. Mais c’est Yellow Kid d’Outcault, paru à partir
de 1895 dans le New York World de Joseph Pulitzer, qui remporte, le premier, un
succès considérable. Les techniques graphiques s’améliorent progressivement.
Dans cette planche de 1907, les vignettes sont individualisées et le dessinateur
varie les plans, du plus serré au plus large, afin de dynamiser son récit. Chaque
vignette est accompagnée d’une légende. En effet, le phylactère, déjà utilisé
ponctuellement par Outcault dans les strips de Yellow kid, ne se généralise qu’à
partir de 1908. C’est avec les Pieds nickelés de Louis Forton que les bulles font
leur apparition, pour souligner telle ou telle réplique d’un personnage. On notera
combien l’Amérique fascine déjà la jeunesse européenne. L’auteur belge choisit
un pseudonyme à consonance américaine et raconte une histoire exotique de cowboys et d’indiens, pour une publication dans un illustré français.
Le son retransmis et reproduit
Le rapide succès de l’invention commune de Marconi et de Branly peut paraître
surprenant quand on pense qu’en 1898 – deux ans après l’émission des premiers
signaux – la TSF en est encore à ses balbutiements, émettant seulement entre la
tour Eiffel et le Panthéon. Les premiers postes de TSF sont d’une très grande
complexité, supposant, aussi bien pour leur installation que pour leur utilisation,
des connaissances et un savoir faire très peu communs. Fonctionnant initialement
grâce aux propriétés conductrices de la galène, un minerai de plomb qui permet
de recevoir les ondes radio, les premiers postes sont ensuite équipés de lampes
extérieures qui améliorent la qualité de la réception, mais qui nécessitent aussi un
appareillage électrique complexe. Ces engins de très grand format sont remplacés
au cours des années 1920 par des postes plus compacts, avec des lampes placées
à l’intérieur, et d’un maniement plus aisé. Il faut attendre 1914 pour que soit
transmise la première émission de radio et les années 1920 pour voir naître les
premières stations de radio : c’est en 1922 que le poste de radio de la Tour Eiffel
commence à émettre régulièrement. À partir de ces dates, la progression est
fulgurante, la TSF envahissant progressivement les foyers et s’imposant comme
un divertissement autant que comme un moyen d’information.
républicaines modérées. Il s’impose
rapidement comme un des titres de référence
de la presse politique, et ses tirages atteignent
régulièrement plus de
80 000 exemplaires. Le journal propose un
large éventail de rubriques et est le premier à
publier de vrais reportages. Les articles
traitent de sport, de politique et de culture. Le
Figaro propose aussi à ses lecteurs de la
distraction avec les caricatures de Caran
d’Ache et de Forain (qui paraissent le
lundi et le dimanche) et des partitions de
musique. Petites annonces et publicités aident
à financer le journal.
Fondé en 1872, le journal la Petite Gironde,
qui est l’ancêtre du grand quotidien SudOuest, fournit un exemple frappant de
croissance de la presse à la fin du XIXe
siècle. Propriété de la famille Gounouilhou et
imprimé à Bordeaux, ce journal est doté dès
1879 de presses rotatives qui autorisent des
tirages de plus de 100 000 exemplaires et des
coûts de fabrication réduits. En 1884, le
journal installe un bureau d’information à
Paris relié par télégraphe à la rédaction de
Bordeaux. Il est, à la fin du XIXe siècle, l’un
des premiers tirages de la presse
provinciale.
Le Petit Journal est le premier quotidien à
grand tirage créé en France, en 1863, par
Polydore Millaud. Ce journal devient le
symbole du second âge d’or que connaît la
presse entre 1880 et 1914. Ce renouveau est
rendu possible par la loi libérale du 29 juillet
1881 qui permet la publication des journaux
sur tout le territoire. Imprimé sur les rotatives
les plus modernes de l’époque, Le Petit
Journal est le premier journal populaire qui
propose une presse informative et amusante
ainsi que les meilleurs feuilletons de
l’époque, comme Rocambole de Ponson du
Terrail. Le goût pour les faits divers
spectaculaires permet de tirer à plus de 450
000 exemplaires. Même après l’apparition du
reportage photographique, le journal reste
fidèle à la gravure pour illustrer ses Unes. Ce
souci d’esthétisme, plus que de réalisme,
contribue à la mise en scène des faits divers
et à la dramatisation du propos. Le
sensationnalisme est né et trouve dans
l’incendie du Bazar de la Charité un exemple
utent les intérêts des grandes puissances.
L’Autriche-Hongrie, qui a renoncé à posséder
un empire colonial, considère les Balkans
comme son prolongement naturel et entend
non seulement ne rien abastrophe fait plus de
120 morts, presque toutes des femmes.
L’épisode permet à la presse populaire de
souligner l’héroïsme de sauveteurs d’origine
modeste et de critiquer l’attitude égoïste des
aristocrates qui, pour s’échapper, n’ont pas
hésité à piétiner les femmes qui leur faisaient
obstacle. Vers 1900, Le Petit Journal est de
86
À la croisée de l’image et du son : le cinéma
Au moment de sa naissance, le cinéma n’est encore qu’une attraction de foire. Le
tout premier film des frères Lumière, La sortie des usines Lumière à Lyon, ne
dure que quelques secondes et fut présenté pour la première fois en 1895 avec
une dizaine d’autres très courts métrages du même genre. Mais si ce tout premier
cinéma repose sur la diffusion de l’actualité, il n’ignore pas la fiction. C’est grâce
à la projection, le 6 janvier 1896, de L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat,
que l’invention des frères Lumière a commencé à conquérir un large public.
Selon la tradition, ces premières images animées auraient terrifié les spectateurs,
persuadés que le train allait réellement leur foncer dessus. Mais la première
histoire du cinéma est aussi celle de la naissance d’une industrie, qui se
développe d’abord en multipliant les films d’actualité puis en créant les premiers
films de fiction.
L’affiche d’Auzolle sur l’invention des frères Lumière montre un public sérieux,
surpris ou amusé qui réagit avec enthousiasme au spectacle de l’Arroseur arrosé
(premier film à introduire quelques éléments de fiction). Le cinématographe y est
présenté comme une nouvelle distraction susceptible de séduire toute la famille et
inscrit le cinématographe dans l’industrie du divertissement. C’est le 28
décembre 1895 que débute l’exploitation commerciale de l’invention des frères
Auguste et Louis Lumière, dont le brevet a été déposé quelques mois auparavant.
Le Salon indien du Grand Café, situé boulevard des Capucines, accueille pour 1
franc les 33 premiers spectateurs du cinématographe. Le succès de l’entreprise
semble incertain, mais rapidement, le bouche-à-oreille et des articles dans la
presse contribuent au succès du nouveau spectacle : chaque séance de 20 minutes
comporte 8 à 10 films dont les qualités plastiques et le réalisme suscitent
l’enthousiasme de spectateurs stupéfaits devant ce nouveau procédé. Le spectacle
s’installe durablement au Grand Café, où l’on fait désormais la queue pendant
plus d’une heure et les frères Lumière croulent sous les offres d’achat, mais Louis
Lumière refuse : « Mon invention n’est pas à vendre (…). Elle peut être exploitée
quelque temps comme une curiosité scientifique : en dehors de cela, elle n’a
aucun avenir commercial. »
Hollywood, naissance d’une industrie
Le cinéma hollywoodien prend rapidement les caractéristiques d’une industrie :
standardisation des genres, concentration des moyens de production sur des
projets de plus en plus pharaoniques, organisation scientifique du travail dans les
studios. Les recettes du cinéma hollywoodien lui permettent de rencontrer un très
large succès. C’est un produit de consommation de masse qui exerce une
véritable fascination dans toutes les couches de la société. En raison de son
audience, l’industrie cinématographique doit se protéger et contrôler ses contenus
afin d’éviter scandales et procès, ce qui contribue, en partie, à son uniformisation.
À leurs débuts, les studios hollywoodiens privilégient les formats courts,
constitués généralement d’une seule bobine de film. Les drames de l’Ouest,
ancêtres du Western, et les slapsticks (comédies burlesques) constituent
l’essentiel de la production. Les formats courts et burlesques offrent, dès 1914, à
Charlie Chaplin l’occasion de composer son personnage populaire d’immigré
vagabond qui fera sa célébrité pendant presque trente ans.
Dès 1913, la production cinématographique privilégie les formats plus longs et
les films de cinq ou six bobines deviennent la norme. La complexification des
récits, permise par l’allongement des films, séduit le public.
Dans l’entre-deux-guerres, les principaux genres cinématographiques se fixent à
la faveur des succès d’audience. Les drames historiques, puisant généralement
dans les guerres récentes, rencontrent un vif succès. L’apparition du son
synchrone et du cinéma parlant encourage le développement de la comédie
musicale dont Le chanteur de Jazz est le prototype. Le code Hays d’autocensure
favorise également ce genre léger et primesautier.
En 1928, Walt Disney invente une petite souris nommée Mickey, promise à une
longue carrière. En 1937, Blanche neige et les sept nains est le premier long
métrage d’animation de l’histoire du cinéma. Le film a nécessité trois ans de
travail et prouve qu’un dessin animé de plus d’une heure peut être un grand
succès de cinéma.
Les années 1900-1930, désignées comme l’âge d’or du cinéma, sont marquées
par la croissance démesurée du coût des films. Très vite sorti de l’artisanat des
premières années, le cinéma devient une industrie d’abord dominée par les
compagnies françaises, Pathé et Gaumont, puis par les compagnies américaines.
plus en plus concurrencé par Le Petit Parisien
qui systématise sa recette et lui ravit la
vedette.
Émile Zola (1840-1902) a commencé sa
carrière en tant que journaliste, activité qui
est restée importante pour lui tout au long de
sa vie. Il livre ici ses réflexions sur ce métier
et ses effets sociaux et culturels. Il souligne
d’une part les effets positifs du journalisme,
qui « renseigne rapidement », « développe la
curiosité publique » et « décuple la vie ».
Surtout, il estime que la large diffusion de la
presse contribue à la démocratisation de la
littérature, en faisant pénétrer le livre «
partout où il y a trace de créature humaine ».
Plusieurs de ses oeuvres ont d’ailleurs été
publiées sous forme de feuilletons dans la
presse (Germinal, Thérèse Raquin, La Terre).
Toutefois, il dénonce « le reportage à
outrance », qui conduit à privilégier
l’accumulation de faits sur l’analyse et la
réflexion, et qui conduit à une « appréciation
hâtive des choses et des hommes ». Zola a été
lui-même la victime de ces « appréciations
hâtives », la presse parisienne l’ayant à
plusieurs reprises attaqué violemment.
Conscient de l’impact de la presse, il saura en
user avec efficacité, notamment lors de
l’Affaire Dreyfus.
Fondé par Pierre Laffite, L’Excelsior, «
journal illustré quotidien », est lancé à Paris
le 16 novembre 1910, précédé par une grande
campagne d’affichage : c’est un
événement car il s’agit du premier quotidien
illustré de photographies. Sur 12 pages de
papier glacé, trois sont entièrement
consacrées à des photographies : chaque
numéro devait être préparé deux jours à
l’avance pour permettre la parution de ces
images. La création de L’Excelsior marque
l’entrée de la photographie dans la presse, qui
fait suite à une série d’autres innovations qui
ont permis la diffusion à une plus grande
échelle de la presse. Les nouveaux procédés
d’impression ont joué un rôle majeur : les
rotatives mises au point par Hippolyte
Marinoni en 1856, qui tirent 4 pages à la fois
remplacent les premières presses mécaniques
(1814) et sont rapidement perfectionnées par
Derriey à la fin du
XIXe siècle, permettant le tirage simultané de
10 pages. La mise au point de la linotype (de
l’anglais « line of type ») puis de la monotype
dans les années 1880 permet de
mécaniser également l’étape de la
composition des textes et de réduire encore
les délais d’impression d’un texte, tout en
limitant le nombre d’ouvriers nécessaires
dans les ateliers. Les progrès enregistrés en
matière de papeterie, avec l’invention de la
machine à rouleau continu et celle du papier à
la cellulose, complètent les innovations
d’un siècle qui consacre l’industrialisation de
87
Ce sont ces dernières qui se lancent dans une course effrénée aux
superproductions : initialement destinées à empêcher les films français et italiens
de concurrencer le cinéma américain, les superproductions – la première est
Naissance d’une nation, réalisée par David Griffith en 1915 – permettent bientôt
aux compagnies d’Hollywood d’asseoir leur domination sur le cinéma mondial.
The Birth of a Nation utilise un format très long et mobilise des dizaines de
milliers de figurants. C’est alors le plus important budget alloué à un film. Le
souffle de l’épopée fait son apparition dans le récit cinématographique.
En 1936, Blaise Cendrars se rend à Los Angeles pour y réaliser un reportage
littéraire sur les studios hollywoodiens. Dans cet extrait, apparaît sa fascination
pour ce lieu mythique qu’il pare de qualificatifs religieux, mais Cendrars n’est
pas pour autant dupe des formes de la production cinématographique. Conscient
que le cinéma est à la croisée des chemins entre l’art et l’industrie, il met en
évidence le taylorisme des studios. La parcellisation des taches et le respect des
cadences sont la norme et entraînent l’absence de compréhension de l’oeuvre en
train de se construire. On retrouve ici, appliquées au cinéma, les constatations
faites par les critiques du taylorisme dans le domaine industriel.
Le succès du cinéma hollywoodien s’explique par le calibrage très précis des
films produits. La mise en place d’un code de bonne conduite introduit un
cadrage normatif qui contribue à baliser un cinéma qui s’offre à tous les publics.
Trois ou quatre genres cinématographiques assurent l’essentiel des succès du
box-office. Le vedettariat se développe dès le cinéma muet (Mary Pickford,
Douglas Fairbanks, Charlie Chaplin). La part de rêve qu’offrent ces vedettes «
plus qu’humaines » permet de pérenniser la magie du cinématographe jusqu’en
dehors des salles obscures, et accessoirement d’assurer pour les producteurs les
succès futurs de leurs films.
II. Quelles transformations les pratiques culturelles subissent-elles entre 1850 et
1939 ?
La radio : un nouveau média, une nouvelle culture ?
Média entièrement nouveau, la radio engendre de nombreux discours craintifs sur
le dépérissement de la « vraie culture » que remplaceraient d’indigents
succédanés. L’article de Jean Guéhenno démontre évidemment le contraire en
montrant que, comme le livre imprimé avant elle ou comme le cinéma, la radio
démultiplie les occasions d’apprendre et de découvrir. Sa démonstration dénonce
aussi un a priori, défendu par de nombreux intellectuels de l’époque, selon lequel
la « vraie culture » ne peut être que celle d’une étroite élite. Guéhenno montre au
contraire que la culture la plus authentique est celle qui est la plus largement
partagée. Pour défendre la culture de masse, Jean Guéhenno emploie un
argument de bon sens : la multiplication des vecteurs de diffusion de la culture ne
peut pas être nuisible à la culture. Pour lui, la radio et le cinéma sont des progrès
qui s’inscrivent dans la continuité des découvertes comme l’imprimerie,
permettant à un nombre toujours plus grand d’individus de s’émanciper par
l’accès à la culture. D’origine modeste, modèle de la méritocratie républicaine,
Jean Guéhenno est aussi l’un des artisans intellectuels du Front populaire dont il
défend ici les acquis culturels, contre les nombreux détracteurs de la culture de
masse qu’on peut trouver parmi les intellectuels de gauche comme de droite.
De nouvelles idoles : les stars d’Hollywood
Les premières scènes filmées ont pour protagonistes des passants ou des proches
des réalisateurs, à l’image des personnages qui peuplent les films des frères
Lumière. Puis, le cinéma fait appel à des comédiens déjà célèbres : le « Film
d’Art » (1908), en France, met en scène des grandes pièces du répertoire
interprétées par des acteurs de la Comédie-Française. Les studios d’Hollywood
répugnent, dans un premier temps, à lever l’anonymat des acteurs de leurs films
et à recourir aux mêmes vedettes trop régulièrement : ils craignent de voir les
exigences salariales de ces artistes augmenter rapidement et, jusqu’en 1910, le
public ignore le nom des vedettes de l’écran. Cependant, dès les années 1920, la
concurrence entre les studios les conduit à attribuer aux acteurs populaires un rôle
croissant : c’est la naissance du « star system ». Mary Pickford et Rudolf
Valentino sont parmi les premiers à déchaîner l’hystérie parmi le public. Les
années 1930 marquent l’apogée du « star system » : les studios s’enorgueillissent
de leurs catalogues de vedettes. Marlène Dietrich et Gary Cooper, que l’on voit
la presse. Ces progrès engendrent baisse des
coûts et réduction des délais : ils contribuent
donc à l’expansion de la presse.
« Toute l’Allemagne écoute le Führer »,
Affiche publicitaire, 1938.
Cette affiche est un nouvel exemple de la
convergence de buts, à travers la publicité,
entre grandes firmes industrielles et régimes
fascistes. En 1933, il y a déjà 4 millions de
foyers qui disposent d’un récepteur radio. Un
des objectifs majeurs du régime, et plus
particulièrement du ministre de la
Propagande et de l’Information du Reich,
Joseph Goebbels, consiste alors à favoriser la
diffusion du nouveau mass medium. La
promotion du Volksempfänger, le « récepteur
du peuple», VE 301, vanté ici, permet de
doubler le nombre d’auditeurs en 5 ans. La
production en série d’un appareil encore
moins cher porte le nombre de foyers équipés
à 16 millions en 1941 auxquels s’ajoutent des
milliers de haut-parleurs installés en plein air,
dans les ateliers ou dans les bureaux.
Goebbels a vite compris que la radio « sera
un jour la grande instruction des peuples »,
ajoutant cyniquement qu’elle « n’est pas un
instrument de transmission objectif ».
Goebbels définit une habile stratégie des
programmes : promotion systématique de la
musique classique allemande, divertissements
populaires, feuilletons et, en soirée, des
programmes d’information.
Réalisateur majeur de l’histoire du cinéma et
un des pères du langage cinématographique
moderne, Abel Gance (1889-1981) se
distingue de la production de son temps par
un style empreint de lyrisme, qui fait de ses
films muets (J’accuse, La Roue, Napoléon)
des étapes majeures de l’histoire du cinéma.
Il souligne dans cette conférence «
l’omnipotence dans l’Espace et dans le
Temps » du cinéma. Ce dernier permet en
effet de diffuser des images partout sur la
planète au même moment mais aussi de
rediffuser ces mêmes images à l’envi dans
le futur, permettant leur accès aux
générations futures. Il pointe ainsi
l’universalité et la pérennité du « nouvel
art », qui lui confèrent une puissance
qu’aucun autre art n’a eu avant lui. À la date
où il s’exprime, l’essor du cinéma
hollywoodien et la multiplication du nombre
de salles dans les pays industrialisés font déjà
du cinématographe un loisir de masse.
Réalisé d’après le roman homonyme de
Margaret Mitchell, le film Autant en emporte
le vent est l’un des exemples
les plus parlants des premières «
superproductions » hollywoodiennes. Réalisé
juste avant la Seconde Guerre
mondiale – sa première projection eut lieu
aux Etats-Unis le 15 décembre 1939 ; il ne
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dans le film Desire de Frank Borzage (1936) qui met en scène une voleuse de
bijoux séduisant un jeune ingénieur américain, font partie de ces jeunes stars
adulées, dont l’image est remodelée par les studios. Née en 1901 à Berlin,
l’actrice Marlène Dietrich commence, comme beaucoup de stars des années 1920
et 1930, sa carrière au théâtre. Mais c’est le cinéma qui lui permet de devenir une
actrice célèbre dans le monde entier. En 1930, elle triomphe dans l’Ange bleu de
Joseph von Sternberg, le premier film parlant du cinéma allemand puis est
engagée par la compagnie américaine Paramount, qui veut concurrencer la
mythique Greta Garbo, sous contrat avec la Metro Goldwin Mayer. Installée aux
États-Unis, elle devient citoyenne américaine en 1937 et représente pendant
longtemps la perfection de la beauté féminine. Créations exclusives du cinéma,
les stars se démarquent des divas du théâtre et de l’opéra par leur apparence hors
norme. Une star comme Marlène Dietrich a évidemment besoin d’avoir du talent,
mais il lui est encore plus nécessaire, à une époque où la gestuelle des acteurs est
beaucoup plus importante que les dialogues, d’avoir une « présence » à l’écran à
la fois irréelle et indiscutable. C’est le mélange d’une beauté intemporelle et
intangible et d’un personnage hors du commun qui fait des stars des êtres
d’exception et c’est en renouvelant constamment cette alchimie que l’industrie
cinématographique américaine peut multiplier les stars. Les années 1920 et 1930
voient ainsi naître aussi bien Marlène Dietrich et Mary Pickford que Greta Garbo,
Louise Brooks ou Katarine Hepburn.
sortit en France qu’en 1950 –, il est, à
l’époque, le troisième film le plus cher de
l’histoire du cinéma avec un budget de 3,9
millions de $. Il remporta 9 trophées à la
cérémonie des Oscars de 1940 et est toujours
considéré comme l’un des plus gros
succès de l’histoire du cinéma mondial.
Un héros de roman et de cinéma
Dans la culture de masse qui émerge au
tournant du siècle en Europe, Fantômas tient
une place particulière. D’abord personnage
emblématique de « l’âge du papier », ses
aventures connaissent ensuite un remarquable
succès au cinéma dans
les moyens-métrages (d’une durée d’environ
une heure) du languedocien Louis Feuillade.
Pilier de la maison Gaumont, Louis Feuillade
réalise cinq Fantômas.
De nouveaux héros
Si les années 1900 voient émerger une culture de masse, c’est bien sûr à cause
des nouveaux médias que sont la radio et le cinéma, mais c’est, plus encore, à
cause de l’âge d’or du livre que rendent possible aussi bien l’alphabétisation de
masse que l’édition à bon marché. Le triomphe de journaux comme l’Épatant
s’explique autant par le succès des aventures des Pieds Nickelés que par le prix,
très modique, de ces publications. Il en est de même des romans policiers, que la
Belle Époque n’invente pas, mais qui sont lus par des publics toujours plus
nombreux. Les aventures d’Arsène Lupin, de Bécassine ou de Rouletabille
connaissent ainsi un succès phénoménal.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
89
HC – Le sport et autres pratiques sociales en Europe (seconde moitié du XIXè siècle)
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
On voit apparaître un sport de masse, dont la principale caractéristique est d’être
regardé plus que pratiqué. Pourquoi et comment le sport participe-t-il aux
évolutions de la culture de masse ?
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
CALLÈDE Jean-Paul, Les Politiques sportives en France : éléments de sociologie historique, Paris : Économica, 2000.
A. CORBIN, L’Avènement des loisirs, Aubier, 1995.
Françoise Hache, Jeux Olympiques. La flamme de l’exploit, coll. « Découvertes », n° 133, Gallimard, Paris, 1992.
S. Laget, La Saga du Tour de France, coll. « Découvertes », Gallimard, Paris, 2003.
B. Dumons, G. Pollet, M. Berjat, Naissance du sport moderne, Les Olympiques, La manufacture, Lyon, 1987.
G. Vigarello « Le tour de France », in Les lieux de mémoire, dir. P. Nora, volume 2, Gallimard, 1992.
G. Vigarello, Du jeu ancien au show sportif, naissance d’un mythe, Seuil, 2002.
Du guidon au manche à balai, Affiches du Musée National du Sport de France, Lausanne, Musée Olympique, 2001.
Il était une fois le sport…, Lausanne, Musée Olympique, 1997.
Documentation Photographique et diapos :
Documentation Photograhique : n° 7029 : Une histoire du sport (XIXe-XXe) 1995.
Revues :
TDC : n° 713 : 1er Avril 1996 Sports et olympisme : l’esprit d’excellence
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Par la littérature qu’il nourrit (le reportage d’Albert Londres), par les artistes qu’il
inspire (Robert Delaunay ou Robert Capa), par les spectacles qu’il suscite, par les
aménagements et les ensembles architecturaux qu’il nécessite, par les
comportements qu’il uniformise, par les enjeux idéologiques qui accompagnent
sa diffusion, le sport est partie prenante de la culture de masse de cette période.
Entre 1870 et 1920, le sport s’introduit dans la société comme spectacle mais sa
pratique reste encore restreinte. À partir de 1920, le sport s’intègre dans le corps
social.
Le sport devient un élément essentiel de la culture de masse entre 1900 et 1939.
Pour ses défenseurs, le sport est l’activité de loisir la plus saine, notamment pour
les jeunes et pour les travailleurs. Mais le sport n’est pas seulement une pratique,
c’est de plus en plus un spectacle, exploité par les nouvelles industries du
divertissement. Enfin, loin de rassembler les peuples dans une compétition
pacifique, le sport peut exacerber le nationalisme, s’il est utilisé par la
propagande politique, comme lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. Des loisirs de classes ?
Les loisirs ouvriers sont tout à fait spécifiques et participent pleinement à la
constitution d’une culture ouvrière propre. Jardinage et bricolage sont deux loisirs
non ludiques, leur pratique est une manière détournée de travailler. Ainsi, même
durant leurs loisirs, les ouvriers travaillent ; le travail est une valeur au coeur de
leur culture. Les jardins ouvriers se multiplient autour des villes, ils permettent
aux familles ouvrières de diversifier leur alimentation, de faire des économies en
limitant les dépenses en nourriture ou en revendant une partie des récoltes.
Signalons par ailleurs que lorsqu’ils pratiquent un sport, les ouvriers préfèrent le
football ou le cyclisme au rugby ou au tennis qui sont alors l’apanage des classes
supérieures de la société.
Activités, consignes et productions des élèves
:
L’ÉQUIPE DE CARDIFF
Ce tableau a été réalisé entre 1912 et 1913
par Robert Delaunay, un des peintres les plus
marqués par le mouvement cubiste.
Le tableau, intitulé L’Équipe de Cardiff, a
comme motif central une scène de match de
rugby qui a été inspirée à Delaunay par une
photographie, publiée dans la presse, d’un
match opposant le Stade toulousain au
Sporting Club universitaire de France. Le
titre de L’Équipe de Cardiff ne semble pas
avoir de rapport direct avec cette image.
Le tableau est construit comme un collage,
90
Permanences et ruptures dans le premier âge du sport.
La danse, puis plus tard les sports d’hiver, demeurent réservés à une élite
économique et culturelle. La danse en 1874 n’est pas vue comme un sport mais
comme un art d’agrément au même titre que la broderie ou l’aquarelle. Au
moment où certaines autorités médicales préconisent la pratique de la
gymnastique et des agrès pour régénérer la race et préparer des « mères solides »,
la pratique de la danse fige les rôles et fixe un éternel féminin. Le décor du cours
de danse est convenu : un salon, des gravures programmatiques : après le temps
de la danse viendra le temps des promenades ou de la chasse à cour… La mixité
du cours fait néanmoins figure de révolution. Séparés partout ailleurs (école,
catéchisme etc.), filles et garçons y apprennent à se connaître. Les jeunes gens qui
fréquentent la station de Saint- Gervais sont eux aussi des privilégiés, à la pointe
de la mode : la montagne n’était fréquentée que l’été et les sports d’hiver
n’accèdent au statut olympique qu’en 1924. Pourtant la modernité est bien du
côté de ces pratiques sportives nouvelles, rendues possibles par la desserte
ferroviaire des stations. Les sports d’hiver sont des sports de plein air. La mixité
est la règle et la tenue androgyne faite de fuseaux et de pull-overs aux motifs
jacquards ne distingue pas plus garçons et filles que la longueur des cheveux
portés « à la garçonne ». Le sport est complet : il combine ascension en
montagne, port des skis et virtuosité dans la descente.
Le développement du tourisme balnéaire
L’essor du tourisme de masse, pratique venue d’Angleterre et longtemps réservée
à une étroite aristocratie, remonte au début du XXe siècle. Y contribuent aussi
bien l’élévation générale du niveau de vie que l’achèvement des réseaux de
chemin de fer et que la diminution du temps de travail. Les classes moyennes –
les principales bénéficiaires de ces évolutions – envahissent les stations thermales
et balnéaires : pour ne rendre des exemples qu’en France, des villes comme
Cambo-les-bains, La Baule ou Juan-les-Pins connaissent alors un essor
spectaculaire. Cette carte postale des années 1930 montre nettement que le
tourisme balnéaire est désormais accessible presque à tous.
II. Le sport, spectacle de masse
Jusqu’au XIXe siècle, la pratique du sport est aussi bien l’apanage de
l’aristocratie – qui chasse, joue au tennis monte à cheval et invente le rugby et le
football – qu’une distraction pour les catégories sociales les moins favorisées. La
grande nouveauté de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle est
l’apparition, et, très vite, la généralisation, du sport que l’on regarde au lieu de
le pratiquer. Comparées aux tournois du Moyen Âge, les grandes compétitions
sportives sont organisées pour désigner un vainqueur, mais, plus encore, pour être
vues par le plus grand nombre possible de spectateurs. Les Jeux Olympiques, le
Tour de France, les championnats nationaux ou la Coupe du monde de football
deviennent des événements, non seulement parce qu’ils suscitent des
performances, mais aussi parce qu’ils donnent ces dernières à voir au plus grand
nombre, directement (dans les stades) ou indirectement (par le biais des médias
qui relaient ces événements).
Ces grandes compétitions peuvent être des entreprises privées qui, comme le tour
de France, permettent de réaliser de substantiels bénéfices en multipliant les
contrats publicitaires. Mais elles sont aussi, et de plus en plus, prises en charge
par les États qui voient en elles un fabuleux support de propagande : les Jeux
Olympiques de 1936 deviennent la vitrine de l’Allemagne nazie, tout comme la
Coupe du monde de football de 1934 a été le triomphe de l’Italie fasciste. Mais,
même s’ils ne sont pas totalitaires, tous les États ont intérêt à encourager le
développement de telles compétitions.
Le nombre de sociétés et licenciés affiliés à la Fédération française de football est
multiplié par presque 9 entre 1919 et 1940. Pour la natation, le nombre de
sociétés est multiplié par 12, celui des licenciés par 17. Comment expliquer ce
succès mais aussi l’écart d’échelle entre les 2 sports retenus ? L’équipement et les
aménagements modiques liés à la pratique du football (un ballon, un terrain) sont
peu coûteux. La mise en place et l’entretien d’une piscine coûtent autrement plus
cher, même si dans les années 1920-1930, il est encore possible de pratiquer la
natation à moindre coût dans les rivières et fleuves français. On constatera aussi
que ces sports demeurent essentiellement masculins. Les patronages, laïcs ou
qui lui permet de juxtaposer les éléments du
match de rugby, des affiches, une tour Eiffel,
une grande roue et un aéroplane.
C’est évidemment au cubisme que Delaunay
emprunte la technique du collage, déjà
abondamment pratiquée par Picasso. Les
inscriptions du second plan sont des
publicités, réelles – comme celle de la
marque Astra – ou imaginaires – comme celle
de la marque Delaunay –, qui voisinent
avec la scène du match de rugby
probablement en hommage à la nouvelle
culture que la fin du XIXe siècle et le début
du XXe siècle contribuent à faire naître.
La tour Eiffel, la grande roue et l’aéroplane
sont autant d’éléments de la Belle Époque,
aussi bien marquée par les grandes
expositions universelles organisées à Paris
en 1889 et en 1900 que par la première
traversée de la Manche par Blériot en 1909.
Leur voisinage avec les inscriptions du
second plan permet à Delaunay de saluer
l’émergence d’une nouvelle civilisation des
loisirs.
En soulignant l’émergence de nouvelles
tendances artistiques – le cubisme –, de
nouvelles pratiques culturelles – le sport
spectacle, le triomphe de la publicité – ou de
nouvelles évolutions sociales – l’émergence
des loisirs – Delaunay dresse un panorama
assez complet des nouveautés culturelles et
artistiques produites par la société
industrielle.
Delaunay représente, dans son tableau, les
emblèmes de la modernité. La silhouette
aérienne de la Tour Eiffel côtoie un biplan
tout aussi aérien. La partie supérieure du
tableau est un hymne à la légèreté et à la
modernité au travers de ses réalisations
architecturales et technologiques. On peut
noter qu’un joueur, par son saut, atteint cet
espace supérieur dessiné par le peintre. Les
joueurs de rugby sont les symboles
tectoniques d’une humanité capable de
s’arracher aux pesanteurs de son destin et de
se hisser vers la sphère idéale du progrès et
de la modernité. Delaunay accorde ici une
place primordiale à la publicité. Un débat
d’idées agite alors les poètes de la modernité
autour des citations de Blaise Cendrars : « La
publicité est la fleur de la vie contemporaine
» et d’Apollinaire : « Dans une ville moderne,
l’inscription, l’enseigne, la publicité joue un
rôle artistique très important ». Dès lors,
Delaunay fait le choix d’intégrer les taches
chromatiques de l’affiche publicitaire urbaine
dans son tableau. Delaunay présente un
match de rugby. Au début du XXe siècle,
quelques sports deviennent populaires et
participent à l’apparition du sport de masse.
Parmi ces disciplines sportives, le football, le
rugby, la boxe et le cyclisme dessinent les
contours de cette nouvelle modernité
sportive. Les publicités reproduites évoquent
New York et Paris. Le rugby est un sport
91
confessionnels, les entrepreneurs paternalistes, les partis politiques de gauche
s’affrontent et se concurrencent pour proposer au monde ouvrier, ou à ses
rejetons, des activités qui favorisent la discipline, le respect de la hiérarchie (cf.
Jean-Pierre Peugeot et la fondation du Football -Club de Sochaux en 1928) ou au
contraire un nouveau droit au loisir et au divertissement. Le sport promu entre
1920 et 1940 est donc porteur d’idéologies qui culminent dans les régimes
totalitaires.
Le vélo et le Tour
L’exemple du vélo met en évidence l’émergence, au tournant des XIXe et XXe
siècles, de la culture de masse. « Fantaisie », loisir, puis moyen de transport, le
vélocipède se démocratise au fil des années grâce aux progrès techniques, mais
surtout grâce à l’organisation de compétitions qui popularisent son usage.
C’est en 1817 que le baron badois Drais von Sauerbronn, professeur de
mécanique, met au point le vélocipède, ou draisienne. Son engin, qui consiste en
une poutre posée sur deux roues et dont le but est de « faire marcher une personne
avec une grande vitesse », ne connaît qu’un succès éphémère mais représente le
point de départ d’une longue histoire. Vers 1861, le serrurier Pierre Michaux, en
y ajoutant un pédalier et en allégeant sa structure, donne un élan décisif au
vélocipède : la haute société et la bourgeoisie s’emparent rapidement de ce
nouveau loisir et l’organisation des premières courses (1867-1869) confirme
l’intérêt de ce nouveau système de transport qui peut enfin rivaliser avec le
cheval. La première machine brevetée sous le nom de « bicyclette » en 1869 fut
inventée en Grande-Bretagne lorsque furent mis au point des pneus en
caoutchouc montés sur des jantes en acier. Le bicycle anglais, avec sa roue avant
motrice au large diamètre, confirme les performances de l’engin et fait passer le
vélocipède du rang de « fantaisie » à celui de moyen de transport. Ce « grand bi
», haut d’environ 1,30 m, est toutefois d’une utilisation délicate, ce qui en limite
la diffusion. Dans les années 1880, ce sont les Anglais Lawson et Starley qui
créent les premiers modèles aux roues plus basses et de tailles presque égales. La
selle est reculée, le pédalier relié à la roue arrière : la bicyclette est née. Les
engins furent au point vers 1880, les pédales reliées à un pignon via un plateau
denté et une chaîne et, en 1891, le français Édouard Michelin inventa les pneus
démontables.
Ce modèle s’impose grâce à ses performances dans les deux grandes courses
utilisées en 1891 (Paris-Bordeaux, Paris-Brest) : organisées pour prouver la
fiabilité de l’engin et le démocratiser, ces compétitions suscitent un enthousiasme
exceptionnel. Elles contribuent à imposer l’usage du vélo : en 1893, on compte
près d’un million d’usagers en France. À cette date, il faut encore près de 625
heures de travail à un ouvrier pour espérer acquérir une bicyclette, ce qui limite
encore la diffusion de l’engin.
Empruntant l’appellation de Tour de France au circuit d’apprentissage des
compagnons, Henri Desgranges, le directeur du journal l’Auto, crée cette épreuve
devenue mythique pour distancer son principal concurrent, le journal le Vélo, qui
organisait déjà des courses comme Paris-Bordeaux. Prévue pour durer un mois,
l’épreuve doit relier les principales villes françaises : Paris, Lyon, Marseille,
Toulouse, Bordeaux et Nantes, par des étapes longues de plusieurs centaines de
kilomètres. Le 1er juillet 1903, les concurrents du premier Tour de France
prennent le départ de Villeneuve-Saint-Georges : les six étapes prévues les
conduisent à couvrir 2 500 km en 18 jours. Le passage des coureurs dans de
nombreux villages où l’on ignore encore ce qu’est la bicyclette contribue à un
nouvel essor de sa pratique, que le Tour contribue à démocratiser. Véritable fête
populaire, ce dernier engendre un incroyable engouement. Lors du Tour de
France de 1938, la popularité de l’épreuve atteint ses sommets. La semaine de 40
heures et l’instauration des congés payés, ainsi que la baisse du coût des vélos (il
ne faut plus désormais qu’une soixantaine d’heures de travail à un ouvrier pour
l’acquérir), renforcent le parc cycliste français, qui atteint près de 8,8 millions de
machines, et l’intérêt pour la compétition s’en trouve renforcé. L’Italien Gino
Bartali (1914-2000) remporte alors son premier Tour. L’ancien vainqueur,
Speicher, ayant été disqualifié pour s’être fait tracter par une voiture dans les
Pyrénées.
Le grand reporter Albert Londres assure la couverture du Tour de France pour Le
Petit Parisien (tirage 1,5 million d’exemplaires) en 1924. Avec d’autres, il invente
un genre nouveau, celui de la chronique sportive qui transforme le Tour de
France en épopée. L’acculturation n’est pas totale et si le Tour fait l’objet d’une
anglo-saxon. La firme Astra est une société
d’aviation française. Robert Delaunay a
voulu montrer le cosmopolitisme de la
société moderne. La trépidation de la vie
moderne est rendue par l’impression
d’instantanéité que procure cette toile, qui
fixe le mouvement des joueurs et, en
particulier, fige le saut
du joueur au ballon. La structure de l’oeuvre
juxtapose trois plans. Les joueurs du premier
plan proviennent d’une coupure de presse.
Les publicités proviennent d’une vue de
l’intérieur du Parc des Princes. L’arrière-plan
est tiré d’une carte postale. L’articulation des
plans et des motifs est rendue possible par
l’entrelacement autour d’un axe de symétrie
animé d’une courbe sinusoïdale qui traverse
la toile, renforçant le caractère «
tourbillonnant » de la composition. Delaunay
se trouve à la charnière des deux principaux
courants picturaux du début du siècle. S’il
emprunte la décomposition de l’espace au
cubisme, la richesse de sa palette
chromatique doit beaucoup à l’influence du
fauvisme. Par un clin d’oeil, l’artiste place
son nom dans une affiche publicitaire. Par ce
procédé, il distingue la publicité au rang de
l’expression artistique, mais joue aussi
ironiquement avec le statut de l’art à l’époque
de sa reproductibilité technique.
Ce document est une oeuvre d’art figurative
qui associe peinture à l’huile et collage sur
toile. Le peintre a voulu représenter une
course cycliste qui se déroule dans un
vélodrome. Le cycliste apparaît en plein
effort : il est courbé sur son vélo, il semble
pédaler à toute vitesse, les traits de son
visage montrent une grande concentration.
Cet intérêt du peintre pour les compétitions
sportives reflète, en fait, la place nouvelle
qu’occupe le sport, devenu à la fois un loisir
de masse et un spectacle grand public. Le
cyclisme, mais aussi la boxe et le football
passionnent des foules de plus en plus
nombreuses. À l’arrière-plan, l’artiste a
représenté des gradins qui sont noirs de
monde. Le cyclisme est une des disciplines
les populaires en France, notamment grâce
aux compétitions comme celle-ci ou encore
comme le Tour de France créé en 1903. La
presse (grands quotidiens ou revues
spécialisées), en publiant des comptes-rendus
de compétition, la radio et le cinéma, en les
retransmettant, ont fortement contribué à
cette popularité du sport. La paroi qui borde
la piste cycliste porte des affiches
publicitaires (l’une pour la course cycliste
Paris-Rouen, l’autre pour des pneus). C’est,
en effet, à cette époque, avec
l’industrialisation et l’essor de la
consommation, que se développe la publicité.
Elle se rencontre sous forme d’affiches très
colorées et elle est très présente dans la
presse. Le peintre a travaillé sur la forme en
92
couverture médiatique impressionnante (T.S.F., presse et actualités
cinématographiques rendent compte de l’événement), si ses héros sont identifiés
et connus, les comportements sont encore ensauvagés. Lorsqu’il est publié en
1935, l’article de Pierre Bost montre que le Tour s’est non seulement imposé
comme un événement sportif majeur, mais qu’il est aussi devenu une entreprise
très lucrative, grâce à la publicité qui envahit déjà le sport devenu un spectacle.
En juillet 1939, à Pleyben en Bretagne, le photo-reporter Robert Capa en 2
instantanés, permis par son petit Leica, montre les permanences et la civilisation
des comportements : le Tour est un spectacle gratuit, qui mobilise les
municipalités, donne des applications concrètes au cours de géographie et séduit
un public populaire et bon enfant. La réclame (voir casquettes et journaux),
l’extraction populaire et régionale des coureurs auxquels tous peuvent
s’identifier, promeuvent et généralisent l’usage de la bicyclette comme moyen de
locomotion (boutique de cycles à l’arrière-plan).
Le sport-spectacle
Ce sont les Britanniques qui, après avoir inventé le football, construisent des
stades permettant d’accueillir des spectateurs toujours plus nombreux. Calquées
sur les stades de cricket, ces enceintes peuvent aussi accueillir des compétitions
d’athlétisme ou, comme en France, des courses cyclistes. Dès les années 1890, les
stades peuvent accueillir plusieurs milliers de spectateurs, souvent debout. Le
développement des grandes compétitions nationales et internationales entraîne un
accroissement spectaculaire de la capacité des stades : la finale de la Coupe du
monde de 1934 est jouée devant 45 000 spectateurs, mais c’est devant plus de
90 000 spectateurs qu’est disputée la finale de la coupe d’Angleterre en 1938.
Le sport, substitut de la guerre
La première moitié du XXe siècle voit se multiplier les événements sportifs
planétaires qui sont autant d’occasions de confrontations pacifiques entre les
nations. Strictement réservée aux amateurs, la pratique du sport de haut niveau
doit, dans l’esprit de Pierre de Coubertin, maintenir dans les sociétés modernes le
goût aristocratique de l’exploit désintéressé et la passion du « beau geste ».
Le baron Pierre de Coubertin (1863-1937) est à l’origine de la résurrection des
Jeux olympiques à Athènes en 1896. Issu de l’aristocratie catholique, Coubertin
se passionna pour le sport après un voyage en Angleterre en 1883. Il milita
ensuite sans relâche pour le développement du sport. Selon Coubertin, le sport est
« l’incarnation de la démocratie », parce qu’il est fondé sur deux valeurs qui
seraient les piliers de la société démocratique : l’entraide et la concurrence. La
solidarité est en effet une valeur démocratique, qui est cultivée par les sports
d’équipe. La compétition est au coeur des épreuves sportives et elle peut aussi
être considérée comme une valeur démocratique, si on l’entend dans le sens de la
méritocratie (une société privilégiant la compétence par rapport à la naissance ou
à la fortune). Mais dans le même texte, Coubertin emploie d’autres arguments en
faveur du sport qui semblent moins favorables à la démocratie. Il présente en
effet le sport, dans une perspective hygiéniste et nationaliste, comme un moyen
de régénérer la jeunesse, de fortifier la patrie, d’encourager l’expansion coloniale.
Si rien dans ces propos n’est explicitement antidémocratique, on peut néanmoins
comprendre à travers cet argumentaire comment un régime autoritaire pourrait
tirer profit du sport. Coubertin lui-même avait une conception plutôt élitiste du
sport. Il voyait les sportifs comme une sorte de chevalerie moderne, donnant
l’exemple au peuple. Peu avant de mourir, Coubertin fut sensible aux tentatives
de récupération déployées à son égard par Hitler et il soutint sans réserve les
Jeux olympiques de Berlin en 1936.
Dans les faits, le sport spectacle devient un enjeu politique majeur pour toutes les
nations : le football permet, comme le montre Giraudoux, d’affirmer la
supériorité et le dynamisme d’un pays. L’analyse de Jean Giraudoux montre bien
que le sport est devenu, dans les années 1930, un moyen strictement comparable
à la guerre de démontrer la force et l’énergie d’un pays. Giraudoux présente le
sport et la guerre comme les deux seules formes d’activités internationales, dans
un monde où les nations se sont repliées sur elles-mêmes, se protégeant par des «
tarifs» (douaniers) ou des « haines» (le nationalisme, tel qu’il a été cultivé
notamment par les fascistes). Il explique aussi que ces deux activités s’adressent à
la même catégorie, la jeunesse. Le sport est devenu, au même titre que la force
militaire, une forme d’expression de la « santé physique » d’une nation. Il
évoque, à titre d’exemple, la vitalité des pays sud-américains révélée par leurs
décomposant son personnage du premier
plan, devenu un assemblage de figures
géométriques. Cette technique est
emblématique du cubisme, courant pictural
inventé par Pablo Picasso et Georges
Braque en 1907.
Le « combat du siècle »
La rencontre qui oppose les deux boxeurs
Jack Dempsey et Georges Carpentier, le 2
juillet 1921, illustre à merveille les
principaux aspects de la culture de masse. Le
match nécessite la construction d’une tribune
spéciale pour accueillir les 100 000
spectateurs payants prévus. Le combat est
suivi à la radio par des millions d’Américains
et, de ce côté de l’Atlantique, par une foule
compacte amassée sur les Grands Boulevards
et la place de la Concorde pour suivre les
écrans défilants. Grâce aux câbles sousmarins, les Français n’apprennent la défaite
de leur champion au quatrième round qu’avec
deux minutes de décalage sur les États-Unis.
Les enjeux économiques de ce sport de masse
sont considérables et le vedettariat commence
à toucher les grands sportifs.
Dans un discours, Léo Lagrange entend
défendre le « vrai » sport de masse contre le
sport-spectacle. Il dénonce en effet celui-ci,
présenté comme une dérive, parce qu’il
réserve la pratique sportive à un petit nombre
de « privilégiés » dont les exploits sont mis
en scène. Il semble dénoncer
aussi, dans les deux dernières lignes de cet
extrait, l’exploitation nationaliste du sport,
conçu comme une préparation à la guerre par
certains régimes. Dans cette optique, Léo
Lagrange refusa le projet d’un stade
de 100 000 places et prôna l’aménagement de
petits terrains de jeux exclusivement destinés
à la pratique sportive.
Léo Lagrange incarne, par son destin
tragique, l’idéal inabouti de l’expérience du
Front populaire. Ce socialiste français, soussecrétaire d’État aux Sports et à
l’organisation des loisirs sous le Front
populaire, s’emploie à développer les loisirs
sportifs, touristiques et culturels. Il est à
l’origine de la création du billet populaire de
congés annuels qui accorde 40 % de
réduction sur les transports ferroviaires. Il
crée aussi les auberges de jeunesse. Il
soutient la tenue des Olympiades populaires à
Barcelone, organisées en contrepoint aux JO
de Berlin, instrumentalisés par le nazisme. La
conception du sport de Léo Lagrange refuse
le sport-spectacle promu par la culture de
masse, et dénonce l’instrumentalisation du
sport et la dénaturation de ses objectifs par
les régimes totalitaires.
93
succès sportifs (la finale de la coupe du monde de football en 1930 a été gagnée 4
à 2 par l’Uruguay aux dépens de l’Argentine). D’où l’espoir que le sport devienne
un substitut à la guerre, une sorte de transposition des conflits entre nations sur un
mode pacifique. Les « forces de jeu » neutraliseraient les « forces de combat », «
l’homme nu » (l’athlète) l’emporterait sur le soldat. Si Giraudoux a bien vu
l’importance prise par le phénomène sportif, il semble ici quelque peu optimiste,
négligeant le risque d’une dérive nationaliste. Son raisonnement peut presque être
inversé : loin de se substituer à la force militaire, le sport pourrait préparer la
guerre. L’exploitation du sport par les régimes totalitaires a été patente lors de la
Coupe du monde de football en 1934 (remportée à Rome par l’Italie aux dépens
de la Tchécoslovaquie) et, bien sûr, lors des Jeux olympiques de 1936 à Berlin.
Les Jeux Olympiques peuvent, comme le montre l’exemple de ceux de Berlin,
fournir un support de propagande aux États totalitaires. La photo du podium de
l’épreuve de saut en longueur de 1936 résume à elle seule ces dérives, en
montrant trois représentants des futurs protagonistes de la Seconde Guerre
mondiale saluant leurs drapeaux respectifs au milieu d’une foule faisant le salut
nazi. Les Jeux olympiques de Berlin ont été utilisés par les nazis comme une
gigantesque opération de propagande. Les appels au boycott des Jeux lancés par
tous ceux (notamment aux États-Unis) qui dénonçaient la législation raciste
adoptée par l’Allemagne en 1935 eurent un écho assez faible. Il s’agissait d’abord
de prouver les capacités d’organisation de l’Allemagne et de séduire les
journalistes étrangers. Les aspects les plus brutaux de l’antisémitisme furent mis
en sourdine le temps des jeux et certains opposants furent arrêtés préventivement.
Il s’agissait aussi de prouver la force de la nation allemande à travers les exploits
de ses athlètes. L’Allemagne remporta effectivement les jeux (33 médailles d’or,
26 d’argent, 30 de bronze),
devant les États-Unis, l’Italie et la France. Mais l’athlète noir américain Jesse
Owens gagna quatre médailles d’or (100 mètres, 200 mètres, saut en longueur et
relais 4 x 100 mètres) et Hitler refusa de lui serrer la main. La propagande
exploita systématiquement ces manifestations sportives. Les bannières nazies
étaient plus visibles que les drapeaux olympiques. La confusion fut entretenue
entre le salut olympique et le salut hitlérien. L’idéal sportif fut mis au service de
l’esthétique nazie, qui glorifie la race pure. C’est particulièrement net dans le film
de propagande de Leni Riefenstahl, Olympia, les Dieux du Stade.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
94
HC – Les mouvements artistiques européens de 1850 à 1939
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Quelles transformations la production artistique connaît-elle entre 1850 et 1900 ?
Quelle place tient l’avant-garde artistique ?
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Nicole Tuffelli, L’Art au XIXe siècle, 1848-1905, Larousse, Paris, 1999.
I. F. Walther (dir.), L’Art au XXe siècle, Taschen, Cologne, 2000.
Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture, volume I : Dans l’intimité des oeuvres, volume 2 : Dans le secret des ateliers, collection
Comprendre et reconnaître, Larousse, 2004 et 2006. Très pratique et très complet
Sébastien Clerbois et Catherine Verleysen, Dictionnaire culturel de l’expressionnisme, Hazan, 2002.
Gilles Genty, L’ABCdaire du Symbolisme et de l’Art Nouveau, Flammarion, Paris, 1997.
Laurence Madeline et Dominique Lobstein, L’ABCdaire de l’Impressionnisme, Flammarion, Paris, 1995.
Eric de Chassey et alii, L’ABCdaire des années 1930, Flammarion/Paris Musées, 1997.
Michel Hoog, Cézanne puissant et solitaire, Découvertes Gallimard, Paris, 2006.
Arnauld Pierre, Fernand Léger, peindre la vie moderne, Découvertes Gallimard, Paris, 1997.
Pierre Georgel, Courbet : Le Poème de la nature, Découvertes Gallimard, Paris, 1995.
Xavier Girard, Matisse, « une splendeur inouïe », Découvertes Gallimard, Paris, 1993.
Dir. D. Ottinger, Marcel Duchamp dans les collections du centre Georges Pompidou, Musée d’Art Moderne, Editions du centre
Pompidou, 2001.
Dans la coll. « L’art et les grandes civilisations », Citadelles/Mazenod :
M. BUTOR, (dir.) L’Art des États-Unis, 1992.
F. CACHIN (dir.), L’Art du XIXe siècle 1850-1905, 1990.
J.-P. BOUILLON (dir.), L’Art du XXe siècle 1900-1939, 1996.
Documentation Photographique et diapos :
René Duranton, La révolution Cézanne, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2006.
Alain Jaubert, Les grands modernes, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2001.
Alain Jaubert, La Naissance de l’impressionnisme, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2001.
Alain Jaubert, Du romantisme au réalisme, DVD Palettes, Éditions Montparnasse, 2002.
Revues :
TDC : n° 732 15 Mars 1997 : La sculpture dans la ville au XIXe siècle, n° 767 : 1er Janvier 1999 : L’art et l’objet au XXe siècle :
un dialogue fécond etc.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Il faut, sans sombrer dans l’inventaire fastidieux, construire la chronologie des
principales tendances artistiques de l’époque : l’identification des principales
ruptures permet de comprendre l’émergence des avant-gardes artistiques
successives.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. REALISME ET IMPRESSIONNISME
Accompagnement 1ère : « L’industrialisation
transforme la production culturelle, l’accès à
la culture et les modes d’expression
traditionnels ; en France, les années 18601930 correspondent à un premier âge de la
culture de masse. Mais les données nouvelles
et les bouleversements qu’elles induisent
trouvent aussi leurs répercussions dans une
réflexion originale des penseurs, des
écrivains, des artistes qui traduisent, chacun à
leur manière, à la fois le désarroi devant les
changements et la recherche d’expressions
capables de dire le monde nouveau. S’il
L’académisme
Jean-Léon Gérôme illustre les principaux traits de la peinture académique. La «
Grande peinture » l’est d’abord par son format et par la solennité de ses sujets.
Dans L’Âge d’Auguste, la naissance de Christ (huile sur toile, vers 1852, musée
des Beaux-Arts d’Amiens), pour lequel son auteur a reçu la légion d’honneur,
l’artiste embrasse le thème antique et la scène religieuse avec une virtuosité de
composition qui le dispute à la précision photographique du dessin. On y devine
déjà l’attrait pour les sujets orientaux qui marquera la peinture de l’artiste dans
les années suivantes. En 1864, Jean-Léon Gérôme devient professeur de peinture
à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Il y use de son influence contre les
sujets de sa détestation, Édouard Manet et les impressionnistes. Durement
95
critiqué par Émile Zola, Gérôme perd une grande partie de sa popularité à la fin
de sa vie et sera l’objet des moqueries des avant-gardes ; toutefois, il retrouve les
faveurs de la critique depuis quelques décennies.
Alexandre Cabanel, né à Montpellier en 1823, devient le peintre officiel du
Second Empire et de la IIIe République après avoir suivi les cours des BeauxArts où il exercera comme enseignant. Spécialiste de la peinture d’histoire,
peintre de genre et portraitiste, il acquiert très vite une grande réputation. Il est un
des artistes français les plus décorés et les plus médaillés de son temps et reçoit
des commandes de Napoléon III qui est un de ses grands admirateurs. Attaché à
la tradition classique, il privilégie les harmonies délicates, la finesse du dessin et
des colorations. La Bible, la mythologie, l’histoire ancienne, mais aussi Dante et
Shakespeare servent d’inspiration à une peinture académique, prolifique en
figures de pécheresses et de divinités alanguies.
Même s’il n’a pas laissé une trace immense dans l’histoire de l’art, William
Bouguereau (1825-1905) domine toute la peinture de la deuxième moitié du
XIXe siècle. Sa carrière, marquée par de nombreuses récompenses, par une
élection à l’académie des Beaux-Arts et par un succès continu en particulier aux
États-Unis, suffit à définir ce qu’est l’académisme. Son tableau La Naissance de
Vénus, contemporain de nombreuses oeuvres impressionnistes, montre le goût
dominant à l’époque pour les nudités irréprochablement reproduites en atelier,
pour les sujets mythologiques et pour l’absence complète de recherche formelle.
La rupture du réalisme
Le réalisme constitue une rupture sur plusieurs plans. Rupture esthétique, le
réalisme s’affranchit des canons du Beau académique. Rupture politique
également, dans le choix des sujets. Les humbles investissent le champ artistique.
La révolution réaliste accompagne le mouvement de démocratisation des sociétés
occidentales. Le parcours personnel de Gustave Courbet est ici emblématique.
Rupture, enfin, des artistes avec leurs contemporains. Au milieu du siècle, les
oeuvres de Courbet et Manet sont violemment rejetées. Il faut attendre le dernier
tiers du siècle pour que le mouvement réaliste et naturaliste soit vraiment accepté.
Figure emblématique du réalisme, Gustave Courbet provoque de nombreux
scandales en exposant des peintures comme Un Enterrement à Ornans (1850) ou
l’Origine du monde (1866). Anticonformiste en art comme en politique – son
républicanisme intransigeant le conduit à prendre part à la Commune, pendant
laquelle il propose l’enlèvement de la colonne Vendôme, symbole des victoires
napoléoniennes –, Courbet s’oppose violemment aux normes de l’académisme :
ses peintures montrent la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle doit être
idéalisée. Ses positions rejoignent celles d’écrivains comme Champfleury qui
cherchent à la même époque à imposer le réalisme dans la littérature.
Le réalisme qui occupe une large partie de la production picturale à partir de 1850
veut rendre compte des choses et des êtres tels qu’ils sont, et non tels que les
normes des académies des Beaux-Arts veulent qu’elles soient. D’où le choix,
chez Courbet en particulier, de représenter non des scènes d’atelier, mais des
scènes de la vie ordinaire, non des scènes héroïques, historiques ou
mythologiques, mais des scènes quotidiennes et familières. Le réalisme ne rompt
avec l’idéal de la beauté défendu par les peintres académiques, mais il va le
chercher dans des sujets jusque-là peu représentés par les artistes.
La peinture réaliste choisit ses sujets dans la réalité de la vie et non dans le
répertoire inépuisable de la mythologie et des pages héroïques ou édifiantes de
l’Histoire. Ainsi, pour Un Enterrement à Ornans, Courbet fait poser les habitants
d’Ornans un à un dans son atelier. La procession des 47 personnages constitue un
ensemble sociologique complet, représentatif de la variété du village natal du
peintre : le prêtre, les paysans ou le bourgeois sont des personnages que Courbet
connaissait personnellement. Des membres de sa famille sont représentés
également dans une toile au format jusque-là réservé aux oeuvres académiques.
La peinture réaliste renonce aussi à l’idéalisation de la peinture académique. Un
Enterrement à Ornans sera l’objet de violentes attaques lors de sa présentation au
Salon de 1850-1851. Son auteur sera accusé de peindre « le laid », « le trivial » et
« l’ignoble ». De la même façon, Manet, avec Olympia, dépeint une jeune fille
réelle et non idéalisée. La silhouette est éloignée des canons de la beauté
académique et ce nu qui scrute sans pudeur le spectateur du tableau choque les
convenances de l’époque. D’autant que Manet s’ingénie, à l’évidence, à
rechercher le scandale. Il détourne les codes de la peinture de la Renaissance et
de l’académisme. Il tourne en dérision la peinture française traditionnelle, où sont
s’agit donc d’inscrire culture et arts dans
l’évolution des sociétés, on ne peut le faire de
manière exhaustive : le principal danger est
ici celui de l’énumération sans ligne
directrice. On s’attache donc aux lignes de
forces, en sélectionnant quelques oeuvres
significatives (voire types d’oeuvres – le
roman feuilleton, la peinture reflet et
interprétation de l’âge industriel, etc. – ou
situations), qu’on analyse avec précision pour
en faire des points de repère favorables à la
construction du savoir et de la culture
personnelle des élèves. »
Accompagnement 4è : « L’évolution
culturelle et artistique est liée à l’évolution
économique et sociale sans en être
exclusivement dépendante. Ainsi, la
généralisation de l’alphabétisation coïncide
avec l’ouverture des terroirs mais elle
correspond, aussi, à l’affirmation de l’État.
De même la laïcisation des sociétés n’est pas
un phénomène univoque. Le XIXe siècle
voit, avec le développement des ordres
religieux, des pèlerinages et des missions,
une tentative des Églises pour s’adapter au
monde moderne. De même, dans le domaine
artistique, si la tour Eiffel, édifiée pour
l’Exposition Universelle de 1889 est bien le
symbole de l’âge du fer, les recherches
artistiques, du romantisme au réalisme, de
l’impressionnisme au cubisme, ont une
évolution propre. Dans ce domaine comme
dans d’autres, il faut éviter la nomenclature.
Quelques exemples bien choisis pour leur
forte charge symbolique (cf. les documents
indiqués par le programme) suffisent pour
initier les élèves à la couleur artistique du
siècle. »
Réalisé en 1876, Le Bal du Moulin de la
Galette donne une idée précise des techniques
employées par les impressionnistes. Réalisé
en plein air, le tableau représente une scène
de la vie ordinaire avec des personnages qui,
au
premier plan, ne sont que des amis ou des
connaissances d’Auguste Renoir. Le tableau
n’oppose pas un premier plan net à un second
plan plus flou, la profondeur
vient de la taille et de la disposition des
personnages. Ce sont enfin les différents jeux
de lumière qui permettent d’identifier les
différentes parties du tableau.
Les origines de l’expressionnisme
Très tôt marqué par les influences de la
peinture réaliste puis impressionniste, le
peintre norvégien Edvard Munch n’en est pas
moins également considéré, avec Vincent
Van Gogh, comme l’un des pionniers de la
peinture expressionniste. Le Cri, son tableau
le plus connu, a été, comme beaucoup
d’autres de ses oeuvres, peint en
plusieurs versions permettant d’exprimer
96
souvent représentées des femmes nues, faisant partie d’un harem, et entourées de
serviteurs noirs. La peinture réaliste se distingue donc de la peinture académique
par ses sujets, par ses méthodes, mais aussi par ce goût de la provocation et de
l’impertinence qu’on chercherait en vain dans les oeuvres académiques.
Ces libertés prises avec l’art officiel scandalisent les tenants du « bon goût », qui
restent majoritaires jusqu’à la fin du siècle. On reproche à Courbet d’être un
peintre vulgaire, qui ne choisit que des sujets laids et dénués de toute grâce et qui
ne peint que pour représenter ce qui existe déjà. Le fait que ce peintre soit aussi
engagé en politique qu’en art n’arrange rien : il sera condamné à payer de ses
propres deniers la restauration de la Colonne Vendôme. Ce qui choque le public,
c’est d’abord la trivialité des sujets peints. Peindre des personnages de basse
extraction n’est pas du goût d’un public lettré et cultivé, plus habitué à décoder
les références bibliques ou antiques des oeuvres académiques qu’à se pencher sur
les réalités sociales que donnent à voir les peintres réalistes. De même, le
traitement du sujet, qui refuse toute idéalisation, choque les sensibilités du temps.
On accuse alors souvent les réalistes de peindre le laid. L’Olympia de Manet est
qualifiée d’« odalisque au ventre jaune », tandis que les trognes paysannes de Un
enterrement à Ornans font l’effroi des critiques.
Le réalisme en littérature ne s’impose qu’après 1850. Il est né en réaction à
l’idéalisme romantique et à son introspection individualiste. Il s’épanouit dans le
roman. Les écrivains réalistes s’appuient sur un lourd travail de préparation à
l’écriture, par la prise de notes et le recours à une documentation pléthorique. Ces
écrivains tentent de saisir à la fois une réalité psychologique, incarnée par les
personnages de leurs romans, et une réalité sociale et historique. La littérature ne
doit pas se cantonner aux sentiers balisés de l’écriture bienséante, mais elle doit
tout montrer : bourgeois et ouvriers, provinciaux dévorés d’ambition, prostituées
et femmes déçues par le mariage. Le roman de Flaubert, Madame Bovary, est
d’ailleurs condamné l’année même de sa publication, en 1857, pour son «
réalisme grossier et offensant pour la pudeur ». Zola et les Goncourt pousseront le
réalisme jusqu’à son absolu en créant l’école naturaliste, qui s’applique à décrire
scientifiquement les comportements sociaux et à mettre à jour les lois
scientifiques des destinées sociales. La littérature réaliste, comme la peinture,
constitue bien une rupture avec les règles de l’art jusque-là dominant.
Le réalisme comme courant esthétique apparaît au moment même où les masses
font irruption dans le champ politique avec la Révolution de 1848 et la Deuxième
République. Le souci de Courbet de représenter le plus exactement possible les
anonymes de son village natal résonne comme une métaphore de l’introduction
du suffrage universel. On a pu dire que l’enterrement dont il s’agit est celui de la
démocratie après le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte. La personnalité
engagée de Courbet incline à prendre en considération cette interprétation. De
même, les réalistes veulent s’adresser à ce qu’ils croient être les aspirations
esthétiques du peuple et non au goût policé des élites sociales. En littérature, le
roman naturaliste choisit souvent ses sujets parmi les milieux les plus populaires
des bas-fonds parisiens.
La révolution impressionniste
Le travail des peintres réalistes est poursuivi et amplifié par la génération
impressionniste. La révolution impressionniste achève la démarche réaliste
de diversification des sujets de peinture. Paysages industriels ou non constituent
une part non négligeable de la peinture impressionniste. Les sujets populaires
sont également nombreux, même s’ils ne sont pas dominants. L’essentiel de la
révolution impressionniste réside dans le traitement de la lumière. Les
impressionnistes, influencés par les théories scientifiques de la décomposition de
la lumière, cherchent à rendre la réalité des impressions lumineuses. Si leur
démarche diffère des réalistes, leurs objectifs sont similaires.
Groupés autour d’Édouard Manet, dont les oeuvres comme Le Déjeuner sur
l’herbe font scandale au Salon de 1863, Monet, Renoir ou Pissarro quittent leurs
ateliers et vont chercher en plein air leurs thèmes d’inspiration. Ils peignent en
assemblant de touches de couleur qui restituent le jeu de la lumière. Mais comme
le montre l’extrait de l’analyse de Zola qui fut l’un de leurs plus chauds partisans,
les impressionnistes se démarquent du réalisme par leur refus du détail. Leurs
peintures heurtent à ce point le goût dominant pour l’académisme qu’après avoir
provoqué de nombreux scandales dans les années 1870, elles ne trouvent que très
peu d’acheteurs jusqu’à la fin du siècle.
L’impressionnisme, qui s’impose à partir des années 1870, introduit une nouvelle
toutes les facettes des impressions de l’artiste.
La déformation des contours du paysage, le
ciel rougeoyant, l’immobilité de
la partie gauche du tableau, tout concourt à
rendre présente l’angoisse du personnage
central. Munch pourrait avoir peint ce tableau
à la suite de l’éruption du volcan
Krakatoa, en Indonésie, en 1883.
Témoin et acteur de la Première Guerre
mondiale et de l’échec de la révolution
spartakiste, spectateur impuissant de la
montée du nazisme, Georg Grosz offre
l’exemple d’une avant-garde engagée dans
les débats de son temps. Favorable à la
révolution bolchevique et converti au
communisme, il considère son art comme un
moyen d’action politique. Il ne cesse de
dénoncer ce qu’il perçoit comme les
hypocrisies fondamentales de l’ordre établi,
en dépeignant avec cruauté des bourgeois
ventripotents et des militaristes hargneux.
D’abord influencé par le mouvement
futuriste, il rejoint le groupe dada berlinois
dès la fin de la Première Guerre mondiale.
Dans Metropolis (huile sur toile, 1916-1917,
musée Thyssen-Bornemisza, Madrid), Grosz
s’empare d’un sujet pictural devenu classique
à l’ère industrielle, la grande ville. Il traite
cependant son sujet avec un sens de la
dissonance et de la rupture qui inscrit son
oeuvre dans la tradition angoissante de
l’expressionnisme et annonce les prémisses
de la Neue Sachlichkeit. Le réverbère central,
à connotation christique, sépare les lignes de
fuite d’une ville tentaculaire à la modernité
oppressante, parcourue et animée de
personnages cadavériques grisés par la
vitesse. Dans Metropolis, les lignes
s’enchevêtrent, les figures dessinées au trait
se superposent avec des effets de
transparence, suggérant la simultanéité des
différents événements représentés. Dans le
chaos urbain, qui semble vouloir déborder de
la toile, s’entrechoquent vols, assassinats,
membres sectionnés, accidents… L’espace
exigu de la ville paraît cristalliser toute la
folie individuelle et collective des hommes.
Les figures verdâtres et effrayantes des
hommes qui s’agitent frénétiquement sur la
toile reflètent le « dégoût absolu des hommes
» et le mépris pour la « masse » que ressent
l’artiste. Véritable « apocalypse
», la ville avec ses lumières, ses réclames, ses
tramways, se transforme en nouveau champ
de bataille, écho désespérant du conflit
international qui se joue alors.
L’artiste emprunte à l’expressionnisme ses
lignes obliques, ses angles tranchants et
aigus, ses déséquilibres. Combinés à des
couleurs dissonantes et sanglantes, ils
révèlent le désespoir de l’artiste face à son
temps et sa terrible angoisse existentielle. Au
futurisme, G. Grosz emprunte l’esthétique du
mouvement, la superposition
97
rupture en allant chercher, en plein air, des sujets permettant de restituer le jeu de
la lumière et des couleurs dans toute sa complexité. Les impressionnistes tournent
ainsi le dos à l’académisme en revendiquant une complète liberté de l’artiste,
dans le choix de ses thèmes et dans la manière dont il les traite.
La peinture impressionniste délaisse les sujets historiques ou mythologiques et
renouvelle profondément les thèmes de la peinture pour rendre compte du monde
contemporain. La peinture impressionniste se veut une peinture réaliste et, pour
cela, les sujets de la vie quotidienne lui sont naturels. Les impressionnistes
affectionnent autant les paysages de la modernité urbaine que les paysages
immuables d’une campagne qui est déjà devenue pour eux un espace récréatif.
Pour autant, ils ne renoncent pas au portrait et peignent les lieux de la vie, que ce
soit les espaces de divertissement ou les espaces de travail. L’alternance du
labeur et du loisir, les paysages de la nouvelle modernité industrielle forment les
sujets prépondérants de la peinture impressionniste.
Peindre en plein air est une nécessité vitale pour les impressionnistes. Le nouveau
réalisme des impressionnistes cherche à capturer l’instant d’une réalité
environnante. Les impressionnistes travaillent au chevalet, sur motif, et fondent
leur travail sur la rapidité de l’exécution. Les tableaux sont proches de l’esquisse,
afin de saisir l’impression fugitive que les conditions naturelles mettent en place.
La peinture en plein air est aussi indispensable dans la mesure où le peintre
cherche à transcrire l’impression que la scène lui procure. Cette peinture des
sensations nécessite une mise en contact avec le sujet.
Les impressionnistes mettent en oeuvre de nouveaux procédés picturaux : ils
utilisent les tons clairs, en particulier pour les ombrages et la division des tons (un
orange est représenté par la juxtaposition de deux couleurs pures, le rouge et le
jaune). Ils abandonnent le dessin-contour et mettent en place les volumes et les
formes par des touches de pinceaux et de couleur, ce que Laforgue appelle les «
vibrations colorées ». La composition des tableaux est aussi plus photographique.
Les impressionnistes renoncent à la composition classique des tableaux définie
depuis la Renaissance et semblent capturer l’instant des scènes peintes.
C’est en 1874 que de jeunes peintres indépendants, refusés dans les Salons
officiels, décident de se constituer en société anonyme et d’organiser une
exposition dans les ateliers du photographe Nadar. La manifestation provoque
un scandale retentissant et donne tout loisir aux critiques de manifester leur
mépris. L’impressionnisme a d’abord choqué par son refus du dessin, qui est
alors la clé de voûte de la peinture académique et même réaliste. Émile Cardon
résume la pensée des critiques en affirmant qu’il s’agit « de la négation des règles
les plus élémentaires du dessin et de la peinture ». On reproche ainsi aux
impressionnistes de vouloir exprimer leurs impressions picturalement. Malgré la
persistance des attaques malveillantes, sept autres expositions sont organisées
sous cette étiquette, dont la dernière a lieu en 1886.
Dès les années 1860, le terme « impression » est au coeur de toutes les
conversations des jeunes peintres, qui se retrouvent autour d’Édouard Manet. La
vision en plein air, continuellement transformée par le jeu de la lumière,
l’impression fugitive deviennent pour eux le véritable sujet à peindre. Mais le
terme « impressionnisme » a d’abord été un quolibet de la critique. La première
exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs
s’ouvre le 15 avril 1874 dans l’ancien studio du photographe Nadar, boulevard
des Capucines. Elle regroupe les oeuvres de Degas, Guillaumin, Monet, Berthe
Morisot, Pissarro, Boudin, Sisley et Renoir. C’est lors de cette exposition que
Monet présente pour la première fois cette vue de l’ancien avant-port du Havre,
sa ville natale. Sous la pression du frère de Renoir, Edmond, qui lui demandait de
donner un titre à ce tableau pour le catalogue, Monet aurait répondu : « Mettez :
Impression ». Ce titre va donner son nom au mouvement impressionniste dont les
peintres de l’exposition de 1874 sont les principaux représentants : voulant
ironiser sur le travail des peintres qui y exposent, le critique Louis Leroy publie
dans Le Charivari un article intitulé « L’Exposition des Impressionnistes »,
donnant ainsi son nom au courant qui va révolutionner la vie artistique de son
époque. Les réactions des visiteurs et des critiques d’art, d’une grande violence,
sont à la hauteur de la rupture artistique majeure qu’ont incarnée ces peintres.
Les impressionnistes cherchent à travers leurs oeuvres à restituer la perception
dans l’instant même où elle se produit. Le groupe de peintres indépendants
gravitant autour de Monet s’est ensuite ironiquement attribué ce qualificatif, qui
définissait si bien l’état d’esprit de cette nouvelle peinture et de ces hérauts.
Les impressionnistes doivent subir des reproches : ils ne savent pas peindre,
des formes géométriques et les effets de
transparence, qui confèrent à son tableau
toute la violence et la force d’une
invraisemblable et terrifiante bousculade.
LES DEMOISELLES D’AVIGNON
Le tableau a été peint par Picasso entre 1906
et 1907. Il est l’un des manifestes du
mouvement cubiste. Dans ce tableau
représentant l’intérieur d’un bordel,
on distingue nettement deux ensembles : la
partie gauche, comprenant le groupe des trois
femmes debout, exposant leur corps sans la
moindre pudeur ; la partie droite, comprenant
les deux autres femmes, matérialisée par un
rideau bleu à l’arrière-plan. L’ensemble de
l’oeuvre semble progresser de la gauche vers
la droite. La partie gauche montre des
femmes aux contours faiblement géométrisés.
Seuls les visages subissent des déformations ;
la partie droite présente au contraire des
femmes presque abstraites, dont les visages
n’ont presque plus rien de réel : on sait que
Picasso est, à cette époque, fortement inspiré
par les masques africains. L’arrière-plan
semble suivre les mêmes déformations :
presque neutre dans la partie gauche, il est
violemment travaillé dans la partie droite.
Toute la progression du tableau proclame
l’ambition du mouvement cubiste de
représenter un objet ou un personnage sous
plusieurs angles à la fois. Les figures et le
décor de la partie droite de l’oeuvre montrent
un abandon de toute perspective et une
désorganisation systématique de l’espace,
alors que la partie gauche reste encore proche
d’une représentation schématisée de la
réalité. Les innovations de cette oeuvre furent
mal reçues non seulement par les critiques et
les spectateurs les plus conservateurs, mais
aussi par les propres amis de Picasso,
effrayés par tant d’audace. Il faudra de
longues années pour les voir acceptées.
Cette huile sur toile de grand format (245,7 x
233,7 cm), conservée au Museum of Modern
Art de New York, est une oeuvre majeure de
l’histoire de l’art moderne. Elle marque en
effet la naissance d’un nouveau mouvement
artistique dont l’impact va s’avérer
considérable : le cubisme. Pablo Picasso
(1881-1973), d’origine espagnole, se
consacre entre 1901 et 1905 à des toiles aux
marges de l’expressionnisme : les oeuvres de
ses périodes bleue et rose, qui révèlent une
certaine angoisse existentielle, contiennent
une critique sous-jacente des valeurs
bourgeoises et de l’ordre établi. Installé à
Paris au Bateau-Lavoir à partir de
1904, le peintre découvre dans cette période
l’art nègre et l’art archaïque de la
Méditerranée, qui vont le conduire à
s’engager dans une démarche de rupture avec
ses précédentes oeuvres et avec toutes les
normes esthétiques traditionnelles de l’art. En
98
confondent les couleurs entre elles, leurs tableaux ne sont que des barbouillages
enfantins. Ces accusations, banales lorsque les impressionnistes commencent à
exposer leurs toiles dans les années 1870, ne se raréfient pas vraiment à la fin du
siècle. La plupart des artistes impressionnistes terminent leur vie dans la misère,
faute d’avoir pu vendre correctement leurs tableaux.
Même s’ils sont en en butte aux mêmes critiques, réalistes et impressionnistes
présentent aussi de profondes divergences : Courbet ou Caillebotte prétendent
restituer la vie quotidienne dans ses moindres détails, quand les impressionnistes
rejettent cette minutie pour pouvoir représenter leurs sujets dans leur ensemble ;
les réalistes veulent aussi retrouver la beauté dans la réalité la plus triviale, quand
les impressionnistes abandonnent cette prétention au profit d’une recherche plus
formelle. Enfin, les réalistes ont une prédilection pour les portraits, quand les
impressionnistes s’attachent surtout aux paysages.
II. APRES L’IMPRESSIONNISME ET CONTRE L’IMPRESSIONNISME
Après l’impressionnisme : la couleur de Van Gogh…
Peintre hollandais initialement inspiré par l’impressionnisme, Van Gogh vient
s’installer en Provence en 1888. Sa découverte de la lumière méditerranéenne
bouleverse sa conception de la peinture, désormais fondée sur la quête de la
couleur la plus vive et la plus pure. Ce tournant décisif sépare Van Gogh de
l’impressionnisme, puisqu’il le conduit à abandonner progressivement toute
prétention réaliste pour ne peindre que les effets de lumière et de couleur. Le
suicide de l’artiste met un terme à l’oeuvre de Van Gogh en 1890.
… les formes géométriques de Cézanne
Le début de l’oeuvre de Cézanne est, comme celui de l’oeuvre de Van Gogh,
marqué par les impressionnistes (Pissarro, surtout) avec qui il expose des toiles
en 1874. Lié à Émile Zola depuis l’enfance, il défend avec lui les principes
artistiques de l’impressionnisme avant de s’en séparer dans les années 1880. Il
s’installe dans la région d’Aix-en-Provence et y peint les 80 tableaux de la
montagne Sainte-Victoire : sa peinture, de plus en plus dépouillée, cherche à
atteindre la forme des choses et se débarrasse donc, elle aussi, de toute prétention
réaliste. Il meurt en 1906 après avoir influencé plusieurs générations d’artistes.
Nul autre que Cézanne ne peut prétendre mieux incarner cette charnière entre
l’art du XIXe siècle et celui du XXe siècle. Après une période impressionniste,
marqué par une œuvre majeure, La maison du pendu, où s’exprime déjà
l’originalité du peintre à l’égard de ses condisciples, Cézanne renonce assez vite à
traduire les impressions de ses observations et s’attache davantage à exprimer ses
sentiments. Cézanne dépasse l’impressionnisme sans jamais en renier certains
enseignements. Il cherche à rompre avec la perspective traditionnelle et choisit de
peindre selon une pluralité de points de vue, qui tranche avec les pratiques de
l’époque. En rupture avec des conventions respectées depuis la Renaissance,
Cézanne s’attache à construire et déconstruire les volumes de ses paysages. La
série La Montagne Sainte-Victoire regroupe plus de 80 tableaux. Après 1900,
Cézanne en donne une nouvelle image. La difficulté à analyser l’une des
dernières versions (conservée au musée de Zurich) tient à notre connaissance des
« montagnes » antérieures, de factures plus lisibles. Or, ici, point de paysage
réellement identifiable. La montagne est seule reconnaissable. Tout juste peut-on
identifier le volume d’une maison tandis que la végétation est reproduite par des
aplats définissant des volumes colorés. Dans le ciel, des taches vertes marquent
une volonté de coloration arbitraire. L’art visionnaire de Cézanne annonce déjà le
cubisme et même l’abstraction.
Cézanne et Van Gogh sont avant tout des héritiers de l’impressionnisme, dont ils
retiennent le choix des sujets, le traitement de la couleur et de la lumière, la
même aversion pour les codes académiques et le « bon goût » officiel. Mais ils se
détachent aussi de cette école, par la priorité donnée à la couleur par l’un et à la
forme par l’autre. À partir de son séjour en Provence, la peinture de Van Gogh,
littéralement ébloui par la lumière provençale, devient une quête éperdue des
couleurs les plus pures et des contrastes les plus violents, ce qui l’amène à
davantage représenter les couleurs que la réalité elle-même. À partir du même
point de départ, Cézanne emprunte une voie différente : son éloignement
progressif de l’impressionnisme se matérialise par une géométrisation croissante
de sa peinture, la représentation de la réalité s’effaçant de plus en plus derrière la
recherche de la forme la plus parfaite.
1906, il réalise un portrait de Gertrude Stein
qui semble déjà marquer l’amorce vers le
cubisme. Mais c’est en juillet 1907 avec Les
Demoiselles d’Avignon qu’il révolutionne la
composition et la perspective classiques et
qu’il crée sa propre démarche plastique.
L’oeuvre représente cinq prostituées nues
dans une maison close et devait avoir
originellement pour titre Le Bordel
d’Avignon ou Le Bordel philosophique (elle
ne prendra son titre actuel qu’en 1916, sous
l’impulsion d’André Salmon). Le terme «
d’Avignon » fait ici allusion à la carrer
d’Avinyo, rue
chaude de Barcelone dont Picasso gardait le
souvenir. Picasso s’inspire, pour composer ce
tableau, de la partie gauche du Jugement de
Pâris de Raphaël (fresque qui avait déjà
inspiré à Manet son Déjeuner sur l’herbe) : à
l’origine, deux hommes, clients des
prostituées, devaient aussi figurer dans
l’oeuvre, mais, après une série d’études,
l’artiste choisit de les écarter de la toile,
rejetant l’aspect narratif classique pour ne se
concentrer que sur les innovations
formelles de son oeuvre. S’appuyant sur l’art
primitif africain et ibérique, mais
aussi sur les oeuvres de Cézanne, Picasso
trouve, à travers cette toile, une nouvelle
forme de liberté artistique en réduisant ses
figures à de simples épures géométriques
et en remettant en cause les normes
traditionnelles de la perspective. Il inaugure
ainsi une nouvelle esthétique plastique
appelée à révolutionner l’art moderne.
La tenture qu’écarte la figure féminine de
droite marque une diagonale qui semble
diviser le tableau en deux parties. La partie
gauche représente trois femmes dont l’aspect
reste encore partiellement réaliste (deux en
position frontale, une de profil) sur un fond
sans profondeur. Cette zone du tableau, dans
les teints bistres, est la plus lumineuse et la
plus sereine. Elle s’oppose à la partie droite,
plus sombre et plus inquiétante, où les
visages et les corps des femmes sont
totalement déformés et le décor
fragmenté en « tessons brisés » qui remettent
en cause la perspective. Entre les deux parties
trône une nature morte avec une pastèque aux
airs de faux, qui semble à la
fois suggérer la menace de la mort et la
rupture entre les deux parties de l’oeuvre.
Les visages des femmes sont déformés : au
lieu de volumes arrondis, ils sont composés
de plans plats, d’angles aigus et fragmentés.
Leurs yeux sont déformés et asymétriques.
Des parties de leurs figures sont représentées
de façon frontale, d’autres de profil. Les têtes
des deux personnages de droite sont
transformées en masques africains. Les corps
sont schématisés sous forme de volumes
géométriques sommairement taillés.
L’espace, où toute profondeur est abolie, est
divisé par de larges aplats de couleurs en
99
Contre l’impressionnisme, le symbolisme et l’Art nouveau
Comme Van Gogh et comme Cézanne, Gauguin est profondément marqué par la
révolution impressionniste : il expose d’ailleurs ses premières toiles en
compagnie de celles de Pissarro et de Renoir. Il se détache progressivement de
cette première influence : installé en Bretagne à partir de 1886, il devient le chef
de file de l’École de Pont-Aven, recherchant à faire apparaître le sens caché des
choses au-delà de leur apparence. Cette quête symbolique s’amplifie, après un
bref séjour aux côtés de Van Gogh dans le sud de la France, lorsque Gauguin part
s’installer à Tahiti puis aux îles Marquises. Profondément influencé par ce nouvel
environnement, Gauguin produit des chefs-d'oeuvre comme D'où venons-nous ?
Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
Paul Gauguin mena une vie de contrastes, passant du métier de marin à celui
d’agent de change et ne découvrit que tardivement la peinture. Principale
personnalité d’un groupe de peintres expérimentaux connus comme l’école de
Pont-Aven, inspirateur des nabis, il cherche son inspiration dans l’art indigène et
les estampes japonaises. Une amitié tumultueuse le lie quelque temps à Vincent
Van Gogh, mais l’essentiel de sa carrière de peintre se déroule à Tahiti et aux Îles
Marquises qu’il rejoint pour fuir la civilisation européenne. Sa peinture se
caractérise par l’utilisation de grandes surfaces de couleurs vives dont
l’expressivité est particulièrement travaillée. La plupart des éléments du tableau
sont peints en une seule teinte, en particulier le chien rouge au premier plan, et les
détails sont effacés au profit d’un travail par aplats : la couleur emplit des
surfaces aisément délimitables qui s’encastrent comme les pièces d’un puzzle,
héritage de sa période dite du « cloisonnisme » où le peintre s’inspire des vitraux
médiévaux.
La peinture de Gauguin se démarque de celles de Cézanne et de Van Gogh par un
abandon relatif de la quête de la lumière et de la forme que poursuivent ses
contemporains. Gauguin, lui, reste fidèle à la recherche de la signification qui
oriente presque toute son oeuvre. D’où un retour à la netteté des formes et des
jeux sur les couleurs qui s’opposent aux orientations prises par les peintures de
Cézanne et de Van Gogh. Même si elle se forme au contact des impressionnistes,
la peinture de Gauguin se démarque du style de ces derniers. La netteté du trait
est un premier aspect de cette rupture: en revenant à des contours de plus en plus
marqués, Gauguin rompt avec l’orientation majeure de la peinture
impressionniste qui cherche au contraire à reproduire les vibrations de la lumière.
Le choix des couleurs en est un autre, Gauguin revendiquant la même liberté du
choix des couleurs que Van Gogh, avec qui il vient travailler en Arles. Le choix
des sujets en est un dernier : à la différence des impressionnistes qui choisissent
leurs sujets en fonction de leur capacité à rendre le plus grand nombre de jeux de
lumière, Gauguin choisit les siens pour leur capacité à donner à réfléchir, pour les
significations cachées qu’ils peuvent permettre de dévoiler.
Peintre autrichien initialement proche de l’académisme, Gustav Klimt se
démarque brutalement de ce dernier en fondant, avec d’autres artistes, le
mouvement de la Sécession. Ses oeuvres majeures – Le Baiser, Judith ou les
fresques de la Beethoven Frise – sont dénoncées par la critique mais sont autant
de manifestes du symbolisme et de l’Art nouveau qui triomphent en Europe
autour de 1900. Le tableau du Baiser représente un couple enlacé dans un parterre
fleuri et entouré d’un vêtement doré. Les mains et les visages suffisent à faire
apparaître l’intensité de la passion amoureuse qui unit les deux personnages et à
en donner une image parfaitement idéalisée.
III. LES INNOVATIONS ARTISTIQUES DANS LA PREMIERE MOITIE DU
XXE SIECLE
La notion d’art moderne réunit une multiplicité de courants ou d’écoles
artistiques fort divers.
Les années 1900-1914 sont d’abord marquées par une « révolution de la couleur
», marquée par l’apparition du fauvisme et de l’expressionnisme. Les mêmes
années voient également se mettre en place une « révolution de la forme »
exprimée par le mouvement cubiste puis par l’art abstrait. Les années qui suivent
la Première Guerre mondiale voient apparaître des mouvements qui, comme le
surréalisme, ramènent les artistes vers l’engagement politique.
On peut parler d’une véritable « révolution artistique » entre 1900 et 1914, car les
années de l’avant-guerre voient apparaître, avec le fauvisme, l’expressionnisme et
le cubisme, les premières manifestations de « l’art moderne ». Jusque-là, seuls
fragments anguleux.
Les visages des figures de droite ont
l’apparence de masques africains effrayants,
tandis que la figure féminine située à gauche
du tableau semble prolonger les travaux de
Picasso sur l’art ibérique préroman. Dans les
années qui ont précédé la réalisation de cette
toile, Picasso a visité l’exposition de
sculptures ibériques préromanes d’Osuna
et de Cerro de los Santos au Louvre (1906) :
cette découverte influence considérablement
son oeuvre. Fasciné par l’art primitif
ibérique, Picasso l’est aussi par l’art nègre,
comme nombre d’autres artistes de son
époque. En 1907, il découvre les collections
d’art africain du musée du Trocadéro et il
réalise lui-même plusieurs sculptures
inspirées de cet art. Suite à cette visite, il
remanie sérieusement les esquisses qu’il avait
faites pour Les Demoiselles
d’Avignon et radicalise la déformation des
visages et des corps qu’il avait entreprise.
L’utilisation de cette esthétique africaine
prend valeur d’exorcisme, dans l’esprit de
Picasso : ces masques avaient pour fonction
une protection magique contre les
mauvais esprits, et Picasso semble ici faire
allusion à la menace des terribles maladies
sexuelles qui planait sur les populations de
l’époque. Il associe ainsi plaisir sexuel et
mort. Il trouve également une nouvelle façon
de représenter la figure et utilise la valeur
expressive des masques africains pour
suggérer l’essence violente et instinctive de
ses personnages.
Picasso remet ici en cause les règles de
perspective et le principe d’unité du style
classique. La perspective linéaire est abolie,
les points de vue multipliés et les plans
décomposés : il pose ainsi les bases du
cubisme. Mais il remet aussi en cause les
bases de la « belle peinture » et du réalisme
: il fait surgir une forme de sauvagerie
primitive qui instille une vision dramatique et
inquiétante, donnant à la peinture une
nouvelle dimension. Les couleurs, violentes,
et l’usage des masques africains, prolongent
d’une autre manière sa démarche aux marges
de l’expressionnisme. Le rapport entre le
public et l’oeuvre se trouve aussi
bouleversé par la démarche cubiste de
Picasso. Quand Matisse, Apollinaire, Derain
et Braque, ses contemporains, découvrent
l’oeuvre du jeune Picasso, ils y perçoivent un
véritable « terrorisme » : « c’est comme si tu
voulais nous donner à boire du pétrole pour
cracher du feu », aurait dit Braque. L’oeuvre
n’est présentée qu’aux proches de
l’artiste et restera dans son atelier jusqu’en
1939, où elle sera pour la première fois
exposée en public.
L’art abstrait
Artiste hollandais actif jusqu’à sa mort en
1944, Mondrian pousse jusqu’à ses plus
100
quelques artistes étaient parvenus à s’abstraire de la contrainte la plus importante
imposée à l’art « classique », c’est-à-dire la nécessité d’imiter ou de représenter la
réalité. Même lorsqu’ils peignent des allégories, des scènes religieuses ou
mythologiques, les artistes classiques ont toujours une vision concrète de ce
qu’ils représentent. Les artistes modernes s’affranchissent de cette contrainte en
peignant, comme le dit Matisse, non plus avec de la couleur, mais la couleur ellemême, ou comme le montre Picasso, en rompant complètement avec la réalité. La
libre utilisation des couleurs, un autre agencement des formes permet à l’artiste
de montrer ce que la réalité ne permet pas d’apercevoir.
Les mouvements artistiques des années 1900-1914 sont très proches les uns des
autres par l’extraordinaire liberté qu’ils donnent aux artistes, désormais affranchis
de la nécessité de suivre les contours ou les couleurs fournies par la réalité. Ces
mouvements artistiques se rejoignent aussi par l’abandon des règles de la
composition classique : les oeuvres de Matisse, de Kirchner ou de Picasso, sont
marquées par un abandon complet de la perspective qui organise la peinture
occidentale depuis le XVe siècle. Le fauvisme comme l’expressionnisme et le
cubisme donnent par là la plus grande importance aux impressions et aux
sentiments de l’artiste qui y trouve la matière même de ses oeuvres. Le terme
même d’ « expressionnisme » découle de cette nouvelle priorité.
Le fauvisme en France
En 1905 et en 1906, à la demande du marchand d’art Ambroise Vollard, André
Derain (1880-1954) entreprend deux voyages à Londres, où il est bientôt rejoint
par son ami de Vlaminck. Les deux artistes reviennent alors d’un long séjour à
Collioure, en 1905, séjour qui leur a inspiré un tournant pictural radical : ils
inaugurent là-bas l’usage de couleurs pures, dont ils font un nouveau langage.
Leurs toiles vives et lumineuses, exposées au Salon d’automne de 1905 parmi les
oeuvres de Matisse, Van Dongen, Manguin, Valtat, font scandale et donnent
naissance à un nouveau courant artistique : le fauvisme. C’est le critique Louis
Vauxcelles qui, en comparant ironiquement le Salon de 1905 à une « Cage aux
fauves », donne son nom à la nouvelle tendance picturale alors inaugurée.
Initialement « peintre du dimanche », Henri Matisse ne commence sa carrière
artistique qu’autour de trente ans, dans les années 1890. Cela ne l’empêche pas de
réaliser une oeuvre colossale, dont la production ne s’arrête que dans les années
1950. L’apport essentiel de Matisse à l’art du début du XXe siècle est
évidemment l’affirmation du fauvisme, marqué par de larges aplats de couleurs
vives, cernés par d’épais traits noirs. Pour les besoins de son oeuvre, Matisse
réside dans des lieux offrant une grande luminosité, dont la petite station catalane
de Collioure.
Le fauvisme est une tendance de la peinture moderne, apparue en réaction à la
douceur de la peinture impressionniste. Ces peintres désirent séparer la couleur de
sa référence à l’objet et libèrent sa force expressive. Plusieurs procédés sont
utilisés, comme la simplification et l’accentuation des formes, l’autonomisation
relative de la couleur, et l’agressivité perceptible. Ils réagissent de manière
provocatrice contre les sensations visuelles de l’impressionnisme et répondent
avec audace au défi de la reproduction photographique. La représentation
simplifiée et aplatie de sujets divers, paysages ou portraits, les relie encore à la
tradition figurative. Henri Matisse est considéré comme le chef de file de ce
mouvement qui débute en 1905 et dure moins de dix ans. Le fauvisme a inauguré
une révolution de la couleur portée par Matisse : « Le fauvisme est venu du fait
que nous nous placions tout à fait loin des couleurs d’imitation et qu’avec les
couleurs pures nous obtenions des réactions plus fortes ».
L’expressionnisme en Allemagne
Le fauvisme a eu une profonde influence sur les mouvements allemands Die
Brücke et Der Blaue Reiter qui marquent la naissance de l’expressionnisme
allemand. Rue à Dresde est la première toile expressionniste de Kirchner qui,
jusqu’alors, privilégiait les nus de facture plus classique. Les couleurs vives sont
ici utilisées pour leur pouvoir expressif. Le sol du trottoir est rose tandis que, sur
la masse des personnages, sont utilisées des couleurs plus sombres. Un visage de
jeune bourgeoise est même intégralement vert. La frontalité panoramique des
personnages évoque aussi l’influence du peintre norvégien Edward Munch et ses
figures fantomatiques. Si Kirchner s’inspire pour ses couleurs et l’ondulation de
ses personnages du fauvisme, il s’en distingue par le choix volontairement
moderniste du sujet, la grande ville et son foisonnement. L’expressionnisme n’est
extrêmes limites les principes du cubisme.
Rejetant toute idée d’inspiration
émotionnelle, il construit ses peintures avec
la plus grande rigueur géométrique en
multipliant des formes rectangulaires
remplies de couleurs primaires. Proche de
Kandinsky et de Malevitch, Mondrian est
l’un des fondateurs de l’art abstrait
L’engagement des artistes
Guernica, la peinture la plus célèbre de
Picasso, est la « description » du massacre de
la population de cette petite ville basque par
l’aviation allemande. Combattant aux côtés
des troupes nationalistes du général Franco,
les aviateurs de la Légion Condor
bombardent le 26 avril 1937, un jour de
marché, la ville de Guernica dans le seul but
d’expérimenter l’efficacité de leurs bombes
au phosphore. Ce bombardement, qui aurait
fait près de 1000 morts, provoque une
indignation générale. Picasso, déjà favorable
au gouvernement du Frente Popular, exprime
immédiatement son horreur en réalisant en
noir et blanc cette vaste fresque de 8 mètres
de long et 3,5 mètres de haut montrant les
corps déchiquetés des habitants de la ville.
CONFRONTER DES DOCUMENTS :
A. LA TABLE SERVIE
B. LA DESSERTE ROUGE
Les deux tableaux ont été réalisés par le
même artiste, Henri Matisse, l’un en 1897,
l’autre en 1908. Leur confrontation permet
d’isoler l’un des moments clés de la
naissance de l’art moderne.
Ces deux tableaux ont également le même
sujet : une femme – manifestement une
domestique – s’affairant autour d’une table
de salle à manger. De nombreux éléments
apparaissent à l’identique sur ce tableau : le
tablier blanc de la femme, les carafes, les
fleurs, les fruits, mais aussi la fenêtre de la
salle à manger.
Le premier des deux tableaux semble
beaucoup plus précis que l’autre puisqu’on y
trouve les couverts d’un repas qui ne figurent
pas dans le deuxième tableau. Le premier
tableau comporte également un arrière-plan
avec des chaises et un tableau qui ne figurent
pas dans le deuxième tableau qui montre, en
revanche, un motif floral sur le mur absent du
premier tableau. Dans le premier des deux
tableaux, la scène de La Table servie est
représentée de manière assez réaliste. C’est
aussi bien en utilisant a perspective qu’en
multipliant les détails précisément reproduits
que Matisse donne une impression de réalité.
Celle-ci est totalement absente du tableau de
La Desserte rouge, où la perspective a
pratiquement disparu et d’où de nombreux
détails ont été éliminés. Le premier des deux
tableaux peut s’apparenter au postimpressionnisme, dans la mesure où le travail
de Matisse porte davantage sur les couleurs
101
pas né de la Première Guerre mondiale comme l’affirme une idée reçue
solidement ancrée en France. Il veut être la projection d’une subjectivité qui
déforme la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Ce
mouvement est une réaction à l’impressionnisme français. Alors que
l’impressionnisme veut décrire la réalité physique, l’expressionnisme la soumet
aux états d’âme de l’artiste.
Les artistes qui appartiennent à ce mouvement veulent surtout rompre avec
l’impressionnisme encore dominant dans leur pays. Ils utilisent les mêmes
techniques que les fauves français, mais subissent aussi d’autres influences, les
plus importantes étant celles de Van Gogh ou de Edvard Munch. Ce courant
multiplie les portraits chargés de violents contrastes de couleurs. Les principaux
centres de l’expressionnisme allemand se trouvent à Dresde et à Munich.
La révolution de la forme : le cubisme
Pour traduire l’impression subjective du peintre, la révolution cubiste s’engage
sur d’autres voies que les fauves ou les expressionnistes. Le Viaduc à l’Estaque
de Georges Braque doit être rapporté aux préceptes de Paul Cézanne – « traiter la
nature par le cylindre, la sphère, le cône » –, auxquels Braque rend ici un subtil
hommage. Les cubistes cherchent à s’approprier le réel et à le représenter en
combinant sur une toile une multiplicité de points de vue. Le travail du peintre
malmène la perspective et cherche à atteindre la réalité de l’objet au-delà de sa
visibilité immédiate. L’artiste ne cherche plus à copier la nature, mais à la
décomposer en masses pour la recomposer sous un regard englobant. Les cubistes
restent aux limites du figuratif sans franchir le pas de l’abstraction.
Artiste prolifique et inclassable, Pablo Picasso traverse pratiquement toute la
peinture du XXe siècle. Il arrive d’Espagne à Paris en 1904 et y réalise nombre de
tableaux déjà importants, classés en « période bleue » de 1901 à 1903 puis en «
période rose » de 1904 à 1907. Mais sa première contribution à la naissance de
l’art moderne est la naissance du cubisme à l’occasion de la réalisation des
Demoiselles d’Avignon. Il sera ensuite, successivement ou simultanément,
surréaliste, pacifiste et proche du parti communiste. Son oeuvre Violon et raisins
est particulièrement représentative du cubisme. Le nom de ce mouvement est,
comme ceux de l’impressionnisme et du cubisme, dû à un détracteur du
mouvement qui accusait Georges Braque de vouloir réduire toute la réalité à des
« petits cubes ». Pourtant la géométrisation de la peinture n’est pas une création
des cubistes qui ont été, sur ce terrain, devancés par Cézanne. La véritable
originalité des œuvres produites par le mouvement est, bien davantage, de
pouvoir montrer, simultanément, plusieurs facettes d’un même objet. Le tableau
de Picasso montre ainsi un violon systématiquement, et presque scientifiquement,
décomposé.
Si les oeuvres fauves, expressionnistes et cubistes se rejoignent sur la nécessité de
donner à voir ce que la réalité ne permet pas de voir, elles s’écartent les unes des
autres sur les moyens de parvenir à cet objectif commun. Fauves et
expressionnistes se démarquent par un recours beaucoup plus systématique au
paysage, pour les uns, et aux portraits pour les autres. Les uns et les autres, unis
par un usage similaire d’aplats de couleurs très vives soulignés par de larges traits
noirs, se démarquent du cubisme par une apparence de composition classique.
C’est cette dernière que Picasso ou Georges Braque font, au sens propre du
terme, voler en éclats en utilisant toute la surface du tableau pour représenter le
plus grand nombre possible d’aspects d’un même objet.
L’art moderne s’est progressivement affranchi de la figuration en suivant deux
cheminements artistiques. Paul Cézanne a ouvert la voie de la recherche sur les
volumes et les formes. Sa série de La Montagne Sainte-Victoire s’est
progressivement libérée de la recherche de représentation du réel et a préfiguré
les travaux des cubistes, qui déstructurent la perception des volumes en
multipliant les points de vue. L’art moderne a aussi exploré la voie de la couleur.
Les artistes ne déterminent plus leur palette en fonction du réalisme des couleurs
mais de leur subjectivité. Commencée par Gauguin et Matisse, la révolution de la
couleur va conduire, conjointement à celle de la forme, à une rupture radicale
avec l’évocation figurative et va mener à l’art abstrait.
Dadaïsme et surréalisme doivent être remis dans leurs contextes respectifs
historique (Première Guerre mondiale) ou scientifique (travaux de Freud).
que sur les formes, dont la plupart des
contours ne sont qu’esquissés. Le second des
tableaux porte évidemment la marque du
mouvement fauviste, dont Matisse fut un des
initiateurs : ce sont des aplats de couleurs aux
contours puissamment soulignés qui
organisent l’ensemble de la composition. À
l’époque où il réalise ces tableaux, Matisse
est contemporain des mouvements
symbolistes et cubistes.
Né en 1904 (et mort en 1989), Salvador Dali
vient à Paris en 1926 et y rencontre Pablo
Picasso, puis se lie avec les surréalistes à
partir de 1929. Bientôt exclu du mouvement
surréaliste par André Breton, Dali fait de sa
vie elle-même sa principale oeuvre d’art et
tente d’imposer sa méthode d’analyse «
paranoïa critique ». La Persistance de la
mémoire est l’une de ses oeuvres les plus
célèbres : peinte en 1931, les montres molles
étalées dans un paysage désolé rappelant la
côte catalane peuvent passer aussi bien pour
un gag que pour une application assez libre
de la théorie de la relativité d’Einstein,
soulignant l’élasticité de l’espace et du temps.
Sur cette toile de Dalí (1904-1989), Gala, la
muse du peintre, contemple, assise et
alanguie, un marché aux esclaves situé au
centre de la toile. Surchargé visuellement,
cette partie de l’oeuvre s’oppose au reste du
tableau, où règne la tranquillité et les espaces
vides. Deux personnages vêtus de costumes
noirs et blancs du XVIIe siècle, encadrés par
une arche, se tiennent au milieu d’esclaves
loqueteux. Ces personnages peuvent en fait
être lus d’une façon
différente : ils forment, par une habile
illusion d’optique, la tête de Voltaire, telle
que représentée par le sculpteur Houdon.
Leurs têtes figurent les orbites et les yeux de
l’écrivain, leurs bustes son nez et le bas de
son visage. À droite du tableau, Dalí joue
cette fois d’une confusion visuelle en mêlant
les fruits d’un compotier au premier
plan à celle d’une jeune fille enlaçant son
compagnon à l’arrière-plan. Dali commence à
s’intéresser à la fin des années 1920 au
phénomène visuel de la double image, ou «
image-dans-l’image », qui va désormais
prendre une place importante dans son oeuvre
picturale. Cet effet, connu depuis des
siècles et utilisé par des peintres comme
Arcimboldo ou Bracelli, aboutit, au premier
coup d’oeil ou après avoir fixé attentivement
une image, à la découverte d’une deuxième
image cachée dans la première. Pour l’artiste
surréaliste qu’est Dalí, il ne s’agit pas ici d’un
simple jeu de l’esprit, d’une fantaisie : il
considère que la deuxième image
hallucinatoire suggérée par un objet donné a
des chances d’être la réalité elle-même. Il
préconise donc l’usage de la méthode «
paranoïaque-critique » qui permet à l’esprit
de lire dans la réalité des significations
102
La naissance de l’art abstrait
L’art abstrait abandonne l’objectif de représenter le monde tel qu’il est perçu par
les sens ou la combinaison des sens et de l’état d’âme. Kandinsky pourrait être
considéré comme l’initiateur de l’art abstrait. Il annonce clairement avoir
abandonné les apparences extérieures dans l’espoir de pouvoir communiquer plus
directement ses sentiments au spectateur. Kandinsky considère que les couleurs et
les formes peuvent communiquer des vérités spirituelles.
Artiste russe installé en Allemagne puis en France, Vassily Kandinsky commence
sa carrière par des peintures figuratives, peignant avec une grande minutie les
paysages de la campagne russe. Cette première étape fait rapidement place, à
partir de 1903, à une autre, marquée par une utilisation beaucoup plus libre des
couleurs, en particulier dans Le Cavalier bleu, puis La Montagne bleue. Mais
c’est à partir de 1913, avec la réalisation du tableau Composition VII qu’il
s’engage dans la voie de l’art abstrait, auquel il contribue à donner naissance.
L’art abstrait se définit par opposition à l’art concret qui prétend représenter la
réalité. L’art abstrait ne se définit pas seulement par une très grande liberté dans
l’usage des couleurs et des formes. Kandinsky montre bien qu’il s’agit d’un art
qui fait naître l’émotion d’un autre agencement des formes et des couleurs que
celui que propose la réalité. Sa parabole du tableau retourné contre le mur est, de
ce point de vue, très éclairante : la valeur de l’œuvre ne vient pas de sa capacité à
reproduire le réel, mais seulement de l’impression que suscite l’agencement des
couleurs.
La Première aquarelle abstraite de Wassily Kandisky (1910) est considérée
comme l’acte de naissance de l’art abstrait. Bien que cette antériorité ait été
contestée par Kupka ou Larionov, le peintre russe Kandinsky (1866-1943)
apparaît bien comme le réel précurseur de l’abstraction. Il est en effet le premier à
avoir fait de l’expression abstraite un acte volontaire fondé sur une recherche et
une conviction inébranlables. La rupture définitive avec la figuration du réel qu’il
inaugure est le résultat de longues années de recherches picturales. Kandinsky a
raconté comment le nouveau regard porté sur une de ses oeuvres accrochée à
l’envers, et dont le contenu lui paraissait incompréhensible, l’a conduit à
l’abstraction : « je sus alors expressément que les objets nuisaient à ma peinture
», raconte-t-il (Regards sur le passé, 1913). Il s’attache alors à substituer aux
objets la puissance de l’émotion qu’il entend communiquer au spectateur
directement, sans l’intermédiaire du réel. Sa Première aquarelle abstraite (qu’on
soupçonne aujourd’hui d’avoir été une étude pour la Composition VII qu’il
réalisera en 1913) présente ainsi un agencement complexe et varié de formes et
de couleurs flottant sur un fond laiteux. Un mouvement pluridirectionnel semble
animer ces taches vibrantes qui forment une sorte de symphonie picturale. Le
bleu céleste s’oppose au rouge et vert terrestre : la spiritualité se heurte à la
passion, l’émotion à la rationalité. Kandinsky use de ces taches de couleurs
comme un compositeur userait de notes de musique. Comme la musique, qui lui
sert de référence, il cherche à provoquer l’émotion pure et immédiate. On
retrouve dans sa première oeuvre abstraite, pour laquelle il choisit la technique
qui offre le plus de liberté, l’aquarelle, des réminiscences du symbolisme (usage
du bleu pâle, également utilisé par le Blaue Reiter), du Modern style (formes
végétales) et du fauvisme (couleurs pures). Si Kandinsky entend rompre avec
toute forme de figuration, son oeuvre reste empreinte de souvenirs naturalistes
car ses formes colorées évoquent un monde floral : le peintre ne rompra vraiment
avec cette tendance qu’en 1913, date à laquelle il franchira définitivement le cap
de l’abstraction pure.
L’abstraction n’est pas un mouvement artistique, ni une école de peinture, mais
un phénomène de rupture dans l’histoire de l’art. Elle semble l’étape ultime de l’«
appropriation » de l’art par l’artiste : désormais, c’est l’artiste qui construit une
réalité nouvelle ; le réel ne limite plus son champ d’action. Acte de puissance, le
passage à l’abstraction représente la transgression artistique ultime : le peintre n’a
plus besoin du réel, il revendique le droit de s’en détacher totalement pour créer
son propre univers et ouvrir à ses spectateurs de nouvelles dimensions, de
nouvelles émotions issues de sa seule subjectivité.
recouvertes par d’autres significations, à
l’aide d’un enchaînement d’associations
irrationnelles. On pourrait penser que la
présence de Voltaire évoque ici le triomphe
de la raison, et que le marché d’esclaves
symboliserait donc la soumission
irrépressible de l’art au rationalisme, contre
laquelle s’élevaient les artistes surréalistes.
Toutefois, essayer de donner à la double
image de Dalí un sens symbolique rationnel
serait aller à l’encontre de la démarche
surréaliste, qui juge inutile et vain de
disséquer le contenu d’une oeuvre dans la
mesure où la compréhension d’une image –
comme sa conception – se fait à un niveau
subconscient et subrationnel. L’image-dansl’image est introduite par Dalí pour susciter
chez le spectateur l’interrogation : n’y a-t-il
pas une troisième, une quatrième image…
cachées dans la toile ? Il incite ainsi à la
pratique de la méthode paranoïaque qu’il
prônait au nom du surréalisme.
Le peintre russe Kasimir Malevitch (1878-1935) présente en décembre 1915 lors
de l’exposition « 0.10 », sous-titrée « Dernière exposition futuriste », 39 peintures
« non objectives » qui figurent des formes planes et géométriques, ou alogismes
(croix, triangles, carrés). Parmi ces oeuvres figure le Quadrilatère, qui sera plus
103
tard rebaptisé Carré noir par le critique Alexandre Benois. Malevitch proclame, à
travers ces toiles, la naissance du Suprématisme qu’il voit comme le triomphe
d’une nouvelle forme de pensée traduite dans la peinture par des formes libérées
de toute référence à l’objet et de tout sens symbolique. Le Carré noir est
l’expression la plus achevée de cette démarche. Une forme géométrique simple,
proche du carré, mais qui pointe légèrement vers le haut et dont les contours ne
sont pas parfaits, flotte sur un fond blanc. La matière du carré laisse apparaître
l’intervention du peintre, qui l’a modelé par accumulation de touches et même à
main nue. L’artiste fait table rase de toutes les significations anciennes, de toute
référence matérielle et libère l’objet de tout sens. Il opère une « remise à zéro »
dans la représentation du monde. Son but est d’ouvrir la voie à une multitude
infinie de significations et de rompre avec la surdétermination symboliste de
l’image. Il entend inaugurer le triomphe des formes pures et de la couleur pure,
offrant ainsi une nouvelle liberté à l’art. Nouvelle icône de l’art moderne, la
figure nue du Carré rompt avec le passé de l’art et constitue la rupture ultime de
la peinture avec la représentation. En 1918, le Carré blanc sur fond blanc
marquera une nouvelle étape de la recherche de Malevitch, en quête cette fois de
l’infini dans une démarche imprégnée désormais de mysticisme.
Le dadaïsme
Entre 1913 et 1915, Marcel Duchamp (1887-1968) s’éloigne progressivement de
la peinture et élabore ses premiers « ready-made ». Choisissant des objets
industriels « tout-faits », il les élève au rang d’oeuvre d’art par sa seule volonté et
par la magie de sa signature. En 1917, il décide de mettre à l’épreuve la
communauté artistique new-yorkaise lors de l’exposition de la Société des
indépendants (qui se veut ouverte à tous) en y présentant un « ready-made »
devenu depuis le plus célèbre d’entre tous. Il choisit dans une succursale de la
société J. L. Mott Iron Works un urinoir de faïence blanche, le pose à plat sur un
socle et y appose une signature mystérieuse, « R. Mutt ». Cette dernière fait
référence à la fois à l’entreprise d’où provient l’urinoir (Mott), mais aussi à une
bande dessinée de l’époque, Mutt and Jeff et au sens argotique du mot, qui peut
signifier « imbécile » ou « bâtard ». Il présente l’oeuvre, dont la paternité est
donc attribuée à un certain R. Mutt, sous le titre de Fountain au comité
d’organisation de l’exposition de la Société des indépendants, déclenchant un
épique débat parmi ses membres. L’oeuvre est finalement refusée (alors que les
organisateurs de l’exposition avaient décrété ne vouloir opérer aucune censure),
ce qui donne à Duchamp l’occasion de marquer sa solidarité avec l’artiste R.
Mutt, qui n’est autre que lui-même : « Que Mr Mutt ait fabriqué la fontaine de ses
propres mains ou non est sans importance. Il l’a CHOISIE. Il a pris un objet
ordinaire de la vie, l’a placé de telle façon que sa signification utilitaire
disparaisse derrière le nouveau titre et le nouveau point de vue – il a créé une
nouvelle pensée à propos de cet objet… Les seules oeuvres d’art que l’Amérique
a données sont sa plomberie et ses ponts. » À travers sa supercherie, Duchamp
remet en cause radicalement les normes traditionnelles de l’art et pose la question
de la nature de l’art. L’oeuvre qui a déchaîné les passions, surnommée La
Madone de la salle de bains, comparée par Apollinaire à un Bouddha assis, a
disparu mystérieusement : des répliques en ont été éditées à l’usage des musées,
mais l’original a été perdu.
Le surréalisme et l’engagement politique
Le surréalisme est un mouvement artistique né en France immédiatement après la
Première Guerre mondiale, à l’initiative des écrivains André Breton, Philippe
Soupault, Paul Éluard ou Louis Aragon. Il se caractérise par un recours
systématique aux ressources de l’inconscient – l’étude des rêves, l’écriture
automatique – qui permet d’accéder à une « réalité supérieure », toujours cachée
par la réalité banale que dévoile la simple perception. Initialement littéraire, le
surréalisme s’applique aussi à la photographie (Man Ray) à la peinture, surtout
marquée par les tableaux de Chirico, Dali et Magritte. L’oeuvre de ce dernier, Au
seuil de la liberté, confirme le contenu de la déclaration de 1925, à savoir que
l’engagement artistique est, chez les surréalistes, indissociable de l’engagement
politique.
L’art abstrait, né immédiatement avant la Première Guerre mondiale, et le
surréalisme, apparu immédiatement après, poursuivent l’élan donné par les
révolutions artistiques de la « Belle Époque ». Les deux mouvements se
104
rejoignent en adoptant des attitudes très radicales vis-à-vis du réel : alors que l’art
abstrait tourne, définitivement, le dos à toute idée de s’appuyer d’une manière ou
d’une autre sur la réalité – Kandinsky affirme que « l’objet nuit à ses tableaux » –
, le surréalisme ambitionne de faire enfin apparaître une « surréalité » occultée
par la perception sensible du réel. Les deux mouvements, qui s’appuient sur la
remise en cause de l’idéologie rationaliste qui a dominé le XIXe siècle jusqu’aux
années 1890, ouvrent des perspectives entièrement nouvelles à l’art du XXe
siècle. Ces perspectives sont très différentes pour l’art abstrait et pour le
surréalisme. Les artistes abstraits prolongent l’oeuvre des cubistes en
expérimentant la production d’émotions nouvelles provoquées par d’inédites
juxtapositions de formes et de couleurs hors de toute perspective autre
qu’artistique. Les surréalistes voient au contraire dans la production artistique une
étape de leur engagement politique. La révolution que le groupe surréaliste
appelle de ses voeux en 1925 est certes « désintéressée », mais elle doit
néanmoins contribuer à une dénonciation des a priori de la pensée rationnelle.
Ce nouvel engagement des artistes est une des conséquences les plus nettes de la
Première Guerre mondiale.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
105
HC – Sciences, techniques et sociétés en Europe durant l’âge industriel (1850-1939)
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Caron François, Les Deux Révolutions industrielles du XXe siècle, Albin Michel, 1994.
Pestre Dominique, Sciences, argent et politique : un essai d’interprétation, INRA éditions, 2003.
Serres Michel (dir.), Éléments d’Histoire des sciences, coll. « In extenso », Larousse, 1997 (chapitres 20 et 21).
Verley Patrick, La Révolution industrielle, coll. « Folio histoire », Gallimard, 1997.
Ressources
Beltran Alain, La Fée électricité, coll. « Découvertes », Gallimard, 1991.
Bussière Éric, Griset Pascal, Bouneau Christophe, Williot Jean-Pierre, Industrialisation et sociétés en Europe occidentale 18701970, coll. « U », Armand Colin, 1998 (nombreux documents).
Céline Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, coll. « Folio », Gallimard, 1932.
Céline Louis-Ferdinand et Tardi Jacques, Voyage au bout de la nuit, Futuropolis, 2006.
Dos Passos John, La Grosse Galette, 1936 (la rationalisation aux États-Unis).
Huxley Aldous, Le Meilleur des mondes, 1931 (cet ouvrage montre l’aspect utopique d’une société monde profondément
anesthésiée par le progrès scientifique et technique de l’an 700 après Ford).
Lewis Sinclair, Babbitt, 1922 (le confort ménager et la vie moderne).
Zola Émile, La Bête humaine, 1889 (montre le machinisme aveugle), et Le Travail, 1901 (montre une vision plus optimiste de
l’évolution technologique).
Sur Ford : www.emse.fr/AVSE/sf.htm
Sur Sir Henry Bessemer : www.emse.fr/AVSE/sf.htm
Documentation Photographique et diapos :
Pour introduire : Jacomy Bruno et Letté Michel, « Des techniques et des hommes », La Documentation photographique, La
Documentation française, n° 8046, 2005.
Balibar Françoise, Pestre Dominique, Jacquart Albert, « La science au coeur de l’histoire contemporaine », La Documentation
photographique, La Documentation française, n° 6081, 1986.
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Quelles sont les interrogations nouvelles soulevées par les découvertes de la
science ?
Entre 1850 et 1890, les découvertes de la science tendent à remettre en cause les
fondements traditionnels des sociétés : elles ébranlent les préceptes de la foi
chrétienne (Darwin) et semblent proposer aux hommes l’espoir d’un progrès
infini (progrès de la médecine, découvertes géographiques). La science s’érige en
religion et l’optimisme domine une époque marquée par la confiance face au
progrès : c’est le « temps des certitudes ».
À partir de 1890, s’ouvre le « temps du doute » : les travaux d’Einstein, de Freud
et des surréalistes remettent en cause le rationalisme qui triomphait alors.
L’inquiétude gagne les esprits face à la mise en évidence de la capacité
destructrice de la science (Première Guerre mondiale) et à la puissance des forces
de l’inconscient, entraînant un certain « retour au religieux » au sein des sociétés
européennes.
1ère STG : « Les mutations d’une filière économique soit du secteur industriel,
soit du secteur des services.
Les transformations techniques sont mises en relation avec leurs conséquences
sociales et culturelles. Par filière, il faut entendre les différentes phases de
production d’un bien ou d’un service. À titre d’exemple, on peut envisager
l’évolution de la filière de la production de textile, de la construction automobile
ou du secrétariat. L’industrialisation provoque les mutations en termes de
production technique : passage d’un travail de type artisanal à un travail
industriel, travail à la chaîne, etc. Elle influe aussi sur le type de qualification et
tend à accroître la part des ouvriers et ouvrières non qualifiés). On pourra étudier
la dimension spatiale d’une filière et faire ainsi un lien avec les facteurs de
localisation en géographie. »
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 1ere ST2S : « Science, innovation
technique, société. Années 1870-1950.
Un moment d’innovation : la deuxième
révolution industrielle.
On étudie l’émergence d’un nouveau monde
industriel fondé sur l’électricité, le moteur à
explosion et la chimie organique. Son essor
est intimement lié aux progrès des savoirs
scientifiques et à la multiplication des
innovations techniques qui s’enchaînent,
transformant à la fois les produits et les
procédés de production : on concrétise ce
processus par la présentation d’un choix
limité d’innovations emblématiques. On
dégage quelques-unes des caractéristiques
des innovations étudiées : elles sont
progressivement l’oeuvre d’entreprises
collectives – les laboratoires – plutôt que
d’inventeurs isolés ; elles sont à l’interaction
du travail et de stratégies d’un grand nombre
d’acteurs ; elles peuvent être acclamées, mais
aussi accueillies avec réticence, voire
refusées ; elles sont de plus en plus encadrées
(brevets, acceptation par la communauté
scientifique). »
106
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Accompagnement 1ère ST2S :
« La période qui va du milieu du XIXe siècle aux années 1950-1960, constitue un
moment d’innovation particulièrement foisonnant. La dynamique de cette phase
de l’âge industriel s’explique par la cohabitation de trois générations de
technologies. La première est un héritage du XVIIIe siècle. Elle a fait naître un
système technique fondé sur le charbon, la vapeur, le fer et la chimie minérale. La
seconde génération s’appuie sur l’électricité, le pétrole et la chimie organique.
Elle s’affirme progressivement au cours de la période comme le support d’une
nouvelle croissance économique. La dernière, qui débute avec le siècle, est
centrée sur la maîtrise de l’électron et ouvre la voie aux technologies nucléaires.
Le passage d’un système technique à l’autre ne se fait pas par effet de rupture
mais par glissements successifs ; il n’y pas remplacement mais insertion
progressive des nouvelles technologies dans le système antérieur. L’innovation se
fait dans un processus cumulatif. La seconde révolution industrielle a bénéficié
des nombreux apports du système technique de la première. Elle comprend ainsi
deux phases distinctes par la relation qu’y entretiennent la science et la technique
: la première relève surtout du génie des ingénieurs. La seconde impose le détour
par les sciences fondamentales pour développer des technologies de plus en plus
complexes.
La recherche des mécanismes qui permettent l’émergence d’un nouveau système
technique donne lieu à différentes hypothèses. Sans revenir sur des controverses
aujourd’hui dépassées, il est utile de faire état des perspectives actuelles de la
recherche qui conduisent à considérer l’innovation technologique comme une
construction sociale. Pour l’historien Patrick Verley, l’apparition d’innovations
est à mettre en lien avec l’accroissement de la consommation. L’apparition de
nouveaux besoins et d’une forte demande a selon lui un effet déstabilisant qui
oblige le système technique à se transformer de façon radicale et conduit à
innover. C’est l’extension des marchés intérieur et extérieur qui suscite donc
l’émergence de nouvelles innovations. Pour François Caron, les innovations sont
le résultat des impasses technologiques rencontrées par la société. C’est le
mécanisme des goulots d’étranglement dont la grande ville fut le lieu par
excellence, qu’il faut privilégier. Ainsi, à la fin, du XIXe siècle, les conditions de
vie en ville sont marquées par des phénomènes de pollution dont l’un des effets a
été, au début des années 1880, le développement à Paris d’odeurs pestilentielles
en été. Cette situation est à l’origine d’une réflexion qui devait sur le long terme
aboutir à la mise en place du tout-à-l’égout. Il conviendra de prendre en compte
cette double approche dans la mise en oeuvre en classe.
L’étude de ce thème doit aussi considérer les rôles respectifs des techniques et de
la science. Les premières ne sont pas, en effet, de simples applications de la
seconde. L’intitulé proposé, « Science, innovation technique et société »,
n’implique pas une subordination de la technique à la science : on sait
qu’historiquement, il n’en a rien été. Dès la seconde révolution industrielle,
sciences et techniques se fécondent mutuellement. Leurs liens se développent
avec l’apparition de l’électricité industrielle et du pétrole, la mise au point
d’alliages et de matériaux composites. Pour autant, il faut attendre la Seconde
Guerre mondiale pour qu’elles soient en symbiose. Auparavant, elles
constituaient des domaines relativement indépendants, poursuivant chacun leurs
propres objectifs, tout en échangeant en permanence. C’est au cours du premier
XXe siècle que s’installent les conditions de leur interpénétration, aujourd’hui
très forte au point qu’elles se confondent en formant le champ des
technosciences. La question invite ainsi à réfléchir à la mise en place d’un
nouveau régime de production des sciences en société.
Les innovations sont le fruit des efforts d’acteurs très divers. On peut reprendre la
typologie établie par François Caron. Il distingue : les détenteurs du savoir
(savants, universitaires ingénieurs, hommes de métiers, techniciens et ouvriers) et
les entrepreneurs auxquels on peut ajouter l’État. Tous, peu ou prou, peuvent
contribuer à l’apparition de nouveautés technologiques. Pour autant, l’innovation,
qu’elle soit individuelle ou collective, ne peut être comprise sans prendre en
compte la communauté à laquelle chaque acteur appartient. Le rôle des réseaux
sociaux est, en effet, fondamental. L’entrepreneur s’appuie sur un réseau de
connaissances, de solidarités qui assurent la mobilisation des capitaux mais aussi
sur un réseau politique qui lui garantit les appuis nécessaires. Une entreprise qui
Le procédé Bessemer
Il permet la fabrication, à partir de la fonte
(alliage impur de fer et de carbone, c’est un
métal lourd et cassant), d’un acier de qualité,
résistant, produit en grandes quantités et donc
moins cher qu’avant. Avant le procédé
Bessemer, l’acier était obtenu par une
opération longue et coûteuse, le puddlage, qui
ne donnait que de petites quantités d’acier : la
fonte du haut-fourneau était maintenue à
l’état de fusion et brassée pour en brûler les
impuretés. L’innovation de Bessemer
bouleverse les conditions de production de
l’acier : transformation de la fonte en acier à
moindre coût et moindre temps (40 tonnes de
fonte à l’heure) par insufflation d’air chaud
sous pression (oxygène) dans la fonte liquide
pour brûler le carbone. À partir des années
1860, l’acier devient d’utilisation courante
dans les industries mécaniques. On relèvera
la massivité des équipements de production.
Henry Bessemer (1813-1898) est un
inventeur autodidacte anglais. Les principales
qualités de l’acier Bessemer sont son
homogénéité, sa dureté et sa résistance par
rapport au fer ; il est aussi facile à travailler,
notamment à souder, par le feu. Cette
méthode de production est d’une grande
simplicité, elle permet d’augmenter de
beaucoup la production d’acier et donc d’en
réduire le coût. Cette invention est le point de
départ de la production industrielle massive
d’acier.
L’industrialisation se caractérise par
d’importantes mutations technologiques,
comme le convertisseur Bessemer qui
révolutionne en 1858 la production d’acier et
donne à l’Angleterre une avance
considérable, avant que les procédés ThomasGilchrist, en 1877, permettent à la France, à
l’Allemagne, à la Belgique et au Luxembourg
de tirer profit de leur minerai de fer
phosphoreux.
Ce groupe rattrape l’Angleterre : en 1880
celle-ci produit 1 310 tonnes d’acier liquide,
contre 1 220 pour l’ensemble des quatre pays
; en 1914 ce dernier produit 27 400 tonnes,
l’Angleterre seulement 7 780. Ces nouveaux
procédés exigent beaucoup de capitaux ; ils
favorisent la concentration des entreprises.
L’indigo
L’étude permet de montrer l’enjeu industriel
d’une innovation : importance des
investissements, renouvellement et
restructuration du secteur, effets de la
concurrence.
L’indigo est un produit naturel difficile à
produire et dont le volume de production,
insuffisant, est remplacé par un produit de
synthèse plus facile d’usage, moins cher et
qui peut être produit en plus grande quantité.
107
ne compte pas au moins un scientifique, un ingénieur, un commercial, un
gestionnaire, un juriste enfin, a peu de chances de vivre longtemps. Ainsi, les
innovations ne sont pas restées longtemps l’oeuvre d’inventeurs isolés disposant
de moyens sommaires ainsi que le montrent le parcours des Curie ou les
conditions de la découverte de la pénicilline. À partir de 1880, l’entreprise
(grande ou petite) tend à s’imposer comme le lieu par excellence de l’innovation
avec ses bureaux d’études, ses services de gestion, ses laboratoires de recherche.
Les laboratoires Bell, plus connus sous l’appellation « Bell labs » créés en 1925
dans l’état du New Jersey constituent un bon exemple de fonctionnement du
laboratoire de recherche en milieu industriel qui caractérise la seconde révolution
industrielle. L’innovation devient alors le fruit d’un travail collectif. L’État joue
aussi un rôle. Il intervient en investissant (construction des routes, des chemins de
fer), en finançant la recherche fondamentale, mais aussi en élaborant une
réglementation (brevets, propriété intellectuelle).
Une étude des acteurs de l’innovation ne doit pas oublier les consommateurs et
leurs besoins : une entreprise qui réussit est celle qui sait se mettre à l’écoute de
sa clientèle. Très vite, le comportement des consommateurs a fait l’objet d’étude
de marché. Les innovations font apparaître des pratiques nouvelles dans le
domaine de la production, de la consommation mais aussi de la vie collective.
Elles participent à l’émergence de la société de masse. Pour Bertrand Gille, les
principales implications sociales de la seconde révolution industrielle sont l’essor
du secteur tertiaire (multiplication des tâches administratives, gestion plus
complexe du développement industriel) et les mutations du travail dues à une
rationalisation croissante : fractionnement des tâches, baisse de la qualification,
monotonie, absence d’initiative (taylorisme et fordisme). C’est à la fin du XIXe
siècle, dans le contexte d’une concurrence accrue avec les débuts de la Grande
Dépression, que se développe une réflexion sur la façon de rendre l’organisation
du travail plus scientifique. Vulgarisée par les ouvrages de l’ingénieur américain
Taylor, l’organisation scientifique du travail ou taylorisme a pour objectif
d’accroître la productivité en rationalisant le travail des ouvriers. Pour parvenir à
une efficacité maximale, elle dissocie les tâches de conception et d’organisation
confiées aux cadres et les tâches d’exécution attribuées à des ouvriers
chronométrés pour chacune d’entre elles. Le taylorisme est souvent
improprement associé au travail à la chaîne : Taylor n’a pas inventé ce dernier,
qui existait au Royaume-Uni dès les années 1840 dans des entreprises fabriquant
des voitures hippomobiles. Cette production standardisée exige la définition de
normes de plus en plus précises qui nécessitent la mise au point d’instruments de
mesure de plus en plus complexes. Le développement de la métrologie impose le
recours aux laboratoires de recherche. À cette recherche d’une plus grande
efficacité du travail qui diminue le coût et permet de parvenir à une production de
masse, l’Américain Henri Ford dans ses usines automobiles de Détroit ajoute
l’idée de développer le marché de consommation. Pour se faire, il combine la
standardisation, le travail à la chaîne et une politique de salaires élevés. La
rationalisation des tâches engendre des gains de productivité qui sont en partie
redistribués aux ouvriers par une hausse des salaires. L’ouvrier mieux rémunéré a
la possibilité d’acheter la voiture qu’il fabrique. Il n’est plus considéré seulement
comme facteur de production mais comme consommateur potentiel du produit
fini. Initialement, l’augmentation salariale est pour Ford une façon d’éviter une
rotation trop élevée des ouvriers dans son entreprise. Ce n’est que plus tard qu’il
envisage cette politique comme un moyen d’élargir sa clientèle.
L’organisation scientifique du travail et les débats qu’elle a engendrés ont donné
lieu à une littérature abondante (notamment chez les sociologues, à la suite de G.
Friedmann, Le Travail en miettes, 1956). On doit pourtant insister sur le fait que
le travail à la chaîne est resté minoritaire. En France il concerne surtout
l’automobile ; Berliet fut le premier à l’adopter en 1919, avec d’ailleurs des
résultats décevants, puis Citroën dans les années 1920, puis Renault. Les modèles
tayloriste et fordiste trouvent rapidement leurs limites et sont remis en cause dès
la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis, au profit d’autres formes
d’organisation (travail d’équipe, multivalence et rotation des postes…). Les
textes de Céline (les usines Ford dans Voyage au bout de la nuit, 1932) ou de
Georges Navel (Travaux, 1945, pour la description des usines Berliet), un plan
d’usine (l’usine Citroën du quai de Javel) constituent des supports d’étude
possibles.
La réussite d’une innovation peut s’expliquer par l’intérêt que les consommateurs
lui portent. L’automobile en fournit un bon exemple. Née autour de 1890, son
Ce produit sert de levier à la constitution
d’une industrie nationale allemande puissante
qui bouscule les avantages acquis du
commerce colonial britannique.
L’indigo artificiel possède deux avantages sur
l’indigo naturel : une composition constante
et de qualité, un affranchissement par rapport
aux aléas climatiques (la baisse des coûts de
production permet aussi la possibilité de
diffuser le produit à une plus large échelle).
Les acteurs qui interviennent dans la mise au
point de l’indigo artificiel sont d’abord des
chercheurs en chimie et les grandes
entreprises du secteur. Cette évolution est
caractéristique de la deuxième révolution
industrielle : les innovations sont d’abord le
fait de savants (ici, le chimiste allemand von
Bayer), puis elles sont améliorées par les
laboratoires de recherche des grandes
entreprises (BASF, par exemple) dans le but
de fabriquer les produits nouveaux à l’échelle
industrielle. L’industrie chimique allemande,
quasi-inexistante au début du XIXe siècle, est
la plus puissante du monde à l’orée du XXe
siècle et jusqu’à 1945. Elle le doit à sa grande
capacité d’innovation et d’exploitation
technique des innovations. Elle produit des
engrais, des pesticides, des colorants, des
médicaments, etc. Pendant les deux conflits
mondiaux, cette industrie permet à
l’Allemagne de compenser en partie la
disparition des produits importés par la
création de produits de synthèse de
remplacement (les « ersatz »). C’est en partie
la puissance et la disponibilité de cette
industrie qui explique le choix de la chambre
à gaz pour le génocide juif à partir de 1942.
Ainsi, le « Zyklon B » (« cyclone B ») était
un pesticide employé dès avant la guerre par
l’agriculture allemande.
L’aluminium
La fin du XIXe siècle voit l’essor de
l’aluminium, métal quasi inconnu des
contemporains. Ses qualités intrinsèques
(souplesse) et en association (il bonifie
l’acier) en font un métal prometteur.
L’aluminium est connu depuis la publication
des travaux de chimistes allemands en 1827.
Le premier industriel à en produire, dès le
milieu du XIXe siècle, est Sainte-Clair
Deville, dont la société a pris par la suite le
nom de Pechiney. Hall aux États-Unis et
Héroult en France, qui ne se connaissaient
pas, ont découvert en même temps, en 1886,
la facilité d’usage de l’électrolyse pour
séparer l’aluminium de son milieu métallique
d’origine. C’est cette découverte qui a
véritablement rendu la production
d’aluminium bon marché et le développement
de ses applications industrielles. Après 1910,
pour les usages de pièces moulées sans
charge importante à supporter, c’est le
duralumin (un alliage à base d’aluminium)
qui est utilisé dans l’automobile, les
108
développement commercial commence à partir de 1898. Au départ, la clientèle
est essentiellement une élite fortunée désireuse de se distinguer en faisant preuve
d’originalité et de modernité. L’effet de mode est immédiat au point que la
demande dépasse très largement l’offre, sans que ce désir des consommateurs ait
été suscité par aucune promotion. Peu de constructeurs ont anticipé le phénomène
et ils doivent s’adapter à une demande croissante tout en construisant des modèles
de plus en plus maniables. L’industrie automobile française démontre à cette
occasion sa capacité innovatrice. Cependant, elle ne peut relever le défi posé par
la production de masse. C’est le constructeur Ford qui, aux États-Unis, réussit à
faire du marché de l’automobile un marché de masse avec la Ford T. En Europe,
l’automobile devient un produit de consommation plus courante après la Seconde
Guerre mondiale ; la Volkswagen en Allemagne ou la 2CV (1948) en incarnent
les versions populaires.
Une innovation peut profondément transformer certains aspects de la vie
collective. Ainsi, l’exposition universelle d’électricité de Paris (1881) consacre la
réussite de cette nouvelle forme d’énergie auprès du public. Edison, un inventeur
américain, y joue un rôle majeur en présentant un projet complet d’éclairage
électrique, avec réseau de distribution et centrale de production. Il rend possible
la diffusion de l’électricité en ville (Edison à Manhattan, 1882). Mais la diffusion
des innovations liées à la lumière n’aurait pas été aussi rapide si elle n’avait pas
rencontré une forte demande sociale. Ces innovations contribuent à renforcer la
sécurité des rues, à prévenir les risques d’incendie mais aussi à combattre
l’immoralité (notamment la prostitution, qu’on accusait l’obscurité de favoriser).
Des sinistres catastrophiques tels que celui de l’Ambassade d’Autriche au début
du XXe siècle lors d’une réception à la bougie ou celui de l’Opéra comique en
1887, qui ont eu un impact considérable sur les esprits, ont également joué en
faveur de la diffusion de l’électricité. Ce besoin d’une lumière abondante et
moins dangereuse, est comblé avec l’apparition de la lumière électrique dans les
habitations et l’éclairage des rues la nuit. »
Le brevet de Pasteur
Utiliser le brevet de Pasteur pour y relever les informations qui constituent le
brevet : date, lieu de dépôt, désignation de l’invention, durée de validité du
brevet. S’interroger sur la signification de la mention de l’heure avec la date.
S’interroger sur celle de la non-garantie par le Gouvernement de la réalité ou de
la qualité de l’invention. S’interroger sur les portées juridiques de ces précisions.
S’interroger sur les avantages économiques que donne le dépôt d’un brevet.
À l’époque du dépôt de ce brevet, Pasteur (1822-1895) est déjà un biologiste
réputé. Il a notamment travaillé sur la fermentation du vin et les maladies de la
vigne. Ce brevet est déposé à Lyon car la partie nord de la France est occupée par
l’armée prussienne.
Les travaux de Pasteur ont fondé la microbiologie. À partir de l’étude des
processus de fermentation, Pasteur met en évidence l’existence de microorganismes dont certains n’ont pas besoin d’oxygène pour se développer. La
science de l’époque n’avait jamais envisagé l’existence de réaction chimique
provoquée par des organismes vivants, pas plus que d’organismes vivants
anaérobies. En découvrant des procédés pour atténuer la virulence des microorganismes, Pasteur invente le principe du vaccin préventif, dont la première
application, en 1881, sur un berger mordu par un chien enragé, lui valut une
gloire mondiale.
Bell et le téléphone
La première démonstration publique de la téléphonie de Bell a lieu à l’exposition
universelle de Philadelphie en 1876.
Écossais installé aux États-Unis, Graham Bell travaille sur la communication
avec les sourds et les méthodes de diction et d’élocution. C‘est dans ce cadre
qu’il en vient à s’intéresser à la reproduction mécanique et électrique des sons,
puis à la transmission de ces derniers. Il se présente comme l’inventeur de la
téléphonie, bien qu’à ses débuts une controverse l’ait opposé à Antonio Meucci
qui avait mis au point, dès 1860, un procédé de « télégraphe parlant », mais qui
n’avait pu le protéger par le dépôt d’un brevet, faute de moyens. Il semble
aujourd’hui établi que Bell utilisa à la Western Union des prototypes et des plans
que Meucci avait laissés en démonstration pour finaliser son invention.
Bell s’appuie sur un géant de la télégraphie pour se constituer en géant de la
ustensiles de cuisine et autres applications.
Pétrole et plastique
Avant la guerre, les États-Unis sont les
premiers producteurs et (déjà) les premiers
consommateurs de pétrole. Le pétrole
californien est utilisé dans les transports, mais
également pour la production électrique.
Depuis l’Antiquité, le pétrole est utilisé pour
l’éclairage domestique dans les régions où il
suinte en surface. Son extraction, sa
transformation (raffinage) et son transport ne
datent cependant que du XIXe siècle. En
1859 est creusé le premier puits de pétrole au
Tennessee. Le pétrole sert alors de produit de
combustion dans les centrales électriques,
puis, sous forme raffinée, dans les moteurs à
explosion qui équipent les voitures, les avions
et bientôt les navires. Dès le début du XXe
siècle, l’industrie chimique s’intéresse au
pétrole dans le domaine du raffinage, puis
comme matière première en vue de trouver
des produits de synthèse : c’est la famille des
plastiques. Dès 1914-1918, le pétrole est un
enjeu majeur pour des armées de plus en plus
motorisées. Le pétrole roumain, puis le
pétrole caucasien sont des buts de guerre
d’une Allemagne privée de pétrole. Avant
1945, le pétrole du Moyen-Orient, connu
mais peu prospecté et encore moins exploité,
est quantité marginale : la production est
dominée par les États-Unis, l’URSS et le
Venezuela (respectivement premier,
deuxième et troisième producteurs).
L’aviation
Lindbergh pose devant son avion (« Spirit of
Saint-Louis ») à Saint-Louis (Missouri) avant
son envol. Il décolle de New York le 20 mai
1927 et se pose à Paris le lendemain, où il
reçoit un accueil triomphal.
L’aviation est devenue possible quand les
innovateurs ont cessé d’essayer d’imiter le
vol des oiseaux (le battement d’ailes). Le
premier vol des frères Wright a lieu en 1903
sur à peine 200 ou 300 mètres. Dès 1909,
Blériot traverse la Manche. La Première
Guerre mondiale voit l’aviation se
transformer en industrie, lorsque les «
bricoleurs » des premières années reçoivent
des commandes pour des milliers d’appareils.
C’est également ce conflit et la crainte de
l’invasion allemande qui expliquent
l’installation de l’industrie aéronautique
française autour de Toulouse dès cette
époque. Jusqu’à 1945, l’aviation est toutefois
quasiment réservée à l’usage étatique (postes,
armée). Les compagnies commerciales sont
peu nombreuses, les avions de taille modeste
et de peu de rayon d’action. C’est l’aprèsguerre qui voit se développer les avions longcourriers (avec la Caravelle), puis les avions
de ligne avec des moteurs à réaction qui
permettent d’assurer un service plus
intéressant et (presque) abordable.
109
téléphonie. Il utilise la justice (procès en contrefaçon) et l’argent (achat des
inventions) pour maintenir sa domination sur le secteur.
Ce texte illustre les stratégies industrielles possibles à partir d’une invention
préalable bien exploitée. La logique n’est pas encore à l’intégration de la
recherche-développement dans des structures internes à l’entreprise, mais le
rachat systématique des inventions à tous les bricoleurs de génie qui travaillent à
titre privé, le plus souvent à leurs heures perdues.
Edison et l’ampoule électrique
Inventée en1879, la lampe à incandescence devient en quelques années le
symbole des villes modernes et riches : New York et Londres sont les premières à
s’en équiper pour l’éclairage domestique. Ce texte est extrait d’une biographie «
autorisée » (c’est-à-dire complaisante) publiée du vivant d’Edison avec des
documents fournis par l’inventeur et des témoignages ayant son aval.
Thomas Edison (1847-1931), surnommé « Le magicien de Menlo Park », est
certainement l’inventeur américain le plus connu de son époque. Il a déposé plus
de mille brevets dans tous les domaines, parmi lesquels l'électricité, le téléphone,
le cinéma et l'enregistrement du son. Il peut être considéré comme le « père de
l’électricité » car ses inventions participent de la plupart des applications
domestiques de cette énergie. En même temps qu’il se consacrait à la recherche,
il a fondé General Electric, un des premiers empires industriels mondiaux, et sans
doute la première entreprise à intégrer un important service de recherche
employant des centaines de chercheurs.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
La vie quotidienne bouleversée
L’abolition de l’obscurité nocturne et le
refoulement des peurs traditionnelles qui y
sont liées est un des aspects nouveaux de la
ville moderne.
Recherche sur le calcul du temps : rôle de
l’horloge du clocher et des temps de prière ;
définition de la seconde ; heure locale et
heure nationale (rendue nécessaire par la
circulation ferroviaire) ; concurrence des
méridiens (Greenwich et Paris) ; diffusion de
la montre (objet de luxe en 1870, objet
standard en 1950).
Il est à noter que les premières mesures de
vaccination de masse sont prises par les
armées, car les épidémies (du fait de la
promiscuité des camps), bien plus que les
combats, sont cause de décès.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
110
HC – Les Curie, une dynastie scientifique
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Cf primaire
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Reid Robert, De Palomera Marie-France, Marie Curie, derrière la légende, coll. « Points Sciences », Seuil, 1983.
Pinault Michel, Frédéric Joliot-Curie, Odile Jacob, 2000.
Ressources
Curie Ève, Madame Curie, coll. « Folio », Gallimard, 1938 (rééd. 1981).
Balibar Françoise, Marie Curie, femme savante ou sainte vierge de la science ?, coll. « Découvertes », Gallimard, 2006 (nombreux
documents).
Dussart Rémi, Marie Curie, Hatier, 2001 (nombreux documents ; les deux livres cités constituent aussi une « ouverture » qui est
facile de lecture).
Radvanyi Pierre, Les Curie, pionniers de l’atome, coll. « Pour la science », Belin, 2005.
Dréville J., La Bataille de l’eau lourde, 1947 (film où Joliot-Curie, Dautry et Kowarski jouent leurs propres rôles).
http://mariecurie.science.gouv.fr
On peut, à partir de quelques photographies, montrer le côté « artisanal » de la recherche en France au début du XXe siècle, mais
aussi le début de la médiatisation du savant.
Ouverture
Giroud Françoise, Une femme honorable, Le Livre de Poche, 1981 (rééd. 2003).
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Il s’agit de rendre compte de la carrière des Curie et de leur contribution à la
science fondamentale, mais aussi de rappeler leur implication dans les grandes
questions de leur époque. Enfin, on présentera ce qui, dans leurs recherches, sert
encore aujourd’hui dans les applications techniques.
Problématiques
– En quoi les travaux des Curie présentent-ils des avancées majeures dans le
domaine de la recherche fondamentale ?
Les Curie sont les « découvreurs » de la radioactivité. Cette propriété physique
inconnue jusqu’alors est intéressante en tant que telle et par ce qu’elle révèle de la
constitution de la matière. La radioactivité est d’abord étudiée dans ses
mécanismes et son étendue (Quelles matières ? Dans quelles conditions ? Quelle
durée ? Quelle énergie ?), puis dans ses potentialités dynamiques (« réaction en
chaîne »). La première application de la réaction en chaîne est la bombe
atomique, suivie, quelques années plus tard, par la centrale nucléaire productrice
d’électricité. Pour ce qui regarde la constitution de la matière, la découverte de la
radioactivité permet de repérer « l’isotopie », à savoir les différentes formes
stables et instables d’un élément en fonction de la constitution de son noyau. La
radioactivité est la marque de l’instabilité et de la recherche de la stabilité.
– Pourquoi peut-on dire que les Curie sont des scientifiques engagés ?
Il s’agit de restituer la place marginale des Curie dans l’Université française :
partant d’un petit laboratoire, ils créent autour de leurs recherches un « Institut du
radium » qui reste longtemps un des centres mondiaux dans son domaine. Marie
Curie, en tant que femme et Polonaise d’origine, fait face au mépris de son milieu
et de la presse nationaliste. Sa fille et son gendre, proches des milieux pacifistes
d’avant-guerre et proches du PCF après-guerre, se voient retirer leurs fonctions
au Centre pour l’énergie atomique (CEA) qu’ils ont créé en 1945.
– Comment les découvertes des Curie influent-elles encore notre époque ?
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 1ère ST2S : « L’aventure scientifique
marque la vie personnelle, professionnelle et
publique des hommes et des femmes qui s’y
engagent. L’étude de la famille Curie sur
deux générations permet de le montrer. »
111
La connaissance de la radioactivité et de ses propriétés a très rapidement trouvé
des applications dans le domaine médical : diagnostics et traitements des cancers
existent depuis des décennies. Les effets secondaires des radiations sur la santé
ont été découverts progressivement et sont aujourd’hui pris en compte dans les
utilisations médicales de la radioactivité.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Accompagnement 1ère ST2S :
« La famille Curie incarne une science conquérante grâce à laquelle la figure du
chercheur (scientifique professionnel travaillant en équipe) supplante celle du
savant (« scientifique amateur » et individualiste), accède au plus haut rang de la
société et, avec Pierre et Marie Curie, entre au Panthéon (1995).
Il s’agit de retracer l’aventure scientifique d’une famille trois fois couronnée par
le prix Nobel (1903, 1911, 1935) pour des travaux qui ont révolutionné la science
contemporaine à partir de la découverte de la radioactivité, et qui a payé à la
recherche un lourd tribut. Les Curie, ce sont deux générations de chercheurs
exceptionnels, deux couples, deux femmes dans un monde scientifique presque
exclusivement masculin. Les Curie ont été aussi des animateurs d’équipe, des
enseignants et des « formateurs de savants » (par exemple G. Charpak, lui aussi
d’origine polonaise et prix Nobel de physique en 1992), à l’Institut du radium
(rue d’Ulm, à Paris), à la Sorbonne (Marie Curie fut la première femme à y
enseigner), au Collège de France, au CNRS, que Frédéric Joliot dirigea, et au
Commissariat à l’énergie atomique.
Les Curie ont tous eu, chacun à leur manière, le sens de l’engagement : Marie
Curie, double prix Nobel, « femme savante » mais aussi patriote, a créé un
service de radiologie ambulant pendant la Première Guerre mondiale, et aidé à
développer la recherche dans son pays natal, la Pologne. Elle a été membre de la
commission pour la coopération intellectuelle de la Société des Nations. Irène
Joliot-Curie s’est engagée contre le fascisme et pour les droits des femmes. En
1936, sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique du Front populaire, elle
est l’une des premières ministres, dans un pays où les femmes ne votent pas
encore : sans réel intérêt pour la politique, elle accepte ce poste pour défendre la
science et la cause des femmes, notamment leur droit à exercer les mêmes
responsabilités que les hommes dès lors qu’elles en ont les compétences. Frédéric
Joliot-Curie, lui aussi intellectuel antifasciste et résistant pendant la guerre,
défend l’idée d’un programme nucléaire français. Le général de Gaulle le charge
de créer le Commissariat à l’énergie atomique et il représente la France à la
commission de l’énergie atomique de l’ONU : il y affirme son opposition aux
armes atomiques. Engagé envers son pays, il l’est en effet tout autant pour la paix
; cette position et son appartenance au PCF, en pleine guerre froide, sont à
l’origine de sa révocation du CEA, puis de celle d’Irène Joliot-Curie. En 1950, il
lance l’appel de Stockholm pour l’interdiction absolue de l’arme atomique et
l’établissement d’un contrôle international rigoureux. Pour lui, le savant, « acteur
rationnel », a non seulement un droit d’intervention dans la sphère politique,
mais, parce que responsable de l’usage que l’on fait de ses découvertes, il en a
aussi le devoir. Son exemple (appel de Stockholm) montre ainsi la richesse et les
inévitables limites de l’engagement du savant. On pourra montrer aux lycéens
que le caractère familial des Curie s’incarne aussi dans une série de livres : Marie
à propos de Pierre (1923, réédité chez Odile Jacob en 1996), Ève sur Marie (voir
ci-dessous), Irène (Les Inventeurs célèbres, Citadelles & Mazenod, 1950). »
– 1re génération (Pierre et Marie Curie) : découverte des deux premières
substances radioactives, le polonium et le radium. Le terme de « radioactivité »
est alors inventé par Marie Curie. 2e génération (leur fille, Irène Curie et son mari
Frédéric Joliot): poursuite des recherches sur les rayonnements dans leur
laboratoire de l’Institut du radium ; découverte de la radioactivité artificielle en
1934. Frédéric Joliot-Curie est à l’origine de la première pile atomique française,
en 1948.
– 1903, les époux Curie reçoivent le prix Nobel de Physique en récompense de
leur découverte de la radioactivité et, en 1911, Marie Curie reçoit le prix Nobel
de Chimie pour ses recherches sur le polonium et le radium. 1935 : Irène et
Frédéric Joliot-Curie reçoivent à leur tour le prix Nobel de chimie pour leur
découverte de la radioactivité artificielle. Marie, Irène et Frédéric participent aux
grands congrès scientifiques internationaux. Les travaux de Pierre et Marie Curie
Activités, consignes et productions des élèves
:
Les travaux des Curie ont permis de défricher
un domaine inconnu de la science
fondamentale, celui de la physique nucléaire.
À partir de leurs observations et de leur
description d’un rayonnement inconnu, qu’ils
nomment « radioactivité », un certain nombre
de caractères de la matière à l’échelle
atomique sont découverts ou confirmés. Leur
approche empirique et leur travail de
laboratoire confirme et complète les
constructions théoriques de leur époque, à
commencer par celles dites de la « relativité »
élaborées par Einstein à partir de 1905. Une
génération plus tard, les Joliot-Curie
produisent la radioactivité artificielle, premier
pas vers des utilisations humaines (civiles et
militaires) de la radioactivité.
Pierre, et surtout Marie Curie, puis Irène, et
surtout Frédéric Joliot-Curie, ne sont pas
restés enfermés dans leurs laboratoires. Ils
n’ont jamais hésité à prendre parti dans les
grandes questions de leur temps et ont
cherché à promouvoir l’égalité
hommes/femmes dans un milieu scientifique
particulièrement fermé et misogyne, comme
dans l’ensemble de la société. Pierre et Marie
ont été des dreyfusards notoires ; Marie s’est
engagée pendant la guerre de 1914-1918 ;
Irène a participé au premier gouvernement de
Front populaire ; Frédéric, proche du
mouvement communiste par pacifisme, a pris
parti avant et après 1939-1945, au détriment
de sa carrière.
La découverte de la radioactivité a débouché
sur de nombreuses applications pratiques.
Certaines sont très connues, comme l’arme
nucléaire ou les centrales nucléaires civiles.
À des échelles bien moindres, la mesure de
minuscules doses radioactives permet
d’établir des mesures de temps pour les
sciences des temps reculés (géologie,
archéologie, paléontologie, préhistoire). D’un
point de vue pratique, les populations des
pays développées utilisent la radioactivité
dans les actes médicaux de diagnostic et de
traitement du cancer.
La science et l’innovation
Il n’est pas inutile de rappeler que le célèbre
photographe Robert Doisneau (1912-1994) a
commencé sa carrière comme photographe
industriel aux usines Renault de BoulogneBillancourt. En photographiant ainsi ce
gigantesque générateur d’impulsion dans le
laboratoire de Frédéric et Irène Joliot-Curie,
112
ouvrent la voie à des retombées médicales dès les premières années du XXe
siècle. Les travaux des Joliot-Curie ouvrent des perspectives à la recherche dans
le domaine nucléaire militaire (arme atomique) et civil.
– Investissement de Marie Curie et de sa fille dans des équipes médicales
présentes sur le front pendant la Première guerre mondiale ; implication des
époux Joliot-Curie dans la lutte antifasciste et pacifiste dans l’entre-deux-guerres.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Frédéric Joliot-Curie s’engage activement
dans la Résistance et après la guerre, en accord avec ses opinions pacifistes, il
participe au mouvement international pour la paix et pour l’élimination des armes
atomiques.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
il nous livre son témoignage sur le progrès
technologique. Il rend, tout d’abord,
hommage à l’innovation, fruit de la recherche
et de l’investissement financier. Puis, il met
en valeur la place présente et future de
l’électricité qui conditionne le développement
industriel comme l’équipement ménager.
Enfin, la prise de vue en plongée renvoie à la
fois aux prouesses de l’oeuvre humaine, mais
aussi au risque potentiel de déshumanisation.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
113
HC – Darwin
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
1859 L’ORIGINE DES ESPECES DE CHARLES DARWIN
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Patrick TORT, Darwin et le darwinisme, Paris, PUF, 2007, coll. : « Que sais-je ? ».
P. TORT (éd.), Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Paris, Presses Universitaires de France, 1996.
P. TORT, Darwin et la science de l’évolution, Paris, Gallimard, 2000, coll. : « Découvertes Gallimard ».
P. TORT, L’effet Darwin : sélection naturelle et naissance de la civilisation, Paris, Seuil, 2008.
P. BOWLER, Darwin, Paris, Flammarion, 1985.
J. GAYON, Darwin et l’après Darwin : une histoire de l’hypothèse de la sélection naturelle, Paris, Kimé, 1991.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
L'Origine des espèces, de Charles Darwin (1809-1882)
1859
Charles Robert Darwin est né dans le Shropshire (Angleterre) le 12 février 1809
et mort le 19 avril 1882 dans sa maison de Downe. Son père, Robert Darwin, était
lui-même le fils d’Erasmus Darwin, médecin, naturaliste et homme de lettres
souvent cité pour avoir soutenu dès 1796 que les espèces vivantes se transforment
et dérivent les unes des autres.
Après deux ans d’études de médecine à Édimbourg, Darwin renonce, ne
supportant pas la vue du sang. Son père l’envoie alors à Cambridge en vue de
devenir pasteur. Ce sont cependant les plantes et les animaux qui intéressent le
jeune homme. En 1831, il s’embarque sur le Beagle, navire d’exploration sur
lequel il voyagera pendant cinq ans, en qualité non de naturaliste officiel du
Beagle, mais de gentleman de compagnie de Fitz Roy, propriétaire et capitaine du
bateau. Les observations géologiques et biologiques du jeune Darwin le rendront
cependant vite célèbre, d’un point de vue scientifique aussi bien que littéraire : le
journal de voyage du Beagle (1845) est vite devenu un classique.
De retour en Angleterre, Darwin griffonne les fameux carnets de notes qui, de
1836 à 1844, esquissent la majorité des sujets qui feront sa célébrité. On y
observe en particulier la genèse de l’hypothèse de sélection naturelle. En 1842 et
1844, la théorie de la modification des espèces par sélection naturelle est assez
élaborée pour donner lieu à deux essais de respectivement 35 et 240 pages.
Darwin attendra cependant 1859 pour rendre publique sa théorie dans L’Origine
des espèces. Le succès du livre sera immédiat : les 1 250 exemplaires de la
première édition furent vendus le jour même de la sortie de l’ouvrage. Le mérite
de ce texte réside dans l’ampleur de l’argumentation qui y est déployée. Darwin
examine d’abord les faits qui militent en faveur de l’existence de la sélection
naturelle (variation des espèces à l’état domestique et sauvage, analogie avec la
sélection artificielle, hérédité), puis il montre que cette hypothèse explique mieux
que toute autre des classes de faits indépendantes : adaptations morphologiques et
instinctuelles, distribution géographique des espèces, allure de la documentation
fossile, divergence et extinction des espèces, caractères rudimentaires,
classification, etc. La sélection naturelle est ainsi une hypothèse dont la valeur est
d’unifier et expliquer, à la manière dont l’hypothèse de gravitation universelle de
Newton unifiait et expliquait de vastes ensembles de faits physiques. Darwin n’a
jamais caché son ambition d’être le Newton de la biologie. Et c’est bien ainsi que
L’Origine des espèces au moyen de la
sélection naturelle ou la préservation des
races favorisées dans la lutte pour la vie
paraît en 1859. Dans les dix années qui
suivent, cet ouvrage, traduit en seize langues,
connaît un retentissement international qui
popularise le naturaliste anglais Charles
Darwin (1809-1882) et ses thèses
évolutionnistes. La théorie de l’évolution
démontre que tous les êtres vivants sont
susceptibles de variations individuelles
accidentelles liées aux conditions extérieures
dans lesquelles ils sont placés. Certains
individus présentent des variations qui les
avantagent et qu’ils vont transmettre à leur
descendance. C’est la sélection naturelle.
Bien que Darwin ne mentionne pas
directement l’origine de l’espèce humaine
dans son oeuvre, le débat a rapidement porté
sur cet aspect après la publication de son
livre. Darwin est ainsi l’un des premiers
scientifiques à faire l’objet de caricatures
et de satires sur les supports les plus variés.
Détracteurs et partisans de la théorie de
l’évolution représentent Darwin sous
les traits d’un primate, en particulier un
orang-outan, et ce d’autant plus aisément que
l’apparence du grand savant se prête à cet
exercice.
Cette caricature, représente Charles Darwin
(1809-1882) sous les traits d’un singe
accroché à « l’arbre de la science », ironisant
ainsi sur les théories évolutionnistes du
célèbre biologiste, qui affirmaient que
114
l’Angleterre lui rendit hommage à sa mort. Il est enterré à Westminster Abbey
aux côtés de Newton.
Si l’évolution par sélection naturelle est le premier titre de gloire de Darwin,
l’inventivité de ce savant fut prodigieuse. Des récifs coralliens aux cirripèdes, aux
orchidées, aux plantes grimpantes, aux plantes insectivores et aux vers de terre, il
a été à l’origine de nombreux secteurs de l’histoire naturelle moderne. On lui doit
aussi des contributions capitales au sujet de l’homme : le livre La Filiation de
l’homme (1871) a constitué la première grande tentative pour expliquer la genèse
des facultés intellectuelles et morales sur la base de la sélection naturelle.
L’ouvrage sur L’Expression des émotions chez les animaux et chez l’homme,
quoiqu’il ait beaucoup vieilli, a été une référence pour l’éthologie moderne. Enfin
le court article « A biographical sketch of an infant » (1877), étude réalisée par
Darwin sur l’un de ses dix enfants, est traditionnellement vu comme le point de
départ de la psychologie du développement.
Bien que Darwin ait mené une vie recluse après 1836, il ne fut point un savant
isolé. Sa vision de l’évolution n’est pas sortie de rien. Elle a été longuement
préparée par de nombreux savants depuis la fin du XVIIIe siècle (notamment
Lamarck). L’apport propre de Darwin a été de transformer en paradigme de
travail une multitude d’intuitions et d’observations. Par ailleurs, bien qu’il fût
assez fortuné pour ne pas avoir à travailler, Darwin a mobilisé tout au long de sa
vie une quantité prodigieuse de correspondants qui lui ont apporté une masse
d’observations, et avec lesquels il n’a cessé de dialoguer, comme en témoigne
une correspondance d’environ 14 000 lettres (cette correspondance fait d’ailleurs
de Darwin le savant dont la biographie est sans doute la mieux connue).
Darwin est sans doute avec Shakespeare et Newton le personnage le plus admiré
des Anglais. Quant à sa popularité dans le monde, elle tient à ce que le genre de
science qu’il a pratiquée a eu des effets considérables sur la philosophie et sur la
religion.
En conclusion, on ne manquera pas de souligner une remarquable coïncidence
chronologique : 2009 est le bicentenaire de la naissance de Darwin, mais aussi le
bicentenaire de la publication de la Philosophie zoologique de Lamarck, et le cent
cinquantième anniversaire de L’Origine des espèces.
l’homme « descendait du singe ». Cette
illustration paraît dans le journal satirique
populaire La Petite Lune (fondé en 1878 par
André Gil) alors que l’ouvrage-phare de
Darwin L’origine des espèces par la
sélection naturelle, qui a provoqué une levée
de boucliers lors de sa parution, est paru
depuis déjà une vingtaine d’années (1859) et
que le biologiste consacre alors la fin de sa
vie à de tout autres travaux. Elle souligne
donc l’impact considérable des théories
darwiniennes sur la société de la fin du XIXe
siècle et leur remise en cause persistante,
alors même que les travaux du biologiste
bénéficient à l’époque de la reconnaissance
scientifique de ses pairs. Si le savant
britannique n’a pas été le premier à évoquer
l’évolution des espèces, il a décrit avec
précision et rigueur son mécanisme
biologique, la sélection naturelle, donnant
ainsi un support scientifique plus solide à
cette thèse. Il s’attire alors les foudres de
l’Église et des tenants de la version biblique
de la création du monde qui y voient une
remise en cause des préceptes du dogme
chrétien.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
Punch, journal satirique fondé à Londres en
juillet 1841, illustre ici les controverses
suscitées par la publication de L’Origine des
espèces (1859). Darwin y développe la
première théorie cohérente sur l’évolution
s’effectuant par la sélection naturelle
d’individus. La thèse de Darwin fait l’objet
d’un profond rejet notamment dans les
milieux religieux. En 1872, le théologien
Charles Hodge accuse Darwin de nier
l’existence de Dieu en définissant l’homme
comme le résultat d’un processus naturel et
non d’une création.
115
HC – Les grandes innovations scientifiques et technologiques
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Chast François, Histoire contemporaine des médicaments, coll. « Poche », La Découverte, 2002 (chap. 5).
Ressources
http://nobelprize.org
(documentation sur Fleming, Chain et Florey).
www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/penicilline/penicilline.htm
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 3e futur : « Des évolutions scientifiques et
technologiques majeures depuis 1914.
L’étude est conduite à partir de l’exemple de
la médecine pour faire apparaître
l’accélération des transformations
scientifiques et technologiques.
Décrire l’évolution d’un aspect de la
médecine et expliquer son impact sur les
sociétés »
l s’agit de montrer le rôle de la mobilisation en temps de guerre dans
l’accélération de la recherche fondamentale et dans l’exploitation des résultats de
cette recherche par une industrie qui s’appuie sur cette dernière pour prendre une
dimension mondiale.
Problématiques
– Comment la pénicilline a-t-elle été « découverte » et en quoi est-elle une
nouveauté ?
Il s’agit de réfléchir à la notion de découverte : Fleming, qui « tombe » sur la
pénicilline par hasard, mérite-il davantage de reconnaissance publique que «
l’équipe d’Oxford » qui met patiemment au point l’exploitation thérapeutique de
la molécule ?
– Comment la Seconde Guerre mondiale a-t-elle mis en avant le médicament ?
Les investissements colossaux nécessaires à la production de pénicilline ne sont
possibles que grâce à la collaboration entre l’État et l’industrie ; ce
rapprochement est le produit de la situation de guerre.
– Comment la pénicilline a-t-elle transformé le rapport des sociétés développées à
la santé ?
La pénicilline, suivie de tous les autres antibiotiques, rend anodines la plupart des
infections bactériennes qui rendaient précaire la vie de l’espèce humaine. Vivre
longtemps n’est plus une anomalie ; mourir jeune devient un scandale.
Rechercher les biographies de Chain et Florey, les deux responsables de «
l’équipe d’Oxford ».
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Accompagnement 1ère ST2S :
« La mise au point de la pénicilline a bouleversé la science médicale, mais il a
fallu attendre plus de soixante-dix ans entre les premières découvertes et la mise
sur le marché d’un médicament efficace. Cet exemple permet de comprendre la
complexité des synergies qui entrent en jeu dans le passage de l’invention à
l’innovation. « Contrairement aux sulfamides, dont l’avènement fut une réalité
scientifiquement construite à partir de l’action de certains colorants sur certaines
bactéries, la pénicilline fut, certes, entrevue par les deux générations médicales
qui la précédèrent, mais son avènement semble bien avoir été le fruit d’un
heureux hasard » (F. Chast).
L’antagonisme entre moisissures et bactéries est en effet observé à plusieurs
reprises : dans les années 1870 en Angleterre, en 1897 à Lyon par Duchesne du
service de santé des armées, en Italie par Gosio… puis par Fleming,
La pénicilline est découverte par hasard, du
fait de l’infection par une moisissure d’une
culture bactérienne de laboratoire destinée à
d’autres travaux. Il s’agit d’une substance
produite par une famille de moisissures pour
se protéger des bactéries. Isolée en culture,
elle permet de mettre au point un traitement
interne contre les bactéries (dans le corps du
patient), alors que jusqu’à présent les seuls
traitements étaient externes (asepsie du
milieu). Fleming passera à la postérité, alors
que des travaux précédents existaient et
qu’une autre équipe développa le médicament
BO 1ère ST2S : « La pénicilline : du
laboratoire à la société, naissance d’un
médicament
L’étude de la découverte de ce médicament
célèbre depuis les premières observations
scientifiques en 1870 jusqu’à son application
thérapeutique au cours de la Seconde Guerre
mondiale permet de montrer le
fonctionnement de la recherche
pharmaceutique : travail en laboratoire,
mobilité des scientifiques, rôle de l’état et des
industriels. »
116
bactériologiste au St Mary’s Hospital de Londres, qui découvre la pénicilline en
1928, mais n’en mesure pas toute la portée et abandonne ses recherches en 1932.
F. Chast y voit la preuve a contrario de la nécessité d’une recherche
pluridisciplinaire et de la complémentarité des équipes, alors moins avancée au
Royaume-Uni qu’en Allemagne ou en France (Institut Pasteur). Quelques années
plus tard une équipe d’Oxford, formée autour d’Ernest Chain, biochimiste chassé
d’Allemagne par le nazisme, d’Howard Florey, pathologiste né en Australie, de
Norman Heatley entre autres, réussit à isoler la pénicilline, dont Florey a compris
l’importance thérapeutique, et à fabriquer ainsi le premier antibiotique en 1940.
La découverte est donc britannique.
Mais l’innovation fut américaine. Restait, en effet, le délicat problème de la
production industrielle ; Florey et Chain ne réussissent pas à intéresser l’industrie
pharmaceutique britannique et tentent leur chance aux États-Unis. En 1944,
Pfizer, Merck, Squibb commencent à produire des médicaments en grande
quantité, avec le soutien de l’État et de l’armée pour lesquels la pénicilline est
une priorité stratégique. Fleming, Chain et Florey, qui ne constituent pas une «
équipe » et n’ont jamais travaillé ensemble, reçoivent le Prix Nobel de médecine
et de physiologie en 1945. Rapidement mise sur le marché, la pénicilline fait
reculer les maladies infectieuses et progresser d’autant l’espérance de vie. Les
firmes détentrices des brevets s’imposent dans le secteur des biotechnologies. »
– La recherche médicale en laboratoire joue un rôle central. Les effets
antibactériens de la moisissure du Penicillium sont connus dès la deuxième
moitié du XIXe siècle grâce aux travaux de divers médecins européens, bien que
la découverte de la pénicilline soit généralement attribuée à Alexander Fleming,
en 1928. Les travaux sur le médicament sont poursuivis par Ernst Chain et
Howard Florey, qui prouvent définitivement l’efficacité thérapeutique de la
pénicilline, mais ne parviennent pas à produire des quantités suffisamment
importantes du produit.
– Florey tente en 1941 de convaincre le gouvernement américain de l’utilité de ce
nouveau médicament, afin d’encourager les industries à le fabriquer en grandes
quantités. Cependant, c’est un événement extérieur qui va attirer l’attention des
entreprises pharmaceutiques sur le produit (traitement efficace des brûlés d’un
night-club à Boston en 1942). Dès lors, elles commencent à se lancer dans une
production industrielle du médicament.
– Cette dernière est encouragée par le contexte de la Seconde Guerre mondiale
dans laquelle les États-Unis sont entrés le 7 décembre 1941. L’usage de la
pénicilline est d’abord réservé aux soldats américains blessés sur le front du
Pacifique puis en Europe. Elle passe alors auprès du grand public pour un «
médicament miracle », qui sauve la vie de nombreux soldats.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
en tant que tel.
Fleming ne peut surmonter les difficultés
techniques apparues pour isoler la pénicilline
de sa moisissure productrice. « L’équipe
d’Oxford » met au point ces procédés, mais
elle n’a pas les moyens financiers pour lancer
une production à grande échelle. Finalement,
les besoins sanitaires de l’armée américaine
ont convaincu le gouvernement des ÉtatsUnis de commander aux industriels des
quantités suffisantes pour amortir les
investissements. Distribuée dès 1943 et
massivement utilisée à partir de 1944, la
pénicilline permet de sauver des dizaines de
milliers de vies de soldats américains et
devient dans l’opinion le « médicament
miracle ».
La pénicilline et les antibiotiques qui ont
suivi ont rendu bénignes des infections
souvent mortelles il y a seulement deux ou
trois générations. Les sociétés des pays riches
ont oublié la proximité de la mort et ont
développé le culte du corps, un corps sain et
jeune longtemps et pour tous. Puissante,
innovatrice et en forte croissance, l’industrie
du médicament occupe une place importante
dans l’activité économique et dans
l’orientation des choix sanitaires. Ce n’est
que dernièrement que l’omniprésence de la
médication a entraîné une prise de conscience
des coûts et un regard critique sur le mode de
vie généré.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
117
HC – La colonisation et le système colonial (1850-1939)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Pervillé Guy, De l’Empire français à la décolonisation, Hachette Éducation, 1991, coll. «Carré histoire», 256 p.
Histoire de la France coloniale, 3 tomes, A. Colin, 1991. Existe aussi en poche, coll. « Agora-Pocket ». Une très bonne synthèse,
signée Jean Meyer, Jacques Thobie, Catherine Coquery-Vidrovitch et Charles-R. Ageron.
Hugon (A.), L’Afrique des explorateurs, coll. « Découvertes » Gallimard, 1991
D. Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006.
F. Vergès, Abolir l’esclavage: une utopie coloniale. Les ambiguïtés d’une politique humanitaire, Albin Michel, 2001 (développe
une thèse dérangeante, mais convaincante).
P. Blanchard, S. Lemaire (dir.), Culture coloniale. La France conquise par son Empire, 1871-1931, coll. «Mémoires», Autrement,
2003 (relecture décapante de l’imaginaire colonial).
N. Bancel, P. Blanchard (avec F. Vergès), La République coloniale. Essai sur une utopie, A. Michel, 2003.
Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, De l’indigène à l’immigré, Gallimard, 1998, coll. «Découvertes Histoire», p. 1-54 et 98-109.
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J.-J. Becker, «L’Europe et le monde à la veille de 1914 », La documentation photographique, n° 6053, 1981.
Revues :
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Le Temps des colonies, « Les collections de L’Histoire », n° 11, avril 2001.
L’Empire colonial à son apogée, TDC, N° 710, du 15 au 29 février 1996
« Au temps des colonies », L’Histoire, numéro spécial, 1984
L’Histoire, n° spécial 278, 2003, « Les mystères de l’Inde ».
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
L'histoire de la colonisation s'inscrit de plus en plus dans le temps long. Celui de
l'Europe et de son expansion mais aussi celui des peuples colonisés. Dès 1946, un
des plus prestigieux acteurs de la colonisation, Jawaharlal Nehru s'attachait dans
La Découverte de l'Inde (édition en langue française, Ph. Picquier, ed Arles,
2002) à décrire l'histoire de son pays, son passé culturel, social et politique; il
dénonçait « l'histoire presque toujours écrite par les vainqueurs et les conquérants
dont elle expose les points de vue. » La monumentale histoire de l'Afrique
publiée par l'UNESCO, malgré bien des points controversés, a elle aussi le mérite
de donner la parole aux historiens africains et de montrer qu'existaient avant la
colonisation des États, des cultures, des sociétés qui ne se réduisent pas au
folklore de peuples immatures. Les ouvrages d'H. Brunschwig, de C. CoqueryVidovitch et d'E. M'Bokolo ont eux aussi contribué à porter un regard d'historien
sur ce continent longtemps abandonné aux explorateurs et aux anthropologues.
Par ailleurs, la description de l'héroïque mission civilisatrice ou la dénonciation
des égoïstes appétits européens ont cédé la place à une vision plus complexe et
plus nuancée. H. Brunschwig puis Jacques Marseille ont montré que les analyses
marxistes dans la lignée de « l'impérialisme, stade suprême du capitalisme » de
Lénine, concluant à un enrichissement sans mesure des métropoles par
l'exploitation coloniale devaient être remises en cause. Déjà en 1945, H.
Brunschwig écrivait « dans son ensemble, sur le plan financier, la colonisation ne
fut pas payante. Beaucoup moins sans doute que les investissements capitalistes
dans les pays colonisés ».
Dans le sillage de Raymond Aron, on a aussi montré que l'impulsion proprement
politique semble plus forte que les motivations économiques » et que le
mouvement colonial s'inscrit dans ce que René Girault appelle le « nationalisme
de puissance ».
Des ouvrages récents comme celui de Jacques Fremeaux (Maisonneuve et
Larose, Paris, 2002) tentent quant à eux d'inscrire « les empires coloniaux dans le
processus de mondialisation. » D'une manière générale, comme le souligne Pierre
Guillaume, on a dépassé le stade de l'hagiographie mais aussi celui de
l'imprécation ou du mea culpa.
Accompagnement 1ere : « La constitution
d’empires coloniaux permet aux métropoles
d’étendre leur domination sur d’immenses
territoires continentaux et maritimes. C’est
par exemple un des éléments-clés de la
puissance et de l’influence britanniques.
Cette ère coloniale s’ouvre au XIXe siècle
par une période de gestation, durant laquelle
la conquête politique d’État n’est pas à
l’ordre du jour, si l’on excepte l’Algérie.
À partir des années 1870, commence le temps
des occupations et des partages – qui
s’achèvent en 1919 –, où le facteur
géopolitique et l’affrontement des
nationalismes jouent un rôle important. La
pénétration européenne engendre des
résistances armées de la part des populations,
de chefs d’État, comme Samory Touré dans
l’Ouest africain, ou des deux unis (guerres
zouloues ou opposition annamite à la
conquête des années 1880). Malgré une
pacification d’ensemble acquise avant 1914,
cette résistance ne cesse jamais, comme le
montre la guerre du Rif.
La période gestionnaire des empires,
désormais stabilisés, s’ouvre après la
première guerre mondiale. La diversité des
modes d’administration, de mise en valeur et
d’exploitation économique est grande ; seule
une démarche typologique permet d’en
rendre compte. Durant les années 1930, le
nationalisme se manifeste dans plusieurs
119
Il s’agit d’analyser et de comparer les méthodes de conquête, d’administration et
de mise en valeur des territoires, les pratiques des colons, des missionnaires et
des médecins, les réactions indigènes à la domination coloniale, la nature des
relations avec la métropole, etc. Il s’agit aussi de comprendre à la fois les ressorts
de cette expansion, l’idéologie qui l’accompagne et la légitime et les résistances
qu’elle a suscitées.
Le temps des plaidoyers est révolu, comme celui des imprécations qui l’a relayé
dans les années de la décolonisation. Les recherches actuelles sont le fait
d’historiens, de géographes, de sociologues ou d’anthropologues et portent à la
fois sur les transformations des sociétés comme sur la culture coloniale. Les
premières émanent le plus souvent de chercheurs formés dans les jeunes nations
émancipées, même si, autour de Catherine Coquery-Vidrovitch s’est formée une
école de jeunes historiens, comme Odile Goerg, sensibles aux dynamiques des
sociétés, au rôle des nouveaux acteurs sociaux (femmes, citadins…), aux
multiples formes de métissage, etc. Ces travaux qui refusent l’européocentrisme
traditionnel, portent souvent un regard très critique sur l’héritage de
l’anthropologie coloniale, oeuvres d’administrateurs se proclamant « africanistes
», ou sur les travaux des spécialistes de la géographie dite « tropicale » ou «
d’outre-mer ». D’autres études privilégient l’imaginaire colonial, sondant les
profondeurs de l’imprégnation populaire qui, entre vanité de la nation
conquérante et fascination exotique, fait de la culture coloniale une des
manifestations de la conscience collective des « sociétés impériales », selon la
formule de Christophe Charle. On retiendra en particulier les travaux de l’équipe
dirigée par Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire portant sur les multiples
facettes de la célébration de l’oeuvre coloniale, que relaient l’école, mais aussi les
exhibitions ethnologiques (les « zoos humains » redécouverts à la suite d’un
colloque récent), le discours « scientifique », la chanson, la littérature, le cinéma
ou la publicité. La domination du monde s’exprime aussi à travers cette
colonisation de l’imaginaire dont les traces sont encore visibles aujourd’hui dans
notre mémoire collective. Enfin, il paraît impossible d’aborder cette question sans
prendre en considération les débats récents autour du devoir de mémoire, du droit
d’inventaire et de la « repentance ». Ce sont des questions délicates qui doivent
être traitées avec le sens des nuances. La colonisation a été une page ambiguë de
notre histoire, processus incontestablement destructeur dans les sociétés du Sud,
mais qui a aussi donné naissance, dans les ex-métropoles, à des sociétés métisses
où la pluralité sera d’autant mieux acceptée qu’on fera retour à l’histoire…
Nous n’avons pas insisté sur le lien entre rivalités coloniales et Première Guerre
mondiale, parce qu’il apparaît nettement secondaire ; en revanche, la relation
réciproque, entre Première Guerre mondiale et contestation de la colonisation,
est beaucoup plus avérée.
Un bâtiment : le CNHI
Le «Musée permanent des colonies » avec son aquarium tropical fut construit en
1931, sur les plans des architectes Léon Jaussely et Albert Laprade, dans le cadre
de l’Exposition coloniale internationale. En 1960, il devint, sur décision d’André
Malraux, le musée des Arts africains et océaniens (musée de la porte Dorée).
L’édifice bénéficia des créations des meilleurs représentants de l’Art Déco. La
Salle des Fêtes est ornée de fresques monumentales du peintre Pierre Ducos de
La Haille. Sur les murs, une immense fresque développe sur plus de 600 m2
l’apologie des vertus morales et politiques de la colonisation française. Dans un
ensemble où la propagande le dispute à la naïveté, la France apporte la lumière au
monde, proclame la liberté et l’égalité, libère en 1848 les Noirs des chaînes de
l’esclavage et reçoit en retour ses richesses…
Le musée permanent des Colonies a été construit en 1931 dans le cadre de
l’exposition coloniale internationale, le seul bâtiment conçu pour survivre à
l’exposition. Il a été édifié par l’architecte Albert Laprade dans le but de propager
l’oeuvre coloniale auprès du grand public, grâce à son architecture et à son
programme iconographique et muséologique. Le sculpteur Alfred Janniot a
habillé la façade d’un bas-relief de 1 100 m2 représentant les colonies apportant
leurs richesses à la métropole. La salle centrale (salle des fêtes) du musée est
conçue par Laprade pour recevoir les fastes des réceptions qui ponctuent
l’exposition coloniale. Elle constitue le coeur autour duquel sont distribuées les
galeries d’exposition. C’est là que sur plus de 600 m2, Georges Ducos de la
Haille et ses élèves de l’École des Beaux-arts ont peint une grande fresque,
colonies (des campagnes de désobéissance
civile impulsées par Gandhi à l’action de
partis politiques, tel celui de Soekarno en
Indonésie), sans que les métropoles lui
apportent des réponses crédibles. Si une mise
en cause des empires coloniaux est donc
perceptible avant la deuxième guerre
mondiale, elle ne sera massive qu’après le
conflit et n’est donc pas au centre de cette
étude.
L’impact du monde dominé sur les cultures
européennes est partie intégrante de cette
étude. Il est multiple et évolutif, comme le
montre l’exemple de la France. L’opinion
publique n’a pas la fibre coloniale jusqu’à
l’entre-deux-guerres, sans être indifférente
aux spectacles «exotiques», aux retombées
économiques potentielles, à la gloire militaire
ou à la mission civilisatrice de la France ;
durant les années 1930, l’«oeuvre coloniale»
est au contraire intégrée, ce que symbolise
l’apogée de l’exposition de 1931. Face à
l’action du lobby colonial, des oppositions
existent tout au long, depuis ceux qui
contestent l’intérêt de la colonisation
jusqu’aux minoritaires qui dénoncent
l’exploitation des indigènes. L’image de
l’autre évolue : ainsi, des artistes et des
écrivains sont-ils fascinés par l’art africain au
début du XXe siècle, favorisant la
reconnaissance de la pluralité des
civilisations. »
BO 4è actuel : « Le partage du monde (2 à 3
heures)
La comparaison de cartes du monde en 1815
et en 1914 permet de mettre en évidence le
phénomène colonial, sans entrer dans les
détails chronologiques mais en évoquant les
multiples raisons qui rendent compte de
l’expansion mondiale des puissances
industrielles, les formes diverses de cette
expansion et les tensions internationales
qu’elle suscite.
• Cartes : les empires coloniaux en 1914. »
BO 4e futur : « LES COLONIES
Les conquêtes coloniales assoient la
domination européenne. Les colonies
constituent, dès lors, un monde dominé
confronté à la modernité européenne.
Étude :
- d’un exemple au choix de conquête
coloniale, et
− d’un exemple au choix de société coloniale.
Connaître et utiliser le repère suivant : les
principales colonies britanniques et françaises
en 1914
Décrire et expliquer quelques unes des
modifications introduites par l’arrivée des
Européens dans un territoire colonisé ».
120
parfait produit de l’idéologie coloniale d’alors. Les représentations se répondent
de façon symétrique et produisent un discours allégorique qui présente la France
comme une nation coloniale dispensatrice de bienfaits. Le bas-relief de la façade
consacré aux apports matériels des colonies à la France a pour pendant, sur la
fresque, les apports moraux et politiques de la métropole à son Empire ainsi que
les grandes découvertes européennes : la paix, le travail, la justice, la liberté, l’art,
la science, le commerce, l’industrie.
Sur le mur du fond figure l’hommage de la France aux cinq continents. On
aperçoit au centre la France pacificatrice, une colombe dans la main gauche,
vêtue de blanc et drapée d’un manteau rouge doublé d’hermine. Elle donne la
main à la figure de l’Europe. Les quatre autres continents sont symbolisés par des
femmes, pourvues d’attributs permettant de les identifier. L’Afrique apparaît sous
les traits d’une femme de peau noire, coiffée de plumes blanches, entourée de
femmes portant sur leur tête un tas de victuailles et l’éventant à l’aide de grandes
feuilles de palme. Elle regarde vers l ‘Asie incarnée par une danseuse
indianisante, à plusieurs bras, chargée de références religieuses. Comme
l’Afrique, elle est assise sur un éléphant. Autour de l’Asie, des porteurs
d’offrandes forment un cortège majestueux. L’Océanie, incarnée par une vahiné
drapée d’un simple paréo brodé, est allongée sur un cheval marin blanc, dans une
posture lascive. Elle fait pendant à l’Amérique, présentée sous les traits d’une
femme d’allure moderne aux cheveux courts qui désigne les États-Unis, tenant la
maquette d’un gratte-ciel entre ses mains. Ces six figures féminines sont reliées
par un décor végétal riche, un peu traité à la manière d’une tapisserie. En son
centre, à l’arrière-plan, la trouée bleue est en partie occupée par les bateaux
européens dont on aperçoit les voiles blanches.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
121
HC – Femmes et colonisations
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Pourquoi peut-on dire que les femmes en situation coloniale (et post coloniale)
ont été doublement négligées : comme sujets de l’histoire par les colonisateurs
puis comme sujets d’étude par les historiens ?
Quel impact a la colonisation sur le système de genre, défini à la fois comme un
ensemble de rôles sociaux sexués et un système de représentations définissant
culturellement le masculin et le féminin ? A-t-elle fait bouger les identités de
genre ?
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Histoire des femmes en situation coloniale. Afrique et Asie, XXe siècle, sous la direction d’Anne Hugon, éditions Karthala, 2004.
Femmes d’Afrique dans une société en mutation, sous la direction de Philippe Denis et Caroline Sappia, collection « espace
Afrique », Academia Bruylant, 2004.
Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, sous la direction de Jean-Charles Jauffret, éditions autrement, 2003.
Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier, La femme au temps des colonies, 1985
A. Ruscio, Amours coloniales. Aventures et fantasmes exotiques de Claire de Duras à Georges Simenon, recueil de textes,
Complexe, Bruxelles 199
C. Coquery-Vidrovitch, Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle, Desjonquières, 1994.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Pendant longtemps la recherche francophone a fait preuve d’une totale cécité à
l’égard de l’histoire des femmes et du genre pendant la période coloniale et post
coloniale. Le fait colonial étant une affaire d’hommes, on en a oublié qu’il ne
s’exerçait pas que sur des hommes, et que, dans leur entreprise, les Européens
avaient aussi souvent entraîné des femmes et colonisé des hommes et des
femmes.
L’histoire des femmes en période coloniale n’en est qu’à ses débuts. Cependant
depuis une vingtaine d’années, un certain nombre de travaux a privilégié une
approche genrée du phénomène :
En 1985, pionnières en la matière, Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier
proposaient « La femme au temps des colonies. » Dans les années qui ont suivi,
des travaux de recherche ont été publiés sur les femmes cette fois, dans et autour
de la guerre d’Algérie, rendant ainsi visibles, dans leur diversité, leur vie
quotidienne. Ces recherches se sont intéressées aussi bien aux Européennes
qu’aux femmes algériennes. Comme le feront quelques années plus tard
Christelle Taraud ou Raphaëlle Branche à propos de la prostitution ou de la
torture. Ces travaux cependant ne font pas une histoire genrée du passé
colonial…
La première synthèse en français, soulignant les effets néfastes de la colonisation
sur les femmes, se trouve dans l’ouvrage collectif dirigé par Marc Ferro « Le
livre noir du colonialisme ». En 1997 un numéro spécial de la revue Clio fait date
« Femmes d’Afrique » suivi deux ans plus tard par « Femmes du Maghreb »
Des travaux nombreux mais plus anglophones que francophones (un passé qui ne
passe pas ?). Des travaux récents mais s’intéressant surtout à la période coloniale
(problème d’accès aux sources ?) et plus particulièrement à la seconde
colonisation.
Donc un bilan historiographique en demi-teinte, avec des domaines entiers encore
pratiquement vierges comme la participation des femmes aux processus
d’indépendance, les effets des indépendances sur les femmes…
Arlette Gautier cite l’exemple de l’aventure
d’Anna Leonowen, gouvernante du roi du
Siam vers 1860 et porté à l’écran à trois
reprises : 1946, 1956 et 1999. Elle remarque
qu’entre les trois versions, les représentations
des acteurs masculins ont changé (en mieux
puisqu’ils ne sont plus présentés comme des
« primitifs ») alors que celles des
personnages féminins (européenne ou
siamoises) sont restées proches des clichés
(gouvernante très « british » et siamoises
asservies). Arlette Gautier voit un parallèle
entre les évolutions cinématographiques et
celles de l’historiographie : si la colonisation
est un phénomène bien étudié, on ne peut pas
en dire autant de celui des femmes
colonisées.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Il est difficile de traiter de façon exhaustive la question, du fait de la multiplicité
Comment rendre réelle cette histoire pour nos
122
dans le temps et dans l’espace des styles de colonisation et des sociétés
colonisées. Aussi faisons nous le choix de nous intéresser plus particulièrement
aux thèmes pouvant trouver un écho dans nos classes, du cycle 3 à la terminale
c’est-à-dire :
I. L’impact de la colonisation sur les femmes colonisées
II. Les images des femmes colonisées véhiculées par les affiches
I. Quel impact a eu la colonisation sur les femmes ? La problématique du progrès
était-elle censée s’adresser aussi aux femmes ? La colonisation a-t-elle été pour
elles civilisatrice voire émancipatrice ou au contraire conservatrice, régressive,
déstabilisante ?
Premier facteur potentiel de changement : l’éducation
L’éducation, mission souvent avancée pour légitimer le fait colonial, ne semble
avoir guère touché les filles et a même creusé les écarts entre filles et garçons.
D’après l’UNESCO, en 1950 le pourcentage d’enfants scolarisés dans le primaire
est de 10% dans les colonies françaises. En Algérie sur ces 10% seulement 1/3
sont des filles. En AOF, en 1908, on compte une fille pour 11 garçons scolarisés,
en 1938 une fille pour 9 garçons, en 1954 une fille pour 5 garçons. Ces
différences sont, en grande partie, du fait de l’administration coloniale qui a des
réticences à ouvrir l’enseignement aux filles. Un décret français de 1887 prévoit
pourtant l’ouverture des écoles aux musulmanes mais sans obligation.
La scolarisation aggrave également les écarts sociaux puisqu’elle pénètre en
premier chez les notables. De plus, elle pose paradoxalement le problème de
l’avenir des filles éduquées. Quel mari pour ces filles trop savantes ?
Par ailleurs quel modèle de féminité est proposé à travers les programmes de ces
enseignements ?
Cet enseignement est avant tout idéologique et dispense les valeurs de la
bourgeoisie européenne en proposant des cours de morale, de couture, de cuisine
et de santé. Son objectif est de transformer les Africaines en mères compétentes
et épouses vertueuses. Le cas de l’école des fiancées du Cameroun est à ce titre
intéressant. On y prépare alors dans ses murs de futures épouses sachant fabriquer
des vêtements décents cachant leur nudité et sachant tenir leur foyer. Un
enseignement essentiellement domestique donc !
On ne peut évoquer l’enseignement dans les colonies sans parler du rôle essentiel
qu’ont joué très tôt les missionnaires dans ce domaine. Rebecca Rogers n’hésite
pas à parler à leur propos « d’échec de la mission civilisatrice » car, dit-elle, si le
discours se veut émancipateur en se proposant d’améliorer le statut des femmes
grâce à l’instruction et au mariage monogame, il renforce en fait la domestication
et la dépendance économiques des femmes (on retrouve fréquemment des
anciennes élèves domestiques chez des Européennes !). Parfois, d’ailleurs,
certaines familles s’opposent à ces programmes ainsi que le note le missionnaire
responsable de l’institution St Agnès à Johannesburg :
« Les indigènes ont du mal à accepter le travail industriel pour leurs filles. Leur
seule vision de l’éducation est un savoir livresque, et beaucoup de filles sont
parties parce qu’elles n’aimaient pas faire le lavage, le ménage, etc. en plus du
travail scolaire. Avec le temps, j’imagine qu’ils comprendront que, pour les
femmes, d’autres formes d’éducation sont tout aussi importantes, sinon plus
importantes que le savoir scolaire ! ».
Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier s’interrogeaient sur l’émergence de
nouvelles élites par les effets de cette scolarisation. La réponse est encore
aujourd’hui difficile à apporter.
Ainsi, éduquer les filles s’est inscrit dans une préoccupation très européenne
d’opérer des transformations sociales à travers la formation de bonnes épouses et
mères de famille. Il y a donc eu contradiction totale entre les objectifs affichés et
les pratiques.
Autre facteur de changement : le salariat
La pénétration de l’économie moderne a transformé la répartition sexuelle des
tâches et introduit de nouveaux rapports entre les genres. L’exemple de l’Afrique
noire, cité par Arlette Gautier, est explicite. Avant la colonisation, les femmes
travaillaient la terre et avaient ainsi une certaine autonomie financière en gardant
les bénéfices. Cependant cela ne convenait pas aux colonisateurs. Ainsi un
administrateur britannique note : « Les hommes et les femmes ne sont pas encore
suffisamment différenciés en Birmanie. C’est la marque d’une jeune race, comme
l’ont montré les anthropologues (…). Les femmes doivent perdre leur liberté dans
élèves ?
Les sources sont nombreuses puisque les
femmes colonisées ont été un sujet de
préoccupation pour les missionnaires, les
administrateurs, les médecins, les juristes
fournissant documents, enquêtes, analyses sur
les femmes blanches colonisatrices ou les
femmes indigènes.
Mais difficilement accessibles au professeur
d’histoire qui aurait la volonté de tenir
compte des avancées de la recherche dans ses
cours. Si l’on jette un rapide coup d’œil sur la
documentation qu’un enseignant a à sa
disposition, on ne peut être que perplexe.
Dans le TDC n° 840 de septembre 2002 « la
France face à la décolonisation », on trouve
deux photos de femmes voilées (pages 3 et
21) mais le commentaire ne s’intéresse
aucunement à elles.
Dans le TDC n° 710 de février 1996 «
l’Empire colonial à son apogée », on a des
affiches (pages 10 et 12) mais le commentaire
ignore l’avancée de la recherche sur le genre
en présentant Joséphine Baker comme
symbole de la Vénus noire ou en parlant de
LA femme noire, asiatique…
Le titre de l’article de Roger-Henri Guerrand
« Les mirages de l’exotisme » dans le numéro
spécial de L’Histoire d’avril 2001 pouvait
laisser supposer une réflexion sur le discours
colonial et le genre. Or il n’en est rien.
Dans la même revue, sur les 22 pages du n°
292 de novembre 2004 affirmant « La guerre
d’Algérie, ce qu’on savait vraiment », 4
lignes font allusion au témoignage de
Louisette Ighilahriz, militante FLN torturée
pendant la bataille d’Alger.
Dans L’Histoire de décembre 2004, un
article, cette fois, est consacré à une femme,
Isabelle Eberhardt. Héroïne au destin
exceptionnel, on ne peut que regretter que
l’on ne s’intéresse pas plus à ses écrits sur les
femmes arabes.
Quant à la Documentation Photographique
n°7042 sur la colonisation européenne, il faut
visionner les diapositives pour enfin
apercevoir une religieuse dans une classe.
Comment dès lors s’étonner de l’absence des
femmes dans les manuels scolaires traitant de
cette question ?
On se trouve donc devant un véritable
chantier. Peut-on avec les programmes tels
qu’ils existent reconstruire le passé colonial
et post-colonial en intégrant des femmes afin
d’enseigner une histoire mixte de cette
période?
Étude de cas sur le fait colonial en Algérie
en classe de Première ES et L :
Problématique : « Quels sont les rôles joués
par la métropole, par les hommes et les
femmes (colons et colonisés) dans la colonie
? ».
Documents « rajoutés » : photographie d’un
123
l’intérêt de tous. ». C’est ce que Barbara Rogers appelle la « domestication des
femmes ». On observe ainsi petit à petit une séparation nette des tâches entre
l’homme et la femme, ce qui est pour les colonisateurs, influencés par le
darwinisme social, signe de progrès social.
Cependant le paysage est contrasté et, au fil du temps, le salariat s’est peu à peu
féminisé tout en cantonnant les femmes dans les secteurs où elles ne
concurrencent pas les hommes, les confinant dans des professions aux rôles
sexuels, requérant des compétences que l’on juge naturelles chez elles : métiers
de la santé et de l’enseignement.
Dans ce nouveau partage, les hommes colonisés et en particulier les lettrés ont,
semble-t-il, laissé faire scellant ainsi avec les colonisateurs une alliance pour le
contrôle des femmes.
Quel a été alors le discours des féministes ?
Les féministes ont-elles été sensibles à la question coloniale et dans l’affirmative
ont-elles réussi à développer une réflexion originale et des revendications
spécifiques pour les femmes africaines ?
C’est la question que se sont posé dans « Femmes d’Afrique », Catherine Jacques
et Valérie Piette , en étudiant les féministes belges et la colonisation au Congo.
Elles montrent que dès 1920 des liens étroits sont établis entre les féministes et
les femmes coloniales afin de cerner les nouveaux débouchés qui s’offrent au
travail féminin en particulier pour les universitaires et les médecins.
Cependant, concernant l’émancipation des femmes indigènes, les féministes
belges leur appliquent le modèle d’émancipation européen. Elles poursuivent
dans l’entre-deux-guerres trois objectifs : montrer que l’Africaine est un être
humain digne d’intérêt, que l’on doit la civiliser par l’éducation et la moraliser
par le travail. Elles ne prennent alors aucune distance par rapport aux référents de
la culture occidentale de l’époque et malgré elles font que leurs efforts confortent
les visées des autorités coloniales.
Ainsi, toutes et tous, administrateurs, missionnaires, féministes ont réalisé des
efforts louables mais peu libérateurs pour les femmes colonisées.
II. Images des femmes colonisées
Force est de constater que le discours sur et autour des colonies est un discours
profondément sexualisé. Depuis Marco Polo, cartes postales, romans, affiches
participent à la construction d’un imaginaire colonial masculin dans lequel les
femmes sont disponibles pour toutes les voluptés. Dans des métropoles très
puritaines, seuls les corps colonisés peuvent s’exhiber pratiquement nus. Nicolas
Bancel y voit un exutoire à la libido occidentale et Alloula Malek parle de
l’invention d’un « harem colonial ». L’incarnation de ce fantasme est très
certainement Joséphine Baker, transformée pour son public en bombe érotique
africaine, n’hésitant pas à sortir de scène à quatre pattes comme une bonne
sauvage !! (rappelons qu’elle était américaine). Une lecture psychanalytique du
phénomène s’éloignerait trop de notre sujet, mais on ne peut s’empêcher de
remarquer que les occidentaux projettent alors sur les colonisées l’image de ce
qui les effraie et les fascine à la fois chez les femmes. Ainsi va-t-on dans les
représentations, certes vêtir l’Africaine, mais dénuder la mauresque…
À travers les affiches, les femmes sont envisagées comme porteuses de la
représentation de la mission que veulent mettre en œuvre les colonisateurs.
Jusqu’en 1920, la plupart des photographies montrent l’Africaine pratiquement
dénudée. Par la suite, le passage à une tenue vestimentaire « plus décente » est
pensé comme une véritable exigence de « civilisation ». À partir de ce momentlà, on peut la photographier avec des enfants. La domestication est alors achevée.
L’exposition coloniale internationale de 1931, dont le commissaire général est le
maréchal Lyautey, est à ce titre un moment clé de l’imagerie coloniale française.
Outils de vulgarisation ethnographique, la plupart des affiches réalisées pour
l’occasion donnent l’image d’un empire multi racial. Quelques-unes, voulant
louer la beauté de l’empire, utilisent des femmes. Sur celle intitulée « La plus
grande France », trois jeunes femmes symbolisent les trois espaces de la
domination française (Afrique noire, Maghreb et Asie). L’Afrique domine
l’allégorie, tenant dans sa main une sculpture. Au premier plan, assise sur le sol
une jeune indochinoise. Au milieu, une jeune femme censée symboliser l’Afrique
du Nord. Les degrés de civilisation sont symbolisés par la nudité ou la pudeur de
chaque personnage stylisé. L’Africaine est pratiquement nue. Elle rappelle
Joséphine Baker, sorte de « Vénus noire ». Ces personnages sont profondément
instituteur faisant la classe pendant la période
coloniale devant un public exclusivement
masculin, affiche « Algérie pays de qualité »
sur laquelle figure une femme musulmane.
Thèmes proposés « rajouté » : « la place des
femmes dans le système colonial »
Etude d’une affiche coloniale en classe de
Première L/ES ou de Terminale S
Affiche « La plus grande France »,
couverture du dépliant de l’exposition
coloniale de 1931
1. Identifiez et caractérisez l’origine du
document
2. En quoi consiste une exposition coloniale ?
Quel est son but ?
3. Qui sont ces trois femmes ? Comment
sont-elles représentées ?
4. Quelle conception de l’humanité et des
femmes véhicule ce document ?
Le « bal nègre » de la rue Blomet
L’exotisme est inséparable de l’érotisme. Au
coeur de Paris, on vient retrouver un peu de
l’atmosphère sensuelle des nuits tropicales. Si
cette association est ancienne (Mille et une
Nuits…), ce succès en dit sans doute long sur
les frustrations occidentales… Ces peuples
qu’on dit proches de la nature, sont sans
tabous, ce qui, à l’heure des années folles, ne
peut que séduire tous ceux qui veulent se
libérer des pesanteurs morales victoriennes…
On notera qu’alors que la congaï
indochinoise conjugue la douceur juvénile et
l’insouciance, l’Africain exerce une
fascination différente : peu d’érotisme subtil
mais un instinct puissant (« ça sentait la sueur
») que révèle la danse, suivie d’abandon,
voire, l’alcool et le tabac aidant, de transes et
d’orgies.
La guerre d’Éthiopie en chanson
La conquête de l’Éthiopie en 1936 venge
l’humiliation d’Adoua (1896) et suscite une
profusion de chansons patriotiques en Italie,
comme cette Faccetta Nera qui exalte la
libération d’une Éthiopie esclave, identifiée à
une Belle Abyssinienne qui attend de pouvoir
se draper dans la bannière italienne et d’être
caressée par le soleil romain pour trouver le
bonheur. Le paternalisme aux accents
discrètement incestueux illustre parfaitement
un imaginaire colonial qui n’est pas très
différent de celui de La Petite Tonkinoise
(1906) que popularise en 1930 Joséphine
Baker…
124
distincts mais en même temps imbriqués les uns dans les autres pour symboliser
l’Empire : ainsi le message est clair.
Ces images ont contribué à la construction d’un imaginaire. L’a-t-on
complètement décolonisé ? Certaines publicités jettent le doute (cf. « black is
beautiful » ou l’affiche nostalgique du film « Indochine »).
La petite Tonkinoise (1906)
La petite Tonkinoise, immortalisée par Joséphine Baker qui triomphe avec cette
chanson en 1930 sur les planches du Casino de Paris, appartient au répertoire des
chansons à influence colonialiste (lire et écouter sur ce sujet le livre et le CD
d’Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies, Maisonneuve,
2002). Elle séduit au début du siècle le comique troupier Polin qui l’entend dans
l’un des cabanons de la banlieue marseillaise où se produisait alors Vincent
Scotto.
La femme indigène est d’abord une enfant docile. La récurrence du terme petit ou
petite est d’ailleurs frappante dans la chanson coloniale (Ourika, ou la petite
Marocaine, la Petite Mousmé, la Chère petite Thi Hai…), ce qui traduit une
fascination pour les amours interdites – mais largement tolérées loin de la
métropole ! – comme la force du paternalisme colonial. La comparaison animale
peut paraître flatteuse (« charmante comme un z’oiseau »), elle n’en relève pas
moins du cliché, au même titre que, dans d’innombrables cas, le prognathisme ou
la longueur des bras évoquant le singe. Ces stéréotypes se retrouvent dans la
littérature : Paul Bonnetain (1886) décrit de jeunes femmes annamites aux «nez
épatés pareils à des croupions de volailles », Crayssac, poète « indochinois »,
appelle sa dame de compagnie, Schmâm’ah, « joli singe aux yeux caressants »
(1913)…
L’indigène est toujours une femme facile et peu farouche, et la relation qu’elle
entretient avec son amant européen se réduit à l’amour physique (« tes caresses
»). Quant au couple colonisé-indigène, il est sans avenir. Le concubinage est plus
ou moins toléré, comme une modalité de la « soumission naturelle » de
l’indigène, et la frontière est souvent ténue entre la fonction de domestique et
celle de maîtresse. Jamais le colon ne ramène sa congaï, sa vahiné, sa mouquère
ou sa mousso en métropole. L’homme blanc qui s’engage vraiment avec une
indigène est décrit comme en rupture de civilisation : il se «décivilise», se
«bougnoulise», s’«encougaille», s’«encanaque» ; il est perdu pour son pays, a une
vie contre-nature. Les coloniaux – c’est-à-dire les agents de l’autorité
métropolitaine – qui se laissent tenter par un concubinage déclaré suscitent la
réprobation et un mariage inter-ethnique conduit souvent à la révocation. Il s’agit
donc d’amours malheureuses ou provisoires ; de toute façon, la femme indigène
est réputée inaccessible à la noblesse du sentiment amoureux !
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
En croisant les recherches sur la colonisation et celles sur le genre, on est amené à
nuancer ce que l’on croyait savoir : hommes et femmes n’ont pas été affectés de
la même manière par ces processus historiques.
Au regard de la recherche actuelle, on peut dire que c’est la construction même
des genres, c’est-à-dire à la fois ce qui était attendu en fonction du sexe et les
rapports entre les sexes qui a été bouleversé par le fait colonial.
Toutefois l’histoire des femmes en situation coloniale et post coloniale est
contrastée. Loin de l’image erronée et idyllique fournies par les cartes postales et
les affiches, elle nous renvoie plus souvent soumission, exploitation et violences.
Ce serait cependant une erreur de perspective de ne retenir que le passif. Il
convient aussi d’y chercher les signes prémonitoires d’une mutation.
Longtemps, les femmes en période coloniale ont été définies davantage par le
bien (la mission civilisatrice), le mal (les violences) qu’on leur apportait que par
leur trait propre. Aussi peut-on dire avec Henri Moniot que les femmes en
période coloniale ont été constamment pensées sur le mode de la « déréalisation
».
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
125
HC – Immigration et immigrants (1850-1939)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Noiriel, G., Population, immigration et identité nationale en France, XIXe-XXe siècle, coll. Carré Histoire, Hachette, Paris, 1992
NOIRIEL Gérard, Le Creuset français, Histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècles, Seuil, 1988.
Dupaquier Jacques (dir.), Histoire de la population française, tome 3, « De 1789 à 1914», PUF, 2000, coll. «Quadrige», 560 p.
Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, De l’indigène à l’immigré, Gallimard, 1998, coll. «Découvertes Histoire», p. 1-54 et 98-109.
N. Green, L’Odyssée des émigrants, coll. « Découvertes », Gallimard, Paris 1994.
A. Armengaud, La Population en France au XIXe siècle, coll. « Que sais-je ? », PUF, Paris, 1965.
J.-C. Gégot, La population française aux XIXe-XXe siècles, Ophrys, 2002.
H. Le Bras et E. Todd, L’invention de la France, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1981.
P. Milza, Voyage en Italie, Plon, Paris, 1993.
Dewitte, Ph. (dir.), Immigration et intégration, coll. L’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1999
Schor, R., Histoire de l’immigration en France de la fin du XIXe à nos jours, Armand Colin, Paris, 1997
Deroo, É., L’illusion coloniale, édition Taillandier, Paris, 2005
Documentation Photographique et diapos :
Blanc-Chaléard Marie-Claude, « Les immigrés et la France. XIXe-XXe siècles », La Documentation photographique, 2004, n°
8035.
J.-J. Becker, «L’Europe et le monde à la veille de 1914 », La documentation photographique, n° 6053, La Documentation
française, 1981.
« L’aventure démographique en France au XIXe siècle », La documentation photographique, n° 6026, Paris.
Revues :
L'immigration en France, TDC, N° 936, du 15 au 31 mai 2007
L’Histoire n° 193, novembre 1995, «La France et ses immigrés, 1789-1995» dont Milza Pierre, « Les mécanismes de
l’intégration, la France et ses immigrés »
J.-P. Bardet, « Un vieux pays ouvert aux étrangers », in L’Histoire, n° 229, février 1999.
« L’immigration en France au XXe siècle », Dossier Historiens&Géographes, n° 383, juillet-août 2003 et 384 octobre-nov. 2003
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
Quelles conséquences ces départs auront-ils pour la culture européenne ?
L’importance numérique de ces départs et leur extension dans le temps permet à
la culture européenne de se répandre plus aisément dans le monde. En cumulant
avec les effets de la colonisation, on voit ainsi s’amplifier l’européanisation de
l’ensemble des continents (modes de vie, calendrier, etc.)
Le phénomène migratoire est-il réductible à une relation entre l’Europe et les
États-Unis ?
Ce phénomène particulièrement important entre l’Europe et les États-Unis touche
également l’ensemble des continents. Sur le continent américain, le Brésil ou
l’Argentine sont aussi des pays d’accueil.
De l’indigène à l’immigré : république et particularisme
Il s’agit de montrer l’intérêt d’une bonne connaissance de l’Histoire et surtout du
passé colonial de la France. L’immigré, descendant de l’indigène, est souvent
victime du racisme, il hérite du regard européen porté sur l’indigène, regard
toujours teinté de mépris, de clichés, de préjugés. Quand le mythe de l’indigène
se fixe dans la conscience française, tout l’imaginaire sur l’immigration non
désirée est lié aux populations coloniales. Comment les combattre ? De même
que l’indigène était « différent », l’immigré possède sa culture, sa religion, ses
particularités. Comment éviter qu’elles ne contredisent le principe de la laïcité ?
Alors que le reste du continent, en pleine transition démographique, connaît une
forte augmentation de sa population, la France est affectée par une baisse de sa
natalité et doit recourir à l’immigration. Le solde migratoire devient positif dès
1872. D’après Jean-Paul Bardet, cet afflux est propre à la France et donne lieu à
1ère STG : « Immigration et immigrants
Avant 1914, un vaste mouvement
d’émigration conduit à l’installation
d’Européens dans l’ensemble du monde ;
progressivement le mouvement s’inverse.
L’étude associe la description des flux
migratoires, la présentation des immigrants et
celle de leurs représentations, notamment
littéraires et cinématographiques.
L’industrialisation a déclenché le plus grand
mouvement migratoire de l’histoire. Avant
1914, l’Europe est une terre de départ. Des
millions d’Européens fuient la misère et s’en
vont peupler le Nouveau Monde (Amérique
du Nord et du Sud, Australie et NouvelleZélande). La France constitue une exception :
ayant réalisé sa transition démographique,
elle manque de main d’oeuvre et fait appel à
l’immigration surtout frontalière (Belges,
Italiens). On pourra choisir d’étudier plus
particulièrement l’immigration étrangère en
France ou aux États-Unis. »
BO futur 3e : « L’histoire de l’immigration en
France au XXe siècle »
126
des crises xénophobes. Hantées par la menace que fait peser le déclin
démographique, les élites françaises, longtemps adeptes du malthusianisme, se
convertissent au « natalisme ». Un groupe de pression « populationniste », qui
associe la population nombreuse et féconde à la puissance de la nation, se forme
pour lutter contre la « dénatalité » et la « dépopulation » de la France. Leur action
est cependant peu efficace avant 1914.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. L’émigration européenne
C’est la forme la plus fondamentale de l’expansion des civilisations européennes
et c’est ce qui explique dans une large mesure leur « universalisation ». La
plupart des régions d’Europe participent à ce vaste transfert, mais en particulier
des habitants des îles britanniques, puis, à partir de la fin du XIXe, de l’Europe
centrale et méridionale. La France, dont la croissance démographique est faible,
participe très peu (noter quand même l’originalité des « barcelonnettes », toujours
présents au Mexique).
De façon écrasante, ce sont les États-Unis qui reçoivent le plus d’émigrants en
provenance d’Europe, mais on peut souligner aussi que l’ensemble du continent
américain est la destination privilégiée (56 millions de migrants), loin devant les
autres. La colonisation de la Sibérie fait quand même de la Russie le troisième
pays pour les mouvements de population. Remarque : de tous ces migrants,
certains revinrent à leur point de départ, mais on ne sait pas vraiment combien.
Les raisons du départ
Les raisons du départ des migrants européens au XIXe-milieu XXe siècle, au-delà
du rêve, sont des raisons avant tout économiques. On part rechercher un travail,
une terre, ce qui signifie du travail. S’y ajoutent, au XXe siècle, des raisons
politiques ou religieuses, à partir de la mise en place des régimes autoritaires
soviétique, italien et allemand. Il est à noter que les Européens ne sont pas les
seuls à partir. Les Japonais sont nombreux à partir en Amérique latine. Ce que
l’on fuit : la misère économique, la crise rurale, les persécutions religieuses. Ce
que l’on cherche : la fortune, le travail, la liberté de pensée.
Les terres d’accueil
Le tableau montre un premier maximum d’immigrants entre 1881-1890, suivi
d’une baisse, un paroxysme entre 1901-1910, suivi d’une baisse qui revient aux
chiffres des années 1880, et surtout un effondrement à partir de 1931.
Les principaux flux se font vers les États-Unis, le Canada, la Russie, l’Argentine
et le Brésil.
L’immigrant doit :
– appartenir à une catégorie de métiers ;
– avoir moins de 60 ans ;
– faire la preuve de sa « moralité » (ne pas avoir été condamné, par exemple) ;
– arriver d’un autre continent (« sur un navire d’immigrants »).
Plusieurs facteurs entrent en jeu, qui se joignent ou s’opposent :
– les lois gouvernementales sur les migrations. Ainsi, la loi américaine est plus ou
moins restrictive selon les périodes, selon l’origine des migrants. Ce pays n’aurait
pas dû voir diminuer le nombre d’entrées car c’est en réalité une loi qui choisit
les immigrants désirés. Dès 1925 en Italie, dès 1933 en Allemagne, il devient très
difficile de partir pour l’étranger ;
– la situation économique en Europe ou aux États-Unis. Ainsi, la période de la
Grande Dépression en Europe entraîne des départs massifs dans les pays du Nord
et du Nord-Ouest de l’Europe déjà industrialisés ; ces régions sont les plus
touchées par cette dépression. Par contre, la crise de 1929 aux États-Unis ferme le
mouvement de départ vers ce pays ;
– les conditions de transport. Le nombre de navires s’accroît, les compagnies de
navigation se multiplient à la fin du XIXe siècle ; elles recherchent des passagers
pour rentabiliser les voyages, le prix du passage diminue ;
– il faut noter aussi l’installation de vraies filières entre les pays d’origine et les
compatriotes vivant aux États-Unis, comme par exemple les gens de
Accompagnement 1ère : « Le cadre territorial
et démographique
Alors que le reste de l’Europe entre à peine
dans la transition démographique et connaît
un essor de sa population, en France, la
baisse de la natalité est continue, tant en
milieu rural qu’urbain. La France vieillit et
doit faire appel à la main-d’œuvre étrangère
(1,2 % de la population en 1851 et 3 % en
1911, soit 1,2 million d’habitants). »
Activités, consignes et productions des élèves
:
Les immigrés polonais en France
Après la Première Guerre mondiale, le
nombre d’immigrés déjà important continue à
augmenter pour compenser les pertes
humaines du conflit. Durant les années
1920, environ 700 000 Polonais, qui ne
peuvent plus se rendre aux États-Unis du fait
de l’instauration des quotas, émigrent
vers la France, recrutés par des bureaux de la
Société générale d’immigration, installés en
Pologne. Les ouvriers nationaux se plaignant
de la concurrence de ces immigrés, la
législation devient plus restrictive. Dès 1926,
un étranger ne peut plus, dans l’année suivant
son installation, être employé pour un autre
métier que celui pour lequel il a été
introduit en France. Avec la crise des années
1930, l’Assemblée discute d’un quota de
main-d’oeuvre étrangère par entreprise,
la loi est votée en janvier 1932. En 1935,
alors que ces mesures de protection du «
travail national » ne suffisent plus, l’État
procède à des expulsions collectives.
Arrivée d’émigrants européens à Ellis Island
(baie de New York) au début du XXe siècle
Entre 1892 et les années 1920, 12 millions
d’Européens (en majorité des passagers de 3e
classe) passent à Ellis Island, où ils subissent
un questionnaire d’identité et un examen
médical sommaire. Malades et infirmes sont
mis en quarantaine ou refoulés. Les
formalités sont très allégées pour les
passagers de 1re et de 2e classe. Le centre
d’accueil, fermé en 1954, est aujourd’hui un
musée.
Immigrants italiens à la gare Saint-Lazare.
Illustration parue dans Le Petit Journal, 1896.
Ces immigrants viennent souvent avec
femmes et enfants. Leur tenue vestimentaire
permet de déterminer leur origine sociale.
Certains sont couchés à même le sol.
La « cuisine diabolique » des Italiens en
Lorraine
On trouve ici tous les stéréotypes concernant
les immigrations passées et à venir :
envahissement, menace contre l’hygiène et la
santé publique, etc.
Les émeutes anti-italiennes à Aigues-Mortes
127
Barcelonnette ou les Basques en Californie.
L’émigration hors d’Europe entre 1851 et 1910
Il s’agit ici d’un tableau statistique de type évolutif et comparatif permettant
d’appréhender l’évolution de l’émigration hors d’Europe entre 1851 et 1910 (en
milliers de personnes par décennie) par pays d’origine, tiré du Précis d’histoire
européenne, publié par P. et S. Guillaume chez Armand Colin en 1993.
Décrire la tendance globale de l’émigration qui est à la hausse, puis distinguer
deux grandes phases avec une accélération certaine de l’émigration qui intervient
dans la décennie 1881-1890 en relation avec la grande dépression mais aussi à
cause de l’attrait que constituent les nouveaux mondes et leurs perspective de
développement.
L’émigration européenne n’est pas homogène : à l’émigration anglo-saxonne et
germanique qui a caractérisé la première phase se substitue progressivement une
émigration scandinave, slave et italienne.
II. LA FRANCE, TERRE D’IMMIGRATION
Si au cours du XIXe siècle, la révolution des transports et l’accroissement
démographique donnent une ampleur jamais vue à l’émigration européenne, en
France, en revanche, la décélération plus précoce de l’accroissement naturel,
tendant vers la stagnation de la population freina l’émigration (voir le
ralentissement visible à partir de la décennie 1891-1900). Globalement le nombre
d’émigrés est toujours resté largement inférieur à celui des autres pays. La France
fait même figure de pays d’immigration en Europe.
Au moment où la France, pour des raisons démographiques, devient terre
d’immigration, on peut s’interroger sur les conditions qui sont faites aux
immigrés qui s’y installent. L’immigration est d’abord le fait des pays voisins,
frontaliers. Les Belges puis les Italiens sont les plus nombreux. Ce sont des gens
du peuple, souvent des ruraux déracinés, sans qualification qui arrivent dans des
conditions difficiles. Cette population rencontre des problèmes au contact des
Français des départements d’accueil : elle se heurte souvent à des réactions
d’intolérance, de rejet liées aux différences culturelles mais surtout à la
concurrence de cette main-d’oeuvre peu exigeante sur les salaires et les
conditions d’existence. Des émeutes xénophobes se produisent dont la plus grave
à Aigues-Mortes en 1893 où des Italiens sont assassinés. Cependant,
l’assimilation commence par des mariages mixtes et des naturalisations
favorisées par la loi de 1889. Cette assimilation vise à compenser la baisse
démographique de la France et à fournir des soldats à l’armée française dans une
période où l’on sent approcher le prochain conflit.
Un document donne les statistiques du nombre des immigrés en France lors des
trois recensements de 1851, 1901, 1931 ainsi que leur origine. L’importance des
Italiens se dégage. Ils apparaissent comme la première communauté étrangère en
France au début du XXe siècle. Des documents montrent leurs conditions
d’arrivée et la façon dont ils sont parfois objet de rejet. Un document, extrait d’un
discours à la Chambre des députés, traite du statut juridique des étrangers en
France et du code de la nationalité. On peut regretter l’absence de documents sur
les raisons du départ ou sur l’acquisition de la nationalité française.
en août 1893
À la fin du XIXe siècle, les Salins du midi
exploitaient des marais salants dans la région
d’Aigues-Mortes. Elle y employait une maind’oeuvre composée d’une majorité d’Italiens,
saisonniers sans qualification pour effectuer
un travail pénible
mais relativement bien payé (12 francs par
jour alors qu’un terrassier gagnait environ 5
francs). La compagnie jouait sur la
concurrence entre la main-d’oeuvre française
et italienne pour comprimer les salaires, ce
qui créait des frictions. Les premiers
incidents éclatèrent dans ce climat de tension
dans une période de basse conjoncture sur le
marché du travail. Des manches de pelles et
des pierres furent utilisés comme on peut le
voir sur la gravure mais aussi des couteaux.
Au départ, les Français, inférieur en nombre,
durent céder le terrain et se réfugier dans la
ville d’Aigues-Mortes mais, par la suite, les
bruits les plus divers se répandent et toute la
population mâle de la ville s’en prend aux
Italiens, surnommés «Christos ». S’en suit
une véritable chasse à l’homme. À la fin de
ce déchaînement xénophobe, on dénombra
officiellement sept morts et de nombreux
blessés graves. Comme le montre le rapport
du procureur de police, la police intervient,
mais la foule s’en prend aux Transalpins que
les forces de l’ordre escortent hors de la ville.
Les jours suivants, des Français ratissent
encore les environs à la recherche d’Italiens
ayant échappé au massacre. Le bilan officiel
est de huit morts et de cinquante blessés ;
mais pour certains journaux étrangers dont le
Times, il y aurait eu cinquante morts et cent
cinquante blessés. De plus, les Salins donnent
raison aux ouvriers français en licenciant
massivement les Italiens. Ce n’est pas la
seule violence xénophobe de l’époque : en
juin 1881, des Italiens ont été pourchassés à
Marseille.
Les étrangers en France (1861-1901)
Au cours de la deuxième moitié de XIXe siècle, alors que les autres pays
européens exportent leur trop plein de population vers les terres nouvelles, la
France devient terre d’immigration. À partir de 1872, le solde migratoire devient
positif. L’immigration débute tôt en France. À partir de 1851, on procède au
relevé des étrangers. Il faut y ajouter la catégorie particulière non comptabilisée
des Alsaciens-Lorrains (environ 100000) ayant opté pour la France entre 1871 et
le 30 septembre 1872 conformément à l’article 2 du traité de Francfort. Le
nombre d’étrangers en France augmente régulièrement jusqu’en 1891. Ceux-ci
viennent compenser le déficit démographique français. Puis le nombre
d’étrangers diminue non pas en raison de départs mais parce que la loi votée en
1891 leur permet d’acquérir la nationalité française.
Les étrangers en France
Jusqu’en 1914, les travailleurs étrangers sont essentiellement originaires des États
limitrophes. Les premiers sont d’ailleurs souvent venus de façon saisonnière et se
128
sont ensuite installés dans les départements frontaliers. La première immigration
de masse a lieu dans les années 1870-1880. Belges et Italiens constituent les deux
tiers des travailleurs étrangers recensés sur le territoire français.
L’exception française
On passe d’une immigration régionale, de voisinage en 1851, à une migration qui
s’ouvre au XXe siècle à l’Europe centrale, avec notamment l’accueil de
nombreux Israélites.
Contrairement aux clichés entendus, ces minorités d’Europe centrale, même
quand elles ont la même religion que la majorité des autochtones (cas des
Polonais), ont connu de grandes difficultés d’intégration, voire de refus
d’assimilation ; elles vivent à part, en ghettos. On peut parler de xénophobie.
La singularité du cas français au XIXe et surtout au XXe siècle est d’être une
terre d’accueil quand tous les autres pays d’Europe sont touchés par des
phénomènes d’émigration.
L’inégalité entre les Français et les immigrés
À la fin du siècle, alors que l’immigration devient un phénomène de société, naît
la réglementation des étrangers. La tradition française du droit du sol est
ancienne. Un arrêté du Parlement de Paris datant du 23 février 1515 aurait
introduit le jus soli dans le droit français. Après une interruption, notamment avec
le Code Civil de 1804, la loi de 1851 rétablit en partie ce principe. En 1889, le
droit du sol est élargi, sous la pression d’élus du Nord dont la région compte de
nombreux étrangers nés en France qui refusent la nationalité française pour éviter
le service militaire. Le premier code de la nationalité est adopté en 1889. Il
introduit la notion du double jus soli : l’enfant né en France de parents euxmêmes nés en France est français sans possibilité de décliner la nationalité.
Parallèlement, le décret de 1888 impose aux étrangers des papiers d’identité,
ancêtre de l’actuelle carte de séjour. Il est intéressant de noter que la nationalité
française est ici imposée aux enfants d’immigrés dans l’intérêt même des
Français. L’argument du droit du sol est à l’époque à la fois démographique et
militaire. On retrouve aussi ici l’accusation de concurrence déloyale faite aux
étrangers qui occupent les emplois des Français contraints d’effectuer leur service
militaire.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
129
HC – Femmes et transformations économiques (1850-1939)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Guilbert Madeleine, La fonction des femmes dans l’industrie. Les femmes et le syndicalisme avant 1914, CNRS, 1967.
Omnès Catherine, Ouvrières parisiennes. Marchés du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle, EHESS, 1997.
Catherine Omnès, « La seconde industrialisation et le travail féminin » dans Le Bulletin de la SHMC, « Industrialisation et
sociétés en Europe occidentale, 1880-1970 », 1998, n° 1 et 2, 160 pages. La contribution quantitative des femmes à l’emploi,
leur position sur le marché du travail et les cycles de travail féminin y sont tour à tour abordés.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
« Les ouvrières dans la société française », Textes et Documents pour la classe, CNDP, 1991.
Michelle Perrot, Femmes à l’usine, l’Histoire, n°195, janvier 1996, pages 31 à 33.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
un travail féminin plus visible.
Les femmes ont toujours travaillé : le XIXe siècle n'a pas inventé la « femme au
travail ». Depuis longtemps existaient outre les paysannes, des fileuses,
couturières, dentellières, femmes de chambre, commerçantes : les femmes ont,
toujours, à une petite minorité près, apporté une lourde contribution à la vie
sociale... Leur travail fait réagir au XIXe siècle car il devient plus visible.
La visibilité du travail des femmes introduit une rupture car il entre en
contradiction avec la conception dominante de la féminité et des archétypes
féminins qui en résultent. On peut même observer une volonté d’occulter le
travail féminin.
Entre 1856 et 1962, un glissement s’opère dans la répartition du travail des
femmes : le secteur primaire, largement privilégié en 1856, est progressivement
délaissé au profit du secteur tertiaire. Le secteur secondaire connaît une baisse
régulière mais mesurée entre 1856 et 1946, avant de gonfler à nouveau après
1945. Ce sont les années 1945-1962 qui voient les plus grands changements :
effondrement de la part des actives dans le secteur primaire, explosion du
tertiaire. Contrairement à une idée reçue, c’est donc la Seconde Guerre mondiale,
plus que la première, qui bouleverse le marché du travail féminin en France.
L’histoire du travail des femmes permet de revisiter les grandes questions
historiques sur l’industrialisation : l’idée du retard français avancé par David
Landes en 1969 et l’histoire de la proto-industrialisation par Mendels en 1972.
Les historiennes des femmes, comme Patrick Fridenson, ont souligné que pour la
France, il s’agit en fait d’une voie différente d’accès à l’industrialisation avec une
part importante prise par les petites entreprises et les fabriques artisanales où le
rôle de chaque membre de la famille, des femmes et des filles en particulier, est
primordial. Dès 1975, Louise Tilly et Joan Scott avaient démontré, à partir
d’exemples dans le Nord français, les continuités de l’industrialisation française
au XIXe avec l’ancienne économie familiale, le cycle de vie et de travail des
femmes étant lié au cycle familial en particulier avec l’intervalle des naissances et
l’âge des enfants. L’appréciation d’un changement brutal provoqué parce qu’on
appelait encore la révolution industrielle est ainsi remis en cause. La flexibilité de
la main d’œuvre féminine, adaptée à des tâches différentes permet d’effectuer
tous les changements dans l’ordre productif. C’est le cas par exemple de la
passementerie stéphanoise. L’essentiel de la définition des rôles respectifs des
hommes et des femmes dans le métier a tourné autour de la place qui revenait à
chacun et chacune assorti d’un discours sur la technique. Ces discours deviennent
particulièrement nombreux après l’électrification des métiers (vers 1890) qui
supprime la nécessité d’utiliser la force physique. Les différenciations sexuées
130
des tâches sont ainsi replacées dans une perspective diachronique de l’histoire de
l’industrialisation : des formes héritées de la proto-industrialisation survivent et
se réactivent provisoirement grâce à l’innovation technologique que représente
l’introduction de l’électricité. L’histoire des représentations sociales sexuées qui
est aussi une histoire culturelle est ainsi liée à une histoire économique et
industrielle générale qu’elle contribue à modifier. Par ailleurs la réflexion sur le
sexe du travail a permis de ne pas dissocier production et reproduction, c a d
l’association du travail salarié, du travail familial et du travail domestique. Il fait
souligner enfin que le travail à domicile a été revivifié à la fin du XIXe siècle
avec la diffusion des machines à coudre. Les directions de recherche les plus
récentes revisitent des terrains déjà explorés mais sous un autre angle. C’est ainsi
que l’histoire du travail, domestique et salarié est revivifiée par une approche sur
le genre des techniques. Delphine Gardey analyse, par exemple, la mécanisation
des emplois de bureau dans l’entre- deux-guerres parallèlement à leur
féminisation. Catherine Omnès, avec le cas des ouvrières parisiennes de la
métallurgie, montre comment leur emploi massif dans l’entre-deux-guerres est lié
à la rationalisation et à la taylorisation de la production. Mais ces ouvrières là,
pour 40% d’entre elles, n’ont pas d’enfant.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
On fera apparaître :
1. l’importance de la place des femmes dans la vie économique et sociale de l’âge
industriel malgré leur exclusion de la vie politique ;
2. le développement des emplois féminins dans le secteur des services en forte
croissance ;
3. la perception du travail féminin comme une regrettable nécessité et son
maintien dans certaines fonctions (servir, soigner, éduquer).
ou
1. Les femmes participent activement à l’industrialisation des sociétés.
– Elles sont présentes dans tous les secteurs d’activité, s’orientant peu à peu vers
les professions tertiaires, souvent synonymes d’indépendance financière.
– Elles occupent toutes sortes de professions, souvent peu ou pas qualifiées.
2. Le travail féminin est dévalorisé dans les sociétés.
– La femme a pour vocation de rester au foyer, l’école véhicule ce message.
– Les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes, car ils sont
considérés comme des salaires d’appoint.
– Les syndicats sont souvent hostiles au travail féminin pour des raisons
économiques ou morales.
Dans le contexte de l’industrialisation, l’un des faits majeurs est le rôle de la main
d’œuvre féminine, largement puisée dans des campagnes surpeuplées. Les
femmes passent pour être « naturellement » plus faibles que les hommes.
Pourtant, les entrepreneurs n’hésitent pas à les embaucher, même dans les mines,
d’abord au fond puis, à la fin du XIXe siècle, en surface. Dans l’industrie textile,
toujours au nom de qualités « naturellement » féminines, elles sont massivement
présentes. Les « tissus » sont estimés féminins, le bois et le métal, masculins.
Jugées endurantes, appliquées et adroites, elles sont surtout moins payées et
acceptent des conditions de travail souvent déplorables. Pourtant, même ainsi, le
travail féminin est regardé avec suspicion et le salaire féminin conçu globalement
comme un salaire d’appoint. Versé suivant un cycle de travail spécifique, parce
que marqué par les maternités, ce dernier est accordé, aux yeux de certains, à des
« travailleurs imparfaits ». Tandis que Flora Tristan s’en indigne, Michelet,
Proudhon et bien d’autres s’inquiètent de voir le salariat arracher les mères à
leurs foyers. La rationalisation du travail est un phénomène caractéristique de
l’industrialisation du premier tiers du XXe siècle et de l’extension des industries
de la seconde révolution industrielle. Embauchées sans qualification, les femmes
« sont parquées dans un travail tout à fait machinal, où on ne demande que de la
rapidité » (Simone Weil). Pourtant, le travail à l’usine offre aussi quelques
avantages : il permet de sortir du foyer, encourage la participation à une vie
collective plus intense et permet de bénéficier de vacances notamment après
1936.
Activités, consignes et productions des élèves
:
Jeanne Bouvier est une jeune ouvrière,
autodidacte formée par le syndicalisme. Elle
a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire
des femmes au travail (Histoire des dames
employées dans les Postes Télégraphes et
Téléphones en 1930) avant de publier ses
Mémoires en 1936.
La réticence de la République française à
accorder le droit de vote aux femmes est
parfois expliquée par l’anticléricalisme. Se
fondant sur l’idée que la femme est plus
sensible à l’influence du clergé, moins
touchée par la déchristianisation, nombre
d’élus républicains pensent qu’accorder le
droit de vote aux femmes reviendrait à
renforcer la puissance du parti clérical.
L’ouvrière, mot impie, sordide…
Dans ce texte, l’historien Jules Michelet
(1798-1874) qui est, alors, une autorité
morale pour les opposants républicains au
Second Empire, donne une représentation très
négative du travail des femmes dans les
manufactures. Il dénonce, certes, la misère
des ouvrières, mais n’envisage aucune
amélioration de leurs conditions d’existence
par des mesures sociales, car il se situe sur le
terrain de la dénonciation morale («
coupables », «barbarie », «mot impie»). Le
travail des femmes est, selon Michelet, contre
nature et détruit « l’espoir des
générations à venir ». C’est par une approche
naturaliste de « la femme » (on soulignera
l’emploi du singulier, qui fait du
sexe féminin une sorte d’espèce naturelle)
qu’il dénonce le travail industriel comme
destructeur de la femme, de la famille et
de la « race ».
Selon Michelet, la femme est « par nature »,
une épouse et une mère: «Barbarie de notre
Occident, la femme n’a plus été comptée
131
L’autre transformation de l’activité féminine réside dans le secteur tertiaire. Les
femmes y étaient présentes sous les figures professionnelles de la sage-femme ou
de l’institutrice ; métiers par ailleurs conformes aux représentations de rôles
sexuels perçus comme naturels. La multiplication des activités de services se
traduit par une féminisation accrue dans certains secteurs. La perspective d’un
emploi de secrétaire ou d’employée dans la banque, les assurances ou les PTT
offre désormais une alternative aux jeunes femmes issues des classes moyennes,
généralement mieux éduquées que leurs aînées, mais privées de dot. Pourtant,
elles sont souvent embauchées sur des emplois peu qualifiés ; la plupart des
employées de bureau ne peuvent espérer faire carrière. De plus, quand la crise
s’installe, ce sont prioritairement les femmes qui en font les frais. Il s’agit d’un
aspect décisif de la situation des femmes au travail dans l’entre-deux-guerres ;
tandis que les hommes peuvent raisonnablement escompter une amélioration de
leur condition dans l’industrie ou le tertiaire, la promotion des femmes à des
postes de responsabilité reste tout à fait exceptionnelle ; et ceci à un moment où
les progrès de l’instruction aiguisent les ambitions et donnent plus de visibilité à
quelques réussites spectaculaires.
Les socialismes utopiques avaient généralement pris en compte les problèmes
féminins. Pourtant, l’attitude du mouvement ouvrier témoigne de la force des
représentations négatives à l’égard du travail féminin : c’est à l’homme qu’il
revient d’assurer la meilleure part d’un salaire « familial ». L’influence de
Proudhon, qui ne réserve d’autre alternative à la femme que d’être « Courtisane
ou ménagère », y contribue fortement. La position du socialisme marxiste,
représentée par exemple par Jules Guesde, est plus nuancée. Alexandra Kollontaï
va plus loin qui conditionne l’émancipation féminine à l’exercice d’un travail.
Malgré cela, la méfiance des syndicats reste tenace qui renâclent au point
quelques fois de leur fermer leurs portes comme en témoigne l’attitude du
syndicat du Livre dans « l’affaire Emma Couriau » en 1913. Ainsi loin d’en
prendre le contre-pied le monde syndical conforte, par ses prises de position, la
traditionnelle sexuation des rôles établie à la faveur de l’industrialisation.
Une vision traditionaliste du travail des femmes
Gravure du début du XIXe s.
À la fin du XIXe s., la société française reste en grande partie rurale et la plupart
des femmes travaillent dans l’agriculture ; c’est tellement vrai que la paysanne
qui se trouve en bas de l’échelle sociale à droite se retrouve une seconde fois au
centre de la gravure, car, par son travail, elle contribue à l’essentiel, nourrir les
populations (« croyez en Dieu, qui, par ma main, à tous vous donnera du pain »,
inscription en bas à droite). Mais, depuis la révolution industrielle, beaucoup de
femmes ont quitté leur village et sont devenues ouvrières, profession illustrée par
le métier à tisser. Les autres professions féminines de la gravure relèvent des
activités tertiaires. Les servantes restent nombreuses pour accomplir les travaux
ménagers et signifier le rang de l’ancienne aristocratie ou la réussite de la
nouvelle bourgeoisie. Les institutrices représentent une profession nouvelle pour
les femmes, particulièrement depuis les lois de J. Ferry. Le clergé encore
nombreux et les sages-femmes présentes dans chaque village jouent un rôle social
très important. Enfin, d’après cette gravure, la réussite féminine s’incarne dans la
commerçante qui possède un savoir-faire apprécié, une vie sociale et peut-être
une aisance financière marquées.
L’inégalité de l’homme et de la femme au travail
Ce texte est un extrait d’une enquête menée par un fonctionnaire de l’office du
travail parue en 1900. C’est un document bien informé qui présente différents
aspects du travail féminin en Europe avec des comparaisons chiffrées.
Une grève de femmes en 1913
Ce document est extrait d’un article publié dans l’hebdomadaire socialiste La
Guerre sociale à l’occasion d’une grève de 400 ouvrières de la raffinerie de sucre
Lebaudy de Paris. Le travail de ces ouvrières consiste à préparer le sucre en pains
ou en morceaux, d’emballer et de stocker le produit fini. Elles sont payées à la
tâche ou à l’heure pour un travail très pénible : station debout, nombreuses
brûlures (on découpe le sucre à la température de 60° C), cas de diabète… le
mouvement de grève est spontané (aucune des ouvrières n’est syndiquée) mais il
est soutenu par la CGT (collectes, soupes communautaires). Ces ouvrières
pour l’amour, pour le bonheur de l’homme,
encore moins comme maternité et comme
puissance de race ». Le rôle de la femme est
donc celui d’une femme au foyer.
Le travail des femmes des catégories sociales
moins favorisées a souvent été sous-évalué.
Dans l’agriculture, dans le commerce, dans
l’artisanat, l’épouse a toujours fortement
contribué à l’activité de son mari. Dans la
société industrielle, travailler est, pour de
nombreuses femmes de prolétaires, une
nécessité pour assurer la survie du ménage
étant donné la faiblesse des salaires.
Toutefois, la nature du travail féminin a
changé. La plupart des travailleuses doivent
quitter le foyer familial pour être embauchées
à l’extérieur, souvent dans une usine, ce qui
éloigne la femme de son mari et de ses
enfants et ce qui choque une élite attachée à
l’idéal bourgeois de l’épouse mère de famille
confinée à l’entretien du foyer. Cette
évolution rend plus visible et mesurable le
travail féminin
(en France, le taux d’activité des femmes est
ainsi supérieur ou égal à 39 % entre 1850 et
1939). La guerre est un moment particulier
puisque les femmes, surtout cantonnées
jusque là dans des métiers qui leur sont
traditionnellement dévolus, remplacent les
hommes partis au front et se montrent même
capables d’assumer des tâches demandant un
effort physique important.
Pendant toute la période 1851-1941, le taux
d’activité des femmes en France est toujours
supérieur ou égal à 39 %. Ce taux connaît une
phase de croissance des années 1850 aux
années 1910, puis une phase de déclin
pendant l’entre-deux-guerres. Après la
Seconde Guerre mondiale, ce taux repart
nettement à la hausse ; dans les années 1960,
plus de la moitié des femmes d’âge adulte
travaillent. Entre les années 1850 et 1910, la
part des actives dans l’industrie augmente de
près de 7 points. Elle diminue ensuite
jusqu’en 1941 pour retrouver son niveau des
années 1850. C’est dans le secteur des
services que le travail féminin progresse le
plus (20 % des femmes travaillent dans ce
domaine en 1851 contre 40 % en 1941). Les
emplois dans la domesticité, la santé
(infirmières et sages-femmes), dans
l’enseignement (institutrices), dans le
commerce, appartiennent aux services les
plus fortement féminisés.
L’éducation et la destinée d’une jeune fille de
la bourgeoisie
Pour le père de Simone de Beauvoir qui
appartient à une riche famille de banquiers, la
femme de la bourgeoisie doit être une
« dame », c’est-à-dire une épouse et une «
femme au foyer » entretenue par son mari. Sa
tâche principale est de veiller à la bonne
132
obtiennent finalement satisfaction sur toutes leurs revendications après deux
semaines de grève, du 8 au 21 juin 1913.
Le travail à la chaîne en 1934
Le texte de Simone Weil est un témoignage portant sur une expérience vécue.
Née en 1909 à Paris dans une famille israélite, Simone Weil devient professeur
agrégée de philosophie et milite d’emblée dans le mouvement anarchiste. Elle
décide en 1934 et 1935 de travailler en usine comme manœuvre sur machine dans
l’entreprise Alsthom, puis chez Renault afin de se mettre au même niveau que le
prolétariat. Dans son journal, elle entreprend alors un examen de la condition
ouvrière et de l’aliénation qu’elle engendre. Elle rédige, à partir de ces notes
prises au jour le jour, de nombreux articles sur la question sociale. Ces textes sont
rassemblés après sa mort et publiés dans des recueils posthumes dont La
Condition ouvrière (1951), Réflexions sur les causes de la liberté et de
l’oppression sociale (1955).
Simone Weil occupe ici un poste d’ouvrière spécialisée sur une chaîne de
montage. Son travail est très répétitif et les cadences sont rapides. Simone Weil
est vite gagnée par la lassitude et l’ennui, voire le « dégoût », causés par la «
monotonie de la tâche » qui vient de la répétition incessante des mêmes gestes.
Elle peine à respecter les cadences de production imposées.
Sa vie fut marquée par une ardente recherche de la justice sociale et sa rencontre
avec le mysticisme chrétien. Elle rejoint la France libre à Londres durant la
Seconde Guerre mondiale et demande à participer au combat de la Résistance sur
le sol national, mais, de santé fragile, elle meurt en Angleterre en 1943.
éducation des enfants et d’animer la vie
mondaine du couple. Dans cet esprit,
l’enseignement secondaire féminin,
jusqu’aux lendemains de la Première Guerre
mondiale, est surtout conçu pour transmettre
une culture littéraire et artistique aux jeunes
filles, afin qu’elles puissent tenir « avec
éclat » leur place dans les salons au cours des
réceptions.
Après la Première Guerre mondiale, la faillite
de la Banque de la Meuse, dirigée par le
grand-père paternel de Simone de Beauvoir,
prive la famille de ses principales ressources
financières. La jeune fille doit donc travailler
pour gagner sa vie et renoncer à tout « beau
mariage » car elle n’a plus de dot. Elle
devient professeur de philosophie et acquiert
ainsi une indépendance financière qui permet
son émancipation. Simone de Beauvoir, après
avoir enseigné la philosophie jusqu’en 1943,
se consacre à l’écriture. Les Mémoires d’une
jeune fille rangée ouvrent une série de récits
autobiographiques dans laquelle elle a
comme « projet d’englober le monde dans
l’expérience de [sa] vie ».
L’école des années 1880-1890
Les écoles ne sont pas mixtes, il existe des
classes composées uniquement de garçons et
d’autres de filles. La plus grande part du
programme est commune, mais certaines
matières ne sont pas enseignées aux deux
sexes. Aux filles, l’école apprend les tâches
ménagères (travaux d’aiguille) pour en faire
des épouses et des mères capables de
s’occuper de leur foyer, aux garçons sont
réservés les exercices militaires, comme le
tir. Cet enseignement différencié reproduit
le modèle social de la répartition des tâches
selon les sexes, il est empreint d’un grand
conservatisme.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
On constate la persistance de la division sexuelle du travail malgré
d’incontestables évolutions.
133
HC – Femmes, politique et création artistique au XIXe s.
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Le XIXe siècle inclut de grandes contradictions. La révolution industrielle et la
mise en place de la démocratie portent en elles des ferments d’émancipation, de
reconnaissance des individus féminins comme des individus masculins. La
rupture politique et la mutation économique ouvrent en effet la voie à l’individu
libre et autonome (citoyen et travailleur). A partir du principe d’universalité des
droits, la question de la liberté et de la citoyenneté de tous et toutes ne pouvait
qu’être posée. Des voix individuelles continuent à s’exprimer sur l’égalité des
sexes, plus nombreuses qu’aux siècles précédents ; les femmes sont déjà apparues
comme groupe social sur la scène politique : le féminisme est en germe.
Mais l’infériorité supposée ou produite écarte à peu près complètement les
femmes de la production artistique. La créatrice, ce monstre menaçant pour la
famille, est à peu près neutralisée.
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « L’EUROPE ET SON
EXPANSION AU XIXe SIÈCLE (18151914)
1. L’âge industriel (7 à 8 heures)
À partir des transformations des techniques
de production de la fin du XVIIIe siècle à
l’aube du XXe siècle, l’étude dégage les traits
majeurs du phénomène industriel et de ses
effets géographiques et sociaux. On décrit
idées et mouvements qui analysent ce
phénomène et en déduisent des conséquences
sociales et politiques. Parallèlement sont
tracés les grands traits de l’évolution
culturelle et artistique.
• Documents : Delacroix : La Liberté guidant
le peuple ; Victor Hugo : extraits des
Châtiments et des Misérables ; Picasso : les
Demoiselles d’Avignon ».
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. La politique
En France, en 1848, la gauche ne comprend pas mieux que la droite le féminisme.
La société française est encore dominée par une forte sexuation des rôles,
reléguant la femme dans ses fonctions de mère au foyer. Les féministes ont
accueilli avec espoir la révolution de février 1848, qui proclame le suffrage
universel et rétablit la liberté de la presse. Eugénie Niboyet crée le 20 mars 1848
le journal La Voix des Femmes, qui réclame le droit de vote des femmes. Le
gouvernement provisoire tergiverse (il renvoie la question à l’Assemblée
constituante), tandis que les clubs féministes se multiplient (les hommes y
L’engagement politique des femmes en 1848.
Dessin humoristique de 1848. Paris, BN.
Le caricaturiste Daumier donne ici une image
très négative des femmes et des
revendications féministes. Comme de
nombreux dessins satiriques, Daumier joue
ici sur l’inversion des rôles. La femme s’est
emparée de la fonction politique : elle se rend
à un club. L’homme reste à la maison ;
134
participent parfois), revendiquant le droit de vote, le rétablissement du divorce, la
révision du Code civil. Les féministes demandent aussi le droit au travail. Elles
obtiennent l’ouverture des ateliers nationaux aux femmes, mais sont rapidement
déçues (salaires inférieurs à ceux des hommes). Une réaction anti-féministe se
développe rapidement, surtout après les événements de juin. Le 26 juillet 1848 un
décret interdit même aux femmes (et aux enfants) toute activité politique en
public, comme la participation à un club.
En 1848, alors que les classes sociales semblent se réconcilier, les féministes
demandent l’égalité des sexes. Mais le suffrage universel reste masculin, parce
que dans leur très grande majorité, les hommes, quelle que soit leur tendance
idéologique, sont convaincus que la «nature» des femmes leur interdit de faire de
la politique. Toute intrusion des femmes dans la politique est considérée comme
un acte contre-nature, quasiment monstrueux. C’est pourquoi un féminisme
moins radical, plus réaliste, s’emploie à changer les mentalités et à conquérir
l’égalité civile, avant d’exiger les droits politiques.
Extrait de l’un des principaux journaux féministes fondés au début de la Seconde
République, dans le contexte euphorique de « l’esprit de 48 ».
À quelques jours des élections législatives du 23 avril 1848, Eugénie Niboyet
réclame un vrai suffrage universel, qui ne soit pas seulement masculin.
L’instauration du suffrage universel masculin dénoncée
Ce texte a été écrit par Eugénie Niboyet, paru dans La Voix des femmes le 21
avril 1848. Elle y explique que c’est au nom de l’Égalité que les femmes
revendiquent un suffrage qui soit réellement universel en leur accordant le droit
de vote. Selon l’auteur, ceux qui ont décidé du suffrage universel masculin ne
sont pas des républicains, mais des aristocrates ! La société étant composée
d’hommes et de femmes, l’égalité voudrait que les deux fussent électeurs.
Lettre de George Sand
Femme de lettres célèbre, proche des républicains (elle joue un peu le rôle
d’égérie de Ledru-Rollin). En réponse à Eugénie Niboyet, qui lui avait demandé
de se présenter aux élections, George Sand critique le féminisme radical et
propose un programme plus modéré, consistant à obtenir l’égalité civile avant le
droit de vote. Ce féminisme réaliste s’est renforcé en France sous la IIIe
République.
Dessin satirique qui reflète assez bien l’opinion de la grande majorité misogyne
de l’époque : la femme qui fait de la politique ne fait que se déguiser en homme
(épée, éperons et cigarette), d’une manière ridicule.
Lettre de Proudhon
Elle montre que ce théoricien socialiste croit dans une nature féminine qui
prédispose la femme à s’occuper de la famille et non de la politique.
Ouvrage de Maxime du Camp (1822-1894), écrivain et ami de Flaubert
Il montre la peur qu’ont inspirée à la bourgeoisie parisienne les femmes de la
Commune. Tout le texte décrit les Communardes comme des femmes frappées
par une sorte de maladie qui les a transformées en hommes : elles « se
déguisèrent en soldats », devinrent des « viragos » et sont insidieusement
accusées de tous les vices (tabagisme, alcoolisme, sexualité débridée, excitation
guerrière, etc.). L’illustration confirme cette vision apeurée.
Les filles à l’école de la République L’enseignement féminin doit permettre aux
jeunes filles de tenir efficacement leur rôle d’épouse et de mère. Il n’est pas
question d’en faire des citoyennes susceptibles de faire des choix raisonnés, ni de
les amener à des professions scientifiques et juridiques, encore moins de leur
permettre de jouer un rôle politique.
Depuis les lois Ferry, toutes les filles suivent les cours de l’école primaire, avec
les mêmes programmes que les garçons. Moins nombreuses sont celles qui
accèdent au lycée : la première femme bachelière obtient son diplôme en 1861.
Puis, les femmes accèdent aux études pour devenir avocates (la première, à Paris,
en 1895), médecins, chercheurs (Marie Curie obtient deux prix Nobel en 1903 et
en 1911). Les femmes journalistes sont nombreuses ; Séverine est la première
malgré sa barbe, il se transforme en femme
(cf. tablier en forme de jupe et le prénom
ambigu qu’est Camille) et il doit « donner à
téter » au bébé. La gauche (dont fait partie
Daumier) ne comprend pas mieux que la
droite le féminisme. La société française est
encore dominée par une forte division des
rôles entre les sexes, reléguant la femme dans
ses fonctions de mère au foyer. Les
féministes ont accueilli avec espoir la
révolution de février 1848, qui proclame le
suffrage universel et rétablit la liberté de la
presse. Eugénie Niboyet crée le 20 mars 1848
le journal La Voix des femmes, qui réclame
le droit de vote des femmes. Le
gouvernement provisoire tergiverse (il
renvoie la question à l’Assemblée
constituante), tandis que les clubs féministes
se multiplient (les hommes y participent
parfois), et revendiquent le droit de vote, le
rétablissement du divorce, la révision du
Code civil. Les féministes demandent aussi le
droit au travail. Elles obtiennent l’ouverture
des ateliers nationaux aux femmes, mais sont
rapidement déçues (salaires inférieurs à ceux
des hommes).
Une réaction antiféministe se développe
rapidement, surtout après les événements de
juin. Le 26 juillet 1848, un décret interdit
même aux femmes (et aux enfants) toute
activité politique en public, comme la
participation à un club.
Dans les Misérables, Fantine dénonce le sort
injuste réservé aux femmes : abandonnée par
l’étudiant dont elle est enceinte, elle sera
contrainte de se prostituer. Pour ce
personnage, Hugo s’est inspiré d’une
prostituée dont il avait pris la défense. L’un
des combats de Hugo, et non l’un des
moindres, a été contre l’inégalité entre
l’homme et la femme : il a plaidé la cause des
femmes pendant quarante ans et s’est associé,
en 1872 et 1875, aux actions menées en leur
faveur.
L’engagement politique des femmes
Le caricaturiste donne ici une image très
négative des femmes et des revendications
féministes. Il joue sur l’inversion des rôles.
La femme s’est emparée de la fonction
politique : elle se rend à un club. L’homme
reste à la maison : malgré sa barbe, il se
transforme en femme (voir le tablier en forme
de jupe et le prénom ambigu qu’est Camille)
et il doit « donner à têter »
au bébé…
Pour le droit de vote des femmes
L’argumentation d’Hubertine Auclair porte
sur l’égalité. Les ouvriers auxquels elle
s’adresse réclament davantage d’égalité
sociale. Selon l’auteur, celle-ci ne se réalisera
que si les femmes ont les mêmes droits que
135
femme journaliste à vivre de ses chroniques. Elle fait partie du groupe fondateur
de la Ligue des droits de l’homme. Marguerite Durand fonde en 1897 le premier
journal exclusivement rédigé pour les femmes : La Fronde. Mais la grande
majorité des hommes considère que la femme est faite pour la famille et le
domestique.
II. Un domaine symbolique quasi interdit, la création
Égéries, muses, inspiratrices ou collaboratrices dévouées, les femmes sont
souvent nécessaires au créateur qui a besoin d’être compris et aidé… Mais elles
n’ont pas le «génie» qui seul permet de créer. Il inclut l’imagination, l’énergie,
une volonté de fer. Tout cela ne peut être que l’apanage du sexe masculin, tandis
que le sexe féminin est lié à la passivité, l’imitation, la reproduction. On accepte
d’elles qu’elles soient des interprètes ou qu’elles aient une pratique domestique
des arts «d’agréments» pour meubler quelques loisirs… Comme rares sont les
métiers qui n’obligent pas des femmes pauvres à déchoir, elles peuvent gagner
leur vie avec des arts mineurs, peinture sur porcelaine, miniatures, émaux… La
référence esthétique convient alors à la féminité.
Une femme qui veut se consacrer à une carrière artistique ne peut que négliger
ses tâches domestiques et maternelles. On trouverait surprenant qu’elle veuille
s’emparer d’un lieu (« Une chambre à soi » dira plus tard Virginia. Woolf) et de
temps pour elle. Donner, de plus, une publicité à ses productions, attirer ainsi
l’attention sur elle, est contraire aux convenances… Même Stendhal en est
convaincu qui pense aussi qu’alors le bonheur de cette femme est en jeu. « Vous
voulez faire d’une femme un auteur ? […]. Je dirai qu’une femme ne doit jamais
écrire […] que des œuvres posthumes à publier après sa mort. Je ne vois qu’une
exception, c’est une femme qui fait des livres pour nourrir et élever sa famille
[…]. Hors de là une femme doit imprimer comme le baron d’Holbach ou Mme de
La Fayette ; leurs meilleurs amis l’ignoraient. Publier un livre ne peut être sans
inconvénient que pour une fille… ». Certaines assument des trajectoires
marginalisées, d’autres choisissent l’ombre.
Mme de Staël vit difficilement l’isolement de la femme auteur en butte aux
critiques. Amour et gloire ne sont pas compatibles : elle ne manque pas de décrire
la souffrance qui en résulte.
George Sand, seule, indépendante, provocatrice sous son pseudonyme et ses
vêtements masculins impose, sans souci de la mauvaise réputation, sa volonté de
liberté, sa vie pleine d’hommes et de ruptures bruyantes, ses solides amitiés
masculines, sa passion politique. Sa gloire n’est pas, comme pour Germaine de
Staël, le deuil éclatant du bonheur. Sa révolte est personnelle, elle-même est
exceptionnelle, la plus exceptionnelle intellectuelle de son siècle, joignant une
œuvre immense à un engagement politique profond et actif. Elle se vit comme
telle mais ne veut pas faire exemple : elle suggère néanmoins l’idée de la «
femme libre ».
Clara Schuman choisit de créer dans l’ombre de son mari servi et reconnu comme
le maître incontesté ; Fanny Mendelssohn accepte les conseils d’effacement de
son frère. Laure de Surville, sœur de Balzac, renonce à l’écriture…
Etres faibles et assujettis, les femmes des classes dirigeantes sont toutefois
héritières des rites de l’amour courtois et de la galanterie. « La femme mariée est
un esclave qu’il faut savoir mettre sur un piédestal » (Balzac). Elles sont censées
être au centre du jeu amoureux et du jeu social, objets d’hommages et de
courtoisie, garantes du polissage des mœurs, détenant ainsi un pouvoir illusoire
qui enrobe leur subordination. La singularité française des relations de salon
entre les sexes est une compensation pour certaines. Même si la mixité s’est
beaucoup affaiblie depuis la Révolution. « Tout d’un coup, chose inouïe, dans
tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre
: et ainsi, les unes vêtues de blanc comme des fiancées, les autres vêtus de noir
comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux » (Alfred de
Musset, Les confessions d’un enfant du siècle, 1836)
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
les hommes.
H. Auclair (ou Auclert) a fondé une
association, « Le Droit des Femmes », en
1876 et un journal, La Citoyenne, en 1880.
Elle est l’une des premières militantes
féministes de la IIIe République. Mais le
combat des femmes est plus ancien : déjà,
Olympe de Gouges, pendant la Grande
Révolution, réclamait pour les femmes des
droits politiques : « La femme a le droit de
monter à l’échafaud, elle doit également avoir
le droit de monter à la tribune. » Des femmes
ont joué un rôle dans les révolutions du XIXe
siècle (cf. George Sand en 1848, Louise
Michel pendant la Commune de 1871).
La revendication de l’égalité est au centre du
mouvement féministe français :
- égalité civile : le divorce a été rétabli en
1884, puis des mesures ponctuelles ont été
prises, mais les femmes demeurent sous le
régime du Code civil de 1804 ;
- égalité des salaires : les salaires féminins
représentent, sur toute la période, en
moyenne 50 % des salaires masculins.
Pour la liberté des jeunes filles
Ce livre a choqué beaucoup de
contemporains, parce que Léon Blum y prône
très explicitement la liberté sexuelle pour les
jeunes filles comme pour les jeunes gens. La
société française de la Belle Époque reste
encore très marquée, en effet, par l’inégalité
entre les sexes. Autant la liberté sexuelle est
tolérée pour les hommes, autant elle est
considérée pour les femmes
comme un dangereux dérèglement. En
envisageant ici que les jeunes filles vivent
exactement comme leurs homologues
masculins, en s’installant hors du domicile
parental, Léon Blum brise donc un tabou. Ce
texte, malgré son ton apparemment posé, a
une dimension subversive, provocatrice. Le
jeune intellectuel d’avant-garde qu’est Blum
participe au mouvement d’émancipation des
femmes qui s’esquisse au début du XXe
siècle. L’un des facteurs essentiels de cette
émancipation, selon Blum, est l’éducation et
le travail : « le nombre de jeunes filles
occupées par une étude ou par un métier
augmentant sans cesse ». Les filles de la
bourgeoisie accèdent de plus en plus
nombreuses à l’enseignement supérieur,
tandis que les filles des classes moyennes
peuvent occuper des emplois de plus en plus
diversifiés (enseignement, administration,
grands magasins, etc.). La femme qui
travaille et peut ainsi subvenir à ses besoins
gagne en indépendance. L’année même où
Blum publie son livre, en 1907, une loi
autorise les femmes mariées à disposer
librement de leur salaire.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
136
HC – L'armée en France 1850-1939
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Jean-François Chanet : Vers l’armée nouvelle. République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2006.
O. Roynette, « Bons pour le service ». L’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000, 458 p.
Documentation Photographique et diapos :
CREPIN Annie, BOULANGER Philippe, « Le Soldat-citoyen, une histoire de la conscription », La documentation
photographique, n° 8019, La Documentation française, février 2001.
Revues :
« Enseigner la défense », Historiens et Géographes, revue de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie (A.P.H.G.) n°
390, avril 2005.
« La défense, une histoire de citoyenneté », Textes et Documents pour la classe, n° 796, mai 2000.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Accompagnement 1ère STG :
« Pour les Républicains, le service militaire a été un des vecteurs essentiels, avec
l’école, de construction du modèle français de citoyenneté et d’intégration. Pour
toute démocratie, les choix en matière de défense sont essentiels et ce sujet doit
permettre notamment de faire réfléchir les élèves sur le passage de la conscription
à l’armée de métier, qui marque un changement fondamental dans les rapports de
la nation et de sa défense. Cette question ne peut se limiter à un champ
chronologique étroit et son étude se prolongera jusqu’à nos jours, en intégrant la
dimension européenne. »
De nombreuses affiches sont publiées à l’occasion de la célébration du 14 juillet
en 1880. Elles entendent célébrer la concorde nationale autour de la République :
un soldat, un civil et un garde national se donnent l’accolade sous le buste de
Marianne. La forte présence de militaires évoque évidemment le contexte encore
très présent de la défaite de 1870 et la nécessité de se préparer à l’éventualité
d’une nouvelle confrontation avec la Prusse. Contrairement à une idée reçue,
l’armée est donc associée à la République. S’il ne fait guère de doutes qu’une
partie de la hiérarchie militaire, dominée par des réflexes réactionnaires, est
encore très réticente à son égard, il est non moins vrai que les échelons les plus
modestes de l’armée ont été « républicanisés » bien plus précocement qu’on ne
l’a dit. On peut à ce sujet se référer au livre récent de Jean-François Chanet : Vers
l’armée nouvelle. République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. L’association RépubliqueArmée en 1880 n’est donc pas une incongruité !
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 1ère STG : « La défense nationale.
Le sujet traite des grands débats et des
orientations stratégiques de la défense de la
France dans ses dimensions militaires,
économiques et civiles. L'étude est prolongée
jusqu'à nos jours et introduit la dimension
européenne. »
Accompagnement 1ère : « Le cadre territorial
et démographique
Alors que le reste de l’Europe entre à peine
dans la transition démographique et connaît
un essor de sa population, en France, la
baisse de la natalité est continue, tant en
milieu rural qu’urbain. La croissance
démographique après 1880 y est de 0,29 % –
et plusieurs années sont déficitaires – quand
elle est de 1,3 % en Italie et de 1,37 % en
Allemagne. On comprend les craintes qui
poussent au vote de la loi militaire de trois
ans en 1913. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
ARMÉE D’ACTIVE OU DE RÉSERVE
Après que la puissance de la levée en masse a sauvé la Révolution, le premier
Empire privilégie la conscription. La supériorité numérique en découle est un
atout durant les guerres napoléoniennes. On comprend que, dans le souvenir de la
« nation armée » symbolisant la Révolution et de la conscription généralisée
napoléonienne, la Charte de 1814 « octroyée » par Louis XVIII abolisse la
conscription, puis que les conservateurs qui dominent les régimes politiques
jusqu’en 1870 préfèrent une armée professionnelle. En revanche, libéraux et
républicains soutiennent l’idée d’une armée populaire. En 1818, la loi GouvionSaint-Cyr organise une armée fondée sur le service volontaire – le service obligé
par appel, d’une durée de six ans, pour tout le monde et par tirage au sort, étant
réservé aux situations graves. Mais le système du « remplacement » limite
Armée, République et patriotisme
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le
patriotisme est l’une des composantes
essentielles de la culture républicaine. Cette
exaltation de la patrie puise ses racines dans
l’héritage de 1792-1793 et le souvenir des
guerres révolutionnaires : propagation par les
armées révolutionnaires des valeurs
émancipatrices, mais également défense du
territoire de la République envahi par les
troupes des États monarchiques (Prusse et
Autriche). Le geste des soldats de l’an II
137
l’enrôlement aux plus pauvres et donne lieu, des décennies durant, à un véritable
marché humain. Très souvent coupés de leurs familles et de leurs terroirs, les «
remplaçants » restent dans un service caractérisé par de strictes relations
hiérarchiques. Dans Lucien Leuwen, Stendhal dépeint la vie de garnison sous la
monarchie de Juillet, et montre une armée dominée par le formalisme
hiérarchique, vivant à l’écart de la population et prête à jouer un rôle de
répression intérieure. Ainsi, l’armée qui réprime l’insurrection de juin 1848 et
accomplit le coup d’État de 1851 est, pour l’essentiel, une troupe de soldats
devenus vieux et de remplaçants attirés par l’indemnité.
La IIe République n’ayant pas eu le temps de mener à bien une réforme militaire,
c’est après les succès de la guerre de Crimée (1855) que le second Empire –
l’État – organise la pratique du remplacement. Le militaire devient un
professionnel et l’obligation joue le rôle d’un impôt, cependant que les inégalités
sociales et géographiques, entre régions riches et régions pauvres, exportatrices
de remplaçants, sont officialisées.
L’année 1866 constitue un cap : le retentissement européen de la victoire
prussienne sur l’Autriche à Sadowa consacre la montée en puissance de la Prusse
et de son armée. Inquiété par les ambitions bismarckiennes, Napoléon III
organise un vaste système de réserves à côté de l’armée d’active. Toutefois, il se
heurte à toutes les catégories sociales, la bourgeoisie surtout, et le projet échoue.
Le rôle du peuple dans la défense reste donc sujet à controverse : la bourgeoisie
prônant l’ordre social, elle préfère un service militaire sélectif et long. Quant à
l’opposition républicaine, elle critique les institutions militaires et, à l’exemple de
Gambetta plaidant pour « la suppression des armées permanentes » (campagne
électorale de 1869), elle défend un service court, fondé sur d’importantes
réserves.
LE TOURNANT RÉPUBLICAIN
De la défaite de Sedan à la Grande Guerre, la construction progressive du modèle
républicain sur la base de l’intégration citoyenne par l’école et les obligations
militaires fait évoluer la conception de l’armée.
La guerre de 1870 est un tournant majeur : la rapidité de la défaite précipite une
crise de la conscience nationale qui favorise le rapprochement des conservateurs
et des républicains autour d’une même idée : l’armée est l’expression du
patriotisme et l’outil de la « revanche ». Dans cette évolution justifiant l’idée
d’une conscription plus large, l’existence, en Prusse, d’un service militaire
universel pèse lourd. Il faut néanmoins considérer d’autres éléments. D’abord
l’industrialisation : sa croissance aspire la main d’œuvre rurale disponible et tarit
les sources du volontariat. Par ailleurs, la loi du nombre domine les champs de
bataille : la recherche d’une puissance de feu décisive (grâce aux nouveaux fusils,
dont le fameux Lebel) exige le renforcement numéraire de l’infanterie. Enfin, les
ressources financières accrues des États leur permettent d’entretenir de grandes
armées. Le principe d’un service plus court, fondé sur la rotation des conscrits,
présente alors l’avantage de préparer des centaines de milliers d’hommes à
combattre et de constituer d’importantes réserves.
Le 27 juillet 1872, malgré les réticences d’Adolphe Thiers, alors aux affaires, et
d’une partie des conservateurs, une première loi établit un service militaire
personnel de cinq ans et supprime le remplacement. Le tirage au sort perdure : les
« mauvais » numéros effectuent la durée du service, les « bons » une année
seulement. Inspirée du modèle prussien, la loi institue d’importantes réserves.
Élaborée par une majorité conservatrice, elle prévoit un volontariat d’un an pour
les jeunes gens pouvant s’équiper à leurs frais. Mais il faut attendre la «
République des républicains » pour que le service militaire devienne réellement
universel. Connu comme la loi des « Curés sac au dos », le texte du 15 juillet
1889 fixe un service de trois ans pour tous. Les clercs sont assujettis à une année
de service et les étudiants à dix mois. Les soutiens de famille peuvent être
dispensés. Mais la loi la plus égalitaire est votée en 1905, donnant enfin corps à la
notion de « service universel ».
En 1891, le maréchal Hubert Lyautey, officier de cavalerie ayant déjà séjourné
dans le Sud algérien, ami de E. M. de Vogüe, accepte sur le conseil de celui-ci de
publier dans la Revue des deux Mondes une étude sur le rôle social de l’officier
dans le service militaire universel. Dans ce texte, il donne tout d’abord le but du
service obligatoire : rassembler « toute la Nation » et il le répète plusieurs fois : «
nul n’y échappe », « il ne s’agit plus de tel ou tel groupe», «tous…». C’est donc à
demeure, pour les Républicains l’un des
grands moments de l’histoire de la grande
Nation. Mais, de façon plus contemporaine,
c’est le souvenir du gouvernement de la
Défense nationale en 1870 qui conduit
Gambetta à associer République et patrie. Si
les républicains ont en juillet 1870 refusé
l’engagement militaire contre la Prusse, ils
ont du, après le 4 septembre, mettre en
oeuvre les mesures susceptibles d’éviter
la défaite et l’invasion : réorganisation
militaire, délégation gouvernementale
transférée à Tours sous l’autorité de
Gambetta. Même si l’échec de cette politique
a conduit à l’arrêt des combats en
janvier 1871, l’assimilation entre patrie et
République demeure. Elle va conduire les
républicains, non seulement à agir afin
d’éliminer les séquelles du conflit (paiement
de l’indemnité de guerre par anticipation en
1873), mais également à développer une
conception de l’armée fondée sur le rôle
du citoyen-soldat (service militaire
obligatoire) et à mobiliser les esprits dans la
perspective d’une hypothétique reprise des
provinces perdues (création des bataillons
scolaires). La patrie est donc alors une valeur
républicaine même si plusieurs
conceptions de ce patriotisme se feront jour
par la suite : patriotisme continental de
défense du sol (Clemenceau) ou bien
patriotisme de compensation par la conquête
coloniale (Jules Ferry).
La République donne une place de choix à
son action dans le domaine militaire :
établissement de la conscription,
revalorisation des retraites des militaires,
attachement quasi sentimental à l’armée,
modernisation de ses matériels. Les
républicains mettent en avant le caractère
défensif de cette armée pour ne pas effrayer
un électorat traumatisé par la défaite de 1870,
mais, en fait, c’est aussi la revanche qui se
prépare.
Jean-François Chanet
Vers l'armée nouvelle : République
conservatrice et réforme militaire, 1871-1879
29 juin 1871. Sur l'hippodrome de
Longchamp, la revue des troupes, vaincues
par la Prusse mais victorieuses de la
Commune, semble promettre à la France
humiliée une rapide convalescence.
30 janvier 1879. Le maréchal de Mac Mahon
donne sa démission de président de la
République parce qu'il refuse de signer le
décret remplaçant neuf des dix-huit généraux
commandants de corps d'armée.
Au cours de ces huit années, la Troisième
République, conservatrice encore, suivant le
voeu de M. Thiers, a dessiné les premiers
traits d'une armée nationale par le principe de
son recrutement et par les liens nouveaux qui
l'unissent à la société civile. Longtemps, on a
138
l’armée que la République donne ce rôle de rassembleur à la fois pour la défense
de la patrie mais aussi dans un but de promotion ou de justice sociale : « le plus
vaste champ d’action sociale ». Au sein de l’armée, l’officier devra jouer ce rôle
de rassembleur et de justicier : il devra « enflammer ces jeunes hommes » afin de
les souder dans la nation, « connaître parfaitement les hommes dont il a la charge
», être attentif au « bien-être de la troupe » et être juste envers tous (« être un
arbitre entre soldats et sous-officiers »). Il ne s’agit donc pas pour Lyautey de
bouleverser la société mais de la rendre plus harmonieuse et plus juste, afin
d’éviter les tensions et de renforcer la trame sociale autour d’une République
nouvelle.
La conscription systématique, mise en place en 1798, est définie dans ses grandes
lignes sous l’Empire : le principe du tirage au sort, qui rend possible le
remplacement du conscrit désigné, ainsi que de nombreuses possibilités de
dispenses, permettent à une grande partie de la population masculine d’échapper
au service militaire, particulièrement dans les campagnes où le besoin de maind’oeuvre est fort. La IIIe République, dès janvier 1873, adopte une loi qui abolit
la substitution, fixe à 5 ans la durée du service militaire et instaure de nouvelles
possibilités de dispenses pour les classes les plus éduquées (étudiants,
enseignants, prêtres) et les plus aisées. À partir de 1889, tous les Français
physiquement aptes sont soumis à un service militaire de 3 ans. Les anciens
bénéficiaires d’exemptions sont désormais contraints d’accomplir un service d’un
an. En 1905, la durée du service militaire est fixée à deux ans pour tous, avant
d’être ramenée à 3 ans en 1913. Dès les années 1890, les effets du service
militaire « universel » commencent à se faire sentir au sein de la société
française, et particulièrement dans le monde rural : il diffuse la langue française,
instruit les recrues les moins éduquées et sert de relais à la propagande
patriotique. Il propose également aux jeunes recrues l’expérience d’un mode de
vie totalement différent et leur impose un voyage hors de leur région d’origine,
mettant ainsi fin à l’isolement des campagnes. La mixité sociale contribue aussi à
la construction du sentiment national et à la diffusion des valeurs égalitaires de la
République.
CIVISME ET SOCIALISATION
Les républicains font donc du service une institution emblématique du nouveau
régime ayant une triple fonction : incarner le devoir patriotique, symboliser
l’égalité des citoyens devant la loi, contribuer à assurer l’unité du pays. La
conjoncture des années 1870-1880 pèse ainsi lourd dans l’importance
institutionnelle et symbolique du service militaire. L’école et l’armée joignent
leurs efforts pour exalter le patriotisme. « La patrie, déclare Jules Ferry en 1881,
est une religion qui n’a pas de dissidents ». Certes, les décennies suivantes
soulignent les limites de cette conviction. Toutefois, les débuts de la IIIe
République créent vraiment une nouvelle situation : avant 1870, l’armée était
étrangère à la majorité des Français ; par la suite, et surtout après 1905, le service
devient une expérience commune à la plupart des jeunes hommes. L’armée entre
dans le paysage familier.
Par-delà leurs divergences, les gouvernements de la Belle Époque magnifient
tous la conscription. La réalité est plus triviale : routinière et tracassière, la vie
des casernes prête vite le flanc à la critique. Plusieurs livres des années 1880 (Le
Cavalier Miserey d’Abel Hermant, Sous-offs de Lucien Descaves, Les gaietés de
l’escadron de Georges Courteline), le théâtre et les chansons exploitent une satire
militaire réassortie des années durant, ceci en dépit des évolutions notables de
l’armée. Pourquoi cette polarisation ? Parce que, pour plusieurs générations, le
service représente un fait social majeur. Jusqu’aux années 1950, ce rite initiatique
dans la vie des hommes (surtout pour la paysannerie et, dans une moindre
mesure, pour les ouvriers) est en effet un facteur d’intégration (linguistique, par
exemple, à la fin du XIXe siècle), de socialisation et de brassage social,
permettant entre autres de sortir du milieu familial et de travail. Parallèlement, le
service a aussi sa culture propre (fêtes des conscrits jusqu’au déclin de la fin du
XIXe siècle, passage devant le Conseil de révision jusqu’aux années 1960) et
instaure des habitudes, bonnes ou mauvaises – santé, comportement en groupe –
qui nourrissent un débat social récurrent et contradictoire. Le débat existe aussi
quant au rôle civique du service. Les républicains ne doutent pas de sa fonction
formatrice ou d’intégration, de sensibilisation communautaire. Dès 1887, Jean
Jaurès écrit : « En même temps qu’il est une grande école patriotique, le régiment
vu dans cette armée un obstacle ou un frein à
la consolidation des institutions
démocratiques. Ce livre s'attache à montrer
qu'il faut réviser cette idée reçue. S'il n'est pas
douteux que ses principaux chefs étaient alors
monarchistes ou bonapartistes, l'urgence des
réformes et la difficulté de les financer leur
commandaient à la fois le légalisme et la
transaction. Entre l'armée, l'administration et
les élus locaux, souvent républicains déjà
dans les plus grandes villes, des besoins et
des intérêts réciproques ouvraient la voie du
compromis qui devait habituer les uns aux
règles démocratiques et les autres à l'utilité
d'avoir la force avec soi. Tel est le sens, telles
sont aussi les limites de l'apparente unanimité
patriotique née dans Paris incendiée comme
dans la province éprise d'ordre et de paix.
Première célébration du 14 juillet en tant que
fête nationale
Le 14 juillet est choisi comme fête nationale
par la loi du 6 juillet 1880. Cette première
célébration est l’occasion de remettre aux 267
régiments de l’armée française leurs
nouveaux drapeaux, brodés de l’inscription «
République française » à l’avers, et portant au
maximum quatre noms de victoires au revers.
Les précédents drapeaux étaient, soit perdus
ou détruits lors de la guerre de 1870-1871,
soit des drapeaux provisoires, sans
inscriptions, remplaçant ceux du Second
Empire. La cérémonie souligne ainsi la
fondation de l’armée républicaine (toujours le
souvenir de la défaite de 1870-1871). Le 14
juillet affirme dès lors sa double
caractéristique : une fête militaire et une fête
civique de ralliement à la République.
Image célébrant le 14 juillet 1890
C’est l’aspect militaire de la fête qui est ici
représenté, avec un soldat de la Ire
République à gauche (sabot, pantalon rayé,
bicorne à cocarde et plumet, fusil) qui
renvoie aux guerres de la Révolution (17921802) et un soldat de 1890 à droite (pantalon
garance, veste bleue, sac et shako). Les deux
soldats se tiennent par l’épaule devant un
buste de Marianne, symbolisant ainsi l’union
entre la Ire et la IIIe République.
Français souscrivant à l’emprunt de 5
milliards de francs-or
La scène représente surtout des paysans (les
sabots) apportant leur contribution qui
permettra de payer l’indemnité de guerre
exigée par le traité de Francfort. Les deux
emprunts levés sont des succès (le second est
couvert treize fois). La France est libérée de
l’occupation allemande avec un an d’avance
(septembre 1873).
Le rôle du service militaire
Les conscrits sont les jeunes gens d’une
même classe d’âge devant effectuer leur
139
est une grande école républicaine. » Pourtant, durant leur service, sans droit de
vote ni droit d’expression et d’association, les soldats ne sont pas considérés
comme des citoyens. L’armée doit être un instrument ou, selon l’expression
consacrée : la « grande muette ».
De toute la IIIe République, cette contradiction n’est pas levée. Elle est même
accentuée, dans les milieux populaires, par le recours à une armée répressive lors
des conflits sociaux, à l’exemple du drame de Fourmies, en 1891. L’Affaire
Dreyfus provoque une vive crise de confiance dans une partie des élites
françaises. Au tournant du siècle, cette situation nourrit un courant antimilitariste,
plus ou moins teinté de pacifisme, surtout chez les syndicalistes CGT et chez
certains SFIO, autour de Gustave Hervé. Cette flambée antimilitariste n’entame
cependant pas l’attachement à la France. Dans ce contexte et à l’instar des propos
de Jaurès dans L’Armée nouvelle (1911), la gauche parlementaire (socialiste et
radicale) tente en vain de promouvoir une autre conception, fondée sur l’idée
d’une stratégie défensive et d’une organisation de milices populaires entraînées et
armées.
À l’aube des années 1910, les menaces de guerre réactivent le débat sur la nature
de l’armée et du service. Vivement combattue par les socialistes et certains
radicaux, la loi du 7 août 1913, qui rétablit la durée du service à trois ans, devient
un enjeu politique fort lors des élections législatives de 1914, remportées par la
gauche.
Au début de la IIIe République, en 1889, une première loi établit le service à trois
ans. En 1905, une deuxième loi le ramène à deux ans. Le 19 juillet 1913 à la
Chambre, le 7 août au Sénat, est votée la « loi des trois ans » en réponse à
l’aggravation de la tension internationale, aux incessantes nouvelles menaces de
guerre et à la demande de l’état-major français affirmant qu’en cas de guerre
l’armée active devrait être plus nombreuse puisque les Allemands sont plus
nombreux. Jaurès est opposé à cette loi : «Nous sommes convaincus, mes amis et
moi que la direction de l’avenir, c’est une limitation progressive du temps mort
de la caserne et un développement correspondant de l’éducation à la fois militaire
et civique de la masse des Français ». Un projet de loi ramenant la durée du
service à deux ans va être déposé à la Chambre des députés lorsqu’éclate la
guerre.
Dans L’Armée nouvelle, ouvrage publié en 1910, Jaurès fait part de ses
propositions quant à l’armée française mais aussi à l’éducation civique et
militaire des Français. Dans cet extrait, l’auteur oppose d’un côté les fauteurs de
guerre (« maquignons », « castes du militarisme », « bandes de la finance ») aux
« défenseurs de la démocratie et de la paix », c’est-à-dire le «prolétariat ». Il mêle
la volonté de l’universalité (représentée par « l’Internationale », citée quatre fois)
et la défense de la patrie (« servir l’Internationale (…), c’est servir la patrie ellemême »), « l’indépendance des nations » et « l’Internationale ». D’après lui, les
prolétaires peuvent empêcher la guerre, au nom de valeurs (indépendance des
nations, défense de la démocratie et de la paix) et en s’unissant (l’Internationale).
C’est dans cet esprit que les pacifistes, les socialistes et syndicalistes brandissent
la menace d’une grève générale pour défendre la paix en cas de conflit, mais la
IIe Internationale échoue dans la préparation de cette action en décembre 1912.
En juillet 1914, des manifestations antimilitaristes ont lieu dans l’Europe tout
entière mais sans organisation et sans représenter un réel danger pour les
nationalistes. Le 30 juillet au soir, les dirigeants de la SFIO et de la CGT décident
d’organiser un grand rassemblement prolétarien le 9 août pour l’ouverture à Paris
du Congrès de l’Internationale. L’assassinat de Jaurès jette le désarroi chez les
militants et fait se ranger les socialistes européens derrière leurs gouvernements
respectifs : c’est l’«Union sacrée ».
LE TRAUMATISME DE LA GUERRE
Cette armée nationale connaît une épreuve de vérité en 1914-1918. Sont
mobilisés douze millions d’hommes d’une nation à dominante paysanne, que des
sous-lieutenants, souvent instituteurs, mènent au feu. Sous la bannière de l’Union
sacrée, la résolution à défendre la patrie ne fléchit pas durant ces années terribles,
et s’il y a les mutineries de 1917, on s’étonne finalement qu’elles aient été aussi
peu nombreuses. Ce consentement de la population aux sacrifices imposés par les
combats découle des décennies de préparation institutionnelle des esprits et de la
prise de conscience patriotique de la nation agressée.
La victoire semble consacrer l’organisation de l’armée et l’utilité d’une troupe
nombreuse de conscription, de la mobilisation citoyenne mêlant toutes les
service militaire. Dès la loi du 27 juillet
1872, le principe du service militaire
obligatoire pour tous est voté, c’est-à-dire
l’obligation du service personnel et non plus
seulement de la conscription avec ses « bons
» et «mauvais » numéros. Cependant le tirage
au sort est maintenu : les «mauvais
numéros » feront cinq ans, les bons six mois
à un an. Le système du remplacement à été
aboli à l’unanimité moins une voix. Les
titulaires d’un baccalauréat, c’est-à-dire les
enfants de la bourgeoisie, peuvent verser 1
500 francs à l’État et s’engager pour un an, ce
qui leur évite les cinq ans éventuels du
tirage au sort. Cette loi est un compromis
entre les monarchistes, alors majoritaires à
l’Assemblée, qui souhaitent une
armée de métier et les républicains qui
veulent un service de trois ans. Elle constitue
cependant un pas vers plus d’égalité face au
devoir de défense.
Pour les républicains, après les défaites de
1870-1871, le service doit être une école de
civisme, ce qui n’est pas toujours la
réalité des faits comme le dénoncent de
nombreux auteurs. D’autre part, le brassage
sous les drapeaux doit conduire à la
constitution de l’unité nationale et notamment
à l’uniformisation linguistique et culturelle.
On perçoit bien sûr la caricature,
en observant les différentes tenues, la
diversité des origines sociales et régionales et
donc le brassage opéré par le service. Les
républicains ont rendu possible la « fin des
terroirs » par l’école, le chemin de fer et le
service militaire.
L’antimilitarisme est très présent en France
avant 1914 chez les militants socialistes,
anarchistes et syndicalistes révolutionnaires.
Gaston Mardochée Brunschwig, dit
Montéhus, est un auteur français dont les
chansons, entre 1897 et 1914, sont marquées
par l’idéologie socialiste et l’antimilitarisme.
Son premier succès en 1907 est Gloire au
17e, un régiment de soldats qui a refusé de
tirer sur une manifestation de vignerons.
Néanmoins, pendant la Première Guerre
mondiale, il crée des chansons militaristes, ce
qui lui vaut la Croix de guerre en 1918. Il
revient à ses convictions antimilitaristes en
1919 en composant ce qui est considéré
comme son chef d’oeuvre, La Butte Rouge.
Dans les années 1930, il adhère à la SFIO et
soutient le Front populaire avec le titre Vas-y
Léon.
Dans l’ouvrage L’Argent, Péguy présente le
livre de son ami E. Psichari, L’Appel aux
armes. Nous sommes en 1913, c’est-à-dire en
période d’accentuation des tensions
nationalistes en Europe. Ici, l’exaltation
s’applique au soldat français qui a pour
mission de défendre le territoire français.
140
catégories sociales. Au reste, cette victoire en trompe l’œil masque les tueries
inutiles et le manque d’imagination des états-majors, de même qu’elle minore le
poids de la supériorité technique due notamment à l’entrée en guerre des ÉtatsUnis. Surtout, le coût de la victoire traumatise le pays en profondeur et détermine
la vague pacifiste des années 1920-1930. Tout concourt donc à ce que, par la
suite, une vision défensive l’emporte dans les choix stratégiques français. La
durée du service a beau fluctuer (18 mois en 1923, 1 an en 1928, 18 mois en 1935
et 2 ans en 1936), l’organisation et la réalité des casernes restent celles d’avant
1914. Certes, en 1934, le colonel de Gaulle publie Vers l’Armée de métier : à la
masse des conscrits et des réserves (il ne remet pas en cause le service), il veut
ajouter un « instrument de manœuvre capable d’agir sans délai » ; mais ce
discours sur la professionnalisation se heurte à un veto politique transcendant les
clivages politiques et le débat avorte.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Dans ces treize lignes, Péguy prononce neuf
fois le mot «Français », sept fois le mot «
soldat » et il fait cinq fois allusion au « soldat
français ». Dès le début de l’extrait, il oppose
les intellectuels (« la Sorbonne ») au peuple
(« la terre » ; « la quantité de terre ») afin de
revenir aux sources mêmes de la France
toujours rurale. Le « soldat français », que ce
soit celui des milices de l’Ancien Régime ou
celui de la conscription, a construit le
territoire et Péguy fait reposer cette
construction sur deux fondations : la langue
et les frontières. Il cite les lieux où l’on parle
français tout en faisant allusion à la
colonisation africaine (Dakar et Bizerte) et à
des frontières quelque peu élargies (Liège est
en Belgique, Colmar et Mulhouse en
Allemagne). Le patriotisme de Péguy prend
ici des formes très nationalistes.
Si la caserne est un lieu de brassage social, si
l’armée contribue à l’enracinement du
patriotisme républicain, les critiques restent
nombreuses, en particulier par le biais de la
caricature et de la chanson populaire : le «
comique troupier » est un genre répandu. Plus
important, un courant antimilitariste et
pacifiste se développe dans les milieux
socialistes et syndicalistes. Enfin, l’armée est
traversée par de graves tensions, comme en
témoigne l’affaire Dreyfus : tensions entre
officiers formés dans les grandes écoles et
officiers sortis du rang, entre officiers
monarchistes et officiers républicains.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
141
HC – Être catholique en France de 1850 à 1939
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Comment l’Église s’adapte-t-elle à la société industrielle ?
Faut-il parler de déchristianisation, de laïcisation ou de sécularisation des sociétés
?
Sources et muséographie :
L’observation des documents pose aussi la question de l’appréciation quantitative du processus alors en marche. Le catholicisme
offre des instruments de mesure variés du fait de ses nombreuses pratiques sacramentaires obligatoires (faire ses Pâques, se
confesser…).
Ouvrages généraux :
Denis Pelletier, Etienne Pouilloux, Nathalie Viet Depaule, Les catholiques dans la République (1905-2005) (L'Atelier, 2005)
Denis Pelletier, Les catholiques en France depuis 1815 (La Découverte, 1997)
Histoire de la France religieuse, tome 3, « Du roi très chrétien à la laïcité républicaine : XVIIIe-XIXe siècle» (dir. Joutard
Philippe) et tome 4, «Société sécularisée et renouveaux religieux : XXe siècle » (dir. Rémond René), Le Seuil, 2001 et 1992, 540
p. et 476 p.
Patrick Cabanel et Michel Cassan, Les catholiques français du XVIe au XXe siècle, coll. « 128 », Nathan Université, Paris,
2006.
G. Cholvy, La Religion en France de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Hachette, Paris, 1998.
G. Cholvy, Christianisme et société en France (1790-1914), coll. « Points Histoire », Le Seuil, Paris, 2001.
R. Ladous, A. Quagliarini, Religion et culture en France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni au XIXe siècle, Ellipses, Paris, 2001.
Rémond René, Religion et Société en Europe, la sécularisation aux XIXe et XXe siècles, 1789-2000, Le Seuil, 2001, coll. «Points
Histoire», 304 p.
Baubérot Jean, Mathieu Séverine, Religion, modernité et culture au Royaume-Uni et en France, 1800-1914, Le Seuil, 2002, coll.
«Points Histoire», 314 p.
Gerbod P., Europe culturelle et religieuse, PUF, 1989.
Boudon, Caron et Yon, Religion et culture en Europe au XIXe siècle, coll. « U », Armand Colin, Paris, 2001.
Jean-Marie Mayeur (dir.), Histoire du christianisme, tome 11 : Libéralisme, industrialisation, expansion européenne
(1830-1914), tome 12 : Guerres mondiales et totalitarismes, 1914-1958, Desclée/Fayard, Paris, 1995 et 1999.
Isabelle Poutrin (dir.), Le XIXe siècle. Science, politique et tradition, Berger-Levrault, 1995.
Brigitte Waché, Religion et culture en Europe occidentale au XIXe siècle, coll. « Sup », Belin, Paris, 2002.
Documentation Photographique et diapos :
J.-O. Bourdon, J.-M. Mayeur, « Les catholiques en France (XIXe-XXe s.) », La Documentation photographique, Paris, 1994.
Revues :
Les catholiques sont-ils les ennemis du monde moderne ? L’Histoire n° 135, juillet-août 1990.
M. Winock, « La République des catholiques », L’Histoire n°199, mai 1996.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Sur le plan religieux, les Églises rencontrent des difficultés pour s’adapter au
monde moderne car elles sont confrontées à un profond processus de
déchristianisation éloignant d’elles tant la bourgeoisie que les masses populaires.
Elles doivent en outre affronter des États qui souhaitent parvenir à laïciser la
société. Enfin, les Églises souffrent de la concurrence d’une science perçue
comme toute-puissante, parvenant à reculer sans cesse les limites de la
connaissance et allant, avec le scientisme, jusqu’à prétendre pouvoir tout
expliquer.
On se gardera de confondre sécularisation des sociétés et « déclin » inéluctable
des religions dans une approche mécaniste et scientiste qui n’est plus guère
défendue aujourd’hui. Les religions se transforment et s’adaptent, comme en
témoignent les succès des pèlerinages et des organisations de masse catholiques
ou protestantes. De même, il faudra se prémunir de généraliser le cas français
d’une laïcité radicale, celle-ci s’étant construite en opposition à la politisation
souvent antirépublicaine des catholiques français.
Il faut se placer dans « le temps long » : les travaux pionniers de Michel Vovelle
sur la Provence ont montré que l’affaiblissement de la pratique religieuse en
France est repérable et mesurable dès le XVIIIe siècle.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
BO 4è futur : « L’ÂGE INDUSTRIEL
L’industrialisation qui se développe au cours
du XIXe siècle en Europe et en Amérique du
Nord entraîne des bouleversements
économiques, sociaux religieux et
idéologiques.
Connaître et utiliser
- Encyclique Rerum Novarum 1891
Décrire et expliquer un exemple de mutations
liées à l’industrialisation »
Comment les Églises réagissent-elles aux avancées de la société industrielle ?
142
Les progrès de la science et les courants intellectuels qui lui sont liés
(positivisme, scientisme, rationalisme) remettent en cause les certitudes de la foi
et, par extension, la domination de l’Église. La sécularisation des sociétés et la
tendance de plus en plus marquée à la déchristianisation contribuent à la
crispation idéologique de l’Église catholique (Syllabus de 1864, crise moderniste
de 1900). Celle-ci entame toutefois dans un second temps une démarche
d’adaptation au monde moderne (De Rerum novarum, 1891) en s’appropriant la
question sociale et en mettant en place des structures associatives pour
reconquérir les populations ouvrières et urbaines.
Les Catholiques dans la République
Quelle a été la place des catholiques dans la République depuis la séparation des
Eglises et de l'Etat en 1905 ? L'expression de leurs croyances a-t-elle été réduite à
la sphère privée ? Se sont-ils retranchés dans une opposition frontale à l'Etat ?
Ont-ils investi la société pour façonner, au travers de conflits multiples avec les
courants laïques, socialistes ou libéraux, le visage de la République française ?
Quelle part ont-ils prise à la modernisation de notre modèle démocratique ? Pour
la première fois, un ouvrage dresse le tableau d'ensemble de l'engagement
catholique dans la France du XXe siècle. Des paysans aux intellectuels, de l'usine
à l'hôpital, de l'intimité familiale à l'espace politique, ce livre donne au débat sur
religion et politique l'épaisseur d'un siècle d'histoire. Inédite par son ampleur,
rigoureuse par sa méthode et novatrice dans ses interprétations, cette synthèse
historique rend compte d'un paradoxe : comment les catholiques ont-ils pu
participer à la construction d'une République dont ils étaient supposés, au début
du siècle, combattre les valeurs et les principes ?
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
UNE ÉGLISE ENCORE TRADITIONNELLE
Dans ses pratiques.
Tableau peint par J.-F. Millet en 1858. Musée du Louvre, Paris.
L'Angélus est devenu le reflet idéal de la sérénité paysanne, de la France qui se
vit comme un village à la force tranquille. Pourtant, lorsque Millet le peint en
1858, on lui reproche sa tristesse apprêtée au service du socialisme, une forme de
défaitisme anti-campagnard. Dans une lettre écrite à Siméon Luce en 1865 à
propos de l’Angélus, Millet écrit « je ne puis vous dire autre chose de l’Angélus
sinon que je l’ai fait en pensant comment, en travaillant dans les champs, ma
grand-mère ne manquait pas, en entendant la cloche, de nous faire arrêter notre
besogne pour dire l’angélus pour ses pauvres morts, bien pieusement et le
chapeau à la main ». L’Angélus représente le lieu-dit « Les Roches » dans la
plaine de Chailly à Barbizon. Au dernier plan, on aperçoit l’église de Chailly.
Accompagnement 4è : « L’évolution
culturelle et artistique est liée à l’évolution
économique et sociale sans en être
exclusivement dépendante. Ainsi, la
généralisation de l’alphabétisation coïncide
avec l’ouverture des terroirs mais elle
correspond, aussi, à l’affirmation de l’État.
De même la laïcisation des sociétés n’est pas
un phénomène univoque. Le XIXe siècle
voit, avec le développement des ordres
religieux, des pèlerinages et des missions,
une tentative des Églises pour s’adapter au
monde moderne. »
Dans sa doctrine : le Syllabus de Pie IX
Pourtant précédé d’une réputation d’ouverture, Pie IX réagit au contexte
positiviste de l’époque, qui semble mettre en péril la domination de l’Église : la
traduction en français des théories de Darwin en 1862 ou encore la publication de
La Vie de Jésus de Renan semblent remettre en cause les fondements même de la
foi catholique. La papauté se sent par ailleurs menacée par la politique laïque du
royaume du Piémont. L’existence des États pontificaux et la souveraineté
temporelle du pape sont alors en danger.
Un syllabus est un recueil de questions tranchées par l’autorité papale. Ce
syllabus accompagne l’encyclique Quanta Cura du 8 décembre 1864. Il énumère
80 propositions condamnées par Pie IX. Elles étaient extraites des « allocutions
consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Pie IX ». L’ensemble
semble impliquer, de la part de Pie IX, une volonté de rupture totale avec le
monde moderne. Pie IX s’oppose à la société libérale puisqu’il nie les grandes
libertés notamment en matière de religion « article 15 et 16 », de même que le
droit de se révolter contre le prince tyrannique « article 58 ». De manière
générale, il s’oppose à toutes les « innovations » tendant à remettre en cause la
prééminence de l’Église catholique dans les sociétés européennes. Le Syllabus
montre que Pie IX rejette totalement les évolutions apportées par les Lumières ou
par la diffusion des principes de la Révolution française. Il reste nostalgique d’un
Accompagnement 1ere « L’âge industriel et
sa civilisation » : « La structure, les
problèmes et les débats de la société
industrielle posent aux religions –
confessions chrétiennes et judaïsme – des
questions neuves. Elles hésitent entre la
condamnation du monde nouveau et leur
adaptation à celui-ci (christianisme social et
catholicisme libéral, par exemple). Leur
recherche de réponses infléchit leur regard
sur le monde et les expressions de la foi.
Elles élaborent des pratiques religieuses qui
répondent aux formes neuves de la sensibilité
et contribuent à les construire. Il en va ainsi,
pour le catholicisme, de la dévotion au SacréCoeur, ou encore du renouveau des
pèlerinages de masse à partir des années
1870, qui constitue un exemple à la jointure
de ces aspects et de la modernité
technologique. »
143
système politique caractérisé par l’alliance du trône et de l’autel (article 55) et
dominé par un souverain de droit divin (article 58). Ainsi l’affirmation de
l’impossibilité de toute révolte contre le prince, l’obligation d’obéissance, a peu
de chance d’obtenir un écho favorable dans les milieux ouvriers. Il ne peut au
contraire que renforcer la désaffection manifestée par les masses ouvrières qui
s’éloignent d’une Église jugée trop favorable aux puissants. De même, le refus du
divorce ne peut que renforcer l’incompréhension car les ouvriers vivent alors
souvent en union libre, ne ressentant pas le besoin de faire confirmer leur union
par l’Église (ou la mairie d’ailleurs). La doctrine définie par le pape est rigide,
impose l’idée d’une Église incapable d’évoluer, rejetant totalement le monde
moderne. Sur ce point, l’article 80 est un parfait résumé de la position pontificale
par le refus parfaitement exprimé du progrès et de la civilisation moderne.
Le Syllabus est un rappel des condamnations déjà portées antérieurement par le
pape Pie IX contre les « erreurs du temps présent ». Composé de quatre-vingts
extraits d’allocutions papales, le texte est placé en annexe de l’encyclique Quanta
Cura et va bénéficier d’un retentissement considérable en Europe et
particulièrement en France. Divisé en dix chapitres, le Syllabus condamne en
particulier les erreurs modernes dans trois domaines différents. Le texte
s’applique d’abord à rejeter le rationalisme, qu’il soit absolu et prenne la forme
du scientisme, ou modéré. Le Syllabus condamne également les erreurs
concernant la place de l’Église et ses droits temporels. Toute idée de séparation
de l’Église et de l’État est vivement rejetée et la laïcisation des sociétés et des
gouvernements est considérée comme une faute. Enfin, le texte condamne aussi
les erreurs de morale et de conception religieuse. L’indifférentisme et la liberté de
culte sont décriés. Le dernier article du Syllabus résume à lui seul la position
pontificale de Pie IX. Il condamne explicitement des valeurs considérées alors
comme intrinsèquement positives : le progrès et le libéralisme politique. Cette
attitude a inspiré un catholicisme réactionnaire qui, en France, a combattu la
République. L’ultramontanisme triomphe ; cette attitude sera confirmée par la
promulgation de l’infaillibilité du pape en 1870.
Cette partie d’échecs illustre le combat que mène Bismarck depuis 1870 et qu’on
appelle KulturKampf (combat pour la civilisation) contre l’Église catholique. Il a
pour but de faire de l’Église catholique une Église nationale dépendant
étroitement de l’État. Ce combat a plusieurs causes : les progrès du catholicisme
en Prusse ; la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale par le concile
du Vatican, refusé par certains catholiques allemands qui se constituent en Église
indépendante et prennent l’appellation de « vieux catholiques ». Cette politique a
plusieurs objectifs : permettre le rapprochement entre l’Empire allemand et le
royaume d’Italie en délicatesse avec le Saint-Siège depuis la prise de Rome ;
détruire le Centre catholique (parti politique qui a des sympathies pour l’Autriche
ainsi que des velléités sociales et des tendances régionalistes). Elle se concrétise
par la suppression en 1875 des articles de la Constitution de 1850 garantissant la
liberté de l’Église. Toutes ces mesures provoquent la résistance du clergé et des
fidèles soutenus par le pape. Le centre catholique avec, à sa tête, Mgr Ketteler et
le député Windthorst, s’oppose vigoureusement à Bismarck et met en échec sa
politique anti-catholique, À partir de 1878 une détente s’amorce pour deux
raisons : l’avènement en 1878 d’un pape plus conciliateur, Léon XIII et la
nécessité pour Bismarck s’appuyer sur le Centre catholique pour faire voter ses
lois militaires.
La déchristianisation et la sécularisation des sociétés
Le détachement religieux des villes remonte à la Révolution. Durant tout le XIXe
siècle, la réalité religieuse de la ville se caractérise par un important
affaiblissement de l’emprise ecclésiale sur les élites et sur le peuple. Malgré une
prise de conscience de l’épiscopat dès les années 1830, les remèdes proposés
demeurent longtemps trop traditionnels et imprécis aboutissant à une perte de
contact croissante. Les zones industrielles sont à leur tour touchées. La pratique
devient coutumière, se limitant de plus en plus aux grandes fêtes.
L’évolution des pratiques religieuses à Paris de 1865 à 1910
Ce graphique met en évidence la diminution des pratiques religieuses par le biais
de statistiques concernant trois des principaux sacrements catholiques. Dans la
deuxième moitié du XXe siècle, la vie des Parisiens est de moins en moins
rythmée par l’Église catholique. L’Église prend rapidement en compte ce
phénomène et tente d’évangéliser la banlieue et de garder son influence dans les
Un dimanche à la messe
Cette image est tirée d’une publication
catholique à vocation pédagogique : il s’agit
de convaincre les ouvriers de la nécessité
d’assister à la messe. La Bonne Presse est le
nom du groupe de presse organisé dans les
années 1870 par les Pères assomptionnistes
et qui comprend notamment La Croix et Le
Pèlerin. L’image met en scène un village où
coexistent activités industrielles et agricoles.
Un prêtre en soutane guide des fidèles vers
l’église située au sommet d’un chemin qui
monte de l’ombre vers la lumière, de la
damnation vers la Rédemption. L’auteur du
dessin oppose les couleurs sombres du bas de
l’image où sont représentés le café et la forge,
aux couleurs lumineuses du haut de l’image
dominé par l’église. Le chemin
ascendant sur lequel le prêtre mène les fidèles
va vers la lumière qui éclaire l’église, le
château et le monde rural traditionnel. À
la noirceur de la cheminée s’oppose la
blancheur du calvaire. La manufacture avec
sa noirceur et ses flammes évoque l’enfer.
Le pardon en Bretagne
Sous la IIIe République, l’Ouest demeure
l’un des bastions du catholicisme contrerévolutionnaire. Le pardon est l'une des
principales manifestations de la foi en
Bretagne. En costume de fête, portant
bannières et statues, les fidèles se rendent au
sanctuaire. Ce déplacement, comme la
procession qui suit, traduit le désir de
se mettre en marche et d’offrir au saint fêté
les fatigues du voyage afin qu'il intercède
pour les pèlerins. Ici ces derniers reviennent,
en traversant la baie de Concarneau, du grand
pardon de Sainte-Anne de Fouesnant,
patronne des marins.
La Bénédiction des blés en Artois, de Jules
Breton, met en évidence la vivacité des
pratiques religieuses populaires dans les
campagnes françaises durant la même
période. Le tableau met en scène une longue
procession de clercs et de jeunes laïcs à
travers les champs : il s’agit ici d’un rite
agraire destiné à s’assurer la bienveillance de
Dieu pour l’obtention de bonnes récoltes. Les
membres du clergé, vêtus de noir, défilent
derrière les premières communiantes, en
aubes blanches, sous le regard des villageois
en position de prière. On distingue les
effigies d’un saint (ou de la Vierge) portées
par les communiantes, des
ostensoirs, des cierges et un dais rouge.
L’importance de la procession, son faste, et le
recueillement des populations, tendent à
nuancer l’idée de déchristianisation massive
des populations françaises au XIXe siècle.
Le vicomte Albert de Mun est l’un des plus
connus de ces catholiques engagés. Animé
144
classes populaires urbaines.
De nouvelles pratiques religieuses
Le pèlerinage de Lourdes a pour origine les apparitions de la Vierge Marie à
Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle en 1858. Elles interviennent
alors que la figure de Marie s’impose dans la croyance des fidèles en France.
L’apparition de Lourdes fait suite à celle de La Salette (1846) et précède celle de
Pontmain (1871). Tous les « voyants » sont des enfants issus des milieux
populaires. Reconnu par l’Église en 1862, le pèlerinage, favorisé par le train,
devient le premier de France et de l’Europe catholique.
Du 11 février au 25 mars 1858, Bernadette Soubirous croit voir apparaître une
jeune fille dans un halo de lumière dans la grotte de Lourdes. Cette apparition lui
parle d’abord en patois puis confie à la jeune Bernadette être l’Immaculée
Conception. C’est le pape Pie IX qui avait défini le dogme de l’Immaculée
Conception de la Vierge en 1854. En 1862, une enquête épiscopale valide
l’apparition et les premières guérisons miraculeuses. À partir de 1874, on
organise les premiers trains de malades. Lourdes devient rapidement un lieu de
pèlerinage très fréquenté. La facilité des transports aidant, le cap du million de
pèlerins est franchi en 1908. Cette image pieuse montre l’importance prise par le
pèlerinage de Lourdes. Des trains convergent vers Lourdes tandis que la Vierge
Marie fait reculer le démon. Les béquilles, dans la partie supérieure de l’image,
suggèrent les capacités de guérison miraculeuse que les croyants accordent à ce
lieu de pèlerinage.
Le pèlerinage de Lourdes permet de souligner la montée du culte marial dans la
France du second XIXe siècle. Jusqu’en 1830, l’Église française continue de
présenter aux fidèles l’image d’un Dieu terrible, sans pitié pour les pécheurs sans
cesse menacés des feux de l’Enfer. Cette image terrifiante a pu contribuer à
éloigner les masses populaires de l’Église. À partir des années 1830, l’Église
catholique française développe une approche plus compréhensive. Dieu devient
une figure d’amour et de pardon. La figure de la Vierge s’inscrit bien dans cette
nouvelle pratique car Marie est une figure douce et maternelle, pleine d’amour
pour ses enfants.
Les organisations catholiques de masse
Née en Belgique, en 1924, sous l’impulsion de l’abbé Cardijn, avec le soutien
résolu de Pie XI, la Jeunesse ouvrière chrétienne se propose de « faire des
ouvriers les apôtres des ouvriers » et a pour ambition de transformer toute la
classe ouvrière et de la ramener au Christ. Elle s’implante en France en 1927 avec
l’abbé Guérin et quelques ouvriers d’une paroisse de Clichy, en banlieue
parisienne. Son rapide développement va susciter l’émergence d’autres
mouvements de ce que l’on appellera désormais l’Action catholique spécialisée
(c’est-à-dire par milieux sociaux), comme la JAC (Jeunesse agricole chrétienne)
en 1929, la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) en 1930, ou encore la JMC
(Jeunesse maritime chrétienne) en 1931. Les jocistes souhaitent rechristianiser la
société et la rendre plus humaine et plus fraternelle. Beaucoup d’entre eux
n’hésitent pas, en 1936, à prendre part aux grandes grèves du Front populaire
pour défendre les intérêts des travailleurs mais aussi le pluralisme au sein du
mouvement ouvrier : ils suscitent alors la méfiance de beaucoup de catholiques,
qui leur reprochent de favoriser la lutte des classes. Ces reproches sont
rapidement oubliés quand, lors du 10e anniversaire de la JOC, célébré au Parc des
Princes sous l’égide de l’abbé Rhodain (futur fondateur du Secours catholique), la
JOC parvient à réunir 100 000 personnes. Cette première organisation de masse
catholique mêle habilement les symboles chrétiens et les scénographies profanes
qu’utilisent alors les autres organisations de masse de l’époque. L’organisation du
rassemblement dans un stade, la mise en scène de la fête et les tenues des
participants témoignent de la modernité d’un mouvement qui entend incarner le
renouveau chrétien et séduire un public nouveau. Les uniformes, les drapeaux et
oriflammes célèbrent la puissance et la vitalité de l’organisation. Cette illustration
rappelle aussi les valeurs ouvrières de la JOC et son ancrage populaire dans les
angles de l’image. En bas à droite, on note la présence de prélats et cardinaux à la
tribune.
La doctrine sociale de l’Église
La publication de l’encyclique Rerum novarum s’inscrit dans le contexte des
années 1890, marquées par une série d’attentats anarchistes et par des grèves
par l’esprit évangélique d’amour du prochain
mais aussi par la prudence du conservateur, il
lance ce vibrant appel quelques années après
la révolte sanglante de la Commune de Paris
qui l’a péniblement impressionné. Cette
première initiative
de l’Action catholique se déploie après le
premier conflit mondial tant la
déchristianisation du monde ouvrier paraît
acquise (cf. la phrase célèbre du pape Pie XI :
L’Église a perdu la classe ouvrière). Une
présence des prêtres et des militants
catholiques, les Jocistes ou jeunesse ouvrière
chrétienne, fut durablement affirmée dans les
banlieues. De 1905 à 1912, 49 nouveaux
lieux de culte avaient été ouverts dans le
diocèse de Paris ; à partir de 1932, l’oeuvre
des Chantiers du cardinal lancée par le
cardinal Verdier s’efforce de satisfaire les
besoins d’un Grand Paris dont le territoire
s’étend toujours.
Les femmes sont aussi un objet d’attention :
leur rôle est valorisé et élargi bien au-delà de
leur mission traditionnelle de transmission de
la foi à l’intérieur de la cellule familiale. Leur
formation intellectuelle est prise en main par
des Ecoles Normales confessionnelles.
Rejetées par le Code civil dans un statut de
subordination familiale, privées du droit de
vote, ces Françaises trouvent pour beaucoup
dans la loi de Séparation de 1905 l’occasion
d’affirmer leur militantisme de combat au
service d’une religion qu’elles estiment
persécutée. C’est alors dans le domaine
paramédical et dans celui de la presse
confessionnelle qu’elles trouvent à
s’employer, constituant ainsi dans l’entredeux-guerres des relais précieux auprès des
masses populaires.
Né dans les années 1880, un courant
spiritualiste nouveau touche les élites
intellectuelles et s’amplifie après l’épreuve de
la Grande guerre, de telle sorte que Y.-M.
Hilaire peut qualifier les années 1930 « d’âge
d’or de la pensée et des lettres chrétiennes ».
Le monde des arts n’est pas
en reste : une entreprise de renouvellement de
l’art religieux est lancée par deux artistes
reconnus issus du symbolisme, amis de
longue date, Maurice Denis et Georges
Desvallières. Pour ces peintres, l’art nouveau
doit être l’expression de la foi de l’artiste et
contribuer au redressement moral de la
France après la saignée humaine de 14-18.
C’est dans ce but qu’ils fondent en 1919 un
Atelier d’art sacré, à la fois centre de vie
catholique et lieu d’apprentissage–
compagnonnage consacré aussi bien à la
peinture qu’à la sculpture et aux arts
décoratifs.
Enfin, l’expansion européenne outre-mer
offre l’occasion aux Églises chrétiennes
145
sanglantes. La radicalisation du monde ouvrier, qui s’éloigne de plus en plus de
l’Église, inquiète la papauté, qui craint de perdre définitivement toute influence
sur le prolétariat au profit du socialisme. On sait Léon XIII attaché à
l’indépendance et au pouvoir de la papauté et très ferme sur les questions de foi.
On le sait aussi désireux de tenir compte des réalités du temps (il s’apprête à
inciter les catholiques français à se rallier à la République) et très informé des
réflexions de La Tour du Pin et de l’Union de Fribourg qui, dans le cadre du
catholicisme social, veulent au nom de l’Évangile combattre la misère du
prolétariat. La prise de position de l’Église sur la question ouvrière, question
centrale pour la société industrielle, est attendue. En 1891, Léon XIII condamne
la brutalité de l’exploitation capitaliste, tout en rejetant la lutte des classes. En
publiant Rerum Novarum, Léon XIII répond aux attentes des chrétiens sociaux
qui face à la paupérisation des masses ouvrières sont passés d’une conception
chrétienne de la résignation à un désir de justice sociale. Léon XIII rejette
clairement l’analyse marxiste : les deux classes ne sont pas ennemies. Elles sont
au contraire complémentaires, indispensables l’une à l’autre: Le capital ne peut
rien sans le travail et le travail a besoin du capital. Le pape demande donc à
chacun de respecter l’autre. Léon XIII développe l’idée de la complémentarité
nécessaire des classes et non de leur affrontement, tenu pour stérile. L’inégalité
sociale est, pour lui, une donnée aussi naturelle que le sont les inégalités
biologiques. Il conçoit cette inégalité de manière positive. Chacun est à sa place
et participe harmonieusement au fonctionnement de la société. Droits et devoirs
contraignent ouvriers et patrons. Léon XIII accorde même à l’État un rôle de
protection des plus faibles, critiquant ici explicitement le libéralisme de l’époque.
L’objectif est de faire disparaître les tensions et les risques de violence. Avec
Rerum Novarum, Léon XIII assure un fondement à la doctrine sociale de l’Église.
Le catholicisme social se développe rapidement en Allemagne sous l’égide de
l’abbé Kolping et de Monseigneur Ketteler. Durant leur captivité en Allemagne,
Albert de Mun et René de la Tour du Pin le découvrent. Ils l’adaptent en France
pour réconcilier le peuple et l’Église. Des syndicats chrétiens se constituent qui
donnent naissance, en France, à la CFTC.
Réclamé par Léon XIII en 1891 dans l’encyclique Rerum novarum, le repos
dominical ne sera reconnu en France qu’en 1906 par une loi qui, d’ailleurs, ne
l’accorde pas aux domestiques ni aux salariés agricoles. Paradoxalement, ce sont
les ouvriers qui, les premiers, ont conquis ce droit au repos dominical dans les
usines et les ateliers, dès la fin du XIXe siècle.
D’abord spontanées et portées par des personnalités émues par la misère urbaine
et, en particulier, par la détresse ouvrière, les initiatives sociales catholiques
deviennent la doctrine officielle de l’Église après la promulgation par Léon XIII
de l’encyclique Rerum novarum. Soupes populaires et aides au logement
s’accompagnent d’un effort d’évangélisation constant, particulièrement visible
dans l’oeuvre du père Lhande et du cardinal Verdier qui travaillèrent à
l’amélioration de la couverture apostolique de la banlieue parisienne.
Il faut aussi évoquer les projets urbanistiques ou les jardins ouvriers qui
participent aussi d’un effort et d’une préoccupation sociale.
LA LAÏCISATION
La période de l’ordre moral qui succède à la chute de la Commune et l’alliance
du cléricalisme et du parti monarchiste provoque une réaction anticléricale chez
les républicains. Parvenus au pouvoir, ils sont convaincus que la consolidation de
la République exige la prise de mesures prévenant toute résurgence des cléricaux.
Apparaît donc une laïcité de combat qui perçoit l’école publique et laïque comme
la condition indispensable à la formation de citoyens éclairés, puisque l’école est
par excellence le lieu d’apprentissage de la démocratie.
L’affaire Dreyfus (la grâce présidentielle a été accordée en décembre 1899) a eu
d’importantes répercussions sur les rapports entre l’Église et l’État et sur l’écho
rencontré par les thèses anticléricales. Alors qu’en 1890 Léon XIII avait
recommandé le ralliement à la République, l’affaire marque l’échec de ce
ralliement car une partie importante de la hiérarchie et des notabilités catholiques
intègre le camp des anti-dreyfusards. C’est l’alliance du sabre et du goupillon.
Les anticléricaux imputent aussi à l’Église catholique la résurgence de
l’antisémitisme. Les conséquences politiques sont dévastatrices pour l’Église. Les
radicaux au pouvoir dissolvent les ordres religieux (1903), rompent les relations
avec Rome (1904) et décident la séparation de l’Église et de l’État (1905).
d’accroître le nombre de leurs fidèles.
Constitutive du message évangélique (Allez
et enseignez à toutes les nations…) l’oeuvre
de mission extérieure connaît dès le début du
XIXe siècle une impulsion nouvelle
fondée sur la redécouverte de la vocation
universelle du message chrétien et sur une
spiritualité du sacrifice, voire du martyre,
privilégiant l’aventure personnelle (cf.
tableau de Charles Coubertin). Le territoire
de ces missions est, dans un premier temps,
indépendant de la colonisation : d’abord
l’Extrême-Orient, le Levant et l’Océanie.
Puis à compter des années 1880, l’entreprise
de conquête de l’Afrique menée par la jeune
IIIe république, place la France à la pointe de
l’action missionnaire. Vers 1900, environ 69
% des missionnaires catholiques dans le
monde sont français, et cette estimation ne
tient pas compte des frères enseignants et des
religieuses. Leurs liens avec la conquête
deviennent étroits. Cependant, après la
guerre, ces hommes et ces femmes sont
encouragés par la papauté à prendre en
compte dans leur action la spécificité
indigène (encycliques de 1919 et 1926). La
citation du cardinal Lavigerie, évêque
d’Alger et fondateur des pères blancs
missionnaires de l’Afrique, est d’autant plus
remarquable dans sa précoce expression de
respect de la personne de l’Autre et de sa
culture, cette citation datant d’avant 1892.
Elle indique qu’au coeur de la hiérarchie
ecclésiastique française, du moins à l’échelle
individuelle, a pu s’introduire une part de
modernité.
Le père Pierre Lhande, né en 1877, entré chez
les jésuites en 1900, est ordonné prêtre en
1910. En 1925, il publie dans la revue Études
un premier article sur « le bon Dieu chez les
chiffonniers » et il se met à sillonner la
banlieue dans la voiture que lui a prêtée la
veuve d’un industriel parisien. Les articles
qu’il publie dans Études puis son livre intitulé
Le Christ dans la banlieue, Enquête sur la vie
religieuse dans les milieux ouvriers de la
banlieue de Paris (1927), suscitent un vif
intérêt (le livre tire à 80 000 exemplaires, ce
qui est beaucoup pour l’époque) et un grand
élan de générosité, en France et à l’étranger.
Lhande a été par ailleurs le premier
prédicateur
radiophonique (1927, sur Radio-Paris). Au
cours de l’hiver 1928-1929, Lhande lance un
appel à l’envoi de dons en nature pour
secourir « les habitants des cases de planches
et des gourbis presque complètement
démunis de vêtements, de charbon et de bois
». Cet appel annonce à un quart de siècle de
distance celui de l’abbé Pierre durant l’hiver
1954. Lhande inspire aussi un vaste
mouvement de construction d’églises dans la
banlieue parisienne, organisé dans les années
1930 par le cardinal Verdier (l’OEuvre des
146
Le Char de l’enterrement de l’Église illustre une des grandes confrontations entre
l’Église et l’État en France. Cette caricature parue dans le journal catholique Le
Pèlerin en 1907 montre un enterrement, celui de l’Église, comme il est précisé
sur une des couronnes mortuaires. Les radicaux, victorieux aux élections de 1899
et de 1902, sont convaincus du danger que représente l’alliance « du sabre et du
goupillon ». Ils affirment un anticléricalisme virulent qui trouve un fort écho dans
une partie de la population. Cet anticléricalisme est relayé par une presse
anticléricale qui connaît un grand succès (L’Assiette au beurre, La Lanterne).
Cette politique aboutit au vote de la loi de séparation des Églises et de l’État en
France en 1905.Trois partisans et acteurs de cette politique sont présents sur cette
illustration. Le « char » est conduit par Aristide Briand, ministre de l’intérieur en
1905 et rapporteur de la loi. À la date du document, il est le ministre en charge du
culte ; cette loi a été voulue avec acharnement par son prédécesseur Émile
Combes, sénateur radical et président du conseil de 1902 à 1905, qui accompagne
à ce titre le convoi funéraire. La loi est condamnée par le pape, et les inventaires
qui doivent permettent d’évaluer les biens des Églises provoquent des troubles
violents. Georges Clemenceau, président du Conseil en 1907, prend une mesure
d’apaisement en faisant voter une loi qui rend l’exercice du culte possible en
l’assimilant à une réunion publique. En 1907, on enterre donc définitivement le
concordat napoléonien. L’antique union de l’Église de France et du pouvoir
temporel s’achève. Les trois acteurs du document sont désignés comme les
fossoyeurs de l’Église. Celle-ci suit le cortège sous les traits d’un évêque, la foule
peu nombreuse sur le passage du convoi est en pleurs.
nouvelles paroisses de la région parisienne,
communément appelée les Chantiers du
cardinal).
L’Église face aux totalitarismes
L’Église catholique rejette l’anarchisme, le socialisme et le communisme. Le
pape Léon XIII, dans son encyclique Quod Apostolici Muneris du 28 décembre
1878, définit le communisme comme « Une peste mortelle qui s’attaque à la
moelle de la société humaine » mais il faut attendre l’encyclique Divini
Redemptoris (1937) du pape Pie XI pour une condamnation totale et longuement
argumentée du communisme.
Confrontées au national-socialisme, les Églises tentent d’éviter un conflit entre la
foi religieuse et la fidélité nationale. Le Concordat signé avec l’Église catholique
le 20 juillet 1933 permet à Hitler de s’assurer de la neutralité de la hiérarchie
catholique. Ainsi, dans le cadre des négociations, le Vatican prend l’engagement
de ne pas se mêler des affaires politiques intérieures de l'Allemagne. Pourtant les
persécutions démarrent rapidement. Pie XI décide donc de publier une encyclique
transmise secrètement en Allemagne afin de ne pas être interceptée par la
Gestapo. Alors que les encycliques sont toujours écrites en latin, Mit Brennender
Sorge est rédigée en allemand afin d’être lue aux fidèles. Pie XI déplore les
violations du concordat de 1933 et condamne la doctrine nazie jugée
antichrétienne. Le national-socialisme est condamné car il divinise la notion de
race et lui rend un culte idolâtrique, terme qui sert à marquer les « fausses »
religions. Le nazisme renverse l’ordre des choses créé par Dieu.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
En dépit des efforts et des réalisations chrétiennes en matière sociale, les
pratiques religieuses n’augmentent guère. La mission évangélisatrice rencontre
des résistances dans la société alors que la dimension sociale est estimée de tous,
hormis de quelques radicaux. Les chrétiens ont su apporter leurs réponses aux
souffrances sociales engendrées par l’industrialisation mais n’ont que
partiellement réussi à lier question sociale et évangélisation de masse.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
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