les representations fantasmatiques du devenant pere : relation d
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les representations fantasmatiques du devenant pere : relation d
Mathilde Pagnat Maîtrise de psychologie clinique Session juin 2004 06.81.14.43.08. [email protected] Séminaire de recherche : la relation d’objet virtuel Sous la direction de Mr. S. Missonnier, Maître de conférence Mémoire de recherche LES REPRESENTATIONS FANTASMATIQUES DU DEVENANT PERE : RELATION D’OBJET VIRTUEL ET ANTICIPATION Université Paris X Nanterre UFR de sciences psychologiques 200, avenue de la République 92000 Nanterre 1 Remerciements Nous remercions vivement Monsieur Sylvain Missonnier, Maître de Conférence, directeur de recherche, pour ses conseils avisés, son écoute attentive et sa disponibilité. Nous remercions Madame Bénédicte Grether-Remondon, psychologue clinicienne référante, pour le partage de son expérience, sa finesse clinique et son professionnalisme. Nous remercions le Centre Hospitalier Privé Claude Galien, l’équipe soignante de la maternité, Madame Isabelle Lefièvre (surveillante, puéricultrice), l’ensemble des médecins gynécologues et pédiatres, Madame Isabelle Renaud (sage-femme), pour leur accueil, leur soutien et le matériel clinique qu’ils ont pu nous offrir. Nous remercions le Centre de Recherche sur l’Enfant et l’Adolescent, du laboratoire du L.A.S.I, dirigé par Madame la professeur Dominique Cupa, et Madame Hélène Deschamps-Riazuelo, pour nous avoir autorisés à faire usage de leur protocole et nous avoir accordés leur aide précieuse. Enfin, nous remercions les pères ayant acceptés de participer à notre recherche, leur volontariat et leur témoignage assidu. 2 Résumé Dans le contexte de la rencontre avec trois futurs “primipères“ d’un Centre Hospitalier Privé de la banlieue parisienne, des études de cas cliniques laissent apparaître des données concernant la réédition de fantasmes originaires et de la conflictualité oedipienne, sur fond de représentations anticipatrices paternelles. La relation d’objet virtuel entre un devenant père et son bébé virtuel semble parsemée de projections anticipatrices de la période prénatale. Entre angoisse automatique et angoisse signal d’alarme, l’anticipation paternelle serait d’une grande diversité. Ce type de constat démontrerait, en dépit d’une échelle non représentative, la complexité du processus de paternalité. MOTS CLES : Paternalité, Relation d’objet virtuel, Représentations anticipatrices, Lien générationnel, Origines, Bébé virtuel. 3 Table des matières INTRODUCTION p. 7 1 : PROBLÉMATIQUE p. 12 2 : DONNÉES THÉORIQUES 2.1 : Le processus de parentalité p. 16 2.1.1: Définition p. 16 2.1.2 : Vers une « périnatalité psychique » du futur père p. 19 2.1.3 : La fonction paternelle p. 22 2.1.4 : « Une paternité de proximité » p. 24 2.2 : Les fantasmes p. 28 2.2.1 : Définition p. 28 2.2.2 : Les fantasmes originaires p. 29 2.3 : Les travaux sur le terrain : Cupa et coll, La constellation paternelle p. 34 2.3.1 : Exposé de la recherche p. 34 2.3.2 : Résultats p. 37 2.4 : Le virtuel 2.4.1 : « Qu’est-ce que le virtuel ? » 2.4.1.1 : Espace transitionnel et Virtuel 2.4.2 : Le fœtus : virtualité d’un être en devenir ? 2.5 : L’anticipation p. 39 p. 39 p. 39 p. 41 p. 43 4 2.5.1 : Anticipation : De l’angoisse automatique à l’angoisse signal d’alarme p. 43 2.5.2 : Anticipation chez le “devenant père“ p. 45 3 : HYPOTHÈSES p. 48 3.1 : Hypothèses de recherche p. 48 3.2 : Hypothèses spécifiques p. 49 4 : MÉTHODOLOGIE p. 50 4.1 : Contexte p. 50 4.2 : Population p. 50 4.3 : Déroulement p. 51 4.4 : Outils p. 53 4.4.1 : L’auto-questionnaire (entretien R remanié de Stern) p. 53 4.4.2 : L’entretien clinique : la bande sonore p. 55 5 : COMPTE-RENDU DES RÉSULTATS p. 58 Analyse clinique et commentaires interprétatifs p. 58 5.1 : Monsieur D p. 58 5.2 : Monsieur J p. 70 5.3 : Monsieur G p. 83 6 : DISCUSSION p. 89 7 : CONCLUSION p. 95 5 8 : BIBLIOGRAPHIE p. 96 8.1 : Ouvrages p. 96 8.2 : Articles p. 98 ANNEXES : cf. fascicule 6 Introduction Si le père est par essence le géniteur, celui qui incarne la procréation, il serait très réducteur d’envisager cette définition comme exhaustive. Bien plus encore, il convient d’accepter dans la notion de père, la place et les fonctions qu’il peut revêtir et accueillir la paternité dans son ensemble. Au-delà de l’aspect biologique, le mot père serait-il infiltré de liens générationnels (ou de “mandats générationnels“ comme le définit Serge Lebovici), en s’imbriquant de façon continue dans le familial, le social et le symbolique ? Que signifie “devenir parent“, “être père“ à l’heure où le monde psychologique et médicale décrit le futur père comme psychiquement “enceint“ ? La période prénatale met-elle en exergue une vie fantasmatique masculine plus intense, où s’effectuent de profonds remaniements ? Peut-on évoquer une “crise“ ? Le nouage de ce questionnement s’articule autour du lien, de la relation virtuelle puisque non - palpable entre le “devenant père“ et le “fœtus – bébé“. Nous entendrons ici le terme virtuel comme s’opposant à l’actuel. Ainsi, “l’enfant du dedans“ peut-il s’organiser en une mosaïque de représentations fantasmatiques anticipatrices du père ? Comment se traduit cette anticipation ? En quoi la réalité virtuelle du fœtus forge le devenant père, le processus de parentalité ? Il convient d’éclaircir quelques concepts théoriques avant d’aborder plus en avant notre problématique. De nombreuses études ont mis l’accent sur l’univers du fœtus - nourrisson : Les représentations fantasmatiques de la “devenant mère“ (D. W. Winnicott, Bibring et M. Bydlowski, ont largement œuvré dans ce domaine) ; Les 7 interactions précoces mère – bébé (S. Lebovici, M. Soulé, D. Stern, Stoléru, Kriesler, Cramer)…L’étude de la dynamique parentale et du processus de parentalisation (D. Houzel, P. Marty) et bien sûr “la part du père“ (G. Delaisi de Parseval) ont consolidé l’édifice théorique et empirique. Les recherches concernant le père et la paternité semblent plus récentes ; Même si on retrouve en filigrane dans l’œuvre freudienne le père et le symbole paternel, les études en périnatalité touchant au père paraissent moins éloignées temporellement. La notion de virtuel semble avoir émergée au cours de ce nouveau millénaire au travers de la philosophie et de la psychanalyse sous l’influence des nouvelles techniques de communication mais aussi des techniques périnatales de plus en plus perfectionnées. P. Lévy, S. Missonnier et coll, S. Tisseron, en sont les pionniers. D’autre part, l’étude de D. Cupa et coll (1992) nous permettra d’ évoluer dans nos hypothèses de travail et notre questionnement sur les représentations anticipatrices en mettant en parallèle les résultats de leur recherche s’intéressant à la devenant mère avec nos interrogations sur le futur père. Nous considérerons les travaux récents de D. Cupa et coll, comme un point de repère fondamental, puisqu’ils sont à l’origine de ce travail. En effet, notre questionnement émerge de l’étude parue dans Devenir associée à notre problématique personnelle autour de la paternité et du fœtus. Pour pouvoir conceptualiser notre problématique, nous essayons d’expliciter succinctement les grands concepts de cette recherche (la parentalité, la paternité, les fantasmes, les interactions précoces, le virtuel, l’anticipation) : La parentalité de tout individu semble s’inscrire dans un continuum historique puisque ce processus prend forme dès le plus jeune âge (par exemple jouer “au papa et à la maman“) (P. Marty, 2003). Ainsi, il semblerait que l’on se prépare à devenir parent, qu’on l’anticipe, que l’on chemine. Psychanalytiquement, selon Racamier (1961), la parentalité implique au delà d’une fonction biologique, une fonction psychique : un processus se met en marche, c’est la maternalité ou la paternalité. Ce phénomène engendrerait des 8 bouleversements fantasmatiques importants. (On notera les phénomènes de couvade, le concept de transparence psychique développé par M. Bydlowski …) D. Houzel (1997) fait un découpage tridimensionnel de la parentalité : l’exercice, l’expérience et la pratique. (Nous développerons ce concept plus loin) Au total, « l’accès à la parentalité a la vertu particulière d’inscrire le sujet dans la succession des générations et de lui donner le pouvoir de transmettre la vie » (Houzel, 1997). Du mot latin Pater, “être père“ signifierait représenter la suite des générations. Pour Konicheckis (1999), le vécu personnel du devenant père s’inscrirait dans le processus de parentalité par le biais des identifications aux figures paternelles. Les récits mythiques ont illustré la construction du père : le mythe de la horde décrit par Freud dans Totem et Tabou (1912) par exemple. Une fonction tridimensionnelle du père peut émerger dans le nouage de Lacan (1974) : le père réel, le père symbolique et le père imaginaire (Trono, 1993). Pour Marty (2003), « le père est avant tout une référence qui permet à l’enfant de sortir de sa toute puissance infantile et narcissique et devenir un sujet social, parlant et désirant. Le père est l’autre de la mère, il ne s’y oppose pas, ni ne vient la compléter. Le père est aussi celui qui ordonne la descendance et s’offre comme repère ». Les fantasmes sont des scénarii imaginaires où le sujet est présent et qui figurent, de façon plus ou moins déformées par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir (inconscient). Freud (Névrose, psychose et perversion, 1915) nomme fantasmes originaires « ces formations fantasmatiques – observations du rapport sexuel des parents, séduction, castration et d’autres… ». Pour Freud, ces fantasmes originaires en appellent à une explication phylogénétique (dans l’histoire : réalité de faits ; aujourd’hui : réalité psychique). Les interactions précoces se découpent en trois dimensions : comportementales (Brazelton), affectives (Stern) et fantasmatiques (Lebovici 9 et Soulé). Par interactions précoces, nous pourrions entendre l’échange et le partage des affects entre le nourrisson et généralement sa mère, échange symbolisé par une synchronie affective. Ce sont des réactions réciproques avec une rétroaction ou feed-back ; pour Lebovici, les interactions précoces constituent « une spirale transactionnelle où mère et bébé s’influencent mutuellement ». Le pôle comportemental, affectif et fantasmatique des interactions prénatales du devenant père et du bébé virtuel va constituer un élément central dans notre travail. Le virtuel est défini dans le langage commun comme un possible, qui est en puissance (virtus), potentiel. Cette notion a été développée en philosophie puis en psychologie psychanalytique ; contrairement au possible, le virtuel constitue un complexe aspirant à une résolution. Aussi, il est important d’être clair : le virtuel possède sa propre réalité et ne s’oppose aucunement au réel mais à l’actuel ; « virtualité et actualité sont deux manières d’être, différentes »(Lévy, 1998), ainsi il peut paraître plus aisé d’envisager l’état d’embryon et celui d’homme. Lévy dit (dans son ouvrage “Qu’est-ce que le virtuel ?“,1998), « l’arbre est virtuellement dans la graine ». L’anticipation peut être définie comme un mécanisme de défense permettant au sujet de se préserver ; « anticiper consiste, lors d’une situation de crise, à imaginer l’avenir : en expérimentant d’avance ses propres réactions comportementales ; en prévoyant les conséquences de ce qui pourrait arriver ; en envisageant différentes réponses ou solutions possibles » (Ionescu, Jacquet et coll, 1997). Soulé, Lebovici et Stoléru ont conceptualisé le “bébé imaginé“ de la grossesse et ont démontré (avec également les travaux de Cupa,1992) qu’il constitue une représentation anticipatrice et organise les interactions précoces après la naissance. Nous parlerons aujourd’hui de bébé virtuel pour lui rendre sa dimension réelle. Les projections anticipatrices dans la relation d’objet virtuel seront l’élément nodal de la recherche. 10 Ces quelques tentatives de définition peuvent constituer une amorce pour élaborer notre problématique, et ne sont en aucun cas exhaustives. Pour achever cette introduction, nous pouvons poser notre sujet : ce mémoire de recherche traite des représentations fantasmatiques paternelles lors de la grossesse. Nous aurons comme point d’ancrage la notion développée par Stern chez la mère, puis par Cupa, Deschamps, Michel, Lebovici : « La constellation paternelle ». Nous tenterons de lier la vie fantasmatique du futur père aux concepts de virtuel et d’anticipation. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux projections anticipatrices paternelles dans la relation d’objet virtuel et à leur variabilité entre le pôle angoisse automatique et le pôle angoisse signal d’alarme. 11 1 : PROBLEMATIQUE La place du père en périnatalité a longtemps été mise à part. Depuis quelques années seulement, le milieu médical jusqu’alors réservé aux femmes, s’intéresse au père. De même, les écrits psychologiques et psychanalytiques du père en périnatalité sont encore peu nombreux. Ainsi, arrive la question du père dans un espace considéré encore, dans la culture occidentale, comme essentiellement féminin. Cela paraît être le signe de profondes résistances, aujourd’hui très nuancées et remises en question par les nouvelles conceptions de triade père-mèrebébé, par la mise en place de nouvelles lois incluant les pères et par les pères eux-mêmes qui revendiquent de plus en plus leur statut au cours de la grossesse. Ainsi, peuvent-ils eux aussi être sujet à de profonds remaniements psychiques au cours de la grossesse ? Qu’en est-il de leurs fantasmes inconscients ? Certains sont-ils plus prégnants que d’autres ? La constellation paternelle estelle également empreinte de représentations prénatales concernant le nourrisson ? Ces représentations seraient anticipatrices, le père s’aventure-t-il alors à imaginer son bébé ? En quoi ce bébé peut-il être chargé de virtualité ? Les travaux de G. Delaisi de Parseval, Le Camus, D. Cupa, H. RiazueloDeschamps, F. Michel, S.Lebovici, S. Missonnier, D. Stern et bien d’autres ont contribué à enrichir les connaissances sur la triade père-mère-bébé et sur le milieu périnatal. S’intéressant en premier lieu à la dyade mère-nourrisson, ils ont pu ensuite définir la constellation paternelle et mettre en avant l’anticipation des futurs parents et l’aspect virtuel du fœtus-bébé. En effet, il semble que le monde psychologique et bio-médical (avec des techniques échographiques de plus en plus perfectionnées et l’entrée du père en salle 12 d’accouchement) nous fasse avancer vers de nouvelles conceptions de la triade père-mère-bébé. Le fœtus semble de plus en plus considéré et reconnu comme un individu en devenir, un individu virtuel inscrit dans un processus d’actualisation. En filigrane de ces différents éléments, la parentalité et son processus viennent servir de socle à notre problématique. Il s’agirait ici de définir la paternalité et son fonctionnement psychique lors de la grossesse. Ainsi, le père entre, comme la mère, dans une conflictualité inconsciente pendant la grossesse ; selon les résultats de l’équipe de D. Cupa, le futur père effectue un “remaillage identitaire“ ne pouvant se comprendre que dans une réédition oedipienne et au travers du “fil rouge générationnel“. Grâce à un auto-questionnaire pour le futur père réalisé par l’équipe du C.R.E.A (centre de recherche sur l’enfant et l’adolescent), laboratoire du LASI, au protocole de la bande sonore de B. Lester et à l’entretien semi-directif, nous allons essayer de mettre en exergue : -des émergences fantasmatiques de la vie psychique de plusieurs futurs pères, -la variabilité du processus d’anticipation en tant que projection et mécanisme de défense, du bébé virtuel, -la relation d’objet virtuel entre le père en devenir et le fœtus-bébé. Afin de pouvoir réaliser cette recherche, nous avons effectué tout au long de cette seconde année de maîtrise, un stage clinique supplémentaire à notre cursus, au sein d’un service de maternité en banlieue parisienne. Ce centre hospitalier nous a permis de constituer notre population. Nous devons préciser que notre étude n’est pas représentative, les résultats obtenus ne seront donc pas généralisables ; cette recherche regroupe des études de cas cliniques. 13 Il convient de présenter brièvement la trame de notre travail. Nous traiterons dans une première partie le champ théorico - clinique en développant les concepts préalablement abordés. Puis, nous poserons plus en détail nos hypothèses de recherche et nos hypothèses spécifiques, de travail. Nous présenterons ensuite la méthodologie, c’est à dire la population et le panel d’outils, nous ayant servie à l’élaboration de notre travail. Enfin, nous analyserons cliniquement les résultats afin d’éprouver nos hypothèses et d’amener une critique constructive. 14 DONNEES THEORIQUES 15 2 : DONNEES THEORIQUES 2.1 : Le processus de parentalité 2.1.1 : Définition Du latin pater, le père est défini dans le Petit Larousse, comme “celui qui a un ou plusieurs enfants, celui qui manifeste des sentiments paternels, ou Dieu en tant que créateur, ou encore nos pères en tant que nos ancêtres“. Cette définition “universelle“ décline le père selon ses atouts et selon ce qu’il peut figurer (religieux, générationnel, affectif). Plus spécifiquement, définir la parentalité revient à expliciter un processus : la parentalité est un processus par lequel on devient parent d’un point de vue psychique. C’est le processus de parentification que D. Houzel explique in Les dimensions de la parentalité,Journal de la psychanalyse de l’enfant, 21, 1997, Bayard. En 1985, le terme de parentalité apparaît ; la maternalité décrite par Racamier est étendue au père et donc à la paternalité. (maternalité / paternalité : termes définissant une transformation de la personnalité et du fonctionnement psychique d’une mère / d’un père pendant la grossesse) D. Houzel fait un découpage tridimensionnel de la parentalité ; ces dimensions ne sont pas à considérer séparément car elles sont imbriquées et liées les unes aux autres. Il distingue l’Exercice, l’Expérience et la Pratique. La dimension exercice renvoie à l’identité de la parentalité, à ses aspects fondateurs et organisateurs. Ceci qualifie les liens de parenté définis dans chaque société : la place de chaque individu dans la société. Ces liens sont régis par des règles de transmission. Les études anthropologiques ont mis en 16 évidence un ensemble structuré par des liens complexes d’affiliation impliquant des droits et des devoirs. L’exercice de la parentalité peut s’étudier, selon D. Houzel, à partir d’un point de vue anthropologique, d’un point de vue juridique (système de parenté et organisation), d’un point de vue psychanalytique dont l’approche structuraliste a montré que l’organisation de la psyché actuelle ne pouvait être détachée de l’organisation de la psyché de la société à laquelle appartient l’individu, notamment sa famille : c’est l’héritage culturel et familial, autrement dit, la transmission des générations. Associés aux influences culturelles, des processus dynamiques s’inscrivent dans une relation et une histoire. Ces aspects dynamiques ont été étudié par le courant psychanalytique fondé sur la relation d’objet (M. Klein, D. Meltzer, W. R. Bion). E. Granjon, (in Transmission psychique et transferts en thérapie familiale psychanalytique, 5, 47-58, 1989, Gruppo) a distingué deux types de transmission entre les générations : L’une apportant des éléments élaborables à la génération réceptrice : c’est la transmission intergénérationnelle, L’autre apportant des “non-dits“, des “cryptes“ constituant des enclaves psychiques : c’est la transmission transgénérationnelle. La dimension expérience renvoie aux fonctions, aux aspects subjectifs conscients et inconscients du processus de parentification : c’est la dimension du devenir parent, de remplir des rôles parentaux. Elle recoupe le désir d’enfant. Selon Freud, le désir d’enfant résulte avant tout d’un choix d’objet narcissique ; il s’inscrit dans une résolution du complexe d’Œdipe : pour la femme, il s’agit d’un déplacement libidinal pour le père vers un partenaire masculin ; pour l’homme, ce déplacement libidinal se fait vers une partenaire féminine. 17 Selon M. Klein, ce sont les identifications aux “bons objets parentaux“ qui fondent le désir d’enfant. Chez le père, D. Houzel, définit la parentification comme une crise d’identité profonde où parfois, nous pouvons repérer certains évènements particuliers comme : la couvade, des décompensations pathologiques, des ruptures conjugales qui témoignent de l’intensité des remaniements durant cette transition vers la paternalité. Poussin et Cissé ont mis en exergue que la naissance est un instant primordial de la parentalité. Selon leurs résultats aux tests projectifs, les préoccupations paternelles sont liées à la représentation de soi, l’enfant serait ressenti comme un autre soi-même qui confirmerait ou infirmerait les qualités paternelles. Selon D. Houzel, le succès de la parentalité dépendrait de l’équilibre entre investissement narcissique et objectal de l’enfant, pour les deux parents, l’équilibre entre investissements parentaux et conjugaux, l’équilibre entre rôle maternel et rôle paternel. La dimension pratique renvoie aux qualités de la parentalité, aux aspects plus ou moins observables des relations parents / enfants. C’est le domaines des soins parentaux, soins physiques mais également psychiques. J. Bowlby et ses travaux ont marqué un point d’ancrage dans l’étude des soins parentaux. Les premières études s’appuient sur la théorie de l’étayage de Freud, puis sur la théorie de l’attachement de Bowlby, qui met l’accent sur le statut primaire des liens affectifs et sur leur influence dans le développement de l’enfant. La capacité d’établir ces liens est une composante fondamentale de la nature humaine. Ces liens d’attachement non -secondaires à la satisfaction des besoins vitaux, ont un rôle de projection. Cette composante est en large part inconsciente. Lors de ces trente dernières années, les études ont montré les “compétences“ du nouveau-né, ses capacités à recevoir des stimulations de l’entourage et d’y répondre. 18 Les travaux sur la vie psychique et relationnelle du nourrisson ont permis d’avancer sur les notions d’interaction parent / nourrisson. Ainsi, le point de vue tridimensionnel interactif est apparu : les interactions comportementales (Brazelton), les interactions affectives et les interactions fantasmatiques (Lebovici, Lamour, Stern). Ceci a permis de souligner la participation active de l’enfant dans le processus d’établissement des liens. Selon D. Houzel, les interactions fantasmatiques pourraient se rattacher à l’axe d’analyse appelé expérience de la parentalité (transmission inconsciente entre parents et enfants), tandis que les deux autres niveaux se référeraient à la pratique de la parentalité. Pour conclure sur les dimensions de la parentalité, D. Houzel nous dit que ce processus permet au sujet de s’inscrire dans le tableau générationnel. La parentalité ne se limite pas au biologique. 2.1.2 : Vers une « Périnatalité Psychique » du futur père Dans son article intitulé Entre créativité et vulnérabilité : les métamorphoses de la parentalité, in Psychiatrie Française, 3.98, nov, S. Missonnier dresse un panorama du “devenir parent“ à l’heure actuelle. Dans son constat, il semble placer la parentalité face à un glissement vers une « désinstitutionalisation de la famille ». Selon lui, la famille est dans une période de métamorphose. La femme moderne devenant mère semble devoir s’inscrire d’un point de vue compétitif, au niveau familial et professionnel. Elle n’est plus reconnue uniquement à sa fonction physiologique. « Ces femmes doivent être désormais le moins enceintes possible » du fait d’une productivité professionnelle de masse. Ainsi, la femme moderne perdrait le sens de la maternité oscillant entre « idéalisation et dénigrement » : un conflit ambivalentiel du rôle maternel se serait installé. Selon l’auteur, les nouveaux investissements se font dans trois directions : 19 -Celle d’un “nouveau“ père, qui doit être très investi et empathique (les attentes et les représentations collectives à l’égard du rôle paternel varient au fil des générations et en fonction des sociétés). -Un nourrisson espéré idéal, parfait. -Un corps médical robuste, ayant toute réponse, grâce à une technicité pointue. Les soignants seraient investis comme “tout puissant“. L’auteur semble observer une « mutation sociologique ». La parentalité est définie par l’auteur comme « ce processus mental individuel du “Devenir parent“, animé par le désir d’enfant, correspond à une longue évolution en pelure d’oignon traversant l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Il est indispensable de son enracinement singulier intergénérationnel, de son environnement social, culturel spécifiques et de son histoire adaptative biologique unique. » Par cette description, nous pourrions voir une sorte de fil rouge de la parentalité et de son processus : fil rouge traversant chaque étape de la vie. D’autre part, le terme de parentalité ne peut être abordé sans la notion primordiale de relation d’objet. Cette notion désigne le mode de relation du sujet avec son monde, « relation qui est le résultat complexe et total d’une certaine organisation de la personnalité, d’une appréhension plus ou moins fantasmatique des objets et de tels type privilégiés de défense. » (Vocabulaire de la psychanalyse). Le terme “objet“ doit être entendu dans un sens spécifique : on qualifie une personne d’“objet“ quand elle est visée par des pulsions ; le terme “relation“ doit être entendu dans le sens d’une interrelation : sujet et objet s’influencent mutuellement. Nous parlerons ici de relation d’objet à l’enfant imaginaire, virtuel ou actuel. Pour aborder la périnatalité et la parentalité, S. Missonnier nous propose de parler de « périnatalité psychique » (période englobant le projet parental d’enfant et la deuxième année de vie de l’enfant). Il la définit comme une séquence du processus, venant « mettre à jour l’interrogation sur les origines, 20 sur la différence des sexes, la scène primitive et les avatars de la genèse du soi et de la relation d’objet ». Les fantasmes originaires refont surface. (nous tenterons de les définir clairement dans la partie suivante) Tout comme M. Bydlowski l’a démontré dans ces réflexions sur la femme enceinte (in La dette de vie, PUF), la transparence psychique contribue à la “gestation maternelle“. Celle-ci amène l’inconscient de l’enfant en devenir à se construire. La transparence psychique (ou « fonctionnement psychique placentaire ») met en évidence une perméabilité accrue de la barrière du refoulement. Ainsi, des réminiscences et des représentations fantasmatiques émergent. La névrose infantile et des reviviscences archaïques font retour. La densité des représentations disponibles au seuil de la conscience lors de cette période ne peut pas être considérée comme pathologique. Au même titre que la “préoccupation maternelle primaire“ explicitée par D. W. Winnicott, elle se définit même comme nécessaire. Le bébé constitue un investissement narcissique ; Une polarité narcissique contre-balance une polarité objectale : il y a un hyper-investissemnt narcissique et un désinvestissement des autres thématiques psychiques qui seront flottantes, comme sans défenses et donc livrées sans retenue. Le deuxième trimestre en est un temps privilégié. Durant cette période (qui se pose dans une continuité), l’enfant imaginaire, fantasmatique et mythique vient s’enraciner. Cet “enfant imaginé“ traduit, selon D. Cupa, une représentation anticipatrice et un pré-investissement du bébé en devenir. La transparence psychique appelle des angoisses signal et réactualise certaines angoisses automatiques. (nous définirons ces angoisses et le processus d’anticipation en dernière partie théorique) Cette conflictualité débordante et structurante décrite chez la devenant mère se retrouve chez le devenant père. Elle se traduit par un questionnement accru de « son histoire individuelle et de son “arbre de vie“ » selon S. Missonnier. « Le fonctionnement psychique placentaire » du futur père est largement empreint de l’interrogation à propos du générationnel, du familial et des origines. La succession généalogique est en marche ; les places et les 21 rôles de chacun sont redistribués et les processus identificatoires sont mis à l’épreuve par l’afflux des affects et des représentations. L’homme serait également en proie à un filtrage Inconscient/Pré- conscient/Conscient amoindri. La vie fantasmatique masculine est ainsi influencée par le développement d’une grossesse et nous pourrions évoquer la “périnatalité psychique paternelle“ et la “gestation paternelle“ pour la définir. S. Missonnier conclue son article autour de la prise en charge thérapeutique situant l’action soignante « comme une trame rituelle favorisant l’accueil partagé et la mise en sens de ce passage primordial ». 2.1.3 : La fonction paternelle Selon F. Hurstel, la paternité contemporaine a subi un « éclatement de l’institution du père ». Elle entend par “institution“, « l’ensemble politique, juridique et social, et le faisceau culturel qui étaye la paternité en chaque société ». L’auteur, dans son article Penser la paternité contemporaine, Raisonner sur la clinique, in Fonctions maternelle et paternelle, 2000, parle de « pulvérisation » des repères symboliques et imaginaires » laissant le cœur de la paternité, c’est à dire la fonction fondamentale du père, liée au sens de la filiation. Figure de loi, la fonction du père produit la différenciation. Elle est du point de vue de l’organisation subjective, ce que Freud désignait avec la “castration“. Elle permet l’entrée de l’altérité, la différence. Selon, F. Hurstel, les faisceaux culturels se consument, redessinant les modalités de la fonction paternelle, et le « déclin social de l’image du père » défini par J. Lacan, est aujourd’hui considéré comme une mutation. En 1992, Colette Chiland distingue le père biologique, qui est à l’origine de la moitié de l’équipement chromosomique, le père légal, celui dont l’enfant porte le nom et le père psychologique, celui qui investit l’enfant et que l’enfant investit en retour. 22 En psychanalyse, de nombreux écrits ont montré que le père “sert “à mettre un écart entre mère et bébé, à interdire l’inceste, à énoncer la loi : cette fonction symbolique est souvent mise au premier plan. Cependant, le père est aussi pressenti par le bébé, comme un objet de relation. Il serait selon certains, présent très tôt dans la vie et l’esprit de l’enfant. Selon un article de A. Ciccone, intitulé La place du père, Clinique de la fonction paternelle, in Les pratiques psychanalytiques auprès des bébés, 2003, le père serait porteur d’une fonction symbolique et mythique, mais également un objet de relation dont l’établissement du lien précoce avec le bébé est différent de celui de la mère. Ceci diffère par rapport aux considérations freudiennes qui mettaient en avant la non-différenciation des liens et des comportements dus à la non-acquisition de l’enfant de la différence des sexes. Les recherches sur l’attachement ont mis en évidence la place certaine du père dès le début de l’histoire du nourrisson (aujourd’hui, nous pourrions même évoquer l’histoire intra-utérine). Selon A. Ciccone s’inspirant des travaux de Fivaz-Depeursinge et coll des années 90, le bébé a accès d’emblée au triangle interactionnel. La triade se construit au même titre que la dyade et ne serait pas seulement une dynamique conflictuelle du système dyadique. Il y a triadification et selon S. Lebovici, celle-ci sera ensuite traduite vers la triangulation. D’après A. Ciccone, le bébé, le couple mère/bébé, le groupe familial sont en quête d’une fonction paternelle et de la “tiercéité“ qu’elle apporte. Le père aurait une fonction de soutien, d’étayage et de confirmation narcissique de la mère. Il supporte et contient la relation mère/bébé. Il assure, selon l’auteur, une fonction de « pont » entre mère et bébé, les conditions de la rencontre et du lien. La fonction paternelle est donc une fonction psychique dans la position parentale du père comme de la mère. Le père a cependant, une place d’emblée, en tant qu’objet de relation, d’investissement pour le bébé. Elle consiste à introduire un écart dans le lien dyadique et à protéger, assurer les conditions de possibilité de ce lien, selon A. Ciccone. Le père crée un pont 23 entre la mère et le bébé pour qu’ils puissent se rejoindre. La fonction paternelle est aussi tributaire de l’organisation du couple ; elle s’articule avec la fonction maternelle. 2.1.4 : « Une paternité de proximité » M. Lamour, C. Davidson et S. Lebovici ont conceptualisé le processus de paternalité et le rôle du père dans un article intitulé Le père dans la triade père, mère, bébé, in Alliances autour du bébé, 2000. Ainsi, ils proposent de parler de « paternité de proximité » pour évoquer l’implication croissante des pères dans la paternité. Les auteurs mettent en relief le pôle émergeant de l’histoire transgénérationnelle dans le système interactif. Au centre de cette conceptualisation, se trouve la notion de Mandat Transgénérationnel, définie par S. Lebovici. Selon ce dernier, le mandat transgénérationnel est « le contrat que le sujet a à remplir à l’égard de sa famille (transmission intergénérationnelle), contrat qu’il intègre dans sa trajectoire de vie. D’importance variable, le mandat préexiste au sujet qui est le porteur et qui le gère ». Pour expliquer le processus de paternalité, les auteurs proposent le schéma suivant : Légende : Interactions triadiques Paternalisation MTG : Mandat transgénérationnel * Renégociation des mandats des parents : c’est dans le creuset triadique que se renégocie l’héritage des familles afin que le bébé prenne sa place dans les identifications transgénérationnelles. 24 Schéma : Processus de paternalité Histoire Famille Histoire Famille d’origine d’origine M M Père Mère Père Mère T T Fils Fille G G Harmonie conjugale Mari Femme Alliance Parentale PERE MERE Bébé MTG * 25 De leur recherche, les auteurs ont conclu à une paternalisation des pères d’aujourd’hui. Ainsi, ils définissent par paternalisation, une influence positive exercée par le bébé et la mère sur le sentiment du père au niveau de son identité dans un rôle parental. La mère favoriserait ou non cette dynamique. C’est l’interface de l’interaction. Ces pères sont également, selon les chercheurs, paternifiés par leur femme et leur bébé. La paternification regroupe l’ensemble des phénomènes psychiques en mouvements du « devenir père ». Ce sont des réaménagements psychologiques du père en devenir. Pour conclure leur recherche, les auteurs ont mis en évidence une différenciation nécessaire entre l’ « alliance parentale » où prennent place des parentalisations réciproques, et l’ « alliance conjugale » marquée ou non d’une certaine harmonie. 26 Pour conclure In fine, nous avons pu voir, au fil des théories sur le processus de parentalité, qu’actuellement les travaux psychologiques convergent vers un même concept : le bébé semble d’emblée confronté à la tiercéité et armé pour la penser, ou se la représenter. Ainsi, selon B. Golse (2000), « il dessine là l’espace psychique où se jouera et se déploiera ultérieurement la fonction paternelle éventuellement incarnée par le père ». Nous avons pu noter les différentes trames psychanalytiques de la fonction paternelle qui paraissent se compléter : ainsi le père représente la loi symbolique et constitue un objet de relation permettant à la mère et au bébé de se rejoindre. Ceci pourra nous conduire vers le concept de relation d’objet virtuel du futur père vers l’enfant imaginé que l’on nommera aujourd’hui l’enfant virtuel. D’autre part, il semble que devenir père s’inscrit dans une évolution constante traversant toutes les étapes de la vie et s’enracine dans un vécu personnel générationnel. Nous avons vu également que lors de la grossesse, le futur père est en proie à de grands bouleversements intrapsychiques : « le fonctionnement psychique placentaire ». Enfin, nous avons pu remarquer combien la parentalité et notamment la paternalité sont influencées par les facteurs culturels et la « mutation sociologique » de la famille. Nous allons maintenant aborder la question des représentations fantasmatiques. Note : Le temps de recherche étant relativement limité, nous avons choisi de cibler la définition de la parentalité sur les travaux de D. Houzel afin d’être concis ; cependant nous pensons nous intéresser, plus tard, de façon plus conséquente, comme il se doit, aux travaux européens qui représentent aujourd’hui des piliers conceptuels. 27 2.2 : Les fantasmes 2.2.1 : Définition Dans le vocabulaire de la psychanalyse, les auteurs Laplanche et Pontalis, définissent le fantasme comme « un scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir et, en dernier ressort, un désir inconscient. » Le terme de fantasme pourrait évoquer un contraste entre l’imagination et la perception de la réalité. Quand Freud définit en 1911, Formulations sur les deux principes du fonctionnement psychique, nous retrouvons cette acceptation d’un monde intérieur en proie à la satisfaction et un monde extérieur, imposant une réalité. Ainsi, les fantasmes peuvent être entendus comme conscients (comme les rêves diurnes) ou inconscients, des désirs refoulés. Cependant, il convient de préciser que ces fantasmes inconscients font partie d’une réalité psychique, « forme d’existence particulière qui ne saurait être confondue avec la réalité matérielle ». D’autre part, la relation entre le fantasme et le désir est étroite et complexe ; le fantasme est en quête de la satisfaction d’un désir qu’il met en scène de façon plus ou moins déguisée. Il s’agit de scénarii organisés, où le sujet est toujours présent. L’élaboration théorique du fantasme par Freud a connu un tournant épistémologique lors de la découverte du caractère imaginaire des traumatismes rapportés pas ses patients. Il avait d’abord admis la « réalité » des scènes infantiles traumatiques surgissant dans la cure ; puis il fut convaincu que la réalité matérielle des souvenirs n’était que « réalité psychique ». Cette expression constituerait un « noyau hétérogène » résistant 28 seul au réel par rapport aux autres phénomènes psychiques. Freud en a déduit qu’une force inconsciente poussait l’homme à remodeler son expérience et ses souvenirs. Ainsi, les désirs archaïques cherchent leur réalisation dans la vie concrète du sujet ; ils cherchent à s’actualiser à travers les choix professionnels, relationnels, sexuels et affectifs du sujet. Certains fantasmes inconscients peuvent devenir accessibles au sujet notamment dans la cure analytique ; d’autres resteront sous l’emprise du refoulement originaire, ne pouvant être reconstruits que par interprétation. Enfin, in Névrose, Psychose et Perversion, 1915, Freud différencie certains fantasmes qu’il appelle fantasmes originaires, désignant les fantasmes concernant l’origine du sujet (sa conception, sa sexualité et la différence des sexes). Nous allons en donner une définition dans le paragraphe suivant. 2.2.2 : Les fantasmes originaires Laplanche et Pontalis définissent les fantasmes originaires, in Vocabulaire de la psychanalyse, 1967, comme « des structures fantasmatiques typiques (vie intra-utérine, scène originaire, castration, séduction) que la psychanalyse retrouve comme organisant la vie fantasmatique, quelles que soient les expériences personnelles des sujets ; l’universalité de ces fantasmes s’explique, selon Freud, par le fait qu’ils constitueraient un patrimoine transmis phylogénétiquement. » Freud s’intéresse à l’origine, à “l’avant“, cherchant une causalité. Pour lui, le passé explique le présent ; l’originaire buttant aussi sur une expérience antérieure. Ainsi l’étiologie de l’avant est sans fin. L’art de la mémoire est en filigrane derrière la question des fantasmes originaires. Dès 1895, in Etudes sur l’hystérie, la théorie de la mémoire 29 apparaît dans l’œuvre freudienne, avec les notions de l’abréaction et de l’après-coup impliquant un interval temporel. En 1915, in Névrose, Psychose et Perversion, Freud dit : « je nomme fantasmes originaires ces formations fantasmatiques – observation du rapport sexuel des parents, séduction, castration et d’autres… ». Ce concept survient après sa rupture épistémologique avec Jung, concernant leurs discussions sur l’inné et l’acquis. Pour Freud, l’inné et l’acquis seraient indissociables, où l’inné serait relié à la phylogenèse et l’acquis à l’ontogenèse. L’explication phylogénétique naît dans ses écrits, Totem et Tabou, 1911-1912. Ainsi, dans le passé archaïque, les fantasmes originaires auraient été des scènes réelles : dans le passé, une réalité de faits est devenue aujourd’hui une réalité psychique. Pour Freud, l’individu serait porteur d’une mémoire trans-familiale, phylogénétique de l’espèce. Ils subsisteraient des traces mnésiques. L’individu possèderait un héritage phylogénétique, un “savoir instinctif“, dont les fantasmes originaires font partie. Il convient d’expliciter les différents fantasmes originaires et notamment le fantasme de scène originaire qui pourrait occuper une place prépondérante dans la vie fantasmatique du devenant père. - La scène primitive (ou scène originaire) Il s’agit d’une scène fantasmatique ou réelle dans laquelle le sujet est témoin du coït parental. Cette scène est donc observée ou supposée d’après certains indices. Selon Freud, la scène primitive est une scène formatrice, organisatrice. Pour qu’il y ait fantasme, trois critères doivent coexister : 30 -la violence et l’agressivité du père envers la mère (ou substituts paternel et maternel) ; le coït étant vécu comme une agression du père dans une relation sado-masochiste, provoquant une excitation sexuelle chez l’enfant et dans le même temps, un support à l’angoisse de castration. -la scène doit avoir une connotation bestiale. -l’enfant doit se manifester à l’extérieur, c’est à dire être choqué. Freud relève, notamment dans “l’homme aux loups“, que la scène primitive donne la prédominance au sensoriel (surtout l’ouïe). Le traumatisme suscité par la scène primitive est source d’angoisse et de frayeur. Les sentiments envahissant l’enfant devant la scène primitive sont : -l’effroi (selon Freud) ; -le fantasme de retour in utero dans le sens voir la scène du dedans ; -s’installer entre les parents, selon Mélanie Klein ceci est signifié par la scène primitive interne (où l’enfant serait comme à l’intérieur, ayant une relation sexuelle avec sa mère) ; -une impression de comique, de ridicule signifiant un mécanisme de défense contre l’angoisse ou la culpabilité ; -un vécu d’“inquiétante étrangeté“ (mouvements étranges, infra-langage), où pulsion de vie et pulsion de mort s’entremêlent. Parallèlement, on retrouve le traumatisme et l’effroi, et l’initiation, la formation. Ce fantasme originaire nous intéresse plus particulièrement. En effet, il vient se poser comme une réponse que chacun se donne à la question de ses propres origines. Ainsi, la grossesse peut réactualiser chez la devenant mère, mais également chez le devenant père, ce fantasme des origines, tout en se mêlant aux questions de transmission générationnelle ; La véritable interrogation serait : “d’où je viens ?“. 31 D. Cupa et coll ont repéré dans une recherche de 1992, que le fantasme de scène primitive était déterminant lors de la grossesse chez la future mère. Ils ont également mis en évidence que le scénario fantasmatique de la devenant mère, structure les relations qu’elle aura avec son bébé : une spirale interactive débute. S. Lebovici a établi que ce sont les conflits maternels qui organisent cette spirale interactive, D. Cupa et coll ont ajouté que la scène des origines est un système d’organisation des conflits. Ces quelques explications chez la devenant mère nous paraissent adaptées pour expliciter la vie psychique du futur père. Nous ne pourrons mettre en avant dans cette étude, la spirale interactive entre père et nourrisson, mais nous tenterons d’éclaircir ce qu’il en est du scénario paternel. (nous nous réservons la possibilité d’une recherche plus complète, longitudinale à ce sujet) L’univers représentationnel paternel serait donc chargé de la problématique oedipienne et de ses réaménagements (comme nous l’avons vu en première partie), d’un ensemble de fantasmes concernant les origines (dont la scène primitive), la grossesse et l’enfant. - La séduction La théorie de la séduction a été élaborée par Freud, en 1895 et 1897, notamment avec la célèbre Neurotica. Il analyse les scènes de séduction traumatisantes racontées par ses patientes, scènes qui remontaient à l’enfance de la part d’un adulte ; ces scènes étaient subies par le sujet avec effroi. Ces scènes sont selon l’auteur, déterminantes dans l’étiologie des psychonévroses. Avec le cas Emma, Freud définit la théorie de l’après-coup. Il y aurait donc un premier événement traumatique et plus tard la réactualisation de cette première scène traumatique : “poussée sexuelle génératrice d’angoisse“. 32 Freud renonce, dans une correspondance avec Fliess, à la Neurotica : “ne pouvant accuser tous les pères d’être pervers“. Selon Freud, l’enfant n’est pas passif face à l’irruption de la sexualité adulte (comme le pense Ferenczi). Cet abandon de la théorie a été considéré comme décisif dans l’avènement de la théorie psychanalytique « et dans la mise au premier plan des notions de fantasme inconscient, de réalité psychique … » (Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF) C’est ce qui l’amène à la théorie des fantasmes originaires. - La castration Selon Freud, le fantasme de castration survient à la phase du prima du phallus (vers trois ans). La castration vient de l’extérieur (le Surmoi) et elle est ressentie comme une loi, une sanction. Le complexe de castration est centré sur son fantasme venant apporter une réponse à l’énigme de la différence anatomique des sexes. « Le garçon redoute la castration comme réalisation d’une menace paternelle en réponse à ses activités sexuelles ; il en résulte pour lui une intense angoisse de castration. Chez la fille, l’absence du pénis est ressentie comme un préjudice subi qu’elle cherche à nier, compenser ou réparer. » (Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF) Le complexe de castration est en relation avec le complexe d’Œdipe et sa fonction interdictrice et normative. Freud a décrit la castration en 1908, in Les théories sexuelles infantiles. Le pénis est « l’organe sexuel autoérotique primordial », le complexe prend place en raison de la théorie de la possession universelle du pénis. (l’analyse du petit Hanz, in cinq psychanalyses, a été prépondérante dans l’élaboration de la théorie du Complexe de castration) Ces différents fantasmes sont à concevoir dans leur ensemble dans leur réactualisation au cours du processus de parentalité ; néanmoins, nous nous concentrerons particulièrement sur celui des origines ; nous ne développerons donc pas plus en avant les autres fantasmes. 33 2.3 : Les travaux sur le terrain : Cupa et coll, La constellation paternelle 2.3.1 : Exposé de la recherche D. Cupa, H. Deschamps, F. Michel et S. Lebovici ont mené une étude sur le futur père, lors de la grossesse. Celle-ci est relatée dans un article intitulé La constellation paternelle pendant la grossesse, in Alliance autour du bébé, 2000, PUF (sous la direction de M. Maury et M. Lamour). La problématique posée est celle dont nous nous sommes largement inspirés, notamment le poids des représentations paternelles pendant la grossesse. Les auteurs ont fait appel à deux champs théoriques qui sont la psychanalyse et la psychologie développementale. Il s’agit d’une recherche comparative, longitudinale s’étalant du 7ème mois de grossesse au 9ème mois de vie du nouveau-né. D’un point de vue psychanalytique, ils dégagent le concept de « constellation oedipienne » et émettent trois points de repère. - du point de vue de l’enfant, le père serait l’interdicteur oedipien où sa fonction serait celle de la loi symbolique. Ainsi, le mythe de la horde primitive évoqué par Freud dans Totem et Tabou, puis par Lacan peut nous éclairer à propos de l’entrée du sujet dans le transgénérationnel se référant au sacrifice du père : il s’agirait de la figuration d’un passage comportant le don de la vie et du nom, contre sa disparition. On a souvent évoqué le parricide mais le fantasme du meurtre du fils par le père n’a pas fait l’objet de beaucoup de réflexions, remarquent les chercheurs. Bril en 1989, donne comme explication à cela l’effroyable, l’horreur de ce que cela représente. - du point de vue du père, G. Delaisi de Parseval, in La part du père, 1981, Seuil, nous fait part de différents concepts concernant le père. Elle repère que le « père enceint » est renvoyé à sa propre naissance ; il introduit lui-même son père comme grand-père et s’anticipe comme grand-père. Selon l’auteur, 34 des conflits ambivalentiels sont réactivés chez le devenant père à l’égard de son propre père. S. Lebovici parle de conflits identificatoires chez le futur père ; Il serait pris entre d’une part un désir de maternité et un désir d’identification au grand-père paternel. L’auteur définit la place du père dans le réseau identificatoire intergénérationnel. En 1997, D. Cupa et coll démontrent que « les fantasmes du père pendant la grossesse sont organisés selon un pôle ambivalentiel : protection et agression du nourrisson, qui crée un espace conflictuel difficile à gérer parfois pour le père ». Ceci peut faire écho à ce que nous avons dit dans notre première partie, concernant les réaménagements psychiques intenses qui s’effectuent lors de cette période. - du point de vue intergénérationnel, les chercheurs ont mis en avant la notion de filiation. S. Lebovici émet l’hypothèse que le rôle paternel résulte de la transmission intergénérationnelle dans la lignée maternelle et paternelle. D. Cupa définit la filiation comme un processus complexe qui permet au sujet de se situer et d’être situé par rapport à ses descendants réels et imaginaires. Les auteurs utilisent la distinction de Guyotat (1980) : Filiation du corps à corps (elle observe une logique de continuité, c’est une transmission au niveau génétique et interactionnel, les objets transmis sont le réel du corps et les proyo-représentations) ; Filiation narcissique (elle suit une logique du même, de la reduplication par des identifications imaginaires, les objets transmis sont des images identiques) ; Filiation symbolique (la logique est celle du manque, de la différence, la transmission se fait par des identifications symboliques, les objets transmis sont la perte, le manque, la loi et le mandat. Ces trois types de filiation sont co-présents et ne s’excluent pas. La théorie développementale a été marquée par Le Camus, qui a mis en relief le dialogue tonico-moteur du père avec le nourrisson. Ce dialogue est appelé le Dialogue Phasique. 35 Selon Le Camus, il possède un rôle essentiel dans l’autonomisation, la sexuation et la socialisation. Lors de la période anténatale, ce dialogue existe et on le nomme Dialogue Proto-phasique. Il concerne le toucher du ventre, les paroles adressées au bébé, la participation aux échographies, aux différents cours de préparation à l’accouchement. Il marque le début du processus de paternalisation. Ce même auteur a mis en évidence la relation entre l’intensité et la qualité de l’investissement fantasmatique anténatal et l’intensité des investissements postnataux dans les soins. Pour aborder la « constellation paternelle », les auteurs se sont basés sur ce que D. Stern (1995) a appelé la « constellation maternelle ». C’est « la réponse que la mère donne à sa grossesse dans une certaine culture ». Stern développe 4 thèmes : - thème de la croissance de la vie (le développement physique) - thème de la relation primaire (le développement psychique) - thème de la matrice de soutien ( le soutien protecteur) - thème de la réorganisation identitaire (changement de la place de la mère dans l’axe intergénérationnel) Les chercheurs mettent en avant les avancées théoriques concernant le futur père. Ainsi, « l’ensemble des fantasmes concernant les origines, la grossesse et l’enfant sont repérables chez l’homme. La grossesse implique pour le père une réorganisation de l’image de soi et du réseau identificatoire intergénérationnel. L’attitude prénatale des pères envers l’enfant est susceptible d’être mise en relation avec l’intensité des investissements postnataux ». D’autres part, les auteurs partent avec un postulat de base, introduit par S. Missonnier en 1997 : toute constellation en période néonatale est construite par des représentations anticipatrices qui sont le fruit de projections, d’attentes et de mesures défensives à l’égard du bébé et du devenir parent. 36 Les hypothèses générales de leur recherche sont ainsi formulées : 1 : la constellation paternelle vient rendre compte du processus de paternalisation chez le père. 2 : la problématique oedipienne est réinvestie et est une composante centrale de la constellation paternelle à laquelle s’associe une logique intergénérationnelle. Ceci implique l’organisation d’un conflit d’ambivalence à l’égard du nourrisson. 2.3.2 : Résultats Cupa et coll ont observé dans cette étude une spécificité de la constellation paternelle : Les pères se projettent moins dans les situations de soins que les mères, s’estimant incompétents. Selon eux, ils préfèrent les jeux physiques. Ils s’imaginent comme “protecteurs“ et fantasment la mère comme plus importante pour la survie du nourrisson. Le thème est celui de la croissance de vie montrant un sentiment d’incapacité. Ils s’imaginent sur le plan psychique, comme “attentifs“, ce qui se rallie au thème de la relation primaire. Les pères recherchent un soutien lors de la grossesse, ce qui s’apparente au thème de la matrice de soutien. Ce peut être la mère ou des amis. Le remaillage identitaire s’organiserait autour d’identifications partielles à sa femme, à sa mère et de contre-identifications paternelles. Ils peuvent également être dans une position régressive en s’identifiant au nourrisson. Le thème abordé ici est la réorganisation identitaire, permettant de se construire une place. Les interactions proto-phasiques sont marquées par une spécificité des échanges sensoriels, où les premiers mouvements et l’échographie (« imagepassage“) occupent successivement une place centrale dans le processus de paternalisation. 37 D’autre part, il apparaît dans l’étude que le pôle conflictuel du versant agressif de la problématique oedipienne est particulièrement actif. « Pour le père, le fils et la fille à moindre degré, est un dangereux rival physique, social et sexuel. Le père est confronté à ses désirs meurtriers à l’égard de son propre père et, en miroir, au risque d’être tué par le fils ». Les auteurs déduisent de leur recherche que l’anticipation permet au père de se pré-forger un avenir avec son bébé et de prévenir par la préparation psychique qu’elle implique. Celle-ci peut également représenter un risque : le rêve qui ne se réalise pas, confrontant bébé réel et bébé imaginé, ou plutôt, nous le verrons, bébé actuel et bébé virtuel. In fine, les chercheurs accordent toute son importance à la dimension culturelle du devenir père. Nous avons pu voir à travers cette recherche l’articulation des représentations fantasmatiques dans le processus de paternalisation. Nous allons essayer de cibler sur les notions d’anticipation et de virtuel, afin d’aborder sous un angle quelque peu différent la problématique soulevée par les chercheurs. 38 2.4 : Le virtuel 2.4.1 : « Qu’est-ce que le virtuel ? » 2.4.1.1 : Espace transitionnel et Virtuel L’enfant vient au monde “démuni“, sans possibilité immédiate de distinguer un intérieur et un extérieur, un moi et un non-moi. Le psychanalyste britanique, D. W. Winnicott, postule que le besoin interne ressenti par l’enfant lui fait créer, de manière hallucinatoire, un objet subjectif apte à apporter la satisfaction. Le concept clef de WINNICOTT, D. W, se recoupe sous le mot “transitionnel“, dans son article paru en 1975, Objet transitionnel et phénomènes transitionnels , in De la pédiatrie à la psychanalyse, ou encore dans l’ouvrage reconnu Jeu et réalité, l’espace potentiel. Ainsi, pour comprendre la notion d’espace transitionnel, nous devons nous attacher à définir l’objet transitionnel. Celui-ci aurait l’effet apaisant d’un substitut maternel et serait la première possession de l’enfant, extérieure à son propre corps. Il s’agit selon Winnicott de la première “possession non-moi“, bien qu’elle ne soit pas perçue comme tel. Il permet à l’enfant d’effectuer la transition entre la relation à la mère et la relation avec d’autres objets de son environnement. L’objet désigné est un objet matériel de texture souvent douce ; c’est le “doudou“. Selon l’auteur, l’objet transitionnel appartient au domaine de l’illusion. Il s’agit d’une « aire intermédiaire d’expérience, dont il n’a à justifier l’existence ni à la réalité intérieure, ni à la réalité extérieure (et partagée) ». C’est un champ intermédiaire entre soi et non-soi. Cet espace intermédiaire va se poursuivre tout au long de la vie, notamment dans l’imagination, selon l’auteur. D. W. Winnicott, en élaborant cette théorie, nous montre comment l’enfant met en place des stratégies de substitution au manque, à la frustration. Face au manque, l’enfant construit une aire intermédiaire lui permettant de “survivre“ en l’absence de l’objet. 39 Ainsi, chaque individu possède un domaine d’expérience vécu. C’est un pont entre le monde intérieur et le monde extérieur. Ceci étant rendu possible que par un maternage suffisamment bon, lui-même dépendant d’un environnement suffisamment bon. L’objet transitionnel va permettre au nourrisson de supporter l’angoisse de l’absence de sa mère, en gardant celle-ci symboliquement présente. Plus tard l’objet transitionnel sera désinvesti au profit de la vie imaginaire et culturelle. La notion d’espace transitionnel semble être un point essentiel dans le concept de relation d’objet virtuel. En effet, nous basons notre recherche sur la relation d’objet à l’enfant imaginaire. L’accès à cette relation d’objet semble possible au regard de la mise en place de la relation d’objet transitionnel, de l’expérimentation d’un espace intermédiaire. La possible représentation comportementale, affective et fantasmatique de l’enfant virtuel pourrait également s’ouvrir sur le concept d’anticipation, que nous traiterons dans la partie suivante. In fine, nous pouvons nous référer aux propos de FAURE-PRAGIER, S, médecin psychanalyste, 2003, in Le virtuel, la présence de l’absent, Paris, EDK. L’auteur nous dit dans son article intitulé Le virtuel, pourquoi ça marche ? Hypothèses psychanalytiques, « le virtuel fonctionne entre réalité matérielle et réalité transitionnel » et psychique, entre soi et l’autre, dans l’espace de fait le virtuel est un espace intermédiaire “ni bon, ni mauvais“. Afin d’être clair sur l’emploi du terme “virtuel“, nous nous devons de nous référer à la définition proposée par LEVY, P, philosophe, 1998, in Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La découverte . En toute rigueur, la notion de virtuel s’oppose moins d’après l’auteur à celle de réel qu’à celle d’actuel. Le virtuel n’a rien à voir avec le faux, l’illusoire. Pour affirmer cela, l’auteur s’appuie sur la distinction faite par Deleuze, entre possible et virtuel. Le possible est un réel fantomatique, il est latent ; il est déjà tout constitué et se réalise sans que rien ne change dans sa détermination. Il ne lui manque que l’existence. Le virtuel est un « complexe problématique » 40 qui en appelle à une résolution par une solution non contenue à l’avance dans l’énoncé. Cette résolution, c’est l’actualisation ; celle-ci est une solution créative, une invention. Ainsi, l’auteur en déduit que « le réel ressemble au possible ; en revanche, l’actuel ne ressemble en rien au virtuel, il lui répond ». Le processus inverse de l’actualisation est la virtualisation ; il s’agit ici de passer d’une solution donnée à un autre problème. P. Lévy associe au processus de virtualisation une série de modalités : le détachement déterritorialisant de l’ici et maintenant, le surgissement de nouveaux espaces et de nouvelles vitesses s’enchevêtrant aux anciens, l’effet Moebius, la remise en cause des définitions exclusantes, passage continuel de l’intérieur dans l’extérieur et de l’extérieur dans l’intérieur. Selon lui, l’hominisation pourrait s’expliquer par le processus de virtualisation. Il y aurait trois formes de virtualisation impliquées : le langage, la technique et les institutions. Ici, P. Lévy amène la question de l’intelligence collective comme inhérente à l’état d’humanité ; le tout est de choisir l’intelligence. Cette définition philosophique (P. Lévy) et psychanalytique (D. W. Winnicott) du virtuel peut nous aider à conceptualiser, à lier l’enfant futur et le virtuel, en dépit des résistances que cette notion amène (se dégager de la simulation des affects humains par la machine). 2.4.2 : Le fœtus : virtualité d’un être en devenir ? Nous pouvons concevoir les postulats de P. Lévy comme catalyseurs du phénomène de relation d’objet virtuel entre futur père et fœtus/bébé. En effet, l’auteur utilise comme métaphore pour expliquer le virtuel « l’arbre est virtuellement dans la graine », nous pourrions dire “l’homme est virtuellement dans le fœtus“ : il s’agit là de repérer que le corps absent ne veut pas dire qu’il n’est pas réel, mais que l’être n’est pas actuel, il est en devenir, il est donc virtuel. 41 Ainsi, nous pouvons noter que « c’est d’être absent que le virtuel trouve sa raison principale de rendre présent », BENHAM, G, 2003, Aspects et enjeux philosophiques du virtuel, in Le virtuel, la présence de l’absent, Paris, EDK. L’homme serait l’actualisation du foetus. Selon S. Missonnier, 2003, Pour une psycho(patho)logie du virtuel quotidien, article issu du même ouvrage que le précédent, « le virtuel est un nid pour l’humain ». Ainsi, le processus de parentalité se nourrit du concept de virtuel et de l’actualisation croissante du fœtus. Le fœtus est formé biologiquement et de façon représentationnelle par le couple parental. De plus, l’enfant « imaginé » est aujourd’hui appelé « l’enfant virtuel », ceci pour rendre compte du caractère vital de l’être en devenir. Selon l’auteur, le fœtus n’est plus considéré comme seulement « l’incarnation du narcissisme parental », il témoigne d’un fonctionnement prénatal parental inscrit dans l’anticipation de « l’altérité objectale de l’enfant virtuel ». Ainsi, la relation d’objet plante son décor dans la variabilité. Progressivement, le futur parent passe d’une polarité narcissique vers une polarité objectale, via l’actualisation du “problème humain“. Ce glissement est évidemment propre à chacun, chaque vécu. Le « virtuel parental » peut donc être envisagé sur différentes strates, plus ou moins constructives. In fine, nous pouvons conclure des différents points de vue philosophiques, psychanalytiques, scientifiques et techniques que le concept de “virtuel“ est un vaste terrain dont l’exploration débute. Les premières réflexions nous laissent penser qu’une position binaire en ce que concerne la relation d’objet virtuel parentale, serait un débat stérile. D’autre part, le concept de “virtuel“ serait à concevoir comme un moteur pour l’anticipation. Virtuel et anticipation sembleraient aller de paire ? 42 2.5 : L’anticipation 2.5.1 : Anticipation : de l’angoisse automatique à l’angoisse signal d’alarme Dans un texte paru en 2001, intitulé Anticipation et périnatalité : prolégomènes théoriques, in la revue Pratiques Psychologiques, Paris, L’esprit du temps, 2001-1, 17-30, S, Missonnier émet l’hypothèse d’une anticipation à concevoir comme « une ligne de développement intergénérationnelle située entre les polarités de “l’agonie primitive“ et de “l’angoisse signal“ ». Cette ligne de développement serait à entendre dans le même sens que celles décrites par A. Freud en 1968. Toutes participent au mouvement global de l’autonomisation. Selon S. Missonnier, cette ligne de développement marque le processus de maturation d’un mécanisme de défense adaptatif qu’est l’anticipation. Anticiper servirait à « prévenir les effets désorganisant des dangers réels ou imaginaires ». D’autre part, la ligne de l’anticipation est propre à chaque individu et ne peut se dissocier d’une dynamique interactive comportementale, affective et fantasmatique. Elle est ancrée dans l’intergénérationnel et sa maturation dépend de celle que les parents ont instauré avec les grands-parents. Au départ, le bébé est dépendant de la fonction pare-excitante d’un moi auxiliaire, qui est souvent celui de la mère. Puis, lorsque l’angoisse automatique-traumatique est dépassée, il y a reconnaissance anticipée du danger autonome. Cette anticipation est rendue possible par l’angoisse signal apportée par l’affect. Freud a définit dans Inhibition, Symptôme, Angoisse, 1926, l’angoisse automatique-traumatique et l’angoisse signal d’alarme. Selon lui, il y a une angoisse originaire qui forge les angoisses suivantes en fonction des dangers. C’est un prototype qui serait en fonction lors de la naissance. Ainsi, afin de ne pas reproduire la situation dangereuse qui évoque celle de la 43 naissance, il y a déplacement sur une nouvelle situation qui est notamment l’absence de la mère. Lorsque cette situation apparaît, le nourrisson émet un signal d’angoisse avant d’avoir éprouver la situation traumatique. Selon Freud, ce signal d’angoisse nous permet de constater une autoconservation du moi. Il y a donc un passage entre l’angoisse involontaire automatique et le signal d’angoisse intentionnel, recherché pour assurer l’autoconservation. Selon S. Missonnier, « le moi se forge défensivement une aptitude à anticiper. En attendant et en reproduisant de façon atténuée l’effraction, le traumatisme est prévenu ». Il est à noter que l’anticipation est un phénomène variable, allant d’un pôle “angoisse automatique“ à un pôle “angoisse signal“ : on trouve donc un panel de couleur entre les deux. Le pôle “angoisse automatique“ est un versant où l’anticipation est la moins élaborée. Le pôle “angoisse signal“ signifie un versant élaboré de l’anticipation, à condition que celle-ci ne soit pas envahissante. Il ne s’agit pas ici d’adopter une position binaire à propos de l’anticipation, mais bien de concevoir sa variabilité, pour pouvoir la repérer. Comme nous l’avons vu dans la première partie, la triade père-mère-bébé et la différenciation bébé-objet existent d’emblée, dès la naissance. Ainsi, l’individu est capable de s’investir dans une relation d’objet dès le début. Il s’agit là d’une différenciation soi-objet. En parallèle, il a été établi que l’angoisse apparaît petit à petit, c’est ainsi que l’on peut parler de ligne de développement de l’anticipation. Pour une mise en place constante et structurante de la fonction signal, il faudrait dès le départ que les fonctions maternelles soient organisatrices et régulatrices. La mère doit pouvoir assurer une fonction de régulation comportementale, affective et fantasmatique, afin de transmettre cette ligne de développement. Elle se doit de proposer une fonction de pare-excitation pour maintenir et contenir le bébé, dans un sens winnicottien. Peut-être, pouvons-nous évoquer la notion de “mosaïque première“ de P. Marty ; elle définit les fonctions somatiques, psychiques formant l’inconscient imaginaire du bébé. 44 La fonction maternelle les médiatise et les hiérarchise, aidant le bébé à les composer, les unifier “morceau par morceau“. Le nourrisson doit pouvoir s’approprier la continuité des liens et du soi. D’autre part, S. Missonnier rapproche ce que l’on appelle “macrorythmes“, c’est à dire la répétition des soins, aux “anticipations confirmées“, décrites par Marcelli, Paget et Blossier (1996). Les anticipations confirmées constituent des attentes assurant une continuité d’être. Celles-ci sont scandées par des surprises (des comportements non prévus). Cela permet de faire le creuset de la fonction signal de l’angoisse. Nous pouvons donc entrevoir le socle de l’anticipation : ses prémices. Autre rapprochement de l’auteur : le lien entre l’anticipation et la théorie de l’attachement de Bolwby. L’enfant en situation de séparation est en détresse et se laisse submerger par la peur. Ainsi, lorsqu’il ressent l’arrivée d’une nouvelle situation de séparation, une angoisse se forme. La prévision de l’événement permet l’adaptation à la situation : Prévenir pour mieux se protéger, élaborer. 2.5.2 : Anticipation chez le “devenant père“ Période de crise, la périnatalité met en relief par le processus de parentalité, le phénomène d’anticipation comportementale, émotionnelle et fantasmatique. L’anticipation prénatale serait organisatrice des interactions précoces postnatales. Selon D. Cupa et coll, le futur parent, mère ou père, « prend le risque de créer, de pré-investir le bébé imaginé » (Bébé imaginé et interactions précoces, Devenir, 1992). Si nous envisageons l’anticipation d’un point de vue tridimensionnel, nous pouvons repérer les pré-investissements parentaux : - au niveau comportemental, avec la préparation du “nid“ ; 45 - au niveau émotionnel, avec le pré-investissement affectif du nourrisson ; - au niveau fantasmatique, avec les réaménagements identitaires et représentationnels, les mouvements intergénérationnels. L’anticipation est un phénomène variable, ainsi nous pouvons retrouver différentes formes d’anticipation variant du futur père dans l’impossibilité de s’anticiper comme parent, de se préserver, d’envisager “l’après-naissance“, au futur père dans une dynamique anticipatrice constante, envahissante, obsédante, voire effractante. L’anticipation est donc nécessaire pour l’élaboration parentale, mais « à consommer avec modération ». Les meilleures équations parentales paternelles pourraient favoriser le processus de parentalité. L’anticipation parentale paternelle est également à concevoir comme un échange , une réciprocité, un “accordage affectif“ avec l’anticipation parentale maternelle et une possible anticipation anténatale du fœtus/bébé (protoanticipation). Nous devons l’inscrire dans un système interactif triadique. Elle est une sollicitation et une réponse comportementale, affective et fantasmatique et semble faire partie de la spirale interactive. Enfin, nous pouvons nous intéresser à la définition philosophique que nous apporte BENHAM, G, 2001-1, Penser, agir, anticiper, in Pratiques psychologiques, 5-16. On note que l’anticipation répond à « l’exigence de la temporalité : envisager l’orientation et la finalité des évènements ». L’auteur ajoute qu’ « en articulant le possible et le réel, elle (l’anticipation) propose des schémas de pensée et d’action ouverts, permettant de voir et de discerner par avance des futurs ». « Elle est régulatrice d’une emprise sur le réel et elle assure la finalisation aboutie de tout projet. (Il est à préciser que l’anticipation est différente de la pensée prédictive et de la fiction). Ce sont ces schémas de pensée et d’action qui peuvent servir à l’élaboration paternelle au cours de la “temporalité de la gestation“, à la construction du “nid“, à sa « finalisation ». 46 LA RECHERCHE 47 3 : HYPOYHESES 3.1 : Hypothèses de recherche H1 : Certaines représentations fantasmatiques paternelles à l’égard de l’enfant virtuel seraient plus prégnantes lors de la grossesse, mettant en exergue la scène originaire et le fil rouge générationnel. (phénomène de transparence psychique) H2 : Certaines représentations fantasmatiques constitueraient une anticipation du rôle et de la fonction paternelle. H3 : Ce phénomène d’anticipation varierait selon les sujets, du pôle angoisse automatique (c’est à dire l’absence d’anticipation) au pôle angoisse signal d’alarme (c’est à dire l’anticipation en tant que relation d’objet virtuel organisée). 3.2 : Hypothèses spécifiques HS1 : Le matériel proposé (arbre de vie, questions abordant le thème de l’histoire familiale) met en évidence une réactualisation des fantasmes de scène des origines et une réédition de la conflictualisation oedipienne. 48 HS2 : Le matériel projectif (la bande sonore, le dessin du bébé, et les questions abordant les thèmes de l’image échographique, l’accouchement de l’auto-questionnaire et l’entretien) invite le devenant père à faire appel au phénomène d’anticipation. HS3 : Le matériel projectif permet d’envisager l’anticipation comme une variable : du plus au moins élaboré, anticipé. 49 4 : METHODOLOGIE 4.1 : Contexte Notre recherche a été réalisée au sein d’un centre hospitalier privé en banlieue parisienne. La maternité, le service de consultation gynécologie ainsi que la possible participation aux cours de préparation à l’accouchement ont constitué un terrain de recherche très riche. • La maternité est constituée de 28 lits, dont 4 chambres doubles, ne demandant pas de supplément financier ; ce qui peut nous aider à penser que les patients sont tout-venant. Ce service accueille environ 1300 nouveaux-nés par an et ne possède pas encore de néo-natalité. (Ainsi, les nouveaux-nés “grands prématurés“ et ceux en détresse physiologique sont transférés vers l’hôpital intercommunal). • Le service de consultation gynécologie est constitué de 7 médecins gynécologues. Nous leur avons présenté le projet de mémoire, qu’ils ont validé. • Puis, nous avons été mis en contact avec les sages-femmes donnant des cours de préparation à l’accouchement aux futurs mères et pères. Ces cours ont été de véritables tremplins pour solliciter les futurs pères pour cette étude. Notre recherche est constituée de trois études de cas cliniques ; elle n’a donc aucune visée statistique et nous ne pouvons en aucun cas en conclure des généralités. 4.2 : Population La population support de la recherche est constituée de quatre pères dont trois “primipères“ (pères pour la première fois) et un père de 3 enfants qui a 50 représenté pour l’étude une pré-enquête (sa participation en tant que pré-sujet nous a permis de choisir nos outils et de construire notre méthodologie). Issus d’un milieu social moyen, tous les participants vivent en banlieue parisienne, ont un travail et sont d’origine et de culture française. La fourchette d’âge est comprise entre 27 et 33 ans. Leur participation est anonyme. Les critères d’inclusion : • la paternité, c’est à dire : “est-ce un premier futur père ?“ Nous avons exclu du groupe de recherche les “multipères“. (*) D’autre part, il peut s’agir pour leur compagne, de premier ou second geste. • Le lieu de l’accouchement : le centre hospitalier accueillant l’étude. • La recherche débute au 7ème mois de grossesse de leur compagne. • La grossesse est dite “normale“ et sans complication : c’est à dire sans problème somatiques graves et sans troubles psychopathologiques antérieurs ou liés à la grossesse. • L’âge des participants varie entre 27 et 33 ans ; le critère d’inclusion était un âge compris entre 25 et 40 ans. • Le volontariat à participer à la recherche et l’engagement des participants sur une durée de environ 2 mois. (* : nous avons choisi de nous intéresser aux représentations des “primipères“ ; mais, il pourrait être intéressant de faire une étude comparative entre les “primipères“ et les “multipères“) 4.3 : Déroulement Nous sommes entrés dans le service de maternité en tant que stagiaire psychologue. Au-delà du travail que nous propose la structure (rencontrer les mères à leur arrivée dans le service et tout au long de leur séjour à leur demande), nous avons assisté à plusieurs réunions avec le directeur de l’hôpital, les médecins 51 gynécologues, l’équipe soignante de la maternité et leur avons présenté notre projet d’étude. Après avoir reçu leur aval, nous avons mis en place notre stratégie de recherche. (Nous avons rencontré Mr.B, volontaire pour l’étude. Mr.B a accepté de représenter le “pré-sujet“ de la recherche ; il sera donc exclu des résultats de l’étude. Mr.B ayant deux enfants, sa femme était enceinte d’un troisième enfant et se trouvait au 7ème mois de grossesse. Mr.B a suivi la première méthodologie. Une lettre de présentation était remise lors du cours de préparation à l’accouchement, puis avait lieu une entrevue de présentation de la recherche avec le couple, puis l’étude se séparait en deux moments : pré et post-natal, comprenant diverses rencontres avec le futur père, la passation de tests projectifs, deux entretiens semi-directifs. La collaboration de notre sujet étalon, nous a permis d’éliminer certains outils et de synthétiser pour la faisabilité de l’étude.) Puis, nous avons pu rencontrer l’équipe du C.R.E.A (Centre de recherche sur l’enfant et sur l’adolescent), Madame la professeur D. Cupa et Madame H. Riazuelo-Deschamps. Nous avons alors pu mettre en place une nouvelle méthodolgie grâce au prêt des outils auto-questionnaire et bande sonore. Ceci nous a permis d’affiner considérablement notre recherche. Nous avons alors mis de côté la période post-natale pour nous centrer sur la période de la grossesse. Nous avons participé aux cours de préparation à l’accouchement et distribué la première partie de la recherche ; Il s’agissait alors de leur remettre une enveloppe contenant : - une lettre de présentation du projet, - une fiche détaillée du projet, - une fiche de consentement à émarger et son enveloppe retour, - un auto-questionnaire pour le futur père. (Ces différents éléments sont présentés plus loin.) 52 Cette enveloppe était donc remise au septième mois de grossesse, le plus souvent aux futures mères, les futurs pères étant généralement absents des cours de préparation à l’accouchement. Il était alors demandé aux futures mères après présentation, de leur transmettre l’enveloppe. Notre méthodologie de recherche est ainsi construite : Elle est scandée en deux temps et comprend : - la remise de l’auto-questionnaire que le futur père doit remplir seul (au 7ème mois) - un entretien clinique semi-directif avec le futur père, comprenant l’écoute d’une bande sonore, le debriefing de l’auto-quetionnaire, l’exploration du matériel inconscient, de la lignée générationnelle et le dessin du bébé (au cours du 8ème mois) Notre troisième “primipère“ nous a remis le questionnaire mais a refusé de réaliser l’entretien clinique « par manque de temps » ; nous nous réservons la possibilité d’analyser ses réponses et ce refus puisque notre recherche n’a pas de visée statistique. 4.4 : Outils 4.4.1 : L’auto-questionnaire (entretien « R » remanié de D.Stern) L’entretien « R » de D. Stern et al, élaboré en 1989, est un entretien standardisé qui permet d’étudier les représentations maternelles. Il est par ailleurs intéressant de noter au passage que si le rôle clinique des représentations maternelles a fait l’objet d’un intérêt croissant ces dernières années, le développement d’instruments permettant de les étudier n’a pas suscité une attention équivalente. L’instrument qu’est l’entretien « R » constitue une tentative de cet ordre. 53 L’équipe du C.R.E.A l’a remanié puisque son objectif premier concerne l’investigation des représentations maternelles après l’accouchement et que les recherches se sont portées vers les représentations maternelles au cours de la grossesse, puis, vers les représentations paternelles. Plus précisément, ce questionnaire recouvre les thèmes suivants : - la description de l’enfant - les ressemblances de l’enfant avec la famille - le rôle des évènements importants pendant la grossesse - l’influence du passé et du présent du parent en devenir sur le futur bébé - le rôle de sa propre mère en tant que mère - le rôle de son propre père entant que père - les désirs et les peurs pour le bébé… La fonction initiale de cet outil est d’évaluer le changement des représentations maternelles comme une fonction de l’intervention thérapeutique. Il a été utilisé par le C.R.E.A et dans notre étude d’une manière différente puisque comme le C.R.E.A, nous ne nous intéressons pas aux changements dus à une intervention thérapeutique, mais aux représentations fantasmatiques parentales et notamment paternelles : les représentations que peut avoir le futur père à propos de son enfant, mais aussi les représentations qu’il peut avoir à propos de ses propres parents. Le questionnaire comprend également un recueil des données anamnestiques du futur père sur lui et sa compagne, et sur leur famille respective. L’auto-questionnaire est donc divisé en plusieurs sous-parties : - “ce qui concerne la grossesse et l’accouchement“ - “ce qui concerne le bébé“ - “ce qui concerne l’histoire du participant et de sa famille“ 54 4.4.2 : L’entretien clinique : la bande sonore Cet entretien clinique a lieu à notre initiative ; la demande n’émane donc pas directement des sujets puisqu’il s’agit d’une recherche. Nous disposons d’un guide d’entretien qui correspond à nos hypothèses générales. Le degré de liberté dans l’entretien est donc plus mesuré, de même que la complexité et la richesse des réponses produites. Au-delà de l’objectif de mise en confiance par une attitude la plus empathique et respectueuse possible, l’entretien semi – directif a été élaboré autour de l’imagination du futur père pendant la grossesse. Il s’inspire de la méthodologie créée par le C.R.E.A. Il comprend diverses étapes : - La passation de la bande sonore de « cris et pleurs » enregistrée par B. Lester. Elle est constituée de six séquences sonores et d’un artéfact réalisés à partir de cris et de pleurs de nourrissons. La consigne donnée au futur père est la suivante : « Vous allez entendre des séquences sonores. Pouvez-vous me dire tout ce que vous imaginez en entendant ces séquences sonores ? » Le futur père ne connaît pas le contenu de ces séquences sonores. Il ne s’attend donc pas à entendre des « cris et pleurs » de nourrissons. Le travail d’anticipation du sujet peut alors balayer un grand nombre de représentations fantasmatiques. Puis, nous faisons écouter une à une chacune des sept séquences sonores. Dans un premier temps, l’entretien est non-directif et aucun thème n’est abordé pendant la passation de la bande. Il s’agit d’intervenir le moins possible pour recueillir au maximum le matériel inconscient réveillé par l’instrument. L’utilisation de cette bande permet donc le recueil d’un matériel entièrement projectif quant aux représentations du bébé imaginé, ainsi qu’aux représentations d’interactions entre les différents partenaires. La maniabilité de cet outil peut paraître relativement fragile : nous ne connaissons pas la situation d’enregistrement de chaque séquence ; les représentations ne peuvent pas être contre-balancées par des éléments 55 concrets, puisque inconnus. Nous ne pouvons donc pas nous référer à des données établies, comme par exemple dans le dépouillement du Rorschach.(*) - L’entretien se dirige ensuite vers l’après-coup de l’auto-questionnaire, et notamment ce qu’il peut y manquer. Il s’agit alors de reprendre les questions auxquelles le sujet n’aurait pas pu répondre ou tout du moins celles qui l’ont interrogé. En effet, comme nous l’avons vu, cet auto-questionnaire peut amener à la conscience des éléments insoupçonnés. Reprendre le questionnaire paraît essentiel pour que le sujet puisse l’élaborer. - Puis, nous tentons de dégager le matériel inconscient et en particulier les rêves. Il s’agit de faire l’investigation du bébé imaginé du futur père. Nous abordons également les thèmes du vécu de la grossesse, du rôle du père lors de l’accouchement. Nous explorons avec le participant le mandat générationnel. Nous lui demandons de réaliser un “arbre de vie“ et de le commenter. Ceci peut permettre de mettre en évidence les divers liens familiaux et leur qualité. L’élément dégagé est le fil du vécu personnel du sujet. Cette étape vient faire écho à la partie “archéologique“ du questionnaire. - Enfin, nous demandons au futur père de réaliser le dessin de son bébé. Il l’effectue avec un crayon à papier et sans gomme, sur une feuille blanche A4. La consigne est la suivante : « Tentez de dessiner votre bébé tel qu’actuellement vous l’imaginez. » Cette étape fait appel aux représentations fantasmatiques et à la mise en lumière de la relation d’objet virtuel du futur père pour son enfant. Il s’agit de mettre sur papier l’actuel alors même que le bébé est virtuel. 56 In fine, nous remercions le futur père pour sa participation, nous lui demandons ce qu’il pourrait ajouter à l’entretien, puis nous tentons de synthétiser la recherche et de lui rappeler la possible transcription des résultats globaux. (*) : Il pourrait être intéressant de réaliser nous mêmes le matériel dans une prochaine étude, afin de nous reposer sur un outil connu. Par exemple filmer et enregistrer séparément chaque scène. Le film serait l’élément connu. 57 5 : COMPTE-RENDU DES RESULTATS Analyse clinique et commentaires interprétatifs Nous présentons nos résultats sous forme de trois études de cas, illustrant la logique de nos hypothèses de travail que nous avons formulées. Chaque point contiendra un commentaire des résultats de l’auto-questionnaire du C.R.E.A puis une analyse de l’entretien clinique de chaque sujet où nous privilégierons l’étude de la bande sonore. Les auto-questionnaires et les entretiens retranscris sont présentés en annexe (annexe 2 et 3). Nous avons choisi de ne pas retranscrire les réponses des questionnaires car l’écriture, les ratures et la mise en forme sont particulièrement intéressantes. (L’analyse des réponses aura pour point de repère la grille de dépouillement du test projectif TAT. Elle nous servira comme appui afin de dégager les différents mouvements défensifs, tout en étant alerte et ne pas nous confondre avec le TAT). 5.1 : Monsieur D AUTO-QUESTIONNAIRE Description : Monsieur D a 33 ans et est d’origine française. Il a deux frères et est fils de parents divorcés. Il est marié pour la première fois et vit en couple depuis 8 ans. Il est magasinier. Au moment où il remplit le questionnaire, son épouse est enceinte de 8 mois (on doit préciser que Mme D a déjà été enceinte mais a fait une fausse couche dans les premiers mois de grossesse). Nous allons analyser les différentes réponses de Mr. D essentiellement en fonction de nos trois hypothèses de travail. 58 Analyse clinique : Réactualisation des fantasmes de scène des origines et réédition de la conflictualité oedipienne. Dans la première partie de l’auto-questionnaire, les questions visent les affects engendrés par la grossesse et l’anticipation de l’accouchement. La question 16 s’intéresse à la participation du futur père à l’accouchement : « comment imaginez-vous ce moment ? ». L’accouchement serait susceptible de réactiver certains fantasmes de scène des origines. Ici, Mr. D semble s’inscrire dans un discours des sens, notamment les sensations de peur et de plaisir qui se succèdent. L’accent semble mis sur les qualités sensorielles, où « le stress, la douleur, la peur et le bonheur énorme » pourraient témoigner d’une certaine angoisse relativement bien contenue. Les mots choisis semblent faire référence aux différents moments du coït de la scène primitive. L’ « inquiétante étrangeté » serait réveillée et les pulsions de mort (« douleur, peur ») et les pulsions de vie (« bonheur énorme ») s’entremêlent. Mr. D s’imagine à ce moment dans un état de « panique » (17) ce qui pourrait s’apparenter à l’effroi de Freud. La frontière lors de la naissance imaginée par Mr. D peut nous paraître mince, néanmoins Eros semble prendre le pas sur Thanatos. « L’accouchement reste la finalité tant attendue et à la fois si redoutée » (18). Dans la partie s’intéressant au bébé, les questions traitant du sexe de l’enfant et de ses possibles ressemblances pourraient nous paraître appropriées pour évoquer la réédition oedipienne. Nous savons que Mr. D aura un garçon et que cela était une préférence pour lui (22). Cette préférence semble confirmée par le possible lapsus au début de la question suivante : « son, sa préférence » ; Peut-être pouvons-nous parler de persévérance. Mr. D pense que son bébé pourrait être « facile à vivre » (26) « joueur et expressif » (27a) et une de ses plus grandes peurs pour lui est la « dégradation des rapports enfants parents » (32). Serait-ce là une identification projective de Mr. D ? Nous pourrons tenter de le déterminer dans la partie Histoire générationnelle. 59 La partie histoire de vie et histoire familiale débute par une présentation du sujet ; Mr. D se décrit comme « réservé et sportif », « calme, ouvert et plus attentif que démonstratif » (45, 46). Mr. D dit se sentir « plus responsable » aujourd’hui : cela pourrait faire écho au sentiment futur qu’il pense ressentir pour son bébé ; La responsabilité semble être un pilier dans le rôle parental de Mr. D. Mr. D semble décrire des relations mère-fils de bonne qualité, avec une mère « active, disponible, volontaire et anxieuse ». Les réponses de Mr. D à propos des relations mère-fils semblent parsemées d’identifications partielles à la mère ; Mr. D emploie des adjectifs et décrits des scènes semblables, il l’a décrit comme ouverte, disponible et fait référence aux activités sportives qu’ils partagent. La réédition oedipienne pourrait être perçue comme plus sensible dans la partie du questionnaire concernant le père de Mr. D. En effet, toutes les questions 49a, intitulées “votre père“, ont été raturées, puis réécrites. Malgré les ratures, on peut lire que notre sujet s’est attribué les questions. Ainsi, à la question “les relations de votre père avec ses parents pendant l’enfance“, Mr. D aurait lu, “entendu“ ses propres relations qu’il a entretenu avec son père. Chaque phrase raturée a été réinscrite dans la partie 49b “Vos relations avec votre père“. On pourrait penser que l’inversion de Mr. D serait d’ordre fantasmatique. Ainsi, le glissement des places père-fils viendrait scander une possible conflictualité oedipienne réactivée. Mr. D semble s’être aperçu de ce lapsus qu’aux premières questions traitant des ses relations avec son père. Chaque question de la partié 49a a été entendue dans un autre sens. Ainsi, la “compréhension fantasmatique“ de Mr. D pourrait témoigner d’une certaine confusion de la place père-fils. La lisibilité des réponses de Mr. D devient difficile dans ce contexte paternel. La confusion père-fils pourrait souligner combien les remaniements psychiques sont profonds. Au travers de cette transparence psychique, le réseau identitaire semble réorganisé, comme l’a défini D. Cupa et coll (2000) dans leur étude sur la constellation paternelle. D’autre part, Mr. D semble décrire des relations peu expansives entre lui et son père, ses frères et son père : « platoniques, passives » et aujourd’hui 60 « superficielles ». Il semble mettre en contraste la description de son père et la sienne : Un père « pas assez fantaisiste et rêveur » et « résigné et prévisible ». Il semble apparaître comme l’a démontré D. Cupa et coll (2000), que le pôle conflictuel du versant agressif de la problématique oedipienne soit actif ; les adjectifs définissant le père de Mr. D semblent plutôt dévalorisants. Mr. D se décrit comme sportif, disponible et actif, à la différence de la description paternelle. Le remaillage identitaire de Mr. D semble s’organiser autour de contre-identifications paternelles, ce qui lui permettrait de construire sa place en tant que parent. D’autre part, nous savons que Mr. D a deux frères ; Mr. D dit être plus proche de son aîné que de son cadet avec qui il avait « des activités très opposées ». L’agressivité que ce jeune frère aurait pu éveiller chez Mr. D pendant l’enfance, ne semble pas cependant être réactivée et déplacée sur le bébé. La partie “couple parental“ semble restreinte par Mr. D, où l’éloignement temporel semble prendre le pas sur l’affectif. Le divorce des parents pourrait clore toute histoire possible du couple parental. Phénomène d’anticipation et variabilité. La scène de l’accouchement que l’on a décrite précédemment semble relativement bien anticipée par Mr. D, ce qui pourrait souligner une mise en place défensive des possibles affects envahissants (« stress, douleur, peur »)qui émergeraient. Anticiper pour mieux prévenir l’angoisse. Les adjectifs et les scènes décrivant le bébé virtuel de Mr. D témoigneraient d’une possibilité d’anticipation. Les interactions proto-phasiques entre Mr. D et son bébé, semblent marquées par une spécificité des échanges sensoriels « de façon physique » : Mr. D nous dit communiquer avec son bébé par « la parole, les caresses », dès lors qu’il a pu prendre en compte « la preuve visuelle » par l’échographie (10b, 11b). La mise à jour des qualités et attributs du bébé virtuel semble facile d’accès ; Mr. D fantasme un bébé « potelé, souriant, des cheveux blonds et bouclés, facile à vivre » (25 et 26). Il imagine son futur bébé comme « joueur et expressif », et les exemples choisis pourraient témoigner de la facilité de Mr. D 61 à mettre en scène son bébé imaginé, et notamment dans des situations d’interactions (27a et 27b). Nous pouvons néanmoins noter que ce bébé virtuel ne semble pensé qu’en terme de “plaisir“ : il pourrait s’agir d’une idéalisation de l’objet à valence positive. Décrit comme un beau bébé, le bébé virtuel de Mr. D pourrait venir faire écho au souvenir rapporté à Mr. D (53) : « j’ai participé au concours du plus beau bébé de Reims », peut-être pourrions-nous entendre une valorisation narcissique ténue ? Mr. D semble pouvoir facilement imaginer des scènes entre lui et son enfant : il semble capable d’anticiper son rôle parental et pense « guider et conseiller » (29) son enfant. Mr. D pense ses futures émotions comme « fierté, amour, responsabilité » (30). L’accent semble porter sur la qualité des relations pèrefils. Ces relations semblent inscrites dans le lien. L’autre point pouvant être signe d’anticipation serait le choix du prénom. Prénom caché à tous, « divulgué qu’à la naissance » (35a), il semble décrit de façon claire, l’indécision n’est plus de mise. Le bébé de Mr. D porte un surnom « logique », c’est « bébé » (35b) ; Ce surnom viendrait masquer en communauté le “futur prénom“ de l’enfant. Le surnom pourrait-il être celui de l’enfant virtuel et le prénom choisi celui de l’enfant actuel (révélé à la naissance) ? D’autre part, Mr. D semble éloigner son bébé virtuel de toutes ressemblances possibles ; il dit (28a) : « je n’aime pas trop les comparaisons ». Le bébé imaginé, virtuel de la lignée générationnelle est pensé, fantasmé comme unique « sa propre personnalité ». A la question 55a “les évènements de vie influençant la relation présente et future“ de Mr. D avec son bébé, notre sujet semble entendre dans le terme influence, une connotation péjorative. Mr. D s’imagine être un père « disponible et attentif, peut-être un peu oppressant et fier » ; le rôle de père semble anticiper comme une complémentarité de celui de la mère. Les petites scènes illustrant les adjectifs choisis semblent utilisés dans la description. Le thème privilégié semble être celui de la “croissance de vie“, c’est à dire le développement physique définit par D. Stern (1995). On note les notions d’expériences de vie, « les premiers pas, la première dent, les premières décisions » (59b). 62 Mr. D s’imagine sur le plan psychique, « attentif », ce qui peut aller de pair avec le thème de la “relation primaire“ (le développement psychique). D’autre part, Mr. D semble anticiper le rôle de mère de son épouse, comme « plus autoritaire, plus rigide, calme et affective », « attendrie et protectrice » (61, 62a et 62b). Les adjectifs choisis semblent plutôt se coller aux représentations paternelles généralement attribuées : l’autorité, la protection (cf. D. Cupa et coll, 2000). Cela pourrait être le signe de quelques identifications partielles à l’épouse de Mr. D, à la future mère. Nous verrons dans la partie analyse de l’entretien si ce phénomène d’anticipation se confirme et où se situe plus exactement Mr. D dans la variabilité de l’anticipation. ENTRETIEN CLINIQUE La bande sonore : Mr. D reconnaît d’emblée les sons entendus lors de la premières séquences, « un bébé bien sûr, en train de pleurer ». Cette première séquence semble inscrite dans une dynamique d’expression : la capacité du bébé à s’exprimer et peut-être la capacité de Mr. D à le comprendre serait en jeu. Mr. D différencie deux termes employés : « prévenir » et « s’exprimer », cependant une hésitation semble subsistée entre les termes et leur sens. Afin de palier à une possible fantasmatique angoissante (dénégation : « pas prévenir dans le sens d’un danger », Mr. D semble persévérer dans la notion de communication. Il semble apparaître plusieurs allers-retours entre un système défensif plutôt stable et la vie fantasmatique. Le mouvement de cette séquence semble osciller entre une entrée dans une fantasmatique peut-être inquiétante et plusieurs remontées en processus défensifs relativement étayants. D’autre part, il semble que Mr. D puisse anticiper les pleurs et les situations de dépendance du bébé de manière souple. L’entrée dans l’écoute de cette 63 première séquence paraît relativement bien envisagée et contenue, et la lisibilité du discours paraît aisée. Affects et défenses seraient mobilisés et assez “organisés“. La seconde séquence sonore semble plus difficile à aborder par Mr. D. Le temps de latence initiale viendrait marquer la difficulté des affects éveillés. Cependant, Mr.D semble mettre en contraste ce début où l’on pouvait sentir une certaine inquiétude « Ouhh ; c’est pas évident (répété deux fois) », et le discours qu’il en retire « c’est plus calme ; c’est plus doux ». Mr. D semble exprimer des difficultés à élaborer autour de cette séquence. Les sons semblent réactiver la possible angoisse relativement bien contenue de la première séquence ; ces angoisses semblent émerger de façon plus lisible : « ça fait moins peur quelque part, ça fait moins paniqué ». Cela voudrait-il signifier que Mr. D a eu « peur ou a paniqué » ? La lisibilité semble moins évidente. Le discours semble légèrement plus flou, plus hésitant « une espèce ». En fin de discours, Mr. D semble éloigner les pleurs du bébé, les « bruits », par le rêve. L’éloignement permettrait un meilleur contrôle de l’afflux d’affects. Le contraste de cette seconde séquence serait également signifié par une possible annulation : en début de discours, Mr. D nous dit « ça reste un peu sur le même ton », puis plus tard « l’intonation est différente ». L’annulation et les différentes ruminations viendraient souligner la difficulté de Mr. D à s’exprimer sur cette séquence. Il semble que les capacités d’anticipation postnatale soient mises à l’épreuve. A la troisième séquence sonore, Mr.D semble nous décrire une situation plus précise concernant le bébé, « c’est de la colère ; ça s’affirme plus ». Il semble placer le bébé entendu dans une phase de demande : « dans le sens d’avoir faim », « c’est presque un ordre ». A la différence des autres séquences plus ciblées sur l’expression et plus inscrites dans l’hésitation, celle-ci nous paraît plus claire. La lisibilité est bonne. Les ressentis sont nommés dès le début, cette situation de cris et de pleurs semblent pousser Mr. D vers une anticipation des ressentis plus précise et mieux contenue que dans les premières séquences. On pourrait sentir Mr. D 64 plus à l’aise dans cette séquence, malgré le caractère « urgent » donné à la situation. La quatrième séquence semble plus difficile à entendre pour Mr. D, le plaçant dans un certain mal-être « je n’ai pas trop envie d’entendre ça souvent ». Les représentations fantasmatiques de Mr. D semblent anticiper une situation angoissante qui pourrait évoquer (sans le nommer) un risque vital : « un peu plus souffrance ; on dirait quelque chose qui le gêne un peu ; il a mal ; c’est un mal-être ». Malgré les précautions verbales employées (verbe au conditionnel, “un peu“…), on pourrait percevoir chez Mr. D une véritable inquiétude lors de cette anticipation fantasmatique, où le bébé serait impuissant : « sans chercher à appeler ou à prévenir, c’est comme ça ». Les défenses mobilisées tentent de contenir les affects éveillés, néanmoins elles peuvent paraître fragiles. D’autre part, les commentaires de Mr. D au cours de la séquence « ouh la la », pourrait souligner la lourdeur des représentations qui affluent. La cinquième séquence débute par un temps de latence relativement long. Mr. D vient mettre en contraste cette séquence et la précédente, en ruminant « la souffrance et la douleur ». Ici, le discours de Mr. D semble s’apaiser. Néanmoins, « souffrance et douleur » laissent rapidement place représentations à des “mouvementées“ : « un réveil brutal, où on le réveille vraiment d’un seul coup ». Les représentations d’une possible violence seraient écartées par le rêve : ce n’est plus « on » mais « un cauchemar » qui est à l’origine d’un « réveil brutal ». Le terme de « souffrance » réapparaît ensuite à minima « il ne souffre pas forcément ». Le discours est abrégé et ponctué par « voilà » puis par différentes défenses comme le rire et les commentaires ironiques (critique de soi) : « je suis torturé hein quand même ». Cette dernière phrase pourrait témoigner d’une véritable difficulté de Mr.D due à l’afflux des représentations fantasmatiques gênantes. Nous devons cependant, nuancer nos propos, car le système défensif instauré semble de bonne qualité et la lisibilité de cette séquence reste bonne. Les différents mouvements traduiraient des allers et retours entre l’expression fantasmatique et la défense. 65 La sixième séquence est de nouveau marquée par l’indécision entre l’expression, la communication et la « douleur ». Une conflictualité serait abordée, mais ses motifs ne seraient pas précisés. Les mouvements oscilleraient entre des procédés défensifs et des représentations fantasmatiques angoissantes : « des sons violents,plus de la douleur ». Mr. D semble submergé « il y a un mélange ». Mr. D hésite entre différentes interprétations : « c’est plus mitigé ; je n’arrive pas à voir ; j’ai du mal à faire la distinction, je n’arriverais pas à analyser ; je n’arrive pas à cerner ». La problématique semble être posée en terme d’incapacité. Ce thème est remâché. Mr. D ne nomme plus le bébé « il » comme dans les autres séquences, il nous dit « ça parle ; ça crie ; ça a mal ». L’objet bébé deviendrait inanimé, comme pour mettre à distance les représentations et leur sens “douloureux“. Les précautions verbales pourraient souligner cette distanciation. Cette séquence semble réellement être source de difficultés pour Mr. D. Les différentes tentatives de défense ne semblent pas suffire à étayer Mr. D : « dur, dur ». La fin du discours remâche la tonalité des différents mouvements : « je n’arrive pas à cerner » ; Mr. D ne semble pas se dégager de ces représentations. La septième et dernière séquence semble soutenir Mr. D et lui donner la possibilité de rassembler ses représentations et de construire une histoire plus solide. Mr. D n’hésite pas et semble se laisser aller à imaginer une scène d’interaction avec le bébé. Cette dernière séquence solliciterait des procédés secondaires de bonne qualité. La lisibilité du discours paraît bonne et le thème général tourne autour de la « joie, du rire », des représentations anticipatrices étayantes et “agréables“. L’élaboration semble plus aisée et plus profitable à Mr. D. In fine, nous pouvons noter que la passation de cette bande sonore aurait réveillé des représentations fantasmatiques et des affects plutôt difficiles et inquiétants pour Mr. D. Néanmoins, le système défensif de notre sujet paraît être satisfaisant pour contrebalancer ces représentations et amener Mr. D à 66 l’élaboration. Les capacités anticipatrices de Mr. D seraient mises à l’épreuve, mais paraissent assez solides au regard de cette transparence psychique. Suite de l’entretien : L’analyse de la suite de l’entretien clinique pourrait-elle nous confirmer les différents éléments vus précédemment à l’aide de la bande sonore ? Mr. D semble exprimer de nouveau les notions de capacité et incapacité à “comprendre le bébé et ses besoins“. Ce thème semble être privilégié dans la problématique de Mr. D. Mr. D paraît expliquer les difficultés posées par l’auto-questionnaire, à anticiper les interactions post-natales. Les mises en scène, les représentations anticipatrices seraient peut-être encore inquiétantes pour Mr.D, qui devrait s’imaginer dans son rôle paternel. Il est intéressant de remarquer que Mr. D met en parallèle deux difficultés rencontrées dans l’autoquestionnaire : les souvenirs d’enfance et imaginer le bébé (le passé réactivé et le futur anticipé). A la reprise de l’auto-questionnaire dans l’entretien, Mr.D semble confirmer ce que nous avions pré senti à l’analyse ; cet auto-questionnaire solliciterait des affects et des fantasmes très sensibles et plutôt envahissants : « ça remue et parfois on n’arrive plus à cadrer le truc ». Plusieurs éléments jusqu’alors non connus arriveraient à la conscience, passant la barrière du pré-conscient : « il y a plein de questions que l’on ne se pose pas, donc on tombe un peu de haut ». En questionnant les rêves de Mr. D, on pourrait noter une certaine résistance, Mr. D semble soucieux de préciser l’absence de « cauchemar, de réveil en sursaut, et de panique ». La question semble interprétée fantasmatiquement par notre sujet, dans un sens plus inquiétant. Après relance, Mr. D reprend le sujet puis semble le détourner sur quelque chose de plus concret. Ainsi, Mr. D décrit les différentes étapes qu’il a traversé en tant que futur père et semble expliquer combien il est difficile de « réaliser ». Dans cette description, on pourrait également voir une certaine frustration de Mr. D à ne pas porter l’enfant : « tu ne ressens pas comme une femme qui l’a à l’intérieur », « la mère, elle l’a 9 mois et moi j’ai des passages ». 67 On remarque que Mr. D précise un peu plus le rêve évoqué : le prénom du bébé ; il semble que ce rêve ait été vécu comme révélateur d’une proche paternité : « je me suis dit , Ouh ça y est, tu y es ». Des représentations anticipatrices semblent émerger, Mr. D semble imaginer l’actualisation du bébé virtuel ; cependant, celle-ci serait génératrice de certaines angoisses et le thème des cauchemars réapparaît. La réassurance semble donnée par l’épouse de Mr. D « je trouve qu’elle est au top, ça met en confiance ; à travers elle, tu arrives à l’accepter ». D’autre part, nous apprenons que l’image échographique semble avoir été utilisée comme une « preuve » de la présence virtuelle du fœtus/bébé et de son humanisation : « même si tu le sais, ça te donne la preuve ». Mr. D semble appuyer ce devenir humain par un souvenir lors d’une échographie « il s’est mis à bailler » ; ce souvenir viendrait comme vitaliser le bébé virtuel : « on s’aperçoit que c’est un être vivant ». Le champ sensoriel de Mr. D semble avoir été particulièrement activé, notamment au niveau visuel et auditif (« le son du cœur ») lors de l’échographie. Le thème de la frustration semble de nouveau abordé et ponctuer assez régulièrement l’entretien.Cela concerne la place de Mr. D lors de l’accouchement : « il n’y a pas grand chose pour participer, c’est un peu frustrant ». La question de l’accouchement paraît plus contenue lors de l’entretien que dans l’auto-questionnaire. Mr. D semble anticiper la scène où il aurait une place de soutien. L’aspect difficile et douloureux de l’accouchement est envisagé et relativement bien élaboré : « je pense que ça va être dur, dur ; si je tombe dans les pommes… ». L’inquiétante étrangeté réapparaîtrait « drôle d’expérience ». Néanmoins, la mise en récit de l’accouchement semble montrer des capacités anticipatrices de l’angoisse, de bonne qualité. Le système défensif semble opérant ( dénégation, précautions verbales, intellectualisation…).Le signal de l’angoisse serait donné et bien intégré. Mr. D ne semble pas avoir de difficulté à imaginer l’après naissance, les moments de bonheur et les moments d’angoisse, lorsque le couple parental sera élargi, “à trois“ pour la première fois. Il semble que devenir père soit source d’inquiétudes, toujours relativement bien contenues « il faut se lancer ». Ces inquiétudes tourneraient encore autour du thème de la capacité 68 à devenir parent, de “bons“ parents. Le discours de Mr. D semble être clair sur cette nouvelle paternité : « un peu stressant ». La narrativité indiquerait de réelles capacités à se représenter le devenir père. L’arbre de vie : L’arbre généalogique de Mr.D paraît assez sommaire. L’explication donnée par notre sujet de cet arbre de vie, paraît se faire au regard de deux strates générationnelles : parents et grands-parents de Mr. D. Toute l’importance semble donnée à la lignée maternelle, et notamment aux femmes de cette lignée, les hommes étant « en retrait », « assisté ». Mr. D semble clore le récit “généalogique“ sur la mort de ses grands-parents : « il n’y en a plus du tout, donc comme ça c’est réglé.Mais c’est tout ». La dénégation pourrait indiquer que “tout n’est pas réglé“. Certains conflits générationnels seraient peut-être prégnants, notamment en cette période de transparence psychique. Le dessin : Mr. D refuse de dessiner son bébé tel qu’il se l’imagine par « peur de le louper ». Le refus pourrait signaler un certain choc à la demande. Le dessin semble interprété comme une mise en scène du bébé virtuel et de ses qualités. Tout le questionnement se situerait autour de l’incapacité à donner une bonne image du bébé virtuel. Mr. D précise bien qu’il se le représente (« j’ai une image », image échographique), mais ne souhaite pas poser cette représentation au regard de tous, pensant faire « un truc horrible , en disant “regardez c’est mon bébé“ ». L’objet virtuel idéalisé ne devrait pas être « raté, loupé, caricaturé ». Serait-il possible de concevoir le bébé virtuel de Mr. D comme un continuum narcissique ? Mr. D conclut librement l’entretien sur ses impressions après sa participation à la recherche. Il semble y avoir confirmation d’un passage de certains éléments refoulés à un niveau plus conscient : « se remettre en question, voir ce que tu n’avais pas vu ; tu fais des associations ». 69 5.2 : Monsieur J AUTO-QUESTIONNAIRE Description : Mr. J est un futur père de 27 ans et est d’origine française. Il est professeur d’éducation physique et sportive. Il vit avec son épouse depuis plus de deux ans. Mme J est enceinte depuis un peu plus de 7 mois, au moment où Mr. J remplit le questionnaire. Mr. J est le dernier né d’une fratrie de cinq. Nous allons analyser le protocole de Mr. J en suivant les mêmes points que précédemment. Analyse clinique : Réactualisation des fantasmes de scène des origines et réédition de la conflictualité oedipienne. Dans la première partie de l’auto-questionnaire (“grossesse et accouchement“), nous relevons particulièrement les questions 15, 16, 17 et 18, concernant l’accouchement. Elles sont les plus proches de notre hypothèse des origines. Ainsi, on apprend que Mr. J souhaite y participer pour être un soutien. Il semble insister sur le terme « assister » (15), qui est souligné deux fois.On pourrait noter ici une dimension scopique de la scène de la naissance. A la différence de Mr. D qui nous précisait être « du côté maman », Mr. J paraît hésiter et s’installer « du côté bébé ». L’accouchement semble perçu par Mr. J comme « une épreuve à surmonter » (répété et souligné deux fois) ; la difficulté imaginée semble réactualiser des fantasmes de scène des origines. Ces fantasmes seraient à peine évoqués. On note ainsi, les mots « beauté de l’acte ; force ; accomplir l’acte » (16), « sueurs » (17) : le symbolisme pourrait paraître relativement transparent. 70 La narrativité semble placer Mr. J comme un témoin de la scène. Spectateur, MR. J semble osciller entre deux mouvements : « surmonter l’épreuve » (16), aller au-delà du traumatisme suscité par la scène ou succomber à l’effroi, « pas comme dans la pub caisse d’épargne, Léo, Léon, Léa, ou si peutêtre !!? » (16). L’effroi donné par la scène serait mis en récit dans un système défensif ironique, humoristique. Les commentaires mis entre parenthèses pourraient être révélateur de certaines angoisses latentes concernant l’accouchement. Mr. J paraît hésiter entre deux types de représentations : l’anticipation de l’angoisse (« des sueurs ; évanoui par terre » 17) et des scènes représentationnelles de contrôle (« Non, je serai son COACH ! » 17). On pourrait donc relever des allers et retours entre l’expression pulsionnelle de l’angoisse et la défense. On remarque ici que les mouvements semblent prendre fin sur des tentatives de réassurance et de contrôle peut-être encore fragiles. Mr. J paraît conclure son discours sur la scène de l’accouchement, comme une fin magique « tout se passera très bien ; sans aucune complication » (18). Cette réalisation magique pourrait être interprétée comme défensive « Voilà, je dis ça pour me rassurer ! » (18). In fine, nous pourrions dire que les fantasmes de scène des origines seraient réactivés, notamment dans une dimension visuelle. La réédition de la problématique oedipienne pourrait être perçue à la question 22, partie concernant le bébé. Mr. J connaît le sexe de son bébé : masculin, et nous apprend être satisfait. Néanmoins, il semble évoquer un léger “regret“ : « on dit toujours qu’une petite fille est amoureuse de son papa (oedipe), ça doit être une relation particulière que la relation père-fille ». Il semble que des représentations fantasmatiques fassent retour dans la problématique oedipienne. On pourrait percevoir ici un certain pôle conflictuel, où avoir une fille serait moins dangereux en terme de rivalité physique, sociale et sexuelle. Ce rapproché oedipien paraît ensuite écarté. Dans la partie histoire familiale, Mr. J se décrit comme « un jeune homme sportif, dynamique, calme, droit ». 71 Les détails donnés semblent avoir une valeur narcissique, où l’idéalisation de soi au niveau individuel, moral, paraît primer. Il semble y avoir un hyperinvestissement narcissique. La polarité objectale semble difficilement être intégrée au moment où Mr. J remplit le questionnaire. Le bébé imaginé semble correspondre à un prolongement narcissique de Mr. J. Par exemple, à la question 28a, concernant les ressemblances du futur enfant, Mr. J nous répond qu’il pourrait ressembler « A moi ! (un peu égocentrique comme réponse) bon je reformule… le corps athlétique de son père ». Cet hyperinvestissement semble perçu par Mr. J puisqu’il en fait une remarque défensive, des commentaires transparents. Il semble apparaître quelques identifications projectives au bébé imaginé ; ainsi, Mr. J pense son enfant « beau, sportif, bien dans sa tête (il aura réussi à faire ce qu’il veut de sa vie) » (29). « Très beau, très intelligent, éveillé, calme » (25, 26, 27a, 29) sont les adjectifs les plus récurrents dans la description du bébé virtuel. Il semble que ce bébé soit comme “parfait“. Cette perfection pourrait faire écho à la possible idéalisation narcissique de Mr. J : « Mon fils sera beau de toute façon » (26). Ce bébé idéal serait donc, peutêtre le fruit d’identifications projectives du bon objet. Il semble ici que la filiation narcissique, qui suit la logique du même, de la reduplication par identifications imaginaires, soit plus investie et tienne une place centrale pour Mr. J, à ce moment-là. Ceci peut lui permettre de se situer et d’être situé. (Bien que les autres types de filiation soient présents). Ces différents éléments pourraient raisonner avec une certaine idéalisation à valence positive de la mère de Mr. J. Ainsi, elle est qualifiée de « douce, affectueuse, tendre, patiente, protectrice, calme » (48b). On pourrait remarquer ici une identification entre générations où les objets transmis seraient des images identiques. En effet, les différents adjectifs se retrouvent dans la description de Mr. J à son sujet et à propos du bébé. Les identifications paternelles semblent empreintes du même processus. De nouveau, des adjectifs comme « calme, patient » réapparaissent. La logique du même semble prévaloir (49b). Des relations parentales idéales seraient décrites. 72 Il semble apparaître quelques contre-identifications paternelles très ténues. Ainsi, on relèverait une filiation symbolique où la différence père-fils, futur grand-père futur père, prendrait place. Exemple à la question 49b, “comment était votre père avec vous en tant que petit garçon ?“, Mr. J répond « nous n’avons jamais vraiment eu l’occasion de faire du sport ou de jouer ensemble ». Les identifications paternelles semblent se coller : « mon père était toujours très calme ; j’étais un enfant relativement calme ». Les adjectifs illustrant les descriptions semblent tourner autour du bricolage père-fils, préparant l’arrivée de la future génération, construisant le nid. D’autre part, on note que Mr. J a trois frères et une sœur. Il est le cadet de la fratrie et semble attacher beaucoup d’importance aux écarts d’âge ; ainsi, il précise que s’il est « arrivé en dernier », 9 années après son frère, c’est parce qu’il « n’était pas attendu ». Les questions concernant la fratrie semblent particulièrement mobilisatrices pour Mr. J. La mise en récit est longue, dépassant l’espace imparti. Mr. J semble avoir besoin de se situer dans le temps et les générations. Les relations fraternelles d’enfance décrites semblent être de l’ordre de la protection. Celles d’aujourd’hui sont plus détaillées. Le discours de Mr. J semble se recentrer sur ses références personnelles (« rugby le samedi, match… » 51). In fine, il semble bien y avoir une réactualisation de la conflictualité oedipienne, le remaillage identitaire s’articulerait autour de certaines identifications à valence positive au futur grand-père, c’est à dire dans une logique du semblable. Les contre-identifications paternelles sur le versant agressif semblent moins apparentes que celles observées avec Mr. D. La question 60a paraît démontrer cette prévalence de la filiation narcissique où le futur grand-père est valorisé moralement et semble tenir une place de modèle. La famille et l’histoire générationnelle semblent occuper une place prépondérante : « les grands-parents sont plus calmes, plus sereins, ont des expériences, des histoires à raconter ; c’est la mémoire de la famille »(64b). La conjointe de Mr. J serait également inscrite dans cette logique du même, puisqu’elle pourrait ressembler à la mère de Mr. J (63), toutes deux ayant les mêmes qualités : « douces, protectrices ». 73 On pourrait faire la métaphore d’un “copier coller“ familial, la transmission générationnelle est perçue dans ses aspects valorisants. L’ambivalence y serait très ténue. Phénomène d’anticipation et variabilité. Il semble que le projet d’enfant ait été pensé par Mr. J « depuis longtemps ». Les premières réponses semblent marquées par une certaine intellectualisation de cette idée. Mr. J paraît mettre en récit ces premiers éléments avec une possible banalisation ou en tout cas des références aux valeurs morales « la plus belle preuve d’amour », « cela doit être réfléchi ». Ces références peuvent également être sollicitées par le contexte social actuel. La réaction de Mr. J à la nouvelle de cette grossesse était pensée comme prévisible, cependant, Mr. J exprime les difficultés à s’envisager dans cette nouvelle place de futur père : « je crois que j’ai eu (et j’ai encore) du mal à réaliser ce qui nous attend !!! ». La mise entre parenthèses des “émotions actuelles“ tenterait de mettre de côté ces émotions. Néanmoins, cette mesure défensive viendrait témoigner de la non élaboration totale de l’émergence de ces affects. On remarque également certains éléments angoissants comme « ne pas avoir de mauvaise surprise »(6), où les sous-entendus sont diffus ; on peut se demander quelles sont les représentations fantasmatiques de notre sujet à ce moment ? Le thème de la maladie est évoqué à plusieurs reprises : « la peur d’une maladie, malformation ou autre (trisomie, autisme) » (32), « la maladie de l’une de mes frères (qui est devenu schizophrène), la maladie d’Alzheimer » (50). Les premiers mouvements du bébé semblent avoir amenés Mr. J dans un autre contexte, où le bébé virtuel devient de plus en plus actuel. Ainsi, il souligne qu’il était déjà conscient de la présence vitale du bébé, cependant ces mouvements le conduiraient vers une dimension de plus en plus palpable. Les interactions proto-phasiques entre le futur père et le bébé virtuel se seraient installées sur un mode sensoriel, où le toucher serait privilégié (11b) : « par le toucher (la pression sur le ventre)…mes mains posés sur le ventre ». 74 L’image échographique semble également avoir été un événement marquant dans le cheminement de Mr. J vers sa paternité (12) : « la première a été un choc ». Selon Mr. J, cette première image aurait annihilé certaines angoisses déjà pré senties en question 6, « un œuf blanc, grossesse sans bébé ou d’une malformation ». Cette échographie aurait peut-être aidé à l’élaboration de certains fantasmes de non grossesse (non paternité), maladie. La seconde échographie aurait également choqué Mr. J, la présence de ce bébé virtuel prend forme via une reconstitution en trois dimensions. En ce qui concerne l’accouchement, il semble que la naissance soit anticipée dans une forme d’angoisse plus proche de l’angoisse automatique dans notre palette que de l’angoisse signal, par rapport à Mr. D. En effet, le discours de Mr. J semble revenir à plusieurs reprises sur les notions d’épreuve. Cette question n’est peut-être pas encore bien gérée par Mr. J. La partie concernant le bébé est particulièrement riche en questions traitant de l’anticipation parentale. Ainsi, Mr. J imagine son bébé comme « très beau, très intelligent, éveillé, calme mais sportif à la fois » (25, 26). Les qualités du bébé virtuel semblent décrire un bébé “parfait“ : ce serait le bébé des fantasmes et des rêveries conscientes. Le processus anticipatoire semble s’installer et Mr. J ne semble pas avoir de mal à s’imaginer dans des scènes d’interactions avec lui. Ces scènes sont illustrées par les jeux et l’affection (27). Les traits caractéristiques donnés au bébé seraient ceux du pôle narcissique et du réseau identificatoire, comme nous l’avons vu précédemment. Mr. J imaginerait son enfant quand il sera grand, toujours dans l’idéalisation positive : « je le vois beau, sportif, bien dans sa tête (il aura réussi)… »(29). Mr. J ne semble pas en difficulté pour nous livrer ses émotions les plus fortes pour son bébé (30), « amour, tendresse, curiosité face à l’inconnu (peur) ». Les premières émotions semblent s’inscrire dans une certaine logique, ces éléments étant souvent retrouvés. La dernière émotion donnée « curiosité face à l’inconnu » semble être d’un autre registre et la précision est donnée entre parenthèses, comme souvent dans le protocole de Mr. J : « (peur) ». Mr. J semble exprimer là de véritables affects angoissants l’amenant vers sa paternité. Il semble anticiper l’après-naissance dans l’idéalisation, néanmoins, celle-ci serait parsemée d’angoisses révélées “à demi-mots“. 75 C’est lorsque la question 32 évoque la peur, que Mr.J nous paraît donner ses représentations anticipatrices de l’angoisse : la maladie, le handicap, la mort. D’autre part, nous pouvons noter que le choix du prénom est fait, ce qui peut indiquer aussi une certaine préparation à l’arrivée du bébé « c’est venu spontanément » (33a, 34). Mr.J s’imaginerait être un père « qui va aider son bébé à progresser pas à pas », « l’emmener vers l’autonomie », « certaines valeurs morales » (56). Ceci pourrait nous faire penser aux thèmes de la croissance de vie et de la relation primaire, développés par D. Stern en 1995. Il s’agit du développement physique et psychique. Le thème de la matrice de soutien semble être tourné vers la future mère « plus protectrice envers son enfant » (57). Mr. J paraît s’anticiper comme un père proche de son enfant, un père qui « joue » avec son enfant (peut-être à la différence de son père, 49b). La remarque de côté (58) « j’adorerai certainement jouer avec Kyllian » pourrait apparaître comme une tentative de persuasion du lien père-enfant. Mr. J se décrit comme un futur père « affectueux et stimulant » et nous donne deux scènes illustrant ses adjectifs. Ces scènes commencent toutes par « Moi en train de », ce qui pourrait rappeler la possible dimension narcissique de notre sujet (47, 59b). Mr. J semble s’anticiper comme un père “identique“ au sien ; là encore une idéalisation, notamment morale apparaîtrait : « mon père m’a bien éduqué…réaliser les choix justes grâce aux valeurs morales qu’il m’a transmises ». Mr. J semble imaginer plutôt facilement sa conjointe en tant que mère, donnant des caractéristiques maternelles (62a, 62b) : « donner le sein, le tenant affectueusement ». La future mère est imaginée comme « aimante et protectrice ». Le thème de la protection serait ici donné aux femmes, à la différence des résultats obtenus par l’équipe de D. Cupa. Est-ce le signe de quelques identifications partielles aux mères. Mr. J souhaiterait que sa conjointe “ressemble“ à sa mère (63). Il semble s’en défendre dans un premier temps, puis, après différentes précautions verbales, fait un rapprochement entre les deux femmes : « ce côté doux et protecteur qu’avait la mienne ». 76 In fine, il semble que Mr. J anticipe la réorganisation de places dans la famille, son rôle de futur père et celui de sa conjointe dans une certaine idéalisation positive. Le pôle narcissique et de l’identique aurait été largement investi. Les représentations anticipatrices de l’angoisse seraient présentes mais fortement protégées par l’idéalisation et la centration sur soi. L’entretien clinique va nous permettre de “zoomer“ sur ces représentations et leur devenir. ENTRETIEN CLINIQUE La bande sonore : L’entrée dans l’écoute de la bande sonore semble être un peu confuse : on ne sait pas de qui parle Mr. J : « il ». Les pleurs sont évoqués d’emblée et Mr. J paraît en chercher le sens. Il semble placer cette première séquence dans une certaine frustration : « il a faim », « exprimer son mécontentement ». Notre sujet paraît hésiter entre différentes interprétations. A la fin de son récit, il semble capable de nommer ce qu’il a entendu : « c’est des cris d’enfant ». La lisibilité du discours ne paraît pas excellente (pauses, hésitations, remâchage), mais l’histoire donnée semble compréhensible. Les conflits se poseraient, mais ne semblent pas réellement précisés. Au fil du discours, les « pleurs » semblent laisser place aux « cris ». Le contenu manifeste de la bande sonore (cris et pleurs de bébé) est évoqué dans l’anonymat, puis par l’éloignement : il ne s’agit pas de bébé mais d’enfant. Le contenu fantasmatique semble avoir du mal à être exprimé clairement, ou est rapidement réprimé : « des cris d’enfant, qui essaie d’exprimer quelque chose, à mon avis il n’avait pas l’air très content. Voilà ». La lisibilité de la seconde séquence semble relativement bonne. Mr. J paraît nous dire sa difficulté à élaborer autour de ses représentations fantasmatiques générées par la bande : imitant la séquence, puis remâchant « je ne sais pas exactement », il nous dit « c’est étonnant d’entendre les bruits comme ça et de s’imaginer comme ça ». Mr. J semble essayer de poser ses représentations 77 sur une interprétation, mais se positionnerait de nouveau dans l’hésitation : « jeu…il sautait…son corps bougeait…il s’exprime ». Ici la dimension ludique semble prévaloir dans l’interprétation de Mr. J et les pleurs seraient écartés. Les ponctuations du récit : « Donc voilà », « Voilà, voilà », semblent interrompre les mouvements pouvant faire émerger certains affects primaires. Mr. J semble alors revenir sur la défense et la banalisation : « il s’exprime ». Les représentations anticipatrices paraissent diffuses et peu encore assemblées, construites. On note également l’anonymat du personnage sousjacent, le bébé. La troisième séquence semble marquée par la restriction du discours. Les conflits seraient évoqués : « il y a quelque chose qui ne va pas », mais leur motif n’est pas précisé. Les pleurs seraient ruminés, répétés trois fois et Mr. J paraît “encombré“ , ne pas pouvoir faire “quelque chose“ de ces pleurs. Les représentations qui émergent semblent être trop angoissantes et dangereuses pour pouvoir être mises en mots. Le récit est très rapidement clos et une action de soin serait évoquée en dernier recours. La quatrième séquence ne semble pas offrir une bonne lisibilité. L’histoire donnée est assez courte. Un conflit serait exprimé : « il essayait de forcer pour faire quelque chose », remâché, mais non explicité : « je ne sais pas exactement ». (Nous pourrions éventuellement parler de symbolisme transparent autour de l’analité). L’anonymat persiste : « il ». La fin de l’histoire, l’explication du conflit tendrait à être donnée mais serait de nouveau réprimée : « donc il en résulterait, je ne sais pas ». La cinquième séquence serait marquée par la restriction. Mr. J s’accrocherait au contenu manifeste sonore : « des pleurs », cependant toujours de façon anonyme. Il semble se trouver de nouveau dans l’incapacité à élaborer un récit lisible, construit. « Le chagrin et la consolation » paraissent encore fragiles face à l’incertitude de notre sujet. Il semble que l’écoute de la bande sonore soit de plus en plus difficile dans l’activation de certaines représentations fantasmatiques gênantes. 78 La sixième séquence est moins restrictive que la précédente. Des conflits seraient évoqués : « je pense que c’était des pleurs là », puis annulés : « je n’ai pas eu l’impression que c’était des pleurs ». Les motifs conflictuels seraient donnés dans le jeu, non dangereux, et restent néanmoins assez flous : « des choses », « des sons ». La dernière séquence est un artéfact dont le contenu manifeste est le bruit d’un bébé, ce ne sont ni des cris, ni des pleurs. Cette séquence viendrait comme un soulagement pour Mr. J : « un petit cri d’émerveillement ». Mr. J semble revenir sur les difficultés rencontrées précédemment, en comparaison : « un son plus agréable que les autres ». Ceci pourrait confirmer les commentaires concernant la fragilité de Mr. J à évoquer ses représentations fantasmatiques et à les construire dans un récit clair. In fine, la lisibilité des séquences nous semble être majoritairement confuse. Bien que les conflits internes soient évoqués, ils seraient peu précisés ou élaborés, voir parfois choquant (Séquences 3 et 4). La totalité du discours est relativement restreinte en comparaison avec le protocole de Mr. D. Les représentations anticipatrices semblent s’étirées plus vers le pôle angoisse automatique que vers celui d’un signal d’alerte conduisant à l’élaboration. Les processus défensifs mis en place (éloignement temporel, mise à distance, anonymat, remâchage, persévération, précautions verbales…) semblent opérants, toute fois assez fragiles face à l’intensité des affects réprimés à ce moment. Suite de l’entretien : L’après-coup de l’auto-questionnaire est abordé et Mr. J nous dit que certaines questions lui sont apparues plus difficiles : « auxquelles, j’ai eu un peu plus de mal à répondre ». Selon lui, ce qui semble avoir posé le plus de difficultés sont les questions concernant les relations parentales. En effet, ceci pourrait faire écho à l’analyse faite dans notre première partie qui semblait révéler un remaillage identitaire fragile pour Mr. J. 79 L’autre point difficile selon Mr. J, est « l’expression des sentiments…par rapport à l’enfant ». Ceci viendrait peut-être confirmer la difficulté rencontrée par notre sujet à anticiper l’après-naissance. Les représentations anticipatrices seraient présentes mais pas encore organisées. Les questions auraient amenées à la conscience, des représentations fantasmatiques du bébé virtuel, qui étaient encore en suspend derrière la barrière pré-conscient/conscient. Mr. J nous dit : « c’est pas forcément des questions qu’on se pose », « ça m’a fait me poser des questions. Je réalisais pas ». La narrativité de Mr. J indiquerait son état psychique actuel de devenant père : « c’est encore un peu flou, un peu vague ». Il semble que l’auto-questionnaire ait conduit Mr. J vers une relation d’objet virtuel de plus en plus actuel. La construction du “nid familial“ semble être apparue lorsque le dialogue proto-phasique sensoriel s’est installé : « où j’ai commencé à le ressentir, ça c’était énorme », « on a tout déménagé ». Les changements matériels et physiques seraient à mettre en parallèle avec les remaniements psychiques : c’est une mouvance biopsychique. La mise à l’épreuve des représentations psychiques indiquerait que le cheminement parental n’est pas complet : « on sait toujours pas ce qui nous attend…on n’est pas prêt », « je me sens pas…c’est encore l’inconnu ». Les angoisses du futur père seraient encore très prégnantes, néanmoins pas véritablement inquiétantes malgré une mise en récit confuse. La question traitant de l’image échographique semble réactiver le thème de la maladie et de la fausse-couche, abordé dans l’auto-questionnaire. Selon Mr. J, l’image échographique l’aurait rassuré du point de vue de la faussecouche : « une fois qu’on l’a vu en pleine forme…c’était génial ». D’un autre côté, l’échographie aurait généré une certaine angoisse chez notre sujet. Brièvement, il nous dit « ça m’a un peu chamboulé ». Nous apprenons que le thème de la fausse-couche serait réactivé par un contexte générationnel : « ma sœur en a fait une, je sais que ma mère en a fait une ». Ces différents éléments seraient peut-être à l’origine des angoisses « d’œuf blanc, de malformation, de fausse-couche » (« problème » biologique ou non paternité). Notre sujet semble se défendre de ses inquiétudes par la banalisation : « des choses qui arrivent », « généralement ». 80 A l’évocation de ces éléments rapportés, il semble que la narrativité en soit altérée et la lisibilité du discours deviendrait plus floue. La problématique se situerait autour de révélation ou non de la grossesse. L’annonce, selon Mr. J, ne pouvait se faire qu’après avoir écarté un risque de fausse-couche : « on a préféré ne pas en parler » (répété plusieurs fois). Le thème de l’annonce de la grossesse semble être particulièrement questionné ; il serait à de nombreuses reprises, remâché, ruminé et critiqué : on se rend compte qu’on aurait pu en parler…mais on a préféré ne pas en parler ». La question interrogeant les rêves de Mr. J paraît mobiliser de nouveau des éléments entendus dans le questionnaire. Mr. J nous dit que dans son rêve, il n’a pas assisté à l’accouchement : « j’ai éclipsé l’accouchement ». Ceci pourrait aller de paire avec l’hypothèse de la réédition de la scène des origines : on se souvient dans le questionnaire d’une possible dimension scopique de la scène, dans le rêve c’est l’inverse : « j’ai pas vu l’accouchement du tout ». Le second point du rêve serait l’idéalisation positive du bébé virtuel sur fond d’investissement narcissique : « il y avait 4 bébés…un qui était super mignon et tout… on me disait “oh, c’est votre bébé“…c’était génial…le rêve tout beau, tout est beau, c’est un beau rêve ». La naissance bu bébé serait ici pensée dans une réalisation à valeur magique. Le dessin : Le dessin de Mr. J semble particulièrement expressif et détaillé. De nouveau, la dimension scopique semble apparaître : Mr. J dessine le bébé dans le ventre de sa mère, « ses yeux ouverts » : il s’agirait ici de voir l’intérieur de la mère et de l’intérieur. L’explication du dessin semble montrer des représentations anticipatrices de la naissance. Mr. J dessine son bébé virtuel “peu de temps avant son arrivée“ : « il se prépare à sortirlà…c’est le moment bientôt ». Le fait que Mr. J dessine son bébé dans sa préparation à naître pourrait indiquer une anticipation de l’angoisse de l’accouchement, anticipation qui serait relativement opérante. (Finalement, d’un point de vue biopsychique, le bébé n’est pas loin de sa naissance : environ 8 mois de vie intra-utérine, ce qui pourrait correspondre aux représentaions dessinées de Mr. J) 81 L’arbre de vie : L’arbre généalogique de Mr. J paraît relativement bien construit (après une relance au départ). Les ramifications seraient complétées avec soin. Il est à noter que Mr. J dessine son propre noyau familial, c’est à dire sa conjointe et son bébé virtuel, ce qui pourrait souligner combien ce bébé est déjà ancré dans l’histoire générationnelle. Mr. J explique sa position dans la lignée : « je suis le dernier, dernier, dernier » et semble se situer de nouveau avec des précisions chiffrées de la fratrie. Il semble que sa naissance « pas tellement attendue » soit source de conflits pour Mr. J ; son discours paraît faire des allers et retours entre le conflit et la défense : « j’étais pas tellement attendu, mais bon très aimé, pas tellement attendu ». Le thème de la “maladie“ de l’un de ses frères est abordé. Il semble que Mr. J tienne à expliciter la situation de son frère. A la question libre concluant l’entretien, Mr. J reviendrait sur les représentations véhiculées par la bande sonore et sa possible incapacité à les élaborer totalement en ce moment : « on ressent des choses, mais pas faciles à cerner ». In fine, il semble que l’entretien clinique vienne appuyer nos hypothèses de travail de réédition de la scène des origines et de la conflictualité oedipienne. Plus particulièrement, l’hypothèse de représentations anticipatrices variables semble également se valider. Ainsi, nous pourrions situer Mr. J à un degré d’anticipation périnatale moins élaboré que Mr. D (du point de vue de la lisibilité du discours, de la mise en récit, de l’évocation de conflits internes et de leurs motifs). Néanmoins, le dessin de Mr. J et son explication paraissent apporter quelques points positifs sur le chemin de la paternité. Tout simplement, nous pourrions dire que nos deux sujets ne se situent pas au même point dans leur cheminement, leurs remaniements psychiques sont également d’une complexité singulière. 82 5.3 : Monsieur G AUTO-QUESTIONNAIRE Description : Mr. G est un futur père de 27 ans, d’origine française, qui habite la région parisienne. Il a suivi des études supérieures de droits et est juriste au sein d’un grand groupe. Il vit en couple depuis trois ans. Mr et Mme G attendent leur premier enfant depuis 7 mois. Mr. G est issu d’une fratrie de trois dont il est le seul garçon et le dernier né. Nous présenterons les réponses de l’auto-questionnaire et leur analyse. Mr. G nous a fait parvenir par courrier le questionnaire après nous avoir informé de sa non participation à la seconde partie de la recherche (l’entretien clinique) pour « des raisons professionnelles et pratiques ». La présentation de ce protocole incomplet nous a cependant semblé adéquate d’après les réponses recueillies. Le matériel clinique nous a paru assez riche pour être analysé. Néanmoins, nous ne pourrons apporter que des éléments partiels de réponse étayant ou non nos hypothèses. Analyse clinique : Réactualisation des fantasmes de scène des origines et réédition de la conflictualité oedipienne. L’accouchement, susceptible de réactiver certains fantasmes de scène des origines est interrogé dans la première partie, aux questions 15, 16, 17. Les réponses de Mr. G semblent très restreintes et relativement défensives. Mr. G paraît s’installer dans une certaine intellectualisation, où sa présence lors de l’accouchement serait comme obligatoire : « il n’est pas imaginable que je ne sois pas présent » (15). Mr. G imaginerait ce moment d’un point de vue peutêtre sensoriel : « une des plus fortes émotions » (16), cependant, il reste peu expressif sur le type d’émotions, leur qualité ou autre. 83 Mr. G semble anticiper ce moment comme une “révélation“ de sa nouvelle position de père“ : « être face à soi…être face au bébé » (17). Le « bonheur » serait envisagé, et la possibilité de complication, d’aggravation serait anticipée comme un signal de l’angoisse. Il s’agirait pour Mr. G de contrôler la situation, de l’anticiper : « être prêt ». Il semble s’imaginer sur plusieurs “fronts“ : le repli narcissique (« face à soi) », la nouvelle paternité (« face au bébé »), la relation de couple et parentale (« aider mon épouse »). Il semble que la naissance de ce premier bébé soit anticipée comme l’accueil d’un nouveau membre dans “le nid familial“ : le thème de l’accueil serait répété aux questions 15b et 17. Il semble que la réactualisation des fantasmes de scène des origines ne constitue pas une question très prégnante pour Mr. G. Du moins, nous pourrions noter que la restriction des réponses pourrait indiquer un processus défensif face aux éléments fantasmatiques. La mise en récit paraît être de bonne qualité et l’anticipation serait équilibrée entre angoisse automatique et angoisse signale. Ici, il semble que les affects soient exprimés à minima. In fine, nous pourrions dire que les représentations anticipatrices ne semblent pas être très nombreuses et paraissent assez contenues et contrôlées par la restriction du discours et l’intellectualisation. Les défenses paraissent assez stables. La partie concernant l’histoire familiale et générationnelle semble plus particulièrement marquée par la restriction que les premières parties de l’autoquestionnaire. Cette partie semble également faire l’objet d’une certaine critique du matériel et de remarques ironiques : les questions, leur précision et la grammaire sont “corrigées“ par notre sujet, ce qui semble lui permettre à de nombreuses reprises l’évitement de la réponse et du conflit (46, 47, 48b, 49b, 56, 57, 62a, 62b, 64b, 66a). Les questions faisant l’objet de cet évitement concerneraient particulièrement la description et la mise en scène. Se décrire comme père et décrire la place et le rôle d’un père paraît être difficile à élaborer pour Mr. G ; l’anticipation des interactions que l’on aurait pu voir dans l’imagination de petites scènes père-enfant serait fortement réprimée par le contrôle et l’intellectualisation : 84 « l’imagination ne sert à rien quand elle n’est comme ici que pure spéculation » (59b). Il semble que Mr. G ne se laisse pas facilement aller à imaginer son bébé et à anticiper les relations qu’ils pourraient avoir ensemble. Il se décrit comme un « père en attente, enfin sur le point de le devenir » (45). Le cheminement vers la paternité serait pensé, anticipé mais réprimé. Il semble que l’histoire générationnelle de Mr. G tienne une place lourde de sens dans ce “devenir père“. En effet, Mr. G nous dit se sentir comme « un passeur de témoin trans-générationnel » (44). La filiation de type corps à corps (Guyotat, 1980) semble prévaloir dans le récit de Mr. G. Ainsi, la logique de la continuité et de la transmission au niveau génétique et interactionnel serait plus particulièrement investi dans la paternité prénatale de Mr. G. Mr. G, parlant de ses relations avec son père , nous dit « je sais qu’il attend un petitfils pour la perpétuation du nom de famille » (49b). Nous apprenons également que le grand-père paternel de Mr. G a joué un rôle important dans cette lignée (52a). Les relations générationnelles, celles de sa mère avec ses parents et celles de son père avec ses parents, semblent plus précisément décrites, ce qui pourrait confirmer un possible hyper-investissement du lien générationnel. La lignée familiale et la nouvelle paternité placent le père de Mr. G comme grand-père et Mr. G comme père. Le glissement des places dans la constellation paternelle semble démontrer quelques contre- identifications paternelles de Mr. G. Un conflit ambivalenciel serait perceptible à l’égard du futur grand-père. Ainsi, les quelques mots choisis pour décrire le père de Mr. G seraient peu valorisants : « rigide » ; Mr. G nous dit avoir été « en attente de signe d’affection » (49a). Les relations actuelles seraient présenties par Mr. G comme « plus proches et plus égalitaires », « il me regarde autrement » (49b). Ces réponses pourraient signifier l’anticipation de la nouvelle place de père de notre sujet. S’agirait-il d’être père comme le sien ? Le réseau identificatoire intergénérationnel semble être en pleins remaniements et réorganisation. La réédition de la conflictualité oedipienne seraient prégnantes dans la filiation du corps à corps. Le pôle ambivalenciel pourrait également être perçu à la question 58, où Mr. G s’imaginerait être un père « très attentif et démonstratif », ce qui contraste avec la question 49b où Mr. G se décrivait « en attente de signe d’affection » de la part de son père. 85 D’autre part, Mr. G souhaiterait ressembler en tant que père, à un oncle « parce qu’il embrassait ses fils » (60a, 60b). Ceci pourrait signifier que Mr. G n’aurait pas connu un père « démonstratif ». Des contre-identifications paternelles seraient donc présentes. Ces différentes identifications et contre-identifications dans le réseau générationnel pourraient permettre à Mr. G de cheminer vers sa paternité. Le décès du grand-père paternel semble avoir été un événement très marquant ce qui pourrait suggérer la place de la lignée paternelle et de la filiation transgénérationnelle dans le remaillage identitaire de Mr. G. Phénomène d’anticipation et variabilité La scène de l’accouchement semble relativement bien anticipée dans sa paternalisation : « être face au bébé ». Néanmoins, Mr. G paraît rester sur ses processus défensifs. L’auto-questionnaire semble marqué par la restriction. Nous savons que ce questionnaire est privilégié pour ses sollicitations de projections anticipatrices. Or, il semble que pour Mr. G, plus que pour nos deux autres sujets, ces projections anticipatrices soient placées sous le contrôle et l’intellectualisation. Une certaine rigidité des procédés défensifs serait active. Les représentations fantasmatiques auraient alors peu de place pour être exprimées. Ceci ne faciliterait pas l’accès aux représentations anticipatrices paternelles, comme si Mr. G “s’interdisait“ de faire appel à son imagination. L’idéalisation positive du bébé virtuel semble très ténue en comparaison avec Mr. J. Le désir de ce bébé viendrait s’inscrire dans une logique plutôt banalisante du mariage et des références sociales communes : « suite logique du mariage » (1). Le dialogue proto-phasique est évoqué dans les questions 10a à 12, dans la sensorialité : « apposition de mes mains sur le ventre… écouter de la musique grâce à un casque ». 86 Cette sensorialité, les mouvements du bébé semblent avoir révélés le début de la paternalisation (influence positive exercée par le bébé sur le sentiment d’être père) : « c’est la matérialisation de la vie et de l’échange déjà possible avec lui ». Il semble que l’aspect vital par les sensations vienne également marquer le chemin anticipatoire de la paternalité. Ces différents éléments pourraient contre-balancer cette répression de l’anticipation. Il semble que l’image échographique ait été le lieu de représentations anticipatrices plus ou moins angoissantes : Mr. G parle de « soulagement » (12). Mr. G n’a pas souhaité connaître le sexe de son enfant « pour avoir la surprise » (21). Les prénoms masculin et féminin ont été choisis par tradition familiale, ce qui viendrait souligner l’importance générationnelle. Mr. G pense son bébé virtuel comme « rose et rond » (25), « souriant et affectueux » (26) et nous donne deux exemples d’interactions (on doit préciser que ces deux scènes sont les seules mises en mots). Il semble que Mr. G ne puisse nous donner d’autres éléments fantasmatiques concernant son bébé et s’attacherait alors à réécrire le matériel peut-être pour éviter cette fantasmatique de la paternalité (26, 29). Néanmoins, Mr. G semble anticiper son rôle paternel avec plus de facilité que de livrer les représentations de son bébé virtuel. Ainsi, « la joie, l’amour et l’inquiétude » seraient les émotions paternelles anticipées. Le thème de la relation primaire, c’est à dire le développement psychique, semble privilégié : Mr. G désirerait son enfant comme « affectivement épanoui, honnête intellectuellement et moralement » (31), et redouterait « l’influence d’esprits pernicieux » (32). Les commentaires additifs concernant le bébé, viendraient montrer une certaine impatience de Mr. G à être père : « 9 mois, c’est long » ; ceci pourrait cependant contraster avec les quelques difficultés de Mr. G à mettre en mots son bébé virtuel. Ces difficultés apparaîtraient également dans la partie ou Mr. G doit s’imaginer père : « l’imagination ne sert à rien quand elle n’est comme ici que pure spéculation » (59 b). La fantasmatique et les projections anticipatrices seraient assez inhibées et contrôlées. 87 Mr. G anticiperait le rôle de mère de son épouse comme «parfaite » et nous livre ses représentations concernant la petite enfance. Il ne pourrait pas nous livrer celles concernant l’âge adulte : « il est trop tôt pour le dire » (61). Là encore, le rôle parental de mère semble peu accessible ; la fantasmatique serait contrôlée par la restriction et la critique. In fine, nous pourrions penser que les capacités de représentations fantasmatiques seraient présentes mais ne pourraient être mis en mots que très partiellement. Malgré les sollicitations du questionnaire, l’évitement, la restriction et le contrôle viendraient fragiliser la souplesse de la vie fantasmatique que l’on attendait plus transparente. Il semble que l’anticipation de l’angoisse comme système défensif soit présente mais assez réprimée. Néanmoins, la paternalité semble en marche. La réactualisation des fantasmes des origines pourrait être sensiblement perçue sous le thème de l’accouchement. La réédition de la conflictualité oedipienne semble surtout démontrer un hyperinvestissement générationnel. L’entretien clinique et notamment la passation de la bande sonore aurait pu nous permettre d’aller plus loin dans l’analyse de la variabilité de l’anticipation. Nous restons donc très prudent dans nos commentaires. 88 6 : DISCUSSION Notre discussion va s’articuler autour de l’analyse très ciblée de nos trois études de cas. Nous tenterons de faire la synthèse pour chaque sujet en regard de nos trois hypothèses. Puis, nous essaierons d’élargir notre étude (bien qu’elle ne soit pas représentative) vers de possibles recherches ultérieures. Monsieur D : Face aux questions concernant l’accouchement, il nous a semblé apparaître une réactualisation des fantasmes de scène des origines, pour Mr. D. Son discours nous a paru s’installer dans une mouvance entre vie fantasmatique et processus défensifs, mêlant l’angoisse et le plaisir. La scène des origines nous a semblé donc prégnante mais relativement bien contenue. Nous avons également pu constater que la thématique générationnelle était sous-jacente. Il nous a semblé qu’une réédition de la conflictualité oedipienne pouvait se valiser chez Mr. D. La fantasmatique nous a semblé particulièrement transparente autour des relations entre Mr. D et son père. Le remaillage identitaire serait constitué de remaniements psychiques intenses, notamment dans le glissement des places père-fils. Il nous a semblé apparaître des contre-identifications paternelles sur un versant agressif. Nous avons également perçu des identifications projectives partielles au bébé virtuel et à la mère. L’arbre de vie de Mr. D, qui nous a paru assez sommaire, viendrait confirmer les contre-identifications paternelles, puisque la lignée maternelle aurait été surinvestie. Une filiation de type symbolique nous a semblé être particulièrement investie par Mr. D. Ce bouillonnement psychique nous a néanmoins semblé constructif pour Mr. D, qui s’en défendrait relativement bien. Il semble être apparu dans l’auto-questionnaire de bonnes capacités d’anticipation du rôle et de la fonction paternelle. Le bébé virtuel de Mr. D serait quelque peu idéalisé positivement, mais non de façon démesurée. 89 Les projections anticipatrices nous ont semblé faciles d’accès par la mise en scène des interactions fantasmatiques, émotionnelles et comportementales, par le lien déjà établi dans le dialogue proto-phasique. L’anticipation biopsychique paternelle nous a semblé relativement bien située dans la variable angoisse automatique et angoisse signal d’alarme. A la passation de la bande sonore, nous avons pu constater une narrativité de bonne qualité et une lisibilité stable et étayante (parfois altérée par des émergences fantasmatiques). Le discours nous a semblé être marqué par des allers et retours entre la fantasmatique et la défense. Les capacités anticipatrices seraient rudement mises à l’épreuve, notamment par des représentations de situations de danger, angoissantes. Au fur et à mesure des séquences sonores, il nous a semblé apparaître un afflux fantasmatique de plus en plus lourd, qui aurait fragilisé l’élaboration de l’anticipation. Néanmoins, la dernière séquence aurait apporté un étayage réorganisant. Les sollicitations de la bande nous ont paru vives et le système défensif de Mr. D nous a semblé mis au défit, mais satisfaisant et solide. D’autre part, le dessin du bébé virtuel nous a semblé constitué un choc pour Mr. D. Refusant de le mettre en forme sur papier, il semble que les capacités anticipatrices aient été peut-être trop actives et mises à l’écart dans un repli narcissique. A l’entretien, il nous a semblé que le “devenir père“ était source d’inquiétudes toujours bien contenus et anticipées par la paternalisation que susciterait le bébé virtuel (échographie, premiers mouvements…). Au total, nous pourrions dire qu’au regard de l’analyse des réponses cliniques et projectives de Mr. D, nos trois hypothèses nous ont semblé se confirmer. Le processus de parentalité de Mr. D serait certes mouvementé mais pas inquiétant. Les représentations anticipatrices paternelles nous ont semblé bien s’organiser entre le pôle de l’angoisse automatique et le pôle de l’angoisse signal d’alarme. 90 Monsieur J : Les questions sollicitant des représentations fantasmatiques autour du thème des origines nous ont semblé aller dans le sens d’une réactualisation des fantasmes de scène primitive. Il nous a semblé que ces représentations ont revêtu chez Mr. J, une forme particulièrement angoissante ; l’accouchement serait vécu comme une « épreuve » et « éclipsé » dans le rêve. Il nous est apparu une dimension scopique de la scène représentationnelle, oscillant entre défenses et angoisses. Cette réédition nous a semblé sensible chez Mr.J. La narrativité de Mr. J a semblé avoir comme noyau central, un pôle narcissique. Le remaillage identitaire se serait alors constitué sur une logique du même. Une certaine idéalisation familiale à valence positive constituerait le fil générationnel. Les identifications paternelles se feraient sur le plan de cette idéalisation narcissique. Les contre-identifications paternelles nous ont paru bien moindres par rapport à Mr. D. Les objets transmis à travers les générations seraient de l’ordre d’images identiques. Le pôle ambivalenciel de la conflictualité oedipienne ne nous a pas semblé être une caractéristique prégnante dans cette réactualisation. Il nous a semblé percevoir une réorganisation profonde de Mr. J autour des identifications, une véritable construction de la paternalité. L’arbre de vie, particulièrement soigné dans les ramifications, fait apparaître le bébé virtuel de Mr. J dans l’histoire générationnelle. Il nous a semblé apparaître certaines capacités anticipatrices chez Mr. J, marquées par les mouvements de paternalisation lors de l’image en 3 D et par le dialogue proto-phasique sensoriel. Les représentations fantasmatiques nous ont semblé mettre à l’épreuve les capacités d’élaboration de Mr. J ; le système défensif nous est souvent apparu comme fragilisé. Face à ces bouleversements psychiques, il nous a semblé que l’idéalisation positive ait été un procédé défensif privilégié. Le pôle narcissique nous a paru prévaloir sur un pôle plus objectal, en ce qui concerne les projections anticipatrices et le thème de la filiation. La passation de la bande sonore nous a semblé marquée par la restriction de la narrativité et une lisibilité du discours assez moyenne. 91 Ceci pourrait souligner les difficultés de Mr. J à mettre en mots ces projections anticipatrices peut-être trop angoissantes, tirant du côté de l’angoisse automatique. Les conflits semblent pouvoir être exprimés mais leurs motifs seraient le plus souvent réprimés. L’anonymat nous a semblé être révélateur d’une mise à distance de la future paternité. Les projections anticipatrices ne nous ont pas semblé de très bonne qualité puisque souvent non abouties et livrées soit sous le thème de la maladie, soit sous celui de l’idéalisation. Néanmoins, Mr. J a pu mettre en récit des interactions père-bébé. Le dessin de Mr. J nous a semblé être un témoin de la possibilité d’anticipation. Au total, il semble que l’hypothèse d’une réactualisation des fantasmes de scène des origines soit validée. Elle nous a été donnée à travers la sensorialité visuelle de Mr. J. Le système défensif nous a paru ici mis à l’épreuve mais soutenant. L’hypothèse d’une réédition oedipienne semble avoir été confirmée par un hyper-investissement narcissique du lien générationnel. Enfin, la structure psychique de Mr. J nous a parfois semblé ébranlée par les représentations fantasmatiques et anticipatrices non encore soupçonnées par le conscient. L’ensemble du protocole de Mr. J nous a laissé penser que le pôle de l’angoisse automatique de l’anticipation ait été plus sollicité. Néanmoins, nous savons que la période prénatale est particulièrement pesante en remaniements psychiques de tout ordre propres à chaque vécu. Les possibles difficultés d’anticipation ponctuelles de Mr. J seraient donc très relatives et, à certains moments constructives. Monsieur G : Nous avons choisi de présenter les réponses de Mr. G parce qu’elles nous ont paru assez surprenantes, nous rappelant la singularité des histoires. La réactualisation des fantasmes de scène des origines nous a semblé très ténue dans le protocole de Mr. G. 92 En effet, la restriction des réponses ne nous permet pas d’aller dans le sens de la validation de l’hypothèse formulée. Cependant, cela pourrait être le signe de représentations trop équivoques pour être livrées. La partie histoire générationnelle nous a semblé très empreinte de processus défensifs de type contrôle, restriction, évitement et critique du matériel. « Passeur de témoin trans-générationnel », Mr. G nous a semblé s’inscrire dans une filiation du corps à corps, où la logique de la continuité serait largement investie. Le réseau identificatoire nous a semblé en pleine réorganisation, parsemé de quelques contre-identifications paternelles. Un pôle ambivalenciel serait également perçu. La réédition de la conflictualité oedipienne pourrait se confirmer. Les capacités anticipatrices de Mr. G nous ont semblé apparaître mais très réprimées par un contrôle presque rigide de la vie fantasmatique. La barrière préconscient-conscient ne nous a pas semblé aussi perméable que nous aurions pu le penser. Une mise en récit de bonne qualité, mais plutôt banalisante et souvent dans la critique ou l’évitement viendrait comme suspendre les émergences fantasmatiques. Il nous a semblé y avoir une possibilité d’anticipation (dialogue protophasique, mise en scène d’interactions…), mais cela ne serait pas adéquat de situer Mr. G dans notre variable de l’anticipation puisque le protocole n’est pas complet. Beaucoup d’éléments nous manquent pour pouvoir confirmer l’interprétation donnée. Nous avons pu constater que nos trois sujets semblaient investir chacun un type de filiation plus particulièrement : respectivement les filiations symbolique, narcissique et corps à corps. Une réédition de la problématique oedipienne nous a semblé apparaître pour nos deux principaux sujets mais aussi pour Mr. G. Nous avons pu constater pour nos deux principaux sujets une véritable réactualisation des fantasmes et notamment des fantasmes de scène des origines. 93 Pour tous nos sujets et plus spécifiquement dans les protocoles complets, il nous a semblé émerger des représentations anticipatrices paternelles prégnantes. Néanmoins, leur qualité nous a semblé relativement variable sur notre échantillon ; plus ou moins exprimées ou inhibées, oscillant entre le pôle angoisse automatique et le pôle angoisse signal d’alarme, les projections anticipatrices nous ont paru constructives et organisatrices. Nous regrettons de ne pas avoir pu rencontrer Mr. G pour la passation de la bande sonore afin de mieux définir la qualité de ses représentations. Nous regrettons de ne pas avoir pu réaliser une recherche dont l’échantillonnage ait été représentatif, néanmoins, nous nous réservons la possibilité de le faire plus tard. Bien que le matériel projectif ait été une source d’éléments cliniques particulièrement intéressants, nous regrettons également de ne pas avoir eu un étalonnage des outils. Si nous devions réaliser la recherche dans un laps de temps plus élargi, nous pourrions éventuellement créer nous-même une bande sonore comparative avec une image. Nous pourrions également prévoir une rencontre postnatale pour démontrer d’une possible mise en scène de certains fantasmes. Nous nous sommes également demandé ce qu’il en était des représentations anticipatrices paternelles de très jeunes adultes voir adolescents (peut-être qu’un échantillon sur une tranche d’âge de 15 à 20 ans serait intéressant) ; de même qu’en est-il des représentations anticipatrices des hommes déjà pères ? Qu’en est-il de celles de futurs pères adoptifs ? Nous pourrions décliner la question sur de nombreux niveaux. 94 7 : CONCLUSION In fine, nous avons pu constater un processus de paternalité complexe. La paternalisation et la paternification sont des éléments constituants de la constellation paternelle. L’évolution de cette constellation traverserait toutes les étapes de la vie et s’originerait dans le vécu générationnel. La substance trans-générationnelle et intergénérationnelle serait revisitée par la conflictualité oedipienne dans une réorganisation intense des identifications. Nous avons pu voir que la fonction paternelle représenterait non seulement une loi, une triangulation mais également un objet de relation et qui plus est, de relation d’objet virtuel pour le devenant père. Il serait le pont qui relie future mère et bébé virtuel. D’autre part, nous avons pu mettre en relief une variabilité des représentations anticipatrices paternelles. Celles-ci nous ont semblé nécessaires à l’élaboration parentale. « A consommer avec modération », l’anticipation serait une fonction essentielle au processus de paternalité, permettant de se préserver. Elle s’articule entre un pôle d’angoisse automatique-traumatique et un pôle d’angoisse signal d’alarme. D’un point de vue tridimensionnel, l’anticipation périnatale est comportementale, affective et fantasmatique. Elle est le « nid » de la parentalité. Si nous avions pu continuer notre recherche professionnellement, nous aurions certainement éprouvé ces représentations anticipatrices paternelles avec un outil projectif étalonné comme le TAT, puis par un entretien clinique postnatal, accompagné d’une observation des interactions père-nourrisson. L’étude aurait pu être une recherche comparative des périodes pré et postnatales. 95 8 : BIBLIOGRAPHIE 8.1 : Ouvrages ANZIEU-PREMMEREUR, C, POLLAK-CORNILLOT, M, coll, 2003, Les pratiques psychanalytiques auprès des bébés, Paris, Dunod. BENONY, H, 1998, Le développement de l’enfant et ses psychopathologies, Paris, 128. BENONY, H, CHAHRAOUI, K, 1999, L’entretien clinique, Paris, Dunod. BRAZELTON, T, B, Les compétences comportementales du nouveau-né, Le développement du bébé. BYDLOWSKI, M, 1997, La dette de vie, itinéraire psychanalitique de la maternité, Paris, PUF, 2002. CHILAND, C, 1983, L’entretien clinique, Paris, PUF, 1999. DELAISI DE PARSEVAL, G, 1981, La part du père, Paris, Le Seuil. 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