Au-delà des déchirures, Henry Bauchau

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Au-delà des déchirures, Henry Bauchau
Le 19 mars 2015
Au-delà des déchirures, Henry Bauchau
Myriam WATTHEE-DELMOTTE,
Chercheur qualifié du FNRS de Belgique, chargée de cours à l’UCL. Fondatrice du
Centre de Recherches sur l’Imaginaire. Spécialiste de l’œuvre d’Henry Bauchau,
auteur de « Parcours d’Henry Bauchau »
Dialogue avec la journaliste Pascale TISON
Henry Bauchau est né à Malines le 22 janvier 1913 et mort à Louveciennes le 21 septembre
2012.
Mme Watthee-Delmotte nous fait entendre une de ses dernières déclarations lors de la
préparation de la cérémonie de son centenaire: « J'ai écrit mon œuvre par espérance et je me
réjouis de voir qu'elle accompagne d'autres que moi ».
Henry Bauchau a eu un parcours très singulier. En effet, il écrit sa première œuvre en 1958 à 45
ans, et son premier roman « Œdipe sur la route » en 1990. Ce roman lui donne une visibilité
littéraire ; cependant, il faudra attendre 2008 pour qu’il atteigne un succès populaire, par son
roman « Le boulevard périphérique ».
Henry Bauchau a connu un cheminement important dans sa vie. Quelques flashs :
•
L’Enfant Bleu (poème et roman) : Henry Bauchau ne s’est jamais replié sur ses propres
difficultés ; il a toujours été à l’écoute des autres. Il s’est beaucoup occupé des
jeunes d’abord en tant que directeur d’école à Gstaad, ensuite comme psychothérapeute
dans un hôpital de jour pour jeunes psychotiques. Henry Bauchau s’y lie avec un jeune
psychotique, Lionel ; il se rend compte que Lionel est doué en dessin, et il le pousse à
dire son malaise dans ses dessins. Lionel deviendra un artiste réputé. Lionel apprend
également à Henry Bauchau à relativiser.
Henry Bauchau souligne l’importance de lutter contre l’adversité. Dans son poème « Le
peuple du désastre » il décrit chacun d’entre nous qui a vécu des choses qui l’ont blessé
et qu’il pourra surmonter parce qu’un jour il fera confiance à quelqu’un. Il faut apprendre à
vivre « avec ». Dans l’Enfant Bleu, quand tout semble perdu, il reste un espoir.
•
La guerre : Pendant la 1ère guerre mondiale, Henry Bauchau assiste à 18 mois à
l’incendie de la ville de Louvain alors qu’il est chez ses grands-parents ; ensuite, de par
les circonstances, il est séparé de sa mère pendant de longs mois. Cela a marqué ses
rapports avec sa mère et ses liens très étroits avec son frère ainé. Il gardera de la 1ère
guerre l’importance de s’engager pour son pays. Plus tard, il défend des idées politiques
de catholiques engagés. Il exprime l’espoir de sa génération qui aspire à un monde
meilleur. Mais parallèlement, il confie ses doutes dans sa poésie, sous le pseudonyme de
Jean Renoir.
Henry Bauchau a également connu d’autres déchirures durant cette période :
o Déchirure en amitié : il était très lié avec Raymond De Becker mais celui-ci l’a
trahi.
o Service des volontaires du travail pour la Wallonie : un mouvement patriotique
inspiré du scoutisme mis sur pied par Henry Bauchau avec des amis visant à
occuper les jeunes à la reconstruction du pays et à les soustraire ainsi à la
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propagande nazie, à la déportation et aux travaux forcés en Allemagne. Mais, les
nazis cherchent à récupérer le mouvement par le biais des rexistes et à y
introduire des collaborateurs. Les amis d’Henry Bauchau abandonnent le projet.
alors que lui s’y accroche à tort. Après la guerre, cela lui vaudra d'être accusé
d’outrage au corps des officiers.
Suite à ces déchirures, Henry Bauchau s’effondre, jusqu’au moment où Blanche
Reverchon-Jouve lui fait prendre conscience que l'écriture est la chose la plus
importante dans sa vie ; cela lui permet alors de prendre distance par rapport à son
vécu.
Henry Bauchau est revenu sur ces déchirures 40 ans plus tard dans son poème « La
sourde oreille » ou « Le rêve de Freud ».
En 2007, dans « Le boulevard périphérique », il revient sur la perte d’un ami cher mort
pendant la guerre et sur l’accompagnement de sa jeune belle-fille décédée d’un
cancer. Henry Bauchau estime que lorsque dans sa vie on est envahi par l’absurde,
on a besoin de se raccrocher à quelque chose qui fasse sens. Il ne faut pas se laisser
entrainer dans l’engrenage de la violence.
Tous les héros des romans d’Henry Bauchau sont des personnes qui ont tout perdu et
qui trouvent finalement dans leur faiblesse une force pour remonter. Ainsi, « L’enfant
rieur » (ou « Chemin sur la neige ») parle des pertes subies dans sa vie avec
lesquelles il doit vivre. Il faut accepter sa fragilité pour retrouver une force.
•
Frères ennemis : Henry Bauchau admirait son frère, mais ils étaient rivaux. Dans « La
Déchirure », il revient sur la mort de sa mère
•
Déchirures du quotidien : « Petite suite au 11 septembre 2001». Dans son journal, Henry
Bauchau se demande quelles sont les valeurs qu’on peut remettre à l’avant plan. La
beauté est une objection qui s’oppose au malheur. Et avec l’âge, Henry Bauchau doit
également admettre la vieillesse qui lui prend tout, qui l’empêche de faire tout ce qu’il
voudrait faire. Son corps lui rappelle que la mort est proche, mais il estime que la mort fait
partie de la vie.
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Réponses aux questions
1. Henry Bauchau a été psychothérapeute. La psychanalyse lui a permis de reconstruire des
pensées autres. Cela l’a aidé à donner une place à la vérité du corps.
2. Henry Bauchau épure son texte en le réécrivant plusieurs fois ; c’est la force de son
écriture.
3. A la fin de sa vie, Henry Bauchau reste en contact avec Lionel, même s’il n’est plus son
thérapeute. Lionel, ce n’est pas l’Enfant Bleu. L’Enfant Bleu, c’est l’enfant qui avait la
maladie bleue et qui était traumatisé par son opération du cœur. C’est un ange gardien ; il
est présent, il accompagne.
4. On peut voir des œuvres de Lionel entre autres au Musée de Villeneuve-d’Ascq.
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