Vente immobilière sous condition suspensive : droits d

Transcription

Vente immobilière sous condition suspensive : droits d
IPCF | Institut Professionnel des Comptables et Fiscalistes agréés
SOMMAIRE
p. 1/ V
ente immobilière sous condition
suspensive : droits d’enregistrement
et/ou TVA ?
p. 5/ B
ail entre sociétés – Aspects
comptables et fiscaux d’avantages
consentis au locataire et de paiements
d’avance consentis par lui
Dans la majorité des ventes d’immeubles situés en Belgique, les parties concluent un compromis de vente
avant la passation de l’acte authentique de vente devant
notaire.
Dans la plupart des cas également, le compromis de
vente comporte une clause conditionnant la vente à la
réalisation d’un évènement déterminé, futur et incertain et ne dépendant pas de la volonté d’une seule des
parties.
Ainsi, par exemple, les parties choisissent de conditionner la vente à l’obtention d’un prêt hypothécaire par le
candidat acquéreur, à la confirmation de l’employeur du
candidat acquéreur d’un déplacement pour des raisons
professionnelles, ou encore, à l’obtention d’un permis
d’urbanisme (anciennement permis de bâtir). Le compromis de vente prévoit alors, en principe, un délai précis dans lequel la réalisation de l’événement devra se
produire (exemple : X mois à dater de la signature du
compromis de vente).
Ces différentes conditions, dites « suspensives » , ont
pour effet de suspendre l’exécution des obligations ré1
1
sultant du contrat, ici le compromis de vente. Concrètement, ceci signifie que tant que la condition suspensive
n’est pas réalisée, le vendeur ne peut pas exiger le paiement du prix de vente à l’acquéreur et ce dernier ne peut
pas exiger de son vendeur qu’il lui délivre l’immeuble.
Autrement dit, aussi longtemps que la condition suspensive n’est pas réalisée, il n’y a pas de transfert de
propriété et donc pas de vente.
Par ailleurs, le plus souvent, les parties conviennent
également qu’une somme d’argent sera payée par
l’acquéreur à titre d’acompte au moment de la signature du compromis de vente et ce, quand bien même
la vente serait assortie de diverses conditions suspensives.
Se pose dès lors à ce moment la question suivante : quid
de l’application des droits d’enregistrement ou de la
TVA (en cas d’immeubles neufs) sur la somme d’argent
ainsi versée par l’acquéreur ?
La présente contribution tentera de répondre à cette
question. Ainsi que nous le verrons, si la réponse en matière de droits d’enregistrement est unanime, la réponse
en matière de TVA est moins évidente, notamment au
regard des règles d’exigibilité de la TVA.
Code civil, article 1181 : « L’obligation contractée sous une condition
suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou
d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties».
1
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
P 309339 – Bureau de dépôt 9000 Gent X – Bimensuel – Ne paraît pas dans les semaines 28-36
Vente immobilière sous condition
suspensive : droits d’enregistrement
et/ou TVA ?
I. Remarque préalable – Notion de
condition suspensive au regard du
droit civil
Comme nous venons de le voir, le compromis de vente
qui est assorti d’une condition suspensive a pour effet
qu’aucune vente n’a encore eu lieu entre les parties tant
que cette condition ne s’est pas réalisée. La vente n’existera qu’une fois que la condition suspensive (évènement
futur et incertain) se sera produite.
Ainsi, par exemple, le compromis de vente comportant
une clause selon laquelle la vente ne sera réalisée que
pour autant que l’acquéreur obtienne un financement
auprès d’une banque, a pour effet que la vente n’aura
pas lieu entre les parties tant que l’acquéreur n’aura pas
obtenu la confirmation de l’octroi de son prêt hypothécaire.
Que se passe-t-il quand la condition
suspensive se réalise ?
Lorsque la condition suspensive se réalise, les obligations dont l’exécution était alors en suspens deviennent
exigibles.
La vente est censée avoir été conclue rétroactivement,
c’est-à-dire dès la signature du compromis de vente soumis à condition2.
Précisons d’emblée que la rétroactivité n’est pas d’ordre
public de telle manière que les parties peuvent tout à
fait y déroger afin d’éviter ou d’atténuer certains effets3.
Que se passe-t-il si la condition suspensive
ne se réalise pas ?
Si la condition ne se réalise pas pendant le délai prévu,
les obligations nées du contrat de vente (et qui étaient
jusqu’alors en suspend) ne deviennent jamais exigibles.
Si les parties avaient tout de même déjà exécuté une partie de leurs obligations sans attendre la réalisation de la
condition suspensive et qu’au final cette dernière ne se
réalise pas, les parties devront, soit se conformer à ce
qui avait été prévu par le contrat si ce dernier envisageait cette hypothèse, soit convenir d’autres modalités
(par exemple, prolongation du délai pour la réalisation
de la condition suspensive).
Par exemple, si l’acheteur a payé une somme d’argent
au vendeur à l’occasion de la signature du compromis
de vente, en fonction de ce qui aura été prévu dans ledit compromis, soit le candidat vendeur conservera la
somme versée à titre d’indemnité, soit la somme sera
restituée au candidat acheteur.
2
Code civil, article 1179 : « La condition accomplie a un effet rétroactif au
jour auquel l’engagement a été contracté ».
3
Cass., 27 avril 1992, R.G. 9291, F-19920427-13.
2
II. Droits d’enregistrement
La conclusion du compromis de vente d’un immeuble
entraîne la perception de droits proportionnels
d’enregistrement4/5, calculés en principe sur la valeur
vénale du bien6. Ces derniers doivent en principe être
payés à l’administration dans les quatre mois de la signature du compromis de vente7.
Toutefois, lorsque le compromis de vente est assorti
d’une condition suspensive, les droits proportionnels
d’enregistrement sont suspendus.
En effet, pour le législateur, tant que la condition suspensive n’est pas réalisée, il n’y a pas transfert de propriété dans le chef de l’acquéreur. En conséquence, aucun droit proportionnel d’enregistrement ne doit être
perçu puisqu’il n’y a pas vente.
Ainsi, si pour une quelconque raison, à ce moment, le
compromis de vente est soumis à la formalité de l’enregistrement (par exemple, afin de lui conférer une date
certaine), seul le droit fixe général8 (50 euros) sera perçu et ce, aussi longtemps que la condition suspensive
n’est pas accomplie.
L’acte juridique tarifé au droit proportionnel, mais soumis à une condition suspensive, ne donne lieu qu’au
droit fixe général aussi longtemps que la condition n’est
pas accomplie.
Lorsque la condition se réalise, le droit auquel l’acte est
tarifé9 est dû, déduction faite toutefois des droits éventuellement déjà perçus.
Les droits d’enregistrement sont calculés de la manière
suivante :
– le tarif est celui en vigueur à la date à laquelle l’acte
serait entré en vigueur s’il ne contenait pas de condition suspensive;
– la base imposable est celle considérée à la date de l’accomplissement de la condition10.
En pratique, la perception des droits se fera le plus souvent en réalité au moment de l’enregistrement de l’acte
notarié de vente11 qui doit, en principe, être passé dans
les quatre mois de la signature du compromis ou dans
l’hypothèse où des conditions suspensives ont été sti-
4
Code des droits d’enregistrement, article 19, 2°. Dans le cadre de la
présente contribution, seules les dispositions applicables en Région
wallonne seront référencées.
5
Les droits sont de 10 % en Région flamande et de 12,5 % dans les
autres Régions. Diverses réductions sont en outre prévues et peuvent
réduire les droits à 5 % en Région flamande et 6 % en Région wallonne.
6
Code des droits d’enregistrement, article 46.
7
Code des droits d’enregistrement, article 32, 4°.
8
Code des droits d’enregistrement, article 11, alinéa 3.
9
Voir les tarifs mentionnés sous la note 6.
10 Code des droits d’enregistrement, article 16.
11 Pour les actes notariés, les notaires ont 15 jours pour faire enregistrer leurs actes (Code des droits d’enregistrement, article 19 alinéa 1°).
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
pulées, dans les quatre mois de la réalisation des dites
conditions suspensives.
En effet, dans la logique de ce qui a été explicité ci-dessus,
une fois la ou les conditions suspensives réalisées, il y a
transfert de propriété dans le chef de l’acquéreur et donc
perception des droits proportionnels d’enregistrement.
A titre exemplatif, imaginons qu’un compromis de vente
est signé le 5 janvier 2015: X vend à Y, sous condition
suspensive, un immeuble situé en Belgique (Wallonie).
Le prix de la vente est de 25.000 euros.
La condition suspensive prévue se réalise le 5 avril 2015.
La perception s’établit comme suit:
– lors de l’enregistrement du compromis de vente (par
exemple, les parties procèdent à l’enregistrement de
l’acte car elles veulent lui donner une date certaine), un
droit fixe de 50 euros est perçu par l’administration ;
– après l’accomplissement de la condition suspensive,
les droits d’enregistrement sont calculés en appliquant le pourcentage de 12,5%12 sur le prix de vente,
à savoir 25.000 euros. Le total des droits à percevoir
sera de 3.125 euros, moins les 50 euros déjà perçus
par l’administration, soit 3.075 euros.
Comme nous venons de le voir, en matière de droits d’enregistrement, les choses sont donc claires et limpides :
le paiement d’un acompte par le futur acquéreur avant
la réalisation de la condition suspensive n’engendre pas
la perception des droits d’enregistrement dès lors qu’à
ce moment, il n’y a pas encore eu d’acte translatif de
propriété. Ce n’est que lorsque la condition suspensive
se réalisera que l’administration sera en droit d’exiger
le paiement des droits d’enregistrement
III. Qu’en est-il en matière de TVA ?
Immeuble neuf et fait générateur
Pour mémoire, la vente d’un immeuble est soumise à la
TVA, à l’exclusion des droits d’enregistrement, lorsque
que le vendeur a construit, fait construire ou a acquis
avec application de la TVA cet immeuble et qu’il le cède,
à titre onéreux, au plus tard le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au cours de laquelle a lieu sa
première occupation ou sa première utilisation13.
Passé ce délai, l’immeuble n’est plus considéré comme
neuf et ne peut plus être vendu sous régime TVA.
Par ailleurs, la vente d’un immeuble neuf est analysée
pour les besoins de la TVA comme une livraison de biens.
Le fait générateur de la TVA et le moment où la TVA
devient exigible interviennent au moment où s’opère la
livraison de bien14, c’est-à-dire en règle générale au moment où le bien est mis à la disposition de l’acquéreur.
Vente sous condition suspensive
En TVA, lorsqu’une vente d’un immeuble neuf est faite
sous condition suspensive, l’administration a confirmé,
de longue date15, que l’existence même de cette vente est
alors subordonnée à la réalisation de la condition suspensive (évènement futur et incertain).
Aussi, l’administration a précisé que la cession d’un immeuble neuf sous condition suspensive est considérée
comme inexistante tant que la condition n’est pas réalisée16. Aucune TVA n’est donc due.
Par ailleurs, l’administration a indiqué que l’assujetti,
qui a vendu un immeuble neuf sous une condition suspensive, doit acquitter la TVA sur la valeur normale de
l’immeuble seulement si la réalisation de la condition a
bien eu lieu avant l’expiration du délai pendant lequel
un immeuble est toujours considéré comme neuf (à savoir, au plus tard le 31 décembre de la deuxième année
qui suit celle au cours de laquelle a lieu sa première
occupation ou sa première utilisation).
Concrètement, la condition doit être réalisée endéans
le délai dans lequel le bâtiment est toujours considéré
comme neuf. A défaut, cette vente sera soumise aux
droits d’enregistrement.
Prenons, par exemple, le cas d’un immeuble occupé pour
la première fois en janvier 2014 et revendu, sous régime
TVA, en mai 2015. Si la vente est conditionnée à la réalisation d’une condition suspensive, encore faudra-t-il
que cette condition se réalise avant le 31 décembre 2016.
Si ce n’est pas le cas, au moment où la condition se réalisera, l’immeuble ne sera plus considéré comme neuf
d’un point de vue TVA et la vente sera donc soumise aux
droits d’enregistrement et non à la TVA.
Qu’en est-t-il en cas de paiement d’une
somme d’argent/d’un acompte avant la
réalisation de la condition suspensive ?
Raisonnement selon d’aucuns : paiement de
la TVA
Si le principe semble acquis au niveau de la vente en
elle-même (aucune TVA ne doit être appliquée sur
le prix de vente tant que la condition n’est pas réalisée), est-ce pour autant que les mêmes règles sont
applicables lors du paiement d’une somme d’argent
(acompte) par l’acquéreur avant l’arrivée de la condition suspensive ?
14 Directive TVA 2006/112/CE, article 63 et Code de la TVA, article 16.
15 Décision n°E.T. 8140 du 6 juin 1975.
16 Décision n°E.T. 8140 du 6 juin 1975 renvoyant à l’exposé des motifs
du projet de loi créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée,
Chambre des Représentants, Session extraordinaire, 1968, n°88/1,
p.20.
12 Pour les immeubles situés en Région Wallonne et en Région de
Bruxelles-Capitale.
13 Article 12, § 2 du Code TVA.
3
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
Selon les règles d’exigibilité de la TVA, lorsque le prix
est encaissé par le vendeur, en tout ou en partie, avant
l’accomplissement de la livraison, la TVA est due à
concurrence du montant encaissé17.
Certains praticiens déduisent dès lors de cette règle
d’exigibilité que les sommes ainsi payées par l’acquéreur
au vendeur, dès avant la réalisation de la condition, sont
soumises à la TVA. La base imposable étant alors constituée par le montant total de la somme d’argent versée.
De même, selon eux, l’acquéreur assujetti à la TVA aura
le droit de déduire, selon son droit à déduction, la TVA
ainsi payée.
Cette position est, en outre, justifiée par le fait que les
avances sont indéniablement faites en contrepartie d’une
vente future, fut-elle conclue sous condition suspensive
et qu’il n’est pas question d’une gratuité quelconque
dans le chef de l’acquéreur.
Cette analyse est par ailleurs étayée par le fait que, dans
sa circulaire n°18 du 15 septembre 1994 relatives aux
« ventes à l’essai »18, l’administration n’exclut pas que la
TVA puisse être due lors du paiement d’une avance pour
une vente à l’essai, qui est une vente sous condition suspensive. Cette circulaire mentionne en effet que « le fait générateur intervient et la TVA devient exigible au moment où
s’opère la livraison du bien, sous réserve toutefois de la survenance éventuelle d’une cause d’exigibilité subsidiaire ».
On doit donc déduire de ce qui précède que, selon d’aucuns, le paiement d’un acompte à l’occasion de la signature d’un compromis de vente soumis à condition suspensive, doit être soumis à la TVA.
Quid si par la suite in fine la condition
suspensive ne se réalise pas ?
Si, in fine, l’opération ne se réalise pas, le vendeur rembourse l’acompte ou le conserve à titre d’indemnité de
dédit19.
Dans le premier cas, le vendeur qui rembourse l’acompte
devra émettre un document rectificatif qui tiendra lieu de
note de crédit. Le vendeur remboursera à l’acquéreur non
seulement l’acompte mais également la TVA appliquée
sur l’acompte. Concomitamment, si l’acheteur est un assujetti à la TVA avec droit à déduction, il reversera la TVA
à l’administration dans la mesure où il l’aura déduite.
A contrario, si le vendeur conserve l’acompte à titre d’indemnité de dédit, les conséquences pratiques sont quelque
peu différentes dans la mesure où de telles indemnités
échappent au champ d’application de la TVA (aucun montant de TVA ne doit leur être appliqué)20. Dès lors, le vendeur devra également émettre un document rectificatif.
17 Directive TVA 2006/112/CE, article 65 et Code de la TVA, article 17.
Raisonnement eu égard à la logique TVA :
non-paiement de la TVA
Compte tenu de ce qui vient d’être exposé, la question
se pose tout de même de savoir si la règle d’exigibilité
susmentionnée, prévoyant que lorsque le prix est encaissé, en tout ou en partie, avant l’accomplissement de
la livraison, la TVA est due à concurrence du montant
encaissé, trouve à s’appliquer dans le cadre de ventes
conclues sous condition suspensive.
D’emblée, rappelons, ici, que la Cour de Justice de
l’Union européenne a déjà précisé que la règle selon laquelle TVA est due au moment de l’encaissement du prix
est une dérogation au principe selon lequel la TVA n’est
exigible qu’au moment où la livraison de bien s’opère et,
qu’en tant que telle, elle devait faire l’objet d’une interprétation stricte21.
Champ d’application de la TVA : nécessité
du « caractère onéreux » de la livraison et
nécessité d’un avantage consommable
Par ailleurs, il semble que si on en revient aux principes
de base qui déterminent l’application ou non de la TVA
aux livraisons de biens, la règle d’exigibilité de la TVA en
cas d’encaissement d’une somme ne serait pas applicable
dans le cadre des ventes sous condition suspensive.
Selon ces principes, en effet, une livraison de biens ne
peut entrer dans le champ d’application de la TVA que
si les deux conditions élémentaires suivantes sont rencontrées :
– première condition : la livraison de biens (ou la prestation de services) doit être effectuée à titre onéreux,
ce qui suppose une contrepartie à payer par le bénéficiaire de l’opération. Autrement dit, les opérations à
titre gratuit ne sont pas soumises à la TVA22 ;
– deuxième condition : il doit exister un lien direct entre
la livraison de bien (ou la prestation de services) et la
contrepartie.
La base du système de la TVA est d’appliquer aux biens
(et aux services) un impôt général sur la consommation, exactement proportionnel aux prix des biens (et des
services)23. Ainsi, le champ d’application de la TVA est limité en raison de sa nature d’impôt sur la consommation.
Pour faire partie du champ d’application de la TVA, il
est dès lors impératif qu’il y ait transfert du pouvoir
de disposer d’un bien (dans le cadre d’une livraison de
biens) ou que les services fournis procurent un avantage identifiable et consommable dans le chef du client
18 Point 14.
21 Voir en ce sens, C.J.C.E., BUPA Hospitals Ltd, 21 février 2006, affaire
C-419-02.
19 Voir en ce sens, Questions et Réponses, Sénat, 2003-2004, n°3-5,
p.365, Mme Nyssens, 8 août 2003.
22 Voir en ce sens, C.J.C.E., Hong-Kong Trade Development Council, 1er
avril 1982, affaire 89/81.
20 Voir en ce sens, C.J.C.E., Société thermale d’Eugénie-les-Bains-,18 juillet 2007, affaire C-277/05.
23 Voir en ce sens, Première Directive TVA n°67/227 du Conseil du
11 avril 1967, article 2 et Directive TVA n°2006/112/CE, article 1er, § 2.
4
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
et qu’ils soient évaluables en argent. Autrement dit, si
l’acheteur paie une somme d’argent à son vendeur, il est
censé recevoir une contrepartie de la part de ce dernier.
Or, en l’espèce, logiquement, la somme d’argent versée
par l’acheteur ne constitue pas la contrepartie de la livraison de bien. Au moment où le compromis de vente
est signé et l’acompte versé, il n’y a eu et n’y a aucun
acte translatif de propriété, la vente étant conditionnée
à la réalisation d’un évènement futur et incertain. Ceci
explique d’ailleurs qu’au regard des droits proportionnels d’enregistrement, aucun droit n’est perçu.
A ce stade, non seulement il n’y a pas eu transfert de
propriété dans le chef de l’acquéreur, ce dernier n’a
reçu aucune contrepartie en lien direct avec la vente en
échange de son acompte mais et surtout, vu la condition
suspensive, l’acquéreur n’a aucune certitude quant à son
futur droit de propriété dans la mesure où il n’ a aucune
main mise sur la réalisation de la condition suspensive.
Autrement dit, si aujourd’hui, l’encaissement d’un
acompte par le vendeur est une cause d’exigibilité de la
TVA, ce principe n’est, à notre sens, pas applicable dans
l’hypothèse de la vente d’un immeuble neuf sous condition suspensive.
Un élément supplémentaire allant dans ce sens est que
si la condition suspensive ne se réalise pas, dans certaines hypothèses, le vendeur a le choix de conserver
l’acompte à titre d’indemnité de dédit.
Ceci démontre bien que l’acompte, dans certains cas de
figure, n’est pas la contrepartie d’une quelconque livraison …
IV.Conclusion
Que constater par rapport à la question posée ?
Si en droits d’enregistrement, la réponse est évidente,
comme nous venons de le voir, en TVA, le raisonnement
devrait être plus nuancé.
En outre, la question de la soumission ou non à la TVA
de la somme payée (acompte) par l’acheteur dans le
cadre d’une vente conclue sous condition suspensive
n’est pas sans conséquence pour ce dernier s’il est assujetti à la TVA avec un droit à déduction.
En effet, si la TVA a été appliquée à tort par son vendeur sur les sommes payées avant la réalisation de la
condition suspensive, l’acheteur ne serait pas en droit
de déduire la TVA. Il devrait ainsi consentir au paiement
d’une TVA, sans pouvoir, en contrepartie, la déduire. Une
telle dépense pouvant avoir, dans le cadre de certaines
transactions un impact considérable sur les liquidités
de cet assujetti, cette question revête une importance
financière conséquente pour les acteurs économiques.
Sandrina PROCEK
The Legal Side
Bail entre sociétés – Aspects comptables et
fiscaux d’avantages consentis au locataire
et de paiements d’avance consentis par lui
Lors de la conclusion d’un bail, le bailleur consent parfois certains avantages au locataire: p. ex. une dispense de
paiement de quelques mois de loyer. Inversement, il arrive
que le locataire consente un avantage au bailleur: p. ex.
en lui payant d’avance quelques mois ou années de loyer.
Comment une société, qu’elle soit bailleresse ou locataire,
doit-elle traiter ces avantages ou paiement d’avances dans
sa comptabilité? Et quel en est aussi le régime fiscal?
Le traitement comptable
d’avantages consentis au locataire
La situation envisagée
Nous visons ici la situation où le bailleur consent certains avantages au locataire lors de la conclusion du
contrat de bail: p.ex. le paiement d’une indemnité lors
de la signature du contrat, le remboursement de frais
5
effectués par le locataire (frais de déménagement, travaux d’adaptation de l’immeuble, remboursement d’indemnités de préavis payées par le locataire dans le cadre
de son précédent bail, etc.) ou une dispense de paiement
ou une diminution du loyer durant les premiers mois
du nouveau bail.
La Commission des Normes Comptables a, voici quelques
années, émis un avis sur le traitement comptable de tels
avantages1 . La CNC y énonce les principes suivants:
– il y a lieu de prendre en compte les frais et les produits relatifs à l’exercice comptable ou aux exercices
comptables précédents quel que soit le jour où ces
frais et ces produits ont été payés ou perçus, sauf si
1
Avis CNC 2012/2 du 11 janvier 2012, www.cnc-cbn.be
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
la perception effective des produits s’avère incertaine
(c’est le principe de concordance ou matching principle, tel qu’exprimé à l’article 33, alinéa 2 AR/C.Soc.);
– les avantages consentis au locataire sont censés faire
partie intégrante du bail, quels que soient la nature,
la forme ou le moment des paiements;
– vu que les frais et avantages locatifs trouvent leur
origine dans le même contrat, ils doivent aussi être
traités ensemble du point de vue comptable.
La comptabilisation chez le locataire
mensuelle de 100 euros (= 3 600 euros / 36 mois), de
sorte que le loyer mensuel moyen à mettre en frais n’est
que de 1 700 euros au lieu de 1 800 euros.
Postes du journal:
a) chez le locataire (la société A)
– les deux premiers mois
D 610
C 492
Loyer et charges locatives
à Charges à imputer
1 700,00
1 700,00
– les mois suivants
Le locataire doit étaler la comptabilisation des avantages que lui consent le bailleur sur la période locative,
en les reprenant dans son résultat comme une diminution de ses frais locatifs, non comme des produits distincts. Il doit le faire en principe linéairement2 et donc,
si le loyer est payé mensuellement comme à l’habitude,
pour le même montant chaque mois. Cette reprise étalée
dans le résultat se fait par le biais du compte de régularisation 492 « Charges à imputer ». Si le bail est résilié
avant son terme, le solde de ce compte de régularisation
est à reprendre immédiatement dans les produits de la
période concernée.
La société locataire peut reprendre en résultats au cours
de l’exercice comptable les frais qu’elle expose dans le
cadre du nouveau bail et ceux dont le bailleur la défraie
éventuellement (indemnités de préavis, frais de déménagement ou frais d’adaptation de l’immeuble p.ex.), qui se
rapportent à cet exercice comptable ou à des exercices
comptables précédents.
La comptabilisation chez le bailleur
La comptabilisation du bailleur est le reflet de celle du
locataire. Le bailleur doit donc étaler celle des avantages
qu’il consent au locataire sur la période locative, en principe linéairement, et les reprendre en résultats comme
une diminution des produits locatifs et non comme des
frais séparés. Il le fait au moyen du compte de régularisation 491 « Produits acquis ». Si le bail est résilié avant
son terme, il doit reprendre immédiatement le solde de
ce compte de régularisation à titre de frais de la période
en cours.
Exemple
Données:
La société B louera un bureau à la société A pour trois
ans contre paiement d’un loyer de 1 800 euros par mois.
En compensation des frais de déménagement de A, B
lui consent une dispense de paiement du loyer des deux
premiers mois de location. Cet avantage génère à A une
économie totale de 3 600 euros, à savoir une économie
2
Sauf si une autre base systématique est plus représentative du
rythme selon lequel l’avantage de l’actif loué décroît dans le temps.
6
D 610
492
C 550
Loyer et charges locatives
Charges à imputer
à Banque
1 700,00
100,00
1 800,00
b) chez le bailleur (la société B)
– les deux premiers mois
D 491
C 744
Produits acquis
à Produits locatifs
1 700,00
1 700,00
– les mois suivants
D 550
C 491
744
Banque
à Produits acquis
Produits locatifs
1 800,00
100,00
1 700,00
Le traitement comptable d’un loyer
payé d’avance
La situation envisagée
Parfois, dans un bail, c’est le locataire qui consent un
avantage au bailleur et non l’inverse, plus précisément
en lui payant d’avance plusieurs mois ou même années
de loyer.
La CNC n’a pas émis d’avis sur le traitement comptable
d’un loyer payé d’avance, mais les principes sont les
mêmes que ceux énoncés dans l’avis 2012/2 que nous
venons tout juste d’évoquer.
La comptabilisation chez le locataire
La société locataire doit reprendre linéairement le loyer
payé d’avance dans ses frais, en l’étalant sur la période
pour laquelle elle l’a payé (et donc pas sur la durée du
bail, sauf si le loyer a été payé en une fois d’avance pour
toute cette durée). Cette reprise étalée dans le résultat
se fait en se servant du compte de régularisation 490
« Charges à reporter ». Si le bail est résilié avant son
terme, durant la période sur laquelle porte encore le
paiement d’avance du loyer, le solde de ce compte de
régularisation ne peut pas, dans la plupart des cas, être
repris dans les frais de la période en cours, dès lors
que le bailleur remboursera normalement l’excédent
de loyer qu’il a perçu d’avance. Il faut alors créditer le
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
compte de régularisation du montant acté au débit du
compte 550 « Banque ».
D 493
C 744
La comptabilisation chez le bailleur
Ici aussi, la comptabilisation du bailleur est le reflet
de celle du locataire. Le bailleur doit donc reprendre
linéairement le loyer payé d’avance en produits en l’étalant, sur la période pour laquelle ce loyer a été payé.
Il doit pour cela se servir du compte de régularisation
493 « Produits à reporter ». Si le loyer est résilié avant
son terme, durant la période sur laquelle porte encore
le paiement d’avance du loyer, il faut procéder comme
pour la comptabilisation chez le locataire, que nous
venons d’évoquer, mais en sens inverse. Normalement,
le bailleur devra rembourser une partie du loyer qu’il
avait perçu d’avance et donc débiter le compte 493 et
créditer le compte 550.
Exemple
Données:
Le 1er juillet 2015, la SPRL A conclu un contrat avec la
SA B pour la location d’un bureau durant 3 ans, pour
1 800 euros par mois. A s’est toutefois engagée à payer
d’avance les 18 premiers mois du loyer. Elle paie donc
32 400 euros en une fois, au début du bail, puis rien
durant l’exercice comptable 2016 et ensuite 1 800 euros
par mois du 1er janvier 2017 au 30 juin 2018.
Postes du journal:
a) chez le locataire (la société A)
– lors du paiement d’avance du loyer le 1er juillet 2015
D 610
490
C 550
Loyer et charges locatives
Charges à reporter
à Banque
10 800,00
21 600,00
32 400,00
– chaque mois en 2016
D 610
C 490
Loyer et charges locatives
à Charges à reporter
1 800,00
Produits à reporter
à Produits locatifs
1 800,00
1 800,00
– chaque mois de janvier 2017 à juin 2018:
D 550
C 744
Banque
à Produits locatifs
1 800,00
1 800,00
Le régime fiscal
Une dérogation fiscale au droit
comptable
Le bénéfice imposable d’une société est déterminé
conformément aux règles du droit comptable, sauf
dérogation expresse de la loi fiscale3. Du fait de cette
« primauté» du droit comptable, la société locataire et
la société bailleresse reprennent en principe des avantages locatifs ou des paiements d’avance du loyer dans
leur résultat imposable en conformité avec leur comptabilisation.
Mais il y a l’exception à la primauté du droit comptable,
à savoir que celle-ci ne joue pas si la loi fiscale déroge
expressément aux règles du droit comptable. Et il existe
bien une telle dérogation concernant la prise en charge
des frais. Des frais professionnels sont en effet déductibles, en vertu de la loi fiscale, quand ils sont « faits »
(lisez: payés) ou « supportés » (lisez: comptabilisés)4.
Autrement dit, le principe comptable de concordance ne
joue pas au niveau fiscal pour les frais qui sont payés au
cours d’un exercice comptable déterminé, mais se rapportent en partie à un ou plusieurs exercices comptables
ultérieurs. Il est possible de déduire fiscalement de tels
frais en une fois, durant l’exercice comptable où ils sont
payés. Bref, au niveau fiscal, il n’y a pas cette obligation de comptabiliser une partie des frais en « Charges
à reporter »5.
1 800,00
– chaque mois de janvier 2017 à juin 2018
D 610
C 550
– chaque mois en 2016
Loyer et charges locatives
à Banque
1 800,00
1 800,00
Tout recours à cette dérogation fiscale implique certes
de violer la législation comptable, plus précisément l’article 33 AR/C. Soc. précité, mais le fisc ne peut pas invoquer cette violation des règles comptables pour refuser
la déduction de la partie des frais relative à un exercice
ultérieur6, dès lors qu’une loi (le CIR 1992) l’emporte
b) chez le bailleur (la société B)
– lors du paiement anticipé du loyer
D 550
C 493
744
Banque
à Produits à reporter
Produits locatifs
32 400,00
21 600,00
10 800,00
7
3
Cass., 20 février 1997, www.cass.be
4
Article 49 CIR 1992.
5
Le fisc lui-même l’a admis dans son commentaire administratif (Com.
IR 1992, n° 49/13) et la Commission de ruling aussi (décision anticipée n° 2012.471 du 18 décembre 2012).
6
Ou pour imposer une sous-évaluation de l’actif (art. 24, al. 1, 4° CIR
1992).
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015
sur un Arrêté Royal (AR/C. Soc.). Rien n’oblige bien sûr
une société à recourir à la dérogation fiscale.
Relevons, pour plus de clarté, que les règles fiscales
suivent par contre les règles comptables sur les « Produits acquis », les « Produits à reporter » et les « Charges
à imputer ». Concernant ces « Charges à imputer », cela
implique, pour la société qui omet de prendre en charge
(« supporter ») durant un exercice comptable déterminé
la partie de tels frais qui a trait à cet exercice, qu’elle ne
peut plus la déduire durant l’exercice comptable qui suit
et où elle l’a payée7!
Conséquences pour des avantages
consentis au locataire
– si cette société consent au locataire des avantages
consistant en une dispense de paiement ou une diminution du loyer (éventuellement pour le montant de
frais que le locataire a faits à l’occasion de la conclusion du nouveau bail), elle doit reprendre le loyer
moyen réduit qui en résulte dans ses produits durant
les mois pour lesquels elle consent la dispense ou la
diminution, vu qu’il ne s’agit pas là de frais qu’elle a
payés, mais d’un produit qu’elle n’a pas perçu.
Conséquences pour un loyer payé
d’avance
Pour la société locataire :
Pour la société locataire:
– cette société doit imputer le loyer relatif à l’exercice
comptable X, mais ne doit payer que durant l’exercice comptable X + 1, à l’exercice comptable X, sans
quoi elle viole non seulement la législation comptable, mais ne peut plus déduire non plus les frais en
question au niveau fiscal durant l’exercice comptable
X+1.
Pour la société bailleresse:
– cette société peut, mais ne doit pas contrevenir à la
législation comptable et prendre le loyer qu’elle paie
d’avance en une fois dans ses charges, durant l’exercice comptable où elle le paie d’avance8;
Pour la société bailleresse:
– cette société doit reporter à un exercice comptable ultérieur la partie du loyer qui lui a été payée d’avance
durant un exercice comptable déterminé, dans la mesure où elle se rapporte à cet exercice comptable ultérieur, et cette partie du loyer ne deviendra aussi imposable que durant cet exercice comptable ultérieur9.
– si cette société consent au locataire des avantages
consistant en un remboursement de frais dépensés à
l’occasion de la conclusion du nouveau bail, elle peut
(mais ne doit pas) les prendre en charge en une fois
durant l’exercice comptable du remboursement, en
violation de la législation comptable;
7
Quest. parl. n° 1088, Hatry, du 15 mai 1998, Bull. QR., Sénat, 19971998, n° 1-81, p. 4275.
Felix VANDEN HEEDE
Juriste spécialisé en droit fiscal
8
Voir Trib. Hasselt 13 octobre 2004 et Anvers 17 mars 2015.
9
Pour être complets, observons encore que si le bailleur est une personne physique qui n’est pas soumise à la législation comptable, le
loyer payé d’avance constitue pour lui, aux termes de la loi, un revenu
imposable en une fois de l’année où il le perçoit (art. 204, 1° AR/CIR
1992), mais que le fisc accepte (contra legem donc) que l’imposition
de ce loyer soit quand même étalée sur la période pour laquelle il a
été payé d’avance, tout au moins si le bailleur y marque son accord
irrévocable par écrit (Com. IR 1992, n° 13/5, 6°).
Aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans un système de récupération ou transféré électroniquement, mécaniquement,
au moyen de photocopies ou sous toute autre forme, sans autorisation préalable écrite de l’éditeur. La rédaction veille à la fiabilité des informations
publiées, lesquelles ne pourraient toutefois engager sa responsabilité. Editeur responsable : Mirjam VERMAUT, IPCF – av. Legrand 45, 1050 Bruxelles,
Tél. 02/626.03.80, Fax. 02/626.03.90 e-mail : [email protected], URL : http://www.ipcf.be Rédaction : Mirjam VERMAUT, Gaëtan HANOT, Geert LENAERTS,
Frédéric DELRUE, Chantal DEMOOR. Comité scientifique : Professeur P. MICHEL, Professeur Emérite de Finance, Université de Liège, Professeur
C. LEFEBVRE, Katholieke Universiteit Leuven.
Réalisée en collaboration avec Wolters Kluwer – www.wolterskluwer.be
8
P a c i ol i N ° 407 I P C F - B I B F / 8-21 juin 2015