MICHEL FOURCADE

Transcription

MICHEL FOURCADE
MICHEL FOURCADE
painting, photography, video, installation
«Claritas»
Jean-Paul Chavent
«Saintetés clandestines»
Mehdi Belhaj Kacem
1
MICHEL FOURCADE
painting, photography, video, installation
«Claritas»
Jean-Paul Chavent’s text
«Saintetés clandestines»
Mehdi Belhaj Kacem’s text
«untitled» photograph on Dibond 100 x100 cm 2011
2
painting page 7
photography page 31
video, installation page
43
«Claritas» Jean-Paul Chavent’s text
en Français page 3
In English page 10
Translation : Graham Long
«Saintetés clandestines»
«Secret saintliness» Mehdi Belhaj Kacem’s text
en Français page 19
In English page
35
Translation : Pierre Besses
3
Claritas
par Jean-Paul Chavent
« Le monde est cruel à l'intérieur et cinglé en surface. »
David Lynch
Lorsque Frances A. Yates, dans cette œuvre essentielle qu’est «L’art de la mémoire», propose une
nouvelle compréhension de Shakespeare en étudiant le plan du Globe Theater qui accueillait ses
pièces, elle montre comment cube et cercle participent de la « structure harmonique » de l’univers.
De la scène carrée du monde dont elle est le socle
à la scène circulaire céleste, les actions prennent
une autre signification spirituelle. À l’artiste de souffler le chaud et le froid - la vie et la mort - en jouant
avec les atomes enfermés dans le cadre (le lieu,
l’époque) comme autant de globules rouges ou
blancs (les visions, les paroles) enfermés dans les
corps. Ce lien entre art et géométrie, pressenti depuis l’Antiquité, devient éclatant à la Renaissance
avec l’invention de la perspective. On connaît la
suite. Rubens disait que la structure de base de
la figure humaine « pouvait » se réduire au cube,
au cercle et au triangle ; Odilon Redon perpétuait
une longue tradition de sphères métaphysiques ;
Cézanne admettait que l’on ne saurait peindre sans
avoir préalablement étudié le cube et la sphère,
et on sait la place du Cubisme dans l’art moderne.
L’art contemporain n’est pas en reste, depuis
l’inoxydable et aquatique Pol Bury jusqu’aux
Open cubes de Sol Lewitt, en passant par le
Ice cube de Jeppe Hein et les termesphères de
Dick Termes, pour ne citer que quelques noms
(et oublier l’impasse cinétique ou vasarelyenne)
parmi ceux qui ont eu recours à l’évidente séduction visuelle de la sphère et du cube, toutes
formes élémentaires (n’oublions pas le cône et
le cylindre) qui sont aussi à l’origine des images
de synthèse dans l’explosion de l’art numérique.
Survivant dans les plis d’une époque en perte de
repères - non par manque de sens mais par prolifération orgiaque de significations, au contraire,
Michel
Fourcade se confronte à son tour à
ces formes « simples », souvent violemment colorées, et c’est dans son œuvre aussi comme un
retour aux sources.
Passé de la brillante figuration hyperréaliste de
ses débuts à une abstraction tourbillonnante de
formes (entre réalisme et onirisme) et d’affects
enchevêtrés (entre mythe et traces intimes)
dans laquelle pyramides et obélisques poursuivaient déjà la quadrature du cercle,
il redécouvrit voici sept ans ce cube tout
droit revenu de ses études aux Beaux-Arts.
«untitled» oil and acrylic on canvas
23 x 23 inches / 60 x 60 cm 2011
L’inclusion de boules rouges et blanches lui apparut alors comme l’acte évident d’une indispensable transfusion de sens. Sans abandonner
la peinture et le dessin (je situe Michel Fourcade
à la hauteur et dans la suite d’un Joseph Sima),
sa maîtrise de la technique numérique, muée en
dialectique féconde entre le monde ancien et les
visions nouvelles, produit une avancée dans sa recherche où se retrouve son propre lexique pictural.
Car ce nouveau langage plastique est moins
fait de formes impersonnelles que de figures
symboliques riches de couleurs et de luminosité.
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À la lisière du beau et du menaçant (ces
images sont à la fois délectablement pleines et
désespérément vides) se produit un avivement
cruel de la transparence, un effet paradoxal en
somme, comme si le diaphane, l’indécis, l’âpreté
frêle et dense des œuvres de pinceau et de crayon,
certain mysticisme même, venaient buter ou
aboutir ici sur cette apparente réduction formelle
de l’intériorité : splendeur géométrique de cubes de
cristal dont les atomes éblouis (ou les globules) qui
nous constituent sont irrémédiablement prisonniers.
Naufrage de l’être devenu objet ? Sous ce
simplisme d’image trop nette, il suffit de regarder les toiles et les dessins de Michel Fourcade
pour deviner qu’il n’en a pas fini d’explorer notre
noyau ténébreux : Éros est toujours là, à la jointure de formes qu’il caresse de son pied ailé.
Avec ses plus récentes peintures, la série qui entoure « Bob » et « Laura Palmer », Michel Fourcade plonge plus avant dans l’intimité de l’image:
des corps et des visages qui affichent leur vulnérabilité pour mieux laisser explorer leurs propres
frontières physiques. Des mains surnuméraires,
trois jambes et des corps clivés ou dédoublés surgissent comme pour amener la sensibilité à s’ouvrir et éros à élargir ses mystères à tout l’espace
psychique. Torturant maniérisme d’une fragmentation enchevêtrée des gestes et des attitudes qui
provoque le même égarement dans ce qui est
montré que chez celui qui regarde. Une distance
ironique aussi, esthétisante comme pourrait être
la gêne de qui ne ferait qu’assister à une séance
sadomasochiste et choisirait froidement de focaliser sur l’éventail des formes et leur transformation
plutôt que sur l’obtention de sa propre jouissance.
Désir, plaisir, souffrance, émotion sont ici plastiquement questionnés. On pourrait nommer
perversion de l’expressionnisme cet entêtement sur lequel l’œil bute et parler de figurable
plus que de figuration. Refiguration ? À condition d’ajouter que ce qui nous trouble dans ces
chimères d’un auto-engendrement des corps est
la fragmentation de l’identité elle-même, la nôtre
comme celle des sujets représentés. Que reste-til de l’identité (du peintre, du modèle) quand la
subjectivité éclate ? Moins que jamais Fourcade
ne peint l’univocité du réel mais son ambiguïté.
Il peint la fin de l’illusion d’une continuité possible, non comme le firent les cubistes en multipliant le point de vue, mais en fixant sur un seul
corps la multiplicité fantasmatique qui nous
peuple, nous divise ou nous augmente parfois.
Mais dans ce nouvel espace (commotion brève
d’un constructivisme numérique contre révélation
lente de la peinture), ce qui se joue entre l’ambiguïté de l’art ancien et l’idée pure (et courte) du
nouveau, se dit peut-être là : claritas (Joyce dit,
après saint Thomas, que la claritas correspond à la
troisième qualité du Beau: « instant où la quiddité de
l’objet, comme portée à l’incandescence, atteint
le point d’ultime irradiation par où se révèle son essence. L’objet devient soudain la chose qu’il est »).
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Il peint notre subjectivité qui déborde et se brise.
Il peint autant l’imbrication du réel et de l’imaginaire que ce qui l’indétermine et le disloque. On
est dans le temps, dans cette ressaisie propre à
la peinture, plus que dans la successivité, privilège
du cinéma dont il lui arrive de s’inspirer (fondus
enchaînés). On est devant la recomposition de
moments transfigurés et emportés par un geste lyrique, mais comme souvent chez Fourcade, lyrisme
contrarié par quelque brutalité polymorphe, des
couleurs trop pures, vives, brûlantes ou agressives
qui cassent immédiatement la croyance figurative.
En remodelant les structures de la représentation
au profit de la seule peinture, en convertissant la
dissonance en loi, en déconstruisant ces greffes
insolites, le regardeur réinvente le sujet qui surgit
alors vers nous de l’intérieur. Comme dans un film
de Lynch les analogies initiales se déduisent des
interprétations successives et font surgir un entredeux du rêve et du réel, bien différent de ceux que
nous croyions connaître ou avions cru percevoir.
Mais l’analogie s’arrête là : autant le cinéma
de Lynch invite au déchiffrement, autant les toiles
de Michel Fourcade s’offrent d’emblée, comme
si l’enchevêtrement des gestes, leur connexion
directe entre deux temporalités étaient l’aboutissement de ces déchirures du sens en un seul
flash mental. Un monde séparé en deux espaces non raccordés chez le cinéaste, un seul
bloc d’évidence sans reste chez le peintre.
Dans les deux cas, écran ou toile, un lieu d’initiation érotique d’où surgissent en surface comme
en profondeur, le visible et l’invisible qui sont, via
la beauté toujours un peu monstrueuse, notre voie
d’accès aux deux faces du monde. Aucune symbolique dans ces toiles ni de goût pour le bizarre
mais une véritable et inquiétante étrangeté dans
l’apparition d’un éros sauvage en train de s’engendrer lui-même et, littéralement, sous nos yeux.
S’il est encore un art dans la trans ou la post
humanité qui vient, il devra quelque chose aux
épiphanies provoquées ici par Michel Fourcade.
Jean-Paul Chavent, Novembre 2012
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
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«I want love» Installation gallery «Le Garage»
photograph, drawings and text 2006
«Tu recueilles ce qui reste au bout du désir, une échappée de lumière qui aurait croisé la détresse”.
«You collect what stays at the end of desire, a breakaway of light which would have crossed distress”
7
painting
«untitled» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
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painting
«Chelsealdorléans» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
9
painting
«untitled» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
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Claritas
by Jean-Paul Chavent
“The world is cruel inside and cracked on the surface”
David Lynch
When Frances A. Yates, in that essential work
From the brilliant hyperrealistic figuration , when
that is “L’art de la mémoire», proposes a new
he started , to a swirling abstraction of forms
understanding of Shakespeare in studying the plan (between realism and dreams ) and muddled of the Globe Theater which welcomed his plays,
feelings (between myth and private traces) in
she shows how cube and circle are included in
which pyramids and obelisks already pursued the
the “harmonic structure”of the universe. From the
squaring of the circle, he rediscovered , seven
square stage of the world which is its base to the years ago , that cube directly issued from his studies
celestial circular stage , acts have another spiritual
at the Beaux- Arts. The inclusion of red and white
signification. It is up to the artist to blow hot and balls appeared to him as the evident act of an
cold - life and death- by playing with the atoms
indispensable transfusion of sense. Without leaving
locked in the area (the place, the time) like as many
the painting and the drawing (I place Michel
red or white cells (visions, words) closed in bodies.
Fourcade at the level and in the continuation of
This link between art and geometry, known since
Joseph Sima), his mastery of the digital technology,
Antiquity, becomes dazzling in the Renaissance
transformed into a fruitful dialectic between the
with the invention of perspective. We know what
ancient world and the new visions, is a step forward
followed. Rubens said that the structure of the
in his research where his own pictorial glossary sits.
human face ”could” be reduced to a cube, a circle and a triangle ; Odilon Redon perpetuated
a long tradition of metaphysical spheres; Cezanne
admitted that one couldn’t paint without having
first studied the cube and the sphere, and
we know the place of Cubism in modern art.
This idea is still present in Contemporary Art,
from the non-oxidizing and aquatic Pol Bury up
to The Open Cubes of Sol Lewitt, passing the
Ice Cube of Jeppe Hein and the termespheres
of Dick Termes, to name a few artists (and to forget the Kinetic or vasarelyenne dead-end)
among those ones who had recourse to the
clear visual seduction of the sphere or the cube,
all elementary forms (let us not forget the cone
and the cylinder) that are also the origin of
synthetic images in the explosion of the digital art.
Surviving in the folds of an era losing points
of reference - not by
proliferation
orgiastic
Michel
Fourcade
for want of sense but
confronts
of
significations-
himself
to
these
“simple” forms, often violently coloured, and
this is in his work like a return to its origins.
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
For this new plastic language is made less of
impersonal forms than of symbolic figures rich
in colours and light.
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At the verge of the beauty and threat ( these may be said there: claritas (Joyce says, after Saint
images are both delightfully full and desperately
Thomas, that claritas is linked to the third quality of empty), it produces a cruel increase of transparency,
beauty: “ instant when the quiddity of the object,
a paradoxical effect in fact, as if the translucent,
like brought up to incandescence, reaches the
the indecisive, the frail and concentrated bitterness
final radiation point where its essence is revealed.
of brush and pencil works , even some mysticism,
The object suddenly becomes the thing it is”).
came to bump into or lead to that apparent
reduction of the interiority: geometrical splendor
With his most recent paintings, the series of
of crystal cubes the dazzled atoms (or balls) of
“Bob” and “Laura Palmer”, Michel Fourcade
which we are made of are irretrievably prisoners.
plunges more into the intimacy of the image:
bodies and faces which show their vulnerability
for a better exploration of their own physical limits.
Too many hands, three legs and split bodies or
divided in two appear suddenly as if to bring the
sensibility to open and eros to enlarge his mysteries
to the psychic space. Tormenting mannerism of
an entangled fragmentation of gestures and
attitudes which provokes the same distraction
in what is shown and in the one who watches.
An
as
ironical
could
be
distance
the
also,
aesthetically
embarrassment
of
the
one who just sees a sadomasochist session
and would choose to concentrate on the
range
of
forms
more
than
on and
their
gaining
transformation
pleasure
from
it.
Desire, pleasure, suffering, emotion are here
plastically questioned. One could name perversion
of expressionism that stubbornness on which the
eye stumbles and speaks of represention more
«untitled» drawing on paper 40 x 29 inches /
100 x75 cm 2011
than figuration. Re-figuration? Provided we can say
also that what disturbs in these chimeras of a selfgeneration of bodies is the fragmentation of the
identity itself, ours like the ones of the represented
The wreck of the human who became an object ?
subjects. What remains of the identity (of the painter,
Under this simplicity of too neat an image, it is
of the model) when the subjectivity explodes? Less
sufficient to watch the paintings and the drawings
than ever does Fourcade paint the univocity of
of Michel Fourcade, to guess that he has not finished reality but its ambiguity. He paints the end of the
exploring our dark nucleus: Eros is still there, at
illusion of a possible continuity, not as the cubists the joint of forms he caresses with his winged foot.
did in multiplying the points of view, but in fixing on
But in this new space (brief concussion of a digital a sole body the fantastical multiplicity that inhabits
constructivism against the slow revelation of the
painting), what plays between the ambiguity of
ancient art and the pure (and brief) idea of the new,
us, that divides us or sometimes increases us.
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He paints our subjectivity that overflows and
breaks.
He
paints
as
much
the
implication
of the reality and the imagination as what
If there is still an art in the trans or post-humanity
that comes , it will owe something to the
epiphanies caused here by Michel Fourcade.
undetermines it and breaks. We are in the time,
in this self-control special to the painting, more
Jean-Paul Chavent November 2012
than in a succession, privilege of the cinema
which he gets inspiration from, sometimes (fade
in - fade out). We are facing the recomposition
of transfigured instants and moved by a lyrical gesture, but as often with Fourcade, lyricism is
impeded by some polymorphous brutality , some
colours too pure, vivacious, hot or aggressive
which immediately break the figurative belief.
By remodeling the structures of the representation
to the benefit of the sole painting, converting
the dissymmetry into law, breaking the unusual
transplants, the observer re-invents the subject
which appears suddenly to us from the inside.
Like a movie from Lynch the initial analogies are
deduced from the successive interpretations
and make something between dream and reality appear, very different from what we
believed to know or had believed to see.
But the analogy stops there: the cinema of
Lynch invites to decipher, while the paintings
of Michel Fourcade offer immediately, as if
the tangle of gestures , their direct connexion
between two instants were the outcome of
these tearings of sense in an only mental flash.
A world separated into two spaces not joined
with the movie maker, one block of evidence with
nothing left , with the painter. In both cases, screen
or canvas, a place of erotic initiation where in
surface as in depth, the visible and the invisible
appear which are, via the beauty, always a little
monstrous, our road to the two faces of the world.
Neither
symbolism
in
these
paintings
nor
taste for the strange, but a real and worrying
strangeness in the appearance of a wild eros
generating himself and literally under our eyes.
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
13
painting
«untitled» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
14
painting
«SawMill» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
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painting
«Laura Palmer» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
16
painting
«untitled» oil and acrylic on canvas 24 x24 inches / 60 x 60 cm 2012
«untitled» oil and acrylic on canvas
24 x24 inches / 60 x 60 cm 2012
17
painting
«untitled» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
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painting
«ChelseaBalls» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
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Saintetés clandestines
Michel Fourcade est, avant tout, un coloriste
d’exception. Très arbitrairement, c’est-à-dire selon
ma seule expérience subjective de spectateur,
je placerais son travail sous l’invocation de trois
artistes : Francis Bacon, Edward Hopper, et Yayoi
Kusama. Le choix n’étant d’ailleurs pas seulement
fait en vertu du caprice dilettante, ni pour rendre
l’hommage dû à Michel en le plaçant aux côtés
d’artistes de son rang, ni même pour réellement le
comparer à aucun de ces trois artistes pris isolément.
C’est par l’entrecroisement des trois références
que je voudrais que nous arrivions à toucher du
doigt, non ce que Michel devrait à ces trois-là, ou
aussi bien à d’autres, mais l’absolu de sa singularité
d’artiste. C’est donc par commodité critique et
discursive ; qu’on veuille bien me le pardonner.
Bacon, pour l’intensité du travail coloriste. Hopper,
pour l’hyperréalisme. Kusama, pour l’omniprésence
troublante des « pois ». Ou des billes. Ou des boules.
par Mehdi Belhaj Kacem
Disons, pour dissiper toute accusation
de complaisance amicale, qu’il y a une
incontestable vulgarité dans le panel motivique
de Michel, du moins une moitié de ce panel.
C’est pourquoi, et ce n’est pas davantage pour
complaire, il faut mettre le mot entre guillemets :
cette « vulgarité » est, justement, le motif de la
bonne moitié de ces toiles, non leur traitement.
Et encore : celui-ci utilise tout de même des
couleurs particulièrement violentes, bien plus
que chez Bacon. En elles-mêmes, ces couleurs
ont souvent quelque chose de criard, quand
chez Bacon elles étaient « simplement » criantes.
Pourtant, le résultat atteint à quelque chose
de l’harmonie convulsive de Bacon. Mais par de
tout autres détours. Quelle est cette « logique
de la sensation », comme disait Deleuze au sujet
justement de Bacon, qui en différencie Michel
tout en le faisant rejoindre l’irlandais alcoolique ?
Oui, Michel est un des rares peintres (d’aucuns
diraient, sarcastiquement : des rares peintres, tout
court, ha-ha-ha) à soutenir la comparaison, dès
le premier coup d’œil, avec Bacon. Même si sa
thématique paraît se rapprocher davantage de
celle de l’ennemi le plus intime de Bacon, Lucian
Freud (pour l’hyperréalisme, nous y venons), le
fait est que cette thématique soit attaquée par
les moyens, comme disait Artaud, de la pure
« peinture peinte » (au sujet non fortuit de cet
autre immense coloriste qu’était Van Gogh :
« peintre qui n’est rien que peintre », ce sont
les mots exacts et évidemment transposables
à Michel), c’est-à-dire de la couleur pure. L’embarras pourtant m’a immédiatement saisi
à cette évocation,
pourtant irrésistible, quand
je fus à l’appartement de Michel, entouré de
toutes ces toiles.
L’embarras ne tenait pas tant, comme on
le croit sur le moment, à la psychologie de
la comparaison (« quand même, comment
peux-tu comparer ton ami Michel au grraaand
Bacon ? ») ; immergé dans la puissance
immédiate de sa peinture, il me fallait du recul
pour dégager la raison profonde de l’embarras.
«untitled» oil and acrylic
on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
20
Je n’ai pas placé ce dernier adjectif par
frivolité anecdotique. Je tiens à dire en passant
que Michel ne boit pas une goutte d’alcool,
ni ne consomme de drogues. Il n’en a pas, il
n’en a plus besoin. L’effet quasi psychédélique
de ses toiles, sa violence hallucinatoire, nous
disent quelque chose de précis sur le glissement
d’époque qui s’est opéré, de Bacon à lui.
Pour tout dire, ces toiles créent quelque chose
comme un psychédélisme de la quotidienneté.
Et ce n’est pas Michel qui, par afféterie d’artiste,
«psychédéliserait» le quotidien.
La vérité
qu’atteignent ses peintures, c’est que c’est le
quotidien lui-même
qui est devenu, depuis…
depuis combien, au fait ? vingt, trente ans ?
Psychédélique.
Si les couleurs sont si violentes, évoquant
justement le registre criard du psychédélisme
des années soixante et soixante-dix, c’est qu’il
n’est absolument plus besoin de consommer
des drogues pour que la réalité explose, à tout
instant, d’une violence émotive, d’un viol nerveux
perpétuel, dont les couleurs sont celles du vieux
« psychédélisme ». Celui-ci, nous le savons à
travers Huxley, Leary et surtout Burroughs, n’était
pas une échappée dans quelque arrière-monde.
Chez Burroughs plus que chez quiconque, les
expériences psychotropiques des années de la
« libération » eurent la lucidité de diagnostiquer,
-nous dirons plus loin pourquoi et surtout comment-,
que ces drogues ne nous donnaient pas accès à
un monde « meilleur », ni même « autre », mais
bien au nôtre, tel qu’en lui-même, simplement
intensifié, jusqu’aux limites du supportable. Pour
ceux, et quoique la plupart de ceux qui en ont
fait l’expérience ne voudraient pour rien au…
monde ne pas l’avoir faite, ils savent aussi bien
que cette intensification n’est pas forcément
un gain. Elle était une installation définitive
dans une violence perceptuelle constante.
Or, ce monde, ce n’était pas le monde « de
la drogue », c’était le monde qui venait. Ce que
Burroughs a compris. Et ce dont, aujourd’hui, la
peinture de Fourcade, Michel du prénom, nous
tient quitte : le malentendu « contemporain »
(disons, pour aller d’un seul adjectif et éluder
« l’art contemporain » : « houellebecquien »)
consiste à dire que la réalité est devenue sordide,
sinistre, dépressivement terne et monocordement
ennuyeuse, etc. Mais on prend ici le résultat (la
dépression démocratisée, l’évidement affectuel)
pour ce qui la cause : la réalité elle-même. Et celleci n’a rien de terne, d’ennuyeux, d’immédiatement
dépressif en elle-même. Elle est au contraire
constamment agitée, convulsive, obligatoirement
« passionnante » : psychédélique objectivement.
Voilà ce que la peinture de Michel, et c’est le
trait « hopperien », nous fait quasi littéralement
toucher du doigt. Tout, des expériences « élitistes »
des artistes d’antan, s’est banalisé. « La beauté
sera convulsive ou ne sera pas » : le bon Breton
avait prophétisé un peu trop juste. Comme toute
prophétie exaucée, le résultat n’est pas tout à
fait à la hauteur du fantasme qui en ouatait les
contours. Et cela, une fois de plus, non en mode
« houellebecquien » : les traits vaporeux du
rêve se dissipant pour faire place à des contours
crus ; les couleurs éclatantes par un délavé
généralisé de réveil chargé. Non : les contours,
après coup, sont en excès, définitivement perdus
et brouillés ; les couleurs, encore plus agressives
que dans le trip, assignées à résidence flashy.
«Anthony Braxton» drawing on paper
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2011
21
Que faire après l’orgie ? demandait Baudrillard
au sortir de la grande période de « libération »
sixties-seventies. C’était la période de transition,
les années quatre-vingt, qui fait place au monde
qui s’est définitivement installé : le psychédélisme
obligatoire, omniprésent, éternisé. La question
étant bien plutôt, celle que la peinture de Michel,
la seule à ce point, pose : que faire dans l’orgie
perpétuelle ? Que faire dans la vitesse de
libération permanente à quoi sont soumis les corps
et leurs sensations ?
Comme chez Freud et Bacon du reste, il y a
une « christologie » évidente dans la peinture de
Michel. Mais c’est une christologie démocratisée.
L’épreuve de l’extrême que firent, pendant près
de deux siècles, tous les artistes dignes de ce nom,
désormais est le lot commun. D’où la « vulgarité »
motivique, qui ne puise plus ses causes dans
l’instinct contre-culturel qui en fit tant attaquer le
bon goût de la culture bourgeoise par le mauvais,
ni par le chantage déflationniste plus récent de la
postmodernité (trafic de clins d’œil d’initiés d’un
côté, apagogie cynique de la « transfiguration
du banal », de l’autre). Mais par la nécessité
de rendre raison de ce qu’est devenue cette
épreuve de l’extrême. En d’autres termes, il n’est
pas jusqu’à ce que Bataille désignait comme
« expérience-limite », avec un héroïsme d’époque
qui l’exceptait encore, et terrorisait le monde des
lettres, qui ne soit devenue celle de tous.
Cette expérience, anti-hégélienne, désignait
la montée aux extrêmes de l’individu désœuvré,
arrivé après l’accomplissement de l’Histoire par le
travail et le progrès, et qui n’avait plus qu’à se
prélasser jusqu’à la fin des temps dans le luxe,
le plaisir et le jeu. Somme toute, nous y sommes,
quand bien même la majorité de l’humanité,
hors la muraille impitoyable que dresse contre
elle l’occident, n’y accéderait pour l’instant pas.
Elle demeure dans l’enfer hégélien, qui pourrait
bien s’avérer, en notre regard, être un paradis de
dignité ; et nous nous tenons dans le « paradis »
de Bataille, qui n’eut jamais le manque de lucidité
de le distinguer de l’enfer.
Un jour, j’ai dit à un ami commun, Jean-Paul
Chavent comme par hasard, au sujet du film Les
valseuses de Blier, qu’il s’agissait de « mai 68, vu
par les beaufs ». Le fait que Fourcade partage la
thématique de Blier n’en fait pas moins qu’il n’y a
rien de plus éloigné de son univers que sa peinture,
quand on regarde au résultat. Car au bout du
rendu intensif, par la couleur, de l’expérience des
limites banalisée, et donc de ce que je n’appelais
que par provision sa « vulgarité », se dégage
de toutes ces peintures une certaine sainteté -non
celle du peintre directement, mais celle de ses
modèles, ce qui ne laisse pas, par discrétion et
abnégation, de redoubler celle de l’artiste, mais
comme clandestinement-.
Des saintetés clandestines, voilà peut-être ce qu’il
nous faut.
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
22
Quand ce sont les paysages urbains et non plus
les corps qui sont enregistrés dans leur dislocation
interne, subjective-objective, ce « convulsivisme »
de la ville elle-même que l’image filmée ou
photographiée ne capture jamais, alors, on dirait
des églises et des abbayes modernes. Celles
où nous célébrons chaque jour, sans rien faire
qu’exister, le triomphe et de Bataille et de Breton,
comme on célébra si longtemps Paul ou Augustin :
partout la beauté est devenu convulsive, partout
la religion est celle de l’excès. Le vingtième siècle
spirituel et artistique a, en somme, triomphé à
plates coutures.
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
Nous n’avons rien eu d’autre qu’une involution,
qu’un court-circuit foireux du « sens de l’Histoire »,
et quant à la panacée bataillienne qui était
censée nous en délivrer initiatiquement, elle s’est
révélée au contraire être le seul antidote de
l’homme et de la femme « moyens » (cela dit
sans la moindre connotation péjorative), non pas
à l’accomplissement du sens de l’Histoire, mais
à sa banqueroute totale : son rétroactif n’avoirjamais-eu-sérieusement-lieu.
L’expérience-limite est devenue la seule possibilité
d’exister. Le résultat de sa saturation, c’est en
effet un devenir-terne, dépressif : un évidement.
Là-dessus le diagnostic de Houellebecq est
implacable. Mais ce n’est qu’un diagnostic postfestum : quelque chose de hors-champ. De même
qu’il n’y rien de tel, pour se guérir d’une bonne
cuite, qu’une nouvelle cuite, de même, l’homme
contemporain se guérit de l’excès par l’excès :
sa dépression endémique n’est qu’un interstice
entre deux convulsions routinières. Tout ceci était,
bien entendu, déjà chez Baudelaire, qu’on aura
nommé de moins en moins à tort le « créateur
de la modernité » : s’installer dans l’excès de
tous les sens comme dans une seconde nature
(« littéralement et en tous sens », ajoutera son
plus génial disciple) ; et, après, rêver du sommeil,
de la dépression atone, de l’inertie, comme d’un
inaccessible havre de paix, auquel ne donne
accès de manière stable, fort logiquement, que
la mort. Voilà ce que le talent de Houellebecq
nous cache encore : il y a un confort, chez lui
à peine dissimulé, mais déloyalement inavoué, du
dépressif. Celui-ci n’est qu’une furtive oasis entre
deux convulsions calcinantes : qui vit dans l’enfer
permanent des sensations exacerbées, trouve
au purgatoire des aires de paradis. Plutôt la mort
que la vie, quand la vie devient en perpétuelle
surabondance sensitive sur elle-même.
C’est pourquoi, dans les toiles de l’autre Michel, il
n’y a pas de mépris, de dérision, de rabaissement
du pathétique que vivent ses personnages
(comme chez le Houellebecq du nom). Pas non
plus de glorification, d’hagiographie négative
(comme on la devine encore, justement, chez
Bacon). Une très paradoxale sobriété de la transe
standardisée. Un simple enregistrement de ce
qui se passe : l’expérience-limite à portée de
tous. Il y a une justesse de ces tableaux quant à
cette christologie du banal, ou cette banalisation
de l’excès. Comme chez Bacon, et à vrai dire
beaucoup plus que chez lui, les toiles enregistrent
la dignité de la déchéance, quand elle est
devenue, dans le sillage impronostique de Bataille,
la seule façon d’être pour la femme et l’homme
contemporains.
23
C’est pourquoi aussi Michel, l’autre que le
romancier, fait constamment référence au plus
« baconien » (avec Dario Argento), si l’on veut,
de nos cinéastes : David Lynch. Celui-ci n’est pas,
comme on le dit communément, un cinéaste
de l’étrange, du fantastique, du paranormal,
de l’arrière-monde, etc. Ou plutôt, il l’est, mais
réalistement. Quand le déréglé est devenu la
règle, les personnages surlignent tous les traits
de leur normalité : les rites inamovibles de la
cuisine ou du café, l’obsession de l’hygiène et de
la ponctualité, l’âme constamment sommée de
se montrer tirée à quatre épingles. Daney disait
que tout cinéma était réaliste. Et ainsi en va-til de Lynch. Le monde convulsif, hallucinatoire,
délirant, obscurément mystique, schizophrène,
qu’il décrit, se trouve simplement être devenu
le monde « normal » (attendu que, dans la
piété puritaine comme dans l’excès orgiaque,
il n’y a de norme que normative, « seconde
nature », pour l’humain), banal, quotidien. Et
le deviendra implacablement de plus en plus.
«Bob from Twin Peaks»
oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
C’est pourquoi il est un cinéaste beaucoup
plus réaliste que l’intégralité du misérabilisme
« d’auteur » courant en France. Ces cinéastes,
comme tant d’écrivains ou d’artistes du terroir, ne
placent tout simplement pas la Misère assez haut,
ou assez bas. Elle est infiniment plus terrifiante que
ce qu’ils en disent. L’expérience intérieure de cette
Misère ne ressemble à rien de ce qu’ils en décrivent
–pour faire encore signe à Bataille-. Intérieurement
comme extérieurement, ce monde n’est pas
celui d’un purgatoire gris et ennuyeux. Il s’agit
bien d’un enfer, et Lynch, pas plus que Fourcade,
n’esthétisent de quelque façon cet enfer. Ils le
montrent simplement tel qu’il est (et, esthétique,
il l’est entre autres, héritant de toute l’histoire de
l’art, sur le mode d’un grossissement outrancier,
et parodique). On n’y devient pas si facilement
dépressif parce qu’il ne se passe rien, mais bien
parce qu’on n’a jamais le temps de s’y ennuyer :
d’échapper à la convulsion sexuelle incessante,
aux dédoublements baroques de personnalité,
à l’effritement souffreteux de toute intériorité,
que rendent les distorsions fourcadiennes de tous
les traits « extérieurs » (comme, pour le coup,
chez Bacon, bien au-delà de Picasso et Braque). Ce monde a un nom, désarmant de simplicité :
la technologie. Celle-ci est toute proche de rendre
toute drogue, toute « expérience limite » privée
et initiatique, tout retranchement aristocratique de
l’excès et de l’extase, caduques. Tout le monde
aura très bientôt, a déjà dans une vaste mesure,
accès à ce monde extatique, présenté toujours
comme paradisiaque, et pavant l’enfer d’une
beauté convulsive obligatoire. Baudrillard encore,
que Fourcade ne se cache pas d’avoir lu, aura été
le Baudelaire sardonique de ce tournant : il parlait
nommément du monde de l’extase obligatoire.
La pornographie comme extase du sexe, les
stupéfiants comme dopants extatiques de l’émotif,
le sport comme extase de l’effort physique, etc.
C’est où la comparaison avec Bacon doit être
encore poursuivie de quelques pas, pour la
faire tourner court et qu’éclate la singularité de
Fourcade dans son époque (« sa vie, son œuvre »
disait un des grands critiques d’art de notre temps). 24
Et par le détour de nos deux autres évocations.
Hopper, d’abord. L’évidence s’en impose dans
l’autre moitié du panel motivique de ces toiles que
la « baconienne » (l’orgie, la convulsion, le supplice :
nous y venons). A savoir la « paysagéité » urbaine.
Mais, là encore, avec une violence qui déplace
celle de la glaciation hopperienne. On pourrait
dire, cédant à la facilité facétieuse : Fourcade,
c’est du Hopper décongelé ; Hopper, du Fourcade
surgelé. Au-delà de la potacherie, là encore, il ne
s’agit pas de l’inspiration idiosyncrasique sublime
de l’artiste, mais de la nécessité à laquelle se
soumet son époque : cela fait longtemps que,
grâce au travail de Derrida sur la spectralité, où
l’on puiserait plus d’une application au travail
de Michel, nous savons avec Shakespeare que
« the time is (definitely) out of joint ». Mais on y
ajoutera un lemme aussi discret que secrètement
ravageur : « the space(s) is (are) out of joint ».
L’exacerbation méta-pornographique de tous
les sens, devenue la norme, c’est les contours
mêmes de l’urbanité et du domestique, dont
l’inquiétante étrangeté, chez Hopper, ressortait
encore de l’incongruité transitoire que constituait
leur traditionnelle étanchéité. Elle, devient chez
Fourcade une pure et simple dissolution : soit par
la dissolution des contours, le cas échant dans la
petite transe du subjectif, soit par l’exacerbation
des couleurs, soit par les deux. Le brouillage du
public et du privé, caractéristique de la civilisation
de l’orgiaque à ciel ouvert, s’objective plus qu’à
son tour. Hopper, pour préparer à Fourcade ? J’ose.
Oui, ce que les tableaux de Hopper promettaient,
Fourcade le donne. Et ce n’est pas un cadeau. Ni
de l’un ni de l’autre. Ce sont deux enregistrements
cliniques. Nous comprenons ce qu’avaient
d’effarant, dans leur calme même, les tableaux
de Hopper, grâce à ceux de Fourcade : nous
nous disions, sans le savoir : comment tout
cela peut-il encore demeurer aussi calme, aussi
confiné, aussi inerte, aussi privé ? Comment ces
scènes domestiques ineptes, ces paysages ruraux
triviaux, ces maisons lambda, ces gares anonymes,
etc., font-elles pour être aussi normales ?
La légendaire atonie hopperienne se saisit d’un
monde en voie de disparition, un glissement
tectonique derrière l’immobilité de tout, où c’est
tout ce qu’il y avait de plus normal qui est en train
de devenir fantastique. Sur les tableaux de Hopper
plane une apocalypse latente, qui les éclaire de
leur vraie lumière, et dans le rétroviseur mental
donne à son travail la valeur d’un immense
déterrement archéologique anticipé : un monde
bientôt enseveli, sous un cataclysme banal.
C’est de ce dernier, et peut-être de manière,
elle aussi, anticipativement commémorative,
que la peinture de Michel est le témoin capital.
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
C’est où nous croisons, pour finir, la troisième
« comparaison » : l’une des plus grandes,
et longtemps sous-estimée, de nos « artistes
contemporaines » (cette expression si décidément
horrible) : Yayoi Kusama. Pour la vision, le
« convulsionnisme », l’hallucinatoire objectivé,
bien sûr ; mais surtout pour ce « déplacement »
que Michel fait subir à ce clin d’œil (conscient
ou inconscient, peu importe : je redis que ces
comparaisons sont là par commodité critique) à
la japonaise, cette « signature » des tableaux
de Michel, dont il fit aussi des performances
étrangement proches de celles de Kusama.
25
On sait que celle-ci a eu, dès l’âge de huit ans,
la vision permanente de petits pois omniprésents,
au point de se voir elle-même comme un petit
pois perdu dans un monde de petit pois, ce qui
nous valut à la longue certaines des installations
les plus puissantes de tout « l’art contemporain »
(re-sic). Quand elle était jeune, elle participa
(sans autorisation) à la biennale de Venise
1966 en déversant 1500 boules multicolores
dans les légendaires canaux de la ville.
installation of polyester cube 31 x 31 x 31 inches /
80 x 80 x 80 cm each 2011
In front of the Island of Berder, Gulf of Morbihan
Or, Michel a fait de même (mais : au cylindre
contenant les boules près) dans une rivière, elle,
située en pleine nature (et on pressent que là est le
sens de la question que je lui adresse, indirectement,
ici). Et très précisément, la « signature » de ces
cylindres transparents de petits pois dans tous
ses tableaux (ou presque), souligne ce qui le
différencie, et désormais d’un abîme, d’un Bacon :
il y a encore chez ce dernier, au fond, une sorte
de naturalisme du supplice. Bacon ne s’interroge
pas encore sur ce qui fait de l’homme et lui seul
le Sujet de la convulsion endogène. Lisons au
hasard, sur Wikipédia, un commentaire typique de
ceux qu’inspire l’irlandais : « Ces corps ramassés
à l’extrême, tordus et écrabouillés, musculeux,
disloqués, ravagés, ces distorsions crispées, ces
contractures paroxystiques, ces poses quasi
acrobatiques, sont d’abord signes de fulgurances
nerveuses et d’un emportement furieux, presque
athlétique, plus somatiques que psychologiques
de la mystérieuse animalité d’anthropoïde
solitaire et désolée qui est en chaque homme. »
Fort juste, fort bien, -et du reste presque sans
modification transposable à Fourcade-. J’ai bien
dit : presque, un presque où tout se joue. Car
la question qu’on ne se pose à ce sujet jamais,
et que ne se posait pas encore Bacon, est
simple : qu’est-ce qui dilacère le « Corps sans
Organes » -le corps de l’affect- de l’animalité
dite anthropologique ? L’époque de Bacon fut
la dernière où la réponse pouvait encore ne pas
s’imposer sans réplique, et c’est tout l’abîme qui
sépare la peinture de Fourcade de la sienne. Les
drogues, l’alcool, et bien évidemment la peinture,
et aussi le clou qui plante un tableau ou un Christ,
ne sont eux-mêmes autres que des productions
technologiques. C’est pourquoi la technologie
machinique finit toujours, je dis bien toujours, par
objectiver les visions « subjectives » de la drogue :
la chimie distorsionniste des drogues se convertit,
quelques décennies plus tard, en mécanique
disloquée de l’excès journalier. Toutes les boucles
se bouclent, et c’est peut-être l’indice secret des
omniprésents petits pois « kusamesques ». C’est
la technologie et elle seule qui dilacère notre
affectualité animale de l’intérieur : l’homme
est l’animal traumatisé, et non pas seulement
« suprématisé », par la Science. Tel est le sujet
de ce modeste texte, et tel est l’unique sujet du
« convulsivisme » de Fourcade, qui le différencie
décisivement de ces trois arbitraires prédécesseurs.
Last but not least, la « Nature morte » en
découd avec le père de la peinture moderne,
Cézanne, qui vaut preuve. L’habituel sac cubique
de billes est là pour nous souligner –ou surlignerl’évidence : il ne s’agit pas ici de faire du
militantisme « bio », mais la coloration des fruits nous
montre que, si la production « transgénique » de
l’alimentation végétale ne se peut peindre, dans
une ascèse intérieure fidèle à Cézanne, qu’aux
couleurs du psychédélisme, c’est que l’outrance
technologique obligatoire qui nous met l’âme en
charpie est un transgénisme psychique, tandis que
le transgénique est un psychédélisme organique. 26
Pour finir, et tandis que j’achève ce texte, je reçois
la dernière toile de Michel, Chelsealdorléans. Le
courage se distingue de la témérité en ce qu’il
touche à une vérité. L’embarras tout transitoire
que d’avoir à écrire sur un ami ( même si nous ne
nous sommes rencontrés que trois fois ! ) est effacé
par la vérité qui s’impose à la fin.
Je défie quiconque de dénier que ce tableau ne
constitue un chef-d’œuvre absolu.
La peinture est morte ? Vive la peinture.
Mais, Michel, pourquoi cette disparition des billes
phosphorescentes ?...
Mehdi Belhaj Kacem Janvier 2013
«Through the Looking Glass»
2012 Video projection 18 mn
(video capture)
27
painting
«help! Marbles come back!» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
28
painting
«This is not a bondage, it’s just a painting on canvas» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2013
29
painting
«untitled» oil and acrylic on canvas 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
30
photography
«untitled» photograph on Dibond 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
31
photography
«untitled» photograph on Dibond 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
32
photography
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
«Woolworth» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
33
photography
«untitled» photograph
on Dibond
40 x 40 inches /
100 x100 cm 2012
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
34
photography
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches /
100 x100 cm 2012
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
35
Secret saintliness
by Mehdi Belhaj Kacem
Michel Fourcade is, above all, an exceptional
Even if his topics seem to be similar with those
colourist. Arbitrarily, that is according to my personal
of Bacon’s most intimate enemy, Lucian Freud
experience as a spectator, I would call upon three
(because of his hyperbolic realism, we come nearer
artists : Francis Bacon, Edward Hopper and Yayoi
to the fact ) the fact that these topics are criticized
Kusama. Moreover such a choice is not only due
through the biting view of the pure « painted
to the passing whim of an amateur, or to pay a
painting », as Artaud would say (concerning Van
tribute to Michel by ranking him among other
Gogh who was the other stupendous colourist
artists with the same standing, or even to compare
« him with any of these three artists taken separately.
the true words which obviously can be easily
I would like to reach, through the crossing of these
transposed to Michel) that is of pure colour.
a painter who is but a painter », these are
three preferences, not Michel’s debt to them, or to
many others, but his remarkable aesthetic touch.
Yet I was immediately confused by this
Therefore it is only through the convenience of my
suggestion, nevertheless irresistible, when I visited
critical discourse : please, forgive me for doing so.
Michel’s flat, surrounded by all these paintings. I
was not troubled because of the significance of
Bacon because of the intensity of his colours.
Hopper
because
of
his
hyperbolic
the comparison, as it is assumed first, « honestly
realism.
how can you compare your friend Michel
Kusama because of the disturbing presence
with the GREAT Bacon ? » ; absorbed in the
of the peas. Or of the marbles. Or of the bowls.
immediate power of his paintings, I needed to
step back to understand why I was embarrassed.
To deny any charge of friendly connivance, let
us say that no doubt there are common crude
topics in Michel’s range of paintings at least in
half of them. That is why, and even more it is not
to please, the word must be quoted in inverted
commas : this « crudeness » is indeed the motif of
at least half of these paintings, not their treatment.
And still Michel uses colours which are even
particularly intense, much more than Bacon’s.
Viewed separately, these colours look somewhat
garish, whereas in Bacon they were « just » glaring.
Even so, the outcome reaches something of Bacon’s
convulsive harmony. But through quite different
«untitled» video capture on Dibond
40 x 40 inches / 100 x 40 cm 2011
roundabouts. What is this « logic of perception »
as Gilles Deleuze used to speak about Bacon
precisely, which differentiates Michel although
Indeed, at first glance, Michel is one of
the few artists (sarcastically some would say : one of the
few painters, that’s all) to stand comparison with Bacon.
it makes him agree with the drunk Irishman ?
36
I did not use this previous adjective by way
(let us say, to use one adjective and dodge
of a frivolous anecdote. Incidentally I do mean
« contemporary art that Michel is a teetotaller and not a drug addict.
« houellebecquian He does not need them any longer. The quasi
saying that reality has become squalid, bleak,
psychedelic effect of his paintings, his violent
depressingly dull, boring and monotonous
hallucinations, tell us something accurate about
But here the effect (the democratic depression,
the changing age that took place from Bacon
the emotional void) is mistaken for the cause ;
to Michel. All in all, these paintings have a kind
reality itself. And in itself, the latter has nothing
of psychedelic effect, specific to everyday life.
dull, or boring, or instantly depressing. On the
Michel is not the artist who, out of his mannerisms,
contrary
would
inevitably exciting make
everyday
life
psychedelic.
it
keeps
», the neological one
») the latter consists in
being
restless,
etc.
convulsive,
: psychedelic, objectively.
The truth reached by his paintings is that
everyday life itself has become psychedelic for
how many years in fact ? Twenty ? Thirty ?
If his colours are so violent, rightly calling up
the garish style of the psychedelism of the
sixties and of the seventies, it is because there
is no longer a need for drugs to make reality
explode anytime in the outburst of an emotional
violence, of a never-ending nervous rape, whose
colours are those of the old « psychedelism ».
We do know that this one, through Huxley, Leary
and above all Burroughs, is not an escape into
some daydreaming world. With Burroughs, more
than with anyone, the psychotropic experiences of the age of « Women’s lib » were
perspicuous enough to diagnose, we’ll see later
on why and above all how, these drugs did not
provide us with an access to a « better » or even
«untitled» photograph on Dibond
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
« another » world, but to our world, as it really
exists, simply
intensified, within the limits of
what is tolerable.
This is what Michel’s paintings with their Hopper
typical feature, makes us touch almost literally.
Since the elitist experiments of the artists of days
For those who did experience this other world,
gone by, everything has become common.
although most of them would not have missed it at
« Beauty shall be convulsive or it will not exist » good
any price, they do know that this intensification is not
old André Breton’s prophecy was a bit too short.
inevitably an advantage. It meant to settle down for
Like all fulfilled prophecies, the result is not quite
good in the continuous violence of perception. Yet
up to the phantasm that blanketed its outlines.
this world was not that of « drug », it was the world
And once more, this is not « the houellebecquian
that was coming. This is what Burroughs understood.
style » : the hazy features of the dream melting
away to give way to garish outlines ; the faded
Our debt of the contemporary misunderstanding
is paid off by Fourcade’s paintings, named Michel
global outlook of the world when waking up drunk.
37
Afterwards the outlines exceed
not draw its origins from the counter cultural
limits, permanently lost and blurred ; even more
instinct which challenged the good taste of the
aggressive than in the trip, under arrest, as it were,
middle-class culture through the bad one, nor
flashy.
through the more recent deflationary blackmail
Absolutely not.
What is to be done after orgy ? Jean Baudrillard
of postmodern art (the trading of winks between
would ask at the end of the great age of
initiates on the one hand, and the cynical
« Women’s lib » in the sixties-seventies. It was an
illustration transforming the commonplace on
age of transition, the eighties, giving way to the
the other hand). But through the necessary
world that has set up permanently : the inevitable,
account of what this trial of extremes has become.
omnipresent, immortalized psychedelism.
In other words, even what Georges Bataille named
the « borderline experience » in a heroic age which
still made him an exception, and which terrified the
literary world, has become the practice of everyone.
This anti-Hegel experience preferred to the rise
to the extremes of the idle individual, successful
after the accomplishment of history through work
and progress, and who has nothing else to do
but lounging in luxury, pleasures and gambling.
When all is said and done, we have made it, even
though the majority of humanity would not reach
it at the moment, kept outside the merciless wall
that the West puts up against this superior number
of mankind. These people still remain in the hell
of Hegel, which could prove to be a paradise of
dignity from our point of view ; and we stand in
Bataille’s « paradise », who was always perspicuous
enough not to make it different from hell.
One day I told Jean Paul Chavent, our common
friend, quite by chance, about Bertrand Blier’s
«Moe! Staiano» drawing on paper
40 x 29 inches / 100 x75 cm 2011
movie « the Balls » that it was about « May
68 seen by the French bastards”. The fact that
Fourcade shares with Blier the same themes,
Rather the point is the question asked by Michel’s
nonetheless there is nothing more remote from his
paintings, who is the only one to put forward :
world than his paintings, when looking at the result.
what is to be done in perpetual orgy ? What is to
Because, at the end of the intensive depiction of
be done in the speed of permanent liberation to
the commonplace in the borderline experience
which bodies and their sensations are subjected ?
through colours and thus, of what is called, only
Besides, as in Freud and Bacon, there is an obvious
for the time being, his « coarseness », some kind of
« christology » in Michel’s paintings. But it is a
saintliness rises from all these paintings, not directly
democratized christology. The trial of extremes, that
the painter’s, but that of his models, which all the
all artists worthy of the name suffered during almost
same does not prevent, repeating that of the artist,
two centuries, has become the common fate.
through simplicity and self-sacrifice, but as if secretly.
Hence the motif of the commonplace that does
A secret saintliness, this is maybe what we need.
38
When urban landscapes, and not bodies,
This is what Houellebecq’s talent still keeps hidden
are recorded, broken up, in their inner life, and
from us : there is some comfort in depression,
subjective-objective, the « convulsive » picture of
which is hardly concealed but unconfessed
the town itself which is never captured in movies
and unfair.
or photos, then looks like modern churches and
The latter, which is but the glimpse of an
abbeys. The temples where everyday we sing
oasis between two burning spasms, living in
praises, doing nothing but existing, Bataille’s
the
perpetual
and Breton’s joint triumph, just as Saint Paul or
in
purgatory
Saint Augustine were celebrated for so long :
Rather dying than living, when life becomes
everywhere
beauty
has
self
everywhere
religion
is
the
whole,
the
become
that
twentieth
of
convulsive,
excess.
century,
sensitive
hell
of
finds
in
its
enhanced
areas
of
perennial
sensations,
paradise.
profusion.
On
either
spiritual or artistic, has triumphed thoroughly.
We were given nothing else but an involution, a
failed short circuit of the « meaning of history »,
and as for « Bataille’s panacea » which was
supposed to set us free from it, as his initiates,
on the contrary it turned out to be the only
antidote of « common » men and women
(without the least derogatory hint), not against
the achievement of the meaning of history, but
against its full bankruptcy : its retrospective eventthat-never-took-place-actually.
This
borderline
experience has become the only way to exist. The
outcome of the fact that it is badly congested is a
gradual depressive dullness : a sense of sewage.
About that, Houellebecq’s diagnosis is merciless.
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
But it is a post-festum one : something off camera.
That’s why in the paintings of the other
Just as nothing is better than getting drunk again
Michel, there is neither contempt, nor derision,
to recover from being plastered, it is the same
nor disparaging of the pathos suffered by his
for the contemporary man, to recover from
characters (as in the Houllebecq with is surname).
excess through excess : his endemic depression is
Nor any extolling, nor negative hagiography
nothing but a chink between two routine spasms.
(as it is still guessed rightly in Bacon). A very
paradoxical restraint of the standardized trance.
Of course, all this was already in Baudelaire,
A mere recording of what is happening : the
described less and less wrongly as « the creator of
borderline experience within everyone’s reach.
modernity » : to settle in the excess of all senses as
in a second nature, (his greatest disciple will add
There is a truth in these paintings, regarding the
in its literal and figurative meaning ») ; and
Christian ring of the commonplace or the making
then, the dream of sleep, of pathetic depression,
of excess into a commonplace. As in Bacon, and
of depressive lethargy, of apathy, just like some
in fact, even much more, in his work, his paintings
inaccessible haven of peace, only reached
record the dignity of decay, when it has become,
through death, in a lasting way and very logically.
in Bataille’s unpredictable wake, the only way of
« being for the contemporary woman and man.
39
That is why also Michel, not the novelist,
This world has a name, disarmingly simple :
constantly refers to the most « Baconian » of
technology. This system is about to outdate
our film makers with Dario Argento, if you like,
every
David Lynch. The latter is not a moviemaker
« of the abnormal, of the fantastic, of the odd,
withdrawal
of the strange, etc., as it is commonly said. Or
Very soon, everybody will have access, and
rather he is indeed, but in a realistic way. When
already to a large extent, to this ecstatic world
the unruly has become the rule, the characters
shown as paradisiacal, and paving hell with a
highlight all the features of their ordinary identity :
convulsive compulsory beauty. Baudrillard again :
the permanent rites of cooking or coffee, the
he was probably the sarcastic Baudelaire of this
obsession with hygiene and punctuality, the mind
aesthetic turn ; Michel does not keep secret the
constantly summoned to look dressed up to the
fact that he was one of his readers : especially
nines. Serge Daney used to say that any movie
he used to speak of the world of the compulsory
was realistic. And it is also the case for Lynch. The
ecstasy. Porn as the ecstasy of sex, drugs as the
world he describes, spasmodic, raving, mystical,
ecstatic doping of the emotional experience,
schizophrenic, nightmarish, has simply become the
sport as the ecstasy of physical effort, etc.
« normal » world (since, in the puritan devotion
Michel Fourcade’s remarkable singularity flashes
as in the orgy of excess, the rule can only be ruling
out in his time (« his life and work » as one of
as man’s « second nature »). And such a world
the great art critics would say in our time), exactly
will be bound to become so, more and more.
where the comparison with Bacon must be carried
drug,
every
private
or
initiate
borderline experience », any aristocratic
in
excess
and
ecstasy.
on further, to make it short. And through the cause
That is why Lynch is a film maker much more
of our two references. Hopper, first. Obviously it is
realistic than the whole French school of « authors »
essential in the other half of his paintings with its
who
sordid
range of « Bacon’s motifs » (the orgy, convulsion,
aspects of life. These film makers like so many
torture, we get to the point) : namely « the
native writers and artists do not simply put Poverty
landscaped city ». But, again, with a violence
high enough or low enough. It is much more
that
commonly
concentrate
on
the
is
beyond
Hopper’s
ice-cold
pictures.
awful than what they tell about it. The inner
experience of this Poverty is by no means similar
to what they describe – again a nod to Bataille.
Inwardly and outwardly, this world is not that of a
dull, grey purgatory. Indeed it is a hell, and Lynch,
no more than Fourcade, does not try to make it
« aesthetic » in any way. They just show it as it is
(and it is indeed aesthetic, among other things,
inheriting the whole history of art, in the style of
an extreme and parodical exaggeration). One
does not so easily suffer from depression because
nothing happens, but because one never has
the leisure to be bored in it : to escape from
the ceaseless sexual climax, the baroque split of
the dual self, the sickly crumbling of any inward
experience, conveyed by Michel Fourcade’s
distortions of all the « outward » features ( and so,
as in Bacon, far beyond Picasso’s and Braque’s).
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
40
One could say, going into a flash of wit :
Hopper to prepare us to Michel Fourcade? If
Fourcade means an unfrozen Hopper ; Hopper
I may say so. Indeed, what Hopper’s paintings
implies deep-frozen Fourcade. Beyond the teen-
promised, Fourcade gives it. And it is not a gift.
age joke, again, the joint is not the artist’s sublime
Neither from the former nor from the latter. They are
idiosyncrasy of his inspiration, but the inevitable
two clinical records. Thanks to Fourcade’s paintings
doom weighing on his times : we do know with
we understand how Hopper’s were stunning, in
Shakespeare that « the time is definitely out of
their very stillness ; we felt, unwittingly : how can
joint », a long time ago – thanks to Derrida’s
all this remain so quiet, so shut up, so lifeless, so
books on « the looming spectres » out of which
private ? All these stupid domestic scenes, these
could be drawn many ideas applied to Michel.
crude rural landscapes, these common houses,
But a clause will be added, as unassuming as secretly
these anonymous railway stations, etc., what have
devastating « the space(s) is (are) out of joint ».
they got to be so ordinary ? Hopper’s legendary
lifeless worldview seizes a vanishing world, a
tectonic landslide behind a motionless global
landscape, where all that was nothing more
natural is becoming fantastic.
A potential apocalypse hangs over Hopper’s
paintings, and it clears them up in their true
light, and, in our psychic driving mirror, they give
his work the value of a forecast archeological
boundless uprooting buried
under
a
: a world soon to be
commonplace
cataclysm.
Michel’s paintings are the essential witness of
the latter, and may be in the same prophetic,
memorial way.
Here, in the end, we come across a third
« comparison », one of the greatest «contemporary
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
artists» : Yayoi Kusama, who had long been
underestimated (this hack phrase so horrible,
really). Because of the vision, the «convulsive», the
The meta-porn exacerbation of all senses, once
hallucination, made objective, of course ; but,
it has become the rule, is to be found in the
above all, because of the « transfer » that Michel
very urban and home outlines, whose disturbing
operates (consciously or unconsciously, again I say
strangeness, in Hopper, still resulted from their
that these comparisons are here out of a critic’s
transient unseemly appearance made up with
convenience), in the Japanese way, this « signature »
their traditional watertight essence, becomes
of
in Fourcade a pure and simple disintegration :
out achievements strangely close to Kusama’s.
either
through
the
dissolving
of
outlines,
if need be, in the short trance of the subject,
or through the exacerbation of colours, or
through both. The blurring of private and public
life, the characteristic of the open-air orgiastic
civilization
becomes
objective
rather
unduly.
Michel’s paintings, with which he carried
41
We know that when she was eight, she was
Drugs, drinking, and of course, painting, and
obsessed by the permanent vision of ubiquitous
also the nail hammered into a canvass or a
peas, so much so that she could see herself as a
Christ, are only different from technical products.
small pea lost in the world of peas, which eventually
brought us some of the most powerful artefacts
That is why engineering eventually, and I say
of all the contemporary art (sic again). When
almost always, makes the «subjective» visions of
she was young, she took part in the 1966 biennal
drug addicts objective : the disfeaturing alchemy
event in Venice (unauthorized) by dumping 1500
of drugs is being converted into the broken up
multicoloured balls into the legendary canals of
mechanism of daily excess, a few decades later.
the city.
And Michel did the same (but apart
Everything loops the loop, it may be the secret
from the cylinder filled with the balls) into a river,
sign of Kusama’s ubiquitous peas. It is technology,
situated right in the middle of nature (and one
and it is the only one, that tears to pieces our
guesses that it is the meaning of the question
beastly emotions from the inside : man is a beast
I ask him, here, indirectly). And very precisely,
traumatized and not only made « superior » by
the signature of these transparent cylinders filled
science. Such is the topic of this unpretentious
with peas in about all his paintings, emphasizes
account, and such is the only topic of Fourcade’s
what makes him different from Bacon’s : from
«convulsive art», which makes him decisively
now on,
different from his three peremptory predecessors.
a chasm between them eventually,
there is in the latter a kind of naturalism in torture.
Bacon does not question what makes man
only the subject of the endogenous convulsion.
At
random,
let
us
read
in
Wikipedia
a
commentary typical of those inspired by the
Irishman « these bodies extremely crouched,
crooked, crushed, brawny, broken up, harrowed,
strained and distorted, these paroxysms and
spasms, these nearly acrobatic postures, are first
signs of nervous flashes and of a furious anger,
almost athletic, more somatic than psychic, of
the mysterious beastly presence of the solitary
distressed anthropoid animal which is in every man. »
Quite right, quite well. Besides, almost without making
an alteration it is quite transposable to Fourcade :
I did say, almost, the whole point is in the almost.
Because the question which is never asked, and
which was not yet asked by Bacon, is simple : what
is the fact that tears to pieces the « Body without
organs » , the body of the emotional psyche, of
the beast known as anthropological ? Bacon’s
time was the last one when the answer could still
be asserted without arguing, and it is the chasm
between Fourcade’s paintings and his canvasses.
«untitled» oil and acrylic on canvas
40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
42
Last but not least, Cezanne is the very proof
that the «Still Life » fights with the father of modern
painting. The usual cubic bag of balls is there
for us to emphasize, or to highlight, this obvious
fact : the question is not whether to fight for the
« organic » militancy, but the colour of the fruits
shows us that, if the «transgenic » production of
the organic food can only be painted, in an
inward asceticism faithful to Cezanne, through
the colours of the psychedelic experience,
it is because the technical compulsory
excess which tears our mind to pieces is a
psychic transgenic condition, whereas the
transgenic is but an organic psychedelic state.
While I am reaching the end of this
review, I receive Michel’s last painting,
« Chelsealdorléans ».
Courage can be
distinguished from
recklessness, because it
concerns some truth. The fact that one has to
write about a friend (even if we met only three
times) makes you feel embarrassed a while,
and it is indeed dispelled by the truth which
eventually asserts itself. I defy anyone to deny
that this painting is an absolute masterpiece.
Is painting dead ? Long live painting.
But, Michel, why have these luminous balls
disappeared ?...
Mehdi Belhaj Kacem January 2013
«untitled» photograph on Dibond 40 x 40 inches / 100 x100 cm 2012
43
installation
«Ice cup ping-pong» video projection on the «Pont Valentré» Cahors
98 x 22 feet / 30m x 7m 2010
44
installation
installation of polyester cube with table-tennis balls 31 x 31 x 31 inches / 80 x 80 x 80 cm each 2011
Marais de la Grande Brière towards Saint-Nazaire
«Through the Looking Glass» 2012 Video projection 18 mn (video capture)
45
Institut Saint-Luc à Tournai, Belgique.
Ecole des Beaux Arts Lille.
1981-1983, New York, 1989 Londres, 1991 Madrid
Some exhibitions / Quelques expositions :
Rencontres d’art contemporain Cahors 2007, 2010, 2012 “Grands Jeux” Grande Halle de la Villette, Paris, 2005
Galerie Le Garage / Art contemporain Toulouse 2004
Galerie Tiny Factory Toulouse 1998, 2000, 2005, 2011
L’Athanor Scène Nationale d’Albi 2004
“L’art sur place” Jardin Raymond IV Toulouse 2003, 2008
“Figures, Figures” Ministère des transports Paris 2002
Astrium / Matra Toulouse 2002
Le Salon Reçoit Toulouse 1994, 1998, 2005, 2010
Les Olivetains, Saint Bertrand de Comminges 1997
Galerie Agora Marseille 1996
Ecole des Beaux Arts de Paris, 1995
A. R. P. A. C. Fondation Henri-Michel Morat Montpellier 1988, 1993
A.B. Condon gallery West Broadway New York 1993
Musée Goya, Castres 1992
Galerie Pierre Lescot Paris 1992, 1998
Galerie Jacques Donguy Bordeaux, Paris, 1980, 1995
Palais des Arts Toulouse, 1991
La Tête d’Obsidienne La Seyne sur Mer 1991
Le Duc des Lombards et Le New Morning, Paris 1991
Espace Fortant De France, Sète, 1990, 1999
Galerie Beau Lézard Sète / Paris 1990, 1998
Galerie Impératif Présent Toulouse 1988
Galerie Solertis Toulouse 1988
Fondation Lila Acheson Wallace, New York, Paris 1986
Espace Croix Baragnon Toulouse 1987
Galerie Axe Actuel ( Axe Sud ) Toulouse, 1986
“A Corps écrits” Bonlieu Scène Nationale Annecy 1984
Musée d’Angoulême 1983
Musée de Lille 1983, 1993
Tours Narbonnaises Carcassonne 1983
«Lieu d’artistes» Biennale de Paris Centre G. Pompidou, 1982
Musée de Brive 1983
Galerie Le Mur Elastique, Toulouse 1983
Fond d’art contemporain du Limousin, 1982, 2000
Palais des Papes Avignon 1982, 1998
Le Parvis Tarbes, 1982
Galerie Alinéa Toulon 1980
La Mostra du Larzac 1980, 1987
Artwork Michel Fourcade O
c 2013 Michel Fourcade
Translation :
«Claritas» : Graham Long
«Secret saintliness» : Pierre Besses
www.michel-fourcade.com /
[email protected]
Éditions «Les rencontres d’Art Contemporain »
www.lesrencontresdartcontemporain.com
Ce catalogue n’aurait pas pu exister en l’état sans l’amicale
intervention de
Jean-Paul Chavent, Mehdi Belhaj Kacem,
Pierre Besses, Graham Long
Thierry Balesdens, Jackie Pannetier,
et Alain Munier,
qu’ils soient ici chaleureusement remerciés.
This catalog would not have existed as it is without the friendly
participation of
Jean-Paul Chavent, Mehdi Belhaj Kacem,
Pierre Besses, Graham Long
Thierry Balesdens, Jackie Pannetier,
and Alain Munier,
that’s why I send them my warmest thanks.
«the torero of lounge» «le torero de salon» photograph on Dibond 100 x130 cm 2011

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