1 PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR AIGUE DE L
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1 PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR AIGUE DE L
PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR AIGUE DE L’ADULTE EN MÉDECINE D’URGENCE : ANESTHESIE LOCO-REGIONALE Michel Galinski, Frédéric Adnet SAMU 93- EA 3409 – Hôpital Avicenne INTRODUCTION L’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP) a donné une définition de la douleur : « C’est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à un dommage tissulaire réel ou potentiel ou décrite en ces termes » [1]. A l’inverse de la douleur chronique, la douleur aiguë est utile et protectrice car elle constitue un signal d’alarme et de sauvegarde de l’intégrité de l’organisme. Aux urgences, 60 % des patients ressentent une douleur aiguë. Pour 85% d’entre eux, la douleur constitue le principal motif de recours [2]. La lutte contre la douleur est depuis plusieurs années une priorité de santé publique. La mise en place de directives et recommandations nationales témoigne de la volonté des institutions, et des professionnels, d’optimiser la prise en charge de la douleur [3-7]. Les objectifs de la prise en charge de la douleur comprennent sa reconnaissance, le traitement adapté à son intensité, au patient et à la pathologie, la réévaluation systématique et régulière avec un outil reproductible permettant d’apprécier l’efficacité du traitement entrepris. La plupart des études réalisées jusqu’à présent ont montré que la prise en charge de la douleur restait insuffisante en médecine d’urgences intra ou extrahospitalière [8-14]. Ceci est à mettre en parallèle avec le fait que la douleur n’est pas documentée aux urgences dans plus de 50% des cas et que 60% des urgentistes ne connaissent pas les recommandations nationales [15, 16]. 1 ANESTHÉSIQUES LOCAUX ET ANALGESIE LOCO-REGIONALE Le traitement doit être précoce et adapté au patient. Les deux grands principes généraux concernant l’analgésie sont : - la titration médicamenteuse (traitement et posologie adaptés aux besoins du patient) - l’association thérapeutique, définissant l’analgésie multimodale [17]. L’anesthésie locorégionale s’inscrit dans cette démarche d’analgésie ciblée, adaptée à la pathologie à traiter et au patient. Par ailleurs elle a sa place dans la prévention de certaines douleurs provoquées. Les blocs analgésiques se prêtent à deux situations: les traumatismes des membres et les traumatismes de la face. L’intérêt principal de l’analgésie locorégionale (ALR) en médecine d’urgence réside dans l’absence de retentissement général (neurologique central, hémodynamique, ventilatoire) [18]. Les ALR s’inscrivent dans le cadre des recommandations publiées sous l’égide de la Société française d’Anesthésie et de réanimation (SFAR), de la Société française de Médecine d’Urgence (SFMU) et de SAMU de France [19]. Le choix des techniques retenues par les experts de cette conférence a reposé sur deux principes fondamentaux : a) le rapport bénéfice/risque de la technique envisagée dans le contexte de l’urgence; b) la nécessité de minimiser le risque d’interférence avec une technique d’anesthésie locorégionale ultérieure, toujours possible pour la réalisation d’un éventuel geste chirurgical d’urgence. I. Conditions de réalisation d’une ALR L’injection de 2 à 3 ml d’anesthésique local (AL) n’impose pas plus que dans un cabinet dentaire la mise en place d’une voie veineuse et d’appareils de surveillance sophistiqués [20]. 2 En revanche, lorsque le bloc analgésique utilise les mêmes quantités d’AL que lors d’une anesthésie locorégionale "chirurgicale", les mêmes précautions s’imposent afin de garantir la sécurité du patient, qu’il s’agisse de la mise en place, obligatoire, d’une voie veineuse périphérique ou d’un monitorage adapté avant de pratiquer le bloc [21]. Les anesthésiques locaux (AL) ont une toxicité neurologique centrale et cardiaque potentielle en cas d’élévation brutale de leur concentration plasmatique comme lors d’une injection intra vasculaire accidentelle [20]. Quel que soit l’agent utilisé, les signes précoces de toxicité doivent donc être parfaitement connus. Ils sont communs à tous les AL et ne varient, selon l’agent utilisé, que par leur chronologie et la concentration plasmatique à laquelle ils apparaissent. La lidocaïne, adrénalinée ou non selon le bloc analgésique envisagé, offre le meilleur ratio efficacité/sécurité dans ce contexte, même si sa durée d’action paraît limitée par comparaison à des agents plus puissants comme la bupivacaïne et la ropivacaïne [61]. Avant la réalisation d’une ALR, il importe de faire un inventaire le plus précis et le plus exhaustif possible des lésions et de consigner par écrit les données de l’examen neurologique (motricité, sensibilité) de la zone considérée. En cas de déficit neurologique constaté à distance du traumatisme, ceci permettra en effet de se prémunir contre une incrimination hâtive de la technique locorégionale. Les classiques contre-indications aux techniques locorégionales seront respectées: allergie aux AL, infection locale, troubles majeurs de l’hémostase. La notion de traitement interférant avec l’hémostase n’est pas un facteur limitant, mais doit inciter à la prudence et à peser l’indication en fonction du rapport bénéfices/risques [19]. Enfin, la réalisation d’une ALR d’urgence ne doit pas créer un obstacle à une éventuelle anesthésie locorégionale ultérieure si le blessé doit bénéficier d’une intervention chirurgicale urgente. En fonction de l’organisation et du contexte, l’instauration d’une bonne coordination et d’un échange de savoirs entre les médecins de l’urgence et les anesthésistes paraît un élément essentiel. La mise en place de 3 protocoles définis en commun et de procédures qualité est une étape importante dans ce cadre [22]. II. ALR indiquées en médecine d’urgence - Au niveau des membres inférieurs, le bloc du nerf fémoral et les blocs de la cheville et du pied. Le bloc fémoral est adapté à l’analgésie pour fracture de la diaphyse fémorale ainsi que pour les plaies du genou [23, 24]. Il permet le ramassage, la mobilisation et le transport des blessés dans des conditions d’analgésie excellentes. Au service d’urgence, il permet sans douleur le transfert du blessé et sa mobilisation. Les effets adverses sont rares et la tolérance excellente au plan hémodynamique. Ce bloc est également efficace, bien que partiellement, pour l’analgésie des fractures du col fémoral [25]. Aucune contre-indication spécifique à ce bloc n’est retenue à l’exception des infections locales, des brûlures et/ou plaies situées dans la zone de ponction. Les blocs des nerfs du pied sont proposés pour la prise en charge des plaies (exploration, détersion, suture) du pied et/ou l’extraction de corps étrangers [26]. Cinq branches assurent l’innervation sensitive du pied et de l’avant-pied et sont bloquées en fonction de la topographie des lésions. - Au niveau des membres supérieurs, seuls les blocs tronculaires ont été retenus par la conférence d’experts pour les indications d’exploration et de suture de plaies n’intéressant qu’un ou deux territoires à l’avant-bras ou à la main [26]. Les volumes et les doses d’AL sont réduits par comparaison à la multiplication d’injections purement "locales", permettant de minimiser le risque toxique en cas d’injection intravasculaire accidentelle. L’AL est la lidocaïne à 1%, en solution non adrénalinée. 4 Schématiquement, les blocs tronculaires des nerfs médian, ulnaire et radial peuvent être pratiqués au coude ou au poignet. Au coude, il est préférable d’employer un neurostimulateur. Les complications sont exceptionnelles, hormis la piqûre vasculaire et notamment d’une artère qui, dans tous les cas, est facilement accessible à une compression digitale. Pour des gestes d’urgence portant sur les doigts (sutures de plaies, excision partielle ou reposition d’ongles, réduction de luxation interphalangienne, de panaris etc.) on peut avoir recours au bloc de la gaine des fléchisseurs. Les solutions adrénalinées doivent être proscrites à proximité d’artères terminales. - Au niveau de la face et du cuir chevelu, une anesthésie tronculaire est également une alternative de choix à l’anesthésie générale, pour sutures des plaies multiples de la face, dont les localisations sont très variées [27]. Pour les téguments de la face, quatre blocs peuvent être réalisés de manière uni- ou bilatérale [28] : le bloc supra-orbitaire et le bloc supra-trochléaire (front et paupière supérieure), le bloc infra-orbitaire (joue et lèvre supérieure), et le bloc mentonnier (lèvre inférieure et menton). La suture des plaies cutanées du nez nécessite le plus souvent des blocs bilatéraux et impose un complément aux précédents (bloc du rameau nasal externe, bloc du nerf alvéolaire inférieur etc.). Ces blocs sont de réalisation aisée, ne nécessitent aucun matériel spécifique et aucune complication sévère n’est rapportée [18]. Les solutions adrénalinées doivent être proscrites à proximité d’artères terminales. La lidocaïne 1 % est la plus fréquemment employée. Pour tous les blocs à proximité de l’oeil, l’utilisation d’un antiseptique non alcoolique et non irritant pour l’oeil est indispensable. Par ailleurs, le risque d’hématome, voire de plaie de l’oeil, doit être pris en compte lors de la ponction. La pratique de l’analgésie locorégionale par des médecins non-anesthésistes, dans le contexte spécifique de la médecine d’urgence, se conçoit sous réserve du respect de la réglementation et des recommandations [21]. 5 REFERENCES 1 - Pain terms: a list with definitions and notes on usage. Recommended by International Association for study of Pain subcommittee on taxonomy. Pain 1979;6 :249-252 2- Cordell WH, Keene KK, Giles BK, Jones JB, Jones JH, Brizendine EJ. The high prevalence of pain in emergency medical care. Am J Emerg Med. 2002;20(3):165-9. 3 - SFAR. Conférence d'expert. Modalités de la sédation et/ou de l'analgésie en situation extrahospitalière. Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : fi56-62. 4 - Charte du patient hospitalisé (circulaire DGS/DH N°95 du 22 Mai 1995). 5 - Circulaire DGS/ DH / N°98 /586 du 22 septembre 1998. 6 - Circulaire DGS/DH/DAS 99-84 du 11 février 1999. 7 - Simon N, Alland M, Brun-Ney D, Bourrier PH, Coppéré B, Courant P, Mathern P. 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Les clefs d’une analgésie efficace. Ann Fr Anesth Réanim 2001;20 :745-51 14 - Johnston CC, Gagnon AJ, Bourgault P, et al. Pain in the emergency department with one-week follow-up of pain resolution. Pain Res manag. 2005;10:67-70 15 - Drendel AL, Brousseau DC, Gorelick MH. Pain assessment for pediatric patients in the emergency department. Pediatrics. 2006;117:1511-8. 6 16 - Galinski M, Ruscev M, Pommerie F, Hubert G, Srij M, Lapostolle F, Adnet F.Prise en charge de la douleur aiguë sévère chez l’adulte en médecine extra-hospitalière : enquête nationale auprès des médecins de Smur. Ann Fr Anesth Réanim 2004;23 :1149-54 17 - Kehlet H, Dahl B. The value of “ multimodal ” or balanced analgesia in postoperative pain treatment. Anesth Analg 1993;77:1048-56 18 - Viel E, Freisz M, de La Coussaye JE. Place de l’analgésie locorégionale en médecine d’urgence. 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