L`Architecture au travers de l`imaginaire Barjavélien

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L`Architecture au travers de l`imaginaire Barjavélien
Gérôme Forthomme - Mémoire de fin d'étude 2003 - ISAI Victor Horta
Directrice : Sylvie Burgeon
Lecteurs : Samantha Crunelle - Carine Jacques - Pascal Mathieu
L'architecture au travers de l'imaginaire "Barjavélien"
0..
Table des Matières
1..
Préambule
2..
Avant-Propos
Les Grands Thèmes
q
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3..
Biographie
4..
Introduction aux notions "Barjavéliennes"
5..
Les Grands Thèmes
6..
Conclusion
7..
Bibliographie
8..
Remerciements
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q
L'Architecture Enterrée
§ L'Arche, L'Abri
§ Les Strates et les Niveaux Souterrains
La Nature au Centre de l'Architecture
§ Les Ciels
§ La Végétation et le Monde Animal
§ Le Vent
§ L'Eau
§ Les Sons
Les Espaces Courbes
§ Introduction
§ La Matrice
§ Espace Organique
§ Intégration dans le Paysage
§ L'Habitation Lovagienne
Espaces Servants – Espaces Servis – Espace Résiduel
§ Le Mobilier
§ Du Centre vers l'Extérieur
Circulations – Fluidité
§ La Mobilité Urbaine
§ Les Circulations Internes
§ La Fluidité des Espaces Courbes
La Technologie – La Domotique – L'archi Pousse-Bouton
La Qualité
1
Ce-qui-crée crée sa Création. 1
1
Barjavel - La Faim du Tigre - Collection Folio - Editions Denoël - 1966
2
1..
Préambule
Depuis déjà quelques années, je suis fasciné par les espaces hors du commun, présents depuis bien longtemps, mais quasi jamais exploités
par l'homme dans l'architecture contemporaine.
La surface courbe fait son apparition dans l'agencement des cavernes naturelles de l'ère troglodytique et est arrivée jusqu'à nous au travers de
réalisations architecturales, du design plastique et industriel…
J’aimerais que ce mémoire soit un guide me permettant de mieux comprendre les sentiments que je ressens par rapport à la surface courbe, et
les forces qui me poussent à la créer d’une manière ou d’une autre en fonction du lieu, de l’usage ou des impressions que j’ai envie de faire
découvrir… La courbe ne se justifie pas toujours, il faut avant tout la percevoir dans un geste, une intention ou grâce aux forces présentes dans
le lieu étudié.
Ecrire ce mémoire m’a paru extrêmement contraignant et difficile. Pour moi, il devait avant tout apporter quelque chose aux autres… Mais au
fur et à mesure mon optique a évolué de manière à ce qu’il soit également utile à moi-même…Que ce travail me fasse donc plaisir et que je
puisse partager avec vous mes visions de cette architecture bien particulière de la courbe et de l'esprit "Barjavélien" qui en découle! Avec un
peu de recul, et ce mémoire achevé, je me rend compte que j'ai pris beaucoup de plaisir à relire ces œuvres, et encore plus à imaginer les
espaces décrits par l'auteur. Je me suis souvent perdu dans des rêveries et quand j'écrivais certains paragraphes, je n'étais pas en train de
rédiger ce mémoire, mais je me retrouvais plutôt lancé dans un rêve éveillé.
Pourquoi cette fascination pour la courbe à travers les romans de René Barjavel?
Vers mes quinze ans, j’ai découvert cet écrivain grâce à l'un de ses romans, "La Nuit des Temps", écrit en 1968. Cet auteur de science-fiction
m’a fait apprécier une architecture imaginaire bien différente de celle que nous abordons tous les jours. Cette architecture de courbes, de
sphères et de capsules - univers organiques où la nature est fortement présente mais dominée par l’homme, lieu où la vie en société est régie
par des principes utopiques - reste dans une sorte de réalité parallèle et nous ouvre des voies de recherche pour une architecture nouvelle. Ce
sont tous ces aspects réunis qui m'ont poussé à découvrir petit à petit la philosophie de l'auteur.
Depuis lors, je m’intéresse particulièrement à cet aspect de l’architecture dédié à la courbe, et je m’interroge sur les effets psychologiques que
peut entraîner l’utilisation de tels espaces.
Quelle est la qualité de vie d’un environnement où les choses prennent une autre échelle, où les arêtes et lignes droites sont quasi bannies de
la perspective, où la nature est présente dans chaque lieu traversé…?
3
Partons ensemble à la découverte de ces romans d’un autre temps, au travers d'extraits et d’illustrations exprimant au mieux les rêves qu’il m’a
fait partager…
Barjavel, auteur de science-fiction, de fiction tout court, écrit ses œuvres comme un cadeau pour l'humanité. Il cherche sans cesse à nous
guider vers notre futur, vers un système universel, vers une vie en communion avec la nature et avec l'Homme lui-même. Parmi ses romans
"extraordinaires", les plus reconnus sont sans aucun doute "Ravage", "Le Voyageur Imprudent" et "La Nuit des Temps". Il en existe bien
d'autres, mais les trois livres cités ci-dessus reprennent la philosophie générale de l'auteur.
Dans ce mémoire, je ne compte pas développer le roman extraordinaire "Le Voyageur Imprudent". Toutefois, j'aimerais en toucher un mot,
avant de me lancer plus loin dans la rédaction de ces quelques pages.
Le Voyageur Imprudent, deuxième roman de la série extraordinaire, édité en 1944, nous propose une sorte de panorama à travers le temps…
De rétrospective, il n'en est pas vraiment question, car l'auteur nous fait plus parcourir le futur que le passé.
Son premier roman "Ravage", écrit en 1943, décrit la société en l'an 2050 et nous conduit à un monde civilisé où l'individu n'a plus de raison
d'être sans la communauté qui l'entoure. Le social y remplace l'individualisme. Chaque citoyen fait partie du tout, a sa fonction propre et limitée,
un peu comme dans un travail à la chaîne.
Décrire ce livre dans mon mémoire n'apportera pas d'éléments complémentaires à mon étude des espaces architecturés imaginés par René
Barjavel. On y rencontre une architecture trop évoluée, et pas du tout en adéquation avec notre mode de vie. On y retrouve malgré tout le
concept de retour à la nature, un de ses sujets de prédilection. "Le Voyageur Imprudent" nous permet ainsi de mieux comprendre la philosophie
générale de l'auteur.
Chacun de ses livres nous fait découvrir un monde, avec sa politique, son mode de fonctionnement économique et social. Il passe d'un extrême
à l'autre, de la société capitaliste à la société socialiste qu'il poussera à son paroxysme dans "Le Voyageur Imprudent". Il démonte ainsi chaque
possibilité d'organisation sociale afin de nous montrer que tous les chemins de l'évolution sont interchangeables et qu'ils possèdent tous leurs
qualités et leurs faiblesses.
Lire Barjavel, c'est apprendre à regarder notre civilisation, et à réfléchir un peu plus longuement aux conséquences de nos actions sur
l'évolution de la vie sur notre planète, notre vaisseau à travers le temps.
4
Le mieux est de faire de son mieux...
Quand viendra le moment de ne plus rien faire, je serai heureux d'être
arrivé au bout de ma tâche... 1
1
Barjavel - L'Enchanteur - Collection Folio - Editions Denoël - 1984
5
2..
Avant-Propos
Je tiens tout particulièrement à mettre en garde le lecteur que vous êtes.
Dans ce mémoire, je citerai des extraits, descriptifs d'architectures imaginés par René Barjavel.
Ne prenez pas ces quelques paragraphes comme la prose habituelle de l'auteur. Il s'agit, la plupart du temps, de descriptions et non de fictions,
d'événements propres aux différents récits. Les sortir de leur contexte enlève toute magie à qui ne connaît pas ses livres.
C'est pourquoi, je vous recommande la lecture des romans suivants avant d'entamer plus avant ce mémoire :
- "Ravage" : pour la critique du modernisme qu'il y fait au chapitre premier et pour le retour vers la nature qu'il préconise dans la quatrième
et dernière partie.
- "La Nuit des Temps" : à la découverte d'une civilisation enterrée où la mobilité est exemplaire.
- "Une Rose au Paradis" : pour le concept d'abri qu'il y propose, telle la graine salvatrice de la vie.
Les autres livres sont également très beaux, passionnants pour certains, mais après avoir lu les trois romans cités ci-dessus, vous aurez saisi
la philosophie que Barjavel tente de nous apporter et vous disposerez ainsi d'une bonne base pour lire ce mémoire.
J'entrerai le moins possible dans l'histoire de chacun des romans de l'auteur afin d'en préserver les intrigues qui, dévoilées, perdraient ainsi
toute poésie sous ma plume d'écrivain débutant.
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Je suis un homme heureux. Parce que j'aime la pluie autant que le vent, et
le soleil comme la pluie, le froid comme le chaud, l'hiver comme l'été, le
pire comme le meilleur. Toujours ce qui est, au lieu de ce qui aurait pu
être. Parce que je suis vivant et que je le sais… 1
1
Barjavel - Journal d'un Homme Simple - Editions Denoël - 1951 - p.118
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3..
Biographie
René Barjavel, écrivain contemporain, naît en 1911, à Nyons, dans la Drôme paysanne. Son père boulanger mobilisé pour la guerre, sa
mère en remplaçante n’ayant que peu de temps à lui consacrer, l’enfant seul découvre la nature et s'émerveille de ses prodiges. Il se
plonge très tôt dans la littérature.
A l’école, il se montre médiocre écolier, voué à la succession de son père. Abel Boisselier, professeur de
Français, remarque ses qualités dans cette matière et l’exhorte à continuer ses études en lui affirmant
son intelligence. Son père ne peut les lui assurer, et le professeur en fait son protégé et le recueille. Le
baccalauréat qu’il réussit en 1929 clôt ses études qu’il ne peut poursuivre, faute de moyens financiers.
Après avoir occupé et quitté divers emplois (pion, démarcheur et employé de banque), il entre à 18 ans
au Progrès de L'Allier, un quotidien de Moulin, et apprend sur le tas son métier de journaliste. Puis, il
rencontre au cours d’une interview, l'éditeur Denoël qui l'emmène à Paris et l'engage comme chef de
fabrication. Il collabore à divers journaux comme Le Merle Blanc et commence son premier roman. La
seconde guerre mondiale survient. Il la fait comme caporal-cuistot dans un régiment de zouaves. Marié
en 1936, il devient père de Renée (Nanou) et de Jean dans les deux années qui suivent. La vie n’est
pas toujours simple dans la vétusté de son appartement qu'il trouve minuscule, choisi en raison de la
vue sur Paris que l'on découvre depuis son balcon.
De retour chez lui, après avoir fondé à Montpellier un journal de jeunes, il publie chez Denoël son premier roman, "Ravage", bien avant la
grande vogue des ouvrages de science-fiction en France. Ce roman, qui a toujours été réimprimé, a largement dépassé un million
d'exemplaires et est depuis plusieurs années étudié dans les écoles. René Barjavel est de ceux qui ont donné à la science-fiction
française ses lettres de noblesse et l'ont même créée dans une large mesure. Ravage (1943), Le Voyageur Imprudent (1944) et Le Diable
l'Emporte (écrit en 1947) sont aujourd'hui considérés comme des classiques du genre.
Le manque d’argent et l’échec de "Le Diable l’emporte" marquent un début de rupture avec sa carrière de romancier. Il s’aventure dans le
cinéma. La tuberculose et ses lacunes financières l’empêchent de réaliser une adaptation de "Barabbas". Adaptateur, dialoguiste, le
cinéma n’en gardera pas un passage marquant, malgré son empreinte profonde dans de nombreux films, dont les Don Camillo, les
Misérables, les Chiffonniers d’Emmaüs, le Mouton à Cinq Pattes, le Guépard etc. Avec l'essai "La Faim du Tigre", il croit couronner sa
carrière, le ton et la conclusion en gardent cette marque, mais c’est "Demain le Paradis", autrement plus optimiste et qui termine l’œuvre
de l’auteur, qui aura vécu un formidable renouveau depuis cet essai. Car entre temps "La Nuit des Temps" a fait rebondir sa carrière de
grand écrivain. Il se fait chroniqueur au Journal du Dimanche. Il décède le 24 novembre 1985.
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Pourquoi tuer ?
Pour survivre.
Et pourquoi survivre ? Pour tuer ? 1
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Barjavel - La Faim du Tigre - Collection Folio - Editions Denoël - 1966
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4..
Introduction aux notions "Barjavéliennes"
L'écriture de Barjavel est d'un genre tout à fait spécial, et le terme "Barjavélien" est entré dans les mœurs des critiques littéraires bien avant la
parution de son roman "La Nuit des Temps". C'est toute sa philosophie et sa vision du monde, que je vais tenter de vous transmettre à travers
ces quelques pages.
René Barjavel, aime à décrire des civilisations où tout paraît parfait, harmonieux. Il décrit des idéaux de vie, totalement utopistes, mais pourtant
pas si loin de la réalité. Presque tous les ingrédients qu'il utilise sont disponibles dans notre monde actuel. Seule, la nature égoïste de l'homme
l'empêche de voir plus loin que ses propres intérêts et rend donc impossible la réalisation de ces fictions pourtant souvent proches de la réalité.
Barjavel veille d'ailleurs lui-même à la destruction de ces vies imaginaires. Souvent, l'histoire se termine en queue de poisson, par un retour
vers l'aventure que nous connaissons tous, la vie, telle que nous la concevons, avec ses problèmes et ses faiblesses.
Si je mets dix hommes sur une île déserte, la loi d'attraction va les rassembler en deux groupes, et la loi d'opposition leur inspirer des idées
absolument contraires sur la façon d'organiser l'île. Si un groupe pense "nord", l'autre groupe, par réflexe immédiat, pensera "sud". Et ils
commenceront à ramasser des cailloux pour se convaincre réciproquement en se les envoyant sur la figure. Si un des deux groupes se montre
plus fort et absorbe l'autre, une force d'opposition va naître en lui, grandir et le couper de nouveau en deux ou en plusieurs morceaux. C'est la
loi ! Ce n'est pas cela qui fait le malheur des hommes. Ils pourraient entre l'attraction et l'opposition, trouver un équilibre et vivre en paix,
comme le soleil et les planètes. Ce qui les rend malheureux, c'est le bonheur. L'idée qu'ils s'en font, et le besoin de l'attraper. Ils s'imaginent
qu'ils sont malheureux aujourd'hui, mais qu'ils pourront être heureux demain, s'ils adoptent une certaine forme d'organisation. Chaque groupe a
une idée d'organisation différente. Non seulement il se l'impose à lui-même, à grande souffrance, mais il cherche à l'imposer à l'autre groupe,
qui n'en veut absolument pas, et qui essaie au contraire de lui faire avaler de force sa propre cuisine.
Et chaque individu croit qu'il sera heureux demain, s'il est plus riche, plus considéré, plus aimé, s'il change de partenaire sexuel, de voiture, de
cravate ou de soutien-gorge. Chacun, chacune attend de l'avenir des conditions meilleures, qui lui permettront, enfin, d'atteindre le bonheur.
Cette conviction, cette attente, ou le combat que l'homme mène pour un bonheur futur, l'empêchent d'être heureux aujourd'hui. Le bonheur de
demain n'existe pas. Le bonheur, c'est tout de suite ou jamais. Ce n'est pas organiser, enrichir, dorer, capitonner la vie, mais savoir la goûter à
tout instant. C'est la joie de vivre, quelles que soient l'organisation et les circonstances. C'est la joie de boire l'univers par tous ses sens, de
goûter, sentir, entendre, le soleil et la pluie, le vent et le sang, l'air dans les poumons, le sein dans la main, l'outil dans le poing, dans l'œil le ciel
et la marguerite. 1
1
Barjavel - Si J'étais Dieu - Collection Si J'étais… - Editions Garnier Frères - Paris - 1976
10
On perçoit deux visions de notre futur dans les romans de Barjavel.
Il nous montre d'une part, les sociétés où l'excès de technologie a fini par tuer l'Homme, par rendre son monde insoutenable par le rythme de
vie évoqué, ou insipide par la monotonie d'un scénario catégorique tel que celui énoncé dans le roman "Le Voyageur Imprudent".
D'autre part, il décrit des civilisations autrement intéressantes, basées sur des principes de partage tels que l'on en retrouve dans "La Nuit des
Temps", "Le Grand Secret" et dans la quatrième partie de "Ravage". Parfois on retrouve les deux évolutions dans le même roman ; il confronte
la vie qui lui semble idéale avec les attitudes d'hommes et de femmes dont le jugement reste celui de citoyens moyens.
Barjavel tente de nous faire réfléchir sur la qualité de vie en société. Quelle est la manière la plus adéquate de vivre en groupe? Comment
gérer les conflits et maîtriser les évolutions technologiques souvent détournées de leur but premier, celui de servir l'homme et non de le
détruire?
Les hommes se perdirent justement parce qu'ils avaient voulu épargner leur peine. Ils avaient fabriqué mille et mille sortes de machines.
Chacune d'elles remplaçait un de leurs gestes, un de leurs efforts. Elles travaillaient, marchaient, regardaient, écoutaient pour eux. Ils ne
savaient plus se servir de leurs mains. Ils ne savaient plus faire effort, plus voir, plus entendre. Autour de leurs os, leur chair inutile avait fondu.
Dans leurs cerveaux, toute la connaissance du monde se réduisait à la conduite de ces machines. Quand elles s'arrêtèrent, toutes à la fois, par
la volonté du Ciel, les hommes se trouvèrent comme des huîtres arrachées à leurs coquilles. Il ne leur restait qu'à mourir...1
Chacune de ces civilisations est liée à une architecture. L'urbanisme de ces cités est entièrement repensé et n'évoque plus grand chose à côté
de notre monde actuel, axé sur une consommation sans limites. Ici, il prend un goût de Paradis.
L'architecture moderniste et la charte d'Athènes sont décriées par Barjavel comme une évolution qui n'est pas toujours un plus pour l'humanité.
Les visions futuristes décrites dans ses livres sont souvent accompagnées de connotations négatives.
Ces mêmes écrits finissent souvent par s'éteindre d'eux-mêmes, les civilisations imaginées aboutissent à leur propre destruction suite à un
excès de technologie, à une non-maîtrise des événements qui découlent d'une évolution effrénée, ou parce que le principe qui procédait à leur
développement portait en lui-même le germe de leur effondrement.
1
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943
11
L’espèce humaine est malfaisante, destructrice, et rien ne peut la corriger. Plus elle accroît ses connaissances et ses techniques, plus elle se
montre incapable de les maîtriser. Il semble qu’une imbécillité collective perverse se développe en elle, dans la même mesure où s’y révèlent
les intelligences individuelles. Celles-ci lui donnent des moyens de création, et celle-là les transforme aussitôt en moyens d’anéantissement. 1
On sent au travers de certains paragraphes qu'il aime malgré tout se baser sur l'architecture moderne, sur les principes de Le Corbusier et de
la Charte d'Athènes.
Les clefs des concepts urbanistiques de cette charte se trouvent dans les quatre fonctions : habiter, travailler, se récréer (dans les heures
libres) et circuler.
Barjavel joue avec les mêmes idées, les réinterprète. Mais il tient avant tout à nous prémunir des déboires liés à leur application. Il espère que
nous utiliserons celles-ci dans des proportions ramenées à l'échelle de l'Homme.
Le dimensionnement de toutes choses dans le dispositif urbain ne peut être régi que par l'échelle humaine.2
On pourrait se poser la question du dimensionnement du "modulor". Celui-ci est peutêtre parfait au niveau d'une cellule d'habitation, mais le modèle humain replacé dans
une ville aux dimensions gigantesques y trouve-t-il sa place?
Les studios de Radio-300 étaient installés au 96e étage de la Ville Radieuse, une des
quatre Villes Hautes construites par Le Cornemusier pour décongestionner Paris. La
Ville Radieuse se dressait sur l'emplacement de l'ancien quartier du Haut-Vaugirard, la
Ville Rouge sur l'ancien bois de Boulogne, la Ville d'Azur sur l'ancien bois de Vincennes,
et la Ville d'Or sur la Butte Montmartre. 3
Plan Voisin – Le Corbusier - 1925
Barjavel fait ici allusion, sous un nom homophonique mais néanmoins suffisamment
évocateur, à l'architecte "Le Corbusier" (par le même procédé qu'utilisera Boris Vian
dans "L'écume des jours"). Il évoque également le projet de Ville Radieuse que ce
dernier proposa en 1930.
1
Barjavel - La Tempête - Collection Folio - Editions Denoël - 1982 - p.176
Le Corbusier - La charte d'Athènes - 1933/1942 - Editions Seuil Paris 1971
3
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.21
2
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Ici encore, on peut se poser des questions! Les Cités Radieuses sont-elles des constructions à l'échelle humaine? A mon avis, l'Homme est fait
pour garder les pieds sur terre. Une fois confronté à la verticalité, il éprouve un sentiment d'insécurité et se retrouve tout petit devant ces
monstres de verre et de béton. Barjavel pointe du doigt le problème de ces gratte-ciel qui s'accrochent aux nuages.
La conquête de l'espace vertical au 21ème siècle n'est pas pour autant une utopie. L'idée est
née du constat des limites de l'urbanisme traditionnel, gourmand en espaces et destructeur
de notre environnement.
Voici présenté en quelques lignes, un projet de ville bionique, une tour de 1228m de haut,
pouvant abriter cent mille habitants sur une superficie de deux millions de mètres carrés.
Cet "arbre habité" sera érigé dans la baie de Hong-Kong d'ici quinze à vingt ans. Cette tour
se présentera comme une ville verticale de 300 étages, divisée en 12 quartiers de 80
mètres de haut chacun, fonctionnant indépendamment les uns des autres.
Javier Pioz, co-auteur du projet, explique que la construction d'un bâtiment présentant de
telles caractéristiques ne sera possible que grâce à la science bionique. En effet, la
bionique représente la synthèse des connaissances accumulées par l'homme en biologie,
radiotechnique, chimie, cybernétique, physique, psychologie, biophysique, construction…
etc.
Autrement dit, elle est le fruit de l'étude de systèmes sophistiqués résistants et vitaux des
êtres et des formes de la nature. Ainsi, la construction de la Tour Bionique répondra
principalement à "la logique de la nature", prenant comme point de référence la logique de
croissance d'un arbre, dont le système reposera sur une île artificielle d'un kilomètre de
diamètre, incluant des aires de shoppings et des parkings, à l'intérieur de laquelle on
introduira la base de l'édifice à deux cent mètres de profondeur. Une fois achevée, la Tour
rappellera un mât de verre, d'aluminium et de béton qui abritera une ville verticale de cent
mille habitants, avec des logements, des hôpitaux, des cinémas, des écoles, des
universités, des parcs et même des lacs artificiels. La surface occupée par cette Tour sera
très inférieure à celle requise par un urbanisme classique, qui nécessiterait quatre
kilomètres de diamètre pour le même nombre d'habitants.
13
Ce projet concerne particulièrement l'urbanisme de nos futures mégapoles. Il nous est impensable de stopper la démographie mondiale. Celleci augmente de jour en jour, et nous devons résoudre les problèmes d'habitat qui découlent de cette croissance exponentielle avant que le
monde ne s'étouffe par lui-même. Ce problème est abordé par le bas dans l'architecture enterrée. La question principale sera donc de se
demander si nous sommes fait pour vivre sous terre, dans les airs ou plus encore, les deux à la fois.
Les deux philosophies se valent. Elles ont à peu près les mêmes défauts. L'homme se retrouvera prisonnier de son habitat. Une personne
vivant dans une tour bionique y trouvera son emploi, son logement et les loisirs qui l'intéressent. De même, un homme vivant au 36ème sous-sol
d'une ville enterrée, y trouvera les mêmes avantages ou inconvénients. Serons-nous condamnés à vivre dans des tours et, quand nous
désirerons nous divertir, à prendre tout simplement l'ascenseur, sans jamais nous balader les pieds sur le sol, sans plus connaître l'odeur de
l'herbe fraîchement coupée ni le parfum des fleurs? Aurons-nous encore le plaisir de regarder des nuages errer dans l'étendue infinie de la
voûte céleste et non pas un semblant de ciel cadré par des châssis clos hermétiquement?
14
Je me refuse à imaginer une architecture verticale, bien que celle-ci soit quasi inévitable dans un futur plus ou moins
lointain. Pour moi, un tel habitat est source de stress, l'homme vivra de plus en plus vite, poussé par la technologie qui le
mènera en quelques secondes de son logement à son bureau, ou au cinéma le plus proche si ceux-ci existent toujours! Le
temps des flâneries sera bel et bien révolu.
Considérons ici les tours bioniques comme les cités radieuses du futur. Tout comme dans l'architecture enterrée proposée
par Barjavel pour ses qualités de cocon, d'abri maternel, l'architecture bionique se base sur les sciences organiques. La
nature a dirigé son évolution d'une manière bien précise, en gardant les éléments résistant aux climats, en les adaptant.
Cette nature sélective nous fournit aujourd'hui le résultat d'une évolution de plusieurs millénaires. Elle est donc bien plus
avancée que nous ne le sommes. Sa mémoire fait partie de ses gènes et de ses structures propres. C'est pourquoi, en
nous basant sur l'architecture végétale et animale, nous avons des solutions adaptables à nos projets hors du commun. La
faisabilité d'une telle ville reste donc tout à fait plausible. Quant à savoir si la population est prête à s'installer dans les
étages de cette tour dressée vers le ciel, la question reste ouverte : "qui vivra verra!".
A très longue échéance, la terre se trouvera saturée malgré tout. Dans ses ouvrages, Barjavel parle de l'aménagement de
stations-villes sur la lune. La conquête de l'Espace, pour son peuplement, est une solution aujourd'hui envisageable, mais
peut-être devrions-nous nous pencher sur des problèmes plus proches de nos préoccupations.
Comment contrôler la démographie mondiale? La nature y pourvoira-t-elle? De grands cataclysmes surviennent et balayent
notre planète, des guerres font rage entre de nombreux pays. Peut-être que cette fonction d'autodestruction, régulatrice de
toute possibilité vitale, est ancrée dans nos gènes? Ce sont les questions que Barjavel évoque dans tous ses romans.
Dans "Ravage", au 96ème étage d'une Cité Radieuse, une panne de courant empêche toute activité électrique, tant celle
des ascenseurs que de l'éclairage. L'évacuation a lieu dans l'obscurité totale!
Imaginez-vous descendre l'équivalent de 30.000 marches pour retrouver le plancher des vaches.
Fermez les yeux et vous vous retrouverez plongés dans la tragédie du World Trade Center le 11 novembre 2001 !
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L'escalier s'ouvrait, large, noir, et plein de bruits étranges. Les petites flammes brandies par quelques hommes éclairaient les premières
marches. Les suivantes disparaissaient dans l'obscurité d'où montaient, en échos multipliés, des exclamations, des murmures. Jérôme Seita
s'effaça. Après quelques secondes d'hésitation, les invités commencèrent à descendre. Un tapis assourdissait le piétinement de leurs pas. Les
femmes s'accrochaient aux hommes qui grognaient. Quelques bougies s'éteignirent, la troupe, d'abord compacte, s'étira. De toutes les portes
sortaient des gens inquiets qui se mettaient à descendre. Aucune fenêtre ne s'ouvrait sur l'escalier. La nuit l'emplissait, à peine combattue par
les flammes hésitantes des briquets.1
Dans la première partie de "Ravage", on trouve plusieurs paragraphes révélateurs des possibles déboires liés à l'urbanisation massive selon
les grands principes de Le Corbusier.
La plupart des villes étudiées offrent aujourd'hui l'image du chaos : ces villes ne répondent aucunement à leur destinée qui serait de satisfaire
aux besoins primordiaux biologiques et psychologiques de leur population (…)
L'avènement de l'ère machiniste a provoqué d'immenses perturbations dans le comportement des hommes, dans leur répartition sur la terre,
dans leurs entreprises ; mouvement irréfréné de concentration dans les villes à la faveur des vitesses mécaniques, évolution brutale et
universelle sans précédent dans l'histoire. Le chaos est entré dans les villes. 2
Barjavel nous démontre au travers de "Ravage" que le chaos décrié dans la Charte d'Athènes n'est toujours pas résolu par celle-ci. Les
voitures sont citées dans "Ravage" comme des éléments souvent très négatifs, polluant l'atmosphère, raréfiant l'oxygène et propageant
énormément de bruit.
Ce sont les conséquences d'une urbanisation par zonage, où la demande de mobilité est accrue par l'augmentation des distances entre les
lieux de travail, de loisir et d'habitat.
François Deschamps, restauré, prit le chemin de son domicile. Montparnasse sommeillait, bercé d'un océan de bruits. L'air, le sol, les murs,
vibraient d'un bruit continu, bruit des cent mille usines qui tournaient nuit et jour, des millions d'autos, des innombrables avions qui parcouraient
le ciel, des panneaux hurleurs de la publicité parlante, des postes de radio qui versaient par toutes les fenêtres ouvertes leurs chansons, leur
musique et les voix enflées des speakers. Tout cela composait un grondement énorme et confus auquel les oreilles s'habituaient vite, et qui
couvraient les simples bruits de vie, d'amour et de mort des vingt-cinq millions d'êtres humains entassés dans les maisons et dans les rues.
Vingt-cinq millions, c'était le chiffre donné par le dernier recensement de la population de la capitale. Le développement de la culture en usine
avait ruiné les campagnes, attiré tous les paysans vers les villes, qui ne cessaient de croître. A Paris sévissait une crise du logement que la
construction des quatre Villes Hautes n'avait pas conjurée. Le Conseil de la ville avait décidé d'en faire construire dix autres pareilles.
1
2
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.92
Le Corbusier - La Charte d'Athènes - 1933/1942 - Editions Seuil - Paris 1971
16
Pendant les cinquante dernières années, les villes avaient débordé de ces limites rondes qu'on leur voit sur les cartes du XXe siècle. Elles
s'étaient déformées, étirées le long des voies ferrées, des autostrades, des cours d'eau. Elles avaient fini par se rejoindre et ne formaient plus
qu'une seule agglomération en forme de dentelle, un immense réseau d'usines, d'entrepôts, de cités ouvrières, de maisons bourgeoises,
d'immeubles champignons.
Les anciennes cités, placées au carrefour de cette ville-serpent, gardaient leurs noms antiques. Les villes nouvelles, divisées en tronçons
d'égale longueur, avaient reçu en baptême un numéro, dont les chiffres étaient déterminés par leur situation géographique. Entre ces villesartères, la nature retournait à l'état sauvage. Une mer de buissons avait envahi les campagnes abandonnées, bouché les sentiers, recouvert
les ruines des anciens habitats inconfortables. Dans cette brousse subsistaient quelques oasis de champs cultivés auxquels s'accrochaient des
paysans obstinés. 1
En ce début de vingt-et-unième siècle, les idées avancées par Barjavel sont déjà fort proches de la réalité qui nous entoure. La publicité envahit
nos vies, les nuisances sonores sont de plus en plus présentes et la population mondiale ne cesse de croître!
On retrouve également le problème de la tache d'huile et de la croissance linéaire dont parlent beaucoup les urbanistes actuels.
Ces phénomènes péri-urbains qui s'accentuent de décennies en décennies arriveront-ils au stade décrit par Barjavel, où les villes sont
complètement soudées les unes aux autres? Est-ce inévitable? La ville perdra-t-elle son identité, sera-t-elle fondue dans la masse jusqu'à
porter comme nom un numéro?! Qu'adviendra-t-il des campagnes? Seront-elles remplacées par des usines perfectionnées, ramifiées en toiles
d'araignées, dévoreuses d'espaces, de végétation? L’exemple des villes japonaises tentaculaires est assez criant à cet égard…
L’UA 27.2, devant laquelle Lucie venait d’atterrir, était la 272e Usine Alimentaire, récemment mise en route par le ministère de
l’Agroalimentation. Ses étages en décrochements, avec jardins suspendus, couvraient un des flancs de la vallée, sur des kilomètres, l’autre
versant ayant été conservé dans son état naturel. Le blé semé à l’étage supérieur dans des bacs hydroponiques poussait et mûrissait en
quelques jours, était récolté broyé, pétri, cuit en quelques minutes, et finissait au rez-de-chaussée sous forme de tranches de pain
rectangulaires, enveloppées par douze, et livrées par pipe-lines aux agglomérations urbaines. Les pipe-lines étaient calorifugés. Le pain arrivait
frais. 2
Dans le même esprit, William Morris, architecte fondateur du mouvement "Arts and Crafts" publie un roman utopique "Nouvelle de nulle Part". Il
y décrit la disparition de la distinction entre ville et campagne. L'esprit de ce récit est très ressemblant à celui de Barjavel. Il y dépeint une
société sans argent, sans crimes, dont l'air et l'eau sont les seules sources d'énergie et dont le travail est basé sur l'atelier coopératif. Cette
société évolue dans un climat rural et toutes les grandes œuvres des ingénieurs du 19ème siècle ont disparu, exactement comme dans la
quatrième partie du roman "Ravage" de Barjavel.
1
2
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.38
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.29
17
L'auteur soulève ici les grandes idées tirées des principes de Le Corbusier, comme l'utilisation des pilotis, la mise à disposition des espaces au
sol pour la communauté. Les extraits cités ci-dessous, tirés de la première partie de "Ravage", sont à prendre comme une critique de
l'architecture contemporaine. Barjavel s'amuse ici dans des descriptions qui peuvent nous laisser pensifs, mais il n'en est pas moins convaincu
qu'une telle urbanisation serait néfaste pour nos agglomérations.
Voici un petit rappel des grands principes émis par la Charte d'Athènes, afin de mieux introduire les extraits qui suivront.
L'alignement traditionnel des habitations sur le bord des rues n'assure d'insolation qu'à une partie minime des logis. (…)
Un nombre minimum d'heures d'ensoleillement doit être fixé pour chaque logis. (…)
L'emploi de styles du passé, sous prétexte d'esthétique, dans les constructions neuves érigées dans les zones historiques, a des
conséquences néfastes. Le maintien de tels usages ou l'introduction de telles initiatives ne sera toléré sous aucune forme (…)
Les nouvelles surfaces vertes doivent servir à des buts nettement définis : contenir les jardins d'enfants, les écoles, les centres de jeunesse ou
tous bâtiments d'usage communautaire, rattachés intimement à l'habitation (…)
L'urbanisme est une science à trois dimensions et non pas à deux dimensions. C'est en faisant intervenir l'élément de hauteur que solution sera
donnée aux circulations modernes ainsi qu'aux loisirs, par l'exploitation des espaces libres ainsi créés. 1
La première question qui me vient à l'esprit est liée à l'ensoleillement et au cheminement
piétonnier, situé sous les voies de communications automobiles imposantes, dans les courants
d'air et à l'ombre des grands buildings qui eux, bénéficient de l'ensoleillement adéquat. Etre
piéton dans de telles villes ne me semble pas de tout repos. Pensons ici à certaines villes des
Etats-Unis, comme New-York où la hauteur faramineuse des buildings plonge certaines artères
de la ville dans une ombre quasi permanente…et provoque un profond sentiment de malaise…
Blanche, ayant revêtu son costume de ville, d'un gris tendre orné de bleu pastel, prit l'ascenseur
rapide, et s'arrêta au premier étage, à la hauteur de l'autostrade sur pilotis. Le rez-de-chaussée,
le sol, étaient réservés aux piétons et aux jardins. 2
1
2
Le Corbusier - La Charte d'Athènes - 1933/1942 - Editions Seuil - Paris 1971
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.33
18
René Barjavel a une conscience de l'urbanisme nettement plus évoluée que bien des romanciers. Ses préoccupations vont jusqu'à exposer les
problèmes liés à l'ensoleillement, à la mobilité et aux cités dortoirs, où chacun dispose à sa guise de son terrain, y construit une architecture
dénuée d'intérêt, pas du tout intégrée au lieu considéré, révélant ici aussi le fait que l'homme est et reste farouchement individualiste, qu'il aime
se différencier par ses goûts propres et se créer une identité bien à lui.
Au bord du lac s'élevait, comme un champignon, la maison du chef jardinier, bâtie sur un pédoncule.
Ce style architectural répondait au double souci de laisser le sol à la disposition de la circulation, et de hisser les pièces d'habitation vers la
lumière. La maison pouvait pivoter sur sa tige, et présenter au soleil telle ou telle face, selon le désir de ses habitants. Le pédoncule renfermait
l'ascenseur, l'escalier et le vide-ordures.
Une cité ouvrière de cent mille foyers avait été construite à l'ouest de Paris, selon ces principes.
Pour éviter la monotonie, l'architecte en chef avait laissé toute liberté à ses collaborateurs, en ce qui concernait le style du corps même des
habitations. Si bien que sur cent mille piliers de ciment absolument semblables et alignés au cordeau, s'épanouissaient des maisons d'aspect
infiniment varié, depuis le chalet suisse, le castelet Renaissance, le rendez-vous de chasse, la chaumière normande et la maisonnette banlieue
1930, jusqu'au cylindre de chrome, au cube de plastec, à la sphère de ciment et au tronc de cône d'acier. L'immeuble le mieux réussi et le plus
perfectionné était celui qui abritait la mairie de la cité. Il avait la forme d'une galette, mais se développait chaque matin et prenait de la hauteur,
comme un chapeau claque. Le soir, les employés partis, le concierge appuyait sur un bouton, les bureaux rentraient les uns dans les autres, les
meubles s'aplatissaient, les plafonds venaient rejoindre les planchers, et l'immeuble se réduisait au dixième de sa hauteur.
Sur le sol, presque entièrement libéré par l'ascension des bâtiments, les urbanistes avaient disposé des jardins, planté des arbres, et fait courir
de multiples petits cours d'eau peuplés de poissons avides. Les ouvriers, au retour de l'usine, pouvaient se livrer au délassement de la pêche à
la ligne au-dessous même des pieds de la table de leur salle à manger ou de leur lit-divan. 1
Je suppose que Le Corbusier a bien étudié ses propositions avant de les soumettre autour de lui, mais je ne suis toujours pas convaincu par la
justesse de ses arguments. Principalement sur l'idée de verticalité proposée. Imaginez-vous vivre dans de telles cités? Seriez-vous heureux
d'entendre un vrombissement, dix mètres au-dessus de vos têtes? La végétation sensée être présente au sol, sous les pilotis, ne bénéficierait
pas de l'ensoleillement et de la pluviosité dont elle a besoin pour vivre. Aucune plante ne subsisterait en dehors des mousses et des lichens.
Il existe pourtant plusieurs moyens permettant de libérer l'espace au sol! Rendez-vous au chapitre cinq, sous la rubrique "mobilité" pour plus de
détails.
Nous comprenons maintenant un peu plus le message qui transpire des textes de Barjavel. Il essaye de nous dévoiler un futur probable sinon
certain, de nous ouvrir les yeux avant qu'il ne soit trop tard, peut-être! C'est avant tout un message d'espoir pour ses contemporains, un guide
utile pour tous les architectes en mal de concepts utopiques, à la recherche d'une qualité de vie plus adéquate pour un habitat en société mieux
défini.
1
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.129
19
Ma conception des œuvres de Barjavel est, bien entendu, toute personnelle. Je n'ai pas connu l'auteur, et j'aurais bien aimé l'interroger sur ses
propres convictions. Je me fais ici son porte-parole, mais peut-être que celui-ci n'imaginait aucun sous-entendu dans ses romans, qu'il
proposait tout simplement des modèles d'architecture du futur. Laissez-moi tout de même douter d'une telle hypothèse.
Voici un petit extrait de son "Journal d'un Homme Simple". Ici, il parle presque ouvertement de ses visions architecturales. Sans doute garde-t-il
pour lui une partie de ses réflexions et ne fait-il qu'un pari sur l'avenir… Barjavel écrit ces lignes quelques années avant un projet d'exposition
pour 1962 à Paris. Il propose une démonstration de son architecture enterrée, basée sur la protection, sur l'abri souterrain. Peut-être désire-t-il
ici encore susciter un sentiment d'excès face à une architecture dévoreuse d'espace et de technologie…? Peut-être veut-il faire naître une idée
de retour vers les choses simples - vers une architecture basée sur l'homme - en créant ici une architecture démonstrative aux qualités de vie
et d'ambiance totalement opposées à celles de la vie à l'air libre? L'occasion d'une exposition universelle serait bien évidemment une façon
extrêmement parlante d'exprimer ses intentions.
Une autre hypothèse pourrait être qu'il s'est laissé aller à imaginer un concept séduisant, une expérience à l'échelle réelle. Malheureusement
son idée n'a pas été reprise, l'exposition n'a pas eu lieu …
On cherche où bâtir l'Exposition. L'évidence répond : sous terre. Aux architectes de prévoir le détail. Pour ma part, je la vois, en gros, sous
forme d'une sphère, hermétique, percée de quelques portes-ascenseurs s'enfonçant en elle comme des bouchons, et flanquée d'un puits
orientable : la piste de départ des fusées astronautiques.
Telle sera la ville de demain. Sphérique pour être plus exactement hermétique. Ses portes s'ouvriront en temps normal vers la surface, l'air, et
vers des prolongements souterrains : fleuves, lacs, galeries, routes d'eau ou chemins de fer vers d'autres villes rondes. Mais à la moindre
alerte, elle doit pouvoir se fermer sur elle-même en quelques secondes, et ne plus laisser pénétrer un grain de poussière, un atome de gaz.
Donc, hermétique et autonome. Energie fournie par une génératrice atomique, doublée d'une génératrice à houille blanche alimentée par une
chute d'eau souterraine. Cours d'eau, lacs souterrains seront également centres de sports, de fêtes, de pêche à la ligne, sources d'irrigation
pour jardinage familial. Les mystères de la photosynthèse ne sont plus mystères que pour un temps très court. D'ici peu, on sera en état de
remplacer le soleil et de faire pousser des légumes verts à mille mètres sous terre. Mais on laissera le jardinage aux romantiques attardés. Les
nourritures végétales ou carnées seront fabriquées en usine. Tout vient de la terre, c'est-à-dire du minéral. L'homme, jusqu'aujourd'hui, n'était
pas en mesure de se nourrir directement de poussière ou de cailloux. Le végétal les transformait pour lui en légumes ou en fruits. L'animal
transformait à son tour le végétal en viande. C'est l'usine, désormais, qui se chargera des ces transformations. La ville ronde n'aura plus besoin
des animaux ni des plantes. Plus de pommiers, ni de vaches. Pas de Normandie souterraine. Un wagon de terre deviendra fournée de pain.
(…)
20
(…) Les usines, ces précieuses, seront situées tout en bas de la ville, bien à l'abri, leurs fumées absorbées et digérées, leurs déchets
récupérés et utilisés. Au-dessus se situeront les quartiers résidentiels, ruches parcourues par des métros-ascenseurs et des rues roulantes.
Chaque famille aura son alvéole-appartement. Au sommet, quartiers commerciaux, quartiers d'affaires et de distractions. Et autour des portes,
à l'extérieur, les garages blindés. Pas de véhicules à l'intérieur de la ville ronde, mais un réseau très serré de rues roulantes pour se déplacer
horizontalement, et de métros et escaliers roulants pour la verticale. Les trottoirs resteront fixes, pour permettre l'accès aux magasins et portes
des logements. Eclairage sans ombres, diffusé par surfaces planes reconstituant la lumière du jour. Avec aube, midi et crépuscule. La nuit,
dans les avenues enterrées, entre les arbres synthétiques, on allumera les becs à gaz…
L'air sera amené de quelque montagne voisine. Et, pendant les alertes, fabriqué sur place. En plus des installations générales, chaque alvéole
possédera un accumulateur d'énergie capable de faire fonctionner ses moteurs ménagers et de lui donner de la lumière, de l'air pur et de la
nourriture simple mais essentielle, pendant plusieurs années.
Les ordures et les eaux usées seront évacuées par un fleuve souterrain. 1
Voici également pour la revue de science-fiction "Horizons du Fantastique", une interview de René Barjavel sans doute plus révélatrice de ses
intentions et de son envie de sauver l'humanité. L'auteur est en quelque sorte un idéaliste qui a les pieds sur terre, mais qui s'envole à travers
ses romans vers des imaginaires qui laissent transpirer un message d'amour et de paix. Bien que ces messages soient souvent empreints de
violence guerrière, l'auteur reste avant tout humain!
R.B. - Je crois que je suis dans la ligne des fabulistes. Je raconte une histoire pour en tirer, non pas une morale, mais une moralité. Une
moralité pratique qui est une espèce de conclusion logique de l'examen des faits. C'est curieux : vous dites que je suis optimiste alors qu'on
me reproche toujours d'être pessimiste. En réalité, j'essaie de sauver mes héros parce que je les aime, ils me font plaisir et puis ils
représentent pour moi l'homme. J'aime l'homme aussi et je voudrais bien qu'il se sauve : je n'en suis pas certain. Il y a une chose qui me fait
penser que tout de même il se sauvera, c'est que je crois qu'il est chargé d'une mission. Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est que les biologistes
ont découvert il n'y a pas très longtemps que lorsque l'ovule est fécondé, commence à devenir oeuf et à se diviser, il met immédiatement de
côté tout ce qu'il a reçu des deux cellules qui l'ont composé, tout le bagage héréditaire, pour fabriquer les nouvelles cellules reproductrices :
tout le reste va servir seulement à fabriquer le porteur. Je crois que nous nous transmettons un message. Lequel? Vers où? Ça, nous ne le
savons pas. Mais il y a là une finalité.
HDF - En tant qu'auteur de SF, pouvez-vous nous décrire le visage de l'an 2000 ; également la fin du monde?
R.B. - En l'an 2000, il y aura encore des vieilles villes comme Paris que l'on va agrandir en en faisant des espèces de cancer jusqu'au jour où
l'on fera des villes souterraines ou verticales ; la ville horizontale n'existera plus. Le sol, il va falloir le libérer, sinon il va être bientôt recouvert
par l'habitation de l'homme. Les villes enterrées seront possibles si on y met de la couleur, de la lumière et les villes verticales seront possibles
si on renonce à faire ces tours qui sont des accumulations de boîtes à chapeaux. Le grand architecte de l'avenir, c'est Eiffel ; ce n'est pas le
1
Barjavel - Journal d'un Homme Simple - Editions Denoël - 1951 - p.139
21
Corbusier. Ce dernier a fabriqué des maisons de 10 étages en ciment, lourdes, mal conçues, tristes. Eiffel a fait une tour de 300 mètres qui
pèse moins que le volume d'air qu'elle contient ; c'est d'une légèreté incroyable. L'humanité est actuellement aspirée par les villes qui sont
monstrueuses, cancéreuses, alors que le village était une cellule organique, le bourg aussi. Si les hommes, à l'avenir, sont un peu sages, les
villes de demain pourront recréer la civilisation des villages. Quand on parle de la fin du monde, je crois qu'on est en train de la fabriquer, par
l'empoisonnement de l'environnement, la pollution,… etc. 1
Dans son premier roman "Ravage", écrit 27 ans plus tôt, on retrouve tout l'esprit qu'il nous exprime ici dans cette interview donnée au magazine
"Horizons du Fantastique". Le monde imaginé était arrivé à se gorger de villes, l'Homme présent en trop grand nombre, et la technologie
pousse-bouton, actuellement appelée domotique ou immotique, prépare la ruine de ces cités du futur qu'il imagine pour 2050. La fin du livre
nous remet les pieds sur terre, c'est à dire dans la boue ! Car il n'existe plus rien autour de ces ruines ravagées par un cataclysme si terrifiant
que, s'il arrivait aujourd'hui, nous en serions au même point, déjà! Son message est clair! Attention, vivez sainement, ne vivez pas pour
consommer, mais travaillez à votre bonheur sans excès, sans profit, sinon la ruine vous attendra au tournant!
On se rend compte du pouvoir des livres! Malheureusement, ceux-ci ne sont pas lus et compris de la même façon par tous… Et souvent les
messages que ceux-ci veulent nous faire passer demeurent enfouis entre les pages, le lecteur reste aveugle et imperméable aux nouvelles
idées.
Barjavel acceptait d'être considéré comme auteur de science-fiction, faute de mieux, mais l'appellation même doit être repensée, pour éviter
toute confusion avec la littérature dite "de marge", accessible en gare et de bonne compagnie dans un taxi. La science-fiction de Barjavel sert
de toile de fond au message de l’auteur, qui lui ne souffre pas d’étiquette, et que l’on retrouve avec toute sa cohésion dans ses autres écrits,
tels ses essais et articles. Ecoutons-le lui-même se positionner "Ce qui me met, je crois, en marge de la science-fiction, c’est qu’on ne trouve
jamais dans mes livres de monstres extravagants ou d’extraterrestres. Mes personnages sont toujours des êtres humains. C’est le sort des
hommes, de l’espèce humaine, qui est mon souci. Je me qualifierais plutôt de fabuliste. Mes romans sont des fables dont on peut tirer une
moralité. Non pas une morale, c’est-à-dire une règle de vie, mais bien une moralité, c’est-à-dire un conseil pratique". La science-fiction comme
il la conçoit ne se limite pas au roman. "La science-fiction apporte des voies nouvelles vers des horizons sans limites. Ce n’est pas un genre
littéraire nouveau, c’est une nouvelle littérature qui comprend tous les genres : lyrique, dramatique, psychologique, satirique, philosophique,
épique, etc.". Il confiait lui-même que les grands auteurs d’hier eussent été auteurs de science-fiction aujourd’hui. Aussi, bien que ce ne soit
pas le genre littéraire qui nous intéresse ici, il nous faudra, chaque fois qu’il sera nécessaire de le mentionner, éviter de penser que Barjavel
était un auteur asservi par la science-fiction. Elle ne lui fut qu’un moyen de s’exprimer.
Dans "La Faim du Tigre", il nous dévoile enfin les vérités essentielles de sa pensée. Il tente de nous indiquer une philosophie de vie, un idéal
plus serein, à travers ses histoires.
1
Horizons du Fantastique n°11 - 2ème Trimestre 1970
22
L’homme s’il veut se sauver, sauver son espèce, doit retrouver la signification et la raison de son existence dans le grand corps de la vie. (...)
En inventant des outils et des machines, l’homme s’est doté de moyens que la Nature, ou le Planificateur, n’avait pas jugé nécessaire de lui
octroyer au départ. Il était peut-être prévu dans le plan qu’il se ferait pousser ces prolongements. Peut-être pas. Il semble bien que l’espèce
humaine, ayant fait éclater le cadre de sa fonction, se soit mise à vivre pour elle-même, aux dépens de l’organisme qu’elle devait servir.
Elle se développe aujourd’hui monstrueusement, comme un cancer et, comme lui, est sur le point de faire périr le corps sur lequel elle prolifère
en l’épuisant. Et de périr avec.
Si elle ne périt pas, si le vivant subsiste, du moins se sera-t-il amputé des cellules anarchiques et l’homme rescapé, nu et désarmé, se
retrouvera inséré à sa juste place, comme au temps de sa création. (...)
L’homme-outil-machine n’est sans doute pas, en soi, une faute ou une erreur, un crime contre le vivant. Son erreur et son crime, c’est d’utiliser
ses mains, ses outils, son intelligence en dehors de sa fonction, pour le seul développement matériel mathématique de l’espèce, sans harmonie
ni équilibre de celle-ci en elle-même ni avec les autres parties du monde vivant. (...)
L’homme peut retrouver une chance de vivre en réintégrant sa fonction. Ce qui ne signifie pas qu’il doive sacrifier les prolongements techniques
qu’il a greffés sur sa chair nue, mais les mettre, comme lui-même, au service de l’équilibre et de l’harmonie de l’Univers. 1
1
Barjavel - La Faim du Tigre - Collection Folio - Editions Denoël - 1966 - pp.129 à 130
23
La terre est une graine en train de germer.1
1
Barjavel - Colomb De La Lune - Collection Folio - Editions Denoël - 1962
24
5..
Les Grands Thèmes
5.1.. L'Architecture Enterrée
.. L'Arche, L'Abri ..
Barjavel a vécu les deux guerres du siècle dernier. L'une, dans son village natal, encore enfant, à jouer aux billes et à regarder les colonnes de
fourmis disparaître dans les anfractuosités des murs de son jardin. Il a fait la deuxième guerre comme caporal-cuistot dans un régiment de
zouaves. De retour parmi les siens, dans Paris qu’il ne quittera plus, il vit, seul, la libération de la capitale où se confrontent et s'affrontent les
Allemands en fuite, les jeunes idéalistes du maquis et les voisins devenus justiciers.
Voici peut-être une explication à son penchant pour l'architecture souterraine, protégée, hors du monde, car là en bas, on n'entend plus le
souffle du vent, on n'y voit plus les ombres menaçantes dans le ciel, la paix y est totale. Je suis moi-même fasciné par ce monde enterré, mais
j'émettrai quelques réserves relatives aux effets psychologiques d'un tel habitat.
Nous retrouvons des abris en forme d'œufs, de cylindres ou de sphère dans plusieurs de ses romans.
"La Nuit des Temps" reste un livre gravé dans bien des mémoires. On retrouve dans l'introduction cette architecture abri, vaisseau à travers le
temps, qui contient une graine, la vie.
Dans l'écroulement du monde clos, tout ce qui était composé du même alliage que la paroi externe avait subsisté. Des planchers sans mur, des
escaliers sans rampes, des rampes ne menant nulle part, des portes ouvrant sur le vide, des pièces closes suspendues, reliés les uns aux
autres, soutenus, étayés par des poutres ajourées ou des arcs-boutants légers comme des os d'oiseaux, composaient un squelette d'or léger,
inimaginablement beau. Presque au centre de la Sphère, une colonne traversait verticalement de part en part. Elle était, ou contenait,
vraisemblablement, la perforatrice. A son pied, appuyée contre elle, et, semblait-il, soudée à elle, se dressait une construction d'environ neuf
mètres de haut, hermétiquement close, en forme d'œuf, la pointe en l'air.
- Nous avons ouvert la graine, voici le germe, murmura Léonova.
Un escalier, dont les marches d'or semblaient tenir en l'air toutes seules, partait de l'emplacement de la Porte dans la paroi de la Sphère,
traversait l'air comme un rêve d'architecte, et aboutissait à l'Œuf, aux trois quarts de sa hauteur. Logiquement, à cet emplacement devait se
situer l'ouverture. De planchers en passerelles et en escaliers, par des chemins aériens, les explorateurs descendirent vers l'Œuf. Et ils
trouvèrent la porte à l'endroit où ils pensaient la trouver. Elle était de forme ovoïde, plus large vers le bas. Fermée, bien entendu, et ne
présentant aucun dispositif d'ouverture. Mais elle n'était pas soudée. 1
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.71
25
Ici, l'architecture décrite est avant tout axée sur la forme sphérique pour sa pureté, la beauté de sa simplicité et son alliance parfaite avec le
cocon, la graine prête à germer. Il n'y a donc rien à découvrir dans ces formes étranges, hormis l'harmonie des courbes, droites et des lignes
brisées.
Dans "Le Diable l'Emporte" ou "Une rose au Paradis", ces abris contiennent l'Homme, mais cette fois-ci, celui-ci est bien vivant, et cet œuf est
bel et bien sa prison pour plusieurs décennies. Ces romans sont, souvent dans un contexte de guerre atomique, basés sur la destruction totale
de la vie sur terre, allant de la mort au renouveau et les abris constituent l'espérance de l'humanité. Cette vision des choses est totalement
utopique : quelques personnes, livrées à elles-mêmes, vont se retrouver à l'âge de la pierre au sortir de leur catacombe et vont devoir
accomplir la tâche de repeuplement de la surface de notre globe. Ces abris sont en quelque sorte des "arches de Noé".
L'Arche était un cylindre d'acier enfoncé verticalement dans la terre. Sa hauteur était de cent-vingt mètres, et son diamètre de trente. Elle se
composait de plusieurs étages superposés, celui du haut étant réservé aux humains. Au centre de l'étage se trouvait le grand salon rond, lieu
de réunion, salle commune, où s'ouvrait le Trou et aboutissait le Distributeur. Il était rarement vide, chacun le traversait ou s'y installait à toute
heure du jour. Son meuble principal était le grand divan violine en forme de croissant, qui épousait la courbe du mur avec ses grands coussins
en capiton de faux cuir, doux, mous, solides, indestructibles. Le reste du mobilier réunissait des pièces de styles divers, hétéroclites, mais bien
choisies et s'accordant. Un couloir circulaire encerclait le salon. Autour du couloir étaient situés les cinq chambres, l'atelier de M. Jonas, la
pelouse-fontaine, et la salle de gymnastique. Soit huit pièces disposées comme les tranches d'une couronne. Autour d'elles courait un second
couloir d'où partaient les ascenseurs, escaliers et glissoirs, plongeant vers les autres étages.
Sous les humains se trouvait l'étage des bêtes. C'était le plus épais. Les bêtes en hibernation reposaient, seules, ou par couples ou familles,
dans des cases séparées, hermétiques, dix en largeur, dix en longueur et dix en hauteur. Seules certaines cases du haut avaient un plafond
transparent, pour la distraction des passagers de l'Arche. Au-dessous des bêtes, une tranche circulaire de l'Arche contenait l'énorme réserve
de graines, rhizomes, tubercules, stolons, boutures, drupes, gousses, pépins, amandes, racines, greffes, bourgeons, marcottes, et tous autres
éléments de reproduction des arbres, plantes et plantules, conservés chacun dans les conditions qui lui convenaient, surgelé ou déshydraté ou
dans un gaz neutre ou dans un cocon de plastique, ou simplement dans le noir et au sec. Cette armée silencieuse devait partir à la conquête
de la Terre et y réinstaller la vie végétale, avant qu'il soit possible de réveiller les animaux.
Le fond de l'Arche contenait l'étage de la machinerie. C'était M. Jonas qui veillait sur celle-ci. Son travail n'était pas très absorbant. L'ordinateur
et ses annexes électroniques, mécaniques et physico-chimiques fonctionnaient si parfaitement qu'il n'avait, en pratique, rien d'autre à faire que
les regarder, et remplacer de temps en temps une pièce qui s'usait par une pièce neuve. Il en possédait un stock prévu pour durer au moins
cent ans. Tous les circuits et tous les mécanismes essentiels avaient été installés en quatre exemplaires, susceptibles de se remplacer
automatiquement en cas de panne. L'énergie, inépuisable, provenait d'une pile universelle, ou pile U, ou plus simplement pilu. Elle était le cœur
de l'arche. De telles piles avaient été les cœurs des bombes qui avaient rasé la Terre. 1
1
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.97
26
Ces romans sont d'un grand intérêt pour l'étude des formes courbes, des sphères et autres espaces confinés. Dans chacun d'eux, on se
retrouve comme dans un petit laboratoire "de poche". Chacun de ces livres dévoile une éprouvette où la vie continue, dans un espace bien
défini. Dans ce cadre intérieur, les personnages sont entourés par des phénomènes reproduisant ce que l'Homme est habitué à partager avec
la nature, avec son environnement à la surface.
Il s'agit en effet d'une interrogation permanente sur la qualité de vie d'un espace refermé sur lui-même. L'Homme deviendrait-il fou dans son
blockhaus comme le poisson rouge dans son aquarium sphérique si on lui accordait une vie pour s'en souvenir? Comment éviter qu'il ne tourne
en rond, à la recherche d'un peu d'air pur…? Le poisson rouge ne se souvient pas d'autre chose que de la bulle de la seconde précédente…
Décortiquons ensemble cet abri. Nous voici au centre, dans un espace où le plafond est haut, ou l'on entend l'eau couler dans la vasque de la
fontaine. L'espace rond est une forme qui rassemble, qui unit … La famille s'y retrouve. Dans la maison sur la cascade de Wright, c'est l'âtre qui
se situe au centre de l'habitat. Ici, il n'y a pas de feu ouvert, mais une fontaine, apaisante… Cette architecture en courbes régulières incite à
une ambiance familiale, où les membres de celle-ci se retrouvent poussés les uns vers les autres, vers ce salon, cœur de leur habitation. Les
chambres, mises à l'écart, indiquent l'intimité de leur emplacement.
Les animaux, endormis, sont malgré tout des amis pour ces voyageurs du temps. Ces derniers peuvent les observer dans leur sommeil, ce qui
les rassure et les émerveille. La vie dans un tel abri est entièrement basée sur un équilibre parfait, où chacun tient son rôle et où l'harmonie est
nécessaire à leur survie. Le moindre grain de sable peut compromettre à jamais la vie sur notre planète.
On pourrait se reposer la question : "Devient-on fou dans un espace courbe?" …
Il n'est pas évident d'y répondre sans en avoir fait l'expérience soi-même.
Dans "Une Rose au Paradis", les enfants, nés dans l'abri, ne connaissent que lui, et ne se sentent donc pas du tout à l'étroit dans celui-ci, ne
connaissant pas les dimensions du monde extérieur. Quand on leur parle du ciel, ils imaginent un plafond ou se déplacent des images
d'oiseaux et de nuages… Ce plafond est appliqué à une dizaine de mètres au-dessus du sol. Quand on leur parle de l'infini, ils ne comprennent
pas! Mais nous, sur notre petite planète bleue, comprenons-nous vraiment la signification de ce mot? L'infini est sans doute plus effrayant que
l'espace clos! Blaise Pascal le disait déjà au XVIIème siècle : "Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie…". Mais nous avons décidé
d'éluder la question, de ne plus y penser. Il est tellement plus confortable de se donner des limites que l'on appréhende correctement!
Les parents, surtout la maman, rêvent de revoir le ciel, de respirer à l'air libre. Elle s'imagine retourner dans son appartement, reprendre le
cours de sa vie. Malheureusement, il n'en sera rien. Paris n'existe plus, la Seine n'est même plus visible dans le paysage, le bouleversement l'a
déroutée, déviée de sa trace originelle, elle a trouvé un autre lit. En dehors du fait que madame Jonas s'ennuie dans ce monde fait de surfaces
courbes, fermé sur lui-même, elle n'a pas vraiment l'air de souffrir de sa condition de captivité fortuite.
27
Mais il faut bien se rappeler que ce laboratoire n'est qu'une illusion, une fiction, et que Barjavel dicte ses impressions aux habitants de son
monde. Peut-on se fier à son jugement? Je pense qu'il a écrit ce livre en se mettant dans la peau de chaque personnage, et qu'il a essayé
d'extrapoler le moindre de leurs sentiments. Son jugement se base sur ses propres intuitions, comme nous en avons tous devant un tel espace.
En effet, si je vous demande de vivre dans un espace courbe, où le plafond se mêle aux parois, où l'unité règne entre toutes les articulations
des surfaces contiguës, qu'en penserez-vous? Aurez-vous un sentiment de bien-être ou de mal-être?
Je me suis souvent posé cette question, et je penche pour un sentiment de bien être, bien que j'aie des envies particulières. Pour moi, un
espace courbe, doit faire également ressentir une tension, une cassure nette avec l'espace souple qui se dilate de pièces en pièces. C'est un
moyen qui me permet de rester les pieds sur terre, de garder mes repères. L’être humain est par essence imparfait et donc, sa recherche de la
perfection, n'est pas une chose évidente à gérer. Jusqu'ici, la perfection, pour moi consistait à résoudre les problèmes qui me tracassaient, à
changer une ligne par une courbe, à trouver la juste courbe, celle qui me plaît, qui s'accroche à la suivante de manière optimale. Mais arrivé au
but que l'on s'est fixé, il nous reste toujours un sentiment d’incomplétude, d’inachevé…
Nous ne serons jamais entièrement satisfaits de nos réalisations à moins d’être portés par cette dynamique du mieux faire, du mieux
être……« L’ennui naquit un jour de l’uniformité », a dit un jour Antoine de la Motte-Houdar. Et bien, plutôt que de végéter dans un
environnement ennuyeux, il est important sinon essentiel de préserver avant tout une sensation dynamique : ce que l’on imagine, ce que l’on
crée doit donner l’envie, le goût d’y vivre.
La question relative à l'habitat courbe reste, bien entendu, ouverte malgré tout. Et il faudrait passer par l'expérimentation pour en tirer quelques
conclusions. Mais il s'agit, avant tout, d'un phénomène psychologique, basé sur ce que l'on connaît. Habiter quelque part, pour l'homme, c'est
vivre dans des pièces aux bords vifs, aux plafonds définis, aux ouvertures cadrant le paysage. L'Homme part d'abord à la recherche de ses
repères connus. Le placer dans un espace plus ouvert, plus naturel, risque d'en mettre plus d'un mal à l'aise. C'est un nouveau type d'espace
qu'il doit découvrir, où il doit pouvoir se retrouver. La symétrie totale, parfaite, n'est sans doute pas une des meilleures références dans un
habitat courbe. La diversité des courbes doit apporter des nuances, des dynamiques et des repères.
Je développe d'avantage ce sujet autour d'un habitat bien réel, "Le Palais Bulle" de Pierre Gardin. Rendez-vous au chapitre consacré aux
espaces courbes pour vivre une expérience bien concrète de ces lieux faits de sphères et d'ovoïdes divers.
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.. Les Strates et les Niveaux Souterrains ..
L'architecture enterrée proposée par Barjavel, prend deux directions. Ci-dessus, j'ai
parlé de l'architecture abri, œuf ou cylindre. Mais il propose également une architecture
enterrée sous forme de couches successives, tels des étages de parking, à la différence
près que chaque étage est composé d'un feuilleté de couches de fonctions : des
parkings, des espaces verts, des circulations, de l'habitat et de l'industrie. Chaque
étage, qu'il appelle "profondeur", fait l'équivalent d'un petit kilomètre de haut.
Après la guerre d'une heure, le peuple de Gondawa était resté enterré. Les abris
avaient démontré leur efficacité. Malgré le traité de Lampa, personne n'osait croire que
la guerre ne recommencerait jamais. La sagesse conseillait de rester à l'abri et d'y vivre.
La surface était dévastée. Il fallait tout reconstruire. La sagesse conseillait de
reconstruire à l'abri.
Le sous-sol fut creusé davantage en profondeur et en étendue. Son aménagement
engloba les cavernes naturelles, les lacs et les fleuves souterrains. L'utilisation de
l'énergie universelle permettait de disposer d'une puissance sans limite et qui pouvait
prendre toutes les formes. On l'utilisa pour créer sous le sol une végétation plus riche et
plus belle que celle qui avait été détruite au-dessus. Dans une lumière pareille à la
lumière du jour, les villes enfouies devinrent des bouquets, des buissons, des forêts.
Des espèces nouvelles furent créées, poussant à une vitesse qui rendait visible le
développement d'une plante ou d'un arbre. Des machines molles et silencieuses se
déplaçaient vers le bas et vers toutes les directions, faisant disparaître devant elles la
terre, et le roc. Elles rampaient au sol, aux voûtes et aux murs, les laissant derrière elles
polis et plus durs que l'acier.
La surface n'était pas qu'un couvercle, mais on en tira parti. Chaque parcelle restée
intacte fut sauvegardée, soignée, aménagée en centre de loisirs. Là, c'était un morceau
de forêt qu'on repeuplait d'animaux; ailleurs, un cours d'eau aux rives préservées, une
vallée, une plage sur l'océan. On y construisit des bâtiments pour y jouer et s'y risquer à
la vie extérieure que la nouvelle génération considérait comme une aventure.1
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.197
29
Dans cette vision d'un urbanisme à la verticale, la présence d'un vrai "faux" ciel annule le problème lié à la verticalité. En effet, on n'observe
plus de gratte-ciel dans cette architecture mise à plat. Passer d'un étage à l'autre se fait par des rampes, petits escaliers ou par des ascenseurs
ultra-rapides qui peuvent vous emmener de la surface au dernier sous-sol. Une nature exubérante de végétation et d'animaux en tous genres
envahit chaque niveau et nous laisse rêveur. Tout le problème à résoudre reste celui de l'énergie, qui permet d'éclairer ces cavernes comme en
plein jour!
Quittons un instant les romans de Barjavel, pour nous attacher à la vision d'utopistes et d'architectes précédent les récits de l'auteur.
Ceux-ci ont sans doute été les guides spirituels de Barjavel dans ses recherches sur l'architecture "taupe".
Dans son roman "Les Indes Noires" daté de 1877, Jules Verne, nous décrit une ville enterrée aux aspects fort ressemblants à ceux des villes
enfouies de Barjavel.
Ce tunnel, à pente douce, largement évidé, venait aboutir directement à cette crypte si singulièrement creusée dans le massif du sol écossais.
(…)
Un double railway, dont les wagons étaient mus par une force hydraulique, desservait, d'heure en heure, le village qui s'était fondé dans le
sous-sol du comté, sous le nom un peu ambitieux peut-être de "Coal City", c'est-à-dire la Cité du Charbon. (…)
Le visiteur, arrivé à Coal City, se trouvait dans un milieu où l'électricité jouait un rôle de premier ordre, comme agent de chaleur et de lumière.
(…)
En effet, les puits d'aération, quoiqu'ils fussent nombreux, n'auraient pas pu mêler assez de jour à l'obscurité profonde de la NouvelleAberfoyle. Cependant, une lumière intense emplissait ce sombre milieu, où de nombreux disques électriques remplaçaient le disque solaire.
Suspendus sous l'intrados des voûtes, accrochés aux piliers naturels, tous alimentés par des courants continus que produisaient des machines
électromagnétiques – les uns soleils, les autres étoiles –, ils éclairaient largement ce domaine. Lorsque l'heure du repos arrivait, un interrupteur
suffisait à produire artificiellement la nuit dans ces profonds abîmes de la houillère… 1
Si l'urbanisme souterrain demeure une idée prospective, par contre l'architecture souterraine est une donnée historique. Depuis l'Egypte
antique, en passant par les catacombes de Rome jusqu'aux tunnels routiers actuels et aux abris dans les montagnes Suisses, les exemples
d'architecture souterraine sont nombreux à travers l'histoire.
1
Jules Verne - Les Indes Noires - Editions Hetzel - Paris - 1877
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Les villes et villages souterrains de la ceinture de loess de la
Chine représentent la solution la plus extrême en matière
d'abri. Le loess est un limon, transporté et déposé par le vent.
Ce matériau tendre et d'une grande porosité se creuse très
facilement. En certains endroits, sous l'action des roues des
véhicules, les routes se sont enfoncées de douze mètres par
rapport à leur niveau initial. Dans les provinces du Ho-nan, du
Chan-si, du Chen-si et du Kan-sou, environ dix millions de
personnes vivent dans des habitations creusées dans le loess.
Cette photographie montre des communautés d'un plan très
rigoureux, pour ne pas dire abstrait, situées près du Tungkwan (Ho-nan). Les carrés sombres qui se découpent dans le
paysage plat sont des puits d'environ 500 mètres carrés de
superficie, soit à peu près les dimensions d'un court de tennis.
Leurs parois verticales descendent à des profondeurs variant
de 7,50 à 9 mètres. Des escaliers en L conduisent aux
habitations dont les pièces sont à 9 mètres de profondeur
environ : elles ont, en moyenne, 4,50 mètres de large et 4,50
mètres de hauteur sous plafond voûté; elles reçoivent l'air et la
lumière par des ouvertures donnant sur la cour carrée.
"On voit parfois des volutes de fumée monter des champs", écrit George B. Cressey dans "Land of the 500 million : A Geography of China",
bien qu'il n'y ait aucune maison en vue; ici la terre fait double usage, avec les habitations en sous-sol et les champs au rez-de-chaussée." Ces
demeures sont propres, dépourvues de parasites, chaudes en hiver, fraîches en été. Comme les habitations, les usines, écoles, hôtels et
locaux administratifs sont entièrement installés sous terre.
Depuis le siècle dernier, une nouveauté s'applique à l'architecture enterrée. Elle s'opère en fonction des besoins de parkings, de circulations
souterraines dans les grandes villes, d'usines et d'ouvrages militaires.
De même, les tunnels routiers n'ont cessé depuis un siècle de se multiplier et d'atteindre des longueurs de plus en plus considérables. Prenons
par exemple les travaux du tunnel sous la Manche. Celui-ci fait quarante-trois kilomètres de long, dont trente-trois sous la mer.
31
Dans une vingtaine de pays, des usines souterraines ont été creusées ou aménagées dans des excavations déjà existantes. Mais ce sont sans
doute les installations militaires souterraines qui ont le mieux souligné les possibilités d'une vie souterraine. En 1964, une maison souterraine
donnant l'illusion de la vie au grand air a été proposée à l'Exposition Internationale de New York.
Edouard Utudjian est un grand visionnaire de l'architecture enterrée.
Dès son adolescence, à peine arrivé d'Istanbul où il naquit en 1905, cet Arménien se passionna pour le Paris souterrain de Victor Hugo et pour
les images de la construction du métro. Mais il rêvait ce dernier comme une véritable ville souterraine. Le directeur des travaux de Paris confia
au jeune diplômé une étude de restructuration de Paris, comprenant des architectures souterraines, en lui demandant néanmoins de considérer
ces recherches comme utopie. En 1933, âgé de vingt-huit ans, Edouard Utudjian fréquente l'atelier d'Auguste Perret. Il suit les conférences de
Le Corbusier avec grand intérêt, mais reste sur ses propres principes de verticalités souterraines. A cette époque, des constructions enterrées
existaient bien, mais isolées, sans aucune continuité. Un groupe d'étude spécialisé dans la question d'une architecture souterraine voit le jour
sous le nom du Groupe d'Etudes et de Coordination de l'Urbanisme Souterrain (G.E.C.U.S.). Un premier congrès est organisé à Paris en 1937
par le Comité Permanent International des Techniques et de l'Urbanisme Souterrains (C.P.I.T.U.S.). Grâce à ce congrès, le G.E.C.U.S. connaît
une rapide audience. Il s'attache d'abord à des objectifs limités tels que la construction en sous-sol de cinémas, puis de parkings et enfin, peu
avant la guerre, à des réalisations d'ouvrages pour la protection civile.
Utudijan n'est pas pris au sérieux. Il reconsidérait entièrement le principe de la ville et préconisait une cité à trois dimensions : souterraine, au
sol et spatiale. Son concept reprenait l'idée d'une "ville en épaisseur" réunie par des circulations verticales, et non une ville seulement en
étendue ou seulement en hauteur. On retrouve ces propositions dans le roman de Barjavel, "La Nuit Des Temps". Le sujet de la mobilité sera
quant à lui, étudié plus loin dans ce mémoire.
Actuellement, l'urbanisme en surface pose de nouvelles questions, alors que l'urbanisme du sous-sol reste inexistant. On conçoit parfaitement
combien une ville libérée au sol de toutes ces servitudes pourrait être aérée, claire, saine. La ville serait ainsi comme un arbre, avec des
racines profondément enfoncées dans le sol lui permettant d'y puiser toutes ses énergies, les branches et les feuilles constituant l'habitat, les
loisirs et tous les espaces nécessitant une vie à la lumière du jour. C'est ce qu'Edouard Utudjian appelait "l'urbanisme à trois dimensions". Car
pour lui, l'urbanisme souterrain ne pouvait ignorer l'urbanisme en surface qui, lui-même, devait se continuer par un urbanisme spatial.
L'organisation du sous-sol, rationnellement conçu, écrivait-il, n'était pas séparable de celle de la surface. Tous les ouvrages, qu'ils soient au sol
ou en dessous, seront aménagés en connexion étroite pour former un tout homogène.(…) Le principe majeur est d'enfouir sous terre tous les
organes utilitaires de la cité, comme l'est la cave par rapport à la maison. La surface des villes sera réservée à la vie, à l'activité urbaine et aux
échanges de toutes sortes. Une bonne partie de la circulation des liquides, de l'énergie, des véhicules et des hommes sera enfouie, comme les
réserves, les approvisionnements et les archives, l'évacuation des ordures, des déchets, des gadoues et des eaux usées; en surface se
trouveront de vastes espaces ensoleillés, des jardins, des zones de verdure, des habitations, des lieux d'échange.
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Mais Utudjian insistait sur le fait que les machines qui, déjà, assurent de plus en plus le fonctionnement des rouages internes des villes,
devraient permettre de limiter le séjour des hommes sous terre au strict nécessaire. Comme une grande partie de la vie laborieuse se déroule
néanmoins sous terre, l'architecture souterraine devrait tenir compte de ce séjour prolongé. C'est à dire que l'esthétique de l'architecture
souterraine devrait rassurer l'occupant, afin d'éviter la claustrophobie.
A ce sujet, je mentionne en passant les expériences intéressantes du spéléologue français, Michel Siffre. Depuis 1962, il s’est attaché à
démontrer scientifiquement que l’homme pouvait vivre sous terre, en dehors de tous les repères connus d’espace-temps…Mais l’étude de la
chrono-biologie est un autre débat, étranger à mon propos…et certains milieux scientifico-militaires se sont appropriés les résultats pour
d’autres types de recherches au caractère moins « humaniste ».
Barjavel propose lui aussi un système où les usines souterraines sont quasi entièrement automatisées, et où le temps de travail dans les
profondeurs est réduit au strict minimum. Voici un extrait reprenant une philosophie de l'économie et du travail qu'il imagine pour les habitants
de Gondawa.
La clé était la base du système de distribution.
Chaque vivant (...) recevait (...) une partie égale de crédit, calculée d’après la production totale des usines. Ce crédit était inscrit à son compte
géré par l’ordinateur central. Il était largement suffisant pour lui permettre de vivre et de profiter de tout ce que la société pouvait lui offrir.
Chaque fois qu’un Gonda (un citoyen) désirait quelque chose de nouveau, des vêtements, un voyage, des objets, il payait avec sa clé.
Il (...) enfonçait sa clé dans un emplacement prévu à cet effet et son compte, à l’ordinateur central, était aussitôt diminué de la valeur de la
marchandise ou du service demandé.
(...) Il n’y avait pas de pauvres, il n’y avait pas de riches, il n’y avait que des citoyens qui pouvaient obtenir tous les biens qu’ils désiraient. Le
système de la clé permettait de distribuer la richesse nationale en respectant à la fois l’égalité des droits des Gondas, et l’inégalité de leurs
natures, chacun dépensant son crédit selon ses goûts et ses besoins.
Une fois construites et mises en marche, les usines fonctionnaient sans main d’œuvre et avec leur propre cerveau. Elles ne dispensaient pas
les hommes de tout travail, car si elles assuraient la production, il restait à accomplir les tâches de la main et de l’intelligence. Chaque Gonda
devait au travail la moitié d’une journée tous les cinq jours, ce temps pouvant être réparti par fragments. Il pouvait, s’il le désirait, travailler
davantage. Il pouvait, s’il voulait, travailler moins ou pas du tout. Le travail n’était pas rétribué. Celui qui choisissait de moins travailler voyait son
crédit diminué d’autant. A celui qui choisissait de ne pas travailler du tout, il restait de quoi subsister et s’offrir un minimum de superflu.
Les usines étaient posées au fond des villes. (...) Elles étaient assemblées, accolées, connectées entre elles. Chaque usine était une partie de
toute l’usine qui se ramifiait (...) en nouvelles usines (...), et résorbait celles qui ne lui donnaient plus satisfaction. 1
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.198
33
Barjavel nous propose ici un nouveau système social, politique et surtout économique. Cette proposition ne peut se tenir qu'au niveau d'une
politique mondiale et c'est surtout en cela qu'elle est utopique et irréalisable.
Voici un autre exemple, concret. Une ville souterraine a failli être édifiée à Pittsburgh aux Etats-Unis. Ce projet était d'autant plus facilement
réalisable qu'il s'agissait moins de creuser une ville, que de "remplir" une vallée d'un kilomètre et demi de long. Les trois cent mille mètres
carrés de ravins auraient été transformés en un centre de recherches comprenant des laboratoires, des bureaux, des magasins, des
appartements, des autoroutes, des parkings, des théâtres, des restaurants, des lieux de récréations diverses, un service d'autobus, etc., le tout
souterrain. La circulation entre les différents niveaux de cette ville souterraine se serait évidemment faite par ascenseurs, escalators et
escaliers ordinaires. Le toit de l'édifice aurait été recouvert par un parc public. Toutes les voitures étant enfouies dans le sol, ce jardin aurait été
exclusivement consacré aux piétons. Par ailleurs, des patios auraient donné la lumière et la ventilation aux habitations de la ville souterraine.
Le monde souterrain a toujours paru aux hommes celui du refuge contre l'ennemi et de dernière demeure une fois l'homme arrivé au bout de sa
vie. Il s'agit d'une réaction physique face à un monde qui n'est pas le sien. Vivre sous terre, cela signifie être "enfermé", enterré. Il est probable
que le retard pris par l'urbanisme souterrain à l'encontre de l'urbanisme de surface, provient de cette répulsion.
Dans son roman "La Nuit des Temps", Barjavel ne nous a montré qu'une possibilité futuriste du développement de nos villes. Ces descriptions
sont attendues pour 2050 par les statisticiens de la démographie mondiale. Mais d'ici là, notre monde aura encore changé, nous ne pouvons
connaître notre futur avec autant de précision.
Pour conclure ce chapitre, j'aimerais expliciter ma propre opinion sur le sujet.
L'architecture enterrée a ses limites. Limites physiques, mais surtout psychologiques, car l'homme est voué à la lumière du jour et à l'air pur. Je
ne crois pas qu'il soit bon d'enterrer de l'habitat, des loisirs et des bureaux. Par contre, les fonctions dites d'architecture-silo comme les usines,
les grands magasins dont les murs sont souvent recouverts de rayonnages et ne laissent aucune ouverture naturelle, les parkings et les
communications urbaines, seraient sans doute mieux à leur place dans des sous-sols aménagés efficacement. On pourra noter qu'il existe de
nombreux exemples de centres commerciaux modernes souterrains : le forum des Halles à Paris, les Malls souterrains à Montréal…
Je ne crois pas à une ville sous la ville, mais plutôt à des pôles souterrains localisés, comme le préconise Utudjian à la fin de sa vie. Il faudra
néanmoins faire attention à ne pas soustraire entièrement la présence de la circulation automobile dans une ville redevenue piétonne, afin de
sécuriser nos rues par une présence continue mais discrète.
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J'aimerais également relever un point important à mes yeux. Vivre à la surface ne signifie pas toujours voir "au dehors". Dans nos mégapoles,
voir au dehors consiste parfois, à voir l'immeuble d'en face, et rien de plus… Peut-être que l'apport de lumière naturelle est suffisant, et que
l'utilisation de vitres translucides, sablées et aux teintes chaudes pourrait apporter un nouveau regard sur l'utilisation des ouvertures.
Citons quelques exemples :
Toyo Ito nous propose une chambre d'hôtel au salon du design de Milan. Une des parois est composée d'une peau vitrée translucide. C'est le
seul apport de lumière naturel qu'il prévoit. Aucune ouverture ne permet au regard de parcourir le paysage urbain.
Le bureau "24H Architecture" nous propose quant à lui un plateau de bureaux à Rotterdam. Une peau secondaire fluide et courbe est appliquée
sur tout le pourtour du bâtiment. Celle-ci filtre le regard des occupants.
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Le naturel est miraculeux. 1
1
Barjavel - La Faim du Tigre - Collection Folio - Editions Denoël - 1966
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5.2..
La Nature au Centre de l'Architecture
La nature apporte beaucoup de choses à l'architecture. Elle est de plus en plus présente dans nos espaces contemporains. Le végétal produit
un effet apaisant sur l'homme et ajoute de la gaieté dans nos habitations. Barjavel nous propose des interventions touchant aux plafonds,
ouvertures virtuelles vers l'espace infini du ciel. Il apporte également le mouvement par la circulation d'air tourbillonnant légèrement, s'enroulant
dans les cheveux de ses personnages imaginaires, rappelant la brise fraîche du matin ou le crépuscule du couchant. Il parvient par les odeurs
apportées par la rosée et par celles des fleurs qui s'épanouissent et fanent le soir tombant, à faire apparaître la notion de temps, élément clef
dans un espace refermé sur lui-même. Cette notion temporelle amène l'impression d'un cycle complet jour-nuit. La végétation est exubérante,
les animaux courent dans l'habitat de l'homme comme s'ils étaient chez eux. Ils ne sont pas apprivoisés, appartiennent à tous et à personne à
la fois. Les Hommes ne les effrayent pas, ils sont habitués à leur présence.
.. Les Ciels ..
Les ciels sont représentatifs d'un espace infini. Le plafond est une frontière franche par rapport à la verticalité des espaces intérieurs. Certains
artistes ont déjà prolongé la deuxième dimension par des trompe-l'œil, en ajoutant une perspective, une profondeur de champ. Dans certains
bâtiments contemporains, on trouve des miroirs qui prolongent l'espace. Le plafond est avant tout considéré comme une couverture et comme
un support d'éclairage. Il reste donc un élément horizontal dans l'espace.
Barjavel imagine des plafonds voûtés reprenant l'image du ciel. Sur ceux-ci, on peut voir évoluer des nuages virtuels. L'auteur repousse ainsi
les frontières verticales des espaces ainsi traités, mais ce seront toujours pour lui de grands espaces tels que des jardins-patios où les murs
sont éloignés voire inexistants ou cachés par la végétation.
L'ouverture du ciel pourrait oppresser le visiteur d'un lieu plus confiné. Il donnerait l'impression d'habiter un labyrinthe, car dans l'architecture
de Barjavel il n'y a pas de fenêtres donnant vers l'extérieur.
On remarquera que le problème de l'éclairage naturel est éludé dans toutes ses conceptions. C'est le seul point négatif insurmontable dans ses
logiques constructives. Il remplace la source solaire par une lumière zénithale. Les plafonds y sont des surfaces de diffusions qui changent de
couleur en fonction des circonstances. Les espaces baignent dans une luminosité aux tons pâles, parfois feutrée ou vivifiante qui précise
encore un peu l'heure du jour ou de la nuit. Elle évolue au fil des saisons. Des solutions ont été envisagées par des architectes contemporains.
Dans le chapitre dédié à l'architecture enterrée, stratifiée, on retrouve par exemple des "Lumiducs", sortes de conduits optiques destinés au
transport de la lumière naturelle. J'y développe également quelques idées au sujet des surfaces translucides.
37
On peut émettre une critique envers l'architecture enterrée présentée dans ces romans…
Bien qu'elle le représente virtuellement, elle nous cache le ciel. L'homme aspire à regarder les étoiles et non une vague copie, qui le bluffe
malgré lui. Ce côté représentatif, illusionniste, risquerait d'en mettre plus d'un mal à l'aise s'il était utilisé abusivement dans les conditions de vie
que nous rencontrons actuellement sur notre planète. Ces conditions sont relativement différentes dans les romans de l'auteur. Dans ces récits,
l'usage de telles projections ne peut être que bénéfique. Les descriptions de ses aventures se passent sur une terre surpeuplée ou dans des
conditions de séquestrations. Il a fallu imaginer une solution pour trouver à chacun un espace de vie correspondant à ses besoins.
Dans notre monde actuel, la situation est différente, nous ne sommes pas obligés de nous protéger. Nous avons accès à l'air pur et aux nuages
qui se déplacent nonchalamment. Dans une architecture enterrée par nécessité, où l'extérieur reste inaccessible, y mettre une représentation
céleste me paraît tout justifié car elle apporte la sérénité.
Alvar Aalto a lui aussi étudié les ciels, devrais-je dire les plafonds… Dans le sanatorium de Paimio, le patient allongé ne voit que celui-ci.
L'architecte préconise l'élimination des arêtes vives et l'utilisation de couleurs moins agressives pour les plafonds pour permettre au patient de
supporter son état "d'être non vertical". Je reste un peu perplexe face à cette attitude où le patient ne doit pas être agressé. Regarder un
plafond, doit pouvoir amener quelque chose au patient. Que va-t-il regarder s'il n'a rien où poser son regard? Plus d'angles, plus de points fixes.
Le regard se perd et n'a plus de repères? Je suis d'accord sur le fait que les détails architecturaux tels que les arêtes et les points lumineux ne
doivent pas encombrer le champ de vision du patient, mais il faut également prévoir une solution qui égaie son horizon.
Le confort signifie-t-il l'anesthésie totale du malade? Alvar Aalto était sur la bonne voie, mais peut-être aurait-il dû aller plus loin, pour éviter que
le plafond ne soit qu'une surface mate où le regard se perd indéfiniment jusqu'à la lassitude. Dans le cas des hôpitaux, l'utilisation de
projections d'images comme des nuages, des oiseaux ou des grains de pollens qui s'envolent par-dessus le lit du patient, seraient sûrement
bénéfiques si elles étaient utilisées à bon escient. Le malade pourrait se divertir en imaginant un chapeau, une fleur ou le visage de sa bienaimée dans ces représentations un peu difformes auxquelles notre rêverie féconde peut donner vie.
Roland fit lui-même une piqûre à Jeanne. Il l'avait conduite à travers la citadelle vers la chambre qui lui était attribuée. Ils s'étaient déplacés à
pied, par des couloirs lumineux animés comme des rues, des escaliers et des carrefours éclatants de blancheur, qui auraient, s'il les avait
connus, confirmé l'amiral Kemplin dans sa conviction que tout cela avait été construit par un architecte ayant connu la Casbah d'Alger.
Lorsqu'on levait la tête, tout ce qu'on voyait, voûtes et plafonds de formes diverses, ronds, obliques, carrés, pointus, engagés les uns dans les
autres avec des décrochements et des renfoncements, tout était peint en bleu de ciel d'été, en bleu de joie. Et par l'effet de quelque projection
adroite, des nuages s'y déplaçaient, et même des vols d'oiseaux avec leurs cris.(…)
Au bout d'une ruelle ils arrivèrent sur une placette un peu surélevée où coulait une fontaine provençale auprès d'un laurier-rose. Le ciel rond
était peint en bleu pâle, avec un petit nuage très blanc qui en faisait lentement le tour. Sa position dans le ciel indiquait aux familiers du lieu
quelle heure il était. 1
1
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.129
38
Je me surprends souvent à imaginer des concepts architecturaux. Comme dans ce cas-ci. Je me retrouve au milieu d'une pièce où les murs
sont blancs, où le plafond les rejoint sans arêtes. Celui-ci paraît transparent, on se croirait au milieu du ciel qui s'estompe doucement en
arrivant à ces bords arrondis. Pendant la journée, on y verrait passer les oiseaux, les avions et les nuages. Si la pluie se mettait à battre, on
recevrait celle-ci sur le visage, enfin presque, le plafond n'étant dans ce cas-là qu'une image virtuelle de ce qui se passe sur le toit même de
l'immeuble. Les murs qui donnent vers l'extérieur sont entièrement revêtus par l'image du bâtiment situé de l'autre côté de la rue, par le champs
ou le parc qui s'étend au pied de notre immeuble… Voilà une de mes rêveries habituelles, en lisant ces romans, j'interprète facilement ces
concepts et les améliore à ma façon, créant ainsi un univers bien à moi.
Que penser alors des projets, voire des tentatives de réalisations cinématographiques adaptées des œuvres de Barjavel ? Elles "tueraient"
quasi immédiatement cette possibilité d'inspirer de telles méditations en en figeant les images !
La pièce était entièrement tendue du même velours, meublée d'un bureau massif de plastec opaque couleur d'acajou, de trois fauteuils grenat,
et d'une table basse. Sur la table, une gerbe de roses sombres jaillissait d'un vase de Venise. La lumière tombait du plafond, tout entier
lumineux. Le mur de gauche, en verre épais, s'ouvrait sur l'infini. Très bas, grouillaient les lumières de Paris. 1
L'idée de faire jouer la couleur de notre environnement au moyen d'éclairages diffus est intéressante. Il faudrait la pousser plus loin, jusqu'à
recopier la couleur du ciel qui environne notre bâtiment. Les plafonds diffuseraient cette lumière, celle-ci raserait les murs et envahirait toute la
pièce. Nos vies s'en trouveraient peut-être mieux régulées, plus en accord avec la nature et notre rythme biologique évoluerait au même pas
que le rythme de notre planète.
M. Gé, à pas lents, grave, se promenait dans l'Arche. Le revêtement du sol était doux. M. Gé marchait sans bruit, silhouette pâle et mince,
teintée de bleu et de rose d'aurore par la lumière venue des murs. C'était l'heure où, dans ce coin du monde, bien au-dessus de l'Arche, les
hommes s'éveillaient au jour levant. 2
1
2
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.27
Barjavel - Le Diable l'Emporte - Présence Du Futur - Editions Denoël - 1948 - p.47
39
.. La Végétation et le monde Animal ..
La nature domine tous les paysages de Barjavel. On y voit des plafonds d'où sortent les racines des arbres qui poussent aux étages
supérieurs, des fleurs et des papillons mettent des touches de couleur dans les jardins, des oiseaux paradisiaques se nichent dans les arbres
et les buissons qui entourent ces mêmes espaces.
Barjavel prône dans tous ses romans un retour vers la nature. Il la respecte et la vénère comme une raison de vivre. Sans elle, nous ne serions
sans doute pas là. Elle est donc essentielle à la propagation de la vie sur notre planète. D'autre part, elle égaie notre espace de vie, nous aère,
nous donne de l'oxygène.
Parfois, Barjavel est contraint de simuler la nature. Dans "Une Rose au Paradis", la vie se déroule dans un abri dans les profondeurs de
l'écorce terrestre. Il a jugé bon y mettre des représentations de la nature pour que les habitants s'y sentent bien malgré tout.
Le saule n’avait pas changé, depuis les années. Pas une feuille de plus, pas une de moins. Il était en plastique. L’herbe aussi. Et les chants des
oiseaux étaient diffusés par les murs ocre et la voûte bleu ciel. Mais ils étaient aussi naturels que du naturel… Et une brise légère venait par
moments faire onduler les longues branches de l’arbre. Et l’herbe et la mousse étaient fraîches et douces sous les pieds nus. Les pierres de la
fontaine étaient en béton, mais l’eau était vraie… 1
Les abris conçus par Barjavel contiennent tous la vie, en hibernation, sous forme de graines ou de semences. Le tout est destiné à repeupler la
terre, notre terre, puisque l'Homme n'a pas su la protéger et la respecter. Ce sont les fondements de beaucoup de ses livres.
Ils étaient à l’étage des bêtes, allongés sur le gazon, en train de regarder la gazelle, si belle avec ses longs cils endormis. L’herbe verte
dessinait des sentiers et des ronds-points entre les surfaces transparentes à travers lesquelles on pouvait regarder les bêtes. 2
Ce retour à la nature est guidé par un sentiment d'attache à notre monde. C'est notre référence culturelle. Si nous devions décrire notre
planète, nous commencerions par citer les éléments naturels qui la composent. La planète bleue porte bien son nom.
1
2
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.13
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.22
40
Regarde…, dit Roland, voici l'avenir…
Il avait conduit Jeanne jusqu'à une terrasse dominant un grand jardin rond d'où montaient des parfums et des rires, des cris de joie, et des
chants d'enfants et d'oiseaux. Appuyé près d'elle à une balustrade de ciment fine comme une dentelle, d'un geste du bras un peu orgueilleux, il
lui désignait le monde nouveau.
Des arbres de toutes essences s'élançaient vers le ciel peint, entremêlant leurs branches exubérantes. Le ciel était bleu comme au-dessus de
Rome, et il en descendait une lumière chaude, confortante, optimiste, dont Jeanne ne devinait pas la source. Quelques petits nuages blancs
traversaient lentement le ciel en changeant de forme avec gentillesse. Le soleil n'était figuré nulle part.
Des lianes montaient à l'assaut des arbres, des groupes compacts d'arbustes attaquaient les pelouses, les pelouses étaient des tapis de fleurs
si serrés qu'on apercevait à peine l'herbe verte. L'œil rond naïf de la pâquerette, le petit œil jaune aigu du trèfle, le grand œil ébahi du pissenlit
y composaient une foule de lumière sur laquelle s'ébattait une foule à peine moins dense d'enfants nus. Les arbres eux-mêmes, et les arbustes,
étaient couverts de manteaux de fleurs.
Parmi beaucoup d'espèces qui lui étaient inconnues, masses de couleurs brûlantes ou tendres, compactes comme des rochers de splendeur
ou jetant en toutes directions leurs éclats échevelés, Jeanne reconnut des rosiers délirants de roses, des chèvrefeuilles et des jasmins en cape
blanche, dont toutes les feuilles semblaient avoir été remplacées par des pétales. Un parfum fantastique, mélange des senteurs de toutes les
fleurs du monde, lui entrait dans les narines comme une présence charnelle, une nourriture de paradis.
Des ruisseaux coulaient entre les pelouses, des sources jaillissaient aux pieds des arbres ou tombaient de leurs branches. Des lapins, des
écureuils, des chats, des hamsters, des cobayes jouaient, se pourchassaient, grimpaient, sautaient, s'enfonçaient dans des terriers. 1
Dans "Ravage", après la chute des technologies et la disparition de l'électricité, l'homme se remet au travail, manie la charrue et réapprend à
vivre de son travail. Peut-être que le but de l'homme, le pouvoir, la richesse, nous détourne des choses véritables de la vie. L'homme n'est pas
fait pour rechercher la fortune, elle ne peut rien lui apporter. C'est en quelque sorte le message philosophique que nous lègue ici Barjavel.
1
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.156
41
.. Le Vent et les Parfums qu'il transporte ..
Le vent, c'est le dynamisme, la puissance, mais aussi le calme. L'absence de vent, c'est le néant.
Aux murs grimpaient des plantes fleuries, s'ouvraient des fenêtres avec des volets verts. Des arbres et des fontaines poussaient aux
carrefours. Parfois une "rue" débouchait sur un paysage de campagne ou de montagne, et c'était seulement en arrivant tout près que Jeanne
pouvait discerner qu'il était peint ou projeté.
Une brise légère soufflait partout, fraîche ou tiède, s'enroulait autour des chevilles, tombait du "ciel" pour ébouriffer les cheveux des passants.
L'air était partout en mouvement, sans brusquerie, avec des tourbillons et des glissades, et une sorte de gaieté, comme l'eau d'une rivière dans
la campagne, sous le soleil. 1
Les parfums sont discrets mais toujours présents dans ses écrits. Ils apportent un plus à l'architecture, et réveillent nos souvenirs. Créer des
ambiances à partir d'odeurs est une chose qui ne nous effleure pas souvent. On pense plus aux odeurs connues et banales, comme celle des
caves humides, des greniers poussiéreux, ou encore les odeurs de peintures ou le fumet s'échappant des cuisines. Introduire la nature dans
l'architecture au moyen des fragrances, des senteurs, c'est la rendre présente, et nous poser dans une réalité surprenante où la couleur est
donnée par les effluves des fleurs et des bois, par l'odeur du feu et l'arôme des écorces d'oranges.
1
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.190
42
.. L'eau ..
Il y a, dans chacun des livres de Barjavel, un rapport étroit avec l'eau, son côté apaisant et rassurant. Souvent exprimée par la présence de
fontaines, au milieu de jardins ou dans la pièce de vie principale. Celle-ci est, semble-t-il, indispensable à l'harmonie dans ces lieux où, sans
eau, la vie n'existerait pas!
Le mur canari s'ouvrit, révélant une grande pièce voûtée, pareille à un bateau posé à l'envers. Un
bateau d'or. Du moins la matière dont étaient faits les murs qui se rejoignaient comme des mains
jointes, avait-elle la couleur et l'aspect d'un or mat, de teinte chaude.
Sur la gauche, une fontaine provençale aux trois dauphins de pierre coulait près d'un cyprès dont le
doigt pointu grattait la jointure des arches. 1
L'eau est également fortement liée aux sons, à la lumière et aux odeurs présentes dans les
habitations. Elle peut exprimer la force, se faire pesante si elle est utilisée en cascades et en
chutes, ou se faire douce et vivifiante si elle reste discrète ou glougloutante. Le dynamisme apporté
par ce mouvement perpétuel colore l'espace visuel de nos interventions architecturales.
Ils étaient en train de déjeuner au bord de la plage. La plus grande partie de l'étage supérieur de
l'Ile était occupée par une piscine d'eau de mer qui imitait un morceau d'océan bleu et son rivage.
Des vaguelettes venaient mourir sur du sable blanc. Il y avait là, comme partout dans les rues et les
jardins, beaucoup de monde, enfants, hommes et femmes se baignant en maillots ou nus. La brise
était tiède, une douzaine de vrais palmiers donnaient à la fausse plage un faux air californien. 2
Falling Water - F.L.Wright
1
2
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.88
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.196
43
.. Les Sons ..
Pendant la guerre, dans les usines américaines sans fenêtres, les ouvriers ayant montré des symptômes de claustrophobie, on remédia à cet
isolement du monde extérieur et cette coupure avec le temps en donnant régulièrement, par haut-parleurs, des indications sur l'état
atmosphérique et les événements extérieurs.
Une fois encore, le son signifie la présence de vie dans les limites proches de notre environnement.
Ils peuvent indiquer l'atmosphère d'un lieu, oppressante ou décontractée. Dans les films, le son joue un rôle important. Il est à la base des
émotions ressenties par le téléspectateur. Dans l'architecture, le son peut être une nuisance comme un agrément. Le silence total est
extrêmement dérangeant, la seule chose que l'on entende dans ce cas-là, reste notre propre corps. On entend battre notre propre cœur, nos
vêtements frotter sur une chaise, notre respiration. Il vaut souvent mieux une maison moins isolée, où le bruit du dehors couvre légèrement
notre propre bruit. On se sent mieux si l'on est entouré que si l'on est seul.
M. Gé s'arrêta. Il était seul. Un silence inimaginable l'enveloppait, tel qu'aucun désert mort depuis cent mille ans, aucune cime de mont vierge
dressée dans les airs rares n'en connaît par les nuits les plus accablées. Ici, nul soupir de vent dormant, grain de sable glissant sur autre grain
de sable, remous d'étoiles ou effort de nuage qui naît. M. Gé était debout au milieu de la pièce. Ses vêtements gris clair, ses cheveux blancs, la
peau mate de son visage, prenaient la couleur de la lumière venue de toutes parts. Il était debout sans profil et sans ombre, seul. Il entendait à
l'intérieur de lui-même des bruits semblables à ceux d'une usine lointaine. Il se remit à marcher, visita toutes les pièces, tous les étages, toutes
les installations. Il regardait sans minutie, mais d'un œil qui voyait clair. Il savait ce qu'il avait voulu, et ce qu'il avait voulu était là. L'Arche était
prête. Le pire pouvait maintenant advenir, et sans doute il ne tarderait point. 1
Dans l'architecture-abri de Barjavel, on se sent un peu comme assis dans une salle de spectacle, comme si les fenêtres et les plafonds étaient
l'estrade d'un théâtre de marionnettistes. Tout est simulé, rien n'est tout à fait vrai, ni tout à fait faux. Ce sont des apparences d'une réalité
éloignée, celle de la surface. Elles permettent aux habitants de s'attacher à la vie et apportent une qualité auditive au vide qui les entoure.
1
Barjavel - Le Diable l'Emporte - Présence Du Futur - Editions Denoël - 1948 - p.47
44
Irène se dévêtit et se glissa dans son lit.
Ce devait être l'heure où, sur Terre, arrive la nuit. La lumière des murs baissait doucement, s'éteignait. Sur la fenêtre peinte, le paysage simulé
se teintait de pourpre et de mauve, puis ses vallons s'obscurcirent, son ciel se peupla d'étoiles, le chant du rossignol s'éleva, auquel
répondirent, dans une lointaine et claire épaisseur de silence, l'aboi d'un chien de ferme, la flûte des crapauds mélancoliques, le soupir du vent
dans un arbre proche…
Et le vent vint caresser le front d'Irène étendue, lui apporta le parfum d'un acacia fleuri, la lourde, énorme odeur d'un tilleul crevant d'amour par
ses millions de corolles, la senteur presque buvable, sensible à la langue, de l'herbe des prés coupés, qui reçoit sur chaque blessure la
première goutte de rosée de la nuit…
Irène se laissait doucement envahir par la douceur de ce crépuscule enterré, invraisemblable.
Elle oubliait que la fenêtre était un leurre, et que ces chants émoussés, points, virgules, dans la page noire, que ce vent qui semblait avoir
caressé les herbes accroupies et les dos ronds des arbres, que toute cette nuit était fausse.
En vérité, M. Gé avait craint pour ses hôtes le silence minéral qui régnait à une telle profondeur, derrière les murs de plomb, de béton et d'acier.
Un faux mort enseveli qui se réveille doit encore entendre, sous six pieds de terre, une vague rumeur de la vie verticale. Mais l'arche était à
près d'un kilomètre de profondeur, et ses murs, aux endroits les plus fragiles, avaient quinze mètres d'épaisseur de matériaux superposés
comme les peaux d'un oignon. Une telle coquille était imperméable même aux craquements des roches, à l'écroulement des cascades des
ténèbres, et aux rugissements enchaînés, horribles, des feux enterrés. (Le Diable l'Emporte – pg 88)1
La nuit n'est nuit que pour nous.
Ce sont nos yeux qui sont obscurs.
1
2
2
Barjavel - Le Diable l'Emporte - Présence Du Futur - Editions Denoël - 1948 - p.88
Barjavel - Colomb De La Lune - Collection Folio - Editions Denoël - 1962
45
5.3.. Les Espaces Courbes
.. Introduction ..
Dans les romans de Barjavel, on retrouve constamment des espaces aux formes
fluides mais aussi des espaces entièrement circulaires, parfaits. Ce sont des formes
qui prennent difficilement une place dans notre environnement urbain actuel. Non
pas parce qu'elles abîment le paysage, mais parce qu'elles détonnent au milieu de
nos constructions traditionnelles rigoureuses.
En effet, imaginons un village à flanc de colline, où l'on aperçoit des formes courbes
qui glissent entre les arbres, sous eux, et s'enracinent dans les pentes. L'intégration
de tels habitats serait une véritable réussite. Plus de problème de volumes aux
langages architecturaux différents, voire parfois opposés ou en contradiction avec
l'esprit d'une région. Par contre, une ville dans laquelle on implanterait des formes
courbes ne se concevrait pas pour diverses raisons : perte d'espace, différences
trop importantes entre des langages architecturaux aux antipodes…
L'architecture sphérique est donc réservée, selon moi, en site urbain, à une
utilisation quasi souterraine. Les seuls éléments sphériques qui ressortent dans
notre paysage actuel sont des bâtiments dont la forme dépend de la fonction qui les
occupe, tels un observatoire ou un planétarium. On remarquera par la même
occasion que de telles fonctions sont souvent mises en évidence sur des espaces
dégagés de tous bâtiments. Dans la ville, on retrouvera plus d'espaces courbes que
d'espaces sphériques. Ceux-ci apportent la fluidité, ouvrent des perspectives et
égaient le paysage de la cité. Vivre dans un espace fait de courbes et de contrecourbes, d'angles et de droites apporte une diversité et une qualité de vie
indéniable. La ligne droite met en évidence la courbe, elle la brise, la projette. La
ligne, sans cette fluidité, perd toute saveur si elle n'est pas empreinte de force. Elle
permet de lier les courbes à des espaces plus cartésiens, afin de maintenir un
repère par rapport à l'espace. Un espace totalement basé sur la courbe, où aucune
arête n'est visible, pas même au sol, serait-il agréable à vivre? La création d'un
monde souple où rien ne peut plus perturber notre esprit change-t-il notre mentalité
au point d'estimer que la perfection n'est plus courbe, mais nécessite des angles et
des repères? La perfection atteinte n'est-elle pas angoissante?
46
.. La matrice ..
Un premier exemple d'une villa enterrée où tous les murs sont courbes vous est présenté ci-dessous. On y entrevoit le concept lié à la courbe
et on en comprend mieux la justification aux yeux de l'auteur. Toute la philosophie qu'il avance dans ses romans, se résume à ce paragraphe.
L'homme doit se sentir dans une matrice, un espace protecteur, la caverne troglodytique des premiers hommes, en somme. Barjavel rejoint les
idées d'Alvar Aalto concernant l'agression de la ligne droite et des angles vifs. Il prolonge le concept d'une architecture dédiée à l'Homme, qui
s'adapte à ses besoins les plus intimes.
La villa, sans étage, entourait le jardin, sur trois côtés, d’arcades sombres et fraîches formant une sorte de galerie à la lourdeur un peu romane.
Les chambres ouvraient directement sur la galerie, par des portes aussi larges que les arcades. En appuyant sur des boutons, on pouvait
fermer les portes, soit par une lourde glace, soit par une succession de rideaux de plus en plus épais. Mais, en général, les hôtes de Marss
préféraient ne pas dresser d’obstacles entre eux et l’incroyable mélange des parfums du jardin de nuit.
Le quatrième côté du jardin était une partie fermée par un bâtiment dont le toit, couvert de thym et de plantes grasses fleuries, s’élevait à
hauteur d’homme derrière une piscine aux parois de mosaïque d’or.
La piscine et le bâtiment s’enfonçaient ensemble en trois étages souterrains. Du côté opposé aux jardins, la colline descendait en pente assez
vive, et les pièces de la maison y ouvraient des fenêtres aux formes imprévues, entre des rochers, des buissons, des racines d’olivier ou de
chêne vert. On y entrait à chaque étage par une porte couleur de terre et de cailloux.(…)
Tous les murs de la maison étaient courbes et irréguliers, comme les abris naturels des bêtes : nids, gîtes ou cavernes. Quand on y pénétrait
pour la première fois, on s’étonnait de s’y trouver si extraordinairement bien, et on comprenait alors ce qu’il y a d’artificiel et de monstrueux
dans la ligne droite, qui fait des maisons des hommes des machines à blesser. Pour dormir, pour se reposer, pour aimer, pour être heureux,
l’homme a besoin de se blottir. Il ne peut pas se
blottir dans un coin ou contre un plan vertical. Il lui
faut un creux. Même s’il le trouve au fond d’un lit ou
d’un fauteuil, son regard rebondit comme une balle
d’une surface plane à une autre, s’écorche à tous
les angles, se coupe aux arêtes, ne se repose
jamais. Leurs maisons condamnent les hommes à
rester tendus, hostiles, à s’agiter, à sortir. Ils ne
peuvent en aucun lieu, en aucun temps, faire leur
trou pour y être en paix. 1
1
Barjavel - Les Chemins De Katmandou - Presses Pocket - 1969 - p.110
47
L'utilisation de plafonds en coupoles, en voûtes ou en arcs renforce le phénomène de cocon, de protection, et apporte la dimension liée aux
représentations de ciels. Le plafond semble s'ouvrir vers de nouvelles perspectives, comme attiré par une force liée à la légèreté de l'air. Les
pièces de vie s'en trouvent plus aériennes, la vie y est moins oppressée, moins enfermée.
En écrivant ce mémoire, mon imaginaire bouillonne à la recherche du plafond parfait et parfois je n'arrive plus à dormir ou à travailler, tellement
cette quête me poursuit. J'imagine une surface courbe, totalement opaque ou translucide, mais ne touchant pas les murs. La ligne droite est
présente uniquement par les bords de ce berceau immobile qui prend - l'apparence d'un instant - celle d'un assemblage en mosaïques et à
d'autres moments, celle d'un ciel filmé sur le toit et projeté sur cet écran providentiel. La pièce, tout à fait conventionnelle, carrée ou
rectangulaire, reçoit une lumière indirecte diffusée le long des bords de ce plafond-plafonnier.
J'aime particulièrement le paragraphe suivant. En fermant les yeux, on arrive à s'imaginer au cœur même de l'architecture de Barjavel. Cet
espace est pour moi encore plus représentatif de l'abri protecteur, car on sent un grand contraste entre les autres pièces de l'édifice et l'abri
dans lequel on s'introduit. Cette description d'une piscine-jacuzzi est à resituer dans une maison traditionnelle. On imagine donc que cet œuf
est enrobé par la masse des murs qui l'entourent, pour l'intégrer aux pièces orthogonales de la maison. Je reviendrai sur ce problème dans le
chapitre consacré aux espaces résiduels.
La magie qui se dégage d'une telle réalisation me fait rêver et me donne une réelle envie de dessiner cette piscine aux courbes douces, où la
vie s'est arrêtée, où le baigneur est en parfaite harmonie avec l'eau, la matrice qui l'entoure. Barjavel fait également souvent appel aux
mosaïques. Celles-ci sont présentes dans de nombreuses réalisations de l'auteur. Souvent dans les salles de bains, mais également aux
plafonds des pièces d'habitations. La mosaïque est un élément facilement applicable sur tout type de surface, contrairement à des céramiques
de plus grande taille. Elles ont un avantage indéniable : les compositions et les couleurs qui s'en dégagent permettent de créer des ambiances
exceptionnelles. Imaginez les reflets de l'eau se dessinant sur cette surface courbe, tout autour de vous…
Dans le mur dégagé une porte s'ouvrit, une lumière douce et blanche s'alluma, éclairant une piscine en forme d'œuf coupé dans le sens de la
longueur. Elle était assez longue et large pour qu'on y pût nager un peu, mais assez petite pour rester intime. Le mur en voûte au-dessus d'elle
formait l'autre moitié de l'œuf. Il était de mosaïque blanche et crème, avec des taches d'or. 1
Dans ce mémoire, je n'aborderai pas le problème de l'acoustique des espaces courbes, mais ces derniers restent au centre de mes
préoccupations. Créer des espaces en adéquation avec la nature humaine, c'est également songer à son environnement acoustique. J'ai déjà
parlé des sons dans l'habitation en symbiose avec la nature, mais ici, il s'agit d'une question technique sans aucune poésie. C'est la raison qui
m'a décidé à ne pas développer davantage ce sujet.
1
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.71
48
.. L'espace organique ..
Gonda 7 souterraine avait été creusée sous les ruines de Gonda 7 de surface. De la ville ancienne ne demeuraient plus que de gigantesques
éboulis au-dessus desquels la Tour du Temps se dressait comme une fleur au milieu des cailloux.
Au sommet de sa longue tige s'épanouissaient les pétales de la terrasse circulaire, avec ses arbres, ses pelouses, sa piscine, et son bras
d'accostage tendu à l'abris du vent qui, en cet endroit, soufflait de l'ouest. Cerné par la terrasse, l'appartement s'ouvrait sur elle de toutes parts.
Des demi-cloisons courbes, plus ou moins hautes, interrompues, le divisaient en pièces rondes, ovoïdes, irrégulières, intimes et cependant non
séparées.
Au-dessus de l'appartement, la coupole –observatoire couronnait la Tour d'une calotte transparente à peine fumée de bleu. L'ascenseur
aboutissait dans la pièce du centre, près de la fontaine basse. En entrant, Eléa ouvrit d'un geste, toutes les glaces. L'appartement ne fit plus
qu'un avec la terrasse, et la brise légère du soir le visita. Des algues multicolores se balançaient dans les courants tièdes de la piscine. Eléa
jeta ses vêtements et se laissa glisser dans l'eau. Une multitude de poissons-aiguilles, noirs et rouges, vinrent lui piqueter la peau, puis, l'ayant
reconnue, disparurent en un frisson. 1
Voici une unité d'habitation où les pièces fusionnent par des parois courbes, le tout dans un habitat en forme de capsule aplatie. Ce qui est
intéressant ici, c'est le rapport entre la nature et l'habitat. L'espace est avant tout organique, pas uniquement dans la végétation, mais
également dans l'organisation. Les pièces de vie sont tournées vers la piscine et la terrasse. On glisse d'une pièce à l'autre, ces dernières sont
séparées par des parois qui épousent des formes non rectilignes.
Les motivations d'une architecture organique sont, une fois de plus, destinées à apporter le bien-être aux habitants de cet espace. Un peu
comme un organigramme, les pièces se répartissent de manière homogène autour d'un centre : l'entrée. On entre rarement dans une habitation
par son centre, c'est une caractéristique qui m'a beaucoup plu dans cet espace.
On se croirait presque dans un loft, où l'espace est aménagé par des cloisons fixes ou mobiles, délimitant des zones d'intimité ou d'ouverture.
L'habitation est tournée vers l'extérieur, vers le panorama.
On retrouve ici le schéma opposé à celui de l'abri enterré où l'habitat était replié sur lui-même et le cœur du bâtiment, pièce de vie principale.
Cet habitat en hauteur s'est naturellement retourné vers l'extérieur, pour profiter de la vue qui lui est offerte et capter un maximum de lumière.
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.207
49
Celui qui copie la nature est impuissant,
Celui qui l'interprète est ridicule,
Celui qui l'ignore n'est rien du tout. 1
1
Barjavel - Colomb De La Lune - Collection Folio - Editions Denoël - 1962
50
Une fois encore, j'ai rêvé d'une architecture comme celle décrite dans ce paragraphe. Elle est adaptable dans nos campagnes, sur les collines
si on ne l'utilise pas trop abusivement. Habituellement on rencontre, aux points hauts du paysage, des tours en béton surmontées de boules ou
de cylindres. Ce sont nos châteaux d'eau. Ceux-ci sont toujours difficilement admis par la population, car ils n'ont aucun attrait, ni esthétique, ni
utilitaire, hormis le fait qu'ils assurent la pression de l'eau pour la région. Pourquoi ne pas imaginer des châteaux d'eau qui hébergeraient des
familles, un peu comme les concierges des phares? Ils auraient une vue imprenable sur le paysage, et ces tours reprendraient une fonction
supplémentaire, l'habitat, qui leur donnerait un certain charme esthétique et offrirait une kyrielle d'avantages aux utilisateurs.
On pourrait regrouper plusieurs fonctions sur ces tours comme, par exemple, les antennes GSM, transmissions FM et télévisées etc. Le
paysage se verrait doté de bulles d'habitations, moins dérangeantes du fait qu'elles abriteraient des familles et ne seraient plus uniquement des
piliers métalliques ou des tours en béton destinées à surélever des antennes ou de l'eau. Elles ne seraient autorisées qu'à des distances
respectables les unes des autres, c'est à dire plusieurs kilomètres.
La forme extérieure prendrait celle d'une tige, au bout de laquelle une sphère aplatie reprendrait sur le niveau supérieur le logement, et sous le
plancher habité, les réservoirs d'eaux. Le revêtement extérieur pourrait être un assemblage de mosaïques colorées. L'utilisation de dégradés
verts et bleus, par exemple, permettrait de dissimuler la tour dans le paysage afin de l'intégrer à la végétation et au ciel sur lesquels elle se
détacherait si elle n'était pas traitée. Elle pourrait également être positionnée comme point de repère et dans ce cas-là se parer de couleurs
vives et dynamiques.
Châteaux d'eau - Kuwait City
51
.. Intégration dans le paysage ..
Les habitations en forme de cylindre ou de sphère sont principalement destinées au confort de leurs utilisateurs avant d'être des éléments
intégrés dans le paysage. Beaucoup de maisons de Mario Botta utilisent également ce même principe.
Ces maisons sont tournées vers la nature. Leur vocation est d'offrir un panorama et de mettre l'utilisateur au sein même de l'espace dominé par
ce promontoire d'observation. Le souci de l'intégration dans le paysage n'en est donc pas un pour lui. Mais ses objets habités n'en sont pas
moins indissociables, car ils sont intégrés de l'intérieur. Ils offrent des vues cadrées sur les paysages qui les entourent. C'est là qu'elles
trouvent leur raison d'être! Ces habitations n'ont qu'une seule place dans le paysage, en ce point précis d'où elles permettent de découvrir des
points de vue particuliers. Elles reposent sur le versant des collines du Valais suisse comme des objets. On ne peut pas reprocher cette attitude
à Botta. En somme, toute habitation est un objet en soi, posé sur des fondations. Ce sont souvent des notions liées aux matériaux qui fondent
l'appartenance à un lieu. La forme des habitations dépend de la culture locale qui les ancre dans le paysage d'une manière indéniable. Sans
cette référence historique, le petit chalet suisse n'a pas plus de justification que l'habitat en forme de cylindre de Mario Botta. Pour bien faire, il
faut tenir compte de ces références à l'habitat local, et ne pas balayer tout indice relatif à cette architecture préexistante. Botta y parvient avec
élégance et dans un respect total du paysage qui l'entoure.
Family House - Montagnola - Tessin - Botta - 1989-94
Chapelle Santa Maria degli Angeli
Mario Botta - Tessin - 1990-96
52
.. L'Habitation Lovagienne ..
Un autre exemple nous montre ici une architecture étonnante de courbes et de souplesse.
Le célèbre styliste Pierre Cardin possède une villa hors du commun, baptisée "Palais
Bulles", surplombant la baie de Cannes, à Théoule sur Mer, dans le Sud de la France.
L'architecte Antti Lovag a conçu cette maison de 1200 m² habitables, qui s'étend sur 8500
m² de terrain tout arrondi dans une symbiose parfaite avec les courbes naturelles de
l'environnement. Avec son amphithéâtre de 500 places, son salon panoramique et ses dix
suites, le " Palais Bulles " est un lieu enchanté et inestimable.
En concevant ce palais, Antti Lovag propose une nouvelle forme d'espace. Du sol au
plafond, des murs aux fenêtres en forme de hublots, tout est sphérique. L'escalier lui aussi
est tout en courbes. Les grands hublots donnant sur la Méditerranée laissent entrer la
lumière du soleil dans le salon panoramique. Les couleurs qui emplissent alors la pièce en
font une véritable invitation au rêve.
Antti Lovag refuse l'affrontement de parois verticales planes et l'agression des angles : au plan orthogonal "mis
en pièces" a posteriori, il préfère la conjugaison d'espaces souples conçus préalablement par simulation. Aux
proportions en deux dimensions du canon humain debout, il ajoute celles d'une troisième dimension, la
gestualité, puis d'une quatrième, le déplacement. D'où l'infinie variété d'agencements possibles à partir de
cylindres debout ou couchés, droits ou sinueux et de sphères pures ou étirées : on est à l'opposé des façades
"classiques". L'habitation "lovagienne" veut ignorer l'esthétique à l'intention des passants puisqu'elle est conçue
exclusivement pour l'usage de l'habitant et de ses invités. Le construit lovagien n'est pas uniquement fonctionnel
pour autant : il est partout empreint de touches sentimentales et sensorielles, même si celles-ci restent discrètes.
La convivialité des courbes se retrouve dans toutes les ouvertures sur l'extérieur comme entre les espaces
internes. La porte d'accueil est un grand monocle rond, biconvexe, translucide, teinté, protégé par un grand
auvent. Pendant la journée, la lumière solaire le traverse et colore l'entrée ; à la tombée de la nuit, une lumière
électrique intégrée en fait un signal chaleureux.
L'alignement non rectiligne des bulles-espaces implique un cheminement sinueux, de plain-pied ou non, qui
stimule une certaine curiosité au fur et à mesure des découvertes et incite à la progression.
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Le skydome procure une lumière zénithale qui modèle la concavité de la paroi et l'anime progressivement au cours de la journée : aération et
vue céleste sont possibles à tout instant. Diverses orientations et formats de skydomes sont prescrits pour une meilleure récupération
saisonnière de la lumière. L'oculus offre une vue choisie préalablement par simulation tandis que la baie et son grand-angle invitent à une
immersion dans un paysage panoramique. Associés, les trois types d'ouverture présentent chacun un champ visuel quasi hémisphérique qu'un
alignement en façade n'aurait pu satisfaire, du regard vertical à ceux horizontaux ou obliques ; par le jeu de plusieurs percées pour un même
espace, ils apportent des sensations d'immersion dans l'environnement de cet habitat hors du commun.
Le skydome éclaire l’intérieur “comme dehors". Des premières lueurs aux dernières, la lumière parcourt la coque en sens inverse. Les nuages y
défilent et les étoiles le tapissent ; les gouttes s’y éclatent et éclaboussent toute la chambre. La neige instable diffuse quelque temps une
lumière nacrée.
Lovag donne également une conscience de l'eau grâce à des cascades, des ruissellements et des débordements. Il anime le lieu par ces sons
naturels, ces bruissements de l'eau qui s'écoule.
Antti Lovag a créé une nouvelle science de l'habitat, en accord avec des données
évidentes et ancestrales d'appropriation de l'espace par l'être humain, parfaitement
adaptée à sa morphologie. En effet, l'être humain en se mouvant, en bougeant ses
bras et ses jambes, décrit dans l'espace des arcs de cercle; dans son corps on ne
trouve aucune arête droite, aucun angle dur. Dans la nature, il est extrêmement rare
de trouver des lignes droites et des angles. Néanmoins, pour des raisons
économiques, ou par manque de solutions techniques, l'être humain s'est confiné
dans des maisons, des bâtiments carrés, des cubes pleins d'arêtes et d'angles qui
cassent le mouvement, l'harmonie. Ils induisent une agression et une violence qui
peuvent être l'un des facteurs de la violence et de l'agressivité qui gagne les cités et
les banlieues constituées de grandes barres, de cubes empilés les uns sur les
autres... Ces constructions lourdes brisent et cloisonnent également le mouvement
naturel, la portée de la pensée, et induisent un mal-être et une anxiété qui se
déchargent dans l'agressivité quotidienne, la délinquance ou le suicide.
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Antti Lovag propose une solution novatrice et en même temps totalement en accord avec nos racines, avec nos premiers habitats, l'utérus
maternel, la grotte, la caverne, l'habitation troglodyte. Ses très belles constructions satisfont pleinement notre besoin naturel de beauté et
d'harmonie. Le regard suit avec facilité et délectation les courbes et les volumes arrondis de ses maisons qui apaisent et reposent l'œil et
l'esprit.
55
5.4.. Espaces Servants – Espaces Servis – Espaces Résiduels
.. Le Mobilier ..
On observe de plus en plus l'utilisation de mobiliers faits sur mesures, intégrés dans nos habitations. Le mobilier est en train de perdre sa
signification première, il se retrouve attaché à perpétuelle demeure. La facilité avec laquelle nous parvenons à concevoir des meubles fixés,
encastrés, est maintenant acquise pour les pièces orthogonales. Ces meubles ne sont pas une obligation mais un gage de perfection du détail.
L'architecte pense de plus en plus loin les espaces qu'il aménage.
Le mobilier "mobile" par essence est difficilement intégrable le long des cloisons et murs courbes. Souvent, ceux-ci sont inexistants ou
totalement intégrés. Ces meubles courent contre les parois ou sont assimilés au sein même de celles-ci.
Il est également possible d'utiliser la pièce en y disposant des meubles qui sont des
entités à part entière, totalement dissociés des surfaces verticales ou créant par leur
fonction des séparations.
Les meubles destinés à être fixés ou accolés aux parois courbes doivent être pensés en
fonction des rayons de courbure de ces dernières. L'architecte prendra ici un malin plaisir
à dessiner des meubles qui s'intégreront de la meilleure façon à ces parois difformes. On
peut évidemment avancer l'argument du coût de tels aménagements, mais peut-être
faudrait-il imaginer ceux-ci comme finalités architecturales. Pourquoi ne pas créer les
parois courbes selon des normes ou les fabriquer en séries, avec les meubles destinés à
y être intégrés. Actuellement plusieurs matériaux, tels que les blocs de plâtre, les bois
reconstitués, peuvent être fournis avec un rayon de courbure bien précis. En somme,
l'architecture courbe pourrait être une sorte de puzzle dans l'espace. Il suffirait d'agencer
ces parois qui, en se recoupant, créeraient des espaces non pas polyvalents, mais
modulables. L'architecture de tels bâtiments se limiterait à trouver la forme de l'enveloppe
destinée à recevoir ces parois et à agencer ces dernières en son sein. Dans ce cas-ci,
nous nous rapprochons de l'idée d'aménagement de plateaux paysagers.
Plateau de bureau – Rotterdam
Bureau " 24H Architecture "
56
De plus en plus souvent, les rangements se font discrets et nombreux derrière des portes parfaitement intégrées, discrètes, indissociables des
parois. Barjavel propose, dans ses interventions, d'intégrer toutes les fonctions dans l'épaisseur des murs. Les baignoires sont pliables, les
rangements dissimulés, même le lit n'est apparent que si l'on en a besoin.
Au fil des pages, le lecteur avisé se rend compte que cette architecture mange énormément d'espace. En effet, si tous les meubles sont repliés
dans les parois, il doit forcement exister des zones de rangements tout autour de chaque cellule. Les murs sont de véritables pièces de
rangement contenant tous les besoins nécessaires à la vie dans l'unité d'habitation.
On pourra noter à la lecture du "Journal d’un Homme Simple" qu’à l’origine de cette solution quelque peu utopique se trouve un problème très
personnel d’aménagement de son bureau de travail dans son premier appartement, pour lequel il avait imaginé un dispositif suspendu
remontant au plafond. Une nouvelle parue en 1945 et maintenant oubliée, "Le Travail du Chapeau", présente des dispositifs similaires. On
retrouve également des fictions basées sur ces concepts dans "Le Grand Secret" et "Une Rose au Paradis".
Sa chambre était d’un rose léger, un peu ocre. Sans autre meuble que le lit, avec une ouverture pour la salle de bains W.C., et la porte du
couloir, qu’elle ne fermait jamais. Elle s’assit, releva l’oreiller pour y caler son dos, ouvrit le mur et tira au-dessus du lit le plateau coulissant sur
lequel fumait un grand bol de café au lait accompagné de deux croissants chauds et dorés. Naturellement ce n’était ni du café ni du lait mais
elle ne pouvait pas le savoir. Et les croissants, après tout, avaient le bon goût de croissants au beurre. Du beurre, elle n’en avait jamais vu… 1
Pour Barjavel, il ne s'agit plus ici d'ouvrir un placard, un frigo ou une armoire. Tout ce mobilier a disparu avec le terme signifiant qu'il s'agit là
d'un objet mobile. Ici, il ouvre directement le "mur". Il faut donc imaginer celui-ci comme un cloisonnement et un espace de rangement. Le mur
se dote d'une fonction supplémentaire, il devient intelligent.
Elle avait mal dormi, tourmentée par la chaleur. Elle ouvrit une porte basse dans le mur, saisit une poignée, et développa sa baignoire pliante.
Pendant que l'eau de son bain coulait, Blanche fut à son placard-cuisine, fit chauffer un bol de lait dans lequel elle jeta une pastille de café et
une pilule de sucre. Elle entrouvrit sa fenêtre, pour prendre, sur le rebord, les trois croissants chauds enveloppés de papier de soie thermos,
que le boulanger-volant du coin déposait pour elle chaque matin. 2
1
2
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.21
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.49
57
L'architecture courbe, si elle est mal pensée, est source d'une véritable perte de place. Dans une architecture enterrée, le phénomène est
moins important, car l'espace non utilisé est remblayé. J'aime particulièrement l'interaction qui existe entre deux pièces dont la surface de
séparation est courbe. Ces deux espaces se complètent l'un l'autre. Les utilisateurs en préféreront une à l'autre en fonction de leurs attentes et
de leur sensibilité, là où deux pièces identiques n'auraient pas suscité de réactions particulières. On peut également arranger ces espaces de
manière à créer des lieux plus ouverts, collectifs et d'autres plus protecteurs et refermés sur eux-mêmes.
Lorsqu'il s'agit d'agencer les espaces courbes, il faut tenir compte des angles créés par les parois, et trouver une organisation qui supprime
toute perte de place. En comparaison avec une pièce dont les murs sont rectilignes, dans une pièce courbe tous les murs sont au service de
l'utilisateur ; les angles n'existant pas, chaque particule du mur est dirigée vers son objectif, le regard de l'occupant. Dans une pièce qui
comporte des angles, ceux-ci ne sont jamais en totale harmonie avec les possibilités d'aménagement et d'utilisation que l'on désire y faire. Soit,
on prend le parti de s'écarter des surfaces, de disposer l'ameublement au centre de la pièce, soit au contraire, on utilise les coins. Mais
l'utilisateur se verra toujours bloqué, mal à l'aise dans ces espaces à angles droits, coincés entre deux murs, ou dans le L d'un plan de travail,
alors qu'il aurait tous les ustensiles dont il a besoin pour travailler s'il utilisait un plan de travail fait de courbes où chaque élément est à portée
de main.
De même, une table ronde regroupe mieux les utilisateurs qu'une table en quadrilatère. L'ergonomie des tables de bureau se propage de plus
en plus. Comment arriver à mettre à disposition tous les accessoires? Souvent, on retrouve des bureaux dont la partie destinée à recevoir le
siège est creusée en demi-lune, pour que l'utilisateur trouve un maximum d'espace de travail et de rangement tout autour de lui.
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.. Du centre vers l'extérieur ..
Il y a quelques années, j'ai découvert une maison cylindrique, recevant en son sein la lumière zénithale. Cette dernière, nommée "La maison
dans la Forêt", a été réalisée par Kazuyo Sejima dans la préfecture de Nagano au Japon. Elle se tourne vers la nature par toutes ses
ouvertures. La pièce centrale, un atelier de peintre, est baignée dans une lumière diffuse idéale pour l'activité de son occupant. L'habitation se
compose de deux cylindres, placés l'un dans l'autre. La zone de tension qui résulte de la soustraction des deux cylindres est destinée à
recevoir les espaces servant la fonction première, qui est de peindre.
Les ouvertures vers la nature sont étudiées de manière à cadrer certains aspects du paysage. En plan, cette maison prend des allures de
soleil. Les ouvertures créent depuis la pièce centrale des rayons qui s'échappent vers la forêt autour de l'édifice.
59
60
5.5.. Circulation - Fluidité
Deux grands thèmes nécessitent d'être détaillés dans cette section.
D'une part, les circulations urbaines et la libération du sol et, dans une autre proportion, les circulations internes comme les rampes, les
escaliers et la fluidité des espaces courbes.
.. La mobilité urbaine ..
Ces quelques lignes sont une prolongation du thème esquissé dans le chapitre quatre. J'y ai introduit les notions liées à la Charte d'Athènes, et
principalement celles qui touchent le sujet de la verticalité et de la libération de l'espace au sol. Ici, nous nous attacherons plus particulièrement
au problème de la mobilité dans la ville.
Une maison de loisir en forme de cône bleu pâle dériva à la hauteur de la Coupole et alla se poser près de l'autoroute brisée dont les douze
pistes arrachées s'épanouissaient en un bouquet brandi vers le ciel. On n'avait pas réparé les autoroutes. Les usines ne fabriquaient plus de
véhicules roulants ou rampants. Les transports enterrés, pistes, avenues ou ascenseurs, étaient tous collectifs, et ceux de surface tous aériens.
Il pouvaient survoler le sol à quelques centimètres ou à des altitudes considérables, à n'importe quelle vitesse et se poser n'importe où. 1
Afin d'arriver à une solution adéquate, il faudrait peut-être éliminer le problème principal lié à la circulation automobile de nos grandes villes.
L'emploi de véhicules privés individuels devrait être remplacé par des transports publics, en commun ou individualisés. C'est-à-dire que chaque
citoyen pourrait utiliser n'importe quel véhicule en s'identifiant et en payant sa consommation d'énergie et de location. Des stations-parkings
seraient disposées aux points névralgiques et de petites stations s'ajouteraient dans les quartiers d'habitations. La libération des espaces de
parking amènerait un début de solution au problème d'encombrement de nos mégapoles. Il existe déjà des projets liés aux véhicules
électriques. Cette voie de recherche me paraît des plus intéressantes.
Il faudrait malgré tout proposer des services de taxis et de transports en commun afin de permettre à tous un accès à la ville. La faille dans un
tel système reste le transport international. Pour que cette solution soit adoptée, il serait bon qu'elle soit utilisée par les pays voisins, en somme,
et pourquoi pas par l'ensemble d'un continent?
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.221
61
L'autre solution, serait identique à celle qui s'exerce par exemple, à Saas Fee ou à Zermatt dans le Valais suisse, ou encore à Venise. Tout
citoyen ou visiteur étranger à la commune doit laisser sa voiture dans les parkings spécialement aménagés hors agglomération. Tout accès au
centre est strictement réglementé. Seuls les services communaux et les livreurs utilisant des véhicules électriques peuvent circuler. Dans le cas
des villes sur l'eau, des transports en commun fluviaux remplacent les transports en commun routiers. Nous disposons ici d'une solution
adéquate.
Il est donc tout à fait possible d'arriver à un tel résultat. Les autoroutes arriveraient à de gigantesques parkings souterrains qui ceintureraient les
villes, et serviraient également de terminus aux transports en commun. Les seuls véhicules autorisés à circuler dans les centres ville seraient
les véhicules de livraison, les véhicules officiels, les taxis, et ce système individuel public destiné à vous conduire où vous le désirez. La ville
garderait son bouillonnement de vie, les voitures y circuleraient comme avant, mais celles-ci seraient en moins grand nombre, car la probabilité
d'utilisation d'un véhicule en même temps que son voisin est quasi inexistante. Regardez les rues de vos villes. Il y a toujours autant de voitures
stationnées que de véhicules en circulation. Ces véhicules alimentés par électricité contribueraient ainsi à réduire fortement la pollution sonore
et aérienne de nos villes. D'autre part, l’incitation à utiliser des transports en commun de qualité ne ferait qu’augmenter et prouverait l'efficacité
réelle de ceux-ci.
Ils descendirent de l'Avenue dans le Parking. C'était une forêt en éventail. Les branches des arbres se rejoignaient au-dessus des files d'engins
en stationnement. Les pistes convergeaient vers la rampe de la cheminée de départ. De la cheminée d'arrivée, qui s'ouvrait au centre de la
forêt, tombaient des engins de toutes tailles qui suivaient les pistes de retour pour gagner un abri sous les feuilles, comme des bêtes au repos
après la course.
Païkan choisi un deux-places rapide longue distance, s'assit dans un des deux sièges, Eléa près de lui.
Il enfonça sa clé dans la plaque de commande, attendant pour indiquer sa destination que le signal bleu de la plaque se mît à clignoter. 1
NB : Dans cet extrait, "la clef" est en quelque sorte notre carte de crédit actuelle jumelée à notre carte d'identité. Chaque service est payant, et
dévoile l'identité du porteur de celle-ci.
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.266
62
.. Les circulations internes ..
En guise d'introduction voici un extrait tiré de "La Machine à Explorer le Temps" de H.G. Wells écrit en 1899.
A gauche et à droite se trouvait une série ascendante de trottoirs sans fin, dont chacun avait une vitesse supérieure de près de dix kilomètres à
l’heure à celle du trottoir situé sur sa gauche, en sorte que l’on pouvait passer de trottoir en trottoir jusqu’à ce que l’on atteigne le trottoir
extérieur, qui était le plus rapide, et traverser ainsi toute la ville.
Cet extrait a peut-être inspiré Barjavel pour son roman "La Nuit des Temps". On y retrouve dans son architecture souterraine un système de
communication à peu près semblable, qui apporte une circulation horizontale de qualité dans cette ville.
Après avoir fait les mêmes études, ils avaient choisi le même métier, celui d'Ingénieur du Temps, afin de vivre à la Surface. Ils habitaient une
Tour du Temps, au-dessus de Gonda 7.
Pour rentrer chez eux, ils auraient pu appeler un engin. Ils préférèrent rentrer par la ville. Ils choisirent un ascenseur pour deux dont le cône vert
luisait doucement au-dessus du sable. Ils enfoncèrent chacun leur clé dans la plaque de commande, et l'ascenseur s'ouvrit comme un fruit mûr.
Ils pénétrèrent dans sa tiédeur rose. Le cône disparut dans le sol qui se referma au-dessus de lui. Ils en sortirent à la première Profondeur de
Gonda 7. Ils se servirent de nouveau de leur clé pour ouvrir les portes transparentes d'un accès à la 12e avenue. C'était une voie de transport.
Ses multiples pistes de gazon fleuri se déplaçaient à une vitesse croissante de l'extérieur vers le milieu. Des arbres bas servaient de sièges, et
tendaient l'appui de leurs branches aux voyageurs qui préféraient rester debout. Des vols d'oiseaux jaunes, pareils à des mouettes, luttaient de
vitesse avec la piste centrale, en sifflant de plaisir.
Eléa et Païkan sortirent de l'Avenue au Carrefour du Lac et prirent le sentier qui conduisait à l'ascenseur de leur Tour. Un ruisseau issu du
carrefour courait le long du sentier. 1
La différence essentielle entre les deux solutions proposées par Wells et Barjavel consiste à placer les bandes rapides au centre et non plus à
l'extérieur, de telle manière que l'on puisse marcher sur des bandes trottoirs à l'arrêt. Car la faille du système inverse empêche toute possibilité
d'accès aux habitations placées en bordure de ces axes de transports mobiles. On ne peut pas en monter ou en descendre si ceux-ci vont à
des vitesses de plus en plus grandes en allant vers les bandes extérieures. Il est aussi intéressant de noter que le même concept est exploité
encore davantage dans "Les Cavernes d’Acier" d’Isaac Asimov.
Nous retrouvons des tapis mécaniques de la sorte dans nos stations de métro ou à l'aéroport national de Zaventem, par exemple. Très utiles
pour nous éviter de parcourir de trop grandes distances, ceux-ci nécessitent néanmoins des réparations fréquentes. L'idée est sans doute très
intéressante, mais reste encore du domaine de l'utopie.
1
Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968 - p.207
63
.. La fluidité des espaces courbes ..
Dans l'architecture enterrée de Barjavel, les couloirs, les appartements, les laboratoires et les jardins sont tous dessinés par des formes fluides,
des mouvements libres qui ouvrent l'espace.
La placette, sur laquelle ouvraient plusieurs portes d'appartements, s'épanouissait à l'extrémité d'une ruelle un peu ascendante, comme une
fleur au bout d'une tige. 1
Les ruelles sont souvent en légère pente, tournent pour faire découvrir des perspectives, se regroupent pour former des placettes et créer un
tissu urbain fait de mailles épanouies. Barjavel utilise en abondance les différences de niveau, tant dans les plafonds que dans les sols …
Ceux-ci sont creusés de manière à apporter une diversité soutenue tout au long du parcours architectural. Les intentions de l'auteur sont
d'apporter une certaine sérénité grâce à son architecture. Tout glisse l'un dans l'autre, dans une continuité qui égaie, mais reste avant tout
reposante. Il tente également d'apporter une architecture durable, où les yeux ne se fatiguent pas de rencontrer toujours les mêmes surfaces,
car ici les habitants de l'îles sont destinés à y vivre pour l'éternité!
Ce parcours est un atout dans notre monde fait de vitesse, de ligne droite, où le stress est présent à chaque carrefour. C'est notre système de
pensée que Barjavel tente d'atteindre. Il aimerait que nous prenions le temps de nous réjouir des plaisirs de la vie, des découvertes au sortir
d'un tournant, de l'émerveillement face à la beauté des choses. La vieille ville de Nyons, terrain de jeu de l’auteur enfant, est toute en ruelles,
passages voûtés ou couverts, petits escaliers. Il en émane un pittoresque et une ambiance extraordinaire, chaque détour révélant une
perspective différente.
Après lui avoir fait visiter les jardins, Roland conduisait Jeanne, dans les profondeurs de l'Ile, vers les ateliers et les usines. Ils ne prirent
presque jamais les ascenseurs. Les pentes étaient faibles, les escaliers en volées courtes entrecoupées de rampes. La population de l'Ile s'y
déplaçait sans hâte ni flânerie. Hommes et femmes, très nombreux, semblaient aller sans se presser vers un but déterminé, important ou sans
importance. Mais sans urgence. Pour quoi que ce fut ils avaient le temps… 2
1
2
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.163
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.190
64
5.6.. La Technologie - La Domotique – L'archi Pousse-Bouton
Je ne ferai qu'aborder brièvement ce chapitre, le thème principal de ce mémoire étant lié à l'utilisation des espaces courbes dans l'architecture.
Les technologies sont malgré tout un des éléments clefs des ouvrages extraordinaires de Barjavel. C'est pour cette raison que je les évoque ici
en quelques lignes. Il est à noter qu'à l’époque de "Ravage", en 1942, l’électronique dans ses applications n’existait pas encore. Les
automatismes ne pouvaient se concevoir que sur la base électromécanique. René Barjavel est très en avance en décrivant une technologie
électronique aussi pointue.
J'éprouve une répulsion face aux technologies qui nous envahissent de plus en plus. Nous serons bientôt incapables de contrôler nos vies, ces
dernières seront régies par l'électronique. Le côté attrayant et facile de ces ressources nous cache la vérité. L'homme était nu quand il est
arrivé sur terre. Il s'est doté d'outils de plus en plus perfectionnés, qu'il a mis à son service. Nous ne sommes déjà plus capables de nous
procurer à manger par des moyens naturels tel que la chasse, la pêche et l'agriculture. Les nourritures industrialisées envahissent les
rayonnages de nos supermarchés. Dans "Ravage" de Barjavel ainsi que dans "Malevil" de Robert Merle, l'homme se retrouve tout nu après la
destruction du monde et doit recommencer à se servir de ses mains pour survivre. L'autosubsistance n'est aujourd'hui plus d'actualité.
Aline et Paul entrèrent le soir même au C.I.R.A. (Collège International de Recherches et d'Enseignement pour l'Avenir), grâce à une dispense.
Aline, mélancolique, avait embrassé son père et avait dû, quelques instants après, se séparer de Paul pour gagner le quartier des filles.
Une flèche lumineuse courant devant elle sur le mur la conduisit à son appartement. Elle fut, dès qu'elle y entra, trop émerveillée pour ne pas
oublier toute tristesse. Elle disposait pour elle seule d'une chambre meublée d'un lit berceur, d'une armoire plieuse et époussiéreuse, de deux
fauteuils à molémoteurs et d'un poste de télécinéma, d'une ravissante petite salle à manger à meubles de plastec rose, et où les plats cuisinés
arrivaient directement sur la table par le conduit magnétique qui traversait son pied massif en forme de colonne torse; d'un cabinet de travail en
relation directe par conduit pneumatique avec la bibliothèque du Collège, et enfin d'une salle de bains dans la baignoire de laquelle elle pouvait
faire couler à volonté l'eau de mer, de source, de fleuve, de lac de montagne ou de ruisseau de prairie. 1
L’Américain Willis Carrier, quant à lui, inventa l’air conditionné en 1911. Il établit un diagramme de l’air humide qui permit le calcul rationnel
des installations de conditionnement d’air. Cette technologie, liée au confort de l'air, est abusivement utilisée de nos jours. En refroidissant
nos espaces intérieurs, nous réchauffons l'air de nos villes, facilitant ainsi l'effet de serre et la pollution qui y règne. Nous devrions réfléchir
à des systèmes préventifs tels que l'utilisation de stores et de filtres anti-UV, afin d'éviter le recours à de telles technologies. L'extrait
suivant est tiré de la première partie du roman "Ravage" où Barjavel émet principalement des critiques à l'encontre de l'abus de
technologies. Certaines d'entre elles sont cependant intéressantes, si on les considère avec attention, sans excès.
1
Barjavel - Le Diable l'Emporte - Présence Du Futur - Editions Denoël - 1948 - p.144
65
Le lendemain matin, le soleil se leva encore plus chaud que la veille. Depuis plus de deux mois, Paris n'avait pas reçu une goutte de pluie.
L'après-midi, une telle chaleur montait du sol que les Parisiens évitaient de sortir, sauf s'ils s'y trouvaient obligés. La capitale vivait derrière ses
volets.
Les Villes Hautes ne subissaient pas les effets de cette canicule. Leurs murs de façade étaient en verre, mais clos, sans fenêtres. A l'intérieur
circulait un air dépoussiéré, oxygéné, dont la température variait selon le désir de chaque locataire. Il suffisait de déplacer une manette sur un
minuscule cadran pour passer en quelques secondes de la chaleur de l'équateur à la fraîcheur de la banquise. 1
Je trouve excessive la nécessité de devoir passer par l'électronique pour permettre à l'utilisateur d'obtenir, en appuyant sur un bouton, ce qu'il
désire. L'être humain ne sera bientôt plus capable d'agir sans l'aide de l'électronique. Il se retrouvera le nez dans la poussière si une panne de
courant survient. C'est déjà un peu le cas lorsque la vie s'arrête dans nos foyers lors de ces interruptions : le frigidaire se met à dégeler,
l’installation de chauffage qu’elle soit électrique ou mue à l’électricité et qui commande notre confort s’arrête, et nous voilà obligés de sortir nos
bougies et les quinquets de nos grand-mères.
Parce qu’il gagnait beaucoup d’argent, Jonas avait pu s’offrir ce vaste appartement, situé au soixantième étage de la tour de Saint-Germaindes-Prés, escalier R, couloir sud-est, porte 6042, composé d’une seule pièce, avec des cloisons mobiles et des meubles à roulettes. Il suffisait
d’appuyer sur des boutons pour les déplacer dans tous les sens. C’était la méthode nouvelle pour lutter contre la monotonie de
l’environnement. On pouvait se construire, chaque jour, un habitat nouveau. A travers le mur de verre, on découvrait, tout en bas, la Seine, et
les toits de la moitié nord de Paris, pareils à un troupeau de moutons gris, avec les tours qui avaient surgi un peu partout parmi eux, comme
des peupliers. 2
Il est également important de relever les dangers liés à l'électronique, tels que le manque de fiabilité et l'apparition de virus qui pourraient
paralyser tout un système, voire une population entière. De plus en plus souvent, le système de domotique est relié à des services extérieurs
qui en assurent la surveillance, la maintenance, ou le shopping en ligne, l'internet. Tous ces services sont des portes d'accès à notre domicile.
Nos ordinateurs sont déjà surveillés par des programmes taupes, révélant nos mouvements sur Internet, nos centres d'intérêts. Imaginez-vous,
dans votre habitation, surveillés par Big Brother! Les grandes firmes commerciales sont avides de renseignements sur leurs utilisateurs afin de
mieux cibler leurs produits. Mais où sont les limites entre la vie publique et la vie privée?!
1
2
Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943 - p.42
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981 - p.43
66
Il lui montra comment se servir du téléphone. C'était simple : il suffisait de décrocher, et de dire le nom de la personne qu'on désirait obtenir,
comme au bon vieux temps des "demoiselles". Mais la "demoiselle" était électronique. Elle connaissait le nom de chaque habitant de l'Ile,
prononcé avec tous les accents. Elle était capable de le retrouver où qu'il fut. Elle prenait la commande du petit déjeuner. Celui-ci fut servi sur
un chariot, comme dans un palace. Mais le chariot arriva tout seul, par une petite porte basse qui s'ouvrit avec une note de flûte dans le mur
près du lit. (…) La baignoire s'emplissait par le bas, en quelques secondes, sans bruit. Il y avait aussi, dans une niche verte et dorée de la salle
de bains, une douche circulaire, à jets horizontaux, des chevilles aux épaules. 1
1
Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973 - p.160
67
Les hommes d'État n'ont ni le temps ni l'habitude de prévoir. Ils vivent au
jour le jour, tous les événements les surprennent, et les problèmes qu'ils
s'efforcent de résoudre sont ceux de la veille ou de l'avant-veille, qu'ils
n'ont d'ailleurs pas encore compris. 1
1
Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981
68
5.7..
La Qualité
Dans les romans de Barjavel, l'aspect commercial-marketing de notre société est mis de côté. Il réinvente des mondes où l'homme cherche son
bonheur, où chaque chose est parfaite. La qualité des services et des offres est d'une haute fiabilité, car les barrières économiques sont
tombées et les progrès de la science dominent toutes les civilisations qu'il imagine.
Je suis révolté par les possibilités non exploitées du contrôle de la qualité des produits qui sortent de nos usines. Je me demande vraiment
pourquoi le souci de rentabilité à tout prix donne l’impression que les choses sont faites à moitié, sans jamais chercher à tirer profit de l'essence
même d'un produit et cela uniquement dans un but commercial. Alors que nous pourrions bénéficier des meilleurs produits, nous agissons de
manière à obtenir des objets qui se dégradent ou doivent être remplacés tout simplement pour suivre l'évolution du marché de l'offre et de la
demande. Nous vivons vraiment aujourd’hui dans une civilisation du "prêt à jeter".
Le jour où les hommes voudront leur bonheur, peut-être que leur mentalité évoluera vers la recherche de la perfection. J'aime, quant à moi,
l'architecture et l'urbanisme, car ils apportent des solutions durables et quand je dessine un projet, j'espère me poser les bonnes questions.
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6..
Conclusion
Depuis tout petit, j'ai toujours voulu faire des plans, me rapprocher du schéma idéal, de l'organisation optimale de l'espace.
J'ai ouvert un livre et je suis entré dans le monde fantastique de Barjavel.
Sans le savoir, c'est dans un monde où l'architecture est présente à chaque page, où l'urbanisme de ces cités du futur fait rêver que je me suis
plongé. Il a sans doute renforcé mes envies, mon imaginaire, mon côté idéaliste à la recherche de cette perfection. Je ne l'ai pas encore
trouvée et sans doute ne la trouverai-je jamais totalement. Je me forge une idée bien à moi de l'architecture contemporaine, en emmagasinant
les côtés qui interpellent mon imagination, en rejetant les solutions qui ne me semblent pas adaptées.
Barjavel tente d'aider son prochain, ou plutôt de l'amener à s'aider lui-même, de le faire rêver, de le conduire vers une certaine liberté, dans la
perfection de mondes idéaux. C'est à nous, à moi, de recréer des espaces conviviaux où il fait bon vivre. Cette recherche d'une architecture en
finesse, où la courbe, les lumières, les sons, la nature et tous les détails sont mis à portée de l'œil humain, n'est jamais finie. Je vais poursuivre
mes envies, petit à petit, au travers de concepts qui sont également miens, car Barjavel est en moi depuis bien longtemps maintenant.
Chaque projet est différent, une multitude de solutions y sont applicables. Tout dépend de l'imagination de celui qui tient le crayon, mais
également des rêves qui l'ont traversé. Nous dessinons toujours nos pensées à partir de repères connus. Ce mémoire m'a permis de mettre en
ordre des idées jusqu'ici enfouies dans mon inconscient. Après avoir écrit mes premiers essais, j'ai remis mon mémoire en question, bloqué par
ce fil conducteur qui m'échappait encore. Je me suis donc arrêté et j'ai regardé derrière moi. Mon intention première était de parler de la
courbe, car cet espace m'a toujours fasciné. Pourquoi donc cette fascination? Je me suis mis à la recherche de cette réponse. Une fois
trouvée, j'ai pu me remettre au travail, en reprenant à zéro. Finalement, mes préoccupations n'étaient pas liées à la courbe elle-même, mais au
bien-être des occupants qui utilisent les espaces architecturés. Une idée me trottait dans la tête et j'avais comme intuition que la solution était
dans l'approche d'une architecture liée à la courbe, aux angles arrondis à l'abstraction de la ligne droite.
Bien plus encore, mes préoccupations étaient liées à la vie, à l'homme et à son bonheur.
Chacun d'entre nous utilise ses outils pour communiquer avec le monde, pour lui apprendre quelque chose ou pour en retirer un avantage.
Comme pour le dessin, certains préféreront travailler au fusain tandis que d'autres auront des capacités en infographie. Dans une plus large
mesure, je suis convaincu que l'architecture fait partie du chemin que je dois emprunter. C'est mon moyen d'expression dans notre monde, tout
comme Barjavel utilisait la littérature pour offrir un cadeau à ses semblables.
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De plus, les idées émises par Barjavel sont rarement prises en compte dans nos architectures pour des raisons évidentes de rentabilité de
l'espace. La courbe est mal acceptée par le public. Souvent les gens qui nous entourent ont un avis très tranché sur la question. L'influence
d'une architecture dite "classique", où la ligne et l'angle droit sont majoritaires, empêche tout raisonnement libre. On n'aime en général que ce
que l'on connaît. Mais qui nous dit que l'efficacité des espaces n'est pas liée à la qualité de vie de ceux-ci? Peut-être travaille-t-on mieux dans
un espace adapté à l'homme et à ses besoins? J'espère que les investisseurs du futur se poseront ces questions essentielles!
Dans ces pages, j'ai également développé l'image de notre futur, de ces villes prêtes à éclater, débordant sur nos campagnes. La verticalité y
prend tout son sens. Ce chapitre me tenait moins à cœur que celui dédié à la courbe, mais il était malgré tout extrêmement important et m'a fait
redécouvrir Barjavel sous un autre angle, celui de l'humanisme et du respect de notre environnement. Nous construisons notre avenir jour
après jour. Nous sommes donc les précurseurs de nouveaux modes de vie. C'est à nous de faire attention et d'éviter l'abus de technologie afin
de préserver un monde où l'homme se trouvera à l'échelle qui lui était destinée.
L'Architecture enterrée n'était pas le thème que je désirais aborder dans ce mémoire. Mais une fois le fil conducteur découvert, il m'était difficile
de passer outre. J'ai toujours aimé découvrir les espaces un peu particuliers des maisons où les caves sont aménagées. L'ambiance qui règne
dans ces lieux est souvent étouffée, très silencieuse, d'un calme profond.
Le plus intéressant des endroits que j'aie visités était bas de plafond. On y avait disposé des meubles au design plastique des années 70.
Les murs, courbes, étaient recouverts de laine orange dont les poils longs et épais rendaient les parois agréables au contact. Des creux étaient
disposés dans ces murs doux au toucher où l'on pouvait s'endormir en sécurité. Le plafond était recouvert de boîtes d'œufs, ce qui effaçait tous
les échos des chuchotements des occupants qui s'y déplaçaient. Par un grand hublot percé dans une des cloisons courbes, l'on pouvait
apercevoir les nageurs dans la piscine accolée à cet espace. La lumière dégagée par les phares sous-marins de la piscine laissait filtrer une
ambiance particulière à ce lieu un peu magique. Après avoir visité un tel espace, je trouve dommage de ne pas s'attarder plus longuement sur
la conception de lieux aussi expressifs dans nos architectures contemporaines.
J'aime beaucoup l'intégration de la nature au sein même de nos architectures, sans désirer pour autant promouvoir le zoo à domicile. C'est
avant tout le rappel de la nature qui m'a intéressé dans les romans de René Barjavel. Les formes courbes relatives à l'utérus maternel, le chant
des insectes et des animaux, la magie de l'eau qui ruisselle et les plafonds représentant notre ciel sont les éléments essentiels du rapport à la
nature qui me semblent pouvoir être développés dans nos futurs projets. Le végétal a besoin d'air pur et de soleil, il est donc à privilégier sur
nos toits, dans nos jardins et au centre de nos patios. Je n'approuve pas l'utilisation de plantes artificielles, bien qu'elles aient parfois un rôle
prédominant et rassurant dans des espaces clos. J'aime les choses vraies, sans dissimulation. Les ciels virtuels de Barjavel sont une bonne
chose, mais il me paraît extrêmement important de ne pas tricher avec la réalité. Si le ciel est couvert, le plafond de la pièce doit l'être
également. S'il fait plein soleil au dehors, la lumière tombant du plafond doit être chaleureuse.
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Parler de la courbe et de l'utilisation verticale de l'espace ne pouvait se faire sans évoquer le thème de la fluidité et celui de la mobilité urbaine.
Barjavel passe d'une échelle à l'autre ; il peut exprimer la fluidité d'une ville telle que Paris ou partir à la découverte d'une architecture où le
piéton est roi, où l'homme est à sa place. L'architecture enterrée, c'est avant tout une mise à l'échelle de l'homme, car sans comparaison, sans
rapport visuel au sol et aux espaces verticaux, l'être humain se retrouve sur une surface plane, dans une sorte de fourmilière, mais n'éprouve
plus la notion de vertige. Il s'y sent bien si les espaces créés le préserve de la claustrophobie.
Ce mémoire n'est qu'une esquisse de mes réflexions personnelles, mes sentiments sont encore trop enfouis.
J'aurais voulu pouvoir exprimer ma vision de la perfection de la courbe, car il existe de bonnes et de mauvaises lignes. Mais cette harmonie est
trop abstraite et ne peut pas vraiment s'expliquer. On aime ou l'on n'aime pas certaines courbes. Cela se résume parfois à un détail, une
courbure trop forte, une harmonie imparfaite, un faux bond, une perte de repères… En fait, chacun a des "critères" d’esthétiques différents pour
les figures courbes, alors que pour les formes droites le cadre de référence est assez homogène et plus simple. Le modulor de Le Corbusier
fait référence au nombre d'or pour déterminer les dimensions adéquates des espaces destinés à être utilisés par l'homme. On pourrait imaginer
que son modulor se balade dans un espace courbe, un peu comme une bulle de savon afin de créer un espace à l'échelle humaine dans un
lieu ou les références sont difficiles à mettre en place.
Mais ne suis-je pas trop perfectionniste? Une fois atteinte, cette perfection n'est-elle pas dérangeante? L'imperfection n'est-elle pas à la base
du rêve? Ne nous incite-t-elle pas à imaginer des mondes parfaits? Une fois que nous reposons définitivement notre crayon, n'a-t-on pas envie
de faire disparaître nos concepts et d'éliminer ces solutions idéales? Qu'adviendrait-il d'un monde parfait où tout est harmonie? En vérité, si
même nous en retirons certaines satisfactions à la mesure de notre vie, nous n'arriverons jamais vraiment au bout de nos quêtes.
Le secret réside sans doute dans ce que Gittta Mallasz, l’inoubliable "scribe" des "Dialogues avec l’Ange", appelle "l’imperfection heureuse".
Savoir tout simplement que l’on a une tâche à remplir et y mettre tout son cœur sans présumer de ses forces, parce qu’en fin de compte nous
ne sommes que des hommes et des femmes "en devenir", même si nous sommes en perpétuelle quête d’infini… depuis la nuit des temps…
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Le genre humain à ses débuts n’en savait sans doute pas plus long que
les papillons ou les buffles, mais quand fut créé le langage, chaque
génération put transmettre la somme de ses observations et de ses
expériences à la génération suivante, qui y ajouta les siennes et les
transmit à son tour. Ainsi se créait, par-dessus les vies brèves des
individus, une connaissance générale des faits qui s’accroissait avec le
temps (...). Ce qu’un homme ne pouvait pas saisir, une succession
d’hommes le comprit (...). 1
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Barjavel - La Faim du Tigre - Collection Folio - Editions Denoël - 1966 - pp.38 à 39
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Bibliographie
Sources littéraires :
René Barjavel - L'Enchanteur - Collection Folio - Editions Denoël - 1984
René Barjavel - Journal d'un Homme Simple - Editions Denoël - 1951
René Barjavel - Si J'étais Dieu - Collection Si J'étais… - Editions Garnier Frères - Paris - 1976
René Barjavel - Ravage - Le Livre De Poche - Editions Denoël - 1943
René Barjavel - La Tempête - Collection Folio - Editions Denoël - 1982
René Barjavel - Une Rose au Paradis - Presses Pocket - 1981
René Barjavel - Colomb De La Lune - Collection Folio - Editions Denoël - 1962
René Barjavel - La Nuit Des Temps - Presses Pocket - 1968
René Barjavel - Le Grand Secret - France Loisirs - 1973
René Barjavel - Le Diable l'Emporte - Présence Du Futur - Editions Denoël - 1948
René Barjavel - Les Chemins De Katmandou - Presses Pocket - 1969
Bernard Rudofsky - Architecture sans architectes - Editions du Chêne - 1980
Michel Ragon - Histoire mondiale de l'architecture et de l'urbanisme modernes - Prospective et futurologie - Casterman – 1986
Les Visionnaires de l’architecture - Collection "Construire le monde", dirigée par André Parinaud
Edition Robert Laffont and Revues et Publications, 1965
Les Travaux du GIAP - Collection Construire le Monde - R. Laffont - 1965 - préface de Michel Ragon, postface de Jean Balladur
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Sources interactives :
Le Barjaweb : http://barjaweb.free.fr
Palais Bulles : http://www.pierrecardin.com/Dculture/palais_bulles_gb.html
http://palaisbulles.com
http://perso.wanadoo.fr/architecture/index0.htm
http://www.habiter-selon-lovag.com
http://www.memoria.mc/antti/lovag.htm
Les Visionnaires de l’architecture : http://www.olats.org/schoffer/visiarch.htm
Les Travaux du GIAP : http://www.olats.org/schoffer/giap1.htm
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Remerciements
La vie est une chaîne d'éléments et d'événements qui font que l'on arrive où l'on se trouve chaque jour. Je tiens donc à remercier tous les
participants de cette chaîne, mes parents, mes amis, les gens qui ont fait de moi celui que vous connaissez aujourd'hui.
Je remercie particulièrement Yves Gheysen, mon titulaire de deuxième secondaire, pour m'avoir fait découvrir René Barjavel,
Un tout grand merci à l'équipe G.M. Loup du Barjaweb et tout spécialement à son coordinateur Monsieur Creveuil,
Merci à Jacques Aziac pour son apport à l'étude de l'architecture des surfaces courbes,
Merci à mon Papa pour ses suggestions, sa patience et ses corrections attentives,
Merci à Marianne Puttemans ainsi qu'aux délégués de la bibliothèque pour leurs conseils avisés et leurs pistes au travers des rayons de la
bibliothèque d'Horta,
Merci à Marc Crunelle pour son aide et pour avoir écouté attentivement mes réflexions,
Merci enfin à Sylvie Burgeon, Samantha Crunelle, Carine Jacques et Pascal Mathieu pour m'avoir épaulé si efficacement.
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