Visite de l`école de broderie Lesage - Anne

Transcription

Visite de l`école de broderie Lesage - Anne
Visite de l’école de broderie Lesage
(Maison Chanel)
Il est des lieux sans prétention dont on sent pourtant qu’ils ont vu défiler les plus grands. C’est
l’impression qui nous saisit en passant le seuil du 13, rue de la Grange Batelière, en plein
quartier Drouot à Paris.
C’est avec une certaine admiration que l’on
découvre François Lesage dans les ateliers de
sa maison de broderie, au 6ème étage, sous
les toits. Assis au milieu des papiers
crayonnés, des pompons de perles et des
échantillons de broderie, le maître brodeur
vient tout juste de fêter ses 82 ans, la veille
même de notre visite. Petite anecdote
véridique : sa sœur jumelle est, elle, née un
jour après lui, un premier avril… S’étonnant de
la visite de la dizaine d’étudiants de Sciences
Po, il s’empresse de se lever pour poser sous
son meilleur jour lorsqu’on lui demande si cela
ne le gène pas d’être photographié. Coquet,
une fleur de tissu violet attachée à sa cravate,
il évoque ses plus de soixante années de
carrière, l’œil rieur et quelque peu nostalgique
tout à la fois.
Mettre une touche d’éternité
Tout a véritablement débuté lorsque, à la suite
de la mort prématurée de son père en 1949, il
rentre de son séjour à Los Angeles où, installé
sur le Sunset Boulevard, il brodait pour les
stars d’Hollywood. Alors âgé de 20 ans, il
prend la tête de la maison Lesage que son
père, Albert, avait fondée en 1924 en rachetant
son atelier de broderie à Albert Michonnet, 102
ans à l’époque et brodeur pour l’impératrice
Eugénie. Dès les années 1920, l’atelier Lesage
est connu pour être la meilleure maison de
broderie, réputation qui ne s’est jamais
démentie depuis. Au service des plus grands
créateurs, François Lesage a lié des contacts
privilégiés avec eux : il a ainsi partagé une
amitié de plus de 40 ans avec Yves SaintLaurent et a fait de Christian Lacroix son
« filleul de métier », brodant gratuitement les
vêtements du jeune créateur à ses tout débuts.
François Lesage, initié à la broderie dès son
jeune âge, « ne sait pourtant pas coudre un
bouton ». Tout comme beaucoup de créateurs
ne savent pas faire un simple ourlet. Mais il a
la vision. Et c’est avec une légère amertume
qu’il reconnait qu’il n’y a aujourd’hui « plus de
notion d’élégance » : on dira d’une femme
qu’elle a un look, un style, mais plus qu’elle est
élégante. Tout est permis, chacun est libre de
composer selon ses envies, il n’y a plus de
règles vestimentaires. Or, « il n’y a pas de vent
favorable pour un bateau qui n’a pas de port ».
Autrement dit : il ne peut y avoir de belle
création sans le respect de certains codes. Et
lorsqu’on lui demande si la mode est un art,
Monsieur Lesage répond : « La mode, c’est la
mode. Si l’on y met une touche d’éternité, alors
oui, cela devient de l’art ». A méditer pour tous
les jeunes stylistes qui souhaiteraient laisser
leur empreinte pour la postérité…
A la découverte du « deuxième plus
vieux métier du monde »
Une chose est sûre, c’est que tous feront, un
jour ou l’autre, appel à la broderie. François
Lesage aime à l’appeler le « deuxième plus
vieux métier du monde ». Il est vrai qu’elle tient
une place toute particulière au sein de la
couture, et plus encore au sein de la haute
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couture . Signe de distinction sociale, elle
consiste tout simplement à appliquer une
matière sur un tissu plat. A partir de là, toutes
les idées, toutes les envies et tous les
matériaux sont permis ! Nécessitant de très
longues heures de travail, la broderie était
souvent réalisée par des religieuses.
Aujourd’hui, comme pour tous les métiers
d’artisanat et de musique, on considère qu’il
faut 10 000 heures de travail pour devenir un
bon brodeur, soit sept années à raison de 5
jours de travail par semaine. Un métier pour
lequel il faut donc savoir faire preuve de
beaucoup de patience : à titre d’exemple, un
costume d’académicien requiert pas moins de
800 heures de travail.
Ce n’est donc évidemment pas en une aprèsmidi qu’il est possible de maîtriser l’ensemble
des techniques de la broderie à l’aiguille, et
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encore moins celles au crochet de Lunéville .
C’est pourtant avec beaucoup de bonne
humeur et d’application que l’on s’initie en
quelques heures aux rudiments de la broderie,
grâce à la patience des brodeuses de l’atelier
venues nous les enseigner. La maison Lesage
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a créé son école de broderie en 1992 et a
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http://fr.wikipedia.org/wiki/Haute_couture
http://www.broderieluneville.com/045a4b9e0a0951a0c/045a4b9e0a09e
ed2a/045a4b9e170e04b0b/
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http://www.lesage-paris.com/
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déjà accueilli plus de 3 000 élèves depuis. On
y retrouve, bien sûr, des élèves en école de
mode et de stylisme mais aussi, tout
simplement, des passionnés venus parfaire
leur technique. Les élèves de l’école Lesage
sont originaires du monde entier et viennent
des quatre coins du globe se former à Paris –
23% sont japonais.
« L’entrée des fournisseurs »
Si la maison Lesage et son école de broderie
nous ouvrent ainsi si grand leurs portes, c’est
que les métiers d’art restent malheureusement
méconnus. Paruriers, plumassiers, fleuristes,
modistes, bottiers, gantiers et, bien sûr,
brodeurs : autant de métiers de petites mains
qui ont accompagné les évolutions de la mode
au travers des siècles mais qui, trop souvent,
sont restés cachés derrière les grands noms
de la création vestimentaire. C’est ce que
n’oubliera pas de relever Prosper Assouline
dans son livre L’Entrée des Fournisseurs,
ouvrage dans lequel sont dépeintes les
coulisses de la mode : en définitive, seul
subsiste le nom du couturier. Et les doigts de
fées qui se seront affairés jour et nuit pour
donner vie à ses créations sont voués à
l’anonymat.
C’est un savoir-faire parisien que s’arrachent
pourtant des Lagerfeld, des Galliano, des
Lacroix, des Gaultier et qui a séduit, plus tôt,
des Poiret, des Dior, des Saint-Laurent ou des
Schiaparelli. Et cela n’est pas près de
s’arrêter : beaucoup de jeunes créateurs,
notamment américains, tels que Tom Ford ou
Jason Wu, qui ne peuvent plus bénéficier de
ce genre de compétences aux Etats-Unis, se
tournent vers la France. Paris concentre
ème
effectivement, depuis la fin du XIX
siècle et
la création de la haute couture il y a 130 ans,
un grand nombre de maisons de couture. Une
tradition textile et une réactivité qui lui a valu le
titre de « capitale de la mode ».
Sauver la créativité, le meilleur des
marketings
Aujourd’hui, cet artisanat, qui a fait la
réputation de la Ville Lumière, déjà fortement
soumis aux aléas de la mode, est menacé.
Plus tôt, lors de la Seconde Guerre mondiale,
Hitler avait projeté de transférer l’ensemble
des ateliers parisiens à Berlin et Vienne ;
soixante maisons de couture et 12 000 emplois
parviendront à être conservés dans la capitale
française. Mais la mondialisation actuelle,
l’uniformisation des produits, la nécessité
d’aller toujours plus vite, la délocalisation vers
des pays à la main d’œuvre moins chère –
comme l’Inde et ses 4 millions de brodeuses,
contre à peine 200 en France – ont, à leur tour,
porté un coup dur à ces maisons. Certaines
ont fermé boutique, d’autres, plus chanceuses,
ont dû réduire leurs effectifs.
Or, la mode est paradoxale : elle va vite, très
vite, mais elle demande du temps, beaucoup
de temps. Si l’on veut exister dans le vrai luxe,
le marketing est inutile : il faut être créatif,
qu’importe le prix. Répéter des gestes est
facile, se montrer créatif l’est nettement moins.
Or, l’on se souvient tous des vestes
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impressionnistes d’Yves Saint-Laurent , ou
encore de la robe panthère de Jean-Paul
Gaultier entièrement rebrodée de micro-perles,
tellement réaliste qu’elle valut au créateur un
appel de Brigitte Bardot le lendemain même du
défilé…
C’est pourquoi l’Etat s’efforce de protéger et
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promouvoir les métiers d’art en France . La
maison Chanel a, elle aussi, décidé dès 1985
de sauver ce savoir-faire et ce leadership
français au sein d’une structure nommée
Paraffection, qui regroupe désormais sept
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maisons d’artisanat d’art : Desrues (parurier),
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Lemarié
(fleuriste, plumassier), Michel
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(modiste), Massaro (bottier), Guillet (parurier
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floral), Goossen
(parurier), sans oublier
Lesage (brodeur). Cette structure permet de
pérenniser ces activités en leur apportant le
soutient logistique et financier de Chanel qui,
par ailleurs, organise depuis une dizaine
d’année, au mois de décembre, son défilé des
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métiers d’art . L’occasion de mettre sur le
devant de la scène ces travailleurs de l’ombre
et de susciter, pourquoi pas, quelques
vocations…
Anne-Sophie Bon
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http://histoiresdegarcon.hautetfort.com/media/02/00/
950492499.jpg
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http://www.institut-metiersdart.org/
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http://desrues-paris.com/fr/historique.html
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http://www.lemarie-paris.fr/
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http://www.michel-paris.com/
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http://www.massaro.fr/fr/la-maison-massaro.php
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http://www.guillet-fleurs.fr/
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http://www.goossens-paris.com/
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http://www.vogue.fr/mode/news-mode/articles/lhistoire-des-defiles-metiers-d-art-de-chanel/3624