prix agostino 2012

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prix agostino 2012
PRIX AGOSTINO 2012
DE la meilleure nouvelle policière
LE CHANDELIER • Philippe FAUCHE
Je m’appelle Hummer. Daniel Hummer. Mes amis m’appellent Dany. Enfin, quand j’aurai trouvé des amis, ils m’appelleront comme ça. J’ai un bureau un peu usagé, une porte vitrée
avec mon nom dessus, et dans mon veston un colt 45 qui a beaucoup vécu. Je suis un Privé.
Ce jour-là comme d’habitude je me détendais un verre à la main en attendant la clientèle, quand justement elle entra sous la forme d’une brune à voilette aussi énervée qu’un
Irlandais en cure de désintoxication. Tout en ravageant mon parquet avec ses talons-aiguilles elle me raconta une histoire abracadabrante de cambrioleur qui s’était introduit chez
elle pour voler un vieux chandelier. Même pas en or, juste en étain. Non, rien d’autre. Rien qu’un vieux chandelier à sept branches. Mais non, elle n’était pas juive, qu’est-ce que
j’allais chercher là! C’était un souvenir de sa grand-mère. Elle non plus n’était pas juive, j’allais arrêter avec ça? Héritage. Valeur sentimentale. Elle me paierait cher pour que je le
retrouve. La police l’avait envoyée balader, et j’avais bien envie de faire pareil. Je ne prends pas les femmes, en général. Pas comme clientes je veux dire. Dans le boulot, ce sont
d’inépuisables sources d’emmerdements. On commence avec une petite affaire d’adultère bien tranquille, et puis on se retrouve coursé par le mari, ou l’amant, ou le mac, ou les
trois en même temps. Mais bon, de l’argent, c’est de l’argent. Il faut bien payer les factures, et ma carrière de joueur de poker professionnel a du mal à décoller. L’avait-elle montré
à quelqu’un, ce chandelier? À personne sauf... ah oui il y a quelques semaines elle l’avait montré à un brocanteur de la 43° rue qui, après l’avoir longuement examiné, en avait
royalement offert deux dollars et encore il était trop bon...Lorsqu’elle me précisa l’adresse du soi-disant brocanteur, je faillis pousser un hurlement. C’était le repaire de l’Araignée.
Pour tous les truands du quartier, l’Araignée n’était pas une petite bête désagréable, mais un receleur beaucoup plus gros et à peine plus moche. Sa boutique était un infâme
boui-boui où un cochon n’aurait pas retrouvé un seau de truffes. Tel l’araignée au fond de sa toile, il attendait là les gouapes d’âge tendre et leur rachetait pour une misère les
objets précieux qu’ils avaient durement volés à la sueur de leur front. Demander à un receleur s’il a entendu parler d’un cambriolage, c’est comme demander au chat qui a bouffé
le poisson rouge. Le genre de question superflue juste bonne à vous faire passer pour un couillon. C’est donc de nuit que je me rendis à son adresse, avec mon pied-de-biche favori.
La porte de derrière céda à mes avances sans trop faire sa mijaurée, et je pénétrais dans le capharnaüm. Ma lampe torche me révéla un désordre biblique. Des piles de revues
hors d’âge, des meubles accablés de poussière croûlant sous des amas d’objets divers, des armoires dégueulant des tissus mangés aux mites, des tas de journaux annonçant
au monde stupéfait que le général Grant avait gagné la guerre de Sécession. Sous la porte du fond, un rai de lumière. Pistolet au poing, je l’ouvris d’un coup d’épaule. Là, assis à
son bureau, l’Araignée himself, qui faisait ses comptes à la lumière d’une antique lampe à pétrole, me dévisageait d’un air ahuri. A côté de lui, émergeant d’un vieux sac, les sept
branches d’un chandelier d’étain. Il y a des gens que la vue du canon d’un revolver tétanise. D’autres que ça rend incroyablement bavards. L’ Araignée appartenait à cette dernière
catégorie. J’appris en vrac que ce n’était pas sa faute, qu’on l’avait forcé à accepter ce vieux chandelier, qu’on l’avait contraint à l’expertiser, et qu’on voulait l’obliger à le revendre.
Mais dans quel monde vivons-nous, ma bonne dame? Quand je tentais de lui introduire mon canon dans la narine gauche, il craqua et avoua que le cambriolage c’était lui. Et
pourquoi ça? Parce que le chandelier en question était une antiquité authentique qui valait plusieurs centaines de milliers de dollars. Et là, là, je l’avoue, j’ai commis une erreur.
Pendant quelques fractions de seconde, mes yeux ébahis lâchèrent l’Araignée pour contempler la daube illustre dont je n’aurais pas voulu pour décorer mes chiottes, et qui valait
dix fois le prix de mon appartement. Avec la rapidité d’un chat, le receleur en profita pour me sauter à la gorge, envoyant au passage la lampe à pétrole jouer au trampoline sur
les vieux journaux. Je déteste me battre avec les gros. J’ai l’impression de cogner dans un édredon qui pue la transpiration. J’avais beau lui balancer des coups de genou dans le
bas-ventre, la zone à explorer était trop vaste, et la cible recherchée trop petite. Je finis par m’en débarrasser en lui abattant mon revolver sur le crâne. Enfin il s’effondra dans un
grand bruit mou. A ce moment-là, tout le bureau flambait déjà joyeusement. Je ne dûs mon salut qu’à un slalom désespéré entre des piles de débris en flammes, et un plongeon
à travers une fenêtre fermée.
Après un bref séjour à l’hosto, je fus naturellement interpelé pour quelques bricoles: effraction, port d’arme prohibée, coups et blessures, etc... la routine. Heureusement je connaissais
le juge. Un vieux de la vieille que mes mésaventures font toujours rire aux larmes. J’en ai été quitte avec quelques mois de sursis pour ma collection. De toutes manières l’incendie,
généreusement alimenté par les abondantes réserves de saindoux de l’Araignée, avait fait disparaître les preuves, les indices, le coupable et la moitié du quartier avec.
Sale boulot quand même. Des planques, des filatures, des bleus et des bosses. Et pour finir pas une once de reconnaissance. Bah! Je crois que je serai bientôt mûr pour décrocher,
moi. Me retirer à la campagne, dans un coin où il ya des vaches, et vivre enfin de ce que j’ai pu mettre de côté, dans mon coffre à la banque. Quelques milliers de dollars durement
économisés, et un vieux chandelier d’étain à sept branches, qui ne paie pas de mine et qui est un peu cramé par endroits.
• QUAIS DU POLAR FESTIVAL INTERNATIONAL LYON • 2012