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9 782842 789138 J O A N A VA S C O N C E L O S À V E R S A I L L E S JOANA VASCONCELOS CORR2_BAM_VASCONCELOS_cover.indd CI À VERSAILLES 8,5 € 13/06/12 14.54 ATELIER À Lisbonne, la fabrique des rêves A visit to the magical workshop in Lisbon ¦¦¦¦ PA R / B Y FA B R I C E B O U S T E AU ¦¦¦¦ ofia Coppola la fit danser sur un morceau mythique de New Order. Xavier Veilhan a créé pour elle un carrosse futuriste violet. Aujourd’hui, Joana Vasconcelos l’imagine décoller en hélicoptère à plumes roses ! Pour les cinéastes comme pour les artistes, Versailles, c’est d’abord Marie-Antoinette. À 1 500 kilomètres du château, dans l’immense atelier de Joana Vasconcelos à Lisbonne, une assistante applique minutieusement des feuilles d’or sur les portes de Lilicoptère, cet hélicoptère qui s’envisage comme le carrosse d’une Marie-Antoinette de 2012. Deux mois avant l’ouverture de son exposition, Joana Vasconcelos, calme, concentrée et joyeuse, fait le point avec les 28 collaborateurs qui travaillent depuis plusieurs mois quasi exclusivement en vue de l’exposition à Versailles. Dans son atelier de près de 2 000 mètres carrés situé dans des entrepôts en bord de Tage, tout est parfaitement organisé et maîtrisé. « Il m’a fallu de nombreuses années pour créer un studio de production qui intègre dans un même espace tous les processus de réalisation de mon travail, explique l’artiste. Des dessins que je note sur des petits carnets à la prise de vue de l’œuvre achevée en passant par la fabrication des caisses de transport, c’est un gain de temps considérable, mais surtout cela m’off re un contrôle des moindres détails et au jour le jour de mes pièces. Elles y gagnent en puissance. » On ne s’y attend pas a priori, mais la petite entreprise artistique de Joana Vasconcelos est gérée de main de maître comme chez les plus grands artistes de la Renaissance. Et son œuvre comme sa personnalité sont plus complexes qu’elles n’en ont l’air. Car chez Joana Vasconcelos, dans ses att itudes comme dans son travail, les apparences sont faites pour être trompeuses. Tout en rondeurs, cette artiste née en 1971 à Paris, star en son pays, collectionnée par S PAGE CI-CONTRE Joana Vasconcelos et Fabrice Bousteau à côté de la Golden Valkyrie PHOTO © UNIDADE INFINITA PROJECTOS. 26 Sofia Coppola had her dance to a mythical New Order track and Xavier Veilhan created a futuristic looking violet carriage for her. Today, Joana Vasconcelos imagines her flying off in a pinkfeathered helicopter! For filmmakers and artists alike, Versailles is above all associated with Marie-Antoinette. As we speak, in Joana Vasconcelos’ immense studio in Lisbon, some 1,500 km from Versailles, an assistant is meticulously applying gold leaf to the doors of what looks rather like a helicopter. Lilicoptère, to give it the name chosen by the artist, is indeed a helicopter, but one which seems to think it’s a latter day carriage for Marie Antoinette. Two months before the opening of her exhibition, a very calm, concentrated and happy Joana Vasconcelos is in a progress meeting with the 28 members of her team, who have been working almost exclusively for several months now on the Versailles exhibition. Everything is perfectly organised in this warehouse studio, nearly 2000 m2 in size, on the banks of the Tagus. Joana Vasconcelos is in control. “It took me many years to create a studio where I could produce my works from A to Z, from a sketch in my notebook, to the photo shoot of the fi nished work, even building the crates that will transport the piece to its destination. Now I save a lot of time, but what I really appreciate is that day-by-day it allows me to keep an eye on every little detail, which in turn brings an added force to my work.” Joana’s organisation and management of this ’little arts business’ is surprising: we could be in the studio of one of the great Renaissance painters. Indeed, both her work and her personality are much more complex than they seem at first glance: whether her attitude or in her work, Joana Vasconcelos makes sure appearances are Joana Vasconcelos à Versailles CORR 1_BAM_VASCONCELOS_v14.indd 26 07/06/12 15.34 CORR 1_BAM_VASCONCELOS_v14.indd 27 07/06/12 15.34 CORR 1_BAM_VASCONCELOS_v14.indd 28 07/06/12 15.34 PAGE CI-CONTRE CI-DESSUS Deux brodeuses travaillant au point de Portalegre sur la tapisserie Vitrail (au premier plan, le croquis de l’œuvre) Joana Vasconcelos sur un chariot élévateur surplombant son Vitrail en tapisserie PHOTO LUÍS VASCONCELOS / © UNIDADE INFINITA PROJECTOS. PHOTO LUÍS VASCONCELOS / © UNIDADE INFINITA PROJECTOS. deceiving. This rotund artist, born in Paris in 1971, is a star in her home country, François Pinault collects her works and she is well on the way to gaining recognition on the international art scene. But she has another more surprising talent… she is also a formidable boxer, metaphorically of course. Joana Vasconcelos’ works may be colourful, beautiful and could even be described as decorative, but beware: the spellbound spectator moves closer… and then ’wallop’, it’s the knockout punch! Just one example: The Bride is a magnificent and monumental white chandelier that from close up turns out to be made entirely from tampons… A major piece of work that unfortunately will not be shown in Versailles. And yet this piece was exhibited at the Venice Biennale in 2005. Without being openly feminist, Joana Vasconcelos’ work does address political questions, in particular a woman’s place in society. At the start of her career, she highlighted the unsung work of seamstresses and embroideresses by getting stuck in herself! “I have a lot of assistants, but I know how to do each of their jobs because, when I started out, I worked alone.” Today no less than eight highly-experienced women embroider and sew in the Lisbon studio, giving free rein to their passion and demonstrating their know-how. On shelves all around them, transparent plastic boxes contain a unique collection of fabrics and lace organised by colour. These are the raw materials for most of her pieces, gleaned by the artist during her travels. “The lace and fabrics come from all over, South CI-DESSUS Les brodeuses dans la salle de couture, parmi les bobines de fil doré PHOTO LUÍS VASCONCELOS / © UNIDADE INFINITA PROJECTOS. François Pinault et en voie de consécration sur la scène artistique internationale, est en effet une boxeuse redoutable… aux gants de velours. Colorées, belles, voire décoratives au premier regard, les œuvres de Joana Vasconcelos séduisent ceux qui les découvrent avant de leur décocher un uppercut violent ! Comme ce magnifique lustre blanc et monumental intitulé La Mariée, qui se révèle de plus près être entièrement constitué de tampons hygiéniques… Une œuvre majeure, hélas absente de Versailles, qui avait pourtant été exposée à la biennale de Venise en 2005. Sans être ouvertement féministe, le travail de Joana Vasconcelos s’intéresse au politique et à la place des femmes dans la société. Joana Vasconcelos a en effet commencé sa carrière en réhabilitant et en valorisant le travail anonyme des couturières et autres brodeuses. En s’y collant elle-même : « J’ai beaucoup d’assistants mais je sais faire ce que chacun fait car, au début de ma carrière, j’étais seule. » Aujourd’hui, pas moins de huit brodeuses et couturières expérimentées expriment leur passion et leur savoir-faire dans l’atelier de Lisbonne. Autour d’elles, des rayonnages de boîtes « J’ai beaucoup d’assistants mais je sais faire ce que chacun fait car, au début de ma carrière, j’étais seule. » “I have a lot of assistants, but I know how to do each of their jobs because, when I started out, I worked alone.” 29 CORR 1_BAM_VASCONCELOS_v14.indd 29 07/06/12 15.34 en plastique transparent abritent un ensemble unique de tissus et de dentelles glanés par l’artiste au cours de ses voyages. Ils sont classés par couleur et constituent la matière première de la plupart de ses travaux. « Les dentelles et les tissus viennent aussi bien d’Afrique du Sud que du Brésil. Certaines pièces datent des années 1930, d’autres sont très récentes. Mais je n’achète jamais plus de deux mètres du même tissu car autrement c’est trop lourd dans ma valise. Ce qui me permet de rapporter à chaque voyage environ cinq tissus différents. » Des langoustes en dentelle CI-DESSUS Artistan ébéniste travaillant sur Perruque PHOTO LUÍS VASCONCELOS / © UNIDADE INFINITA PROJECTOS. PAGE CI-CONTRE Une brodeuse travaillant sur La Dauphine, langouste en céramique recouverte de crochet PHOTO LUÍS VASCONCELOS / © UNIDADE INFINITA PROJECTOS. 30 Après la bibliothèque de tissus, Joana Vasconcelos me montre une collection d’animaux en céramique : « C’est un travail extraordinaire réalisé dans les années 1850 par Bordalo Pinheiro, un artiste portugais qui a étudié en France et en Allemagne. Ses animaux ont parfois des proportions démesurées, comme ses serpents. Ils sont à la fois sur réalistes et très naturalistes. À partir de 2007, j’ai commencé à les travestir en les habillant de dentelle. Ils changent alors d’identité. Pour Versailles, j’ai recouvert deux langoustes de dentelle pour représenter le Dauphin et la Dauphine ! De la dentelle réalisée par des femmes de l’île des Açores qui font un crochet très ancien et unique. C’est aussi cette dentelle qui habille les deux lions que je vais placer devant la chambre de la Reine. Ils sont faits du même marbre que celui de la salle des Gardes – un marbre qu’on ne trouve malheureusement plus en France et que j’ai dû faire venir d’Afghanistan. » Nous continuons la visite avec la partie administrative de l’atelier, le bureau de presse, les responsables des budgets, puis le Africa, Brazil… Some pieces date back to the 1930s whilst others are very recent. I never buy more than two metres of each fabric I fi nd, because otherwise my suitcase would be too heavy. This way I can bring back about five different fabrics each time I travel somewhere.” Lobsters in lace After her stock of fabrics, Joana Vasconcelos shows me a collection of ceramic animals. “These are examples of the extraordinary work of Bordalo Pinheiro during the 1850s. He was a Portuguese artist who studied in France and Germany. His animals, his snakes for example, are sometimes disproportionate, but somehow they manage to be simultaneously realistic and surreal. From 2007 onwards, I began to dress these animals in lace, or perhaps I should say I cross-dress them and they take on a new identity. For Versailles, I have wrapped up two rock lobsters in lace: they represent the Dauphin and the Dauphine! This lace is in fact very special indeed: it is made by women in the Azores, who do an ancient and most unique kind of crochet. The same lace is on the two lions, which I am going to put in front of the Queen’s Chamber. By the way my lions are made from the same marble as those in the Guard Room. Unfortunately you can no longer fi nd this marble in France and I have had to have some brought over from Afghanistan.” We continue our visit with the admin side of the studio: the press office, the financial team and fi nally the design and architecture department, which is managed by her husband Duarte. Going back to the voluminous, high-ceilinged central space, I watch one of the main pieces that has been created specifically Joana Vasconcelos à Versailles CORR 1_BAM_VASCONCELOS_v14.indd 30 07/06/12 15.34 for Versailles being assembled: the Golden Valkyrie that will be on show in the Gallery of Battles. This 120 m long room, where 35 historical paintings hang on the walls, will be welcoming contemporary art for the very fi rst time. A cosmic patchwork in Versailles “Golden Valkyrie is made out of many different sorts of fabric that are in fact the exact equivalent of period fabrics. They were given to me by the Prelle Manufacture: past masters in this domain.” The piece is absolutely enormous, sprawling out in an incredible multiplication of superposed materials and colours. A cosmic patchwork that required months of work and which doesn’t look like it could ever be moved. “We’ve thought carefully about everything, down to the last detail. True, it’s a monumental work, but in fact it is made up of several independent modules that can literally be zipped together. It may seem enormous, but each individual module is in fact quite light. And to avoid exorbitant costs, I made the transport crates here myself. They are light and very sturdy, and look like beautiful red plastic parcels. The Golden Valkyrie is not alone, there is another valkyrie, the Royal Valkyrie, which is more sober, but just as surprising and majestic. Seventeen artworks in total will be installed at Versailles. This exhibition will have taken a year’s hard work to prepare and a budget of 2.5 million euros. So here we are: a female artist at Versailles, one who works without pretention, striving to create marvellous works of art, and what’s more art with a political slant. This is not just unusual, it’s revolutionary! dépar tement design et architecture dirigé par son mari Duarte. En retournant dans l’espace central, j’assiste au montage de l’une des pièces majeures créées pour Versailles : la Golden Valkyrie qui sera présentée dans la galerie des Batailles – un espace du château présentant 35 peintures d’Histoire et qui, pour la première fois, accueillera de l’art contemporain. Patchwork cosmique au château de Versailles « Elle est composée de nombreux tissus équivalents à ceux de l’époque, que la maison Prelle, orfèvre en la matière, m’a offerts. » La Golden Valkyrie est absolument démesurée, tentaculaire, avec une multiplication et une superposition incroyables de matières et de couleurs. Un patchwork cosmique qui a nécessité des mois de travail et semble intransportable. « On a réfléchi à chaque détail. L’œuvre est monumentale mais composée de plusieurs modules indépendants que l’on zippe ensemble avec une fermeture éclair. Cela paraît énorme, mais chaque module est léger. Et pour éviter des frais colossaux, je fabrique ici les caisses de transport. En fait, ce sont des ballots de plastique rouge, beaux, légers et très résistants. » À la Golden Valkyrie s’ajoute une Royal Valkyrie plus sobre, mais tout aussi majestueuse et surprenante. Au total, 17 œuvres occupent Versailles. Une exposition qui aura nécessité un an de travail, un budget de 2,5 millions d’euros fi nancé par des mécènes et les galeries Nathalie Obadia et Haunch of Venison. Une artiste femme à Versailles qui travaille sans prétention et avec attention à créer du merveilleux avec une dimension politique, ce n’est pas normal… C’est révolutionnaire. 31 CORR 1_BAM_VASCONCELOS_v14.indd 31 07/06/12 15.34