Un sac de billes

Transcription

Un sac de billes
Litterature jeunesse
Französisch
Lernjahr 3|4|5
Paris, 1941 - deutsche Besatzung, Judenverfolgung.
Für den jungen Joseph und seinen Bruder bedeutet
dies die Flucht und jede Menge Probleme.
Un sac de billes ist ein packender autobiographischer
Roman, er wurde ein internationaler Bestseller.
Das Buch wurde gekürzt und behutsam vereinfacht.
Historische Hintergrundinformationen ergänzen das
Heft.
Joseph Joffo
Un sac de billes
Texte presente et annote
par
W. Ader et G. Krüger
Ernst Klett Sprachen
Stuttgart
Table des matieres
Joseph Joffo
Un sac de billes
Introduction
6
Chapitre 1 : L'enfance
7
Chapitre 2 : L'etoile jaune
10
Chapitre 3 : Ä l'ecole
13
Nachfolger von 978-3-12-592122-1
Chapitre 4 : Le depart
16
Alle Drucke dieser Auflage sind unverändert und können im Unterricht nebeneinander verwendet werden.
Chapitre 5 : La ligne de demarcation
20
Chapitre 6 : A Menton
25
Chapitre 7 : Nouveau depart
28
Chapitre 8 : Les Allemands ä Nice
33
Texte presente et annote par W. Ader et G. Krüger
1. Auflage
1
11
10 9 8
7
| 2018 17 16 15 14
Die letzte Zahl bezeichnet das Jahr des Druckes.
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© für die Originalausgabe: Editions Jean-Claude Lattes, Paris.
© für diese Ausgabe: Ernst Klett Sprachen GmbH, Rotebühlstraße 77,
70178 Stuttgart, 2008.
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Redaktion: Sylvie Cloeren
Satz: Satzkasten, Stuttgart
Umschlaggestaltung: Elmar Feuerbach
Umschlagbild: Bildarchiv Preußischer Kulturbesitz
Druck und Bindung: Medienhaus Plump GmbH, Rolandsecker Weg 33,
53619 Rheinbreitbach
Printed in Germany
ISBN 978-3-12-592135-1
|l
783125^921351
Chapitre 9 : Le camp des jeunes
Compagnons de France
36
Chapitre 10 : L'interrogatoire
39
Chapitre ll:Le eure de la Buffa
44
Chapitre 12 : Le retour
48
Autour du texte
51
Annexe
57
Quelques dates historiques
61
Carte : La France occupee
63
Liste des abreviations
64
Chapitre 1
Introduction
Joseph Joffe», l'auteur de ce roman autobiographique,
L'enfance
est ne ä Paris en 1931, dans le XVIII arrondissement.
Apres la guerre, il devient coiffeur comme son pere.
e
En 1971, apres un accident de ski, i l se met ä ecrire
ses Souvenirs d'enfance : ce sera Un sac de billes.
Dans ce roman, i l decrit la vie des Juifs pendant
la Seconde Guerre mondiale en France, leur
souffrance et leur peur. Mais ce n'est pas un livre
de haine, c'est au contraire un livre d'espoir et
d'amour.
Le heros du roman, Joseph Joffo, est un garcon
de 10 ans en 1941, au moment oü i l lui faut quitter
Paris avec son frere Maurice, de deux ans son aine,
pour ne pas tomber aux mains de la Gestapo. II a
encore une soeur, Rosa, qui vit pres de Montlucon,
et deux freres aines, Henri et Albert, qui exercent le
meme metier que leur pere : celui de coiffeur.
On suit les deux garcons, Joseph, le narrateur, et
son frere Maurice, de 1941 jusqu'en 1944, date ä
laquelle ils retournent ä Paris apres la liberation de
la capitale. C'est un livre qui resume trois annees
de l'histoire de la France et de l'Allemagne.
Le roman a connu un tres grand succes, pas
seulement en France. II a ete traduit en 18 langues,
dont l'allemand.
Une carte de la France sous l'occupation allemande,
page 63, une liste de dates historiques, page 61, et
quelques explications dans l'annexe, page 57, vous
aideront ä mieux comprendre les extraits tires de
ce livre.
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Je me souviens du salon de coiffure et de ses odeurs.
Je revois les flacons sur les etageres, les serviettes
blanches et papa qui rasait un client.
On a fait les devoirs, Maurice et moi. Ca n'a pas
dure plus de quarante-cinq secondes. J'ai toujours
su mes lecons avant de les apprendre. On a joue
un peu dans la chambre pour que maman ne nous
renvoie pas aux etudes. Puis on est sortis.
J'avais dix ans.
Porte de Clignancourt, en 1941. Un quartier ideal
pour des gosses. Nous etions heureux dans ce Paris
gris, avec les boutiques, les maisons hautes, des
endroits pour se cacher, des sonnettes. II y avait de
tout: des voitures ä chevaux, la fleuriste, l'odeur de
la boulangerie et les terrasses des cafes en ete. Et
quelle immensite de rues !
Nous sommes rentres vers six heures. Apres
le diner, comme chaque soir, maman est venue
contröler nos dents, nos oreilles, nos mains.
Elle nous a dit bonne nuit, et comme chaque
soir, la porte n'est pas encore refermee que mon
oreiller vole en direction du lit de Maurice. Nous
nous battons souvent. En general, c'est moi qui
commence.
J'ecoute. J'entends que Maurice a quitte son lit.
La bataille peut commencer.
Lumiere.
2 une odeur ce que Ton sent par le nez - 3 unflaconune petite bouteille -11 Porte
de Clignancourt kl: un quartier ouvrier de Paris (XVIII arrondissement) -12 un gösse
fam un enfant -17 une immensite ici: un grand nombre - 23 un oreiller Kopfkissen
(-»une oreille)
e
7
Maurice se rejette dans son lit et je fais semblant
de dormir. Papa est lä.
- Continuez, dit-il.
Papa est formidable.
Certains soirs, i l entrait, il s'asseyait sur mon lit ou
sur celui de Maurice et commencait ä raconter les
histoires de la famille. Le heros etait mon grandpere. C'etait un homme riche, connu et ahne des
habitants d'un grand village au sud d'Odessa, en
Russie.
II vivait heureux avec sa famille jusqu'au jour oü
ont commence les pogromes.
Ces histoires ont influence mon enfance, je
voyais les soldats du tsar, les flammes, les larmes,
les morts. II fallait donc partir et vite.
Les Joffo ont traverse l'Europe: la Roumanie,
l'Autriche, l'Allemagne et un jour, ils se sont trouves
devant la derniere frontiere. De l'autre cöte, i l y
avait des chants d'oiseaux, des arbres et un village
aux toits rouges avec une petite eglise, de vieilles
femmes sur des chaises devant leur maison. Sur la
maison la plus grande, il y avait les mots :
Je ne suis jamais passe devant la mairie du XIX
arrondissement sans que mon pere me serre un peu
la main et me montre les lettres sur le bätiment:
- Tu sais ce que ca veut dire, ces mots-lä ?
J'ai su vite lire. Ä cinq ans, je lui disais les trois
mots.
- C'est ca Joseph, c'est ca. Et tant qu'ils sont ecrits
lä-haut, ca veut dire qu'on est tranquilles ici.
Et c'etait vrai qu'on etait tranquilles, qu'on l'avait
ete. Un soir, ä table, alors que les Allemands etaient
arrives, maman avait pose la question:
- T u ne crois pas qu'on va avoir des problemes,
maintenant qu'ils sont lä ?
On savait ce qu'Hitler avait dejä fait en Allemagne,
en Autriche et en Pologne : les lois raciales.
Je faisais la vaisselle et Maurice m'aidait. Albert et
Henri, mes deux freres aines, rangeaient le salon,
on les entendait rire et papa repondre ä la question
de maman:
- Non, pas ici, pas en France. Jamais.
e
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Liberte - Egalite - Fratergite.
La peur quittait les yeux des gens car ils savaient
qu'ils etaient arrives.
La France.
7 le heros le personnage principal -12 un pogrome des actions agressives contre les
Juifs -14 le tsar Zar -14 une lärme Träne
8
15 une loi raciale Rassengesetz
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- Ä ton tour, Jo.
II est huit heures du matin et c'est encore la nuit
complete dehors. Maman est assise sur la chaise
derriere la table. Elle sourit, mais avec les levres
seulement. Je lui tends ma veste. Vite, eile coud sur
le revers gauche une etoile jaune : JUIE
Maurice me regarde:
- Alors, toi aussi, tu l'as, ta medaille.
Quand on a ca, on ne peut plus faire grand-chose :
on n'entre plus dans les cafes, ni dans les cinemas,
ni dans les trains. Peut-etre qu'on n'a plus le droit
d'aller ä l'ecole. Ca ne serait pas mal comme loi
raciale, ca.
Papa ouvre la porte. II regarde l'etoile, puis sa
femme.
- Eh bien, voilä, dit-il, voilä...
II faisait froid dehors, nos galoches claquaient sur
le trottoir. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis
retourne. Nos fenetres donnaient sur la rue et je les
ai vus, tous les deux, qui nous regardaient derriere
les vitres.
Ä deux cents metres, c'est l'ecole Fernand-Flocon,
notre ecole.
-He...Joffo!
C'est Zerati qui m'appelle. C'est mon copain
depuis trois ans.
- Salut!
- Salut!
II me regarde, fixe le revers, l'etoile jaune. C'est
long le silence quand on est petit.
- Bon Dieu, murmure-t-il, t'as vachement du pot,
ca fait chouette.
Maurice rit et moi aussi. Quel soulagement!
- C'est comme une decoration, vous avez
vraiment du pot.
C'est vrai, c'est comme une medaille.
II y a des groupes d'eleves dans la cour. Un cercle
s'est forme et moi, au milieu. Dans l'ombre, j'ai vu
des visages, pas souriants ceux-lä.
- T'es un youpin, toi ?
Difficile de dire non, quand c'est ecrit sur ta
veste.
- C'est la faute aux youpins s'il y a la guerre.
Zerati se retourne vers un grand garcon de douze
ans:
-T'es tout con, toi, c'est la faute ä Jo s'il y a la
guerre ?
- Parfaitement, il faut les virer, les youds.
Mais qu'est-ce qui s'est passe ? J'etais un gösse,
moi, avec des billes, des jouets, des lecons ä
apprendre. Papa etait coiffeur, mes freres aussi,
maman faisait la cuisine. Le dimanche, nous allions
ä Longchamp prendre l'air, la semaine en classe et
voilä tout. Et tout d'un coup, on me met une etoile
jaune sur la veste et je deviens juif.
Juif. C'est quoi un Juif ?
Le grand garcon continue :
- T'as vu son tarin ?
Rue Marcadet, i l y avait une affiche, au-dessus
du magasin de chaussures, une tres grande affiche
en couleur. Dessus, on voyait une araignee qui
6 coudre nähen -18 une galoche une Sorte de chaussure de bois - 23 Fernand Flocon
un ministrefrancais (1800-1866)
3 avoir vachement du pot [po] fam avoir beaucoup de Chance - 4 chouette fam ici:
joli - 5 le soulagement Erleichterung -12 un youpin pej un Juif -18 etre tout con
fam etre completement idiot - 20 virer chasser - 25 Longchamp une ville chic de
la banlieue de Paris - 30 un tarin fam un (grand) nez - 31 Rue Marcadet une rue du
quartier juif de Paris - 33 une araignee Spinne
Chapitre 2
L'etoile jaune
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rampait sur le globe, une grosse bete, avec de
petits yeux, des oreilles en chou-fleur, une bouche
enorme et un nez terrible, long d'une vingtaine de
centimetres. En bas, c'etait ecrit:
Le Juif cbercbarjt ä posseder le rnopde.
On passait souvent devant, Maurice et moi. Ce
n'etait pas nous, ce monstre! On n'etait pas des
araignees, on n'avait pas une tete pareille. Dieu
merci! J'etais blond, moi, avec les yeux bleus et un
nez comme tout le monde. Et voilä que tout d'un
coup, cet idiot me disait que j'avais un tarin comme
sur l'affiche! Tout ca parce que j'avais une etoile.
Avant de me mettre en rang, j'ai vu Maurice. II y
avait une dizaine d'eleves autour de lui. Quand i l
est alle se ranger derriere les autres, i l avait sa tete
des mauvais jours.
1 ramper kriechen
12
Chapitre 3
Ä l'ecole
On est entres deux par deux devant le pere Boulier
et j'ai gagne ma place ä cöte de Zerati.
La premiere heure, c'etait la geo. Ca faisait
longtemps qu'il ne m'avait plus interroge. II
a promene son regard sur nous comme tous
les matins, mais i l ne s'est pas arrete sur moi.
Ses yeux ont glisse et c'est Raffard finalement
qu'il a interroge. Cela m'a donne une mauvaise
impression : peut-etre que je ne comptais dejä plus,
peut-etre que maintenant, je n'etais plus un eleve
comme les autres. II y a encore quelques heures,
cela m'aurait ravi, mais ä present, cela m'ennuyait.
Qu'est-ce qu'ils avaient donc tous contre moi ?
- Prenez vos cahiers. La date, en titre: Le sillon
rhodanien.
Le pere Boulier avait une manie: c'etait le
silence.
II voulait toujours entendre les mouches voler.
Quand i l entendait un bavardage, un livre qui
tombait, il disait ä l'eleve :
- Conjuguez le verbe « faire moins de bruit» au
passe compose, plus-que-parfait et futur.
J'ai pose mon ardoise sur le coin de la table, je
l'ai poussee un peu et eile est tombee par terre:
Braoum!
II ecrivait au tableau et s'est retourne. II a regarde
l'ardoise par terre, puis moi. Tous les autres nous
fixaient. M. Boulier m'a regarde longtemps et puis
3 gagner sa place ici: aller ä sa place - 8 glisser ici: vorbeigleiten -13 ravir qn rendre
qn heureux -13 ä present maintenant -15 le sillon rhodanien Rhonegraben -19 une
mouche Fliege - 24 une ardoise ici: Schiefertafel
13
son regard est devenu vide, completement vide.
Lentement, il est alle ä la carte murale de France et
nous a montre une ligne qui descendait de Lyon ä
Avignon et il a d i t :
- Le sillon rhodanien separe les massifs anciens
du Massif Central.
La lecon avait commence et j'ai compris que,
pour moi, l'ecole etait finie. Ä un certain moment,
j'ai entendu la sonnerie de la recreation.
Je suis sorti et, dans la cour, ils ont danse autour
de moi.
-Youpin ! Youpin ! Youpin !
Un m'a pousse dans le dos. J'ai reussi ä ne pas
tomber. J'ai recu un coup terrible sur l'oreille. Mon
tablier s'est dechire. J'ai cherche Maurice des yeux.
II saignait.
II fallait retourner en classe. Je me suis assis.
Devant moi, au-dessus du tableau noir, il y avait la
tete du marechal Petain. Une belle tete digne avec
un kepi. En dessous, il y avait une phrase.
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Je tiens rpes prorpesses, roenje Celles des autres.
Je me demandais ä qui i l avait promis de me faire
porter une etoile. Pourquoi tout cela ?
Je ne comprenais rien. J'avais la meme couleur
que les autres, la meme tete, j'avais entendu parier
de religions differentes, mais moi, je n'avais pas de
religion. Le jeudi, j'allais meme au patronage avec
d'autres gosses du quartier. On faisait du basket
derriere l'eglise. J'aimais bien cela et ä l'heure du
goüter, le eure nous donnait du pain gris avec du
2 une carte murale une carte fixee sur le mur -15 un tablier ici: Schulkittel 15 dechirer zerreißen -16 saigner bluten (-» le sang) -19 le marechal Petain voir
annexe -19 digne würdig - 27 le patronage ici: (katholische) |ugendgruppe - 30 le
goüter le petit repas de l'apres-midi - 30 un eure Pfarrer
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chocolat, le chocolat de l'occupation, peu sucre.
Alors, oü etait la difference ?
Onze heures et demie. Je m'habille et je sors.
Mon oreille me fait toujours mal. Maurice m'attend
devant la cour. Son genou ne saigne plus. Ensemble
nous remontons la rue sans dire un mot.
-Jo!
C'etait Zerati. Dans sa main, i l a un sac de billes.
II me le tend.
- Je te fais l'echange.
Je n'ai pas compris tout de suite. II me montre
l'etoile sur ma veste.
- Contre ton etoile.
Je me decide brusquement.
- D'accord.
D'un coup, je l'arrache :
-Voilä.
Les yeux de Zerati brillent. Mon etoile pour un
sac de billes. C'etait ma premiere affaire.
Ä table, mon pere nous regarde: mon oreille
enflee, ma veste dechiree, le genou rouge de sang
de Maurice et son ceil violet. II mange avec difficulte
et regarde ma mere, ses mains tremblent.
- Pas d'ecole cet apres-midi, dit-il.
Maurice et moi, nous en laissons tomber nos
cuilleres.
-Cet apres-midi, vous etes libres, mais rentrez
avant la nuit, j'ai quelque chose ä vous dire.
Quelle joie, quel soulagement! Tout un apresmidi ä nous, alors que les autres travaillaient.
Nous avons traverse notre Paris aime. Je ne savais
pas encore que je ne reverrais plus ce quartier si
familier.
8 une bille Murmel -16 arracher enlever avec force - 21 enfle, enflee geschwollen 23 trembler zittern
15
Chapitre 4
Le depart
Nous sommes revenus trois heures apres. La
boutique etait fermee. Beaucoup de nos amis
etaient partis depuis quelque temps. Souvent,
dans le salon autrefois bonde, i l n'y avait qu'un
seul client. Mes freres etaient partis au debut de
l'annee. Je n'avais pas bien compris pourquoi. Chez
nous, on parlait souvent de «Kommandantur»,
« Ausweis », « ligne de demarcation ». Des noms de
quelques villes aussi: Marseille, Nice, Casablanca.
C'etaient des mots que j'avais entendus pour la
premiere fois.
Notre pere nous a appeles, i l etait dans notre
chambre, assis sur le lit de Maurice. Nous nous
sommes installes en face de lui, sur mon lit. II a
commence un long monologue que je n'ai jamais
oublie:
-Vous etes maintenant en äge de comprendre les
choses. J'ai quitte la Russie tout seul quand j'avais
sept ans. Arrive en France, j'ai gagne ma vie. J'ai fait
tous les metiers : j'ai ramasse de la neige pour un
peu de pain, j'ai travaille chez des paysans, je suis
devenu coiffeur. J'ai marche beaucoup : trois jours
dans une ville, un an dans une autre, et puis je suis
arrive ici oü j'ai ete heureux. Votre mere a eu un peu
la meme histoire que moi. Je l'ai connue ä Paris,
nous nous sommes aimes, maries et vous etes nes.
Rien de plus simple.
II avait de la difficulte ä parier.
5 bonde, bondee ici: plein de Clients - 9 la ligne de demarcation voir annexe
16
- J'ai achete cette boutique, bien petite au debut.
J'ai travaille dur...
II s'arrete et nous regarde.
-Vous savez pourquoi je vous raconte tout cela ?
- Oui, dit Maurice, c'est parce que nous aussi, on
va partir.
- Oui, les garcons, vous allez partir, aujourd'hui,
c'est votre tour. Vous savez pourquoi: vous ne
pouvez plus revenir tous les jours dans cet etat. Je
sais que vous vous defendez bien et que vous n'avez
pas peur. Mais i l faut savoir une chose: lorsqu'on
n'est pas le plus fort, lorsqu'on est deux contre dix,
vingt ou cent, le courage ne sert ä rien. Et puis, vous
avez vu que les Allemands sont de plus en plus durs
envers nous. Aujourd'hui l'etoile jaune, demain on
va nous arreter. Alors, il faut partir.
Je sentais une boule monter dans ma gorge, mais
je n'ai pas pleure. J'ai demande avec peine :
- Mais toi, toi et maman... ?
- N e vous inquietez pas. Nous reglons encore
quelques affaires et puis nous partons ä notre tour.
Henri et Albert sont en zone libre. Vous partez ce
soir. Vous allez bien faire attention maintenant.
Vous prendrez le metro jusqu'ä la gare d'Austerlitz
et lä, vous acheterez un billet pour Dax. C'est lä oü
il faudra passer la ligne de demarcation. Bien sür,
vous n'aurez pas de papiers pour passer, i l faudra
vous debrouiller. Tout pres de Dax, vous irez dans
un village qui s'appelle Hagetmau, lä, i l y a des
gens qui vous aideront ä passer la ligne. Une fois de
l'autre cöte, vous etes sauves. Vous etes en France
libre. Vos freres sont ä Menton, je vous montrerai
sur la carte oü ca se trouve, c'est tout pres de la
17 une boule dans la gorge ein Kloß im Hals -18 la peine ici: la difficulte 20 s'inquieter se faire du souci - 22 la zone libre voir annexe - 24 la gare d'Austerlitz
la gare de Paris pour les trains en direction du Sud-Ouest - 25 Dax une ville pres des
Pyrenees - 28 se debrouiller sich zu helfen wissen
17
frontiere italienne. Vous les retrouverez. Voilä
l'adresse du salon oü ils travaillent.
Maurice demande:
- Mais pour prendre le train... ?
-Je vais vous donner des sous, faites attention
de ne pas les perdre. Vous aurez chacun cinq mille
francs.
Quelle fortune! Cinq mille francs ! Mais papa n'a
pas encore fini.
-Enfin, dit-il, i l faut savoir une chose. Vous
etes juifs, mais ne le dites jamais. Vous entendez:
Jamais.
Nous faisons oui de la tete.
- Ä votre meilleur ami vous ne le direz pas, vous
nierez toujours. Vous m'entendez bien: Toujours.
Joseph, viens ici.
Je me leve et m'approche de lui.
- Tu es juif, Joseph ?
-Non.
Sa main a claque sur ma joue. II ne m'avait jamais
touche jusqu'ici.
- Ne mens pas, tu es juif!
-Non!
J'avais crie sans m'en rendre compte.
- Eh bien, a dit mon pere, la Situation est claire
maintenant. Allons, il est temps d'aller ä table. Vous
partirez tout de suite apres.
Sur une chaise, pres de la porte, i l y avait nos
deux sacs ä dos avec des vetements, nos affaires
de toilette, des mouchoirs plies. Je ne me souviens
plus du repas. Apres, maman nous a aides ä mettre
nos vestes. Elle nous a embrasses: j'ai senti ses
joues mouillees, ses levres tremblaient.
5 des sous mpl fam de l'argent - 7 un franc ici: un ancien franc (= 1 Centime de franc) 8 une fortune beaucoup d'argent -15 nier dire non - 30 un mouchoir Taschentuch 30 plie, pliee gefaltet - 33 la joue Wange - 33 mouille, mouillee nass
18
Un baiser rapide pour mon pere, ses mains nous
ont pousses vers l'escalier:
- Allez, les enfants, et ä bientöt.
J'ai su plus tard que mon pere est reste debout
longtemps, les yeux fermes d'une douleur
indicible.
Dans la nuit sans ruiniere, dans les rues vides,
nous sommes alles ä la Station de metro. C'en etait
fait de l'enfance.
Apres un long voyage, ils arrivent ä Dax oü un pretre
les aide ä passer le contröle allemand. Iis prennent
l'autocar pour se rendre ä Hagetmau.
5 une douleur Schmerz - 6 indicible unsagbar - 9 c'en est fait de
est fini
19